L’ÉPUISEMENT DES MALASSIS Les ressources endogènes, un levier pour une requalification urbaine alternative aux propositions de l’ANRU, dans un quartier de Bagnolet (93).
Perrine Philippe, Mémoire de projet de fin d’études, ENSAPM, 2017
L’ÉPUISEMENT DES MALASSIS Les ressources endogènes, un levier pour une requalification urbaine alternative aux propositions de l’ANRU, dans un quartier de Bagnolet (93).
Perrine Philippe Mémoire de diplôme Encadrants du projet de fin d’études : Steven Melemis et Ariane Wilson Encadrante du mémoire : Loïse Lenne Département Ville Architecture et Territoire (VAT) Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Malaquais (ENSAPM) 2017
SOMMAIRE Introduction 7 En allant à la dalle… En allant vers un projet… Bagnolet, très brève histoire
L’échec des politiques de la ville ?
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Dynamiques endogènes, des potentiels mous
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Un autre protocole pour faire projet
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La création de « tiers-espaces » comme forme de résilience 40 La salle Pierre et Marie Curie et le centre socioculturel Pablo Neruda comme relais appropriables 43 Les associations, le lieu des contre-pouvoirs et de la controverse 45 Qu’entend-t-on par société civile ? 47
Faut-il parler de participation ?
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« Le grand Paris nous chasse », un état des lieux des politiques de la ville 14
Information, concertation, responsabilisation, qu’entend-on par participation ? 51
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Organiser des espaces-temps de contact entre la population et l’architecte 54
Quels critères pour le zonage des Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (QPV) ? Comment sont financés les projets de renouvellement urbain? L’émergence de la politique de la ville en France L’ ANRU et le PNRU : discours, outils, conséquences Efforts annoncés de la politique de la ville : les espoirs du rapport Bacqué-Mechmache La désillusion du NPNRU
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Une autre politique de la ville est possible
Travailler in-situ Echanger, confronter les points de vue Travailler avec d’autres acteurs en présence
Faire ?
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Du bâti aux dynamiques habitantes en passant par l’entretien 30
Projeter dans une temporalité dilatée, représenter le temps et l’incertain 58 Le chantier, encore en projet 59 Les associations, un acteur opérationnel de la fabrique urbaine ? 60 Une organisation pérenne de la société civile et des dispositifs spatiaux 61 Un spectre d’options entre le petit œuvre et le gros œuvre, entre projet classique et auto-réhabilitation 62 Entre projet et chantier, investir le lieu 63 L’imprédictible 64
Comprendre le territoire en le pratiquant
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Pour conclure
Maintenance, entretien et architecture
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Quels modèles de l’empowerment ? L’influence de l’empowerment en France Regard comparatif Européen
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Imaginer un autre programme d’amélioration et d’émancipation urbaine 28
Le film : outil de restitution d’enquête et/ou de médiation ? L’ignorance des problèmes d’entretien par l’ANRU Une mauvaise gestion pour un mauvais entretien
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Note de fin
Table des annexes
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Bibliographie 69 4
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INTRODUCTION En allant à la dalle… Je sors de chez moi et je me dirige vers la dalle Thorez. Ce n’est pas bien loin, mais avant de décider d’y faire mon projet de fin d’études, je n’avais jamais à y passer. Bien que je sois entourée de maisonnettes, je vois déjà sa plus haute tour, rouge. Elle domine toute la ville, et son dernier niveau est vide. Des voitures stationnées partout, une première barre, un petit supermarché. Une planche de bois remplace toujours la porte vitrée cassée du coiffeur. Son enseigne a l’air la même depuis la construction de l’immeuble, dans les années soixante. Le paysage s’ouvre progressivement. Entre les barres, on devine le centre de Bagnolet en contrebas, et on embrasse Paris du regard. Nous sommes bien au sommet de la colline. Puis, tout à coup, une rue bordée de pavillons me rappelle à quel point Bagnolet est fragmenté. La ville est riche en typologies. Petites tuiles. Toits terrasse. Arbres. Fenêtres alignés. Surfaces en béton aveugles, hautes de 50m. Contrairement à Paris, je ne ressens pas ici l’existence de réglementations urbaines. Je passe devant plusieurs écoles. Aujourd’hui, c’est dimanche et il fait froid, alors il n’y a personne dans les rues. Quelques voitures passent, et je suis impressionnée qu’une ville puisse être aussi calme. La bergerie – une cabane en bois auto construite sur un terrain occupé, avec quelques chèvres, moutons, boucs, lapins, qui accueille de nombreux habitants du voisinage - est à ma gauche. Par réflexe je regarde si la grille est ouverte, mais là encore il n’y a personne aujourd’hui. Je passe devant l’ère de jeux où la statue de la liberté a fini sa vie. Ça y’est, je suis en bas de la dalle. Toujours personne, sinon des corbeaux. À première vue, une tour de seize étages et deux barres de logements, de onze et treize étages – 224 logements au total. Construites à la fin des années soixante, elles ont l’image attendue du logement social en banlieue parisienne. Fenêtres et trames en béton régulières. Le rez-de-chaussée sur rue semble à l’abandon… Ou presque, puisque quelques façades taguées indiquent que des locaux ont trouvé un usage sur la rue Pierre et Marie Curie. Ce sont les associations Kosmopolite (ateliers de street art) et l’école d’arabe de l’Association des Musulmans de Bagnolet (AMB) qui ont obtenus des locaux de l’Office Public d’Habitations à Loyer Modéré (OPHLM) avec l’aide de la municipalité pour pouvoir sédentariser leurs activités – la dalle entière est la propriété du bailleur social. Le secours populaire occupe un local sur la rue Angela Davis mais il ne semble pas en activité. Il ouvre pourtant deux après-midi par semaine. Ya+K, une agence d’architecte cachée derrière un statut associatif, a obtenu depuis peu une résidence dans un local, rue Maurice Thorez (derrière l’accès à la dalle). Ces derniers ont très récemment créé l’Hyper, un fab lab et café rue Angela Davis. Ces espaces sont cependant discrets et il est facile de longer la dalle sans avoir la moindre idée que des activités y ont lieu. Chacune 6
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de ces associations a des liens avec d’autres espaces et d’autres acteurs du quartier, qu’ils soient institutionnels ou associatifs. Ils constituent un mouvement, une émulation, une expression de la société civile et expriment tous un besoin spécifique : apprendre une langue au sein d’une communauté religieuse, apprendre à manier des aérosols et des pochoirs et de développer des projets d’art urbain, améliorer, entre autre, le mobilier urbain en faisant participer des jeunes du quartier… La liste est infinie et se réinvente perpétuellement. Les équipements publics sont accessibles seulement depuis le dessus de dalle – piscine, salle Pierre et Marie Curie, centre socio-culturel Pablo Neruda, conservatoires de musique et de danse. Très horizontaux et discrets, ils semblent s’écraser, se cacher. Quelques personnes sortent du conservatoire. Je m’étonne qu’il soit ouvert le dimanche ! Je pousse la porte, mais il n’y a personne… Je frissonne, l’ambiance est sinistre. Rien ne me retient d’aller explorer le centre social et le conservatoire, mais j’aurais trop peur de m’aventurer dans les couloirs par un jour aussi lugubre. Je repense aux dires des habitants sur ces soussols… Sans l’animation qu’elle connait parfois, la dalle pourrait en effet être inquiétante. Je reste dehors un moment, des flaques un peu partout, une petite structure en bois, des choux qui tanguent dans les bacs à fleur. Ces derniers éléments ne font certes pas de la dalle un espace de vie agréable, mais ils signalent que quelques tentatives d’amélioration sont à l’œuvre. Invisibles, cachés sous des rideaux de métal tagués ou derrière des locaux associatifs, sous cette croute crevassée et remplie de flaques qu’est la dalle ; deux niveaux vides. Ancienne entreprise Honda, pompe à essence, puis pharmacie, parking, supermarché, et enfin espace abandonné, parfois squatté, le dessous de dalle est propice aux mythes. Les habitants et même certains élus l’imaginent peut-être squatté, complètement inondé, traversé par des rats et des cafards énormes, « pire même que les catacombes », entend-on. La dalle est comme un être vivant complexe dont certains organes auraient cessé de fonctionner. D’autres continuent, tant bien que mal, à essayer de servir leurs fonctions. Elle est comme un projet de ville, ambitieuse et idéale, en lequel les décideurs n’ont plus voulu croire. Elle réunit logements, espace public extérieur, équipements, associations, et en son cœur : du vide.
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En allant vers un projet… Le quartier des Malassis est un quartier populaire de Bagnolet (Seine Saint-Denis), auparavant classé comme ZUS (Zone Urbaine Sensible), et, depuis 2014 (loi Lamy), comme QPV (Quartier prioritaire de la Politique de la Ville). Les Malassis et La Noue sont également désignés depuis 2015 comme quartier d’intérêt national du NPNRU (Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain de l’ANRU, l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) - les deux quartiers sont rassemblés en un seul par les zonages. Celui-ci vient compléter un premier Projet National de Renouvellement Urbain (PNRU) actuellement en cours de réalisation, qui avait laissé de côté la dalle Thorez, la Noue et quelques autres parcelles. Cette quantité d’acronymes est assez représentative des diagnostics, « protocoles de préfiguration » et projets, qui sont pensés pour les Malassis - et c’est le cas pour la plupart des quartiers concernés par le PNRU et le NPNRU. Les études sont quantitatives, technocratiques, et ferment complètement les yeux sur certains aspects du quartier. La loi dite Lamy, influencée par le rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville (Bacqué et Mechmache, 2013), essayait certes de replacer la concertation avec les habitants au cœur du processus du NPNRU. Peu de points de ces ambitieuses propositions ont été retenus (conseils citoyens essentiellement), et les dispositifs mis en place sont pour l’instant insuffisants à faire projet avec les habitants des quartiers concernés par l’ANRU. Les Malassis, comme bien d’autres quartiers, sont épuisés par le manque d’attention qu’on leur porte. Je décidais d’initier le projet par une observation des potentiels en présence – le bâti, mais aussi les ressources humaines, culturelles et sociales, se manifestant notamment au travers des associations. L’épuisement prend alors un autre sens, celui d’une tentative d’émancipation des éléments ayant une valeur sousestimée par les pouvoirs publics. Je commençais donc ce projet en voulant révéler un potentiel absent des diagnostics de préfiguration de l’ANRU, afin de pouvoir proposer une amélioration urbaine alternative au renouvellement, et ce essentiellement sur le secteur de la dalle Thorez, rapidement identifiée comme un cœur de quartier négligé.
A travers des promenades, des rencontres, des entretiens enregistrés sur le terrain, j’ai progressivement pris connaissance de la situation telle qu’elle est ressentie par les différents acteurs : habitants, associations, travailleurs, décideurs. J’ai ensuite monté un film afin de restituer ce travail d’enquête (disponible en annexe, dans une version qui nécessite encore d’être retravaillée)1. Cette étape a mis en lumière des divergences de points de vue, l’importance de problèmes de gestion et de maintenance, le poids des politiques étatiques et des modes de financement sur les projets de renouvellement urbain mais aussi des 1 Il aurait été intéressant de prolonger ce travail filmique tout le long du projet, afin de synthétiser l’évolution de mes observations ainsi que les réactions de chacun, mais cela aurait constitué un projet à part entière ou aurait nécessité un travail d’équipe.
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problèmes pragmatiques de pratique quotidienne du terrain. Le film m’a aidé à clarifier une hypothèse de projet en construisant un discours polyphonique superposé à des images (fixes et animées) capturées sur place. Le prochain projet urbain doit développer une approche alternative au PNRU, afin de proposer une amélioration pour les habitants du quartier et éviter les nouvelles tables-rases de l’ANRU, qui visent à renouveler le bâti pour renouveler la population des quartiers populaires, au nom de la « mixité sociale » et du « désenclavement ».
Bagnolet, très brève histoire
La dalle Thorez est délaissée depuis une quinzaine d’années. Le bailleur, (Office Municipal d’HLM de Bagnolet) qui en est le propriétaire, espérait qu’elle soit éligible au PNRU (signé en 2009), ce qui n’a pas été le cas pour des raisons budgétaires. Elle attend donc le NPNRU, avec 5000 m2 de vide, des équipements et des logements vieillissant, comme un témoin d’une mauvaise gestion et d’une absence de maintenance plus généraux. Les quatre associations présentes sous la dalle, et les événements de la salle Pierre et Marie Curie m’apparaissent comme une résilience de la société civile face à l’abandon du bailleur et de la municipalité. Elles développent ce que ne permet généralement pas un cadre institutionnel : des cultures variées et populaires ainsi que des actions solidaires.
Alors que la municipalité, l’agglomération et le bailleur s’accordent sur une potentielle démolition, et que personne n’attend plus rien de cette dalle, je tâcherai de proposer un projet de réhabilitation qui puisse questionner ces présupposés. Si l’on accepte de redéfinir l’objectif des projets urbains - pour aller vers l’intérêt collectif, il faudra questionner l’amont et l’aval du projet, de son inscription dans un contexte politique, à sa fabrique opérationnelle, puis à l’entretien des espaces, sans oublier de modifier les rôles de chaque acteur du territoire. C’est un projet quelque peu utopique et manifeste, qui tente toutefois de se confronter à la complexité des réels (sociaux et culturels, politiques et législatifs, mais aussi techniques), afin de montrer aux sceptiques (moi la première), qu’une autre fabrique de la ville est possible.
La statue pour la Liberté était sur la dalle, jusqu’à ce qu’elle soit accusée d’être trop lourde et de laisser l’eau s’infiltrer… « On n’a pas été prévenus de rien, et d’un seul coup ils l’ont enlevée, ils l’ont posée dans le parc Henri Wallon… C’était assez symbolique. » « Y’a des gars qu’y’ont piqué la ferraille, y ont pas dû gagner grand-chose ! » C’est donc pour cela qu’elle m’apparaissait bancale. La Liberté s’est faite dépouillée, a été déplacée et placée derrière des barreaux… Cet automne, la municipalité l’a définitivement fait disparaitre du quartier. Pourtant, elle parle du rêve d’alors, lorsque la dalle a été pensée par Serge Lana, en 1965, puis construite en 1968. La municipalité communiste de Bagnolet voulait reloger en masse, supprimer les bidonvilles qui s’étendaient dans « le passage », à la place de l’actuelle autoroute A3. L’ensemble des Malassis, ainsi que La Noue, La Capsulerie et d’autres quartiers émergent à la fin des années soixante. Au même moment, une dernière ferme est rasée sous l’autoroute A3, et Bagnolet est scindé en deux par cette énorme infrastructure.
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Mais tout cela qu’importe, puisque les tours c’est le progrès, la régularité, l’égalité et le droit au logement pour tous ! Sur la dalle Maurice Thorez, face à la Maison pour Tous de Bagnolet, forcément, la statue pour la Liberté. Avant d’être une banlieue, Bagnolet était une petite commune rurale. Murs à pêche, maraichers, fermes, c’est un petit faubourg agricole et populaire. Comme la plupart des villes de l’actuelle première ceinture de du NordEst Parisien, les carrières puis les industries grignotent progressivement le paysage agricole. La population reste relativement pauvre et se loge en grande partie dans des taudis. C’est naturellement dans ces communes agricoles puis ouvrières que de nombreux arrivants d’autres régions Françaises et d’autres pays viennent s’installer pour travailler. La banlieue rouge tente de défendre le droit au logement pour tous. Peu couteux et rapide à mettre en œuvre, le grand ensemble apparait comme la solution répondant le mieux à cette urgence. Plutôt que de faire une nouvelle table rase du passé, peut-être peut-on, à la manière d’un palimpseste, tracer de nouvelles lignes, moins droites, sur cette utopie sociale tant critiquée.
L’ÉCHEC DES POLITIQUES DE LA VILLE ?
Pour repenser le contexte des politiques de la ville qui rendrait possible l’émergence d’un projet urbain durable dans un quartier populaire, il est primordial de s’intéresser aux évolutions des politiques de la ville dans le contexte Français, mais aussi international. Je chercherai donc à comprendre pourquoi le PNRU de l’ANRU est aussi critiqué par les chercheurs et les habitants et quelles politiques l’on précédé. Je tacherai ensuite d’expliquer les espoirs fournis par le Rapport dit Bacqué-Mechmache, qui a (trop peu) influencé la loi dite Lamy2 et le NPNRU. Je tacherai aussi de comparer les différentes organisations qui visent à donner plus de pouvoir d’agir (empowerment) aux habitants et à la société civile, en France comme à l’international, afin de penser un spectre des possibles. Il est important de considérer qu’il n’y a pas une solution, mais différents niveaux de responsabilisation des habitants et associations, plus au moins autonomes vis-à-vis des pouvoirs publics. « La politique de la ville, malgré les innovations qu’elle a pu soutenir, a échoué à éradiquer une approche (post)coloniale à l’égard des quartiers, à considérer, à soutenir et à former les habitants des grands ensembles comme des acteurs politiques, à transformer le « bruit », parfois émeutier, en « parole ». (Villechaise dans Kirszbaum et al., 2015, p.320).
Les stigmates liés aux grands ensembles confortent les politiques étatiques à l’égard des quartiers prioritaires à la politique de la ville dans une approche répressive et sécuritaire. Quels sont les outils - en tant qu’architecte mais pas seulement - pour donner la place à la « parole » qu’évoque Villechaise, souvent absente et parfois étouffée ?
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2 Du nom de François Lamy, ministre de la ville, loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, gouvernement de JeanMarc Ayrault.
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« Le grand Paris nous chasse », un état des lieux des politiques de la ville
action logement, [qui] reloge des salariés, [qui] reloge pas des gens au chômage ! » (géographe, ancien chef du PRU à la mairie de Bagnolet). Je découvre le 23 janvier 2017 les cris des collectifs et associations Spoutnik (contre les démolitions prévues à Gagarine à Romainville), Droit au Logement (DAL), Pas Sans Nous (PSN), Alternatives Pour des Projets Urbains Ici et à l’International (APPUII), lors d’une mobilisation qui a lieu à Est Ensemble Romainville. Ils se battent tous pour des projets de renouvellement urbain plus justes, et qui soutiennent les locataires qui ne veulent pas voir leurs quartiers démolis. Un frisson me parcourt lorsque j’entends militants et habitants crier en cœur et de manière répétée « Le grand Paris nous chasse! ». Non, je ne veux pas être l’architecte ou l’urbaniste qui contribue à la reproduction des inégalités au droit à la ville (Lefebvre, 1968 [2009]).
