Phoebegiannisi chantetcheminementengrecearchaique book 04

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Chant et cheminenlent en

Gn~ce

archalque

THESE DE DoCTORAT PREPAREE PAR Pli<EBE GlANNISSI Sous !..A DIRECTION D' ANNIE BONNAFE

UNIVERSlTE DE LYON

[I.

LUMIERE

1 9 9 4


A mes parents, Kaiti et Argyris Giannisi



Chant et cheminement en Grece archalque

THEsE DE DocroRAT PREPAREE PAR PHffiBE GIANNISSI Sous l.A DIRECTION DANNIE BONNAFE

UNIVERSITE

DE LYON II - LUMIERE 1 9 9 4



r

T ABLE

DES MATIERES

TABLE DES MATIERES pp.l-4 TABLE DES PLANCHES pp. 5~ REMERCIEMENTS pp. 7-8

1 N T ROD U C T ION pp. 9-19 PREMIERE PARTIE

LE CHEMINEMENT DANS LES SANCTUAIRES pp. 20-111 I. Le paradigme des voies dans les sanctuaires archai"ques pp. 21-91 I I.

SANCTUAlRE D'HERA A SAMOS pp. 21-36

12. SANCTUAlRE D'APOLWN A DIDYMES pp.37-50 13. DEWS pp. 51~1 14. SANCTUAlREDU HEROS AU PrOiON pp. 62~5 I

5, SANCTUAlRE D' APOLLON AU PTOION pp. 66-73

16. VOlES DE GRECE ET VOlES D'EGYPTE pp. 74-85 I 7.

ARCHITECTURE EGYPTIENNE, MINOENNE ET MYCEN!ENNE ET TEMENOS pp. 86-91

II. Temenos,

n~arrativite

et parataxe pp. 92-111

IT I. KOUROS ET NARRATIVTfE SEWN SNODGRASS pp. 92-93 IT 2. DISPOsmON DES KOUROI ET NARRATIVTfE pp. 94-97 IT 3. LE ROLE DU PASSAGE DANS LE DEcLENCHEMENTDE LA NARRATION pp. 98-100 II 4. EKPHRASIS: DESCRIPTION, ENUMERATION, NARRATION pp. 100-103 II 5.lNSCRIPTIONS ET POEME DE LA TRAVERSEE pp. 103-108 II 6.

STRUCTUREDEPARATAXEpp.I08-111

1


DEUXIEME PARTIE

CHEMINEMENT ET EPOPEE HOMER/QUE pp, 116-159

Ill. Stru.cture de parataxe pp. 116-127 III 1. PAHATAXEETVERSHOMERIQUEpp.1I6-1I8 III 2. COMPOSITION ORGANIQUE ET COMPOSITION INORGANIQUE pp. 119-121 III 3. PARATAXE ET ORALITE pp. 122-123 III 4. STYLETRESSE, PARATAXEETEPOPEEpp.124-127

IV. La narmtion en tant que forme de parataxe dans ie recit homerique pp. 128-138 IV 1. L'ODYSSEE ENGENERALpp. 128-130 IV 2. ARIuvEEs IDE TELEMAQUE A PYLOS ET A SPARTE pp. 13Q-.132 IV 3. MOUVEMENTD'INTRoDUcnON ET DESCRIPTION DELA DISPOSITION ARCHIfECTURALE: I.'ENTREE D'ULYSSE CHEZ ALCINOOS pp.133-138

V. Chemin et jeunes fiUes pp. 139-159 V

1. ATHENA pp. 139-141

V 2.

CALYPSOp.141

V 3, LAFILI.E D'ANTIPHATES LE LESTRYGON p. 142 V 4. CIRCE pp. 142-152 V 5. DEMEJrER ET LES FILLES DE KELEoS pp. 153-154 V 6. ANTIGONE ET <EDlPE pp. 154-159

2


r VI 2. MOlNEMENT DU DlSCOURS pp. 160-161

VI 3. CHEMINET ACTIVITEPOEr[QUE

pp.161-I72

A) OIMO~ pp. 164-166 O[MH pp. 167-170

B)

C) ETYMOLOGIE DE OIMH ET

OIMO~ pp. l7l-l72

VI 4. RELATION DUCHEMIN AVEC LECHANTpp. 172-l76

VII. Les Muses et Ie chemin du chant pp. 177-195

REMARQUES PRELIMINAIRES PP. 177-178

VII I. VB 2. VII 3.

ODYSSEE pp. 178-179

HYMNES HOMERlQUES pp. 179-180

VII 4. VII 5.

ILlADE p. 178

THEOGONIE pp. 18D-[85

LESTRAVAUXETLESJOURSpp. [85

VII 6. POEslELYRIQUEpp.186-195

VIII. Vision, Memoire, Chant pp. 196-214 REMARQUES PRELIMINAIRES pp. 196-202

vm I. LA RHErORlQUE AHERENNlUS pp. 202-204 VIII 2.

DE L 'ORATEUR pp. 204-206

vm 3. INSTTTU170N ORATOlRE DE QUINTILlEN pp. 206-209 VIII 4. DE LA MEMOIRE ET DE LA REMINISCENCE

D'ARISTOTE pp. 209-212

VIII 5. LoNGIN RHErORlQUE pp. 212-214

XIX. Catalogues d'agalmata pp. 215-260 REMARQUES PRELIMINAIRES pp. 215-217

XIX

I. CATALOGUE DES VAiSSEAUX pp. 217-226

XIX 2. CATALOGUES D'AGALMATADANS L'EPOPEE pp. 226-246 a) Le role des agalmata pp. 231-238 b) Hirodote pp. 239-240 c) Pausanias pp. 24D-246 \.

3


XIX 3. CATALOGUES [)'AGALMATA DANS LES SANCTUAJRES pp. ~47-251 XIX 4. CHEMIN ETCHANT, AGALMAET MEMOlREpp. ~51-~60

C)UATRJEME PARTIE

CHEMIN ET ARRIVEE PP. 261-300 X, Retour Ii l'Odyssee pp. 262-277 REMARQUES PRELIMINAIRES pp. ~62-~65

X I.

PARCOURS D'ENSEMBLE ET KLEOS pp. 265-270

X 2. RECITS D'ARRIVEES SUIVANT DES PETITES ErAPES pp. ~7o-277

XI. Le prooimion de Parmenide pp. 278-300 XII,

RESSEMBLANCES AVEC LA POESIE EPIQUE pp. 278-~86

XI 2. LE PROEME pp. 286-300

CINQUIEME PARTIE

LE CHEMIN ET LA TRACE PP, 30i-372

XII. Chemin de Pausanias et Chemin d'Oreste pp. 302-319 XIII. Cheminement et hymne homerique Ii Hermes pp. 320-338 XIV. Cheminement dans l'hymne homerique Ii Apollon pp. 339-357

XV, Les traces de la marche et Ie rythme pp. 357-370 XVI. Catalogues, memoire, narration pp. 371-372

CONCLUSION PP. 373-382 BIBLIOGRAPHiE PP. 383-412

4


REMERCIEMENTS

La these que Je presente est Ie fruit d'une longue periode de reflexions et de lectures, au cours de laquelle j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs personnes et de discuter avec elles sur des idees qui etaient en train de se former. Peut-etre des fragments de leurs propos se trouvent-ils transformes,

a l'interieur de

mon texte. Ie me

sens obligee de les remercier, meme si mon texte Ie fait avant moi. Plus encore que leurs textes qui hantent souvent Ie mien, leur presence a soutenu mon travail et c 'est pour cela que je veux ici leur rendre grace. Ie veux tout d'abord souligner rna dette envers Pierre Vidal-Naquet : sans son encouragement et son aide constants et les entretiens vifs et enjoues, que j'ai eus avec lui, cette these n'aurait jamais ete realisee. Ie dois aussi remercier mon directeur de these Annie Bonnafe pour m'avoir suivie avec attention et interet sincere, Iesper Svenbro pour m'avoir communique ses riches idees sur mon travail, Nicole Sels, qui n'a pas simplement corrige, plusieurs fois, mes graves fautes de francais mais qui m'a aussi suggere des changements regardant I' essence de mon texte, lngo Rath pour ses remarques pointues, Marcel Detienne et Stella Georgoudi, avec lesquels j'ai fait un certain chemin certainement fecond, dans la 7


r

periode la plus ingrate de I'ecriture de ce travail. Pour les entretiens que j'ai eu la chance d'avoir sur mon sujet, je tiens reconnaissance

a Anne Jacquemin,

a exprimer

rna

pour ses conseils concernant les

voies sacrees des sanctuaires archaiques,

a

Frangoise Laroche-

Trauneckerer, Agnes Cabrol et Guillemette Andreu-Lanoe, qui m'ont introduite dans Ie monde de I'Egypte ancienne, en me guidant dans Ie domaine bibliographique et en me procurrant leurs propres textes; et

a Aristide Antonas qui m'a soutenu en rn'aidant frequemment a elucider et a enrichir mes pensees.

tout particulierement

Je ne peux oublier l'hospitalite que m'a' offert Ie Centre LouisGernet pendant les annees ouj'y travaillais. Finalernent, je dois exprimer rna reconnaissance envers Argyris et Kaiti Giannisi, envers Dimitris et Suzana Antonakakis pour I' assistance qu' ils m'ant tous pretee.

8

c


INTRODUCTION

Au livre II de la Periegese, Pausanias visite Trezene. Et il ecrit: "La pierre qui est devant Ie temple [d'Artemis Lyciennej, est appelee 'sacree'; on dit que c'est la que

neuf hommes de Trezene ont purifie Oreste de la mort de sa mere.... Devant Ie temple d' Apollon il y a un edifice qui s'appelle la tente d'Oreste. Car avant qu'il ne soit purifie du sang de sa mere, aucun des habitants de Trezene ne Ie recevait chez-lui. Mais apres I'avoir installe la, ils lui ont fait subir une purification et ils lui ont donne a manger jusqu'a ce qu'il devienne pur. Ce qu'on a utilise pour la purification, on l'a enterre non loin de la tente et a cet endroit un laurier a pousse qui existe encore; il s'agit du laurier qui est devant la tente. On dit qu'Oreste a ete purifie par d'autres moyens aussi et avec I'eau de la fontaine" du Cheval". Car il y a aussi a Trezene une fontaine appellee"du Cheval", et Ie recit qui est fait sur elle n'est pas different de celui des Beotiens. Its disent que Pegase, Ie cheval de Bellerophon, a fait jaillir l'eau en frappant la terre de son sabot et que

9


Bellerophon etait venu

a Trezene

pour demander

a

Pitheus sa filIe Aithra en mariage, mais avant la ceremonie il fut exile

a Corinthe. "l

Dans ce passage Pausanias raconte une partie de l'histoire

a Trezene. En parcourant les rues rencontre des monuments relatifs a cette

d'Oreste, celle de sa purification de la ville, Pausanias a

histoire: La pierre sacree, la tente d'Oreste, Ie laurier, la fontaine du cheval. Il s'agit d'objets-lieux, dont chacun represente une partie du recit: Pausanias les recueille et les relie de faeon il creer la narration. Bien que d'autres monuments, relatifs il d'autres recits ou rituels, s'intercalent, Pausanias sait selectionner ce dont il a besoin pour completer ce qu'il raconte. Les monuments rencontres sur son itineraire suscitent bien sur la narration; mais

1Pausanias,

II, 31, 4-9:

Tov liE EfDt('oollev tou vaou )'lllov, xa).01Jfl£vOV OE Le(>Ov,

dVaL ).EyOVOlV E<p' 0,'; JtOtE avo('e, t(>OtJ;nvlwv EWEa 'O('EotnV Excill,,(>OV EJtl t\O qx)v<)J tii, fLnt('o,.... Too OE Le('OO to'u 'AJtoUwvo, Eonv olxOOOfLTI[1a EfDt(>OOllev, 'O('EotOtJ xa).o-UftevOv oxnv~. II('LV yil(' ,""" ti» alfLan xallaglliivaL tii, [!nt('o"

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avelvaL tilv yiiv lltyovn tOu E&ci<pov, tii oJt).ii, BeUe('e<p6vtnv oE nllelv E,

T('Ot~iiva

q>lJyelv EX

yvvalxa alt~oovta Alllgav Jta('il II LtllEW" Ko('lvllov.

Jt('LV bE yiilJ.aL ovlll1iival ol

(I1avoavlov 'EUcilio, IIe('t~ynoL"

ed. N. D. Papachatzi,

Athenes, 1976, traduction de I"auteur). Voir aussi d'autres passages similaires de Pausanias, comme celui du tememos d'Hippolyte, Paus. II, 32, 3-4 ou celui des noces de Penelope ii Sparte, Pausanias, II, 12, 1-4 et II, 13,6.

10


•

a lui, au passant, de la composer a partir de ce dont il dispose. marche au meme la trajectoire de son regard, organisent a

c'est Sa

I'aide de son esprit, les fruits de sa perception sensorielle de fa<;on

a leur donner un sens. Le recit de la purification d'Oreste nous place au creur de notre problematique sur la metaphore du chemin des paroles. Tout yest: la description d'un espace, la construction d'un parcours par la juxtaposition des objets-lieux, Ie caractere mnemonique de ces elements, l'affinite de la narration et de la description, la rememoration par la repetition du parcours, les traces materielles qu'une histoire, qu'elle soit vraie au mythique, laisse derriere elle, la lecture qui en est faite par Ie regard noetique du passant qui relie les objets et, ce faisant, cree Ie recit. La metaphore du chemin des paroles n'est pas nouvelle; elle a une longue histoire : on trouve un premier exemple de son emploi, I'epoque archai"que, dans I'Hymne homerique

a

a

Hermes, quand

Hermes parle de la "voie du chant"2 et on en rencontre les dernieres occurrences

a l'epoque hellenistique, avec Callimaque3 .

Plusieurs etudes ant ete consacrees au sujet, dont les plus importantes sont celles de O. Beckef'!, Ie chapitre que B. Snell a

2H. H. ii H., v. 451 : 01110<; itol6ii<;. Nous laissons pour I'instant de cote Ie

probleme de

Oll111 (Od.

VIII, v.74 et 480 et XXII, v. 347) bien que central dans

notre travail. 3Call. fr.l Pfeiffer, v. 25 sq. 40. Becker, Das Bild des Weges und verwandte Vorstellungen im jruhgriechischen Denken, Hermes Einzelschr. 4, Berlin, 1937.

11


consacre au "symbole du chemin"5, et les etudes de M. Durante et de A. Pagliar06 . Cependant ces etudes se sont surtout attachees a retracer I'histoire de la

metaphof(~

du point de vue de la langue (0. Becker);

B. Snell la met en rapport avec Ie developpement de la pensee philosophique, et cherche a expliquer comment la metaphore d'Hesiode (celie du chemin qui mene a I'arete ), conduira plus tard a la formation du concept de methode en tant que chemin de la recherche et a celie du concept de fins en tant que fins ethiques ou philosophiques. Enfin, les penseurs italiens etudient I' expression a cause de son appartenance a la terminologie poetique. Ce qui distingue ces etudes, quel que soit leur mente, de celie que je presente ici, c'est qu'elles n'ont jarnais ete consacrees qu'a I'un des deux volets de la metaphore, -celui qui touche a la langue, au discours ou a la poesie- et surtout a son evolution et qu'elles ne se sont pas interessees au premier volet, celui du chemin. Pour rna part, je me suis pose la question de la metaphore en recherchant tout d'abord ce qui a pu fonder I'analogie, ce qui a rendu possible la metaphore, et cela dans I'un et I'autre volet : celuii du chemin et celui de la parole. La presente etude retrace les similitudes entre ie parcours du

chemin construit (chemin architectural) et celie du discours, et plus precisement celle du chant.

5B. Snell, Die Entdeckung des Geistes. Studien zur Enstehung das europazschen

Denkens tJei den Griechen, Hamburg, 1955, pp. 320-332; trad. grecque, 1981, pp. 315-332. L 'edition anglaise: The Discovery ofthe Mind. The Greek Origins ofEuropean Thought, Oxford, 1953, ne comporte pas ce chapitre. 6Voir infra p. 82, 85.

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J'ai choisi Ie chemin construit parce que je considere la metaphore comme Ie produit d'une interaction7 : si les Grecs considerent Ie recit en tant que chemin, c'est parce qu'ils peuvent aussi comprendre Ie chemin en tant que recit et par consequent ils les construisent I'un et I'autre de faeon analogue. Les raisons qui m'ont amenee

a choisir

comme centre de la

recherche Ie chant et non Ie discours en general sont fondees sur un autre choix, celui de la periode historique. Pour montrer ce qui a rendu l'analogie possible, j'ai dfr avoir recours aux premieres occurrences de la metaphore qui se trouvent dans les textes homeriques, oil Ie mot

OLfJ.l1

par sa parente avec

OLfJ.OS;

(Ie chemin)

rassemble les deux sens de chemin et de recit et oil il est employe specialement

a propos de

I'art de l'aecte; la metaphore conceme par

consequent en premier lieu ['art poitique de l'epoque archai"que. La periode archa"ique occupe done Ie noyau de rna recherche et quand j'utilise des exemples provenant de periodes posterieures, je Ie fais en les considerant comme Ie resultat de l'evolution de formes anterieures. L'art de I'aecte est par excellence I'art de la narration et la narration est essentielle pour la formation de la metaphore, en tant qu'element constitutif de toute sorte de discours, poetique, historique, ou meme philosophique (Ie raisonnement garde dans son essence la qualite narrative meme apres Platon). En meme temps la recitation de

7Sur cela, voir B. Snell, op. cit., p. 267 de l'edition grecque: "un objet acquiert la capacite d'illuminer un autre avec l'aide de la comparaison parce que nous reconnaissons chez lui les proprietes qu'il represente a son tour".

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l'aede est toujours scandee par Ie metre, Ie rythme qUI caracterise aussi Ie chant Iyrique. L'objet de la presente etude est donc de rechercher ce qui a rendu possible, au cours de I'epoque archa"ique, I'analogie entre Ie cheminement et Ie chant et la mise au jour de ce qu'il y a de commun entre les deux. Avant de commencer il faut dire qu'il y a des structures noetiques sur lesquelles est fondee: I'evolution de la civilisation. Par structure j'entends la maniere dont les parties d'un tout sont disposees entre elles; je ne m'interesse pas, comme Ie structuralisme, it traduire la succession de ces unites constitutives 8

•

Ie n'utilise pas la structure

pour interpreter mais pour montrer la construction, que je considere comme plus importante que Ie sens que chacun peut lui attribuer (et qui d'ailleurs par definition ne peut pas etre quelque chose d'immuable). L'intellect humain cree ces structures qui s'offrent specialement it l'assimilation de ses produits. Ces structures expriment la maniere dont les produits de la civilisation s'adressent it celui qui les rec;oit. Cette maniere ne peut que contenir des elements de la capacite perceptive naturdle it I'homme. Les Grecs de I'epoque archaique reconnaissent en tant que similaires cheminement et chant parce qu'ils les comprennent d'une fac;on similaire. La similarite est attribuee aux choses par I'esprit. Chant et cheminement ont ete crees et compris sur la base d'une

8Pour une critique et une presentation du structuralisme, voir :W. Burkert, Structure and History in Greek Mythology arul Ritual, Berkeley-Los AngelesLondon, 1979, trad. grecque 1993, pp.23-37 et P. Ricreur, Temps et recit, II, Pans, 1984, pp.59-114.

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1-

structure commune, structure qui regit Ie fonctionnement de I'esprit, la maniere dont l'homme comprend et assimile. Cette structure est visible dans Ie chemin; dans Ie cas de la poesie, elle est sous-jacente.

•

Cette structure est celie de juxtaposition ou de parataxe sur une ligne. Selon B. Snell la metaphore du chemin appartient au champ des metaphores verbales 9 . L'analogie entre chemin et chant est fondee sur Ie parcours, I'action de parcourir. Un chant, une narration, un discours, sont parcourus tout comme un chemin. Ils sont traverses d'une maniere commune et tous les deux sont formes d'unites autonomes. Le fil qui relie ces unites est constitue au moyen du parcours; Ie mouvement du regard, de l'esprit ou du corps du passant est des lors homologue de la recitation, de I'ecoulement du recit par la bouche de l'aede ou meme de la creation de la narration en tant que jonction de differents episodes. La traversee forme la serie, cree Ie temps: I"'en-arriere" et I' "en avant" d'un parcours dirige vers quelque chose forme un avant et un apres, cree Ie temps de la narration. P. Ricreur note

a propos

de la relation entre recit et

parcours: "La semiotique, .... , fait apparaitre Ie recit lui-me me comme parcours. Mais, ce parcours, elle Ie tient pour Ie strict homologue des operations impliquees par la structure elementaire de signification au plan de la grammaire fonda mentaIe "10. Pour rna part, je n'ai pas I'intention de prouver une correspondance quelconque entre recit et langage, ni de me referer 9Yoir B. Snell, op. cit., pp. 264-265. lOp. Ricceur, op. cit, p. 100.

I5


au parcours pour ['utiliser comme chainon entre les deux. Par contre j'examinerai comment Ie parcours pour Ies Grecs, a ete essentiel pour I'apprehension du chant ou de la narration par Ie biais de Ia structure des unites juxtaposees, alignees. Dans mon texte j'utilise egalement Ie terme parataxe que je trouve plus adequat que Ie mot francais juxtaposition. Selon Larousse

juxtaposer signifie "poser une chose immediatement Ii cote d'une autre" et juxtaposition, "'situation d'une chose placee Ii cote d'une autre sans que rien les

st~pare",

tandis que Ie mot grec parataxe tout

en signifiant Ia disposition d'une chose de I'importance

a cote d'une autre, donne aussi

a l'idee dIe I'ordre.

Je voulais aussi mettre en evidence Ie caractere singulier de chacune : ce qui m'interesse ce n'est pas seulement cette disposition, mais aussi la notion de l'unite, en tant que "qualite de ce qui est un ". La parataxe, selon mon point de vue, est la disposition ordonnee

d 'unites, l'une Ii cote de I'autre, en serie, ayant tine sorte de vide entre elles, vide qui renforce

II~ur

singularite, tout comme la parataxe des

soidats ou des navires se pretant

a un combat naval ll .

Pour pouvoir decrire et representer Ia maniere commune dont est parcouru un chemin ou un chant, rna demarche revetira d'abord I'allure d'une etude de Iafbrme architecturale de certains chemins qui furent l'objet d'un soin SliJecial car ils appartenaient tres importants pour l'epoque,

11 Thucydide,

I, 52: 0\ OE

flÂŁ1ÂŁlOQ01J, iiO'iJxa~ov =

la,

a savoir les

a des ensembles

chemins qui conduisaient

flEV va;;, "gavlE, iJ.:n:il lii, yii, xaL 1wQala;aflÂŁvOL

"ceux-ci tirerent leurs navires areau, les rangerent au large

et ne bougerent plus" = Thucydide, I, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par J. de Romilly, Paris, 1953.

16


aux temples de grands sanctuaires archai"ques 12 . Eclairer Ie sujet du point de vue de la forme architecturale des chemins est essentiel pour mon propos non seulement parce que cela touche au premier volet de la metaphore, mais aussi parce qu'adopter ce point de vue permet de depister et de reconnaitre la structure de la parataxe dans I'univers materiel. Sur les voies des sanctuaires 13 tout comme dans I'agora ou dans les cimetieres, il est evident que la composition de I'ensemble est concue en tant que juxtaposition sur une ligne d'unites autonomes, peu importe qu'elles soient des statues ou des batiments (des tresors, des temples, des stoai); les exemples du sanctuaire d'Athena Pronaia Delphes ou de la Terrasse des Tresors

a Olympie

a

en donnent la

preuve. En cela la composition architecturale de la periode archai"que se differencie de celles des periodes anterieures, minoenne ou mycenienne. Cette ligne peut etre tout droite (Terrasse des Lions

a

Delos), mais elle peut etre egalement en boucle, comporter des embranchements secondaires au parfois former un cercle, si Ie debut et la fin du trajet suivi co"incident. C'est au parcours du passant,

a son

Regard 14 , de lier ces unites en creant la narration. Passage et 12L'importance de ces sanctuaires extra-urbains et du parcours des chemins qui les unissaient aux villes pour la formation des cites, a ete demontre recemment dans Ie livre de F. de Polignac, La naissance de la cite grecque, Paris, 1984. 13J'evite d'utiliser Ie terme voie sacree qui semble, avec l'acception qu'il a aujourd'hui, etre plutot invente par les archeologues. Sur ce probleme voir: A. Jacquernin, Ojfraruies monumentales a Delphes, These de Doctorat d'Etat, Paris I, 1993, pp. 77-78. 14Ma conception du Regard se conforrne

a celle qu'a exposee A. D. S. Antonas

dans Temps, Regard, Architecture, These de Doctoral, Paris X - Nanterre, 1992, pp. 64-108. II s'agit d'un "Regard pensant" (p. 70), "qui entreprend aussi Ie

c 17


narration ne se distinguent pas. Le chemin peut etre parcouru comme un chant. Pour controler cette hypothese, outre la disposition des voies de l'epoque archaique, des descriptions des chemins dans l'Odyssee et dans Pausanias nous serviront d'objet d'analyse.

Mais il y a plus: les unites juxtaposees sont des agalmata,

a savoir

des objets de valeur, des objets qui rejouissent I' ceil et qui ont en meme temps un grand potentiel mnemonique, elles sont des I-lvTJl-la路w. La notion d'agalma est fonda mentaIe pour la comprehension de la maniere dont etait

con~u,

decrit ou rememore Ie parcours d'un

chemin; l'analyse, en premier lieu, des catalogues epiques, rnais aussi des textes d'Herodote Ius sous Ie prisme des descriptions d'Olympie et de Delphes par Ie

Perieg(~te,

vise

a faire ressortir leur role.

La memoire joue un role-cle pour notre sujet : c'est exactement

a

cause de sa force mnemonique que cette forme du chemin est generatrice de la narration. D'autre part, l'alignement d'agalmata juxtaposes peut servir de support

a la memoire:

la vision joue alors

un role primordial. 11 existe donc des voies de la memoire et j'essaierai de prouver que les Muses, en tant que deesses ayant

a la

fois un rapport avec Ie chant et avec la memoire, sont celles qui aident Ie poete

a entrer et a marcher sur ces voies mnemoniques de la

narration et du chant. L'hypothese qui conceme la mnemotechnique est formulee d'un texte de Longin qui

a son

a partir

tour est analyse par Ie biais des

ouvrages posterieurs des orateurs romains (Ciceron, Quintilien). A la lumiere de ces donnees, j'examine d'abord l'Odyssee, poeme qui travail de completer" (p. 74). "Voir quelque chose, c'est avoir deja reagi a ce que nous venons de voir", p.81-82.

18


ayant comme sujet Ie cheminement, elabore jusqu'au bout Ie theme du parcours et de sa force mnemonique. Les conclusions tirees de cette recherche permettent d'aborder aussi Ie proeme de Parmenide et certaines odes de Pindare: la technique de la poesie orale, sa recitation mais en meme temps sa creation ne peuvent-elles avoir ete influencees par la mnemotechnique du chemin? Les catalogues, etant la representation la plus pure de la juxtaposition lineaire dans Ie cas de la narration, n'ont-ils parfois ete envisages en tant que voies ? Les questions de la trace et du rythme viennent completer et affiner notre connaissance de I'analogie entre cheminement et chant. Elles sont combinees avec la relation des deux autres dieux ayant un rapport avec Ie chant : Hermes et Apollon. Leur lien avec Ie cheminement poetique est analyse

a partir des hymnes homeriques qui

leur sont consacres. Dans mon approche de la metaphorf: je m'efforcerai donc de tenir compte de ses deux volets

a la fois, et d'eclairer I'un en se fondant sur

I'autre. Ainsi j'essaierai de montrer comment Ie chemin reel supporte la narration mais aussi, au moyen des textes, comment la narration et Ie chant ont pu prendre la formedu cheminement sur la voie des sanctuaires.


PREMIERE PARTIE

LE CHEJ..iJINEMENT DANS LES SANCTUAIRES

20


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I. Le paradigm,e des voies dans les sanctuaires archai'ques I 1. SANCTUAIRE D'HERA A SAMOS

Au sanctuaire d'Hera

a Samos, pendant la periode archai'que,

Ie sculpteur Geneleos a <Srige un monument remarquable quoique presentant de nombreuses analogies avec d'autres ensembles sculptes de la meme periode : il s'agit d'une longue base supportant six figures dont quatre existent encoreY (voir la 15la base (qui a 6.08m. de longueur et 1.93 m. de largeur) se trouve in situ. Sur 1a base de Geneleos, voir tout d'abord E. Buschor, Altsamische

Standbilder, II, Berlin, 1934, pp. 26sq. et 84sq. et fig. 90-101 et 345-350 mais aussi: E. Walter-Karydi, "Gene1eos~, AM 100, 1985, p.89-103; B. Freyer-Schauenburg, Bildwerke der archaischen Zeit und des strengen Stils, (Samos XI), Bonn, 1974, pp.143-146 et 116-130, Nr.63, Taf.51-53; N. Himme1mann, 'Zur Gene1eosgruppe beim samischen Heraion", MarbWPr 1963, pp.13-17; Uta Kron, "Kultmahle im Heraion von Samos archaischer Zeit", in Early Greek Cult Practice. Proceedings of the fifth International

Symposium at the Swedish Instritue at Athens, 26-29 June 1986, ed. R. Hagg, N. Marinatos et G. Nordquist, Stockholm 1988, pp.142-143; B.S. Ridgeway, The archaic style in Greek Sculpture, Princeton 1977, p.139; H. Kyrieleis, Fiihrerdurch das Heraion von Samos, Athenes, 1981; F. Brommer,

21


photo p. 36). Les statues sont alignees, dans differentes postures, sans connection evidente entre elles. Elles sont instal lees separement sur la meme ligne imaginaire : la premiere, est couchee sur Ie cote gauche; elle represente peut-etre la mere des cinq autres femmes qui, avec elle, ant dedie Ie monument ii Hera. Dans sa main gauche elle tenait tres probablement quelque chose, peut-etre un oiseau.'6 Sur Ie matelas oil elle repose, on peut lire cette inscription: [.... l6rn

d~ll

[:n] x'avWnxÂŁ l:nl "Hgnl17 (voir p.

28-29). La troisieme qui s 'appelle <f>lAL;r:;cn se tient debout (voir. pp. 30-31); la quatrierne se tient egalement debout et s'appelle 'Ogvll:)n (voir pp. 32-33) et la sixieme, qui occupe I'autre extremite de la base, s'appelle <f>lA.ÂŁla et elle est assise l8 (voir pp.

oder Mensch", JdI 101, 1986,92 Amn 49, pp. 37-53; H. L. Schanz, Greek Sculptural Groups - Archaic and Classical, New York-Londres, 1980, pp. 1418. 16 Selon la reconstruction de E. Buschor, op. cit., p. 27 avec laquelle s'accorde aussi B. Freyer-Scauenburg. Voir aussi G. M. A. Richter, Korai, London, 1968, No.67-68 et J. Boardman, Greek Sculpture. The Archaic Period, London, 1978, fig. 91-92. 17 E. Buschor,op. cit., p. 28 et fig. 101; ou, selon la lecture de L.H. Jeffery qui suit N. Himmelmann: [.... jvClQX1l ~f'Ea<; itvEA'jXf. t~L'HQ1IL in , L.H. Jeffery, The local scripts ofancient Greece, (=Scripts), Oxford, 1990, p.329. Vne bibliographie sur la plupart des reuvres portant des inscriptions, qui vont nous occuper ala suite de la presente etude, se trouve dans Ie meme ouvrage; elle est citee dans les catalogues de chaque region, et sera indiquee ainsi : Scripts, cat. p. 341, n.6, (pour Geneleos). N. Himmelmann pense que la statue couchee est un homme qui tient dans sa main une coupe, que la statue assise represente sa femmel, et que les autres quatre sont leurs enfants. E. Buschor, en revanche, est de I'avis que la statue couchee est une femme, probablement une pretresse d'Hera.

22


34-35). La deuxieme et la cinquieme statue l9 , qui devaient probablement aussi etre debout comme on Ie suppose Ii cause des traces sur la base, n' ont pas ete retrouvees. Le monument est place Ii la droite du chemin qui, prolongeant la voie qui vient de [a ville, conduit au temple d'Hera (voir la planche p. 27). Nous connaissons cette voie Ii cause des fouilles effectuees sur place par l'lnstitut archeologique allemand

.20

La dedicace et la signature du sculpteur Geneleos, (sur Ie

chiton de Phileia, la statue assise:

"n~l('i<; e;roLnoE rEVO.EUl<;"),

sont

ecrites de droite Ii gauche; de meme, Ie nom de Philippe et Ornithe - mais Ie nom de la derniere femme, Phileia, est ecrit verticalement de gauche Ii droite sur sa chaise. Ne peut-on penser que Ie sculpteur, qui selon toute apparence n'etait autre que Ie scribe, a voulu jouer de cette orientation de l'ecriture? Si, devant cet ensemble de statues alignees et raides, on concevait Ie mouvement comme mis en branIe par Ie regard du visiteur-Iecteur, ne pourrait-on imaginer que les premieres inscriptions, qui, en quelque sorte suivent Ie sens de la visite, accompagnent I' arri vant Ii son entree dans Ie sanctuaire tandis 18 Les trois statues (ceUes de <t>,),Ela, <t>,Urrrrn, et ... OXll) sont aujourd'hui au

musee de Vathi,

a Samos,

tandis que '0(?\'l8n est

a Berlin

(Pergamon-

Museum). 19La

cinquieme statue, selon E. Buschor, est un homme, Ie frere des trois

fiUes qui sont debout, au Ie mari d'une d'entre elles. 20Selon I'!nstitut: "Ia voie a ete pour la premiere fois daUee pendant l'epoque de Septime Severe. Au quatrieme siecle, les murs nord et sud du peri bole enfermaient la voie dans Ie sanctuaire": M. Caskey, "News letter from Greece",in : AlA 85 (1981), p. 459. Voir aussi H. Kyrieleis, op. Cit., pp. 118-120 et n. 27.

23


que la derniere (nom de Philippe) inviterait

a une pause devant Ie

monument (a cause de son sens) avant de passer son chemin? Dne telle remarque ne reviendrait-elle pas

a admettre

une sorte

de lecture de l'espace dle la voie qui mene au sanctuaire,

a partir

d'une syntaxe qui aligne des textes et des sculptures? Si c'etait Ie cas, il s'agirait d'une veritable mise-en-scene organisee dans I'espace

a la maniere d'une narration:

avec un debut, un milieu

et une fin. Dans cette narration, tout a un role: les postures des statues (couchee, debout, assise), leurs noms ("Ornithe", "petit oiseau", et "Philippe", I"'amie des Chevaux") et les objets qu'elles tenaient dans leur main (oiseau). S'approcher d'un sanctuaire serait done entreprendr,e une lecture particuliere de I'espace qui dechiffre les inscriptions et les statues alignees, concues comme evenements rnnemoniques. Les arcMologues Ollt etabli qu'3o l'epoque,21

a I'interieur du

sanctuaire d'Hera, de longues files de statues votives dont il nous reste encore des exemJPles, bordaient les rues des deux cotes. Ainsi, en suivant par exemple la voie vers Ie temple, juste apres la base de Geneleos et sur la meme ligne, on rencontre une autre base, presque rectangulaire. Elle porte les restes des deux pieds en position de marche d'un kouros de marbre, datant de la deuxieme moitie du sixieme siecle 22 . La plupart des kouroi et des korai alignes portent des dedicaces inscrites sur leur corps: selon L.H Jeffery, "c'etait

21 D'apres H. Kyrieleis, ibid., p. 128, les statues datent de la premiere moitie du 6 e siecle, entre 560 et 550 avant notre ere. 22H. Kyrieleis, ibid., p. 122 et n. 29.

24


evidemment une pratique ionienne, que de graver l'inscription sur la statue elle-meme plutot que sur sa base".

23

Les plus connues des statues inscrites ont-ete offertes par un certain Cheramyes

a Samos: il s'agit de deux femmes drapees, et

des fragments d'un kouros colossal. La premiere statue de femme date de la periode 570-560 av.J.-C. et sur son voile on peut lire l'inscription suivante:

"Xnga~1Jn,; ~' aVESnXEV T' nglll ayaA.~a".24

La seconde, naguere au Musee de Berlin, et datee des environs de 550 av. J. C., portait elle aussi une inscription hexametrique sur

son voile. Entin, Ie kouros date du troisieme quart du sixieme 25

siecle, vers 540 av.J.-C. et l'inscription qu'on peut lire sur sa jambe est la suivante: ayaA.~a".

"[XllQal~1Jn,; ~' aVESn[XE SEnl ltEglxanlE~

26

Les statues archalques de Samos sont des reuvres monumentales, portant des dedicaces et des signatures sur leur base ou sur leur corps-meme, qui s'alignent sur les cotes d'une voie appartenant

a

un temple archalque. Cette typologie

caracterise une grande partie des voies des sanctuaires fouillees datant de la meme periode. S'agit-il d'une simple coincidence? Le fait est Ie suivant: Les offrandes alignees et inscrites

23 Scripts. p.328. 24 Ibid., p.328, et cat. p. 341, n. 4; E. Buschor, op.cit., p.25f; G.A. Richter, Archaic Greek Art against its historical background = AGA, New York, 1949,

p.103. 25 Scripts, p. 329; E. Buschor, Neue Beitrage, 1954, p. 97. 26 Scripts, p. 329,et cat. p. 341, n. 7; E. Buschor, Altsam. Srandbilder, p. 12 et Neue Beitrage, p. 97 ff.; Ch. Karouzos, Epitumbion Tsounta, 1941, p. 539=(UqJLxaJJ.ÂŁ, ifraA!La-i~E.?TO{77t7'oiJx aliad,), Athenes, 1946, p.7.

25

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constituent un point commun

a beaucoup

de sanctuaires; elles

connotent l'existence de la vaie et elles la font apparaitre camme telle. Ces chemins conduisant au temple d'une divinite sant consideres comme signifiants par les gens qui les parcourent27 , 27E. Curtius, qui a publie I'etude qui demeure jusqu'aujourd'hui la plus

complete sur les routes grecques (E. Curtius, "Zur Geschichte des Wegebaus bei der Griechen", Abhandfungen der K.

Preub. Akademie des

Wissenschaften, 1854) pense qu'il s'agit des voies les mieux soignees: "Ce sont les voies conduisant aux temples qui furent les premieres carrossables. II ne s'agissait pas seulement de faciliter l'acces aux visiteurs des sanctuaires ... mais aussi de repondre a des necessites de culle". (Le passage que nous citons est traduit par P. de Broche dans son article "De l'importance de la voirie dans Ie mythe d'<Edipe selon Ernst Curtius" , Connaissance Hellenique

'0 ).11<'1'0;'

N. 28, juillet 1986, pp. 39-61.) De ces voies, qui sont souvent appelees par les

archeologues "sacrees", les plus importantes etaient celles qui conduisaient a Delphes, celie qui hait Athe:nes

a Eleusis, et celie, dont on va s'occuper a la

suite, qui partait du Delphinion de Milet pour arriver au Didymaion. Sur les divers "voies sacrees", voir tout d'abord la presentation d' A. Jacquemin, op.

cit., pp. 75-79, qui part de Delphes avec la complete bibliographie pour reviser rapidement tout Ie sujet. Sur la voie eleusinienne voir: F. Lenormant,

Monographie de fa voie sacree Efeusinienne, Paris, 1864; J. Travlos,Bidfexicon zur lOpographie der Antiken Attika, Tiibingen, 1988, "Heilige Strasse": pp. 177-190 et Bidlexicon zur lOpographie der Antiken Athen, Tiibingen, 1971, "Panathenaischer Weg": pp.422-423; K. Kourouniotis, J. Travlos, "'Avuo"uq:al J. Travlos,

"'Avuo"uqJUl

'[Egut;

Alexandri, ~HElJolvu",

'[EgUt;

'O/iot;", UAF 1936, pp. 27-34;

'Olioli",

Kourouniotis, J. Travlos, "'Avuo"uq:al

1. Travlos, "'Avuo"ucpul

'[Egat;

'[Egat;

'Olioli",

UAF

1937, pp.34-41; K.

'O/iot;", UAF 1938, pp. 28-34;

UAF 1950, pp. 122-127; O.

'Apxaw).ortxd 'A''til.E'xm

4'

'AI.#/I1'o1'2

(1969), pp. 323-

328. Sur Ie reseau routier grec en general, voir aussi: W. K. Pritchett, The

Greek State at War, Pan III, California, 1979; E. Kase, "Mycenaean Roads in Phocis, AlA 77 (1973), p. 74-77; J H Young "Some Attic Roads", AlA (1955), p. 175; H. Fracchia, "An Ancient Route in Southeastern Loucania",

AlA 90 (1986), pp. 441-445; J. Young, "Greek Roads in South Attica",

26


comme vont l'etre aussi les chemins conduisant a l'agora, ou ceux des cimetieres. Et parce que la periode archalque porte en elle tous les germes qui, developpes plus tard, vont marquer la civilisation de la Grece ancienne, nous allons d'abord examiner quelques exemples caracteristiques de ces voies.

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Antiquity 30, (1956), pp. 94-97; 1. Treheux, "Une nouvelle voie thasienne", BCH LXXIX (1955), pp. 427-43; Y. Tzedakis, St. Chryssoulaki, Y. Venieri

et M. Avgouli, "Les routes minoeenes: Le paste de XOll'O!'UVCl'€£ et Ie contr61e des communications", BCH 114 (1990), pp. 43-65.

27


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36


I 2.

SANCTUAIRE D'APOLLON A DIDYMES

Nous rencontrons cette typologie d'alignements de statues de chaque cote de la voie, dans d'autres sanctuaires de la Grece ionienne:

a Milet, -au sanctuaire d' Apollon de Didymes-, a Delos,

et probablement au Sounion", au sanctuaire de Poseidon. En Grece continentale il yale sanctuaire du heros, au Ptoon de Beotie, et

a cote celui d' Apollon, qui est un peu posterieur;

dans

Ie Peloponnese, Ie sanctuaire d'Olympie, et dans Ie Dodecanese, Ie sanctuaire d' Athena Lindia

a Rhodes.

A Milet, la voie sacree qui conduit au sanctuaire d' Apollon didymeen, "etait decoree aux abords du temple, de statues et de monuments : bon nombre de ces statues sont restees en place jusqu'en 1858"29, date

a laquelle C.T.

d'entre-elles en Grande Bretagne.

c.T.

Newton a emporte douze Newton avait visite pour

la premiere fois Ie site en 1857 (voir ses planches dans les pages 45,46-50). "La ligne de la Voie", ecrit-il, "etait bornee de bases, statues, et sarcophages; ... A 275 metres du temple, elle se signale par une ligne de crete qui descend vers Ie nord-ouest. ... Au sud de cette ligne de crete Ie sol forme sur une certaine distance une plate28 Cf. AGA, p.8 : "De nombreux statues en marbre ont ete trouvees dans une fosse profonde, situee it I'est du temple de Poseidon.

n s'agit des kouroi qui

etaient probablement places commes offertes dans Ie temenos du <lieu". 29 B. Haussoullier, Etudes sur ['histoire de Milet et du Didymeion, Paris,

1902, p.156.

37


forme ou terrasse. Au nord, Ie sol s'enfonce en creant un creux.... Tout au long de la voie on peut retracer la

ligne continue du mur devant lequel les statues avaient ete placees

a intervalles.

Elles etaient enterrees : pour

certaines seule la base du cou etait visible, pour d'autres Ie SOli n'atteignait que Ie giron".30 Selon B. Haussoullier, la voie sacree etablissait la liaison entre Ie Didymeion et Ie port de Panormos, car, jusqu'au deuxieme siecle de notre ere, "Ies Milesiens se sont rendus

a Didymes surtout par

voie de mer. ... Panormos etait Ie port principal de Didymes, celui ou de lourds vaisseaux de charge deposaient Ie marbre, ... , celui ou debarquaient les pelerins de Milet. De Panormos au sanctuaire montait en pente douce un chemin long d'environ 4 km, la Voie Sacree, que rejoindra au deuxieme siecle .. la route ouverte

par Trajan.

Toute

la

soigneusement entretenue ... Parvenue

VOle

etait

a Didymes,

la

Voie sacree longeait Ie long cote N. du temple et, toumant

a

droite, debouchait devant la facade

principale. "31

30 C.T. Newton, A history ofdiscoveries at Halicamassus, Cnidus and the

Branchidae, London, 1863, vol. II, part. II, p. 529; Voir aussi les planches LXXIV-LXXVI, dans Ie vol. I. . 31 B. Haussoullier, ibid., p. 155-156.

