Revue de presse - ALG

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Après la gauche,

film co-réalisé par Jérémy Forni, Geoffroy Fauquier et Gaël Bizien Sur scène, en concert un soir, Alain Souchon faisait éclater d’un rire un peu triste la foule venue l’acclamer en déclarant : « toujours avec la gauche, vient la désillusion ». Et c’est bien de désillusion voire de gueule de bois, qu’il s’agit dans ce film. Comme un mauvais vin cuvé depuis 30 ans et ce soir de mai où certains se sont bercés de la promesse que la gauche pourrait changer la vie. Trois mots, pour les trois réalisateurs de ce film : 1981, chômage, sida. Les trois repères, qui ont marqué toute une génération de français. La génération Mitterrand. Pas celle, pouponne et l’œil pétillant, des affiches signées Jacques Séguéla en 88. Celle qui a entre 35 et 45 ans aujourd’hui et qui n’aura presque jamais rien connu d’autre que la peur. Peur de la maladie, peur de la crise, de ses plans de licenciement, de la plaie du sous-emploi voire du non-emploi, peur du déclassement et surtout apparition d’un mot devenu d’usage à la fois courant et quotidien, point cardinal de nos sociétés post-Guerre froide : précarité. Ils ont rêvé, comme leurs parents, d’une gauche leur offrant une société plus juste, qui mettrait l’humain au cœur du concept de développement, qui saurait inventer le monde d’après l’effondrement du bloc soviétique. Mais, mauvaise pioche, cette gauche n’a su qu’assister en spectatrice à l’installation du profit au pinacle des valeurs, quand tout en bas, l’homme, lui, s’épuise à essayer de survivre. Avec la gauche vient la colère. Celle que partagent la plupart des experts interrogés dans ce film : sociologues, philosophes, responsables syndicaux, écrivains. Ils estiment que la gauche n’existe plus, qu’elle s’est dissoute dans le brouet libéral. Le parti socialiste ? De quoi est-il le nom, nous dit François Houtart, quand il place l’un des siens à la tête du FMI, un autre à la tête de l’OMC, et qu’un troisième peut entrer dans un gouvernement de droite pour y exercer les fonctions de ministre des Affaires étrangères ? La gauche, s’exclame encore Bernard Stiegler, mais… elle s’en fout des idées ! Et le philosophe d’asséner : ce que veut la gauche, c’est être réélue. Le principal problème du PS aujourd’hui, ajoute-t-il, c’est d’avoir un assez bon score aux élections pour que les aides aux partis politiques prévues par l’Etat couvrent les frais de fonctionnement de Solferino. C’est une gauche qui a renoncé à penser le monde. Une gauche qui ne respire plus à l’unisson des classes ouvrières. Un homme, un seul politique, parmi tous les intervenants du film, doit assumer, involontairement, la charge de toutes ces critiques : c’est Lionel Jospin. Saisissant décalage entre l’indignation, vibrante, du syndicaliste Christian Corouge, celle de l’écrivain Eric Hazan, du philosophe italien Antonio Negri, et la parole compassée et comme passée de l’ancien Premier ministre. Les mots sortent douloureusement, tels autant d’aveu d’impuissance et Lionel Jospin finit par le dire : «Je crois qu’un certain nombre de tâches, si on en mesure l’ampleur, sont quasiment de caractère utopique. [...] Mais par rapport aux périodes antérieures, on se rend compte que ces tâches utopiques sont absolument indispensables». Une autre utopie est donc non seulement possible, mais nécessaire. Tourner la page ? C’est le titre du film après tout : après la gauche. La tourner avec qui, pour faire quoi ? Pas avec nous, disent les personnes interrogées, toutes nées bien avant l’avènement de la gauche au pouvoir en France. Pour faire quoi ? « Réinsérer du rêve dans les luttes sociales ». Réinventer le futur, dit Antonio Negri, on en a la force. Encore faut-il le vouloir. © Audrey Pulvar


LE MONDE.FR Critique de « Après la gauche » par Isabelle Régnier

"Après la gauche" : constat de dégâts des idéaux Un diagnostic de l'état de la gauche : voilà le projet de ce documentaire. Le dispositif est explicite : une poignée d'hommes (et une femme), grandes figures de la scène intellectuelle, politique ou syndicale, sont installés dans une usine désaffectée, seuls sur une chaise. Tour à tour, ils livrent leurs analyses, que l'auteur a ensuite imbriquées au montage. Le philosophe Bernard Stiegler, l'éditeur Eric Hazan, le journaliste Edwy Plenel, le sociologue Robert Castel, le syndicaliste Christian Caurouge, le philosophe Toni Negri, l'ancien premier ministre Lionel Jospin, l'écrivain Susan George... Tous sont d'accord sur un point : la gauche française et européenne est en miettes depuis le début des années 1990, a déserté le terrain des idées, mise à terre par la lame de fond qu'a constitué la chute du mur de Berlin. Ils reviennent ensuite sur les grandes étapes historiques qu'ont constitué le mouvement de Tiananmen ou le 11Septembre, sur la consolidation de la "pensée unique" selon laquelle il n'y aurait pas d'alternative au néolibéralisme... Nulle amertume dans leurs discours : tous sont porteurs d'espoir, qui en l'altermondialisme, qui en


l'insurrection, qui en la jeunesse... A l'origine de ce film, il y a le désir de Jérémy Forni, Geoffroy Fauquier, Gaël Bizien, trois jeunes gens à peine trentenaires d'interroger les générations qui les ont précédés sur le vide qu'ils ont laissé. Un peu trop figé, un peu trop révérencieux vis-à-vis de ses intervenants, le film se présente plus comme une leçon de choses que comme une pierre à l'édifice.

http://www.lemonde.fr/cinema/article/2011/05/31/apres-­‐la-­‐gauche-­‐constat-­‐de-­‐ degats-­‐des-­‐ideaux_1529365_3476.html





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