Quels critères pour le zonage des Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (QPV) ? Le quartier des Malassis (et la dalle Thorez) sont inscrits dans un Quartier prioritaire de la Politique de la Ville (QPV) d’intérêt national : Le Plateau - Les Malassis - La Noue3 est un QPV intercommunal entre Bagnolet et Montreuil, comprenant 16 600 habitants. Parmi les 1500 QPV, moins du tiers est éligible au Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU, souvent surnommé ANRU 2)4. En passant dans la rue Julian Grimau, un tas de poubelles, cartons, habits et objets divers m’interpelle. Pas que ce soit inhabituel dans le quartier - les trottoirs sont régulièrement envahis par des encombrants des jours où ils ne devraient pas l’être, mais aujourd’hui, les habitants semblent s’en mêler… J’entends quelques bribes de conversations « Le couple, ils étaient là depuis longtemps. Le Monsieur était grand. – Ha oui ! – Partout ils expulsent ! – Ils ont pas dû faire d’effort parce-qu’y’a des assistantes sociales sympa à l’OPH… ». « Et voilà, les gens récupèrent tout comme des moineaux », et en effet, tout disparait en dix minutes entre les voisins bienveillants qui récupèrent les valises et cartons des expulsés, et ceux qui se jettent sans honte ce qu’il reste à récupérer. Les expulsions ne semblent pas très fréquentes, mais cette dernière me rappelle la situation très précaire de nombreux habitants. La scène était pour moi une métaphore de ce qu’il se passe à plus grande échelle dans les quartiers populaires : départ des populations les plus pauvres vers des territoires plus lointains, à cause de la destruction de nombreux logements sociaux, certes reconstruits, mais généralement pour des catégories moins pauvres de la population. Je repense à mon entretien avec Thomas Radovcic qui m’avoue que « dans l’enveloppe du NPNRU, [...] 98 pourcent des fonds viennent de 14
Les QPV font suite aux anciennes Zones urbaines sensibles (ZUS), aux Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) et aux Zones de redynamisation urbaine (ZRU) depuis fin 20145. Les Malassis – La Noue étaient classés ZUS avant d’être un QPV, et un premier Programme National de Renouvellement Urbain (PNRU, souvent surnommé ANRU 1) y avait déjà vu le jour (Rapport d’information déposé en application de l’article 145-7 du règlement sur la mise en application de la loi n°2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, URL : http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rapinfo/i3735/(index)/rapports-application-loi#P125_14501). Le seul critère définissant les QPV est le revenu médian par unité de consommation6, qui doit être « égal ou inférieur à 60 % d’une moyenne 3 QP093009 - les QPV sont désignés par des numéros officiels. Est-ce bien nécessaire? 4 216 quartiers d’intérêt national disposent des financements les plus conséquents, car ils présentent des « dysfonctionnements urbains » importants. 200 quartiers d’intérêt régional reçoivent également des financements (17 % des 5 milliards d’euros du budget du NPNRU). 5 Décret du 30 décembre 2014, n°2014-1750, rectifié par le décret n°2015-1138 en 2015. 6 Définition de Unité de consommation selon l’INEE : https://www. insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1802
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des revenus médians de la France métropolitaine et de l’unité urbaine concernée » (ibid.). A Bagnolet, comme dans toute l’unité urbaine de Paris, le revenu médian de l’agglomération d’Est Ensemble prime sur le revenu médian national7. Le QPV Le Plateau - Les Malassis - La Noue a un revenu médian par unité de consommation de 11 700€ par an (Contrat de ville 2015-2020, Est Ensemble).
Comment sont financés les projets de renouvellement urbain ? Comme me l’a fait remarquer Thomas Radovcic (géographe, ancien chef du PRU à la mairie de Bagnolet), le PNRU et le NPNRU sont financés par l’Etat, l’ANRU et Action Logement (anciennement « 1 % Logement »), qui ont signé une convention tripartite le 2 octobre 20158. Sur les 5 milliards d’euros constituant le financement du NPNRU, « Action Logement s’est engagée à consacrer 3,2 milliards d’euros de subventions au NPNRU et 2,2 milliards d’euros de prêts bonifiés. […] À cela s’ajoutent 600 millions d’euros de reliquat du PNRU et 400 millions d’euros provenant de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), comme le prévoit la loi. » (Rapport d’information concernant l’artice 1457 du règlement sur la mise en application de la loi n°2014-173, cf. note 6) La convention tripartite semble reposer essentiellement sur les moyens financiers de Action Logement, qui est financé par des entreprises privées9. Si l’ANRU est un établissement public (à caractère industriel et
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« Système de pondération attribuant un coefficient à chaque membre du ménage et permettant de comparer les niveaux de vie de ménages de tailles ou de compositions différentes. Avec cette pondération, le nombre de personnes est ramené à un nombre d’unités de consommation (UC). Pour comparer le niveau de vie des ménages, on ne peut s’en tenir à la consommation par personne. En effet, les besoins d’un ménage ne s’accroissent pas en stricte proportion de sa taille. Lorsque plusieurs personnes vivent ensemble, il n’est pas nécessaire de multiplier tous les biens de consommation (en particulier, les biens de consommation durables) par le nombre de personnes pour garder le même niveau de vie. Aussi, pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente, on utilise une mesure du revenu corrigé par unité de consommation à l’aide d’une échelle d’équivalence. L’échelle actuellement la plus utilisée (dite de l’OCDE) retient la pondération suivante : - 1 UC pour le premier adulte du ménage ; - 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus ; - 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans. » 7 Le revenu fiscal médian des ménages est de 14 500€ par an à Est Ensemble, alors qu’il est de 19 000€ par an en France métropolitaine – selon les revenus fiscaux de 2011. 8 Rapport d’information déposé en application de l’article 145-7 du règlement sur la mise en application de la loi n°2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, URL : http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rap-info/i3735/(index)/rapports-application-loi#P125_14501) 9 La Participation des Employeurs à l’Effort de Construction (PEEC) est obligatoire pour les entreprises privées non agricoles de plus de 20 salariés. Le
commercial), il me semble que nous sommes en droit de nous questionner sur les conséquences d’un financement essentiellement privé sur le renouvellement urbain dans les quartiers populaires.
« La convention signée le 2 octobre 2015 prévoit également des contreparties accordées à Action Logement en échange de ses concours financiers. Ces contreparties ont pour objectif de favoriser la mixité sociale dans les quartiers rénovés. Action Logement se verra ainsi accorder des terrains ou des droits à construire de l’ordre de 20 000 logements et des droits de réservation dans environ 12 500 logements sociaux reconstruits. Ces logements réservés bénéficieront en priorité à des salariés afin que ceux-ci restent ou s’installent dans les quartiers prioritaires. » (ibid.)
Ce n’est donc pas un impôt social qui est prélevé aux entreprises de plus de 20 employés, mais bien une contribution qui donne à Action Logement un pouvoir considérable sur les QPV. Peut-être est-il tout simplement impossible – malgré la visée première du programme qui est d’améliorer les quartiers les plus pauvres – de proposer un réel changement pour les habitants en présence, lorsque les financements viennent du secteur privé. Est-il nécessaire de penser des projets de renouvellement urbains moins coûteux, pouvant être financés par le secteur public ?
Il faut toutefois noter que pour le NPNRU Malassis – La Noue, l’ANRU finançait seulement la moitié des études concernant les équipements et locaux associatifs10, et moins du tiers du coût total des études11 (Annexe 8 du Protocole de Préfiguration du PRU Malassis - La Noue – Tableau financier, voir en annexe numérique).
L’émergence de la politique de la ville en France
La prise de conscience des problèmes liés à l’urbanisme des grands ensembles se fait progressivement à partir des années 70, mais la notion de politique de la ville apparait véritablement au début des années 80, en rupture avec la politique des quartiers menée jusqu’alors. Plusieurs rapports voient le jour entre 1981 et 1983.12 La Commission Nationale pour le Développement Social des Quartiers taux est fixé à 0,45 %. 10 Le budget total de ces études représente 160 000 €. 11 Coût total des études 1 630 450,00 € (ANRU : 517 225,00 €, Ville de Bagnolet : 81 000,00 € ; Ville de Montreuil : 83 500,00 € ; Est Ensemble : 305 500,00 € ; OPHLM de Bagnolet : 52 175,00 € ; OPHM : 150 550,00 € ; Logirep 26 500,00 € ; CDC : 182 000,00 € ANAH : 200 000,00 € ; EPARECA : 32 000,00 €). 12 Le rapport Schwartz (1981), « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes », le rapport Bonnemaison (1982) : « Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité, et le rapport d’Hubert Dubedout (1983), « Ensemble refaire la ville ».
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(CNDSQ), initiée en 1981 annonçait des prémices peut-être plus prometteurs que les politiques à venir. Elle privilégiait une « approche communautarienne [visant à] reconnaitre et mobiliser les quartiers populaires » (Epstein, 2016), s’appuyant sur des ressources en présence, et notamment sur les associations locales. Des commissions locales coprésidées par le préfet et la mairie ont alors été mises en place : si la CNDSQ ne donne pas le pouvoir à la population, elle tente réellement de collaborer avec elle, jusqu’au départ de Dudebout en 1983 (entretien avec Dominique Figeat, secrétaire général de la CNDSQ (1981-1984) dans Kirszbaum et al., 2015, p.137-151). S’en suit ensuite le début de la mission « Banlieues 89 », pilotée par Roland Castro et Michel Cantal Dupart. En 1988, peu avant la fin de cette mission, la CNDSQ est remplacée par la délégation interministérielle à la ville. La commission était attachée à une échelle locale (elle était présidée par des maires), mais son démantèlement annonce le début d’une politique de la ville étatique. Un Ministère de la Ville est créé en 1990, et dissolu en 2017. C’est actuellement de Ministère de la cohésion des territoires qui est en charge des politiques de la ville. La France confirme progressivement l’adoption d’un « modèle républicain d’intégration » (ibid.), sans aucune référence au multiculturalisme – nous verrons par la suite que certains pays ont à l’inverse envisagé les différences culturelles comme un atout des quartiers populaires. Le sociologue Renaud Epstein tente de différencier les grands lignes des politiques de la ville des dernières années ; toutes convaincues, semble-til, que le bâti serait capable de changer les problèmes sociaux. L’ « approche jacobine [essaie de faire des banlieues] des quartiers comme les autres ». C’est le Pacte de relance pour la ville de 1995, puis le PNRU initié en 2003 avec l’adoption de la Loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003 (loi « Borloo »), qui tendent le plus vers cette approche, misant tout sur la mixité sociale. L’ « approche réformatrice [tend à] restaurer la citoyenneté urbaine » : les contrats de ville (2000-2006), négociés en 1999, 2000-2006 et théorisés par Jacques Donzelot et Philippe Estebe (1994) essaient de faire le lien entre Etat et villes. Depuis une dizaine d’année, « une radicalisation et une racialisation de l’approche jacobine », que Epstein désigne comme « approche néoconservatrice », prétexte la sécurité pour reconquérir par la force et la punition les « territoires perdus de la République » (Epstein, 2015).
L’ ANRU et le PNRU : discours, outils, conséquences
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Comme nous l’avons vu auparavant, le PNRU (initié par la loi Borloo en 2003, 2004-2014, actuellement en chantier) souhaiterait résoudre le problème des quartiers populaires grâce à la « mixité sociale et [à la] banalisation urbaine » (Lelévrier dans Kirszbaum et al., 2015, p. 170). Chirstine Lelévrier pose une question cruciale : « S’agit-il de changer la composition sociale des quartiers ou bien d’améliorer la situation socioéconomique des habitants ? » (ibid., p.172). En effet, la destruction de 250 000 logements était prévue sur 5 ans – seulement 140 000 ménages avaient finalement été déplacés en 2015
(ibid., p.179). Les logements sociaux reconstruits sont de catégorie « intermédiaire », et de nombreux immeubles privés à destination des classes moyennes ont vu le jour. Les populations les plus précaires sont généralement concentrées dans les immeubles non rénovés, ou repoussées vers la périphérie (ibid., p.170, 175), généralement dans une autre ZUS. C’est le cas notamment en première couronne et à Bagnolet : la pression foncière et la proximité avec Paris accélère le processus de gentrification. Les barres, tours, et dalles sont stigmatisées et les politiques et l’amélioration de l’image du quartier doit selon eux passer la diversification du bâti. Elles sont dénoncées car elles ne permettent pas le tracé de grands axes de circulation et sont donc portées principales coupables de l’enclavement des quartiers. Enfin, l’urbanisme des grands ensembles compliquerait la gestion des espaces extérieurs et donne lieu à des espaces jugés résiduels. En réponse à cela, le PNRU proposait, lorsqu’il ne rasait pas, de travailler l’aménagement paysager et de résidentialiser – c’est-à-dire clôturer les ilots aux bas des immeubles pour faciliter l’entretien et sécuriser (Bonetti, 2004), afin de marquer des frontières foncières. Ces limites deviennent aussi symboliques dans la mesure où tous les nouveaux immeubles du secteur privé sont residentialisés, permettant un entre-soi. Bon nombre d’habitants disent tout de même préférer des rénovations et non des démolitions (Kirszbaum et al., 2015 ; Quand il a fallu partir, de Medhi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, 2015 ; APPUII ; Pas Sans Nous). Mal informés, les habitants des quartiers visés par le PNRU ont parfois mis du temps à entrevoir ces phénomènes (le journal municipal de Bagnolet ne décrit la situation que de manière élogieuse), et ils réagissent seulement quand les destructions les concernent, ou quand ils voient les chantiers commencer.
Efforts annoncés de la politique de la ville : les espoirs du rapport Bacqué-Mechmache
La Loi Lamy, votée en 2014, initie une volonté de changement et annonce « des approches alternatives, sans mobiliser les moyens nécessaires à la réalisation d’aucune d’entre elles » (Epstein p.4, 2015). Cette dernière tournure cherche à se rapprocher des politiques communautariennes et propose une synthèse des politiques passées plus qu’une « refondation » (Epstein dans Kirszbaum, 2015, p. 208). Un grand mélange qui ne va pas jusqu’au bout pour la réalisation du NPNRU (2014-2024). François Lamy avait commandé une proposition de réforme à MarieHélène Bacqué, sociologue, et Mohamed Mechmache, ancien président du collectif AC-Lefeu. Le rapport qu’ils soumettent en 2013, Pour une réforme radicale de la politique de la ville –(souvent désigné du nom de ses auteurs : « rapport Bacqué-Mechmache), est en effet radical, et insiste sur la nécessité d’une politique plurielle, également culturelle et sociale. Le texte s’inspire de l’empowerment observé essentiellement aux Etats-
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Unis, en essayant d’en proposer une version Française. Pour ne pas reproduire les erreurs du passé, Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache proposent se redonner plus de pouvoir aux habitants et aux associations dans la « fabrication d’un intérêt général local », afin d’éviter que « le pouvoir [reste] un monopole public exercé en commun par l’État et les municipalités. » (Kirszbaum, 2013) « Visant à créer des « contre-pouvoirs » définis comme des « espaces critiques et créatifs » (p.27), ainsi qu’à soutenir la « construction conflictuelle de l’intérêt général » (p. 31), le rapport fourmille de propositions pour préserver l’indépendance de la société civile et consolider ses capacités d’action. » (ibid., 2013)
Le rapport fait 26 propositions selon différents grands axes : « Créer une Autorité administrative indépendante en charge de la gestion d’un fond de dotation pour la démocratie d’interpellation citoyenne [;] Soutenir la création d’espaces citoyens et les reconnaître » (tables locales de concertation et représentation nationale ayant le pouvoir de demander des contre-expertises), « Créer une fondation régionalisée pour le financement des actions pour la solidarité sociale » (aide aux associations, pas seulement en terme budgétaire mais aussi spatial), « Faire des instances de la politique de la ville des structures de coélaboration et de codécision » (représentation des citoyens à tous les niveaux, moyens de la participation). Enfin, le rapport fourmille de propositions concernant les médias (insistant sur l’importance d’un changement d’image sur les quartiers populaires), les méthodes de développement des instances d’interpellation et de participation, la mise en place d’échanges (Bacqué-Mechmache, 2013). Ces propositions représenteraient bien sur un cadre législatif idéal pour mettre en place ce projet d’amélioration et d’émancipation urbaine.
La désillusion du NPNRU
Des ambitieuses propositions du rapport Bacqué-Mechmache, la loi Lamy ne retient pas grand-chose et la réforme se limite presque à la création des conseils citoyens et des budgets participatifs. Les conseils citoyens doivent être mis en place obligatoirement pour le NPNRU (le conseil citoyen des Malassis s’est réuni pour la première fois le 19 avril 2017, alors que les grandes orientations du NPNRU sont déjà censées être définies par le Protocole de Préfiguration). Les municipalités ont la responsabilité de leur organisation. Dans le cas de Bagnolet par exemple, des volontaires ont été tiré au sort13. Claire Ollivier (cheffe
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13 « Chaque Conseil citoyens est composé de 2 collèges : Le collège Habitants, composé de 16 Bagnoletaises et Bagnoletais de plus de 16 ans, habitants dans les quartiers “Politique de la ville” ; Le collège Acteurs locaux, composé de 4 réprésentants d’associations, d’amicales de locataires, de chefs d’entreprises, de directeurs d’école, de professions libérales, de commerçants... exerçant sur le territoire. Les Conseils citoyens sont constitués de femmes et d’hommes à parité et
du projet de renouvellement urbain à l’agglomération, Est Ensemble), m’avoue que ce n’est pas représentatif du quartier, car les volontaires sont ceux qui étaient déjà actifs dans la sphère politique ou associative.
Par ailleurs, des budgets participatifs ont été mis en place (30 000€ par quartier par an dans le cas Bagnoletais). C’est l’Association des Jeunes pour le Divertissement à Bagnolet (AJDB) qui a gagné le concours cette année, proposant un espace de stockage associatif et un extérieur sur la couverture de l’autoroute A3. Finalement, une élue annonce durant un conseil de quartier des Malassis, ayant lieu dans la salle Pierre et Marie Curie (sur la dalle Maurice Thorez), que le projet « participatif » va finalement consister en des tables de pique-nique… Ainsi, les instances de participation ou de co-fabrication de la ville ont le choix d’impliquer ou non les sans-voix. Si certaines municipalités privilégient un tirage au sort parmi tous leurs citoyens, d’autres, comme Bagnolet, reproduisent avec les conseils citoyens ce qui est justement critiqué dans les conseils de quartier. N’ayant assisté à aucun des conseils citoyens du QPV Malassis - La Noue, je ne peux cependant pas me prononcer sur leur nature.