38


Plus tard, I'empereur Trajan a juge "necessaire au culte d' Apollon Didymeen et utile aux Milesiens la construction d'une route entre Ie sanctuaire et la ville." Neanmoins l'inscription de la confrerie des Molpoi, qui date du cinquieme siecle avo J.C., mentionne tout au long de la rue qui mene de la ville de Milet

a Didymes des sites et des points ou les

membres de la confrerie devaient s'arreter pour executer des danses, des chants et des libations: fait qui prouve bien l'existence d 'une voie

a cette

epoque 32 • Les archeologues allemands ont

degage une tres grande partie de la dite voie sacree (voir

a titre

d'exemple la planche p. 47).3' Selon eux, la voie apres aVOlr traverse toute la peninsule milesienne, arrive

a la mer,

32La stele meme date du milieu du He siecle avant notre ere, mais I'archonte eponyme rHere (Philteas, 1.1) exerera sa fonction en 450-449 avo J.-C. Voir la publication de I'inscription dans : F. Sokolowski, Lois sacrees de l'Asie

Mineure, Paris, 1955, n. 50 et aussi dans W. Dittenberger, Sylloge 1nscriptionum Graecarum, 3e ed. 1915, reimpr. Hildesheirn 1982, n. 57. L'inscription a ete I'objet de plusieurs etudes du point de vue cultuel. Voir, a titre d'exemple, les plus recentes: F. Graf, "Das Kollegium der Molpoi von Olbia", Museum Helveticum, 31 (1974), pp. 209-215 et id., "Apollo Delphinios", Museum Helveticum, 36 (1979), pp. 2-22. 33 Sur Ie trace de la voie : Th. Wiegand, Didyma, Berlin, 1941, p. 156-160; C.T. Newton, op.cit.; E. Pontremoli-B. Haussoullier, Didymes. Fouilles de

1895 et 1896, Paris, 1904; B. Haussoullier, "La Voie Sacree de Milet a Didymes", in: Cinquantenaire de /'licole des Hautes etudes. Sc. Hist. et Phil., Fasc.138, Paris, 1921; B. Haussoullier, ibid.; K. Tuchelt. Vorarbeiten zu einer Topographie von Didyma, Ttibingen, 1973, pp. 16-22; id. "TempelHeiligtum-Siedlung- Probleme zur Topographie von Didyma", Neue Forschungen in griechischen Heiligtiimem (1976), pp. 207-217; id. "DidymaBericht tiber die Arbeiten der Jahre 1980-1983", 1stMitt 34 (1984), pp. 214225; P. Schneider, "Zur topographie der Heiligen Strasse von Milet nach

39


"au port de Panormos ou juste au nord de celui-ci. De Panormos, la voie court vers Ie sud-est, sur une longueur de 3.5 km ... A 300 m. au nord du temple d'ApolIon, la Voie Sacree atteint Ie peribole du temenos didymeen. Des Ie debut il y avait sans doute une sorte de porte ou de structure d'entree"34 . Mais, pour Ie moment ce qui nous interesse, c'est la derniere portion du chemin, celIe qui se trouve

a proximite

du temple

(voir la planche de la p. 44, qui montre I'etat des lieux en 1812). Le cas de la voie sacree de Milet est unique puisqu'elIe possede un grand nombre de monuments inscrits, dont la plupart est constituee par des groupes. II y a plusieurs types de statues: "Gorgone sur un bloc angulaire d'une frise; statues assises de Milet et des Branchides; buste de kouros, statuette de kouros ebauchee; kores; tete de kouros; fragments de kouroi; lions, etc. Ces reuvres du milieu du VIe siecle environ, de meme provenance, presentant les memes caracteres de style, justifient I' existence d'une ecole de Milet originale, que caracterisent les proportions lourdes et trapues, Ie modele bouffi et mou des corps, sans solide musculature, la forme arrondie

Didyma", AA 1987, Heft 1, pp. 101-129 qu'examine aussi 1es toponymes de l'inscription de Mo1poi; et K. Tuche1t, P. Schneider, Th. Schattner, H. - R. Baldus, "Didyma - Bericht tiber die Ausgrabungen 1985 und 1986 an der Hei1igen Strasse von Mi1et nach Didyma", AA 1989, pp. 143-217. 34 J. Fontenrose, Didyma, Berkeley, 1990.

40


des tetes, la coiffure masculine rejetee en arriere, que l' on voit aussi sur les vases ioniens". 35

Chronologiquement les sculptures se presentent ainsi : D'abord un ensemble que les fils d'Onon (ou de Python, selon d'autres savants), ont dedie

a Apollon. 36 Du groupe

il ne reste

qu 'un lion qui porte sur Ie dos la dedicace: TO. aya)qWtc1 1a/)£ aveBeoav Ot IT':'Bwvo,; rrai/)£,; 1Ul 'AQXllYO eaAn,; xal ITaoLxAn,; xal 'Hynoav/)Qo,; xal ....OLO,; xal 'Ava!;lt..£w,; /)EXa111V 1UlL 'A;roAAlUv... 37 Ce lion est representatif de la sene des lions milesiens; ce sont des reuvres naturalistes, dont Ie type, selon L.H. Jeffery, "est emprunte

a un modele egyptien"'.

J8

Les memes animaux etaient

a

la periode archaique un theme de sculpture frequent dans un grand nombre de villes ioniennes; nous Ie retrouvons

a Teos,." a Delos'l.

a Phocee,39

L.B. Jeffery date Ie lion de Milet

"des

premieres annees du sixieme ou meme du septieme siecle",42 Ensuite vient un groupe sculpte par Terpsicles et dedie par les fils d' Anaximandros; "seule une partie de la base a survecu; sa

35 W. Deanna, op. cit., pAl. Voir aussi : K. Tuchelt Die archaischen Skulpturen von Didyma, Berlin, 1970 ; id. "Zwei Gelagerte Gewandfiguren aus Didyma", RA 1976 (=Festschri/t R Demargne), pp. 55-56. 36 Scripts, cat. p. 342, n. 22. 37 Th. Wiegand, Didyma, Berlin, 1958, n.1. 38 Scripts, p. 333. 39 W. Deanna, op.cit., p. 50-51, "fragment archalque semblable aux lions trouves aDelos". 40 W. Deanna, ibid., p. 51 : "lion archalque, ..., dont Ie style rappelle celui des lions de Milet et de la frise du tresor des Siphniens a Delphes". 41 Les lions alignes devant Ie lac sacre. 42 Scripts, p.332.

41


longueur (2.1 m.), nous laisse supposer que Ie travail de Terpsicles devait comporter plus d'un personnage."·J L'inscription est la suivante:

"Oi

'A va~L,Lavb!,>o ;wlbE;

1Oi!

Mavbgol-ta;do' cdvE8wav. E.,"l:OlllOE bE TEQ\jJLXAn;.""

Le troisieme groupe est aujourd'hui perdu; la dedicace en boustrophedon comme les precedentes, etait inscrite sur la chaise: "'EQ/l-t1l0LaVCti; fJ,LEa; av:WnxEvl ....1Um:OnWVL. "45

Avant Ie demier

mot "il y avait un certain nombre de lettres, qui different suivant les transcriptions ... de Gell, Leake et Cockerell, et qui n'ont jamais ete lues d'une maniere satisfaisante."46 Du groupe suivant, nous possectons des fragments d'un kouros colossal, sur la cuisse duquel on lit :

"100<b.>E

10; avbQLaV1[a;]

1 [AahI-tLOL aV[E8E)oav 1 TlCtACtI-tLa; t.W<QL>EWV 0 .. 1... ",47 L'reuvre

a une forte ressemblance avec Ie kouros de I'Heraion. Ensuite nous avons un personnage assis. Selan L.H. Jeffery il date du milieu du sixieme siecle, vers 560-550 av.J.-C.48 Sur Ie bras du fauteuil auquel est appuye Ie bras de la statue, on peut lire:

"E[u)bnl-to; I-tE €JWlEV".49

A"'~p (JPAI~~~ TOMAN6DOMA~'j

OIANA"fIM

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43 Scripts, p. 332. 44 Th. Wiegand, op.cit., n. 2.

45 Scripts, cat., p. 342, n.25; Th. Wiegand, op.cit.,n.9; C.T. Newton,op.cit., vol.lI, Part II, p. 780. 46 C.T. Newton, ibid, p.780. 47 Th.Wiegand, op.cit.,n. 12.; Scripts, cat., p.342, n. 26. 48 Scripts, cat. p. 342, n. 27. 49 Th. Wiegand, op.cit., n.5; C.T. Newton, op.cit., p.783, n.71, pI. XCVII.

42

~


Sur une autre statue assise est inscrit :

"xu(JYJC; EiflL

0

K).!'OLOC;

On suppose que

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Chares appartenait

a un groupe lui-aussi, a cause de I' inscription

des Molpoi ou il est dit que la demiere station de la procession avant Ie temple d' Apollon etait

";ra(Ja XUgElIJ CtVb(JLCWLV".51

Toutes les statues assises "etaient placees sur une ligne qUI courait du sud-est au nord-ouest"." Le visiteur pouvait ainsi avoir d'abord une vue d'ensemble de ces personnages et puis lire les inscriptions une par une, tandis qu'il empruntait la demiere partie de la voie menant au sanctuaire.

50 Scripts, cat., p. 342, n.29; Th. Wiegand, ibid., n.6; C.T. Newton, ibid.,p. 784, n.72, pI. XCVII. 51 F. Sokolowski, Lois sacrees des cites grecques de l'A3ie Mineure, Paris, 1955, nO.50, 1. 30. 52 C.T. Newton, op.cit., p.533.

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I 3. DELOS

De la meme epoque, ou meme d'une epoque un peu anterieure (environs de 600, dernieres annees du VIle siecle)" date I'amenagement d'une voie sacree similaire, celle de Delos. II s'agit de la celebre Terrasse des lions, oU,dans un quadrilatere mesurant environ 64.20 m. dans sa plus grande longueur (NordSud), et dont la plus grande largeur, atteidre 23 metres

a peu pres,

a I'extremite Nord,

devait

se rangeaient sur une file unique,

parallele au plus ancien mur de soutenement A, des lions tailles dans Ie meme bloc que leur base." Deux murs de soutenement Nord-Sud separent la Terrasse proprement dite (a l'Ouest) de la large avenue qu'elle domine. "Les lions avaient la tete tournee vers I'Est, dans la direction du lac. Ce sont tous des males.... En combinant tous les fragments, on trouve que Ie nombre total des lions etait dans I'antiquite de neuf au minimum; mais d'apres les indications que donnent les journaux de fouille sur I'intervalle separant les lieux de trouvaille des fragments (environ 3.20 m.), iI a pu y en avoir seize. "'55

53 H. Gallet de Santerre, La Terrasse des lions, Ie Lemon et Ie monument de Granit, (=Terrassej, Paris, 1959, p. 34, n.lO. 54 Terrasse, p.23 et p. 26.. 55 Ph. Bruneau et J. Ducat, Guide de Delos (=GDj, Paris, 1983, pp. 171174.

c

51


Selon H. Gallet de Santerre, la Terrasse des lions, dominant Ie lac ou Leto donna naissance

a Apollon

et Artemis, etait liee

a

Leto. A cause de la lIlature du marbre employe et du style, on a attribue cette offrande aux Naxiens. 56 "La Ter:rasse est donc un des ensembles les plus considerables dues aux Naxiens dont I'hegemonie se manifeste

a Delos par de

multiples indices... Bien que

les animaux presentent entre eux des differences individuelles assez notables, il est hors de doute qu'ils sortent tous d'un meme atelier et que leur disposition repond

a un

plan soigneusement etabli : tous furent

eriges en meme temps ou, du moins, sans grand intervalle, ii la suite d'une 'commande' unique; mais no us 19norons quelle circonstance motive la consecration d'une offrande aussi majestueuse. S'il en est ainsi, la mise en place des lions dut preceder d'un demi-siecle environ, et peut-etre davantage, la construction du Temple de Leto, auqueI la Terrasse conduisait... De I'archaisme

a la

fin de l'antiquite, la

Terrasse elle-meme ne subit que des modifications de caractere secondaire,... , mais ses abords immediats ne furent pas semblablement respectes. Vne ordonnance tres stricte avait preside

a l'installation de I' ensemble

:

comme on sait les fauves s'alignaient parallelement au soutenement archaique (A) et au plus ancien quai du 56 Ch. Picard, Manuel d'archeologie grecque, La Sculpture, tome I Paris, 1935, p. 419; W. Deanna, op.cit., p.72, n.2; Terrasse, p. 34.

52


lac, et il y avait en definitive deux larges VOles paralJeJes, dirigees sensiblement Nord-Sud

a deux

a I'Est et en contre-bas Ie long du lac, la Terrasse proprement dite a J'Ouest et a un niveau plus eleve. La berge, barree en partie a son niveaux differents, la berge

extremite meridionale par Ie mur transversal A', ne devait pas alors servir d'acces principal au hieron: c'est sans doute par la Terrasse qu'on y entrait surtout. ... Plus tard, ... , la berge du lac est devenue la grande artere reliant Ie sanctuaire aux quartiers Nord de la ville. "57 H. Gallet de Santerre, pour expliquer la presence de cette voie, a emis J'hypothese qu' "une partie au mOillS des fideIes, au lieu de debarquer sur J'emplacement du futur 'port sacre', pres du hieron principal, touchait terre

a Skardhana,

puis

defilait au pied des fauves et sous leur protection, avant d'atteindre Ie sanctuaire".58

a leur droite la serie des a leur gauche "Ia vue

En entrant ainsi, les visiteurs avaient lions qui regardaient vers eux, et

entierement libre sur Ie lac et ses rives sacrees".59 D'apres les resultats des fouilles, "Ia Terr21sse n'etait pas seulement une sorte de

dramas monumental precedant Ie Letoon; elle faisait

57 Terrasse, p.35. 58 Ibid, p.34. 59 ibid, p.34.

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53 (


integralement partie du domaine de Leto, cette

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8nQwv, puisque une meme enceinte (Ie soutenement A auquel fait suite au S.-E. Ie mur transversal A') les enfermait" .60 Cette hypothese n'a pas ete unanimement admise; Ph. Bruneau a argumente contre Ie debarquement

a Skardhana,

en concluant

que des Ie debut, ce debarquement se faisait au "port sacre", lieu meme ou il se fait encore de nos jours'" Selon lui, la rangee de lions constituait "Ia cloture sculpturale du Temenos vers sa limite occidentale" .., Plus tard P. Courbin, s'interrogeant sur Ie meme sujet, partage I'hypothese de H. Gallet de Santerre sur Ie debarquement

a Skarclhana, tout en contestant ce qu'il considere

comme point faible de son argumentation: l'appartenance de la

a Leto. Son argumentation semble assez convaincante pour lui Ie mouillage a Skardhana est parfaitement possible non seulement a cause du regime des vents et des courants favorables aux mois de fevrier, mars et mai ou avait lieu Ie pelerinage a Terrasse

63

:

Delos, mais aussi parce que la baie etait abritee des vents du nord et de nord-est; de meme, pour lui I'alignement des lions n'aurait

60 ibid, p.34; voir aussi, H. Gallet de Santerre, Delos primirive er archarque, Paris, 1958, p. 226-227. 61 Voir Ph. Bruneau, "Deliaca VI", BCH 111 (1987), pp.327-33I. 62 Ph. Bruneau, "Deliaca VIII", BCH 114 (1990), pp.553-591 et speeialement p.574. 63 P. Courbin, "La baie de Skardhana a Delos", in EYIvIOYIIA-Ceramic and iconographic srudies in honour of Alexander Cambiroglou, Mediterranean archaeology suppl.l, Sydney 1990, p.47-54.

54


aucun sens si on n'admet pas Ie debarquement a Skardhana. SeIon lui "Ie futur 'port sacre' fut creuse au premier quart du

VIe siecle avo J.-c.... Le changement ne s'est pas fait d 'un seul coup, puisque encore vers 530 la premiere porte du Letoon fut ouverte a I' ouest, sur I' ancienne voie d'acces'''.64 Mais alors OU conduisait cette rue monumentale ? "II faut se rappeler, ce qu'etait a I'epoque l'etat des lieux.... Le mole du port sacre, la stoa coudee, les oikoi Nord, Ie Letoon, Ie peribole des Douze Dieux, Ie tTesor Ouest, Ie plus ancien, et bien entendu, Ie Porinos Naos n'existaient pas encore. En fait d'elevations, il n'y avait guere que Ie temple naxien d'Apo!lon et I' Artemision, peut-etre la chape!le G, les deux semata, I'autel des comes, sans doute deja quelques offrandes exterieures, dont Ie Colosse et la Terrasse des lions, avec son mur de soutenement et Ie mur ancien qui longeait Ie lac en contre-bas. A cette epoque done I'alignement de lions ne pouvait pas 'conduire' au temple de U:to, qui n'existait pas; mais sa direction est tTes precise: d'un cote vers Ie fond de Skardhana, et de I'autre, ... , non pas vers Ie temple naxien, mais vers I' Artemision, ... Les fauves, extremement plats, ne paraisssent guere etre faits pour etre vus de face: c'est de cote, comme sur un fronton, ou de trois-quarts, 64 P .Courbin, ibid., p.53-54.

c

(

55


qu'ils montrent leur caractere et leur beaute. On doutera donc qu'ils aient servi de fond au sanctuaire de Leto-, ..., ils sont d'ailleurs nettement decales vers Ie sud: vers Ie sanctuaire. Quant

a l'espace qui s'etend au

pied de la terrasse, quel serait son role, ... ? Coince entre deux obstacles naturels, les premieres pentes de la colline et la rive du lac, ouvert

a ses deux extremites ...

jamais construit, cet espace se detinit tres exactement comme un couloir, ...Ie terrain domine par les lions etait par nature un lieu de passage, entre Ie port et Ie sanctuaire. "65 Les lions ne sont pas les seules pieces de sculpture archaYque que nous possedons

a Delos.

De la periode des origines de la

sculpture archaYque datent encore sept statues. Trois sont attribuees

a Naxos a partir de leurs inscriptions, et les autres leur

ressemblent suffisamment pour qu'on les dise aussi naxiennes.

66

L'ex-voto de la Naxienne Nikandre, statue plate comme taillee dans une planche, est la plus ancienne kart cycladique.

67

I1 reste

encore six kaurai; pour l'un d'eux l'inscription d'Euthycartides est conservee : sur Ime grande base triangulaire grossierement omee d'une tete de Gorgone, d'une de belier et d'une de lion, est gravee la dedicace :

"'EueuxaQ,lbll~ ~'

avellEXE 6 N<i1;LO~ ;rOLeoa~".68

65 P. Courbin, ibid., p.52-53. Sur Ie sanctuaire d'Apollon d'un point de vue urbaniste, voir: A. Papageorgiou-Venetas, Delos: Recherches urbaines sur une ville anrique, Miinchen, Berlin, 1981. 66 GD, p.56-59. 67 !D, n.2. 68 Ch. Picard, op.cir., p.212; !D, n.1.; GD, p.59.

56


Mais Ie morceau Ie plus important et peut-etre Ie plus enigmatique, c'est Ie Colosse des Naxiens

69

;

la position des

avant-bras de la statue (un kouros d'environ quatre fois la taille naturelle) suggere qu'elle tenait dans une main l'arc et dans l'autre la fleche; il s'agirait donc d'une statue d' Apollon. La base, placee contre Ie mur nord de I'Oikos des Naxiens, porte deux inscriptions; la plus ancienne 70 dit : "[T]W U1JTW AlBo E[LL avliQLix; xul TO OCPEAU;" .71

(10

J e suis du meme marbre : la statue et la

base. ") Du sixieme siecle on a finalement un groupe de provenance naXlenne, un de provenance parienne, et des korai, mais leur emplacement dans Ie sanctuaire

a I' epoque

reste

incertaine et ne temoigne pas du meme ordre austere que la Terrasse des lions. 69 GD, n.9, p.125-128.

70/D, nA.

71 Selon Ie GD, "I 'inscription enonce une enigme.... Est enoncee vraie une proposition dont chacun peut verifier a loisir la faussete." (GD, pol27). P. COUlbin, de sa part, ecrit que Ie choix n'est plus rMuit a "du meme marbre" ou "du meme et unique bloc"" mais : "d'un bloc chacun" (a savoir de deux blocs enormes dont on eut pu i:tre fier a I'epoque) : P. Courbin, "L'inscription archalque du colosse naxien a Delos", in Melanges helleniques ojji!rts ii Georges Daux, Paris, 1974, pp.57-66, repris dans EYMOYIIA, Op.Cil. Mais

la these la plus convaincante, sinon la plus simple, est cel1e qu'a presentee F. Chamoux, ("L'epigramme du Colosse des Naxiens a Delos", BCH 114, 1990, pp. 185-186) et dont j'ai suivi la traduction: "...comprendre... I'expression '10'0 autO'D A.iflot'路 de la fa<;:on la plus traditionnel1e et la plus conforme a la grammaire, c'est a dire 'du meme marbre' provenant de la meme carriere. II n'est pas necessaire de supposer qu'il s'agit du meme bloc... la statue et sa base... ant ete tail1ees dans Ie meme marbre naxien". Voir aussi : Ph. Bruneau, BCH 112, 1988, pp. 577-582 et A. Hermari , IOLe Colosse des Naxiens a Delos", REA 95 (1993): Hommage ii 1. Marcailel, pp. 11-27.

57


Dans l'exemple de Delos, la voie n'est pas bordee de batiments ou de murs qui la dessinent; ce qui la determine, outre Ie dallage sur Ie sol, c' est l'existence des elevations, mais des elevations dispersees: edifices et offrandes, comme c'est Ie cas aussi au sanctuaire d'Hera a Samos. 11 parait qu'a l'epoque archalque, les monuments aussi bien que Ie paysage, avaient une relation avec Ie mythe d'Apollon, tel qu'il est conte dans la partie delienne de I'hymne homerique en son honneur. Les lions constituent un element a eux-seuls. 11 y a aussi Ie lac avec Ie palmier, la mer, Ie Cynthe, l'Oikos des Naxiens, l'autel des comes, mais aussi Ie Colosse des Naxiens, representant probablement Ie dieu, tenant dans une main l'arc et dans l'autre la fleche. Le visiteur entre ainsi dans l'espace d'une narration qu'il peut creer en liant ces differents objets rnnemoniques; et a cote de l'histoire mythique coexiste l'histoire humaine par la presence des reuvres monumentales, veritables exploits dont la plupart conte la puissance et la richesse de l'ile de Naxos et de ses habitants, individus bien reels, a l'epoque.

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4. SANCTIJAlRE DU HEROS AU PTOION

Les sanctuaires qui vont nous occuper maintenant se situent au Ptoion de Beotie sur deux sites tres proches !'un de I'autre : celui de Kastraki ou se trouve Ie temenos du heros, et celui de Perdikovryssi ou se trouve Ie sanctuaire d' Apollon. A partir du caractere des offrandes on a pu etablir une difference constitutive entre eux : Ie sanctuaire du heros est visiblement "municipal" puisque les trepieds consacres

a Kastraki a I' epoque archalque Ie

sont "par les citoyens d' Akraiphia", tandis qu'il en va tout autrement chez ApolIon, ou il y a "une proliferation de 路1' offrande individuelle", qui est representee surtout par des

kouroi. 72 Voyons Ies choses de plus pres: au sanctuaire du heros, des colonnes inscrites qui slllpportaient des trepieds en bronze ont ete trouvees. Selon L.H. Jeffery, I'inscription la plus ancienne date de 510-500 avo I.-C. 7J tandis que P. Guillon Ia fait remonter

a

550 avo J.-C.74 La dedicace signale la magistrature eponyme pendant laquelle elle a ete faite : n1\O\Jl 'AXgLCplE'; avE8mv".

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Le reste des exemples qui suivent la

72 J. Ducat, Les Kouroi du Ptoion.(=Ducat), Paris, 1971, p.444. 73 Scripts, cat. p.95, n.l3.

74 P. GuiIlon, Les trepieds du Ptoion. t. II(=Trepieds), Paris, 1943, p.67.

62


meme fonnule dedicatoire, appartient selon Jeffery

a la premiere

moitie du cinquieme siecle. 75 "Les bases de trepieds s'ordonnent, de part et d'autre de l'acces

a la terrasse principale du sanctuaire,

en un double alignement. ... : la 'Voie des trepieds' ainsi constituee descend

a flanc

de colline, suivant la

ligne de pente la plus douce et la plus reguliere jusqu'au fond de la vallee qu'elle a dii atteindre au voisinage meme du village de Karditsa, site de I'ancienne Akraiphia.... La base 28, retrouvee

a 125

m. de I' entree principale du sanctuaire nous donne la longueur minimale de l'alignement sud, dont les bases, sur 25 m. du moins etaient juxtaposees, aux abords du sanctuaire, Mais comment

a peu pres sans intervalles. est-on arrive a une telle

"76

disposition de

l' offrande? "L'emplacement des trepieds y est fixe sur Ie plan de l'architecte."77 La preuve nous est donnee par un document ulterieur mais se referant

a un arrangement tout a fait semblable:

il s'agit d'une inscription d'Athenes concernant la mise en place d'une serie de trepieds consacres dans la premiere moitie du IVe

a l'Heracleion de Kynosargues siecle, OU I'on procede a cette

disposition d' apres les instructions fournies par I'architecte. 78 L'examen des dalles constituant les bases des trepieds,

75 Scripts, p.93. 76 Trepieds, p.57. 77 Ibid., p.59. 78IG n 2 , 1665. (

63


"I' etude de I' installation des trepieds en alignements Ie long de I'avenue du sanctuaire hero'ique confirme ... leur repartition en groupes assez voisins dans Ie temps".'9 Et queUe est I'origine de I'offrande? "Taus les trepieds dont Ie donateur nous soit atteste, eriges au sanctuaire du heros, Ie sont par la cite d' Akraiphia, et I' offrande est datee deja par l'indication officieUe du nom de I' archonte".'o Les trepieds ont et,e eriges a la suite des consultations de I' oracle ; la formule "xm;' ,av [l.avnlav" qui est gravee sur certains montre que les trepieds etaient lies a I'oracle." La disposition architecturale du sanctuaire du heros rappelle donc la mise en scene de l'ecriture effectuee a Samos et a Milet: "Le spectateur qui suivait la voie sacree, voyait dans sa marche, les trois pattes laterales tourner autour de la colonne centrale; mais lorsqu' il s'arretait a la hauteur de I'un des trepieds celui-ci se presentait avec la colonne centrale nettement degagee dans I'ecartement des deux pattes anterieures; c' est de ce cote, sans nul doute, que se trouvait gravee, au sanctuaire du heros, la dedicace inscrite sur la colonne, comme elle sera au sanctuaire d' Apollon, sur la face de la base. Au long de l'avenue ou s'alignaient regulierement les trepieds, 797' '" ds, p. 60. 1 repze

80 Ibid., p.116. 81 Trepieds, pp.153-165.

64


mals ou I'ceil pouvait discerner des Ie premier coup d'ceil des groupes que distinguaient les dimensions et Ie style, Ie visiteur lettre pouvait, en epelant les dedicaces, suivre, dans sa marche, la succession des offrandes"."

-,

82 Ibid., pp.61-62.

65

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15.

SANCTUAIRE D'APOLLON AU PTOION

Dans Ie sanctuaire d' Apollon l' offrande principale c' est Ie

kouros. 83 Le nombre total de kouroi depend beaucoup de l'identification des fragments; Ie chiffre Ie plus vraisemblable est 120, chiffre assez important si on considere que Ie nombre de kouroi catalogues par G. Richter dans Ie reste du monde grec s' eleve it 158. 84 "Les kouroi etaient nonnalement fixes sur des bases basses. A cause des ressemblances qui lient certaines de ces pierres, ... il y a la possibilite que plusieurs fondations assez puissantes visibles sur I'esplanade ou sur la terrasse du temple aient appartenu it des bases collectives de grandes dimensions pour kouroi"." Le probleme est pose par les pierres nO.232-234. Selon J. Ducat, elles etaient des "elements de bases.... Elles portent des signatures, et des signatures differentes. On peut songer it deux bases symetriques ou complementaires, erigees en meme temps. La topographie actuelle du Ptoion peut suggerer une autre solution, inusitee, it vrai dire pour

83 Cela ne dit pas qu' elle en constitue la seule. Des colonnes de trepieds (nos.240-250, dont une seule peut etre identifiee avec une certitude totale comme Ie support centrale d'un trepied) ont ete trouvees aussi. Voir Ducat, p.444. 84 Ibid., p.45!. 85 Ibid., p.456.

66


• des kouroi. Sur I'esplanade du temple, dans l'espace compris entre la fa<;ade de ce monument et Ie soubassemellit de l'autel, se trouve une fondation longue actuellement de 12 m. et large en moyenne de 2.20 m. Son orientation est, comme celie du petit cote du temple, grossierement Nord-Sud.... Sur cette fondation se sont

aliglll~es,

et dans un cas, s' est appuyee, quatre

bases de trepied.... L'hypothese d'un soubassement commun, supportant une serie de bases inscrites, qui servaient ellies-memes de support suggeree

a la fois

a des

kouroi, est

par I' aspect de cette construction et

par I' existence des pierres ... ; elle est seduisante et conduirait, si elle etait fondee, aI' idee qu'au Ptoion les

kouroi pouvaient etre integres

a un projet architectural

d'ensemble. II faut toutefois reconnaitre que les propabi1ites sont plutot en faveur d'un alignement de trepieds. II ex.iste aussi un massif de fondations juste au Nord du temple, sur la meme terrasse ; son aspect est different ... , mais il a pu avoir aussi pour fonction de supporter des offrandes. "86 Anterieures ou non au temple, supportant des kouroi ou des trepieds, I' important pour nous c' est que dans Ie sanctuaire d' Apollon ces fondations sont I' indice d 'une mise-en-place d' offrandes alignees 87 . Evidemment 1'hypothese de cette

86 Ibid., p.383, et n.1. 87Si I'hypothese de I'alignement s'avere, cette offrande serait semblable aux offI'andes lipareennes de Delphes, dont la premiere donation c'est "celie des

67


disposition n'est pas justifiee par des preuves plus solides; mais pour autant il n'y a pas d'arguments en faveur d'une autre solution. Enfin I' existence non loin dans Ie sanctuaire du heros, de I'alignement des trepieds des deux cotes de la voie principale, renforce encore cette these. L 'alignement des offrandes s'etendait-il alors dans l'ensemble du sanctuaire, ou dans une partie seulement ? II est fort probable que 1'alignement existait sur la terrasse du temple. Selon J. Ducat, l'offrande du kouros ne semble pas avoir une signification particulieJre, contrairement

a celle

des trepieds au

sanctuaire du heros. Le kouros a pu, au Ptoion, "etre consalcre

a la suite d'une consultation benefique

de I'oracle, mais il a pu aussi y etre consacre pour une infinite d' autres raisons, personnelles

a

chaque

'donateur'''.88 De toute fac;on comme nous avons souligne precedemment, il s'agit d'une offrande individuelle. "Cette proliferation de l' offrande individuelle est d'ailleurs conforme

a la mentalite archa"ique, qui reflete

la structure sociale, aristocratique, de cette periode ".89 statues sur une base de calcaire que Pausanias a vu dans la partie inferieure du sanctuaire" et "Ia seconde, sur base de marbre, etait celie bien plus renommee des vingt statues, dressees sur la terrasse du temple en souvenir d'autant de navires etrusques captures grace a la tactique suggeree par Ie dieu": G. Colonna, "Apollon, Les Etrusques et Lipara", MEFRA 96 (1984), 2, pp. 557578, p. 563. Sur ce monument, voir: J. - F. Bommelaer, Guide de Delphes: Le Site, Paris, 1991, pp. 150-153 et A. Jacquemin, op. cit., pp. 239-241. 88 Ibid., p,445. 89 Ibid., p.445.

68


En ce qui concerne

lt~s

inscriptions,

"Ie Ptoion a fourni 51 inscriptions archaiques.... Deux seulement se rapportent de fa90n certaine it des

kouroi :Ie n째.49 qui est grave sur un fragment de plinthe en paros (fin du VUe siecle) et Ie no.202 sur les cuisses de la statue MN 20. Cinq autres semblent bien avoir ete

gravt~es

sur des bases ou elements de bases de

kouroi : les n'JS.232-234, sur des blocs en calcaire; les nos.235-236,

Sillf

des blocs en paros."90

Les inscriptions constituent une serie. La serie se compose de groupes chranologiquement ou geographiquement homogenes et couvre une periode qui commence vers la fin du VIle siecle (la

kore n째.46 date de 640-620) et finit vers 500-490 av.J.-C. Citons en passant quelques exemples : Le n.49, "fragment de plinthe ou base en paras avec trace d'un pied de la statue et inscription"9l, est indechiffrable. No.ll8," go mot

oI3Et..6~

UVLO

E~ll Or-\Et..O~ rmuaaLabu~

rrOlEGE"92 , ou Ie

est utilise c:omme synonyme de ayut..l-lu , "objet de

valeur".93

90 Ibid., p.457. 91 Ibid., p.88. 92 Ibid., p.193-196. 93 Pour cette definition de iiya~!J.U, voir Ie chapitre "La notion mythique de la valeur en Grece", dans Ie livre de L.Gernet, Anthropologie de la Grece antique, Paris, 1982 (1968), p.l21-179. P. Courbin, dans son article "Obeloi d'Argolide et d'ailleurs", in: The Greek Renaissance ofthe Eighth Century B. C. : Tradition and Innovation. Proceedings of the Second International Symposium ofthe Swedish International Symposium at the Swedish Institute

69


N째.120, base en bronze ou est inscrit

No.124, egalement e,n bronze,

"KLbo;

aVE8EXE

"'Ovuoqw; ElEl3m; E;TOLE.'''''

N째.141, la celebre inscription sur Ie chapiteau d' Alcmeonides, qui devait supporter une statue en bronze, ou une kare: "[l>otll3o

f!EV

elf!'

ayuA[f!U

;\]a-dotlbu

XUA[O]V

I

rho

b'

'A]Axf!EOVO; hUt; 'AAXf!EOVLbE; l[h]mOLOL VLXc[OU; E]8EXEV [OXEm; ou

OXEOLV hu;

Kvorrdubu];

EAUUV' ho-------/hO,'EV

'A8uvm;

L' inscription nO.202 sur la statue MN20

TTUAUbo; ;TUVc[YUQL;]".96

est remarquable puisqUle nous avons un rare exemple en dehors de l'Ionie ou l'inscription est gravee sur une partie de la statue meme; ici il s'agit des deux cuisses d'un kouros ou nous Iisons sur la cuisse gauche: avu8[EwV]

hoxgmqJ\EU; I

"TTu8w;

et sur la cuisse droite:

xm

'AOXgLov

"<f>L[ -------agy ]ugo,oxool!

" 97

II y a encore les blocs inscrits qui selon I'hypothese avancee plus haut devaient etre des supports d'un alignement d'offrandes et qui datent de 540-520 avant notre ere. 9 '

Sur Ie nO.232 est

grave: "--hOXQUL]qJLEU;

x'

ElE[Hmo;],

sur Ie

_I " " t 'AvnqJUQLyXLuf!U , e

x'

'A

nO.233,

OUOLAO<;i-----] "Elw

째 234 sur Ie n .,

UbE; "'A

'EmxuQE;

ErroLEOE

I

ho x'

. I ----- ] "r , OUOLA-O;

in Athens, 1-5 June 1981, ed. R. Hagg, Stockholm, 1983, soutient que les obe/oi fonctionnaient en tant qu'argent dans un systeme premonetaire. 94 Ducat, p.l97-198. 95 Ducat, p.201-203. 961bid., p.242-25I; Karouz:os, p.ll. 971bid., p.358. 98Ibid., p.381.

70


• bOlEOE."O<

Finalement nous citons les inscriptions sur les colonnes

de trepieds

au

il est inscrit :

"EiJ Fayov aVEllExE 'to;dO~,OVl

'tOt

IT tOlELl" lOll

et

"ITull[w; 'tOl laQyuQo1:]oxoodl 10l IThOEl I

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EU1:EAEllia; I aVEllnav]. "IDJ

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''0 fONTAJHf

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'-~._.?" •••• -

NO~D

99/bid., p.379-383. lOO/bid., nO.240, p.389-391. lOl/bid., nO .241, p.391.

71


."

",-"./"

72

",'

"-":"- ... '


73


I 6.

VOlES DE GRECE ET VOlES D'EGYPTE

Voila done ce qui nous reste des sanctuaires archai'ques: des voies, pavees ou simplement tracees, aux abords et a l'interieur des sanctuaires, dont la plupart sont decorees de statues offertes aux dieux. On a plusieurs fois rapproche la disposition de ces voies des alignements des voies sacrees egyptiennes. Ch. Picard, par exemple, en parlant des decorations des portes, a la periode archa'ique, evoque egalement cette similitude: "L'art egypto-oriental a aime Ie pnnclpe de la repetition, les suites processionnelles, les zones. Devant les grands temples d'Egypte a Medinet-Habou, a Ipsamboul, s'alignaient des colosses symetriques; des avenues doubles de sphinx, de beliers geants, etc., menaient a Karnac.... La Grece n'a pas conserve traditionnellement I'usage de ces decors d'alignements, sur voies saclrees. On les retrouve pourtant a l'epoque archai'que, au moins en deux endroits, pres de grands sanctuaires dont Ie caractere egypto-oriental est plus ou moins sensible.... A Milet d'abord, sur ce qu'on a appele I' Allee: des Branchides.... A Delos, une allee de lionnes archa'lques.... A Olympie, entre Ie Metroon et I'entree du stade, s 'alignaient les celebres Zanes, dresses sur leurs bases. "l02 '" Ch.Picard, op.cit., p.419-420.

74


En fait les sanctuaires egyptiens etaient precedes d'une sorte de voie sacree; Ie nom par lequel les archeologues la designent c'est dramas, terme d'abord apparu chez Strabon, qui en donne la description suivante 10J : "En generall, voici queUe est la disposition de ces anciens temples. A l'entree (doI30Ai) du temenos se trouve une avenue pavee de pierre (Al86oww,ov Eonv EliuqJo~),

ayant un plethre de largeur environ (plutot

moins que plus) et de longueur Ie triple et Ie quadruple; voire meme quelquefois davantage. On appelle cette avenue Ie dramas (xuAET,m liE wino

Iig6I-lo~);

temoin ce

vers de Callimaque : 'Vaila Ie dramas, Ie dramas sacre d 'Anubis '. Sur toute la longueur et des deux cotes regne

une suite de sphinx en pierre (OU':! oE -roD llllXOV~ ;wvT6~ ÂŁ1;ti~ EqJ' ÂŁxa:tEQu -roD 1tACnOV~ OqJ[YYE~ 'i:liguv,m ALelVU),

espaces entre eux de 20 coudees, de sorte qu'il y a deux rangees de sphinx, la rangee de droite et la rangee de gauche; Au bout de cette avenue de sphinx, on arrive

a

un grand propylee (1tVAWV) auquel succede un deuxieme, puis un troisieme, sans que pourtant Ie nombre des propylees, nOll plus que celui des sphinx, ait rien de fixe. Ce nombre varie d'un temple

a l'autre

de meme

que la longeur et la largeur du dromos".

",. Strabon, XVII, 28, trad. de M.Amedee Tardieu. (Strabo, The Geography of

Strabo, vol. VIII: Book XVII, Loeb, Cambridge Mass. et Londres, 1949.)

75

c


Selon G. Perrot et Ch. Chipiez I041a largeur de la VOle qUI arri vait a Karnak etait de 23 m., et elle s' elargissait encore dans

Ie voisinage immediat des edifices sacrees, la distance d'un sphinx a I'autre etant de 4 m.. , tandis que la voie qui hait Serapeum

a

Memphis avait une longueur de 1500 m., la distance entre les sphinx etant en moyenne de 3.70 m. Seules les allees caurtes etaient droites, les 10llgues faisant des coudes assez marques comme celie du Serapeum qui s'inflechit plusieurs fois, au celie de Karnak, ou, au moment ou les sphinx androcephales d'Horus succedent aux sphinx sans cartauches, I'axe de la voie s'incline legerement vers la gauche. Aujourd'hui, on est en mesure de constater que, dans certains cas ces dromoi reliaient entre eux les grands sallctuaires et servaient de support pour les processions des grandes fetes egyptiennes, la plus importante etant celie d'Opet. Pendant cette fete "Ia statue d'Amon quittait son sanctuaire de Karnak pour se rendre solennellement en procession jusqu'a Lauqsor sur une barque portative" 105.

,,, G.Perrot et Ch.Chipiez, Histoire de I'an dans l'antiquire, tome I, Egypte, Paris, 1882, p.341-342. 1OSW.

J. Murnane, "La grande fete d'Opet", Histoire er Archeologie,

Dossiers, N. 101 (janvier 1986), pp. 22-24, p.22. Tandis que pour une premiere periode, Ie trajet vers l..ouqsor se faisait par la voie terrestre et Ie retour a Karnak par Ie Nil, dans les epoques posterieures, on n'utilisait que la voie fluviale. Sur cette procession, voir aussi L. Gabolde, "L'itineraire de la procesion d'Opet", pp.27-28 et L. D. Bell, "Les parcours processionnels", pp.29-30, dans Ie meme numero des Dossiers.

76


Les statues qui bordaient les voies reliant ces temples avaient Ie role d'en garder les entrees. En fait, Ie sphinx est un "etre hybride

a corps de lion dont

Ie visage et parfois Ie buste et les

bras sont humains", represente "Ie plus souvent allonge ou couchant" 106 et "I'image du lion, rai et dieu, devait avoir acquis une valeur apotropalque 107 ". Divers dramoi sont iii present degages par les archeologues. La plupart d'entre eux appartiennent aux temples de Karnak: temple de Mout (andrasphinx colossales sur une longueur de 293 m. et largeur de 25m. ayant dles socles au nom de Toutankhamon mais dont la disposition date d' Amenophis IV 108 ; statues de Sekhmet), temple de Khonsou ( sur une longueur de 155m. et une largeur de 13,19 m. au Sud d,evenant 12, 20 m. au Nord, des beliers devant lesquels il y a une petite effigie du rai portant une colonne verticale de texte qui contient Ie nom du rai Amenophis III mais dont la disposition dat,e du rai Pinedjem 1109 ), temple d'Amon (criosphinx dont les effigies rayales sont au nom de Ramses II), temple de Montou (anclrasphinx). Mais Ie dromos qui mene du

Traunecker, "Les statues gardiennes de Karnak", Histoire et Archeologie, 1£s Dossiers, N. 61, pp. 34-42, p. 36. 107C. De Wit, 1£ role et Ie s,ens du lion dans /,Egypte ancienne, Leiden, 1951, p.82. 106F.

108Dans cette grande allee processionnelle, conduisant du Xe pyl6ne de Karnak au temple de Mout les sphinx a I'effigie d'Amenophis IV alternaient avec des sphinx a I'image de Nefertiti: Cl. Traunecker, "Amenophis IV et Nefertit. Le couple royal d'apres les talatates du IXe pyl6ne de Karnak", Revue d'Egyptologie, 1986, pp. 17-43. 109F. Laroche -Traunecker, "Donnees nouveles sur les bords du temple de Khonsou",1£s Cahiers de Karnak, VII, 1981, pp. 313-337.

c 77


temple de Louqsor

a ceux

de Karnak, permet de tracer I'image

du dromos-type, selon F. Traunecker, bien qu'il soit plus recent d'un millenaire par rapport aux sanctuaires qu'il relie (puisque les inscriptions gravees portent Ie nom de Nectanebo I, pharaon qui regna entre 380 et 362 avo I.-C. ): "L'avenue de sphinx debute

a la

porte de Louqsor.

Elle est bordee lateralement par deux murs de brique crne distancts de plus de 27 metres I'un de !'autre. Le dramos est donc un espace entierement dos, une espece d'antenne prolongeant I'aire sacree entouree de hautes murailles du temple.... Les bas-cotes,

sont en partie

seulement occupes par des sphinx.

Le reste de

I' espace etait agremente de plantations arrosees par tout un systeme d'irrigation." 110 Mais ce n'est pas simplement la disposition des statues qui est similaire

a celle des voies grecques: c'est aussi leur style.

Ainsi,

les Branchides rappellent les statues de personnages assis egyptiens, mais aussi les statues de la deesse

a tete

a corps de femme et

de lionne Sekhmet, representee debout ou assise sur un

siege, qu'on rencontre tout autour du temple de Mout

a

110F. Traunecker, "Les statues gardiennes de Karnak", op. cit., pp. 37-38. Sur Ie meme dromos, voir aussi : M. Abd El-Raziq, "L'allee de sphinx",

Histoire et ArcMologie, Dossiers 101 Uanvier 1986), pp. 32-33. Vne etude detaillee et recente de tous les restes des dromoi retrouves mais aussi de la tres interessante terminologie egyptienne se rapportant au chemin, est celie de A. Cabral, Les dromos des temples thebains au Nouvel Empire Egyptien, Memoire de Maitrise, Paris IV, Sorbonne, 1991.

78


Karnak lll ; de meme Ie caractere statique et monolithe, l'absence de mouvement de presque to utes les ceuvres que nous avons presentees. Diodore de Sicile lui-meme pariant de la statue d' Apollon Pythien a Samos dit que "c'est une statue assez semblable it celles des Egyptiens,

Calr

elle a les mains tenaues des deux cotes

du corps et les jambes en position de marche"ll2. C'est it cause de cette similitude qu'il a meme ete suggere que les ceuvres ont ete crMes par des artistes qui avaient etudie en Egypte. "L'impression dominante que ces personnages produisent it premiere vue c'est leur ressemblance avec des sculptures egyptiennes", ecrit

c. T.

Newton, se

referant aux statues dites des "Branchides". "Ce n'est qu'apres les avoir regardees pendant un certain temps que cette premiere impression perd de sa force et nous devenons capables de detecter certaines qua lites essentielles qui prouvent que c'est Ie travail d'artistes grecs".113 Le constat de cette ressemblance (qui est indubitable dans plusieurs cas sauf ceux de kouroi et de korai 1l4 et bien sUr celui

III F.

Traunecker, "Les statues gardiennes de Karnak", op. cit., p. 42. '" Diodore de Sicile, Bibliotheque Historique, I. 98.9 : EivUl oc' auto ltaQattta[Jiva;, til DE

aXE),']

i.EY01!OL

owflEflnx6ta.

'" C.T.Newton, op.cit., p.549 et p.552. 114 J. M. Hurwit resume ainsi l'influence egyptienne en ce qui concerne la creation de la kOTe grecque: "Thus the origins of the Nikandre kore are

79

c


des trepieds, qui n'apparaissent jamais sur les dromoi egyptiens) n'empeche pas pour autant de s'arreter aux differences qui separent les voies egyptiennes de celles de la

Gn~ce,

continentale

ou 101lienne. De toute fa<;on, si on admet qu'il y a un schema d'evolution de ce type de mise-en-place en Grece 115 , la premiere etape, qui

j.

serait celie de statues d'animaux 116 (pour etre suivie par les statues anthropomorphes -kouroi et korai, hommes assis- et

; .'

..

.'

complex; she owes her shape to a native tradition of large-scale sculpture in wood, her style to a popular Orientalizing fashion, and her proportion to Egypt, and it was probably also the Greek experience in Egypt that gave her sculptor the inspiration and confidence to transpose a large-scale wooden image into marble", J. M. Hurwit, The An and Culture ofEarly Greece, 1100-

480 B. C. , Ithaca and London, 1985, p. 191. Dans Ie meme livre, J. M. Hurwit fait une comparaison tres detailk~e et objective entre les kouroi grecs et les exemples similaires egyptiens (ibid., PI'. 191-197), tout en constatant que "it is in Egyptian images of clench-fisted, straight-armed, striding pharaohs and noblemen that the major inspiration or the Greek kouros is surely to be found", (ibid., pp. 193-194).11 s'agit d'une inspiration qui est expliquee par l'evocation de l'experience grecque dans l'Egypte de Psammetique ler, ibid., p. 196. En fait, l'influence egyptienne sur la creation de la sculpture monumentale et l'architecture de pierre grecques est certaine. Mais nous sommes tout a fait d'accord avec Ie meme auteur quand ilia considere comme "a process of active selection".... "The decision to be influenced, in other words, is also a mark of originality and cultural strength, and it can be a kind of positive response", ibid., p. 135. 1150n ne tient pas ainsister sur la portee chronologique absolue de ce schema; une evolution n' est jamais lineaire, chaque changement n' implique pas apriori Ie renoncement definitif a une forme anterieure. 116Ainsi

il y a la terrasse des lions

a Delos ou la voie de Didymes, ou lions,

sphinx et statues d'hommes assis sont trouves ensemble.

