PESQUISA FAPESP 2014_ ÉDITION 1
2014_ ÉDITION 1 WWW.REVISTAPESQUISA.FAPESP.BR
INNOVATION
Des entreprises et des universités s’unissent pour créer des parcs technologiques et relèvent des défis en R&D GRAND IMPACT
Les nouveaux Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepids) doivent avoir un impact sur la production scientifique au Brésil CANNE À SUCRE
Des entreprises investissent en technologie pour augmenter la production d’éthanol
JOURNALISME
La presse à sensation a aidé à diffuser la science dans les années 1950
PAULO VANZOLINI
Le zoologue et musicien qui laisse un héritage culturel multiple
Nouveaux oiseaux d’Amazonie Les quinze espèces décrites simultanément représentent la plus grande découverte ornithologique brésilienne depuis 140 ans
Recherche 2014_ÉDITION 1 WWW.REVISTAPESQUISA.FAPESP.BR
36 COUVERTURE
POLITIQUE SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE
SCIENCES
20 Infrastructure Des laboratoires d’entreprise dans des parcs universitaires enrichissent la formation des étudiants et répondent à de nouvelles demandes en recherche et développement
Le zoologue Paulo Vanzolini a été l’un des fondateurs de la FAPESP, l’auteur d’une théorie sur l’origine des espèces en Amérique du Sud et une icône de la samba pauliste
Le parasitologue évoque sa trajectoire et son talent de formateur
26 Un centre de recherche de l’Unicamp
56 Biote
réunit dans un même bâtiment des équipements modernes pour les recherches en génomique, protéomique, bioinformatique et biologie cellulaire
Une déficience hydrique et un climat semi-aride ont exigé des réponses adaptatives sophistiquées d’espèces de la caatinga
SECTIONS
28 Science de grand impact
60 Changements climatiques
6 Lettre de l’Éditrice 130 Art
Les nouveaux Centres de Recherche, Innovation et Diffusion de la FAPESP sont plus audacieux et ont plus d’impact pour la science du pays
Le caféier se développe et produit davantage dans une atmosphère riche en CO2
Quinze espèces décrites simultanément représentent la plus grande découverte ornithologique brésilienne depuis 140 ans PHOTO LÉO RAMOS
14 ENTRETIEN
48 Nécrologie
36 Collaboration Un programme mobilise des centaines d’institutions pour élargir la connaissance de la biodiversité brésilienne
40 Mobilité L’internationalisation de la recherche de São Paulo est stimulée par la venue de postdocs étrangers avec une bourse de la FAPESP
46 Workshop Des laboratoires d’entreprise dans des parcs universitaires enrichissent la formation des étudiants et répondent à de nouvelles demandes en recherche et développement
26
34 PESQUISA FAPESP 3
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62 Génétique De petites molécules d’ARN contrôlent la croissance des rameaux latéraux de la plante
64 Biologie cellulaire Une étude montre le rôle d’un type spécial d’acide ribonucléique dans le processus de propagation du cancer
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TECHNOLOGIE
HUMANITÉS
78 Biocarburants
106 Médias
En pleine crise du secteur, des entreprises investissent en technologie pour augmenter la production d’éthanol
Un journal vespéral d’Assis Chateaubriand diffusait de la technologie dans le cadre d’un projet d’extinction du « retard » brésilien
84 Énergie
66 Astronomie
Une étude encourage la production de biokérosène pour l’aviation civile
Un relevé identifie trois modèles d’évolution des galaxies
90 Agriculture
68 Physique Le choc entre les grains est le principal moteur des tempêtes de sable
70 Optique Une nouvelle technique modifie le front d’onde de faisceaux lumineux, permettant ainsi de manipuler des objets microscopiques et de transmettre plus d’informations
72 Géologie Des sismologues proposent une nouvelle explication aux tremblements de terre dans le pays
Une petite entreprise d’automatisation agricole de São Carlos obtient une reconnaissance internationale
92 Médecine Un nouvel injecteur de produit de contraste et l’achat d’un appareil à résonance magnétique de haute puissance facilitent la compréhension des causes de décès
96 Innovation Des entreprises font appel à des universités pour lancer des produits plus compétitifs
100 Ingénierie informatique Une petite entreprise développe une intelligence artificielle pour contrôler les processus industriels
102 Recherche entrepreneuriale Une nouvelle technique modifie le front d’onde de faisceaux lumineux, permettant ainsi de manipuler des objets microscopiques et de transmettre plus d’informations 4 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
110 Musique Des chercheurs du projet Móbile font une tournée pour montrer les résultats de l’union entre l’art et la technologie
114 Big data Une rencontre discute du potentiel de l’eScience et affirme le rôle important des sciences humaines
118 Sociologie L’inefficacité de la police et du judiciaire discrédite les institutions démocratiques
124 Vieillissement Une anthropologue analyse le discours qui construit une sexualité gratifiante pendant la vieillesse
128 Philosophie Un centre d’études révèle l’actualité des réflexions d’Hannah Arendt sur la responsabilité de l’acte de penser
Opportunités
de post-doctorat et de recherche au Brésil
Cinquante pour cent de toute la recherche développée au Brésil est produite dans l’état de São Paulo, qui abrite trois des plus importantes universités latino-américaines: l’USP, l’UNICAMP et l’UNESP. D’autres universités et 19 instituts de recherche se trouvent également à São Paulo, parmi lesquels l’Instituto Tecnológico de Aeronáutica (Institut Technologique d’Aéronautique – ITA), l’Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais (Institut National de Recherches Spatiales – INPE) et le Laboratório Nacional de Luz Sincrotron (Laboratoire National de Lumière Synchrotron). Sans compter une part importante de l’industrie brésilienne liée à la recherche et au développement. La Fondation d’Appui à la Recherche de l’État de São Paulo (FAPESP) est l’une des principales agences brésiliennes de financement de la recherche. Elle propose des programmes et des aides pour permettre la venue de chercheurs étrangers dans les centres d’excellence de l’état de São Paulo. Le Prix Jeunes Chercheurs fait partie de la stratégie de la FAPESP pour renforcer les institutions de recherche de l’état de São Paulo et favoriser la création de nouveaux groupes de recherche. Pour plus de renseignements, rendez vous sur le site www.fapesp.br/en/yia La Bourse de Post-doctorat de la FAPESP est destinée à des chercheurs ayant récemment obtenu un doctorat et se distinguant dans le monde de la recherche. La bourse permet de mener des recherches dans des universités, des établissements d’enseignement supérieur et des instituts de recherche de l’état de São Paulo. Les bourses de Post-doctorat sont disponibles pendant la période des inscriptions internationales ou sur demande individuelle. Dans le premier cas, les bourses à pourvoir sont annoncées sur le site www.fapesp.br/oportunidades et les candidats sont sélectionnés par une compétition internationale. Dans le second, la demande doit représenter un complément à un groupe de recherche préexistant et être en lien avec une université ou un centre de recherche de l’état de São Paulo. Des informations complémentaires sont disponibles sur le site: www.fapesp.br/en/postdoc
FONDATION D´APPUI À LA RECHERCHE DE L´ETAT DE SÃO PAULO
www.fapesp.br/en
LETTRE DE L’ÉDITRICE
FONDATION D’APPUI À LA RECHERCHE DE L’ÉTAT DE SÃO PAULO CELSO LAFER PRÉSIDENT EDUARDO MOACYR KRIEGER VICE-PRÉSIDENT CONSEIL SUPÉRIEUR ALEJANDRO SZANTO DE TOLEDO, CELSO LAFER, EDUARDO MOACYR KRIEGER, FERNANDO FERREIRA COSTA, HORÁCIO LAFER PIVA, HERMAN JACOBUS CORNELIS VOORWALD, JOÃO GRANDINO RODAS, MARIA JOSÉ SOARES MENDES GIANNINI, JOSÉ DE SOUZA MARTINS, LUIZ GONZAGA BELLUZZO, SUELY VILELA SAMPAIO ET YOSHIAKI NAKANO CONSEIL TECHNIQUE & ADMINISTRATIF JOSÉ ARANA VARELA PRÉSIDENT-DIRECTEUR CARLOS HENRIQUE DE BRITO CRUZ DIRECTEUR SCIENTIFIQUE JOAQUIM J. DE CAMARGO ENGLER DIRECTEUR ADMINISTRATIF
ISSN 1519-8774
CONSEIL ÉDITORIAL Carlos Henrique de Brito Cruz (Président), Caio Túlio Costa, Eugênio Bucci, Fernando Reinach, José Eduardo Krieger, Luiz Davidovich, Marcelo Knobel, Marcelo Leite, Maria Hermínia Tavares de Almeida, Marisa Lajolo, Maurício Tuffani, Mônica Teixeira COMITÉ SCIENTIFIQUE Luiz Henrique Lopes dos Santos (Président), Adolpho José Melfi, Carlos Eduardo Negrão, Douglas Eduardo Zampieri, Eduardo Cesar Leão Marques, Francisco Antônio Bezerra Coutinho, João Furtado, Joaquim J. de Camargo Engler, José Arana Varela, José Roberto de França Arruda, José Roberto Postali Parra, Luís Augusto Barbosa Cortez, Marcelo Knobel, Marie-Anne Van Sluys, Mário José Abdalla Saad, Paula Montero, Roberto Marcondes Cesar Júnior, Sérgio Luiz Monteiro Salles Filho, Sérgio Robles Reis Queiroz, Wagner do Amaral, Walter Colli COORDINATEUR SCIENTIFIQUE Luiz Henrique Lopes dos Santos DIRECTRICE DE LA RÉDACTION Mariluce Moura RÉDACTEUR EN CHEF Neldson Marcolin ÉDITEURS Fabrício Marques (Politique); Marcos de Oliveira (Technologie); Ricardo Zorzetto (Science); Carlos Fioravanti, Marcos Pivetta (éditeurs spéciaux); Bruno de Pierro, Dinorah Ereno (assistants d’édition) TRADUCTION VERS LE FRANÇAIS Éric René Lalagüe, Pascal Reuillard, Patrícia Reuillard et Jorge Thierry Calasans ART Mayumi Okuyama (Éditrice); Ana Paula Campos (Coordinateur); Maria Cecilia Felli, Alvaro Felippe Jr. (Assistants infographiste) PHOTOGRAPHES Eduardo Cesar, Léo Ramos MEDIAS ÉLECTRONIQUES Fabrício Marques (Coordinateur) Internet Pesquisa FAPESP online Maria Guimarães (Éditrice) Júlio Cesar Barros (Éditeur assistant) Rodrigo de Oliveira Andrade (Reporter) Radio Pesquisa Brasil Biancamaria Binazzi (productrice) COLLABORATEURS Abiuro, Daniel das Neves, Igor Zolnerkevic, Pedro Hamdan; Valter Rodrigues (Banque d’images) et Yuri Vasconcelos IMPRESSION RR Donnelly
LA REPRODUCTION TOTALE OU PARTIELLE DES TEXTES ET DES PHOTOGRAPHIES EST INTERDITE, SAUF AUTORISATION PRÉALABLE
PESQUISA FAPESP RUE JOAQUIN ANTUNES, Nº 727, 10e ÉTAGE, CEP 05415-012, PINHEIROS, SÃO PAULO-SP FAPESP RUA PIO XI, NO 1.500, CEP 05468-901 ALTO DA LAPA, SÃO PAULO-SP – Brasil
SECRÉTARIAT POUR LE DÉVELOPPEMENT ECONOMIQUE, POUR LA SCIENCE ET LA TECHNOLOGIE GOUVERNEMENT DE L’ÉTAT DE SÃO PAULO
6 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Les oiseaux d’Amazonie et la science de São Paulo Mariluce Moura DIRECTRICE DE LA RÉDACTION
L
e reportage à la Une de cette première édition internationale de 2014 de Pesquisa FAPESP, présenté à partir de la page 6, décrit simultanément15 nouvelles espèces d’oiseaux de l’Amazonie brésilienne conformément aux articles scientifiques publiés en juin dernier dans un volume spécial du Handbook of the birds of the world, œuvre de référence fondamentale pour les ornithologues, aussi bien amateurs que professionnels. Le travail représente une contribution brésilienne de la plus haute importance pour la connaissance de la biodiversité. Il correspond également à la plus grande découverte de notre ornithologie de ces 140 dernières années. Parmi les nouvelles espèces décrites, 11 sont endémiques du territoire brésilien et quatre existent également au Pérou et en Bolivie. Ensemble, elles représentent une hausse de presque 1% de la biodiversité connue d’oiseaux dans notre pays qui, actuellement, comptabilise environ 1 840 espèces, chiffre à peine inférieur à celui présenté par la Colombie, avec environ 1 900 espèces. La communication scientifique et la découverte de nouvelles espèces se fait habituellement par des revues spécialisées et non par des livres. Néanmoins, dans ce cas, l’importance et la singularité de l’ensemble décrit a incité les auteurs à réunir leurs découvertes dans l’un des 17 volumes de la collection du Handbook of the birds. Chaque espèce a fait l’objet d’un article scientifique suivant le même modèle que celui destiné aux revues spécialisées, révisé par des pairs et dûment approuvé. Quoique les oiseaux fassent partie du groupe de vertébrés le plus étudié en biologie, les ornithologues affirment qu’il reste encore beaucoup à découvrir. Les musées brésiliens exposent plusieurs exemplaires issus de différents biomes, y compris de la forêt Amazonienne, qui seront certainement décrits au cours des prochaines années. **** Ceux qui affectionnent les études prospectives ou simplement se régalent en se laissant emporter vers le futur au gré de leur imagination
ont, grâce à une nouvelle liste des 17 Centres de Recherche, d’Innovation et de Diffusion (Cepids) annoncée par la Fapesp en mai 2013, une matière-première richissime pour tracer des scénarios probables du panorama de la recherche scientifique à São Paulo dans les 10 ans à venir. Il existe, bien sûr, toujours des incertitudes, des impondérables ainsi que de possibles changements de caps économiques et politiquement choisis, si l’on n’utilise pas les premiers efforts entrepris pour percer la brume de ce qui est à venir. Cela dit, les 680 millions de dollars US d’investissements prévus pour ces centres pour les 11 prochaines années, dont 370 millions de dollars US financés par la Fapesp et 310 millions de dollars US assurés par les sièges de ces institutions pour le paiement des salaires des chercheurs et des techniciens impliqués, ébauchent sans doute une partie substantive de la future structure et des grandes lignes de force de la production du savoir scientifique à São Paulo d’ici une décennie. Ce domaine décentralisé et bouillonnant de production de nouveaux savoirs qui est en cours de construction sur le territoire pauliste, comprend des travaux dans des domaines aussi différents que la neuro-mathématique et la mathématique appliquée à l’industrie, la neuroscience et la neuro-technologie, le développement de nouvelles drogues et les thérapies cel-
lulaires, les maladies inflammatoires, l’obésité et la biomédecine, le verre et les nouveaux matériaux céramiques, l’optique et la photonique, la science et l’ingénierie computationnelle, les études de la métropole et les études sur la violence, pour n’en citer que quelques uns. Tout cela contribue à la richesse et à la diversité du secteur scientifique et technologique de l’état de à São Paulo, articulé avec les grandes tendances internationales de recherche, tout en considérant les problèmes locaux qui doivent être compris et surmontés (comme le phénomène de la violence contemporaine). En ce qui concerne ces centres, leur premier impératif est de travailler à la frontière de la connaissance. Viens, ensuite, leur compromis intrinsèque avec la création du savoir, la production d’innovations qui en découle pour leur effective appropriation et diffusion sociales, hissant les Cepids au rang des meilleures politiques adoptées pour le développement de la culture scientifique brésilienne. Notons finalement que, d’emblée, 535 chercheurs de São Paulo et 69 de pays étrangers seront mobilisés. Une équipe respectable pour un notable effort de croissance et de maximisation des retombées de la science brésilienne menée à São Paulo. Vous retrouverez davantage de détails dans le reportage présenté à partir de la page 26.
PHOTO ZIG KOCH
Nouvelle espèce de grimpar à bec en faux
Bonne lecture. PESQUISA FAPESP 7
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8 PUBLIÉ EN JANVIER 2014 PHOTOGRAPHIES 1 LUCIANO MOREIRA-LIMA 2 MARIO COHN-HAFT
COUVERTURE
Nouveaux oiseaux d’Amazonie Les quinze espèces décrites simultanément représentent la plus grande découverte ornithologique brésilienne depuis 140 ans
Marcos Pivetta PUBLIÉ EN MAI 2013
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epuis la deuxième moitié du XIXe siècle, l’ornithologie brésilienne n’apportait plus de contributions significatives en matière de biodiversité. Pour la première fois, 15 nouvelles espèces d’oiseaux amazoniens viennent d’être décrites dans plusieurs articles scientifiques qui devraient être publiés au mois de juillet dans un volume spécial de la revue Handbook of the birds of the world, et édité par l’éditeur espagnol Lynx Edicions. Ce tome clôture une collection de 17 volumes qui, pour leur caractère encyclopédique et didactique, constituent une source d’informations pour les ornithologues amateurs et professionnels. Les auteurs des descriptions appartiennent à trois institutions brésiliennes de recherche (le Musée de Zoologie de l’Université de São Paulo (MZ-USP), l’Institut National de Recherche Amazonien (Inpa), à Manaus, le Musée de l’état du Pará Emílio Goeldi (MPEG), à Belém) et le Musée de Sciences Naturelles de l’Université Publique de Louisiane (LSUMNS), aux États-Unis. Depuis 1871, date de la publication du livre Zur Ornithologie Brasiliens, les ornithologues ne présentaient plus au monde, en une seule fois et dans un seul ouvrage, un ensemble aussi varié de nouveaux oiseaux brésiliens. Dans cet ouvrage rédigé par l’autrichien August von Pelzeln (1825-1891), les 40 espèces d’oiseaux présentées ont été réunies par le naturaliste autrichien Johann Natterer (1787-
Nouvelle espèce de geai du genre Cyanocorax et déjà menacée d’extinction. On le trouve seulement au bord de prairies naturelles au sud de l’état d’Amazonie
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PESQUISA FAPESP FAPESP z 9 9
PHOTOGRAPHIES 1 FABIO SCHUNCK 2 ZIG KOCH CARTE DANIEL DAS NEVES
Poiaeiro-de-chicomendes, (ndt: tyranneau, probablement du genre Zimmerius), nom populaire de l’espèce à décrire de la famille Tyrannidae (à gauche). Ci-dessous, nouvelle espèce de grimpar à bec en faux
1
1843) lors de ses voyages en Amazonie brésilienne. Onze des nouvelles espèces découvertes sont endémiques au Brésil et quatre vivent également au Pérou et en Bolivie. Huit de ces espèces ne se rencontrent qu’à l’ouest du fleuve Madeira, dans la partie occidentale de l’Amazonie; cinq vivent exclusivement sur des terres situées entre ce fleuve et le fleuve Tapajós, au centre de la région nord; et deux espèces vivent uniquement à l’est du fleuve Tapajós, dans l’état du Pará, dans la partie la plus orientale de la forêt tropicale. Dans ce volume spécial du Handbook, les auteurs décrivent la morphologie (formes et structures), la génétique et la vocalisation (chant et sons) de ces nouvelles espèces. Des cartes spécifiques à chaque espèce indiquent également leur localisation. Cependant, le nom scientifique, certains détails anatomiques et le mode de vie de ces nouvelles espèces ne seront dévoilés que quand le livre sera officiellement publié.
P
armi ces oiseaux jusqu’à présent méconnus et jamais cités par la littérature scientifique, le plus grand et le plus spectaculaire est un geai, du genre Cyanocorax, de 35 centimètres de long, qui vit seulement au bord de prairies naturelles au milieu de la forêt qui se situe entre les fleuves Madeira et Purus, en Amazonie. «Ce geai est menacé d’extinction», déclare Mario Cohn-Haft, administrateur du département ornithologique de l’Inpa, principal découvreur du cancão-da-campina, nom populaire donné à cet oiseau. «Son habitat est menacé et nous risquons de perdre l’espèce avant d’avoir eu le temps de l’étudier à fond. On le trouve principalement dans un complexe de prairies situé à 150 kilomètres au sud de Manaus, dans une zone proche de la route nationale BR-319 qui relie la capitale ama10 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
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zonienne a Porto Velho. La route est en train d’être rénovée et les chercheurs craignent qu’un accès plus facile à ce lieu ne menace l’habitat de l’espèce. «Ce nouveau geai se rencontre également dans une zone de champs naturels au sud de l’Amazone, près de Porto Velho, où vivent de nombreux colons originaires du sud du pays et qui le confondent avec le geai azuré (l’un des symboles de l’état du Paraná)», déclare Cohn-Haft. À l’exception d’un oiseau de l’ordre des Piciformes, de la famille des toucans et des piverts, les autres espèces amazoniennes présentées à la communauté scientifique appartiennent à l’ordre des Passeriformes. Les membres de ce groupe populairement appelés passarinhos (N.D.T. petits oiseaux), représentent environ 55% des espèces d’oiseaux connues, comme les moineaux, les canaris, le tyran quiquivi et tant d’autres. Dans ce livre seront décrit, outre le geai et le parent éloigné du toucan, cinq espèces de la famille des Thamnophilidae (de laquelle font partie les grisins), quatre de la famille des Dendrocolaptidae (toutes le nouvelles forme de grimpars), trois de la vaste famille Tyrannidae (qui comprend 400 espèces présentes de l’Alaska à la Terre de Feu) et une petite famille de Polioptilidae (composée d’au moins 10 espèces, et vulgairement appelées balança-rabo (N.D.T. balance-queue). Ces nouvelles espèces amazoniennes représentent une augmentation de presque 1% de la biodiversité des oiseaux brésiliens. «Nous sommes le deuxième pays du monde en termes de nombre d’espèces d’oiseaux connues, environ 1 840», affirme Luís Fábio Silveira, administrateur du département ornithologique du Musée de Zoologie
Les 15 espèces récemment découvertes vivent dans trois grandes régions de l’Amazonie VENEZUELA
RORAIMA
GUYANA Boa Vista
COLOMBIA
SURINAM
GUAYANA FRANCESA
AMAPÁ
5
espèces
8
espèces
nas azo Am
Porto Velho
RONDÔNIA
PERÚ BOLIVIA
Ma ch ad o
Ar ag ua ia
ACRE
t Roosevel
rus Pu
PARÁ
Ta pa jó s
ira de Ma
AMAZONAS
Aripuanã
Manaos
découvertes à l’ouest du fleuve Madeira
u Xing
découvertes entre les fleuves Madeira et Tapajós
2 espèces
découvertes à l’est du fleuve Tapajós
MATO GROSSO
de l’USP, et l’un des coordonnateurs de cette initiative. «Seule la Colombie possède plus d’espèces que nous, environ 1 900. Mais d’ici 10 ans nous devrions arriver à 2 mille espèces d’oiseaux connues au Brésil. Il y a de nombreux exemplaires d’oiseaux inconnus dans les musées brésiliens provenant de différents biomes et qui seront décrits dans les prochaines années». Les oiseaux sont le groupe de vertébrés le plus étudié en biologie. Cependant, il semble qu’il y ait encore beaucoup de choses à découvrir, principalement en Amazonie, bien que ce biome ait déjà fait l’objet de nombreuses recherches au cours de ces dernières décennies. «La Biodiversité de manière générale, et même celle d’oiseaux appartenant à ce biome, est loin d’avoir été totalement identifiée», déclare l’ornithologue Bret Whitney, chercheur au Musée de Sciences Naturelles de l’Université Publique de Louisiane et principal coordonnateur de cette entreprise. «Il reste beaucoup à faire pour connaitre suffisamment l’Amazonie et mettre ainsi en œuvre un plan d’action durable destiné aux réserves de la biodiversité actuelle et future». Parallèlement à sa vie académique, Whitney est l’un des associés d’une entreprise d’écotourisme, Field Guides, qui emmène
Une telle quantité de nouvelles espèces d’oiseaux brésiliens n’avait jamais été décrite simultanément depuis le XIXe siècle
les personne observer les oiseaux dans différents points du globe, y-compris en Amazonie. Parmi les dizaines d’expéditions réalisées en Amazonie ces dix dernières années et qui ont débouché sur la découverte de nouvelles espèces, certaines ont été soutenues, totalement ou partiellement, par un projet de Silveira financé par la FAPESP. D’autres expéditions ont reçu le soutien du CNPq, du Ministère de l’Environnement, du Programme de Belém Recherche en Biodiversité du Ministère des Sciences et de la Technologie, des Secrétariats des états et même de la National Geographic Society. L’année dernière, dans l’une MARANHÃO de ces incursions en forêt tropicale, deux dizaines de chercheurs et des étudiants de troisième cycle universitaire rattachés aux institutions enPalmas gagées ont loué pendant un mois et pour un montant de 75 mille reais, un bateau pour parcourir le fleuve TOCANTINS Sucunduri, un affluent du fleuve Madeira, à la recherche de nouvelles espèces d’oiseaux. Toca ntin s
Habitat des nouveaux oiseaux
À
certains moments, les scientifiques ont eu même besoin de protection armée pour entrer dans des régions qui pouvaient abriter de nouvelles espèces d’oiseaux. L’habitat type d’une des nouvelles espèces, un grimpar à bec en faux, est la Forêt Nationale d’Altamira, près de la route nationale BR-163, dans le sud de l’état du Pará. Cette zone est une unité de conservation de l’Ibama. «Pour pouvoir travailler en toute sécurité, nous étions escortés par des soldats de l’armée brésilienne car il y avait un camp d’orpailleurs illégaux en activité dans la réserve», raconte Aleixo, du département ornithologique du MPEG. «La tension est grande dans ce type d’endroit et sans la présence de l’armée nous n’aurions pas réussi». De nos jours, les nouvelles espèces découvertes sont décrites dans des revues scientifiques et non plus dans des livres. Mais l’importance et la singularité de l’ensemble des nouvelles espèces d’oiseaux amazoniens ont encouragé les éditeurs de l’encyclopédie et les auteurs à emprunter une autre voie. Chaque nouvelle espèce a fait l’objet d’un article scientifique indépendant, comme cela aurait été le cas pour une revue académique. L’équipe de la revue Handbook s’est attachée les services d’un groupe de spécialistes afin d’exécuter un processus de révision mené par des pairs et d’approuver les textes contenant les descriptions formelles de chaque espèce. Pour la Science, le texte qui décrit et qui baptise une nouvelle forme de vie avec un PESQUISA FAPESP 11
Le chant des oiseaux Des graphiques montrent les différences sonores entre les vocalisations d’espèces similaires au genre Herpsilochmus (à côté) 4 3 2
Fréquence (kHz)
1 0 4 3 2 1 0 4 3 2 1 0 0.5
1
1.5
2
nom en latin composé de deux termes (genre et espèce), équivaut à un certificat de naissance de l’espèce. Il s’agit également d’une documentation fondamentale sur la biodiversité d’une région dans le cas des oiseaux amazoniens et elle permet également de formuler des politiques publiques de nature environnementale.
L
a publication simultanée de toutes les nouvelles espèces a pris forme l’année dernière et a été coordonnée par Whitney, Silveira, Cohn-Haft et Aleixo, avec la participation constante d’étudiants de troisième cycle universitaire. Le groupe allait rédiger des textes destinés au 17ème volume du Handbook, apportant des informations sur les nouvelles espèces d’oiseaux découvertes dans le monde, entre 1992 et 2011. Les espèces formellement décrites par la science durant cette période ne faisaient pas partie des 16 autres tomes de la collection qui résume et organise les données de chaque membre de familles d’oiseaux connues. Ce volume spécial devait concerner tout d’abord 68 espèces déjà décrites formellement dans des articles publiés dans des revues scientifiques au cours de ces vingt dernières années, ce qui donne une moyenne de 4 nouvelles espèces découvertes par an. À la fin, le livre concernera 83 espèces, incluant les 15 amazoniennes et dont la première description scientifique sera faite exceptionnellement dans ce livre. En choisissant de révéler simultanément les nouvelles espèces dans un seul ouvrage, l’idée du groupe était d’attirer l’attention sur l’importance de la préservation de la biodiversité en Amazonie où vivent les deux tiers des espèces d’oiseaux présentes au Brésil. «Si nous avions publié chaque article séparément dans des revues différentes, l’impact ne serait pas le même», déclare Silveira. 12 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
2.5
3
Temps (s)
Le Brésil est le deuxième pays du monde en termes d’espèces d’oiseaux connues, environ 1 840 L’acte de rechercher des oiseaux dans un milieu naturel nous renvoie à l’image d’un individu en bermuda, t-shirt, chapeau et jumelles à la main. Un appareil photo complèterait peut-être également ce décor. Il y a cependant un objet non mentionné mais qui est incontournable pour les ornithologues et qui est le magnétophone. La plupart des 15 nouvelles espèces a été tout d’abord identifiée par leurs chants qui, aux oreilles des spécialistes, possédaient un caractère différent ou peu familier. «Il n’est pas nécessaire d’être surdoué pour reconnaître un chant différent. C’est une question d’entrainement», explique Whitney. «C’est comme si vous reconnaissiez au premier accord une nouvelle musique de votre groupe favori». Il y a 20 ans, la description d’une nouvelle espèce d’oiseau ou de la plupart des êtres vivants, se basait seulement sur la singularité de son anatomie et sur son apparence extérieure. Si le plumage et la structure osseuse d’un exemplaire différait significativement des traits appartenant aux espèces connues, cette animal pouvait être étiqueté comme appartenant à une nouvelle espèce. De nos jours, outre la morphologie, d’autres critères fondamentaux sont utilisés pour proposer l’existence de nouvelles espèces d’oiseaux comme l’analyse de leurs vocalisations et de leur matériel génétique. «Actuellement, certains chercheurs proposent même l’existence d’une nouvelle espèce d’oiseau quand seulement l’un de ces trois critères diffère des autres espèces
PHOTOGRAPHIES FABIO SCHUNCK
Bico-chato-do-sucunduri (NT: platyrhynque du genre Tolmomyias, ci-dessus). Nouvelle espèce de la famille des Bucconidae (à droite)
connues», affirme Silveira. «Dans notre travail, nous avons été plus conservateurs et nous n’avons proposé une nouvelle espèce que quand nous trouvions des différences sur au moins deux de ces critères».
L
e chant de chaque candidat à une nouvelle espèce d’oiseau a été comparé aux vocalisations homologues d’espèces similaires à l’aide de logiciels spécialisés. Il a suffit parfois de quelques secondes de comparaison pour confirmer la première impression captée par l’oreille affutée des ornithologues. Les fréquences sonores émises par les nouvelles espèces étaient différentes des chants produits par des oiseaux apparentés, même pour certaines espèces qui morphologiquement étaient extrêmement similaires. Pour chaque oiseau découvert, les chercheurs ont également séquencés des milliers de paires de bases de gènes présente dans l’ADN nucléaire et dans les mitochondries, organites cellulaires de la production d’énergie qui possèdent leur propre génome, et fréquemment utilisées dans des études de phylogéniques. Le matériel génétique a été comparé à l’ADN d’espèces connues pour vérifier sa singularité et élaborer, quand cela était possible, des relations de parenté ou un arbre phylogénétique de la nouvelle espèce. «La confirmation qu’il s’agissait d’espèces différentes n’a été réellement obtenue que grâce à l’inclusion de l’aspect génétique pour une bonne partie des oiseaux que nous décrivons», explique Aleixo. «Ceci renforce l’importance du prélèvement du matériel génétique au cours de la collecte scientifique de spécimens, chose qui n’est malheureusement pas adoptée par les différents musées et collections brésiliens». Les études génétiques peuvent révéler des informations précieuses sur l’origine des espèces. L’his-
toire évolutive de deux nouveaux oiseaux désormais décrits, deux grisins du genre Herpsilochmus, illustre bien le type de contribution apportée par cette approche. Les deux espèces sont pratiquement identiques sur le plan morphologique, mais leurs vocalisations sont nettement différentes. L’un des oiseaux vit sur une partie de la rive droite du fleuve Madeira et l’autre vit seulement sur la rive gauche. Dans ce cas, le fleuve Madeira qui peut faire pratiquement 10 kilomètres de large à certains endroits, fonctionne comme une barrière naturelle entre les deux populations d’oiseaux qui n’ont plus de contact entre elles. La séparation prolongée des deux groupes de grisins a déclenché ce processus évolutif que les biologistes appellent spéciation. L’apparition d’une nouvelle espèce, dans ce cas là de deux, est le résultat de la fragmentation d’une population ancestrale commune et se produit de nos jours dans des environnements sans communication (effet de vicariance). Malgré les grandes similitudes morphologiques entre les deux populations de grisins, les études génétiques montrent, et il s’agit réellement d’une donnée surprenante, que ces population d’oiseaux ont été isolées par le fleuve Madeira il y a deux millions d’années. Le rôle des grands fleuves amazoniens, qui sont des barrières infranchissables pour de nombreuses espèces dans l’apparition de nouvelles formes de vie, est bien connu de la science. Selon les ornithologues, la nouveauté réside dans le fait que même des cours d’eau moins monumentaux peuvent avoir cette fonction dans certains cas comme dans la région située entre les fleuves Aripuanã et Machado, au sud de l’état d’Amazonie et au nord de l’état Rondônia, pour l’un des deux grisins mentionnés ci-dessus, la choquinha-do-rio-roosevelt (N.D.T. grisin du fleuve de roosevelt) et le cantador-de-rondon (N.D.T. chanteur de rondon), noms populaires données à ces oiseaux. Cette zone, traversée également par le fleuve de Roosevelt, fonctionne comme un refuge pour de petites espèces d’oiseaux, qui y sont «emprisonnées» et finissent avec le temps par développer des caractéristiques propres à l’intérieur du territoire entre les rives des cours d’eau. «Certains fleuves amazoniens ont changé leur cours durant l’histoire évolutive», affirme Silveira. «Parfois, ce processus d’accommodation des lits de fleuve provoque la séparation de populations d’oiseaux qui vivaient auparavant dans le même environnement». Les nombreux fleuves qui serpentent dans la plus grande forêt tropicale du monde sont une abondante source de biodiversité, à l’intérieur et hors de leurs eaux. n Projet Systématique, taxonomie et biogéographie des oiseaux néo-tropicaux: les Cracidae comme modèle (2007/56378-0); Modalité Ligne Régulière de Soutien au Projet de Recherche. Coordination Luís Fábio Silveira – MZ-USP; Investissement 86 928,28 de reais (FAPESP).
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Michel Rabinovitch
LÉO RAMOS
ENTRETIEN
Une méthode pour inoculer la science Neldson Marcolin et Ricardo Zorzetto PUBLIÉ EN MAI 2013
L
orsqu’il recherche un texte de référence, le professeur Michel Pinkus Rabinovitch ouvre un fichier sur son ordinateur qui contient une infinité d’autres fichiers, tous relatifs à un thème d’étude ou d’intérêt. Les sujets sont extrêmement variés et tous renvoient à un domaine de la science. Lorsqu’il nous a accordé cet entretien au début de l’année 2013, il menait une étude sur une petite molécule prétendument toxique pour les tumeurs ainsi que des recherches sur la vie de certains scientifiques pour composer des textes sur l’histoire de la science. La curiosité intellectuelle, innée chez tout chercheur qui se respecte, reste intacte chez ce professeur qui était sollicité par les étudiants intéressés par la recherche à la Faculté de Médecine de l’Université de São Paulo (FMUSP) dans les années 1950. D’abord intéressé par l’hématologie, Rabinovitch a obtenu son diplôme en 1949 et son doctorat deux ans plus tard, avant de devenir professeur adjoint d’histologie et d’embryologie en 1959. Après 15 années à l’USP, où il a dirigé et formé une génération brillante de jeunes*, le scientifique a quitté le Brésil en 1964 après avoir
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été menacé par le régime militaire. À partir de là, il a passé 33 ans dans des institutions nordaméricaines et française. Il a été chercheur et professeur à l’Université Rockefeller et à l’École de Médecine de l’Université de New York, où il a accueilli les chercheurs brésiliens Bernardo Mantovani, Momtchilo Russo et Clara Barbieri Mestriner ; et à l’Institut Pasteur de Paris, où il a dirigé les travaux de Silvia Celina Alfieri, Liège Galvão Quintão et Patrícia Veras. Il a étudié la biologie cellulaire, fait des recherches sur des protozoaires et des bactéries et fait la connaissance de chercheurs tels que Hewson Swift, Daniel Mazia, Zanvil Cohn, Rollin Hotchkiss et Ralph Steinman, entre autres. Rabinovitch est rentré définitivement au Brésil en 1997. Il a alors rejoint l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp), à São Paulo, où il a à nouveau dirigé des chercheurs. Aujourd’hui encore, il participe à la direction de travaux d’étudiants et assiste aux réunions scientifiques du secteur de parasitologie et de microbiologie. À 87 ans, Rabinovitch vit dans un appartement rempli de livres près de l’université, où il se rend à pied. Dans cet entretien, il évoque sa longue et riche trajectoire scientifique au Brésil et à l’étranger.
ÂGE: 87 ans SPÉCIALITÉ: Parasitologie et biologie cellulaire FORMATION: Université de São Paulo (master et doctorat) Université de Chicago (post-doctorat) INSTITUTIONS: Université de São Paulo Université Rockefeller Université de New York CNRS/ Institut Pasteur INSTITUTION ACTUELLE: Université Fédérale de São Paulo
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Vous êtes connu pour avoir formé des chercheurs comme Ricardo Brentani, Nelson Fausto, Thomas Maack et Sérgio Henrique Ferreira, entre autres. Qu’est-ce qui a favorisé la formation de gens si qualifiés ? Plusieurs facteurs. Dans les années 1950, il existait certains groupes excellents de recherche fondamentale à l’Institut Biologique, à l’Institut Butantan et à la Faculté de Philosophie de l’USP. J’ai moi-même assisté aux conférences qui avaient lieu les vendredis après-midi à l’Institut Biologique sous la présidence d’Henrique da Rocha Lima. À la même époque, la recherche dans les disciplines de base de la FMUSP était limitée à quelques chercheurs isolés mais excellents parmi lesquels Floriano Paulo de Almeida, Carlos da Silva Lacaz et Wilson Teixeira Beraldo. À la fin des années 1940, le quatrième étage de la FMUSP a accueilli pendant quelques années une initiative pionnière mais dont on se souvient peu aujourd’hui : le Laboratoire sur le Cancer Andrea et Virginia Matarazzo, dirigé par Piero Manginelli, qui a fait venir la culture de tissus et la cancérologie à la Faculté de Médecine, comme l’avait fait Robert Archibald Lambert dans les années 1920. Les grands changements du milieu du siècle au niveau des disciplines de base de la faculté ont débuté avec Luiz Carlos Junqueira, suivi par Isaias Raw et Alberto Carvalho da Silva. Avant cela, les opportunités d’apprentissage de la science expérimentale étaient rares. Les étudiants intéressés par la recherche clinique s’adressaient à l’Hôpital des Cliniques, qui abritait déjà des cliniciens chercheurs de haut niveau comme Michel Abujamra, mon guide et ami de toujours, Helio Lourenço de Oliveira, José Barros Magaldi et Dirceu Pfuhl Neves. Dans ce contexte, j’étais un franc-tireur informel, peu autoritaire, tout juste rentré d’une excellente expérience aux ÉtatsUnis, 10 à 12 ans plus vieux que les étudiants, intéressé par la musique, la lecture et le rôle de la science dans la société. En outre, ma vie personnelle me permettait une convivialité avec les étudiants à l’intérieur et à l’extérieur du laboratoire. Je pense que ces facteurs ont contribué à cet événement historique, difficile à reproduire aujourd’hui.
Le professeur Brentani a dit dans un entretien que les jeunes doués pour la recherche à la FMUSP étaient orientés par les professeurs « à entrer en contact » avec vous. Ricardo était attiré par la recherche, il m’a contacté et on a beaucoup travaillé ensemble – et on s’est beaucoup amusé aussi. Le département d’histologie était vraiment le meilleur de la faculté ? En 1946 ou 1947, la science au département d’histologie et d’embryologie restait tournée vers l’anatomie microscopique, l’embryologie et la tératologie : elle était descriptive, traditionnelle, prémoderne. Les instruments utilisés étaient les microscopes, microtomes, étuves et colorants. J’ai appris les techniques avec José dos Santos, un technicien remarquable. Pour la compréhension de la physiologie et de
centrifugeuses, électrophorèse, balances, spectrophotomètres, collecteur de fractions, microscopie, microcinématographie, entrepôts de colorants et de produits pour l’histochimie. Pour Junqueira, la recherche concernait aussi bien la microstructure que l’histophysiologie, l’histochimie, l’autoradiographie, l’étude de cellules vivantes et l’approche chimique et biochimique, initialement développée par Hannah Rothschild et, plus tard, par José Ferreira Fernandes et d’autres. Généreusement financé par les agences de soutien à la recherche Capes et CNPq, le département a formé un grand nombre d’étudiants et de post-doctorants de São Paulo et d’autres états ; certains sont devenus des membres du département, comme José Ferreira Fernandes, Ivan Mota ; d’autres, comme Chapadeiro, Tafuri (tous deux de l’état de Minas Gerais) et José Carneiro S. Filho ont eu des carrières brillantes. Junqueira a aussi fait venir à la FMUSP des professeurs étrangers de haut niveau, qui venaient quelques jours pour donner des miniconférences de grande qualité. Parmi eux, Eleazar Sebastián Guzman-Barron, Johanes Holtfreter et George Gömöri. Ce fut la première révolution des sciences fondamentales de la FMSUP, suivie peu après par les métamorphoses de la biochimie, de la physiologie et de la parasitologie opérées par Isaias Raw, Alberto Carvalho da Silva et par les confrères de Samuel Pessoa, comme le couple Deane, Luiz Hildebrando Pereira da Silva et le couple Nussenzweig.
Ma mère est morte d’une leucémie aiguë et mon père d’une tumeur au rein. C’est pour cela que j’ai étudié la médecine
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la pathologie, on enseignait juste le nécessaire aux étudiants en médecine. Et c’était pareil dans les autres départements. Le professeur José Oria se rendait compte qu’un changement était nécessaire. Il m’a lui-même donné un volume d’un symposium de Cold Spring Harbour de 1947 sur les acides nucléiques. En 1948, la prise de pouvoir de Junqueira qui, à 28 ans, possédait un doctorat, enseignait et avait été recruté sur concours, a révolutionné le département – rebaptisé à l’occasion Département de Biologie Cellulaire. Après un incident pittoresque, l’occupation éclair d’un grand espace libre au second étage a permis la construction d’un vaste laboratoire aéré, richement meublé par la Fondation Rockefeller avec chambre froide,
Pourquoi avoir choisi d’étudier la médecine ? J’ai perdu mes parents tôt. Ma mère est morte d’une leucémie aiguë et mon père d’une tumeur au niveau du rein. Ils avaient 46 et 47 ans. C’est pour ça que j’ai étudié la médecine. Avant cela, je me préparais pour des études d’ingénierie, la profession de mon père. Je me suis intéressé à l’hématologie à cause de la leucémie et j’ai choisi Oria puis Michel Abujamra comme mentors. Un de mes premiers articles s’intitule Aspectos citoquímicos da célula leucêmica [Aspects cytochimiques de la cellule leucémique]. Je suis entré à la faculté en 1944 et j’ai eu mon diplôme en 1949. Mon père a
suivi sa formation à Lausanne, où il a fait la connaissance de l’artiste plastique brésilien Antonio Gomide, qui a insisté pour qu’il vienne s’installer au Brésil. Il est venu. D’abord dans l’état du Rio Grande do Sul, puis à São Paulo. Il existe encore des bâtiments qui ont été construits par l’agence dont mon père était associé. Il a connu ma mère à São Paulo ; elle était venue d’Odessa, en Ukraine, en 1910. La famille de votre mère a émigré avant ? Mon grand-oncle maternel, Jacob Zlatopolsky, est le premier à être venu au Brésil. Il est arrivé tout seul en 1888, à l’âge de 18 ans. Il a travaillé dans une typographie à Brás, est devenu patron de l’affaire et a ouvert une papeterie au 21A de la rue São Bento. Je me souviens encore de l’odeur du crayon allemand Faber, de cette odeur de cèdre qui y régnait. Il a fait venir sa famille qui habitait à Genève en 1910. Il a fini par se marier avec une nièce, Genia, qui n’a pas eu d’enfants et avec qui moi et mes frères et sœurs avons habité après la mort de mes parents.
copie Électronique d’Isidore Gerch, un excellent scientifique. Il développait une méthode pour la microscopie électronique de coupes ultrafines de tissus congelés et disséqués. Je me suis rendu compte que ce n’est pas cela que je voulais faire, et avec le consentement de la Fondation Rockefeller j’ai rejoint le département de médecine de la même université avec Eleazar Sebastián Gusman-Barron, qui dirigeait alors Hannah Rothschild, la collaboratrice de Junqueira. Les chercheurs allaient aussi à l’étranger ? Oui, ce fut le cas d’Hannah, le mien, et plus tard celui de Ferreira Fernandes, Ivan Mota et d’autres. Gusman-Barron m’a proposé de vérifier si la molécule de la ribonucléase pancréatique avait un groupe sulfhydrile libre comme le pensaient des chercheurs belges. Barron m’a demandé d’utili-
et Daniel Mazia, un autre biologiste qui a formé des générations de chercheurs. Après le cours de biologie cellulaire, ceux qui le voulaient pouvaient rester jusqu’à la fin de l’été. Je suis resté. Ils m’ont cédé un espace et j’ai monté une expérience pour tenter d’étudier la synthèse de rhodopsine dans l’œil de la grenouille. Ça n’a abouti à rien, mais j’ai plu à Mazia et il m’a invité à travailler dans son laboratoire à Berkeley. La Fondation Rockefeller a donné son accord. Ça n’a duré que 4 mois, mais ça a valu la peine. Pourquoi cette période a-t-elle été importante ? Parce que j’ai collaboré à un projet extrêmement important. Mazia a réuni trois scientifiques de haut niveau : Walter Plaut, qui dominait les techniques d’autoradiographie de haute résolution ; David Prescott, un biologiste cellulaire excellent ; et Lester Goldstein, spécialisé dans la micromanipulation et la microchirurgie de cellules avec microscope. Ils ont réussi la première démonstration solide de l’ARN qui sort du noyau et va dans le cytoplasme. Ils avaient pour cela marqué le noyau d’amibes avec du phosphate radioactif. Le noyau marqué était transféré vers une autre amibe à laquelle on avait retiré le noyau. Le passage de l’isotope au cytoplasme était démontré par autoradiographie. Ils avaient d’abord pensé que l’isotope était associé à l’ADN. Comme je travaillais dans le laboratoire d’Hewson, je connaissais une méthode très simple pour voir si l’isotope était dans l’ADN ou l’ARN. Je leur ai démontré que le phosphate était dans l’ARN et que c’était l’ARN qui migrait vers le cytoplasme.
À la faculté, je séchais les cours pour travailler dans le laboratoire, en sachant déjà que j’allais devenir chercheur
Vous avez déjà commencé à faire de la recherche quand vous étiez étudiant de graduação [2e cycle] ? Mon premier article date de 1947, quand j’étais en quatrième année de graduação. Je séchais des cours pour travailler au laboratoire parce que savais que j’allais devenir chercheur. Je n’ai jamais fait un seul accouchement dans la vie. Mon premier article a été publié en français dans la revue Revista Brasileira de Biologia. Il traitait du dimorphisme sexuel de la glande sous-maxillaire de la souris, un modèle qui a ensuite été largement exploré par Junqueira et ses collaborateurs. Le thème avait été suggéré à Junqueira par le radiobiologiste français A. Lacassagne, qui a découvert pendant la Seconde Guerre mondiale le dimorphisme sexuel des sous-maxillaires de souris ; il est venu à la FMUSP probablement en 1946. Quand êtes-vous allé à Chicago ? De septembre 1953 à septembre 1954, j’ai été boursier de la Fondation Rockefeller à l’Université de Chicago. J’ai commencé à travailler dans le laboratoire de Micros-
ser des inhibiteurs et de mesurer l’activité enzymatique. Je l’ai fait et j’ai publié avec lui un article pour montrer les résultats. À Chicago, j’ai aussi eu l’opportunité de connaître le remarquable biologiste et être humain Hewson Swift, du département de zoologie. De là vous êtes allé en Californie ? Je suis allé à l’Université de Californie à Berkeley sur l’invitation de Daniel Mazia. Je m’ennuyais à Chicago et j’ai décidé de suivre le cours de physiologie cellulaire au Marine Biological Laboratory à Woods Hole, près de Boston, durant l’été 1954. Parmi les professeurs il y avait James Watson et George Wald. Et par un concours de circonstances, il y avait là Hewson Swift
Vous avez publié avec eux ? J’ai publié un article avec Plaut en 1956 sur ce qui se passait quand le noyau marqué était transplanté sur une cellule nucléee. Nous sommes devenus amis. Après que Plaut ait rejoint l’Université de Wisconsin, Madison. Il est venu au Brésil deux fois et a donné un cours à l’USP. À Wisconsin, Plaut pensait avoir rencontré une synthèse d’ADN dans le cytoplasme d’amibes et pensait qu’il était question d’ADN mitochondrial. Lors d’une visite de son laboratoire, PESQUISA FAPESP 17
j’ai démontré que l’incorporation d’isotope était due à la présence de bactéries symbiontes dans les amibes qu’il utilisait. Il a été convaincu et nous avons publié deux articles sur cela dans le Journal of Cell Biology. Dans une autre étude, nous avons démontré que les symbiontes se multiplient sans contrôle dans les amibes énucléées. Ce travail a été fait aux États-Unis. Avezvous réussi à faire quelque chose de similaire au Brésil ? Beaucoup plus tard, de retour à São Paulo, à l’Unifesp, j’ai commencé à infecter des cellules énucléées avec plusieurs pathogènes. Comment s’est passé votre retour au Brésil après ce premier séjour à l’étranger ? Je suis revenu en 1955. C’est à ce moment que beaucoup d’étudiants talentueux sont venus travailler avec moi. J’ai dit que j’avais travaillé sur la ribonucléase [type d’enzyme qui catalyse la dégradation de l’ARN] au laboratoire de Gusman-Barron. Nous nous sommes demandés : estce qu’il y a de la ribonucléase dans le sang ? Il y en avait. Estce qu’il y en a dans le sérum ? Pourquoi ne pas chercher à savoir d’où vient celle du sérum ? Pour ces recherches se sont joints à nous Sergio Dohi, Thomas Maack, Brentani, Nelson Fausto. Des expériences avec le retrait de reins de différentes espèces d’animaux ont suggéré que le rein filtrait la ribonucléase. En coopération avec des collègues du département de néphrologie, nous avons démontré que l’activité de la ribonucléase sérique était aussi élevée chez les patients souffrant d’insuffisance rénale. Le rein filtre et dégrade l’enzyme. Dans une expérimentation classique suggérée par le néphrologue Israel Nussenzweig de l’USP, l’urine des uretères du chien était déviée vers le système veineux. Dans ce cas, le chien développait une urémie, mais la ribonucléase sérique ne montait pas.
Le 1er avril 1964, j’ai été nommé professeur à Brasília. Je n’y suis pas allé. Vous avez été nommé mais vous n’y êtes pas allé. Si j’y allais, je ne pourrais pas quitter le Brésil et serais jeté en prison. Je faisais très peu de politique, mais plusieurs de mes étudiants étaient trotskistes, d’autres communistes, et j’étais accusé d’être leur mentor. Mais je n’ai jamais fait partie du Parti Communiste. Je n’aime pas le pouvoir aux mains d’un petit nombre ni les partis politiques, je suis anarchiste. Soudain vous vous êtes retrouvé sans emploi, pas plus à l’USP qu’à l’UnB. Oui. Je n’ai pas été atteint par l’AI-5 [NT : Ato Institucional nº5, le cinquième d’une série de décrets promulgués par la dictature brésilienne après le coup d’État de 1964] parce que j’ai quitté le pays. Le 1er avril, une Commission d’Enquête a été installée à l’USP et elle a commencé à enquêter sur moi. Le repré-
de São Paulo à Brasilia. Je me suis réfugié chez mon cousin José Mindlin, où des amis m’ont rendu visite, mais pas les flics. Vous êtes resté caché pendant combien de temps ? Une dizaine de jours. Walter Plaut, qui avait eu vent de ma situation, m’a écrit pour me dire qu’il y avait un travail pour moi à Madison. C’était une possibilité, mais je préférais aller à l’Université Rockefeller parce que j’étais intéressé par les travaux de Cohn et Hirsch sur les lysosomes [organites cellulaires]. Pourquoi n’êtes-vous pas revenu après l’amnistie ? Parce que j’avais déjà une épouse et des enfants. En plus, quand ils ont tué Vladimir Herzog j’étais tellement en colère que j’ai remis mon passeport au consulat brésilien de New York et je me suis retrouvé sans nationalité. Je pensais que ces atrocités n’allaient jamais finir. J’ai dû demander la nationalité américaine. Vous vous souvenez de Frei Tito [Alencar de Lima], emprisonné et torturé par les militaires ? C’est moi qui ai traduit en anglais son article publié dans la revue Look en 1970. On faisait ce qu’on pouvait pour aider. Quand je suis revenu, le président était Fernando Henrique Cardoso et il m’a rendu ma citoyenneté brésilienne. Et José Goldemberg, qui était alors recteur de l’USP, a validé mon droit à la retraite. Et aujourd’hui je suis professeur émérite. C’est beau, non ?