Dans le Protocole de préfiguration du projet de renouvellement urbain cofinancé par l’ANRU, Quartier La Noue-Malassis-le Plateau (Est Ensemble, Grand Paris, Villes de Montreuil et de Bagnolet, 2016). Sont énoncés des objectifs de concertation pendant la phase protocole qui n’ont pas été respectés. « - Trouver des formes d’échange qui permettent d’impliquer les publics éloignés de la concertation (familles, jeunes) […] - S’appuyer sur des documents compréhensibles et lisibles par tous (maquettes, vues 3D, photomontages etc.) mis à disposition largement au-delà des temps de rencontres […] - S’appuyer sur le conseil citoyen, ou un groupe issu de celuici, pour diffuser l’information, définir le programme de concertation. - […] susciter des échanges entre les habitants des différents quartiers en renouvellement urbain pour faciliter et impulser le partage d’expériences. - Former les habitants et acteurs impliqués aux enjeux du renouvellement urbain (École de la Rénovation Urbaine). » (Est Ensemble, Grand Paris, Villes de Montreuil et de Bagnolet, 2016, p. 45, 46)
Comme confirmé par la cheffe du NPNRU Claire Ollivier, « La concertation sera confiée à un prestataire externe, sous maîtrise d’ouvrage d’Est Ensemble, en lien étroit avec les Villes de Bagnolet et de Montreuil, ainsi qu’avec les bailleurs sociaux. » (ibid., p. 47). Un budget de 100 000 pour tout le QPV, dédié exclusivement à la concertation, a été demandé pour le NPNRU (le budget des autres territoires s’élève selon Claire Ollivier à choisis par tirage au sort parmi les volontaires. » (source : Ville de Bagnolet, URL : http://www.ville-bagnolet.fr/index.php/lesconseils-citoyens.html )
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environ 15 000€). Ainsi, 8 équipes d’architectes-urbanistes et 8 équipes spécialisées en concertation ont répondu à l’appel d’offre pour les deux lots que sont La Noue et les Malassis. Elle m’a ainsi informée de son désir de choisir une équipe d’architectes-urbanistes qui aurait une démarche innovante par rapport aux PNRU. Je me dois de souligner une différence importante entre l’approche du protocole de préfiguration et le discours de Claire Ollivier (qui n’a apparemment pas participé à l’élaboration de ce protocole). Le rapport propose une démarche qui n’a jusque-là pas été mise en place, mais la cheffe du NPNRU pour Bagnolet-Montreuil semble bien déterminée à faire son possible pour que le projet prenne plus en compte la population.
Une autre politique de la ville est possible La politique de la ville en application jusqu’ici et donc largement critiquée par les chercheurs. Beaucoup se penchent vers des notions d’empowerment, pour proposer d’autres schémas – plus justes, plus inclusifs ? - de politiques urbaines.
Nous allons tacher de comprendre ce qu’est l’empowerment - d’où il vient, ses variations, ses dérives, mais aussi comparer rapidement d’autres politiques de la ville en Europe. Nous verrons ensuite quelles formes d’empowerment sont défendues en France en réaction à l’inefficacité de certaines politiques de la ville (nous évoquerons notamment le cas controversé du Pile à Roubaix), puis nous essaierons de penser au cadre nécessaire à l’émergence d’un projet urbain et architectural aux Malassis…
Quels modèles de l’empowerment ? Un fort intérêt pour la notion d’empowerment se fait sentir depuis quelques années en France. Si cette pratique de prise de pouvoir d’agir par les citoyens s’est développée dans les années 1930 aux Etats-Unis (Saul Alinsky), dans le contexte d’un Etat désengagé, elle ne peut pas être importée telle qu’elle en France. Par ailleurs, l’empowerment connait des variations plus ou moins sociales ou libérales. L’empowerment n’a pas d’équivalent exact en Français : si au Quebec il est souvent traduit par autonomisation, la sociologue Française Marie-Hélène Bacqué préfère employer les termes « capacitation », ou « pouvoir d’agir » (mot que reprend la Coordination Nationale Pas Sans Nous, cofondée par Marie-Hélène Bacqué à la suite de la non prise en compte du rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville). D’autres termes moins répandus comme capacité d’agir, puissance d’agir, empouvoirement, capabilisation, potentialisation, pouvoir-faire, responsabilisation sont parfois explorés, tandis que de nombreux autres chercheurs continuent à employer la terminologie anglophone d’empowerment. J’emploierai pour ma part empowerment ainsi que pouvoir d’agir, qui serait donc le « pouvoir propre à l’homme de transformer ce qui est, de s’exprimer par des actes »14. Le pouvoir d’agir est donc une démarche active, comme le souligne l’ouvrage de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice ? (2015). Les auteures soulignent que l’on parle d’empowerment dans des champs très larges : de l’intervention sociale, des politiques du genre, au développement international, aux politiques urbaines, à l’éducation, 22
14 Selon la définition de agir par le TLFi, URL : http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=3509468100;
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même au management ; que l’on peut observer selon 3 modèles politiques, du radical au néo-libéral, en passant par le social-libéral. (Bacqué, Biewener, 2015, p. 139-144). Cette notion, qui peut avoir des dimensions individuelles, collectives et politiques peut-être ascendante (bottom up, il s’agit de surmonter une domination par la force collective) ou descendante. On parle alors d’ « empowerment octroyé », souvent visible dans les dispositifs participatifs institutionels (Balazard, Genestier, 2009 dans Hélène Balazard, Kirszbaum et al., 2015, p.247). L’empowerment se manifeste entre-autre par des community-based organizations (CBO), qui peuvent osciller entre community organizing (CO), et community development (développement communauraire). Les Community Development Corporations (CDC), fonds fédéraux alloués au développement économique et la rénovation urbaine, tout comme l’ANRU, tient du community development. Ils se sont progressivement institutionnalisés, et le pouvoir y reste descendant, représentant selon les CO une version néo-libérale de l’empowerment (Julien Talpin, 2013).
« Une des divergences essentielles [entre le community organizing et le community development] tient à leur conception respective de l’action politique: coopération ou rapport de force. D’un côté, il s’agit effectivement de mettre tout le monde autour de la table [associations, pouvoirs publics, entrepreneurs] pour améliorer la gestion d’un quartier dans une perspective de développement économique. [...] De l’autre, il s’agit de l’autoorganisation collective et autonome des quartiers populaires visant à créer un rapport de force avec les institutions, pour ne s’asseoir à la table des négociations qu’après avoir fait entendre ses revendications par l’action collective [...]. » (ibid.)
Le community organizing se différencie aussi du community development par son mode de recrutement, en allant chercher la population (soit en se basant sur les collectifs fédérés au travers des associations, églises, écoles, dans la tradition Alinskienne, soit en cherchant à rassembler les non-organisés). Cela constitue une grande partie de l’activité du community organizer – dont nous pourrions d’ailleurs questionner le profil15.
L’influence de l’empowerment en France
La situation politique Française, bien différente de celle des Etats-Unis, est plus encline à se rapprocher du développement communautaire – à moins d’un abandon total de l’Etat. Quelques Alliances Citoyennes16,
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15 Doivent-ils émaner du quartier ? Etre formés à leur tâche ? Talpin souligne par exemple qu’il est nécessaire d’imposer une rotation tous les cinq ans environ afin que les jeux de pouvoir soient limités. On assiste par ailleurs à une professionnalisation des organisateurs. 16 Les Alliances citoyennes ont un statut associatif. Elles ont pour le moment le soutien financier de fondations, associations et de la région, mais souhaitent aller vers leur indépendance grâce à des cotisations de membres, des dons, ainsi que la mise en place de formations aux méthodes du commu-
s’inspirant du community organizing, ont toutefois vu le jour depuis 2010, à Grenoble, puis à Aubervilliers, et à présent à Gennevilliers et Rennes. Il faut considérer le risque d’un abandon progressif de l’Etat, s’en remettant à la société civile qui essaie de résoudre ses problèmes elle-même, comme dans les quartiers paupérisés nord-américains ou en Angleterre. Les Alliances Citoyennes se positionnent en force d’interpellation plus qu’en force d’action directe en et « veulent changer ensemble des situations anormales et injustes, en allant interpeller les institutions responsables jusqu’à obtenir des améliorations concrètes. » (https://alliancecitoyenne.org/les-principes/).
Les Tables de Quartier ont été initiées de manière expérimentale en France entre 2014 et 2017 par la Fédération des Centres Sociaux de France (FCSF) et la coordination Pas Sans Nous (PSN), suite aux propositions du rapport Bacqué-Mechmache (qui s’est inspiré d’expériences menées au Québec dans les années 1960). « Les Tables de Quartier sont des espaces citoyens, qui réunissent associations et/ou habitants mobilisés à l’échelle du quartier. Leur but est de mener des actions collectives permettant l’amélioration des conditions de vie dans le quartier, à partir d’enjeux, préoccupations et envies d’agir soulevés par les habitants. Il peut s’agir de solutions construites par les habitants eux-mêmes, ou de démarches d’interpellation. » (http://expetablesdequartier.centres-sociaux.fr/presentation-delexperimentation/) Les Tables ont bénéficié de 15000€ chacune par an (financées d’abord par la FCSF, puis par la fondation de France, les pouvoirs publics, les régions). Elles sont autonomes des pouvoirs publics (ou devraient l’être) et ne convoquent qu’habitants et associations du quartier. Il est difficile de juger maintenant des réussites et échecs des Tables, seulement trois ans après le début de leur mise en place (Jeremy Louis, chargé de mission des Tables de Quartier en écrit une thèse qui devrait apporter un regard comparatif sur les douze expérimentations). J’ai découvert le quartier du Pile à Roubaix. au travers des articles de Julien Talpin et Pierre Chabard, qui ne semblent pas avoir vu le même quartier… Pierre Chabard fait l’éloge du projet mené par l’architecte Pierre Bernard (dans le cadre du Programme National de Requalification des Quartiers Anciens Dégradés (PNRQAD), financé en grande partie par l’ANRU), qui consiste en une méthode de 130 pages « Pile fertile, cultivons l’autre face », proposant des modules d’action allant « de l’autoréhabilitation des maisons au jardinage, de la question collective du chauffage au développement culturel, du traitement des déchets au renouveau de la vie de la rue. » (Chabard, 2014) Julien Talpin explique dans un autre article comment les voix habitantes en opposition au projet de rénovation urbaine ont été tues par les élus. La Table de Quartier (initiée en 2014), qui se tenant au début à la maison du projet (ouverte en 2013) en a été expulsée, et les demandes des habitants sur l’orientation de la concertation lors des ateliers publics nity organizing payantes. (Source : site internet des Alliances citoyennes, URL : https://alliancecitoyenne.org/)
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n’était à priori que peu écoutées (Talpin, 2016). Selon Chabard, la Table de Quartier n’est pas coopérative et elle est portée exclusivement par deux associations17 qui déclament dans un journal (A Table) qu’il n’y a aucune concertation.
Julien Talpin se montre selon Chabard trop binaire en opposant pouvoirs publics et habitants et en catégorisant l’équipe de Pierre Bernard du côté des pouvoirs publics, tandis qu’ils ont « cherché à repenser à la fois les fins et les moyens de la rénovation », allant à contrecourant des demandes de leur commanditaire, l’ANRU (Chabard, 2017, p.2). Chabard essaie ainsi de tempérer la situation, en se montrant critique vis-à-vis de l’ANRU mais en considérant les architectes comme les négociateurs qui entendent « travailler avec la diversité sociale existante ; éviter la gentrification et transformer le quartier pour et avec ses habitants ; ne pas se concentrer uniquement sur le bâti mais multiplier et croiser les thèmes d’action (sur le végétal, les déchets, l’espace public, la transition énergétique, le développement culturel) ; refuser le primat de la densité, portée par la puissance publique […]. Plutôt que de dessiner un projet a priori (ce que leur réclamaient ses commanditaires), l’équipe imagine une méthode d’action associant les gens du quartier. » (Ibid., p.2). Le cas du Pile semble intéressant à plusieurs égards. Bien que tous ne ventent pas la réussite du projet de rénovation piloté par Pierre Bernard, il semble au moins soulever différentes voix, et plusieurs niveaux de prise de pouvoir citoyen. Les ateliers de concertation et la Table de Quartier semblent fédérer des collectifs d’habitants différents, qui ne s’accordent pas sur tout. Il est cependant étonnant que l’architecte n’ait pas réussi son travail de médiateur (qu’il revendique) en invitant à nouveau la Table au dialogue. Peut-être le cas du Pile est-il représentatif des contrepouvoirs, qui doivent finalement être entretenus par le conflit. Donner plus de pouvoir aux habitants et aux associations, c’est aussi accepter que certains restent en opposition. Quoiqu’il en soit, il me semble indispensable qu’une force d’expression et/ou d’action collective autonome des pouvoirs publics se mettre en place au moment d’un projet urbain, qu’elle qu’en soit la forme.
citoyen est rabattue sur celle du bénévole, loin de l’individu politisé et informé » (Hélène Balazard dans Kirszbaum et al., p.254).
Le programme Allemand Soziale Stadt, « ville sociale » (piloté par le gouvernement et par les Etats fédérés depuis 1999) est à mes yeux plus intéressant. Il s’inspire délibérément du community organizing (une génération de travailleurs sociaux s’est formée à Chicago) et s’inspire des avancées qu’avait fait la CNDSQ dans au début des années 1982 en France (Maurice Blanc dans Kirszbaum et al., p.266). Les objectifs sociaux priment sur la résolution de problèmes urbains, et l’amélioration sur le renouvellement :
« « l’urbaniste se voit en France en « dompteur » imposant sa vision, alors qu’il est davantage en Allemagne un « jardinier » qui ménage les habitants et les territoires. Il oriente et canalise le développement urbain, en respectant sa dynamique et non en la contrariant » (Blanc, 2013, p.6).» (Ibid., p.269, 270)
Des structures intermédiaires « Quartier-Management » ont pour but d’aider et d’inciter à l’auto-organisation pour la résolution de problèmes pragmatiques. Elles permettent aussi un rapport de force avec les politiques. Par ailleurs, le programme, influencé par le multiculturalisme, voit la diversité des communautés comme une ressource indispensable. Une personne « biculturelle » doit ainsi être intégrée au sein d’un « Quartier-Management » (Florian Weber dans Kirszbaum et al., p.285). Enfin, Soziale Stadt n’a pas de date de fin comme l’ANRU. C’est un travail sur le long terme. Si des contrats privés sont parfois signés, il semblerait que le programme soit financé par l’Etat et non par des entreprises, mais l’information resterait à vérifier plus attentivement.
Regard comparatif Européen
Si les Pays-Bas ont les mêmes objectifs que la France (mixité sociale et assimilationnisme) depuis les années 1990 (Bolt, Tersteeg, van kempen dans Kirszbaum et al., 2015), d’autres voisins européens se distinguent. L’Angleterre se place dans une politique néo-libérale, où l’empowerment (représenté essentiellement par London Citizens) a inspiré David Cameron pour son programme Big Society, dans lequel « la figure du 26
17 L’Association Nouveau Regard sur la jeunesse, ANRJ et l’Université populaire et citoyenne de Roubaix, UPC.
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Imaginer un autre programme d’amélioration et d’émancipation urbaine Pour réaliser un projet urbain et architectural social et durable dans les quartiers populaires, il est nécessaire de repenser aux conditions politiques qui seraient nécessaires à son bon fonctionnement. Si les propositions du rapport Bacqué-Mechmache peuvent-être séduisantes, encore faut-il qu’un ministre souhaite les mettre en place, et qu’il ne soit pas boqué par la provenance des financements (secteur privé pour le NPNRU).
Nous pourrions décider de croire en la bienveillance possible de l’Etat, et à sa volonté à partager le pouvoir avec les citoyens. Les Projets de Renouvellement18 Urbain pourraient être des projets de Réhabilitation19, d’Amélioration20, de Renforcement21 ou d’Émancipation22 Urbain, Culturel et Social, financés par l’Etat. Les moyens pourraient être moins importants si l’on privilégiait la réhabilitation, et l’implication rémunérée d’activités, entreprises, associations et initiatives déjà en présence. Tout dépend du bon vouloir de l’Etat à disposer de ses moyens d’action pour améliorer les quartiers populaires, ou de sa soumission à l’économie capitaliste. Les élections présidentielles des dernières semaines ont fait prendre à ces questions beaucoup d’actualité. Je sentais le besoin de conclure en fonction des résultats – bien que la question urbaine ai été quasiment absente du débat. Etant donné la réussite du néolibéral Emmanuel Macron, il semble nécessaire que des contre-pouvoirs se renforcent, afin que les voix
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18 Renouvellement selon le TLFi. Remplacement de choses par d’autres de même espèce. Changement de certains caractères, de l’aspect de quelque chose ou de quelqu’un, qui lui fait retrouver de la nouveauté, de l’originalité. Fait de renaître, de reparaître. Action de faire de nouveau; résultat de cette action. 19 Réhabiliter selon le TLFi. Rétablissement dans les droits et prérogatives dont on est déchu. Fait de rétablir (quelqu’un, quelque chose) dans l’estime, dans la considération perdue, fait (pour quelqu’un, quelque chose) de retrouver cette estime, cette considération. Opération d’urbanisme consistant dans le nettoyage et la remise en état d’un quartier ou d’un immeuble ancien. 20 Amélioration selon le TLFi. Action d’améliorer; le résultat de cette action. Ce qui améliore, embellissement. Améliorer selon le TLFi. Rendre meilleur, changer en mieux. Devenir meilleur. 21 Renforcement selon le TLFi. Action, fait de (se) renforcer ou d’être renforcé; résultat de l’action. ; Qui sert à renforcer, qui a pour effet de renforcer. Renforcer selon le TLFi. Rendre plus fort ce qui l’est naturellement déjà, plus gén., rendre fort. Rendre plus solide, plus résistant. Donner du poids, une plus grande portée à; rendre plus fondé. Accroître les ressources, les moyens, les possibilités d’action. Augmenter l’effectif d’un groupe pour accroître son efficacité ou son influence. Augmenter la capacité, la valeur, l’effet, l’impact de quelque chose (à l’aide de quelque chose). 22 Emancipation selon le TLFi. Action de (se) libérer, de (s’)affranchir d’un état de dépendance; état qui en résulte.
habitantes pèsent face à l’intérêt des entreprises et du capital, qui eux ne seront pas oubliés, car il n’est pas dans l’intérêt des actuels dirigeants de pousser à l’émancipation de la société civile. Comme nous l’avons vu, il n’est pas pour autant souhaitable de transposer le modèle Américain en France et d’accepter un tel abandon de l’Etat (Talpin, Bacqué). Il faut ainsi espérer que des mobilisations aient lieu, que la controverse puisse arriver aux oreilles des pouvoirs publics – puisse le peuple faire balancer quelques décisions et avoir quelque influence sur les décideurs et techniciens (politiques, urbanistes, architectes), comme c’est le cas au Pile à Roubaix ou avec les Alliances Citoyennes de Grenoble et Aubervilliers, puisque un changement radical des politiques de la ville n’est pas pour de suite.