80

.,, .


finalement par les statues portant une inscription) fait penser a la disposition des sculptures sur les abords des dromoi, ou les statues alignees representent des sphinx et des beliers, et non des hommes. On peut alors rapprocher cette similitude de I'idee que la sculpture monumentale du milieu du VIle siecle est un emprunt aux Egyptiens l17• Mais meme si cela s'avere, il n'en restera pas moins qu'en Grece, la meme disposition apparait dans l'espace comme tout-a-fait autre a cause de la difference geomorphique de la terre grecque. En Egypte les voies sacrees traversent I'etendue du desert; les offrandes alignees ont les memes dimensions, et sont posees

a intervalles

reguliers. En

Grece, elles parcourent les collines ou elles voisinent avec elles; la hauteur des statues n' est pas la meme, elles se ressemblent parfois mais elles ne sont pas identiques; la distance qui les separe n'est pas reguliere et elles n'ont pas toujours Ie meme sujet. En bref, I'homogeneite du paysage architectural de la voie sacree

grecque n 'existe pas; et cela contraste fortement avec Ie caractere des voies egyptiennes. Nous eloignant de la ressemblance, nous sommes mieux en mesure d'enumerer certains traits distinctifs. Tout d'abord il y a une question de contexte: Vers quoi ces voies se dirigent-elles ? En quoi consiste leur but ? Quelle est leur articulation avec I'espace du trajet a l'interieur du sanctuaire? Quelle est leur forme exacte ? Et puis: Quelle est la nature de ces statues? De qui sont-elles l'offrande ? Qui a decide de leur emplacement?

'" AGA,

p.54; A. Snodgrass, op.cit., p.152-153.

81


S'interroger sur Ie contexte et sur les conditions de ces mises en place si severes, c' est s' interroger sur leur sens. En Grece, ce sont les ex-voto offerts par des individus ou par la cite entiere qui se rangent des deux cotes de la rue et la voie se construit avec Ie temps. En Egypte, c'est Ie pharaon qui decide un certain moment de l'emplacement des sphinx en ayant

a a

I'esprit un programme architectural complet ou chaque element appartient

a un endroit fixe

et special: les statues sont disposees

en intervalles reguliers et sont toutes homogenes. Plus on scrute, plus les differences emergent, et les choses prennent leur caractere propre: en Egypte les statues ont un caractere apotropai'que et sacre; devant elles il y a souvent I'effigie du roi, etre sacre, et les inscriptions qui y sont gravees concernent toujours Ie roi. En

Gri~ce,

les statues sont des hommes ou des

femmes, des individus assis ou debout. Sur ces offrandes des inscriptions sont souve][1t gravees, et ces inscriptions indiquent Ie dieu qui en est Ie destinataire, mais aussi Ie createur ou Ie donateur, Ie personnage dont cette offrande emane. En Egypte souvent Ie dromos est entree

con~u

comme un espace clos, formant une

a un temple, Ie lreliant a la tribune d'un quai ou a d'autres

temples ou sanctuaires 1l8 , tandis qu'en Grece la voie n'est jamais delimitee par une cloture si ce n'est par Ie peribole du sanctuaire et, si elle relie deux lieux i1 s'agit d'un cote d'un temple et de 118A Karnak, par exemple, on rencontre les trois cas. Le dromos devant Ie premier pyl6ne du temple (fAmon tout comme celui du temple de Montou et peut-etre celui du temple

dl~

Khonsou, aboutissent a des tribunes de quais; Ie

dromos du temple de Mout Ie relie au Xe Pyl6ne du temple d'Amon mais il y a aussi l'allee qui unit Ie sanctuaire de Karnak acelui de Louqsor.

82


I'autred'une cite. En

Grf~ce,

finalement, les offrandes votives

sont de meme nature que les batiments sacres -temples ou tresors, peu importe- elles constiltuent des unites entourees de vide et placees ou rangees comme telles dans l'espace. 119

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119Yoir aussi J. M. Hurwit, 01'. cit., p. 196 qui

a propos du kouros

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note:

"Like the Greek temple, he is self-contained, independent, isolated in space".

83


KARNAK VII

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7. ARCHlTECTIJRE I~GYPTIENNE, MINOENNE ET MYCENIENNE ET TEMENOS

Revenons aux sanctuaires egyptiens. La description de Br. Bergquist est assez eclairante: "L 'accent mis sur Ie caractere de volume de l'ensemble arcllJ.itectural dans Ie temenos archai'que est sans equivalent dans I'architecture egyptienne. La, Ie sanctuaire comstitue, depuis la periode de I'ancien Empire jusqu'a celie du nouveau, un contraste complet par rapport a l' organisation de I' aire primaire et secondaire du temenos archai'que. II represente une architecture purement processionnelle, qui accentue symboliquement Ie passage qu'effectue une procession sacrificielle en allant d'un debut a une fin. De la plus simple a la plus compliquee des variantes, ce sont les principes d'axitalite, de frontalite et de symetrie qui sont rigoureusement appliques. Le temple n'apparait pas avec sa masse batie comme un volume mais comme un fond, en projetant sa facade en face de I' entree; la cour devant cette facade se presentani comme accentuant la surface horizontale de la voie sacree a la maniere d'une cour qui conduit de l'entree, situee dans l'axe, a la facade dans Ie fond. En s'accordant avec ces principes, de nombreuses arriere-cours succedant I'une

a l'autre se rangent sur un sew axe -avec entre elles des salles se presentant comme des passages couverts jouant

86


Ie role de chainons- sur Ie chemin qui mene au fond ultime, la facade du "saint-des-saints"l2o . Des reminiscences de ce type d'amenagement se cachent dans les constructions des palais myceniens, ceux de Pylos ou de Mycenes par exemple: ce sont des ensembles qui mettent en valeur la profondeur produite par I'axialite, c' est-a.-dire la proliferation sur I'axe qui constitue la voie d'acces, d'espaces successifs, a. ciel ouvert ou ferme, comme s'emboitant les uns dans les autres. Ce sont ces memes palais, qui selon les trouvailles archeologiques ont peut: etre joue aussi Ie role de lieux de culte, au moins dans leurs megara, pieces situees au creur meme du biitiment, pourvues de foyer central et rehaussees par des colonnes. A l'epoque manquent les lieux de culte distincts, sauf dans Ie cas des sanctuaires en plein air. Plus tard, aux XIe et Xe siecles, on commence a. avoir les premiers signes d'une utilisation de sites religieux (Perachora, Argos, Olympie), confirmee par les trouvailles d'offrandes votives; neanmoins, dans ces sites les premieres constructions de temples ne debuteront qu'aux IXe et VIlle siecles. "Le temple 'urbain' apparait pour la premiere fois au VIlle siecle, specialement apres 750 av J.-C. Autour de 700 avo J.-C., la plupart des installations ont un temple dedie a. une divinite poliade.... 11 a ete meme soutenu que pendant les "siecles obscurs" 1'habitation du chef servait au culte. Pendant toute la periode ou la '" Br. Bergquist, The archaic greek temenos : a study of structure and junction, Lund, 1967, p.130.

87 l


monarchie caracterisait la societe grecque, Ie chef aurait ete charge de tout ce qui est en rapport avec Ie culte public". 121 Mais ce n'est qu'une hypothese parmi d'autres. Ce qui est sur, c'est que jusqu'au IXe siecle, ou, selon d'autres, jusqu'au premier millenaire 122, I' espace sacre n' est pas isole de I' espace profane. C'est Ie cas des palais myceniens si proches, avec leur amenagemant interieur, des temples egyptiens. Mais Ii. cette architecture de lieux clos, ou meme les cours sont conc;ues comme des salles sans piafond, et ou s'inscrit aussi I'architecture minoenne (qui cependant n'utilise pas I'axialite dans la composition et ou Ie chemin Ii. detours -voire la voie labyrinthique- est Ii. I'honneur) s'oppose l'architecture religieuse de la Grece ancienne proprement dite en imposant une rupture radicale: Le timenos qui apparalt Ii. la periode archaj'que coupe avec la tradition religieuse. "II n'y a aucun peribole mycenien.... Le sanctuaire du Ier rnillenaire, lui, est un espace Ii. part, portion de terrain d'ou activites et batiments profanes sont, par definition, exclus. Que Ie temenos ait, ou non, un '" AJ. Majarakis Ainian, "Early Greek temples: their origin and function", in

Early Greek Cult Practice, Proceedings ofthefifth International Symposium at the Swedish Institute at Athens, 26-29 June, 1986, ed. R. Hiigg, N. Marinatos et G. Nordquist, Stockholm, 1988, p.105-1l9. '" Voir I'article de Claude Rolley sur "Les grands sanctuaires panhelleniques" in The Greek Renaissanc.e of the Eighth Century B.c. : Tradition and Innovation. Proceedings of the Second International Symposium at the Swedish Institute at Athens, 1-5 june, 1981, ed.Robin Hiigg, 1983, p.l09114.

88


peribole des I' origine, il est isole et delimite, et son statut Ie distingue de I'espace des hommes, comme Ie montrent obligations

et interdits.

C'est Iii

un

changement radical dans les rapports entre les hommes et les dieux" et la nature meme des offrandes Ie prouve".123 Le sanctuaire et Ie temple meme ont maintenant la forme et la valeur semantique d'ul1 objet, d'une unite distincte enveloppee par ses limites exterieures et qui prend sa propre place dans l'espace 124 ; dans Ie temenos chaque element se situe aussi il la maniere d'un objet contenant, exactement comme dans I'exemple qu'utilise Aristote pour donner la definition du "lieu".125

'" Cl. Rolley, op.cit., p.1l3. 124Ainsi W. Burkert dans Greek Religion (Archaic and Classical), Oxford, 1985, p. 94 ecrit: "There i.s therefore no real architectural plan, no strict organization of the buildings in reciprocal relation. Each building, especially each temple, is in the first instance an indivi.dual, constructed for its own sake and beautiful as an agalma. ... The symmetrical layout of temples, colonnades, stairways and altars was th~: product of Hellenistic architects designing great temple complexes for new foundations". Nous allons nous aussi nous occuper de la notion d'agalma en relation avec l'organisation du sanctuaire. '" Aristote, Physique, 212a, 14-16: 'Eon 0' woml' to uyyelov tOlto<; /lfw<POQTTto<;, OUtro xat 6 tOOo<; UyyELOV ul!EtaxtVTTtov ~ "D'autre part comme Ie vase est un lieu transportablc~, ainsi Ie lieu est un vase qu'on ne peut mouvoir". Et 212a, 28-29: Kat OLU tOiito IiOXEL ErcIJtEli6v n eIVaL xal olov UyyELOV 6 tOlto<; xat ml'LEXov ~ "Autn~ consequence: Ie lieu parait etre une surface et comme un vase: une enveloppe". (Aristote, Physique, Collection des Universites de France, Paris, 1973, texte etabli et traduit par H. Carteron).

89


Le sanctuaire grec de l'epoque archa'ique et classique emerge dans l'histoire en mettant au jour une conception de l'espace entierement nouvelle, qui n'est pas sans relations avec les periodes precedentes rna is toutefois possede des traits caracterisant l'ensemble de la civilisation archa'ique. Ces traits se trouvent condenses dans notre exemple de la voie menant sanctuaire, plus generalement

a

a un

un temple, de la periode

archa'ique. II apparait que toutes les caracteristiques de cette nouvelle conception de I'espace, condensees dans Ie cas de la voie sacree de I' epoque archa'ique:, sont relatives bLaxoo!J.o~,

elle-meme etroitement liee

a la

notion de

x6o!J.o~

a la conception grecque de

la narrativite. En somme, chaque e:lement du sanctuaire represente une unite et chaque unite est remaniee en tant qu'objet entoure de vide; ces

objets sont alignes, en serie. Cette disposition est un

bLaxoo!J.o~

comme celui du Catalogue des Vaisseaux de I'Iliade, d'abord parce qu'il s'agit d'un arrangement de I'ensemble; puis, parce que ces elements constitutifs sont des agalmata, des objets qui rejouissent l'reil. Par consequent, ils

XOO!J.OiJOLV,

aux deux sens du

mot: ils mettent en ordre et ils parent, ils oment l'ensemble. En plus, ils jouent Ie role de

!J.VTnWl:U,

ils rappellent quelque chose, et

comme tels et a cause aussi de leur disposition, ils declenchent la narration: I'ensemble donc est un identifier

a une narration.

90

bLaxoo!J.o~

que I'on peut


-

Plan du temple

fun~raire de Ramses III (vers 1200

avo J .-c.).

~59

-- L..:-:.-:-:J --~----

-=--------

-~..,~

-----

..---./ /,,,"

- Delphes. Plan de I'enceinte sacree d'Apollon. (A sur Ia planimetrie generaIe).

o

f---._- . - - +-

t. mursd'cnceinte;2. ViaSacn.;3. tauruu de Corcyre; 4. base de colonne des Arc.diem ; S. statue de Philopoimen ; 6. exedre des nau4Tchoi; 7. ~-VOtO de la bau,ille de Marathon; ex-voto des Argiens ; 8. les Sel't Chefs Argiens contre Thebes ; 9. cheva ; 10. les Epigones ; 11. les rois d'Argos; 12. bue des Tarentins; ThLOsauroC) (Tresors); 13. de Sicyone; 14. de Siphno~; 15. de Thebes; 16. de Potidee; 17. d'Athenes;18. deSyra.cuse;19. ditdes Eoliens ; 20. de Cnide j 21. bouieutrnon ; 22. base des Beatiens ; 23. rocher de la Sibylle ; 24, timmos de G"ia; 15. AskH:pieion au 'imenos des Muses; 26. sphynx dl" Nnos ; 27. rocher de: Lnone ; 28. ponique des Atheniens ; 29. thesauros Corimhe ; 30. TheS4uros de Cyrene ; 31. pr}'tanee:; 32. mut polygon~ e:t ternsse: de: soubasse:ment ; 33. e:x-VOtO des Messenie:ns; H. monument de Paul-Emile; 35. trepied de Platees ; 36. char des Rhodiens ; 37. autd de Chio ; 38. temple d' Apollon; 39. monument d'Eumene ; 40. offnnde: d路~ Corcyre: ; -41. lhtSf1.uros (?) ; 42. ch4ue d' Alexandre i H. mUT de: soutenemenr ; 44. monument de PTOUSI"~ ; ~5. monument d'Arintne; ~6. offrande des Phocidiens ; 47. offnnde de Syracuse; -48. rhcs4uros d' Acanthos ; -49. statue d' Am.le; 50. SUNe d'Eumene; 51. HO': d'Attale i 52. ttmenos de Neoptolemos; 53. monument de Daochos; 54. exedre; 55. tcmenos de Poseidon; 56. temtnos de Dionysos ; 57. theitre; 58. portique du theatre: 59. Lesche de Cnide.

" - --i

91


fl. Temenos, narrativite et parataxe II 1.

KOUROS ET NARRATIVrTE SELON SNODGRASS

Dans son livre

GrE~ce archai"que,

au chapitre intitule

"L'emergence de I'individu", A. Snodgrass essaie d'aborder differemment ce type d'objet si representatif de la sculpture archaique qu'est Ie kourosY路 II nie alors son importance sur Ie plan artistique. Son principal argument porte sur Ie progres des sculpteurs au plan technique; il denonce I'attitude "resolument antinaturelle"l27 du kouros et il constate que "Ia recherche: de I'individualite ne portait pas sur Ie traitement du sujet, dans Ie sens ou ils auraient travaille

a

reproduire l' apparence precise de tel ou tel

personnage, mais sur eux-memes en tant qu'artistes"Ys

a la sculpture monumentale, il ecrit: "II suffit de mettre cote a cote tous ces personnages

En comparant Ie kouros

en mouvement qui courent, se precipitent en avant, se dissimulent pour mieux bondir ou s'ecroulent sur Ie champ de bataille et Ie kouros traditionnel pour se rendre compte que ce dernier etait devenu un mode

,~

A. Snodgrass, La Grece archai'que, trad. fro d'Annie Schnapp, Paris, 1986, pp.146-153. ", Ibid., p.l48.

'" Ibid., p.149.

92


d' expression singulierement limite; il allait pourtant se maintenir encore pendant trois generations"Y路 Pour expliquer I'aventure artistique grecque , A. Snodgrass utilise la these de E.H. Gombrich qui met en relation les arts de la narration et de la sculpture l30

:

"Les sommets que l'art narratif avait atteints

a cette

epoque en Grece - ...- amenaient inevitablement l'artiste

a tentelr de

lier les figures qu'il placait cote

a

cote sur les frontons des temples par un fil conducteur, qui les impliqu31it dans une veritable histoire" .131 Snodgrass soutient que Ie role qu'a joue la narrativite,

SI

important dans Ie cas des frontons des temples, n'est pas du tout present dans Ie cas du kouros qui "apparait comme I'incarnation du conservatisme artistique: certains interdits imposes par la societe persisterent tout au long des cent cinquante ans de ['existence du kouros: sa pose rigide, l'absence presque totale (dans les statues funeraires) de toute sorte de but relatif au mode de vie ou de mort". 132

'" Ibid., p.150. '" E .H. Gombrich, An and Illusion, Londres et New York, 1960 (trad. fran9IDse: L 'an et l'illusion. P'sycfwlogie de la representation picturale, Paris,

1987), ch.IV. "Reflexions it propos de la revolution de I'art grec", et speeialement pp. 154-175. '" A. Snodgrass, op.cit., p. 151. '" Ibid., p.151.

93


II

2. DISPOSITION DES KOUROI ET NARRATIVlTE

Mais ce point de vue risque de trop simplifier les choses. D'abord, la signification de l'offrande du kouros n'est pas tellement certaine. Selon J. Ducat par exemple, Ie kouros "semble bien appartenir

a la

categorie du kolossos,

dans les trois acceptions du terme. C'est une statue figee dans une attitude rigide, primitive, et fortement plantee dans Ie sol par sa masse, sa plinthe, sa base. C'est une statue de grandes dimensions. ... Enfrn il se comporte comme un substitut, soit d'un dieu, soit d'un mort, soit d'une consecration humaine 133 ". D'autres savants s'accordent avec Snodgrass qui presente Ie

kouros comme l'image athletique de la societe aristocratique 134 • Les korai sont alors considerees comme Ie cote feminin des

kouroi, representant pour quelques uns I'ideal aristocratique, pour d'autres une offrande des commer(:ants 135 .

Ducat, "Fonctions de la statue dans la Grece archaIque: kouros et kolossos", BCB 100, 1976, pp. 239-251; G. Raux, "Qu'est-ce qu'un xOAooo6ÂŁ?", Revue des Etudes anciennes, 1960, pp. 5-40. 134y. Zinserling "Zum Bedeutungsgehalt des archaischen kuros", Eirene 13 133J.

(1975), pp. 19-32; A. Stewart "When is a kouros not an Apollo? The Tenean Kouros Revisited", in Corinthiaca, Studies in Honor of Darrell A. Amyx, ed. M. A. Del Chiaro, Columbia, Missouri, pp. 54-70. 135R. Ross Holloway, qui soutient la seconde these ("The social significance of the Acropolis korai is not that they were the female counterpart of the aristocratic kouros but they were the vehicle for the expression of achievement by citizen workshop owners and metics", p. 272), presente aussi la premiere dans son article "Why korai?",. Oxford Journal ofA,rchaeology, vol. II, n. 3. (nov. 1992), pp. 267-274.

c

94


Pour notre part, nous insistons sur f 'unicile et fa diversile de ces statues qui ne se rapportent pas exclusivement

a la nature de

I'offrande (les kouroi et les korai sont des offrandes emanant d'individus concrets, de personnes differentes) mais qui concernent aussi Ie plan artistique. Meme si elles sont des schemata (selon Ie terme de E. H. Gombrich utilise par A.

Snodgrass) elles sont bien distincts I'un de I'autre: I'ephebe de Critias est bien different de I' Apollon de Tenea, meme si la

position des bras et des jambes reste la meme. Leurs attitudes continuent

a etre

raides et figees mais leurs visages et Ie

remaniement de leur apparence physique different enormement. II ne s'agit pas d'une reproduction de la meme chose mais de la creation de statues semblables dont chacune

a

son tour est

toutefois unique. 136 Chaque statue est differente d'une autre tout comme chaque homme differe des autres.. Cela est souligne non seulement par les inscriptions qui y sont gravees mais aussi par leur emplacement, qui tout en etant similaire

a celui des dromoi egyptiens en differe

enormement. Chaque agafma 137 comme chaque ensemble

". Nous n' insistons pas non plus sur la beaute des kouroi et sur leur importance en tant que produits artistiques: une sculpture n'a pas besoin de temoigner d'un progres d'ordre technique pour constituer un chef d'ceuvre et pour etre en mesure d'emouvoir celui qui la regarde. Mais il y a meme des savants qui soutiennent une veritable evolution naturaliste des kouroi dans Ie temps. Voir : G. A. Richter, Kouroi: archaic Greek youths: a study ofthe developmelU of

the kouros type in Greek sculpture, Londres-New York, 1970. 137Pour Ie role de la notion d'agalma dans l'espace du chemin et sa relation avec la narrativite, voir infra pp. 231-240.

95


d'agalmata (comme celui de Geneleos) occupe une place dont Ie choix fait l'objet d'une decision separee et les deux cetes de la

a mesure que les annees sanctuaire veille a ne pas

voie se remplissent de statues au fur et passent. Bien que l'architecte du encombrer Ie lieu et

a en assurer l'esthetique, il n'etablit pas des

Ie debut des plans concernant l'ensemble de la disposition, comme pour les dromoi 138 • Les statues qui bordent les voies des sanctuaires archa"iques ont done un caractere individuel. Mais il y a plus: non seulement chaeune d'elles est porteuse de sa propre histoire, qu'elle y soit inscrite ou non, mais leur disposition peut declencher la narration de la part du passant qui visite Ie sanetuaire. Car elles sont presque toujours alignees, tantet sur la terrasse du sanctuaire (Ptoion), tantet aux abords d'une voie "sacree" (statues assises et kouros de Didymes, ensemble sculptural de Geneleos et kouroi

a

Samos); et eet alignement ouvre la

138Voir A. Jacquemin, op. cit., pp. 199-202, qui traitant de I'emplacement des offrandes a Delphes, fait une revue des decrets d'autres sanctuaires concernant ce sujet. L'exemple de Kynosarges, supra, p. 64, appartient a la categorie des ensembles d'agalmata: Comme on a deja vu, les trepieds de Ptoion (anterieurs mais pareils a ceux de Kynosarges) sont des offrandes collectives que la cite erige et chaque ensemble de trepieds est reconnaissable par sa difference d'avec les autres. Selon R. Martin qui dans L'Urbanisme dans la Grece antique, Paris, 1974, a etudie Ie role des architectes dans les villes: "l'architecte de la ville veille a I'execution de travaux divers, souvent bien humbles.... II fait preceder a la gravure des decrets et a I'erection des sreles" (p. 69), comme a Milet (Milet, I, 138, I. 32) ou a Rhodes (Syll. 581,1. 95) oil "l'architecte des services edilitaires est charge doe preparer un devis pour la gravure et la mise en place des sreles" (p. 69). 96

c


possibilite-d'une-approche-nar-rative-de I'espace, moins apparente qu'elle ne Ie sera plus tard ou dans les exemples des frontons architecturaux. C'est un type plus abstrait (par rapport

a celui des

frontons)

de manipulation narrative de la sculpture par Ie moyen de

l'utilisation de I'espace. Cette interpretation de la narrativite presuppose I'existence du visiteur et Ie mouvement de son passage

a travers

les alignements qui encadrent

a l'epoque

la -ou les-

voie(s) du sanctuaire. Dans Ie cas des frontons Ie visiteur est immobile; son regard embrasse I'ensemble de la composition: c' est alors aux personnages figures de se mouvoir pour raconter. Par contre, dans Ie cas des voies des sanctuaires, Ie fil conducteur est Ie personnage meme du visiteur; son passage lie les differents objets ranges des deux cotes de la rue. On pourrait dire que c:es dispositions representent la narration de I' entree dans Ie sanctuaire. Les statues se dressent des deux cotes du chemin; elles accueillent Ie nouveau venu jusqu'au but de son trajet; elles peuvent aussi etre dechiffrees comme objets de consecration; Ie visiteur lit alors sur elles Ie nom de celui qui les a dectiees, de I'artisan qui les a fabriquees et it s'informe sur l'occasion qui a

constituel~

la cause de I'offrande.

97


II

3. LE ROLE DU PASSAGE DANS LE DECLENCHEMENT DE LA NARRATION

Au chapitre intitule "Marches dans la ville" de son livre

L'invention du quotidien, Michel De Certeau, comparant I'acte de marcher dans la ville avec I'acte de parler, constate I'importance de I'acte du choix par Ie marcheur des lieux ou il marche: "D'abord, s'H est vrai qu'un ordre spatial organise un ensemble de possibilites ... et d'interdictions ... Ie marcheur actualise certaines d'entre elles. Par la, il les fait etre autant que paraitre" 139. Ainsi "il y a une rhetolrique de la marche. L'art de tourner des phrases a pour equivalent I'art de tourner un parcours."

140

Plus bas, au chapitre "Recits d'espace" il va plus loin, dans une perspective assez proche de notre point de vue: "Les recits ... chaque jour, ils traversent et ils organisent des Iieux; il les selectionnent et les relient ensemble; ils em font des phrases et des itineraires. Ce sont des parCOUirs d'espace." 14l

139M. de Certeau, L'invention du quotidien, T. I: Arts de faire, Paris, 1990, p. 149.

140/bid., p. 151. La logique de I'analyse de M.de Certeau suit la voie ouverte par J.-F. Augoyard, Pas a pas.. Essai sur Ie cheminement quotidien en milieu urbain, Paris, 1979 et par S. O:strowetsky "Logiques du lieu" in Semiotique de l'espace, Paris, 1979, pp. 155-173. II s'agit d'une hypothese structuraIiste visant aformuler une thoone de I' utilisation du milieu urbain modeme. 141/bid., p. 170.

98


Et il continue en disant: "Tout recit est un recit de voyage, une pratique de I'espace.

"142

Par consequent, Ie premier TIlveau d'equivalence entre

marcher et parler se double d'un second niveau ou Ie passant, en accomplissant un parcours, compose en meme temps une histoire. Inversement, un recit est fait d'une liaison de lieux: on ne peut pas narrer sans se rMerer a divers ,6nat; chaque evenement,

chaque acte constitutif d'une narration ne peut qu'avoir lieu quelque part et la suite temporelle d'un recit est une suite de lieux. La suite des lieux, I'itineraire, est une narration. M. de Certeau se rMere a Ia structure narrative du parcours parce qu'il s'interesse a Ia dynamique du quotidien et cela dans les villes modernes; mais cette dynamique existait deja sur Ies voies des sanctuaires archai'ques, et plus tard sur toutes les voies ou des

agalmata en sene se dressaient pour commemorer un evenement ou un homme; c'etait Ie cas des voies de l'agora ou de celles qui servaient de cimetieres. Cette sene de Iieux ne peut etre que paratactique, meme si Ie recit se compose de repetitions ou de retours, meme s'il est cyclique, meme (et Ia" d'autant plus) s'il est parseme de digressions. Le recit a donc Ia forme des voies grecques: chaque statue occupe un lieu detiini et chaque statue peut representer une partie autonome d'un recit. Ainsi une enumeration de lieux estelle une narration. Et de Certeau ajoute:

142Ibid., p. 171.

99


"II est 'diegese', dit Ie grec pour designer la narration: il instaure une marche (il 'guide') et il passe

a travers

(il 'transgresse').

"143

Ainsi nous d6tectons Ie depart de la narration dans l'art figuratif grec au vu de la combinaison de la sculpture (et plus generalement de l'architecture) et de l'espace par Ie moyen du parcours. Autrement e1it on assigne aux emplacements paratactiques des voies grecques une certaine structure narrative plus libre, sans evocation d'histoires connues, que Ie visiteur est cense dechiffrer: Ie role e1u passant dans Ie e1eploiement narratif est donc vraiment actif.

II

4. EKPHRASIS: DESCRIPTlON, ENUMERATION. NARRATION

De meme, l'auditoire e1es recits homeriques etait-il oblige de participer

a la narration en imaginant les personnages, les lieux,

ou les scenes decrits. Gombrich explique I'abandon des schemata

143Ibid., p.189. i.e terme oLnynmc; pour Ie recit apparait chez Platon (Rep. 392d

sq.:

'Ag'

ou nuvw

aaa uno f!1J801ooywv ii nOLntWV lotyEtOL oLnynaLC; ovaa

"Tout ce que disent les conteurs de fables et les poetes n'est-il pas Ie recit d'evenements passes, presents ou futurs?", Platon, (Euvres completes, t. VI, La Republique, texte etabli et traduit par E. Chambry, Paris, 1981.) Sur ce point voir: J. Brunschvig, "Diegesis et mimesis dans l'reuvre de P!aton", REG 87 (1974), XVII-XIX. i.e terme est repris par G. Genette pour 1es theories du recit qu'il etablit par rapport a la mimesis, ainsi que par P. Ricreur, qui utilise l'adjectif 'diegetique'.Voir, Temps et Recit, II, Paris, 1984, pp. 152-153. tUYXUVEL

ii

yEyOVOtWv

ii

avtwv

ii f!El.l.ovtwv ~

100


par la nature des techniques narratives grecques OU Ie poete pouvait varier Ie mythe et I' enrichir par l'exploration des causes. l44 Ainsi il ecrit, apres avoir cite la description d'une broche d'or dans l'Odyssee

145

OU etait grave un chien en train de

dechirer un faon, que "c'est la mf:me attitude ou tournure d'esprit, celle qui faisait participer l'auditeur a l'evocation de la scene de la chasse, en imaginant avec Ie conteur, l'assaut du

a la curee et la lutte desesperee de la victime"l46 qui pousse les sculpte:urs a progresser dans la representation, et qui est a l'origine de la "reaction en chaine" qui se produisit chien

dans l'art grec. L'exemple que Gombrich cite appartient

a la

categorie de

l'ekphrasis I47 , de la description d'une reuvre d'art figuratif.

144J.

Carter repond a la question de I'emergence de la narration dans I'art gree

par la rencontre des cultures de la Grece et du Moyen Orient. "Of themselves such scenes (the generalized battle-scenes of the Dipylon craters) and such descriptions (the long passages describing fighting in the Iliad) would not have led Geometric artists to think of illustrating episodes from the heroic songs which were current in their own day. The necessary external stimulus came from the images of oriental art, which arrived devoid of meaning and demanded explanation. One or two of these images were capable of being interpreted as illustrations of Greek legends; and others of them broadened the narrow vocabulary of Geometric art and helped to free that art quickly from the constricting influence of its simple origins", J. Carter, 'The beginning of narrative art in the Greek Geometric Period", ABSA 67 (1972), pp. 25-58, p. 58. 1450d., XIX, v. 226-231. 146

E.H. Gombrich, op.cit., p.l75.

147S ur

ekphrasis, voir J. T. Kakridis dans Homer revisited, Lund, 1971.

I01


L'exemple Ie plus ancien d'ekphrasis est celui du bouclier d'AchiUe dans l'Iliade 148 (imite plus tard par Ie pseudo-Hesiode dans son Bouclier d'Heracles). La Homere decrit les scenes qu'Hephaistos a creees pour orner Ie bouclier du heros: elles sont juxtaposees et I'une apres I'autre, elles composent un tableau. L'enumeration de ces scenes constitue it la fois la description de ce tableau et Ie contenu de la narration de I'epopee. L'ekphrasis est done

Il~

produit d'une juxtaposition ou d'une

parataxe de scenes dont la dimension optique est la plus importante. Mais Ie poete, en composant ce tableau ne se contente pas d'une simple description; cela lui sert comme motif pour donner aussi la dimension acoustique ou les causes de chaque evenement represente. Le conteur complete la description de ce

148Iliade, XXVIII, v. 478-608. Le boucIier d'Achille a ete I'objet de plusieurs etudes. II a ete presente comme un tableau, une metaphore que Ie poete a dresse pour lui-meme en tant que crealeur. A ce propos voir J. Pigeaud, "Le bouclier d'Achille, Homer-e, !liade, XVIII, 478-608", REG 101 (1988), pp. 54-63 qui conclut (p. 62): "Le monde que cree Hephaistos est comme Ie monde.. En verite,

a la fin du passage, c'est Ie monde, et pourtant c'est l'ceuvre d'art elle-

meme". Voir aussi F. Letoublon, "Le miroir et la boucle", Pacitique, 53 (1983) pp. 19-36. Sur Ie bouclier et sa relation avec la conception du cosmos archaique M. Hwwit eerit: "In addition to being a clue to the nature of Homer's own oral poetic performance, the shield of Akhilleus is Homer's ideal work of art. .... Its figures perform almost magically in a world that coheres. It is a cosmos according to Homer but it is also a poetic affirmation of kosmos -a world that in time means "world" only because it meant 'order' first", J. M. Hurwit, The An

and Culture of Early Greece, op. cit., pp. 71-73, pp. 72, 73. Sur Ie boucIier d'Heracles: J. -L. Myres, "Hesiod's Shield of Herakles: its structure and workmanship", JHS 61 (1941)" pp. 17-38, M. Van der Valk, "Le boucIier du Pseudo-Hesiode", REG 79 (1966) pp. 450-481.

o

102


qui devait etre represente tout comme fait Ie passant qui voit un

agalma et dont I'imagination se deploie a partir des details qu'il remarque et qui l'impressionnent. La narration est done ,5troitement liee a la description; elle en surgit spontanement. En meme temps la description ne peut etre qu'une juxtaposition d'elements; ainsi elle est tres proche du catalogue. Des lors la description d'une voie de sanctuaire par Ie passant est l'enumeration des agalmata qui s'y trouvent. Et la narration y est deja presente: en enumerant les agalmata, Ie passant les lie entre eux et son imagination lui sert tout comme dans la description du boucher pour completer ce qu'il voit, y etablir des relations et former et definir des "avant" et des "apres" temporels.

II 5.

INSCRJiPT!ONS ET POEME DE LA 1RAVERSEE

Ce systeme narratif peut fonctionner sans la presence des inscriptions. E. Havelock decrit tres bien Ie mode de fonctionnement de cette "lecture sans lecture" de l'espace dans la societe sans ecriture: "Mais la vision, ... , avait cependant une fonction

a

d'emmagasinage

accomplir, en procurant

a

la

memoire les formes d'artefacts utilisees et reutilisees par la culture -des artefacts qui, en se repetant au cours des fabrications successives procuraient de la continuite et de la structure

a la conduite aussi. Cela a ere vrai en

103


particulier pour I' architecture, sacree et profane, publique et privee, qui etait creee pour n'importe quelle societe donnee. ... Les contours des rues, les places de rencontre, les cours, les portes d'entree, les chambres, les pllafonds et les foyers, tout autant que les formes des temples, de la Boule, des auditona en plein air, des espaces de course, des ports, ... , avaient I'effet pour les cites grecques du debut de guider Ie comportement par la maniere dont ils etaient utilises, c'est-a-dire dOJ[1t ils etaient percus. La maniere de vivre, Ie nomos et I 'ethos de la societe, pouvait d'une part etre enregistre et conserve par Ie moyen du 'Iangage invent'e ', et d'autre part s'incorporait a des structures vues par I'rei!, qui ainsi pouvaient servir de supplement a i ' oreille en tant qu'instrument d'emmagasinage.... Une sorte d'attente architecturale a laquelle I'reil etlilit accoutume depuis longtemps"149 . La distance n'est pas grande entre ce point de vue (ou tout I'environnement construit complete I'enseignement oral de la societe sur son nomos et son ethos en s'offrant comme une sene de solides supports visuels) et celui selon lequel ces constructions assument Ie role plus general de structures pretes au dechiffrement que I'individu qui les voit doit lier par la pensee en foumissant lui-meme de fil (Ie til suggere d'avance par la position qu'occupent les objets sur son chernin) n'est pas grande. '" E.A. Havelock, The Greek Concept of Justice, Cambridge, Massachusetts and London, 1978, p.224-225.

104

c


Un exemple tres ancIen qui montre Ie declenchement de la narration par Ie moyen de constructions visibles (mais non inscrites) que Ie passant rencontre sur sa route se trouve dans

l'Iliade. II s'agit du passage ou Hector apparait devant les deux armees, acheenne et troyenne, pour demander un adversaire pour un duel. La. il promet que, s'il tue son adversaire, il gardera ses armes mais donnera Ie corps aux Acheens pour I'inhumer. Le

sema de son adversaire va donc etre dresse la, "au bord du large Hellespont", et plus tardl, quelqu'un qui de la mer tandis qu'il naviguera, dira que c'est Ie sema d'un homme brave qui a ete jadis battu en combattant Ie vaillant Hector; ainsi Ie kleos d'Hector ne va jamais se perdre l50 . Le sema dont parle Hector, traduit, comme I'ecrit J. -Po Vemant a propos des semata et des colosses "I'inscription paradoxale de I'absence dans la presence"151. Le visible appelle 150/l. VII,

V.

86-91:

o~fla tE XEU(jXlLV btl rrA.atEl 'EA.A.llOrrovtcp.l xal notE tL<;

EtnllOl xal CnvLyOVWV avflgwnwv/ Vll', noA.uXA.i('OL nHwv btl olvona novtOv./ avog6~ . flEV tOOE oiifla naA.aL xatatEeVllwto~/

OV not' agLOtEUOvta xatextavE

(jlatoLflo~ -Extwg.l iiJ~ notE n~ EgEEL. to 0' (flOV xA.eo~

au not' oA.Eltm. Je

remercie J. Svenbro pour m'avoir indique ce passage, qu'il a cite et analyse dans Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grece ancienne, Paris, 1988, p. 62-63. Dans Ie meme livre on trouvera une demonstration du role de la lecture des inscriptions pour l'etemisation du kleos personnel. Sur Ie role des inscriptions gravees sur les statues, voir aussi Ie tres inreressant article de P. Pucci, "Inscriptions archai'ques sur les statues des dieux", in: Les Savoirs de Ncriture en Grece ancienne, (Cahiers de Philologie, vol. 14), Lille, 1988, pp. 480-497. 15IJ. - P. Vernant, Figures, idoles, masques, Paris, 1990,p. 28. Sur serna, voir aussi: G. Nagy, "::EiiflU and NonaL~: Some illustrations", Arethusa 16, Vol. 1,2, (1983). JlG5


ici en quelque sorte I'invisible; il invite a penser et a s'imaginer la personne, mais aussi I'histoire de la personne qu'il concerne, et a perpetuer ainsi son kleos personnel. A partir d'une voie bordee de semata pareils Ie passant peut composer alors une sorte d'epopee virtuelle en les liant entre eux. Quand les inscriptions apparaissent, elles completent cette "lecture" deja existante. C'est surtout evident sur les monuments funeraires eriges sur les voies, OU les inscriptions sont dans Ie meme style que

l't~nonce

declenche chez Ie passant par Ie tombeau

dont parle Hector. Ces inscriptions ne tiennent pas seulement compte du passant: elles sont adressees a lui car il est Ie destinataire du message qui y est inscrit. Certaines d'entre elles, se referent a leur position pres du chemin (eyyuc; 6bolo) et au mouvement du passant. Elles invitent meme Ie marcheur a s'arreter devant elles pour lire; cela prouve que la disposition des f.lVT1f.lUtU

sur les voies n'est pas fortuite. Si on se rappelle aussi

qu'elles sont ecrites en vers et que certaines de leurs expressions sont empruntees a I'epopee, force est de constater que leur fonction narratrice, qui va de pair avec leur fonction memorisante, est intentionnelle: nous voila devant une epopee que la lecture du passant fait surgir chaque fois qu'il longe la voie. Le parcours physique, avec les pas, les arrets et les departs du passant equivaut done a un parcours narratif compose de divers episodes contenus dans les agalmata qui ornent Ie chemin.

106


Dans la premiere des inscriptions de ce type, provenant d'Haliarte, Ie passant en lisant Ie nom du mort rend un service au detunt; aussi est-il aussitOt remercie l52 . Dans une autre, provenant d'Athenes, il est dit que Archeneos,le pere du detunt (qui fut un homme bon et sage) a erige cette tombe pres du chemin l53 . L'expression .6bE aii~a eyyuc; Mov se repete dans plusieurs autres inscriptions, ou les

informations sur Ie defunt et les noms cites l54 constituent les fragments du recit que Ie passant peut completer

a I'aide de ce

qui est represente sur Ie monument. Prokleidas, par exemple, a ete tue en combattant pour sa terre 155: liCe serna-ci, pres du chemin, s'appellera Prokleidas, lequel mourut lorqu'il se battait pour son pays". Le monument de

152p. Friendliinder, Epigrammata. Greek Inscriptions in verse. From the Beginnings to the Persian Wars, Chicago, 1987 (1948), N. 5, p. 14 = lG VII 2852 : Kall(a Aiyt8(B)OLO, Tv o'E1i :tQda [a', / wI ltaQoO,ina. Sur la forme des monuments funeraires archai:ques, voir: G. M. A. Richter, The Archaic Gravestones of Attica, London, 1961. En ce qui concerne les formules dedicatoires, voir aussi: M. L. Lazzarini, Le formule delle dediche votive nella Grecia arcaica, Mem. Line.

vrn, XIX 2, 1976.

153lbid., n. 31, p. 35 = IG I 974: 'AQXEVEWC; t60E a[iifLa ltatilQ <plA.ot) 路IltltoA.OxOLo楼 EotTla' E-ty'iJc; 6&0,' ilyaBoii xat [aWcpQOvoc; ilvOQ6c;].

154Selon Proclus "les noms atribues aux enfants par leurs peres ont Ie but de commemorer quelque chose ou quelqu'un au bien d'exprimer un espoir au queique chose de semblable", Proclus, Scholies au Cratyle, 47,88 Pasquali cite par J. Svenbro, Phrasikleia, op. cit., p. 28. 155lbid., n. 64, p. 74 = lG IX 1. 521: IIQOxAE(ooc; tooE aOfLa XEXAnaEtaL E-ty'iJc; 66010,1 5C; ltEQl t<ic; autoii yac; B<iVE flagv<ifLEvOC;. Sur Ie monument de Prokleidas voir aussi, J. Svenlbro, ibid., pp. 44-45, it qui on a emprunte cette traduction. 107


Theosemos a ete erige par son ami Anphianax l56 , tandis que Philodemos et Anthemion que Ie destin de mort a enleves ont un

serna ensemble l57 . D'autres epigrammes demandent au passant s'arreter pour pleurer aupres du monurnent1 58 ; parmi eux il y en a qui mettent I'accent sur Ie passage, Ie mouvement du passant en l'opposant il. son interruption, I'arret devant Ie monument1 59 .

II

6. STRUCTUREDEPARATAXE

II se trouve donc qu'en Grece, pendant la periode archa"ique, les voies qui commencent il. surgir aux abords d'un sanctuaire, dans l'agora ou dans uncimetiere engendrent une structure tres speciale: celIe

au l'objet singulier s'impose par sa presence bien

distincte dans des alignements en bordure de I'espace du passage;

156/bid., n. 66, p. 75 = /G I 473: [~~J.l] t66' EYYU£ 600;) ElEoanJ.l0U [at~aa 8avovto£]I [avjOQO£ EI'OL tE 'l'iA.ou xaya80;) ·Av'l'[u'1val;r.

157/bid., n. 67, p. 75 =/G I I026a: a~J.la t66' EYy[U]£ 600;) <1'L[A06nJ.lou x' ·Av8]EJ.l[iwvo£]/ oil£ 8a[v6.wLo It]6tJ.lO£ [...... J

15S/bid., n. 82, p. 86 = Do).quul' 2 (1938), PPt81SQ = REG 52 (1939), pp.

463sq, n. 105:

~t~8L xaL otxtLQov KQOLaou lta . a~J.lO 8avovto£/ 6v JtOt' Evi

JtQOJ.L6.xOL£ ffi).EOE 8oilQO£ 'AQTI£.

159/bid., n. 83, pp. 87-88 = /G I 971: 'Av8gwJtE, 6£ aniXEL£ xaW 6Mv 'l'QEOtV aU.a J.lEVOLVl1lV, / <mi8L xat otXtLQov a~J.la ElQ6.awvo£ lliillv.

Et n. 135:

[ELtE

a).o8Ev EA8illv / tEtLXOV oLxtLQa£ av6Q' aya80v JtaQlto/ EV JtOAEJ.l'P 'l'8Lf'EVOV, vWQ6.v ii!lllv OAWavtal ta;)t' iutObuQ6.f'EVOL vala8E

me

JtQO.YJ.l' aya8ov. .

108

c


cette disposition et la forme concrete des objets sont en mesure de "parler" pour chacun d'eux et l'inscription qu'ils portent vient completer la narration deja existante en tant que structure. Essayons un peu de decrire cette structure. Serie de differentes unites placees l'une a cote de l'autre, ou en termes qui se referent a I'espace ou au temps, I'une apres l'autre, elle n'est rien d'autre que la juxtaposition (parataxe), qui devient coherente par Ie moyen d'unfil de jonction. Dans I'exemple-type de la voie menant a un sanctuaire, on voit que l'importance relative des unites ne joue pas un role destructeur pour la stmcture. Car on y trouve alignes des

agalmata de toute sorte: statues, tresors, petits temples, temple 160 . Cette structure peut prendre la forme d'une enumeration, d'un catalogue, d'un recit, d'une inscription; d'une representation sur un vase, ou sur une frise architecturale 161 ou sur un fronton 162 ;

160Ainsi on veut se diff6render de J. L Myres, qui distingue "pedimental composition" et "frieze composition". (Voir, J. L. Myres, Herodotus: Father of History, Oxford, 1953, pp. 62-63). En fait, selon nous, les exemples de "pedimental composition" citi~s par J. L. Myres peuvent tres bien entrer dans notre idee de la structure de pa:rataxe, qui etant plus large, inclut les deux. 161Comme c'est Ie cas de la frise de I'Heraion de Samos construit aptres I'inondation de 670 avo J. -C. : "Sur une seule pierre tailIee du temple, les tetes de trois guerriers porteurs de l.ances sont gravees dans Ie style schematisant de l'epoque: on peut completer par la une frise murale d'a peine plus de 30 em, c'est-adire un format qui depassait a peine les figuration apparentees des vases.", H. Berve, G. Griiben, Temples et sanctuaires grecs, Paris, 1965, p. 248. Un exemple de composition paratactique analogue est celui de la frise du Tresor des Siphniens a Delphes.