Quand ils ont tué Vladimir Herzog, j’étais tellement en colère que j’ai restitué mon passeport
Qui vous a invité à rejoindre l’Université de Brasília (UnB) en 1964 ? Intéressé par le fantastique projet de l’UnB, j’ai posé ma candidature et écrit au professeur Maurício Oscar da Rocha e Silva, qui était alors responsable de la biologie. Je suis allé deux fois à Brasília pour des réunions avec Antonio Cordeiro et d’autres. 18 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
sentant de la répression à la faculté était le professeur Geraldo de Campos Freire, que j’ai contacté pour lui demander pourquoi il était en train d’enquêter sur moi. Il m’a répondu que ma conscience devrait le savoir. Ils ont arrêté Thomas Maack. Pendant la réunion de la SBPC [Société Brésilienne pour le Progrès de la Science] à Ribeirão Preto, des flics sont venus arrêter Luiz Hildebrando Pereira da Silva et moimême. En bon communiste qu’il était, Hildebrando est sorti en premier, s’est livré et a été emprisonné. Mauricinho Rocha e Silva [fils de Maurício Oscar da Rocha e Silva] m’a prévenu qu’ils me cherchaient et il m’a emmené à São Paulo dans sa coccinelle. Je n’ai plus jamais revu ma Ford Willis qui était destinée à transporter hommes et bagages
On a enquêté sur vous ? Oui, mais je n’étais pas au Brésil. On m’a jugé trois fois, mais j’ai été innocenté à chaque fois. Cela a été fait par un comité d’enquête de la police militaire, à mon insu. Mon avocat était Mário Simas, qui a aidé beaucoup de gens de gauche. L’ironie, c’est que je dois ma carrière à l’étranger aux militaires. J’ai passé 16 ans aux États-Unis, 15 en France et je suis revenu il y a 17 ans. Pourquoi êtes-vous allé en France ? Entre 1980 et 1981 j’ai pris une année sabbatique pour aller à l’Unité de Parasitologie Expérimentale de l’Institut Pasteur, pour étudier la leishmaniose avec Jean-Pierre Dedet dans le laboratoire dirigé par Luiz Hildebrando. Je suis rentré à New York
et j’ai commencé des projets sur les vacuoles parasitophores de macrophages infectés. En 1984 s’est présentée l’opportunité de travailler au Centre National de la Recherche Scientifique, installé dans l’Institut Pasteur. Je ne pouvais pas refuser. Votre seconde épouse était américaine ? Odile Levra était Suisse, mais elle vivait à New York. J’ai eu deux filles américaines. Miriam, la plus âgée, vit à Paris, et avec Serge elle a eu ma seule petite-fille, Eleonor, de 4 ans, le petit, grand amour de ma vie. Caroline, ma fille cadette, vit à New York. Elle est diplômée en cinéma et écrivain potentielle. Pourquoi êtes-vous reparti à New York après Paris ? Pendant ma première période à la Rockefeller, des amitiés de longue date se sont forgées. Un de mes amis était Jim Hirsch, qui travaillait sur la tuberculose et ensuite les neutrophiles, les macrophages, la chimiotaxie et la phagocytose. Jim est décédé en 1987. Zanvil Cohn était passionné par les macrophages et ses multiples fonctions. Quand il a su que j’allais prendre ma retraite à Pasteur en 1994, il m’a écrit pour m’inviter à passer un an à la Rockefeller. Malheureusement, Cohn est mort subitement. Mais son successeur, Ralph Steinman, a tenu à maintenir l’invitation. C’est comme ça que j’ai passé un an de plus à la Rockefeller avant de revenir au Brésil. Cette année-là, j’ai travaillé dans le laboratoire de Gilla Kaplan ; j’ai coinfecté des cellules avec la Coxiella burnetii phase II et le Mycobacterium tuberculosis. Malheureusement, Ralph est aussi décédé. Sa place a été reprise par le brésilien Michel Nussenzweig [fils de Ruth et Victor], qui a été mon étudiant au cours de médecine de l’Université de New York.
maine ou animale, occupe aussi de grandes vacuoles aux caractéristiques de lysosomes [autre type de vacuole] similaires à celles de la leishmaniose. J’ai comparé les capacités de fusion des vacuoles de Leishmania et de Coxiella avec de petit phagolysosomes contenant des particules inertes. J’ai écrit un article avec Denise Mattei et Patrícia Veras, de l’état de Bahia, qui faisait son postdoctorat avec moi. Un jour, j’ai eu une idée pendant que je prenais un bain. Il y a au laboratoire deux pathogènes qui vivent dans des lysosomes. Qu’est-ce qui se passerait si une même cellule était infectée par les deux ? Ils seraient dans des compartiments séparés ou partageraient les mêmes vacuoles ? J’ai fait le test. Le même jour, des cellules infectées par Coxiella ont aussi été infectées par Leishmania amazonensis. Le jour suivant, plusieurs Leishmania se trouvaient dans les vacuoles des Coxiella. En plus, les Leishmania se divisaient dans les vacuoles empruntées et se transformaient réversiblement en promastigotes flagellés. Mais l’ex-
vacuoles serrées peuvent aussi pénétrer de cette manière dans les vacuoles occupées par la Coxiella. Cependant, ce modèle n’a pas encore été suffisamment étudié. Comment êtes-vous revenu au Brésil et pourquoi l’Unifesp ? J’avais des confrères et amis à l’École Paulista de Médecine de l’Unifesp ; ils me connaissaient bien et m’ont invité à venir travailler avec eux. Je n’ai pas regretté. Vous y exercez encore ? Je suis retraité de l’USP et professeur collaborateur de l’Unifesp. Je ne reçois pas de salaire de l’Unifesp, mais j’y ai un laboratoire et un petit bureau que j’utilise encore. Je participe à des séminaires et à des réunions dans deux disciplines, et j’oriente quelques étudiants et autres, quand je suis sollicité. De temps en temps, je suis invité à donner des séminaires sur l’histoire, la sociologie et la politique de la science, par exemple. Nous aimerions conclure cet entretien en reprenant le thème abordé au début : Quelle est la meilleure manière de former des scientifiques ? Mon expérience et celles d’autres m’ont montré qu’il n’est pas nécessaire d’être un grand scientifique pour encourager les étudiants à faire de la science. Les meilleurs éducateurs et formateurs de scientifiques transmettent leur enthousiasme par la science et mettent l’accent sur l’importance de la curiosité et du besoin de ‘jouer’ avec les idées. Il y a une différence entre l’initiation scientifique et le développement du scientifique devenu professionnel. Je ne pense pas avoir fait une grande science. Ce qui a été vraiment important, c’est que j’ai appartenu à une communauté qui voulait apprendre ensemble.
Nul besoin d’être un grand scientifique pour encourager les étudiants à faire de la science
En plus de ces bactéries, vous avez aussi étudié la leishmaniose ? Oui. Dans le cas de la leishmaniose, il y a des espèces qui habitent de grandes vacuoles [vésicules] similaires à des phagolysosomes. D’autres occupent des vacuoles avec peu d’espace libre. Quand je travaillais à l’Institut Pasteur, j’ai su que la bactérie Coxiella burnetii, agent de la fièvre Q hu-
périmentation inverse ne fonctionne pas. Si vous infectez d’abord les cellules avec la Leishmania, que vous attendez un jour et réinfectez avec la Coxiella, les deux organismes restent chacun dans leur vacuole. Cela s’est passé en 1995 et représente la création de ce que j’ai appelé la construction de vacuoles chimériques, qui n’existent que dans notre imagination. L’expérimentation a ensuite été répétée par Patrícia Veras avec le Trypanosoma cruzi. Dans ce cas, les trypanosomes nageaient et circulaient à la périphérie des vacuoles de Coxiella comme s’ils cherchaient une sortie. Nous avons fait quelques vidéos magnifiques, qui ont touché certains biologistes. Plus tard, j’ai démontré que des microbactéries dans des
Si l’on regarde votre trajectoire, vous semblez avoir aussi fait une bonne science. J’en ai bien fait un peu, mais pas au début. Toutefois, la plus grande récompense est de contribuer à former quelqu’un qui s’avère être un plus grand scientifique que vous. n *Sergio R. Doni, Jacob Kipnis, Nelson Fausto, Ricardo Renzo Brentani, Thomas Maack, Azzo Widman, Bernardo Liberman, José Gonzales, Sergio Henrique Ferreira, J. F. Terzian, Mauricio Rocha e Silva (Filho) et Waltraut Helene Lay.
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POLITIQUE S&T INFRASTRUCTRURE y
Défis partagés Des laboratoires d’entreprise dans des parcs universitaires enrichissent la formation des étudiants et répondent à de nouvelles demandes en recherche et développement Fabrício Marques PUBLIÉ EN AVRIL 2013
L
a mission de l’université comme élément catalyseur de l’innovation et du développement acquiert de nouvelles configurations avec des initiatives telle que la construction du Parc Scientifique et Technologique de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp), dont les infrastructures ont commencé à être achevées le mois dernier. Installé sur une zone de 100 000 m² à l’intérieur du campus universitaire, le parc va abriter des laboratoires d’innovation où travailleront, dans un même environnement, des chercheurs des entreprises, des professeurs et des étudiants de l’Unicamp. Si le modèle est récent au Brésil, il est déjà présent dans plusieurs universités du monde. Il donne la possibilité d’enrichir la formation des étudiants et le travail des scientifiques avec les demandes apportées par les entreprises, mais aussi de multiplier l’investissement en recherche dans les universités. Pour Fernando Ferreira Costa, le recteur de l’université, « les laboratoires à l’Unicamp produiront du développement technologique et en plus contribueront de manière significative à la recherche fondamentale. Ils favoriseront l’élaboration de thèses, de mémoires, de brevets et de publications d’étudiants du deuxième cycle jusqu’au post-doctorat. […] Il ne s’agit pas seulement d’une prestation de services ou d’une résolution de problèmes, mais de perfectionner la formation de nos étudiants qui pourront ensuite diffuser cette expérience en dehors de l’université et contribuer ainsi à l’innovation, au développement du pays et à la formation d’entreprises à vocation technologique ». BÉNÉFICES IMMÉDIATS
Du côté des entreprises, la création de laboratoires dans des universités apporte des bénéfices immédiats, comme la possibilité d’utiliser les compétences du spécialiste sur des thèmes sensibles, et d’autres au long terme, comme l’opportunité d’interagir avec d’autres entreprises et chercheurs travaillant dans le parc et de recruter de jeunes chercheurs parmi les étudiants 20 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
talentueux. Des entreprises comme Tecnometal (exploitation minière et énergies renouvelables) et Cameron do Brasil (technologie et services pour le secteur du pétrole et du gaz) ont déjà signé des accords pour l’installation de laboratoires sur le campus. Le parc abritera également l’Unité Mixte Embrapa de Recherche en Génomique Appliquée aux Changements Climatiques, un modèle de partenariat inédit pour l’entreprise de recherche ; des chercheurs des deux institutions travailleront ensemble pour rechercher des variétés agricoles plus tolérantes aux effets du réchauffement climatique. Dans le parc fonctionne déjà Inovasoft, le Centre d’Innovation en Logiciel de l’Unicamp, qui regroupe de jeunes entreprises et des laboratoires créés en association avec IBM, Samsung et Banco do Brasil. En cours de construction, le Laboratoire d’Innovation de Biocombustibles (LIB) fonctionnera sur le même modèle que celui d’Inovasoft, avec des laboratoires d’entreprise. Ronaldo Pilli, le recteur adjoint chargé de la recherche de l’université explique que « l’Unicamp possède une longue histoire de collaboration avec le secteur productif, et le Parc Scientifique et Technologique va établir un nouveau seuil dans cette collaboration ». Les négociations pour incorporer de nouveaux laboratoires dans le parc sont soumises à une règle précise : seules sont admises des initiatives fondées sur des accords avec des groupes de recherche de l’Unicamp. « L’objectif est de faire de la recherche compétitive. L’entreprise doit reconnaître que l’Unicamp sera un partenaire stratégique », ajoute Pilli. D’après Roberto de Alencar Lotufo, le directeur de l’Agence d’Innovation Inova Unicamp qui articule la négociation avec les entreprises, la création du parc permet à l’université de proposer et d’organiser la construction de nouveaux laboratoires collaboratifs avec des entreprises : « Jusqu’à présent, quand l’opportunité de construire un nouveau laboratoire apparaissait sa localisation n’était pas planifiée, d’où l’installation de plusieurs bâtiments éparpillés sur le campus. […] Le Parc Scientifique et
NOUVELLE PÉPINIÈRE Le nouveau siège de la Pépinière d’Entreprises à vocation Technologique de l’Unicamp va occuper un bâtiment de 2600 m2 et pourra accueillir 48 jeunes entreprises
EMBRAPA
Enclave de l’innovation Le Parc Scientifique et Technologique de l’Unicamp est réparti sur une surface de 100 000 m2 au sein de la Cidade Universitaria [Cité Universitaire] LIB
TECNOMETAL
Le Laboratoire d’Innovation en Biocombustibles fonctionnera dans un bâtiment de 1600 m2 et abritera des recherches sur l’éthanol, le biodiesel et le biokérosène
Le laboratoire de 500 m2 enpartenariat avec le fabricant de panneaux solaires accueille des chercheurs de l’Institut de Physique et de la Faculté d’Ingénierie Mécanique. Des projets sont liés à la fabrication de lames de silicium et de cellules solaires
LABRISER Financé par Petrobras, le Laboratoire Expérimental pour des Risers de Production en Eaux Ultra-profondes et Systèmes Maritimes de Production (LabRiser) aura un bassin capable de simuler les conditions auxquelles sont soumises les structures sous-marines dans la production de pétrole dans l’océan
50 chercheurs et techniciens d’Embrapa et de l’Unicamp travailleront dans l’ Unité Mixte Embrapa de Recherche en Génomique Appliquée aux Changements Climatiques, un investissement de 50 millions de reais. Le bâtiment sera construit sur une zone de 2500 m2
LACTAD Le Laboratoire Central de Technologie de haute performance (LaCTAD), installation de l’Unicamp inaugurée en mars, réunit dans un même bâtiment des équipements modernes pour la recherche en génomique, protéomique, bioinformatique et biologie cellulaire
SAMSUNG Au moins 25 professeurs et étudiants de l’Institut d’Informatique de l’Unicamp travaillent dans le laboratoire créé par Samsung en partenariat avec l’université. Il fonctionne dans le bâtiment du Centre d’Innovation en Logiciel (Inovasoft), qui abrite aussi des centres en partenariat avec la banque Banco do Brasil et l’entreprise MC1
Technologique vient organiser et présenter une planification de construction de nouveaux laboratoires de recherche collaborative en créant un environnement synergique multidisciplinaire. Le parc fonctionnera comme une copropriété, dans laquelle les entreprises payent pour utiliser l’espace et partagent les frais de sécurité et d’infrastructure ». Les entreprises participantes utilisent différents types de financement pour
CAMERON DO BRASIL Le fabricant d’équipements pour l’exploitation d’huile et de gaz va investir 6 millions de dollars dans un laboratoire de 1000 m2. Le partenariat implique la Faculté d’Ingénierie Mécanique et le Centre d’Études sur le Pétrole
construire leurs laboratoires. Dans le cas de Cameron do Brasil, l’entreprise utilisera ses propres ressources – l’Unicamp a offert une exoneration de 10 ans de la taxe d’occupation en échange de la construction du bâtiment par la compagnie. L’accord a été signé en 2011 et le laboratoire devrait déjà être en cours de construction. Cependant, l’entreprise a décidé de retarder d’un an son implantation à cause du retrait récent des investissements de
l’entreprise Petrobras. Le partenariat implique une collaboration avec la Faculté d’Ingénierie Mécanique (FEM) et le Centre d’Études sur le Pétrole (Cepetro) dans des projets de recherche en équipements et processus sous-marins pour le traitement et la production de pétrole, avec l’accent sur la couche pré-sel. Créé en 1987 en partenariat avec Petrobras, le Cepetro a aidé à multiplier les recherches de pointe en Ingénierie du Pétrole, qui PESQUISA FAPESP 21
Centres d’entreprises dans le Parc Technologique de Rio : fruits de la vocation de l’UFRJ en recherches sur le pétrole
attirent aujourd’hui l’attention d’autres entreprises. En 2015 par exemple, les installations du Laboratoire Expérimental pour des Risers de Production en Eaux Ultra-profondes et Systèmes Maritimes de Production (LabRiser) seront achevées. Elle se compose d’un bassin expérimental unique au monde, capable de simuler les conditions auxquelles sont soumises les structures sous-marines dans la production de pétrole dans l’océan, comme la force des courants marins. Le bassin de 30 m de profondeur et le bâtiment du laboratoire coûteront 6 millions de reais. D’autre part, il y aura un ensemble de machines expérimentales, des instruments de laboratoire et d’analyse et des équipements informatiques, financés par Petrobras. Le directeur du LabRiser est Celso Morooka, professeur de la Faculté d’Ingénierie Mécanique : « Vu que notre pétrole se trouve dans la mer, l’entreprise Petrobras s’est toujours souciée de développer des recherches sur la perforation de puits dans l’océan et la production de pétrole puits et la - et elle a rencontré cette qualification à l’Unicamp ». Il y a aussi des partenariats qui utilisent des mécanismes de financement non remboursable de la Banque Nationale pour le Développement Économique et Social (BNDES), dans le cadre du Fonds Technologique (Funtec). Un exemple est le laboratoire de 500 m² que l’Unicamp est en train de construire dans le parc en collaboration avec Tecnometal. Le projet a obtenu 12 millions de reais du Funtec pour la construction du bâtiment et l’achat d’équipements. La contrepartie de Tecnometal équivaut à 10 % de la valeur du projet. L’entreprise possède une usine de panneaux photovoltaïques à Campinas 22 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
(état de São Paulo) et travaille déjà avec des chercheurs de la Faculté d’Ingénierie Mécanique et de l’Institut de Physique Gleb Wataghin de l’Unicamp, sur des recherches liées au processus de purification du silicium de qualité métallurgique, la fabrication de lames de silicium de qualité solaire et la fabrication de cellules solaires. L’agence Inova Unicamp est en contact avec au moins trois entreprises désireuses de participer au parc en utilisant les ressources du Funtec. BIOCOMBUSTIBLES
Il existe un troisième modèle, suivi par le Laboratoire d’Innovation de Biocombustibles (LIB). En cours de construction, le bâtiment de 1656 m² a été financé par l’Agence de Financement d’Études et de Projets Finep via le programme CT-Infra. Désormais, l’objectif est de rechercher des entreprises intéressées à participer à des projets avec des chercheurs de l’Unicamp sur la chaîne de production d’éthanol, de biodiesel et de biokérosène. Un quatrième modèle est celui de l’Unité Mixte Embrapa Unicamp de Recherche en Génomique Appliquée aux Changements Climatiques, dont les investissements sont partagés entre l’Embrapa et l’université. 10 chercheurs des deux institutions travaillent déjà sur le projet qui, dans les trois ans à venir, comptera près de 50 chercheurs et techniciens. L’investissement estimé est de 50 millions de reais en infrastructure et opération. Maurício Antônio Lopes, président d’Embrapa, affirme que « l’objectif est d’avoir dans cinq ans une technologie à vocation génétique de tolérance à la sécheresse applicable aux cultures importantes pour le pays, comme le maïs, le soja, la canne à sucre et le blé.
EXPÉRIENCE D’ALLELYX
D’après lui, le choix de l’Unicamp – où Embrapa possède d’ailleurs son unité de bioinformatique – a été naturel. Lopes souligne l’importance d’avoir Paulo Arruda, professeur de l’Institut de Biologie, comme leader du projet à l’université. Arruda a été un des fondateurs d’Allelyx, une entreprise de biotechnologie créée à partir du séquençage de la Xylella fastidiosa et aujourd’hui incorporée par Monsanto. D’après le président d’Embrapa, « le professeur Paulo Arruda est um scientifique reconnu au Brésil et à l’étranger, et qui a comme expérience le montage d’un pipeline dans un environnement privé. Il travaillera avec certains chercheurs qui ont travaillé à Allelyx et sont aujourd’hui chez Embrapa ». Arruda affirme pour sa part que l’objectif central de l’unité est de garantir la durabilité de la production agricole dans le pays : « Le Brésil a eu des pertes agricoles de 5,4 milliards de reais l’an dernier à cause d’intempéries. Il faut créer une stratégie pour soutenir la production de maïs, de soja et de blé, qui sont la base de l’alimentation. […] Nous travaillerons dans l’Unité Mixte avec une vision de pragmatisme entrepreneurial, sur le même modèle que celui du développement de médicaments dans l’industrie pharmaceutique ». Et les bénéfices pour l’Unicamp seront variés : « Nous allons exposer des étudiants de master, doctorat et postdoctorat à une expérience inédite. Ils vont plonger dans le monde du développement technologique, avec ses demandes, ses objectifs et ses délais. Cela
PHOTO 1 GENILSON ARAÚJO 2, 3 E 4 TECNOPUC
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[…] Embrapa a joué un rôle important dans l’adaptation de cultures comme le soja, le riz et le blé aux conditions tropicales. À présent, le défi est de rester compétitif sur le marché de semences et de biotechnologie, qui est chaque fois plus complexe. Le versant innovation de la génomique appliquée à l’amélioration génétique exige une base de recherche fondamentale qui a conduit Embrapa à se rapprocher de l’université ».
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Siège du TECNOPUC (ci-dessous) à Porto Alegre, croquis de son nouveau pôle d’entreprises (en haut à gauche) et centres d’innovations d’entreprises informatique : le parc a soulevé des fonds pour la recherche
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augmentera l’employabilité de ces professionnels et contribuera à former une plus grande masse critique sur un thème très important pour le pays ». L’une des tâches les plus complexes de l’Agence d’Innovation Inova Unicamp dans le montage du parc est de trouver des groupes de recherches de l’institution capables de répondre aux besoins de l’entreprise partenaire, et de promouvoir le rapprochement entre les parties. « Nous travaillons actuellement sur un partena-
torat et postdoctorat. D’après Lotufo, le Parc Scientifique et Technologique sera un instrument de plus dans la mission de l’agence de soutien de l’innovation et de son transfert vers la société : « C’est ce qui se passe dans les grandes universités de recherche du monde. Quand nous recevons des délégations étrangères, les dirigeants d’université nous questionnent toujours sur notre pépinière, notre travail d’octroi de licence de technologie et notre parc technologique. Ce sont les maillons d’une même chaîne ». À une échelle réduite, les ambitions du Parc Scientifique et Technologique étaient déjà réalisées dans L’objectif central des partenariats le bâtiment d’Inovasoft, est de faire de la recherche le Centre d’Innovation en Logiciel de l’Unicamp, qui compétitive, déclare Ronaldo Pilli, abrite des laboratoires en partenariat avec plusieurs recteur adjoint de l’Unicamp entreprises et fonctionne comme pépinière d’entreprises de technologie de riat avec Schreder, une entreprise d’éclai- l’information. Depuis la fin 2012, Inovarage public dont le siège est à Valinhos », soft compte sur un laboratoire monté par explique Roberto Lotufo. « La première Samsung où travaillent des chercheurs chose est d’identifier les groupes de re- et des étudiants de l’Institut d’Informacherche qui peuvent aider, mais il n’y a tique (IC) de l’Unicamp. Des accords qui pas que cela. Il faut s’assurer que le cher- impliquent des investissements d’environ cheur est disponible pour travailler avec 3 millions de reais ont comme objectif l’entreprise et, surtout, qu’il est intéressé central la recherche et le développement par la collaboration ». L’agence maintient de différents topiques liés à des platesun registre connu sous le nom de ‘banque formes informatiques mobiles – Samsung de compétences’, avec des informations est leader en matière de téléphones poractualisées sur des groupes de recherche. tables. Le partenariat a commencé avec Inova intervient sur plusieurs fronts : elle trois projets et deux autres sont en train millions de reais aide les chercheurs de l’université à dépo- d’être incorporés. L’un des principaux est l’investissement ser des brevets, s’occupe de la gestion de la avantages souligné par les participants propriété intellectuelle de l’Unicamp, aide du projet est l’opportunité pour les étude Petrobras les entreprises dans l’octroi de licences de diants et les chercheurs de travailler sur technologies, coordonne l’activité d’une des thèmes qui intéressent beaucoup les dans le bassin pépinière d’entreprises à vocation techno- entreprises. Pour Yeun Bae Kim, viceexpérimental de logique et stimule l’entreprenariat entre président de la recherche et du dévelopchercheurs et étudiants de master, doc- pement chez Samsung , « aux États-Unis
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l’Unicamp
PESQUISA FAPESP 23
24 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
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1 Vue aérienne du Parc de Recherche de Standford, une inspiration pour les villes technologiques des États-Unis et de plusieurs autres pays
tissement a été estimé à 1 mil2 Parc Technologique liard de reais. de São José dos Les centres qui Campos, un des fonctionnent plus avancés parmi déjà sont: celui les 27 initiatives de la française du Sistema Paulista Schlumberger, des nord-américaines Baker Hugues, GE et FMC Technologies, et de la brésilienne Asfaltos, de Petrobras. D’autres doivent commencer à fonctionner cette année, à l’exemple des centres de Siemens et Halliburton. Maurício Guedes, le directeur du parc, précise que « le parc a été créé il y a 10 ans, mais [que] son histoire a commencé bien avant. De même que ce qui s’est passé avec l’Unicamp, l’UFRJ est un exemple d’université possédant une culture entrepreneuriale et une expérience de relations avec des entreprises, notamment par le biais du Coppe, qui a déjà établi plus de 3000 accords seulement avec Petrobras, avec qui nous avons une expérience très réussie de plus de 40 ans, depuis l’implantation du Cenpes sur le campus de l’UFRJ ».
PHOTOS 1 AERIAL ARCHIVES / ALAMY / GLOW IMAGES 2 PQTEC SJC
1998 et maintient des contacts avec l’université jusqu’à Nous allons exposer des aujourd’hui. Le leaétudiants de 2e et 3e cycles der du projet est le de l’IC cycle à une expérience inédite », professeur L u i z Fe r n a n d o Bittencourt, qui va dit Paulo Arruda coordonner une équipe de 15 cheril est fréquent que des étudiants de 3e cheurs et étudiants pour le développecycle fassent des stages dans des grandes ment d’une plate-forme permettant à l’enentreprises, mais au Brésil ce n’est pas le treprise d’offrir ses solutions à plusieurs cas ». Il ajoute que l’objectif est le déve- clients en même temps en utilisant les loppement conjoint de nouvelles techno- ressources du cloud computing : « L’oblogies à moyen et long terme : « Il s’agit jectif est d’élaborer une architecture de de produire des résultats ayant un grand logiciel qui permette à l’entreprise d’offrir impact technologique, afin d’atteindre ses logiciels sans avoir besoin de créer une des améliorations significatives au niveau copie personnalisée pour chaque client ». de l’état de l’art des lignes de recherche L’investissement de MC1 dans le projet intéressantes pour Samsung ». Yeun Bae est de l’ordre de 170 000 reais. Kim a participé à l’organisation officielle L’une des principales inspirations pour du laboratoire en janvier 2013. les plus de 900 parcs technologiques réparUn autre laboratoire d’Inovasoft abrite tis dans le monde est l’expérience pionnière un projet de recherche collaborative exé- de l’Université de Stanford en Californie. cuté depuis 2011 par l’Institut d’Infor- Au début des années 1950, l’université, des matique (IC) de l’Unicamp et la banque entreprises de microélectronique et des Banco do Brasil. Il porte sur l’étude et le institutions de recherche se sont regrousoutien de l’implantation de solutions pées et ont donné naissance à la Silicon pour l’enregistrement d’ordinateurs et Valley, le principal pôle d’entreprises techl’authentification de clients de la banque nologiques de la planète. Au début des andans le service en ligne. Professeur de l’IC, nées 1970, le Japon a adhéré avec enthouRicardo Daheb est à la tête de l’un des siasme aux parcs et créé 25 technopôles. projets de la banque : « Ça a été un travail Parmi les principaux pôles installés dans important parce que la demande était très des universités autour du monde, quatre se sophistiquée. Il a donné du travail à trois distinguent : ceux des universités de Wisétudiants de doctorat ainsi que la publica- consin Madison et de Purdue, aux Étatstion de bons articles universitaires ». Le Unis, et ceux des universités de Cambridge projet a été mené par trois professeurs et et d’Oxford, en Angleterre. 8 étudiants de 2e et 3e cycles. Pour MC1, une entreprise de logiciels SILICON VALLEY et de services de São Paulo, le récent par- Le Brésil a décidé d’investir dans ce motenariat avec des chercheurs de l’IC ne dèle plus tardivement. L’un des plus grands cherche pas seulement à trouver des solu- pôles est le Parc Technologique de Rio, tions innovantes : « Nous ne recherchons créé il y a dix ans sur le campus de l’Unipas seulement une information et une versité Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). actualisation technologique et scientifique Il porte surtout sur la recherche et le dépour l’entreprise. Un des nos objectifs est veloppement dans le secteur du pétrole d’insérer dans nos effectifs des personnes et du gaz, des domaines étudiés depuis qui ont participé au projet », explique des décennies par l’UFRJ et en particuKayo Hisatomi, coordonnateur du dé- lier par son Institut de Recherche et de 3e veloppement de logiciels de l’entreprise. cycle en Ingénierie (Coppe) ; sans oublier L’entreprise a déjà établi d’autres accords les partenariats établis avec le Centre de avec des universités, mais c’est la première Recherche et de Développement (Cenpes) fois qu’elle investit dans son propre labo- de Petrobras. Le parc occupe une surface ratoire : « Nous avons eu connaissance de de 350 000m² et d’ici 2015 il doit abriter cette structure et avons décidé d’investir des centres de recherche et de développe». Kayo Hisatomi est diplômé en ingé- ment de plus de 20 grandes et moyennes nierie informatique de l’Unicamp depuis entreprises. Entre 2003 et 2014, l’inves-
PARC SURCHARGÉ
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Le Parc Scientifique et Technologique de l’Unicamp est un des parcs préhabilités du Système Paulista des Parcs Technologiques, qui réunit 27 initiatives éparpillées dans plusieurs villes de l’état de São Paulo ; plusieurs d’entre elles ont des liens étroits avec des universités. Exemple : le parc de Botucatu, lié à l’Université d’État Paulista ; le Parc de Ribeirão Preto, lié à l’Université de São Paulo. Un des plus avancés – et le premier à recevoir une habilitation définitive – est le Parc Technologique de São José dos Campos, une initiative lancée par la mairie de la ville qui réunit des centres d’innovation dans les domaines de la santé, la technologie de l’information, l’aéronautique, l’énergie et les ressources hydriques. Le parc travaille avec des entreprises importantes comme Embraer, Vale, Ericsson et Sabesp et a des partenariats avec l’Institut Technologique d’Aéronautique (ITA), les Écoles Polytechnique (Poli) et d’Ingénierie de São Carlos de l’Université de São Paulo, en plus de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp) et de l’Institut de Recherches Technologiques (IPT). Créer un parc technologique dans l’université n’est pas une mince affaire. D’après Roberto Lotufo, « la barrière commune est celle de l’espace. Les universités qui possèdent des terrains pour y implanter des parcs ne sont pas nombreuses. Même de grandes institutions comme Harvard et le MIT sont confrontés à cette limitation ». Lotufo participe chaque année à la réunion de l’Association of University Research Parks (Aurp), une entité créée en 1986 qui réunit aujourd’hui 32 parcs scientifiques et technologiques d’universités américaines. Au Brésil, il y a aussi la difficulté juridique de maintenir à l’inté-
rieur du campus une unité qui suit des règles différentes de celles qui régissent les universités publiques. Un parc lié à une université communautaire résume les bénéfices que des initiatives de ce type apportent aux entreprises et au milieu universitaire. Le Parc Technologique de l’Université Catholique Pontificale du Rio Grande do Sul (TECNOPUC), à Porto Alegre, réunit aujourd’hui 101 centres d’innovation d’entreprises et d’institutions de différentes tailles, où travaillent 4800 personnes. Le parc est né en 2003 comme partie de la stratégie de l’Université Catholique Pontificale du Rio Grande do Sul (PUCRS) de se qualifier en tant qu’institution de recherche. Roberto Moschetta, le directeur du Tecnopuc, explique qu’« il y avait un déséquilibre entre la tradition consolidée de la PUC en matière d’enseignement et la recherche de l’institution, et il y avait aussi une difficulté à trouver des ressources pour investir dans la recherche, car notre source financière, les mensualités des étudiants, était surtout destinée à payer les enseignants ».
La création du parc, tournée en priorité vers la technologie de l’information et la communication – avec des laboratoires des entreprises Dell et HP –, cherchait à attirer des ressources privées pour la recherche universitaire. Aujourd’hui, le pôle réunit des centres d’entreprises comme Microsoft et TOTVS et a élargi son champ d’action au domaine de l’énergie et de la santé, avec des accords avec l’Agence Nationale de Vigilance Sanitaire et Petrobras. Il n’y a plus d’espace pour abriter de nouvelles initiatives – le terrain de 15 ha qu i borde l’université et a été racheté à l’armée est plein. L’expansion du parc se fera sur une grande zone à 12 km du campus de l’université. « Bien sûr », affirme Moschetta, « tous les centres d’entreprises ne développent pas une haute technologie. Il y a des entreprises qui recherchent les compétences de l’université pour de simples applications ». Les résultats de l’initiative vont audelà de ce qui était espéré. Le directeur du Tecnopuc signale que les cours de troisième cycle en technologies de l’information offrent des bourses à pratiquement tous les étudiants, financées par des entreprises installées dans le parc : « C’est un cercle vertueux. Nous réussissons à attirer des étudiants très qualifiés et nos cours obtiennent encore plus de prestige et de consistance. […] La cohabitation entre les entreprises dans les parcs génère également des interactions surprenantes. Il se produit des partenariats et des échanges d’expériences qui n’étaient pas prévues au début du projet. Le milieu est catalyseur et synergique. L’énergie qui circule dans le parc résulte plus des connexions qui se forment que du milieu lui-même ». n
L’investissement d’Embrapa et de l’Unicamp dans l’Unité Mixte est de
50
millions de reais PESQUISA FAPESP 25
INFRASTRUCTURE y
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Un centre de recherche de l’Unicamp réunit dans un même bâtiment des équipements modernes pour les recherches en génomique, protéomique, bioinformatique et biologie cellulaire PUBLIÉ EN AVRIL 2013
L
’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp) a inauguré un laboratoire qui réunit dans un même bâtiment des équipements ultramodernes pour les recherches en génomique, bioinformatique, protéomique et biologie cellulaire. Installé dans le Parc Scientifique et Technologique de l’institution et créé selon le modèle des research facilities d’universités étrangères, le Laboratoire Central de Technologies de Haute Performance (LaCTAD) vise à garantir des recherches de haute qualité au sein de l’Unicamp et dans l’état de São Paulo – les installations sont aussi à disposition des chercheurs d’autres institutions. Lors de la cérémonie d’inauguration qui s’est tenue le 1er mars, le recteur de l’Unicamp Fernando Ferreira Costa a déclaré : « L’université a signé deux accords importants grâce à l’existence du laboratoire. Cette unité sera très utile pour les recherches dans les domaines 26 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
en question et donnera un grand coup de pouce à la science du pays ». La FAPESP a investi près de 5,5 millions de reais dans l’achat d’équipements pour le laboratoire, dans le cadre du Programme d’Équipements Multi-Usagers (EMU). L’université s’est chargée de la construction de l’édifice et de l’embauche des fonctionnaires. Également présent, le directeur scientifique de la FAPESP Carlos Henrique de Brito Cruz a souligné deux éléments particulièrement intéressants : le fait que « l’Unicamp ait quasiment investi la même valeur que la FAPESP et que le LaCTAD ait une structure de coûts bien établie et un soutien institutionnel décisif pour embaucher des fonctionnaires en bioinformatique et des techniciens titulaires d’un doctorat. La proposition de création du LaCTAD a été soumise à l’appel d’offres du Programme d’Équipements Multi-Usagers de la FAPESP en 2009. L’offre de services en installations provisoires dans
les unités d’enseignement et recherche a débuté en 2011. Pour les travaux dans le domaine de la génomique, trois séquenceurs modernes ont été achetés : deux modèles HiSeq 2500 d’Illumina, qui permettent des études complexes de séquençage grâce à leur capacité à produire un grand nombre de séquences génomiques pour l’analyse en bioinformatique ; l’autre modèle est l’ABI 3730XL DNA Analyser d’Applied Biosystems, qui ne produit pas un nombre si élevé de séquences mais est capable de cartographier un nombre plus grand de paires de bases. D’après Ronaldo Pilli, recteur adjoint chargé de la recherche dans l’université, « ces équipements améliorent la qualité des recherches faites à l’Unicamp ». La prestation de services en bioinformatique est une autre fonction importante du LaCTAD, dont le parc d’ordinateurs inclut des serveurs IBM et des machines HP. Pilli ajoute que l’université a « investi dans la formation de ressources humaines, avec l’offre de cours de bioinformatique à chaque semestre ». Près de 160 étudiants ont déjà été entraînés. ÉPILEPSIE
L’un des projets en cours dans le laboratoire est dirigé par Iscia Lopes-Cendes,
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PHOTOS LÉO RAMOS
Adresse d’excellence
Au LaCTAD, il y a des équipements comme le calorimètre de titration isotherme (1 et 2), le chromatographe (3) et le microscope confocal (4)
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professeur du département de génétique médicale de la Faculté des Sciences Médicales de l’Unicamp. Elle utilise un des séquenceurs du LaCTAD dans un projet de recherche sur les mécanismes moléculaires dans la genèse de l’épilepsie, qui cherche à identifier l’expression génique dans des tissus cérébraux de souris. Des groupes neuronaux sélectionnés dans l’hippocampe de modèles animaux induits à présenter la maladie sont soumis à un séquençage profond afin de rechercher des transcrits (ARN messager) susceptibles d’être significatifs pour différencier l’état pathologique du normal. « Comme il s’agit d’un séquençage profond », indique la chercheuse, « nous avions besoin d’un séquenceur rapide et nous avons même aidé à faire un upgrade de son logiciel avec des ressources de notre projet ». Gláucia Mendes de Souza a également utilisé les services du laboratoire pour le séquençage d’un génome de référence de la canne à sucre. Professeur de l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo (USP), elle est l’une des coordonnatrices du Programme FAPESP de Recherche en Bioénergie (Bioen) : « Le LaCTAD fournit des séquences obtenues avec le séquenceur Illumina qui complètent ce que nous avons fait avec le séquenceur
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Le LaCTAD investit dans la formation de ressources humaines en offrant des cours de bioinformatique
Roche 454. À l’USP, nous avons un 454 mais pas un Illumina, d’où l’importance des services rendus par les chercheurs du laboratoire ». Paulo Arruda de l’Institut de Biologie de l’Unicamp est un autre chercheur qui utilise les services du LaCTAD. Un projet de son étudiant de doctorat Vagner Katsumi Okuma porte sur la construction et le séquençage de la bibliothèque de chromosome artificiel bactérien (BAC) de la canne à sucre. Les bibliothèques de BAC sont des outils fondamentaux pour la caractérisation de régions chromosomiques qui contiennent des gènes d’intérêt. Une
autre recherche, menée par le doctorant Pedro Barreto, analyse la régulation de la biogenèse mitochondriale des plantes. La mitochondrie est un organite responsable de la bioénergétique de la cellule. « On connaît assez bien la biogenèse mitochondriale chez les mammifères, mais peu celle des plantes », signale Arruda dont le travail porte sur le séquençage d’ARN de plantes qui surexpriment la protéine découplante de la mitochondrie (UCP1). Dans le domaine de la protéomique, le LaCTAD dispose d’un équipement de chromatographie liquide pour l’analyse et la purification de protéines, ainsi qu’un calorimètre utilisé pour déterminer des paramètres thermodynamiques d’interactions biochimiques. Un spectromètre de masses modèle Xevo QTOF MS, qui appartient à l’Institut de Chimie de l’Unicamp, sera mis à disposition des utilisateurs du LaCTAD en attendant que le laboratoire achète le sien. Dans le domaine de la biologie cellulaire, le laboratoire est équipé d’un microscope confocal de la marque Leica, capable de produire des images fluorescentes de haute résolution d’une variété de matières d’échantillons biologiques. L’autre équipement est un immunoessai Multiplex de la marque Bio-Rad, capable de réaliser des dosages rapides et précis d’hormones ou de cytokines, les molécules impliquées dans l’émission de signaux entre les cellules pendant les réponses immunes. Pilli ajoute qu’un workshop international dans le domaine de la biologie cellulaire est en cours d’organisation et prévu pour mai : « Nous allons recevoir des spécialistes de l’étranger qui exercent le même type d’activités en sciences de la vie dans un laboratoire central, afin d’échanger des expériences et perfectionner nos services. L’idée est de donner un élan plus grand au LaCTAD en matière de biologie cellulaire ». n Fabrício Marques PESQUISA FAPESP 27
28 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
SCIENCE DE GRAND IMPACT y
L’expansion de la connaissance Les nouveaux Centres de Recherche, Innovation et Diffusion de la FAPESP sont plus audacieux et ont plus d’impact pour la science du pays PUBLIÉ EN JUIN 2013
PHOTOS LÉO RAMOS
À
Des recherches sur les inégalités dans les métropoles, le génome humain, le potentiel thérapeutique de toxines et l’optique sont menées par les Cepid
l’occasion d’un des plus grands investissements dans un programme de recherche déjà réalisés dans le pays, la FAPESP a annoncé la création de 17 nouveaux Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid), qui réuniront 535 scientifiques de l’état de São Paulo et 69 d’autres pays dans des domaines à la frontière de la connaissance. Étalé sur 11 ans, l’investissement est de 680 millions de dollars US, parmi lesquels 370 millions de dollars US de la FAPESP et 310 millions de dollars US en salaires versés par les institutions-siège aux chercheurs et aux fonctionnaires. Carlos Henrique de Brito Cruz, directeur scientifique de la FAPESP, affirme que « le financement élevé et à long terme permet d’oser en termes d’objectifs de recherche et garantit la consolidation de l’équipe ; en même temps, la portée de la recherche scientifique et technologique dans l’état peut être plus large ». Le processus de sélection a duré 20 mois, de la présentation des 90 préprojets jusqu’au choix des 17 centres. Il a mobilisé 250 examinateurs brésiliens et étrangers et un comité international formé de 11 scientifiques invités, en plus des comités internes de la FAPESP. Les propositions présentées ont été évaluées pour leur mérite scientifique, l’aspect novateur, l’originalité, la compétitivité internationale et la qualification des équipes et des leaderships. Chacun des Cepid disposera d’un comité consultatif international. La continuité de leur travail sera évaluée par la FAPESP la 2e, 4e et 7e année. D’octobre 2000 à décembre 2012, la FAPESP a financé un premier ensemble de 11 Cepid pour un investissement global de 260 millions de reais. Hernan Chaimovich est le coordonnateur du programme des Cepid : « La Fondation va faire réaliser une évaluation de cette période, mais il est possible d’affirmer
que plusieurs centres ont contribué de façon notable. […] Certains dirigeants ont obtenu une grande reconnaissance internationale, à l’exemple du professeur Marco Antonio Zago avec la recherche de la thérapie cellulaire sur le diabète ou du physicien Vanderlei Bagnato, récemment sélectionné pour les National Academy Sciences ». Huit centres poursuivent les initiatives considérées dans le premier appel d’offres. Certains préservent le nom et l’objectif, à l’exemple du Centre d’Études de la Métropole, du Centre pour l’Étude de la Violence ou du Centre de Thérapie Cellulaire. D’autres ont actualisé leur mission tout en maintenant les dirigeants. Neuf centres sont nouveaux et abordent des thèmes tels que les aliments, l’obésité, les maladies inflammatoires, la neuroscience, la biomédecine, les mathématiques appliquées, l’informatique et les verres. Pour les centres sélectionnés lors du premier appel d’offres, la possibilité de continuer le programme onze ans de plus est synonyme d’avantages et de défis. Professeur de la Faculté de Médecine de Ribeirão Preto, recteur adjoint chargé de la recherche de l’USP et coordonnateur du Centre de Thérapie Cellulaire (CTC), Marco Antonio Zago déclare : « Si en 2000 nous avions une idée diffuse de ce que seraient ces centres, aujourd’hui nous connaissons suffisamment leur potentiel pour nourrir des desseins plus audacieux et spéculatifs – et je me réfère à tous les centres approuvés, pas seulement à ceux que je dirige. [...] Un des résultats importants du premier Cepid a été sa capacité à aligner le travail d’un ensemble de chercheurs qui faisaient de la recherche de haut niveau de manière indépendante ». Désormais, le centre aura une approche plus appliquée : « Notre Cepid a réussi à faire des tests cliniques d’une thérapie pour le diabète, mais maintenant nous cherchons à perfectionner cette forme de traitement aussi PESQUISA FAPESP 29
pour la leucémie, au moyen de l’utilisation de cellules souches ». L’équipe du centre a rajeuni : « Nous avons attiré des chercheurs formés dans un milieu où la thérapie cellulaire est une réalité ». Un des objectifs est de produire des lignages brésiliens de cellules souches pour une utilisation dans des études précliniques, avec l’accent sur des maladies comme la dyskératose congénitale (qui provoque un vieillissement prématuré), l’hémophilie A et la maladie de Parkinson. Professeur de l’Institut de Physique de São Carlos, de l’USP, Vanderlei Bagnato est coordonnateur du Centre de Recherche en Optique et Photonique (CePOF) : « Si la première fois nous avons mis un certain temps avant de démarrer, cette fois nous allons commencer à grande vitesse. […] Notre défi est de soulever des problèmes originaux et d’assumer un leadership international ». L’équipe de Bagnato est notamment reconnue pour ses contributions dans le domaine de la turbulence quantique, un phénomène démontré pour la première fois par le groupe de São Carlos en 2009. Cette ligne de recherche est liée au Condensat de Bose-Einstein, un groupement d’atomes (ou molécules) qui, soumis à de basses températures, se comportent comme une entité unique. Le centre va développer la recherche sur trois fronts : atomes froids (comme ceux du Condensat de Bose-Einstein), plasmonique (domaine qui peut résulter, dans le champ de la recherche appliquée, en processeurs optiques d’ordinateurs) et biophotonique (qui utilise la lumière comme outil de recherche en sciences de la vie). L’un des éléments principaux de la nouvelle phase du CePOF est l’innovation. Selon Bagnato, « l’objectif n’est pas seulement d’obtenir des brevets, mais d’élaborer des projets avec des entreprises ». Le centre a d’ailleurs collaboré au lancement de 25 produits. Inspirés des Science and Technology Centers, un programme créé en 1987 par la National Science Foundation (NSF) des États-Unis, les Cepid stimulent les équipes thématiques multidisciplinaires aux caractéristiques bien définies. Comme le précise Hernan Chaimovich, « ce qui est visé c’est la recherche de niveau international et multidisciplinaire, à la frontière de la connaissance, qui détermine de nouvelles directions pour la recherche et ne se contente pas d’accompagner l’état de l’art ». Les centres doivent également innover et transférer de la connaissance au secteur productif ou servir de support à la création de poli30 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
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« Ce que l’on vise, c’est une recherche de classe internationale, qui détermine de nouvelles directions pour la science », dit Hernan Chaimovich tiques publiques. « Il y a une troisième composante importante, qui est la formation de capacités. Les centres ont besoin d’œuvrer en faveur de l’enseignement, de la diffusion de la connaissance produite », affirme le coordonnateur qui fait référence à l’offre de cours pour les étudiants et au développement de ressources pédagogiques. FRONTIÈRE DE LA CONNAISSANCE
L’actualisation des orientations de certains Cepid, qui techniquement sont devenus d’autres centres, s’explique par l’apparition de nouveaux thèmes à la frontière de la connaissance. Par exemple, un centre tourné vers la recherche de maladies génétiques a incorporé l’étude de cellules souches dans son nom et comme point de mire. D’après Mayana Zatz, professeur de l’Institut de Biosciences de l’USP et coordonnatrice du Centre de Recherche sur le Génome Humain et les Cellules Souches, « cela a déjà été fait cours du premier Cepid, en 2005, quand nous avons introduit l’étude des cellules souches comme outil pour comprendre l’expression génique et la différenciation dans les maladies génétiques, et évaluer leur potentiel thérapeutique. […] C’est un des avantages d’un Cepid. Il permet d’actualiser l’orientation de la recherche tout en se maintenant toujours à la frontière ». L’autre nouveauté est l’inclusion de
l’étude du vieillissement, de maladies dégénératives et de facteurs qui peuvent contribuer à ces processus. Le centre développe un projet destiné à comparer la variation du génome et le fonctionnement du cerveau d’individus brésiliens sains de plus de 80 ans et d’un groupe de personnes de plus de 60 ans, suivis depuis plus de 10 ans. Le Centre d’Innovation en Biodiversité et Médicaments est né du Centre de Biotechnologie Moléculaire Structurale, avec des objectifs plus appliqués. Tandis que le Cepid approuvé en 2000 a étudié la structure et la fonction de molécules d’intérêt biotechnologique, l’actuel vise le développement de médicaments sur la base de composés rencontrés dans la biodiversité brésilienne ainsi que de substances synthétiques. Coordonné par Glaucius Oliva de l’Institut de Physique de São Carlos de l’USP et actuel président du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique, le centre s’est associé au Centre de Bioessais, Biosynthèse et Écophysiologie de Produits Naturels (NuBBE) de l’Universidade Estadual Paulista (Unesp) d’Araraqura, dirigé par la chercheuse Vanderlan Bolzani, et au groupe de Synthèse Chimique de l’Unicamp. Le NuBBE a réuni un ensemble de composés isolés de plantes, champignons ou micro-organismes, entre autres. Oliva dit que le centre « a beaucoup
1 et 2 Spectromètre de masses (1) et laboratoire de préformulation (2) à l’Institut Butantan
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appris en faisant de la recherche de haute qualité en biologie structurelle, et [que] l’heure est venue d’utiliser cette connaissance pour développer de nouveaux médicaments ». Le centre réunit des chercheurs de l’Université Fédérale de São Carlos et de la Faculté de Sciences Pharmaceutiques de Ribeirão Preto, de l’USP.