« Pour le maître d’œuvre, s’engager dans ces voies alternatives, c’est s’aventurer en dehors du cadre de la commande, prendre le risque de s’opposer à son commanditaire, mettre en question ses propres outils (notamment l’outil du « projet »), faire évoluer son propre statut (de concepteur à médiateur). Mais surtout, c’est tenter, de l’intérieur, de faire évoluer les pratiques, les procédures et les modes opératoires. » (Chabard, 2017, p.5)
Peut-être est-il du ressort de l’architecte d’initier cette prise de pouvoir habitante, et de dévier la commande. L’architecte médiateur, en considérant la parole habitante, peut initier une prise de parole se déployant sur le long terme. Il s’agit par exemple de renforcer les potentiels (bâti, social, culturel) déjà en présence, en considérant ce qui peut servir l’intérêt collectif. Je tâcherai ainsi de privilégier la réhabilitation et l’amélioration à la rénovation, et de favoriser les initiatives collectives déjà en présence (souvent associatives) : « Parler de gouvernance « communautaire » renvoie […] à l’inclusion la plus large possible d’une diversité d’intérêts et d’affiliations identitaires en vue d’une production pluraliste d’un intérêt général local. » (Kirszbaum et al., 2015, p.33).
Il est important de ne pas concevoir les pouvoirs publics et les habitants de manière binaire. De la même manière, le projet est une négociation sur un spectre des possibles – plus ou moins radicaux. Il me semble donc que se diriger vers une fabrique de la ville plus juste et plus sociale demande de passer des points qui ne sont pas droits. « C’est pourquoi [Henri Lefebvre] propose d’élaborer un programme politique de réforme urbaine à soumettre aux partis politiques, d’encourager de nouvelles formes d’architecture intégrant la dimension sociale tout en faisant appel à l’imagination, « utopie concrète », permettant à l’homme de recouvrer la ville comme « œuvre », c’està-dire support de pratiques sociales autonomes. L’auteur soutient avec force la nécessité d’une réappropriation de l’espace urbain par les citoyens comme point de départ pour la transformation démocratique de la société. » (Costes, 2010, p.181). 50 ans plus tard, il me semble que nous avons besoin de la même « utopie concrète ».
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Du bâti aux dynamiques habitantes en passant par l’entretien
En découvrant le quartier des Malassis, je me suis rendue compte que je buttais devant un mur. Si l’enquête de terrain (restituée par un film – en annexe - et par des cartes) a été mon entrée pour comprendre le territoire, j’eu très vite besoin de comprendre les politiques de la ville, mais aussi le fonctionnement des administrations et les relations entre acteurs qui en découlent. En pointant du doigt certains blocages dans l’amélioration basique de la ville (réhabilitation, entretien), il m’apparaissait définitivement nécessaire d’élargir les outils de l’architecte-urbaniste. Ce n’est qu’après que j’ai lu le protocole de préfiguration du NPNRU. Les problèmes de gestion et d’absence de maintenance ne sont pas traités. La dalle Thorez est représentative d’un regard plus global de l’ANRU, de l’agglomération, et de la municipalité sur le quartier. Parallèlement à l’identification des dysfonctionnements, je pense indispensable l’observation des forces en présence. Il m’est pour cela difficile de faire deux parties binaires blocages liés au bâti – potentiels sociaux, culturels, humains, ou même quatre (en croisant blocage et potentiels avec humains et du bâti). De la même manière, je ne peux pas séparer clairement les problèmes liés à la forme du bâti et ceux liés à sa maintenance.
Comprendre le territoire en le pratiquant
Bien que j’aborde premièrement les questions liées à la politique de la ville – en amont du projet architectural, c’est par une enquête de terrain que j’ai initié ce projet. J’avais seulement l’impression – maintenant confirmée – que quelque chose « clochait » dans ce quartier. Certes le quartier est populaire, des tours et barres s’y alignent, mais pourquoi y-a-t-il tant de poubelles sur les trottoirs ? Pourquoi certains lieux sont-ils délaissés ? Pourquoi les commerces ont-ils disparus derrière des stores tagués ? Je voulais découvrir ce que pensent et pratiquent les habitants, ce qui était agréable ou invivable, sans être influencée par des rapports ou analyses institutionnelles, ou encore pas de la littérature générale sur les banlieues : la première chose à faire était de se balader dans le quartier des Malassis, et pas dans « un grand-ensemble », « une cité » ou dans « un quarter prioritaire », encore moins dans un QPV. Ce sont les habitants et usagers de la dalle Thorez que j’ai cherché à 30
questionner au début de l’enquête23. Donner la voix à des habitants abordés de manière aléatoire dans l’espace public me paraissait alors plus représentatif de la population que faire appel à des volontaires (comme c’est le cas du conseil citoyen). Mes questions étaient généralement très ouvertes : Que pensent-ils du quartier et de la dalle ? Comment s’y sentent-ils ? Quels lieux aiment-ils dans le quartier ? J’ai ensuite continué à discuter avec de nombreux habitants, de manière moins formelle (jeunes du centre socioculturel, voisins, membres d’associations), en m’appuyant sur certains lieux fonctionnant comme relais24. Les observations pragmatiques de beaucoup d’entre eux – critiquant le mauvais entretien par exemple – ont mis en lumière des difficultés de gestion. Les problèmes relevés par les habitants étaient de l’ordre de la maintenance non effectuée, de dysfonctionnements de la gestion urbaine de proximité, de l’éclairage pas assez fort, de flaques stagnantes, du manque de commerce. Le ressenti spatial au quotidien ne dépend pas que de la forme urbaine et architecturale. D’ailleurs, très peu évoquent l’ANRU : un inquiétant manque d’information de la population habitante est notable.
J’ai ensuite interrogé quelques associations, des acteurs locaux (personnel travaillant au centre socio-Culturel Pablo Neruda notamment), différents services de la mairie (service de l’urbanisme, de la gestion urbaine de proximité, de la vie associative), différents services du bailleur municipal (OPHLM), ainsi que la cheffe du projet de rénovation urbaine (Est Ensemble).
Le film : outil de restitution d’enquête et/ou de médiation ?
Si, habituellement, j’utilise prioritairement le dessin (relevés et croquis comme outil d’observation, d’analyse, et de restitution) et l’entretien au moment de réaliser une enquête, j’avais l’impression que l’échelle des constructions et leur géométrie très linéaire rendait le trait inadapté. Les Malassis me semblent exiger une ligne droite, construction moderne (Ingold, 2011), alors que mon trait est généralement tremblotant, non construit ; il se plait à suivre des objets, des silhouettes, des traces d’appropriation. Je commence cependant à la dessiner, progressivement, et remarque que les cadrages de mes dessins sont toujours resserrés, tentant de réduire la vue à l’échelle de l’objet. J’ai donc choisi de photographier la dalle et le quartier (de manière frontale m’a-t-on fait remarquer à plusieurs reprises). Lors d’une fête comorienne dans la salle Pierre et Marie Curie, je décidais qu’il me fallait filmer. La photographie ne suffisait pas, il fallait voir les mouvements 23 La plupart de ces entretiens non directifs ont été enregistrés. Je me présentais à ce moment-là comme étudiante en architecture cherchant à travailler sur le quartier, et habitant Bagnolet (il faut avouer que cela semble donner une certaine légitimité, et il serait peut-être important que les architectes passent parfois un temps en résidence sur le terrain). 24 Ce n’était pas des entretiens, mais des discussions de personne à personne.
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des danses, entendre la musique… Je n’ai cependant jamais filmé les enquêtés lors d’un entretien, car l’appareil photo ou la caméra intimident généralement plus que le magnétophone.
Le montage d’un film superposant les entretiens en voix off, des photographies et de la vidéo, m’a permis de construire un discours avec des voix autres que les miennes. Ce récit polyphonique m’a permis de comprendre des différences de représentation et de jugement sur ce qui est agréable ou ne l’est pas, et l’écart entre les attentes des habitants et les réponses des pouvoirs publics – comme c’est d’ailleurs mis en lumière dans l’ouvrage dirigé par Alessia de Biase, Paysages en récit, Pour une approche anthropologique à l’Atlas du paysage de la Seine-Saint-Denis (Alessia de Biase et al., 2016), qui compare regard des habitants, des acteurs et des paysagistes. Il a aussi été l’occasion de présenter quelques activités associatives (apparaissent dans l’actuel montage les associations Ya+K, Kosmopolite, l’Association des Jeunes pour le Divertissement à Bagnolet – AJDB, et Sors de Terre, la Bergerie) manquant souvent de soutien de la part des pouvoirs publics.
Maintenance, entretien et architecture Lors des premiers entretiens que je réalise sur la dalle Maurice Thorez, les habitants semblent avoir du mal à énoncer ce qui leur plait ou ne leur plait pas dans le quartier, ou quels sont les éléments qui auraient besoin d’une amélioration. Le manque d’entretien et de maintenance reviennent systématiquement : « elle est délaissée », « y’a des poubelles partout », « c’est pourri », ainsi que les carences en mobilier urbain, en végétation et en signalétique. Beaucoup ne comprennent pas vraiment pourquoi la dalle est si mal entretenue et pourquoi ses commerces sont vides. Certains chercheront à m’expliquer que c’est à cause d’une division foncière complexe. Selon un interrogé, la dalle serait propriété du bailleur, de la mairie, de Est ensemble. Personne ne sait vraiment, beaucoup supposent.
Bien qu’il nécessite un nouveau montage avant d’être montré, ile film pourrait également avoir la capacité de s’adresser à différentes personnes : aux habitants, associations, décideurs afin de leur donner respectivement à comprendre le regard des autres acteurs, aux personnes extérieures au quartier pour relater une enquête de terrain, une vision du territoire. Un même document pourrait-il être utile à tous pour mieux comprendre les enjeux du quartier ? « L’approche filmique, forte de cette ouverture à la transformation dans le cours du temps à partir de la présentation de ce qui est déjà là, de ce qui déjà constitue le lieu, nous amène à penser différemment la question du projet, car elle interroge sous un nouveau jour les rapports entre la fabrique ordinaire de l’urbain et le lieu existant pris dans sa complexité. » (Brayer, 2014, p.358)
Cette étape d’enquête n’est pas à dissocier du projet. Elle m’y a emmenée, se prolonge, et évolue peu à peu. En voulant mêler projet urbain architectural et anthropologie, je découvre progressivement à quel point la recherche de terrain et l’action s’entremêlent. D’enquêteur, je passe progressivement à médiateur et acteur parmi les différentes personnes et organisations que je rencontre. De même, le film peut passer d’outil de restitution d’enquête à un outil de médiation (au même titre qu’une bande dessinée ou qu’un texte pourrait le faire)…
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La dalle tourne le dos au cœur du quartier me dit un ancien élu. En effet, depuis la rue Descartes, la vue est bouchée, si bien qu’il est difficile de deviner les deux passages (l’un longeant la piscine, vers le Sud, l’autre contournant la dalle par la rue Julian Grimau). Le petit parc est équipé de jeux pour enfants, mais il est souvent vide. Ce chemin est une frustration. On voudrait pouvoir y descendre depuis la dalle, et voir la dalle depuis la rue Descartes, derrière laquelle s’étend la partie la plus populaire des Malassis, coincée près de l’autoroute A3.
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Et s’il était possible de traverser ? Nous pourrions envisager une percée au rez-de-chaussée, à la place de l’actuel local de l’association Ya+K. Dans le cas d’une reconstruction de la piscine, il serait aussi possible de décoller celle-ci de la barre.
Si son aspect machinique pourrait-être une prise de parti esthétique, il semble ici matérialiser tous les fluides complexes mal pris en compte dans le bâtiment. La dalle est opaque et il est difficile de comprendre tout ce qui s’y passe (ou pourrait s’y passer) depuis l’extérieur. Elle expose au dehors ce qui n’est généralement pas donné à voir, alors qu’elle se referme sur elle-même concernant la communication de ses activités.
L’ignorance des problèmes d’entretien par l’ANRU
La dalle a certes des problèmes liés au bâti. Ceux-ci sont relevés dans le protocole de préfiguration du NPNRU (quartier La Noue, Malassis, Le Plateau - Est Ensemble Grand Paris -Villes de Montreuil et de Bagnolet, 2016), où il n’y est pas une seule fois question des raisons de l’abandon de la dalle Thorez, de la présence d’associations, d’usages.
« Bien que représentant une polarité culturelle et sportive à Bagnolet, la forme urbaine caractéristique de l’urbanisme de dalle accentue l’enclavement du secteur Thorez et entrave le rayonnement des équipements culturels et sportifs » (Est Ensemble Grand Paris -Villes de Montreuil et de Bagnolet, 2016, p.20)
Le protocole liste ensuite de nombreux dysfonctionnements (un diagnostic urbain a été réalisé par Est Ensemble en 2015), dont « - une absence totale de visibilité des équipements, privés de façade visible depuis la rue [...] - une séquence d’entrées dévalorisantes (des équipements coupés de l’espace public de la rue par la dalle, […] une dalle très minérale, à l’aspect fortement dégradé, en permanence ventée et disproportionnée créant une ambiance sinistre, l’absence d’un espace d’accueil clairement identifiable depuis l’extérieur) ; - des équipements non accessibles aux personnes à mobilité réduite ; un accès via l’entrée de la dalle des Malassis sans rupture de continuité avec l’espace public mais difficilement valorisable en l’état, la façade de l’équipement étant plutôt traitée comme une façade de service (sortie de secours, accès au sous-sol, rideaux de fer). » (ibid.) Telle une machine complexe, elle est incompréhensible pour le citoyen ordinaire. Qui devinerait que derrière ces bardages métalliques souillés et ces bouches d’aération se cache le conservatoire ? Des escaliers s’engouffrent vers des zones obscures en sous-sol, où des vieux meubles et des poubelles trouvent souvent leur place. Ils semblent hors d’usage, et certains me sont toujours mystérieux. 34
Bien sûr ces problèmes existent, mais comment la dalle en soit coupet-elle l’espace public, alors qu’elle constitue un lieu sans voitures où les enfants peuvent jouer ? De quoi vient son aspect dégradé ? Pourquoi estelle disproportionnée ? Si une partie du diagnostic est bien fondée, les conclusions me semblent trop rapides sur la reconstruction ailleurs (sans qu’il ne soit spécifié où : les équipements vont-ils s’éloigner des quartiers populaires ?). Dans la continuité, il est annoncé une « nécessité absolue de relocaliser à terme les conservatoires de danse et de musique » (ibid., p.21) : les conservatoires manquent d’espace et les locaux sont vétustes. Il serait
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aussi couteux de rénover que de reconstruire un bâtiment selon le protocole. Le gros œuvre étant encore en bon état, je peine à le croire.
Il est ensuite question de la piscine des Malassis, obsolescente et vétuste : « Enclavée au sein de l’ensemble des bâtiments du secteur Thorez, cette piscine a été construite en 1979. N’ayant fait l’objet d’aucune intervention d’importance, l’état structurel du bâtiment est vétuste (absence d’isolation de l’enveloppe, gros œuvre et étanchéité défectueux, aucune performance énergétique probante des façades, traitement acoustique inexistant, etc) et la conception de l’équipement est devenue obsolète et inadaptée. (Ibid., p. 21-22) »
En voyant les photographies envoyées par les habitants pour le projet Lieu de Valeurs animé par l’association Cités m’étaient contées je réalise cependant à quel point la piscine est un point de repère incontestable pour les habitants. Elle est très représentée, et un fort attachement lui est témoigné, malgré sa faible fréquentation. Je ne me prononcerai pas sur sa rénovation possible ou non, mais si un démantèlement est réellement nécessaire, ne pourrait-on pas reconstruire une piscine sur la même parcelle, afin que la dalle soit réellement un pôle multi-activités ?
globale, un projet. Comment allier une prise en compte des fragments (histoires personnelles des habitants entretenus, complexité des acteurs, diversité de la société civile), et un projet en partie déterminé ? Comment rester cohérent entre un projet de société et un projet urbain, architectural, paysager ?
Une mauvaise gestion pour un mauvais entretien
Quelques lignes semblent manquer au protocole de préfiguration du NPNRU : il n’est absolument pas question des raisons de la vétusté de la dalle, ni de ses sous-sols inoccupés. Il semble pourtant primordial de comprendre cela pour ne pas reproduire le même schéma avec une construction neuve.
Il est enfin évoqué « une étude menée en 2009 sur la restructuration de la dalle Thorez en pôle culturel » (Ibid., p.23), menée par les programmistes Arter. Je découvre l’existence de cette étude un peu tardivement (elle semble avoir été oubliée des actuels décideurs, et venir contredire tout ce que stipule le protocole) et je n’arrive pour l’instant pas à la trouver. A moins que ce ne soit l’ancien projet démolition de la dalle (remise au niveau de la rue le long des immeubles d’habitation et des équipements) souvent évoqué par différents acteurs. Ce protocole ne porte pas l’envie de voir émerger un projet sur la dalle. Les conclusions sont rapides : tout est pourri, rasons, reconstruisons. Comme beaucoup de dalles (la dalle Bellefontaine par exemple, conçue par Candilis au Mirail, à Toulouse, détruite dans sa quasi-totalité lors du PNRU), elle est jugée coupable de ne pas produire de l’espace public qualifié. La dalle, reliant différents bâtiments, semble effrayer ses gestionnaires. Ils ne savent que faire de cet espace ambigu (Alberti dans un blog Libération, 2009). Pourtant, la dalle comprend actuellement plusieurs équipements publics (piscine, conservatoires de musique et de danse, salle polyvalente Pierre et Marie Curie, centre socioculturel Pablo Neruda, salle de concert des Malassis), des associations et du logement. Elle était aussi un espace d’activités commerciales quelques années auparavant. Cette mixité programmatique me parait intéressante, et il serait maintenant compliqué d’hybrider autant d’activités sur une même parcelle. Si nous pensons à la réhabilitation d’un bâtiment dégradé (vision patrimoniale), et non à l’observation d’un bâtiment laissé pour mort avant l’heure, il devient alors possible de voir en la dalle la possibilité d’un cœur de quartier complexe et vivant. 36
C’est là que le regard de l’architecte doit tout de même porter une vision
« Les gens ils sont juste de passage sur cette dalle, une fois qu’ils ont terminé de venir chercher leurs enfants, faudrait qu’ils puissent venir se poser… […] Elle est délaissée quoi... [...] c’est dommage, parce-que ça aurait pu être un bel endroit » me dit un habitant du quartier. La plupart du temps, personne. Mais après la sortie des écoles, les conservatoires et le centre social se remplissent d’enfants qu’il faut venir chercher s’ils n’habitent pas dans une des trois tours de la dalle Thorez. Les bacs à fleurs – plein d’herbes folles, d’un olivier, de choux et autres légumes n’aidant gère à améliorer l’image de la dalle – servent alors de bancs. Des corbeaux partout. « Foutus corbeaux, ils crèvent toutes les poubelles ! » m’avait-on dit quelques jours plus tôt. Ils feront même l’objet d’une 37
discussion au conseil de quartier, Ya +K est chargé de penser à redessiner les poubelles. Il faudra voir à l’intérieur, précise un élu, à cause du plan Vigipirate… Ce sont les mêmes problèmes qui sont relevés par de nombreux habitants : l’absence d’accès pour les Personnes à Mobilité Réduite (PMR) et la visibilité des équipements, relevés dans le protocole de préfiguration ; mais surtout l’entretien trop rare, les inondations, l’aménagement des espaces verts quasi inexistant, le manque d’éclairage… Dans de nombreux cas, les dalles ont une gestion complexe car elles sont divisées entre plusieurs propriétaires, mais la dalle Thorez est entièrement la propriété de l’OPHLM de Bagnolet (les conservatoires et la piscine sont gérés par l’agglomération Est Ensemble, le centre socioculturel, la salle Pierre et Marie Curie et la salle des Malassis par la municipalité). L’office a cependant du mal (et peu d’intérêt) à entretenir la dalle. C’est après sa construction qu’il demande à la mairie de prendre en charge la maintenance du dessus de dalle, constituant de l’espace public. Les contrats d’entretiens pour la Gestion Urbaine de Proximité (GUP) cosignés avec la municipalité ne semblent pourtant pas porter leurs fruits. Le service de GUP a finalement décidé de déléguer la partie paysagère à des associations : les bacs à plantes étaient entretenus par l’association Sors de Terre entre 2009 et 2012. C’est maintenant Léo, jardinier paysagiste de l’association Ya+K qui s’en charge.