1109


de la procession meme. Quant ii I' espace, les unites se traduisent par des objets (les offrandes ou les batiments places des deux cotes de la rue ou meme les colonnes des biitiments qui bordent la rue, comme celles des

stoai l63) et c' est Ie regard 164 de la

personne qui se meut en laissant derriere elle chacun de ces objets, qui en invente Ie fiI de jonction.

162 Un tel exemple, c'est Ie fronton Est du temple delphique de la fin du VIe siecle, (ceuvre d'Antenor) qui aIignait Apollon, kouroi et korai et animaux et ou P. VidaINaquet et P. Leveque ont vu "les principaux caracteres de la reforme de Clisthene, avec son souci d'ordonnance SipatiaIe, et en meme temps les structures du cosmos milesien": Clisthene l'Athenien, Paris, 1964, pp. 86-89. 16311 suffit de regarder 1es plans du livre de J. Coulton The architectral

development ofthe greek stoa, Oxford, 1976, pour se rendre compte que Ie role des co1onnes est semb1able it ce1ui des statues. Ceci est encore plus vrai si on pense it l'opinion des speciaIistes qui soutiennent que "la co10nne grecque semble bien constituer une tnmsposition non de l'arbre, comme 1a colonne egyptienne, mais de

l'homm(~",

(R. Ginouves, "Co10nne et peristasis",in:

Architecture et poesie dans Ie monde grec, Hommage

a George Raux, Lyon,

1989, pp. 13-17). Cette meme idee a conduit J. Onians it penser que Ie temple periptere grec representait 1a phalange et que Parthenon "was probably designed to prevent war by its display of strategic attributes": J. Onians, "War, Mathematics and Art in Ancient Greece", History ofthe Human Sciences, vol.

2, n. 1, pp. 39-62. 164Cf. A. D. S. Antonas, op. cit., pp. 68-69: "Par 'Regard' il ne faut pas seu1ement comprendre:vision, mais aussi: reception de la vision" et pp. 79-80: "Car Ie Regard en meme temps qu'il reyoit de 1a vision les donnees exteneures, i11es complete, 1es deforme et les reforme, i11es incorpore ou les rejette, dans une procedure sans commencement ni fin qui n'a qu'un but: habiter l'espace".

c

110


Pediment of the Siphnian treasury at Delphi. Delphi Museum, Photo: Alison Frantz,

The Fran<;ois Vase. Museo Archeologico. Florence. Photo: Alinari.

111


DIEUXIEME PARTIE

"

,

CHEM/NEMENT ET EPOPEE HOMER/QUE

o


III. Structure de parataxe III 1.

PARATAXE ET VERS HOMERIQUE

La structure paratactique est tout d'abord presente dans la phrase et dans Ie vers homerique, comme Ie souligne G. S. Kirk:

"La pensee et son expression sont toujours, ou dans la plupart des cas, lineaires et progressives. ... C'est un mode d'expression plutot paratactique que syntaxique, OU les pensees ou les parties de la phrase, sont juxtaposees. ... Dne idee ... conduit

a une autre;

Ie style lineaire avec

son enjambement progressif ... est aussi un style generateur OU une idee ou expression amene la suivante.

... La forme progressive de I'enjambement ... encourage la construction de phrases plus longues sur Ie mode lineaire. ... Car I' accumulation est un principe de composition qui s'applique non seulement aux termes et aux idees dans la phrase meme mais aussi aux phrases et aux passages par rapport au developpement des motifs et de themes

a l'interieur de la structure episodique" .165

La structure paratactique de la phrase homerique rappelle, comme Ie souligne G. S. Kirk, "Ie style tresse" 165 0.

(EiQo~tvn At~L;)

S. Kirk, The Iliad: ./\ Commentary, Cambridge, 1985, pp.30, 32, 34. Voir aussi Ie chapitre 路'Ve:rse-Structure and Sentence-Structure in Homer~, pp.146-182 dans Ie livre Homer and the oral tradition du meme auteur, Carnbridge-Londres-N.York-Melbourne, 1976.

112


d'Aristote. Ce style est ancien et Aristote en donne pour exemple Ie debut des Histoires d'Herodote: "Le style est necessairement tresse, c'est-a-dire ne devant

son unite qu'a la conjonction, comme dans les preludes des dithyrambes, ou implexe et semblable aux antistrophes des anciens poetes. Le style tresse est I'ancien style: 'Voici I'expose de i'enquete d' Herodote de Thourioi'. C'est Ie style dont tout Ie monde se servait primitivement, mais maintenant on ne i'emploie guere. J'entends par tresse Ie style qui n'a pas de fin par lui-meme, a moins que I'enonce de Ia chose ne soit acheve. II n'est pas agreable, parce qu'il est indetermine; or, tout Ie monde desire voir nettement Ia fin; c'est pour cette meme raison qu'arrives aux bornes Ies coureurs

hah~tent

et

dMaillent; tant qu'ils ont Ie but devant leurs yeux, il ne se laissent pas aller. Telle est done la forme tressee du style" .166. Une fois de plus ici on parle du chemin pour se rMerer au discours. Pour etre mieux compris, Aristote prend I'exemple

166rTJ v 6E ).E!;LV avoyx~ dVUL ii deofl£~V xat t(ii O1JVOEOfl(ll fllav, WaltEQ ai tv toi, oLtluQofllloL, ava~o).al, ii xatEOtQaflflE~V xal Oflolav tai, twv aQxalwv ltOL~tWV avnOtQO<pw,.

80uQlou fiIi'

'IotoQl~,

'R flEv crOv dQOflE~ ).£1;L' n aQxala tOtlv. "RQOMtou l"tOOEL!;L,'

lto).).ol XQWvtUL. /\tyw 6E

ta1h~

deoflE~V,

ltQdyflU ).eyOf!EVOV tE).wutlij. -Eon oE ~ou).onUL

xatloQUv.

"'LOltEQ

yaQ ltQ6tEQOV flEV MaVlE"

vtiv 6E oil

ii OUOEY EXEL ,£).0, xatl'au'TJv, av fln ,,) a~6E,

oLa ,0 MELQOV. ,0 'lUg tuo, It(ivtE,

tltt wi, xafllttnQoLV tXltVEOUOL xal tx).uonaL:

Aristote, Rhetorique,' III, 9, 1409 a 26-29, Collection des Universites de France, texte etab1i et traduit par M. Dufour et A. Wartelle, Paris, 1973. D'apres les suggestions de Pierre Vidal-Naquet, j'ai utilise Ie mot "tresse" au lieu de "coordonne" par leque11es traducteurs rendent en

113

fran~s

Ie mot grec

"dQOf!£~".


significatif de la course et identifie Ie mouvement du coureur

a

l'action de suivre un discours. Ce qu'il y a de cornmun entre la course et Ie discours c'est I' existence du parcours, crest Ie mouvement. En comparant la course avec l'action de suivre un discours, Aristote met I'accent sur la continuite ininterrompue des phrases qui forment Ie recit. 167 . Le mouvement relie les differentes etapes, les lieux alignes qui constituent Ie chemin; de meme la narration est faite de la jonction des differents episodes et Ie discours se cree par la liaison des phrases, des paroles. Cette liaison est un mouvement pareil au cheminement.. Et c'est par ce mouvement, ce fil, que Ie recit emerge. Pour que la narration prenne substance on a donc besoin d'un mouvement; il en va de: meme pour Ie chemin. Les Grecs utilisent Ie meme mot pour designer I'espace de la course et l'activite du coureur

(I)Q6f.lo~).

L'espace ne prend donc lui aussi substance que

de I'experience de la pe:rsonne qui s'y trouve. Et Ie mouvement de cette personne etablit un fil, un fil pareil

a celui qui

est constitue

par la personne qui recite ou qui suit la narration.

167Cette continuite provieI!lt d'un mouvement qui selon nous ne prive pas I'auteur d'un souci pour I'ensemble. Voir contra, C. Whitman, Homer and the Heroic Tradition, Cambridge Mass., 1958 p. 99.

114


III 2.

COMPOSITION ORGANIQUE ET COMPOSITION INORGANIQUE

La structure paratactique dans I'epopee n'est pas limitee

a la

phrase et au vers homelique; elle est aussi presente dans la forme narrative. B. A. Van Groningen et J. A. Notopoulos ont ecrit sur la

"parataxe" en introduisant avec elle la notion de "composition inorganique" qui s'oppose

a la

"composition dite organique". Un

schema d'evolution, selon eux, semble conduire de la premiere, qui caracterise I'age archalq[ue,

a la deuxieme qui apparait a l'epoque

classique. Selon B. A. Van Groningen, "Ia sophistique ... a pour la premiere fois coneu et formule I'idee de la composition dite organique" .1 68 II decrit ainsi la composition organique: "L'auteur coneoit donc un ensemble ... La partie n'est point autonome, mais est destinee

a collabon~r a l'intention

premier devoir est de servir".

169

totale et generale.... Son Homere, qui cree une

composition qui n'entre pas dans la categorie de I'organique, utilise certains procedes, comme "Ies chevilles, ... , une breve phase de transition l70 ,

... ,

la forme compositionnelle du cadre 17l ,

... ,

Ie

A. Van Groningen "Elements inorganiques dans la composition de l'Iliade et de I' Odyssee", Revue des Etudes Homenques, t.v, 1935, pp.3-24, 168B.

p.5. 169 Ibid., p.6. l70Ibid., p.19. 171 Ibid., p.20.

115


proeme, qui indique Ie sujet

a

traiter" 172 et finalement "Ies

rappels, ... I'anticipation" 173.

J. A. Notopoulos, dams un article de 1949, utilise la meme idee

a {'unite inorganique et, sous I'influence de Milman Parry, il essaie de lier la parataxe a la

qui identifie {a composition paratactique

litterature orale. II met en avant Ie Parthenon comme l'exemple inverse d'une composition organique parfaite.J 74 Mais, selon lui, "Ia conception de I'unite organique apparalt avec les tentatives philosophiques de la science ionienne"175, et c'est la notion du

cosmos "qui regularise

a travers l'harmonie la relation des parties

avec Ie tout" .1 76 Pour soutenir sa these, il utilise des fragments d'Heraclite, de Phenecyde, de Solon, d'Hippocrate, et de Democrite. Sa conception de I'ulilite organique reprend celle d'Aristote dans la Poitique. 177 Pour Aristote, les poemes homeriques possedent

1721bid., p.2l. 1731bid., p.2l.

174J. A. Notopoulos, "Parataxis in Homer: A New Approach to Homeric Literary Criticism", TAPA 80 (1949), pp.I-23=Notopou[os 1949, p.2. Voir aussi les publications du meme auteur: "Continuity and Interconnection in Homeric Oral Composition", TAPA 82 (1951); "Homer, Hesiod and the Achaean Heritage of Oral Poetry", Hesperia 29 (1960) pp. 177-197; "The Homeric Hymns as Oral Poetry", AJP 83(1962), pp. 337-368. 175Notopou[os 1949, p.3. 176Ibid..

177Aristote, Poetique, 145;9a, 18-21:

5v O£L toil,; ",vflou,; xafl<irc£Q EV taL';

tQay\OOlm,; oUVLOtaVm OQafLanxov,;, xat Jt£Qt ",lav JtQU!;LV 5J"nv xaL tEJ,,(iav,

Exouoav ugXilv x.ai. !-lEan xaL tEA.O~, LV' w01t£O ~<pov EV OA.ov .1tOt:f1 tnv oixEf.av

(Aristote, Poetique, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par J. Hardy, Paris, 1932.)

fJl\oviJv.

116


l'unite orgallique, qu'il indispensable

avait auparavant posee com me

178:

"C'est pourquoi, comme nous l'avons deja dit, par la aussi Homere peut passer pour un poete merveilleux entre tous: ce n'est meme pas la guerre de Troie entiere, bien qu'elle efit commencement et fin, qu'il a entrepris de traiter en un poeme; en effet, la fable efit ete trop etendue et difficile a embrasser d'un regard, ou bien, conservant de la mesure dans l'etendue elle efit ete compliquee a cause de la diversite des evenements. II n'a donc pris qu'une partie dtSterminee de la guerre et c'est sous forme d'episodes qu'il traite un grand nombre des autres faits; tel est, par exemple, Ie Catalogue des Vaisseaux et autres episodes dont il parseme son poeme". 179 Et Notopoulos commente: "1'Iliade et l'Odyssee ont en fait une unite; mais au contraire de celie de la tragedie, elle est inorganique et, en plus, les digressions, au lieu de fonctionner comme allegement, sont la substance de la narration, places d'une maniere paratactique, comme les grains de chapelet sur leur cordon" .180

178Et qui par contre n'est pas presente dans l'histoire: Aristote, Poetique, 1459a 1: "xat J.L1l o!J.OLat;

lOtOglULt;

"tac;

OUVAEOEL;

dvut".

179 Aristote, poerique 1459a 30-37: "t,,6,

6iOreE(? 拢lrro!!Ev 'llill, xat tau".!

8wrrEOLo,; av 'PaveL~ "O!!~(?OI; rra(?a tou,; aU-ou,;, tQ> !!~Iit tOV rrOAE!!OV, XalrrE(? EXOvta a(?xnv xat tE)"O';, EnI.XEL(?fiom rrOLElv 5)"ov路 )"lav ya(? av !!Eya,; xat oux Euouvorrto,; E!lE)"),,EV Eow8m Ii !!li8c,;

i\ tQ> !!EyE8EL

!lEt(?L<i.~ovta

xatarrm)"Ey~tEVOV

tii

rrOLXL)"te;t. Nliv Ii' EV !!E(?O'; c",o)"a~wv EnELOolilOL'; XEX(?~tm autwv rroU-ol,;, otov NEwv xata),,0YQl xal Ct)"),,OL'; EltELoolilOL'; ot,; IiLa)"a~<ivEL tnv rrol~OLV",

Hardy. 180Notopou[os 1949, p.5-6..

117

c

trad. par J.


III

3. PARATAXE ET ORALlTE

J. A Notopoulos en essayant de detinir Ie style paratactique et d'en trouver les representants, parle de I'ode pindarique, de Solon, de Simonide, des passages de Iyrisme chorale d'Eschyle et de la tragedie en general, d'Herodote et de Platon l8t • "Cette parataxe est un etat d'espritI 82 ", ecrit-il. La mentalite qui se trouve

a I'arriere-plan

est speciale: "Ies

specialistes de I'esprit primitif ont observe que l'interet se centre sur Ie particulier plutot que sur l'ensemble I83 ". Dans la poesie, c'est l'oralite qui determine cet etat d'esprit : "Ie poete compose en articulant les formules ..., il doit se concentrer sur Ie moment, sur Ie vers immediat. 184

••••

L'unite de sa

technique, c'est l'episode, ... , et c'est seulement avec la multiplication des episodes que Ie poete remplit une periode de temps plus longue I85 ". JFinalement, c'est la presence des auditeurs

181Selon

d'autres auteurs, Ie style paratactique arrive jusqu'a des epoques plus

tardives. J. Pigeaud, par exemple, ecrit sur Hippocrate: "La brachylogie et la parataxe, caracteristique du style d'Hippocrate, ont a la fois un sens litteraire (Hippocrate est un grand ecrivain) et une signification technique medicale", J. Pigeaud, Folie et cures de fa folie chez les medecins de l'antiquite Greco-

Romaine, Paris, 1987, p. 20. 182Notopoulos 1949, p.11. 1831bid., p.14. 184Ibid., p.IS 1851bid.,p.20.

118


dont I'interet doit toujours rester vif et clair, qUI conduit 11 la simplicite lineaire.

186

Pour E.A. Havelock aussi, une telle conception de I'ensemble ne peut que tenir a la nature orale de l'activite poetique: "D'abord, les elements des parties doivent etre exposes, sans exception, comme des evenements dans Ie temps.... Puis, ils sont geles dans les archives de la memoire comme des episodes separes et disjoints, chacun d'eux complet et satisfait en soi, dans des series qui sont articulees paratactiquement. Dne action succede a une autre dans une sorte de chaIne infinie. L'expression grammaticale qui pourrait symboliser la liaison entre deux

(~venements

serait simplement la phrase "et

puis". ... Troisiemement, ces elements independants sont exprimes en paroles telles, qu'elles sont en mesure de retenir Ie maximum d'evocation visuelle; devant I'reil de l'esprit ils viennent en tant que personnes ou choses personnifiees en agissant vivement. Dans leur independance separee et episodique ils sont visualises d'une maniere aigue, et ils defilent Ie long d'un panorama infini.l 87

•..

Le type causatif

de pensee presuppose que I'effet est plus important et qu'il doit etre selectionne Ie premier par la pensee. ... Cela renverse ce que nous pouvons appeler 'I'ordre temporeldynamique', ou 'l'ordre nature}', ou les actes sont lies en series, ceux-la memes qui ont lieu pendant l'experience

186Ibid., p.20. 187E.

A Havelock, Preface, p.l80.

119


sensorielle, et sont apprecies et savoures separement I' un apres I'autre.

188"

III 4.

STYLE TRESSE, PARATAXE ET EPOPEE

Les scholiastes de Pilndare s'inscrivent dans une logique pareille quand ils ecrivent: "Ceux-Ia disent que la poesie d'Homere n'est pas constituee d'une chose mais divisee en parties dispersees ca et la, et que par consequent rhapsodier equivaut a l'amener a etre une unite en faisant quelque chose de pareil a l'enchalnement et a la couture".

189

Nous n'insistons pas sur les fondements historiques de cette assertion, ni sur Ie theme de la couture; nous ne sommes meme pas d'accord avec la logique de la dispersion: ce que nous voyons dans cette phrase c'est la preuve de l'importance qu'avait pour les Grecs la partie, l'unite, et la revelation de l'existence chez eux d'une conception de l'ensemble en tant que jonction de differentes unites. Cette conception de l'ensemble ne Ie prive pas d'une harmonie, Heraclite dit que: "Comme la chair Ie plus beau systeme, Ie systeme du monde, forme d'elements repandus au hasard" 190. Et

18S/bid., p.185.

lS9S c hoL Pind. N. II, I :

"oL

bE

<paOLV tii£ 'OfineOU ltOLnOeW£ fin u<p' tv

OUVl1Yfi£Vl1£ OltOeaOl1V O£ IiA.AW£ xaL xUta fl.£eO£ &Lllellfi£Vl1£, 6ltote ea>jJUJ&olev autnv, el"fiiP nVL xaL QU<PU rrUlXlltAiiOLov ltoeelv, el£ £V aUtnV aYOYle£".

190Heraclite, fr.124 Diels: ... ... , [6) XDOfiO£.

-

an' woltee oawa elxii xeXVfiEvwv 6 XanLOW£,

trad. M. Conche.

120


Democrite pense que '''l'homme est un petit monde"191; Ie petit

cosmos de Democrite peut tres bien avoir une composition paratactique l92 . Les philosophes lOmens ont donc pu donner I'image d'une

harmonie provenant d'une juxtaposition d'elements dont chacun a son importance propre. C'est la meme idee qui regit I'organisation de la polis, ou chaque individu est different mais aussi contribue

a

titre egal avec les autres au fonctionnement de la democratie. Et pour revenir

a I'analogie

avec I'espace architectural: la

juxtaposition de temples dans Ie temenos d'Acropole ne donne pas l'impression de parties disjointes: au contraire, il s'agit d'un tout tres harmonieux. Le Parthenon

a son

tour, est une composition

parfaite, un tout tres harmonieux qui se trouve dans un ensemble ou la juxtaposition regne. L'importance de I'unite dans la composition paratactique de I'epopee ne I'empeche donc pas de contribuer en meme temps en tant qu'une partie dans un ensemble, tout comme les agalmata dans Ie sanctuaire (tresors, statues, temples). Nous ne croyons patS donc qu'il faille considerer la structure paratactique comme res,ponsable d'une composition "inorganique". Le concept de composiition inorganique reste de plus

a nos

yeux

mal defini: pour les aut,eurs cites, la parataxe est la maniere dont il saisissent l'inorganique. Ils ne peuvent done les dissocier. 191Democrite, fr.34 Diels: "iivllQWJtoC; fuxgoC; XOOflOC;". 192Comme Ie suggere la leclture des textes par B. Snell, qui a propos du corps humain ecrit que jusqu 'au Ve siecle "Ie corps n'etait qu'une construction de parties independantes rassernblees de diverses fa90ns": B. Snell, op. cit., p. 6 de la traduction anglaise.

121


Selon nous, I'lliade et l'Odyssee tout en ayant parataxe, ont une

unitt~,

qui est due

a la

a faire

avec la

composition du poeme:

I'ordre des parties n'est pas Ie produit du hasard mais de la volonte creative du poete. D'un cote, chaque element separe (unite) qui appartient

a I'ensemble a son importance propre, tout comme dans

Ie remenos. De l'autre cote les differentes unites ne sont pas du tout interchangeables: la s6rie qu'elles constituent est faite selon un ordre concret qui a un sens. En ayant la parataxe comme style de composition, Ie poete peut elaborer I'ensemble comme un tout harmonieux, avec des repetitions, ou meme ayant une symmetrie par rapport

a une scene

centrale (ring-composition) 193; Ie souci pour I'ensemble ne contredit pas la parataxe 194 . Nous voulons done, en ce qui concerne l'epopee, nous rUerer a une parataxe souple qui constitue un cheminement 195 .

193"Ring-composition', a term used to describe the framing of an incident between similar or identical formulae, has been studied as a structural principle in Homer, ... Thus there is a circular compositioin of scenes themselves, scenes framing scenes in concentric rings around center pieces", C. Whitman, op. cit., p. 97. 194Avec cela nous voulons repondre il certains savants comme O. Taplin, qui contredit la composition paratactique de l'epopee avec cet argument: "Crossreferences, narrative links, and scene sequences would all be damaged if sections were moved or removed": O. Taplin, op. cit., p. 12. Cette phrase montre que selon lui, la parataxe est Ie synonyme de l'absence de composition d'ensemble.En revanche, nolUs pensons que Ie poeme ne peut qu'etre Ie produit d'une composition d'ensernble et que bien silr, si on enleve une section, l'ordre et Ie sens de la sene se trouvent endommages. 195Et lil nous nous trouvons en accord avec O. Taplin qui ecrit que: "Homer's own image for the memory-sequence of poetry seems to be the path. So he

122


L'ensemble se definit precisement

a partir

a partir

de la linearite, ou, plus

d'un cheminement, que la ligne suivie par

celui-ci soit droite, ou qu'elle forme, dans Ie cas ou 1'0n a ringcomposition, une ou plUlsieurs boucles. En ce demier cas on peut

aussi imaginer Ie poeme comme Ie cheminement de quelqu'un qui entre dans Ie sanctuaire, arrive au temple, et puis revient sur ses pas pour en sortir; ainsi la symmetrie par rapport

a un

episode

central equivaut au meme trajet, emprunte dans les deux sens. Dans I' epopee homeriique la structure de parataxe nous interesse principalement sous trois formes: d'abord, celle de l'enumeration dont l'affinite avec l'espace de la rue est tres grande; ensuite, la plus generale, celle de la narration meme qui lie les actions entre elles en passant de l'une

a l'autre;

l'Odyssee

specialement est un par-cours jalonne d'episodes dans leur ordre chronologique; et finalement dans certains passages on trouve la description de La disposition architecturaLe meme, celle de l'alignement juxtapose

des objets qui, dans les descriptions des chemins est identifie

a une

juxtaposition de lieux.

may well have built up a mnemonic journey as the underlying shape of his poem", O. Taplin, Homeric Soundings: The Shaping of the Iliad, Oxford, 1992, p. 36. Sur la mnemotechnique et Ie chemin, on va se referer plus explicitement ala suite.

123

c


IV. La narration en tant que forme de parataxe

dans Ie recit homerique IV 1. L'ODYSSEE EN GENERAL

Pour presenter la structure de parataxe dans la narration on se servira tout d'abord de I' Odyssee. La, Ie cheminement implicite dans la parataxe de l'epopee en general, devient explicite. Car, Ie theme de l'Odyssee I96 , c'est celui du grand voyage de retour d'Ulysse, qui s'etend sur tout Ie poeme. Mais en marge de cela, il y a quantite d'autres descriptions de trajets, comme celui d'Hermes a Ortygie, de Telemaque a Pylos et a Sparte a la recherche de nouvelles de son pere, de Menelas en Egypte. Du chant IX (v.l) au chant XII (v.453), Ie rhapsode, poete de l'Odyssee en recitant Ie poeme, parle aussi par la bouche d'Ulysse, Ie protagoniste, qui raconte ses aventures s'identifiant au chemin qu'il a parcouru. Ce chemin est compose de maniere paratactique de divers episodes qui sont en meme temps les points d'arret, les heux qu'Ulysse a visites pendant son grand periple. Laissons de cote pour Ie moment Ie fait que ce chemin est decrit par Ulysse juste apres sa presentation au palais d'Alkinoos; car Ulysse apres avoir dit son nom a ses hates en ajoutant: "c'est bien celui dont la renommee arrive aux cieux et de qui Ie monde entier chante toutes les ruses"(Od. IX, v.l9-20)

196Une selection des plus interessentes parmi les recentes publications sur l'Odyssee a ete faite par H. Bloom ed. :Homer's The Odyssey, New York, Philadelphia, 1988.

124


et apres avoir nomme hhaque, son pays d'origine, commence a raconter son retour; comme si son retour etait la cause meme de sa renommee, comme si ce retour pouvait une fois de plus la fonder de nouveau. La parataxe qui regit Ie voyage d'Ulysse, cette parataxe de lieux disperses dans la mer et lies par son mouvement, regit aussi son recit. Ulysse commence par son depart de Troie, continue avec I'arrivee au pays des Kikones et enchaine par les episodes des Lotophage:s, des Cyclopes et de Polypheme, de la visite en Etolie, au pays: des Lestrygons, d' Aiaie (la demeure de Circe), a Hades, aux Sirenes, a Charybde et Skylla et finalement son arrivee a Ortygie, I'lle de Calypso197. La parataxe du recit est done ici Ie resultat de la parataxe interne au chemin qui est I'objet du recit d'Ulysse.. Meme si la derniere partie du voyage d'Ulysse se compose d'allees et venues, ces allees et venues sont comme toujours presentees lineairement, en tant que points constituant Ie fil du trajet. La meme parataxe, interrompue de parentheses nous informant de ce qui aJrfive a Ithaque regit aussi Ie recit des aventures de Telemaque. Une etude plus attentive, decouvre plusieurs mveaux de description du chemin: comme on I'a deja dit, il y a d'abord Ie

1975elon J. -L. Durand, "hors du monde des hommes chaque escale d'Ulysse se construit apartir d'un ou plusieursmanquements aux regles de l'hospitalite dont Ie recit mythique developpe les consequences culturellement logiques": J. -L. Durand, EPHE, Annuaire: Resume des conferences et travaux, t. XCIX, 1990-1991, pp. 255-258.

125


recit d'ensemble. II s'agit de la description du chemin que suit Ulysse parti d'Ilion jusqu'a son arrivee en Pheacie. Puis il y a la description que fait Circe a Ulysse et qui nous est ensuite rapportee de nouveau par Ulysse lui-meme. Elle contient tous les details et les accidents imprevus du trajet vecu, oil les fautes des humains (des matelots affames) ont entraine la destruction du navire et la perte de tous les compagnons d'Ulysse. On trouve enfin les divers petits trajets d'un point a un autre dans chaque nouvel endroit visite. C'est Ie cas de celui qui relie la plage de Pheacie oil almve Ulysse et Ie palais d' Alkinoos oil il aboutit, guide d'abord !par Nausicaa, cette jeune fille (xougn), puis par Athena ayant pris

:a

son tour les traits d'une jeune fille; c'est

aussi Ie cas des arrivees de Telemaque qui, en meme temps, representent la deuxieme forme de parataxe dans I'epopee.

IV 2.

ARRIVEiES DE TELEMAQUE

A PYLOS ET A SPARTE

Voyons la description de I'arrivee presque rituelle de Telemaque aux palais de Pylos et de Sparte et de sa reception par ses hotes: depuis la rencontre jusqu'a I'heure du sommeil nocturne qui clot ce trajet, des actes typiques se succedent. Nous prenons comme exemple ces arrivees parce que la parataxe des actes est etroitement Bee dans l' Odyssee au recit du voyage, et cette parataxe est par consequent disposee sur Ie til du chemin.

126


A Pylos par exemple, ou Telemaque arrive pendant Ie repas sacrificiel au bord de 131 mer, il commence par faire une libation Athena, il participe au repas, il se presente

a

a Nestor (moment de 131

reconnaissance), il ecolLlte ses recits sur son pere, puis apres une autre libation il est conduit par Nestor au palais dans lequel une troisieme libation a lieu et finalement, apres avoir bu encore une fois du vin, il va se coucher comme tous les autres. Cette reception de Telemaque

a Pylos

se deroule sur une

journee entiere, puisqu'il debarque Ie matin et entre au palais Ie soir; son mouvement de lente introduction dans 131 demeure royale est calque sur Ie passage de 131 lumiere du jour

a I'obscurite de 131

a celui du sommeil, et finalement de 131 avec ses hates a 131 reconnaissance

nuit, de I'etat de 131 veiHe premiere rencontre (avayvwQLoL~), qui

devient une relation encore plus etroite quand il

est heberge dans 131 maison et couche dans Ie meme lit que Pisistrate, Ie fils de Nestor.'路' II s'agit aussi d'un trajet metaphorique ou Telemaque, partant d'un deploiement vers Ie monde exterieur, avancle vers l'interieur d'une demeure mais aussi vers un etat de repli vers l'interieur de soi-meme, qui represente par Ie sommeil. A Sparte, une structlUfe semblable se repete: Telemaque arrive avec Pisistrate

a Sparte Ie soir pendant Ie banquet;

les serviteurs

prennent soin de leurs chevaux et les conduisent dans Ie palais. La, ils prennent d'abord leur bain, ils s'habillent de vetements nouveaux et apres s'etre: lave les mains il s'assoient devant 131 table ou ils rencontrent pour 131 premiere fois Menelas qui leur souhaite 198 Odyssee, III, v.l-103.

127


la bienvenue. lis mangent et ils assouvissent leur faim. Helene descend dans la salle et reconnalt Telemaque, Pisistrate et lui se presentent. Un repas

s't~nsuit

pendant lequel ils parlent d'Ulysse;

puis Telemaque et Pisistrate sont conduits par un heraut

a leurs lits

que les servantes ont auparavant dresses. l99 Dans divers fragments de l'Odyssee, ce n'est pas seulement la

narration qui possede une structure d'unites succedant l'une l'autre, similaires

a

a celIe de la voie; c'est aussi que cette structure

constitue le redt d'un vrai mouvement d'entree, d'introduction du heros dans la demeure. Le point final de ces trajets c'est l'arrivee

a

l'endroit ou aura lieu Ie sommeil nocturne; pour les hates il s'agit de la chambre qui se trouve tout au fond

(~1Jx6~)

du palais; pour les

nouveaux venus (Telemaque et ceux qui l'accompagnent) il s'agit d'un autre endroit prepare specialement pour l'occasion. Un autre exemple d'introduction, de mouvement allant de I'espace exterieur

a celui

de l'interieur du palais, mais ou nous

rencontrons en plus la disposition architecturale qui constitue Ie

troisieme type de structure semblable

a celie

des voies dans

l'epope&OO, c'est celui que realise Ulysse en arrivant en Pheacie. 201 lci la deuxieme et la troisieme forme de parataxe se trouvent reunies.

", Odyssee, IV, v.1-305. "" Voir supra, pAO.

'" Odyssee, VI, v.255-311; VII, v.28-347.

128

c


IV 3.

MOUVEMENT D'INTRODUCTION ET DESCRIPTION DE LA DISPOSmON

ARCHITECTURAI.E: L'ENTREE D'ULYSSE CHEZ ALCINOOS

L' "entree d'Ulysse chez Alcinoos" commence par la description que fait Nausicaa

a Ulysse du trajet qu'il doit suivre

et de la conduite qu'il doit adopter quand il sera arrive au palais,202 Nausicaa sera Ie guide d'Ulysse jusqu'au bois sacre d' Athena; la, ce sera Ie tour d' Athena de lui servir de guide, La premiere description du trajet (celle de Nausicaa) est alars suivie dans Ie poeme par une deuxieme, assez elliptique en ce qui concerne la partie du trajet qui mene au palais (Od., VII, v.2855) et beaucoup plus

de~taillee

en ce qui concerne Ie palais meme

(Od" VII, v.78-138); e:nsuite il y a la rencontre d'Ulysse avec

Alcinoos et Arete, sa participation au banquet avec une premiere narration d'une partie de ses aventures et finalement son repos sur Ie lit que les servantes ont dresse pour lui dans la demeure (Od., VII, v.139-347).

Tout Ie chant VII a ete intitule par les scholiastes Etao6o~ 1tQ6~ 'AhLVOOV

'06'UaafJo~

(="L'entree d'Ulysse chez Alcinoos");

c'est une entree au sens a la fois litteral et metaphorique du terme, car Ulysse rencontre ses hotes, s'asssied et mange avec eux, dort dans leur demeure et ainsi commence Ie processus de son inscription dans la Pheacie,

'" Od., VI, v.255-311.

129


Relevons les points les plus importants de l'arrivee d'Ulysse : Jusqu'a la ville il doit suivre une jeune fille

203 ;

elle sera son

guide204 ; plus tard il rencontre Athena metamorphosee aussi en jeune fille qui va Ie conduire au palais 2os ; Ulysse marche sur ses traces 206 ; en traversant la ville il contemple, il regarde ce qui se trouve des deux cotes de la rue: ports, navires, agoras et remparts, enumeres par Ie poete. N'est-ce pas la meme structure que celle des objets ranges des deux cotes du chemin qui mene au temple dans un sanctuaire ? Le meme type de disposition a ete decrit auparavant par Nausicaa, lorsqu'elle lui indiquait Ie chemin et lui parlait de sa ville: les vaisseaux, a I'avant et l'arriere tournes en spirale, sont remises Ie long du chemin. 207 Mais la partie du poeme ou Ulysse admire, depuis I'entree, Ie palais d' Alcinoos constitue un veritable exemple de description de ce qui encadre un chemin; avec la seule specificite qu'il s'agit ici d'un chemin a l'inllerieur d'un batiment, chemin qui va du seuil jusqu'au fond: "Ulysse allait entrer dans la noble demeure d' Alcinoos; il fit halte un instant. Que de trouble en son creur, devant Ie seuil de bronze! Car, sous les hauts plafonds du fier Alcinoos, c'etait comme un eclat de

=)(oUQTJ

(Od. VI, v.237). Sur Nausicaa en tant que jeune fille, cf. P. Vidal-

Naquet, op.cit., p.64-65. 204"tyw I)' aMv fJyE/J.ov£uow" (Od.VI, 1tQO, /iWfLU" (Od.VI, 20S"tyw

o'

v.255-256).

aMv nY£fLOYfUOW" (Od.VII,

206"fL£{' LXVla Ila'v£ 9£0'0"

207"v~£,

o'

v.261), "iiq>Qa O£ 1tEfL1jJW 1t01QO, EfLOV v.30).

(Od.VII, v.38).

Mav i'q!q>LO.l(JOm "QUalm", (Od.VI,

130

v.264).


soleil et de lune! Du seuil jusqu'au fond deux murailles de bronze s' en allaient deroulant leur frise d' email bleu. Des portes d' or s' ouvraient dans I' epaisse muraille: les montants, sur Ie seuil de bronze, etaient d'argent, Ie eorbeau etait d'or, et les deux chiens du bas, que I'art Ie plus adroit d'Hephaestos avait faits pour garder la maison du fier Alcinoos, etaient d'or et d'argent. Aux murs, des deux cotes, s'adossaient les fauteuils en ligne continue, du seuil jusqu 'au fond; sur eux, etaient jetes de fins voiles tisses par la main des servantes. C'(:tait la que siegeaient les chefs pheaciens. Des kouroi en or, sur leurs soc1es de pierre, se dressaient, torche en main, pour ec1airer, de nuit, la salle et les c0l1vives''.208

'" Od.,VII, v.81-102: lto).).a

Of ot xi'iQI

autaQ 'Ooucroeuc;/ 'AAxLVOOU ltQoe; ow~at' le xAuta路

WQ~aLV' tOta~EV\tl ltQtv xaAxWV ouMv txEo8aL./ we; te yaQ

i'iE).lOU alyAn ltEAeV iJe oeAiJvnc;/ &iJ~a xaS' iJI/ITIQE<pee; ~eyaAiJtOQOe;

'AAxLvOOLO.l

xaAXWL ~i;v yaQ 'tOlXOL i;AnAEoa,' EvAa xat evAa,l Ee; ~UXOV E1; ouoo;;. mQt bE AQLyxoe; XUaVOLO./ XQuoeLaL /ie AiiQaL ltUXLVaV M~ov Evtae; EEQYOV./ otaAllot 0' aQYUQEOL EV xaAXE\tl ,otaoa" ouo(ill aQyuQwv 0' E<p' umQAUQLOV, XQUOEn bE XOQwvn./ XQUOELOL 0' exateQAe xat aQYUQWL xuvee; noav,I o;;e; 'Hqxuo'tOe; hEU!;EV [outum ltQaltLowov OW/lU cpuAaOOEIlEVaL ~EyaAiJtOQOe;

'AAXLVOOLO,I ilAavatotJe;

ovtae; xat ayiJQwe; ii~ata ltavta'/ EV bE 8QOVOL ltEQt 't01xov EQnQEOat' evAa xat EvAa,l Ee; ~UXov

e1; oU0010 OLa/lltEQEe;, Ev8' tvt ltEJtAOV AEJttOt eVvntOL BeBAiJatO,

EQya yUVaLXWv./ Evea OE <l>miJxwv nyiJ,OQEe; eOQLOwvtol lttVOV'tEe; xut 'OOvtEe;, btnEtavov yaQ atsollEvae;

ExwxovJ XQ1JOeLOL 0' iiQa XO;;QOL

oatoae;

OaLtU~VWOL: texte

~Eta

XEQOtv

hov'tEe;,!

EUO~iJtWV

<patvOVtEe;

btL Bw~vl ,otaoav

""Xtae;

xata

OWllma

etab1i et traduit par V. Berard, Collection des Universites de

France, Paris, 1989. On a remp1ace 1e mot "doges" par 1eque1 V. Berard traduit

131


Voila une description de meme structure d' alignement paratactique que la voie du sanctuaire mais cette fois dans I'espace du palais 209 ; des kouroi en or sont ranges sur toute la longueur de la salle. Nous avons affaire ici a la troisieme categorie

de

parataxe

dans

l'epopee,

enumeree

dans

l'introduction de ce chapitre, a savoir la description de la

disposition architecturale qui est celie de parataxe sur une ligne des objets. L'image de l'alignement des offrandes dans Ie sanctuaire est conforme a une image poetique contenue dans I' epopee 21O, elle suit la meme typologie: celie de la rue encadree de statues alignees, celie de la ltClQcna!;l<; d' objets aux abords du chemin, d'objets qui accueillent ou recoivent Ie passant. Dans la meme categorie on peut faire entrer la disposition des trepiedsautomates d'Hephaistos qui lOse dressent tout autour de la grande

Ie grec nYTiwe<, par chefs et Ie mot "ephebes" par "kouroi". Dans l'ensemble de notre travail nous nous servons de la traduction de V. Berard, sauf indication contraire. 209Pour une mise au point recente tres instructive de la disposition architecturale des palais decouverts par les archeologues, en relation avec ce que Ie texte d'Homere nous presente, mais aussi en comparaison avec ce que les premiers archeologues croyaient y voir, il y a la publication de A. ZWll<; : "Selamlics und Haremlics bei Homer", (resume en allemand du texte grec), pp.193-200 in 2JTOVO(_ t7TOV 'Opl/(JO, (U{JO"XTIXa mil oov ovveOp(ov Yla Ttiv DOti/ICTEW,2-5 sept. 1990, Ithaque, 1993. '" La question de si c'etait: une disposition vraie, existant dans les palais myceniens ne nous interesSll guere. D'ailleurs la Pheacie n'est pas une terre normale; "Les Pheaciens ... se situent aI'intersection du monde des recits et du monde reel", P. Vidal-NaqUlet, op.cit., p.60 mais aussi p.60-68.

132


salle Ie long de ses beaux murs bien droits"211. Et dans I'ekphrasis du bouclier d'Achille il y a une disposition pareille,

decrite d'une fac;on indirecte, quand il est dit que "Ies femmes s'emerveillent, chacune, debout, en avant de sa porte"212. De meme, il y a la disposition des trepieds dans I' Hymne homerique

a Apollon; oil il est ecrit que Ie dieu "penetra dans son sanctuaire en passant a travers des trepieds de grand prix".213 Si Ie schema d'evolution de ce type de mise-en-place dans les voies grecques, suggere plus haut214 , est valable, on en voit en Pheacie les deux premieres etapes: les statues d'animaux et les statues anthropomorphes coexistent. En fait, les chiens d'or et d'argent, reuvres d'HephaYstos, sont places des deux cotes des portes (en or elles-aussi) du palais; mais on trouve egalement dans la salle les statues en or de kouroi sur leurs socles bien batis. II semble que Ie kouros et la kore en tant que jeune homme et jeune femme, sont etroitement lies avec I'idee du chemin; ils avancent au-devant de quelqu'un ou se tiennent debout, ranges des deux cotes du chemin: ils jouent Ie role du guide ou de celui qui accueille. Ainsi les freres de Nausicaa se tiennent debout des 21111. XVIII, v. 374 (Collection des Universites de France, texte etabli et

traduit par P. Mazon, Paris, 1992 (1937): EOtCqUVaL "EQl toixov EiJOtu8EO<; IJ.E'(UQOLO. 212Il. XVIII, v. 495-496, trad. par P. Mazon.: ui Of YtlVUiXE<; / iotuflEVUL btl "Q081iQOLOLV EXUOtT!. '" Hymne Homerique a Apollon, v.443: "E<; O' Mmov XUtEOuOE OLU tQLJtOOWV EQLtLf!WV",.texte etabli et traduit par J. Humbert, Collection des Universites de France, Paris 1967 (1936). 214Voir supra, Ie chapitre sur les dromoi egyptiens. 8U1j~LU~OV

133


deux cotes

215

quand elle arrive aux portes du palais et qu'elle

descend de son char pour y entrer; de meme les kouroi en or de la salle. Les kouroi bordent donc I'espace de la rue, dans Ie sanctuaire et dans l'epopee. Les korai

a leur tour servent de guides:

VI, v.255-322) et

Ath(~na

montre Ie reste du chemin

ainsi Nausicaa (Od.

qui sous les traits d'une jeune fille

a Ulysse (Od.VII, V.18-77).

Le cas de Nausicaa (et d' Athena) en tant que jeune fille qui guide, n'est pas unique dans Ie poeme. II se trouve que, dans beaucoup de ces sous-trajets

a I'interieur d'une escale -Pheacie,

pays Iestrygon, etc- qui sont des trajets sur la terre ferme et non en mer comme c'est Ia regie pour Ie periple d'ensembIe, (chaque endroit etant isole du suivant par l'element aquatique), il y a souvent une jeune fille dont Ies pas guident Ie heros. II y a finalement Circe, qui guide Ulysse en lui decrivant I'itineraire smyre.

'" Od., VII, v.4-5: xaalyvnlOL OE !J.LV u!J.QJl<;l lamVl' MavlilOLa' EVaALyxLOL.

134

a


V. Chemin et jeunes flUes V 1.

AWENA

Voyons d'abord Ie dleuxierne cas (apres celui de Nausicaa et d'Athena pour Ulysse len Pheacie), ou une jeune fille prend les devants pour rnontrer au heros Ie chernin jusqu'a une destination quelconque: c'est Athena, protectrice d'Ulysse, servant de guide et de conseiller a Telemaque dans son voyage a la recherche de son pere. Elle I'incite d'abordl a aller au port, pour s'ernbarquer vers Pylos et Sparte216 . Qualild Telernaque debarque a Pylos, Athena lui indique la route vers Ie lieu du sacrifice que les Pyliens font en I'honneur de Poseidon; Telernaque la suit en direction de la "sainte assernblee des guerriers de PyIOS"217. La fOfffiule "6 I)' EltEL"!;a !LE1:' Lxv,a l3aLvE B£OLO"

qu'on rencontre ici est d'ailleurs

tres frequente (Od. II, v.406; III, 30; VII, 38). F.Letoublon la traduit par: "il

rnarchai~

sur les pas de la deesse". A ce sujet elle

note: 2160d.II,

v.404-406 : ....ItA.A· LOILEV ILii onea oLaw"tlwILEV Moio}

'0,

aga

<p<llviloao' ,w1\oatO llaAAa, 'Aeilvn! xagJtaAlILw,. 6 O· "tutU !lEt' LxvLa t!aiVE ewiLa. 217 ad. III, v.12 : EX o· aga TnH!laxo, vno, tlaiv' ngXE o· 'A%vn=''Telemaque a son tour debarque du vaisseau; Athena lui montrait la aQa qJwvi)oao' ,wiloato llana, route"; et plus tard, ad. III, v. 29-30 : 'Ae1\vn/ xuQJtaA[!J.Ul" 6 O· btEt.tU !let' LxvLa tlaivE ewio. = "En parlant, Athena Ie menait au plus court; i1 suivait la deesse et marchait sur ses traces", tr. par V. Berard.

-0,

135


"A I'imparfait, la formule de l'Odyssee ... conflfllle I'importance des pas et des enjambees qui caracterise les emplois de flalvw2 18 il s'agit d'un mouvement qui est statique plut6t que dynamique

(d~L - nl>.8ov

qui denote

un mouvement dynamique, entraine au contraire I'accusatif de direction avec dc;,

-/)E

etc)"219.

Plus tard dans la trame du recit, quand Penelope s'inquiete du sort de son fils apres avoir appris son depart et sachant que les pretendants complotaieIllt sa mort, elle voit pendant son sommeil I' eidolon de sa soeur Iphthime la consoler en lui disant que

Telemaque, "a, pour Ie c:onduire, un guide que bien des autres lui envieraient, car ce guide est puissant: c'est Pallas Athena"22o

V 2. CALYPSo

Au chant V, une scene entre Calypso et Ulysse est decrite a peu pres dans les memes termes, que celle citee plus haut, a propos d' Athena et de Telemaque: du cap OU Ulysse etait assis, Calypso Ie guide vers la grotte. "Elle dit et deja cette toute divine I'emmenait au plus court. Ulysse la suivait et marchait sur ses

218F.