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VIOLENCE ET MÉTROPOLE
Dans le cas du Centre d’Études de la Métropole (CEM), la nouvelle phase va davantage mettre l’accent sur le rôle de l’État et des politiques publiques dans la réduction des inégalités. Installé dans le Centre Brésilien d’Analyse et de Planification (Cebrap), le CEM est coordonné par Marta Arretche, professeur de l’USP : « Nous savons qu’il y a une réduction consistante de l’inégalité de revenu au Brésil. Mais le bien-être des individus ne dépend pas seulement du revenu, il dépend aussi et de manière critique de l’accès aux services […]. Notre objectif est d’examiner de manière systématique ce qui se passe par rapport à l’inégalité d’accès aux services publics tels que l’eau, les égouts, l’emploi, l’éducation, la santé, et dans quelle mesure les politiques publiques affectent le bien-être des personnes ». L’autre intérêt central est le fonctionnement des institutions qui se situent hors de la portée de l’État dans les banlieues, notamment la sécurité et le marché immobilier – une grande partie des familles a accès au logement de manière irrégulière. Elle affirme que « le Brésil est connu pour abriter des zones que le gouvernement ne gouverne pas, d’où l’importance d’étudier l’action du crime organisé et du secteur immobilier dans les périphéries urbaines. D’un autre côté, l’autre dimension qui nous intéresse est le fleurissement des formes d’associati-
3 Laboratoire du Centre d’Études sur le Génome Humain et les Cellules Souches, à l’USP
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vité, de vie civile et d’expression culturelle dans les banlieues ». La nouvelle étape du CEM s’attachera à approfondir l’internationalisation du programme de recherches : « Un effort sera entrepris pour promouvoir des travaux conjoints avec des auteurs étrangers et pour augmenter les liens avec des chercheurs d’avant-garde ». L’un des travaux principaux du CEM initié dans les années 2000 est la production de données géoréférencées. Désormais, l’objectif est d’offrir un cours à distance de géoréférencement pour les personnes chargées de formuler des politiques et les chercheurs. Le Centre pour l’Étude de la Violence va se consacrer à une grande étude dans la ville de São Paulo pour donner suite aux questions soulevées dans le projet antérieur, qui a cartographié les scénarios de la violence dans le pays et analysé les causes de la persistance de la violence et les caractéristiques de la culture politique qui soutient les droits de l’homme. Le chercheur principal du centre est Sérgio Adorno, professeur de la Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences Humaines de l’USP : « Nous avons constaté que les citoyens ont beaucoup de mal à croire au pouvoir des lois et des institutions au niveau de la promotion de la justice sociale et de la réduction de conflits qui tendent à être résolus par la violence […] Nous voulons comprendre la relation et les liens entre les individus et le respect des lois, le respect des autorités, la reconnaissance des institutions chargées d’appliquer les lois et de préserver les droits ». D’après Adorno, le point de départ est le constat d’un rapport conflictuel entre les citoyens dans leurs quartiers et les services publics chargés de garantir des droits comme des écoles, des commissariats, des dispensaires. Dans ce sens, la recherche
examine les fondements de légitimité de l’ordre démocratique. Un groupe populationnel sera suivi au cours du temps et à des moments successifs. « Nous voulons observer les changements dans la relation entre les gouvernants et les gouvernés, les citoyens et les services publics, et comprendre les possibilités de renforcement des politiques de respect des lois et des institutions ». Pour cela, il faudra développer une méthodologie pour observer la ville : « La violence n’est pas distribuée de façon homogène. Pour mener une recherche longitudinale, il faut avoir une représentation de cette diversité territoriale et sociale ». L’étude est intégrée dans un réseau international. Des chercheurs de Colombie, du Mexique, des États-Unis, d’Afrique du Sud et d’Inde vont produire des études similaires, certains en sélectionnant des éléments mais en produisant des résultats comparables à ceux obtenus au Brésil. SANTÉ
Pour les chercheurs qui participent au programme, la possibilité de produire de la science de qualité est notable, et pas seulement en fonction du volume de ressources. « Avec la garantie de ressources sur un long terme, on peut travailler tranquillement, sans perdre du temps à essayer de trouver d’autres ressources », estime Fernando Cendes, professeur de la Faculté de Sciences Médicales de l’Unicamp et coordonnateur de l’Institut Brésilien de Neurosciences et Neurotechnologie (Brainn, le sigle en anglais). « La collaboration fonctionne bien avec tous les chercheurs quand on sait qu’il est possible de réaliser un projet audacieux. Le recueil de données peut s’étaler sur quatre ans, pour ensuite seulement faire des analyses complexes ». Il se forme alors PESQUISA FAPESP 31
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1 L’inégalité d’accès aux services publics dans les villes sera analysée par le Centre d’Études de la Métropole 2 Développement de vitrocéramique à l’UFSCar, siège du nouveau centre sur les matériaux vitreux
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un cercle vertueux : « Le groupe garantit un niveau de prestige qui permet d’attirer les meilleurs étudiants, plus d’investissements et une bonne infrastructure ». Le Cepid dirigé par Fernando Cendes est le fruit d’un autre investissement de la FAPESP, le programme CInAPCe (Coopération Interinstitutionnelle de Soutien à la Recherche sur le Cerveau) : il s’agit d’un réseau qui a réuni entre 2007 et 2012 trente groupes de recherche pour étudier les mécanismes de l’épilepsie sur la population brésilienne. Le nouveau centre se concentrera sur la recherche et le développement technologique liés à l’épilepsie, une maladie qui affecte 3 millions de Brésiliens, et l’accident vasculaire cérébral (AVC), responsable d’un décès sur neuf dans le pays. Travailleront ensemble des chercheurs en santé et en biologie, des professionnels en informatique graphique, des ingénieurs, des physiciens et des physiciens médicaux. L’objectif est d’interférer sur l’évolution de l’épilepsie et d’améliorer la réhabilitation des victimes d’AVC en développant de nouvelles méthodes diagnostiques et d’intervention, en incluant des produits comme des électrodes avec des microcircuits, des interfaces robotiques et des systèmes d’alerte accouplés à des téléphones portables. À l’exemple du Brainn, la compréhension de maladies qui atteignent une grande partie des personnes et la quête de nouvelles thérapies sont un dénominateur commun à plusieurs Cepid. Dans le cas du Centre de Recherche sur l’Obésité et les Comorbidités, une collaboration entre neuf chercheurs de l’Unicamp, quatre de l’USP et neuf d’autres pays vise à avancer dans la caractérisation des mécanismes au niveau 32 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
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cellulaire et moléculaire qui contribuent au développement de l’obésité. Professeur de la Faculté de Sciences Médicales de l’Unicamp et chercheur principal du centre, Licio Velloso affirme que « c’est seulement en connaissant l’origine du problème du point de vue moléculaire que l’on parviendra à trouver des solutions thérapeutiques. La prévalence de l’obésité, qui tournait autour de 5 % de la population mondiale dans les années 1970, est en voie de dépasser les 25 % dans cette décennie. Une série de maladies associées, comme l’hypertension, le diabète, l’AVC et l’infarctus, augmente et tue de plus en plus de gens, sans parler des coûts en matière de traitement médical. Velloso dit qu’« il n’existe pas de traitement efficace contre l’obésité ». Chaque chercheur du centre travaillera sur une maladie ou un topique de recherche spécifiques. « En unissant nos efforts, nous voulons faire avancer la connaissance et la thérapeutique. Nous avons un chercheur en chimie qui travaillera sur le développement de médicaments à partir de cibles potentielles que nous rencontrerons ». Le Centre de Recherche en Toxines, Réponse Immunitaire et Signalisation Cellulaire va se consacrer à des études sur les mécanismes biochimiques, moléculaires et cellulaires de toxines aux potentiels thérapeutiques. Situé à l’Institut Butantan, ce centre a pour origine le Centre de Toxinologie Appliquée, qui a fonctionné entre 2000 et 2012. Le centre est coordonné par Hugo Armelin, professeur de l’Institut de Chimie de l’USP et chercheur de l’Institut Butantan : « Dans la première étape du centre, l’objectif a été de découvrir de nouvelles toxines dans des venins et des sécretions
de plusieurs animaux, comme les cobras, les araignées et les tiques, en procédant à leur isolement et à leur caractérisation chimique et en promouvant la synthèse de peptides et d’essais biologiques pour vérifier l’activité des toxines. À présent, le but est de travailler avec des mécanismes d’action moléculaire de toxines sélectionnées ». Dix chercheurs du Butantan en immunologie, biochimie, biologie cellulaire, biologie systémique et informatique, reliés à plusieurs laboratoires de l’institution, étudieront la structure de protéines, le séquençage d’ADN et la production de protéines dans des bactéries, entre autres. Le Laboratoire de la Douleur et de la Signalisation travaillera sur le développement d’analgésiques et d’essais biologiques sur des rongeurs. Des études avec le poisson zèbre, un poisson qui sert de modèle pour les recherches sur la réponse immunologique contre des toxines, sont menées dans un laboratoire créé récemment pour cela. De l’avis d’Armelin, « utiliser des toxines signifie travailler en réseau de signalisation cellulaire. Les toxines sont des substances chimiques hautement spécifiques et servent d’outils pour étudier les voies de signalisation dans les cellules ». Vingt années d’expérience en études fondamentales et cliniques d’un groupe de chercheurs de la Faculté de Médecine de Ribeirão Preto, de l’USP, vont alimenter le Centre de Recherche sur les Maladies Inflammatoires d’origine auto-immune, infectieuse ou métabolique, comme l’arthrite rhumatoïde, le sepsis, la leishmaniose et l’athérosclérose. Les études recherchent de nouvelles cibles pour le développement de thérapies pour ces maladies. Sous la direction du professeur Fernando Queiraz
PHOTOS 1 ITACI BATISTA / AE 2 PHILIPPE PSAILA/SCIENCE PHOTO LIBRARY/SPL DC/LATINSTOCK 3 LÉO RAMOS
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Cunha, le groupe a déjà contribué de manière considérable à l’étude sur l’arthrite, à l’exemple des mécanismes par lesquels une partie des patients ne répond pas à un médicament important utilisé pour le traitement de l’arthrite, ou des raisons qui conduisent des fumeurs à présenter un tableau d’arthrite plus grave. Le groupe a également contribué à l’étude de la douleur inflammatoire et du sepsis. Le sepsis est une réponse inflammatoire systémique à une infection ; auparavant connu sous le nom de septicémie, il est fatal dans plus de 30 % des cas. L’un des objectifs du groupe est de comprendre pourquoi une partie des patients qui survivent à une crise aiguë de sepsis finit par mourir peu de temps après par suite d’autres infections ou d’autres maladies en apparence sans lien, comme le cancer et les problèmes cardiovasculaires. Le professeur indique qu’il compte utiliser l’expérience de son groupe et s’associer à d’autres groupes du domaine des études fondamentales et des études cliniques « pour augmenter l’éventail de maladies étudiées. […] Quand nous trouverons une cible biologique dont le potentiel permettra de développer un traitement, nous allons analyser son importance pour les autres maladies étudiées ». La recherche portera aussi sur la recherche de nouvelles molécules naturelles dans des plantes et dans la salive d’insectes vecteurs de maladies. Quant au Centre de Recherche sur les Processus Redox en Biomédecine, il recherche des stratégies antioxydantes efficaces et des biomarqueurs de stress oxydant au potentiel d’application technologique. Dirigé par la professeur Ohara Augusto de l’Institut de Chimie de l’USP, le centre disposera d’un laboratoire central qui fournira des instruments analytiques aux chercheurs. Fait nouveau dans le résultat de l’appel d’offres des Cepid, la sélection de deux centres dirigés par des mathématiciens. C’est le besoin de modèles mathématiques capables d’analyser la masse complexe de données produite par la neuroscience expérimentale qui a motivé la création du Centre de Recherche, Innovation et Diffusion en Neuromathématiques (NeuroMat). Pour Antonio Galvez, coordonnateur du centre et professeur de l’Institut de Mathématiques et Statistiques de l’USP, « la mission du centre est de développer une recherche pure en mathématiques et en statistiques à partir de questions fondamentales suscitées par la neurobiologie fondamentale et clinique. La neuroscience vit une situation
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1 L’obésité et le surpoids, qui atteignent déjà 25 % de la population, sont étudiés par un Cepid situé à l’Unicamp 2 Résonance magnétique du cerveau : une équipe basée à l’Unicamp va avancer dans les études sur l’épilepsie et l’AVC 3 Une étude de nanoparticules cherche à développer des matériaux avec de nouvelles fonctions au centre de l’Unesp d’Araraquara
de déséquilibre entre une grande capacité à produire des données expérimentales et une capacité insuffisante de compréhension théorique.[…] Le dépassement de ce déséquilibre passe par le développement d’un nouveau domaine des mathématiques, dans l’interface entre la théorie des probabilités, l’analyse combinatoire, les statistiques et l’informatique. L’objectif est de construire le cadre conceptuel adapté à la formulation rigoureuse des problèmes de la neurobiologie ». Des mathématiciens de différentes spécialités, associés à des informaticiens, des neuroscientifiques et des cliniciens, vont travailler ensemble. La principale activité de transfert technologique sera le développement d’outils informatiques open source pour la recherche fondamentale et clinique, ainsi qu’une banque de données neurobiologiques accessible librement. Une autre initiative se situe dans le champ de l’application des mathématiques à l’industrie. Le Centre de Recherche en Mathématiques Appliquées à l’Industrie est coordonnée par José Alberto Cuminato, professeur de l’Institut de Sciences Mathématiques et Informatique (ICMC) de l’USP à São Carlos : « Le Brésil n’a pas l’habitude d’utiliser les mathématiques comme outil pour le développement industriel, mais c’est une pratique commune à l’étranger ». Le centre a l’intention de transférer de la connaissance vers l’industrie, mais pas seulement : « Nous devons penser que les problèmes de l’industrie peuvent apporter de nouvelles approches de recherche pour les mathématiques. Quand un mathématicien s’occupe d’un problème universitaire, il formule une conjecture et tente
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de la prouver. S’il n’y parvient pas, il reformule ses hypothèses, les simplifie. Si je dois simuler l’écoulement d’un tube de 15 centimètres de diamètre, je ne peux le réduire à 10 centimètres. Le problème est réel ». Le Cepid va rechercher des solutions pour des domaines tels que la mécanique des fluides, l’ingénierie aéronautique, l’intelligence informatique, l’optimisation, la recherche opérationnelle et l’analyse de risque pour des banques. « Nous voulons surtout travailler avec des problèmes de petites entreprises », précise Cuminato. INTERDISCIPLINARITÉ
L’ambition partagée par les 17 Cepid est de réunir des chercheurs de différentes disciplines pour multiplier l’impact de leur production scientifique. Le Centre d’Ingénierie et d’Informatique réunit des spécialistes en chimie, physique, biologie, ingénierie mécanique, informatique et mathématiques appliquées, pour développer des techniques de simulation informatique avancées. Professeur de l’Institut de Chimie de l’Unicamp et coordonnateur du centre, Munir Skaf déclare : « Nous réunissons des scientifiques aux expériences différentes autour de thèmes multidisciplinaires, mais avec comme point central l’application et le développement de méthodes informatiques de grande intensité ». Il cite l’exemple de la géophysique informatique, qui a besoin d’analyser des quantités gigantesques de données cycliques, comme des séries de signaux sismographiques, pour obtenir des informations sur la géophysique d’un lieu : « Une nouvelle approche est nécessaire pour le traitement de grands PESQUISA FAPESP 33
Les nouveaux Cepid Les 17 Centres de Recherche, Innovation et Diffusion de la FAPESP Successeurs des Cepid de 2000 à 2012
Nouveaux Centres
CEPID
COORDINATION
EXPÉRIENCE PRÉCÉDENTE
INSTITUTIONS IMPLIQUÉES
Centre d’Innovation en Biodiversité et Médicaments
Galucius Oliva – IFSC/USP
Centre de Biotechnologie Moléculaire Structurale (2000-2012)
USP (siège), Unesp, Unicamp, UFSCar
Centre de Recherche en Toxines, Réponse auto-immune et Signalisation Cellulaire
Hugo Armelin – Instituto Butantan
Centre de Toxinologie Appliquée (2000-2012)
Instituto Butantan (siège), USP, Instituto de Pesquisa Albert Einstein, Unesp, UFMG, Académie Nationale de Médecine des États-Unis, universités de Glasgow, Cardiff, Stanford, Virginie, Toyama, Montpellier, Berlin et Lausanne
Centre de Thérapie Cellulaire
Marco Antonio Zago – FMRP/ USP
Centre de Thérapie Cellulaire (2000-2012)
Centre de Recherche en Optique et Photonique
Vanderlei Salvador Bagnato – IFSC/USP
Centre de Recherche en Optique et Photonique (2000-2012)
USP (siège), Unicamp, UFSCar, UFPE, Embrapa, Hospital do Câncer de Barretos
Centres d’Études de la Métropole
Marta Arretche Cebrap
Centre d’Études de la Métropole (2000-2012)
Cebrap (siège), USP, Unicamp, Inpe, Insper, UFSCar, King’s College
Centre pour l’Étude de la Violence
Sério Adorno – FFLCH/USP
Centre d’Études de la Violence (2000-2012)
USP (siège), Seade, El Colegio Del Mexico, Latin American Social Sciences Institute, Indian Institute for Human Settlements, Center for the Study of Violence and Reconciliation-Johanesburg, universités de Columbia, Californie et Cape Town
Centre de Recherche pour le Développement de Matériaux Fonctionnels
Elson Longo – IQ d’Araraquara/ Unesp
Centre Multidisciplinaire pour le Développement de Matériaux Céramiques (2000-2012)
Unesp (siège), USP, Unifesp, UFSCar, UFABC, IPEN, CNPEM et FacTI
Centre de Recherche sur le Génome Humain et les Cellules Souches
Mayana Zatz - USP
Centre d’Études du Génome Humain (2000-2012)
USP (siège), Unifesp, Hospital Albert Einstein, Fleury S.A., Fundação Zerbini, InCor, Université d’Utrecht
Centre de Recherche en Aliments
Bernadette Dora Gombossy de Melo Franco – FCF/USP
Centre de Soutien à la Recherche sur les Aliments et la Nutrition
USP (siège), Unicamp, Unesp, Ital, IMT
Centre de Recherche sur l’Obésité et les Comorbidités
Lício Velloso
INCT de l’Obésité et du Diabète (2009-2013)
Unicamp (siège), Unesp, InCor
Centre de Recherche, Technologie et Éducation en Matériaux Vitreux
Edgar Dutra Zanotto - UFSCar
UFSCar (siège), USP
Centre de Recherche en Mathématiques Appliquées à l’Industrie
José Alberto Cuminato – ICMC/ USP
USP (siège), Unicamp, Unesp, DCTA, UFSCar, PUC-RJ
Centre de Recherche sur les Maladies Inflammatoires
Fernando Queiroz Cunha – FMRP/ USP
USP (siège)
Centre de Recherche sur les Processus Redox en Biomédecine
Ohara Augusto – IQ/USP
USP (siège), Unesp, Unifesp, Instituto Butantan, A.C. Camargo Cancer Center, InCor, CNRS, National Institute of Aging, Atomic Energy and Alternative Energues Commission, universités de Harvard, Milwaukee, Boston, Rochester, Madrid, Emory, Liverpool John Moores, Koç, Aarhus, et d’Uruguay
Centre d’Ingénierie et Sciences Informatiques
Munir Skaf – IQ/ Unicamp
Unicamp (siège), Biocelere Agroindustrial, universités du Texas, Yale, de Buenos Aires et Graz
Institut Brésilien de Neurosciences et Neurotechnologie
Fernando Cendes – FCM/Unicamp
Programme CInAPCe (2007-2012)
Unicamp (siège), Unifesp, CTI, Unesp, UFABC, CNRS, universités de Montréal, Erlangen, Phillips et College London
Centre de Recherche, Innovation et Diffusion en Neuromathématiques
Antonio Galves – IME/USP
Centre de Soutien à la Recherche en Simulation stochastique - USP
USP (siège), Unicamp, UFABC, Impa, Conselho Regional de Estatística-SP, UFRJ, UFRN, Harvard Medical School, Watson Research Center, CNRS, universités Rockefeller, de Memphis, de San Andrés, de Buenos Aires et d’Uruguay
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USP (siège), Centro de Hemoterapia de Ribeirão Preto, Unesp, UFSCar, universités de Montréal, Guelph, Oxford, King’s College, Californie, Southern California, Northwestern, Feinberg, Munich, Paris et Leiden
JUAN OJEA
Chercheuse du Centre de Neuromathématiques, à l’USP : quête d’équilibre entre de grands volumes de données et leur compréhension
volumes de données, dans un domaine émergent qu’est l’eScience. Nous allons utiliser cette approche pour faire face aux problèmes liés à l’ingénierie des matériaux, la bioinformatique et la biotechnologie, les sciences moléculaires, l’agriculture et, qui sait, plus tard, les sciences du climat et les sciences sociales, qui impliquent de grands volumes de données » . La multidisciplinarité est aussi une caractéristique du Centre de Recherche en Aliments (Food Resarch Center, FoRC), une initiative d’un groupe de chercheurs issus de domaines tels que la science des aliments, l’ingénierie des aliments, la nutrition, la médecine et la clinique vétérinaire. Bernadette Dora Gombossy de Melo Franco est responsable de la coordination du Cepid, et professeur de la Faculté de Sciences Pharmaceutiques de l’USP. La recherche du centre est divisée en quatre points principaux : 1) Les aliments sont caractérisés par leur biodiversité, leur composition en macro- et micronutriments, et d’autres composés bénéfiques pour la santé, avec l’utilisation d’outils « omiques » ; 2) L’étude des impacts des composants d’aliments sur l’état nutritionnel de la population et la réduction du risque de maladies ; 3) l’évaluation de la sécurité des aliments par rapport aux risques découlant d’une contamination biologique et chimique ; 4) Les technologies pour améliorer la qualité, la sécurité et la valeur nutritionnelle des aliments et pour l’étude d’impacts environnementaux issus du traitement des aliments. Le FoRC a commencé à consolider sa place il y a trois ans, quand l’USP a encouragé la formation des Centres de Soutien à la Recherche (NAP), qui réunissent des
chercheurs autour d’un thème multidisciplinaire. La coordonnatrice rappelle qu’ « avec le début du Soutien à la Recherche en Aliments et Nutrition, quand l’appel d’offres du Cepid est apparu nous étions prêts pour monter le projet ». Trois villes de l’état de São Paulo – Araraquara, São Carlos et Ribeirão Preto –, situées à une distance de 100 km, réunissent 7 des 17 Cepid, signe évident de la force des institutions de recherche dans la région. La recherche en nucléation et cristallisation de verres de São Carlos, l’une des plus productives du monde, a donné naissance au Centre de Recherche, Technologie et Éducation en Matériaux Vitreux (CeRTEV, sigle en anglais). Le Cepid va réunir 14 chercheurs de l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar) et du pôle universitaire de l’USP à São Carlos en ingénierie des matériaux, physique et chimie, ainsi que 20 collaborateurs étrangers et 10 Brésiliens. Il fonctionne sous la direction d’Edgar Zanotto, qui est professeur de l’UFSCar et superviseur du Laboratoire de Matériaux Vitreux (LaMaV) : « Notre groupe est reconnu internationalement, mais il y a des aspects qui ont besoin d’être renforcés et les spécialistes en physique et en chimie pourront y contribuer de manière significative ». Parmi les topiques de recherche pris en compte par le Cepid, il y a le développement de vitrocéramiques pour l’utilisation dans des prothèses orthopédiques et dentaires et le remplacement de marbres et de granits, de matériaux pour la protection balistique d’automobiles et d’avions, et de supports pour des catalyseurs dans la production d’éthanol. Le Centre de Recherche pour le Développement de Matériaux Fonctionnels, situé à Araraquara, est une évolution du Centre Multidisciplinaire pour le Développement de Matériaux Céramiques, un Cepid dont la recherche était basée sur la synthèse de matériaux. Le nouveau centre cherche à développer des matériaux nanostructurés, taillés pour résoudre des problèmes liés à l’énergie renouvelable, la santé et l’environnement. « Nous allons continuer ce que nous faisions déjà, mais en suivant une autre direction », explique le coordonnateur du Cepid et professeur de l’Institut de Chimie d’Araraquara de l’Unesp. « Nous cherchons à créer des matériaux multifonctionnels. Nous étudions toute la gamme de propriétés d’un matériau et analysons la manière de les utiliser comme éléments d’un nouveau
matériau. Les réserves de certains composés sont épuisées. Nous devons optimiser l’utilisation de la matière première et améliorer la performance de ces matériaux ». L’énergie et la santé sont deux noyaux de recherche importants dans le centre : « Nous développons des matériaux bactéricides ou fongicides aussi bien pour diminuer les infections hospitalières que pour dépolluer les rivières et les lacs ». En outre, le centre veut stimuler la génération d’entreprises technologiques : « Dans le contexte international, nous allons augmenter l’interaction avec des universités et des parcs de haute technologie, pour établir des partenariats avec des entreprises de nos parcs ». Les Cepid offrent également des activités para-universitaires pour les étudiants et le public en général. Le CePOF de São Carlos possède une chaîne de TV qui propose des cours à distance pour des lycéens. « Nous allons maintenant créer des cours sur Internet pour des élèves de tout le Brésil », indique Vanderlei Bagnato. « Nous offrons des jeux éducatifs pour les élèves sur un portail web et avons eu plus de 4 millions d’accès », dit Elson Longo dont le centre a aussi mis des miniconférences de scientifiques sur Youtube. Une initiative qui réunit plusieurs centres développe des kits d’expériences scientifiques pour apprendre aux adolescents à aimer la recherche. Mayana Zatz raconte que des kits ont été distribués « dans des écoles de São Paulo et que l’impact entre les élèves a été énorme ». D’autres centres vont offrir des cours, développer des logiciels et des jeux vidéo et organiser une collection de musées de science. Marco Antonio Zago pense qu’« une bonne idée serait d’articuler les actions de diffusion de tous les Cepid tout en maintenant l’autonomie de chaque groupe, afin de créer un grand programme de diffusion de la science dans l’état de São Paulo ». Le Cepid dirigé par Zago a lancé en 2001 le programme Casa da Ciência [Maison de la Science], avec des activités destinées aux élèves et aux enseignants des écoles de la région de Ribeirão Preto. Et Carlos Henrique de Brito Cruz, le directeur scientifique de la FAPESP, de conclure : « Dans la phase antérieure, l’augmentation de l’impact intellectuel, social et économique des Cepid a été évidente. C’est pour cette raison que nos attentes sont élevées en ce qui concerne les 17 nouveaux sélectionnés ». n Fabrício Marques PESQUISA FAPESP 35
COUVERTURE
Réseaux divers Un programme mobilise des centaines d’institutions pour élargir la connaissance de la biodiversité brésilienne
Bruno de Pierro
U
n réseau national de chercheurs poursuivant l’objectif d’élargir la connaissance de la biodiversité brésilienne a commencé à prendre forme lors de la première réunion d’évaluation du Système National de Recherche en Biodiversité (Sisbiota). Cette initiative, coordonnée par le Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq), réunit des organismes liés à trois ministères outre les 14 FAPs, fondations publiques de soutien à la recherche. La réunion, qui s’est tenue du 3 au 6 juin, a répertorié 356 institutions participantes et 1 127 chercheurs dans tout le pays. «Il y a des projets en cours dans tous les biomes brésiliens grâce à la création de réseaux et à la décentralisation de la recherche», explique Roberto Berlinck, professeur à l’Institut de Chimie de São Carlos à l’Université de São Paulo (USP) et membre de la coordination du programme Biota-FAPESP créé à São Paulo en 1999 et qui a servi de référence au Sisbiota national. Roberto Berlinck a coordonné l’équipe de huit professeurs qui a évalué les 39 projets du Sisbiota qui regroupent 38 réseaux de recherche, plus un projet de synthèse de la connaissance. 36 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
La FAPESP cofinance 14 projets menés par des chercheurs travaillant dans des institutions de l’état de São Paulo. L’un d’entre eux est coordonné par Vanderlan Bolzani, professeur à l’Institut de chimie d’Araraquara, à l’Université Publique Pauliste (Unesp) et également membre de la coordination du programme BiotaFAPESP. L’étude qui devrait être conclue en janvier 2014, se concentre sur la prospection de molécules bioactives et sur l’étude de la variabilité de plantes et de microorganismes du Cerrado (N.D.T. région de savane) et de la Caatinga (N.D.T. forêt épineuse). Comme pour les autres projets du Sisbiota, Vanderlan Bolzani a dû créer un réseau qui regroupe 26 chercheurs, 15 laboratoires et 8 institutions, comme les universités fédérales du Ceará, du Piauí et de Minas Gérais. «Plus on collabore avec les autres états, plus le travail s’améliore», déclare Vanderlan Bolzani. Parmi les résultats obtenus par son groupe, la professeur souligne la récupération d’informations historiques, la prospection d’extraits végétaux avec une activité cytotoxique (antitumoraux), la caractérisation de principes actifs et l’utilisation d’informations génomiques pour le contrôle de
plantes médicinales. Elle nous parle de la découverte de 28 échantillons liés à des espèces de plantes peu connues de la science et qui sont vendus sur des marchés populaires. «Les personnes utilisent ces échantillons sans savoir le risque qu’elles courent en les consommant». Le réseau coordonné par la professeur Maria de Lourdes Teixeira de Moraes Polizeli, de la Faculté de Philosophie, Sciences et Lettres de l’USP à Ribeirão Preto, montre comment un travail de catalogage de nouvelles espèces peut déboucher sur des applications mises sur le marché. Cette étude qui est encore en cours et qui mobilise 123 chercheurs répartis dans tout le pays, concerne des champignons filamenteux producteurs d’enzymes qui peuvent être utilisés dans des bioraffineries pour produire, par exemple, du bioéthanol à partir de la bagasse et de la paille de canne à sucre. Parmi les mille champignons analysés, 40% ont de bons niveaux de production enzymatique. «Comme nous sommes en train de cataloguer les champignons, pourquoi ne pas exploiter leur potentiel biotechnologique?», s’interroge Maria de Lourdes, en expliquant le déroulement de son tra-
PHOTOGRAPHIE MIGUEL BOYAYAN INFOGRAPHIE ANA PAULA PONTES
PUBLIÉ EN JUILLET 2013
Sisbiota en chiffres Distribution des ressources du programme dans le pays
PROJETS PAR ÉTAT (RÉSEAUX)
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AM
1
PA
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RN
PE
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1
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3
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SP
1
RJ
PR
SOURCES DE FINANCEMENT en millions de réais
4
SC
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BUDGET TOTAL
RS
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FNDCT* 7,9
FAPESP 6
MMA**
TOTAL INVESTI PAR LES FAPS
4,9
Capes***
4,5
CNPq 1,8
Fapemig
En millions de réais
1,36
Fapesc
7,9
Fapeam
1
Fapergs
1 0,9
Fapespa Fapesb
3,59
0,8
Faperj
0,54
Fapes
0,5
Fapdf
0,5
Facepe
0,5
Fap-PR
0,4
Autres
0,33
*Fonds National de Développement Scientifique et Technologique **Ministère de l’Environnement ***Coordination de Perfectionnement du Personnel de Niveau Supérieur
3,48 2,72
2,65
2,54 2
1,8
1,87
1,8
1,36 1 0,5
SP
MG
DF
1
0,8
0,9
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SC
AM
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RS
PE
1
PA
ES
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0,8 0,4 PR
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0,4
0,25 0,2
RJ
RN
PESQUISA FAPESP 37
0,13 SE
vail. La professeur explique que la production potentielle d’enzymes du champignon varie selon le biome. L’Aspergillus niger, par exemple, est rencontré dans différents écosystèmes. Cependant, son potentiel enzymatique sera différent s’il pousse en Amazonie ou dans la caatinga. Le financement du projet sur trois ans s’élève à 2 millions de réais et le Sisbiota a accepté de le prolonger jusqu’en mars 2015. Selon la professeur, le travail en réseau lui a permis de découvrir d’autres réalités qu’elle méconnaissait. «En Amazonie, l’équipe a dû réaliser les collectes de champignon à cheval car beaucoup d’endroits se trouvent dans la forêt vierge. Il est souvent nécessaire d’utiliser des méthodes primitives pour faire de la science de pointe», affirme-t-elle. Maria de Lourdes attire l’attention sur l’importance de la poursuite du programme car il ne faut pas uniquement se soucier de produire des papers, mais savoir également profiter industriellement de ces découvertes et déposer des brevets. La poursuite du programme à long terme à travers de nouveaux appels d’offres n’a pas encore été définie. Selon Denise de Oliveira, analyste en science et technologie du CNPq et gestionnaire du premier appel d’offre du Sisbiota, le comité d’évaluation a recommandé que les projets en cours soient prolongés de plus d’un an. «Les projets 1 Têtards Scinax machadoi, trouvé ont reçus de nomdans l’état de Minas breux éloges pour Gerais par l’équipe de la manière dont ils Denise, de l’Unesp ont été conduits, mais certains ont 2 Paineirinha-do-cerrado été entravés par le (Eriotheca gracilipes), manque de pluies fleur du cerrado dans la région Norà Pratânia (SP)
«Plus nous collaborons avec les autres états, plus le travail s’améliore», déclare Vanderlan Bolzani
deste, par exemple. Compte-tenu de ce fait, le prolongement des délais est en train d’être analysé», déclare Denise de Oliveira. «L’intégration des recherches en réseau ne se fait pas du jour au lendemain. La connaissance de la biodiversité exige des recherches de longue durée». La garantie de financement sur le long terme permet d’expliquer le succès du Biota-FAPESP. Comme cela est dit dans le document de base du Sisbiota, l’expérience du programme pauliste a permis de «tracer les contours d’un programme d’une grande portée géographique». «10 ans après sa création, en 2009, le programme Biota-FAPESP a servi d’inspiration au gouvernement fédéral. Ce fut une stratégie réussie de la Fondation qui a d’ailleurs participé au programme Sisbiota avec un apport financier de presque 8 millions de réais», explique Roberto Berlinck. « Le Sisbiota a permis de créer des réseaux qui abordent diffé-
1
38 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
rents problèmes dans différents biomes, travaillant de manière complémentaire en évitant les redondances et qui offre un cadre plus complet en matière de connaissance de la biodiversité brésilienne», argumente le professeur, qui estime également que trois ans représentent peu de temps pour consolider les recherches. «Le Biota existe depuis 14 ans, l’idéal serait que le Sisbiota suive le même chemin», rajoute-t-il. L’autre projet du Sisbiota cofinancé par la FAPESP est mené par Antonio Carlos Marques, professeur à l’Institut de Biosciences de l’USP. Il coordonne une étude consacrée à la synthèse de la connaissance sur les organismes de la zone côtière maritime brésilienne. Ce réseau, appelé Sisbiota-Mer, collabore avec 15 états et 35 institutions, parmi lesquelles le Projet-Tamar et la Commission Technique nationale de Biosécurité (CTNBio). Le projet concerne plus de 100 chercheurs, parmi lesquels 26 sont responsables de l’articulation du réseau dans 8 états, comme ceux de São Paulo, Pernambouc, Bahia et Santa Catarina. Le projet a également établi des partenariats avec des universités aux États-Unis, en Allemagne et en Australie. COMPILATION
Antonio Carlos Marques a pu établir une comparaison historique en se basant sur les recherches qu’il avait menées à la fin des années 90 et au début des années 2000. «Notre perception de la diversité marine a beaucoup changé ces dix dernières années. Notre cadre de travail s’est amélioré, nous avons des collections plus structurées bien que nous n’ayons pas encore atteint le niveau idéal», affirme le chercheur. L’un des objectifs du Sisbiota-Mer est osé: avancer au maximum la compilation des registres de toutes les espèces marines de la côte brésilienne. Le Brésil a adhéré au Système d’Information Biogéographique Océanique (Obis), une plateforme globale qui a déjà enregistré 140 mille points dans les eaux brésiliennes et où il est possible de localiser au moins une espèce marine pour chacun d’entre eux. Le projet d’Antonio Carlos a alimenté la base de données de l’Obis de 105 mille points en 2 ans à peine. «Si nous voulons connaître notre zone océanique, il nous faut également étudier notre biote marin. Ce registre de données d’organismes marins sera important pour
la planification stratégique, l’informatisation et la création de politiques plus appropriées, outre le fait d’aider à la proposition et à la création d’unités de conservation plus efficaces», souligne le professeur.
PHOTOGRAPHIES 1 TIAGO PEZZUTI 2 EDUARDO CESAR
DÉCENTRALISATION
Trois grandes lignes de recherche ont été structurées pour organiser les différents objectifs de chaque réseau. La première concerne la synthèse et les lacunes de la connaissance sur la biodiversité brésilienne, avec des financements de projets compris entre 150 mille et 600 mille réais. La deuxième a organisé la recherche en réseaux thématiques pour élargir la connaissance sur le biote, le rôle fonctionnel, l’utilisation et la préservation de la biodiversité brésilienne, dans des projets s’élevant à 2 millions de réais. La troisième concerne la compréhension et la prévision de réponses aux changements climatiques et aux usages de la terre, dans des projets se chiffrant à 650 mille réais. «L’évaluation du Sisbiota a été primordiale pour que nous, chercheurs, nous puissions connaître d’autres travaux que nous n’imaginions même pas; il y a une grande richesse de données», souligne Vanderlan Bolzani. D’après lui, outre les recherches sur les plantes, il y en a beaucoup d’autres en cours sur les insectes et les poissons, y-compris sur les têtards. C’est le cas du réseau soutenu par la FAPESP qui étudie les têtards anoures (amphibiens qui à l’âge adulte ne possèdent pas de queue comme la grenouille et le crapaud) dans neuf biomes et végétations associées différents, comme la forêt atlantique et le Cerrado (ndt: région de savane). Le projet, coordonné par la professeur Denise de Cerqueira Rossa-Feres, de l’Institut de Biosciences, Lettres et Sciences Exactes de l’Unesp, implique 14 universités publiques dans 10 états, comme celles d’Alagoas, du Paraná et de São Paulo, des institutions internationales collaboratrices, comme l’University of South Florida, aux États-Unis, et le Gordon Leslie Diamond Care Centre, au Canada. Ce projet mobilise en tout 25 chercheurs dont 2 étrangers. Denise de Cerqueira explique qu’ils avaient tout d’abord prévu de collecter des échantillons de têtards dans 320 sources d’eau (flaques d’eau, étangs, lacs et ruisseaux). Le chiffre a bondit à 784 tout au long de la recherche, et il est prévu d’at-
2
«En Amazonie, l’équipe a du réaliser des collectes de champignons à cheval», affirme Maria de Lourdes teindre un chiffre avoisinant les milles sources d’eau à la fin du projet. Jusqu’à présent, plus de 300 espèces de têtards ont été prélevées, dont la plupart en phase d’identification. «Le plus important est que l’échantillonnage soit conduit de manière standardisée en ce qui concerne la caractérisation de l’environnement et même la méthode de collecte des têtards. La base de donnée sera totalement intégrée et comparable, permettant de nombreuses analyses de processus et de tests d’hypothèses», explique la chercheuse. Le principal objectif est de comprendre quels sont les facteurs qui créent une communauté et qui déterminent le type et la quantité d’espèces qui vont surgir. RECHERCHE INTERDISCIPLINAIRE
Un aspect très commenté par les coordonnateurs des réseaux au cours de la réunion d’évaluation est lié à l’opportunité concrète de mener des recherches interdisciplinaires. Selon Denise de Oliveira, du CNPq, comme la plupart des réseaux possèdent des spécialistes dans différents domaines, comme l’écologie, la biologie, la chimie et le climat, le savoir interdisciplinaire du Sisbiota est unique. «Mais nous avons reçu des recommandations pour que les réseaux soient plus décentralisés car la gestion financière est encore un défi à relever pour le chercheur», affirme-t-elle. Comme
chaque réseau est composé de sous-projets, certains coordonnateurs estiment qu’il serait plus simple que chacun soit autonome pour gérer directement les financements provenant du CNPq et de la fondation de soutien. Le problème, dit Denise, c’est qu’il y a des restrictions juridiques en ce qui concerne l’exécution des financements des FAPs hors de leurs états. «Cette discussion est une arme à double tranchant», déclare Maria de Lourdes. Pour elle, l’un des avantages de la centralisation des financements est la possibilité d’obtenir des réductions en faisant des achats groupés pour de nombreux équipements. «J’ai acheté pour tout le groupe sept appareils qui font la lecture de l’activité enzymatique. Le fait de les avoir achetés en une seule fois a permis d’en réduire le prix. Si chaque coordonnateur régional avait acheté le sien, le montant total serait plus élevé». Le côté négatif de la centralisation, ditelle, c’est la surcharge de travail du coordonnateur en termes de questions administratives et logistiques. «La FAPESP a insisté pour que les institutions de São Paulo aient leurs propres bureaux de gestion financière des projets, comme c’est le cas à l’Institut de Biosciences de l’USP qui a créé ce service afin d’alléger le travail du coordonnateur», déclare Antonio Carlos Marques. n PESQUISA FAPESP 39
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BOURSES DE POSTDOC DE LA FAPESP CONCÉDÉES À DES CHERCHEURS FORMÉS
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À L’ÉTRANGER, PAR AN
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Les sciences exactes sont celles qui enregistrent la plus grande augmentation Sciences exactes et de la terre
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Sciences humaines
L’internationalisation de la recherche
de São Paulo est stimulée par la venue de postdocs étrangers avec une bourse de la FAPESP Bruno de Pierro
PUBLIÉ EN AOÛT 2013
40 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
es données récentes de la FAPESP montrent que la venue de chercheurs postdoctoraux étrangers dans des institutions de l’état de São Paulo passe par des transformations. L’exemple le plus significatif est celui des sciences exactes et de la terre : en 2007, 16 % des bourses de postdoctorat de la Fondation étaient accordées à des chercheurs qui avaient suivi leur formation à l’étranger. En 2012, ce taux était passé à 34 %. Cette augmentation s’observe aussi dans d’autres domaines, comme celui des sciences biologiques (de 6 % à 11 %) et des sciences sociales appliquées (de 0 % à 6 %) – toujours entre 2007 et 2012. Le seul domaine qui a connu une réduction de bourses est celui des sciences agraires : de 2 % en 2007 à 1 % en 2012 (cf. graphique). . La plus grande attraction de cerveaux à São Paulo est la conséquence de plusieurs facteurs. Il y a notamment la croissance des incitations à l’internationalisation de la recherche nationale,
ILLUSTRATION FABIO OTUBO INFOGRAPHIQUES ANA PAULA CAMPOS
Science compétitive D
Linguistique, lettres et arts
6
6
7
un processus qui compte sur une forte participation de la FAPESP avec l’octroi de bourses pour des chercheurs étrangers, et la reconnaissance internationale d’un nombre croissant de groupes de recherche brésiliens qui font une science compétitive. La crise économique qui atteint l’Europe et les États-Unis, et qui a donné lieu à des coupures budgétaires pour la science, est également un facteur stimulant. Dans certains domaines, à ces facteurs s’ajoute l’effort des directeurs de recherche pour établir des partenariats durables avec des groupes de recherche d’autres pays, une démarche qui a favorisé l’insertion internationale de laboratoires au cours de la dernière décennie. Pour Edgar Dutra Zanetto, chercheur du Centre de Sciences Exactes et de Technologie de l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar), « le mécanisme d’attraction est très concentré sur la personne du directeur de recherche. Il est choisi par le boursier parce qu’il participe souvent à des congrès internationaux ou parce
Sciences biologiques
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Sciences agraires
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Sciences de la santé
D’OÙ VIENNENT LES POSTDOCS Nombre de bourses de postdoctorat de la FAPESP concédées à des chercheurs étrangers, selon l’origine (2007-2012)
Pérou Argentine Colombie France Inde États-Unis Italie Espagne Allemagne Angleterre Cuba Portugal Chili Russie Chine Uruguay Iran Mexique Pakistan Venezuela
16 15 15 13 13 12
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37 36 35
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66
9 8 7 6 6 6 PESQUISA FAPESP 41
Stages à l’étranger Quantité de bourses du programme Bepe de la FAPESP par destination et par domaine (ci-dessous) entre octobre 2011 et mai 1013
76 Canada
3 Russie
420 États-Unis 10 Japon 1 Thaïlande
10 Mexique
3 Singapour
1 Bolivie
23 Australie
2 2 Chili Uruguay 9 Argentine
qu’il est connu pour la qualité des articles qu’il produit ». Edgar Zanotto a reçu cette année le Prix Almirante Álvaro Alberto pour la Science et la Technologie ; il est une référence internationale en matière de processus cynétiques dans les verres et vitrocéramiques et a déjà reçu dans son laboratoire des dizaines de boursiers de différents pays. Néanmoins, la trajectoire scientifique n’est pas le seul facteur décisif pour attirer l’attention de bons chercheurs étrangers. La structure de travail doit être conforme aux attentes de ces chercheurs qui ont généralement suivi leur formation dans des universités et des institutions de recherche importantes. D’après Vanderlei Bagnato, professeur de l’Institut de Physique de São Carlos (IFSCar) de l’Université de São Paulo (USP), « en sciences exactes, la structure des laboratoires est fondamentale pour recevoir des chercheurs de l’étranger. […] S’ajoute à cela le fait que le montant de nos bourses est aussi élevé et compétitif ». Bagnato a récemment participé à l’organisation d’un événement qui a réuni cinq vainqueurs du prix Nobel à l’IFSC. Dans le contexte de l’internationalisation, la FAPESP a créé en 2009 le Programme École São Paulo de Science Avancée (ESPCA), une modalité de soutien qui vise à augmenter l’exposition internationale des domaines de recherche de São Paulo qui sont déjà compétitifs mondialement. 42 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Sc. biologiques Sc. exactes et de la terre Sc. agraires Sc. humaines Santé Ingénieries Linguistique, lettres et arts Sc. Sociales appliquées Interdisciplinaire
296 232 130 127 124 104 90 25 7
Le programme offre des opportunités aux chercheurs de São Paulo pour qu’ils organisent des cours de courte durée où doivent être invités des chercheurs de plusieurs endroits du monde et de São Paulo. Le public des cours doit être formé d’étudiants de deuxième et troisième cycles ainsi que des jeunes docteurs, dont la moitié au moins de l’étranger. Un des objectifs est de montrer aux étudiants et aux chercheurs étrangers des opportunités de recherche à São Paulo et d’attirer les meilleurs. La mise en avant des sciences exactes peut être expliquée par l’aspect pionnier de la recherche de certains groupes, comme celui de Bagnato, qui étudie la turbulence quantique de la condensation de Bose-Einstein – nom donné à un regroupement d’atomes ou de molécules qui, quand ils sont refroidis à des températures proches du zéro absolu, se comportent comme une entité unique.
3 Finlande
4 Norvège 11 Écosse
12 Suède 10 Danemark
97 3 Irlande Angleterre
25 3 Hollande Pays de 11 73 Galles Belgique Allemagne 108 France
68 Portugal
84 Espagne
12 Suisse
3 Pologne
1 République 2 tchèque Autriche
« Le montant de nos bourses est élevé et compétitif », signale Vanderlei Bagnato
43 Italie 2 Grèce
C’est pour cette raison que le Nord-américain Kyle Joseph Thompson a décidé de demander à Bagnato qu’il dirige son postdoctorat au Brésil après la conclusion de son doctorat à l’Université de Floride, Gainesville : « J’ai décidé d’étudier la turbulence quantique des fluides, et après une recherche approfondie j’ai découvert que le groupe du professeur Bagnato à l’USP était le plus indiqué. […] Ici au Brésil, je fais des recherches à côté de personnes de plusieurs parties du monde, et j’utilise les techniques et technologies les plus modernes ». Dans d’autres domaines comme celui des sciences de la santé, même si la venue de chercheurs d’autres pays augmente, le pourcentage des boursiers étrangers est encore faible. Sur les 61 bourses de postdoctorat concédées en 2007 par la FAPESP à ce domaine, seulement deux ont été attribuées à des chercheurs de l’étranger. Mais en 2012, le nombre de bourses est passé à 111, dont six pour des chercheurs postdoctoraux étrangers. Pour Carlos Augusto Monteiro, professeur et chercheur en nutrition de la Faculté de Santé Publique de l’USP et un des responsables de la venue de chercheurs étrangers dans le domaine de la santé à São Paulo, « il existe en réalité une demande réprimée. Il y a beaucoup plus de jeunes docteurs de l’étranger qui pourraient bénéficier de l’expérience d’un travail au Brésil
». Actuellement il dirige le postdoctorat d’un jeune anthropologue canadien qui a fait sa formation à l’Université de Montréal, et il attend la réponse de la FAPESP pour une bourse sollicitée par une Colombienne qui a terminé son doctorat à l’Université de Washington, aux États-Unis. Pour lui, les sciences de la santé reçoivent peu de chercheurs de l’étranger parce que les Brésiliens ne diffusent peut-être pas assez activement la disponibilité de places et de bourses dans des événements et des programmes de doctorat dans d’autres pays. DIFFUSION AGRESSIVE
La diffusion agressive de sa disposition à recevoir des boursiers est une des mesures adoptées par Monteiro pour attirer de bons candidats de l’étranger. Son groupe a développé une ligne singulière de recherche qui explore les relations entre les changements dans le système alimentaire global, la qualité des régimes et la pandémie actuelle de l’obésité. Docteur en santé publique, le Canadien Jean-Claude Moubarac a su avec certitude quel serait son thème de recherche posdoctorale et le lieu pour la réaliser après avoir lu un article de Monteiro dans une revue scientifique internationale : « À partir de ce moment-là, je me suis rendu compte qu’on partageait des intérêts et des visions du monde comPESQUISA FAPESP 43
RÉSEAUX DE RECHERCHE
Traditionnellement, les sciences humaines sont davantage marquées par l’aller de Brésiliens à l’étranger que par la venue de chercheurs étrangers dans le pays. C’est ce qu’observe Paula Montero, présidente du Centre Brésilien d’Analyse et de Planification (Cebrao) et coordinatrice adjointe de la FAPESP. Elle observe que dans le domaine de l’anthropologie, par exemple, l’internationalisation a été fondamentale pour garantir des avancées au moyen de la formation de réseaux de recherche comparée. Cela a permis au Brésil de progresser dans la recherche collaborative au cours des 10 dernières années, en augmentant sa participation à des débats mondiaux sur l’anthropologie. « La partie la plus difficile » ajoute-t-elle, « est de faire en sorte que les réflexions typiques de pays périphériques aient un impact sur les pays centraux ». D’après Zingano, la venue de chercheurs étrangers doit continuer à être un objectif, parce qu’elle a des répercussions positives sur les groupes de recherche qui les reçoivent : « Les étudiants et chercheurs brésiliens en formation qui cohabitent avec les postdocs apprennent de nouvelles procédures de travail et perçoivent qu’ils ont besoin d’être plus professionnels ». La crise aux États-Unis et 44 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
en Europe a favorisé la venue de chercheurs des sciences humaines qui n’auraient peut-être pas atterri au Brésil dans le cas contraire. C’est le cas du Nord-américain Evan Keeling de West Virginia, qui est venu pour travailler avec Zingano en 2011. Fuyant la crise de son pays, il a eu la chance de trouver de bonnes conditions pour rechercher et participer à des débats sur la philosophie ancienne à l’USP : « São Paulo devient de plus en plus attractif pour les universitaires de l’étranger. Par rapport à la philosophie ancienne, les travaux du professeur Zingano sont reconnus aux États-Unis et en Europe, ce qui m’a aussi aidé dans mon choix ». Keeling pense que le pays pourrait attirer plus de chercheurs s’il investissait dans la divulgation des bourses ainsi que dans des mesures pour diminuer la bureaucratie. Le Vénézuélien Simon Noriega Olmos, autre chercheur dirigé par Zingano, dit que le processus pour retirer des documents à la Police Fédérale est décourageant. Lorsqu’il a eu besoin de louer un appartement à son arrivée à São Paulo, le Canadien Jean-Claude Moubarac a été confronté à ces problèmes bureaucratiques. L’aide est venue de son directeur, le chercheur Carlos Augusto Monteiro, qui a dû louer l’appartement en son nom. En ce qui concerne les sciences agraires, José Roberto Postali Parra, professeur de l’École Supérieure d’Agriculture Luiz de Queiroz de l’USP et coordonnateur adjoint de la FAPESP en sciences de la vie, affirme le suivant : même si le pays est considéré leader en agriculture tropicale et a développé ses propres technologies, il y a aujourd’hui de grandes avancées en biotechnologie et biochimie dans le monde, ce qui oblige le Brésil à rechercher des chercheurs et de la connaissance à l’étranger. Toutefois, le domaine des sciences agraires est l’un de ceux qui reçoivent le moins de chercheurs postdoctoraux de l’étranger avec une bourse de la FAPESP : seulement 22 bourses ont été concédées à des chercheurs étrangers entre
Les chercheurs postdoctoraux Evan Keeling, nord-américain, et Jean-Claude Moubarac, canadien : attirés par la qualité de la recherche en nutrition et philosophie ancienne de l’Université de São Paulo
PHOTOS LÉO RAMOS
muns sur la santé et la nutrition ». À São Paulo depuis 2011, Moubarac estime aujourd’hui qu’il a choisi le bon endroit pour développer son travail : « Des chercheurs en santé publique d’autres pays sortent gagnants quand ils apprennent plus sur l’expérience brésilienne ». Dans d’autres cas, le secret pour arriver à attirer des cerveaux est de maintenir un rythme intense de communication avec des institutions et des groupes de recherche de l’étranger, même si les fruits de cette relation mettent un certain temps avant d’apparaître. Professeur de la Faculté de philosophie, lettres et sciences humaines de l’USP, Marco Antonio de Avila Zingano explique : « Il y a deux ans, j’ai lancé un appel pour trois bourses de recherche postdoctorale. J’ai reçu 16 projets de personnes intéressées. Incroyablement, toutes étaient étrangères ». Actuellement, il dirige quatre chercheurs postdoctoraux étrangers. Tourné vers la philosophie ancienne, son groupe est aujourd’hui inséré dans l’axe universitaire international sur le sujet et participe à des réseaux de diffusion et de divulgation sur Internet entre l’Amérique latine, l’Europe et les États-Unis. Zingano dit que « cette insertion internationale a été cruciale au moment de diffuser les appels d’offres pour les bourses, des années auparavant ». En 2007, la FAPESP a accordé 50 bourses de postdoctorat en sciences humaines, dont 3 pour des chercheurs venant de l’étranger. En 2012, elle a accordé 69 bourses, dont 6 pour des chercheurs d’autres pays.
