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MYSTIFICATION
DIALECTIQUE
Exposition du 29 avril 2019
DIANA IANAKIEVA
ELISE THIEBAUT
MYSTIFICATION DIALECTIQUE
Université de Strasbourg Salle 27
JING BAI
PAULA REIS
Notre travail en commun a donnée lieu à une exposition qui regroupe quatre oeuvres projetées. Elles traitent individuellement de ce que nous avons nommé Mystification Dialectique, c’est à dire que nous traitons chacune de nos sujets par le biais d’une sorte de dichotomie. Diana Ianakieva traite de l’association des différentes temporalités par la présence et l’absence d’une image, celle d’une plante et de ses ombres. Dans sa vidéo Guru, Elise Thiébaut mêle des images des images d’archives avec un faux témoignage, et crée une narration sur le thème du mysticisme, ou l’expression d’une liberté contraste avec l’enfermement des personnages dans le cadre de limage. Pour Jing Bai, il s’agit de l’association d’une matière noire fondante lentement sur un papier blanc immaculé. Chez Paula Reis, les images sont associées pour créer un récit plastique.
RÉEL/IRRÉEL Diana IANAKIEVA
L’ensemble de l’installation Réel/Irréel est créé par une plante (un avocat) et la projection de son ombre. La plante est face à son ombre ainsi que celle (double) enregistrée dans la vidéo (une ombre statique sur la surface derrière un rideau transparent et une autre sur le même rideau en mouvement). Cet instant de l’ordinaire, qui a existé, est dévoilé sous des multiples couches temporelles de narration. Le rapport au(x) temps, ici, est évoqué grâce à la présence de la plante et son absence dans la vidéo, la présence de multiples ombres de l’avocat (celles de la vidéo et celle du faisceau lumineux du projecteur) et la disparition de celles enregistrées vers la fin de la vidéo. Ainsi, différents temps semblent coexister - l’instant est comme étiré, déjà par la ressemblance des images, car parfois presque des répétitions dues aux mouvements du rideau, dans un même espace-temps (le présent) ou bien par le semblant ralenti de l’image et la superposition des images car les ombres captées et celle de la vraie plante se croisent, se séparent, se juxtapose... une sorte de profondeur irréelle de l’instant semble ainsi être créée par ces différentes lectures de l'instant qui n'est rien d'autre qu'un moment, un fragment du visible, un autrefois du réel enregistré et réintroduit dans le réel, dans le maintenant. L'instant ainsi relevé, par la présence de l'original et de son modèle, de son image, de sa représentation donne, selon moi, une sorte de matérialité de l’instant, en révélant une certaine singularité de l'ordinaire.
Cependant, même si le soleil disparaît ainsi que les ombres projetées à un moment dans la vidéo, la plante et sa vraie ombre éclairées par le faisceau lumineux du projecteur restent toujours présentes. D'un autre côté, l'absence de la plante dans la vidéo est dévoilée par la présence physique de cette dernière devant l’écran. Une sorte de mystification dialectique, de dédoublement de l'image de l'ombre opère et ceci par la présence de la plante (projetée sur le mur) et aussi par l’image des deux ombres de la plante dans la vidéo. L'ombre, élément assez important de cette installation, est sans cesse modifiée, dédoublée, transformée, manipulée et trouve une réelle présence, sans avoir besoin de son objet d'origine pour exister. Dans la vidéo, elle assume en quelque sorte une vie propre, elle devient l'objet. La présence parallèle de deux instants distincts, présent et passé, semblent également coexister. Ceci pose même la question de l'avenir et de la présence de la plante dans une future installation. Déjà, projetée à un autre moment la plante est différente, elle a grandi, son ombre n’est plus la même, et l’installation ne sera pas réalisable après la disparition de celle-ci. La mystification dialectique, de ce réel/irréel d’un instant, est soulignée de plusieurs manières par un jeu dialectique d’absence-présence, d’apparition-disparition, de présent-passé qui semble s'installer par cette installation.