Utoub1on, It allait pareil ala nuit, Paris, 1985, p. 132.

219 Ibid., 2200d.

p.133.

IV, v.826-828 :

Toln yaQ o( ltOfl.ltO£ al!· EQX€1aL, iiv t£ xal aUoL!

aVEQ££ nQnoavto ltaQ£Otal!£vtlL -ovvamL yaQ-! IIaUa£ ·A8nvaln, tf.

Berard. 136

par V.


traces"221. Plus tard Calypso lui indique aussi la raute 222 vers I'endroit de l'ile oil. avaient pousse jadis des arbres tres hauts, desormais sees "taus legers

a souhait pour flatter". Et, finalement

Calypso va encore conduire Ulysse d'une tout autre maniere : elle lui envoie "un vent favorable, elle fait souffler la plus tiede des brises, un vent de tout repos"223.

V 3.

LAFILLED'ANTIPHATES LELESTRYGON

Plus tard, quand Ulysse commence son recit , il se rUere luiaussi

a des filles lui montrant Ie chemin, a lui et a ses hommes.

Au pays lestrygon, la fille d'Antiphates Ie Lestrygon, "qui s'en venait, puiser

a la source de l'Ours, a la claire fontaine oil. la ville

s'abreuve", repond aux questions des hommes envoyes par Ulysse sur Ie rai et ses sujets en leur montrant les hautes toitures du logis pateme1224 . lei est utilise Ie verbe phraz6 qui a Ie sens de "faire comprendre, indiquer par signe, montrer"225. Cela signifie que la geante a fait Ie geste bien visible de leur montrer la route. Et done, les hommes d'Ulysse ne marchent pas "sur ses traces"

2210d.

V, v.192-193: <JX;

aQa qJwvnoao' frr~oato bla BEUWV/ l<aQlt<iA.lfLwC;, 6 b'

mma fLEt' Lxvla !3alvE BEalO,

2220d.

v, v. 237 : ~QXE b'

2230d.

V, v. 268:

tr. par V. Berard.

6!iOLo vnoov m' EOxatl~v.

oiiQov bE ltQOETll<EV im~fLovu tE A.laQav tE,

tr. par V.

Berard. 2240d.

x, v. 111 : n bE

fLaA.' mn:'l<a ltatooC; mEqJgaliEv irtpnQEqJEC;.

225VOir J. Svenbro, Phrasikleia,op. cit., pp. 20-23 qui ecnt: "... Phrazein est utilise dans un contexte marque par l'alterite linguistique: i1 designe l'acte de transmettre un message au moyen de signes muets". (

137


comme c'etait Ie cas dans les passages precedemment cites, ils suivent ses indications.

V 4. CIRCE

De meme nature est l'intervention de Circe qui, de son lle, montre a Ulysse et a ses compagnons Ie chemin qu'ils doivent prendre. Tout comme Nausicaa decrit tout d'abord a Ulysse Ie chemin jusqu'a la maison patemelle et tout comme cette description se double de celle du parcours du heros, Circe donne a Ulysse les instructions necessaires pour qu'il puisse arriver d'abord de son ile a I'Hades, et puis de son ile a l'ile des vaches du Soleil d'OlI il pourra continuer jusqu'a Ithaque. A la question desespere d'Ulysse : "Mais qui nous guidera, Circe, en ce voyage? jamais un noir vaisseau put-il gagner I'Hades?"226, Circe repond qu'il n'est pas necessaire d'avoir un pilote a son bord227 en insinuant que ses indications orales, la maniere dont elle expliquera Ie trajet a Ulysse seront suffisantes pour qu'il arrive a destination. Puis elle se met a decrire Ie chemin: Ulysse doit deployer les blanches voiles au mat du vaisseau et se laisser emporter par Ie souffle du Boree228 . Son

2260d. X, v.50l-502:

'Q KLQXn, tL<; yag tautnv aMv lryEliOVEUoEL/ Ei<; • ALoo:

aU lttil tL<; a<pb<Eto VIlL liE).aLVlJ, tr. par V. Berard.

2270d. X, v.505 : M~ tL 2280d. X, v. 506-507.

lryEli6vo<; yE ltOan ltaQl! VIlL yEVEoflw.

l38

•


vaisseau va d'abord traverser l'Ocean229 , Puis il atteindra Ie Petit Promontoire, Ie bois de Persephone et ses saules aux fruits morts et ses hauts peupliers, et la Ulysse devra "echouer Ie vaisseau sur Ie bord des courants profonds de I'Ocean"230. Puis UIysse doit continuer a pied vers la demeure d'Hades : il doit avancer jusqu'aux Iieux ou I' Acheron rec;oit Ie Pyriphlegeton et les eaux qui, du Styx, tombent dans Ie Cocyte 231 . A I'endroit ou les deux fleuves hurleurs confluent devant la Pierre, UIysse doit creuser une fosse carree d'une coudee environ et puis faire les libations et les sacrifices qui vont lui permettre de voir Tiresias 232 , Circe procede aux instructions en vue du sacrifice en donnant des details bien precis : pour tout ce qui conceme Ie voyage d'UIysse, c'est un guide sure et efficace. Sa parole enonc;ant Ie chemin prescrit jusqu'aux actes les plus minimes; apres son' discours Ie voyage d'Ulysse est comme deja fait. Inutile d'insister une fois de plus sur la construction, sur la structure du discours de Circe. La nature de l'itiDieraire est paratactique; de meme la nature de sa description. Circe dome d'abord la direction generale (vers Ie sud, pousses par Ie vent du nord), et passe ensuite 11 I'enumeration des lieux qu'UIysse doit traverser, sur mer et sur terre, les liant au fil de son mouvement.

c

Circe recommande 11 Ulysse d'aIIer a la demeure d'Hades pour demander conseil a I'ombre du devin Tiresias: Tiresias va, selon 2290d. x, v. 508. 2300d. x, v. 509-511, tr. par V. Berard. 2310d. x, v. 512-515. 2320d.

(:

x, v. 516-517. 139


Circe, dire il Ulysse "sa route et les mesures de sa route et comment revenir par la mer poissonneuse"233. Tiresias est avant tout un devin, quelqu'un qui ne connait pas seulement la route qu'UIysse doit prendre, mais aussi la cause de ses maux, et il est interessant de remarquer que finalement il ne lui indique pas Ie trajet en detail: il lui en revele les conditions et lui en donne seulement la derniere etape, J'etape decisive, celie de I'lle du Trident ou sont les vaches du Soleil et au son sort et celui de ses compagnons va se decider. Pour Ie reste du voyage, Tiresias ne donne pas d'instructions mais il informe Ulysse sur ce qu'il va rencontrer chez lui, il Ithaque, si lui et ses compagnons font la faute de toucher aux vaches du Solei]: il lui dit la maniere dont il echappera il son sort lugubre, il savoir par un voyage qu'il devra effectuer apres Ie meurtre des pretendants. Pourtant ce voyage n'est donne

qU'~l

travers des signes qui une fois de plus ne

sont pas d'ordre topographique: UIysse ne doit pas arriver il destination en passant par des lieux bien definis; son voyage ne se compose pas d'etapes distinctes bien separees. Tout au contraire: Ulysse doit s'eloigner (et la direction n'est pas precisee) de chezlui, au point qu'a la fin il rencontre des gens qui ignorent la mer234 . Et cet endroit il Ie trouvera, non pas en se ref6rant sur ses caracteristiques propres -que Tiresias n'enumere pas- mais par une marque facile il reconnaitre235 qui n'appartient pas au lieu 2330d. X, v. 539-540 :trad. par P. Jaccottet.

= 666v

"at f'itQa "EAEtJeOtJ/

voot6v 8' ....., tr. par V. Berard.

2340d. XI, v. 121. 2350d. XI, v.126-130 : Et voici, pour t'y retrouver, un signe clair aQLqJQa6e<;):

(o~!La

"Iorsque quelqu' un, croisant ta route, croira voir sur ton illustre 140


meme, mais il. un autre homme qu'il va croiser, un autre voyageur (60l1:11e;), un homme comme lui: c'est Ie fait du hasard d'une

rencontre. On voit donc comment Tiresias, qui est suppose donner des indications sur Ie voyage d'Ulysse selon les paroles de Circe (mais qui est un homme), I'informe finalement d'une tout autre faeon que Circe (qui est une divinite feminine). La parole de Circe guidait Ulysse concretement, sur Ie mode paratactique, detaille et bien precis. Ses paroles remplaeaient d'une certaine maniere ses pas; ailleurs Athena conduit Ie heros, juste apres avoir parle, comme nous I'indique la formule tant de fois repetee : "we; (iQu

<pUlv1'loao'

f)y1'loaw".

Au contraire de

Tiresias, Circe donne tous les points de repere necessaires; au contraire du devin, eille enumere en sene topographique les differents lieux qu'Ulysse doit traverser: ainsi elle visualise le.chemin il. suivre. De meme nature sont les instructions qu'elle donne plus tard 11 Ulysse quand il revient de I'Hades avec ses compagnons. Circe leur adresse la parole en leur disant: ".... Restez-Ia tout Ie jour; demain vous voguerez des la pointe de I'aube; je vous dirai la route, en ne vous cachant nen, pour ecarter de vous tout funeste artifice qui, sur terre ou sur mer, vous vaudrait des souffrances "236.

epaule une pelle a vanner, aIors, plantant ta bonne rame dans la terre, offre un beau sacrifice au seignewr Poseidon." 2360d. XII, uomiQ

MOC; ii' (

c

v.

tyw oell;w

24-27: uve, JtUvn/lEQLO'. ii/lu 0' not QlULVO/lEVnOV Jt)'ruowll'路 aMv not exUOtal On/lUVEW, ivu /In

me Yiic; a).ynom JtiiflU

tL

xaxoQQUQlllJ a).eynvij! ii

JtuWvtec;, tr. par V. Berard. 141


Elle veut donc leur montrer la route comme elle a I'habitude de Ie faire, par enumeration237 . Circe par ses paroles va combler Ie vide que Tiresias a laisse en ne parlant que de I'lIe de Thrinacie (en evoquant seulement la faute qu'Ulysse doit eviter pour pouvoir arriver sans encombre a Ithaque, en delimitant donc les conditions d'un retour heureux); elle va decrire Ie voyage de son lIe jusqu'a cette 0gLvuxL'n ou paissent Ies vaches du SoleiI238. Son discours est stmcture de Ia fa<;on suivante: elle enumere, comme elle I'a deja anntonce, chaque point important (Xa1:aA.EyELV). Ces points sont disposes dans une serie qui est d'ordre chronologique et en Ie chemin car l'un

mf~me

temps topographique : iIs constituent

succl~de a

l'autre sans qu'il y existe de lacune.

Chacun de ces endroits, apres avoir ete nomme, est decrit, ainsi que les perils qu'il engendre et la maniere dont Ulysse peut les depasser; car iI s'agit d'endroits probIematiques en soi, d'endroits dont chacun represente un obstacle de plus, qu'Ulysse et ses compagnons doivent franchir. Nous ne sommes plus dans Ie cas precedent ou, pour arriver a I'Hades, les lieux etaient faciles a traverser: Ia seule chos'e qu'UIysse devait faire, c'etait prendre Ie bon chemin et Ies traverser l'un apres l'autre. lei il s'agit de lieux-

237C'est d'ailleurs la fa90n dont Ulysse se sert a son tour quand il est interroge par Circe sur ce qui se passa pendant son voyage a I'Hades : ad., XII, v.35 : uiiti!Q Ey", tii mlV'tu "Uti! /lOLQUV xatEkel;U: "je lui fais un recit complet, du point en point". L'utilisation du verbe Xm:UA.tYELV est tres significative, voir infra sur la relation entre catalogue (liste) et chernin. 238Sur Tiresias et Circe, voir aussi les commentaires de A. Heubeck - A. Hoekstra, A Commentary on Homer's Odyssey, vol.lI, Books IX-XVI, Oxford, 1989, pp. 117-118. 142


epreuves. Chacun d'eux constitue dans Ie poeme une entite distincte occupant quelques vers; ces entites sont liees par la parole de Circe qui donne 1'idee de la suite par quelques conjonctions bien placees; et la parole de Circe est identifiable au mouvement du voyage qui en constitue Ie fiI. II y a des cas oil apparaissent des chemins doubles; ils sont presentes deja d'une faeon similaire, tandis que Circe ajoute a sa description un conseil sur la route, la meilleure a prendre (c'est-a-dire la moins dangereuse)239. Mais voyons cela de: plus pres: Ie voyage conduira d'abord Ulysse a croiser les Sirenes 240 ; Ie morceau se referant aux Sirenes s'etend sur 15 verso Puis Circe enchaine en disant: "umag EJrirv 61\ 1:a~ YÂŁ EAaowoLV E'rULgm",

(Od. XII, V. 55) vers qui est traduit de la

faeon simplifiee par

"quand tes rameurs auront passe les

Sirenes", alors que Ie tlexte original est vraiment submerge de conjonctions, d' adverlbes et de particules qui expriment clairement l'idee de la suite, de ce qui arrive apres. En fait, il y a:

239S ur

!a localisation possible des divers arrets du periple d'Ulysse (un

sujet qui a beaucoup boukverse les interpretes) et leur relation avec I'imaginaire geographique, voir la publication recente de A. Ballabriga, "Le penple d'Ulysse", Lalies, Actes des Sessions de linguistique et de literature

NO 9, Aussois, 31aout- 5 septembre 1987, pp. 129-140, que I'auteur resume ainsi : "Dne etude des rapports entre la fii,; ltEQlobo,; du Catalogue des Femmes (fr. 150 Merkelbac:h-West) et l'Odyssee conduit a renverser la perspective historique habituelle" (qui pose I' Odyssee comme anterieure au Catalogue).Voir aussi, G. Aurelio Privitera, "Ordine e forma dei viaggi di Odisseo", pp. 57-74, in kJ1tOVoe,; <nov -0f111QO, (IIQux"xa "toii 60u ovvOOQlou YLa trw 'ObOOonu), 2 - 5 sept:. 1990, Ithaque, 1993. 2400d.

c

XI, v. 39 :kELf.'iiVU'; flEV

ltQWtov ("pU;EaL.

143


airtClg, conjonction en ce cas marquant une succession et pouvant

etre traduit par "ensuite";

E,'TtlV,

conjonction pouvant etre traduite

par "apres que" et oil , particule marquant une idee de temps et pouvant etre traduit par "deja". La phrase pourrait donc avoir cette traduction surhargee: "ensuite, apres que les compagnons auront rame deja au delii d'elles". Et ce qui arrive apres, c'est une route double; Ulysse doit choisir entre les deux directions241. Le mot U!-LcpoTEQw8ev donne bien 1'idee d 'une disposition dans I'espace, car Ie mot signifie "des deux cotes". Et cette disposition va devenir plus claire par la suite, quand Circe ajoutera qu' "on trouve, d'un cote, les Pierres du Pinacle"242. Le double passage se dedouble encore de chaque

eOte; on "

trollY<

done dmn' I, " ( 'ill"n,!!

ou 1 et 2 sont les deux chemins, celui qui

arriV~X

Pierres du

Pinac1e, et I'autre qui mene aux deux Ecueils 243 ,et A, B, C et D respectivement chacune des deux pierres, celie que les oiseaux

2410d. XII, v. 55-58 : airtixf' Em'!v

Ii~

tae; y£ ltagcs UaOllXJLV EtalgOL/ Evea tOL

oVXEt'btfLta IiLTlV£XElile; ayog"volil/ oJtJtOtEgTl liil tOL oMe; EOOftaL, aAAa xaL autoe; 8ufliO ~OUA£V£L\I. EgElil liE tOL aflqJot~~llsqlJe tes compagnons les auront depasseesJ je ne puis pas te dire claiementJ la route qu'j] faudra suivre, mais toi-memel tu choisiras; je te les decris l'une et I'autre", trad. par P. Jaccottt~t. II n'y a en fait que deux voies et non quatre. Cf. J. Bollack, "Ulysse cht~z les phililogues", Acres de la recherche en sciences sociales, 5-6 novernbre 1975, pp. 16-20. 2420d. XII, v. 59 : 'Eve£v flEV yag IIEl(?aL ·EJtTlQ£qJEEe;, tr. par V. Berard. 2430d. XII, v. 73 : ot liE Mlil ~x6lt£AOL. 144


n'ont jamais frole, meme pas les timides colombes 244 et celle qui ne s' est jamais fait doubler par un vaisseau humain sauf Argo 245 et chacun des deux Ecueils, celui qui, etant tres haut, est habite par Skylla dont chacune des six gueules peut avaler un homme et lui donner la mort 246 et celui qui, etant bien plus bas, est habite par Charybde qui engloutit et vomit trois fois par jour, l'onde noire 247. II est important de souligner que la faeon dont les chemins sont faits est plutot d'ordre mathematique .que reel, puisqu' ils se trouvent tous deux dans la vaste etendue de la mer, et qu'il n'y a pas de direction indiquee. Les signes en revanche sont surtout d'ordre visuel (hauteur des rochers, arbres se trouvant sur eux, etc). Le premier chemin s'etend sur 13 vers (v. 59-72) et Ie deuxieme sur 34 vers (v. 73-107); la plus grande importance accordee au deuxieme est expliquee par Ie fait qu'ensuite Circe propose a Ulysse de choisir plutot Skylla (v.108-llD). D'ailleurs I'inviolabilite du premier chemin a deja eu l'honneur d' etre brisee avant par Ie navire des Argonautes, cette "Argo que, partout, vont chantant Ie:;; aedes"248. Pour introduire les deux itineraires, Circe utilise les expressions:

EVeEV !-LEV

pour Ie premier (v. 59) et oL bE pour Ie

second (v. 73) et a l'interieur de chacun, les deux cotes sont designees par 't~ !-LEv (v. 62) et

't~ b'

(v. 66) et 6

2440d. XII, v. 62-65. 2450d. XII, v. 66-72. 2460d. XII, v. 73-100. 2470d. XII, v. 101-107. 2480d. XII, v. 70: "AQY<il

c

JtaCfL~01JOa,

145

tr. par V. Berard.

!-LEV

(v. 74) et't6v


C'

E'tEQOV

2:XOJtEA.OV

(v. 101). La description de Circe est bien

claire et precise: si Ulysse suit ses conseils en choisissant la deuxieme route, il doit pouvoir reconnaitre lequel des deux Ecueils est habite par Skylla et que1 est celui qui est occupe par Charybde. Les reperes qu'elle donne doivent etre done de nature visuelle et pouvoir se distinguer de loin. Ainsi Circe explique que Ie premier ecueil est tre:s haut: il "pointe dans les champs du del une cime aigue que cOUlronne en tout temps une sombre nuee 249 " et "la roche y est lisse 250 "; "il mi-hauteur" finalement "se creuse une sombre caverne", ou habite Skylla251 • L'autre ecueil semble etre Ie contraire du premier: il "est bien plus bas 252 " et "il porte un grand figuier en pleine frondaison 253 ". L'image des deux rochers emerge devant les yeUlx de celui qui ecoute cette description: Ulysse ne doit pas avoir Ie moindre doute sur leur apparence. II en va de meme pour I'auditeur du poeme. Circe termine son di:scours en touchant Ie point decisif, I'etape suivante, I'lle de Thrinakie, cette lie ou, selon Tiresias se decidera leur sort. Mais Circe ne donne pas d' instructions quant

a la

maniere d' agir - son recit et celui de Tiresias, d'un tout autre ordre, se completent:. Circe dit tout simplement : "Puis vous

2490d. XII, v.73-75 :6 !tEv aiJgavov ciJguv ,xaVEv' o1;du

xOQ1J'l'~' VE'l'EJ.n 6E !LlV

<'q.t'l'$EIlnxd xtJaVEn, tr. par V. Berard.

2500d. XII, v.79: rr",gn yag Ale; Eote, tr. par V. Berard. 2510d. XII, v. 80 : !LEOOf,ll 6' EV :l:XOJtEAf,ll Eotl oJtEoe; nEgoÂŁl6EC;, tr. par V. Berard

2520d. XII, v.101 : x8a/-wl.!i)'tEQOv CnlJEl, tr. par V. Berard. 2530d. XII, v. 103 : t!jl 6' E <Jt'> EgLVEOC; EOte !LEyac;, <pUUOlOl tE8ni.wc;, tr. par V. Berard, 146


arriverez a l'lle de Trident OU paturent en foule les vaches du Soleil et ses grasses brebis"254. Et ainsi se tenninent ses instructions. Circe va encore conduire Ulysse d'une tout autre maniere, celle-meme employee a l'occasion du depart d'Ulysse de Scherie par Calypso: elle pousse Ie navire, envoyant les deux fois un vent favorable. Le poete utilise alors une fonnule tout a fait identique : "Pour pousser Ie navire a la proue azuree, la deesse bouclee, la terrible Circe, douee de voix humaine, nous envoie un vaillant compagnon dans la brise, qui va gonfler nos voiles, et quand a bord on a range tous les agres, on n'a plus qu'a s'asseoir et qu'a laisser mener Ie vent et lie pilote. 255 " Circe a fait deux discours, en indiquant deux chemins a Ulysse : Ie premier menait a I'Hades, Ie second au pays ou sont les vaches du Solei!. L'un des deux voyages s'achemine vers Ie bas, vers l' obscurite, Ie deuxieme a la connotation de la lumiere solaire. II est interessant de noter que Circe, apres avoir donne pour la premiere fois ses instructions sur Ie chemin a suivre, est appelee "OEtvl']

eE6~

uiJoi]wou",

terrible deesse douee de voix

humaine (Od. XI, v. 8 et XII, v. 150), chose qui se repete seulement apres la description du deuxieme chemin it suivre. Le don que Circe possMe, de pouvoir conduire, montrer Ie chemin 2540d. XII, v.126-127 : ElI?Lvaxlnv flOaxovt' . HeAloU) flOe£ xal tepLOt ~iiAa,

o'

E£ viioov aepll;eaL. £vfla OE JtoUal!

tr. par V. Berard.

2550d. XI, v.6-1O; XII, v.148-152: ii~lv 0' ali xatoJtLo8e veo£ xtJavoJtQwQOLO! Lx~evov oliQov lEL JtAnolotLov, Eo8AOV EtalQov/ KlQxn EvJtAoxafLO£, OELvij

8eo£

aiiMwoa.f aiitlxa O' oJtAa ExCtam Jtovnoa~vOL Xata vija! ii~e8a. tilY 0' ave~o£ te XtJ~fQvijtn£ t' lAvvf.,

tr. par V. Berard 147


non pas en Marchant en avant pour tracer la route par Ie mouvement meme du corps, mais en I'indiquant par slgnes semble bien lie Ii sa faculte divinatrice. Mais cette faculte est inseparable de I'usage de la parole, du pouvoir de parler avec une voix humaine. Elle est pareille au don des Muses, qui, Ii leur tour, chantent d 'une voix humaine 256 . Mais Circe, elle aussi, a une belle voix : Quand Euryloque et les compagnons d'Ulysse approchent sa demeure, "ils entendent Circe chanter Ii belle voix et tisser au metier une toile divine, un de ces eclatants et grands et fins ouvrages, dont la grace trahit la main d'une deesse"257. La chanson, la parole divinatrice qui guide, la deesse qui conduit semblent etre fortement .liees 258 .

256Hesiode, Theogonie, v. 97. (Hesiode, Theogonie-Les Travaux et les fours-Le Bouclier, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par P. Mazon, Paris, Il935). 2570d. X, v. 221-223 : Klg,,% 0" EVOOV il"ouov aEu'iovan£ Iml "aAii/ LatOV EJtOLX0!'ivn£ ILfyav, il!'tlgotov, ola 8ECtWV/ AEJttCt

tE

"a, xaglEvta xal OyAaa EQYa

tr. par V. Berard. 258Le theme de l'Odyssee d'une deesse, possedant la parole divinatrice, qui guide un mortel afin qu'il puisse rentrer chez lui, est repris d'une fac;on cachee par Theognis de Megare, comme l'a demontre G. Nagy dans son article "Theognis of Megara: The Poet as Seer, Pilot and Revenant", Arethusa: lt€A.OvtUL,

Texts and contexts: American Classical Studies in Honor of f.-P. Vemant, vol. 15, n. I et 2, 1982, pp. 109-129.

148


V 5. DEMETER ET LES flUES

DE KELEOS

Dans les Hymnes homeriques, on trouve aussi cette image des jeunes filles montrant Ie chemin: Demeter, quand elle se trouva, apres Ie rapt de sa fille, irritee et triste,

a Eleusis, "s'assit pres du

chemin, au Puits des vierges, oil les gens de la ville venaient puiser l'eau"259. La, elle rencontre les filles de Keleos l'Eleusinide. "Elles etaient quatre, comme des Deesses, et dans la fleur de leur jeunesse"260. Demeter, elle-aussi leur adresse la parole en les appelant kourai (v. 137). Les jeunes filles annoncent la presence de l'etrange:re

a leur mere qui

les prie de I'engager

pour elever son fils. EUes reviennent vers Demeter261 et "elles rejoignent la glorieuse Deesse, pres du chemin oil elles venaient de la laisser; pendant qu" elles la conduisaient a la demeure de leur pere, elle marchait

derrii~re,

Ie creur meurtri, voilee de la tete aux

pieds; I'etoffe sombre s'enroulait autour des jambes souples de la Deesse"262. 259Hymne homerique a De'meter,

v.

98-100 : i'.~E~O 0' tyy':',

61\010 . .1

ITagBEVl\ll <pQ£atl, OBEV iJOQEj)OV~O ltoU~aL/ tv aXLU (aiJ~<'xg ultEgBE ltEqnJX" BaILvo, EAaL~,).

Hamere, Hymnes, texte etabli et traduit par J. Humbert,

Collection des Universites de France, Paris 1967 (1936). 260H.

H.

aDemeter, v. 108 : ~£aaagE" w,

tE

Bwt, xougi)Iov av6o, £xouam,

tr.

par J. Humbert. 261 "Camme

des biches au de genisses,

a 1a saison

du printemps, repues

d'herbe, bandissent dans un pre, elles s'e1ancerent ainsi sur 1a route creuse (XOtA~V aILal;L~6v),

en retenant les plis de leurs robes gracieuses; on vayait

sur leurs epaules bonOO des cheveux pareils

a la fleur de safran", v.174-

178, tr. par J. Humbert. 262H.

h.

a Demeter,

v. 179-183 :

~E~ILOV 0' !:yy':', 600V xuogi)v BEav, EvBa

ltago, ltEQ! xaHlltov. ainug <pLAa ltg6, M'ILata ltatg6,;/ nyEvv6', n 0' aQ'

149

c


Dans l'Appendix III de l'edition de N. J. Richardson 263 il y a toute une mise en paralWe de la structure de la scene et d'autres similaires appartenant a I' epopee, ou ad' autres hymnes homeriques. Pour l'auteur, ce qui est interessant c'est la rencontre (il intitule cet appendix: scenes of meeting). Mais l'editeur ne semble pas avoir remarque une autre ressemblance avec la scene ou Athena conduit Ulysse au palais d' Alkinoos: tant Athena que Demeter sont voilees afin que lees) mortel(s) qu'elles conduisent ne les reconnaissent pas. II y a egalement l'inversion des roles: dans l'Odyssee, c'est la deesse qui conduit tandis que dans l'hymne, ce sont les jeunes mortelles (semblables a une deesse) qui avancent en montrant Ie chemin. Mais dans les deux cas, celle qui marche en avant, de nature divine ou humaine a l'apparence d'une (ou de plusieurs) jeunes filles.

V 6. ANTIGONE Ef tEmPE

Voyons maintenant

III

autre cas ou apparait aussi Ie theme de

la jeune fille qui guide, dans un texte un peu posterieur: C'est l'(Edipe

a Catone.

Au debut de la piece, CEdipe arrive a Athenes

guide par sa fille Antigone. CEdipe est aveugle et Antigone Ie conduit, non parce qu'elle connait Ie chernin, mais parce que, tout simplement, elle peut y voir. CmOeE, <pLl.ov tEnnJJtvn TitoQ! OtELXE xata xgneEv XExw.u!J+Livn, iI!J.<pl X\!CivEO, 263N.

gal\CVOl0L

oE

ro:&ct..og

SEa, Et..EW;E"CO ro:oootv, tr. par J. Humbert.

J. Richardson, The Homeric Hymn to Demeter, Oxford, 1979 (1974),

pp.339-343. 150


CEdipe s'adresse

a Antigone, tantot en I'appelant

teknon (sa

fille: v.l, v.9), tantot en l'appelant koura Ueune fille: v. 180). En fait Antigone est la "pupille de I'reil" de son pere; ainsi elle peut Ie guider dans son chemin. A l'ouverture de la piece les spectateurs doivent voir arriver sur scene CEdipe et sa fille. A la question d' CEdipe, qui veut savoir oil ils se trouvent, Antigone repond par une description de ce qui les entoure: comme on vient de Ie dire, ses yeux servent de guide

a son pere aveugle et c'est sa parole qui reveille a I'esprit

d'CEdipe les images de ce qu'il n'est pas capable de voir. La parole d' Antigone traduit I'espace autour d'elle, elle Ie fait emerger dans l'obscurit6. Antigone regarde alentour et dit qu'il y a des remparts Iointains et qu'ils sont arrives dans un lieu consacre (v.16), car il y a des lawriers, des oliviers et des vignes et on peut entendre Ie chant des rossignols. "L'espace represente: de fac;on immediate est partage, des Ie debut de la piece, entre Ie bois sacre et I' espace accessible, profane

Tous les mouvements d' CEdipe vont se fa ire entre Ia

zone sacree et la zone profane. 264 " Dans I'espace-frontiere oil CEdipe se trouve au debut, c'est sa fille qui montre Ie chemin;

a la

fin de la piece les roles s'echangent265 •

Vidal-Naquet "CEdipe entre deux cites", pp.l75-211, in J. -Po Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragedie en Grece ancienne, t. II, Paris, 1986. 265La fin de la piece c'est le moment oil CEdipe depasse "ses difficultes avec les mots et leur sens cache". J'emprunte ces mots 11 un passage de Ch. Segal dans son livre La musique du sphinx: poesie et structure dans fa tragedie grecque, Paris, 1987, p. 30 oil il ecrit aussi: "L'aveugle Tiresias, comme Ie roi aveugle du dernier tiers de I' CEdipe -Rai, vit entierement dans 264p.

c

l5l


Mais, outre Antigone, il y a aussi lesDeesses Redoutables qui ont guide ffidipe, en Ie poussant vers l'endroit precis OU il vient d'arriver. "Je n'hesite done pas: il est impossible que ee ne soit vous dont un sur presage a guide mes pas jusqu'a ee saint bosquet. Jamais sans eela vous n'eussiez ete les premieres que j'eusse trouvees iei sur rna route 266 " On est done devant un dedoublement de l'image du guide: d'abord il yale guide humain, bien present, eelui de la koura Antigone, puis, a un arriere plan, les divinites qui menent ffidipe jusqu'a la pierre "que nul n'ajamais taillee"267 OU enfm il s'assied Mais Antigone est seule responsable des petits itineraires a l'interieur-meme du lieu saere. "Je me tais; mais, toi, furtivement, guide mes pas hors de la route dans Ie bois 268 ", dit ffidipe, et Antigone oMit. Plus tard, apres I'apparition du ehreur compose de

un monde oral, un monde sans lettres ni orientation visuelle. Incapable de lire les marques inventees par les hommes pour communiquer plus efficacement entre eux, il peut neanmoins "lire" les marques qui communiquent avec les dieux et leur monde de puissances invisibles. C'est par des signes, et non par la parole, nous dit Heraclite, qu' Apollon 'indique' ses messsages aux hommes a Delphes". Et c'est justement des signes qu'(Edipe doit interpreter au debut de la piece pour identifier l'endroit qu' Apollon lui avail indique. 266Sophocle, t. Ill, Philoctete- CEdipe it C%ne, Collection des Universites de France, texte etabli par A. Dain et traduit par A. Mazon, Paris, 1974 (1960), v. 96-99 : Eyvwxa IlEV vuv

~ IlE tilvOE tilv 6OOv/ oux fOl)'

5noo,; ou

1tLOtov El; \llJ.Wv JttEeOV El;iryay' Ei,; tOO' MOO';' ou yile uv notE! ne<inaLOLv \l!Llv uvtExUQO'

6OOLltoQWv.

267V. 101: (l<illQOv tOO' UO"E!t'leVOV, traduit par A. Mazon. 268V. 113-114: oLyiloo!La( tE "at oli !L' E; Mo-u rroOa/ "emvoov traduit par A. Mazon. 152

"at' u).oo,;,


vieillards de Colone, <Edipe retoume sur la route. Maintenant c'est Ie chceur qui ordonne, et Antigone, suivant ses instructions,

a son pere Ie chemin de l'endroit OU Ie dialogue avec les gens du pays sera possible. Et Antigone parle a son pere en l'incitant a venir avec elle 269 "de son pas d'aveugle, par OU elle Ie montre

mene"270. Tout ce dialogue conceme les fonctions d' Antigone en tant que celie qui conduit : "Mene-moi donc, rna fille, OU je pourrai parler"271, lui dit <Edipe, et au moment ou il s'approche du rocher ou il doit s'asseoir, "... regie tes pas sur mes pas. Appuie ton vieux corps sur ce bras ami 272 ", lui lance a son tour Antigone. On voit que toute la scene se joue sur Ie theme du contact, de l'appui mutuel des deux. corps, du role de soutien de la main, du synchronisme des deux corps humains entrelaces. II est evident que tout cela est en relation immediate avec la cecite du protagoniste; I'absence de la faculte de vision mene au contact tactil et charnel. Le theme du contact, un theme de nature visuelle tres present dans Ie spectacle scenique, est complete et renforce par ce qui est dit. A travers Ie dialogue entre <Edipe et sa fiUe Ie chemin se traduit en discours, il devient parole. Meme ici donc, ou Ie guide conduit par Ie moyen de son corps, la parole semble, une fois de plus, lieeau chemin et la jeune tille.

269V. 182. 270v.

l84:

xWktp, 1tCttEQ, <;t 0' cryw, traduit par A. Mazon.

271v.188-191: ayE

vtJV mJ JlE. 1(all tv' av EiJoE/lla~ E1t4JalvOvtE~, traduit

par A.

Mazon.

272V. 199-201 : I3lioEL <jll),,(av EJ.'liV.,

I3lioLV oQl.looml YEQ<XV e~ XEQa ow!-'a o6v/ 1(Qox),,(va~

traduit par A. Mazon. 153


Dans I' Odyssee en revanche, Ie chemin etait trace par celle qui marchait en avant

(!J.ET' LXVW l3alvE 6colo );

celui qui la suivait

n'avait qu'a se servir de ses yeux pour mettre Ie pied dans les traces que Ie guide divin laissait derriere lui. Meme dans Ie cas tres special de Circe, ou la presence du guide, avan9ant en tete, est remplace par Ie debit de ses paroles, les paroles constituent un chemin imaginaire qu'Ulysse doit retenir, memoriser afin de Ie reconnaitre plus tard, quand il se trouvera devant. Nous avons donc vu donc trois types de trajet ou les jeunes filles montrent Ie chemin. Dans Ie premier, Ie guide va en avant et I'autre marche dans ses traces; dans Ie deuxieme, Ie guide decrit Ie voyage; dans Ie troisieme, Ie guide montre par Ie mouvement de son corps, et seul Ie contact des deux corps peut assurer Ie bon parcours. II est clair que Ie troisieme cas est Ie plus efficace au niveau du moindre accident de terrain, que Ie premier conceme de vastes segments de l'itineraire, et Ie deuxieme, de longs voyages. Toutes ces jeunes filles qui guident ont un caractere divino II y a d'abord Athena sous les traits de differents types de personnages, comme c'est natureI pour la deesse de la Metis. II semble que cette Athena, dont Ulysse ou Telemaque suivent les traces, soit bien une Athena du chemin, mais son activite ne conceme pas specialement I'epreuve de la course, ou Ie trajet maritime. Peut-etre parce que en I'occasion Ie danger n'est pas present et que son protege (Ulysse ou Telemaque) n'a pas besoin de "son intelligence navigatrice <propre a Athena> qui sait tracer 154


sa route droit sur la mer en rusant avec les souffles et la mouvance des flots"273. II ne s'agit pas non plus d'une intelligence technique; Athena ici s'inscrit plutot dans Ie cerc1e tres general des divinites feminines qui guident

comme

Calyps0274. Puis il y a Nausicaa: on sait bien que Ie peuple de Pheaciens n'apparait pas comme un peuple normal car ils se situent entre la condition humaine et celie des dieux; en plus Ulysse compare la jeune fille

a une deesse.

II y a aussi Calypso et Circe, des divinites feminines. Les jeunes filles de Celee,

a leur tour sont dites pareilles a des

deesses, et finalement Antigone, une mortelle, est supposee avoir ete,

a son tour, guidee, par les Eumenides.

Mais ce qui est aussi d'une grande importance, c'est I'element

optique. Tous ces parcours sont defmis a partir d'elements visuels: c'est la juxtaposition de signes visuels qui etablit la serie des lieux formant Ie chemin. Et les jeunes filles sont reMes au chemin tout d'abord parce qu'elles possedent la faculte de voir: e1les sont des

korai, des jeunes filles, mais aussi des korai, des pupilles de l'reil. Et e1les montrent Ie chemin, tout en Ie longeant, comme on Ie fait dans Ie cas des voies des sanctuaires. Les jeunes filles peuplent donc Ie chemin dans l'imaginaire des Grecs; e1Ies I'instaurent par leur presence et leur fonction 273M. Detienne, J. -Po Vernant, Les ruses de l'intelligence : la meris des grecs, op. cit., p. 243. 274Contra, voir: ibid." pp. 203-243,

au l'activite d'Athena par rapport au

chemin, est analysee seulement du point de vue de metis, de l'intelligence rusee propre aelle. l55


conductrice. Ainsi Bacchylide peut ecrire: "Par un large chemin, elle marche, de tous cotes multipliee, la renommee des filles de ta race

a ceinture

brillalllte, que les dieux etablirent, non sans

bonheur comme fondatrices de rues a l'abri du pillage"275. Le verbe tard

01ELXW

utiliise ici est celui que nous allons voir plus

a propos des Mus1es,

mais qui concerne en meme temps la

disposition en file: celle des agalmata dans Ie sanctuaire ou des lettres d'une inscription.

275Bacchylide Epinicie IX (c. 9), v. 47-52:

:l:lEL)(E'

6,'

EvgEloe; >tEA-E[1j-/ 80u

iLuglo rravta <:pane;! oae; yEwae; A-LltoQo-/ l;<iJv())v 8UYOIQWV, ae; 8E[O]iJ ow lU)(aL Qi>twoov aQ)(o-/ yove; arroglh\1o())v ayuLfiv.

(Bacchylide, Dithyrambes- Epinicies-

Fragments, Collection des Universites de France, texte etabli par J. Irigoin et traduit par J. Duchemin et L. Bardollet, Paris, 1993). lei Ie verbe

oi>til;())

a la

signification d' "installer quelqu'un"; . Voir M. Casevitz,1ÂŁ vocabulaire de

colonisation en Grece ancienne, Paris, 1985, p. 93. 156


TROISIEME PARTIE

CHANT ET CHEMIN

157


VI. Cheminement dans l'espace poetique

VI 1. CHEMIN, MATERIAU ACONSTRUIRE DES METAPHORES

a

Le theme du chemin a ere pour les Grecs un materiau

construire des metaphores. Parmi les presocratiques, qui I'ont utilise pour exprimer la recherche de la verite ou la progression de la penSee 276 , il y eut d"abord Parmenide avec Ie proeme de son poeme mais aussi Empedocle 277 • Les philosophes presocratiques n'ont pas ete les seuls

a

construire de pareilles metaphores; Bacchylide y a eu recours 278 , 276L'evolution du symbole du chemin jXJur la pensee philosophique est I'objet d'un chapitre de l'etude de B. Snell, Die Entdeckung des Geistes. Studien zur Enstehung das europai"schen Denkens bei den Griechen, Goltingen, 1975, trad. grecque, 1981, pp. 315--332. 277Empedocle 22 (B 24): XOQV'P(H; EtEQat; EtEQUaL JtQoauJttwv !!'li8wv, !!iJ tEAEELV <':ttQaJt6v !!lav que = "Joignant les cimes I'une it l'autre,l ne pas dire un seul chemin de mots" (J BoBack, Empedocle, I, Les Origines, Edition et traduction des fragments et des temoignages, Gallimard, Paris, 1969). Selon J. Bollack, Ie mot xOQv'P<':tt; "designe les sommets de la montagne et, par derivation, les discours dans ce qu'il ont d'essentiel. ... Les sommets, Ie peete les alteint tour it tour au long du poeme, en suivant Ie chemin ascendant des logoi, les sentiers de montagne. Parmenide suit un seul chemin que trace Ie preeme (28 B 1, 2; ...)Dans les Origines les logoi se succedent, culminant chacun, assembles par l'art. ", J. Bollack, Empedocle Ill, Les Origines, Commentaire 1, Paris, 1969, p.38. 278Bacchylide Epinicie X (c. 10), v. 35-38: ... !!UtEVEV c' un[Ot; unu]<':tv XEAEv8ov,l iivtL[va crtELxlwv UQLyvWtOLO Ml;at;! te'lil;etUL = "chacun s'efforce de 158


et on en rencontre chez Alcman279 . Chez Pindare I'utilisation du mot 61i6~ pour to ute sorte d'images metaphoriques est un fait assez frequent: "voie apparente"280, "voie droite"281, "voie ennemie"282, "voies de la felicite "283, "voie de la verite"284, "voies droites"285, "voie de ses peres"286, "voie de la sagesse"287. "voie de la violence"288. La signification particuliere de "chemin des paroles" existe egalement, d'abord chez Eschyle 289, puis chez Pindare 290 et

trouver la route dont Ie trajet lui procurera une reputation insigne", trad. par J. Duchemin et L Bardollet. 279 Aleman fro 108 Calame (102 P): kEJt1U Ii' ilmQJt6c;,

VlIkE~C;

Ii'ilvuyxa

=

'1e

chemin est etroit et la necessite est sans pitie", trad. par C. Calame. 28°qxIVEQilv 6/iOv (0.6.73) . 2810QAilv 6li6v

(0 .7.46): Pin dare, t. I: Olympiques, Collection des

Universites de France, texte etab1i et traduit par A. Puech, Paris, 1970 (1922). 282lXAQav Mev (0.7.90). 283eiJJtQUylac; 6/iot (0. 8.14). 284akaAEtac; 6Mv (P. 3.103): Pindare, t. II: Pythiques, Collection des Universites de France, texte etab1i et traduit par E. Puech, 1977 (1922). 28SEiJAElmc; 6/io1C; (N. 1.26).

(N. 2.6 Pindare, t. III: Nemeennes, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par E. Puech, Paris, 1967 286JtatQtav 6Mv

(1923Âť. 287 00lp lac; 600v (Pa. 9.4,). 288Blac; 6/iOv Ijr. 169.19: Pindare, t. IV: Isthmiques etjragments,. Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par E. Puech, Paris, 1961.) 289Eschyle, Eumenides, v.988-989: y)"<ixlonc; ayaAnc; 6/iOv . (Eschyle, 1. II:

Agamemnon-Les Choephores-Les Eumenides, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par P. Mazon, Paris, 1935). 290600v k6yrov. (0. 1. 110). l59


Bacchylide et elle continue Ii avoir cours jusqu'li Callimaque 291 . M. Durante constate aussi I'emploi de I'image du chemin dans les textes vediques. 292 Neanmoins, il fait entrer dans Ia meme categorie differentes sortes de metaphores: il assimile Ie "chemin" de Ia parole au mouvement en general. Ainsi l'image de la rue Ii parcourir, Ie renvoie-t-ellle Ii Ia parole personnifiee, dont la montee au ciel puis la descente sont assimilees au "chemin celeste"293. En somme, il met l'accent sur Ie mouvement de la parole: les paroles (ell:w) voyagent sur Ia mer, au ciel, sur Ia terre, par Ie moyen des

chevaux et des chars.

VI 2.

MOUVEMENT DU DlSCOURS

De facon generale, on rencontre en Grece des cas d'emploi de verbes servant Ii decrire Ia marche pour designer la progression du discours ou exprimer des transitions.

291Callimaque, Les Origines, X, v.l: Ik,vt' i'tya6nv xal ltuvta t[EA}eo<p6Qov ELltE' [i'ttaQlt6v] : "suis Ie sentier poetique heureux et fecond": Callimaque, Les Origines-Reponse aux Telchines-Elegies- Epigramme- lambes et Pieces Lyriques-Hecale-Hymnes, Collection des Universites de France, texte etabli

et raduit pat E. Caben, Paris, 1940. Voir aussi Callimaque, Epigrammes, VII. 292"Epea pteroenta. La patola come 'cammino' in immagini greche e vediche", in : Rendiconti dell'accademia nazionale dei Lincei, Classe di Scienze morali, storiche efilologiche, 1958, ser. VIII, vol. XlII, fasc. 1-2, pp. 3-14=M. Durante, Sulla preistoria della tradizione poetica greca, ][: Risultanze della comparatione indoeuropea, ch. IV, "Analisi di un campo metaforico: il discorso come 'cammino''', Roma, 1976, pp. 123-134. 293Ibid., pA. 160


Dans l'Odyssee, par exemple, quand UIysse, au palais d'Alkinoos, demande a Demodokos de chanter I'histoire du cheval, Ie verbe IlETaf}alvw est utilise: "mais vas-y, passe et dis-nous I'histoire du cheval"294. F. Letoublon analyse ainsi la phrase: "Les paroles d'Ulysse forment donc une transition nette entre Ie recit de la QuereIIe et celui de la Ruse du Cheval, deux recits essentiels entre lesquels se sont intercales deux episodes secondaires, du temps meme d'Homere ou plus tard (interpolation): I'imperatif IlE,af}T1fh utilise par UIysse lui sert donc ell fait a demander

a I'aede

de passer d'un

sujet a un autre"29S. Dans les Hymnes homeriques, des composes du verbe f}alvw sont utilises de maniere caracteristique a la fin du poeme: "ayant commence par toi, je passerai a un autre hymne en ton honneur".296 L'emploi des metaphores de I'espace du discours continue jusqu'a I'epoque cIassique. "A I'epoque cIassique ce type de matrice metaphorique s'est developpe, ..., dans deux directions: d'une part, lexicalisation des expressions metaphoriques usueIIes, d'autre part, exploration stylistique de certaines metaphores.... On aborde (on attaque) un sujet .. oo, on Ie 2940d., VIII, v.492. 'lilA)" aye on fJÂŁt<'t/lne, xat LmtOV x6aflOv I'xewov". 29SF. Utoublon, II allait pareil ala nuit, op. cit., p.140. 296Hymne homerique a Hermes, II, v.ll; Hymne homerique a Aphrodite, v. 293; Hymne homerique a Anemis, v.9. aeu 0' tyw ao1;<iflEvo;, flEtaf3naoflUL a).).OV t; ilflvOV, trad. par J. Humbert. G. Nagy traduit la phrase par: "I will switch [from the prooimion] to the rest of the song": Pindar's Homer: A Lyric Possession ofan Epic Past, Baltimore and London, 1992, p. 359.

c

161


traite d'un bout

a ['autre, a fond, en en parcourant tous

les details"297. Herodote nous fournit des exemples de ce mouvement du 路 ",EQXOflUl dISCOurS: Mais

"~"" "R ,I\.CYUlV ' ". I\.El;ELV , xa'''pUlVE

a l'epoque archai'que il semble que ce soit Ie chemin plutot

que I'espace en general qui est utilise et cela pour designer specialement I'activite pohique; plus tard l'emploi generalise des verbes de mouvement (chez Herodote par exemple) elargit Ie champ de la mMaphore au point qu'on en arrive d'auxiliarit6, semblable

a une

a celie de la langue francaise,

sorte

mais plus

concrete. 29 B

VI 3. CHEMIN ET ACTIVITE POETIQUE Voici, par exemple, comment Pindare se rMere a, son chant: "S'il ne cesse pas bientot de te favoriser, j'espere que plus douce encore

a

ton creur sera la victoire que

remportera ton char agile; J'irai, pres de la colline lumineuse de Cronos, trouver la voie des louanges dignes de la celebrer. Oui, pour moi la Muse tient en reserve des traits tout puissants"299.