Omar Mertins, qui a appris de nouvelles procédures à l’étranger pour appliquer dans des laboratoires brésiliens
un complément du travail déjà réalisé au Brésil ». Par rapport aux ingénieries, José Roberto Arruda, professeur de la Faculté d’ingénierie mécanique de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp) et coordonnateur adjoint de la FAPESP en sciences exactes et ingénieries, dit que la Bepe permet au chercheur d’enrichir sa formation, en particulier en ayant des contacts avec des pratiques scientifiques souvent plus objectives et consolidées : « Le programme a aussi pour but d’attirer de bons étudiants, en leur donnant l’opportunité de croître en tant que chercheur et en tant que personne à travers l’expérience du stage à l’étranger ». Lorsqu’il a décidé d’aller à Strasbourg en juin 2012, le chercheur postdoctoral de l’Institut de Physique de l’USP Omar Mertins est parti avec l’objectif d’apprendre de nouvelles procédures pour pouvoir aller de l’avant dans sa recherche sur des systèmes qui simulent des membranes biologiques. 2005 et 2012. Le nombre est Durant son stage de sept mois notamment inférieur au doà l’Institut Charles Sadron, il maine des sciences humaines, « São Paulo a été en contact avec la techqui est de 41, et des ingénieries, devient de plus avec 77 bourses de postdoc nique de la micromanipulation concédées à des chercheurs par pipette, indispensable pour en plus attractif étrangers entre 2005 et 2012. évaluer des aspects physiques de la membrane lipidique étudiée pour des sous irradiation lumineuse : « On CHEMIN INVERSE a apporté cette technologie au chercheurs La venue de chercheurs étranBrésil, il s’agit de quelque chose gers s’accompagne d’un moude l’étranger », d’inédit ici ». Le chercheur a vement d’aller d’étudiants et aussi accumulé des expériences de chercheurs brésiliens qui dit Evan à l’étranger après avoir fait un vont suivre des stages dans stage de doctorat en France et d’autres pays. Entre octobre Keeling un autre stage postdoctoral en 2011 et mai 2013, la FAPESP a Allemagne. offert 1 135 bourses par l’interLa doctorante Aline Silva médiaire de la Bourse Stage de Mello Cesar, de l’École SupéRecherche à l’Étranger (Bepe), un programme destiné à des rieure d’Agriculture Luiz Queiétudiants de deuxième cycle, master et doctorat roz de l’USP, a bénéficié d’un partenariat établi et à des chercheurs postdoctoraux de São Pau- antérieurement entre son directeur au Brésil et lo afin de stimuler l’internationalisation de la un laboratoire aux États-Unis, dans lequel elle a recherche. Les États-Unis restent la principale passé un an. Elle est rentrée en juin 2013 après destination des stages, qui durent entre un mois son expérience à l’Iowa State University, où elle et six ans. Pendant cette période, le pays a reçu a été en contact avec une nouvelle technologie 420 boursiers de São Paulo avec une bourse de pour le séquençage de l’ARN et l’association la FAPESP. Sur ces 420, 136 dans le champ des génomique : « Au Brésil, nous avons des équisciences biologiques et 80 dans celui des sciences pements pour réaliser cette procédure, mais pas exactes. La France a reçu 108 boursiers, la majo- pour organiser les résultats ». L’étudiante effectue rité (27) issus du domaine des sciences humaines une recherche sur l’identification et la caractéri(cf. graphique). sation de gènes associés au dépôt et à la composiD’après Walter Colli, professeur titulaire de tion de la graisse intramusculaire chez des bovins l’Université de São Paulo (USP) et coordonna- de race nélore. Grâce au stage, elle a pu présenter teur adjoint de la FAPESP en sciences de la vie, les résultats préliminaires de son projet dans des la plus grande réussite de la Bepe est d’exiger conférences internationales. « Tous les chercheurs que le boursier développe son travail à l’étran- devraient avoir l’opportunité d’aller à l’étranger ger en accord avec la ligne de recherche qu’il et d’apporter de nouvelles connaissances pour la réalise ici : « La FAPESP exige que le stage soit science brésilienne », conclut-elle. n PESQUISA FAPESP 45
LNLS
WORKSHOP y
Représentation des futures installations du LNLS : première source de troisième génération de l’Amérique latine
Partenaires du Sirius Le Laboratoire de Lumière Synchrotron fait appel à des entreprises innovantes pour la construction de sa nouvelle source de lumière Fabrício Marques et Rodrigo de Oliveira Andrade PUBLIÉ EN JUILLET 2013
L
e Laboratoire National de Lumière Synchrotron (LNLS) invite des entreprises brésiliennes innovantes à participer à la construction du Sirius, sa nouvelle source de lumière synchrotron de troisième génération, qui devra remplacer la source actuelle en opération depuis 1997. Le coût du projet est de 650 millions de reais, financés par le Ministère de la Science, la Technologie et l’Innovation (MCTI) et d’autres partenaires. Le 28 juin 2013, le LNLS a organisé la rencontre Parcerias Sirius [Partenariats Sirius], au cours de laquelle il a présenté à près de 50 représentants d’entreprises un ensemble de défis technologiques liés à la construction de la nouvelle source. L’expectative est qu’au moins 70 % du projet soit réalisé avec la participation de partenaires. La rencontre répondait à une suggestion de la 46 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
FAPESP, qui a présenté au MCTI en 2009 l’idée de se servir de la construction du Sirius pour mobiliser la qualification en recherche et développement des entreprises de l’état de São Paulo. Pedro Wongtschowski, président du conseil d’administration du Centre National de Recherche en Énergie et Matériaux (CNPEM), l’organisation sociale responsable de la gestion du LNLS, a dit que l’initiative était une opportunité donnée aux entreprises brésiliennes pour renforcer leur place : « L’importation sera toujours la deuxième alternative. Notre objectif est de répondre aux demandes de la science et de la technologie du pays et de générer des opportunités pour que l’industrie nationale puisse investir dans l’innovation ». Pour le directeur du LNLS, le physicien Antonio José Roque da Silva, ce type de partena-
riat a des répercussions différentes selon les entreprises : « Pour une grande compagnie, l’interaction est avantageuse parce qu’elle met ses équipes devant des défis sophistiqués et qu’elle s’impose comme fournisseuse sur le marché d’accélérateurs ». Deux compagnies sont déjà engagées : Weg, de l’état de Santa Catarina, pour la construction d’électroaimants, et Termomecanica, de São Bernardo do Campo, pour la fourniture de tubes en cuivre qui demandent un laminage différencié. Quant aux entreprises nouvelles, la perspective est aussi de signer un contrat significatif, un défi pour un commerce qui cherche encore à se consolider. D’après Antonio Cesar da Silva, directeur du marketing et des relations institutionnelles de Weg, la fabrication des électroaimants est un défi pour l’entreprise dans la mesure où ils ne font pas partie des produits habituels de sa ligne de production : « Nous faisons en sorte de toujours relever des défis dans le domaine de la technologie. Si bien qu’en plus d’un conseil administratif nous avons aussi un conseil scientifique et technologique ». Et pour Luis Carlos Rabello, conseiller de Termomecanica, pouvoir participer au projet Sirius apportera plus que des
bénéfices financiers : « Le partenariat sera productif pour notre entreprise et pour le pays, où l’innovation technologique reste encore insuffisante ». SÉLECTION
Le LNLS a sélectionné un ensemble de défis qui sont présentés aux entreprises (cf. tableau). Il y a par exemple « écrans fluorescents de profil de faisceau d’électrons » et « développement de sources de courant de faible puissance », identifiés à partir de la cartographie de l’ensemble de systèmes et composants de l’anneau. Certains doivent être remis l’an prochain, tandis que d’autres pourront être prêts plus tard. Dans le cas des électroaimants de Weg, la livraison va se faire au fur et à mesure – plus de 1 000 pièces doivent être fabriquées. D’autres composants, comme le système de surveillance, n’ont besoin d’être livré que lorsque le tunnel sera prêt, en 2016. Au cours des prochaines semaines, les entreprises intéressées seront évaluées du point de vue de leur capacité technique. Après la sélection, elles devront suivre un calendrier rigoureux, qui inclut la création de prototypes, les tests et la fabrication. Une partie des composants sera produite à l’étranger. Comme l’observe le directeur du LNLS, « certains systèmes sophistiqués requièrent un long délai de production, comme la fabrication de miroirs. On n’aurait pas le temps de les produire dans le pays ». Associer des entreprises à la construction de grandes installations scientifiques est une pratique commune en Europe et aux États-Unis, mais encore assez rare au Brésil. L’Institut National de Recherches Spatiales (Inpe) utilise la capacité d’entreprises de technologie aérospatiale dans plusieurs projets. La construction de la coupole du télescope Soar, dans les Andes chiliennes, et le développement de détecteurs de rayons cosmiques pour l’observatoire Pierre Auger, en Argentine – des projets soutenus par la FAPESP –, ont été réalisés par des entreprises brésiliennes de haute technologie. De l’avis de Carlos Henrique de Brito Cruz, le directeur scientifique de la FAPESP qui a participé à la rencontre, « le LNLS offre une opportunité pour la qualification et le développement d’entreprises de l’état de São Paulo, qui pourront soumettre des projets à des programmes de la FAPESP, comme le Pipe [Recherches Innovantes dans les Petites Entreprises]. […] On ne peut avoir un pays où la science et la re-
Les défis technologiques Le LNLS recherche des entreprises pour développer les équipements, dispositifs et systèmes suivants : DOMAINE
PRODUITS
Optique
Masques pour lignes de lumière Fentes monochromatiques pour lignes de lumière
Électronique de puissance
Sources de courant de faible puissance Sources de courant de forte puissance Modules de régulation numérique de source
Ultra-vide
Soupapes en métal pour vide Chambres métalliques pour ultra-vide Chambres d’éléments optiques à vide
Automation / Robotique
Robots Gamma Shutter (équip. pour obstruer les rayons gamma) Photon Shutter (équip. pour obstruer les photons) Porte-échantillons pour expérimentations
Contrôle et supervision de données
Équipements de connectivité Plaque universelle de contrôle (PUC)
Mécanique et transfert de chaleur
Unité de fourniture d’azote Unité de fourniture d’hélium
Électronique pour diagnostic du faisceau
RF Front End (montage et test des plaques) FMC Digitizer (montage et test des plaques) Digital Back End (montage et test des plaques) Électronique de détecteur de position de photons
Mécanique pour diagnostic du faisceau
Mécanique des indicateurs de position des électrons Moniteurs fluorescents
Matériaux
Ruban de chauffage
Mécanique
Combinateurs amplificateurs de RF Systèmes de guide d’ondes Crémaillères Berceaux Douilles d’alignement des berceaux Hutch (tente pour expérimentations)
Contrôle et automation
Train de surveillance de tunnel Centrales d’ interlock
Électroniques
cherche sont fortes à l’université et pas dans les entreprises ». « Le premier accélérateur a pratiquement été tout fait dans le laboratoire, y compris à cause des caractéristiques du moment comme l’inflation élevée, la difficulté d’importation et les incertitudes financières » a souligné Antonio José Roque da Silva. Le rayonnement synchrotron est généré par des électrons produits dans un accélérateur, qui tournent dans un grand anneau quasiment à la vitesse de la lumière ; et quand ils sont soumis à l’action d’aimants, ils subissent une déflexion provoquée par le champ magnétique. Des photons sont alors émis et donnent lieu au rayonnement synchrotron. Les ondes électromagnétiques sont utilisées dans le LNLS par
Câbles
des chercheurs de tout le pays, dans des stations de travail ou des lignes de lumière disséminées sur des points de l’anneau, dans des études sur la structure atomique de matériaux tels que les polymères, les roches, les métaux mais aussi les protéines, les molécules pour des médicaments et des cosmétiques, ou encore des images tridimensionnelles de fossiles et même de cellules. De par ses caractéristiques techniques, Sirius sera le seul de troisième génération en Amérique latine. Et Luiz Antônio Elias, directeur exécutif du MCTI, de conclure : « Le partenariat avec le secteur entrepreneurial sera décisif, parce qu’il ouvrira la voie à cette perspective d’innovation et de développement scientifique et technologique dans le pays ». n PESQUISA FAPESP 47
SCIENCES NÉCROLOGIE y
Penseur de la biodiversité Le zoologue Paulo Vanzolini a été l’un des fondateurs de la FAPESP, l’auteur d’une théorie sur l’origine des espèces en Amérique du Sud et une icône de la samba pauliste
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PUBLIÉE EN JUIN 2013
“J
e vénère la nature. J’ai eu une carrière gratifiante. Je peux dire que je suis un chercheur totalement accompli», déclare le biologiste pauliste Paulo Emílio Vanzolini en 2010 à la revue Pesquisa FAPESP en présentant son livre intitulé Évolution des Espèces de Reptiles d’Amérique du Sud. Le livre réunit en 704 pages les 47 principaux articles scientifiques de Paulo Vanzolini, publiés entre 1945 et 2004, et qui ont permis d’élargir le champ de la zoologie brésilienne qui, jusqu’à la moitié du vingtième siècle, se basait uniquement sur la description d’espèces isolées et qui, grâce aux travaux de Paulo Vanzolini, s’est réorientée vers la recherche de mécanismes expliquant la formation de nouvelles espèces examinées d’un point de vue biologique, évolutif et environnemental. Paulo Vanzolini, qui est décédé d’une pneumonie le 28 avril, cinq jours après avoir eu 89 ans, écrivait également des sambas, sa deuxième passion après la zoologie. Outre le fait de composer (son plus grand succès s’appelle Ronda et a été composé en 1951), il montait parfois sur scène.
48 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
L’une de ses dernières apparitions a eu lieu dans la brasserie du Sesc Pompeia, à São Paulo, en janvier 2012. Sa femme, la chanteuse Ana Bernardo, interprétait ses musiques pendant qu’il attendait assis à une table pour ensuite raconter des histoires vécues. Son œuvre restera car, outre le fait d’avoir ouvert la voie à la biologie, il a également collaboré à l’organisation de la Science brésilienne. «Paulo Vanzolini a participé au mouvement de professeurs et de chercheurs qui ont proposé la création de la FAPESP. Sa contribution a été fondamentale au cours du gouvernement Carvalho Pinto pour structurer l’institution et concevoir le modèle organisationnel qui régit la Fondation jusqu’à nos jours», affirme Celso Lafer, président de la FAPESP. «Je regrette profondément sa disparition. Paulo Vanzolini était une personne que j’admirais beaucoup». Paulo Vanzolini a participé aux premières réunions sur la création de la FAPESP juste après la Constitution de 1947 l’autorisant à se constituer en fondation de soutien à la recherche à São Pau-
1 L’Anolis chrysolepis est à l’origine de la formulation de la théorie des refuges
2 / 3 Paulo Vanzolini en 2012 au cours de l’un de ses voyages dans la région Nord du Brésil
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PHOTOGRAPHIES 1 LÉO RAMOS 2 DESSIN EXTRAIT DE L’ARTICLE «VANZOLINI ET WILLIAMS» 1970 3 ARCHIVE FAMILIALE
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lo. C’est lui qui, en 1960, a élaboré la loi de création et les statuts de la FAPESP. Paulo Vanzolini a participé au choix des premiers directeurs et assesseurs avec Antonio Barros de Ulhôa Cintra, président de l’USP et président du Conseil Supérieur de la Fondation. Il a été «l’une des forces de cohésion de la FAPESP», écrit l’historienne de la science Amélia Império Hamburger, dans le livre FAPESP 40 ans: ouvrant les frontières. Paulo Vanzolini a été membre du Conseil Supérieur au cours de trois périodes (1961 à 1967, 1977 à 1979 et 1986 à 1993). Quand Oscar Sala, directeur scientifique entre 1969 et 1975, voyageait, c’était lui qui coordonnait l’examen des demandes d’aides et de bourses. Durant sa gestion du Musée de Zoologie de l’USP entre 1962 et 1993, il a augmenté la collection de plus de mille exemplaires catalogués sur les plus de 300 mille actuels. Il dactylographiait lui-même les étiquettes et les fiches d’identification des animaux conservés, se rappelle Miguel Trefaut Rodrigues, biologiste qui a fait son doctorat sous l’orientation de Paulo Vanzolini et qui
a ensuite été recruté comme professeur à l’USP pour devenir l’un des principaux herpétlogistes (spécialiste en reptiles) brésiliens aux côtés Paulo Vanzolini. Miguel Rodrigues lui a ensuite succédé à la direction du musée qui possède aujourd’hui l’une des plus grandes et des plus importantes collections zoologiques néo-tropicales. ENTRE LA GUERRE ET LA BOHÈME
Paulo Vanzolini entendait souvent parler de l’USP et écoutait de la musique depuis son enfance. Son père était ingénieur civil électricien et professeur à l’École Polytechnique de l’USP et sa mère et sa sœur étaient musiciennes. Il s’est intéressé aux reptiles dès l’âge de 10 ans après avoir visité l’Institut Butantan et a été stagiaire à l’Institut Biologique à l’âge de 14 ans. Au cours de la deuxième guerre mondiale, quand il suivait des cours de médecine à l’USP, il s’est engagé comme volontaire dans la Force Expéditionnaire Brésilienne pour combattre en Italie mais la guerre a pris fin avant qu’il n’embarque. À la fin de son cours de médecine, en 1947, comme il préférait étudier les PESQUISA FAPESP 49
animaux plutôt que de soigner les gens, Paulo Vanzolini est parti faire un doctorat à l’Université de Harvard, à Boston, aux États-Unis, et a pu ainsi continuer à écouter de la bonne musique, cette foisci dans des bars américains. Peu de doctorats auront autant influencé un domaine de la science brésilienne comme celui de Paulo Vanzolini à l’université de Harvard. Quand il est revenu au Brésil en 1951, après avoir fréquenté des biologistes qui examinaient la formation et la diversification d’espèces d’un point de vue évolutif, il a introduit des concepts qui ont révolutionné la zoologie brésilienne et qui sont toujours utilisés pour comprendre la biodiversité. Paulo Vanzolini déclarait qu’il était essentiel d’étudier les espèces non seulement au moyen d’exemplaires isolés, comme c’était alors de coutume, mais 50 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
également à travers la distribution dans le temps et dans l’espace des populations d’une même espèce. Il a ensuite émis l’idée que la grande diversité des espèces amazoniennes était due à l’isolement géographique de populations d’animaux provoqué par des variations climatiques qui avaient eu lieu il y a des milliers d’années. Dans des époques de climat froid et sec, les forêts se seraient fragmentées et auraient formé des îles de végétation, également appelées refuges, où les animaux ont pu survivre et former de nouvelles espèces. Cette approche peut encore être utile, bien qu’avec le temps, comme tout autre, elle ait présenté des limites. «Les refuges n’expliquent pas à eux seuls les modèles de diversité biologique», souligne Célio Haddad, professeur à l’Université Publique Pauliste (Unesp) de Rio Claro.
Selon lui, les aspects phylogénétiques, climatiques et géologiques doivent être analysés ensembles pour pouvoir comprendre réellement la formation et la diversification des espèces. «Une même idée ou hypothèse peuvent être utilisées dans des contextes distincts», déclare le biologiste João Alexandrino, professeur à l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp). Au début du mois de mai, un de ses étudiants a entrepris une analyse sur la diversité génétique des populations d’un type de grenouille qui vit dans la forêt atlantique et dans les champs du sud du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay. Après avoir examiné les premiers résultats des modèles de diversité, João Alexandrino a suggéré à son étudiant de lire un article publié par Paulo Vanzolini, en 1981, sur le concept de refuges évanescents, et dans lequel les îles de forêts pourraient se fragmenter, obligeant les espèces moins spécialisées à s’adapter à des environnements ouverts. «L’approche concernant les refuges a été novatrice à cette époque et a influencé plusieurs générations de chercheurs», observe Hussam Zaher, directeur du Musée de Zoologie de l’Université de
PHOTOS PARAGUASSÚ ÉLERES COLLECTION
Les grands fleuves peuvent favoriser l’isolement et la différentiation des espèces
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1 Dessin de Paraguassú Éleres de la structure en bois du Lindolpho R. Guimarães
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2 Le Lindolpho prêt à recevoir l’arbre de transmission et le gouvernail (Paulo Vanzolini dans la pirogue) 3 L’équipe de soutien avec le chargement de la première collecte sur la route Belém-Brasília en mai 1967 4 Les deux navires à quai, à Oriximiná en 1966 (Heraldo Britski, du Musée de Zoologie, à droite) 5 Page d’un carnet de route de Paulo Vanzolini
PESQUISA PESQUISA FAPESP FAPESP z 51 51
São Paulo (USP), dont Paulo Vanzolini fut directeur durant trois décennies, ayant été nommé directeur à vie par le gouverneur Carvalho Pinto. «On a longtemps parlé de refuges». Hussam Zaher estime que le plus grand mérite scientifique de Paulo Vanzolini est d’avoir apporté et aidé à implanter la synthèse moderne issue des travaux génétiques de Theodosius Dobzhansky, d’Ernest Mayr en zoologie et de George Simpson en paléontologie. Paulo Vanzolini a été élève d’Ernest Mayr et de George Simpson à Harvard qui, depuis cette époque, est un centre de la science moderne. Theodosius Dobzhansky, qui a aussi travaillé à Harvard, a été important pour la formation des premiers généticiens au Brésil où il s’est rendu à quatre reprises. Vanzo, comme il préfère qu’on l’appelle, connaissait bien les
intellectuels car son arrière grand-père avait traduit du latin vers l’italien les six livres De rerum natura (de la nature des choses), du poète romain Lucrèce, et son grand-père envoyait des espèces intéressantes d’animaux brésiliens dans les musées d’Europe. Lors d’un témoignage apporté au zoologiste William Ronald Heyer, Paulo Vanzolini a raconté qu’il avait appris l’anglais en lisant les pièces de Shakespeare dans l’original. La théorie des refuges a été présentée par le géologue allemand Jürgen Haffer en 1969 dans la revue Science. Jürgen Haffer a démontré qu’il y avait une plus grande concentration de populations de différentes espèces de toucans dans les zones de plus grande pluviosité. Trois ans plus tôt, l’ornithologue anglais Reginald Moreau avait souligné l’influence des alternances climatiques
Voyages pionniers Le Musée de Zoologie, la FAPESP et les Centres de Recherche de Belém et de Manaus se sont unis pour mener des recherches dans des zones inexplorées de l’Amazonie
n FAPESP + MZ-USP n MZ-USP n Voyage proposé pour 1977
52 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
APPLICATIONS ET LIMITES
«Il est impossible de dire que le modèle de refuges, comme il préférait l’appeler, ne puisse s’appliquer à une partie de notre faune», déclare le zoologue Miguel Trefaut Rodrigues. Les zones humides d’altitude (îles de forêts situées sur le sommet de collines, principalement dans la région Nordeste et entourées de plaines) sont aujourd’hui «la preuve la plus évidente de refuges», dit-il. Il s’agit encore aujourd’hui de zones climatiques stables qui favorisent la diversification des espèces. «Chaque zone possède une composition faunistique unique, mais cela n’est pas suffisant pour en faire un refuge». En 1980, dans la seule expédition qu’ils ont menée ensemble, Miguel Rodrigues, qui faisait son doctorat, et Paulo Vanzolini, son directeur de thèse, se sont rendu dans la commune de Catinga do Moura, dans le nord de l’état de Bahia, pour réaliser des collectes dans un lieu que Paulo Vanzolini pensait être un refuge. «C’est seulement 10 ans après ce voyage», raconte Miguel Rodrigues, «que je me suis aperçu que la zone de stabilité climatique se trouvait en réalité dans les montagnes à proximité de la Chapada Diamantina». Paulo Vanzolini aimait voyager mais sortait peu pour faire des collectes sur le terrain, argumentant qu’il n’était pas bon dans cela, et à sa manière il rapportait toujours un matériel précieux pour les collections du musée. Quand il arrivait quelque part, il faisait courir le bruit qu’il avait apporté un sac rempli d’argent et qu’il achetait des animaux.
REPRODUCTION DANIEL DAS NEVES / COLLECTION FAPESP
«Ce qui distingue Paulo Vanzolini, c’est que sa pensée musicale s’articule à travers la contradiction», déclare Sonia Marrach
et des refuges sur la distribution et la différenciation des populations d’oiseaux en Afrique, mais sans aller plus loin. Parallèlement, Paulo Vanzolini et son ancien collègue de Harvard Ernest Williams ont analysé et publié, un an après Jürgen Haffer, une étude sur la variation géographique et la distribution d’une espèce de lézard du genre Anolis en Amazonie, qui pourrait être expliquée par des variations climatiques. Lors d’un entretien accordé à Pesquisa FAPESP en 2012, Paulo Vanzolini déclarait que son travail et celui d’Ernest Williams était «un exemple pratique de ce qui avait été proposé théoriquement par Jürgen Haffer. Ce n’est rien de plus qu’un modèle (conceptuel) qui peut être répliqué, ycompris dans d’autres régions».
PHOTOS MZ –COLLECTION USP
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1 Paulo Vanzolini et ses collègues professeurs de Harvard en 1951
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«Parmi les 400 lézards du genre Tropidurus qu’il a acheté aux enfants à Cocorobó, dans l’état de Bahia, j’ai trouvé six exemplaires d'une nouvelle espèce», déclare Rodrigues. De 1967 jusqu’à la moitié de 1980, Paulo Vanzolini et d’autres chercheurs brésiliens ont, grâce à l’Expédition Permanente en Amazonie, parcouru des zones inexplorées le long des principaux fleuves de la région dans deux embarcations, les premières financées par la FAPESP, le Lindolpho Guimarães, de 11,5 mètres de long, et le Garbe, de 18 mètres de long. LA LIBERTÉ DU BOHÈME
Lors d’un entretien où on l’interrogeait sur la dualité du scientifique et du compositeur, Paulo Vanzolini a expliqué, irrité, que personne ne pouvait faire que de
2 L’équipe du Musée de Zoologie entre 1959 et 1962: (de gauche à droite, debout) Helio Ferraz de Almeida Camargo, Eurico Alves de Camargo, Messias Carrera, Carlos Otaviano da Cunha Vieira, Lauro Travassos Filho, Werner Carlos Augusto Bokermann; (assis) Paulo Emílio Vanzolini, Lindolpho Rocha Guimarães e Carlos Amadeu de Camargo Andrade
la zoologie ou que de la musique à temps complet. Mais à quelle activité consacrait il le plus de temps, insistait le journaliste. «Comment croyez vous que je gagne ma vie ? C’est celle du zoologue», réponditil. «En vérité, il aimait ses lézards. Composer était une activité de fin de soirée, sans grand sérieux, un hobby. Il n’a jamais été un musicien acharné. Il disait que ses connaissances universitaires lui suffisaient», dit Luiz Tatit, professeur du Département de Linguistique de l’Université de São Paulo (USP). Selon lui, il ne faut pas essayer de chercher un révolutionnaire de la samba chez Paulo Vanzolini. «Il a adopté la samba carioca à São Paulo, comme l’ont également fait à leur manière Adoniran Barbosa ou Geraldo Filme. Comme il n’a jamais eu besoin de la musique pour vivre et que composer n’était pas son
Paulo Vanzolini détestait le chant presque parlé de la bossa nova et il n’aimait pas la musique émotionnellement exagérée. Il était le détenteur d’une samba sophistiquée PESQUISA PESQUISA FAPESP FAPESP z 53 53
Aquarelles de Francisca do Val réalisées pour la boîte du CD «Acerto de contas», de Vanzolini
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principal souci, il a ignoré tous les mouvements musicaux qui apparaissaient ainsi que la crise traversée par la samba. «Son univers était libre et très particulier», note Luiz Tatit. Selon Regina Machado, professeur à l’Institut d’Arts de l’Unicamp, Paulo Vanzolini a aidé à populariser la samba urbaine pauliste. «À son époque on ne pouvait pas parler d’une samba de São Paulo, mais d’une samba carioca qui sortait de ses frontières pour parvenir aux paulistes qui l’agrémentaient de certaines caractéristiques propres grâce à cette première
génération dont faisait partie Paulo Vanzolini», estime Regina, auteur de La voix dans la chanson populaire brésilienne (Ateliê). Le ton caractéristique de ce mouvement ne se trouvait pas dans les notes mais dans le débat entre les sambistes sur l’affirmation de leur appartenance pauliste». Aux côtés du sentiment de fierté inspiré par le progrès pauliste cette samba montrait également les déséquilibres et les différents maux liés à l’urbanisation. «Ceci transparait dans les paroles d’Adoniran Barbosa, qui parlent d’immi-
gration, ou dans les paroles plus biographiques de Paulo Vanzolini qui racontent ses fréquentations avec des propriétaires de bar ou avec des amis dans ces «petits enfers», thèmes qui ne faisaient pas partie des sambas cariocas», observe Luiz Tatit. À l’inverse de l’effervescence de Rio, les concerts de samba à São Paulo étaient limités à la vie nocturne des bars et des boites de nuit. «Paulo Vanzolini, va cependant grandir en écoutant de la samba à la radio, principalement de Noel Rosa, à qui il s’identifiait. En fin de comptes, Noel a échangé la médecine
pour la musique. Paulo Vanzolini, par contre, s’est formé et s’est transformé en scientifique compositeur. Pour lui le sambiste n’avait rien à voir avec un malfrat et ce mot n’a d’ailleurs jamais fait partie de ses chansons. «Il aimait dire qu’il était bohème et travailleur», raconte Sonia Marrach, auteur du livre Musique et université dans la ville de São Paulo: de la samba de Paulo Vanzolini à l’avant-garde pauliste (Editora Unesp). Paulo Vanzolini n’a jamais voulu devenir musicien professionnel. Il adorait raconter des histoires. Lors d’un spectacle très applaudi, son partenaire Paulinho Nogueira, s’est tourné vers le public et a déclaré: «Vous êtes des gens sympathiques, mais je ne suis pas d’accord sur le fait que vous applaudissiez le seule personne qui ne sache pas faire la différence entre un ton mineur et un ton majeur». C’était un «analphabète musical» par choix et non pas par manque d’opportunités. «D’un côté il illustrait le côté intuitif du musicien populaire et d’un autre côté, son érudition lui permettait de travailler ses chansons de manière très élaborée. Sa grande importance résidait justement dans ce mélange d’univers populaire et de côté intellectuel. «Ceci a énormément influencé les œuvres de Chico Buarque et de Caetano Veloso», rappelle Regina Machado. Le professeur Antonio Candido, critique et essayiste, constate, dans la présentation de la collection de disques Acerto de contas, que Vanzolini travaille avec un minimum de mots pour obtenir un rendement maximum dans des paroles très expressives qui sont de véritables portraits poétiques des petits matins paulistes.
«Paulo Vanzolini se distingue dans le panorama de la musique populaire brésilienne par sa pensée musicale régie par la contradiction. Selon lui, le caractère essentiel de la vie, dans ses différents aspects, réside dans le mouvement, le changement, issus de la négation et des conflits transformateurs des choses subjectives et objectives», estime Sonia. Ce qui est notable c’est que cette contradiction s’exprime avec une bonne humeur, avec une veine comique et une bienveillance lui permettant de s’émerveiller de tout. La légende dit qu’il a mis six mois pour décider s’il allait utiliser le mot «démontre» ou «révèle» dans un vers de Boca da noite. Mais mélodiquement le résultat c’est toujours de la samba. «Il fait des sambas ressemblantes aux miennes mais sans être totalement similaires car les thèmes qu’il utilise sont différents. Les miens sont plus populaires, les siens plus intellectuels, car c’est un professeur, de zoologie ou je ne sais quoi, c’est un type intelligent. Mais notre samba se ressemble», déclarait Adoniran Barbosa. La samba de Paulo Vanzolini est toujours restée la même, grâce justement à ce que Luiz Tatit appelait «ses lézards», son travail à l’université. n
Articles scientifiques VANZOLINI, P.E. Paleoclimas e especiação em animais da América do Sul tropical. Estudos avançados. v. 6, n° 15, pp. 41-65, 1992. PORTO, T.J. et al. Evaluating forest refugial models using species distribution models, model filling and inclusion: a case study with 14 Brazilian species. Diversity and Distributions. v. 19, pp. 330-40, 2013. TURCHETTO-ZOLET, A.C. et al. Phylogeographical patterns shed light on evolutionary process in South America. Molecular Ecology. v. 22, pp. 1,193-213, 2013.
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BIOTE y
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Les nombreux visages du sertão Une déficience hydrique et un climat semi-aride ont exigé des réponses adaptatives sophistiquées d’espèces de la caatinga Rodrigo de Oliveira Andrade PUBLIÉ EN JUILLET 2013
ILLUSTRATIONS FERNANDO VILELA PHOTOS FERNANDO ROSA
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Fazenda Dona Soledade, dans l’état de Paraíba : l’hétérogénéité de milieux est une des marques de la caatinga
n 1818, pendant l’expédition autrichienne au Brésil – équipe scientifique composée de chercheurs et d’artistes venus étudier et retracer les espèces et les paysages de la biodiversité brésilienne –, deux naturalistes ont été impressionnés par la diversité végétale d’une forêt théoriquement hors du commun pour la région, à proximité des rives du fleuve São Francisco, dans la commune de Januária (état de Minas Gerais). La fascination de Carl Friedrich von Martius et Johann Baptiste von Spix était en grande partie due au fait que cette végétation se trouve dans une zone spécifique de la caatinga, un écosystème déterminé par un climat surtout semi-aride et où la disponibilité hydrique est basse et extrêmement variable. Comme beaucoup d’autres, il est probable que les deux naturalistes croyaient à tort que la caatinga était un milieu homogène. Dans sa conférence lors de la V Rencontre du Cycle de Conférences Biota-FAPESP Educação qui s’est tenue le 20 juin 2013 à São Paulo, Braúlio Almeida Santos a déclaré : « Là, il y a une grande variation de conditions environnementales, essentielles à l’apparition et au maintien de plusieurs espèces bien adaptées au climat de la région ». Bráulio Almeida Santos est biologue de l’Université Fédérale de la Paraíba (UFPB). Il explique que la caatinga occupe aujourd’hui 11 % du territoire brésilien, sur une étendue d’environ 835 000 km2. Elle est divisée en huit écorégions – toutes
constituées de paysages, types de sol et végétation très différentes – où les pluies peuvent ne pas atteindre les 1 000 millimètres (mm) par an. « Dans certaines zones », souligne le biologiste, « l’étiage peut aller jusqu’à 11 mois ». Actuellement, la région subit sa pire sécheresse depuis 30 ans, une situation qui affecte la vie de 27 millions de personnes. Juste dans l’état de Bahia, plus de 214 communes ont déclaré l’état d’urgence cette année. Au cours de milliers d’années, ces facteurs environnementaux ont exigé des réponses adaptatives spécifiques des plantes locales pour leur permettre de survivre dans un milieu chaque fois plus sec et chaud. L’une des ces réponses est l’ajustement que certaines espèces font quant à la manutention de leurs feuilles. Derrière cela se trouve une bonne raison : moins les plantes ont de feuilles, moins elles vont perdre d’eau pendant les saisons les plus sèches. Certaines d’entre elles procèdent à la fixation de gaz carbonique (CO2) la nuit et l’utilisent dans la photosynthèse pendant la journée, quand leurs stomates (structures sur les feuilles pour l’échange d’eau et de gaz) sont fermés. L’un des invités de la Rencontre, le biologiste de l’Université d´État de Feira de Santana (UEFS) Luciano Paganucci de Queiroz, dit que ce sont-là « quelquesuns des mécanismes trouvés par ces espèces pour ne pas perdre de l’eau avec la transpiration, qui se fait via les feuilles. Une stratégie simple, mais qui leur permet de retenir de l’eau pour les périodes les plus sèches ». PESQUISA FAPESP PESQUISA FAPESP 209 z 57 57
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De gauche à droite, les biologistes Bráulio Almeida Santos, Luciano Paganucci de Queiroz et Adrian Garda
D’après lui, ce raisonnement est l’un des motifs qui contribue à déterminer la taille de ces plantes comme de leurs feuilles. Car si ce mécanisme leur garantit une meilleure adaptation au climat semiaride, il restreint également l’apparition d’arbres de grande taille : « Les plantes de la caatinga ne croissent pas de manière continue parce que l’eau n’est pas disponible toute l’année ». Une autre réponse adaptative de ces espèces aux différents milieux du climat semi-aride est la protection qu’elles ont développée pour leurs feuilles, quand elles les ont encore. Cette protection se fait au moyen de pointes qui naissent à la surface de la tige des plantes, et de trichomes, des petits « poils » qui contiennent des substances urticantes et qui, en touchant la peau, peuvent déclencher des réactions allergiques. Une grande partie des plantes de la caatinga, comme les cactus, est équipée de ces boucliers naturels. Queiroz observe qu’« il s’agit d’un mécanisme de défense très intéressant contre les animaux herbivores. […] Ces espèces maintiennent leurs feuilles pour une courte période de l’année, donc elles sont précieuses et ont besoin d’être protégées ». Il pense que les conditions affrontées par ces espèces sont en train de devenir un
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filtre environnemental important, qui influence le processus évolutif des espèces de cet écosystème au fil du temps. RICHESSE D’ESPÈCES
Malgré des circonstances défavorables, la caatinga renferme une grande variété de plantes, la plupart endémiques. Il existe près de 6 000 espèces réparties en 1 333 genres, dont 18 sont spécifiques à la région (endémiques). Sur les 87 espèces de cactus de la caatinga, 83 % sont exclusivement de cet écosystème. C’est le cas du mandacaru (Cereus jamacaru) et du xique-xique (Pilosocereus gounellei), des espèces menacées « parce qu’elles sont retirées encore jeunes de leur milieu et vendues comme souvenir dans des restaurants du bord de route », alerte Queiroz. La famille des légumineuses, qui est la plus diversifiée de la caatinga, englobe aussi plusieurs espèces qui poussent exclusivement dans cet écosystème, comme la mucunã (Diclea grandiflora) et la jurema-preta (Mimosa tenuiflora). Beaucoup d’entre elles possèdent d’importantes fonctions écologiques. En raison de l’association avec certaines bactéries, ces plantes aident à fixer l’azote par le sol, ce qui le rend plus nutritif. Mais même avec les avancées en matière d’identification de nouvelles espèces, comme la Prosopanche caatingicola, une plante parasite cataloguée en 2012, le manque de don-
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nées sur la biodiversité floristique de cet écosystème est encore grand. Cette méconnaissance concerne aussi la faune de la caatinga et en particulier les invertébrés, a indiqué le conférencier et biologiste de l’Université Fédérale du Rio Grande do Norte (UFRN), Adrian Garda. On a longtemps cru que la caatinga était un écosystème décaractérisé, avec de faibles taux d’endémisme et de diversité d’espèces : « Les gens pensaient que la caatinga était un sous-échantillon d’autres écosystèmes ». Mais on sait désormais qu’elle est la région semi-aride la plus diverse du monde. DIVERSITÉ MENACÉE
D’après les données du Ministère de l’Environnement (MMA), la région semi-aride possède 591 espèces d’oiseaux, 241 de poissons et 178 de mammifères. On estime que 41 % des espèces de la caatinga restent encore inconnues, et que 80 % sont peu étudiées. Garda pense qu’il y a une « insuffisance de données sur la diversité d’animaux de cet écosystème ». Cependant, les taux d’endémisme enregistrés suggèrent que la faune de la caatinga a été soumise à un processus évolutif local indépendant, avec beaucoup d’espèces adaptées à ce domaine. Les lézards Rubricauda parna et Ameiva ameiva (ci-dessous) et la petite grenouille Corythomantis greeningi: des adaptations complexes aux adversités du climat
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PHOTOS 1, 2 ET 3 LÉO RAMOS 4, 5, 6 ET 7 ADRIAN GARDA 8 FERNANDO ROSA
Ci-dessus, un serpent de l’espèce Epicrates assisi, commun dans les régions comme Cabaceira, dans l’état du Paraíba (ci-contre) 7
À titre d’exemple, la Corythomantis greeningi, une petite grenouille typique de la région. Pendant les périodes sèches, elle hiberne plusieurs mois entre des petites fentes de rochers fermées par sa tête hautement modifiée, pour se protéger des prédateurs et emmagasiner de l’eau. Le Scriptosaura catimbau, lézard adapté à des régions de sols sablonneux, « s’enterre littéralement et ‘nage’ sous le sable ». D’autres espèces, comme la grenouille Pleurodema diplolister, descendent jusqu’à plus d’1,5 mètre pour rechercher de l’eau pendant les périodes sèches. « Mais nous avons encore besoin de mieux comprendre ce que nous avons l’intention de préserver », a ajouté Garda. Selon le secrétariat à la biodiversité et aux forêts du Ministère de l’Environnement, de 2002 à 2008 la déforestation dans la région semi-aride a été de 15 000 km2 – un peu plus de 2 000 km2 par an. Il ne reste aujourd’hui que 54 % de la végétation d’origine de la caatinga. D’après Santos, 113 des 364 unités de conservation (UC)
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enregistrées au MMA sont destinées à la protection et à la conservation de l’écosystème – néanmoins, elles ne couvrent que 7 % de ses 845 000 km2. Pour lui, la cause principale de la déforestation dans la région est la production d’énergie. Les arbres deviennent du bois de chauffage et du charbon pour des entreprises sidérurgiques des états de Minas Gerais et d’Espírito Santo, ou des industries de plâtre et céramiques installés dans la région. Il pense que les conséquences de l’utilisation inappropriée des ressources naturelles de la région est la perte d’habitats et la fragmentation des écosystèmes : « Il ne s’agit pas d’arrêter d’utiliser les ressources naturelles de la caatinga, mais d’identifier jusqu’où nous pouvons les utiliser sans lui porter préjudice ». Santos a rappelé que la création sauvage de chèvres et de moutons contribuait aussi à la dégradation de la végétation de la caatinga. Près de 17 millions de chèvres et de moutons consomment chaque jour de la végétation locale : « Très souvent,
Région semi-aride non protégée Les unités de conservation ne couvrent que 7,5 % de la caatinga
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Déforestation Végétation restante SOURCE MMA
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le grillage nécessaire pour maintenir le troupeau dans une zone coûte plus cher que la propriété. Aussi, beaucoup de producteurs laissent leurs animaux en liberté, les laissent consommer de manière indifférenciée ». Pour lui, la mauvaise utilisation des ressources naturelles conduit déjà à la désertification de la caatinga. Le biologiste affirme qu’« il faut conserver la végétation restante en élargissant le réseau de zones protégées. […] Il est important de promouvoir un maniement adéquat des zones qui subissent l’influence de l’activité humaine et éduquer tous ceux qui vivent ou font usage des ressources naturelles de la région, en récupérant le sentiment d’appartenance à la caatinga ». Pour cela, il est fondamental d’augmenter le soutien à la recherche et à l’enseignement, ainsi que la surveillance pour garantir la préservation de la diversité biologique de la caatinga. Une diversité que les naturalistes allemands avaient déjà constaté. Dans Voyage dans le Brésil, où ils racontent leurs excursions dans le pays entre 1817 et 1820, ils ont écrit : « Nous étions […] dans un pays entièrement différent. Au lieu de forêts sèches, dépourvues de feuilles, ou de champs de la région haute du sertão, nous étions entourés de toutes parts de forêts verdoyantes, que bordaient de grands lacs poissonneux ». Le Cycle de conférences Biota-FAPESP Educação est une initiative du Programme Biota-FAPESP en partenariat avec la revue Pesquisa FAPESP, tournée vers la discussion des défis liés à la conservation des principaux écosystèmes brésiliens : pampa, pantanal, cerrado, caatinga, forêt atlantique et Amazonie, en plus des milieux marins et côtiers et de la biodiversité dans des milieux anthropiques – urbains et ruraux. Les conférences présentent jusqu’en novembre la connaissance produite par des chercheurs de tout le Brésil, et ce afin de contribuer à l’amélioration de l’éducation scientifique et environnementale des professeurs et lycéens du pays. n PESQUISA FAPESP 59
CHANGEMENTS CLIMATIQUES y
Café avec plus de gaz Le caféier se développe et produit davantage dans une atmosphère riche en CO2 Carlos Fioravanti PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
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des branches plus longues, une tige plus robuste et des feuilles plus larges. Les caféiers ayant reçu davantage de CO2 ont également produits plus de fruits, selon Raquel Ghini, coordonnatrice du projet Face, sigle de free aircarbon dioxide enrichment. Elle indique également que le gain de productivité final ne sera pas encore communiqué car il n’exprime que le résultat d’une seule récolte. Comme le café passe par des années de haute et de faible productivité, «il nous faut au moins deux récoltes pour avoir des valeurs plus solides», ditelle. La qualité des grains est actuellement analysée par des spécialistes de l’Institut Agronomique de Campinas. Les caféiers ont pu se développer dans une atmosphère enrichie en CO2 car le taux de photosynthèse a augmenté de 60%, passant de 10 à 16 micromoles de CO2 par mètre carré foliaire par seconde. «Mais l’ajout de CO2 dans l’atmosphère requiert davantage de substrats pour que le caféier puisse réaliser la photosynthèse», déclare Emerson da Silva, chercheur à l’Institut de Botanique de São Paulo, et responsable des analyses. C’est à travers la photosynthèse que les plantes transforment la lumière solaire et le CO2 en carbohydrates. Avec
plus de carbohydrates dans ses tissus, la plante pourra se développer davantage, produire plus de fruits ou, comme dans le cas du soja, synthétiser davantage de composés chimiques qui protégeront les plantes de microorganismes pathogènes. En cultivant des caféiers dans des serres au toit ouvert avec une concentration en CO2 de 760 ppm, l’équipe de l’Institut de Botanique a constaté un accroissement de la capacité de résistance à la lumière, du point de saturation lumineux, qui est passé de 600 à 800 micromoles de photons par mètre carré seconde. «Les plantes ont acquis la propriété de recevoir davantage de lumière», explique Emerson Silva. L’EXEMPLE DE MINAS
Fabio DaMatta, professeur à l’Université Fédérale de Viçosa (UFV), estime que les avantages liés à la concentration élevée de CO2 dans l’atmosphère pourraient neutraliser une bonne part des effets nuisibles dus à l’élévation de la température et aux variations des précipitations. Selon une étude récente, cet ajout de CO2 pourrait avoir le même effet pour les cultures de soja, riz et blé, pour lesquels on prévoit une chute importante de production dans les prochaines décennies
PHOTOGRAPHIES EDUARDO CESAR
U
ne atmosphère plus riche en gaz carbonique (CO2), comme celle prévue pour les prochaines décennies comptetenu des émissions continues de gaz à effet de serre dues aux feux de forêts et aux combustibles fossiles, pourrait être profitable à la culture du café, l’une des principales cultures agricoles du pays. Elle pourrait même interrompre la perte de productivité liée à l’augmentation de la température et à l’intensification des sècheresses et des inondations, selon les premiers résultats obtenus par une culture expérimentale à l’Embrapa de Jaguariúna. Les caféiers cultivés pendant deux ans dans six octogones de 10 mètres de diamètre ont reçu une concentration en CO2 de 550 parties par million (ppm), simulant ainsi l’atmosphère de la fin du siècle qui pourrait atteindre 760 ppm. Dans six autres octogones les caféiers ont été cultivés avec un niveau de CO2 comparable à celui de l’atmosphère actuelle, soit une concentration de 400 ppm. Comparativement, les caféiers ayant reçu davantage de CO2 (contrôlés par des capteurs actionnés automatiquement selon le sens et l’intensité du vent), sont plus grands, avec
Fleurs précoces: le caféier se développe davantage et produit plus de fruits dans une atmosphère enrichie en CO2 (ci-dessus)
en ne tenant compte que de l’élévation de la température. Si ces prévisions optimistes se confirment, on pourrait éviter la migration de cultures comme celle du café vers des régions aux températures plus amènes dans le sud du pays. «Le nouveau zonage du café ne peut pas être établi sans considérer l’augmentation de la concentration de CO2 », ditil. L’augmentation de la concentration atmosphérique en CO2 pourrait expliquer «certains résultats jusqu’alors impensables», dit-il. En effet, les caféiers cultivés dans certaines régions de l’état de Minas Gérais supportent
une température moyenne annuelle de 24,5º Celsius, soit 1,5 degré de plus que la limite normalement supportée par la plante. «Une partie du succès de la culture dans ces régions est possiblement due à l’augmentation de la teneur en CO2 dans l’atmosphère». Les études en cours présentées début septembre à Jaguariúna, indiquent que le caféier pourrait être moins susceptible à certaines maladies. Cependant ce scénario est encore incertain. «Certains parasites et maladies devraient augmenter et d’autres diminuer, car les plantes en se développant davantage pourraient créer un microclimat plus humide avec des
températures plus basses qui seraient favorables aux champignons et aux bactéries», déclare Raquel Ghini. L’herbe Brachiaria decumbens, principal aliment du bétail au Brésil et qui pousse entre les plants de café, s’est développée davantage quand elle a été soumise à une atmosphère plus riche en CO2, produisant plus de biomasse et de fibres que l’herbe non exposée aux doses supplémentaires de CO2. Cependant, «sa valeur nutritive est moindre», constate Adibe Abdalla, chercheur à l’Université de São Paulo (USP). En outre, il s’agit d’une fibre de moindre qualité dont la digestion pourrait mener à une plus grande production de méthane, l’un des gaz liés aux changements climatiques. n Projets 1. Effets d’une concentration atmosphérique élevée en CO2 dans des serres au toit ouvert, le système Face sur la photosynthèse et les mécanismes naturels de résistance à la rouille du caféier (12/08875-3); Modalité Ligne Régulière d’Aide au Projet de Recherche; Coordination Emerson Alves da Silva – Institut de Botanique; Investissement 198 255,31 réais (FAPESP). 2. Impact de l’augmentation de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et disponibilité en eau pour la culture du café dans une expérimentation Face (“Free Air CO2Enrichment”); Coordination Raquel Ghini – Embrapa Environnement; Investissement 2 627 048,96 réais (Embrapa).