Je questionne des habitants sur le dessous de dalle avant de pouvoir le visiter. On me dit qu’« en dessous c’est mort, c’est tout pourri. Même les catacombes de Paris c’est plus propre. » Il y aurait ainsi des rats « gros comme ça » (un homme me montre son avant-bras et sa main), des cafards, et plusieurs niveaux de sous-sols 38
inondés. « On pourrait y faire de la pêche urbaine » me dit quelqu’un, car c’est à la mode les activités champêtres en ville. En visitant le lieu, je suis prise de petits frissons. Stagnent là-dessous une caravane peinte d’inscriptions et de fleurs, signalant la présence révolue de squatteurs (un vieux monsieur me dit qu’elle appartenait aux plus gros dealers de Bagnolet, maintenant en prison), dans une autre pièce des tas de livres « L’acupuncture par vous-même », des dossiers et des meubles sans dessus-dessous. Les deux niveaux du dessous de dalle étaient premièrement occupés par Honda et par une pompe à essence. Ils ont ensuite été loués par un supermarché, un magasin d’optique, un magasin de casques. Il n’y a plus que l’entreprise Climadane (entrepôt de climatiseurs) qui y loue encore un local, et des associations. Je pensais tout d’abord que les sous-sols avaient dû être vidés pour des raisons techniques. En réalité, le bailleur a tout simplement décidé d’arrêter de signer des baux commerciaux, espérant être éligible au PNRU (ANRU 1), ce qui n’a pas été le cas (selon Thomas Radovcic et confirmé par l’OPHLM). C’est pour cela que 5000m2 restent vacants depuis dix ans, et que seules des associations ont réussi à obtenir des locaux – sous condition de se contenter d’un bail d’occupation précaire. La dalle a subit des petites rénovations successives. Les descentes d’eau obstruées ont été débouchées, les pavés de verre et ruptures d’étanchéité couverts par des morceaux d’étanchéité ressemblant à des rustines. Tous pensent pour ces raisons qu’elle n’est pas réhabilitable, mais l’OPHLM a réalisé un sondage il y a peu, montrant que la structure est encore en bon état. Il semble donc possible de refaire intégralement l’imperméabilité et l’isolation de la dalle, et même de l’ouvrir partiellement en utilisant une scie à béton. Il serait ainsi possible de réactiver des ouvertures zénitales, et de créer des patios ou une tranchée, accessible depuis la rue. Ces dispositifs permettraient de réactiver les dessous de dalle en y apportant de la lumière et des accès PMR.
La dalle se dégrade. Une obsolescence accélérée a l’air d’être à l’œuvre. Ces constats sont révoltants et témoignent d’un abandon de la gestion dans les quartiers populaires, mais aussi d’un manque de conscience écologique. Je ne crois pas qu’il faille encore détruire, quand d’autres solutions peuvent être trouvées. Le protocole du NPNRU a choisi de ne pas vouloir comprendre que le manque de maintenance pouvait se reproduire avec de nouveaux bâtiments, de même qu’il n’évoque pas une seule fois les 5000m2 vides sous la dalle. Il nie la possibilité d’un projet plus respectueux de l’existant. L’architecte devrait être en devoir de penser à la maintenance et à l’entretien du projet qu’il propose, qu’il s’agisse d’une construction nouvelle ou d’une réhabilitation. Pour améliorer la dalle Maurice Thorez, il me semble important de revendiquer que des actions minimes (qui seraient la meilleure réponse à un embellissement de certains éléments) côtoient des transformations architecturales plus importantes.
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Dynamiques endogènes, des potentiels mous Au cours de l’enquête de terrain, je remarque que les structures associatives sont le cadre de l’expression de cultures populaires, hybrides, qui trouvent difficilement leur place dans certaines institutions. « La banlieue, c’est une culture de la diversité »25. Il me semble important de considérer les initiatives associatives qui offrent des services sociaux, culturels, éducatifs, sportifs, dans la mesure où ceux-ci sont d’intérêt collectif. Cette préoccupation explique aussi l’intérêt développé en amont sur des politiques de la ville plus multiculturalistes, et/ou donnant plus de pouvoir d’agir à la société civile. L’architecture moderne des grands ensemble se veut acculturée, elle fait table rase sur la culture des personnes qui l’habitent, sur le contexte. Elle affiche une volonté de neutralité maladroite, car les différences culturelles sont bien présentes. Les habitants montrent toutefois des capacités non négligeables d’appropriation des espaces Serfaty-Garzon, 2003 ; Veschambre, 2008, Paul-Levy et Segaud, 1983 ; Colloque L’entre deux barres, LAA, samedi 29 avril 201726), que les normes Françaises laissent difficilement s’exprimer.
« Sachant que « tout n’est pas culture », la question est qu’estce qui fait culture ? Autrement dit, comment ces nouveaux espaces d’expériences, ces pratiques de l’interstice sont reliés d’une manière suffisamment cohérente pour être en mesure de construire des alternatives dans notre manière de gérer notre rapport au monde et de le transformer ? » (Bazin, 2009, p. 61)
La création de « tiers-espaces » comme forme de résilience
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« Le concept de territoire semble perdre toute pertinence, tantôt planétaire et indifférencié […] tantôt au contraire émietté, décomposé, fragmenté, pulvérisé par les revendications ethniques ou fondamentalistes ». (Robin dans Hayot et Sauvage, 2000, p.123)
Résilience, n.f. : « Caractéristique mécanique définissant la résistance aux chocs d’un matériau. » (Larousse)
25 Gilles, présidant de l’association Sors de Terre, la Bergerie 26 Colloque international « L’entre-deux barres. Une ethnographie de la transformation des ensembles de logements collectifs par leurs habitants » – Cité de l’architecture et du patrimoine et ENSAPLV (Paris) – 27, 28 et 29 avril 2017.
« La résilience désigne la capacité pour un corps, un organisme, une organisation ou un système quelconque à retrouver ses propriétés initiales après une altération. » (Wikipédia d’après Wieland, A. & Wallenburg, C.M. (2013): The Influence of Relational Competencies on Supply Chain Resilience: A Relational View. International Journal of Physical Distribution & Logistics Management, Vol. 43, No. 4, p. 300-320)
Le terme de résilience s’emploie aussi bien au sujet d’un matériau (au sujet de sa thermique ou physique), d’un système (qu’il soit mécanique, écologique, économique ou informatique), d’un état psychologique, ou encore d’un tissu social (on parle alors de résilience communautaire) ou urbain.
Je tenterai ici de proposer une redéfinition de la « résilience », dans un contexte spécifique de populations auxquelles ont été imposés les espaces de la vie quotidienne, pour des raisons généralement financières ou politiques. Ces populations ont souvent subi un déplacement, plus ou moins lointain et plus ou moins douloureux. Comment se manifeste la résilience spatiale, culturelle ou encore sociale des populations déterritorialisées puis reterritorialisées – déplacées? Différentes enquêtes de terrain effectuées ou en cours (sur les anciens logements ouvriers à Mumbai qui étaient destinés à logés les migrants ruraux - d’une extrême petitesse, sur la communauté Sri Lankaise Tamoul en Ile de France, et enfin sur la cité des Malassis à Bagnolet) m’ont permis d’observer différentes manières de (re)créer un espace « plus sien » ou plus en adéquation avec sa communauté. Ces stratégies mises en œuvre peuvent être importantes ou discrètes, et plus ou moins conscientes de faire preuve d’une « résistance » selon leur contexte, leur échelle, leur temporalité. C’est notamment à travers l’étude des actions habitantes et de leurs conséquences matérielles - temporaires aussi bien que permanentes – que nous pouvons observer cette « résilience ». Cette perspective peut nous donner à voir des impulsions habitantes, des évolutions en cours.
Nous pouvons remarquer dans le cas des Malassis que tous les espaces ne font pas l’objet d’une appropriation et n’offrent pas aux habitants la possibilité de mettre en œuvre leur capacité de résilience – pour des questions d’échelle mais sans doute aussi de législation. La dalle par exemple n’a pas subi de transformations, tandis que la salle Pablo Neruda (dalle Thorez) est régulièrement modifiée - toujours temporairement. De nombreux événements s’y déroulent, surtout de l’initiative des associations de Bagnolet - appartenant à la mairie, elle n’est pas louée aux particuliers. La cadre législatif Français incitant au recours d’un cadre associatif pour organiser des événements dans des locaux publics a sans doute influencé les pratiques des habitants. Celles-ci prenaient des formes beaucoup plus variées et spontanées dans le cas des chawls à Mumbai : fêtes religieuses, rituels, temples, tournois de cricket ou encore la modification des façades y sont tolérés (sans qu’il y ait une demande d’autorisation préalable).
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Lors des événements se déroulant dans la salle Pierre et Marie Curie, l’appropriation est temporaire, limitée dans le temps et dans l’espace. Il semble pourtant qu’à l’intérieur de ce périmètre spatiotemporel, une autre territorialité et temporalité soient invoquées (par les symboles, l’iconographie, les sons, les odeurs, les langues, la toponymie les personnes en présence, les activités proposées, la décoration, l’aménagement du mobilier…). La résilience, dans ce cas, se manifeste par la création d’un « tiersespace » temporaire, qui nait de « l’articulation des différences culturelles » (Bhabha, 2007 dans Abélès, p. 49).
La salle Pierre et Marie Curie et le centre socioculturel Pablo Neruda comme relais appropriables
« Ces espaces « interstitiels » offrent un terrain à l’élaboration de ces stratégies du soi – singulier ou commun – qui initient de nouveaux signes d’identité, et des sites innovants de collaboration et de conversation dans l’acte même de définir l’idée de société ». (ibid. p.49)
Ce sont des situations où les communautés et les individus ne recréent pas à l’identique ce qu’ils ont connu, c’est une résilience empreinte d’imagination, qui génère souvent un « ethnoscape » - concept proposé par Appadurai dans Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation. Cette perspective est donc celle d’une résilience qui se déplace : la « forme » à l’arrivée n’est pas la même qu’au départ. Elle est généralement plus complexe, et définitivement hybride.
« […] si l’hybridité est importante, ce n’est pas qu’elle permettrait de retrouver deux moments originels à partir desquels un troisième moment émergerait ; l’hybridité est plutôt pour moi le « tiers-espace » qui rend possible l’émergence d’autres positions. Ce tiers-espace vient perturber les histoires qui le constituent et établit de nouvelles structures d’autorité, de nouvelles initiatives politiques, qui échappent au sens commun. » (Bhabha, 2006, paragraphe 12)
Nous pouvons nous questionner sur la conséquence de l’espace investi dans le processus de résilience débouchant sur la création d’un « tiersespace » (permanent ou temporaire). Un espace « vide » de spécificités programmatiques est-il plus facile à s’approprier ? Existe-t-il une architecture « sans contenu » qui ne soit hautement symbolique ? Y-a-t-il des symboles de valeur mondiale ou universelle - la nature ? la foi ? les centres commerciaux ? Il faudra interroger les espaces de la dalle Thorez pour mieux comprendre si la résilience à l’œuvre dans la salle Pablo Neruda découle des législations, ou aussi de ses « qualités ».
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La salle Pierre et Marie Curie est une salle municipale polyvalente et froide et neutre. Désincarnée de toute expression culturelle, elle incarne au mieux le style internationale et pourrait être partout. Pourtant, le samedi et le dimanche, elle est souvent investie par des associations. La première fois que je la vois en usage, c’est l’association des comoriens de Bagnolet qui y donne sa fête annuelle (le jour où je décidais qu’il me fallait filmer). J’y vis les mois qui suivirent l’association des anciens combattants, les kabyles de Bagnolet, l’association culture solidarité avec la chorale berbère de Bagnolet, un conseil de quartier... Il y avait des mariages avant, « mais imaginez la mariée sur la dalle ! Maintenant on fait ça au Château de l’Etang » me dit le responsable de la vie associative à la mairie, Jamel Benchaa. A chaque événement, les lieux sont aménagés différemment (décorations, nappes, banderoles), avec les mêmes chaises pliables. Les fenêtres restent sales et au vitrage simple, les néons froids. La peinture jaunâtre enveloppe le tout dans une ambiance douteuse. La capacité de la salle semble parfaite pour les événements qu’elle accueille. Seul son entretien – encore une fois – oublié depuis quelques années diraiton, changerait déjà beaucoup à son image. Certains lieux fonctionnent comme des relais : mis à disposition par la municipalité, ils accueillent des événements et des initiatives de la
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société civile. La salle Pierre et Marie Curie en est l’exemple par excellence car elle donne la place à des associations d’organiser des événements.
Les associations, le lieu des contre-pouvoirs et de la controverse
Le centre socioculturel Pablo Neruda est aussi ouvert aux habitants27, bien que son lien avec le réseau associatif ne soit pas aussi développé que dans le cas d’autres centres socioculturels de Bagnolet (comme le centre Guy Toffoletti à La Noue, ou le centre Anne Frank au plateau). Il est important de souligner que cette ouverture dépend en grande partie de la direction du centre social… Si la proximité physique avec des associations peut aider à l’instauration d’un lien, ce n’est pas aussi simple. Le centre Pablo Neruda réalise des activités avec Ya+K, mais pas avec l’école d’Arabe ou Kosmopolite par exemple. Des animateurs du centre social ayant grandi aux Malassis me parlent parfois du temps où le centre Pablo Neruda était la Maison pour Tous de Bagnolet. Le petit bar dans le hall vendait des bières, c’était la fête, la Maison pour Tous était noire de monde. Maintenant, quelques habitants se saisissent encore de cet espace pour vendre des crêpes et du café, dans le but d’organiser un voyage cet été, mais le centre n’est plus synonyme de fête. C’est un lieu où l’on vient faire ses devoirs et jouer au babyfoot avec ses copains.
Le centre socioculturel et la salle Pierre et Marie Curie, bien que vieillissants, ont encore lieu d’être. Ils constituent des lieux appropriables, un toit pour les initiatives qui n’en auraient pas. Cependant, ils ne sont pas très accueillants, ni communicatifs sur ce qui pourrait s’y dérouler. Si une réhabilitation est nécessaire, elle devrait se faire en parallèle d’une réorganisation des activités et du personnel du centre (il n’y a souvent personne à l’accueil) et de la communication. Il semble également indispensable de redéfinir le partage du hall et de l’auditorium entre le centre Pablo Neruda (mairie de Bagnolet) et les conservatoires (Est Ensemble). Quant au bâti à proprement parler, il faudrait réaliser un travail plus approfondi pour savoir s’il est nécessaire de modifier l’organisation de l’espace - changer les cloisons, ou si changer l’organisation du hall, repeindre, changer l’éclairage et le mobilier seraient des actions suffisantes à requalifier les lieux. Ya+K avait entrepris de réhabiliter l’ancienne bibliothèque du centre en organisant des ateliers avec des groupes de jeunes, mais l’opération s’est arrêtée… Il serait intéressant de savoir ce qui, une fois de plus, a bloqué une tentative d’amélioration.
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27 Rappelons l’objectif d’un centre social : « les centres sociaux sont des équipements polyvalents ouverts à tous les habitants […]. Plus que des équipements, ce sont des projets participatifs de développement. En effet, depuis leur création, à la fin du siècle dernier, les centres sociaux ont eu, pour objectif prioritaire, de faire participer les habitants à l’amélioration de leurs conditions de vie, au développement de l’éducation et l’expression culturelle, au renforcement des solidarités, à la prévention et la réduction des exclusions. » Source : http://www.centres-sociaux.fr/qui-sommes-nous/faq/
Une barrière coupée, remplacée par une autre barrière que l’on devine récupérée sur quelque chantier environnant, puis une cabane en bois avec une accumulation d’objets hétéroclites, eux aussi glanés ici et là. La journée, des jeunes, des vieux, des enfants, et Gilles le berger font vivre le lieu. Il faut jardiner, donner le foin aux chèvres, boucs et brebis, animer des ateliers, construire une toiture de plus… Le soir, une guirlande et une odeur de feu de bois indique parfois que la bergerie continue son activité – un peu plus informelle encore que dans la journée. Quelques personnes sont là, autour du feu, à papoter en buvant une bière ramenée du supermarché. Ça parle du voisinage, ça apprend à se connaitre. Pas de jugement sur l’origine ou l’âge des visiteurs… « Ce qui fait la bergerie, c’est la déviance. C’est pas les chèvres qui sont importantes, c’est le lien social qu’elles permettent. » « Nos interlocuteurs habitent donc un entre-temps : un paysage de paysage spatial et temporel qui nous parle d’attente et de potentiel. C’est une temporalité incertaine et précaire parce qu’on ne peut pas savoir combien de temps certains paysages vont durer. Face à ces changements continuels, décrits par quelqu’un comme des « présages », l’ancrage dans l’histoire devient une nécessité : une histoire à rechercher et à marquer. » (Alessia de Biase et al., 2016, p. 119)
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Si la Bergerie a grand succès dans le quartier, c’est peut-être parce-que les chèvres, mais surtout la « cabane » rappelle à beaucoup « la maison du bled », ou la maison qu’avait un grand-père dans le bidonville Le passage sous l’actuelle autoroute A3. Beaucoup d’habitants me racontent autour du feu de bois (au cours de discussions informelles et pas d’entretiens) leur histoire, ou l’histoire de leurs ancêtres. Ce n’est pas anodin si c’est un des lieux qui fonctionne le plus comme espace collectif dans le quartier – entre la bergerie jardin public, l’agora et le lieu de fête. Rapidement, les passants comprennent que lorsque la grille est ouverte, le lieu est ouvert à tous. Pas de bière ou de café à vendre à l’intérieur, il suffit de ramener ce que l’on veut, ou rien du tout. Son aspect bricolé semble contribuer à rendre le lieu hospitalier aux yeux du voisinage. Cet apparence spontanée et non contrôlée n’est pas sans lien avec les activités de l’association ou avec les discussions autour du feu : installer une bergerie sur un terrain municipal en friche, sans convention, est de l’ordre de la controverse. Le lieu repose sur un rapport de force constant avec la municipalité.