Diana IANAKIEVA
réel / irréel
vidéo couleur 3’33 (dimension variable)
Elise THIEBAUT
isolation / manipulation vidéo couleur 2’09 (dimension variable)
ISOLATION/MANIPULATION Elise THIEBAUT
Isolation/Manipulation est une vidéo de deux minutes et neuf seconde. A travers ce projet (qui est également intitulé Guru) j’ai voulu présenter les effets de la dialectique entre un gourou abusif et son disciple au sein d’une secte. Pour cela, j’ai réalisé une vidéo que je voulais simple et efficace. J’ai récupéré des images du documentaire Holy Hell de Will Allen : il s’agit d’un documentaire dans lequel le réalisateur raconte près de vingt années qu’il a passé au sein du Buddhafield, un groupe spirituel dirigé par un homme pervers et manipulateur. Je me suis concentré sur des portraits d’adeptes en pleine méditation.
Progressivement, les plans se resserrent autour du visage de ces personnes qui se retrouvent petit à petit enfermées par le cadre de l’image, signifiant ainsi l’isolation et l’enfermement que la secte opère sur eux. Puisque j’agrandi les images utilisées, leur définition numérique baisse et les visages présentés ne deviennent plus qu’un amas de pixels, effaçant ainsi les particularités de leurs faciès. Ce procédé entraîne par là même une perte symbolique de leur identité : on ne peut plus les reconnaître. Leur existence se réduit à leur appartenance à une communauté sectaire. Aussi, les méditations qu’ils sont en train d’exercer sont de plus en plus intenses, ce qui rend progressivement les expressions faciales tendues voir douloureuses. Ce glissement s’opère sur toute la durée de la vidéo. La première personne que l’on voit arbore un léger sourire tandis que la dernière personne est en train de hurler de douleur semble-t-il, les yeux froncés et balançant sa tête d’avant en arrière. C’est un réel tourment qui se révèle sur le visage des adeptes au fur et à mesure que la vidéo se développe.
Ce tourment est accentué par un message vocal fictif, qui semble avoir été laissé sur un répondeur, qui sert de bande son à la vidéo : on y entend une personne décrire sa vie spirituelle et ses sentiments au sein d’une communauté religieuse. Ici aussi, il y a un étau qui se resserre : la personne commence par raconter le bien être que cette communauté lui a apporté et la richesse spirituelle qu’elle y a trouvé, mais au fur et mesure, son discours se consacre de plus en plus à l’amour qu’elle porte pour son gourou. Ainsi, il y a une dialectique inversée puisqu’ici, ça n’est pas le maître qui s’adresse au spectateur, mais son élève. Les paroles prononcées et les images présentées se complètent pour nourrir une narration qui ne se révèle qu’en associant les deux éléments de Isolation/Manipulation. Aussi, l’association d’un message vocal fictif et de documents vidéographiques réels participe à la dualité qui permet à mon travail de s’intégrer dans l’exposition Mystification Dialectique.
Jing BAI
noir / temps
vidéo couleur 1’12 (dimension variable)
NOIR/TEMPS Jing BAI
Ceci est une vidéo sur la fonte de la glace noire sur papier blanc. Mon travail est divisé en deux vidéos et exposé par le dessin. La durée des deux vidéos sont respectivement 41 secondes et 32 secondes. Je les ai nommés n° 1 (41 secondes) et n° 2 (32 secondes). Dans Un morceau de glace fondant le temps, la tache noire après la fonte de la glace noire s’agrandit sur le papier blanc, et la glace noire devient de plus en plus petite jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Il y a deux rythmes différents dans la vidéo n° 1 : la première moitié est lente, et après 20 secondes, la forme noire se transforme à un rythme très rapide. Cela représente en fait le processus de croissance d’une personne. À un jeune âge, parce que nous n’avons pas besoin d’assumer autant de responsabilités et que nous n’avons pas besoin de penser à tant de choses, notre vie est très simple. Nous avons toujours hâte de grandir et d’être indépendants. Toujours à attendre que ce moment vienne rapidement. À ce moment-là, nous avons toujours senti que le temps était lent.
N° 2 dure 32 secondes (comme le n° 1 est l’accéléré), qui est la dernière étape de la fonte de la glace. Pendant cette période, la forme de dessin a été réalisée. Sa vitesse de fusion était également devenue lente (physiquement parce qu’il absorbe la chaleur qui l’entoure lorsqu’il fond, faisant chuter la température autour de lui, réduisant sa vitesse de fusion). Le principal changement est la fusion de la glace au centre de l’écran jusqu’à ce qu’il disparaisse définitivement. Cette glace se réfère à la réalité. Et la « réalité » est juste une glace fondante sans cesse sur l’océan. Je l’imaginais abandonnée aux flots, c’est aussi l’état de ma vie depuis longtemps. Je ne sais rien de l’avenir, où aller, et ni quoi faire. Personne ne peut m’aider dans cette vaste mer, et il n’y a aucun moyen de m’aider. Le temps est cette « température ». Si je ne sais pas comment utiliser le « passé » pour mesurer l’endroit où cette glace a fondu, peutêtre n’ai-je pas eu le temps de mettre le pied de l’autre côté du « futur ». Les bords de la forme noire changent sur le papier, elle a constamment continué à étendre son territoire jusqu’à ce que la glace ait complètement fondu.
