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Médicaments, la méfiance s’installe Mediator, Diane 35 et, plus récemment, furosémide… Jamais la méfiance des Français à l’égard des médicaments n’a été aussi grande. Précaution légitime ou accès paranoïaque ? Entre les génériques qui peinent à fédérer et la vente en ligne qui démarre, Pharma fait le point sur la relation complexe qui lie le patient au médicament. Dossier réalisé par Anne Fellmann
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Mon médicament, mon meilleur ennemi… Les récents scandales ont ébranlé la confiance envers les autorités de santé, chargées de veiller sur l’intérêt du consommateur. La méfiance n’a pas tardé à s’étendre aux médicaments et, au-delà, aux professionnels de santé. Analyse.
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érard Raymond, secrétaire général de l’Association française des diabétiques (AFD), est un homme positif. « Si des scandales sanitaires éclatent, c’est qu’il y a quand même une certaine vigilance et une volonté de démocratie de la part des autorités », souffle-t-il. Mais il est aussi un excellent connaisseur du système : « Il n’empêche que ces scandales révèlent un dysfonctionnement dans l’appareil français de pharmacovigilance et dans la formation initiale de l’ensemble des professionnels de santé », juge-t-il. Avant de lâcher, à propos de l’affaire du Mediator : « On a tout mélangé et, au final, le copinage a accouché d’un monstre. Il faut tout remettre à plat, réfléchir à une plus grande transparence et à une plus grande responsabilité de tous, y compris des patients qui ont du mal à s’imposer ». C’est en effet l’une des revendications majeures des patients : pouvoir s’exprimer et faire connaître leur opinion. « Dans notre système, le médecin est le bon Dieu et le médicament est encensé, constate Gérard Raymond avec amertume. Or on nous a trompés et, d’une confiance aveugle, nous sommes passés à une méfiance suspicieuse qui peut engendrer, pour les malades, des prises de risque en termes d’inobservance. C’est extrêmement dangereux. Il ne s’agit pas d’accuser, de diaboliser. Il faut juste avoir le courage de dénoncer un système cloisonné, sans transparence, sans responsabilité, sans écoute. Le diable se niche toujours dans les cloisons et les corporatismes ».
• Enjeux. Restaurer la confiance des patients à l’égard des médicaments est l’un des défis de l’ANSM.
Transparence et déontologie
Les patients auraient-ils été entendus ? Restaurer la confiance est en tout cas l’un des mandats confiés au Pr Dominique Maraninchi, nommé à la tête de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, ex-Afssaps) en 2011, et à son équipe. « La défiance que l’on observe est un risque qui nous préoccupe beaucoup, confirme François Hébert, le directeur général adjoint. La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, d’ailleurs issue de l’affaire du Mediator, a posé à ce sujet un certain nombre de principes que nous déclinons ».
Le premier est celui de la transparence dans tous les processus de décisions de l’ANSM. À ce titre, quatre commissions externes d’expertise ont été mises en place début 2013, respectivement dédiées à l’accès à l’innovation, à la réévaluation du bénéfice/risque, aux stupéfiants et psychotropes et à la prévention des risques. Les ordres du jour sont publiés à l’avance sur le site de l’Agence, les réunions sont filmées et enregistrées et les comptes rendus intègrent les opinions majoritaires et minoritaires. Le deuxième principe est d’ordre déontologique. « Avec l’obligation d’une déclaration publique d’intérêt pour tous nos experts internes et externes et, pour ces derniers, des exigences renforcées
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au niveau de leurs liens d’intérêt, nous avons beaucoup progressé en la matière », commente François Hébert. Le troisième principe, enfin, concerne la communication et l’information visà-vis des professionnels de santé et des patients, aujourd’hui considérablement renforcées. En complément, l’ANSM a lancé un vaste programme de réévaluation du bénéfice/risque de toutes les molécules mises sur le marché avant 2005, ainsi qu’un programme sur quatre grandes classes de dispositifs médicaux potentiellement à risque (prothèses mammaires, de genou, de hanche métal/métal et sondes de défibrillation cardiaque). « Nous allons ainsi revisiter le panel des produits de santé mis à la disposition des Français », relève François Hébert.