PESQUISA FAPESP 61
GÉNÉTIQUE y
Ramifications de la canne à sucre De petites molécules d’ARN contrôlent la croissance des rameaux latéraux de la plante Maria Guimarães
L
a canne à sucre ne se cultive pas uniquement avec des semences mais avec des morceaux de chaume constitués de tiges de canne à sucre. Chaque fragment gère une nouvelle plante grâce au développement de bourgeons latéraux. La génétique de cette architecture de la canne est en train d’être dévoilée par l’équipe de l’ingénieur agronome Fabio Nogueira, de l’Université Publique Pauliste (Unesp) de Botucatu, en partenariat avec le bioinformaticien Renato Vicentini, de l’Université Publique de Campinas. Dans un article publié en mai dans le Journal of Experimental Botany, les chercheurs ont montré que de petites molécules d’ARNs contrôlaient l’inactivation et l’activation des gènes de ces bourgeons latéraux appelés gemmes axillaires. «Chaque mérithalle de la tige possède un ou deux gemmes axillaire en sommeil», explique Fabio Nogueira. «Le fait de couper la tige entraine une modification du bilan hormonal et métabolique, induit la croissance du gemme et produit une nouvelle plante. «Les principaux acteurs sont des molécules d’ARN qui agissent comme des interrupteurs sur les gènes. Le micro ARN 159 en est un exemple et il se trouve en grande quantité dans les gemmes axillaires en sommeil, également caractérisés pour leur teneur élevée en une hormone végétale appelée acide abscissique. Cet ARN 62 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
bloque la réponse physiologique d’une autre hormone, l’acide gibbérellique, qui stimule la prolifération cellulaire. Quand la plante est coupée, un signal encore non identifié réduit la quantité d’acide abscissique dans les gemmes axillaires, limitant l’action de ce micro-ARN et libérant la voie de signalisation de l’acide gibbérellique. L’origine de ces nombreux microARNs qui agissent dans la signalisation hormonale et dans les réponses à des situations de stress, comme la résistance à la sècheresse, semble se trouver dans des fragments mobiles d’ADN, appelés éléments de transposition. Fabio Nogueira est arrivé à cette conclusion en comparant les séquences d’ARN détectées dans son projet avec la banque de données produite par le groupe de la biologiste de l’Université de São Paulo (USP) Marie-Anne Van Sluys. D’après lui, les éléments de transposition associés aux petits ARNs favorisent l’accroissement de la diversité et le contrôle du fonctionnement du génome. La relation entre les deux entités génétiques ne s’arrête pas là. « Certains éléments de transposition sont régulés négativement par de petits ARNs, qui fonctionnent comme un tampon évitant les modifications de l’ADN», déclare Fabio Nogueira. Dans le cas de la canne à sucre, le fait d’éviter les modifications de l’ADN est important pour conserver les propriétés des
variétés commerciales développées pour produire davantage de sucre ou pour être cultivées dans des zones peu pluvieuses. «Avec ce projet, j’ai cherché à développer une connaissance de base, mais cette compréhension sera également essentielle pour la propagation et la productivité de la canne à sucre», déclare Fabio Nogueira. L’architecture de la plante est primordiale pour déterminer l’usage que l’on prétend en faire. Des tiges peu ramifiées sont meilleures pour produire du sucre, et des plantes possédant davantage de bourgeons latéraux et de feuilles fournissent la biomasse qui est la matière première destinée à fabriquer l’éthanol de deuxième génération. Connaître les acteurs génétiques à l’origine de ces caractéristiques permet de développer des marqueurs destinés à la sélection de pousses et peut contribuer à l’amélioration des variétés commerciales. L’importance de ce travail a été récompensée par la deuxième place du prix Top Éthanol en 2012 dans la catégorie travaux académiques pour le mémoire de master de Fausto Ortiz-Morea, et qui a été récemment publié. Un autre article de l’équipe de Fabio Nogueira, publié en 2010 dans la revue BMC Plant Biology, à également remporté la deuxième place dans ce même prix. Le travail de Fabio Nogueira s’est concrétisé par la publication d’un catalogue de micro-ARNs actifs (micro trans-
PHOTOGRAPHIES 1 LÉO RAMOS 2 ET 3 FABIO NOGUEIRA / UNESP
PUBLIÉ EN JUIN 2013
Gemme axillaire en sommeil
Tissu de développement
Tissu précurseur des feuilles
Gemme axillaire active
criptomique) sur les gemmes axillaires de la canne à sucre, et qui a été mis à la disposition d’autres chercheurs. Il est en train de tester certains de ces ARNs sur des plantes utilisées comme modèles végétaux afin de vérifier leurs effets sur le métabolisme, en collaboration avec une équipe de l’École Supérieure d’Agriculture Luiz de Queiroz (Esalq), de l’USP. Le chercheur est heureux d’être le premier à disséquer la régulation génique de l’architecture de la canne à sucre, mais ces recherches vont encore plus loin. Il n’y a jusqu’à présent aucune étude menée sur d’autres plantes en ce qui concerne l’activité des micro- ARNs sur les gemmes axillaires car ces structures sont très petites et difficiles à isoler. La canne à sucre, grâce à ses gemmes visibles à l’œil nu qui permettent de mesurer les concentrations hormonales et extraire l’ADN et l’ARN, a tout pour devenir un organisme modèle pour les études de l’architecture végétale. n Projet Isolation et caractérisation de micro-ARNs et de leurs gènes cibles sur la canne à sucre (nº 2007/58289-5); Modalité Programme Jeune Chercheur; Coordination. Fabio Tebaldi Silveira Nogueira – IB/Unesp; Investissement 314 903,10 de reais (FAPESP). Article Scientifique ORTIZ-MOREA, F.A. et al. Global analysis of the sugarcane microtranscriptome reveals a unique composition of small RNAs associated with axillary bud outgrowth. Journal of Experimental Botany. v. 64, n. 8, p. 2.307-20. mai. 2013.
PESQUISA FAPESP 63
BIOLOGIE CELLULAIRE y
ARN de la métastase Une étude montre le rôle d’un type spécial d’acide ribonucléique dans le processus de propagation du cancer Marcos Pivetta PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
L
es séquences du génome humain qui ne transportent pas d’instructions pour la fabrication de protéines et qui, il y a une décennie, ont été baptisé ADN poubelle ( junk DNA) se révèlent chaque fois plus importantes pour comprendre la mécanique cellulaire impliquée dans des processus biologiques et certaines maladies. Un gène situé dans le chromosome 12 humain et connu sous le nom de Hotair produit un ARN assez long, composé de 2 200 nucléotides et qui ne créé aucunes protéines. Cependant, des études récentes indiquent que ce fragment de la séquence génétique semble avoir un rôle important dans la régulation de la métastase, mécanisme cellulaire qui favorise la propagation du cancer d’un organe à l’autre, créant ainsi des tumeurs dans d’autres parties de l’organisme. Une nouvelle étude des chercheurs du Centre de Thérapie Cellulaire (CTC) de la Faculté de Médecine de Ribeirão Preto de l’Université de São Paulo (FMRPUSP), explique de manière détaillée comment se déroule l’action essentielle de l’ARN dans ce processus. L’étude indique que c’est cet ARN qui active la transition épithélium-mésenchyme (TEM) dans la tumeur, un processus qui modifie la morphologie et la fonctionnalité d’une partie des cellules cancéreuses. «Les cellules épithéliales 64 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
de la tumeur se transforment ainsi en cellules mésenchymales et commencent à se comporter comme des cellules souches cancéreuses», déclare le généticien Wilson Araújo da Silva Junior, du CTC, auteur d’un article sur ce thème qui sera publié en septembre dans la revue Stem Cells. «Les cellules cancéreuses acquièrent ainsi la capacité de se détacher de la tumeur originale, de migrer par la voie sanguine et d’adhérer à d’autres organes, créant ainsi de nouveaux cancers». La TEM aide également les cellules de la tumeur originale à se perpétuer, outre le fait de promouvoir le processus de propagation de la maladie dans l’organisme, via la métastase.
Cellules épithéliales (en rouge) et mésenchymateuses (en vert): les premières ne peuvent pas migrer au contraire des secondes.
Le rôle du Hotair dans la migration des tumeurs L’ARN stimule certaines cellules cancéreuses qui acquièrent la capacité de migrer vers d’autres organes
TUMEUR PRIMAIRE
MÉTASTASE
TRANSITION ÉPITHÉLIUM-MÉSENCHYME (TEM)
Cellules tumorales épithéliales
TGF-ß1 Récepteur TGF-ß1
Fibroblastes
Courant sanguin
RNA Hotair
c. tumoral épithélial
Leucocytes Cellules souches tumorales
PHOTOGRAPHIE CHRISTINA SCHEEL / WHITEHEAD INSTITUTE ILLUSTRATION PEDRO HAMDAN
SOURCE WILSON ARAÚJO DA SILVA JUNIOR
La transition épithélium-mésenchyme est une transformation qui se déroule normalement dans les stages initiaux du développement d’un embryon et elle participe à la création de différents types de tissus de l’organisme. Elle est également liée à des processus curatifs comme la formation de fibroses et la régénération des blessures. Dans ces cas là, la TEM est un processus bénéfique pour la santé humaine. Cependant, cette transformation semble également provoquer le développement de tumeurs. Les cellules de l’épithélium forment le tissu qui recouvre les cavités externes de l’organisme (peau) ou internes (muqueuses). Elles n’ont pas la propriété de se détacher les unes des autres ni de se propager dans l’organisme ou de se transformer en un autre type de cellule. Leur apparence et leur fonction sont différentes de celles des cellules mésenchymales qui ont la propriété de se répandre dans l’organisme et de se transformer en un autre type de cellule. Si l’on suit ce raisonnement, la tumeur se propagera difficilement dans l’organisme sans la TEM. REPROGRAMMATION CELLULAIRE
La chimie et la radiothérapie tuent
Cellule souche
Une étude de l’USP indique que l’ARN
Elles commencent à agir comme
Hotair promeut la transition TEM quand
des cellules souches de la tumeur
il est stimulé par le facteur de
originale. Elles sont capables de
transformation TGF-ß1. Certaines cellules
migrer par le sang, de s’installer
tumorales épithéliales se transforment en
dans d’autres régions et de créer
cellules mésenchymateuses cancéreuses
de nouveaux cancers (métastases)
parfois la plupart des cellules du cancer mais pas celles qui ont réalisées la transition épithélium-mésenchyme, les cellules souches du cancer. C’est à travers elles que la tumeur originale surgit ou apparaît ailleurs. «Les cellules d’une tumeur sont hétérogènes», commente Marco Antonio Zago, autre auteur de l’article et coordonnateur du CTC, l’un des Centres de Recherche Innovation et Diffusion (Cepid) soutenu par la FAPESP. «Dans l’expérimentation, Il n’y a pas eu de TEM quand nous avons désactivé le Hotair». Il est encore un peu tôt pour l’affirmer avec certitude, mais l’action sur le Hotair pourrait être une manière de combattre la métastase. Les chercheurs de l’USP ont travaillé sur des cellules tumorales humaines du sein et du colon. «Ces formes de cancer sont des modèles très utilisés dans ce type d’étude», affirme le biologiste Cleidson Pádua Alves, qui a réalisé un postdoctorat au centre de l’USP et premier auteur de l’article. Dans cette étude, les scientifiques ont constaté que l’administration de TGF-ß1 (un facteur de transformation) dans des cellules cancéreuses cultivées in vitro activait l’ARN Hotair, modifiait le fonctionnement d’une série
de gènes et déclenchait la transition épithélium-mésenchyme. Plus on actionnait le Hotair, plus le processus devenait intense. Cependant, quand le gène qui produit l’ARN Hotair était neutralisé, la TEM ne se produisait simplement pas. «Cet ARN fait partie de la programmation cellulaire nécessaire pour que se produise la métastase», déclare Silva Junior. Avant l’étude menée par les brésiliens, il y avait des évidences montrant que le Hotair, qui appartient à une nouvelle classe d’ARNs (les lincRNAs, long intergenic non-coding RNAs), et le mécanisme TEM, étaient tous deux liés à la propagation du cancer. Ce que l’on ignorait, c’était que le Hotair était indispensable pour activer la transition épithélium-mésenchyme. n Projet Centre de Thérapie Cellulaire (CTC) (nº 2013/08135-2); Modalité Centres De Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid); Coordination Marco Antonio Zago/FMRP-USP; Investissement 4,5 millions de réais par an pour tout le Cepid (FAPESP).
Article scientifique ALVES, C.P. et al. The lincRNA Hotair is required for epithelial-to-mesenchymal transition and stemness maintenance of cancer cells lines. Stem Cells. Sous presse.
PESQUISA FAPESP PESQUISA FAPESP 211 z 65 65
ASTRONOMIE y
si loin au point d’être observées comment elles étaient dans le passé lointain de l’Univers, ni suffisamment proches pour pouvoir identifier leurs étoiles individuellement.
d’étoiles Un relevé identifie trois modèles d’évolution des galaxies Igor Zolnerkevic PUBLIÉ EN JUIN 2013
U
ne étude pionnière commence à retracer l’histoire évolutive des galaxies. Dirigé par l’Espagnol Enrique Pérez de l’Institut d’Astrophysique d’Andalousie, ce travail a identifié le lieu et la date de formation des étoiles d’une centaine de galaxies qui sont apparues au cours des dix derniers milliards d’années et sont relativement proches de la Voie lactée, qui abrite le Soleil et la Terre. Publié en janvier 2013 dans la revue Astrophysical Journal Letters, l’étude a comparé différents types de galaxies et permis de comprendre comment leur masse affecte le rythme de formation de leurs étoiles. Ont participé à cette étude les astrophysiciens brésiliens Roberto Cid Fernandes, de l’Université Fédérale de Santa Catarina, et son étudiant de doctorat André Luiz de Amorim. Roberto Cid Fernandes a développé en 2005 le Starlight, un logiciel qui analyse la lumière émise par les galaxies pour reconstruire l’histoire de leurs populations stellaires et procéder à une sorte d’archéologie stellaire. La recherche a confirmé que les galaxies composées de centaines de milliards d’étoiles et d’une masse très élevée ont formé la plupart d’entre elles il y a plus de 5 milliards d’années, d’abord au centre puis à la périphérie, et aujourd’hui ce sont de véritables maisons de retraite stellaires. Quant aux galaxies plus petites, de quelques milliards d’étoiles, elles continuent à pro66 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
duire des étoiles dans toutes leurs régions y compris après leur croissance. L’étude s’est basée sur les données de Califa (Calar Alto Legacy Integral Field Area Survey), un programme de recherche réunissant 80 chercheurs de 13 pays. Débuté en 2010, le projet observe en détail la formation d’étoiles de près de 600 galaxies avec un télescope de l’Observatoire de Calo Alto, en Andalousie. L’échantillon de 105 galaxies décrit dans Astrophysical Journal Letters est infinitésimal si on le compare aux milliards de galaxies qui existent dans l’Univers visible. Il est également petit si on le compare au nombre total de galaxies – presque 1 million – déjà observées par le plus grand relevé astronomique, le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), résultat d’une autre collaboration internationale qui utilise un télescope aux États-Unis. Mais tandis que le SDSS a analysé la lumière des galaxies comme si chacune était un point dans le ciel, le Califa utilise une technique plus chère et plus complexe, qui divise chaque galaxie en mille morceaux et analyse leur lumière séparément. Le résultat est une carte qui révèle des différences dans les propriétés chimiques et physiques des nombreuses parties de la galaxie. Le Califa observe des galaxies situées à des distances relativement proches de la Voie lactée : entre 70 millions et 400 millions d’années-lumière. Elles ne sont pas
Mais le critère de sélection le plus important a été d’observer des galaxies aux couleurs et aux luminosités les plus variées. Vues plus ou moins à la même distance, les jeunes galaxies sont bleutées et les plus âgées, rougeâtres. La luminosité, elle, fonctionne comme un indicateur de la masse de la galaxie : plus elle brille, plus elle possède d’étoiles. Fernandes précise que « l’objectif était de garantir la diversité de galaxies pour en avoir une vision globale ». En analysant les données du Califa avec le Starlight, les chercheurs ont déterminé la combinaison d’étoiles jeunes et vieilles qui contribuait à la lumière de chaque morceau de galaxies. Ils ont identifié quand et avec quelle fréquence les étoiles se sont formées dans les nombreuses régions galactiques. La première différence confirmée par l’étude se réfère au rythme de production d’étoiles. Des galaxies d’une masse supérieure à 70 milliards de soleils ont condensé tout leur gaz dans des étoiles rapidement dans leur jeunesse et produit la majorité de leurs étoiles il y a plus de 5 milliards d’années. Par contre, les galaxies de même âge mais de moins de 10 milliards de masses solaires dépensent leur gaz avec parcimonie. D’après Fernandes, « les galaxies dont la masse est plus petite continuent de former un taux respectable d’étoiles, alors que pour celles de masse élevée la fête est déjà finie ». Une autre différence réside dans l’ordre de formation des étoiles. Les galaxies de faible masse ont produit des étoiles plus ou moins en même temps sur toute leur étendue, en commençant juste un petit peu plus tôt sur les parties plus externes. Dans les galaxies de grande masse, on observe le contraire : la formation stellaire a commencé plus tôt au centre avant d’avancer vers la périphérie. Ce modèle de formation semble d’ailleurs être celui de la Voie lactée, une galaxie de près de 60 milliards de masses solaires. « Les régions plus éloignées du centre de la Voie lactée sont plus pauvres en éléments chimiques lourds que la partie interne », explique l’astrophysicien Hélio J. Rocha-Pinto de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro, qui étudie les vestiges de la collision entre la Voie lactée
IMAGES ENRIQUE PÉREZ ET ANDRÉ LUIZ DE AMORIM INFOGRAPHIQUES ANA PAULA CAMPOS
Archéologie
MASSE CRITIQUE
MODÈLES DE FORMATION STELLAIRE
Profil évolutif La masse des galaxies influence le rythme de formation des étoiles Les galaxies dont la masse est plus élevée ont formé leurs étoiles plus tôt et apparaissent en jaune orangé sur la partie supérieure gauche du diagramme. Les galaxies de faible masse (couleur bleutée) se situent en bas à droite
UGC 9476 Faible masse et production continue d’étoiles
MASSE ÉLEVÉE Des galaxies d’une masse supérieure à 70 milliards de soleils, comme la NGC 6411, forment la plupart de leurs étoiles en 5 milliards d’années, à partir du centre
NCG 6411 Masse élevée et formation précoce d’étoiles
NGC 4047 Masse intermédiaire et production accélérée d’étoiles au début de la vie
et des galaxies naines. « C’est là une évidence indirecte que les étoiles de la partie interne se sont formées en premier et qu’elles ont enrichi chimiquement cette partie de la galaxie plus vite ». Mais cette différence entre le centre et le bord n’augmente pas toujours avec la masse de la galaxie. Elle atteint son maximum dans les galaxies d’une masse de près de 70 milliards de masses solaires, où les étoiles de la région centrale se sont formées plus de deux fois plus vite que celles du bord. Pour Fernandes, « cette masse critique a quelque chose de spécial ». Mais personne ne sait exactement ce qui se cache derrière ce « quelque chose de spécial ». Rocha-Pinto suggère que la masse critique représente la masse à partir de laquelle les galaxies ne grandissent pas isolément. On pense que les galaxies plus grandes sont nées de la fusion de galaxies plus petites, des événements au cours desquels la formation stellaire augmente dans la partie centrale de la galaxie récemment formée. Fernandes, lui, envisage une autre possibilité. Les grandes galaxies ont des trous
noirs tellement énormes au centre qu’ils gêneraient la formation stellaire. Pour ce qui est des petites galaxies, moins d’étoiles se forment parce qu’une partie du gaz est rejetée de la galaxie pendant les explosions de supernovas. Les deux effets pourraient être moindres dans les galaxies de masse critique et augmenter la formation stellaire. Comme le signale Rocha-Pinto, « la question est de prouver que les effets que nous proposons sont suffisamment importants pour expliquer ce que nous observons ». En 2014, les astronomes du SDSS espèrent débuter un relevé similaire : le MaNGA, qui cartographiera 10 000 galaxies. Le coordonnateur du MaNGA est l’astrophysicien Kevin Bundy, de l’Université de Tokyo, Japon : « L’augmentation de 100 fois de l’échantillon sera transformationnel. […] Nous allons tester les conclusions du Califa et bien plus encore ». n
MASSE CRITIQUE Des galaxies d’une masse d’environ 70 milliards de soleils, comme la NGC 4047, produisent leurs étoiles en moins de 3 milliards d’années, à partir du centre
FAIBLE MASSE Des galaxies de
Article scientifique PÉREZ, E. et al. « The evolution of galaxies resolved in space and time : an inside-out growth view ». The Astrophysical Journal Letters. vol. 763. janv. 2013.
faible masse, inférieures à quelques dizaines de milliards de soleils comme l’UGC 9476, génèrent des étoiles de manière continue sur toute leur étendue PESQUISA PESQUISA FAPESP FAPESP z 67 67
PHYSIQUE y
Le pouvoir des collisions Le choc entre les grains est le principal moteur des tempêtes de sable Igor Zolnerkevic
L
es ingrédients de base d’une tempête de sable sont, évidemment, beaucoup de vent et beaucoup de sable. Aucun chercheur n’était cependant encore parvenu à créer un modèle physique basé sur ces deux éléments qui puisse totalement expliquer la force de ces tempêtes. Une étude menée par des physiciens brésiliens et étrangers et publiée au mois d’août dans la revue Physical Review Letters (PRL) permet maintenant de comprendre pourquoi dans des régions proches des grands déserts de la terre, comme celui de Gobi, en Asie, et le Sahara, en Afrique, les tempêtes atteignent des dimensions colossales. Des millions de tonnes de sable et de poussière peuvent être soufflées sur des milliers de kilomètres, bloquant des routes, paralysant le trafic aérien, enfouissant les constructions et érodant le sol arable. 68 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Auparavant, les chercheurs estimaient qu’il était impossible de simuler la trajectoire de chaque grain de sable dans une tempête. Les modèles étaient ainsi habituellement simplifiés. Dans l’un d’eux, les grains virtuels n’entraient pas en collision quand ils étaient soufflés par le vent car l’on pensait que les collisions entre les grains transportés par l’air freinaient l’avancée des tempêtes en limitant la trajectoire des grains. Le contraire vient d’être démontré par une équipe internationale dirigée par le physicien brésilien Marcus Carneiro, de l’Institut Fédéral de Technologie de Zurich (ETH), en Suisse. En comparant des simulations avec et sans collisions entre les grains, les chercheurs ont démontré que les chocs aériens sont fondamentaux pour accroitre le nombre de particules transportées par les tempêtes.
«Pour tenir compte des collisions, il est nécessaire de développer des codes mathématiques suffisamment efficaces et utiliser le potentiel élevé de l’informatique», affirme le physicien portugais Nuno Araújo, également de l’ETH, et deuxième auteur de l’article qui décrit cette découverte, publié dans la revue PRL. Les nouvelles simulations ont seulement suivi la trajectoire d’une poignée de sable, ce qui représente environ 4 mille grains soufflés par un profil de vent simplifié et pour
DAVID EAST / SCIENCE PHOTO LIBRARY
PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
Temps couvert: tempête de poussière sur la route qui relie les villes de Melbourne et de Geelong, en Australie
la première fois elles décrivent les collisions de manière réaliste. SALTONS
Les simulations indiquent que les collisions ont plus que doublé la capacité du vent à transporter le sable. On savait déjà que les tempêtes se déclenchaient quand le vent soulevait une couche de sable à quelques centimètres du sol. Certains de ces grains, appelés saltons, volent bien plus haut que les autres, gagnant encore plus d’énergie du vent
dont la vitesse augmente avec l’altitude. Parfois les saltons tombent et en créent d’autres quand ils entrent en collision avec les grains se trouvant au ras du sol. Les nouvelles simulations montrent également qu’avant d’arriver près du sol, un salton peut entrer en collision avec d’autres grains sautant un peu plus haut que la hauteur moyenne, leur transférant une partie de leur énergie. Ces collisions dans l’air créeraient davantage de saltons, épaississant ainsi les nuages de sable des tempêtes.
Ce nouveau modèle, outre le fait de prévoir l’intensité des tempêtes, devrait permettre de mieux comprendre la formation et le déplacement des dunes. Selon Nuno Araújo, cette théorie peut être démontrée dans des tests de laboratoire en observant le mouvement de grains artificiels qui possèdent différentes propriétés élastiques. n
Article scientifique CARNEIRO, M.V. et al. Midair collisions enhance saltation. Physical Review Letters. v. 111, n. 5. 2013.
PESQUISA FAPESP 69
OPTIQUE y
Tourbillons de lumière Une nouvelle technique modifie le front d’onde de faisceaux lumineux, permettant ainsi de manipuler des objets microscopiques et de transmettre plus d’informations PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
L
es figures géométriques projetées par un faisceau laser dans le laboratoire de physique Cid Bartolomeu de Araújo à l’Université Fédérale du Pernambouc (UFPE) peuvent sembler banales. Ces dessins lumineux ne mesurent cependant que quelques micromètres et ils ne sont pas faits de n’importe quelle lumière. Ce sont de véritables tourbillons de lumière connus sous le nom de vortex optiques. Quand ces vortex atteignent un objet microscopique comme un grain de poussière ou une cellule vivante, ils peuvent déplacer l’objet et parcourir sans cesse le contour de la figure projetée. Ceci peut paraitre insignifiant, mais les applications des vortex optiques sont nombreuses. Ils sont déjà utilisés dans des expériences en physique et en biologie pour manipuler la matière au niveau submicroscopique et ils permettront d’augmenter de centaines de fois le volume d’information transmis par les fibres optiques. Ils peuvent également servir de base à une nouvelle génération de circuits optoélectroniques de taille nanométrique. L’avantage de la technique développée par un trio de physiciens de l’UFPE, c’est qu’elle offre une totale liberté aux chercheurs et aux ingénieurs pour façonner les vortex optiques à leur convenance dans leurs différentes applications. Les techniques utilisées pour créer des vortex optiques ont commencé à être mises au point au début des années 90 par les physiciens Les Allen et Han Woerd70 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
man, de l’Université de Leyde, au PaysBas, et produisent des vortex formant des circuits à géométrie circulaire. D’autres figures géométriques ont déjà été obtenues, mais elles ont été créées en utilisant des techniques plus complexes ou pour dessiner un type spécifique de contour. «Nous avons découvert un moyen d’obtenir n’importe quelle forme avec le même montage expérimental utilisé pour créer des vortex circulaires», explique le physicien Anderson Amaral, premier auteur de l’article qui a décrit la découverte et publié au mois de mai de cette année dans la revue Optics Letters. TIRE-BOUCHONS
Pour produire un vortex optique, les chercheurs projettent un faisceau laser conventionnel sur un écran à cristaux liquides. Avant d’arriver sur l’écran, l’onde de lumière du laser se propage en une série de fronts plats. En pénétrant dans le cristal liquide, les fronts d’onde sont réfléchis suivant un modèle géométrique formé de bandes claires et sombres et créé par le réarrangement des molécules de cristal liquide, contrôlé par ordinateur. Les zones sombres réfléchissent instantanément la lumière. Les zones plus claires retardent la réflexion. Le modèle géométrique retarde ainsi certaines parties des fronts d’onde de lumière et donne à leurs surfaces, auparavant planes, le format torsadé d’un tire-bouchon. Quand le faisceau de lumière torsadé est projeté sur un mur, on peut voir un anneau
de lumière au lieu d’un point lumineux. La torsion des ondes annule l’intensité dans l’axe du faisceau et créé une zone sombre dans son centre. Dans le même temps, l’anneau lumineux qui reste, acquiert la capacité de déplacer des particules ou de petits objets sensibles à la subtile force de la lumière. Les particules atteintes par le faisceau commencent ainsi à parcourir le circuit formé par l’anneau. Plus la lumière est torsadée, c’est-à-dire, plus la distance entre les tours de l’onde en forme de tirebouchon est moindre (déterminée par le nombre de bandes sombres et claires sur l’écran à cristaux liquides), plus les particules se déplacent rapidement. Anderson Amaral a commencé à étudier des manières de contrôler la torsion de la lumière, il y a un an, quand il a commencé son doctorat, orienté par Cid Bartolomeu de Araújo et le physicien Edilson Falcão Filho, également de l’UFPE. Anderson Amaral souhaite utiliser les vortex optiques pour manipuler les électrons d’un métal. Les circuits électroniques actuels ne peuvent pas être inférieurs à quelques micromètres (millièmes de millimètre). De nombreux chercheurs travaillent cependant pour créer des circuits mille fois plus petits qui fonctionneraient en se basant sur les oscillations nanométriques des électrons, les plasmons, créées et contrôlées par des faisceaux de lumière spéciaux comme les vortex optiques. L’idée astucieuse des physiciens de l’état du Pernambouc a été d’explorer
Miroir dynamique Des modèles créés sur des écrans à cristaux liquides façonnent des faisceaux de lumière et les rendent capables de déplacer de petits objets
1
ONDE PLANE
2
ÉCRAN À CRISTAUX LIQUIDE
3
ONDE TORSADÉE
4
TRAJECTOIRE DE LA PARTICULE
FAÇONNANT LA LUMIÈRE
Une partie des ondes planes (1) est retardée en étant réfléchie par les zones claires sur l’écran à cristaux liquides (2). Les ondes réfléchies acquièrent ainsi la forme torsadée d’un tire-bouchon. (3). L’onde en spirale fait les particules microscopiques se déplacer autour d’un circuit (4). Les physiciens brésiliens ont découvert une nouvelle manière de modifier le modèle des zones sombre du cristal liquide, et de contrôler le faisceau de lumière
IMAGES AMARAL ET AL. OPTICS LETTERS (2013) ILLUSTRATION FAVIO OTUBO
et la trajectoire des particules
une propriété des vortex optiques appelée charge topologique. Pour simplifier, cette charge est un nombre qui détermine le nombre de tours du tire-bouchon de lumière. «Tout le monde désigne ce nombre sous le nom de charge topologique mais personne ne parle de ses propriétés topologiques (issues de la géométrie)», déclare Anderson Amaral. Les mathématiciens disent que deux figures géométriques ont la même topologie si l’une d’entre elles peut être moulée sur la forme que l’autre, sans qu’il soit nécessaire de couper ou de coller ses points. De cette manière, une sphère peut être transformée en cube et une tasse de café en beignet et vice-versa. Les chercheurs ont ainsi découvert qu’il était possible de changer la forme des vortex de lumière sans modifier leur topologie. En d’autres mots, l’anneau de lumière pourrait avoir différents formats, celui de la lettre L par exemple, et conserver sa capacité de transmettre son mouvement circulaire à n’importe quelle particule.
CERCLES ET TRIANGLES
La nouveauté de la technique développée par l’équipe d’Anderson Araújo est le façonnage de l’anneau des vortex modifiant ainsi le format de la partie centrale du modèle sombre et clair de l’écran à cristaux liquides. Ils ont démontré ce procédé dans l’article publié dans la revue Optics Letters, en créant des vortex en forme de L ou de cercles allongés et de triangles. «Nous sommes en train de perfectionner la technique pour créer des formes plus complexes», explique Anderson Araújo. «Le façonnage des vortex optiques est une approche très efficace», déclare le physicien Johannes Courtial, du groupe de Miles Padgett, de l’Université de Glasgow, en Écosse, et l’un des plus importants groupes d’étude des vortex optiques dans le monde. Johannes Courtial trouve intéressant le fait que la portion sombre centrale du vortex fonctionne comme une espèce de moule de la partie lumineuse du vortex.
Le groupe de l’UFPE, qui se focalise actuellement sur l’application des vortex dans les circuits de plasmons, estime que la technique sera également utile aux télécommunications. Les fibres optiques actuelles transportent des messages de manière simultanée à travers des faisceaux lasers de longueurs d’onde différentes qui voyagent ensemble à l’intérieur des fibres. La limite du flux d’informations est de l’ordre de 10 gigabits par seconde. Un groupe international d’ingénieurs a démontré dans un article publié le 28 juin dans la revue Science que le fait de codifier l’information à travers des vortex optiques repousserait cette limite à plus de mille gigabits par seconde. «Cette limite pourrait même augmenter davantage si nous pouvions modifier le format des vortex», explique Falcão Filho. n Igor Zolnerkevic Article scientifique AMARAL, A.M. et al. Shaping optical beams with topological charge. Optics Letters. v. 38, n. 9. mai. 2013.
PESQUISA FAPESP 71
GÉOLOGIE y
Andes
Bassin du Paraná
Un profil continental: cette illustration présente les variations du relief (ligne blanche) de la croûte sud-américaine
72 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Pourquoi la terre tremble-t-elle au Brésil Des sismologues proposent une nouvelle explication aux
tremblements de terre dans le pays Igor Zolnerkevic et Ricardo Zorzetto PUBLIÉ EN MAI 2013
ILLUSTRATIONS PEDRO HAMDAN
L
e 8 octobre 2010, la terre a tremblé comme on le l’avait jamais vu à Mara Rosa, ville de 10 mille habitants située au nord de l’état de Goiás. Il était 5 heures de l’après midi passées ce vendredi là et les personnes se préparaient pour le week-end quand le sol s’est mis à balancer si intensément qu’il était impossible de tenir debout. Les arbres ont été secoués, les murs se sont fissurés et des tuiles sont tombées des toitures. Moins d’une minute plus tard, l’onde de choc de ce séisme de magnitude 5, l’un des plus forts enregistrés dans le pays au cours de ces 30 dernières années, avait parcouru 250 kilomètres et atteint Brasília où certains bâtiments ont dû être évacués. «Beaucoup de personnes vivant à Mara Rosa ont pensé que la terre allait s’ouvrir et que c’était la fin du monde», raconte Lucas Barros, chef de l’Observatoire Sismologique de l’Université de Brasilia (UnB). Au cours des semaines suivantes, Lucas Barros et son équipe ont installé des sismographes à Mara Rosa et dans les communes voisines pour mesurer la réverbération de ce tremblement de terre. En six mois, 800 autres secousses sismiques moins intenses ont eu lieu au même endroit et ont permis de déterminer la cause directe de l’agitation terrestre dans cette région. Bien en dessous de Mara Rosa, à trois kilomètres de profondeur, il y a une longue fissure de la croûte terrestre, couche la plus rigide et externe de la planète. Tout au long de cette cassure, qui s’étend sur 5 kilomètres, les roches s’étaient fracturées, faisant trembler la terre. «Nous avons dû réaliser des réunions publiques à Mara Rosa et à Mutunópolis pour expliquer aux
gens ce qui se passait et ce qu’ils devaient faire pour se protéger», déclare Lucas Barros. La découverte de cette fracture n’a pas surpris le groupe de l’UnB. Mara Rosa et les autres communes situées au nord de l’état de Goiás et au sud de l’état du Tocantins se trouvent dans une région géologiquement instable, connue sous le nom de zone sismique Goiás-Tocantins et qui concentre 10% des tremblements de terre au Brésil. Une partie des géologues a attribué cette fréquence élevée de tremblements de terre dans cette région (l’une des neuf zones sismiques délimitées au Brésil et s’étendant sur 700 kilomètres de long et 200 kilomètres de large) à sa proximité du Trans Linéament brésilien, une longue cicatrice de la croûte terrestre qui traverse le Brésil et qui, de l’autre côté de l’Atlantique, continue en Afrique. On estime que la croûte terrestre est plus fragile le long de ce linéament car elle concentrerait des blocs rocheux fissurés qui par compression se rompraient plus facilement, produisant plus facilement des tremblements de terre. Mais cette théorie ne fait pas l’unanimité car souvent la localisation des tremblements de terre ne coïncide pas avec cet ensemble de failles et on n’a jamais détecté de séismes sur certains de ses segments. Ceux qui doutent de l’influence directe du linéament sur les secousses sismiques de cette région misent sur des causes plus profondes comme celles qui viennent d’être découvertes par un groupe de chercheurs de l’Institut d’Astronomie de Géophysique et de Sciences Atmosphériques (IAG) de l’Université de São Paulo (USP) à partir d’un relevé récemment conclu sur l’épaisseur de la croûte terrestre brésilienne. PESQUISA PESQUISA FAPESP FAPESP z 73 73
74 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Sous la terre Des relevés montrent la différence d’épaisseur de la croûte terrestre au Brésil et dans la cordillère des Andes -70°
-75°
-70°
-65°
-60°
-55°
Épaisseur de la croûte 5° (en km), mesurée à partir du niveau 0° de la mer
65
-45°
-40°
Trans Linéament brésilien
55
Province de Borborema
-10°
50
FLEXION TOCANTINS
45 40
-15°
35 30 -20°
25
Bassin du Paraná
Région des Andes à délamination
20 15
-35°
Région des Andes avec une croûte fine
-5°
60
-50°
Croûte de plus de 2,5 milliards d’années
70
-25°
Zone sismique de la plateforme continentale
10 -30°
Andes
Bassin du Paraná
6.000 4.000 2.000 0
Profondeur (en km)
Dans une étude publiée au mois de février de cette année dans la revue Geophysical Research Letters, le sismologue Marcelo Assumpção et le géophysicien Victor Sacek présentent une explication plus complète (et pour beaucoup de gens, plus convaincante) pour expliquer cette concentration de secousses sismiques dans les états de Goiás et du Tocantins. A certains endroits de cette zone sismique, la croûte terrestre est plus fine qu’ailleurs dans le pays et subit la pression exercée par le poids du manteau, couche géologique inférieure à la croûte terrestre et plus dense qu’elle. Des mesures d’intensité du champ gravitationnel réalisées dans cette zone de croûte plus fine y indiquent un épaississement du manteau. Cette combinaison entre ces deux couches de roches (la croûte et la région supérieure du manteau qui d’un point de vue physique se comportent comme une structure unique et rigide appelée lithosphère) les plient comme une branche prête à se casser. Dans cette situation, la lithosphère peut se fissurer comme une règle en plastique que l’on plie en essayant d’en réunir les extrémités. «La lithosphère tend à s’enfoncer là où elle est plus dense et à s’élever là où la densité est moindre», explique Marcelo Assumpção. «Ces tendances produisent des failles et éventuellement des tremblements de terre», ajoute le sismologue du IAG, et coordonnateur du Réseau Sismographique Brésilien qui surveille les séismes dans le pays. Lors d’un entretien dans son bureau au début du mois d’avril, Victor Sacek, co-auteur de l’étude, prend un livre avec une couverture flexible pour illustrer ce qui se passe dans la zone sismique GoiásTocantins où se trouve la ville de Mara Rosa. «Supposons que ce livre représente la lithosphère de la région, une augmentation de charge à l’intérieur de la lithosphère compte tenu d’une proportion plus importante de roches du manteau (plus denses), lui fera subir une flexion», explique-t-il en mettant le livre à l’horizontale et en exerçant une pression latérale, ce qui le fait se plier comme si un bloc de pierre était collé à la couverture inférieure. La partie supérieure est alors soumise à des forces de compression et l’inférieure à des forces de distension. «Bien qu’elle soit rigide, la lithosphère possède une certaine flexibilité et résiste jusqu’à un certain point à la déformation», explique Sacek. Mais à partir d’une certaine limite elle peut se plier et rompre. Il y a quelques années, en analysant la carte de la distribution sismique au Brésil, Marcelo Assumpção s’est aperçu que la plupart des séismes avaient lieu dans la zone Goiás-Tocantins où, en 2004, le géophysicien Jesús Berrocal, ancien professeur de l’USP avait découvert une anomalie gravimétrique. Dans cette région le champ gravitationnel est anormalement élevé pour une région de plateau avec une altitude moyenne comprise entre 300 et 400 mètres. Sur ces terres planes et relativement basses (par
-10 -20 -30 -40 -50 -60 -70
0
500
SOURCE MARCELO ASSSUMPÇÃO – IAG/ USP
1.000
1.500
2.000
2.500
3.000
Distance (en km)
exemple, on n’y trouve pas de montagnes) il n’y a pas d’excès de masse sur la surface qui puisse justifier la flexion de la lithosphère. Marcelo Assumpção a alors rapidement conclu que cette masse ne pouvait se trouver que sous la terre, probablement dans des régions profondes comme les couches plus superficielles du manteau, sachant que la croûte terrestre n’a que 35 kilomètres d’épaisseur dans cette région. Mais il fallait vérifier la consistance de cette hypothèse et voir si l’épaississement du manteau pouvait réellement courber la lithosphère. Marcelo Assumpção a alors demandé à Victor Sacek, spécialiste en simulations informatiques, de créer un modèle mathématique pour représenter les couches géologiques de cette région de Goiás et du Tocantins tenant compte de toutes les forces qui agissent sur elles. Victor Sacek a alors développé un programme incluant autant l’effet de forces locales, créées à quelques dizaines de kilomètres de cette région sis-
6,2
C’est la magnitude du séisme le plus intense enregistrée au Brésil en 1995
ZONE SISMIQUE GOIÁS-TOCANTINS
1 RÉGION DE STABILITÉ
RÉGION DE SÉISMES
Épaisseur moyenne: 40 km
Croûte
Manteau lithosphérique
35 km
Roche moins dense Roche plus dense
Excès de masse Poids vers le bas
STRESS CONSTANT
La croûte est stable là où il n’y a pas de failles géologiques et son
La lithosphère de la planète, formée par la croûte et par
épaisseur varie peu. L’épaississement du manteau dans les régions où la croûte
la partie supérieure du manteau, est divisée en plaques
est plus fine peut provoquer des tensions supplémentaires qui favorisent
qui se déplacent et qui entrent en collision.
l’occurrence de séismes
Le choc en bordure des plaques créé une tension qui se répand à l’intérieur des continents
2
La différence de poids entre les roches de la croûte
Croûte plissée
et du manteau à la même Compression de la croûte supérieure
profondeur provoque un plissement de la région plus fine compte tenu du poids supplémentaire en dessous d’elle. Cet effet
Poids vers le bas
de flexion comprime les roches proches de la surface
3
Ajoutée aux tensions
Fractures et séismes
exercées en bordure des
INFOGRAPHIE ANA PAULA CAMPOS
plaques de la lithosphère, 5 km
cette compression est Séismes dans la croûte
excessive pour les roches à des profondeurs inférieures à 5 km,
Région plus fracturée
qui tendent à se fracturer provoquant des secousses sismiques
mique par des différences de relief (vallées, fleuves et collines) et des variations de l’épaisseur de la croûte, que l’effet des forces régionales à l’échelle planétaire qui ont lieu à des milliers de kilomètres en bordure des blocs où se divise la lithosphère. En réunissant ces éléments, Victor Sacek a découvert une zone fragile de la croûte qui coïncide avec la zone de prévalence de séismes des états du Goiás et du Tocantins. Dans ce grand bloc de 200 kilomètres de large et de 5 kilomètres de profondeur, les forces sont si intenses qu’elles peuvent dépasser la limite d’élasticité des roches et les fragmenter. «Ce modèle explique même la profondeur des séismes qui généralement se produisent à moins de 5 kilomètres de la surface», affirme Victor Sacek. Avec Marcelo Assumpção, il estime que ce mécanisme (l’effet de flexion dans des régions plus fines de la croûte) peut également être la cause de la fréquence élevée de séismes dans d’autres
régions du pays comme le bassin du pantanal et la zone sismique de Porto de Gaúchos, dans l’état du Mato Grosso, où, en 1955, a eu lieu la plus grande secousse sismique jamais enregistrée au Brésil et d’une magnitude de 6,2 degrés sur l’échelle de Richter. Les tremblements de terre d’une magnitude supérieure à 5 sont rares au Brésil, il y en a en moyenne un tous les cinq ans. Mais même faibles, ils effrayent généralement la population peu habituée aux séismes et peu préparée pour y faire face. Outre cette absence d’informations pour affronter les séismes, les habitations les plus précaires ne résistent pas aux petites secousses qui causeraient peu de dégâts dans une métropole. Le 9 décembre 2007, un séisme de magnitude 4,9 a endommagé plusieurs maisons à Caraíbas, aux alentours d’Itacarambi, située au nord de l’état de Minas Gerais, où l’écroulement d’un mur a tué un enfant. «C’est la seule mort directe causée par un séisme dont nous ayons connaissance dans le pays», relate le géologue Cristiano Chimpliganond, de l’UnB. L’effet de flexion de la croûte explique également l’occurrence de séismes dans d’autres zones sismiques du Brésil comme c’est le cas en bordure de la plateforme continentale située entre les états du Rio Grande do Sul et de l’Espírito Santo où le fonds de l’océan s’enfonce abruptement à une distance qui varie entre 100 et 200 kilomètres de la côte. À cet endroit, la profondeur de l’océan passe de 50 mètres à 2 mille mètres. Les sédiments que les fleuves transportent vers la mer s’accumulent à l’extrémité de cet endroit, exerçant un poids supplémentaire sur la croûte. Marcelo Assumpção estime que cette surcharge est à l’origine des séismes détectés dans cette région selon des mécanismes similaires à ceux qui se manifestent dans les états de Goiás et de Tocantins. La différence dans ce cas là est que l’excès de masse ne se trouve pas sous la croûte mais au dessus. Dans une étude réalisée en 2011, Marcelo Assumpção et des collaborateurs de l’Université Publique PESQUISA FAPESP 75
Pauliste (Unesp), de l’Institut de Recherches Technologiques de São Paulo (IPT) et de Petrobras, ont analysé un séisme qui a eu lieu au mois d’avril 2008 à 125 kilomètres au sud de la ville de São Vicente, sur la côte pauliste et qui avait été ressenti jusqu’à São Paulo. Le point d’origine du séisme était justement localisé à l’extrémité du niveau de la plateforme continentale et les caractéristiques de ses ondes sismiques semblent confirmer qu’il a été déclenché par une surcharge de sédiments. L’élaboration des modèles expliquant la cause des séismes brésiliens n’est devenue possible que grâce à la découverte des variations d’épaisseurs de la croûte terrestre dans le pays. Marcelo Assumpção et ses collaborateurs de l’UnB, de l’Université Fédérale du Rio Grande do Norte (UFRN) et de l’Observatoire National (ON) ont réuni des informations sur l’épaisseur de la croûte en analysant environ mille points en Amérique latine, tant sur le continent que dans l’océan. Sur ce total, environ 200 mesures ont été réalisées ces 20 dernières années grâce à un financement de la FAPESP et du gouvernement fédéral. Sur la carte qui synthétise ces données et publiée dans le Journal of South American Earth Sciences, les chercheurs attirent l’attention sur des régions où la croûte est plus épaisse ou plus mince. «L’épaisseur de la croûte est un des paramètres les plus importants pour comprendre la tectonique (les forces et les mouvements des couches géologiques) d’une région», affirme le sismologue Jordi Julià, de l’UFRN. Cette étude est la compilation la plus complète et la plus détaillée faite sur la croûte brésilienne. L’épaisseur dans tous ces points a été obtenue à l’aide d’un croisement de données acquis grâce à trois méthodes qui utilisent les ondes sismiques pour déduire la structure des couches géologiques qu’elles traversent. La plus précise d’entre elles et aussi la plus chère concerne la réfraction sismique, dans laquelle les chercheurs enregistrent le long de centaines de kilomètres les séismes provoqués par des explosions contrôlées. Les deux autres méthodes se basent sur le suivi durant des années des séismes qui ont lieu autour du globe. De manière générale, la croûte terrestre brésilienne possède une épaisseur similaire à celle des autres continents avec une moyenne de 40 kilomètres mesurée au niveau de la mer. Il y a cependant quelques régions dans le pays où la croûte atteint à peine 35 kilomètres. L’une d’entre elles, une étendue de terre d’environ mille kilomètres qui va du pantanal, dans l’état du Mato Grosso do Sul, jusqu’aux états de Goiás et du Tocantins, n’est pas encore bien définie car il y a peu d’informations sismiques disponibles sur cette région. Par contre, dans le Nordeste, où ont eu lieu la plupart des expérimentations de réfraction sismique menées par l’équipe de Reinhardt Fuck, de l’UnB, l’incertitude est moindre. 76 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
C’est là que se trouve la zone la plus vaste du territoire national avec une croûte plus mince et qui se situe «La sismologie ne dans la province de Borborema, bloc rocheux sur lequel s’assoient tous les peut pas prévoir états du Nordeste. C’est la région de les tremblements plus grande occurrence de séismes du pays. Dans certains endroits de de terre et même cette région, la croûte a moins de trente kilomètres d’épaisseur. Cet si elle y parvenait affinement semble avoir eu lieu au cours d’une période comprise entre elle ne pourrait 136 et 65 millions d’années, période les éviter», durant laquelle l’Amérique du Sud s’est séparée de l’Afrique. déclare Lucas L’un des records d’épaisseur se trouve sous la forêt amazonienne, Barros, de l’UnB à la jonction des états de Roraima, d’Amazonie et du Pará. C’est l’un des morceaux de croûte les plus anciens du Brésil avec plus de 2,5 milliards d’années et une épaisseur de 45 kilomètres. «Ces régions plus anciennes tendent à avoir une croûte plus épaisse», déclare Marcelo Assumpção. Mais la portion de croûte la plus épaisse du pays se trouve dans une région relativement jeune, le bassin du Paraná, qui a commencé à se former il y a 460 millions d’années. La croûte atteint 46 ki-
Occurrence des séismes Les tremblements de terre se concentrent dans des régions où la croûte est fine comme dans le Nordeste, le Centre-Ouest et la plateforme océanique
Séismes d’une magnitude égale ou supérieure à 3,5 entre 1955 et 2012 SOURCE MARCELO ASSSUMPÇÃO – IAG/ USP
EDUARDO CESAR
Cordillère des Andes: région d’Amérique du Sud où la croûte est plus épaisse et atteint 75 kilomètres
lomètres d’épaisseur à l’intérieur de l’état de São Paulo, près du fleuve Paraná. Marcelo Assumpção émet deux raisons possibles à cet épaississement. La première, suggérée par différentes études, est qu’il y aurait un bloc de croûte plus ancien sous le bassin du Paraná, âgé de milliards d’années et appelé craton du Paranapanema. La deuxième raison est liée à l’intense activité volcanique dans cette région il y a 130 millions d’années. Pour différentes motifs que l’on ignore encore, le manteau sous le bassin du Paraná est devenu anormalement chaud, phénomène que les géologues appellent panache thermique. Ce panache aurait partiellement fondu les couches profondes de la terre, créant des magmas de composition basaltique qui se sont déversés à la surface et il serait à l’origine de l’une des plus grandes régions volcaniques de la planète. Ces roches ont créé des étendues de terre rouge qui sont très fertiles. Une partie du matériel créé durant ce processus est resté en dessous, et quand le manteau a refroidi, il s’est soudé à la portion inférieure de la croûte, augmentant son épaisseur. Marcelo Assumpção a élargi la cartographie de la croûte à la cordillère des Andes avec l’aide de chercheurs chiliens et chinois. Sous cette chaîne de montagne, l’épaisseur de la croûte varie de 35 kilomètres, à la frontière du Pérou avec l’Équateur, à 75 kilomètres dans l’altiplano bolivien. Cette épaisseur maximale est également observée dans d’autres régions montagneuses relativement jeunes comme l’Himalaya. Il y a généralement un rapport direct entre l’altitude d’un terrain et l’épaisseur de la croûte. «Plus la topographie est élevée, plus la croûte sera épaisse», explique Marcelo Assumpção. «Il est normal que la croûte atteigne 70 kilomètres d’épaisseur pour des altitudes supérieures à 3 mille mètres». Mais il y a des exceptions. Dans le nord de l’Argentine, là où les Andes se dressent à plus de 4 mille kilomètres d’altitude, la croûte a moins de 55 kilomètres d’épaisseur. Les chercheurs ont à nouveau émis deux hypothèses. Soit la croûte était déjà anormalement fine bien avant la formation des Andes, soit elle est devenue si épaisse et si chaude il y a 4 millions d’années qu’elle a perdu
une partie de ses couches plus profondes, phénomène connu sous le nom de délamination. À la frontière du Pérou et de l’Équateur, où l’altitude dépasse les 3 mille mètres son épaisseur est d’à peine 35 kilomètres. Dans ce cas là, la croûte semble être soutenue par le mouvement des courants des couches plus profondes du manteau qui bien qu’ils soient faits de roches se comportent comme un liquide extrêmement visqueux qui s’écoule à l’échelle de temps géologique de quelques centimètres par an. La force de ces courants ascendants est capable de soulever la croûte, augmentant la hauteur des montagnes d’un ou deux kilomètres. L’effet inverse peut également se produire. Dans certaines régions, le flux descendant peut tirer la croûte vers le bas, comme dans le bassin de Marañon, situé entre l’Équateur, le Pérou et la Colombie, selon les observations de Victor Sacek et de Naomi Ussami, géophysicienne à l’USP. Malgré vingt années d’études, les recherches dans ce domaine en Amérique du Sud ont pris du retard. Les États-Unis et l’Europe disposent de cartes détaillées sur l’épaisseur de la croûte depuis la fin des années 90. «Les progrès en matière de cartographie de la croûte terrestre varient selon les niveaux de revenu par habitant de chaque pays», déclare Marcelo Assumpção. «Nous sommes juste meilleurs que l’Afrique». Les principales institutions de recherche brésilienne dans ce domaine se sont regroupées il y a deux ans et ont fondé le Réseau Sismographique Brésilien, qui possède 50 stations sismologiques et qui prétend en avoir 80 dans l’avenir. Les chercheurs espèrent ainsi mieux surveiller le pays et augmenter la définition de la carte. Plus on observera de séismes plus on pourra obtenir des détails sur l’épaisseur de la croûte. Cet apport de détails permettra de créer des modèles qui pourront prévoir avec précision les zones pouvant être touchées par des séismes de plus grande magnitude. «La sismologie ne peut pas prévoir les tremblements de terre et même si elle y parvenait elle ne pourrait les éviter», déclare Lucas Barros. «C’est pour cela que nous devons apprendre à vivre avec eux et à nous en protéger». n
Projet Évolution tectonique, climatique et érosive en bordures convergentes: une approche digitale (nº 2011/10400-0); Modalité: Bourse de postdoctorat; Coordination: Victor Sacek – IAG/USP; Investissement: 153 896,91 de reais (FAPESP).