« A l’opposé de l’idée de maîtrise se trouve le plaisir de « cet aspect fait de bric et de broc » tant salué par nos interlocuteurs, et qui « n’est pas beau esthétiquement, mais c’est le fait que ça vit, qu’il y a de la poésie » qui compte et qui fait qu’on lui attribue une valeur paysagère. Il s’agit de lieux qui laissent une marge à l’imagination, à l’expérience sinon à l’action de ceux qui les fréquentent. » (Ibid., p. 284)
Bien que le lieu ne constitue pas une zone d’intervention de mon projet, il est un ancrage dans le quartier. C’est un des rares relais facilitant la rencontre avec des habitants des Malassis. Comme la bergerie doit être démolie courant 2018 à cause d’opérations du PNRU (agrandissement de l’école maternelle Pêche d’Or et construction de deux tours de logement en accès à la propriété par le promoteur Eiffage), elle est rentrée en négociation avec la mairie afin d’obtenir un nouveau terrain conventionné. L’association a obtenu la promesse d’un bail emphytéotique de 18 ans, avenue de Stalingrad, ainsi que la maitrise d’ouvrage (avec des subventions importantes). C’est dans ce cadre qu’il nous a été proposé (en compagnie de Pauline C., jeune architecte travaillant au sein de la SCOP Atelier 15) de concevoir la future bergerie - à moins que le présidant de l’association ne décide finalement de se battre contre Eiffage. Pour ce projet, qui devrait voir le jour d’ici une année, l’association Sors de Terre souhaite ouvrir son champ d’action. C’est bien l’émergence d’un contre-pouvoir, d’un lieu de débats et d’expression, une « zone[s] temporaire[s] d’expérimentation[s] interdisciplinaire[s] » (Bazin, 2009) qui semble se dissimuler derrière les chèvres.
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Ces observations m’amènent à me questionner sur l’autonomie des associations - de la société civile plus largement - vis-à-vis des pouvoirs publics.
Qu’entend-t-on par société civile ? L’expression « société civile » prend des sens variés selon l’époque à laquelle elle est utilisée. Nombreux sont ceux qui en ont proposé des définitions, toujours relatives à l’Etat, qu’elle préfigure ou dont elle dépend ou s’autonomise… Je tenterai donc de relever quelques définitions historiques de la société civile afin de questionner son sens dans la société actuelle.
Le terme « société civile » vient du grec koinônia politikè, littéralement communauté politique. Aristote l’emploie dans La Politique pour désigner « la communauté des citoyens constituée dans le but de « bien vivre » (Aristote (384-322 av. J-C.), Politique (ou La Politique), 1252 a6).» (Laudani, 2012). Cicéron emploie l’expression latine societas civilis pour désigner la cité unie par une même loi. Cette vision unifiée de la communauté politique et de la société civile se prolongera longtemps.
Rousseau oppose à l’état de nature l’ « état civil » et perçoit la société civile comme un entre-deux, représentatif pour lui de la volonté individuelle de propriété. Il semble aussi distinguer l’Etat de la société civile, cette dernière étant associée à la civilisation (aux sciences et aux arts) et non au contrat social. « Le rêve de Rousseau est un rêve d’unification, de réconciliation de l’individu et du citoyen, de la société civile et de l’Etat. » (Rangeon, 1986, p.16). C’est seulement au XIXème siècle que la société civile s’émancipe vraiment de l’Etat et désigne plutôt la sphère privée. L’opposition civil-politique est établie. Benjamin Constant prône cette indépendance, comme un droit et même une condition pour jouir de ses libertés individuelles. L’Etat ne pourrait dans aucun cas satisfaire les envies de tous les individus, et la société civile vient naturellement complémentariser l’Etat : « Un Etat fort suppose une société civile puissante. Il ne s’agit pas de dénoncer l’Etat au nom de la société civile, de même qu’il ne s’agit pas de renoncer à la liberté politique au profit de la liberté civile ; il faut au contraire « combiner l’une avec l’autre » (De la liberté chez les modernes, ed. M. Gauchet, Le Livre de Poche, 1980, p. 514). » (Ibid., p.22). Hegel propose une vision essentiellement économique de la société civile, liée aux besoins de production et de consommation et à la propriété privée (la « société bourgeoise »), bien que ne soient pas négligées les dimensions institutionnelles et juridiques. L’Etat doit cependant réguler et dominer cette société civile, qui sert l’intérêt collectif mais pas général (Ibid., p.24). Marx précise après Hegel que c’est bien dans la société moderne que cette séparation s’effectue, et que c’est par des complexifications bureaucratiques – et sociétales ? – que l’homme et le citoyen sont séparés. La définition donnée par Hegel est ensuite reprise et critiquée par Gramsci, qui en dénonce son approche trop économique et liée à la production capitaliste selon lui. Il suggère alors que la société civile constitue « l’espace – structuré par des institutions – de constitution et de diffusion des idéologies qui cimentent le corps social. » (Ibid., p. 2627).
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C’est finalement la définition donnée – premièrement – par Aristote, mais surtout celle proposée par Gramsci dont nous semblons hériter lorsque nous évoquons la société civile de nos jours. Deux définitions semblent primer : l’ensemble des citoyens d’un territoire (quelque en soit l’échelle), ou les organisations et associations les représentant. Dans les deux cas, la société civile est indépendante de l’Etat. « Le Livre Blanc de la gouvernance de l’Union européenne donne cette définition : « La société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les « partenaires sociaux »), les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des Églises et communautés religieuses. » (Livre Blanc de la gouvernance de l’Union européenne, Wikipedia). La société civile est donc envisagée comme non lucrative, visant à compléter les incompétences de l’Etat en matière de défense de la démocratie ou des libertés et droits individuels et/ou collectifs. Elle privilégie clairement l’autonomie, l’auto-organisation, l’action collective et semble tenter de lutter contre la violence de politiques jugées injustes ou incomplètes. Encore une fois la relation société civile-Etat est ambigüe : complémentaire et en opposition à la fois.
Selon Raffaele Laudani « ce qu’on appelle les « mouvements de la société civile » finit par se fondre dans la gouvernance globale, par n’être plus qu’une forme spécifique de pression politique qui, à l’instar des lobbys économiques et financiers, des Etats nationaux, des nouveaux acteurs politiques mondiaux et des agences de notation, contribue à la gestion « démocratique » de nos sociétés. » (Laudani, 2012). Bien qu’émanant sans l’Etat, il me semble important de ne pas condamner un rapprochement entre la société civile et l’Etat. Dans un Etat idéalement démocratique, la société civile (les associations dans le cas actuel) ne devrait-elle pas être soutenue, ou faire partie d’acteurs du territoire à juste titre ? Les associations sont souvent très bien placées pour comprendre et répondre aux attentes des populations lorsque l’Etat failli à cette tâche. Un manque de moyens est cependant observable. Les associations souhaitant garder une certaine autonomie se voient souvent privées de subvention et ont du mal à obtenir des locaux. La municipalité instrumentalise une partie des associations, et les utilise pour étayer son discours sur la participation.
Une certaine autonomie est nécessaire, et les limites de la société civile sont floues. Mais une partie des associations est nettement désireuse d’amplifier son activité (qu’elle soit sociale, culturelle, ou en partie opérationnelle – construction, jardinage…), et même de créer des emplois si cela est possible. Comment l’architecte peut-il accompagner la concrétisation de certaines initiatives en y apportant ses compétences propres? 48
Un autre protocole pour faire projet
Mettre en lumière les problèmes et potentiels liés au soft, « mou » (à l’organisation sociale, à la gestion, en opposition au bâti qui serait le hard, « dur ») me fait me questionner sur ces termes. Le mou n’est-il pas justement à considérer comme dur(able)? Le bâti ne peut-il pas être plus flexible qu’on ne veut le penser?
Partir d’une enquête de terrain auprès des usagers des espaces, permet de penser un projet en prenant mieux en compte son contexte social et spatial. En initiant ainsi le projet, l’architecte peut s’apercevoir que, dans de nombreux cas, les problèmes à résoudre ne sont pas seulement d’ordre spatial - et d’autant plus dans un contexte technocratique où l’organisation et la division des tâches se révèlent complexes. Les règles sont souvent lourdes, les contrats complexes et épais, mais ils compliquent le faire. Toute l’énergie semble passée à rédiger des protocoles répondant à des attentes administratives, mais très éloignés de la réalité. Ces documents ne résolvent pas pour autant les problèmes liés à la gestion et à l’entretien. « La production industrielle a bouleversé les notions concernant la capacité sociale d’agir, de créer du nouveau, de maîtriser la culture matérielle. » (Lefebvre, 1967, 3e édition 2009, p.127)
Dans le cas des Malassis et de la dalle Thorez, j’ai pu prendre conscience de l’ampleur des problèmes d’entretien et de gestion, souvent négligés ou sous-estimés par les pouvoirs publics. Il s’agit peut-être d’assumer qu’une partie du budget doit-être allouée à la réhabilitation et à la résolution de problèmes de gestion et de maintenance. Il nous faut nous éloigner de l’idée véhiculée « dans l’imaginaire économique standard [où] il y a l’investissement, puis l’utilisation des biens d’équipement, mais rien qui concerne l’entretien ou la réparation, sauf de manière partielle et incidente. » (Edgerton, 2013, p.120) Je préfèrerai ainsi la réhabilitation à la rénovation : conserver le bâti encore valide, y initier des transformations progressives allant dans le sens des dynamiques déjà à l’œuvre. Si l’on pense dès le début aux questions liées à l’entretien, il est logique de démarrer le projet par l’installation d’une régie de quartier. Les acteurs qui la composent pourraient avoir un contrat d’entretien des espaces publics de la dalle. L’auto-réhabilitation accompagnée pour des associations et des locataires pourrait être mise en place grâce à l’installation d’un atelier dans la dalle. Les dynamiques collectives et associatives qui pourraient être considérés comme faisant partie du paysage social et culturel, sont également ignorées. Les associations sont certes plus aidées que dans certaines communes, mais ce n’est pas suffisant à les transformer en acteurs de la vie culturelle, sociale, urbaine et à favoriser leur émancipation.
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Un projet écologique (au sens large, comprenant une écologie sociale) devrait partir d’une étude fine observant le contexte social, les valeurs d’usage, l’attachement sentimental, les imaginaires collectifs. En utilisant d’autres démarches pour analyser un territoire (photographie, récit, film, dessin – au moins de manière complémentaire), nous pouvons arriver à des constats plus porteurs de mémoires, d’histoires, de visions du quotidien, d’émotions, mais aussi de pragmatisme des usagers, que les documents produits jusque-là par les décideurs. Le travail d’enquête de terrain (puis de médiation et d’action – finalement il s’agit toujours du terrain) informe sur les acteurs importants dans la vie quotidienne. Les décideurs négligent souvent la force sociale et culturelle des associations, alors qu’elles pourraient ici influencer le programme de la réhabilitation de la dalle – et du quartier, mais aussi avoir un rôle à jouer dans la mise en œuvre opérationnelle du projet.
FAUT-IL PARLER DE PARTICIPATION ? Information, concertation, responsabilisation, qu’entend-on par participation ?
Faire preuve d’un contextualisme social et spatial oblige donc à revoir les outils de l’architecte (à toutes les phases), ainsi que la temporalité du projet et ses liens avec d’autres facteurs que celui du bâti.
Ce petit tableau nous permet d’avoir un résumé des différents degrés de « participation citoyenne dans les projets d’aménagement » généralement mis en œuvre. Il me semble que toutes les degrés devraient être compris dans le projet. Il me faut souligner que le terme d’empowerment est traduit ici comme responsabilisation – ce qui lui fait perdre son poids politique peut-être. Si je pense indispensable l’enquête de terrain, la discussion avec les concernés par le projet, et autres espace-temps de contact et d’apprentissage mutuel, le terme de participation me semble toujours aussi gênant. Est-ce par son emploi trop récurant que nous en devenons sceptiques ? Ou peut-être le terme est si vague qu’il en devient un mot valise ?
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Il me faut pourtant rappeler les origines de la participation des les projets urbains et architecturaux. De premiers efforts pour prendre en compte la population sont réalisés par Patrick Geddes (civic survey), mais il s’agit plus de concertation que de participation. C’est pendant la deuxième moitié du XX siècle que se développent et se théorisent différentes approches participatives. Hassan Fathy expérimente dès les années quarante des constructions participatives en Égypte avec la technique de la voûte nubienne. Le rapprochement avec l’architecture vernaculaire n’est pas seulement technique, il est aussi une occasion pour Fathy de repenser les lien qui lient les usagers aux constructeurs. En France, André Lurçat semble être le premier à tendre vers une concertation-participation avec la mise en place de groupes d’usagers
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pour la reconstruction de Maubeuge en 1945 (Le Maire, 2005, p. 125126). Les CIAM introduisent progressivement la notion (portée par Brun Zevi et quelques membres du groupe Team X, dont Aldo van Eyck, Giancarlo De Carlo). Le congré d’Otterlo (1959) est marqué par la présentation des projets d’habitat participatif de Ralph Eskine en Suède. Celui-ci est un des premiers à revendiquer d’installer une agence sur le lieu du projet (ibid., p. 126-127). S’en suivent des expérimentations de Yona Friedman ou encore Christopher Alexander, qui défendent l’importance d’un système (programmatique avec l’outil informatique ou mathématique) prenant en compte des critères liés aux usagers, puis d’autres comme Lucien Kroll (ibid. p.128). Celui-ci défend une démarche incrémentale, dans laquelle le projet est modifié pendant son élaboration et après, où l’architecte reste présent. L’éclectisme des matériaux et des formes rend alors lisible la participation. Patrick Bouchain revendique une architecture HQH (Haute Qualité Humaine) mais pas systématiquement participative. C’est plus sur les possibilités d’appropriation de ses bâtiments et sur la spécificité de chacun d’entre eux qu’il insiste - ne jamais faire deux fois la même chose. Les revendications de 1968 confirment un intérêt grandissant pour les projets impliquant les usagers et habitants. De la production de l’espace dépend le droit à en disposer (Lefebvre). La participation s’institutionnalise progressivement, perdant parfois de sa force.
Le terme participation est si vague - et parfois inquiétant lorsqu’il semble évoquer « architecture en palettes », que je ne pas employer ce terme, mais détailler le mode d’implication de la société civile et celui de l’architecte durant différents moments du projet. La participation des habitants et des associations n’est pas continue, mais l’importance de ces acteurs n’est jamais négligée. Travailler avec les acteurs de la société civile, c’est créer des emplois dans son organisation (au travers des tables de quartier, régies de quartier ou alliances citoyennes par exemple) et dans le secteur associatif. L’implication professionnalisante peut se faire aussi bien en phase de conception (bien que je n’aie que peu traité cette option), que durant le chantier ou après (entretien, maintenance, développement d’activités associatives culturelles ou sociales). Des échanges non monétaires (occupation d’un lieu sans loyer contre sa réhabilitation et son entretien) peuvent aussi être envisagés.
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« 11. Cependant, la différence persiste entre produit et œuvre. Au sens de la production des produits (de la maîtrise scientifique et technique sur la nature matérielle) doit s’ajouter, pour ensuite prédominer, le sens de l’œuvre, de l’appropriation (du temps, de l’espace, du corps, du désir). Et cela dans et par la société urbaine qui commence. Or la classe ouvrière n’a pas spontanément le sens de l’œuvre. Il s’est estompé, il a presque disparu avec l’artisanat et le métier et la « qualité ». Où se trouve ce précieux dépôt, ce sens de l’œuvre ? D’où la classe ouvrière peut-elle le recevoir pour le porter à un degré supérieur en
l’unissant à l’intelligence productrice et à la raison pratiquement dialectique ? La philosophie et la tradition philosophique entière, d’une part, et d’autre par l’art tout entier (non sans critique radicale de leurs dons et présents) contiennent le sens de l’œuvre. 12. Ceci appelle à côté de la révolution économique (planification orientée vers les besoins sociaux) et de la révolution politique (contrôle démocratique de l’appareil d’Etat, autogestion généralisée) une révolution culturelle permanente. » (Lefebvre, 1967 (2009), p. 134)
Enfin, il est nécessaire que l’implication de la société civile ne soit pas comprise comme au service des pouvoirs publics, mais qu’elle soit une réelle prise de pouvoir d’agir. D’agir socialement, politiquement, culturellement, spatialement : que l’on emploie participation, implication ou responsabilisation, il s’agit de bien vouloir que la situation échappe à un contrôle total des décideurs. Lors de ma présentation à différents services du bailleur OPHLM et de la municipalité, ainsi qu’à des élus le 18 mai, je ne parle pas de participation, mais de pouvoir d’agir des habitants et des associations, d’appropriation, d’auto-réhabilitation, et eux l’emploient pourtant dans leurs commentaires.
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Organiser des espaces-temps de contact entre la population et l’architecte La théorie de l’acteur-réseau (Latour, 2006) invite à penser un territoire en terme d’associations hétérogènes, nécessitant des « traductions » tâtonnantes, qui génèrent systématiquement un ordre déjà prêt à changer à nouveau. Un projet urbain durable ne peut pas se penser de manière stable, car il dépend de nombreux acteurs mouvants, ainsi que de l’émergence de controverses. Comment cette idée peut-elle influencer le projet ? Comment l’architecte ou urbaniste doit-il affirmer son rôle de médiateur au sein d’un réseau afin de concevoir un projet dans des temps plus dilatés ? Peut-il établir les conditions nécessaires à la stabilisation du réseau qu’il a modifié par son action ?
« […] La participation est facile quand il s’agit de réfléchir collectivement à l’action ; elle se complique quand il s’agit de réaliser ; elle se corse franchement quand il s’agit de cogérer. Ce sont les problèmes de la cogestion qui ont eu raison de l’AlmaGare… » (Pierre Bernard, entretien avec l’auteur, le 6 avril 2016, dans Chabard, p. 6-7)
Au-delà de la participation ponctuelle sur la conception ou sur la construction du projet au travers d’ateliers - certes bienveillante, l’architecte devrait insister sur l’émergence d’un projet plus large. L’idéal serait pour cela de s’entourer d’autres professionnels : sociologues, anthropologues, professionnels de la concertation, mais aussi de s’inspirer des outils du community organizer 28.