Ce changement ou cette expansion est complètement passif. Que cela vous plaise ou non, si vous ne l’acceptez pas, il ne reviendra pas et ne s’arrêtera pas. En fait, le passage du temps n’est pas si évident dans la vie. Parce que le temps lui-même est un concept abstrait. Chacun a sa propre réponse à la question du temps : certaines personnes peuvent y répondre, et d’autres ne savent pas comment la résoudre. Si vous me demandez, je dirais que le temps est une pomme empoisonnée qui fait vieillir mes parents. Parce que je ne veux pas les voir vieillir. La tache d’encre de Chine dans la vidéo est un temps visible. Il change, et ne cesse pas de changer. La « mort » de la glace est le « point final » de ce changement. C’est une attitude de ne pas s’arrêter jusqu’à la mort. La disparition de la glace est la fin de la forme noire. C’est aussi ma relation avec le temps; la fin de ma vie est aussi la fin de mon temps. Alors le temps est-il la vie ? Ou la vie est- elle le temps ? Si oui, notre vie est-elle métaphysique ? Sinon, qu’est-ce que la vie ? Peutêtre, les réponses ont besoin que je cherche pendant toute ma vie, pour trouver la meilleure réponse pour moi.
APPARITION/DISPARITION Paula REIS
Apparition/Disparition a été réalisé à partir de photographies réalisées par l’artiste elle-même dans les coulisses d’un montage de spectacle. A cette occasion, ce qui était le plus significatif dans les images était la relation dualiste constante entre les corps des ouvriers locaux et les objets et structures métalliques. Le contraste entre ces formes se transforme en ligne, en tiret et en découpe dans la photo. Le choix du noir et blanc sépare les images de la capacité de reconnaissance du monde ordinaire au moment où il transforme la scène en quelque chose provenant d’un univers très éloigné du réel, un univers surréaliste. À l’arrière-plan, une musique étrange est entendue comme une bande-son (un des études de piano de Karlheinz Stockhausen), interrompue, découpée et également distancée des mélodies les plus connues, ses phrases musicales sont interrompues et son récit est rompu.
Jouant avec les dialogues entre l’image fixe et l’image en mouvement, cette vidéo apparaît comme un défi d’explorer un nouveau langage pour l’artiste. Venant de l’univers des collages réalisés avec du papier et de la colle où tout est matériel palpable, l’artiste s’aventure maintenant dans la transposition du touchable dans un univers sensible et impalpable. Le collage est présenté ici sous forme de découpes, de superpositions, de transparence et de juxtaposition de photographies numériques où les corps s’entremêlent et coexistent avec des structures métalliques de construction, l’organique est confronté à la géométrique, la fluidité est confrontée au statique. Les images ici sont utilisées pour créer une sorte de récit inhérent à l’artiste. Au cours des deux minutes et quarante secondes de la vidéo, son langage peut être considéré comme composé principalement de dualités : corps/objet ; apparition/disparition ; présence/absence ; son/silence ; mouvement/stagnation ; noir/blanc. Ce langage est destiné à nous raconter un récit, voire une explication sur certaines des conditions d’un individu dans un environnement constamment conflictuel, inhospitalier et obscur. L’individu se trouve dans un sens constant de « discontinuité » qui serait représenté ici à la fois par les coupures et les interruptions des images et par la musique de Stockhausen qui marque un rythme étrange et brisé sans beaucoup de fluidité. L’individu éprouve également un sentiment de non-appartenance représenté ici par les apparitions et les disparitions constantes de corps fantomatiques qui ne semblent jamais être correctement présents et établis dans l’image; ils illustrent la personne qui se sentirait comme un étranger éternel dans l’environnement errant perdu par son monde. sans jamais me sentir vraiment partie de quelque chose.
Paula REIS
apparition / disparition vidÊo noir & blanc 2’40 (dimension variable)