Articles scientifiques ASSUMPÇÃO, M. e SACEK, V. Intra-plate seismicity and flexural stresses in central Brazil. Geophysical Research Letters. v. 40 (3), p. 487-91. 16 fev. 2013. ASSUMPÇÃO, M. et al. Crustal thickness map of Brazil: Data compilation and main features. Journal of South American Earth Sciences. v. 43, p. 74-85. abr. 2013. ASSUMPÇÃO, M. et al. Models of crustal thickness for South America from seismic refraction, receiver functions and surface wave dispersion. Tectonophysics. 2013 (on-line).
PESQUISA FAPESP 77
TECHNOLOGIE BIOCARBURANTS y
De la bagasse à l’innovation En pleine crise du secteur, des entreprises investissent en technologie pour augmenter la production d’éthanol Bruno de Pierro
A
u début du mois de février, l’entreprise ETH Bioenergia, fondée en 2007 par le groupe Odebrecht, a changé définitivement de nom pour adopter celui d’Odebrecht Agroindustrial et a annoncé des investissements visant à broyer 30% de plus de canne à sucre que celle traitée durant la récolte 2012/2013 et de produire 2 milliards de litres d’éthanol, ce qui représente 8,6% de la production brésilienne actuelle qui totalise 23 milliards de litres par an. L’investissement d’1 milliard de reais sera appliqué dans l’expansion de la zone cultivée et également dans des recherches sur des variétés de canne à sucre et de nouveaux procédés de production d’éthanol. Pour ce faire, le secteur d’innovation d’Odebrecht Agroindustrial, fondé en 2010, a collaboré avec des universités et des centres de recherches comme l’Institut Agronomique de Campinas (IAC). «Nous construisons notre stratégie d’innovation en pleine crise de la canne à sucre dans le pays», déclare Carlos Calmanovici, directeur de l’Innovation et de la Technologie d’Odebrecht Agroindustrial. Odebrecht est un exemple parmi tant d’autres grandes entreprises comme Syngenta, Monsanto et Granbio, qui ces dernières années ont augmenté leurs investissements dans la recherche visant l’amélioration génétique afin d’obtenir de nouvelles variétés de canne à sucre ou pour trouver d’autres alternatives à la production d’éthanol produit à partir de la bagasse, résidus de la plante. 78 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Cette phase de ralentissement du secteur sucro-énergétique depuis 2008 peut être expliquée par une combinaison de divers facteurs comme, par exemple, la crise internationale du secteur du crédit, des problèmes climatiques durant 3 années consécutives entre 2009 et 2011, et l’absence de réajustement du prix de l’essence. Il y a cependant une certaine distance entre la crise de la production de la canne à sucre et la situation de la recherche menée dans le secteur. La différence selon Calmanovici, est que la recherche travaille sur le long terme, et l’un des exemples de cette vision stratégique est l’accord de coopération que l’entreprise a signé avec la FAPESP, et qui a débouché sur 11 projets menés en partenariat avec les universités de l’état de São Paulo, avec l’USP, l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp) et l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar), grâce à un investissement de 20 millions de reais, dont la moitié a été déboursé par la FAPESP et l’autre moitié par l’entreprise. La plupart de ces projets, qui ont débuté l’année dernière, vont de la recherche pour la mise au point de canne à sucre transgénique résistante aux insectes, à la découverte et la sélection de plantes comme les génotypes (constitution génétique) destinés aux conditions agroécologiques de la région du Pontal do Paranapanema, où le niveau de productivité de la canne est encore faible. Il y a cinq ans, l’essoufflement du secteur sucro-énergétique brésilien a poussé de nombreux analystes à soutenir l’hypothèse d’une «décennie
SYNGENTA
PUBLIÉ EN JUIN 2013
Stratégies pour faire face à la crise Des entreprises misent sur de nouvelles options technologiques pour augmenter la productivité de la canne à sucre
SYNGENTA Développe la variété Cana Plene, qui, selon l’entreprise, peut éliminer le besoins en pépinières et dispenser l’utilisation de machines lourdes pour la récolte, préservant ainsi le sol. Elle est en outre résistante à certains parasites de la canne à sucre
CENTRE TECHNOLOGIQUE DE LA CANNE À SUCRE (CTC) Le centre réalise une cartographie des zones de faible productivité et développe des variétés de canne à sucre destinées à ces régions dans un délai maximum de 8 ans, période qui auparavant variait entre 12 et 14 ans.
GRANBIO La production d’éthanol de deuxième génération dans des stations
MONSANTO
expérimentales commencera cette
Production de nouvelles variétés de
année. L’entreprise développe
canne à sucre adaptées à la récolte
un nouveau type de canne
mécanisée et de germination élevée
(Cana Vertix), qui sera résistante aux
dans des environnements moins
parasites et aux maladies et qui
propices à la culture.
aura une teneur en fibre élevée. ODEBRECHT AGROINDUSTRIAL Recherches sur de nouvelles variétés de canne à sucre, y compris transgéniques, pour augmenter la production d’éthanol et étendre la zone cultivable.
NOVOZYMES Développement d’enzymes capables de rompre la lignine présente dans la cellulose de cellules de la bagasse de la canne à sucre pour produire de l’éthanol de deuxième génération.
Une pousse d’une nouvelle variété de canne à sucre est manipulée dans un laboratoire de l’entreprise Syngenta PESQUISA FAPESP 79
Hauts et bas de la canne à sucre au Brésil Ligne de temps du secteur sucro-énergétique brésilien
1986
2004
Première crise
Le Brésil traverse une
Embraer lance le premier
du pétrole.
crise économique et les
avion du monde
Le prix du pétrole
ventes de véhicules
fonctionnant exclusivement
a augmenté de
fonctionnant à l’éthanol
à l’éthanol et fabriqué
300% en cinq mois
commencent à chuter
à une échelle commerciale
1975
2003
Création du Proálcool
Voiture Flex fuel.
(Programme national de
Jusqu’en 2012, l’utilisation
l’éthanol) pour remplacer à une
des véhicules flex fuel a permis
grande échelle les carburants
de réduire de 160 millions
dérivés du pétrole
tonnes les émissions de CO2
perdue» de l’industrie en matière de production de sucre et d’éthanol. Les investissements qui atteignaient 6,4 milliards de dollars US en 2008 sont passés à 250 millions de dollars US en 2012, selon Eduardo Leão, directeur exécutif de Union de l’Industrie de la Canne à Sucre (Unica). La prévision est que la reprise actuelle des investissements dans le secteur ne produira ses effets que dans cinq ans, temps nécessaire pour la rénovation complète du secteur de la canne à sucre, situation bien différente de celle vécue au moment du grand bond en avant du secteur entre 2005 et 2010, après l’arrivée des véhicule flex fuel dans le pays en 2003. À cette époque, les États-Unis et l’Union Européenne ont commencé à établir des directives pour l’usage des biocarburants en fixant des objectifs de consommation pour les prochaines années. Ces initiatives ont favorisé l’arrivée d’entreprises multinationales dans le secteur. Un futur moins sombre a commencé à se dessiner à partir de 2012. La production d’éthanol a enregistré une légère reprise et le gouvernement fédéral a réagi à la crise en lançant une série d’encouragements comme l’augmentation du pourcentage d’éthanol mélangé à l’essence qui est passé de 20% à 25%, et la réduction d’impôts (PIS et Cofins). «Le moment actuel n’est pas encore rentable pour le secteur mais les gains de productivité favorisé par les investissements en technologie ont permis une réduction des coûts moyens de production et atténué les problèmes financiers de certaines entreprises», explique Miriam Bacchi, chercheuse au Centre d’Études Avancées en Économie de l’École Supérieure Agricole Luiz de Queiroz à l’USP (Esalq/USP). Avec l’éthanol de deuxième génération, par exemple, certaines entreprises comme le Centre de Technologie de l’industrie de la Canne (CTC) 80 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
et Granbio, estiment obtenir des gains d’environ 50% grâce à ce procédé qui devrait arriver sur le marché brésilien en 2014. L’une des possibles étapes signalisant le regain d’intérêt des grandes entreprises sur l’importance de la recherche menée dans ce domaine, concerne l’achat, en novembre 2008, des entreprises brésiliennes Allelyx et CanaVialis par l’entreprise multinationale Monsanto, pour une somme de 290 millions de dollars US. Les deux entreprises ont démarré comme start-ups d’un fonds de capital-risque du groupe Votorantim Negócios, entre 2002 et 2003, après le séquençage du génome de la Xylella fastidiosa, bactérie responsable du fléau qui atteint les orangeraies et connue sous le nom d’amarelinho (Ndt: chlorose variegée), dans un projet financé par la FAPESP. Pour Paulo Arruda, professeur de l’Institut de Biologie de l’Unicamp et l’un des fondateurs de l’entreprise Allelyx, les acquisitions réalisées par Monsanto ont favorisé le développement de la recherche et l’essor de la biotechnologie de la canne à sucre dans le pays. «L’impact a été positif, y-compris pour d’autres entreprises, comme le CTC, qui a alors modifié son processus de gestion», affirme-t-il. En 2011, le CTC qui était jusqu’alors une Organisation de la Société Civile d’Intérêt Public (Oscip) s’est transformé en Société Anonyme (SA). «Aujourd’hui, il nous faut gagner de l’argent avec les technologies que nous avons développées ici», affirme Robson Cintra de Freitas, vice-président des affaires et des nouvelles technologies du CTC, fondé en 1969 par l’entreprise Copersucar à Piracicaba, à l’intérieur de l’état de São Paulo. Monsanto a lancé trois variétés de canne à sucre sur le marché en 2012 à travers une amélioration conventionnelle et prétend en lancer une de plus cette année. L’entreprise ne dévoile pas le
ILLUSTRATION ABIURO
1973
EDUARDO CESAR
Pousses de canne à sucre préparées dans le laboratoire du CTC à Piracicaba (à gauche), avant de se rendre dans la serre (à droite), pour partir ensuite dans des pépinières d’usines
montant de ses investissements dans ce secteur, mais Gustavo Monge, directeur du secteur biotechnologique de Monsanto Brésil, déclare que sur les 1,4 milliard de dollars US qui financent la recherche dans le monde «une part significative est destinée au Brésil». Selon lui, les projections du secteur sucro-énergétique indiquent un fort accroissement de la demande en termes de consommation de sucre et d’éthanol. «Dans le domaine de la recherche, je n’arrive pas à croire que des entreprises de biotechnologie ne puissent pas être affectées positivement ou négativement par la crise, car les décisions à prendre sont sur le long terme et concernent une situation de marché où la compétitivité de l’éthanol se développe grâce à l’innovation», estime l’économiste André Nassar, du cabinet conseil Agroicone. Pour José Maria da Silveira, professeur à l’Institut d’Économie de l’Unicamp, «le développement de la recherche appliquée est stimulé par le partenariat établi entre les institutions publiques et le secteur privé». Il cite comme exemple le programme FAPESP de Recherche Bioénergétique (Bioen), initié en 2008 et qui compte aujourd’hui 12 entreprises partenaires comme Odebrecht et d’autres comme Dedini, Oxiteno et Braskem. «Les partenariats établis entre le programme et les entreprise ont augmenté, visant autant à
développer la recherche traditionnelle que de la voie transgénique», affirme Glaucia Mendes Souza, professeur à l’Institut de Chimie de l’USP et l’une des coordonnatrices du Bioen. L’autre mesure institutionnelle qui favorise la recherche est d’exiger que la récolte soit totalement mécanisée dans l’état de São Paulo, principal pôle de production de canne à sucre du pays avec 52% de la production nationale, selon la Compagnie Nationale d’Approvisionnement (Conab). La mécanisation a besoin de technologies novatrices tant en matière d’équipements qu’en termes de nouvelles variétés de canne à sucre plus adaptées au processus de mécanisation. Certaines des variétés produites par Monsanto, par exemple, ont la caractéristique d’être plus adaptées à la cueillette mécanisée. Depuis 2007, 5,53 millions d’hectares ont été préservés des brûlis évitant ainsi de lancer plus de 20,6 millions de tonnes de polluants dans l’atmosphère, selon le gouvernement de l’état de São Paulo. La nouvelle phase du CTC bénéficie d’un apport technologique favorisé par la recherche menée sur le terrain. L’entreprise a réussi à réduire le temps de mise sur le marché des nouvelles variétés de canne à sucre développées dans son programme d’amélioration. Ceci signifie que le temps d’attente d’une nouvelle variété entre sa conception en labo-
2007
2010
Un protocole Agroenvironnemental
Les États-Unis classent l’éthanol de la canne
de l’état de São Paulo anticipe
à sucre comme biocarburant avancé. Création
la fin des brûlis de la paille
du Laboratoire National de Sciences
de canne à sucre
et de Technologie du Bioéthanol (CTBE)
2005
2008
2013
Premier appel d’offres en
Lancement duo
Retour du mélange à 25%
matière de nouvelles énergies.
Bioen-FAPESP.
d’éthanol anhydre dans l’essence.
Aujourd’hui, l’électricité produite
Apogée de la crise
Lancement d’encouragements
avec la bagasse représente 2%
du crédit au
du gouvernement fédéral
de la consommation brésilienne
États-Unis
dans le secteur PESQUISA FAPESP 81
ratoire et sa mise sur le marché a diminué de six ans au maximum. Il y a quelques années à peine, ce laps de temps qui concerne une série de tests et de croisements de plantes, était de 12 à 14 ans, et désormais de 8 ans, explique Marcos Casagrande, directeur du développement de produits du CTC. Depuis 2007, le CTC place ses espoirs sur l’éthanol de deuxième génération. Une usine pilote devrait commencer à être construite entre les mois de juillet et d’août de cette année à São Manoel, avec une capacité de production de 3 millions de litres d’éthanol, avant de s’engager vers une étape industrielle. Le procédé développé par le CTC pour obtenir l’éthanol cellulosique de la canne a été breveté en 2008 car il représente une stratégie différente par rapport aux méthodes adoptées par d’autres entreprises concurrentes qui mènent des recherches sur l’éthanol de deuxième génération dans le pays. Le procédé d’hydrolyse enzymatique de la cellulose présente dans la bagasse et dans la paille sera totalement intégré à la structure implantée dans l’usine. Outre une réduction des coûts, cette intégration offre la possibilité de résoudre le problème de sous-activité de la fermentation et de la distillerie, deux secteurs de l’usine qui généralement sont paralysés à environ 30% compte tenu des différentes modalités adoptées par les usines qui destinent leur production soit au sucre, soit à l’éthanol. «Si l’éthanol de deuxième génération est intégré dans une usine, on peut utiliser ce potentiel pour produire un carburant meilleur marché», affirme Freitas. En début d’année, le Plan Conjoint BNDES-Finep de Soutien à l’Innovation Technologique Industrielle des Secteurs Sucro-énergétiques et Sucro-chimiques (Paiss) a permis de signer le premier contrat avec une entreprise, dans le cas là le CTC, qui a bénéficié d’un financement de 227 millions de reais du Bailleur de Fonds d’Études et de Projets (Finep), sur un montant total de 2 milliards de reais qui seront destinés à différents projets jusqu’à la fin du premier semestre. L’entreprise brésilienne Granbio, fondée en 2011, entrevoit également de nouveaux horizons pour l’éthanol de deuxième génération. Cette année, elle a créé un centre de recherche en biotechnologie synthétique, située dans le complexe industriel du Techno Park à Campinas, pour développer des levures brésiliennes utilisées dans la fermentation industrielle. En outre, l’entreprise a inauguré au mois de mai une station expérimentale destinée à l’éthanol de deuxième génération dans l’état d’Alagoas, pour un investissement de 10 millions de reais. L’objectif visé est que la production d’éthanol cellulosique de l’entreprise, dont les investissements s’élève à 350 millions de reais, commence avant le mois de février 2014, avec une production prévue d’environ 82 millions de litres, ce qui représentera une augmentation de 20% de la production de biocarburants de l’état d’Alagoas. 82 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
La nouvelle variété de canne à sucre de «Le nombre l’entreprise Granbio, de partenariats baptisée Cana Vertix, est obtenue à partir du établis entre croisement génétique d’anciennes variétés de le Bioen-FAPESP canne avec des hybrides commerciaux. «Nous et les entreprises aurons une canne à est en hausse», sucre plus robuste, plus résistante aux parasites explique et aux maladies et plus pérenne, avec une teGlaucia neur en fibre et une productivité plus élevées que les plantes traditionnelles», souligne Alan Hiltner, vice-président exécutif de l’entreprise. La chercheur de l’Unicamp, Gonçalo Pereira, également vice-président du département technologique de l’entreprise, explique que la nouvelle canne sera uniquement utilisée dans la propre entreprise Granbio. «L’efficacité de la photosynthèse de la Cana Vertix aura un impact sur le coût de la matière première. Dans ce secteur, ceux qui possèdent une canne bon marché mènent la danse», affirme-t-il. 200 mille pousses devraient être plantées avant la fin de l’année 2013, avec des semences provenant de banques de plasma germinatif (semences, cellules) du Brésil et du monde entier. Les croisements sont actuellement réalisés par l’IAC et par le Réseau Interuniversitaire pour le Développement du Secteur Sucro-énergétique (Ridesa). Ce travail sera également réalisé en 2014 par la station expérimentale de l’état d’Alagoas. Parmi les raisons qui justifient les investissements dans l’éthanol de deuxième génération produit à partir de la bagasse et de la paille de la canne, Hiltner met en avant le marché étasunien, qui récompense l’utilisation d’éthanol cellulosique et principalement l’état de Californie avec une prime supplémentaire par tonne de carbone capturée. Les initiatives lancées sur l’éthanol de deuxième génération ont mobilisé toute une chaîne
PHOTOGRAPHIES 1 SYNGENTA 2 MICHEL RIOS
1 Centre de recherche de Syngenta à Itápolis, intérieur de l’état de São Paulo, où l’entreprise réalise la multiplication du matériel génétique 2 Serre de canne à sucre dans la nouvelle station expérimentale de l’entreprise Granbio, dans l’état d’Alagoas
1
du segment canne à sucre dans l’entreprise était marginal et ne concernait que la vente de produits insecticides. À partir de 2008, un revirement a favorisé l’adoption de nouvelles stratégies pour insérer la technologie de la canne à sucre à travers la création d’une bio-fabrique inaugurée en 2012 où sont menées les recherches pour améliorer la plante. «La demande en canne à sucre dans le pays en 2020 sera d’environ 1,1 milliard de tonnes. «Augmenter la productivité et par conséquent les recherches qui y sont associées est la clé du succès en matière de production d’éthanol», 2 explique Adriano Vilas Boas, directeur général du secteur de canne à sucre de l’entreprise Synproductive, incluant les fournisseurs genta. Unica estime que la d’enzymes utilisées pour rompre la production d’éthanol de lignine et les hémicelluloses de la la récolte 2013/1014 sera canne afin d’obtenir la cellulose et 20% supérieure à la pré«La paralysie ensuite le glucose, rendant ainsi cédente. de la recherche possible la fermentation du sucre L’entreprise possède aupour obtenir l’éthanol. C’est le cas de jourd’hui trois piliers qui serait plus l’entreprise multinationale danoise soutiennent les recherches Novozymes, fondée en 1923, qui a sur la canne à sucre. L’un longue établi le premier partenariat comconcerne la multiplication du matériel génétique à à rattraper mercial avec le CTC en 2007 pour le Itápolis, dans l’intérieur développement d’enzymes destinées qu’une crise», pauliste où sont créées à la production d’éthanol. des pousses exemptes de En 2010, l’entreprise a commencé déclare maladies garantissant des à fournir des enzymes à Petrobras, matériels sains, car quand qui développe également un proFernandes on multiplie la canne, le gramme de recherche sur l’éthanol risque de maladies est de deuxième génération et, en 2012, élevé. «Nous multiplions a signé un contrat avec l’entreprise ainsi de manière contrôGranbio. Selon le président de Novozymes pour l’Amérique Latine, lée des clones d’une même Pedro Fernandes, l’entreprise a été touchée par matrice, ajoute Vilas Boas. Pour multiplier cela en la crise du secteur sucro-énergétique car dans ces milliers d’échantillons, la canne à sucre est traitée moments là, les clients se font rare compte-tenu dans des serres et l’échantillonnage est multiplié de la demande en production et du volume finan- tout en préservant l’ADN pour qu’elle puisse aller cier appliqué. Les recherches se sont cependant directement dans les champs et former des pépipoursuivies à toute vapeur. «Les crises vont et nières. Des recherches biotechnologiques pour viennent mais pas la recherche». Si nous inter- accroitre la capacité de transformation génétique rompons une recherche aujourd’hui, le retard pris des variétés de la canne sont déjà réalisées dans des sera plus long à rattraper qu’une crise», explique stations de l’entreprise au Brésil. Syngenta invesle directeur. L’entreprise Novozymes investit 300 tit plus de 1,4 milliard de dollars US en recherche millions de dollars US en R&D dans toutes ses et développement à travers le monde. Au Brésil, unités de recherche à travers le monde et qui l’entreprise ne révèle pas le budget consacré à la concernent également les enzymes destinées canne à sucre. L’entreprise possède aujourd’hui à l’éthanol au Brésil. La division de l’entreprise plus de 100 agronomes qui travaillent essentielen Amérique Latine représente 10% du chiffre lement sur la canne à sucre en développant des d’affaire total de l’entreprise qui s’élevait à 2 mil- technologies sur le terrain, et une équipe dédiée liards de dollars US en 2012. Actuellement, 11 exclusivement à la recherche sur les transgéniques. professionnels travaillent au Brésil, deux ont un Les partenariats avec les universités s’étendent à doctorat et les autres un master. Les tests avec les l’Université Publique Pauliste (Unesp) et à l’Esalq/ enzymes sont réalisés en partenariat avec l’Uni- USP, qui aident à valider les technologies, et égaversité Fédérale du Paraná (UFPR). L’entreprise lement à l’IAC, en ce qui concerne les variétés, à multinationale Suisse Syngenta a également porté travers un projet conjoint de perfectionnement son attention sur les recherches menées sur la de méthodologies visant à l’amélioration et à la canne à sucre. Jusqu’en 2006, la participation transformation de la canne à sucre. n PESQUISA FAPESP 83
ÉNERGIE y
Vol vert Une étude encourage la production de biokérosène pour l’aviation civile Marcos de Oliveira PUBLIÉ EN JUILLET 2013
L
es comptes sont déjà faits. L’aviation commerciale devra réduire de 50% ses émissions de dioxyde de carbone(CO2) jusqu’en 2050 par rapport aux émissions de 2005. À cet effet, un grand effort de recherche et de développement est en train d’être mené dans différents pays par différentes institutions et entreprises pour aboutir à un kérosène non plus dérivé du pétrole mais d’une source renouvelable lançant moins de gaz nocifs dans l’atmosphère. Le Brésil a, grâce au biokérosène, de grandes chances de redevenir un centre de référence mondial important en matière de développement et de production de biocarburant comme ce fut le cas pour l’éthanol et le biodiesel. Cette tendance est soulignée dans l’étude intitulée «Plan de vol pour les biocarburants de l’aviation civile brésilienne: plan d’action» présentée début juin à São Paulo et sponsorisée par deux des trois principaux constructeurs d’avion du monde, Boeing et Embraer, avec un financement de la FAPESP, sous la coordination du Noyau Interdisciplinaire de Planification Stratégique (Nipe) de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp).
84 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Des entreprises nationales et internationales, des universités et des instituts de recherche, soit au total 33 partenaires, ont également participé à cette étude menée durant un an avec la tenue de 8 workshops. Cette étude présente différentes voies technologiques utilisant certaines matières premières comme la canne à sucre, les algues, la graisse animale, les huiles végétales, les matériaux lignocellulosique, les amidons et les déchets urbains, et propose différentes techniques de conversion et de raffinage pour obtenir du kérosène. L’étude indique également qu’il y a encore à ce stade des recherches beaucoup de lacunes importantes à combler sur le plan technologique et financier. Il s’agit de difficultés d’ordre technique qui exigeront la participation de tous les secteurs impliqués comme les constructeurs d’avion, les compagnies aériennes, les développeurs et les fournisseurs de carburant, outre les entités certificatrices mondiales. Il y a un autre facteur qui ne peut être négligé et qui concerne la logistique de production et de distribution du biocarburant pour les 108 aéroports brésiliens qui accueillent des gros-porteurs,
Flotte d’Embraer: l’entreprise s’unit à Boeing pour trouver des alternatives au kérosène dérivé du pétrole
Consommation et projection future L’aviation commerciale au Brésil devrait en moyenne croitre de 5% par an jusqu’en 2020
12
VOLUME en millions de m3/an
11 10 9 8 7 6 5 4 3 20
00 20 01 20 02 20 03 20 04 20 05 20 06 20 07 20 08 20 09 20 10 20 11 20 12 20 13 20 14 20 15 20 16 20 17 20 18 20 19 20 20
Les raffineries brésiliennes produisent 75% du kérosène consommé par
n Production de kérosène au Brésil
l’aviation dans le pays
n Consommation de kérosène au Brésil ➔ Projection de la production au Brésil ➔ Projection de la consommation selon le Syndicat National des
Entreprises Distributrices de Carburant (Sindicom) ➔ Projection de la consommation selon l’Entreprise de
Recherche Énergétique (EPE) SOURCE ANP 2012
62 mille vols internationaux partent du Brésil chaque année. Les vols nationaux s’élèvent à 1 million de vols par an
Le carburant représente, dans la moyenne mondiale, 34% des coûts opérationnels des
EMBRAER
compagnies aériennes
PESQUISA FAPESP 85
1
ce qui représente 1 million de vols programmés uniquement pour l’espace aérien brésilien, outre la nécessité de répondre aux besoins des 62 mille vols internationaux qui partent chaque année du Brésil à destination de 58 aéroports dans 35 pays. Ces vols vers l’étranger représentent 60% de la consommation de kérosène de l’aviation dans le pays.
Comparaison actuelle Le carburant utilisé actuellement a encore des avantages compte-tenu du prix et de la logistique de distribution qui est mondiale
KÉROSÈNE
BIOKÉROSÈNE
Non renouvelable
Renouvelable
Produit avec du pétrole
Produit principalement avec de la canne à sucre et des huiles végétales
Plus polluant
Moins polluant
Processus unique de production
Différentes voies technologiques de production
Production bien établie et distribuée dans le monde entier
Production uniquement expérimentale, sans échelle industrielle
Prix de marché
Prix encore élevé
86 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Le biokérosène doit se soumettre à des critères précis et rigoureux avant d’être certifié. Il faut qu’il présente les mêmes spécifications techniques que le carburant actuel pour être considéré drop-in, caractéristique qui garantit un prompt approvisionnement pour les moteurs actuels et ceux qui sont en développement, outre le fait de pouvoir être mélangé avec du kérosène conventionnel. «Tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y aura pas de grands changements technologiques dans les carburants de l’aviation commerciale dans les prochaines décennies avec l’introduction de l’énergie solaire, des cellules à combustible qui fonctionnent avec de l’hydrogène, ou des batteries de lithium, par exemple. Ces équipements sont lourds et occupent trop de place, consommant donc plus de carburant», explique le professeur Luís Augusto Cortez, vice-président des relations internationales de l’Unicamp et coordonnateur de l’étude. « Il est impossible de réduire les émissions en améliorant seulement l’efficacité des moteurs et c’est pour cela que nous encourageons la recherche de nouveaux carburants», déclare Mauro Kern, vice-président exécutif d’ingénierie et de technologie d’Embraer. Au mois de juin, l’entreprise a annoncé sa nouvelle ligne d’avions à réaction, la E2, qui dépense moins de carburant, qui est moins polluant et qui commencera à entrer en service à partir de 2018. Les biokérosènes des entreprises Amyris et Solazyme, deux entreprises en bioénergie, les deux situées en Californie, aux États-Unis, sont parmi les technologies les plus avancées développées au Brésil. Ces entreprises ont été citées au cours de l’annonce de l’étude et elles font partie du groupe de partenaires qui mène l’étude coordonnée par la FAPESP. La première, fondée par des cher-
PHOTOGRAPHIES 1 BOEING 2 EMBRAER
1 Moteurs du Boeing 747: biokérosène pour les vols internationaux
2
cheurs de l’Université de Californie, à Berkeley, est installée au Brésil depuis 2007. L’entreprise produit déjà depuis décembre 2012, dans la commune de Brotas, dans la province pauliste, le farnésène, un produit liquide obtenu à partir du jus de canne à sucre à l’aide de lignages de levures Saccharomyces cerevisiae génétiquement modifiées. Ces microorganismes transformés interviennent dans le processus de fermentation et produisent du farnésène et non pas de l’éthanol. À partir de ce produit, il est possible de fabriquer soit du biokérosène soit des produits destinés à l’industrie chimique, ou même encore du diesel qui fut la première cible de l’entreprise au Brésil avec des procédés de raffinage spécifiques. Il est actuellement utilisé de manière expérimentale par certaines flottes d’autobus dans les villes de São Paulo et Rio de Janeiro. «Avec un processus minimum d’hydrogénation, le produit se transforme en farnésène qui n’est rien d’autre que du biokérosène», déclare Joel Velasco, vice-président senior d’Amyris. «Nos brevets et notre technologie concernent principalement les lignages de levure développés par Amyris, toutefois le farnésène n’est pas un produit transgénique, explique Joel Velasco. «Jusqu’à présent, le farnésène a été produit à petite échelle d’où son coût plus élevé par rapport au kérosène traditionnel. Ces coûts se réduiront au fur et à mesure que nous augmenterons l’échelle de production», déclare Joel Velasco. L’entreprise Amyris, fondée en 2003, a été financée par l’achat d’une partie de ses actions par Total, cinquième compagnie d’hydrocarbure mondiale. Son siège se trouve en France et c’est actuellement le principal fournisseur de kérosène pour l’aviation en
2 Design de l’E2: le nouvel avion commercial d’Embraer possèdera des moteurs plus économiques
Europe. «Nous espérons être l’alternative la plus compétitive en matière de kérosènes renouvelables destinés à l’aviation quand nous produirons à une échelle industrielle» déclare Joel Velasco. Pour devenir fournisseur de biokérosène, les entreprises qui développent ce biocarburant doivent recevoir l’aval de la Société Américaine de Tests et de Matériaux (ASTM, pour le sigle en anglais). Des vols-tests ont donc été réalisés avec au maximum 50% de biocarburant mélangé à part égale au carburant traditionnel. Un de ces vols-test a eu lieu le 20 juin quand Amyris avec la collaboDans le procédé ration de Total, a alimenté en kérosène un Airbus 321 durant le Paris Air Show. de Solazyme, «Le carburant utilisé a été produit à partir de canne à sucre brésilienne», le jus de canne déclare Velasco. Auparavant, au mois de juin 2012, l’entreprise avait déjà fourni est transformé du biokérosène pour un vol à Rio de Janeiro durant la conférence Rio+20. en huile de Il s’agissait dans ce cas là d’un avion grande valeur à réaction E195 de la compagnie Azul Linhas Aéreas et fabriqué par Embraer. ajoutée à l’aide Au mois de juin de cette année, l’Agence Nationale du Pétrole (ANP) a publié les de microalgues spécifications brésiliennes en ligne avec les procédures internationales pour le biokérosène destiné à l’aviation, permettant ainsi à des vols commerciaux d’utiliser le biocarburant dans le pays. Plus de 1 500 vols commerciaux et militaires ont déjà eu lieu avec des mélanges de kérosènes renouvelables et fossiles. Solazyme a réalisé des tests aéronautiques visant l’obtention de certificats mais également destinés à la vérification PESQUISA FAPESP 87
et à l’analyse des constructeurs d’avion. Le premier vol commercial utilisant le biokérosène produit par l’entreprise a eu lieu en 2011 sur un Boeing 737-800 d’United Airlines, entre les villes de Houston et de Chicago, sur une distance de 1 700 kilomètres. Selon les données de Solazyme, le vol a permis d’éviter de lancer de 10 à 12 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Cette quantité correspond à la consommation d’essence d’un véhicule de tourisme moyen sur une distance de 48 mille kilomètres, aux États-Unis. L’entreprise fondée en 2003 et installée au Brésil depuis 2011, produit du biokérosène à partir de microalgues alimentées par des sucres. Après avoir «grossi» dans des fermentateurs, elles produisent une huile dans leur intérieur. L’huile est extraite par écrasement et elle passe ensuite par un processus de raffinage identique à celui utilisé par l’industrie pétrochimique, où elle est fractionnée en différents types de biocarburants et de produits destinés à l’industrie chimique. «Nous réalisons un craquage de l’huile produite par les algues et ensuite nous passons à la phase d’hydrogénation et d’isomérisation pour obtenir, entre autres produits, un biokérosène qui réponde aux spécifications de l’aviation», explique Rogério Manso, directeur commercial global de Solazyme. «Pour mettre en œuvre ce processus, nous sélectionnons dans la nature des types de microalgues plus adaptées à la production d’huile. Nous induisons ensuite 88 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
des mutations à l’aide de moyens traditionnels de sélection et nous concluons par un travail d’ingénierie génétique pour la sélection finale de nos souches de microalgues», déclare Rogério Manso. L’entreprise Solazyme au Brésil, a signé un partenariat avec l’entreprise Bunge, productrice d’huiles végétales alimentaires et de biodiesel et qui possède des usines de canne à sucre. C’est ainsi que Solazyme Bunge Produits renouvelables est en train de construire une unité de production à côté d’une usine dans la commune d’Orindiúva, dans l’intérieur pauliste. L’huile primordiale est produite à partir d’un processus de fermentation du sucre du jus de canne avec des microalgues dont l’entreprise ne dévoile pas le nom. «Dans ce procédé, le jus de canne est transformé en une huile de grande valeur ajoutée», déclare Walfredo Linhares, directeur Solazyme au Brésil. Il nous indique que l’entreprise a déjà des partenariats avec Volkswagen et un contrat d’approvisionnement pour la Marine nord-américaine qui ne veut plus dépendre exclusivement des dérivés du pétrole. La production au Brésil devrait commencer fin 2013 et Solazyme Bunge bénéficie d’un apport financier de 246 millions de réais versé par la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES). La fabrication de biokérosène au Brésil dépend encore d’un accord avec une entreprise spécialisée dans le raffinage ou même de la construction
PHOTOGRAPHIES 1 AMYRIS 2 SOLAZYME
1
«Il y a une demande mondiale des compagnies d’aviation pour un carburant émettant moins de CO2”, déclare Luiz Nogueira
1 Usine d’Amyris, à Brotas (SP) 2 Culture de microalgues chez Solazyme
2
d’une unité propre. Tant Solazyme qu’Amyris peuvent adapter leurs technologies propres à d’autres types de sucre comme celui de la betterave en Europe, l’amidon de maïs aux États-Unis ou la bagasse de canne à sucre. Un autre procédé de fabrication de biokérosène renouvelable développé à la Faculté d’Ingénierie Chimique (FEQ) de l’Unicamp, sous la coordination du professeur Rubens Maciel Filho, en est à une échelle de laboratoire et prêt à être exploité sur une ligne de production pilote. «Nous avons atteint le maximum de production que nous pouvions obtenir en laboratoire et nous travaillons actuellement sur la captation de financements, l’augmentation de la production et l’évaluation économique de notre biokérosène tout en menant une étude de durabilité», explique Maciel, qui est également l’un des coordonnateurs du programme de Recherche en Bioénergie (Bioen) de la FAPESP. «Un accord commercial est en train d’être négocié», dit-il sans révéler le nom de l’entreprise. Ce procédé peut utiliser différentes huiles et graisses selon l’approvisionnement local, ce qui, en termes de logistique de la matière première, a un grand impact sur les coûts de production. «Le biocarburant est produit avec des huiles végétales, de l’éthanol et un catalyseur spécifique qui déclenche la réaction sans qu’il soit nécessaire d’utiliser des microorganismes génétiquement modifiés», dit-il. Les exemples de procédés développés pour
produire du biokérosène renouvelable montre que le pays cherche à se positionner fortement sur la ligne de front mondiale des biocarburants. «Le Brésil possède des avantages importants et vit une situation différente à celle de l’éthanol et du biodiesel dans laquelle l’adhésion des entreprises n’avait été motivée que par les encouragements de programmes gouvernementaux. Maintenant c’est différent. Il y a une demande globale des compagnies d’aviation pour un carburant qui émette moins de CO2”, déclare le professeur Luiz Horta Nogueira, de l’Université Fédérale d’Itajubá (Unifei), dans l’état de Minas Gérais, et collaborant à l’étude. Le chemin est encore long avant que des camions de biokérosène n’entrent dans les aéroports pour approvisionner les avions et tout dépendra également du niveau de réduction de CO2 et d’autres polluants atteint par chaque biocarburant par rapport aux dérivés du pétrole. «Nous n’arrivons pas encore à établir et à définir le cycle de vie des émissions du biokérosène. Il n’y a pas de données fiables à ce sujet comme notre étude l’indique», déclare Cortez. n
Projet Roadmap technologique pour des biocarburants durables destinés à l’aviation – Opportunités pour le Brésil (n° 2012/50009); Modalité Programme Partenariat pour l’Innovation Technologique (Pite); Coordination Luís Augusto Cortez/Unicamp; Investissement 565 550,00 réais (FAPESP).
PESQUISA FAPESP 89
AGRICULTURE y
Culture lucrative Une petite entreprise d’automatisation agricole de São Carlos obtient une reconnaissance internationale Yuri Vasconcelos PUBLIÉ EN AVRIL 2013
C
ette année, le Brésil se prépare à récolter la plus grande moisson de céréales de son histoire. Mais ce n’est pas la seule bonne nouvelle qui nous vient des champs. L’entreprise d’automatisation agricole Enalta, dont le siège se situe à São Carlos, dans l’intérieur pauliste, a été élue comme étant l’une des 50 entreprises les plus novatrices du monde par la revue étasunienne de technologie Fast Company. C’est la seule entreprise brésilienne à faire partie de cette liste en compagnie de chefs de file comme Nike et Amazon. En outre, Enalta occupe la 43ème place devant des géants comme Microsoft (48ème) et Tumblr (50ème). Dans le classement sectoriel en Amérique du Sud, l’entreprise apparaît en première place. Enalta, selon la revue, Fast Company a conquis cette place pour avoir «soutenu l’industrie brésilienne des biocarburants, mis au point des capteurs et des logiciels GPS qui contrôlent la culture et l’irrigation, augmentant ainsi le rendement des agriculteurs». Le Brésil apparaît dans ce classement annuel pour la deuxième année consécutive. En 2012, c’est la start-up Bug Agentes Biologiques, de Piracicaba (SP), qui a remporté la 33ème place. «Depuis ces dernières années nous sommes reconnus comme étant l’une des entreprises à s’être le plus développé dans le pays. Notre objectif est de lancer sur le marché deux solutions par an», déclare l’ingénieur Cléber Manzoni, propriétaire de l’entreprise. Fondée en 1999, 90 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
l’entreprise Enalta est l’une des pionnières dans la branche automatisation agricole en Amérique latine. Elle s’est spécialisée dans le développement d’outils visant à l’optimisation des processus productifs et dans la mise au point de logiciels de gestion agricole qui permettent d’élever le rendement des cultures. Le principal secteur visé est celui du sucre et de l’éthanol, mais l’entreprise fournit également des équipements à l’industrie forestière. Des contrôleurs et des pilotes automatiques destinés à une agriculture de précision ainsi que des ordinateurs de bord pour les machines et véhicules agricoles font partie du portefeuille de l’entreprise. Ces technologies favorisent des changements dans les processus agricoles, en termes de semis, de culture, de moissonnage, de récolte, de chargement et de transport des différents produits cultivés. Pour l’agronome José Carlos Hausknecht, directeur du cabinet conseil MBAgro à São Paulo, les innovations d’Enalta peuvent aider à réduire les coûts et les pertes dans les cultures. «L’automatisation est importante, principalement dans la culture de la canne à sucre, où, historiquement, le degré de mécanisation est faible», dit-il. Selon Cléber Manzoni, les produits commercialisés par son entreprise pourront favoriser des gains de productivité de l’ordre de 15%. L’entreprise Enalta, certaine de l’augmentation de la demande du secteur sucrier et de celui de l’éthanol, estime que son chiffre d’affaire s’élèvera à 15,8 mil-
Des ordinateurs de bord, des capteurs et des systèmes installés sur des machines agricoles permettent un meilleur contrôle de la production
lions de reais cette année, soit une augmentation de 30% par rapport aux 12,2 millions de reais de chiffre d’affaire en 2012. 10% de ce chiffre d’affaire provient de la vente de produits à l’étranger, principalement en Colombie. L’innovation est le moteur de la croissance de l’entreprise car dans l’évolution des résultats constatée en 2012, 60% sont dus aux produits lancés fin 2011. L’entreprise envisage cette année d’investir 2,5 millions de reais en recherche et développement, ce qui équivaut à 16% de son chiffre d’affaire prévu durant la période. De grandes entreprises brésiliennes productrices de canne à sucre comme Odebrecht Agroindustrial, Grupo São Martinho et Grupo Nova América, font partie de son portefeuille de clients, composé d’environ 60 entreprises. Le produit phare d’Enalta est l’ordinateur de bord EES (Enalta Embedded System), qui permet la gestion de machines agricoles. Quand il est accouplé au système E-manneger, également fabriqué par l’entreprise, l’équipement améliore les performances productives du moissonnage, du chargement et du transport de la matière première vers l’agro-industrie. La lecture des données de plus de 20 capteurs installés sur des tracteurs et des moisson-
Enalta en chiffres L’entreprise veut croître de 20% cette année et investir 16% de son chiffre d’affaire en R&D
Son portefeuille se compose de
Cette année, la prévision de croissance est de
10% 18
des bénéfices proviennent de ventes à l’étranger
produits L’investissement prévu en R&D s’élève à
2,5 millions de reais en 2013
En 2012, le chiffre d’affaire s’est élevé à
AVANCÉES STRATÉGIQUES
Le succès de l’entreprise Enalta est dû en grande partie, aux partenariats établis avec les universités, comme l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp), grâce à laquelle elle a breveté une balance de pesage créée à la Faculté d’Ingénierie Agricole et qui est utilisée dans le système de production de l’entreprise. Dans un autre partenariat avec Embrapa Instrumentação Agropecuária ( Ndt: Embrapa équipement agricole), de São Carlos, l’entreprise a développé un système d’irrigation de précision. Le financement des agences de soutien à la recherche ont été décisifs. «En 2001, deux ans à peine après la création d’Enal-
EDUARDO CESAR
Grâce aux logiciels, le gain de productivité agricole atteint
56 12,2 millions de reais
neuses permet à l’agriculteur de dessiner une carte de productivité des champs de canne à sucre. L’un de ses produits les plus récents est un logiciel à commande vocale qui alerte le chauffeur du camion sur les endroits critiques à traverser, évitant ainsi les accidents et élevant les indicateurs de sécurité de l’activité agricole. Cet équipement est utilisé dans des véhicules servant au transport de pousses de canne à sucre, de vinasse (liquide résiduel du traitement de la canne à sucre et utilisé pour fertiliser les champs) et de la canne à sucre récoltée.
30%
ta, nous avons réussi à transférer notre siège de Catanduva vers l’incubateur de la Fondation Parc de Haute Technologie de São Carlos (ParqTec) suite à l’approbation d’un projet Pipe (Programme Recherche Novatrice en Petites Entreprise de la FAPESP). L’objectif était de créer un système contrôlant la pulvérisation des cultures. Ce soutien a été fondamental pour que l’entreprise se renforce sur le marché», déclare Cléber Manzoni. Par la suite, 4 projets Pipe d’Enalta ont été approuvés. Au total, la FAPESP a investi plus de 1,2 million de R$ dans l’entreprise. Enalta bénéficie également du financement du Programme de Subvention Économique du bailleur de fonds d’Études et de Projets (Finep) du gouvernement fédéral, pour un projet de fertilisation des champs de canne à sucre par l’application contrôlée de vinasse. En 2010, l’entreprise a reçu un apport financier du Fonds Criatec, spécialisé en capital d’amorçage, et destiné aux entreprises émergentes et novatrices. «Enalta est la deuxième entreprise financée par notre fonds qui intègre la liste des entreprises novatrices citées par la revue Fast Company, les deux dans le segment technologique agricole. Ceci prouve clairement
clients actifs
15%
que le Brésil n’est pas seulement reconnu comme étant une puissance agricole compte tenu de ses ressources naturelles, mais également pour la capacité de ses chefs d’entreprise à lancer des projets novateurs et qui ont un grand impact dans le domaine agricole», souligne Francisco Jardim, représentant du Fonds Criatec au conseil d’administration d’Enalta. n
Projets 1. Système de gestion de l’activité «pulvérisation» dans l’agriculture avec une technologie d’acquisition automatique de données dans les cultures (nº 1999/11662-5); Modalité Recherche Novatrice en Petites Entreprises; Coordination Cléber Manzoni/Enalta; Investissement 203 105,57 de reais (FAPESP). 2. Développement d’une plateforme technologique pour l’irrigation de précision en cultures pérennes (nº 2003/07998-5); Modalité Recherche Novatrice en Petites Entreprises; Coordination André Torre Neto/ Embrapa; Investissement 399 054,49 de reais (FAPESP). 3. Développement d’un moniteur de productivité de la canne à sucre pour obtenir des cartes de productivité destinées aux moissonneuses automotrices (nº 2004/087775); Modalité Recherche Novatrice en Petites Entreprises; Coordination Domingos Guilherme Cerri/Unicamp; Investissement 290 230,40 de reais (FAPESP). 4. Développement d’un système de contrôle du moissonnage, du chargement et du transport de la canne à sucre pour la gestion de la flotte (nº 2006/56606-0); Modalité Recherche Novatrice en Petites Entreprises; Coordination Domingos Guilherme Cerri/Unicamp; Investissement 328 866,32 de reais (FAPESP).
PESQUISA FAPESP 91
MÉDECINE y
Autopsie numérique Un nouvel injecteur de produit de contraste et l’achat d’un appareil à résonance magnétique de haute puissance facilitent la compréhension des causes de décès Marcos de Oliveira
L
PUBLIÉ EN JUIN 2013
a représentation la plus fameuse d’une dissection humaine se trouve dans un tableau du peintre hollandais Rembrandt peint en 1632. Connu sous le nom de la leçon d’anatomie du Dr. Nicolaes Tulp, ce tableau montre un groupe de chirurgiens regardant d’un air circonspect le corps d’un criminel étendu sur une table avec la partie interne d’un de ses bras ouverte. Au cours des siècles, la médecine a usé de ce type de procédé décrit par Rembrandt, pour comprendre le fonctionnement du corps humain et de ses maladies, pour l’apprentissage médical et également, quand cela est nécessaire, pour déterminer les cause de la mort d’une personne. La tendance mondiale actuelle est d’utiliser des équipements médicaux déjà éprouvés comme les instruments de tomographie et de résonnance magnétique pour «voir» la cause de la mort d’une personne sans qu’il soit nécessaire de disséquer son corps. Mais il manque encore une base scientifique. L’une des études les plus ambitieuses dans ce domaine est menée à la Faculté de Médecine de l’Université de São Paulo (FMUSP) sous la coordination du professeur Paulo Saldiva. C’est là que le professeur et un
92 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
groupe de chercheurs testent un équipement tomographique qui réalise des autopsies par imagerie. Pour cela, ils ont développé avec l’entreprise Braile Biomédica, de São José do Rio Preto, dans l’intérieur pauliste, une pompe à injection de produit de contraste qui injecte le produit dans l’aine du cadavre et qui se répand dans tout le corps, garantissant des images de haute qualité. Les chercheurs espèrent progresser davantage dans les études à partir de 2014 grâce à l’acquisition d’un équipement à résonnance magnétique de champ magnétique élevé, le premier dans l’hémisphère sud, et qui a été acheté grâce à un financement de la FAPESP, du Secrétariat à la Santé de l’état et de l’USP, pour un montant de 7 millions de dollars US . «Avec l’évolution de la médecine et l’adoption de méthodes biochimiques, de la biologie cellulaire, moléculaire et de l’imagerie médicale, l’autopsie appartient à une autre époque, même dans la spécialisation des médecins», déclare Paulo Saldiva, qui est aussi chef du département de pathologie de la FMUSP. «L’autopsie est laborieuse, elle peut mettre trois jours avant d’être conclue et elle est mal rémunérée», affirme-t-il. Il explique que l’autopsie médicale, qui décroit dans
Images du corps entier de cadavres obtenues par tomographie et colorées par ordinateur
PESQUISA FAPESP 93
FACULTÉ DE MÉDECINE / USP
le monde, concerne les morts naturelles et non pas les morts criminelles. Elle diffère de la médecine légale qui s’occupe des morts violentes par arme à feu ou arme blanche, par exemple. Dans ce cas il faut que le corps passe par l’Institut Médicolégal (IML) pour que le médecin légiste, normalement formé dans des académies de police, puisse faire son rapport destiné à l’enquête criminelle et au procès. «L’autopsie médicale s’occupe de personnes trouvées mortes chez elles ou dans la rue, ou qui arrivent déjà mortes aux services d’urgence, par exemple, et les médecins n’en connaissent pas la cause pour remplir le certificat de décès», explique Paulo Saldiva. Les études sur l’autopsie numérique sont ambitieuses, non seulement en raison des nouveaux appa1 Reconstruction reils qui équiperont tridimensionnelle la Faculté de Méderéalisée à partir cine, mais également d’une tomographie. parce que l’USP est Les organes en rouge et les os en responsable du Sertons blanc et gris et vice de Vérification le produit de des Décès de la capicontraste injecté tale (Svoc) rattaché dans les vaisseaux sanguins à l’université depuis 1939 par décret de l’état de São Paulo. 2 Images du cœur
cale, tous rattachés à l’USP. Les personnes qui décèdent à São Paulo et qui n’ont pas de certificat de décès sont donc amenées ici». Plus de 13 mille autopsies sont réalisées par an au Svoc et de nombreuses études y sont menées, toujours avec l’approbation de la famille, sur des indigents ou des corps non réclamés par les familles qui l’année dernière, par exemple, étaient au nombre de 194. « Nous avons donc toutes ces autopsies à portée de la main et nous pouvons ainsi avancer dans nos études et acquérir de nouvelles connaissances, outre le fait de compter sur la collaboration de tous les départements de la Faculté de Médecine. Il y a encore aujourd’hui des incertitudes sur le rôle de l’autopsie en tant que base scientifique. Nous voulons prouver, grâce aux nouvelles techniques adoptées, que l’autopsie sera très utile», déclare Paulo Saldiva.