Travailler in-situ
Si le projet se réalisait avec le soutien des pouvoirs publics et du bailleur, il aurait été nécessaire d’installer l’atelier du projet sur place (généralement appelé Maison du projet, mais le nom et le format devrait être différent pour chaque projet). Habitant Bagnolet, j’ai eu la chance d’avoir une situation proche de celle-ci, sans qu’il me soit possible pour autant d’ouvrir des permanences et d’aller au bout de la démarche. Etre ainsi en résidence permettrait à l’architecte d’être facilement sur le terrain (augmenter l’observation de l’existant – bâti, social, culturel), de créer des relations avec le voisinage (habitants, associations,
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28 Personne travaillant à l’organisation des citoyens lors de la mise en place d’une structure de community organizing - précédemment décrite en prenant l’exemple de modèles nord-Américains. Son rôle est celui de fédérer (en faisant du porte à porte pour rentrer en contact avec la population la moins investie), mobiliser, d’organiser et animer des moments de dialogue. C’est un organisateur médiateur.
commerçants, techniciens), et d’initier des moments d’échange plus ou moins formels sur les avancées du projet. Tout au long du projet, j’ai pu participer aux événements de certaines associations, et découvrir de l’intérieur le quartier, et échanger de manière informelle sur mes avancées dans le projet. Les réactions des habitants du quartier (dont certains sont devenu des connaissances voire des amis) m’ont aidé dans la vérification de mes hypothèses. Il n’est pas suffisant de convoquer la société civile à des réunions ou des ateliers, il faut aussi se plonger un minimum dans les activités qui ont lieu29.
Echanger, confronter les points de vue
Au moment où le projet s’ébauche et prend une forme architecturale, j’ai néanmoins senti la nécessité d’organiser une présentation. L’association Cités m’étaient contées30 m’avait invitée à parler des dessous de la dalle Thorez pour le décrochage de son projet sur les Lieux de valeur des Malassis, mais je souhaitais présenter le projet sur la dalle même. Il me faut montrer des dessins, une maquette, et essayer de parler avec ceux que je n’ai pas encore rencontrés, ou avec qui je n’ai pas eu l’occasion de parler depuis l’étape d’enquête31. J’ai donc organisé une présentation le samedi 20 mai, sur la dalle Seulement entre 20 et 30 personnes sont venues échanger sur la dalle le samedi 20 mai (cf. annexes), mais les échanges me permettent d’entamer une période de « révision ». Dans le but de montrer le projet et de le faire comprendre à tous, j’ai eu recours au dessin à la main (schémas, vues en perspectives, coupes, ou isométries) et à la maquette. Raconter le projet avec un vocabulaire compréhensible par tous constitue aussi un exercice en soi. J’ai également écrit sur des post-it et laissé écrire les réactions et suggestions des personnes venues discuter. Beaucoup s’amusaient ensuite à lire les commentaires plus ou moins sérieux déposés sur les planches.
En demandant les autorisations au propriétaire de la dalle, l’OPHLM de Bagnolet, il m’a été proposé de présenter le projet le jeudi 18 mai à différents services de l’OPHLM et à sa direction, ainsi qu’à quelques 29 Cette position est délicate, il faut intégrer par moments le paysage social, tout en restant dans sa position d’architecte. L’équilibre n’est pas toujours facile à trouver. 30 « Cités m’étaient contées… est un Pôle de recherche et d’expérimentation sur « Les espaces autres ». Née en 1988 à l’initiative d’Anne Laffanour [sociologue], l’association Cités m’étaient contées… mobilise penseurs et acteurs de différents secteurs, et de diverses disciplines autour de champs communs de questionnement sur l’art, la culture, les sciences, le(s) territoire(s) et la ville. » (URL : http://lieux-de-valeur.org) L’événement a eu lieu le vendredi 12 mai, au lycée Hénaff. 31 Cet événement est de convoquer une partie de la population du quartier – les habitants curieux, les associations rencontrées, le centre social, les voisins - par e-mail et par le biais d’affiches.
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personnes de la municipalité et à la cheffe du PRU Bagnolet-Montreuil (Est Ensemble). Je ne pensais pas que les décideurs et technocrates (une quarantaine tout de même) invités ce jour-là par l’OPHLM allaient être aussi peu sceptiques face aux documents que j’avais préparés à destination des habitants, et attendais plus de doutes de leur part… Peutêtre le contexte politique Bagnoletais facilite-t-il la tâche.
Il faudrait encore réfléchir à d’autres moyens d’échanger sur le projet avec les concernés. La production d’une gazette bande dessinée pourraitêtre un moyen de diffuser le processus de projet dessiné et affiché lors de la présentation. Des projections pourraient être faites sur la dalle (du film produit retravaillé - mais aussi de films pouvant amener un débat, avec la présence de riverains, de Bagnoletais, de l’Université Populaire de Bagnolet, du centre de quartier et d’autres acteurs, pourquoi pas un laboratoire de recherche-action). Un dispositif mobile pourrait être élaboré afin d’aller à la rencontre des habitants des Malassis les moins investis dans les questions urbaines pour échanger avec eux sur le projet. Un blog ou un site internet pourrait permettre de relayer et de suivre les avancées du projet, voire de recevoir des réactions (plusieurs personnes ont demandé s’il existait une « page » du projet).
Un travail pluridisciplinaire enrichi les propositions de l’architecte, et le projet en sera d’autant plus spécifique au contexte s’il collabore avec les acteurs locaux – associatifs ou non - pour diversifier les approches du territoire, les ateliers participatifs, les médiums d’expression ; pour mettre en place un projet.
Travailler avec d’autres acteurs en présence
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Cette immersion dans les initiatives associatives en présence est une bonne occasion pour collaborer avec d’autres corps de métier. S’il peut aussi être intéressant d’inviter d’autres professionnels par ses contacts personnels ou des appels à projet, l’architecte peut aussi faire avec les dynamiques déjà opérantes sur le terrain, qui peuvent avoir un lien avec le projet. Dans mon cas, il a été intéressant d’échanger avec l’association Sors de Terre – la Bergerie. Gilles Amar, ethnologue de formation et berger, a par exemple une expérience bien spécifique de la résidentialisation, qui l’empêche de faire pâturer son troupeau comme il le voudrait. La Bergerie s’est avérée avoir une importance dans le quartier qui m’amène finalement à prendre un rôle dans sa reconstruction (elle doit déménager du terrain occupé sur lequel elle s’est établie à cause d’un projet d’immeubles de logements). L’association Cités m’étaient contées a proposé différents ateliers aux jeunes du quartier sur la notion de lieu(x) de valeur : un travail sur la compréhension et la perception de son quartier qui aurait pu faire partie intégrante d’un projet de rénovation et d’émancipation urbaine. Il faut préciser que le projet apparait dans le protocole de préfiguration du NPNRU, mais que la cheffe du PRU n’est pas au courant de son existence. Aucun contact entre les urbanistes en charge du projet et l’association n’est finalement établi. Pour réaliser le travail filmique entrepris au début de l’enquête de terrain il aurait aussi été possible d’initier un travail avec une association de cinéma Bagnoletaise Cinémalin (Citées m’étaient contés travaille d’ailleurs avec Cinémalin).
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Faire ?
Comment faire projet dans l’incertain, dans l’expérimentation ? Comment déroger aux appels d’offre, à certaines normes concernant les matériaux, la fermeture des chantiers au public ? Certaines associations, certains architectes ou artistes essaient d’élargir les possibles et de trouver des failles. Je m’appuierai sur plusieurs exemples pour développer une proposition qui se rapproche des possibles.
Le permis de faire32 mis en place il y a une année à titre expérimental et impulsé par Patrick Bouchain permet notamment de déroger à certaines règles. « l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que leurs groupements et les organismes HLM «peuvent, pour la réalisation d’équipements publics et de logements sociaux, déroger à certaines règles en vigueur en matière de construction dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles» […] le long article 105 apporte plusieurs modification au code de l’urbanisme : possibilités accrues de dérogations pour «les projets soumis à autorisation de construire dont la réalisation présente un intérêt public du point de vue de la qualité ainsi que de l’innovation ou de la création architecturales» » (Culture - Loi Création : ce qui change pour les collectivités, Caisse des dépôts, 2016, URL : http://www.caissedesdepotsdesterritoires. fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/LOCActu/ ArticleActualite&cid=1250271105315)
Projeter dans une temporalité dilatée, représenter le temps et l’incertain
« Only through such recognition, by temporalizing the landscape, can we move beyond the division that has afflicted most inquiries up to now, between the ‘scientific’ study of an atemporalized nature, and the ‘humanistic’ study of a dematerialized history. And no discipline is better placed to take this step than archaeology. » (Ingold, 1993)
A la suite de l’observation, je cherche à projeter en pensant le landscape et pas le land, les use-values plutôt que les values, le taskscape plutôt que le labour (pour reprendre les termes anglophones de Tim Ingold). La temporalisation du paysage que propose l’anthropologue peut nous aider penser une temporalisation globale du projet. Le matériel n’est pas séparé de l’organisationnel, de l’immatériel. 58
32 Loi 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Il me faut donc travailler un format, un mode de représentation, qui permette d’aller au delà de la binarité entre le paysage matériel non temporalisé et des études humanistes dont l’histoire est dématérialisée. Les documents du PNRU et du protocole de préfiguration du NPNRU sont muets. Ils informent sur la conservation ou la démolition d’un immeuble, sur un axe de désenclavement, mais ne racontent pas un projet. Ils se confortent dans un protocole technocratique. Si le projet est une expérimentation, il en va de même pour sa représentation. Pour représenter le temps, j’ai choisi de travailler un document qui oscille entre plan d’action / de processus, story board, grahpique. Le dessin narratif permet de projeter le futur usager dans le futur espace, mais aussi dans le temps de sa fabrication. Ce format me permet aussi d’employer plusieurs registres de dessin selon la nature de l’information (actions, changements physiques, détails, usages imaginés). Le dessin du projet ne réside pas que dans le dessin de changements du bâti. Il faut aussi arriver à distinguer ce qui est certain de ce qui ne l’est pas, et pouvoir proposer des options. Il aurait pour cela été possible de faire un catalogue d’options concernant aussi bien réhabilitations légères les modifications architecturales, les solutions de GUP que le programme. Il me semble cependant plus flexible de proposer des principes de changements possibles que des options, qui détermineraient un champ forcément plus fermé. Enfin, l’isométrie, la perspective et la coupe seront privilégiées, pour leur capacité à être compris plus facilement pas le public.
Le chantier, encore en projet Pierre Chabard nous rappelle dans un article publié dans la revue Criticat que le chantier est difficilement traduisible car il inclut en Français trois sens indiscociables : « activité, temporalité et lieu » (Chabard, 2008, p.100). Face à l’incapacité apparente des architectes à penser autrement le chantier, l’artiste Stephan Shankland expérimente depuis 2007 une démarche qu’il nomme HQAC (Haute Qualité Artistique et Culturelle) pour le projet TRANS305 à Ivry-Sur-Seine. Il se base sur le passé pour questionner le devenir du site, essaie de rendre visible le chantier, notamment par l’ouverture d’un atelier sur place (Tonnelat, 2012).
Si l’inclusion les habitants et usagers du territoire de projet dans la conception est abordée (insuffisamment) dans les politiques de la ville, la participation opérationnelle se cantonne généralement à la construction de mobilier urbain en bois. Comment ouvrir le chantier à plus d’acteurs, et re-lier le temps du chantier et celui du projet, le site du chantier et son contexte ?
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Les associations, un acteur opérationnel de la fabrique urbaine ? Certains membres de la société civile (associations, collectifs, entreprises ou formations locales) peuvent avoir un rôle à jouer dans la phase opérationnelle du projet (entretien, espaces verts, construction). Quels sont les modes d’action des associations sur la ville ? C’est Léonard, le jardiner employé par l’association d’architectes Ya+K, qui l’entretien le mercredi après-midi. Quelques fois, si le temps est exceptionnel, un, deux ou trois habitants se greffent à la session de jardinage. Peutêtre les moyens déployés sont-ils trop faibles ? Le jardinier semble peiner à replanter tous les bacs en brique, seul employé quelques heures par semaine. Quelques bancs et mobiliers urbains ont été installés par Ya+K. Des bancs en palette pour la plupart, peints d’un peu de jaune, un peu de bleu, ou pas du tout, et construits avec des enfants et adolescents du centre Pablo Neruda (situé sur la dalle), ou de l’AJDB (Association des Jeunes pour le Divertissement à Bagnolet). Au centre de quartier, ce mobilier ne fait pas l’unanimité puisque un enfant me dit « Ça fait un peu clochard quand même ! Comme la bergerie »… Mieux vaut ça que rien ? Des enfants escaladent parfois la structure peinte en jaune, mais les adultes ne s’y assoient que rarement. Peut-être sont-ils trop loin de l’entrée des équipements ? Leur image est-elle trop précaire ? Ont-ils des échardes ? Ou bien suggèrent-ils des postures jugées inconfortables par les adultes ? Il est difficile de trancher sur l’aspect bon marché et bricolé. La cabane-scène installé après les bancs est plus soignée et ne véhicule pas la même image. Quant à la bergerie, elle a plus d’adeptes que de critiques.
L’approche de Ya+K est intéressante sur certains points : ils arrivent à organiser des activités de construction avec le centre de quartier et l’AJDB, ils ont ouvert l’Hyper, un petit fab lab permettant aux habitants du quartier de bricoler plus facilement. Il faut cependant avouer que leurs interventions sur la dalle n’en modifient que peu l’usage. Et pourquoi faire encore une fois du mobilier en palettes ? Les Malassis ne méritent-ils pas un peu plus ? Il faut également noter que l’association n’émane pas du quartier. Elle a été invitée en résidence pour combler les lacunes du PNRU sur la participation. C’est un prestataire pour la mairie, qui leur assure une couverture, peut-être un peu trop en aval car la participation se limite à une petite échelle.
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Comme nous l’avons vu, le dessus de dalle a été successivement prit en charge par Sors de Terre (la Bergerie) et par Ya+K. L’association des Musulmans de Bagnolet était aussi intéressée pour en gérer une partie. La dalle est devenue un enjeu de pouvoir entre les associations, me dit Thomas Radovcic. Alors il y des discussions avec des élus, des copinages. Cette fois-ci, il n’y a pas eu d’entente entre les trois associations. Pour certaines zones du quartier, il y a des appels à projets - de plus en plus -, qui contraignent les associations à rentrer dans l’élaboration d’un projet défini, communicatif, convainquant… Toutes n’ont assez de
membres/temps pour se plier à ces appels à projet. Certaines préfèrent tout simplement rester dans des actions plus spontanées, comme nous l’avons vu avec la Bergerie, et se voient obligées d’entrer dans un rapport de force avec la municipalité pour émanciper leurs activités.
Il serait pourtant intéressant d’aider à l’émergence d’un accord entre les différentes associations, l’OPHLM et la municipalité, afin de mettre en place un partage de la gestion de certains espaces verts entre Léonard (Ya+K) et Sors de terre. Si Ya+K a initié un fab lab, le quartier devrait se doter d’un atelier plus ambitieux pour aller jusqu’à de l’autoréhabilitation accompagnée. Pourront aussi être considérées comme acteurs opérationnels (déjà en présence) les associations Electrons solaires 93, qui essaie d’installer des panneaux solaires à Bagnolet ; La Fabrique, qui regroupe artistes et artisans ; l’association AMELIOR pour la défense des activités des biffins de Bagnolet-Montreuil ; Kosmopolite pour le street art etcetera.
Une organisation pérenne de la société civile et des dispositifs spatiaux Il faut ainsi organiser et fédérer une partie des acteurs de la société civile pour que le projet puisse réellement se co-construire avec eux. L’objectif n’est pas d’inviter les associations à participer bénévolement, mais d’initier un projet avec ceux qui le souhaiteraient, en établissant les conditions nécessaires. Par conditions, j’entends les espaces nécessaires, mais aussi les emplois nécessaires. Il me semble indispensable qu’une personne ait un rôle de médiateur et initiateur de cette organisation, et que d’autres personnes (de préférence du quartier) puissent avoir l’opportunité d’être embauchés pour participer à l’aventure du projet (car c’est ça l’enjeu, que le processus du projet lui-même contribue déjà à une amélioration du quartier). Le chantier, en plus d’être un moment d’apprentissage, peut souder des liens entre certains habitants du quartier, mais aussi leur apporter une rémunération et une connaissance approfondie de leur lieu de vie quotidienne. Il existe d’ailleurs une clause sociale, qui permet d’employer des Bagnoletais au chômage pour les travaux du PRU33, qu’il serait intéressant de développer. Concernant la participation des associations, nous pourrions imaginer une subvention permettant l’achat de matériel et la création d’emplois et/ou un échange non monétaire dans le cas d’une disposition des pouvoirs publics à partager certains espaces. Des locaux associatifs, ou 33 35 bénéficiaires dans les marchés publics, dont 37 pourcents des bénéficiaires résident en QPV selon le BAJOmag’ numéro 18, novembre 2016, Mairie de Bagnolet.
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des locaux à usage mixte (comme la salle pour les arts du spectacle, des ateliers d’artisans et d’artistes) pourraient être alloués gratuitement contre une participation à leur rénovation. Les futurs usagers seraient ainsi partie prenante de l’aménagement. Des compagnons bâtisseurs ou autre organisation développant l’AutoRéhabilitation Accompagnée (ARA) seraient bienvenus dans le projet, mais nous pouvons imaginer qu’une partie des travaux reste à la charge d’entreprises de bâtiment. Celles-ci pourraient également faire partie d’une Régie de Quartier – si c’est la forme d’organisation de la société civile qui se met en place. L’ANRU se dit favorable au développement de l’ARA pour le NPNRU, tout en y consacrant trop peu de moyens : l’Auto-Réhabilitation Accompagnée ne sera expérimentée que pour 35 logements (Zignani, 2016). Des ateliers de construction seraient dans tous les cas nécessaires et le statut légal de leur usage ne dépend pas de l’architecte. Je tacherai donc de projeter un espace flexible pouvant être utilisé pendant et après le chantier, que ce soit par une entreprise, une association ou plusieurs, ou différents acteurs. Ces conditions permettraient une poursuite du projet pour la réhabilitation des logements et des équipements. Un espace de stockage devra aussi être pensé dans la même optique. Il permettrait le stockage des matériaux de construction neufs, mais aussi des matériaux récupérés des destructions environnantes (comme le fait Rotor), et pourrait se convertir ensuite en lieu de stockage pour une ou des associations, comme AMELIOR (aide aux biffins). Il s’agit, encore une fois, d’éviter le gaspillage des matériaux encore valables, et de préférer le « sous-cyclage » au « recyclage » (Rotor, p. 94, 2016) – tout en évitant l’esthétique de la palette. Les architectes belges donnent de précieux conseils et mettent en ligne des guides du démantèlement-réemploi afin de bien choisir les composants selon leur coût d’extraction, leur état, leur durabilité, leur valeur fonctionnelle et symbolique (ibid., p. 98) : « Extraire des parties d’un édifice en fin de parcours, c’est identifier les entités qui, une fois détachées de l’ensemble, seront dotées des meilleurs chances de survie individuelle. » (ibid., p. 100).