« Nous sommes tous, et très naturellement, sensibles aux crises sanitaires, mais notre réseau officinal est un garde-fou de taille », confirme François Hébert. C’est aussi ce que retient Gérard Raymond : « Un médicament est un produit par nature dangereux. De ce point de vue, chaque acteur a son
propre rôle. Et je pense qu’aujourd’hui, le rôle du pharmacien est essentiel. C’est à lui que revient de donner l’explication du produit qu’il dispense, de décrire ses effets secondaires, d’accompagner les patients. Il est formé pour, il doit le revendiquer. C’est son combat, un combat qu’il peut gagner ». •
L’affaire du Furosémide aura au moins révélé la capacité d’agir avec célérité et efficacité pour stopper net toute perspective d’extension et protéger le public. En effet, dès l’alerte donnée – une alerte jugée suffisamment sérieuse –, l’ANSM a décidé, en collaboration avec les laboratoires Teva, de rappeler tous les lots du marché en vertu d’une règle de base : « Safety first », ou la sécurité des patients avant tout. Trois jours plus tard, les résultats préliminaires de l’enquête ont été rendus publics afin de tempérer l’ampleur de l’alerte. En parallèle, l’ANSM envoyait l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne inspecter à son tour l’officine qui avait, la première, signalé l’incident. Et lorsqu’elle a pu, au bout d’une semaine d’investigations poussées, écarter définitivement un problème de grande ampleur, c’est Dominique Maraninchi qui s’est exprimé. « Cette affaire illustre notre gestion de crise, indique François Hébert. Dès qu’une alerte nous est signalée, nous agissons en trois temps : nous prenons d’abord les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des patients sans céder à la surréaction, nous enquêtons, puis nous rendons public les résultats. Cela dit, gérer une crise, c’est, par définition, gérer l’incertitude. Nous avons des principes – la sécurité des patients, la transparence, la réactivité – mais pas de modèle, car chaque crise est unique ». Dans le maelström des affaires, la France peut faire valoir un atout de poids : la qualité de son système de distribution, extrêmement sécurisé.
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Apprendre à gérer l’incertitude
• Safety first. L’affaire du furosémide aura au moins révélé la capacité de l’ANSM à agir avec célérité et efficacité pour stopper net toute perspective d’extension et protéger le public.
Quand le patient devient acteur de son traitement Selon le 11e baromètre de l’automédication réalisé par Celtipharm pour l’Afipa*, les médicaments vendus sans ordonnance ont vu, en 2012, leurs ventes progresser de 3,2 % en valeur, représentant un marché de près de 2,2 milliards d’euros. En croissance ininterrompue depuis 2009, ce marché de l’automédication se distingue dans un contexte pourtant délicat pour le médicament (– 2,4 % pour le marché de prescription). Pour Pascal Brossard, président de l’Afipa, quatre raisons majeures expliquent ce dynamisme : les patients veulent être plus autonomes et prendre en charge leur santé ; les pharmaciens consacrent davantage d’efforts et de moyens au libre accès ; les médecins se montrent moins disponibles pour les pathologies bénignes ; et les autorités portent un regard bienveillant à cette source d’économies pour la collectivité. « L’automédication est un facteur de régulation du
système de soins, relève Pascal Brossard. Elle incite les consommateurs à se rendre d’abord à l’officine. Ce faisant, elle redonne sa place à chacun : pharmaciens, médecins, structures d’urgence ». La France affiche néanmoins un certain retard, comme l’a révélé le 1er observatoire européen sur l’automédication, rendu public le 25 juin par l’Afipa. Cette étude, qui porte sur huit pays – Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède –, montre que la part de marché en volume de l’automédication dans l’Hexagone reste inférieure à la moyenne (15,9 % contre 23,3 %). La dépense moyenne annuelle en produits d’automédication par habitant suit la même logique puisqu’elle s’élève à 34,50 € chez nous contre un peu plus de 39 € en Europe. (*) Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable.