«Grâce à l’imagerie, nous voulons prouver que l’autopsie est encore très utile et qu’elle peut apporter de nouvelles connaissances», déclare Paulo Saldiva
DÉCOUVRIR DES DISCORDANCES
C’est ce service qui reçoit tout les cas pour des autopsies médicales de la commune de São Paulo. «C’est le plus grand service d’autopsie médicale au monde. Il n’en existe aucun qui soit rattaché à une université et le Svoc est un organisme comme le Musée Pauliste ou l’Institut de Médecine Tropi-
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Dans un article scientifique publié par la revue The Lancet en 2012, un groupe de l’Université d’Oxford, en Angleterre, a présenté une étude dans laquelle ont été analysés 182 cas à l’aide de tomographes, d’appareils à résonance magnétique et sans réaliser de biopsie. « Nous avons les moyens, avec le soutien du Svoc, de réaliser mille autopsies avec imagerie et biopsies par an. Nous pouvons réaliser des autopsies peu invasives et des autopsies conventionnelles sur un même corps. Nous pensons que l’autopsie peu invasive est meilleure que la conventionnelle dans certaines situations et dans d’autres non. Nous pouvons définir les différents cas et savoir ce qui fonctionne dans chaque cas». Les bases scientifiques de l’étude par imagerie ne sont pas établies pour les morts violentes. Les autopsies avec imagerie sont apparues dans la médecine légale et la Suisse a été un centre de développement dans ce domaine. «Il est possible de montrer des lésions, des hématomes, des fractures et où la balle a pénétrée et quelle a été sa trajectoire sans disséquer le patient et montrer ensuite ces images au juge et aux jurés». L’autopsie médicale, selon Paulo Saldiva, sert tout d’abord à déterminer la cause du décès d’une personne. Après l’avoir découverte, il est possible de déterminer la maladie et comprendre ce qui a provoqué le décès. Il est également possible de savoir si le traitement a été approprié et s’il y a eu des complications thérapeutiques. «Il y a un espace pour le contrôle de la qualité
IMAGES FACULTÉ DE MÉDECINE / USP
hospitalière», déclare-t-il. Paulo Saldiva se remémore une étude réalisée au Massachusetts General Hospital, aux États-Unis, qui a analysés les autopsies en comparant les concordances et les discordances de décès depuis ces trente dernières années, et qui a constaté que de graves erreurs ont été commises dans 10% des cas, interférant dans le décès de ces personnes. «11% d’erreurs ont été constatées à l’hôpital de l’Université de Harvard et 15% à l’Hôpital des Cliniques de São Paulo. Ce résultat est évidemment biaisée par les autopsies de cas plus compliqués et il indique peut-être plus d’erreurs que la normale», déclare-t-il. « Du point de vue de la recherche, l’apport de l’autopsie est inimaginable. Pour l’analyse du cerveau et dans le cas de maladies liées à la vieillesse comme la maladie d’Alzheimer, elle est absolument importante car il est impossible de réaliser une biopsie de cet organe sur une personne vivante». Il estime que ce nouvel appareil à résonnance magnétique va contribuer au choix et à l’analyse de tissus cérébraux destinés à la banque de cerveaux qui est en train d’être montée à l’USP. Mais Paulo Saldiva veut aller encore plus loin. Il veut montrer et comparer les décès qui ont lieu dans chaque région de la ville de São Paulo. «S’il y a une concentration de jeunes femmes atteintes du cancer du sein dans une région précise de la ville, il sera possible de le détecter. C’est une manière d’évaluer la relation entre le génome et l’environnement», dit-il. Il envisage de collecter les données de 13 mille décès et d’étudier les habitudes de chacun d’entre eux, pour connaître leurs habitudes alimentaires et cartographier les maladies liées principalement à la pollution l’air. Dans la pratique, les études de la Faculté de Médecine ont atteint un niveau d’excellence grâce à la pompe à injection de produit de contraste à base d’iode et de polyéthylène glycol, un produit visqueux. «Nous savions qu’il y avait une machine en Suisse qui coûtait 100 mille euros, mais cette solution était très onéreuse et l’équipement devait être importé. Nous en avons alors parlé à Domingo Braile (médecin chirurgien et l’un des propriétaires de Braile Biomédica) qui a mis son équipe à notre disposition», déclare Paulo Saldiva. «Nous avons adapté la machine de circulation extra corporelle que nous avions créée pour les chirurgies cardiaques ou pulmonaires pour qu’elle puisse injecter la solution de contraste.
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La pompe à injection de produit de contraste développée par l’entreprise Braile sera accouplée au nouvel équipement à résonnance magnétique Nous y avons ajouté quelques contrôles, principalement en ce qui concerne le flux du liquide qui doit être bien dosé pour ne pas rompre accidentellement certains vaisseaux sanguins», explique Marcos Vinicius, ingénieur électronique et responsables des tests de l’entreprise Braile. BLINDAGE SPÉCIAL
L’injection du produit de contraste permet non seulement d’obtenir de meilleures images mais également de voir s’il y a une rupture des veines et des artères. «L’équipement permet de développer des fonctionnalités requises par nos projets qui demandent beaucoup d’habilité et de flexibilité», déclare le professeur Luiz Fernando Ferraz da Silva, du groupe de Paulo Saldiva. La technologie brésilienne possède un autre atout grâce à la création d’un logiciel personnalisé destiné à la recherche. L’entreprise et l’USP analysent la possibilité de demande d’un dépôt de brevet pour l’équipement qui, quand il sera finalisé, devrait coûter entre 100 mille et 150 mille reais. La pompe à injection est également en train d’être adaptée pour fonctionner avec l’appareil à résonnance magnétique qui sera installé dans les salles du sous-sol de la Faculté de Médecine. La gestion quotidienne de l’installation des salles et des
équipements incombe au professeur Silva, qui explique qu’il est nécessaire d’installer un blindage en fer de 400 tonnes autour de la salle contenant l’équipement de résonnance magnétique pour contenir les émissions élevées du champ magnétique. Ce blindage est nécessaire car les personnes porteuses de prothèses métalliques et de pacemakers pourraient être affectées à proximité de l’équipement. L’appareil émet un champ magnétique de 7 teslas (T). «Les équipements cliniques utilisés dans les hôpitaux, par exemple, émettent 3 teslas», affirme-t-il. «Nous allions acheter un équipement de 3 teslas, mais suite à la demande du personnel de la radiologie nous en avons acheté un plus approprié pour la recherche», déclare Paulo Saldiva. «Seuls l’Allemagne, les États-Unis, l’Angleterre, le Japon, la Suisse et la France possèdent ce type d’appareil à résonnance magnétique qui n’a pas encore été autorisé pour être utilisé dans des examens cliniques», explique Silva. n Projet Plateforme d’imagerie dans la salle d’autopsie (nº 2009/ 54323-0); Modalité Programme Équipements Multiusages; Coordination Paulo Hilário Nascimento Saldiva/ USP; Investissement 3 000 000,00 dollars US (FAPESP), 3 000 000,00 dollars US (USP), 1 500 000,00 dollars US (Fondation Faculté de Médecine) et 3 000 000,00 de reais (USP).
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INNOVATION y
Connaissance du marché Des entreprises font appel à des universités pour lancer des produits plus compétitifs Dinorah Ereno
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es innovations conçues dans des universités arrivent plus fréquemment sur le marché brésilien. Cette alternative représente une valeur ajoutée technologique pour les entreprises en termes de produits et de processus comme le prouve l’augmentation croissante d’autorisations concédées aux universités en termes de droits intellectuels et de la transformation de cette connaissance en produits novateurs. Une technologie prometteuse lancée sur le marché fin 2012, par exemple, concerne un photomètre analyseur de carburant développé à l’Institut de Chimie de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp) et breveté par Tech Chrom, entreprise hébergée dans l’Incubateur d’Entreprises de Base Technologique de l’Université (Incamp). Alors que les tests d’évaluation d’adultération de carburants dans les stations-service doivent suivre différentes étapes et ont besoin de personnel entrainé pour analyser les informations, le photomètre (qui travaille dans la région du proche infrarouge), indique automatiquement le résultat obtenu dans le viseur de l’appareil en sept secondes. En outre, le test traditionnel pour l’essence requiert 50 millilitres (ml) du carbu96 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
rant et celui de l’éthanol, 1 litre. L’appareil avec le photomètre, quant à lui, fonctionne avec seulement 5 ml de carburant introduit dans un récipient approprié. «Il suffit d’indiquer si l’analyse concerne de l’éthanol ou de l’essence», déclare Ismael Pereira Chagas, qui a développé le prototype d’analyseur de carburant au cours de son doctorat et qui travaille actuellement comme chercheur dans l’entreprise. Un financement du programme Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe), de la FAPESP, a permis à Ismael Pereira Chagas de poursuivre ses recherches chez Tech Chrom pour que le prototype se transforme en produit. «L’enjeu a été de créer un équipement petit et robuste et qui puisse être utilisé par n’importe qui», dit Valter Matos, directeur de l’entreprise. L’appareil, appelé Xerloq, peut stoker dans sa mémoire les résultats de 98 analyses. «Nous avons également développé un logiciel pour imprimer le résultat de l’analyse pour le client de la station-service», dit Ismael Chagas. Grâce au projet Pipe, l’entreprise a pu réduire le prix de vente de l’équipement qui est passé de 6 800,00 à 4 950,00 réais. Jusqu’à présent, plus de50 appareils ont été vendus à des stations de revente et à des distributeurs de carburant. «Mais il y a un marché potentiel
ILLUSTRATIONS RAUL AGUIAR
PUBLIÉ EN JUILLET 2013
à exploiter avec environ 39 mille stations-service réparties dans le pays», déclare Valter Matos. La licence obtenue par une graisse à faible teneur en acides gras saturés et exempte d’acides gras trans, développée à la Faculté d’Ingénierie d’Aliments en partenariat avec Cargill Agrícola et utilisée comme garniture de biscuits et d’autres applications, a permis à l’Unicamp de percevoir des royalties records s’élevant à 724 mille réais en 2011. Les recherches menées sur cette nouvelle graisse ont commencé à l’université dans les années 90, mais ce n’est qu’en 2008 que les résultats effectifs ont commencé à apparaitre et à attirer l’attention de l’industrie. Depuis sa création en 2004, l’Agence d’Innovation Inova, de l’Unicamp, a enregistré une hausse tant en termes de dépôts de brevet que de licences, ce qui démontre l’intérêt des entreprises pour les innovations. L’année dernière, 73 brevets ont été déposés, 13 contrats de licence ont été signés, 29 programmes informatiques ont été enregistrés, ce qui est un record pour une seule année depuis le premier brevet déposé par l’université en 1984. Au total, 63 licences sont actuellement en vigueur. L’agence a établi un partenariat avec l’Université de Cambridge en 2009 pour connaître à fond les systèmes d’innovation avancés. Cambridge Enterprise est la filiale de l’université qui s’occupe des brevets et du transfert de technologie. «Depuis 2006, nous sommes devenus une entreprise qui peut également investir dans d’autres entreprises après plus de 20 ans passé comme agence d’innovation de l’université. Nous investissons et possédons des actions dans 63 compagnies», déclarait Shirley Jamieson, directrice de marketing de Cambridge Enterprise, au cours de la XIII Conférence de l’Association Nationale de Recherche et de Développement des Entreprises Novatrices (Anpei), réalisée à Vitória (ES), au mois de juin. Les entreprises brésiliennes font également appel aux universités pour la recherche de nouvelles technologies. À la demande du physiothérapeute Renato Loffi, propriétaire de l’entreprise Treini Biotecnologia, un vêtement spécial qui corrige la posture corporelle et qui devrait être lancé d’ici un an, a été créé à l’École d’Éducation Physique, Physiothérapie et Thérapie Occupationnelle (EEFFTO) de l’Université Fédérale de Minas Gérais (UFMG). «Une toile de rubans élastiques interconnectés favorise la tension du vêtement et permet de corriger la posture et de prévenir les lésions», explique le professeur PESQUISA FAPESP 97
Le montant des royalties perçues par l’Unicamp en 2011 s’élève à
724 mille réais
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Une petite fabrique de chaussures a fait appel à l’UFMG pour développer une ligne de tennis avec un système d’amortissement
Pedro Vidigal, directeur de la Coordination de Transfert et d’Innovation Technologique (CTIT), agence d’innovation de l’université de Minas Gérais. Après avoir travaillé plus de huit ans dans le Système Unique de Santé (SUS), Renato Loffi a décidé de faire appel au professeur Sérgio Fonseca, d’EEFFTO, spécialiste des études sur les mouvements humains, pour créer un vêtement qui puisse être utilisé tant dans la vie professionnelle que par des athlètes. L’entreprise Treini, qui a obtenu la licence de ce produit, étudie le lancement du vêtement en quatre versions: thérapeutique, occupationnelle, sportive et militaire. Parmi les principaux brevets obtenus par l’UFMG et qui ont déjà conquis le marché brésilien se trouve un vaccin contre la leishmaniose viscérale canine appelé Leish-Tec. Ce vaccin a été développé par la Faculté de Pharmacie et l’Institut de Sciences Biologiques en collaboration avec le laboratoire espagnol Hertape Calier. On espère que le vaccin sera introduit sur le marché européen d’ici 2014. Il y a un autre cas de coopération entre l’entreprise et l’université considéré emblématique par Pedro Vidigal. Il s’agit de l’entreprise Crômic, une petite fabrique du pôle de chaussures sportives de Nova Serrana, dans la région de Belo Horizonte, qui était à la recherche d’un produit novateur pour se distinguer sur le marché et concurrencer les produits chinois. «Ils voulaient développer une ligne de chaussures sportives novatrice». Comme
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il n’y avait personne à l’université qui travaillait dans ce domaine, nous avons créé un groupe de chercheurs coordonné par l’agence et lié à l’EEFFTO et au laboratoire de Bioingénierie de l’École d’Ingénierie, pour développer un système d’amortissement pour les semelles de chaussures sportives. L’innovation a été incorporée et lancée dans une ligne de tennis appelée Aerobase et qui est actuellement le deuxième produit le plus vendu par l’entreprise. En 2012, la CTIT a enregistré 661 demandes de dépôts de brevets, des marques, des dessins industriels et des programmes informatiques. 547 de ces demandes ne concernant que les dépôts de brevet. Les contrats de licence technologique signés s’élevaient à 43 au mois de mai, pour 101 technologies brevetées. Une grande partie de la technologie est validée par les propres chercheurs universitaires, à l’exemple d’une innovation dans un procédé de production de bière qui accélère la phase de fermentation et découvert par Éverton Estracanholli au cours de son doctorat à l’Institut de Physique de São Carlos, à l’Université de São Paulo (IFSCUSP). Il a eu l’idée d’utiliser des leds (diodes eletroluminescentes) au cours de la fermentation ce qui lui a permis d’en réduire le temps de 15% à 20% sans modifier la qualité de la boisson. Ce résultat lui a permis de transformer son hobby en production artisanale dans la micro-brasserie Kirchen, à São Carlos. «C’est une petite affaire qui va se développer car elle intéresse également les grandes brasseries», affirme le professeur Vanderlei Bagnato, directeur de l’agence d’innova-
PHOTOGRAPHIES 1 UFSCAR 2 LEO RAMOS 3 TREINI
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1 Salade Brunela de l’UFSCar 2 Analyseur de carburant de l’Unicamp 3 Vêtement spécial créé à l’UFMG
au Brésil, il a déposé la demande de brevet d’un dispositif permettant à un procédé biomagnétique appelée BAC (utilisée pour obtenir des images du tractus gastroUn physicien invente intestinal sans qu’il soit nécessaire un instrument de diagnostic d’utiliser de contrastes radioactifs), d’être incorporée aux équinon invasif de l’estomac au pements médicaux, à moindre coût. L’Agence Unesp d’Innovacours de son doctorat à l’Unesp tion a obtenu la licence de 51 procédés technologiques en seulement quatre ans d’existence. Elle avait déjà déposé 133 demandes de tion de l’USP et directeur de mémoire d’Éverton brevets en 2012, outre l’enregistrement de six Estracanholli. «Nous avons souvent constaté que dessins industriels et de 53 logiciels. Des cultivars de canne à sucre sont le point les élèves qui participent aux recherches sont intéressés pour obtenir leurs propres brevets, d’orgue des recherches menées à l’Université y-compris par l’ouverture d’une entreprise et le Fédérale de São Carlos (UFSCar). «Nous avons soutien du Pipe», dit-il. L’Agence USP d’Innova- 16 cultivars autorisés pour plus de 150 usines», tion dépose en moyenne 100 demandes de brevet déclare la professeur Ana Lúcia Vitale Torkomian, directrice de l’Agence d’Innovation de l’UFSCar. par an pour 80 autorisées jusqu’à présent. Le physicien Fabiano Carlos Paixão est un «Leur singularité est de produire davantage d’éthaautre exemple d’élève ayant réussi à transformer nol et de sucre, outre le fait d’être plus résistants ses connaissances en produit. Au cours de son aux parasites et adaptés à notre climat». L’univerdoctorat à l’Institut de Biosciences de l’Univer- sité a récemment créé un cultivar d’une variété de sité Publique Pauliste (Unesp) de Botucatu, il salade appelée Brunela, avec des feuilles crépues a créé un instrument de diagnostic non invasif comme la variété brésilienne et croquante comme pour l’estomac qui est sur le point d’être lancé l’américaine, et adaptée à la culture sous des temsur le marché nord-américain. «Fabiano Carlos pératures élevées et à la pluviosité. Paixão a créé une start-up aux États-Unis pour Les projets réussis ne sont pas uniquement liés développer l’appareil en s’associant à d’autres à l’agrobusiness de l’UFSCar. Un projet a particuchercheurs,», explique la professeur Vanderlan lièrement attiré l’attention lors de son lancement, Bolzani, directrice de l’Agence Unesp d’Innova- il s’agit de papier synthétique fabriqué à partir de tion. Une partie du doctorat de Fabiano Carlos déchets plastiques post-consommation, développé Paixão, ayant comme thème le biomagnétisme sous la coordination de la professeur Sati Manrich et appliqué en gastroentérologie, s’est déroulé à produit par l’entreprise Vitopel depuis 2010. Lancé l’Université Vanderbilt, aux États-Unis, avec sous la marque Vitopaper, le papier synthétique ne une bourse de la FAPESP. Dès qu’il est revenu se déchire pas, ne se mouille pas et absorbe 20% en moins d’encre durant l’impression. L’agence d’innovation, après cinq ans d’activité, a enregistré 93 demandes de brevet, 12 brevets obtenus, une marque, un programme informatique, outre les cultivars. n
Projets 1. Production de graisse low trans et son application dans les aliments (2005/54796-4); Modalité Ligne Régulière d’Aide à Projet de Recherche; Coordination Lireny Guaraldo Gonçalves-Unicamp; Investissement 267 760,00 réais (FAPESP). 2. Viabilisation de la production à grande échelle d’un photomètre pour déterminer la teneur d’éthanol en alcool carburant et essence (2011/51061-4 et 2011/52004-4); Modalité Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe) et Programme de Soutien à la Recherche en Entreprises (Pappe); Coordination Ismael Pereira Chagas-Tech Chrom; Investissement 205 667,29 réais (FAPESP) et 195 930,00 réais (Finep).
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3. Études sur des films multicouches de composites de thermoplastiques vierges et recyclés pour leur application à l’écrit et à l’impression (2003/06113-0); Modalité Ligne Régulière d’Aide à Projet de Recherche; Coordination Sati Manrich-UFSCar; Investissement 69 518,53 réais (FAPESP).
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INGÉNIERIE INFORMATIQUE y
La logique du marché Une petite entreprise développe une intelligence artificielle pour contrôler les processus industriels Evanildo da Silveira
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ne petite entreprise fondée il y a six ans a été capable de gagner des clients comme Coca-Cola, Rhodia, Villares et Ajinomoto grâce au développement d’un algorithme basé sur la connaissance de la logique floue (fuzzy logic), un domaine de recherche de l’intelligence artificielle lié à l’expansion de la théorie des ensembles qui traite, par exemple, d’éléments appartenant ou non à un groupe déterminé. «Dans cette approche une chose peut être partiellement contenue dans un système», déclare l’ingénieur informatique Igor Santiago, directeur exécutif d’I.Systems, à Campinas (SP). «À titre explicatif, une personne n’est ni grande ni petite, mais à 80% grande, par exemple. Cette différenciation favorise un grand nombre d’applications pratiques jusqu’alors impossible avec la logique», dit-il. La logique classique c’est la logique binaire où la réponse ne peut être que oui ou non, vraie ou fausse. Dans la pratique, le système électronique créé par l’entreprise réduit les pertes et les processus ou les équipements industriels deviennent plus efficaces, à l’exemple du conditionnement de liquides ou de poudres, des chaudières à vapeur, des tours de distillation, de la production d’énergie à partir de la biomasse et du traitement des effluents. Le logiciel, appelé Leaf, gère automatiquement des milliers de règles en utilisant la logique floue pour garantir la stabilité des processus de contrôle industriel. 100 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
La logique floue travaille avec des modes de raisonnement qui sont approximatifs au lieu d’être exacts. «Elle est utilisée pour le développement de systèmes intelligents qui utilisent une connaissance vague ou imprécise pour la prise de décision», explique l’ingénieur électricien Ricardo Gudwin, professeur à la Faculté d’Ingénierie Électrique et Informatique de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp). «Aujourd’hui la logique floue possède un grand nombre d’applications dans le domaine de la mise au point des caméras, des contrôleurs de processus industriels, des ascenseurs et des robots. La différence entre les contrôleurs existants sur le marché et ceux développés par I.Systems réside dans le fait que ces règles floues sont créées automatiquement par un algorithme mis au point par l’entreprise. «Ceci permet aux personnes peu familiarisées de gérer rapidement des systèmes de contrôle industriels complexes et d’obtenir des gains opérationnels en réduisant les coûts et en augmentant la productivité», affirme Igor Santiago. LECTURE RAPIDE
Selon le chef d’entreprise, qui a été élève de master de Ricardo Gudwin, le Leaf représente une avancé d’environ cent ans par rapport à la technologie connue sous le nom de Processus Proportionnel, Intégral et Dérivatif (PID), créé à la fin du XIXe siècle et utilisée aujourd’hui dans pratiquement 100% des systèmes industriels automatisés. D’après lui, la techno-
logie du PID a été faite pour lire seulement une information à la fois, comme la température, la pression, le débit. La planification réalisée à l’aide de pompes, de valves et autres équipements doit faire en sorte que la production se déroule comme prévu. «Le fait que le PID n’observe qu’une information à la fois signifie qu’il attend toujours qu’un problème survienne avant de réagir et d’essayer de le réparer. Le Leaf, par contre, peut lire de nombreuses informations à la fois. Il est capable d’anticiper les changements et d’éviter qu’ils nuisent à la production. À titre d’exemple, nous pouvons citer le remplissage de bouteilles avec un volume précis de liquide. Compte-tenu des fluctuations des systèmes de remplissage, il est très difficile de remplir des bouteilles avec la quantité exacte déterminée sur l’étiquette. Pour résoudre ce problème, les entreprises règlent leurs machines de remplissage de manière à ce qu’elles fournissent 5% de liquide en plus afin d’éviter que les oscillations ne fournissent pas la quantité promise. Le Leaf, quant à lui, crée et met en œuvre des règles floues qui réduisent les fluctuations et permettent aux machines d’être réglées pour injecter à peine 1% en plus du liquide voulu, économisant ainsi 4% du volume sur chaque bouteille. Le Leaf a été mis en pratique en 2010, dans l’usine de Coca-Cola à Jundiaí, située à 60 kilomètres de São Paulo, et principal embouteilleur de la marque en Amérique Latine avec deux milliards de
LÉO RAMOS
PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
Différences profondes SYSTÈME TRADITIONNEL Logique binaire
Analyse les informations séparément
Il y a des règles préétablies
SYSTÈME FUZZY Intelligence artificielle
Analyse plusieurs informations à la fois
Gère de manière automatique des milliers de règles
bouteilles par an. Le principal enjeu est le contrôle à chaque instant de la pression interne et du volume de soda dans l’équipement de remplissage. Le problème résidait dans le fait qu’un système PID était utilisé pour contrôler le volume et un autre pour contrôler la pression. Comme chaque système n’était pas informé des actions de l’autre (car ils ne peuvent lire qu’une information à la fois) ils finissaient par se gêner mutuellement. La solution a été d’implanter un Contrôle Multi-variable flou, qui agit simultanément sur les valves de pression et de débit de la ligne de remplissage, permettant un ajustement plus fin et plus précis de la quantité et de la vitesse du liquide injecté dans les bouteilles. «Nous avons stabilisé le processus de remplissage du soda et l’entreprise a ainsi économisé 500 mille litres de soda et 100 mille bouteilles PET par an depuis 2010», raconte Santiago. «Nous avons réussi à réduire les pertes par rejet dans les va-
riations de niveau du liquide injecté de 31%, et les pertes par bouillonnement de 42%, qui correspondent à la formation de bulles de gaz carbonique. Les pertes par bouillonnement ont été réduites de 64 à 37 litres de soda par heure, et les rejets par niveau de liquide sont passés de 685 à 465 bouteilles par jour». L’histoire qui a conduit à la création d’I.Systems a commencé en 2004, quand trois ingénieurs informatiques et un mathématicien, formés à l’Unicamp, ont décidé de suivre un cours d’intelligence artificielle dans la même institution. C’est à cette époque qu’ils ont commencé à mener des recherches pour mettre au point le Leaf. Leur premier plan d’affaires, en 2006, a été présenté comme travail de conclusion d’un cours d’entrepreneuriat de l’Unicamp. L’année suivante, ils ont créé l’entreprise. En 2009, I.Systems a obtenu un financement du programme Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe) de la FAPESP.
«Nous avons utilisé ce financement pour développer un simulateur de remplissage de soda et nous avons ensuite convaincu le directeur de l’usine de Coca-Cola que notre solution créerait des bénéfices», se rappelle Santiago. «En 2010, nous avons obtenu un autre projet Pipe qui nous a permis d’implanter notre technologie». En début d’année, l’entreprise a bénéficié d’un apport financier du fonds Pitanga, spécialisé dans les investissements dans les entreprises de base technologique avec des fonds provenant de huit investisseurs: le biologiste Fernando Reinach, gestionnaire de l’entreprise, les fondateurs de l’entreprise Natura, Guilherme Leal, Luiz Seabra et Pedro Passos, et les banquiers d’Itaú Unibanco, Pedro Moreira Salles, Candido, Fernão Bracher et Eduardo Vassimon. «Le fonds Pitanga a décidé d’investir dans I.Systems car l’entreprise avait développé une nouvelle manière d’utiliser la logique floue dans un processus de régulation de l’automatisation industrielle. Il s’agit d’une solution novatrice qui n’existe à aucun autre endroit du monde», déclare Reinach. «Il y a des entreprises qui font de l’automatisation industrielle mais aucune n’a utilisé ce type de solution. Le marché potentiel du produit d’I.Systems peut intéresser n’importe quelle entreprise dans le monde. L’investissement, dont le montant n’est pas révélé, sera utilisé pour développer de nouveaux produits et pour améliorer l’équipe des ventes. L’entreprise I.Systems n’a encore aucun concurrent au Brésil mais elle devra faire face à de grandes entreprises sur le pan international comme Siemens et General Electric. «Nous sommes en train d’évaluer si nous allons déposer le brevet de cette technologie au Brésil ou à l’étranger ou si nous allons travailler tout en conservant le secret industriel sur les marchés nord-américains, asiatiques et européens», déclare Santiago. n Projets 1. Contrôle de processus industriels – Une approche à travers l’intelligence informatique (n°2007/56398-1); Modalité Programme Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe); Coordination Igor Bittencourt Santiago/I. Systems; Investissement 10 592,26 réais (FAPESP). 2. Application de la plateforme hourus pour l’automatisation industrielle et d’équipements (n° 2010/51286-3); Modalité Programme Recherche Novatrice en Petites Entreprises (Pipe); Coordination Igor Bittencourt Santiago/I. Systems; Investissement 95 888,22 réais et 1 210,71 dollars US (FAPESP).
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RECHERCHE ENTREPRENEURIALE y
Compétence mondiale Le centre technologique brésilien de l’entreprise Mahle se distingue par la création de produits novateurs Dinorah Ereno PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
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ans le centre technologique de l’entreprise Mahle Metal Leve, installé dans une zone de préservation environnementale de la Serra do Japi, à Jundiaí, à 50 kilomètres de la capitale pauliste, des composants de moteurs comme des pistons, des joints, des chemises de cylindres, des coussinets, des filtres à air et à carburant, sont développés et testés dans de grandes salles vitrées pour que les visiteurs et les clients puissent parcourir les installations sans gêner la routine des tests et des recherches. L’édifice est constitué de trois bâtiments indépendants, conformément aux préceptes de l’architecture durable, avec une pièce d’eau sur le toit qui sert d’isolant thermique, de larges claires-voies qui laissent entrer la lumière naturelle, tout en préservant l’inclinaison naturelle du terrain. Sur les 300 personnes travaillant dans le centre et composées de techniciens, d’ingénieurs et de stagiaires, plus de 200 sont liées directement aux recherches «C’est le deuxième centre technologique de Mahle en termes d’importance dans le monde», affirme l’ingénieur mécanique Ricardo Simões de Abreu, 56 ans, diplômé de l’Université de Mogi das Cruzes (UMC) et vice-président mondial de recherche et développement (R&D) de l’entreprise créée il y a plus de 90 ans,
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À partir de la gauche, les chercheurs André Ferrarese, Fernando Yoshino, Eduardo Tomanik (en haut), Carlos Roberto Camargo, Samantha Uehara et Paulo Mordente
LÉO RAMOS
en Allemagne, pour fabriquer des pistons de moteurs en alliage léger. Le modèle des centres technologiques a été élaboré par Ricardo Simões de Abreu après qu’il ait assumé le poste de responsable mondial pour le développement de composants métalliques du groupe, en 2005. Chacun des sept centres, parmi lesquels quatre de niveau international, comprend un directeur général, des spécialistes en produits et des responsables technologiques. «J’ai élaboré un modèle dans lequel tous les centres sont compétents sur toutes les pièces de moteurs, mais l’un entre eux mène la marche», explique Ricardo Abreu, qui a enseigné durant plusieurs années à l’Institut Mauá de Technologie, au Centre Universitaire de la FEI et à l’UMC avant d’entrer chez Mahle il y a 17 ans. Le principal centre technologique se trouve à Stuttgart, en Allemagne, et produit des pistons, des boulons, des arbres
à cames, entre autres pièces. Le centre au Brésil produit des joints et des chemises de cylindres de moteurs, outre le fait d’être une référence mondiale en moteurs flex fuel. Celui de Northampton, en Angleterre, est responsable des services d’ingénieries. Celui de Detroit (États-Unis), produit des bielles. Les deux centres au Japon et le centre en Chine répondent aux besoins des clients de leurs pays respectifs. Environ 48 mille personnes travaillent dans 100 fabriques réparties à travers le monde et dans les sept centres de R&D. Le chiffre d’affaire mondial (bénéfice net) du groupe Mahle s’est élevé à 19,7 milliards de réais en 2012. Les investissements en R&D se sont chiffrés à 930 millions de réais (4,70% du bénéfice net). L’année dernière le chiffre d’affaire de Mahle Metal Leve a été de 2,2 milliards de réais et ses investissements en R&D ont atteint 67 millions de réais (3,02% du bénéfice net).
Les innovations développées par le centre de recherche brésilien concernent, entre autres, des filtres de nouvelle génération pour être utilisé sur des moteurs flex fuel, jusqu’à l’utilisation de carbonitrure de chrome (composé chimique formé de carbone et de chrome), à une échelle nanométrique pour le revêtement de segments de piston, permettant ainsi de réduire le frottement et d’avoir des pièces plus durables, outre le fait de favoriser une diminution de la consommation de carburant et des émissions de gaz carbonique. Cette innovation va remplacer le matériel galvanisé utilisé actuellement dans ce but. «Le carbone sous forme de graphite n’a pas de résistance mécanique, mais il a une fonction importante qui est la réduction du frottement», déclare l’ingénieur mécanique Paulo Mordente, 37 ans, chercheur en science des matériaux et coordonnateur du projet et depuis 14 ans dans l’entreprise. PESQUISA FAPESP 103
Les investissements en R&D au Brésil se sont élevés à 67 millions de réais en 2012
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La réduction du frottement, (entre 10 et 20%) selon le chercheur, se fait par la distribution d’îles de graphite de l’ordre de 5 à 10 nanomètres réparties sur le revêtement céramique des segments de piston et permettant au voiture d’économiser 1% de carburant. Le projet nanotechnologique a vu le jour en 2004 dans un consortium européen formé d’entreprises intéressées par les revêtements de protection de surface, et d’universités comme celle de Bâle, en Suisse, avec un soutien gouvernemental. Le consortium a pris fin après trois ans et demi, mais Mahle a décidé de poursuivre les recherches qui ont débouché sur 3 dépôts de brevet et un produit qui sera mis sur le marché en 2017», déclare Paulo Mordente, diplômé de l’Université Fédérale d’Uberlândia (UFU), dans l’état de Minas Gérais, et titulaire d’un master de l’École Polytechnique de l’Université de São Paulo (Poli-USP). Le nouveau produit
sera d’abord appliqué sur les moteurs des véhicules européens. «La demande en moteurs est plus grande en Europe et aux États-Unis mais cela ne veut pas dire que les composants novateurs sont développés là-bas», commente l’ingénieur mécanique André Ferrarese, 35 ans, coordonnateur du secteur innovation et depuis 1999 dans l’entreprise, où il a commencé comme stagiaire. «Actuellement, 70% des moteurs diesel des véhicules de tourisme fournis par Mahle en Europe utilisent un segment de piston développé ici». Il s’agit d’un segment contrôleur d’huile appelé X-Taper capable de réduire la force et donc le frottement, sans perdre la capacité d’étanchéité et de raclage. «Ainsi, nous économisons du carburant», explique André Ferrarese, titulaire d’une licence et d’un master à la Poli-USP. L’entreprise a déposé 28 brevets brésiliens en 2012. Ils ont tous été élaborés ici. C’est le double de ce qui avait été réalisé
INSTITUTIONS QUI ONT FORMÉ LES CHERCHEURS DE L’ENTREPRISE Fernando Yoshino, ingénieur mécatronique, responsable du secteur d’ingénierie de produits pour les systèmes de filtration
Licence à l’USP
Paulo Mordente, ingénieur mécanique, chercheur dans le domaine des sciences des matériaux
Licence à l’Université Fédérale d’Uberlândia Master à l’USP
Eduardo Tomanik, ingénieur mécanique, consultant technique en R&D dans le secteur de technologie de produits
Licence, master et doctorat à l’USP
Carlos Roberto Camargo, ingénieur mécanique, Directeur d’ingénierie expérimentale de tests
Licence à la FEI MBA à l’USP
Ricardo Simões de Abreu, ingénieur mécanique, vice-président mondial en R&D
Licence à l’Université de Mogi das Cruzes
André Ferrarese, ingénieur mécanique, coordonnateur du secteur innovation
Licence et master à l’USP
104 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
en 2011 avec 16 dépôts de brevet. «Nous avons des objectifs en termes de dépôts de brevet, de projets transformés en produits de marché, de publication d’articles scientifiques», relate l’ingénieur mécatronique Fernando Yoshino, 38 ans, formé à la PoliUSP et responsable du secteur d’ingénierie de produits par systèmes de filtration. Son équipe, composée de 11 personnes, a déjà déposé neuf brevets au Brésil au cours du premier semestre. Des innovations développées par son groupe sont déjà sur le marché, à l’exemple d’un système pour retirer l’eau du réservoir de filtres à carburant diesel. L’accumulation d’eau dans le réservoir est un sérieux problème pour les systèmes à injection. Son équipe s’occupe également des innovations liées aux moteurs flex fuel, comme un filtre à carburant de nouvelle génération avec une plus grande capacité de filtrage des impuretés et une durabilité permettant d’espacer les révisions d’entretien. PORTEFEUILLE DIVERSIFIÉ
L’entreprise Mahle, qui a commencé ses activités au Brésil en 1975 en fabriquant des pistons pour le secteur automobile a, au fil des ans, acheté des entreprises comme la concurrente Metal Leve (produisant également des coussinets) et l’entreprise Cofap (fabricant d’amortisseurs et de segments de pistons) en s’associant à la société Magnetti Marelli. «Grâce à ces acquisitions, Mahle a diversifié son portefeuille et donné plus de force à sa capacité productive, dit André Ferrarese. «Elle est passée de fabricant de pistons à productrice de composants
PHOTOS LÉO RAMOS
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1 Architecture du centre technologique intégrée à la Serra do Japi, à Jundiaí 2 Suivi des essais dans le laboratoire de moteurs 3 Équipement pour la mesure de segment de piston 4 Laboratoire de composants: tests sur les pistons
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de moteurs». L’inauguration du centre technologique de Jundiaí en juin 2008 a permis de poursuivre les recherches menées à Santo Amaro, dans la zone sud de São Paulo, et a favorisé l’ajout de nouvelles activités et de nouveaux groupes de recherche, à l’exemple des laboratoires de composants de pièces automobiles installés au deuxième étage et du laboratoire de moteurs qui occupe le troisième étage du bâtiment. Le groupe composé de 52 personnes a été monté par l’ingénieur mécanique Carlos Roberto Camargo, 48 ans, et directeur d’ingénierie expérimentale de tests. «Quand je suis arrivé ici, il n’y avait que des techniciens, j’ai été le premier ingénieur du groupe», relate Carlos Roberto Camargo, formé par le Centre Universitaire de la FEI. Il a formé l’équipe d’ingénierie expérimentale et a réorganisé les laboratoires. Différents types de projets font partie du quotidien des chercheurs. Ils se di-
visent en portefeuilles de produits avec l’engagement de lancer sur le marché des pièces à un prix compétitif et à court terme pour des systèmes de produits actuels requérant des solutions systémique. Il s’agit d’outils de base qui sont soumis à des méthodes d’analyse, de simulation ou de tests pour déboucher sur de nouveaux composants. Il y a également le portefeuille d’incubation technologique où les idées, compte tenu de leur degré d’innovation, ne sont en principe liées à aucune utilité. «Ce n’est que quand on est certain des performances techniques et de la capacité de production que certains concepts et idées sont inclus dans le portefeuille de l’entreprise», explique André Ferrarese. Le secteur de l’innovation est responsable de quatre étapes qui sont la gestion des idées, la propriété intellectuelle, l’image (liée à la diffusion technologique et technique d’un nouveau produit) et l’intelligence compétitive.
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L’entreprise Mahle au Brésil développe actuellement plus de 100 projets, parmi lesquels 70 avec un type de soutien gouvernemental. L’un des projets, financé par la FAPESP dans la modalité Programme de Soutien à la Recherche en Partenariat pour l’Innovation Technologique (Pite), implique un consortium formé d’entreprises et d’universités qui se focalise sur les moteurs à biocarburant. Volkswagen, Fiat, Renault, Mahle, Petrobras, la Fonderie Tupy, l’USP, l’Université Fédérale de l’ABC (UFABC) et l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp), participent également à cette étude. «L’idée d’étudier les problèmes liés à l’utilisation d’éthanol dans les moteurs est apparue au cours des discussions d’un groupe de tribologie à la Poli, de laquelle je fais partie», déclare l’ingénieur mécanique Eduardo Tomanik, 55 ans, consultant technique en R&D dans le secteur de technologie de produits de Mahle et depuis presque 30 ans dans l’entreprise. La tribologie est une science qui étudie les phénomènes liés au frottement, à l’usure et à la lubrification. Eduardo Tomanik a travaillé sur différents projets tout au long de sa carrière, comme celui des segments de pistons revêtus de PVD (technique de dépôt physique à vapeur), avec comme résultat un produit offrant moins de frottement. Les segments de pistons revêtus de PVD ont commencé à être produits pour le marché européen en 2004, au Portugal, et ils sont maintenant également fabriqués au Brésil. n PESQUISA FAPESP 105
HUMANITÉS MÉDIAS DE COMUNICACIÓN y
La presse à sensation et la science Un journal vespéral d’Assis Chateaubriand diffusait de la technologie dans le cadre d’un projet d’extinction du « retard » brésilien Carlos Haag PUBLIÉ EN MAI 2013
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ans les années 1950, les soucoupes volantes qui ne s’appelaient pas encore des ovnis survolaient la place de Sé ; l’arrivée de la bombe de radium, de « dix grammes de métal, pour la première fois en Amérique du Sud », était saluée par une manchette plus grande que celle de la grève des fonctionnaires contre le régime de huit heures ; et les habitants de São Paulo apprenaient qu’« à une hauteur de 63 000 pieds le sang bout », une terrible perspective qui retardait la « bataille pour la conquête d’un nouveau monde ». Dans un pays encore sans revues spécialisées dans la divulgation scientifique et où la radio restait le principal moyen de communication des masses, la science déambulait librement sur les pages du Diário da Noite, un journal vespéral de São Paulo appartenant à Assis Chateaubriand et l’un des plus importants du puissant empire Diários Associados. Historienne de l’Université Catholique Pontificale de São Paulo (PUC-SP), Mariza Romero explique que « comme beaucoup à l’époque, Chateaubriand avait un programme d’union nationale pour la modernisation du pays. Pour lui, cela passait directement par la fin de ‘l’ignorance’ des masses populaires, soit en attaquant le spiritisme et les religions d’origine africaine, celle qu’il nommait ‘macumba’, soit par la science qui mettrait fin au ‘retard’ national. […] Le Diário da Noite a commencé à diffuser des informations scientifiques pour des lecteurs profanes et pas du tout familiarisés avec la technologie. Ce qui est intéressant, c’est que le journal n’avait pas de page fixe ou de supplément pour cela, la science était placée 106 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
au milieu des rubriques policières, politiques, sportives et, très souvent, à la une ». Mariza Romero est déjà l’auteur d’Inúteis e perigosos [Inutiles et dangereux, (éd. Educ/ Fapesp)], une étude sur l’action du journal à sensation vespéral sur des questions religieuses, sociales et policières. Actuellement, elle analyse la place de la science dans Divulgação científica e imprensa popular [Diffusion scientifique et presse populaire] : « Entre 1950 et 1960, le Diário da Noite a réussi une diffusion scientifique plus large en termes d’éducation des masses que la plupart des suppléments et pages spécialisées qui apparaissaient dans la presse brésilienne, plus formels et réservés à un public très restreint ». Financé par des entrepreneurs, des industriels et des propriétaires agricoles de São Paulo, le journal vespéral de Chateaubriand a donné une place au sensationnel dès sa fondation, en 1925. Dans les années 1950, il disposait d’équipements de pointe, de professionnels chevronnés et de rédacteurs internationaux. Il diffusait des reportages de grand impact et des informations inédites, en mettant en avant les rubriques policières et les scandales. Fort d’un tirage de 70 000 exemplaires et de deux éditions, il est devenu l’un des journaux les plus vendus à São Paulo. D’après l’historienne, « Le Diário da Noite a établi un lien important avec les classes populaires qui, avec la redémocratisation et l’augmentation de la consommation, ont été vues comme les actrices principales de la pratique politique, d’une part, et comme les couches qui avaient besoin d’être mises sous tutelle ». Tout en se disant proche des revendications popu-
Annonce de l’arrivée de la bombe de radium dans un hôpital de São Paulo et discussion des scientifiques brésiliens sur la bombe H
ILLUSTRATIONS ABIURO
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laires, « défenseur du peuple », le journal était aussi lié aux secteurs de la bourgeoisie qui s’inquiétaient de l’émergence de ces masses. « En raison de son prétendu lien avec la population, le Diário da Noite ne se tournait pas ouvertement contre la lutte des masses. Mais il montrait tout le temps ceux qui n’avaient pas de place dans le futur proche et ceux qui, bien que toujours invités à ‘entrer’ dans la modernité, étaient en dehors ». L’orientation développementiste des gouvernements après l’Estado Novo [État Nouveau] présentait à la société la science comme un instrument fondamental pour conduire le pays au progrès économique et à la modernité tant désirée. Et dans le Brésil des années 1950, les nouveautés technologiques comme l’électrodomestique, les automobiles, les médicaments et les machines agricoles arrivaient sur le marché national naissant. Comme le disaient les publicités, c’était la science au service de l’homme. Dans le Diário da Noite, la publicité sur une machine à coudre affirmait : « Mille-neufcents techniciens hautement spécialisés ont créé spécialement pour vous la ‘super machine’ Vigorelli, aérodynamique ». Dans une autre, un pot de peinture s’accompagnait de « découverte sensationnelle de la chimie » et le lecteur était invité à « prendre connaissance des caractéristiques exceptionnelles » du nouveau produit. Dans Um gesto ameno para acordar o país : a ciência no Jornal do Commercio 108 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
La science était fondamentale pour mener le pays vers le progrès et la modernité (1958-1962) [Un geste amène pour réveiller le pays : la science dans le Jornal do Commercio (1958-1962)], publié par Fiocruz, Luisa Massarini de la Casa de Oswaldo Cruz, Fiocruz, écrit : « Les idées développementistes enthousiasmaient le Brésil à l’époque du président Juscelino Kubitschek et sur ce fond idéologique plus vaste se trouvait l’idée selon laquelle le développement technologique pourrait ouvrir le seul chemin pour l’indépendance économique réelle du pays ». Dans la première édition du supplément, son coordonnateur Walter Oswaldo Cruz affirmait que « le Brésil ne se développera pas sans techniciens, et les techniciens sont le produit humain de la science ». Pour Ana Maria Ribeiro de Andrade, « la diffusion scientifique brésilienne présente des particularités. Il n’y a jamais
eu de grands investissements des états en science et en technologie et encore moins en éducation scientifique, ce qui a laissé aux médias la tâche de présenter la science à une population ayant un faible taux d’alphabétisation technologique ». Chercheuse du Musée d’Astronomie et des Sciences Connexes (Mast) de Rio de Janeiro et auteur de A dinâmica da ciência na sociedade [La dynamique de la science dans la société], elle observe le suivant : « Malgré certains efforts individuels, le sensationnalisme est la caractéristique principale de cette divulgation. La construction des faits scientifiques apparaît toujours entourée de mystères, la génialité est toujours présente dans toutes les découvertes et l’histoire est presque toujours absente ». Dans le cas des journaux de Chateaubriand, il y avait selon Mariza Romero un mélange curieux de sensationnalisme et de diffusion réelle comme dans la manchette en première page : « Le jeune voit avec les yeux du père mort ». Avec un gros titre en caractères gras, similaire à celui des reportages sur les miracles fréquents dans le journal, tout laissait croire qu’il s’agissait d’un article sans aucune consistance. Mais le texte, présenté sur trois jours, est bien écrit et contient des informations précises issues de recherches. Apparemment, un véritable paradoxe, qui témoignait d’une bonne stratégie pour attirer le lecteur.
Le Diário da Noite parle de la manière dont l’homme pourrait aller sur la lune et insère même la science dans les publicités
ENFANTS
Dans une autre édition, le titre annonce que des scientifiques brésiliens vont parler des effets de la bombe H : « Curieusement, l’annonce a été placée juste au-dessus de l’information selon laquelle ‘les enfants vont souffrir sans lait’, et à l’époque elle a sans aucun doute plus attiré l’attention que la question locale des mères furieuses contre la politique », observe la chercheuse. Le cas de la bombe H révèle aussi la dualité du journal sur la science, vue comme une panacée pour les problèmes du pays et en même temps pas exempte de plusieurs dangers. « Le document des sages américains a des répercussions sur les chercheurs » : la possibilité d’effets contraires de l’énergie nucléaire a amené le journal a dialoguer avec des professeurs de l’USP. Embarrassé, un spécialiste comme le physicien Marcelo Damy affirma que « le sujet dépassait le champ de sa spécialité » et se prononça « de manière générale contre l’utilisation d’armes atomiques à des fins belliqueuses ». « José Goldemberg, de la Faculté de Philosophie de São Paulo, évoqua ‘rapidement’ les effets nuisibles de la radioactivité ». De l’avis de Mariza Romero, « plusieurs scientifiques n’aimaient pas se voir associés à des journaux tels que Diário da Noite pour ne pas salir leur réputation ». Cette faible articulation entre la communauté scientifique et le journal a permis à des
sujets brûlants concernant le développementisme et la Guerre Froide de décoller. Certains ont même littéralement décollé, à l’exemple des soucoupes volantes qui ont fait plusieurs fois les gros titres du journal de Chateaubriand. Selon l’historien Rodolpho Gauthier Cardoso dos Santos, « la presse brésilienne a été incapable d’offrir aux lecteurs des informations suffisantes pour pouvoir reconnaître des phénomènes célestes et des objets volants ordinaires. Sans un background scientifique, beaucoup ont été à la merci des spéculations de journaux à sensation ». L’historien s’est penché sur le sujet dans A invenção dos discos voadores. Guerra Fria, imprensa e ciência no Brasil (1947-1958) [L’invention des soucoupes volantes. Guerre Froide, presse et science au Brésil (1947-1958)]. C’est pour cela que les journaux du matin tournés vers les classes moyenne et supérieure, comme O Estado de São Paulo ou Folha da Manhã, n’ont pas donné autant d’importance à ce type de sujet et sont surtout restés attentifs aux possibilités d’une question belliqueuse. De manière générale, l’idée diffusée était celle d’une science grandiose et inaccessible par le citoyen lambda, avec de nombreux mythes et des scientifiques isolés dans leur complexité. Pour Ana Maria Ribeiro de Andrade, c’était une muraille entre la science et le lecteur de par la mystification de l’activité
scientifique qui, à côté de l’idéalisation de figures, ne prédisposait pas le Brésilien à étudier les sciences ». Et Mariza Romero de préciser : « Je pense que le Diário da Noite, au contraire, rapproche la science du lecteur, justement par l’utilisation de ressources journalistiques plus populaires et, à la différence des autres moyens de diffusion scientifique, il exprime aussi les peurs et les angoisses contemporaines par rapport au développement scientifique. Il contribue ainsi à démystifier la science, ce qui est je pense un des différentiels de ma recherche ». C’est donc en se définissant comme le porte-parole des masses populaires que le Diário da Noite tente, à travers la diffusion scientifique, de les sortir de l’ignorance en promouvant les idéaux de confort, bonheur et bien-être, si chères aux années dorées – la science étant l’une des portes d’entrée vers la modernité. D’un autre côté, conclut la chercheuse, « elle est démystifiée quand le journal dénonce ses risques et ses dangers, et qu’il entretient l’imaginaire collectif quand il traite de façon ambigüe des thèmes comme celui des soucoupes volantes ». n
PROJET Divulgation scientifique et presse populaire. São Paulo et Rio de Janeiro dans les années 1950 (2011/13246-2); Modalité Bourse à l’étranger; Coordonnatrice Mariza Romero (PUC-SP); Investissement 22 266,26 reais (FAPESP).
PESQUISA PESQUISA FAPESP FAPESP z 109 109
MUSIQUE y
Lílian Campesato exécutant l’œuvre Conexões dispersas/ dispersões conexas, 2011 110 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Voir des sons et
entendre des mouvements Des chercheurs du projet Móbile font une tournée pour montrer les résultats de l’union entre l’art et la technologie PUBLIÉ EN MAI 2013
PHOTOS DIFFUSION
L
orsque débuta le projet Móbile en 2009, Fernando Iazzetta de l’École des Communications et des Arts de l’Université de São Paulo (ECA-USP) affirma qu’il visait « le croisement entre une production théorique et artistique pour permettre le développement de travaux de création dans le cadre de [sa] proposition ». Aujourd’hui, le projet est en phase de conclusion ; les chercheurs n’ont pas oublié leur promesse initiale et reviennent d’une tournée internationale où ils ont présenté les résultats de leur projet. Il y a eu 5 présentations : au Sonic Arts Research Centre de la Queen’s University de Belfast, Irlande ; au Conservatoire de Musique de Seia et à l’Université d’Aveiro, Portugal ; à La Haciera de Bilbao et au Hangar de Barcelone, Espagne. Auteur de Música e mediação tecnológica [Musique et médiation technologique
(éd. Perspectiva)], Iazzetta observe que « c’est la première fois que la FAPESP finançait une tournée de musiciens à l’étranger. Nous avons vu qu’au-delà des travaux publiés la partie artistique découlant de nos recherches était aussi importante que les résultats écrits ». En plus du Coordinateur du projet, le groupe était composé de Lílian Campesato, Michelle Agnes, Julian Jaramillo, Rogério Costa et Vitor Kisil, tous membres de Móbile. Les autres professeurs et étudiants qui ne faisaient pas partie du voyage étaient représentés par la production artistique issue de leur recherche. Le spectacle s’intitulait Transparência [Transparence] et était composé de six scènes mélangeant des œuvres « traditionnelles », avec des instruments et des partitions, des œuvres utilisant l’improvisation et trois basées sur l’interaction entre la musique, la technologie et d’autres arts. PESQUISA PESQUISA FAPESP FAPESP z 111 111
1 Ensemble Móbile lors du spectacle Por trás das Coisas, octobre 2010 2 Ensemble Móbile présentant une œuvre lors de l’événement ¿Música? 5, à l’Université de São Paulo, 2012 3 Michelle Agnes jouant du piano lors de l’événement ¿Música? 3, au Centre Culturel São Paulo, 2011
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Dans le cas des scènes d’interaction, le groupe utilisait une table noire sur laquelle était installée une mini-caméra manipulée par Lílian Campesato. Comme l’explique Iazzetta, « elle manipule des objets et cela donne par exemple des variations dans la projection de sons et d’images. Dans une autre partie, nous avons le film d’une plate-forme de métro. Lílian jette des morceaux de papier et c’est sur eux que des parties de l’image apparaissent peu à peu, se dévoilent. […] Nous avons cherché à passer cette sensation du dévoilement en rendant les images transparentes ». L’idée du Móbile est de réunir des chercheurs en musique, arts visuels, arts scéniques, informatique et ingénieries pour le développement de nouveaux processus musicaux centrés sur l’interaction entre ces domaines en apparence sans lien entre eux. Plus spécifiquement, le projet questionne le caractère fétiche de la technologie, après les premiers modèles d’expérimentalisme centrés sur les études et les équipements de pointe. D’après Iazzetta, « il y a eu un moment dans la musique du XXe
siècle où est apparu un enthousiasme excessif pour les nouvelles. On a vénéré les avancées technologiques comme si elles se valaient pour elles-mêmes. Nous, ce qui nous intéresse, c’est le résultat. […] Très souvent, beaucoup de technologie peut même confondre. On a adopté l’idée de low tech, la technologie plus efficace qui se trouve dans le quotidien. L’articulation la plus complexe doit être la pensée artistique, et non l’ingénierie ». Si cela peut ne pas paraître nouveau, le chercheur observe néanmoins que cette mystification du high tech est même présente dans les grands centres de recherche musicale. Le plus important est de revoir le rôle de la virtuosité qui a placé le créateur et le spectateur sur deux pôles distants. Mais aussi de se distancier un peu de la tradition en rapprochant la musique d’autres modèles artistiques, dans un métissage avec d’autres arts. « Dans ce contexte, on peut développer une musique interactive car le seul moyen d’entrer dans cette nouvelle forme se fait par le vécu sensoriel », déclare le musicien.