297F. Utoub1on, Il allait pardi ala nuit, op. cit., p.207. 29 BSur ce sujet, voir I'artide de F. Utoub1on "Les verbes du mouvement en grec: de la metaphore a I'auxiliarite", Glotta, 60, 1982, pp. 178-196. 299Pindare O. 1. 108-112: eL bE "'iJ tUXu Uno,; E" 1A'lJ1<lJtE()<lV XEV EArr0f,uL! OUV

awu"

lloQl xAEi!;ELV, btlx01JQov EUQWV oMv A01CiJV/, nUQ' EUOEiEAOV EAllwv

Kg6vwv. 'Ef.lOl f.lEV illv/ MOLou XUQtEQriltC1'tOv BEAo<; ahi). tQEqJEL, Jr.

162

par A. Puech.


lci il y a i'utilisation du theme du chemin pour designer

['activite pot!tique: la voie que Pindare trouvera c'est son chant meme et elle est liee

a la Muse.

11 en va de meme pour la voie (xO..w8oc;) de Bacchylide, qui d'ailleurs construit aussi bien d'autres metaphores sur Ie chemin des paroles que constitue son chant 300. Tout ceci nous conduit a un mot qui condense ies significations

du chemin et du chant et par lequel ils se presentent ensemble pour la premiere fois: il s'agit de "oL!J.!}" qu'on traduit par "chant, poeme, recit poetique" selon Chantraine 301 , mais qui garde Ie sens de chemin sous sa fonne masculine "ol!J.oc;". L'emploi du mot temoigne clairement de la relation qui existait pour les Grecs entre la notion de chemin et celie de chant: Ie chant, la narration, est un chemin que Ie poete doit parcourir. II suffit pour s'en convaincre de lire Ie mot dans les textes archaiques.

300Bacchylide Epinicie V (c. 5), v. 31-33: tw; xol <E>!J.ol !J.uOlo ltUvtQ. xEAE'lJflO<;! U!J.EtEQov aOEtavl U!J.VELV ~ "C'est de cette fa90n qu'aujourd'hui, pour moi aussi, partout se multiplie Ie chemin ou chanter votre valeur", tr. par J. Duchemin et L. Bardollet; v. 195-197: IlElflo!J.OL Ei>!J.OOEW; Ei>xAEO XEAEiJflou yA6iooov oi>[---,,-] ltEJ.lJtELV 路IEOWVL.~ "J'obeis aisement et envoie a Hieron, ... sur sa route, de glorieuses paroles", tr. par 1. Duchemin et L. Bardollet et Epinicie X, (c. 10), v. 51-52: n !J.oxoav y[A]Gl[ojoov llhioo; eAouvwl ExtOC; i>&:li;; "apres avoir longtemps tenu un langage sans detour, pourquoi pousser en dehors de la route?", tr. par J. Duchemin et L. BardoUet. II y a enfin Ie Dithyrambe V, qu'on va analyser plus tard. (v.1-4 et v. 12-14). Illi!)wtL !J.uglo XEAElJflo; aJ.lllgoolwv !J.EAEWV, 5; liv lto(>il IlLEglliwv Auxnm /iGloo Mouao.v, v. 1214: ltgEltEL OE <:pE(>tutov L!J.EV DOilv ltagU KoUL6ltoC; AOXOLOOV fl;oxov yEgO;. 301P. Chantraine, Dictionnl2ire erymoLogique de La langue grecque, Paris, 1968, p. 783. 163


A) OIMO:l:

Commencons par ot!LO';: La premiere signification de ot!LO';, c'est celie de bande. Elle est

confinnee par les tablettes myceniennes; sur I'une d'elles on peut lire: "e-re-pa-te-jo-pi-mo-pi", qui se traduit par "un char de bois ... avec deux ai-ki-ho-o, en ivoire, avec bandes d'ivoire"302. En ce qui conceme les textes Ie mot apparait pour la premiere fois dans

I'made,

a propos de la cuirasse d'Agamemnon:

"cette cuirasse

compte dix bandes de smalt sombre, douze d' or et vingt d'etain".303 lei, tout comme dans les tablettes myceniennes, il a Ie sens de bandes, ou de lignes paralleles. 304 Plus tard, Hesiode, I'utilise pour designer un chemin metaphorique. II s'agit d'un celebre passage des Tmvaux ou Hesiode parle du chemin de la vertu: "Long, ardu est Ie sentier qui y mene et apre d'abord"30S.

302M. Ventris-Chadwick, Documents in Mycenean Greek, Cambridge, 1973, n.276. 303!l.

XI, v.24-25: "Tou I'fntOL IiExa OtllOL way IlEAavo, x"avoLo, li<iloExa OE

par P. Mazon. Sur la signification du mot dans ce passage, voir: H. Ebeling, Lexicon Homericum, t. II,Leipzig, 1885

Xgoooio xat EtXOOL xaOOLtEQOLO", tr.

(1963), p. 35.

304Seion les scholies la raison est la suivante: XU1<A\<l tn, itontOO, naga to ELnEV.

~ o&p

oIIlO, 606,: oe,v xal toil,

OtELXELV nvl xat oLmpEgELV

WJ.~AWV

otIlO'"

Selon Eustache 827, 55, il s'agit de "zones, voies, cannes droites": ~wVOL,

oooi, Qlif3/ioL oQ8at.

3osHesiode, Travaux et lours, v. 290-291. Ilaxga, liE xal OgALO, oIIlO, t, ailt~v xai tQTl)(il, t6 ngwtov (Hesiode,Theogonie-Les Travaux et les lours-Le BoucUer, Collection des Universites de France, texte etabli et trraduit par P. Mazon, Paris, 1972 (1928). 164


Pour Eschyle ol~o~ c"est aussi Ie chemin (ou la zone) quand il ecrit: "nous voici sur Ie sol d'une terre lointaine,/ cheminant au pays scythe"306 ou "mon oiseau quadrupede bat doucement de ses ailes la route lisse de l'ether" 307. Plus tard Pindare utilise Ie mot tant6t litteralement, en tant que chemin30B , tant6t metaphoriquement, quand il parle de "la voie des paroles" ou encore d'un "chemin court"309. Cette demiere metaphore est importante pour notre propos; car ici Pindare se rMere

a son art, a la

chant. Pour A. Hurst I'

ol~o~,

faeon dont il compose son

comme toutes "Ies images du

cheminement auxquelles Pindare recourt dans Ie texte de la Ne

Pythique, est frequent chez lui pour indiquer Ie parcours du texte Ie long d 'un axe chronologique"310; il s'agit donc d'un axe 306Eschyle, Promethee, v.2. X8ova<; fltv t<; lnAOIJQOV nxOI'£V rtOOOV/ ~xu8nv t<; olflOV: Eschyle, 1. I: Les Suppliantes- Les Perses- Les Sept contre Yhebes, Promerhee enchafne, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par P. Mazon, Paris, 1976 (1921). 307Eschyle, Promerhee, v.394: AElJQav oiflOV aleEQo<; \VaLQeL rtteQot<;J letQuoXeAtI<; OLWVO<;, tr. par P. Mazon. 30BPindare, O. 8, v.69. Me8,ixalO VOOlOV EX8LOlOV xat i'IlLflOlEQaV yAwooav xat tnixQ1J<pov oiflOV + "i1 s'est defait du retour execrable, de la langue sans honneur et du sentier obscur", trad. par I. - P. Savignac.; Pindare,.fr. 107 a6: tn' aUxEvL OlQE<pOLoav xaQa navt' OlflOv ="Contre sa gorge elle tourna la tete sur tout Ie chemin", trad. par I.-P. Savignac. 309Pindare, Oi. 9, vA7: EyeL!)' kEf1JV O<pLV O¥J.OV).LyiN = "pour eux, ouvre la voie melodieuse des paroles",; Pindare, P. 2, v.96: a).L<J8nQO<; olflO<; = "chemin glissant", tr. par E. Puech; Pindare, PA, v. 248: xaL lLva o¥J.ovloaflL (J{JaxW ~ "etje sais un chemin court", lr. par I. -Po Savignac. 310A. Hurst, "Aspects du temps chez Pindare", in Piruiare, Fondation Hard pour l'etude de l'antiquite cIassique, XXXI, Geneve, 1985, pp. 155-198, p. 158.

c

165


chronologique representant la narration, identifie a un parcours dans l'espace. Et Platon, elabore avec Ie mot ol/-lo; la metaphore du chemin de la recherche philosophique: "Nous n'avons, dis-je, qu'a SUlvre notre route, et nous trouverons ce qu'il faut repondre"311. Chez Hesychius on trouve les gloses A propos de cette demiere il ecrit:

"lwgOL/-ltm"

OL/-lOL

"rrugOL/-lLu".

"rrugoL/-ltU· l3ullqJEA.i]; A.oyo;

rrugu 1i]V aMv A.EyO/-lEVOC;, olov rrugooLu, ofpo; yap

cet auteur,

et

1/ Md£,'. Selon

ce sont les "rangs, rues"312 et finalement

ol/-lo;

c'est: "rue cercle sentier, d' oil on a appele les cercles du bouclier OijiOlJ';' 313

Par consequent Ie mot 01/-l0; rassemble les valeurs semantiques de chemin et de bande ou de zone -ou selon d'autres de cercle- et il est utilise metaphorique:ment pour indiquer la route des paroles ou du chant. 314 Pour les auteurs posterieurs la signification de chemin est pleinement dlegagee 31s • 311T6v aut6v ol!J.ov, liv 0' tvw, nogcu6!J.EVOL EugnaO!J.EV ciJ~ ey",!J.UL, a l.EKtta: Platon, Republique, 42Gb, (Platon, (Euvres completes, t. VIT, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par E. Chambry, Paris, 1981). 3120L!J.OL. crt(XOL, 600l . 31301!J.o~, 606~ x'iJxA.o~ tg([\o~ 6eEV xa( tii~ uan(lio~ x'iJxA.OUC; OL!J.OUC; txill.wav. 314Dans Callimaque nous rencontrons les chemins de la lyre (Hymne aZeus, v. 78) et aussi Ie ol!J.ov nl.atUv (fr. 1 pf., v. 27). Sur les premiers, voir Ie commentaire de G. R. Me. Lennan, dans son edition de I'Hymne a Zeus: Callimachus, Hymn to Zeus, introduction and commentary, Rome, 1977, pp. 115-116.

31SVoir: Sophocle, Les Limiers, v.168: aU' El [ulcp(atw tgLl;"Yll~ OL!J.OtJ flciaLv="Allons en avant plus d;hesitation sur la route il. suivre", (Sophocle, t. II, texte etabli et traduit par P. Masqueray, Collection des Universites de France, Paris, 1924); Euripide Alceste, v. 835: og&i]v nag' ol!J.Ov, 1\ 'nl AcigLaa:v 166


B) OIMH

Le mot

OL~'t1

est d'albord utilise par Homere dans I'Odyssee.

L'aede aveugle Demodocos, conduit par un heraut au palais d' Alkinoos, apres avoir satisfait sa soif et son appetit, commence par un chant

(OL~'t1)

dont la renommee arrive jusqu'au ciel et que

les Muses, qui chantent [es klea des hommes, lui ont donne 316 , lei Ie mot

OL~'t1

a plut6t Ie sens de redt ou de chant. Car, "La

Querelle d'Ulysse et d'Achille" qui est presente comme

l'OL~'t1

peut

avoir Ie sens du chant 011 du recit qui a cela comme sujet Dans Ia meme acception il y a aussi les paroles d'Ulysse

a propos

des

aedes: "il n'est homme lici-bas qui ne doive aux aedes I'estime et Ie respect; car la Muse cherit la race des chanteurs, leur apprend

cpEgEL=

"Le long du chemin en ligne droite qui mene aLarissa", (Euripide, t. I,

texte etabli et traduit par L. Mendier, Collection des Universites de France, Paris, 1925); Euripide, Electre, v. 218: tyw~"Fuyons, vous

qruy~

ail

/lev xat'ol/lov,

ec;

06/louC; 0'

par Ie chemin, et moi dans rna demeure", (Euripide, t. IV,

Collection des Universites de France, Paris, 1925).

3160d. , VIII,

v,

71-75:

Amite mEL JtOOLOC; xal EOTiWOC;

E!; EgOV EVlol Molia' ag'

iWL06v avfjxEv aELOE/lEVUL xMo: avoQ6lv I OL/lTlC; t~C; tOt' aga XAEOC; ovgavov EVgiJv LxavE! vElxoC; 'Oouoa~oc; xal IlTiAElOEw 'AXLA~OC;

= "Lorsqu'on eut apaise la soif

et l'appetitj la Muse Ie pressa de chanter la gloire des hommes/ et, d'un recit dont Ie renom touchait alors Ie ciel,lla querelle d'Ulysse et d'Achille, fils de Pelee", tr. par Ph. Jaccottet.

c

167


leurs pieces"3l7. Et un autre aede, Phemios, affirme que Ie dieu lui a inspire toutes sortes de OLIJ.Ul318 . Selon O. Becker,

OL~ll1

c'est Ie chemin pour designer Ie chant de

l'aede 319 . J. Svenbro tratduit OLIJ.Ul par "chemins du chant"32o. Cl. Calame aussi parle d'un "terme employe metaphoriquement avec Ie sens de 'chernin du chant' "321. C'est du mot OLIJ.T] que derive Ie JrQOOLIJ.LOV. Pindare 322 utilise souvent Ie mOp23. Selon Platon, il s'agit d'un prelude au nomos citharodique:

3170d. VIII, v. 479-481: ltaOL yCr.Q Cr.V8QtOltOLaLV ÂŁJnx8ovlOLOLV Cr.OLlioil tliJ.ii<; EiJ.iJ.oQol dOL xaL allioi:i<;, o-uvex.' <'iQa o<pi.aq otiJ.a<; Moiia' Elillia1;e,

qJlA~ae

liE qJiiAOV

tr. par V. Berard. 3180d. XXII, v.347-348: 8eo<; Iii. iJ.OL EV qJQEaLv otiJ.a<; ltavtota<; Evi.qruae;. Selon Ie commentaire de W.B. Stanford dans son edition (Odyssee, New. York, 1948) il s'agit de "chemins du chant" (=paths of song). 319 0. Becker, Das BUd des Weges und verwandte Vorstellungen im jriihgriechischen Denken, Hermes Einzelschr. 4, Berlin, 1937, pp. 68-69. 32oJ.Svenbro, La parole et Ie marbre : aux origines de la poetique grecque, Lund, 1976, p. 36, n.103. 321C. Calame, "Mytbeet recit en Grece", Kernos4 (1991) p. 184. 322Sur prooimion voir, G. Nagy, op. cit., pp. 353-360 qui retrace aussi toute l'evolution de sa forme jusqu'a Pindare. Aussi, C. O. Pavese, "L'inno rhapsodico" in: L'inno tra rituale e letteratura nel mondo antico, Atti di un colloquio, Napoli 21-24 ottobre 1991, A. 1. O. N, Sezione filologico-Ietteraria XIII (1991), Roma, 1991, pp. 155-178, pp. 157-159. 323Comme par exemple dans ce passage si riche en metaphores de la VIle Pythique, v. 1-4: "ll n'y a pas de plus beau prelude que la grande cite d'Atbenes pom jeter la base d'un chant en l'honneur de la puissante race des Alcmeonides, victorieux a la comse des chars." ~ KaUlatOV at iJ.eyaAOltOALe<; Cr.OLOOlV,

'A8avm/ ltQOOliJ.LOV 'AAxiJ.aVLOOV eVQvaAevel yeveq./ flo,Ai.a8m,

tr. par A. Puech. 168

xQ~ltlli'

Cr.oLMv lltltOlaL


"Tous les discours, ..., et tout ce qui donne un role a la voix comportent des preludes, et, dirais-je, comme des passes preliminaires qui constituent une mise en train melodique aux exhibitions qui se preparent. En fait, je pense, ce qu'on appelle les nomes du chant citharedique et tous les airs de musique sont precedes de preludes merveilleusement travailles"324. Aristote ecrit: "L'exorde est Ie commencement du discours, tout comme Ie sont Ie prologue dans la poesie dramatique ou comique ou Ie prelude dans un morceau de flute; ce sont la autant de commencements, et comme L'ouverture du chemin pour qui va s'engager"325.

Quintilien dit enfin: "Ce qui est appele en latinprincipium, ou exordium les Grecs I'ont nomme, plus raisonnablement, semble-t-il, jq;>ooL~tOv,

car notre mot latin signifie seulement 'debut',

mais eux, ils montrent, assez clairement, qu'il s'agit de La

324Platon, Lois 722d: O,L A6yWV ltliv-rwv xal OOWV

"""vi] XEXOLVWVT]l<£V n(?OotJ.lLU

tE tonv xat OXEOOV OLLOV nve; avaxLviloEu;, Exouoot nva EvtEXvOV EJ"tLXELQll0I..V

XQliOLJ.lOV nQO, ,0 J.lEAAOV n£Qatveoll<u. xal Ii'li nou xLllaeQJOLxii, QX>ii,

A£~OJ.lEVWV

V0J.lwv xal !tlio~, J.lOUO~' nQOOl~ua llauJ.lao,w; tonouliaofJ.Eva nQOx£L"tac: Platon,

Oeuvres completes, t. Xl, texte etabli et traduit par E. des Places, Collection des Universites de France, Paris, 1975. 325Aristote, Rhetorique, III, 14, 1414a 19-21: ,6 J.ltv 01lV nQoOlJ.lLOV tOtLV iIQx'li A6you, 0 !tEQ tv nOL'lioEL rrQoAoyo, xal tv aUA'liOEL rrQoauALov. rruv-ra yiIQ iIQXal ,ali,'dol, xal owv 6liorrol~OL, ,O tmovtL, Aristote, Rhetorique, III,

Collection des Universites de France, exte etabli et traduit par M. Dufour et A. Wartelle, Paris, 1973. 169


partie placee avant l'aeces au sujet dont on doit parler. En realite, Ie

terffil~

peut venir d'oIl-tn, Ie 'chant' et du fait que

les citharedes ont donne Ie nom de prohoemium au court prelude qu'ils font entendre, pour se concilier la faveur, avant d'aborder l'epreuve reglementaire ... Mais il peut venir d'oll-to,;, qui, chez les Grecs aussi, signifie 'chemin' et l'on aurait decide d'appeler ainsi ce qui precede I'entree en matiere."326 G. Nagy qui suit Quintilien, donne comme exemples caracteristiques de

ltQOOLI-tLU

les hymnes homenques, comme Ie fait

d'ailleurs Thucydide, quand il designe I'hymne homerique

a

Apollon sous Ie terme de prooimion 327 • C'est dans Ie prooimion de son chant que Bacchylide dans son Ve Dithyrambe cherche l' oIl-tn de son chant, la voie la meilleure a emprunter; il s'agit done bien de frayer son chemin, comme Ie dit Aristote. Selon Hesychius, entin, oIl-tn est "voix; rue; parole; recit; chant: d'ou vient que Ie prooimion est quelque chose avant Ie chant; et cercle"328.

326Quintilien, Institution Oratoire,. IV, 1-3. 327Thucidide, III, 104, 4: Ex :rEgOOL!llau ·A:rEonwvo~. 328

cpwvi).

aM~.

AOyo~.

LOtoglu. cPlili : OBev :rEgoolfLLOV

XUxAO~.

170

tL

:rEga

tft~ cP6ft~·

xut


C) ETYMOLOGIE DE OIMH ET OIMO:l:

Dans les etudes concernant la terminologie poetique, M. Durante 32 ' suit la theorie de A. Pagliaro en donnant

a ol~n Ie sens

d"'histoire". A. Pagliaro 330 , en posant que Ol~T] et ot~:; "doivent conduire

a une

origine unique 331"peut

affirmer que leur racine, "*sei- (lier) est largement representee dans les langues indoeuropeennes ... La signification de ot~o:;

Ol~T]

est celie de 'lien, trace' tandis que

signifie 'bande' et plus tard 'voie, chemin'.

'Ol~T]'

avait une signification technique bien precise dans la poesie epique ... Dans Od.VIII v.n l'etroite connection avec les XA.EU i'tvligwv, objet specifique du chant epique, fait d'

ot~T]

l'argument, Ie trace narratif que Ie poete suit. ...

En d'autres tertnes, I'

Ol~T],

en tant que lien du contenu de

la recitation des chanteurs, pris ensemble ou separement, constitue l'argument, et plus tard la composition inspiree d'un motif'332.

32'"Ricerche sulla preistoria della lingua poetica greca. La terminologia relativa alia creazione poetica", Rendiconti della Classe di Scienze morali, storid efilologiche dell' Accademia dei Lincei, fase. 15, 1960, pp. 231-249, pp.240-241. 330Saggi di critica semantica, Messine, 1953, pp. 34 sq, mais aussi "La terminologia poetica di Omero e I'origine dell'epica", in: Ricerche Linguistiche, II, Roma, 1951, p. 25-30. 331Ibid., p.27. 332Ibid., pp. 27-29. 171


Et il conclut que la notion de "lien", de "trace" derive de l'activite du poete epique, "lien de contenus" constituant un "recit" 333. Selon Chantraine, finalement, l'etymologie n'est pas claire: on tire d'abord oL!J.n de ol!J.oc; (marche, chemin), terme qui appartient au vocabulaire des aedes. Pour olmos, l'hypothese la plus plausible est celle qui pose comme racine *oi-smo et en rapproche eisme, "mouvement, marche".334 Chantraine emet egalement une autre hypothese qui tire oL!J.n de *som-yo, proche du hittite ishamai "chanter", evoquant Ie sanskrit samano

33S

Recapitulons les differentes etymologies: on retrouve parmi elles Ie sens de "lien" qui unit (ou fil conducteur, selon M. Durante), la bande (en tant que ligne), Ie trace que Ie poete suit, Ie chemin proprement dit:, la marche et finalement Ie chant. Les premiers emplois attestes sont ceux de ol!J.oc; en tant que bande, et de oL!J.n en tant que narration et n~cit.

VI 4.

RELATION DU CHEMIN AVEC LE CHANT

Le mot ol!J.oC; acquerra la signification de chemin

a travers Ie

chant meme; un exemple, que nous n'avons pas evoque jusqu'ici, est significatif: dans I'Hymne homerique, quand Hermes chante en s'accompagnant de sa cithare, Apollon lui adresse la parole avec admiration:

333Ibid., p. 29. 334Dictionnaire erymologique, p. 784. 33sIbid., p. 784. 172


"Quel est cet art ('tLe; 'tEXVTI:) ? Cette inspiration qui apaise les soucis ineluctables ('tLe; !-loDou U!-lTlXUVEWV !-lEAEOWVWV) ? Quel chemin ('tLe; 'tQL(loe;) Y conduit? II contient vraime:nt trois plaisirs

a la fois

: gaite, amour et

double sommeiI-au choix! Certes, j'accompagne les Muses de l'Olympe, qui mettent tout un zele dans les danses, la noble voie de la poesie (uYAu6e; OL!-lOe; umoiie;), Ie chant florissant (!-loAmi 'tE8uAUi:U) et Ie son charmant des flutes (i!-lEgOELe; (lQO!-lOe; UVAWv)"33 6 • La triple question d'Apollon posee

a Hermes (concernant les:

'tEXVTI umoiie;-!-lO'DOU-l:QL(loe;), correspond selon lui au do maine des Muses qui est constituee par les XOQOL, OL!-lOe; umoiie;. !-lOAlti) et BQo!-loe; UVAWV; Ie mot OL!-lOe; porte clairement la signification d'un chemin qui est ici celui du chant et non celui de la lyre ou de la danse. On pourrait aussi traduire la question "'tLe; !-lOUOU U!-lTlXUVEWV !-lEAEOWVWV" par: "queUe est cette Muse des soucis ineluctables"; ainsi la Muse est celle qui conduit loin des soucis

a travers

Ie

chant. La question suivante posee par Apollon, 'tLe; 'tQLBoe;, (quel est Ie chemin) se rMere aux deux mots cruciaux de !-lo'Dou et U!-lTlXUVEWV -sans issue- de la deuxieme question, et Ie chemin est synonyme du chant, ce chant merveilileux que la Muse a enseigne

a Hermes et

qui enleve les chagrins.. Les deux dernieres questions d' ApoUon fonctionnent comme nne sorte d'analyse de la premiere qui est: 'tLe; 'tExVTJ-quel est cet art-, et cet ensemble de questions trouvera une reponse analogue de la part d'Hermes puisqu'il va a la suite parler 336H.

h.

aHermes, v. 447-451, tr. par J. Humbert. 173


ainsi : "Tu es fort habile dans tes demandes, Dieu Archer: moi, je ne refuse pas de te mettre sur fa voie de cet an, qui est Ie mien"337.

a Apollon avec des termes analogues aux siens, qui correspondent a la meme idee du chemin du chant : Ie verbe E.."tLtlaLvUJ appartient a la fois au vocabulaire de la poesie et celui de Hermes parle donc

la marche. Par consequent ici Ie sens premier du mot de bande (epoque

mycf~nienne,

OllW~

-qui etait celui

Iliade, ch.XI, v.24) se change en

voie. Et cette voie est la voie du chant; comment Ie chant peut-il prendre la forme du chemin ? Selon M. Durante c'est l'image du "fil" assimile au "fil conducteur", lie a la "colilnaissance des faits"338 et de "l'histoire"339. En fait, Ie fil (ou la bande, peu importe) est une ligne, comme Ie chemin. Vne meme structure de juxtaposition lineaire constitue Ie chemin et la narration: ele meme que les paroles s'enchainent et les actes se succedent sur un fil qui conduit vers la fin du poeme, ainsi les pas de l'homme qui marche sur un chemin Ie menent jusqu'au bout. Mais il y a plus: dans Ie passage de l'Hymne homerique

a

Hermes, cite plus haut, ce meme chemin du chant est du domaine des Muses de 1'0lympe (v.450-451). Comme 1. Svenbro l'a tres justement fait remarquer "1'

OL~n

337 H. h. ii Hennes, v. 465-466:

du chant est toujours etroitement

EL[lWt!7£ I!', 'EXUE[lYE, ltE[lL<jJ[labE£. airtiL[l EYW

aOl/ t£xvn£ fJIJ.£tE(lll£ Eltl$1i!!EVal. au tL !!Eyal[lW.

338M. Durante, "Ricerche .... ", op. cit., pp. 238-244. 339D'oii vient aussi Ie mot ('a<jJwOo£, celui qui "coud Ie chant". "Le rhapsode est celui qui prepare son produit poetique en conduisant, enroulant, ou intriquant Ie fJ.1 de la narration", M. Durante, ibid., pp. 241-244. 174


associee

a la Muse, comme si l'aede avait besoin d'elle pour ne pas

perdre son 'chemin' (ou pour savoir par ou commencer): cf. Od. 1. 10"340. Autrement dit : sur Ie chemin du chant que Ie poete doit parcourir, il aura les Muses pour guides: elles veilleront sur sa marche, sur ce qu'il va raconter; elles lui montreront Ie trajet. On avait vu l'affinite entre chemin et jeunes flUes: si on transpose ce schema dans Ie domaine de l'inspiration poetique, il se transforme en relation entre chemin du chant et Muses (qui sont elles aussi des

korai). La raison en est simple : les Muses sont les enfants de Mnemosyne, de la Memoire. "Deesse titalle, sreur de Kronos et d'Oceanos, mere des Muses dont elle conduit Ie chreur et avec lesquelles, parfois, elle

Sl~

confond, Mnemosyne preside ...

a la

fonction poetique.... La memoire transporte Ie poete au creur des

eVI~llements

anciens, dans leur temps.

L'organisation temporelle de son recit ne fait que reproduire la

sl~rie

des evenements auxquels en quelque

sorte il assiste, dans l'ordre meme ou ils se succedent

a

partir de leur origine.... On peut penser que Ie dressage

<du poere> faisait large place mnemotechniques, en particulier

a

a la

des exercices

recitation de tres

longs morceaux repetes par creur"341. L' hypothese que nous formulons reprend avec une legere modification celle de J.-路P. Vernant: I'organisation "temporelle" du 340J. Svenbro, La parole et le marbre, op. cit., p. 36, n.103. 341J._P. Vemant, "Aspects mythiques de la memoire", in J.-P. Vemant et P. Vidal-Naquet, La Grece andenne,t.II, Paris, 1991, pp. 17-19. 175


recit de I'aede cOIncide avec I'organisation d'un "espace". La serie des evenements, leur ordre, doivent etre memorisables; c'est sur un chemin imaginaire qu'il etaient places par 1'aede. En recitant il parcourait cette voie de la narration, cette oI~l1; les filles de la Memoire l'aidaient

a la

a parvenir a son but. 342 Le mot oI~l1 appartient

terminologie poe:tique parce qu'il presente Ie chant, la

narration, sous la forme qu'ils avaient pour la pratique de la poesie; celIe du chemin.

342"The word Moiioa itself (from *mont-ia) may well stern from the same root *men- that we find in i1'i1V110l<'" and i1vwoouvn", ecrit G. Nagy dans Comparative Studies in Greek and Indic Meter, Cambridge Mass., 1974, p. 253, n. 24. Sur la relation ,entre Mnemosyne et les Muses, voir Ie chapitre intitule "Mnemosyne mere des Muses" dans la these de M. Simondon, La memoire et l'oubli dans la pensee grecque (jusqu'a lafin du Ve siecle avant J.-C),pp.106-118. 176


VII. Les Muses et Ie chemin du chant REMARQUES PRELIMINAIRES

Dans son enquete sur la morphologie du chceur lyrique, Cl. Calame cherche dans Ie contexte apollinien Ie role exact des Muses, d' Apollon et d' Artemis. 343 Et il conclut: ÂŤL'exemple apollinien montre que la fonction de la direction du chceur se decompose en trois traits complementaires: 'instituer', 'commencer' et 'conduire'. A ce systeme semique s'en ajoute un second qui rend compte des moyens par lesquels est assuree la direction du chceur. L'activite de chorege d' Apollon est marque du trait 'accompagnement instrumental'; toutefois quand un chceur plus vaste que celui des Muses est present, Apollon partage sa fonction de chorege avec Ie chceur des Muses: la fonction d' Apollon reste marquee du trait 'accompagnement instrumental' alors que les Muses exercent leur role de direction

a travers

Ie 'chant'Âť 344. Ici Cl. Calame transpose l'image reelle

du chceur lyrique des jeunes filles

a un

niveau divin; l'image

mythique des Muses et d' Apollon est pour lui un reflet fideIe de la realite de ce chceur. Or les Muses dirigent quand elles

Calame, Les ehceurs de jeunes fiUes en Greee ancienne, t.I, Rome, 1977, pp.103-108. Sur Ie culte des Muses, on consultera I'ouvrage de P. Boyance, Le Cuile des Muses ehez ies Philosophes Grees: Etudes d'hisloire el de psyehoiogie religieuses, Paris, 1937. 344/bid., p.108. 343C.

177


apparaissent dans les poemes epiques; malS elles ne sont

111

choreges ni choreutes; nous preferons, pour notre part, affronter les textes en les consid(:rant comme des reflets dans I'imaginaire de ce que devait etre pour les Grecs de I' epoque archai"que l'activite poetique.

VII 1. lLIADE

Au chant I de I'lliade, les Muses chantent qui joue de sa belle phorminx 345

.

a cote d'Apollon

Dans Ie reste du poeme elles

doivent dire au poete 346 ou se rememorer pour lui 347 ou chanter348 . Mais la plupart des invocations aux Muses appartient au contexte des catalogues349 . Nous y reviendrons.

VII 2. ODYSSEE

Dans I'Odyssee, c'est: seulement au premier chant que la Muse apparait en tant que celie qui dit

a l'aede, comme dans I'Iliade 350•

345 /l. I, v.603-604: <pOQIt'YYo<; llEQ'''UnEO<;. Le mot qui est utilise pur Ie chant

des Muses c'est: i'moov. 346/l. II, 485, 761; XI, 218; XIV, 508-510, 598; XVI, 112 : EOllEtE vUv It'" MotiOaL.

Sur les invocations aux Muses dans I'Iliade, R. Janko, The Iliad: a

commentary, Cambridge, 1992, p. 223, cite I. J. F. de Jong, Narrators and Focalizers: The Presentation ofthe Story in the Iliad, Amsterdam, 1987 ou on trouve toute la bibliographie relative. 347 Il.II, 491: ItVnOulE8' • 348/l. II, 598. 349Il. II, v,485, 491, 594, 598, 761. 3500d.,I, v.l: avliQa !W' EWEltE, Motiou.

178


Dans les autres cas son activite principale semble etre d'enseigner a l'aede les

O"tJ.LOl,

les recits, les voies du chant351 ; l'aede est celui

que la Muse a aime plus que tout autre 352 . On remarque que toutes ces references a la Muse sont faites par Ie heros, Ulysse: c'est lui qui parlant a l'aede Demodocos, avant qu'il ne commence son chant dans Ie banquet de Pheacie, insiste sur ee qui Ie distingue des autres hommes, en tant que connaisseur des differentes histoires; c'est aussi Ulysse qui lui demande de prendre plutot ce chemin qu'un autre, Ie chemin du recit qu'il veut entendre (et qu'en tant que protagoniste, il connait deja). Ulysse va prendre apres Demodocos la place du narrateur; mais lui en revanche n'a pas besom de la Muse pour suivre Ie til des evenements, pour se mouvoir en dehors de l'espace 'reel' ou il se trouve: il va utiliser les avantages que lui procure sa propre experience, et il se rememorera en repetant mentalement Ie parcours deja fait.

VII 3.

HYMNES HOMERIQUES

La Muse aide done l'aede a se souvenir: tantot en lui dictant, tantot en lui enseignant les chemins du chant; dans les Hymnes homeriques l'activite des Muses est de meme nature. On a deja vu

Apollon se presenter a Hermes comme suivant des Muses 353 et lui demander quel etait son art et quel chemin y conduisait. Dans 3510d., VIII, v.?3, 481, 488. 352 Od. VIII, Y.63: tov mgt Moij(J' 353y .450: MoU(J~<JLV ·Ol..1J~La6£(J(JLv

€CP[l..~(J£. 6lt~Mc:;.

179


Ie meme hymne, Mnemosyne apparait comme la mere des Muses (v.429-430). Dans Ie reste I'activite des Muses est: de parler au poete des dieux honores 354

,

de commencer I'hymne 355 et de

chanter a la place du poete356

VII 4.

THlioGONIE

Le prologue (ou prelude) de la Theogonie est consacre aux Muses 357 . Ce prelude est compose de deux parties: l'invocation (v.1-34) et I'hyrnne aux Muses (v.35-115).358 Dans I'hyrnne, les Muses sont representees chantant autour de Zeus (v.35-52); il y a Ie recit de leur naissance (v.53-64), de leur apparition dans

354hymn.hom.ii Aphrodite, I, v.1: Moiloa !L0L EVVEltE EQya ltol..uXQuoou 'Aq>Qoolnl;; hymn. hom. aux Dioscures, I, v.l: eoltEtE Moiloac; hymn. hom. ii Pan : 'EQJLElao q>ll..ov y6vov EVVEltE Moiloa. 355hymn.hom au Soleil, v.1-2 : ¡Hl..wv U!LVELV .•. C!QxEO. 356hymn.hom. ii Anemis, I, v.1 : -AQtE!LLV U!LVEL. 357S ur tout ce passage P. Pucci ecnt: "the slipping away of present ills into forgetfulness is contingent upon the poet's introduction of another memorythat of the past and of the gods"; P. Pucci, Hesiod and the language o/poetry, Baltimore and London, 1977, p. 22. Voir aussi: M. B. Arthur "The Dream of a World Without Women: Poetics and the Circles of Order in the Theogony Proemium", Arethusa, vol. 16, n. 1,2, 1983, pp. 97-116. 358En general, "on a re1eve de nombreuses analogies entre 1a structure de 1a Theogonie et celie des prooimia ou preludes que representent les chants contenus dans la collection dite des Hymnes homeriques ....on a reeemment pu considerer l'essentie1 du texte actue1 de 1a Theogonie (v.1-964) comme constituant un hymne aux Muses, dans Ie style des hymnes homeriques, pre1udant aun catalogue des heros dont on aurait un extrait aux vers 965-1020" (C. Calame, Le recit en Grece ancienne, Paris, 1986, p.57). 180


l'Olympe (v.68-79) et tIDe description de leur role parmi les rois et les poetes.359 Dans tout Ie prelude les Muses se presentent comme des xoDgm (v.25,52,60,81), filles de Zeus et de Mnemosyne. Leur relation avec les aedes, c'est celie que nous rencontrons aussi dans

I'hymne homerique aux Muses (v.94-97)360. La elles sont louees en meme temps qu'Apollon et Zeus; car "par Zeus il existe des rois", et "c'est par les Muses et l'archer Apollon qu'il existe sur terre des hommes qui chantent et jouent de la cithare"361. Vne repartition semble ici esquissee entre Apollon et les Muses: Ie champ apollinien est celui de la musique, de la cithare; en revanche les Muses sont du domaine du chant: 362 . Plus specialement ce sont les paroles qui interessent les Muses; c'est ce 3590n a pu discerner dans ce passage "une association entre les Muses comme personnification de la tradition orale, et les chefs en tant que ceux qui rendent la justice". A ce sujet, voir: C. P. Roth,"The kings et les Muses in Hesiod's

Theogony", TAPA 106, 1976, pp.33 1-338. 360La grande ressemblance qu'on peut constater entre les deux poemes donne apenser que l'hymne hombique est inspire de ce passage de la Theogonie, que les commentateurs jugent anl:eneur. 361Hymne homerique aux Muses, v.2-4 = Theogonie, v. 94路97: ex yaQ MOlJcrUOlV

xaL

tXll~6AOlJ

'An6AAOlvog avoQcC;

iWLOOt

eacrLv

ent

x80vt

xaL

xL8aQL<Jtal! Ex O拢 ~L6C; flaOLAi'icC;.

Selon G, Nagy, "Apollo generally dances and plays the lyre, while the Muses' function is more specifically that of singing or reciting", G. Nagy, Pindar's Homer: A Lyric Possession of an Epic Past,

Baltimore and London, 1992, pp. 360-361. Elles se presentent ainsi dans Ie Bouc/ier d'Heracles d'Hesiode, v. 201-206, ou "the Muses are described as choral leaders in song (exarkho 'lead the chorus' in combination with aoide 'song': 205)", p. 360. 362 Theogonie,

v. 96-97 = H. h. aux Muses, v. 4-5:

MO'Ucratl cpLAOlVtm. yAVXcQiJ 01: fut6 cr~6!Ul~0C; QE" avon.

181

6 0' OA~LOC;, 6v tLVa


qui est dit par Ie chanteur. "En disant ce qui est, ce qui sera comme ce qui etait,l de leurs voix it l'unisson; infatigable, la parole coule it flats/ de leurs bouches, bien douce"363. Ainsi "Calliope Belle- Voix, c'est elle qui l'emporte du plus loin, entre toutes ". 364 Dans la suite du meme passage de la Theogonie, l'activite du chanteur par rapport aux Muses s'eclaire plus: Ie chanteur, servant des Muses,

celE~bre

les hauts faits des hommes d'autrefois

ou les dieux bienheureux, habitants de l'Olympe 365 . Tout specialement, it Hesiode, les Muses "soufflerent fa parole! inspiree, pour qu'{il} glorifie ce qui sera comme ce qui etait,l

{I'} invitant it celebrer de {ses} hyrnnes la race des bienheureux eternels/ et it les chanter chaque fois elles-memes en premier comme en dernier lieu"366. Les Muses (et l'aMe:) chantent done; mais dans leur chant, les recits sont ce qu' il y a de plus interessant; et les recits appartiennent au domaine de la memoire, du futur et du present.

363Theogonie, v. 38-40, tr. par A. Bonnafe. 364Theogonie, Y. 79 KaAAL6Jtn 8'. n OE ltQO<pEQwtatn

Eotlv (maoEwv,

tr. par

A. Bonnafe.

365 Theogonie,

Y. 99-10 1:

. a'UtaQ

aOLMe; Mo'Uoawv 8EQaltWV KAtEn ltQOtEQWV

Voila ce que G. Nagy ecrit sur kleos: "The action of gods and heroes gain fame through the medium of the singer, and the singer calls his medium Ideos", G. Nagy, ComparG1ive studies in Gr;eek and Indic meter, Cambridge Mass., 1974, p. av8Qwltwv iJ!!V'liou !!axaQae; tE 8mue; OL 'Ol-'U!!ltov EXO'UOLV.

250.

366Theogonie, Y.31-34:

EVEJtVE'Uoav Of !!OL auonv/ 8EOltLV, Lva Xl-ELOL!!L ta t'

EOOO!!EVa ltQo t' EOvta/ XCI' !!'EXEAov8' iJ!!vElv !!axagwv YEVOe; aEV EOvtWV/ oqXie; 0' autixe; It(liinov tE xat ootamv aLEv aELoELv",

182

tr. A. Bonnafe.


a leur presence, les Muses sont toujours en mouvement,

Quant

leurs corps et leurs voix s'avancant pendant qu'elles celebrent. Elles dansent de leurs pieds delicats autour de la source et de l'autel de Zeus 367 ; dies meuvent leurs pieds de toute leur force 368 ; elles partent de I'Helicon couvertes d'epaisse brume, dans la nuit e1les avancent en lancant leur voix toute beIle 369 ; e1les vont vers l'Olympe en se rejouissant, faisant retentir leur belle voix en une melodie pareille

a l'ambroisie,

la terre noire

resonne pendant qu'elles chantent, et un son harmonieux s'eleve de leurs pieds pendant qu'elles vont vers leur pere 370. Pour E.A. Havelock, "les Muses, quand elles chantent et dansent dans ces vers sont les representants eponymes des poetes-memes".371 Tout autant Ie trajet que Ie chant des Muses est ici exprimee en termes de mouvement. Dans les vers 9-10 nous avons les verbes cm6Qvu~m, O'tELXW

et

L:n~L.

Le premier, signifie "s'elancer" ,

"partir de", et il est employe pour designer Ie depart des Muses. Le deuxieme dans ses ernplois les plus anciens a Ie sens de "ailer

en ligne,

alafile, marcher droit"372.; les Muses marchent donc a

367V.3-4 : xac tE lIEQl xQ1lvtlV cow'iea noaa' {malcOlaLV/ OQXEuvtaL. 368Y.8 : E3tEQQcixJavtO OE nooa'lv. 369Y.9-10 : EvllEV anOQvUllEVaL xExalclJlllleVaL neQL nonTi,! EVvUXLa OtElXOV nEQLXanea ooaav CEloaL. L'expression ooaav CEloaL apparait aussi au v. 67. 37Oy.68-71 : AL tot' Loav nQoe; -Ol.lJ/l3tov" ayanollEVaL oltl xalcfj,! a/lflQooC11 Il0lcltij. ltEQl

c'

laXE yala llelcaLva! 1JIlVEtJOaLe;, EQatOe; BE ltOCWV UltO COUltOe;

OQWQEL! vLoollevUlv nateQ' etc; Qv.

371E. A. Havelock, Preface to Piato=Preface, Oxford, 1963, p.98. 372F. Letoublon, 1/ allait pareii a ia nuit, op. cit., p.169. "Le verbe s'applique toujours au rnouvernent de personnages en groupe.... Cette specialisation 183


La fiLe en direction de l'Olympe et chantent en meme temps373. ElIes deviennent ainsi I'image personnifiee du chemin parcourir et du chant

~i

a

la fois, une chaine dont la structure est

celIe de la juxtaposition Iineaire. Le troisieme verbe, 'infLL, signifie "mouvoir en avant" et utilise ici avec Ie mot oooa qUi signifie "voix", se traduit par "Lancer". L'ensemble de I'expression oooav LELaC/.' renvoie

a l'image de la voix qui, partant

des bouches des Muses" se meut en avant en meme temps qu'elles avancent374 . Dans les v,ers 68-71 il y ales verbes vlooollm et 'inll'; Ie premier signifiant tendance

a l'origine

'retourner' et "manifestant une

a devenir au cours de l'evolution diachronique un verbe

du sens neutre 'aller'''375; Ie deuxieme, utilise dans I'autre passage pour Ie mouvement de la voix des Muses, a Ie sens propre de "mouvoir en avant" et c'est celui qu'on a rapproche d'

suggere l'hypothese d'un sens originel etroit, 'marcher en ligne, en ordre', qui s'expliquerait dans les emplois militaires", ibid., p. 168. 373Le verbe OtElxfLV (qu'on a aussi rencontre dans l'hymne homerique a Demeter, v. 182, pour la marche de la deesse vers Ie palais de Keleos) est aussi utilise it propos des mystes dans les textes orphiques (aMv ÂŁQXEUL, iiv tE xul IinOL IlLomc xul ~axxOL otElxouac: lamelle d'Hipponion, groupe B, reconstruction chez R. Janko, "Forgetfulness in the Golden Tablets of Memory", CQ 34, 1984, pp. 89-100). La lamelle, "don de Mnemosyne, sert d'aide-memoire pendant la transition dangeureuse": F. Graf, "Textes orphiques et rituel bacchique. A propos des lamelles de Pelinna", in: Recherches et Rencontres, Publications d,e la Faculte des lettres de Geneve: Orphisme et Orphee en l'honneur de Jean Rudhardt, ed. P. Borgeaud, 1991, n. 3, pp. 87102, p. 93.