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Génériques, je t’aime… moi non plus Entre les Français et les médicaments génériques, la relation est pour le moins ambiguë. Alors que les chiffres de la substitution décollent, la réticence des patients demeure.
Un rejet amplifié par les médias
Il n’en a guère fallu davantage pour nourrir des suspicions qui sont nées dès le lancement de la politique en faveur des génériques. « Les acteurs fondamentaux du projet – les médecins et les patients – en ont été d’emblée exclus et se sont mutualisés pour le rejeter, les premiers se plaçant sur le registre de la qualité des soins, les seconds sur celui de l’autonomie, explique Karen Kraeuter. Face à eux, l’industrie et l’État se sont imposés avec, en filigrane, leurs intérêts économiques. Le pharmacien, quant
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aël Granet ne se définit pas comme un militant. « Je suis juste un progénérique dans l’esprit, confie ce titulaire installé à Arnage, dans la Sarthe. Je respecte la position de mes patients, mais quand on est convaincu, on est plus crédible ». Plutôt que d’essayer à tout prix de remporter chaque bataille de substitution, le pharmacien a choisi d’épauler son équipe, de ne pas la laisser aller au feu seule et de l’encourager. Il a aussi décidé d’engager sa responsabilité auprès de la clientèle qu’il connaît, dans sa large majorité, depuis près de vingt ans. « Je ne suis pas un vendeur, dit-il. Je mets en avant la confiance qu’elle me porte. Mais ma tâche n’a pas été facilitée par le dispositif ‘‘tiers payant contre générique’’, qui n’a pas plu du tout, même si ses effets commencent à s’adoucir ». « Le passage en force est la mauvaise solution par excellence, approuve Karen Kraeuter, psychoclinicienne à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). En l’occurrence, il a été très mal perçu par les patients. Les conséquences peuvent en outre être catastrophiques en termes d’observance ou d’adhésion au traitement ».
En France, la perception est établie qu’un médicament moins cher est forcément moins efficace. Le doute s’est donc installé François Tharaux, Biogaran
à lui, a été pris dans cette dynamique contre sa volonté. Résultat : le générique a été mal accepté, et ce rejet a été amplifié par les médias ». La psychoclinicienne livre plusieurs pistes pour lever les réticences : impliquer les médecins, solliciter leur expertise, accepter leurs questionnements, écouter et intégrer les usagers au projet, être plus pédagogue aussi. « Il faut prendre en considération l’aspect émotionnel et affectif des patients avec leurs médicaments et recréer le même lien avec le générique, souligne-t-elle. Les professionnels doivent être formés à ce sujet, tout comme les pharmaciens doivent apprendre à accéder aux vraies réticences qu’expriment leurs clients. Mais ils sont isolés, épuisés, à bout de souffle. L’État et les génériqueurs doivent les accompagner de près ».
Une situation paradoxale
C’est l’option qu’a prise Biogaran. « La confiance des patients n’a jamais été là, constate François Tharaux, le directeur marketing. En France, la perception est établie qu’un médicament moins cher est forcément moins efficace. Le doute
s’est donc installé ». Il a même tendance à s’affirmer si l’on en croit un récent sondage de la revue Que choisir (janvier 2013) : 57 % à peine des Français font confiance aux génériques contre 62 % il y a un an. « De ce point de vue, la situation est d’ailleurs paradoxale, relève François Tharaux. Alors que les réticences sont exacerbées, le générique est de plus en plus prescrit. L’approche raisonnée est donc importante. Il faut éduquer et responsabiliser le patient avec pédagogie, assurer une bonne circulation de l’information, rendre cohérents les messages des professionnels de santé ». Ce à quoi s’emploie le laboratoire, qui a lancé en début d’année une Web série en six épisodes diffusée dans les officines et dans les salles d’attente de 14 000 cabinets médicaux. Depuis l’an dernier, Biogaran organise aussi très régulièrement des tables rondes réunissant praticiens et pharmaciens. Lesquels ont, pour certains d’entre eux en tout cas, accepté de rédiger collectivement la revue Perspectives DCI. Tout ceci venant en complément du programme Star pour « Substituer pour augmenter votre rentabilité ». •