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4 Cesar Villavicencio jouant de l’ « hyperflûte »
RÉACTION
Le projet ne travaille pas avec l’idée de rupture, mais à partir d’une réaction contre la technologie comme solution à tous les problèmes. Cela s’est même produit dans la musique. Le terme « musique électroacoustique » met l’accent sur la technologie utilisée pour ce genre musical. Les critiques ont commencé à partir des années 1980. Désormais, il s’agit de faire descendre l’art de son piédestal et de cesser de le voir comme quelque chose fait par peu de gens pour peu de gens. En somme, de le rendre plus accessible, plus ludique et ironique en rapprochant la musique et sa création du quotidien des personnes. Quant à la médiation technologique, elle a facilité la connexion entre des éléments sonores et visuels. Iazzetta poursuit : « Dans un concert par exemple, le public assiste passivement à quelque chose qu’il n’arrive pas à faire ou à comprendre complètement, dans une admiration totale et à distance. Même devant un piano, les personnes ne comprennent pas bien comment fonctionne cette mécanique plus complexe ». La technologie compenserait justement cette absence de virtuosité en chacun de nous. Elle donne lieu à un « nouvel amateurisme » dans le bon sens du terme : la capacité de chacun à créer de la musique vu que l’asymétrie entre celui qui fait et celui qui apprécie l’œuvre d’art disparaîtrait. Les appareils se mettent à la place de la technique et l’expérimentation remplace la tradition. « Jouer avec les appareils est une expérience dans laquelle l’art tend à cesser d’être art. Ce sont des propositions artistiques déchargées de technique et tournées vers
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l’expérience, vers le jeu avec le matériel. Et comme l’art est chaque fois plus immergé dans l’utilisation de gadgets technologiques, ce qui paradoxalement se dilue c’est la technique elle-même ». Mais pour que le paradoxe fonctionne, il faut que cela vienne de la technologie. Pour Marcelo Queiroz, professeur d’informatique de l’USP et chercheur de Móbile, le travail se fait dans une « perspective complémentaire à celle des musiciens. Nous avons beaucoup de questions sur le son et elles sont objectives et pas du tout esthétiques. Ce sont des signaux traités de manière scientifique ». En plus de sa connaissance technologique, Queiroz possède une formation en composition de l’ECA-USP : « Mais quand je suis de ‘l’autre côté’, je ne travaille qu’avec les variables scientifiques en quête d’un partenariat horizontal avec les recherches musicales du groupe ». Cette interaction se produit chaque fois qu’une question artistique propose un défi technique, à l’exemple de l’analyse des signaux de voix. « Je préfère voir la musique et l’art comme des lieux où surgissent naturellement des problèmes d’intérêt technique qui demandent des solutions. En fin de compte, les ordinateurs étant plus flexibles ils offrent plus de chances d’expansion et d’expérimentation avec des timbres et des signaux que la création de nouveaux instruments », indique Queiroz. Pour lui, la musique suit à présent le même chemin auparavant emprunté par les arts visuels : « Du point de vue des données sonores, nous pouvons moduler l’écoute humaine, transposer vers l’outil informatique. Nous aurons bientôt la même
La technologie aide à démystifier l’acte de création musicale synthèse sonore que celle obtenue dans le passé avec les programmes graphiques ». Le chercheur rappelle les simulations informatiques d’espaces acoustiques, où un groupe peut s’entendre y compris dans une salle inexistante. Fabio Kon, également du département informatique de l’USP et membre du projet Móbile, déclare que « le travail dans le projet Móbile a été […] une opportunité unique. Pour la première fois, nous avons réussi à monter une équipe interdisciplinaire de scientifiques, artistes et étudiants de technologie et d’arts pour travailler ensemble sur une recherche en production artistique d’avant-garde. […] Depuis le début du projet, nous nous sommes efforcés de rapprocher la création artistique de la production technologique de pointe et d’exploiter les synergies entre ces deux formes de connaissance. Ce n’est pas une tâche facile, car la tendance naturelle des artistes et des techniciens est de travailler isolément ; mais ce projet est un premier pas dans cette direction. Nous sommes contents des résultats atteints, mais il y
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a encore beaucoup à faire et un long chemin à parcourir. […] Il s’agit d’une forme unique de production et de propagation de la connaissance qui diffère des normes traditionnelles d’aide à la recherche ». D’après lui, tout va au-delà des études musicales. Iazzetta estime que l’« on parle beaucoup de la technologie et des machines comme du contraire de l’humain, comme si l’âme de la musique était vendue pour presque rien. Mais imaginer qu’une machine tire ce qu’il y a d’humain dans la musique, c’est oublier que rien n’est plus représentatif de l’humain que les machines que nous faisons ». Nous avons tendance à traiter la relation entre musique et technologie comme un aspect de dépendance plutôt que de symbiose. Selon lui, l’utilisation de la technologie n’est plus essentielle comme au début de la musique électroacoustique. Elle est devenue secondaire. Elle est un outil pour créer des intérêts et aide ainsi à démystifier l’acte de création musicale. n Carlos Haag
Le Projet Móbile: processus musicaux interactifs (n° 2008/086328); Modalité Projet Thématique; Coordonnateur Fernando Iazzetta (USP); Investissement 515 936,56 reais (FAPESP).
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114 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
BIG DATAy
L’arche humaine sous un
DÉLUGE DE DONNÉES Une rencontre discute du potentiel de l’eScience et affirme le rôle important des sciences humaines PUBLIÉ EN JUIN 2013
ILLUSTRATIONS NELSON PROVAZI
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our certains scientifiques, le nœud gordien qui entrave le développement de leurs théories est qu’elles dépassent les données, de sorte que les nouvelles idées ne peuvent être testées par manque d’instrument ou de technologie. Pour d’autres, comme les chercheurs en génomique ou en astronomie, l’angoisse vient précisément de l’abondance : la réunion de données est si rapide qu’elle excède la capacité à analyser, valider et stocker les informations. C’est pour faire face à ce déluge d’informations qu’est proposée l’eScience : pour augmenter la capacité d’analyse de grandes quantités de données issues de projets de recherche avec la création de logiciels en mesure de traiter les informations recueillies. En mai 2013, la FAPESP et Microsoft ont organisé à São Paulo le Latin American eScience Workshop 2013 pour discuter de l’avancée de cet outil. Tony Hey, vice-président de Microsoft Research, explique que « les télescopes spatiaux, comme les machines de séquençage génétique et les accélérateurs de particules produisent un immense volume de données, du jamais vu jusqu’à présent. Pour faire face à ce phénomène et permettre aux scientifiques de pouvoir manipuler et partager les données, nous avons besoin d’une série de technologies et d’outils informatiques pour faire une science meilleure, plus rapide et de plus grand impact ».
Au début de la rencontre, le directeur scientifique de la FAPESP Carlos Henrique de Brito Cruz a fait savoir que la Fondation avait l’intention de lancer prochainement un programme pour soutenir les recherches en eScience : « Nos expectatives sont grandes en matière d’eScience. Si nous apprenons à bien l’utiliser, elle permettra de grandes avancées, aussi bien au niveau des recherches que dans la manière de faire de la science ». Celso Lafer, président de la FAPESP, va dans le même sens : […] Nous sommes convaincus qu’un des rôles majeurs de la FAPESP est d’être à l’avant-garde de l’innovation et de la connaissance, et nous pensons qu’il est très important de soutenir la recherche en eScience ; son application dans des domaines comme celui de l’environnement est indubitable, sans compter par exemple un grand potentiel d’utilisation dans les sciences humaines ». Pour preuve, la rencontre a été clôturée par une conférence de l’historien Chad Gaffield, président de la Social Sciences and Humanities Research Council of Canada (SSHRC), pour qui la grande question de l’ère de la technologie est de savoir ce qui fait de nous des humains. Pour les spécialistes, le Brésil ne doit pas rester en marge de ce mouvement qui a l’intention de transformer les pratiques de recherche par la pensée informatique, avec des instruments scientifiques opérés par des ordinateurs qui en feront PESQUISA FAPESP 115
des ‘amplificateurs’ universels. L’idée peut ne pas paraître nouvelle : il suffit de penser à Darwin et à son réseau de correspondants. Mais si autrefois les scientifiques travaillaient seuls ou avec peu de collaborateurs, aujourd’hui l’objectif est de pouvoir partager des projets avec des centaines de collègues aux quatre coins de la planète, dans des réseaux internationaux de collaborateurs. La présence d’un groupe de 54 étudiants de master et doctorat d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Amérique latine (Brésil compris), d’Asie et d’Afrique a donné des airs de jeunesse et de mondialisation au public de la rencontre. Ils ont été choisis parmi 240 candidats du monde entier ayant participé au processus de sélection de l’événement. C’est par exemple le cas de la bioinformaticienne indienne Angana Chakraborty. Elle prépare un doctorat à l’Indian Statistical Institute et travaille sur le développement de nouveaux algorithmes capables d’exploiter l’« intelligence » des machines pour accélérer le processus d’analyse de séquences génétiques.
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our Hey, des recherches de ce type montrent qu’il faudra restructurer la culture scientifique pour intégrer les sciences biologiques, physiques et sociales aux ingénieries, dans un mouvement interdisciplinaire de réunion de création et d’utilisation de la connaissance. Il ajoute qu’au milieu de ce mouvement il faut aussi réfléchir aux questions telles que l’éthique, le caractère privé et la sécurité cybernétique : « De grandes avancées dans les sciences doivent être placées dans un plus grand contexte social par les sciences humaines et les arts ». Pendant la conférence Big Data, Digital Humanities and the New Knowledge Environments of the 21st Century, le Canadien Chad Gaffield a d’ailleurs défendu la centralité des sciences humaines dans la mesure où elles seraient responsables des idées, méthodes et professionnels qui jouent un rôle sur les industries dont le premier input de connaissance vient desdites « sciences dures » : « Le nouveau modèle d’innovation intègre l’invention techno-
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logique dans un contexte social, et avec cela augmente la nécessité et la valeur de la recherche sur des groupes individuels et des sociétés ». Pour l’historien, comprendre la technologie c’est comprendre la pensée humaine et son comportement, parce que nous faisons ce que nous faisons et ce qui nous fait changer ou rester les mêmes. Les recherches montrent que la technologie n’est pas seulement un autre instrument, contrairement à ce qu’avait dit Bill Gates il y a une dizaine d’années. Les technologies et les cultures se mélangent et interagissent pour déterminer la croissance économique et la compétitivité, la cohésion sociale et l’engagement, ainsi que la qualité de vie. Il indique qu’en tant que société nous devons reconnaître que nous avons le devoir de comprendre les implications sociales et humaines de nos découvertes, même si elles semblent être au premier abord scientifiques ou technologiques. Il faut comprendre les impacts de l’innovation sur des questions éthiques, comme l’utilisation de cellules souches, ou sur le comportement humain, comme dans le cas de la crise économique récente, issue de choix individuels, financiers et gouvernementaux. Toujours d’après Gaffield, « reconnaître cette complexité, c’est percevoir que la construction du futur n’est plus une question de pilules magiques, de remèdes miraculeux, d’arrangements technologiques et de solutions faciles. La signification d’une technologie dépend désormais des relations avec le milieu auquel elle est reliée. La société importe et la technologie dépend du contexte qui fournit un sens à de nouvelles façons de faire les choses ». Ainsi, l’économie d’Internet n’appartient plus aux constructeurs de la structure qui a donné lieu à l’ère numérique. Le flambeau a été transmis : le futur appartient à présent et de manière égale à ceux qui utilisent la technologie, aux personnes créatives, aux fournisseurs de contenu, aux serveurs, à tous ceux qui ont appris à saisir des images, des sons, des idées et des concepts et à les partager numériquement.
« Il suffit de voir les collaborations interdisciplinaires entre philosophes et biologistes, ingénieurs et artistes pour interpréter les dimensions éthiques, légales et esthétiques des technologies biomédicales ; des géographes avec des démographes et des économistes qui repensent des politiques publiques pour l’agriculture ; des entrepreneurs identifiant des questions critiques qui seront analysées par des chercheurs en développement durable », rappelle Gaffield. Le Canadien propose de penser différemment l’ère technologique dans laquelle nous vivons : « Une nouvelle manière de comprendre ces changements profonds par lesquels nous passons, c’est de repenser ce qu’est d’être humain ». Pour que les sciences humaines exercent cette fonction, elles doivent aussi être adaptées aux temps nouveaux. Il est donc nécessaire de redéfinir l’enseignement et la recherche. Dans les programmes qu’il développe avec son groupe, il a abandonné les distinctions entre recherche pure et appliquée et recherche stratégique et présomptueusement non stratégique. Ils rejettent aussi toute hiérarchie des activités de recherche en termes de prestige ou d’importance.
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l en est de même pour l’expansion de la contribution universitaire au-delà du cercle familier des articles de revues universitaires ou de livres, pour inclure d’autres formes de mobilisation de la connaissance dans et en dehors du campus. La recherche doit être redéfinie, passer d’une épistémologie de la spécialisation à de « multiples épistémologies » : les sciences humaines numériques se demandent maintenant comment il est possible d’interpréter 1 million de livres. Il n’y a pas si longtemps, signale Gaffield, les chercheurs en sciences humaines pensaient encore que partager leur connaissance avec des non-spécialistes rabaissait le niveau de leur travail. Les universitaires d’aujourd’hui reconnaissent que la communication effective au-delà de groupes spécialisés constitue un défi rhétorique complexe. Les nouveaux professeurs se spécialisent dans l’utilisation des possibilités de l’ère numérique. En plus d’écrire pour des confrères et des étudiants, de plus en plus d’universitaires mettent à disposition du public des contenus de cours en ligne, des podcasts et médias sociaux pour diffuser l’information, stimuler le débat et faire avancer la connaissance et le savoir. Le chercheur pense que dans l’avenir les étudiants ne verront plus de ligne de partage entre travailler avec les sciences humaines ou la technologie. Conséquence des nouveaux réseaux d’accès à l’information, le 2e cycle universitaire se transforme rapidement en un cycle de recherche, du moins dans les universités qui préparent leurs étudiants aux défis de ce siècle.
Jusqu’à récemment, le flux mondial dominant était à sens unique, avec d’anciennes colonies et des pays en développement regardant vers les centres cosmopolites pour diriger des efforts de recherche et former leurs Pour Chad meilleurs étudiants. Aujourd’hui, les Gaffield, l’une des courants sont multinationaux et pas clairement distribués. Les leaders manières de des anciennes institutions de prestige savent qu’elles peuvent rester à comprendre la la traîne. En même temps, de nounouvelle ère de la veaux talents et le développement de la connaissance dans d’autres rétechnologie est de gions peuvent aider à construire des sociétés dans la nouvelle ère qui ne réfléchir à ce qui soient pas sujettes à l’ancien circuit du savoir. En d’autres termes, le cherfait de nous cheur estime que l’internationalisades humains tion de l’éducation et de la recherche s’est transformé en caractéristique centrale des stratégies nationales du XXIe siècle. Gaffield souligne l’observation faite à l’OECD Global Science Forum Report on Data and Research Infrastructure for the Social Sciences 2012, intitulé New Data for Understanding the Human Condition : « Les agences nationales de soutien à la recherche doivent collaborer internationalement pour donner des ressources aux chercheurs, et ce afin de favoriser le potentiel nécessaire et développer de nouvelles méthodes de compréhension des opportunités et limitations offertes par les nouvelles formes de données et de technologies pour rendre compte d’importants domaines de recherche ». L’un des thèmes fondamentaux est la découverte de ce qui nous rend humains: « Il n’y a jamais eu de réponse adéquate à cette question qui est au centre de cette nouvelle ère dans laquelle nous vivons ». n Carlos Haag
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SOCIOLOGIEy
Des policiers fouillent les cellules de la prison de Cianorte, Paraná, après l’évasion de détenus 118 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
La justice de
L’inefficacité de la police et du judiciaire discrédite les institutions démocratiques
l’impunité Carlos Haag
DIRCEU PORTUGAL/AE
PUBLIÉ EN JUIN 2013
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atée de 1764, une phrase de l’ouvrage classique Des délits et des peines, de Cesare Beccaria, reste tout à fait d’actualité: « La perspective d’un châtiment modéré, mais inévitable, fera toujours une impression plus forte que la crainte vague d’un supplice terrible, auprès duquel se présente quelque espoir d’impunité ». Et sa prévision a également capté des tendances en vogue. Pour le sociologue Sérgio Adorno, coordonnateur du Centre d’Études sur la Violence de l’Université de São Paulo (NEV-Cepid/USP, un des 17 Centres de Recherche, Innovation et Diffusion financés par la FAPESP), « au Brésil la sensation est que les crimes, indépendamment de la classe sociale, de la richesse ou du pouvoir, ont augmenté et sont devenus plus violents, avec en plus le sentiment d’impunité ». Ce « sentiment d’impunité génère du scepticisme par rapport aux institutions chargées d’appliquer la loi et l’ordre, de protéger les droits civils des citoyens consacrés dans la Constitution, en particulier le droit à la sécurité ». Mais quelle serait la dimension réelle de cette impunité ? C’est pour tenter d’y voir plus clair qu’a été menée la recherche Enquête policière et processus judiciaire à São Paulo: le cas des homicides, un dédoublement du projet Étude de l’impunité pénale. L’objectif était d’analyser le flux d’homicides depuis le rapport de police jusqu’à la décision de justice. En plus de mesurer l’impunité pénale, l’étude visait à identifier les facteurs judiciaires et extra-judiciaires, ainsi que les mécanismes institutionnels, qui favorisent l’abandon de l’application de peines pour ces crimes. Les premiers chiffres révèlent déjà l’amplitude de l’impunité: seulement 60,13 % des homicides ont fait l’objet d’une investigation. Autrement dit, il n’y a pas eu d’enquêtes policières dans 40 % des cas. Tandis que les homicides ont augmenté de 15,51 %, les enquêtes policières n’ont augmenté que de 7,48 %. D’après le sociologue, « cela signifie que l’écart entre le potentiel de croissance de la violence et la capacité des autorités policières à enquêter sur des crimes a augmenté, ce qui a pu se répercuter sur la méfiance des habitants visà-vis des institutions chargées d’assurer l’ordre public et d’appliquer la loi et l’ordre ». PESQUISA FAPESP 119
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Contrôle de police sur l’avenue Rio Branco, région centrale de São Paulo, en 2006
La donnée la plus importante concerne la nature de l’auteur des crimes. Dans seulement 19,58 % des rapports de police, les auteurs sont connus. 76,65 % des crimes sont d’auteur(s) inconnu(s). Néanmoins, dans 90,36 % des crimes qui font l’objet d’une enquête les auteurs sont connus. En résumé, explique Adorno, « tout rapport devrait devenir une enquête, mais il y a une sélectivité manifeste centrée sur les 10 % de connus, c’est-à-dire ceux commis par des voisins, des parents, des collègues de travail, des amis de bar, etc. La nature de la responsabilité du crime est un critère de sélectivité enracinée dans la culture de la police ». S’il y a par exemple la suspicion d’une relation avec le trafic de drogues, le risque que le crime ne fasse pas l’objet d’une enquête est encore plus élevé. « Les policiers disent que l’affaire devient très complexe et qu’il y a un groupe spécial pour ces cas ». Par conséquent, le taux d’homicides faisant l’objet d’une investigation est faible, et la condamnation quasi-inexistante dans ces cas. C’est seulement avec le flagrant délit que les possibilités augmentent.
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e sociologue poursuit: « Seulement, le flagrant délit est fait par la police militaire alors que l’enquête est du ressort de la police civile. Donc on a un flagrant qui est aléatoire et qui va être analysé par un autre groupe. Le système fonctionne de manière fragile et irrationnelle ». Il rappelle également qu’en l’absence d’une norme d’investigation entre les commissariats, la sélectivité est encore plus arbitraire que ce que l’on peut imaginer: « La recherche a identifié sept groupes de performance, qui vont de ceux ayant un faible registre d’homicides et une faible production d’enquêtes ouvertes jusqu’à ceux qui ont des registres élevés et une grande production d’enquêtes ». L’enquête policière ne
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semble pas être une priorité de la politique institutionnelle du domaine de la sécurité publique. Pour le sociologue Michel Misse, « il ne faut pas confondre le modèle d’enquête policière qui existe dans le pays avec l’enquête policière pure, parce qu’ici sont réunies des attributions spécifiques à la police et des attributions qui, dans d’autres pays, sont réalisées avec le contrôle du Ministère Public ». Michel Misse est professeur du département de sociologie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et auteur de l’ouvrage Inquérito policial no Brasil: uma pesquisa empírica [Enquête policière au Brésil: une recherche empirique] (2010). Selon lui, l’enquête brésilienne est un dispositif de pouvoir important aux mains des commissaires de police, une pièce qui tend à prévaloir pendant tout le processus légal d’incrimination: « C’est le noyau le plus réticent et le plus problématique de résistance à la modernisation du système de justice brésilien. C’est aussi pour cela qu’il est devenu une pièce irremplaçable, la clé qui ouvre toutes les portes du processus et qui épargne du travail aux autres opérateurs du processus, les promoteurs et les juges ». Il se transforme en un dispositif de sélectivité dans la sphère policière: l’instaurer ou non peut le transformer en une « marchandise politique ». « Si le modèle de l’enquête policière adoptée au Brésil contribue à la faible capacité de résolution judiciaire des conflits et des crimes, il est certain qu’il fonctionne aussi pour préserver et reproduire un ‘système-archipel’ où les savoirs concurrents ne se comprennent pas bien ». L’enquête parcourt cet archipel et lui donne l’apparence d’un continent, alors que les résultats obtenus sont nuls et que la « décapitation », la sujétion criminelle extrajudiciaire, est très souvent la demande et la solution de ceux qui ne font plus confiance à la justice de l’État et décident de faire justice eux-mêmes.
PHOTOS 1 EDUARDO NICOLAU / AE 2 CAROL CARQUEJEIRO/ FOLHAPRESS
Pour Joana Domingues Vargas, professeur de l’Institut Universitaire de Recherches de Rio de Janeiro (Iuperj), le modèle policier actuel ne se maintient que parce que les commissaires continuent de privilégier les anciens instruments d’enquête et que le lobby au congrès est très puissant. Joana D. Vargas est sociologue et auteur de la recherche Contrôle et cérémonie: l’enquête policière dans un système criminel faiblement ajusté. « Il y a plus de 10 ans que circulent des propositions de simplification et de modernisation de l’enquête criminelle et d’autres topiques similaires, sans résultat. L’augmentation de la criminalité violente au cours des 30 dernières années a encore plus diminué l’effectivité du système de justice criminelle ». Ce sont des nouvelles modalités de crimes, un nombre en hausse d’enquêtes policières et la morosité croissante dans le traitement de ces enquêtes qui conduisent à la perte de légitimité du système: « Il suffit d’imaginer la difficulté que représente la transformation ou la suppression d’instruments qui reproduisent l’ordre social du Brésil, dont l’une des marques centrales est la distance entre les dispositifs prévus dans la loi par l’État et les pratiques effectives qui retombent sur la société, avec pour résultat la méfiance générale vis-à-vis de ces pratiques ».
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’anthropologue Luiz Eduardo Soares est ancien secrétaire à la sécurité de Rio de Janeiro, professeur de l’Université d’État de Rio de Janeiro (UERJ) et auteur de Violência política no Rio de Janeiro [Violence politique à Rio de Janeiro] (1996). Il observe qu’avec ses 50 000 homicides volontaires par an le Brésil occupe la 5e place dans le classement de l’Amérique latine: « Mais de ce total, seulement 8 % sont élucidés, bien que pas jugés, et 92 % restent impunis. Cela veut-il dire que nous sommes le pays de l’impunité ? Oui et non. Parce que nous avons 540 000 détenus, la troisième population carcérale du monde et le taux le plus rapide d’emprisonnement de la planète ». Comment expliquer cette contradiction ? « Pour ces quatre dernières années, plus de 65 % des détenus sont jeunes, pauvres, Noirs, qui n’utilisaient pas d’armes, n’avaient pas de lien avec des organisations criminelles et ont été arrêtés en flagrant délit de trafic de drogues. L’anthropologue critique un système qui emprisonne sans donner aux jeunes les conditions nécessaires pour retourner dans la vie. « En résumé », explique Adorno, « c’est dans l’étape policière que se trouve le plus grand goulot pour que les accusés suspectés d’homicide puissent être jugés en accord avec le processus légal ». Et quand vient la deuxième étape, le système de justice, un autre goulot apparaît. « Il est pratiquement impossible de faire des recherches dans le judiciaire brésilien, parce que nous avons
dépensé des années en quête de dossiers de procès sans réussir à les localiser, entre autres problèmes. Dans ce que nous avons pu trouver, nous Le manque avons constaté que seul un tiers des d’investigation auteurs de délit a été condamné pour homicide, alors que pour les autres dans les cas où il y a eu classement du dossier, relaxe, arrêt des poursuites pour inl’auteur du crime suffisance de preuves et acquitteest inconnu est ment ». Au contraire de ce que dit la littérature spécialisée, les étapes le facteur central judiciaires sont aussi sujettes à une sélectivité évidente, même si elles de l’impunité sont plus restreintes aux contrôles de procédures pénales. Là encore, la non-investigation des cas où l’auteur n’est pas connu est le facteur central de l’impunité: la non-élucidation a été responsable de la conclusion de 84,5 % des enquêtes archivées. À tout cela s’ajoute la morosité pénale: ces enquêtes archivées ont été conclues dans une moyenne de 25,8 mois. Dans les cas de dénonciation, l’étape policière a été conclue en 4,3 mois. Plus le temps dépensé dans la première étape des procédures judiciaires est grand, plus la possibilité d’investigation est faible. Adorno observe que « des facteurs extra-légaux liés aux caractéristiques biographiques des coupables/ accusés, comme la couleur de peau, ne paraissent pas influencer les taux d’impunité. Le profil des prévenus/coupables est très similaire au niveau des relaxes, acquittements, classements de l’affaire, comparativement aux dénonciations et à ceux qui sont passés au tribunal. Les raisons de cela ne sont pas claires. En principe, cette découverte signiDétenu de la prison modulaire du fie que les préjugés et jugements de valeurs des commissariat du agents techniques du droit n’influencent pas les quartier de Novo décisions judiciaires ou la décision du jugement. Horizonte, commune Mais l’analyse qualitative a mis en avant des préde Serra, Espírito Santo, en 2006
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our lui, il est difficile de savoir si la confiance en les institutions de sécurité a été ébranlée vu que la confiance en toute institution semble brisée. L’analyse du sociologue Flavio Sapori est la suivante: « C’est pour cette raison qu’au centre de la sécurité l’objectif doit être la réduction de l’impunité. Cela ne passe pas par l’augmentation d’une punition plus rigoureuse des criminels, comme le souhaitent généralement les gens, mais par l’augmentation de la certitude de cette punition. Il n’est pas nécessaire d’avoir des peines plus dures ou d’élargir la typologie des crimes haineux. Ce qu’il faut, c’est augmenter les chances qu’un individu qui a commis un acte criminel soit identifié, emprisonné, jugé et condamné. S’il est condamné, il doit vraiment être acheminé vers le système carcéral ». Flavio Sapori appartient au Centre d’Études et de Recherche en Sécurité Publique de l’Université Catholique Pontificale de Minas Gerais (Cepesp-PUC Minas) et il est l’auteur de Segurança pública no Brasil: desafios e perspectivas [Sécurité publique au Brésil: défis et perspectives] (2007). Sapori estime que l’impunité est la grande fragilité du système de justice criminelle dans la société brésilienne: « Les cibles ont augmenté ainsi que la disponibilité des armes à feu, mais la capacité préventive du système n’a pas accompagné cette croissance. S’ils n’ont pas augmenté, les seuils d’impunité sont restés les mêmes, à des niveaux élevés. Une impunité entendue comme un faible degré de certitude de punition, et non comme une faible sévérité de la punition ». D’où la continuité des demandes de plus de rigidité et de peines, à l’exemple du débat sur l’abaissement de la majorité pénale. 122 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
Adorno pense que « chaque société doit décider ce que sont ses « Très souvent, jeunes, si celui qui est c’est à l’accusé apte à conduire une voiture peut ou non aller en que revient la prison, mais il y a beaucoup d’équivoques à corcharge de prouver riger avant de prendre une décision ». L’une d’elles son innocence, est la croissance suppomais il n’a pas sée de la criminalité des mineurs: « Dans la réalité, les ressources de c’est le contraire. Ce qui a augmenté, c’est la cruauté l’État », dit Adorno des crimes commis par les jeunes, un facteur qui doit être analysé ». Un autre point est: Dans quelles prisons doivent aller ces adolescents ? « Aujourd’hui, le PCC [N.D.T. ‘Premier Commando de la Capitale’, organisation criminelle] domine les prisons et le comportement des détenus dans les moindres détails. Même les détenus homosexuels sont discriminés là-dedans. Plus le gouvernement construit des prisons, plus le PCC s’enrichit avec les pensions, les ventes et le commerce à l’intérieur et autour de ces prisons. Il ne suffit pas de jeter quelqu’un en prison sans penser à la manière dont il va sortir dans quelques années, un ‘soldat’ entraîné par le PCC ». Pour le chercheur, la nature du crime a changé mais on continue d’offrir les mêmes réponses, sans tenir compte de la nouvelle « économie du crime » qui opère en groupes organisés sous la forme de réseau, dont la réponse ne peut pas seulement être le désir obsessionnel de loi et d’ordre punitif avec plus de Un fonctionnaire au travail entre les prisons: « La justice comme les personnes ne sont piles de dossiers pas préparées pour ce type de crime. Il ne s’agit plus d’actes de seulement de la question de l’arbitraire, qui doit être procédures, dans un combattu, bien sûr, mais de ce qui fonctionne ou non des greffes du tribunal de justice pour donner de la sécurité au citoyen ». de São Paulo PHOTOS 1 BRUNO MIRANDA / FOLHAPRESS 2 MOACYR LOPES JUNIOR / FOLHAPRESS
jugés et des jugements de valeurs dans les arguments utilisés par l’accusation et par la défense ». Le chercheur explique que « les preuves techniques sont constamment sujettes à des erreurs et dans la plupart des cas tout est centré sur des indices et des témoignages oraux, mais ce qui prévaut sur les documents c’est la loi du silence ; et au long d’un procès qui peut durer jusqu’à cinq ans, beaucoup de témoins disparaissent sans laisser d’adresse, ce qui accentue la production de preuves inconsistantes ». La prévisibilité attendue dans des systèmes de justice qui fonctionnent n’existe pas non plus. « Il est très usuel de tracer des portraits moraux des prévenus, quelque chose de nature extra-judiciaire utilisé par la défense et par l’accusation pour essayer d’influencer les décisions et les jugements. La charge de la preuve est aussi très commune: dans la loi brésilienne, c’est à l’État de prouver la culpabilité des accusés en réunissant des preuves solides. Très souvent, on attribue à l’accusé la charge de prouver son innocence, mais il n’a pas les mêmes ressources que l’État ».
Nombres d’impunité Une recherche montre les deux goulots, policier et judiciaire, responsables du non-fonctionnement du système (1991-1997) ÉTAPE POLICIÈRE
Taille de l’impunité 60 % des homicides ont fait l’objet d’une enquête
ÉTAPE JUDICIAIRE
Auteur des homicides 76,65 % inconnu
19,58 % connu
CRIMES X INVESTIGATIONS
Poursuite des cas 59,11 % ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête 90,36 % ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête
La non-élucidation des cas est responsable de 85,4 % des enquêtes classées
Les homicides ont augmenté de 15,51 % Les enquêtes ont augmenté de 7,48 %
40 % n’ont pas fait l’objet d’une enquête SOURCE NEV-CEPID/USP
TAUX D’ÉLUCIDATION DE CRIMES DANS D’AUTRES PAYS (2002)
96% Allemagne
95% Canada
90% Royaume-Uni
INFOGRAPHIQUE ANA PAULA CAMPOS
88% Australie
64% États-Unis SOURCE NEV-CEPID/ USP
Dans PCC: hegemonia nas prisões e monopólio da violência [PCC: hégémonie dans les prisons et monopole de la violence] (juin 2013), la sociologue Camila Nunes Dias de l’Université Fédérale de l’ABC montre que 90 % des prisons de l’état de São Paulo – soit 200 000 détenus – sont contrôlées par l’organisation criminelle. Mais elle est en train de s’étendre sur le territoire et est présente dans les états de Mato Grosso, Mato Grosso do Sul, Paraná, Sergipe et Pernambuco. L’élément important, c’est que le PCC croît en parallèle avec l’augmentation de la violence, des prisons et, surtout, de l’impunité. « Il y a une chute notable du taux d’homicides dans l’état à partir des années 2000, un mouvement qui commence en 2001 et s’accentue à partir de 2005, quand le PCC s’étend au-delà des prisons, s’établit dans les quartiers de banlieues, une véritable hégémonie en dehors du système carcéral ». L’ouvrage de Camila Nunes Dias est le fruit de sa thèse de doctorat dirigée par Adorno.
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’après la chercheuse, une chute de 80 % du taux d’homicides ne s’explique pas seulement par des facteurs tels que l’expansion du système carcéral ou l’augmentation de la présence d’ONG dans les banlieues, des facteurs communément mobilisés pour expliquer ce phénomène: « À partir du moment où le PCC commence à médier et à réguler des disputes dans le monde du crime, en particulier le trafic de drogues, il contrôle le processus de vengeance et de violence anarchique ». Il devient une instance de médiation qui brise les cycles de vengeance. Idem à l’intérieur des prisons, où il y a de moins en moins de rébellions, ce qui ne signifie pas des améliorations des conditions de
vie mais du maintien de l’ordre pour éviter des problèmes avec l’État, preuve de l’hégémonie du PCC, raison pour laquelle on n’entend plus parler de rébellions. Son analyse est que « le monde du crime a su implanter un dispositif capable d’offrir des paramètres de comportement et d’établir des opérateurs de surveillance et des instances, prises pour légitimes, pour juger et punir les écarts et les déviants ». Évidemment, tout cela au nom du pouvoir, des affaires et d’une idéologie d’opposition vis-à-vis de l’état. L’effort pour bloquer la logique « œil pour œil, dent pour dent » qui a ravagé les banlieues pendant les années 1990, l’interruption des chaînes de vengeances privées, raisons de la majorité des homicides, est une des significations les plus importantes du sens de la justice implicites dans les débats organisés pour résoudre les conflits interpersonnels dans le cadre du pouvoir du PCC, qui affecte directement la chute des taux d’homicides à São Paulo. Certes, le revers de la médaille de l’ordre social par l’imposition de la paix par le PCC apparaît sous la forme de zones d’exclusion où se trouvent les « parias » qui ne rentrent pas dans l’unité constituée par la consolidation du pouvoir. En même temps, on ne sait pas combien de temps et dans quelles conditions va durer cette « paix », totalement aux mains des criminels. Adorno dit que « la perception de l’inefficacité des agences étatiques à promouvoir la démocratie à cause de l’impunité pénale encourage l’adoption de solutions privées, extrêmement violentes, qui contribuent à augmenter les sentiments d’insécurité collective et l’émergence d’un pouvoir capable de contrôler, de manière fausse, autoritaire et criminelle les conflits ». n PESQUISA FAPESP 123
VIEILLISSEMENT y
Érotisme politiquement correct Une anthropologue analyse le discours qui construit une sexualité gratifiante pendant la vieillesse
Márcio Ferrari PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
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vec l’augmentation de la longévité, la vieillesse est en train de devenir la phase la plus longue de la vie. Généralement comptée à partir de 60 ans – même si plus d’un comptent à partir de 50 ans –, elle correspond parfois à près de la moitié de l’existence d’une personne. Actuellement, on ne peut déjà plus parler d’une seule vieillesse mais de plusieurs, conformément à la tranche d’âge et aux conditions sociales et individuelles de la personne âgée. Étant donné que le prolongement de l’espérance de vie est un phénomène récent et rapide, les politiques publiques, les conceptions
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médicales et les idées de sens commun sur la vieillesse se succèdent, s’entrelacent et très souvent se confondent. Les variations et les contradictions des discours gérontologiques de ces dernières décennies sont le thème de l’étude Velhice, violência e sexualidade [Vieillesse, violence et sexualité] de la professeur Guita Grin Debert, du département d’Anthropologie de l’Unicamp (Universidade Estadual de Campinas). Le travail s’insère dans un ensemble d’études développées par la chercheuse tout au long de sa carrière universitaire, dont les conclusions les plus récentes concernent la sexualité – plus précisément, le processus d’
« érotisation de la vieillesse » observée au cours des dernières décennies. L’étude a été réalisée sur la base de l’analyse de documents et de déclarations officielles, de textes publiés dans la presse et de la littérature de développement personnel, en plus de données ethnographiques obtenues dans des espaces de socialisation de personnes âgées. L’anthropologue montre qu’il y a eu un grand changement des années 1970 à aujourd’hui. Nous sommes passés d’une conception de la vieillesse perçue comme une phase de « décadence physique et de perte des rôles sociaux », avec une quasi-extinction du vécu sexuel, à
PHOTOS LÉO RAMOS
une conception où la sexualité active et gratifiante est un prérequis pour une vie saine et heureuse. C’est quand a surgi le concept de « troisième âge » et l’idée que la sexualité « est quasiment une obligation » pour les personnes âgées. Il s’agit de ce que la chercheuse appelle un « érotisme politiquement correct », un concept qui emprunte une expression créée par la sociologue Maria Filomena Gregori. Dans la discussion sur le troisième âge, les médecins perdent du terrain par rapport aux psychologues. D’après Guita Grin Debert, « la vieillesse est devenue l’âge du loisir et de la
réalisation personnelle ». Cette conception ne se limite pas au Brésil et influence directement les définitions de la vieillesse et les paramètres de la « gestion du vieillissement » : « En plus c’est un nouveau marché, parce que de tous les groupes sociaux c’est celui des personnes âgées qui possède le plus de disponibilité de consommation ». L’effondrement du mythe de la vieillesse asexuée s’est produit dans plusieurs domaines. Différentes études ont prouvé que la sexualité ne tarissait pas avec le passage des années. Le déclin de la fréquence des relations sexuelles est indiscutable, mais d’un autre côté la qualité
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de ces relations peut augmenter. Les rencontres peuvent devenir plus libres et plus affectueuses. On s’aperçoit que les rôles traditionnels de genre tendent à s’inverser : les femmes sont moins pudiques et les hommes plus affectueux. Il y aurait également des changements au niveau des sensations : le plaisir se propagerait sur le corps, avec la survenue d’un processus de « dégénitalisation ».
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a sexologue et psychiatre Carmita Abdo, du Projet Sexualité (ProSex) de l’Hôpital des Cliniques de l’Université de São Paulo (USP), a coordonné en 2008 le Mosaico Brasil, une vaste étude sur la sexualité des Brésiliens. Les résultats ont montré que l’activité sexuelle est maintenue pendant la vieillesse, mais pas sans difficultés : « L’arrivée de la ménopause chez la femme, avec la fin de la production d’hormones, cause un grand impact physique et psychologique, en particulier dans un pays qui vénère autant la beauté et la jovialité ». Chez les hommes la fertilité demeure, mais à partir de la cinquantaine les problèmes de santé qui compromettent la puissance sexuelle augmentent. Néanmoins, le désir continue. La sexologue explique que « le répertoire sexuel change avec l’âge. Il devient moins intrépide, y compris en raison 126 PUBLIÉ EN JANVIER 2014
des limitations de la mobilité physique. […] L’acte est plus rapide qu’avant, mais les caresses se prolongent. Le plaisir est d’autant plus grand s’il y a une complicité dans le couple ». Les relations non conjugales augmentent également, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, et très souvent avec des partenaires plus jeunes. Une « sexualité sans hâte » serait donc la marque de cette phase de la vie. Cependant, l’apparition des médicaments contre la dysfonction érectile prévoit un réajustement du discours encore en vigueur. Pour Guita Grin Debert, « le triomphe de la mise en valeur des bénéfices de la vieillesse, même s’il a pu éclipser le besoin de faire attention aux pertes physiques, a contribué à briser des préjugés et à accepter la diversité liée à l’âge ». Et l’idée qu’une vie sexuelle active est bonne pour la santé se fonde, de manière indirecte selon Carmita Abdo, sur la satisfaction qu’elle apporte. Dans un paradoxe apparent, la nouvelle configuration des conceptions de vieillesse a même permis à des femmes de se libérer des obligations de la vie sexuelle régulière et caractéristique des relations maritales. Beaucoup de femmes âgées veuves, célibataires et séparées, où dont les maris souffrent de maladies invalidantes, fréquentent des
bals du troisième âge – objet d’études séparées des anthropologues Mirian Goldenberg, du département d’anthropologie culturelle de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), et Andrea Moraes Alves, de l’École de Service Social de la même institution. Toutes deux ont constaté une continuité des investissements dans la sexualité du corps – la coquetterie et les soins esthétiques se maintiennent, mais sans le lien d’exercice de la séduction –, qui s’accompagne désormais d’une liberté : la liberté de ne pas avoir de rapports sexuels. Mirian Goldenberg parle d’une substitution du « j’ai besoin » (d’être mère, épouse, maîtresse) par le « je veux » (diversion, plaisir, amitié avec d’autres femmes). Le partenaire de la danse qui est généralement plus jeune n’est pas nécessairement un partenaire sexuel. Pour beaucoup d’analystes (y inclus Guita Debert, Carmita Abdo et Andrea Moraes Alves), cette abstinence révèle aussi le poids d’une moralité conservatrice et « rattachée au stéréotype de la femme qui doit obéir », pour reprendre les termes d’Andrea Moraes Alves. Quoi qu’il en soit, Mirian Goldenberg signale que les femmes qui aiment fréquenter ces bals résistent « aux images d’un corps vieilli ». Et sur ce point, une donnée de sa recherche est révélatrice : le
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seul groupe social qui n’est pas d’accord avec l’idée habituelle que les hommes vieillissent mieux sont les femmes de plus de 60 ans. Ses recherches ont donné lieu à la publication récente du livre A Bela velhice [La belle vieillesse] (éd. Record). Elle y explique que les femmes, quand elles atteignent le troisième âge, ont tenGénéralement dance à prendre de la plus jeune, distance d’une vie familiale qui exige plus le partenaire qu’elle n’offre ; et les hommes, après des de danse n’est années consacrées à des obligations propas un fessionnelles, re partenaire cherchent dans la famille un accueil revêsexuel tu de nouveauté et de gratitude. Professionnellement, il y a aussi un contraste entre les genres : « Tandis que les hommes âgés se réalisent avec de nouvelles études et de fréquentent des universités et d’autres nouveaux travaux qui leur apportent du groupes de convivialité pour le troiplaisir, plus qu’une rémunération, les sième âge révèlent un optimisme qui ne femmes cherchent à faire exclusivement combine pas avec l’idée d’une phase de des choses qu’elles aiment, généralement la vie marquée par le manque. dans le domaine de la socialisation et de De telles associations, y compris la réciprocité ». Guita Debert constate celles créées par des organismes puun phénomène similaire : les femmes blics comme le secrétariat aux droits recherchent l’amitié d’autres femmes, de l’homme du gouvernement fédéral, les hommes s’engagent dans des acti- se rebellent fréquemment contre les disvités conjointes avec d’autres hommes, cours officiels qui attribuent au système à l’exemple d’associations de retraités. de bien-être des personnes âgées la responsabilité de dépenses publiques exces’après elle, la retraite en tant que sives. Dans l’article Fronteiras do gênero revendication-symbole de la stra- e a sexualidade na velhice [Frontières du tification sociale des personnes genre et sexualité à la vieillesse], Guita âgées est la marque du discours géron- Debert a écrit : « Combattre les préjugés tologique des années 1970, « dans sa vo- sur la vieillesse, c’était montrer que leurs lonté de sensibiliser les pouvoirs publics participants restent lucides et savent et la société sur l’importance d’études et critiquer les gouvernements, les politid’actions pour un vieillissement réussi ». ciens et les interprétations erronées de Néanmoins, l’anthropologue a observé à la presse sur les différents aspects de la travers des recherches que les personnes vie sociale brésilienne. […] Beaucoup âgées elles-mêmes n’étaient déjà plus d’entre eux critiquaient les programmes d’accord avec une vision négative de la destinés au ‘troisième âge’, certains les vieillesse. Aujourd’hui, encore moins : appelaient des ‘playgrounds de vieux’ comme l’attestent les témoignages re- parce qu’ils détournent des retraités de cueillis par Mirian Goldenberg, beau- leurs intérêts véritables ». coup de personnes disent que la vieilL’écart entre les perceptions de la vieillesse est la meilleure phase de leur vie. lesse présentes dans les discours hégéLes témoignages de personnes âgées qui moniques, d’une part, et l’expérience per-
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sonnelle des personnes âgées, d’autre part, est également observable dans le champ de la sexualité. La vision « officielle » aborde l’érotisme du troisième âge d’un point de vue du maintien de la jeunesse. « On ne cherche pas à promouvoir, du point de vue esthétique, les corps vieillis », affirme Guita Debert. Le nouveau mythe de la vieillesse heureuse et érotisée a un prix. Andrea Moraes Alves détecte différentes « stratégies » utilisées par les femmes âgées pour cohabiter avec leur corps. L’une d’elles est « négocier » constamment les limites du rajeunissement. D’un côté, elles investissent dans des chirurgies esthétiques, du maquillage et des vêtements pour prolonger une apparence jeune. De l’autre, elles se maintiennent alertes (et tendues) pour ne pas courir le risque de paraître des « vieilles ridicules et vulgaires ». Et rares sont les femmes qui, dès les premières années de la vieillesse, affrontent le tabou des cheveux blancs sans teinture, « si marquant au Brésil ». n Projet Sexualité, genre et violence dans les politiques sur la vieillesse (2011/10537-6); Modalité Ligne Régulière d’Aide au Projet de Recherche; Coordonnatrice Guita Grin Debert / Unicamp; Investissement 36 208, 15 reais (FAPESP).
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PHILOSOPHIE y
Hannah Arendt en 1944
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FRED STEIN ARCHIVE/ARCHIVE PHOTOS/GETTY IMAGES
La passion pour la liberté
Un centre d’études révèle l’actualité des réflexions d’Hannah Arendt sur la responsabilité de l’acte de penser PUBLIÉ EN SEPTEMBRE 2013
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ans une ère dominée par les extrêmes, Hannah Arendt (1906-1975) a été suffisamment courageuse et sage pour utiliser le monde classique afin de vérifier des propositions morales et politiques. Aujourd’hui reconnue, elle était encore il y a quelques décennies un nom controversé à gauche comme à droite. Mais c’est à partir de ses ouvrages que le totalitarisme, la condition humaine et la « banalité du mal » sont devenus des concepts-clés pour comprendre la modernité. D’où l’importance constante de diffuser son oeuvre, toujours actuelle. C’est ce que propose le nouveau Centre d’Études Hannah Arendt (www.hannaharendt.org.br), relié à l’Institut Norberto Bobbio ; tous deux sont présidés par Raymundo Magliano Filho, ancien président de BM&Fbovespa, et coordonnés par Claúdia Perrone-Moisés, professeur de la Faculté de Droit de l’Université de São Paulo (USP). Celso Lafer, le président de la FAPESP a été élève d’Arendt dans les années 1960 à la Cornell University, aux États-Unis : « Elle est un auteur classique dans le sens préconisé par Bobbio : un auteur dont
Des textes d’Hannah Arendt sont toujours actuels pour penser les problèmes d’aujourd’hui
les concepts, bien qu’élaborés dans le passé, nous offrent encore quelque chose pour pouvoir comprendre le monde actuel ». Claúdia Perrone-Moisés va dans le même sens : « Toute son oeuvre est d’une actualité intense. Dans les années 1950, elle pensait déjà sur la société de consommateurs et analysait la question, aujourd’hui capitale, de la responsabilité du rapport entre penser et juger ». Le centre est né d’un Centre de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) de la FAPESP, le Centre d’Études sur la Violence (NEV-USP), qui a abrité entre 2004 et 2010 le Groupe d’Études et d’Archives Hannah Arendt. Claúdia Perrone-Moisés indique que débutera ce mois-ci « le premier groupe d’études sur Responsabilité et Jugement, sur des essais, des cours et des conférences donnés dans les années 1960 et 1970 ». Dans ces écrits, Hannah Arendt y propose une éthique de visibilité dans le domaine public de l’action et de la politique, et évoque une fois de plus le rôle décisif de la réflexion et de la critique dans la détermination de la pratique. Pour Lafer, « elle est un écrivain suggestif, qui provoque toujours de nouvelles lectures. Chaque génération ressent le besoin de faire son interprétation ». Dans Les origines du totalitarisme (1951), Arendt décrit le processus par lequel – après les traités de paix qui ont mis fin à la Première Guerre mondiale – les droits de l’homme hérités de la tradition des révolutions ont connu de grandes difficultés. « Considérés inexistants pour une catégorie de personnes ‘sans droits’ parce qu’apatrides, les droits de l’homme ont démontré leur inefficacité lorsqu’ils sont détachés de la citoyenneté », explique la coordonnatrice du centre. D’après elle, la critique d’Arendt sur la
question des droits de l’homme concerne leur abstraction, qui devient manifeste quand ils n’ont plus le soutien de la citoyenneté. En fin de compte, les droits de l’homme ont été définis inaliénables parce qu’on les supposait indépendants de tous les gouvernements ; mais dès que les êtres humains cessent d’avoir un gouvernement, aucune autorité n’est là pour les protéger et aucune institution n’est disposée à les garantir : « L’émergence du totalitarisme n’a été possible, selon Arendt, que parce qu’il a été précédé d’un processus dans l’entre-deuxguerres qu’elle a appelé la destitution de l’humain ». Dans Condition de l’Homme Moderne (1958), elle met en avant la destruction des conditions d’existence de l’être humain dans le monde moderne, opérée par la société de masse. En 1961, un événement a été déterminant dans le parcours intellectuel d’Arendt : son voyage à Jérusalem pour assister et couvrir, pour la revue New Yorker, le jugement du criminel nazi Eichmann. Cette expérience s’est transformée en un livre, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, et a signé son retour dans le champ de la philosophie. L’expression « banalité du mal » développée dans ce travail a également été l’objet de discordes parce qu’elle était vue comme une banalisation de ce qui s’était passé. « Pour certains, Arendt avait trahi l’idée du ‘mal radical’ défendu auparavant, pour simplement le considérer comme banal. Il se trouve qu’elle n’a jamais abandonné le ‘mal radical’, mais ce qu’elle a observé à Jérusalem ne rentrait pas dans cette définition. La banalité du mal était liée à l’incapacité de penser et à l’exécution automatique de tâches du bureaucrate moderne ». Rien de plus XXIe siècle que cela. n C.H. PESQUISA FAPESP 129
ART
Comme autrefois PUBLIÉ EN JUIN 2013
L’encre de chine à la plume et le remplissage d’ombre en hachuré est une technique qui, de nos jours, est peu employée pas les artistes dans les illustrations scientifiques. L’illustration ci-dessus a remporté cette année la première place au concours international Margaret Flockton Award for Excellence in Scientific Botanical Illustration organisé par le Royal Botanic Garden de Sydney, Australie. Le biologiste illustrateur Rogério Lupo a dessiné cet exemplaire de l’espèce Vellozia perdicipes, rencontrée dans l’état de Minas Gerais pour illustrer un article scientifique qui sera publié par Renato de Mello-Silva, du Département de Botanique de l’Institut de Biosciences de l’Université de São Paulo.
Illustration envoyée par Rogério Lupo 130 PUBLIÉ EN JANVIER 2014