374Cette image (v. 9-10 et v.. 67) va plus tard etre developpee par Pindare dans son theme des fleches de la IXJesie. 375.F. Utoublon, ibid., p.177. 184


ol!!o~

en tirant de

*FOL!!O~

la racme *wei- sous Etao!!aL et

IE!!aL. 376

VII 5.

LES TRAVAUX ET LES lOURS

Dans les Travaux et les lours, Hesiode se rMere aux Muses quand il parle du trepied qu'il a recu comme prix aux concours poetiques de Chalcis. Ce trepied, il l'a consacre aux Muses de l'Helicon parce que c'est Iii qu'on lui a appris pour la premiere fois Ie chant harmonieux, chose qu'il repete un peu plus tard differemment3 77 . Le verbe EJtLf3alvw utilise ici pour exprimer l'apprentissage du chant: est caracteristique; il est aussi employe dans l'Hymne homeriqu,e

a Hermes quand Hermes dit ii Apollon

qu'il va lui enseigner son art

378.

C'est

un

verbe appartenant au

domaine du mouvement:: au sens propre il signifie "marcher sur ou vers" et: dans ce contexte on Ie traduit par "se mettre sur la

route de ".

Dict.etym.,op.cit. t.Il, p.784. 377Hesiode, Travaux et lours, v.658-659: tOv

376Chantraine,

~EV EyW MrnJOTJ£ 'EALXOlVLaoeao'

iIv£enxa,l EVea I.l£ t6 ltQliitov ALYUQ~£ Elt£Bnoav iIOLO~; Eoloo!;av iIe£o<patov 378 Hymne

{j~vov

v.662 :

MO;;OOL Y£Q ~'

iIE;'OELV.

homerique ii Hermes : t£xvn£

(v.465). 185

fJ~Et£Qn£ EltLB1\~EvaL oli

tL

~EyalQOl


VII 6.

POEsIE LYRIQUE

Dans la poesie lyrique, la Muse, souvent indiquee au singulier, regne aussi sur l'activite poetique. Mais de quelie maniere son activite se deploie+elle ? Archiloque, "est passe maitre dans Ie charmant privilege des Muses"379. Pour Terpandre, les Muses, auxquelles il fait une libation, (de meme a Apollon, leur commandant) ont comme enfants les Mnames; 380路 voila une fois de plus les Muses apparentees a fa memoire.

Aleman ouvre un de ses Parthenees sur une invocation a la Muse: "Allons Muse, Muse a la voix melodieuse au chant etemel, entonne pour les jeunes filles un chant nouveau" ,381 ou aussi: "Allons, Muse, Calliope, fille de Zeus, donne Ie signe des douces paroles"382. Calame tratduit ici

ayE

comme "allons", c'est-a-dire

au sens intransitif; neanmoins Ie mot donne une connotation de mouvement dirige. Sur Ie fr.1, il ecrit : "Sans mentionner Ie fait que tous les poemes archa"iques d'une certaine etendue s'ouvraient necessairement par une invocation aux Muses, les exemples des Parthenees fragmentaires d'Aleman, commencant de cette

379Archiloque, 1, 1-2 Tarditi (G. Tarditi, Archiloco, Rome, 1968); MOIlOEWV tQatov IiWQov EJtLOtUI"VO, (trad. par A. Bonnard). 38OTerpandre, 8 Gostoli (A Gostoli, Terpandro, Rome, 1990); ~ltM)WfleV tal, MvUIUl, ltaLotv MliloaLc;! xat t(i> MOtJouQ)(<p i\atoii, inel. 381Alcman, fr.14 P = 4 Calame, trad. par C. Calame."MGXJ' liyE MG><m ).Lynn ltOAtJ~EH, alevuoLoE IliAO, veoXfJ.Ov liQ)(e ltaQOEvOL, tielOeLv". Pour C. Calame, ce sont Jes Muses qui chantent directement par 1a bouche des choreutes. (C. Calame, Aleman, Rome, 1983, p.349.) 382Alcman fro 27 P = 84 Calame: MOOo' liye KaA.AL6lta, OtJYutEO "L~/ liox'EontOOv EJtEWV. 186


maniere sont tres nombreux.... II est done vraisemblable que Ie fLI comportait au mains dix strophes, la premiere, perdue, contenant l'invocation aux Muses, et la deuxieme et la troisieme dont nous avons les demiers vers, etaient consacrees au debut de la narration mythique." 383 L'invocation aux Muses precede donc

un recit; la Muse doit intervenir pour que Ie chant commence 384 • Solon se refere aux reuvres des Muses qui apportent la joie aux hommes 385 . II s'ad:resse aussi directement

a elles

en sorte

d'epiclese au debut du chant en tant qu'enfants de Zeus et de Mnemosyne 386 . Les presents des Muses enseignent Solon387 . Theognis, dans une elegie, se qualifie de "messager" et de "se:rviteur" des Muses 388 . Selon lui, on se souvient des Muses couronnees de violettles quand on entend Ie son doux de

l'aulos 389 • Les presents de Muses apparaissent aussi dans Ie meme

383c. Calame, Les chceurs de jeunes fiUes en Grece archai"que, t.Il : Aleman, Rome, 1977, p.l09 n.122. 384Cette intervention des Muses ayant comme but Ie commencement du chant est aussi consideree comme necessaire dans les deux hymnes delphiques a Apolion: Les Muses y sont invoquees au debut pour venir celebrer. Voir dans Ie Corpus des inscriptions de Delphes, t. III, Paris, 1989, "Les hymnes a Apolion: N. 137 et n. 138", edites, traduits et commentes par A. Belis. 3855010n 26 Bergk=20 Diehl= 24 Gentili-Prato, v. 1-2: E('Ya /jf. KUlt(?0YEVO'OC; vDv flOC 'Pli..a xal L'.LOwaou/ xal Moua£Ulv,

~

t18na' UVC(?£UlV E'U'P(?oouvac;.

3865010n 13 Bergk=1 Diehl = IGentili-Prato, v. 1-2

Mvnfloouvnc; xat znvoc;

'Q),Uflltlou uyi..au t£xva! MO'Oom IILE(?iCEC;, xi..U1:£ flOC E'UXOfl£V<P.

3875010n 13 Bergk, v. 51: "Oi..UflltLlWUlV Moua£UlV mi(?a OOi(?a oLoax8£ic;. 388Theognis, Elegie 1, v. 769 (Theognis, Poemes elegiaques, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par J. Carriere, Paris, 1975): Mouowv 8E(?<iltOvta xal liyyEi..OV.

389Theognis, Elegie 1, v. 1056:

aiii..EL, xal Mouowv flVl1aOf1E8' Ufl'POtE(?OC.

187


chant; ils sont "brillants"39o. La brillance de ces cadeaux ne peut

qu'hre reliee ii la men'lOire, aux paroles qui la reveilIent,

a la

lumiere qu'elIe institue, qu'on va aussi rencontrer chez Pindare. La meme expression des "brilIants cadeaux des Muses" se trouve aussi dans une autre elegie, cette fois d'Anacreon391 . Ibycos se rMere

a l'hymne des Muses 392 . Et quand il parle de

l'expedition de Troie et de sa destruction, il dit qu'aucun homme mortel n'est capable d'en parler; "seules les Muses habiles d'Helicon sont en mesure de bien s'embarquer dans cette histoire".393 Le verbe EIJ.Bu(vELV peut avoir Ie sens de "marcher

sur" mais aussi, Ie sens plus commun de "s'embarquer". lei done les Muses sont celles qui peuvent marcher sur le chemin des

paroles, les seules qui peuvent raconter. Si on prend l'autre signification du verbe, ('image metaphorique qui est ainsi creee, est celle d'un vaisseau, celui du recit, qui est en mouvement et OU les Muses sont montees. Chez Stesichore on trouve des invocations similaires

a celIe

d'Alcman : "allons Muse entonne Ie chant clair"394 ou "!lEug' KuULomw UYELU"395, ou

/)EUgO,

adverbe qui conserve l'idee de

lieu et qui peut se traduire par: "ici", utilise avec 39O'fheognis, Elegie I, v. 250: ay),aa. 39 1Anacreon, Elegie 2, v.. 3: a),),'

ayE

ayw,

donne une

bWQa MovmlOlv LOOtEqxlVOlV. aon;

MOUOEOlV

tE

xat

ay),aa bOl(!'

'Aq>(!06itnc;l ouf.4!lDyOlv EQatii" J.lviJax£tm £1Jq>(!Oovvn;.

392Ibycos. 282c xiii fr. 27: ltOLxl),ot; v[J.lvot; 393Ibycos I Page = 3 Diehl, v.23-24 : xat

... Mowiivi IlL£(![lbOlv. to J.lE[V avl Molom OWDq>L[olJ.LEvmJ

£1'; 'E),LxOlvlb[£;r E!1ilal£v )'6yOl[L.,

394Stesichore 278 Davies = 1OI.Page=Strabon, VIII 3.20, II 125 sqq Kramer: ay£ MQijoa ).LyEL' a('!;ov aOL~; EQatGlv VJ.lVOUt;. 395Stesichore 240 Davies = 63 Page=Eust. Il. 9. 43. 188


formule d'encouragement qui implique toutefois Ie mouvement vers un ici; Ie poete appelle aupres de lui, de son chreur, la Muse, pour commencer. Pour Stesichore, la Muse est associee

a un

mouvement qu'elle doit diriger; ainsi designe-t-illa Muse comme UQXCOL/LOAJwv. 396 Simonide parle de l'ame des Muses,397 de la Muse du Penee 398 ou demande

a la Muse de chanter Heracles 399 .

Bacchylide qualifie la Muse de "douce"400. II apparait comme son "prophete"401. II s'adresse directement

a elle

pour lui

demander quelque chose appartenant au passe, qu'elle connait mieux que lui 402 . Son chant est un agalma des Muses403 .

396Stesichore 250 Davies = 73 Page = Athen. 5. 180e (i 414 Kaibe1). Pour Stesichore 1a Muse doit ahandonner 1es guerres pour ce1ebrer avec lui 1es marriages des dieux, 1es banquets des hommes et les festins des bienheureux. (Stesichore, 210 Davies = 33 Page =schol. Aristophan. Paix 775 et suiv.) 397Simonide, 519 Davies = 14 Page, fro 32: 1jIUXav yj[Mo[w]ii[v. 398Simonide, 519 Davies = 14 Page, fr.22, 2-3: Mowdv rr~vE'oii. 399Simonide 92 West: ui6v'AAxfl1i~C; IiELOE Mojjau flO' xuuwqnJQou. 400Bacchylide, Hymne A. 6 Campbell= Ath. 11. 500a: Moijau tE yAuxElu. 401Bacchylide, Dithyrambe IX, v. 2: Mouadv yE iollAEqxiQUlV BEloC; JtQOqxnuc;= "L'interprete divin des Muses aux yeux de violette", Bacchy1ide, DithyrambesEpinicies- Fragments, Collection des Universites de France, texte etab1i par J. Irigoin et traduit par J. Duchemin et L. Bardollet, Paris, 1993. 402Bacchy1ide, Dithyrambe I, v. 43: Moiiau, tLC; ltQ<'iltOC; A6yUlv UQXEV O'XULUlV; "Muse, qui au premier, se mit atenir un juste 1angage?", tr. par J. Duchemin et L. Bardollet. 403Bacchy1ide, Epinicie V, v. 2: [ijootEqxiVUlVI Mowdv yAUX[VjliUlQOV IiYUAflU = "l'offrande precieuse des Muses couronnees de vio1ettes" et Bacchylide, Epinicie X, v. 9 : aBuvutov Mouaiiv IiYUAflU = "L'offrande immortelle des Muses", tr. par J. Duchemin et L. Bardollet. . 189


Pour Bacchylide, il existe bien des chemins du chant, et ils sont offerts par les Muses: "II dispose d'une route innombrable de chants immortels celui qui a rec;u les dons des Muses de Pierie"404, dit-il. n prie les Muses de tisser pour lui un nouvel hymne; et il clot Ie prooimion de son poeme ainsi:"n te sied d'aller par la voie la

ffiI~illeure,

celie qui a rec;u de Calliope une

part d'honneur incomparable''405. Dans un autre poeme la Muse (Clio) doit assumer Ie role du pilote. II s'agit encore une fois d'un prooimion, d'une epiclese aux Muses; Ie poete, avant de s'embarquer dans Ie chant, prie la Muse d'etre un pilote illlgenieux qui conduira son creur, comme elle I'a ete jadis, elle, la souveraine des hymnes.

406

La voie de Bacchylide est donc la voie de son chant; elle est reliee

a la

Muse, et il s'y rMere dans son prooimion, avant

d'attaquer I'ode proprement dite. En general, dans les epinicees les Muses ne sont pas du tout absentes. Selon une etude recente Ie "je" de l'epinicee c'est Ie 404Bacchylide, Dithyramb,e V, v.1-2: IIuQwtL ~vQla xE).ev80s; afL~Qoatwv ~£)'EWV, 5S; i'iv rraQ<'1 II"Qlowv ).UXllOL OOJQa Movafiv,

tr. par J. Duchemin et 1..

Bardollet. . 405 y . 12-14: rrQErreL a£ cpe(!'tuwv LfL£V 600v ltaQa KaAALOltas; ).axoiaav

E~OXOV

YEQas;, tr. par J. Duchemin et 1.. Bardollet. .

406Bacchylide, Epinicie XII, v. 1-3

: wad xV~£QVUWS; aocpos;, iJ~vouvaaa'

= "l'habile pilote, Clio, reine des hymnes, dirige aujourd'hui notre esprit, si jamais jusqu'ici tu Ie tis", tr. par J. Duchemin et 1.. Bardollet. Clio apparait aussi dans l'Epinicie III, Y. 3: ii~V£L, y).vxuOwQ£ K).WL = "chante-Ies, Clio, deesse aux doux presents" et l'Epinicie XIII, v. 195: .av dx! E.U~S; i'iQa K).wo 1tCtv8a)'1Is; E~aic;! EVEma~[£v cpQaatv = "Et cet hymne, si Clio, la toute fleurie, I'a vraiment inspire a mon £OOvv£ K).£LOl! viiv cpQ£vas; UfL£.EQac;! d 011 lt01£ xal ltuQoS;

<esprit»", tr. par J. Duchemin et 1.. Bardollet. .

190


chreur, qui souvent apparait avec les Muses et dans ces cas il est toujours lie

a des mouvements physiques 407 .

Pour Pindare la Muse joue aussi un role tres important. Selon C.M. Bowra, "Pindare

l~vite

les points de vue extremes. II pense

que sa force derive des Muses. II croit que Ie poete, meme s'il n'est pas Ev8w<; dans Ie sens Ie plus absolu, est Ie prophete des Muses et doit exploiter au maximum les ressources que Ie dieu lui a donnees" .408 Pindare est lui-meme porte par Ie char des Muses; son chant est un vehicule: "Ie pourrais etre assez inventif pour m'avancer dignement sur Ie char des Muses"409, dit-il ou "je t'envoie Ie vaisseau du chant harmonieux"410. La Muse doit aussi conduire; conduire les paroles qu"il lance, tel un archer, droit au but: "Va, Muse, dirige vers elle Ie vent qui porte tes hymnes glorieux "411. La Muse se plaft

a se souvenir des grands jeux412 ; Ie poete doit

407Voir M. Anzai, "The first person in the epinicion", J C S XXXVIII, 1990, pp. 16-29, article en japonais. avec un resume en anglais. 408C.M.Bowra, Pindar, Oxford, 1964, p.14. 409 0/. IX, v. 80-81: Elnv E1JQn(JLEJtTJ<; ovaYEl(J8aL! JtQO(J(POQO<; EV MOL(JOV ol<pQOJ, tr. par A. Puech.. 410Pindare fr.124a Snell, v.I-2: EQUtOV oxn~' OOLOOV touto <tOL> JtE~OJ. i.e mot oxn~ peut aussi designer Ie char. Au sujet de la Muse et de son vehicule, voir M. Durante,ÂŤEpea pteroenta ....'" in: op.cit., p.10. 411N. VI, v.28-29; mL toi:itOv, aYE, Mol(Ja,l oiiQov mEoJV etrnAEo, trad. par A. Puech. 412N. I, v. 11-12: ~cyaAOJv 0' ilE8AOJV/ Mol(Ja ~E~vaa8UL <pLAEl, trad. par A. Puech. 191

c


la "reveiller afin qu'il dise Ie chant sublime de la victoire conquise par les mains des Blepsiades" .413 Pindare parle de l'impossibilite d'arriver Ii construire l'hymne sans l'aide de la Memoire; par sa faveur les grandes actions trouvent un miroir. C'est seulement "avec l'aide de la Mnemosyne au bandeau brillant <qu'> on peut trouver, par Ie biais des paroles des chants glorieux, la rancon des labeurs affrontes".414 La brillance du bandeau de Mnemosyne s'oppose Ii l'obscurite

(ox6tOV ltOA:uv)

des valeurs qui n'ont pas ete louees;

elle eclaire Ie miroir de l'exploit qu'est l'hymne: sans elle, sans la lumiere qu'elle institue" l'exploit de l'hymne cesse d'exister. On voit done ici la relation entre memoire, lumiere et chant : la lumiere de la memoire ouvre Ie chant en tant que rememoration d'une reuvre belle. Dans un autre poeme (ou il n'est pas question de chant mais de la voie juste) on trouve: reunis memoire, lumiere, et chemin. Le poete dit : "Cependant, parfois insensiblement s 'avance le nuage

a l'esprit

de l'oubli et it derobe

la voie droite"415. L'oubli

(absence de memoire) est ici un nuage (obscurite), sans point de

413 0/. VIII, v.74-75;

'AJ..),.'

awtov B),.E1\!L6:lim~ btlv,xov,

414N. VII, v.15-16; El

EIlÂŁ

Dead.

xQil flvafloouvav aVEyElgovra qJg6:aav xELQWv

par

A. Puech.

M'Vafloauva~

Exan

),.Lltag6:fllt'Uxog Evg\Jtm i'lltOLVa

fl6xllwv X),.'UtaL~ btEwv aOLOa"';.

415 0. VII, v.45-47:

'Eltl flav BalvEL n

xal )"6:11a,; atEXflagta VEqJO~,1 xat

ltaQEhEL ltgayf!6:tWV 6Qllav 6Mvl ~!;w qJQEVGlV,

192

trad. par A. Puech.


repere (cnbqWQ1U) 416 qUI empeche I'esprit de prendre la VOle droite. La lumiere et Ie chemin s'associent apparemment par Ie biais de la vision; ainsi, dans un autre poeme, Pindare dit : "je prie la fille du Ciel au beau peplos, Mnemosyne, et ses filles de me donner l'ingeniosite. Car sont aveugles les esprits des hommes, ceux qui sans les Heliconiennes viennent explorer la route profonde de la sagesse".417 Cette invocation suit "quelques vers tres mutiles ou il est question d'hymnes .... -de cheval et de route carrossable (thmov .... U!!U!;L16v); de cavales syriennes av'

tltltOL~);

(LuQlaL~

de char aile ÂŤlthuvov iiQ!!u). "418 Voila encore une

fois I'imagerie du chemin et des jeunes filles sans lesquelles I'homme est aveugle. Est-on en droit de supposer que cette route de sagesse

(ooqJlu~ 66o~)

est la route du chant? Certains autres

poemes nous laissent Ie faire : dans un dithyrambe Pindare se

416Sur 'EXfLUQ comme point de repere, utilise dans la navigation pour la determination de la route ,par Ie pilote, mais aussi sur les significations cosmologiques qu'il implique, voir Ie chapitre "La Metis orphique et la seiche de Thetis" dans Ie livre de: M. Detienne et J. -Po Vernant, Les Ruses de ['intelligence. La Metis des grecs, Paris, 1974, pp.129-166. Dans Ie meme chapitre on voit la relation i~troite entre chemin et lumiere et I'existence des chemins comme etant Ie contraire du chaos. 417Paean 7b, 15-20 Snell,=Paean 10, fr.16: e]lmJxo[fLaL] 0' oVQuvoii " EUltEn:l.W 8UYU'QL/ MVUfL[O]OtJ[Vja, xOQuwl " eVfLuxuvLUV olMllev./ 'luqJl.u[L yiIJQ iIvoQwv qJQEve,;/ [0 Jon,; iiveue' 'El.lXWVlliowv J\a8eluv eI.8[ovj1;wv eQeuva OOqJLU'; aMy. Les expressions utilisees dans ces vers se rapprochent de celles que nous avons rencontrees auparavant, quand a propos de I' OL!!n nous avons parle de I' hymne homt'rique il Hermes. voir aussi supra p. . 418Pindare, Isthmiques et fragments, t.IV, Paris, Les Belles Lettres, 1961, texte etabli et traduit par A. Puech, p.132. 193


considere lui-meme comme heraut de paroles sages (aoqJwv ErrEWV)

que la Muse a susciteeS. 419 Dans un autre pean, il dit:

"Cela, seuls les dieux peuvent I'enseigner aux poetes, mais les mortels sont incapables de Ie trouver. Vous cependant, vous savez tout, 6 Muses virginales" .420 D'apres Ie vers mutile qui precede, il est question d'un commencement: Ie recit, ou Ie recit d'un commencement, Ie chant, peut engendrer la forme de la voie de la sagesse; sans les Muses Ie poete est incapable d'aller a la recherche, il est comme un homme aveugle. On connait la relation existant entre vision et lumiere; Ie meme Pindare, appelle la lumiere rayonnante du soleil regards"

"mere des

olJ,lJ,cnwv) "celie qui voit tant de chases"

(IJ,U1EQ

(ltOA:UOXOlt'

(i'lirtl~ ueA.Lou)

£1J,1\oao).421 Quand elle disparait "elle laisse dans

I'embarras la force des hommes et rend la route de sagesse intraversable car elle se lance dans un sentier de tenebres" .422 Dans Ie Pae.9 I' eUlJ,axavia du poete (conquise avec I'aide des Muses) s'oppose aux esprits aveugles des hommes qui ne peuvent pas parcourir la route rendue u!J,<ixavov

dc~

la sagesse. lei la route de la sagesse est

a causl~ de l'obscurite: I' eUlJ,axavia equivaut a la

lumiere, sans laquelle: aucun parcours poetique ne peut se

419Pindare, Dithyrambe II, Puech, v.19-20. 420Pindare, Paean 6 Puech = 52 Schrreder, v.51-54: tauta flEaCOl [1l)EV/ mfl£lv 00<1'0;'[<;) I'nJvat6v/ BQOtOCOlV 0' alluxavov eiJ)QEIl£v/ : aAAa JIagflEvOl yiJ.Q tOt[e] <yo> Mo[C)oa[l).

421Pindare, Paean 9 Puech, v.1-2, tr. par A. Puech.

422Ibid., vA-5:

Efl"xa<;

all.uxavov

loxliv

btloxotov iJ.tQ01tOV £OOlJIlEva.

194

t'

avOgaolv

xal

oo<pla<; 6Mv,!


realiser, et ce sont Ies Muses qui la lui prodiguent. D'autre part Ie parcours poetique est du domaine de Ia memoire. Lumiere, Muse, memoire; la Muse agit comme la Iumiere : sur Ie territoire de la memoire elle eclaire Ie chemin, tout comme Euryclee eclaire avec des torches Ie chemin de Telemaque jusqu'a sa chambre423 . Dans l' Odyssee d'ailleurs, il y a une formule typique, repetee tres souvent, qui dit qu' "avec Ie coucher du solei! I'ombre envahit toutes les rues"424. L'avenement de Ia nuit equivaut done a I'obscurcissement des voies qui, ainsi, devierment difficiles a parcourir. De meme Ie parcours du chemin poetique demande Ia Iumiere; Ie poete doit voir ce qu'il veut parcourir. II commence done son chant par un appel aux Muses et a Mnemosyne425 .

4230d., I, v.429-434: EiJQ1J:<J,.eL' 'QltO, 8vyatllQ IIEwtlvoQLbao, .... , ii ot aJ1' a t80J1EVa, &itba, CPEQE.

4240d., III, v.487, 497: b1)<JiEtO

Selon A. Bonnafe "Ia phrase apparait uniquement pour scander les arrivees ou les departs des voyageurs quand les unes ou les autres se produisent dans de lieux habites et non dans des sites sauvages": A. Bonnafe, Poesie, Nature et Sacre, I: Homere, Hesiode et Ie sentiment grec de la nature, Lyon, 1984, p. 136. 425Platon, Euthydeme 275d: Ka8altEQ ot rrOltl"tUL, bEOJ1m aQXOJ1EvO, tii, bllW1laEw, M01Jaa, tE xat MV11J!Oa1JV11V E.路uxaJ,.Ela8m. L'etroite connection entre les muses et Ie chemin continue a etre valable pour les poetes jusqu'a l'epoque hellenistiuqe. Ainsi Callimaque eerit: "aiJtCtQ tyw MovaEWV rrEl;o, "'eLJ1l VOJ1ov", Cal1imaque, AlTIA, X, v. 6.. "t'

nEJ,.lo, muowV"to

195

"tE

ltaam aymal.


VIII. Vision,

Memoire, Chant

REMARQUES PREUMINAlRES

E. A. Havelock, en essayant de decrire la maniere dont les aedes construisaient Ie chant traite Ie sujet de la visualisation, en ecrivant que "non seule:ment Ie contenu du chant epique devait etre compose d'actes et d'evenements presentes independamment et de fa90n pluraliste, mais ces actes et

evenements,

devaient

etre

presentes

visuellement".426 Et plus tard il ecrit: "La visualisation ainsi exploitee par les chanteurs etait indirecte. Les mots etaient groupes de maniere

a

accentuer les aspects visuels des choses, et a encourager I'auditeur

a voir

avec l'reil de son esprit (his mind's

eye). Les tecllmiques de memorisation directe etaient

toutes de nature acoustique, et attiraient I' OUIe

a cause

de leur rythme" .427 Mais sommes-nous en position de distinguer Ie direct de I'indirect d'une maniere tellement absolue ? N'est-il pas plus

426E. A. Havelock, Preface, p.18? 427Ibid., p.189.

196


correct de dire que paI1ie visuelle et partie auditive concourent egalement

a la memorisation ?

B. Gentili pose Ie probleme d'une fa<;on plus juste :

"En effet, toutes les mnemotechniques elaborees successivement pour la memorisation des choses et des paroles, d'Aristote

a la Rhetorique a Herrennius et de

Quintilien aUlX medievaux et aux modemes ... sont . formees sur la reconnaissance de la fonction primaire de l'espace et de l'imagination". 428 Le passage oil Simonide compare la peinture et la poesie est tres connu: "Simonide appelle la peinture poesie silencieuse et la poesie peinture parlante. Parce que, comme les peintres montrent les actions en train de s'accomplir, les paroles racontent et ecrivent les memes actions comme si elles etaient accomplies". 429 Simonide d'ailleurs pensait que "Ie discours est une image des choses" .430 Les actions qui se

de~roulent

donc dans un poeme sont toujours

visualisees; elles constituent des images. Ces images sont

428B.

Gentili, Poesia e pubblieo neUe grecia antiea : da Omero al V seeolo,

Rome-Bari, 1984, p.7. 429m.ilv 6 ~LlJ.WvlO~, tilv !!1:v ~wYQaq>lav JtOl~OLV oLwrrmoav JtQOoayoQeuEL, tilv oE

JtOl~OLV

~wYQaq>lav

AaAoiloav. "A, yilQ 0\

OELXVUOUOL, tauta, 0\ AOYOL YEyevl1iLEva,

~WYQCrq>OL OL~yoiivtaL

JtQUSEL,

w,

yLvo!!Eva,

xat oUYYQCrq>OUOLV

:

Simonide 47 (b) Carnpbell=Plutarque, De Glor. ath. 3. 346f. 430Katil tov ~L!!wvlO~v 6 U>yo, tmv JtQaWCrtwv eL""'V eotLv,

Campbell=Mich. Psell.

IT.

ivCf?Y. t5aiji.

197

Simonide 47 (a)


juxtaposees; Ie poete au debut de sa recitation ou de son chant, se met en branle: pour cela il a besoin des Muses. Pendant sa recitation il decrit ces images, eclairees et situees l'une apres I'autre : il raconte ce qu'il voit. Comme I'a ecrit J.-P. Vernant: "Se souve:nir, savoir, voir, autant de termes qui s'equivalent. Un lieu commun de la tradition poetique est d'opposer Ie type de connaissance qui appartient

a

I'homme ordinaire: savoir par oUI-dire reposant sur Ie temoignage d'autrui, sur des propos rapportes, de l'aede en proie

a I'inspiration

a celui

et qui est, comme

celui des dieux, une vision personnelle directe". 431 La nature visuelle du temoignage poetique nous est parvenue aussi par d'autres texte:s; Ie plus connu d'entre eux est celui qui precede Ie Catalogue des Vaisseaux. L'invocation aux Muses dans ce passage est plus longue que dans les autres passages de l'epopee et Ie langage qui y est employe nous informe plus explicitement de ce qu'est la relation des Muses avec I'activite poetique. Le poete dit : "Et

maintc~nant,

dites-moi, Muses, habitantes de

l'Olympe -car vous etes, vous, des deesses: partout presentes,

VOllIS

savez tout; de la renommee que nous

Vernant, op.cit., p18. voir aussi G. Nagy dans Comparative Studies in Greek and lndic Meter, op. cit., pp. 249-250. Sur la "connaissance authentique, d'ordre visuel" des Muses, F. Frontisi-Ducroux, dans La cithare 431J._P.

d'Achille, Rome, 1986, pp.17-27 ecrit: "Les Muses, filles de Zeus sont aussi filles de Mnemosyne; la mention de leur filiation paternelle evoque, pour Ie public, leur mere, Memoire, de qui elles tiennent la connaissance authentique, d'ordre visuel : la presence aux evenements", p. 19. 198


entendons, nous, nous ne savons rien- qui etaient les guides, les chefs des Danaens. La foule, je n'en puis parler, je ne puis la nommer, ...,

a moins que les Muses

de l'Olympe, ne me rappellent ceux qui etaient venus sous Ilion; je dirai alors les commandants des nefs et Ie total des nefs" .432 Selon M. Simondon, "on peut voir dans ces vers la premiere distinction entre les deux sources de I'information historique qu' Herodote opposera souvent, I'information par

o'\jJ~<;

et

l'information par axon. Le temoignage visuel est de beaucoup sup,erieur

a ce

que l'on apprend par ou'ie-

dire". 433 En effet, la qualite principale des Muses c'est qu'en tant que deesses, elles sont partout presentes (ltCIQE01:e); c'est a cause de cela qu'elles savent (lon) tout. Le poete en revanche ne fait

qu'entendre (axOUOllev): il n'est pas present, done it ne voit pas,

432"-EmtnE vtiv JLm, MoiioC1l 'OkvJLma OOJJLat' i"xovoav -iJJLE!, yag 8Eal EOtE, mlgEotE tE, LatE tE lto:vm,l nJLE!, liE xMo, olov aXOVOJLEV oiJOt n LOJLEv-1 o! nVE, il.avawv xal XOlQaVOL Tioav./ ltkn8iJv 0' oilx crv i"yro JLU8iJOOJLUL oilo' ovollnvw, I.... Et lln 'OkUJLltLO:OE, MouoaL, il.t.6, a\yLoxoLoI AvyatEQE" JLvnoala8' OOOL iJltO -D.LOV TikBov.1 agxO'iJ, au vnwv i"grro vfia, tE ltgolto:oa," : Il. II, v.484-493, tr. par P. Mazon. Ulysse, se referant aux femmes qu'il a rencontrees a l'Hades, avant de commencer ales enumerer a Alcinoos, utilise la meme expression "oiix crv tyro JLv8nOOllaL oilo' ovollnvro", (Od. XI, v. 328). N'etant pas lui-meme prete, il ne peut pas a la suite demander l'intervention des Muses; ainsi il continue par dire que l'enumeration durerait plus que toute la nuit , ("ltglv yo:g XEV xal vill; q:!l!t' cr~gOto,": Od. XI, v. 330). 433M. Simondon, op.cit., p.1l2. 199


et par consequent it ne sait pas (to!lEV). La situation etant ainsi, les Muses doivent lui rappe/er (!lVll0ala8') pour qu'il puisse continuer sa tache: la connaissance visuelle est donc indispensable pour quelqu'un qui veut se souvenir, pour celui qui veut raconter. Selon Chantraine la meme racine *wid (en latin : videre) est donnee pour Dllia路aussi bien qu' luIDgtw., racine qui montre la relation des deux verbes avec la vision. 434

En renversant maintenant la logique, on peut conclure : Ie poete se souvient en cr,eant un univers, des images, qu'il regarde noetiquement pendant qu'il recite435 ; cette activite est analogue 11

434De meme pour Herodote, "il. l'akoe, .... Ie vraisemblable; il. l'(aut)opsis, il. I'examen oculaire ( et personnel), Ie vrai" : C. Calame, Le recit en Grece ancienne, op. cit., p.76. 435Dans son livre The Discovery of the Mind B. Snell se referant au meme passage de 1'lliade ecrit que "devant les yeux du poete tout apparait avec une telle vivacite figurative qu'il est en mesure de chanter de la maniere meme avec Iaquelle il nous presente Demodocos : 'comme s'il etait Iil. present ou comme si il l'avait entendu de quelqu'un d'autre' (Odyssee IX, v.49I) : B. Snell, The Discovery of the Mind, op. cit., p. 137. Dans Ie meme chapitre ("Connaissance divine et connaissance humaine") B. Snell parle de Ia superiorite des Muses par rapport aux hommes il. cause de leur presence qui ne connait pas les obstacles de I'espace et du temps et presente une throrie de Ia connaissance chez Homew "qui se resume ainsi : (a) la connaissance est d'autant plus grande que l'experience est plus etendue (b) l'experience visuelle assure une meilleure connaissance que I'experience auditive (c) Ies Muses, omnipresentes, possedent naturellement une connaissance absolue, tandis que celIe des hommes est limitee (d) Ia transmission des experiences des Muses au poete presuppose que ce dernier possede des organes qui aient une performance augmentee" (ibid., p.136-138 de la traduction anglaise). Sur la relation entre Muses, connaissance visuelle et chant, voir aussi : A. Setti, "La 200


un parcours : c'est Ie parcours poetique par excellence. La metaphore du chemin, les verbes de mouvement, c'est ainsi qu'il sont utilises. lIs appartiennent

a la nature de l'activite poetique en

tant qu'activite mnemonique. 436 Voyons un peu les quelques indices qui nous sont restes, concernant 'Tart de la memoire" dans I'Antiquite. Dans Ie livre qui porte ce titre, F. A. Yates 437 , consacre les deux premiers chapitres

a la

mnemotechnique antique. Elle commence par les

sources latines parce qu'elles sont plus riches et detaillees que celles de la Grece ancienne, et e11e continue par Aristote. Ce qu'elle retient des textes analysees, c'est la primaute du role de

['espace et de ['element visuel dans la mnemotechnique antique, utilises ensuite dans les methodes mnemotechniques posterieures. Tout en etant d'accord a.vec son point de vue, nous allons refaire Ie meme chemin que F. A. Yates, pour essayer de discerner dans ces textes Ie parcours en tant qu'essence de la rememoration (Aristote) et element principal des procedes mnemotechniques (auteurs latins). Pour affirmer notre hypothese nous aurons finalement recours

a une autre source, celIe de Longin (ecrivain

memoria e il canto: saggio di poetica arcaica greca", in Studi ltaliani di Fi/ologia Classica, Vol. XXX, Florence, 1958. 436Par cela bien sur, nous ne sous-entendons pas que Ie poete n'est qu'un conservateur : nous concevons l'activitt mnemonique comme etant a double orientation: elle va vers Ie passe, tout en Ie creant en meme temps. Nous ne traiterons pas ce sujet; mais il y a differents degres de conservation. Les noms des chefs et Ie nombre des vaisseaux ne peuvent pas toujours etre transformes. Mais la description de tel combat, de telle rencontre ou de telle querelle peut etre changee. 437p. A. Yates, L'an de la memoire, Paris, 1975. 201


encore plus tardif, mms qUi se rMere

a Simonide)

que F. A.

Yates ne cite pas.

VIII 1. LA

RHETORIQUE

AHERENNlUS

Les sources latines sont au nombre de trois : la premiere, d'auteur inconnu, la Rhetorique

a Herennius,

ecrite vers 86-82

avo I.-c., rappelle les rfigles de l'art d'une faeon detaillee: "La memoire artificielle ... prend appui sur des emplacements (lads) et des images (imaginibus). Nous appelons emplacements des realisations de la nature ou de l'homme, occupant un espace limite, faisant un tout, se distinguant des autres, telles que la memo ire naturelle peut aisement les saisir et les embrasser: par exemple une maison, un entrecolonnement, une piece, une voute et d'autres choses semblables. Les images sont des formes, des symboles, des representations de ce que nous voulons retenir: par exemple, si nous voulons garcler en memoire un cheval, un lion, un aigle, il faudra mettre leurs images dans des emplacements precis"438.

438Rhhorique

a Herennius,

III, 29 (Collection des Universites de France,

texte etabli et traduit par G. Achard, Paris, 1989). 202


Ensuite, I'auteur de cet ouvrage compare cette methode de rememoration a la lecture d'une tablette de cire et constate que "prononcer Ie discours c'est comme lire"439. Et il enchaine: "Nous pensons aussi qu'il faut donner aces emplacements un ardre, pour que la confusion ne nous empeche pas de suivre les images - en commencant a I'endroit qui nous plaira, au debut ou a la fin- et de voir puis de: dire ce qui a ete mis dans les emplacements "440. Ensuite, l'auteur de I'ouvrage se rMere

a la

selection des

emplacements qui doit etre tres scrupuleuse et selon certains regles concernant leurs dimensions, leur nature, les intervalles entre eux et leur eclairage. Enfin, en ce qui concerne les images, il y en a de eux sortes: celles qui rappellent des choses et celles qui rappellent des mots. "Les ressemblances avec des choses s'obtiennent quand on forme sommairement l'image des choses elles-memes. On parvient

a des ressemblances avec les

mots lorsque Ie souvenir de chaque nom est conserve grace a une image. "441 Et I'auteur continue en exposant les criteres de selection d'images. Pour ne pas oublier une condition est essentielle: "repasser souvent rapidement dans l'esprit les premiers 439Rhetorique a Herennius, III, 30. 44ORhhorique a Herennius, III, 30. 441Rhhorique a Herennius, III, 33. 203


emplacements de chaque serie pour rafraichir Ie souvenir des images"442. On voit que dans celtte mnemotechnique I'espace joue un role essentiel. Celui qui veut se souvenir doit fonner une serie de

lieux et y placer des images; quand il doit se souvenir if parcoun les lieux et il regarde les images. Ce qui est important pour nous, c'est la structure qu'on cree ainsi; il s'agit encore une fois d'une chaine et d'un fil de connection assimilable noetique. La rememoralion equivaut

a un

parcours

a la lecture parce qu'elle est

fondee sur les memes principes: dans les deux cas il s'agit des signes formant une

s(~rie,

graves sur une serie de lieux; Ie

parcours de I'reil qui suit les signes de la lecture est semblable au pareours noetique des emplacements mnemoniques et des images qui y sont installees par l'esprit. On remarque finalement que les images ressemblent aux agalmata des voies; ils representent la scene ou la chose qu'on doit se rappeler. VIII 2.

DE L'ORATEUR

Ciceron nous parle d'une methode semblable dans son ouvrage

De l'orateur (De oratore), ecrit en 55 avo J.-c. Au debut de son petit traite concernant la memoire, Ciceron raconte la faeon dont Simonide a invente la

~mnemotechnique

: apres son depart d'un

banquet que donnait un certain Scopas en Thessalie et OU Simonide avait chante, Ie toit de la salle s'ecroula, ecrasant

442Rhetonque a Herennius, III, 37.

204


Scopas et tous ses invites 443 . Simonide avait pu faciliter l'identification des corps broyes "en se rappelant la place que les convives avaient tous occupes sur les lits"444. Et Ciceron ecrit : "Aussi, pour exercer cette faculte du cerveau, doiton, selon Ie conseil de Simonide, choisir en pensee des emplacements distmcts, se former les images des choses qu'on veut retenir, puis ranger ces images dans des divers emplacements. Alors l'ordre des lieux conserve

I'ordre des choses; les images rappellent les choses elles-memes. Les lieux sont les tablettes de eire sur lesquelles on I\crit, et les images sont les lettres qu'on y trace".445 Ciceron remarque que, quel qui fUt I'inventeur de la mnemotechnique, il doit: avoir bien vu que "Ie souvenir de ce que pen;oit l'oreille ou concoit la pensee se cODiserverait de la facoDi la plus sure, si les yeux concouraient

a Ie transmettre au cerveau .... Mais

ces formes sensibles, corporelles, ont besom, comme toutes les choses visibles de ce monde, d'occuper une place dans I'espace: un corps ne peut se comprendre sans la place qu'il occupe. ... il faut se servir d'emplacements

nombreux,

remarquables,

bien

443Ce sont les Dioscures qui ont sauve Simonide, en l'appelant dehors au moment oil a lieu l'accident, et cela parce qu'illeur avait consacre la moitie de son hymne, chose qui, d'ailleurs, lui avait coute la moitie de sa recompense. 444Ciceron, De /'orateur, II, LXXXVI, 351, [Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par E. Carbaud, Paris, 1966 (1928)]. 445Ciceron, De l'orateur, II, LXXXVI, 353-354. 205


distincts, et cependant peu eloignes les uns des autres, employer des images saillantes,

a

vives aretes,

caracteristiques, qui puis sent se presenter d'ellesmemes et frapper aussit6t notre esprit"446. L'orateur donc peut "donner

a

chaque chose son image .... et tout

disposer de maniere

a

ressaisir les pensees par

l'intermediaire des images et l' ordre des pensees par Ie lieu que ces images occupent".447 II est bien apparent dans Ie texte que Ciceron a saisi les trois elements essentiels de eette methode: celui de la vision, celui de l'espace en tant que contenant et celui de I'ordre des

emplacements; ce dernier assure l'ordre des pensees parce que Ie parcours ainsi etabli ne peut etre derange.

VIII 3.

INSTITUTION ORATOJRE DE QUINTILIEN

Ce qUi nous interesse dans toute cette methode, la chaine formee de lieux contenant des images, est egalement present dans Ie troisieme ouvrage latin, I' Institution Oratoire de Quintilien (premier siecle A. D.). Au debut Quintilien se rMere aussi

a

l'anecdote de l'invention de la rnnemotechnique par Simonide, en ajoutant qu'il a "I'air d'un conte, et I'on n'y trouve nulle part une

446Ciceron, De l'orateur, II, LXXXVII, 357-358. 447Ibid., LXXXVIII, 359.

206


allusion chez Ie poete meme"448. En ce qui concerne la description de la methode, retenons les passages les plus importants: "Ce que fit Simonide semble aVOIr amene

a

l'observation que la memoire est aidee par des cases bien marquees dans I'esprit; ..... On choisit des lieux aussi vastes que possibLe et caracterises par une grande variete .... On grave avec soin dans I'esprit tout ce

qu'on y trouve de remarquable, afin que, ... , La pensee puisse en parcourir routes Les parties. ... Ensuite, ce que

I'on a ecrit ou prepare, on y attache un signe particulier qui Ie rappelle.

La premiere idee, on

I'attache, pour ainsi dire, au vestibule, la seconde, si I'on veut,

a I'atrium;

... Puis, lorsqu'on doit faire appel

a la memoire, on commence apasser ces Lieux en revue a partir du premier, a redemander a chacun ce qu'on lui a confie, a mesure qu'il Ie rememorent. Grace a cette methode, si nombreux que soient les objets dont il faut se souvenir, it sont Lies Les uns aux autres comme Les danseurs dans un baLLet, ........ Ce que j'ai dit d'une

maison peut etre remplace par les edifices publics, une Longue route, l'enceinte d'une ville, des tableaux, .... II

faut done des emplacements, reels ou crees par naus, et

448Quintilien, Institution Oratoire, t. IV, XI, II, 15 (Paris, ed. Garnier, texte revu et traduit par H. Bomecque).

207


d'images ou des signes, qui doivent toujours etre crees par nous.

"449

A la suite de son expose, Quintilien nie les avantages de ce systeme de memorisation en ce qui concerne les parties d'un discours; il admet cependant que cela peut etre utile pour quelqu'un qui "vend aULX encheres".

450

Selon lui, il vaut mieux

lui en substituer un autre, plus simple, qui est I'etude par creur. Pour faciliter sa tache, I'etudiant peut "apprendre sur les tablettes memes ou on I'aura ecrit <Ie discours>. La memoire suit, en effet, pour ainsi dire

a la

trace, et fixe comme avec les yeux non

seulement les pages, mais presque les lignes memes, et, tout en padant, on agit comme en lisant.

"451

Recapitulons: les auteurs latins decrivent un systeme de memorisation qu'il disent avoir herite des Grecs et dont Simonide fut I'inventeur; il s'agit de choisir une serie de lieux distincts; dans ces lieux on doit placer les images, symboles de ce dont on veut se souvenir. La serie de ces lieux constitue un parcours qui garantit Ie souvenir exact de l'ordre des idees (ou evenements ou arguments ou des mots meme). La primaute du sens visuel et Ie role preponderant que joue I'espace architectural dans tout ce systeme est

a retenir:

ils rappellent

a la

fois les

remarques de Simonide sur la peinture et la litterature, les Muses, et la relation entre connaissance et experience visuelle

449Quintilien, Institution Oratoire. t. IV, XI, II, 17-21. 450Ibid., XI, II, 24. 451Ibid., XI, II, 32.