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médicaments, la méfiance s’installe
Vente en ligne : les patients avancent avec prudence Selon un sondage*, 81 % des Français ne sont pas prêts à acheter des médicaments sans ordonnance sur Internet, et 74 % craignent des contrefaçons. Une pratique qui divise aussi les professionnels… assurée, à l’opposé de la commercialisation en ligne où un médicament sur deux est contrefait, indique Lucien Bennatan. D’autre part, en termes de transparence et d’information, l’internaute peut consulter des fiches produit complètes permettant ainsi de répondre à ses interrogations et comparer les prix librement. »
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Respecter les bonnes pratiques
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n octobre 2012, Cédric O’Neill a cofondé le site 1001pharmacies.com, la première plate-forme communautaire de vente en ligne de parapharmacie dont il est le président. 150 officines y sont répertoriées à ce jour, 11 000 produits sont disponibles, et 120 000 visiteurs passent commande chaque mois. Grâce à la nouvelle législation, le pharmacien et son équipe vont enrichir à terme leur offre avec des médicaments non soumis à prescription obligatoire. La plate-forme propose au consommateur deux options : le drive, qui lui permet d’acheter en ligne et de retirer ses produits dans une pharmacie partenaire, ou l’expédition à domicile. « Nous croyons à ce modèle économique, confie Cédric O’Neill. Sept millions de Français ont déjà acheté des médicaments sur des sites européens. La demande existe. Notre stratégie est de ramener ces internautes vers les officines françaises, qui garantissent une dispensation dans les règles de l’art ».
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La demande est là. Sept millions de Français ont déjà acheté des médicaments sur des sites européens. Cédric O’Neill,
1001pharmacies.com
Le drive est le modèle qu’a également choisi Lucien Bennatan : « Il maintient le contact physique entre le consommateur de médicaments et le professionnel de santé ». Le président du groupe PHR est pourtant opposé « politiquement et stratégiquement » à la vente en ligne. « Voilà des années que l’on tire la profession vers le haut et on veut aujourd’hui la ramener à un simple rôle marchand, en banalisant par surcroît le médicament, déplore-t-il. Et je suis lucide : au plan économique, je n’ai jamais vu de pharmaciens s’enrichir grâce à Internet, contrairement à certains investisseurs. Cela posé, ne laissons pas ce territoire occupé par les marchands : allons-y différemment ». Mi-mai, PHR a donc créé mapharmacieservices.com, un portail d’entrée « webto-store » auquel plus de 300 officines ont adhéré. Celui-ci comprend de nombreux avantages pour les patients, le premier d’entre eux étant la sécurité, raison pour laquelle le groupe a fait ce choix. « En effet, parce qu’ils suivent les circuits habituels de distribution en officine, la traçabilité des médicaments est
Les syndicats, de leur côté, avancent à reculons, à l’instar de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), pour qui la vente de médicaments en ligne n’a pas lieu d’être « puisqu’en France, personne ne se trouve à plus de quinze minutes d’une pharmacie ». « Je comprends ce discours, commente Alain Delgutte, le président de la section A de l’ordre des pharmaciens. Mais la demande est là et la dispensation par Internet va devenir, par la volonté du législateur, l’une des modalités de la dispensation pharmaceutique. Nous en avons pris acte ». L’Ordre se félicite surtout de la parution de l’arrêté du 20 juin dernier, entré en vigueur le 12 juillet, relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique. En d’autres termes, dans le cadre de la législation mise en place au niveau européen pour des médicaments sûrs et un commerce rigoureusement contrôlé, la vente de médicaments sur Internet est désormais strictement encadrée en France. Autre garde-fou : avant d’ouvrir un site de commerce en ligne, tout pharmacien titulaire doit obtenir l’autorisation de l’Agence régionale de santé (ARS) dont il dépend. Et une fois autorisé, il doit informer l’Ordre de la création de son site. Dernière précaution : la cessation d’activité de l’officine entraîne de facto la fermeture du site. • (*) Sondage LH2 pour le quotidien Metro paru en mars 2013.