Un spectre d’options entre le petit œuvre et le gros œuvre, entre projet classique et auto-réhabilitation
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Comme le projet dépend en grande partie de l’organisation entre les différents acteurs, il est difficile de trancher sur certains points. En développant différentes options, je garde possible plusieurs niveaux de participation de la société civile selon la motivation des associations et l’ampleur des travaux nécessaires. Le projet est un spectre, allant du « petit-œuvre » (nettoyer les pavés de verre pour redonner de la lumière au-dessous de dalle) au gros œuvre (destruction et reconstruction d’un nouveau dessus de dalle). Le
second-œuvre occupe une grande partie de ce spectre, et ce notamment avec l’ouverture d’ateliers sur place. Le projet peut se redessiner, car l’architecte, la société civile, et les constructeurs sont tous sur le terrain lors de la construction. Par ailleurs, cette amplification du faire assure la possible réparation. Si l’on est en capacité de faire, on peut plus facilement maintenir.
« En outre, l’entretien devient lui-même extrêmement concentré et contrôlé. […] Dans les pays pauvres, le lien entre coût initial et coût d’entretien et de réparation semble différent et rappelle à certains égards la situation prévalent quelques décennies plus tôt dans les pays riches. » (Edgerton, 2013, p. 122)
L’option de petit œuvre (nettoyage, déblaiement, investissement) sans découpe de la dalle pourrait être envisagée par un collectif d’habitants et d’associations si l’Etat venait à être opposé à un projet aussi inclusif, soit pour faire réagir la municipalité ou l’OPHLM, ou bien pour négocier une convention d’occupation précaire sans frais avec le bailleur. Cette action, de l’ordre de l’urbanisme tactique (action matérielle immédiate pour résoudre des problèmes concrets rapidement) me parait aller dans le sens d’un empowerment néolibéral et d’un abandon de l’Etat. Il constitue pour moi une solution de secours.
La segmentation habituelle entre conception (pensée du projet) et construction (pensée et réalisation du chantier) bloque de telles approches qui nécessitent d’inclure le doute : la mission d’Ordonnancement, Pilotage et Coordination (OPC) incarne cette séparation (Bernard, p. 105, 2008). Le Permis de Faire aide peut-être à déroger à cette segmentation. « Construire devient aussi la condition de concevoir. Le chantier est le moment d’une expérience unique qui nourrit la conception. Le projet qui est la forme « fixée » de la conception, ne la contient pas toute entière. » (ibid., p.107)
Entre projet et chantier, investir le lieu
« D’une certaine manière, un chantier est un site à découvrir. Ce sont des rapports nouveaux qui émergent et se forment, dont l’apparition n’est que fugace pour certains ou qui préfigurent pour d’autres un nouvel état plus ou moins pérenne. C’est le moment où l’étant donné d’un site et son devenir se croisent sans se figer. » (Bernard, 2008, p.109)
La tentation est grande d’initier le projet en organisant un événement artistique. Associations locales, collectifs d’artistes, conservatoire et d’autres encore pourraient investir le lieu de manière temporaire. Investir spontanément permettrait de créer une dynamique rapidement, dans l’action, l’échange, la fête. Le dimanche 16 avril je découvrais le garage, squat à Bagnolet (à la limite entre les Malassis et le Plateau), investi ce week-end-là par le collectif
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d’artistes 35h34. Les graffeurs du collectif le garage ont repeint à la bombe tous les hangars. Deux œuvre du collectif 35h me marquent : des panneaux en plexiglass récupérés dans les bureaux du lieu abandonné ont été peints de fleurs violettes et feuilles vertes, et disposés à la place du faux plafond. La verrière de la toiture diffuse maintenant une douce lumière verte. Les visiteurs se sont assis par terre, ils contemplent le reflet dans le verre au centre de la pièce : on dirait un vitrail. Finalement, la pièce semble parfaite pour s’assoir et discuter, l’œuvre semble avoir révélé une ambiance et des usages possibles. Dans la pièce d’à-côté, un travail réfléchi sur la disparition du fond d’écran MAC Spectrum et sur les ghosts dans le graff. L’artiste rappelle que le bâtiment est un palimpseste. Cette œuvre met en lumière un passé, des passages et récits successifs. Ces installations découvertes au coin de la rue me confirment encore une fois que l’art et l’événement permettent de porter un autre regard sur l’espace, de le questionner, de révéler son histoire, ses possibles… De tracer une première ligne.
L’imprédictible « […] il n’est pas seulement attendu d’un ouvrage qu’il soit conforme à un plan mais qu’il soit aussi investi d’une énergie productive. Ces trois mots « investis d’une énergie productive », sont très chargés. Mais cela se pense, au présent de l’action. Même si c’est dans l’imprédictible. » (Bernard, 2008, p.110)
Vouloir faire avec la société civile, avec le mouvement, c’est accepter de ne pas figer, d’être surpris. A la manière de Patrick Bouchain, c’est faire en concevant. Le chantier a disparu du projet, mais la rénovation urbaine en sera d’autant plus bénéfique si phases du projet son redéfinies, et si ses frontières bougent vers des considérations également sociales et culturelles.
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34 Dont un des objectifs est « De repenser l’espace d’exposition de façon active et d’y insérer un atelier éphémère. » (http://35h.work/le-projet/)
POUR CONCLURE Ce projet aux Malassis est une tentative de se diriger vers un idéal social et politique, tout en faisant preuve de pragmatisme (de l’entretien au quotidien à la résolution technique des problèmes d’étanchéité de la dalle). S’il me semble indispensable de donner plus de pouvoir d’agir aux habitants et aux associations dans l’amélioration de la ville, j’étais très réticente à parler de projet participatif, par crainte de tomber dans une illusion générique. C’est entre autre pour cela que j’ai préféré parler d’enquête de terrain, de journée de présentation aux habitants lorsqu’il s’agissait d’apprendre ou de faire avec les habitants et associations. L’objectif n’est pas, rappelons-le, de rentrer dans une case « projet participatif », mais seulement d’utiliser les outils qui semblent nécessaires à l’avancement du projet, selon le contexte (au sens large) dans lequel celui-ci émerge.
Il m’a également semblé indispensable de questionner les politiques de la ville pour ancrer le projet dans une réflexion plus globale. Faut-il faire avec les conditions politiques actuelles, ou se dresser en opposition assumée afin de les changer ? Ou peut-on finalement négocier un intermédiaire ? C’est cet intermédiaire que j’ai tâché d’explorer, en proposant par exemple une solution de secours qui pourrait devenir un geste revendicateur (nettoyer les pavés de verre pour initier une réappropriation de la dalle qui ne nécessite pas l’intervention des pouvoirs publics), ou l’utilisation de règles ou de dispositifs récents, encore expérimentaux, qui permettent certaines libertés (le permis de faire, les tables de quartier par exemple). Il s’agissait de trouver des failles pour tendre vers un projet possible, afin de montrer la gravité des réponses généralement mises en place par l’Agence Nationale de la Rénovation Urbaine (ANRU). J’ai donc essayé de mêler une méthodologie de terrain - une observation de fragments pendant l’enquête, à l’interaction avec les acteurs - à la définition d’un processus d’action qui replace le temps et le geste au cœur de la pensée du projet. L’enjeu est de proposer un projet pour ce territoire qui laisse sa place à l’incertain et à la complexité (à la résilience), tout en définissant une vision globale (nécessaire à l’émergence de tout projet). L’émancipation de la société-civile organisée et la sauvegarde de la dalle ont été les points clefs de ce projet à la limite du manifeste, finalement proche d’une tentative de réajustement de l’utopie architecturale moderne, par une utopie sociétale. La représentation du projet était aussi un enjeu : Comment communiquet-on à tous avec les mêmes documents ? Comment puis-je représenter des actions et des principes qui ne figent pas l’ensemble du projet ? Si je dois redéfinir ma pratique - il s’agit de penser une position intermédiaire entre architecte, observatrice de terrain, médiatrice,
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émancipatrice sociale et culturelle, éventuellement maçon bricoleuse dans d’autres temps du projet – je dois également élargir mes outils. La narration s’est par exemple révélée indispensable, qu’elle prenne la forme d’un film pour restituer l’enquête, ou bien d’un processus de projet dessiné. En proposant ce projet à certains services de la municipalité, de l’OPHLM et de Est Ensemble, j’ai été très étonnée de leurs réactions positives. C’est bien d’eux que j’attendais des doutes, et des critiques négatives, mais ce n’a pas été le cas. En contrepartie, peu d’associations enquêtées au début du projet se sont déplacées pour la présentation publique sur la dalle (l’association Sors de Terre – La Bergerie, Ya+K, Afro-Actifs, Bagnolet les verts), au total entre 25 et 30 personnes sont venues discuter du projet ce jour-là. Les critiques étaient généralement positives, et les discussions intéressantes, oscillant entre la narration des souvenirs du passé, des mythes entendus sur les sous-sols, des problèmes rencontrés au quotidien et des suggestions d’activités que je n’avais pas envisagé sur ou sous la dalle, ou encore des questions récurrentes qui soulignaient les problèmes à ne pas ignorer ou à intégrer au discours.
Je ne peux cependant pas ignorer un point que je n’avais pas envisagé : les décideurs (municipalité, OPHLM, Est Ensemble) ont été plus nombreux à se rendre à la présentation du 18 mai, à l’initiative de l’OPHLM, que les habitants et associations à celle du 20 mai. C’était pourtant la seconde présentation qui constituait pour moi un réel enjeu. La mobilisation de la population sur des questions urbaines est difficile, et je remets maintenant en cause le format utilisé. N’aurait-il pas fallu, sur l’exemple du community organizing aux Etats-Unis, faire du porte à porte ou aborder des passants afin de les informer sur le Projet de Renouvellement Urbain de l’ANRU et leur présenter rapidement mon projet, pour recueillir des réactions ? La structure installée sur la dalle Thorez lors pour la présentation publique n’aurait-elle pas du être mobile (en continuité du travail d’enquête) ? Ou peut-être aurait-il fallu organiser un événement avec plusieurs associations ? Ou encore un concert-repas des voisins, des installations artistiques ou une visite des dessous de dalle pour initier une première dynamique ? Seule, la tâche était cependant compliquée. Mais cela ne fait que confirmer à mes yeux qu’il faudrait travailler avec des personnes dont le rôle s’inspirerait du médiateur ou du community organizer afin de mettre en place d’une mobilisation et une implication de la société civile. Pour que la population la plus désinvestie des questions politiques et urbaines prenne part au projet, il faut aller la chercher là où elle est, et ne pas lui demander de venir à une présentation.
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Ce projet m’emmène vers des horizons professionnels variés. Entre une bergerie à reconstruire à Bagnolet, une éventuelle HMNOP à demander auprès des architectes qui seront sélectionnés pour prendre en charge le PRU des quartiers Malassis-La Noue (la cheffe du PRU, Est Ensemble, tient à m’informer de l’équipe choisie début juillet), un projet sur les
Lieux de Valeur à rejoindre sur le quartier Gagarine (Romainville) avec l’association Cités m’étaient contées, et une envie de poursuivre un DPEA de recherche en architecture et anthropologie… Il me faut sans doute faire des choix. Pas seulement parce-que je n’ai pas le temps de tout faire, mais également car il est difficile de se placer à la fois du côté des contre-pouvoirs (la bergerie), et des politiques. A moins que ce soit justement l’intérêt du rôle ambigu de l’architecte, de pouvoir redessiner les frontières de ce qui peut être initié. Garder un pied de côté est peut-être la condition pour prendre du recul sur son action. Pour ne pas oublier pour quoi et pour qui nous voulons être architectes.
Note de fin J’ai en premier lieu choisi de travailler sur ce site avant de travailler sur ce sujet. Habitant Bagnolet depuis un an et demi, je traversais parfois les Malassis avec le sentiment d’un quartier délaissé. Je voulais en comprendre les raisons, mais aussi y découvrir sa culture propre, son quotidien, l’opinion de ses habitants. C’est un fort intérêt pour l’anthropologie et l’ethnologie qui m’a motivée à appréhender le territoire par le terrain (au travers du dessin, de la photo, de la vidéo, de l’entretien, de l’écriture), en espérant que ces premières approches m’en donnent une autre vision que celle d’un Quartier prioritaire aux Politiques de la Ville (QPV) ou d’une « cité » inscrite dans les projets de renouvellement urbains pilotés par l’ANRU. Une approche pluridisciplinaire peut-elle amener à un projet plus proche des réalités d’un quartier populaire que les projets pensés par l’ANRU ? Il me semble important d’écrire à quel point ce projet a contribué à m’encrer à Bagnolet. Je suis venue y vivre en pensant retourner vivre au Mexique ou en Inde à la fin des études, et me voilà à présent attachée à ce territoire, au point de vouloir y prolonger mon investissement. Le réseau d’acteurs que j’observais au début à fini par m’intégrer à son écosystème. De nombreuses personnes rencontrées investies dans le réseau associatif que j’évoque au cours de ce mémoire sont devenus des voisins, des amis, des collègues. Un grand merci à eux, sans qui ce projet n’aurait aucun sens. Merci également à mes professeurs, amis, colocataires, parents. 67
TABLE DES ANNEXES En annexe numérique (CD) Documentaire d’enquête de terrain (février 2017, 25’). Affiche et prospectus signalant la présentation.
Documents officiels concernant le PNRU et le NPNRU.
Archives historiques (cartes postales, photographies, plan des parcelles).
Livrets
Extraits du documentaire d’enquête de terrain. Les associations du territoire. Différentes organisations de la société civile. Restitution des présentations publiques.
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TESTELIN, Didier, « Les Régies de quartier et les Régies de territoire : des projets au service des habitants », Pour 2011/1 (N° 208), p. 133139.
TILL, Jeremy Till, De l’austérité à la rareté, Criticat 16, 2016, p. 115-123. TONNELAT, Stéphane, Vers une politique culturelle du chantier, Le plasticien comme acteur du projet urbain durable ?, Ecole d’Architecture de Paris Val-de-Seine, CRH, Paris, 2012. ZIGNANI, Gabriel, Que faire pour que l’auto-réhabilitation accompagnée soit prise en compte dans l’ensemble des projets de rénovation urbaine ?, 10/06/2016. URL : http://www.lagazettedescommunes. com/447814/que-faire-pour-que-lauto-rehabilitation-accompagneesoit-prise-en-compte-dans-lensemble-des-projets-de-renovation-urbaine/
Autres
BARTHES, Roland, Mythologies, Paris, Editions du Seuil, 1957 INGOLD, Tim. Brève histoire des lignes
Textes officiels
Rapport d’information déposé en application de l’article 145-7 du règlement sur la mise en application de la loi n°2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, URL : http:// www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rap-info/i3735/ (index)/rapports-application-loi#P125_14501) Livre Blanc de la gouvernance de l’Union européenne, URL : http://eurlex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:52001DC0428 Loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, URL :https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte. do?cidTexte=JORFTEXT000028636804&categorieLien=id
Filmographie (documentaires seulement) Paysages – Porte de Bagnolet, de Jean-Loïc Portron et Pierre Zucca, France, 1993, 26 minutes, Betacam SP.
L’étrange histoire d’une expérience urbaine, de Julien Donada, France, 2016, 54′ (sur l’Université foraine à Rennes, Patrick Bouchain). Sarcellopolis, de Sébastien Daycard-Heid et Bertrand Dévé, France, 2015, 52’.
Quand il a fallu partir, de Medhi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, France, 2015, 48’. In jackson heights, de Frederick Wiseman, Etats-Unis, 2015, 190’.
Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, France, 2012, 104’ . Edifício Master de Eduardo Coutinho, Brésil, 2002, 110’.
Quelques émissions radiophoniques (loin d’être exhaustif) Le community organizing, du droit de vote au droit d’agir. Emission de Caroline Broué avec Elisa Lewis sur France Culture, le 08.10.2016.
Grand Paris, la folie des grandeurs ? Emission de Guillaume Erner avec Aurélien Bellanger sur France Culture, le 13.01.2017.
Quand les banlieues se prennent en main, Abdelhak El Idrissi, Catherine Petillon et Eric Chaverou sur France Culture, le 30.10.2015.
Los Angeles, laboratoire d’une renaissance politique de Sylvain Bourmeau avec Julien Talpin sur France culture, le 07.05.2016. URL : https:// www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees/los-angeles-laboratoire-d-une-renaissance-politique
Loi 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, URL : https://www.legifrance.gouv.fr/ affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032854341&categorieLien=id
http://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250271105315 Contrat de ville 2015-2020, Est Ensemble.
Protocole de préfiguration du NPNRU, quartier La Noue, Malassis, Le Plateau, Est Ensemble Grand Paris -Villes de Montreuil et de Bagnolet, 2016.
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Perrine Philippe, Mémoire de projet de fin d’études, ENSAPM, 2017
L’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) classe le quartier des Malassis (Bagnolet) Quartier prioritaire de la Politique de la Ville (QPV). Il le considère avec la même distance que lorsqu’il a été conçu, dans les années 1970, et le regard des aménageurs ne semble jamais descendre sur terre et côtoyer celui des habitants du quartier. Le plan masse domine et des réponses presque génériques sont plaquées sur des territoires pourtant bien spécifiques. La mixité sociale et le désenclavement sont les arguments principaux pour justifier la destruction des dalles, barres et tours les plus monumentales. Les reconstructions mêlent généralement logement social (pour des ménages moins pauvres qu’avant démolition – les plus pauvres s’en allant plus loin en périphérie) et logement en accès à la propriété. La résidentialisation de ces derniers immeubles permet généralement aux nouveaux habitants de la petite couronne de vivre dans un entre soi. Il semble légitime de se questionner sur les destinataires des projets de renouvellement urbain : la seule solution est-elle de remplacer une partie de la population des quartiers populaires et d’en renouveler le bâti ? Je propose un contre-projet à celui de l’ANRU, à penser pour et avec les habitants actuels des Malassis. Il me semble nécessaire de considérer les ressources en présence – le bâti sous-occupé et les dynamiques associatives notamment –, ainsi que les conditions d’organisation de la société civile et la politique de la ville en vigueur. Imaginer un empowerment des associations et des habitants peut permettre de penser différemment la requalification de la dalle Thorez, délaissée et partiellement vide depuis quinze ans déjà. Il s’agit d’accepter que les problèmes urbains ne sont pas exclusivement liés à la forme architecturale, mais qu’ils sont intrinsèquement liés à des questions de maintenance et de relations entre acteurs. Pour retrouver une nouvelle dynamique, la dalle Thorez a besoin d’une approche qui s’inspire de l’observation et de l’enquête de terrain anthropologique. L’architecte, acteur conscient de l’existence d’un réseau d’autres acteurs, peut alors envisager des solutions plus larges et co-construites localement. La requalification urbaine doit aller au-delà de l’amélioration des apparences. Elle peut être l’occasion de penser un système d’organisation pérenne, sans lequel elle ne serait qu’une illusion temporaire et imposée par des pouvoirs publics loin des réalités socio-culturelles du quartier.