208


qu'on rencontre des l'epopee homerique. 452 Meme si les ecrivains latins, eux-memes professeurs de rhetorique, insistent sur l'utilite du systeme pour la rememoration des discours, l'attribution du systeme

a Simonide,

qui fut un poete, est assez

eclairante: l'activite poe:tique doit s'etre servie de telles methodes. On souligne finalement la repetition constante de la comparaison entre lieux et images d"un cote, tablettes de cire et lettres tracees de l'autre; il semble que Ie glissement qui a eu lieu

a un certain

moment de l'image perc;ue aux choses ecrites sur l'image ou sur une tablette, a trouve comme support la structure mnemonique inherente

a l'espace et plus

specialement

a la

linearite 4S3 ; mais

nous y reviendrons plus tard. VIII

4. DE LA MEMOIRE ET DE LA REMINISCENCE D'ARISTOTE

Si on essaie maintenant de remonter dans Ie temps, on trouve d'abord Aristote, qui sans se referer

a un emploi professionnel,

livre lui-aussi ses remarques sur la maniere dont travaille la memoire humaine. Dans son ouvrage De La memoire et de La reminiscence, Aristote commence par dire que "la memoire des choses

452Yoir (

supra, pp.80-81.

453J. Svenbro fonde sur la Jineante aussi Ie passage de

ii son ecnture, et puis,

la recitation du poeme

a sa lecture. Yoir son article tres riche : "Sur les traces

d' Aniceris de Cyrene. Une allegorie de la lecture aI' Academie", , en ita!. dans la revue Riga, 2, 1992.

209


intellectuelles n'a pas lieu dans image" .454 II distingue d'abord la memoire du souvenir. "Quand

OIl

a retrouve la sCience ou la sensation

qu'on a eue aillparavant, ou bien ce dont la possession, disions-nous, constitue la memoire, il y a alors reminiscence de I'une des choses qui ont ete dites". En ce qui conceme la reminiscence, comme Ie remarque F. A. Yates, "Aristote met I'accent sur deux principes qui sont lies entre eux. Ce sont les principes de I'association, bien qu'il n'emploie pas ce mot, et de I'ordre. "455 Ce qui est interessaIllt pour nous, it part l'idee de l'ordre et de

La serie ordonnee, c'est qu'Aristote parle du souvenir en termes de mouvement. II dit par exemple que"ce n'est pas facile d'avoir facilement un parcours tout droit dans la memorisation".456 II explique ainsi Ie processus de rememoration: "On cherche donc ainsi, et, sans faire de telles recherches, la reminiscence a lieu, quand Ie mouvement it trouver se produit apres un autre; ... Et quand on

voudra faire a.cte de reminiscence, c'est ce qu'on fera: 454Aristote, De la mernoire ,et de la reminiscence, 449b: n ot IJ.vnlJ.l1 xat n tOOv VO'TltOOv OUx i'ivetJ <pavta0lJ.ato, tatLV (Aristote, Petits traites d'histoire 7Ulturelle, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par R. Mugnier, Paris, 1965). Sur Ie sujet, on verra Ie livre de R. Sorabji, Aristotle On Memory, London, 1972, et s¢cialement Ie chapitre "Mnemonic Techniques, The place system", pp. 22-26. 455F. A Yates, op. cit., p. 45. 456Aristote, De la memoire et de la reminiscence, 453b: lJ.in' tv tOO avalJ.LlJ.vnoxwllm gaolm, eiJ9vJtoQELv.

210


on cherchera a remonter au mouvement initial, apres lequel viendm celui-Ia dont on a besoin. ... Les mouvements se suivent en effet par une sorte d'habitude, I'un venant apres I'autre Et tout ce qui offre un certain ordre, comme les mathematiques, est facile a retenir, tandis ce qui est mal agence est difficile a retenir." 457 Et plus bas: "Faire acte de reminiscence, c'est en effet posseder en soi la facuIte motrice .... Mais il faut remonter it l'origine. C'est pourquoi, parfois nous nous souvenons, semble-t-il, a partir de lieux communs. La cause en est que I'on passle facilement d'un point a un autre; par exemple du lait au blanc, du blanc a I'air, de I'air a l'humidite; et grace'a cette derniere idee on se souvient de I'automne, saison que I'on cherchait. "458

457Ibid., 451b: ZntOil'lL IlEV ouv

0111;00,

xat

lui

sntoilvtEe;

0' oiitooe;

avu/lL/.lvilaxovtUL, Olav /.lEe' EtEQUV XtV1l0LV EXELVll yEv111;ut. .... tQ.> YUQ feEL

axoA.o\JAoiloLV

at

XLvnone;

ava~l~VnOX£OeaL ~aUA.ntaL,

annA.aLe;,

fiOE

~E'ta

toi;to ltmnon. sntnoEL

tnvOE.

A.a~EIv

Kat

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aQXnv xLvi]oEooe;,

EXEtv'll fataL. <lLO taXLota xat XanLota ylvoV'taL iIlt' aQxne; at

tolv\Jv ~EA'

ava~ViIOELe;.

fiv 'Re;

yaQ fXO\JOL ta ltQawata ltQ6e; annA.a to E<pE!;ne;, oiitoo xat at xLvi]OELe;. Kat fatlv

£iJ~vn~6v£\Jta

lioa taSlY nva fXEL, WOltEQ tel

~aeil~ata,

'tel liE <pailA.a

xaA.£ltWe;, tr. par R. Mugnier.

458Ibid., 451b : To YelQ ~EILVnoAaL Eon 'to EVElvaL o\JVa~EL tnv xlvoiloav. <lEI bE

A.a~EoAaL

aQXne;. <lL6 !Jm:o t6Jtoov OOXoilOLV

alnov on taxil alt' "no\J CutO AEtlXOV 0' bt' Ct£Qu, xaL

t~'

ava~L~vi]ox£OAaL

EvlotE. T6 0'

aUo fQXOvtaL, oLov alto yaA.axtOe; mt A.E\Jx6v,

emo

tOmOt! E<:p' uygav, cup'

tautnv mU;n'twv tnv wQOv, tr. par R. Mugnier.

211

aU E/.lvrloftn

/lEtO:ltWQOtJ,


Celui qui doit se souvenir, doit prendre les choses d'un debut, comme les Muses Ie font pour que Ie poete commence a chanter. Les points communs dl'une serie de chases constituent Ie fil de liaison entre elles et Ie mouvement de la pensee se realise de maniere quasi-automatique sur ce fil : il passe d'une chose a la suivante, comme un homme qui marche. Ainsi Ie parcours apparait. Selon notre hypothese done, Ie parcours mnemonique est un vrai chemin, chose qui devient evidente dans les descriptions latines. Quintilien l'exprime plus clairement quand il ecrit que ce dont il a dit "d'une maison peut etre remplace par les edifices publics, une longue route," etc.

vm 5.

LONGIN RHETORIQUE

En ce qui coneerne: Simonide, qui est considere comme Ie premier a avoir crM une mnemotechnique, nous devons malheureusement nous referer a des sources plus tardives. Mais meme la, on peut trouver la preuve de notre supposition: il y a un passage que F. A. Yates ne cite pas, et qui donne en deux mots la description de la methode que Simonide avait inventee. Voila de quoi il s'agit: selon Longin, "deja Simonide et plusieurs apres lui ont enseigne les voies de la memoire, en introduisant la juxtaposition des images et des lieux afin de memoriser les noms et les mots; cela n'est guere different de l'examen comparatif de ce qui est similaire et associe a autre chose". 459 II Y a par 459Simonide 26 Campbel1=Longin Rhetorique 718 (i316) Spenge1 (in: Rhetores graeci, Ex. Recognitione Leonardi Spengel, vol. I, Pars II, edt C. Hammer, Leipzig Teubner, 1894): non oe xat kLI1Wvlon,; xal "Adou,; l1ÂŁt' 212


consequent un parcours mnemonique qui prend la forme du chemin; des images el: des lieux juxtaposes sont lies par Ie mouvement que constitue la pensee de celui qui se souvient. Ces images et ces lieuxrenvoient a d'autres semblables que des noms et des mots representent. Voila ce qu'ont ere les voies de la memoire de la mnemotechnique. Cette methode etait-dle utilisee par les aedes et les rhapsodes pour I'epopee homerique ? Meme s'il est dit que c'est Simonide qui en fut I'inventeur, dIe existait probablement sous une autre forme avant460 . Le principe de la mnemotechnique se trouve deja dans I'Iliade: pour distinguer les os de Patroele des autres qui ont ete exhume ensemble, Achille se rappelle de leur place

'''£LVOV /1V"/1n; 66oue; JtQoiJllll\al;av, dllwAwV JtaQu8£OLv "al 16Jtwv don'l0"/1£VOL JtQ6; 10 /1vn/1Ov£UELv EXELV ovo!1<'11wv

"at Qn/1U1WV.

To OE ,onv Cl£QOV

ij 1WV

O/1otwv JtQO; 10 OO"OUV "aLVOV Jtaga8£wQnOL; "at O'U~1J'Ita JtQ6; 111.1.0.

460M. Detienne dans "Simo][lide de Coos ou la Secularisation de la Poesie", REG 77 (1964), pp. 405-419 repris dans Les maftre de verite dans fa Grece archatque, Paris, 1967(1990), pp. 109-111, soutient que jusqu'a Simonide,

"d'un coup, par une vision immediate, par la memoire, Ie poete entrait dans l'au-dela, il accedait a l'invisible.... Avec Simonide, la memoire devient une technique la'icisee, une faculte psychologique que chacun exerce plus ou moins selon des regles definies, des regles mises a la portee de tous", p. 110. Selon nous, la technique de la memoire devait exister des l'epoque homerique, mais elle devait etre connue (et inventee) seufement par les milieux des poetes. Le poete entrait en fait dans un autre espace, celui de 1a memoire et pour Ie faire il avait bien besoin de la Musce; mais la il ne pouvait pas fonctionner sans une methode quelconque. Cette methode, les voies de la memoire, a ere mise a la portee de tous apres Simonide, quand la poesie a perdu son caractere religieux. Ainsi, on lui a attribue une sorte d'invention pour pouvoir expliquer son "apparition" soudaine; et l'invention devient l'objet d'un recit-mythe. 213


dans Ie feu. 461 Le probleme se complique lorsqu'on essaie d' expliquer I'utilisation des symboles; les c1oOlA.a et les 10rrOL representant des noms et des mots. Mais dans une periode anterieure ils pouvaient etre I'objet-meme du souvenir; Ie chemin du chant aurait ainsi ete compose de scenes et d'actions juxtaposees. II y a done les voies de la memoire

(!tvi]!tTl~

Mol). Comment se

forment-elles ? Par juxtaposition des images et des lieux (ELI'xiJA.OlV rraQuBwLv xal lorrOlv). Le pareours de ces voies de memoire c'est Ie chemin du chant, I'

ol!to~

que les Muses enseignent au poete.

Selon cette hypothese, n'idee du chemin du chant se fonde sur un aspect reel de I'activite poetique. II ne s'agit pas d'une metaphore pure mais d'un deuxieme niveau de realite qui conceme I'esprit et non Ie corps mobile du poete. Les Muses donnent les chemins du chant au poete; chaque fois qu'il recite elles sont presentes pour les lui montrer, l.es eclairer pour lui. Elles l'aident mettre en marche et

a se

a suivre leurs pas, pas de jeunes filles,

sur

ces voies mentales qui contiennent la serie des images toutes vives, des agalmata qui representent les scenes cruciales du recit. Et la forme de ces voies est tout

a fait analogue a celle des voies

reelles des sanctuaires oil se trouvent aussi juxtaposees les offrandes. 461Il. XXIII, v. 239-242: aiJt<lg Eltmal ootta IIatg6xAoLo Mevomaliao AtywfLev/ ei; IiLayLyvWoXOvte,. aeLqJgalita lie tEtuxtm./ (V fLEOOU Yae Exmo ltUQ"ij, tol

Ii'

anaL

avwBev/

(Oxan ~

xalovt'

(ltLfLls

LltltOL

te

xal

avlige,

~

"Recueillons ensuite les os de Patrocle, fils de Mencetions. Distinguons-Ies soigneusement; il se laissent aisement reconnaitre: ils sont au milieu du bucher, landis que les autres ont brine

a part, a l'extreme bord, hommes et chevaux

ensemble": tr. par P. Mazon. 214


XIX. Catalogues d'agalmata

Si notre hypothese concernant la structure mnemonique du chemin et de son utilisation dans la poesie est valable, elle pourrait expliquer l'invocation aux Muses au debut des Catalogues. En fait,

a la Muse ou aux muses, en dehors des situe, comme il est naturel, a l'ouverture

"l'invocation cas

au elle se

du chant, peut introduire une de ces interminables enumerations d'hommes, de contrees, de peuples, qu'on appelle des Catalogues. Au chant II de l'Iliade Ie Catalogue des Vaisseaux presente ainsi un veritable inventaire de l'armee acheenne .... ce qui suppose un veritable entrainement de la memoire"462. Plus haut463 nous avions designe l'enumeration comme la premiere forme sous Xaquelle la structure de la juxtaposition apparait dans l'epopee homerique; et c'est la forme la plus claire, puisqu'il s'agit plut6t d'un rapport que d'un recit: la seule existence du narrateur (ou de la narration) lie entre elles ces differentes entites qui contrairement aux autres formes de

462J. P. Yemant, "Aspects mythiques de la memoire" in La Grece ancienne 2. L'espace et Ie temps, Paris, 1991, p.20. 463Yoir supra, p. 123. Sur les catalogues homeriques voir aussi C. Rowan

Baye, "Homeric Battle Narrative and Catalogues", HSCP 68 (1964), pp. 345374.

215


juxtaposition dans l'epopee ne constituent pas une histoire. lci la juxtaposition est plus apparente que Ie fil, sous-jacent. Tout comme l'espace du mouvement est pour les Grecs identifie au mouvement meme, Ie poeme est identifie parcours

a cause

a son

de la maniere dont la memoire fonctionne.

Meme quand Ie poeme est un catalogue, comme ceux que les Spartiates selon Hippias de Platon aimaient

a entendre

464:

les

Catalogues sont, selon nous, des parcours rnnemoniques. En fait, les Catalogues sont presque toujours precedes d'un appel aux Muses, dont on a vu Ie role dans Ie fonctionnement de la memoire poetique: elles mettent Ie poete en branle et lui montrent Ie chemin. Ainsi, dans la Theogonie, l'appel aux Muses precede la Cosmogonie et Ie Catalogue des Heros. De meme, d'apres certains hellenistes, I'appel aux Muses pourrait servir d'introduction

a la fin du poeme

a ce Catalogue des Femmes qui est

appele selon la Souda 'HOLaL ('HoLaL路 KataAoyoc;

'H(J~66ou). 465

D' autres genealogies se presentent dans I'epopee : on trouve par exemple de telles narrations genealogiques dans l' Odyssee quand

464Platon, Hippias majeur 285b-e. 465S ur Ie catalogue hesiodique voir M. L. West, The hesiodic catalogue of women: its nature, structure and origins, Oxford 1985. Le meme auteur pense que la description des Muses chantant aux v. I-II precede aussi un catalogue traditionnel: "The list of gods of whom they sing is in some ways surprising when compared with the rest of the Theogony; there are differences of emphasis which suggest that Hesiod is not thinking of his own pantheon, but rather a traditional catalogue which is more akin to the Homeric scheme of things", Hesiod Theogony: Ed. with Prolegomena and Commentary by M. L. West, Oxford 1978 (1966). 216


est decrite la visite d'UIysse a I'Hades466 mais aussi dans l'lliade, quand Glaucos 467 ou Enee468 padent de leurs ancetres. Amon avis ces catalogues etaient construits comme un ensemble de chemins.

XIX 1.

CATALOGUE DES VAlSSEAUX

L'exemple Ie plus frappant de Catalogue, OU I'espace joue un role special, c'est Ie Caltalogue des Vaisseaux dans I' Iliade 469 . Ce Catalogue est precede de la celebre epiclese aux Muses, a laquelle nous nous sommes remres plus haut : les Muses vont conduire une fois de plus Ie poete aux lieux de la vraie connaissance qui ne peut etre atteinte que par la presence. Elles voient ce qu'il faut raconter : les noms des commandants et Ie nombre exact de nefs qui ont pris la mer contre Troie. La structure de ce catalogue est celle d'une juxtaposition pure. Pour chaque peuple, Ie poete enumere les noms d'onigine, ceux de ses chefs, et Ie nombre de nefs. Cela constitue I'unite, puisque Ie Catalogue des vaisseaux est forme par la juxtaposition de ces unites-Ia. II passe d'une unite a I'autre en utilisant la conjonction OE (=et). 4660dyssee, XI, v.235 sqq.. 467lliade, 6, v.150 sqq. 468lliade, 20, v.213 sqq.

469lliade, II, v. 484-759. 11 Ya aussi Ie Catalogue de l'Armee Troyenne, Ii. II, v. 816-877. Sur la datation du Catalogue des Vaisseaux, R. Janko ecrit dans son Commentaire de l'lliade: "But the Homeric poems are of Geometric date; not even the Catalogue of Ships is a Bronze age survival or a Dark age reconstruction, although it includes elements of both".

217


Dans l'unite meme, il nomme d'abord Ie peuple, d'habitude au genitif. 470 Le peuple peut aussi etre donne en utilisant I'expression : nom du pays + EXOV, structure qui devient tres frequente apres Ie vers 536 471; ou avec I'utilisation des verbes VU[W

(habiter) ou VEI-lO!J.aL (partager)472. L'activite des chefs, qui

sont nommes apres Ie peuple qu'ils commandent, est designee au moyen des verbes uQXw (etre en tete)473 ou TJYEI-lOVEUW et TJyoul-lm 474 .

Mais pour quatre d'entre eux, la structure est

bouleversee : on a d'abord Ie nom du chef, dont I'activite est signifiee par Ie verbe uyw (mener, conduire), puis Ie nom du peuple, enfin Ie nombre des nefs. Ce sont Ajax475 , Ulysse 476 , Tlepoleme477 , et finalement un heros aussi inconnu que son pays, Gounee 478 . Achille qui se repose dans ses nefs, irrite contre 470BOLWtWV : v.494, <l>wxllwv : v.516, Aox(?wv : v.527, ALtWAWV : v. 638, K(?ntwv : v.645, MaYVlltWV: v.756. 471m 0' EiillOLav £XOV : 11.536, m 0' Ii(?' 'A81lvae; dxov : v.546, m 0' -A(?yoe; t' dxov etc: v.559, OT Of Muxllvae; dxov : v.569, OT 0' dxov XOLAnV AaxEoalfLova : v.581, m 0' £xov 'A(?xaOlnv : v.603, OT 0' dxov <l>uA6.XllV xal IIv(?aoov : v.695, OT 0' dxov T(?lxxnv xal '!8wfLnv : v.729, OT O'EXOV 'O(?f1£VLOV : v.734, m 0' -A(!YLooav EXOV : v.738. 472v.511 : m 0' 'AOltAnMVCl vaLov, v.591 : m /lE IIvAov t' EVEf1Ovto, v.615 : 0, 0' Ii(?a Boult(?<imov tE XlIL -HAloa OLav £VaLOV, v.681 : Niiv au toUe; DOOOL to IIEAaoyLxov -AQYoe; EVaLOV, v.711 : OT /lE <l>E(?ae; EVEfL0vtO, v.716 : 0, 0' a(?a Mn9wvnv xal 0aufLaxtnv EvtfLOvtO. 473v.494, v.512, v.517, v.576, v.586, v.609, v.713, v.718, v.736, v.756. 474y.526, v.540, v.553, v.563, v.567, v.601, v.626, v.638, v.645, v.687, v.698, v.731, v.739. 475v.577 : Alae; 0' Ex :l:aAai!lvoe; "YEV ouoxalOExa viiEe;. 476y.631 : Auta(? 'OOUOOE1Je; liyE KEqJaUi'ivac; fLEya8vfLouc;. 477v.653-654 : nnlt6AEfLoC; O' 'H(?axAEL/lnc; ... EX P6/lou EWEa viiac; "yEV. 478v.748 : rouvruc; 0' EX KVqJou liyE /lVw xal dXOOL vi'iac;.

21:8


Agamemenon

a cause dle Briseis,

est lui-aussi un cas special : il

est commandant479 mails ne marche pas en tete des !ignes des Myrmidons 48o . II y a filnalement deux cas oil I' activite du chef n'est pas celie de mener, d'etre en tete, ou de commander, mais celie de ranger, meUre en ordre, exprimee par Ie verbe xoo~u:0481.

Cette meme activite, de mettre en ordre, est decrite au

debut du passage, avant meme la priere du poete aux Muses. La, il compare les chefs rangeant leurs hommes

a des

chevriers

reformant leurs troupealUx de chevres lorsqu'ils se sont meles en paturant 482 . En ce qui concerne enfin les nefs, elles sont mentionnees

a la

fin de chaque unite: elles ont pour chef Unte1483 , Ie plus souvent elles sont sous ses ordres, elles Ie suivent (verbe

btO~m)484

et

finalement elles sont mises en ligne sous les ordres du commandant (eo'tL XOWV"W )485. Chacune de ces uniWs a une certaine longueur, de 8 a 12 vers

a peu pres. Cette longueur peut etre depassee selon l'importance que Ie poete veut donner au pays (la Beotie par exemple s'etend sur 17 vers), ou etre mains grande (la plus petite unite est celie 479 V .685: liv UoxO£. 48Oy.687 : ou yao Env O£ lL£ OcpLV ErrL Olexa£ i]yiloano. 481v.704 : MAri OcpEn£ XOO~lnOE I1oMoxn£ o~o£ 'Aono£, v.727 : una Meowv x60lLnoEV 'OLAnO£ voSo£ "Lo£. 482v.474-477 et plus specialement v.476-477 : w£ lOU£ 1JYEILOVE£ OLEx60ILEOV Evea xaL Evea vOlLlvwv o' LevaL. 483v. 576, v.586, v.609, v.'?13, v.7l9. 484y.524, v.534, v.544, v.556, v.568, v.6l9, v.630, v.637, v.644, v.652, v.710, v.737, v.747. 485v.5l6, v.602, v.680, v.?33. 2191


de Salamine qui s'etend sur 2 vers) mais la norme est autour de 10 verso On se trouve donc devant une chaine ou chaque unite est construite seion certaines regies et ou par consequent les unites sont differentes mais similaires, exactement comme les statues offertes dans les sanctuaires grecques. Ce qui donne une connotation speciale

a ce Catalogue, c'est

qu'il represente une disposition d'hommes et d'objets, ranges en petits ensembles dans I'espace. spatiaux differents : d"abord il

486

II y a ici trois "niveaux"

y a celui que Ie poete decrit, a

savoir la disposition des nefs des armees grecques devant Troie. Le deuxieme niveau est geographique, puisque chacune de ces unites represente un peuple qui habite dans une region concrete de Grece. Le troisieme niveau finalement c'est celui de la disposition des nefs dans I'imagination du poete : il cOIncide peutetre avec Ie premier ou avec Ie deuxieme. Arretons-nous un peu sur les informations quii nous sont donnees sur Ie premier niveau;

Vne information sur I'emplacement exact qu'occupent ces peuples La droite et La gauche dans les poemes homeriques en concordance avec la doctrine pythagoricienne et avec la tradition ceLtique, Rennes, 1943, essaie, en partant de diverses infonnations qui nous ont ete donnees dans toutc~ I' Iliade et en les combinant avec les donnees 486J. Cuillandre, dans son livre

topographiques de la Troadle, d'etablir la disposition d'ensemble de I'armee acheenne, c'est-a-dire I'emplacement des divers contingents acheens. Se trouvant confronte au probleme de la relation des infonnations provenant du Catalogue et de celles provenant du reste du poeme, il condut qu'il faut "hesiter a croire que I'ordre d'enumeration suivi dans Ie Catalogue soit celui de la disposition des vaisseaux dans Ie camp." Voir pp. 15-37 et s¢Cialement pp. 15-27. Certes c'est une grande exageration de prendre I'ensemble de l'Iliade au pied de la lettre et de croire que Ie poete avait a I'esprit une disposition reaJiste du point de vue strategique, et suivie dans I'ensemble du poeme.

220


est donnee a propos du troisieme peuple, les Phocidiens. En fait, les Phocidiens sont ranges

a gauche

des Beotiens, qui sont Ie

premier peuple mentionne. 487Le second renseignement, c'est celui qui nous est donne sur les nefs de Salamine, amenees par Ajax : "il les a condllites et postees ou sont postes deja les bataillons d' Athenes "488. L' authenticite de ce vers est contestee, selon une scholie au v.230 du chant III, parce que "ce vers contredit formellement d'autres passages de l'Iliade ou Ajax se trollve place sur un tout autre point de la ligne"489. En fait, cette information est suspecte aussi a cause de l'absence de cas similaires dans Ie reste du Catalogue: ce n'est pas seulement qu'elle constitue la seule information sur Ie lieu qu'occupe une armee dans Ie milieu du Catalogue, ni seulement qu'il s'agit de la seule unite a etre aussi courte, mais c'est que les expressions utilisees constituent un hapax dans Ie Catalogue. Par contre, la premiere information peut etre comprise comme paradigmatique; la phrase qui suit, avec la particule bE pourrait ainsi etre concue comme suggerant la repetition de la mise-en-place : ainsi, chaque peuple qui suit se met a gauche du precedent, ou, (et peut-etre cette indication plus generale est plus exacte) a cote du precedent, ou meme apres lui, dans un ordre topographique. Ainsi chaque peuple apparalt apres un autre parce qu'il est range de cette facon-Ia : son chef se trouve devant et ses nefs sont alignees,

487//. II, v.526, BOLWtii.lV o' 拢fUIATjV t.,t路o.QLOteQa 8WQ1ioOOvto. 488v.578 : Otjj(JE o' ilywv LV' 'A8nva(wv Lotavto cpaAaYYE,. 489/liade, Edition de Belles Lettres, tr. par P. Mazon, p.50. 221


l'une

a cote

de I'autre. Schematiquement les Acheens sont

disposes ainsi :

lei, la structure meme du catalogue nous rend compte de la formation des vaisseaux en ligne. Revenons maintenant au deuxieme "niveau" spatial, qui est Ie geographique. Comme I'a ecrit A. Giovannini, Ie Catalogue "decrit, du moins pour la plus grande partie, une geographie politique du monde grec. .... En second lieu, il parcourt les regions dans un ordre geographique bien determine, passant de I'une

a I'autre

selon une

ligne continue.... Le plus curieux, c'est que cette ligne continue se

dt~compose

en trois troncons bien distincts,

Ie premier commencant par la Beotie pour finir avec l'Etolie apres avoir parcouru Ie Peloponnese; Ie second parcourant la Crete et les Sporades, Ie troisieme commencant avec Ie sud de la Thessalie pour aboutir aux Magnetes. L' ~itineraireÂť suivi par Ie Cataloguiste fait ainsi deux sauts brusques et apparemment incomprehensibles : de l'Etolie Kos

a la

Crete d'abord, de

a la Thessalie ensuite" .490

A. Giovannini s'interroge sur la source du Catalogue; il refute I'hypothese d'une periegese en vers ou en prose, "genre litteraire 490A.

Giovannini, Etude historique sur les origines du Catalogue des

Vaisseaux, Berne, 1969, p 52.

222


qui n'a pas ete

pratiqu~:,

pour autant que nous Ie sachions, avant

Ie lIe siecle".491, et il cherche une liste des cites grecques de toutes dimensions sous la forme d'inscription. Dne liste des thearodoques, qui etatient faites pour les theores "charges d 'annoncer la date de la fete et de la treve religieuse qui l' accompagnait"492 et qui, "pour des raisons pratiques evidentes,

se presentaient sous la forme d'itineraires etablis en fonction du point de depart et de la topographie de la Grece en general"493 foumit une correspondance "au Catalogue des Vaisseaux dans une mesure qui depasse de beaucoup la simple analogie"494. C'est celle des thearodoques de Delphes 495 . Mais les deux listes presentent des differences: pour A. Giovannini ces differences "decoulent logiquement du fait que Ie Catalogue decrit un moude grec beaucoup plus restreint que la liste de Delphes. Elles semblent toutes deux resulter de la necessite pour les theores de visiter des cites eloignees, cOililme si Ie Catalogue avait mis en vers une liste de theores de Delphes etablie

a une epoque oil la

participation aux fetes de Delphes se limitait aux cites du continent, de la Crete et des Sporades".496

491Ibid., p.52. 492Ibid., p.54. 493Ibid., p.56. 494Ibid., p.57.

495A. P1assart, "La 1iste des theorodoques", BCH 45,1921, pp. 1-85. 496Ibid., p.59.

223


Mais la similitude des deux "itineraires" (I' itineraire delphique et celui du Catalogue) s'arrete au niveau des regions:

a I'interieur

de celles-ci "Ie Cataloguiste ne s' est pas soucie de respecter un ordre geographique plus precis: il a surtout pris soin de mettre chaque fois en tete de liste, ou si c' etait impossible pour des raisons metriques, du moins pour les premiers vers, Ie site dont la tradition faisait la residence des principaux heros"497. Cette hypothese d'une provenance commune du Catalogue et des thearodoques de Delphes est-elle vraisemblable ? Cela n'est pas sur. 498 On peut en tout cas etre surs d'un point: les deux documents constituaient des itineraires : Ie premier appartenant

a

a la realite grecque. Le poete geographie du monde grec (non a

la sphere de l'imaginaire, Ie second pourrait, ayant

a I' esprit

la

partir d'une carte mais d'apres les donnees de proximite) de se representer les petits ensembles qui auraient ete habites par Ie meme peuple; puis, disposer ces regions et les nefs correspondantes sur une ligne, la ligne de la description (presentee ici comme

lill

premier niveau spatial). Pour reciter il

appelle les Muses: e1les vont l'aider a se souvenir,

a avancer sur

497 Ibid.,

p.60. 498G. Nachtergael par exemple, dans son article "Le catalogue des Vaisseaux

et la liste des theorodoques de Delphes' in : Le monde grec : Hommages a Claire Preaux, Bruxelles, 1975, pp.45-55 refute (en comparant les \istes delphiques et celle de I' Iliade) I'hypothese de la source delphique du Catalogue. Neanmoins ses objections ne s'opposent pas al'id&: de I'itineraire.

224


ce chemin imaginaire eJll decrivant ce qu'il voit avec l'reil de son esprit. C. Jacob fait une interpretation dans la meme direction de la Penegese de la Terre habitee de Denys d'Halicarnasse. II ecrit : "Les Muses fournissent la taxis et offrent a Denys Ie principe de stoichedon, elles lui revelent les axes Ie long desquels il egrenera tous les toponymes .... Pour avoir nne vision d'ensemble, il est necessaire de suivre les traces laiissees par les Muses, Ie long de leur chemin "499. Autre itineraire fantastique sur la terre grecque, celui du feu dans l'Agamemnon d'Eschyle: la, c'est la lumiere des torches allumees en chaine qui constitue Ie fil de jonction. La trainee de lumiere unit les points separes d'un chemin geographique intraversable: du mont Ida a Lemnos, de Lemnos a Athos, d'Athos

a l'Eubee,

de l'Eubee a la Beotie, de la Beotie au

Citheron, de Citheron a Corinthe, de Corinthe a la Megaride, de la Megaride au mont Arachnee, et de la a Argos, qui est l'ultime etape. La lumiere part des sommets des montagnes et tout Ie procede est compare par Clytemnestre, qui en fut l'inventeur, a nne lampadedromie. II s'agit d'un chemin ou c'est la lumiere qui court. Chaque etape est pareille a un enjambement, un grand pas 499Christian Jacob, Chapitre •Stoichedon : la memoire des Muses et la rumeur des hommes', pp. 42-50 de son article "L'ceil et la memoire : sur la Periegese de la Terre habiree: de

Denys~

pp. 21-79 dans Arts et Zegendes d'Espaces :

Figures de voyage et rhetoriques du monde, ouvrage collectif dirige par C. Jacob et F. Lestringant, Paris, 1981, p. 48. Dans Ie meme article il traite aussi Ie sujet du Catalogue des Vaisseaux.

225


(et cela nous amene

a un autre itineraire celebre, celui d'Apollon

dans I' Hymne homerique, nous y reviendrons plus tard).

XIX 2.

CATALOGUES D'AGALMATA DANS L'EPOPEE

Le dechiffrement du lineaire B a eclaire d'autres listes: ce sont les tablettes myceniennes. Leur ressemblance avec les listes de cadeaux de l'epopee, Ie "caractere dactylique" du langage des tablettes, a pousse certains chercheurs, comme T. B. L. Webster

a fonnuler une theorie de l'existence, a l'epoque mycenienne de poetes, ancetres

d'Hom~~re:

"La tablette de Pylos et d'autres comme elle pouvaient tres bien etre des listes de cadeaux, II y en a une (Ta 996) qui correspond curieusement aux cadeaux donnes

a Menelas

en Egypte. .... Dans Homere il y a

beaucoup de listes d'objets comptes -les cadeaux qu'Ulysse apporte de la part des Pheaciens, ceux qu' Agamemnon a proposes

a

Achille. .... Elles

rappellent les tablettes C de Cnossos et de Pylos avec leurs listes d'animaux".soo L' exactitude scientifique d'une telle conclusion est tres incertaine; ce qui importe pour notre propos, c'est la forme identique de ces listes d'objets: celles presentes dans les poemes homeriques (et dont l"exemple majeure est Ie Catalogue des Vaisseaux), les table:ttes myceniennes et les inscriptions

SOOT. B. L. Webster, "Homer and the Mycenaean Tablets", Antiquity 29, 1955, pp. 10-14, p. 11.

226


concernant les temples grecques. Cette forme est la juxtaposition; les unites sont constituees d'un certain nombre d'objets repertories de meme nature. Dans I'epopee, il y a des listes des cadeaux (bwQu). Dans Ie chant X de l'Iliade, Agamemnon enumere les cadeaux qu'il va offrir a Achille pour qu'il se rende au combat. Un peu plus tard Ulysse transmet Ie message a Achille 501 : "Ecoute-moi t'enumerer tous les presents qu'en sa baraque t'a promis Agamemnon: sept trepieds encore ignorants de la flamme, avec dix talents d'or; vingt

bassins resplendissants, douze chevaux solides, tailles por la victoiJre, dont les pieds ont deja triomphe au concours- ... II te donnera encore sept femmes habiles aux travaux impeccables; ce sont les Lesbiennes qu'au jour oil. tu conquis la belle ville de Lesbos, il avait choisies pour lui-meme, parce qu'elles surpassaient tout leur sexe. II te les donnera, et avec elles, tu touveras celle qu'a I'epoque il t'avait ravie, la fille de Brises; ... En outre, si les dieux nous donnent de ravager la vaste cite de Priam, ce jour-Ia presente-toi oil. se fera notre partage entre Acheens, pour charger ta nef d 'or et de

bronze

afoison,

et de choisir en plus vingt Troyennes,

501Sur Ie mode de transmission du message en tant que discours indirect en comparaison avec celui des inscripions des ex-voto archalques, voir la publication de J. Svenbro

~J' ecris,

donc je m' efface. L' enonciation dans les

premieres inscriptions grec:ques" dans Les Savairs de ['Ecriture en Grece

ancienne, M. M. Detienne, Lille, 1988 (cahiers de Philologie, Volume 14. Serie Apparat Critique), pp. 459-479.

227


a

ton gre, Ie:s plus belles qUi soient apres Helene

I' Argienne. Enfin, si nous devons un jour rentrer

a

Argos d' Achai"e, mammelle de la terre, tu y seras son gendre, et il fhonorera

a I'egal d 'Oreste,

qu 'on eleve

pour lui, tendrement choye, au sein d 'une ample opulence. II possede trois fiUes en manoir solide; Chrysoth6mis, Laodice, Iphianassa : et bien ! emmene

done eeUe que tu voudras dans La demeure de PeIee, sans lui offrir aucun present : if les dotera, lui, de

eadeaux afoison, tels que jamais homme n' en a jamais dotes sa fille. Et il te donnera aussi sept de ses bonnes

villes, Cardamyle, Enope, Hire et ses herbages, -Pheres la divine, Antheia aux grasses prairies-, ainsi que la belle Epeia, et, Pedase avec ses vignobles. Toutes sont proches de la mer, au bout du territoire de la Pylos des Sables. Des bommes y habitent, riches en moutons et riches en breufs, qui t'honoreront d'offrandes comme un dieu, et sous ton sceptre, te paieront des droits fructueux" .502 II s'agit d'une vraie

(~numeration:

Ulysse, au debut du passage,

designe ainsi son discours, puisqu'il utilise Ie verbe xuwHyw (v.262). Sa forme est tres simple: Ulysse donne Ie nombre des objets qu' Agamemnon veut offrir et il les nomme. Pour certains S02I/.

x, v.

262-298 : ELliE ou !J.EV IixOIJOOV, EyW OE XE 'tOL xu"tuAEl;wI i300cl "tOt

EV XAwi1l0LV UltEOXE"tO owg" 'AYU!J.E!J.VOlV'/ £:it"t' illt1Jgou,; 19'1toOU';, oexu OE Xguoolo "tclAUV"tU/ UHlOlVU'; oe AE~n"tU,; EElXOOL, OWOEXU 0' lltltouc;/ "'lYOU, ir.8Ao<pOgOU';, 01 ue6ALU ltOooev agov"to'/ ... "'WOH 0' [It"tu yuvulxu,; u!J.1J!J.ova '(?Yu lou,a,;, i\EO~,oa,;•.... etc., tr.

228

par P. Mazon.


d'entre eux, il donne des informations supplementaires. Mais de toute facon il s'agit d'unites juxtaposees; de meme Ie poete de I'Wade nous enumere les cadeaux que Priam rassemble pour les

offrir

a Achille en echange du corps de son fils bien aime503 .

Dans I' Odyssee, I' echange des cadeaux est aussi I' occasion d' enumerations plus ou moins importantes. Ainsi, Menelas propose

a Telemaque de rester chez lui encore dix a douze jours

pour qu'il puisse lui preparer des cadeaux: trois chevaux rapides, un char, et une coupe. 504 De meme Alcinoos dit aux chefs des Pheaciens de venir offrir des cadeaux

a Ulysse:

"Douze rois de marque gouvernent Ie pays, douze chefs souverains et je suis Ie troisieme. Que chacun fasse donc apporter un chiton et une chlamyde tout fralchement lavee et un talent de son or Ie plus fin".505

503/l. XXIV, v.228-235 : TH, xat q>weLaJ!WV EJn(h'uulta Xak' avt f;Y'(£V./ EvS£V &W1i£xa J.LEV It£eLxaHta<;

~£k£

lttltkOU<;/ OOJIi£xa Ii' illtkolOO<; Xkalva<;, tOoooo<;

liE 'taltn'ta<;/ 'tOooa liE q><ie£a kEUXa, 'tOoou<; Ii' btt totaL XLtwva<;.I XeuooiJ liE otnoa<; Eq>£e£V Otxa ltaV'ta 'takUV'ta/ Ex liE /i'U' aHlwva<; tetltolia<;, ltiouea<; Ot k$n'ta<;/ Ex liE litlta<; It£eLXUkU<;, 6 ol Ele'ijx£<; ltoeov iivlie£c;/ El;£Oinv "'S6vn, !liya xttea<; = "IT dit et il leve Ie beau couvercle de ses coffI'es : i1 en retire

douze robes magnifiques, douze manteaux simples, autant de couvertures, autant de pieces de lin blanc,autant de tuniques enfin. IT pese et emporte un total de dix talents d'or, deux trepieds luisants, quatre bassins, enfin une coupe splendide, qui lui a ete donnee par des lbraces, Iorsqu'il etait aile chez eux en mission. C'est un objet de prix.", tr. par P. Mazon. 5040d. IV, v.589-592 : t6t£ O' dj lttfL1j>W, limow Ot 'taL i:J.ykua liweo! te£t<; tltltoo<; xat lilq>eov tu!;oov. ailti:J.e Elt£Lta/ wow xakav iik£LOOV, tva olttvliu08a S£OlaLv! aeaVatOLO' ""tS£v fL£fLvnfLtvo<; ilfLatU ltaV'tu.

5050d. VlII, v. 390-393, tr.

o

par V. Berard.

229


Ulysse pour sa part ,enumere

a son tour les cadeaux qu'il avait

re9us de Maron, pretre d'Apollon, pour I'avoir sauve, lui, son enfant et sa femme: "II m'a donne des cadeaux magnifiques; sept talents d'or bien travaille, un cratere en argent, et puis douze amphores de Yin doux, sans une goutte d' eau, c' etait une boisson dlivine"506. Et quand Penelope annonce aux pretendants qu'elle va enfm se decider a choisir son prochain mari, ils lui apportent des cadeaux precieux: "Et chacun au logis envoya son Mraut pour chercher un present. L'homme d' Antinoos rapporta Ie plus beau des grands 'Voiles brodes: ses douze agrafes d'or passaient en des anneaux

a la courbe savante.

Aussit6t

Ie Mraut d'Eurymaque apporta un collier d'or ouvre enfile de gros ambres - un rayon de solei! ! Les deux servants d'EULrydamas lui rapporterent des pendants

a

trois pedes de la grosseur des mures : la grace en eclatait. Puis, de chez Pisandros, fils du roi Polyktor un servant rapporta un tour de cou, Ie plus admirable

5060d.IX, v.201-205 : 0 I"E flOL ltogev ay)..aa owga./ xgvoav flEV flO' ow,,' e"egyEoc; Err'ta 'ta)..avw,! OOOxIO bE flO' X(?11't~ga ltavagyugov, amag Errmal otvov tv awpogeuo, ouwoexa ltaOLV a<jl'liooac;l navv, axngaoLov, Belov lto'tDV ~

"II

m'avait fait des dons sp1endides: i1 m'avait fait cadeau de sept talents d'or raffine, et d'un crarere en argent pur, puis i1 avait remp1i douze amphores en tout de ce Yin, qui etait un yin doux, non me1e, une boisson divine", tr. par P. Jaccottet.

230


Joyau, et de meme, chacun des autres Acheens fit quelque beau present"507. Tous ces cadeaux enumeres, presentes en series, a la facon dont sont disposees les offrandes dans les sanctuaires, sont des objets de valeur, des agalmata.

a) Le role des agalmll1a

Ainsi, Ie collier que Penelope recut comme cadeau de Peisandros est un agalma 508. Hesychius ecrit qu'agalma c'est "tout ce qui provoque la joie".509. Les scholies disent a peu pres la meme chose:

"ayaA~La, xan<il1tLO~a,

xal XalQEL' ot 6£

~Et:l' ·O~T/Qov

notT/Tal

nay

fqJ'

ayaA~a

VJ

1L~

ELnoy "to

uyuAAnm ~6avoY".

Le mot agalma "exprime l,e plus souvent une idee de richesse, mais specialement de richesse noble (des chevaux sont des

agalmata). Et il est inseparable d'une autre idee suggeree par une etymologie qui reste perceptible: Ie verbe agallein dont il derive signifie a la fois parer et honorer.... II n'est pas indifferent d'ajouter qu'a 5070d. XVIII, v.291-300;

oroQo 0' i'iQ' OiOE~EVaL JtQaEoov xilQ'lJxo (XMiOC;.!

'Avnva(ll ~EV EVELXE ~EyOV JtEQLXOUEO JtEltAOV! JtOLXLAOV. £V O' i'iQ' EOOV moovaL OlJOxolOEXO

JtiiooL!

XQUOELCLL,

EilQ'lJ~ciX(ll JtoAlJOolOOAOV oil'tlx'

&c;J

-EQ~OiO

0'

EilQlJOci~ovn

XAntOLV

£lJyvci~JtWLO'

i'tQoQlJtaLJ

'oQ~ov

0'

EVELXE! xQUoeov, nAExiQOLOLV £EQ~EVOV nEALOV

MOl BEQciJtovtEC; EVELXOV/ iQlYAnvo,

~oQaEv"tU,

XciQLC; 0' <'mEAci~E"to JtoUilJ 'Ex O· i'iQo DELocivOQOLO DOAlJXiOQlooo uvoxwc;! tOB~LOV ijVELXEV BEO"mwv, JtEQLXOUEC; UYOA~:

5080dyssee, XVIII, v.299.

509Jtav

£<p' <li nc; i'tyciAktaL.

231

tr. par V. Berard.


l'epoque classique, il s'est fixe dans la signification d' offrande aux Dieux, specialement de cette forme d'offrande que represente la statue de la divinite"51O. Les agalmata done, comme nous I'avons vu dans la premiere partie de notre etude, sont d'habitude des offrandes aux dieux. Chares de Milet a ete un "agalma d'Apollon". Tres souvent les agalmata constituent des

avu81i!-Luca

Vne des significations du verbe

(offrandes). avatleT)!-LL

est celle de "dedier",

"dresser en tant qu'offrande votive"511. Le verbe a egalement la signification d' "eriger". Ainsi, I'offrande, qui a comme role principal de rejouir Ie dieu, est faite pour etre dressee quelque part. Elle occupe un lieu defini et elle est offerte au regard. Les catalogues des sanctuaires comprennent de telles offrandes. Les agalmata dans les sanctuaires ne sont pas seulement les statues ou des objets precieux: de batiments entiers, comme les tresors (ou les temples) peuvent etre aussi des objets d'offrande et avoir Ie meme role. Des inscriptions sur leurs facades rappellent Ie donateur ou meme I'occasion du don. Et ces batiments forment assez souvent des series comme celles des statues ou appartiennent

a ces series; ils sont des unites entoures

de vides12 .

SlOL. Gernet, Anthropofogie de fa Grece antique, op.

cit., p.127.

511Voir Ie dictionnaire Liddell-Scott-Jones. 512n suffit de regarder les oikoi nemeens (S. G. Miller, Nemea: a guide to the site and museum, Berkeley-Los Angeles-Oxford, 1990) ou les oikoi de Delos

(Bruneau P., Ducat J., GD) ou les tresors d'Olympie (I. KONTIS To fe{XJv Iii, "OAv/lJTia, KaTa Tdv L1 "IT. x: aimVIX, Athenes, 1958) ou les tresors delphiques, ou on va revenir avec les description que Pausanias leur fait.

232


Dans un article publie en 1905, L. Dyer distingue les tresors des coffre-forts, tels Ie 8nouugo£ du roi Cresus, (Herodote VI, 125) et des tresors d'Olympie, de Delphes ou de Delos qu'il

appelle "temples-miniatures".513 II reconnait ainsi une evolution historique du tresor seculier au tresor religieux (Herodote, par exemple, utilise Ie meme mot pour les deux fonctions). L. Gernet traitant Ie meme sujet, voit par contre une

continuite dans I'application d'une valeur religieuse au terme 8nouugo£ et meme une 6volution inverse: 514 Selon G. Roux fmale:ment, "Ie tresor est un edifice consacre dans un sanctuaire

a la

fois comme une offrande et comme un abri

d'offrandes, tL£ UYUA[HXtwv xal xgnlJ,{nwv xul LtgWV uno8WLV olxo£, selon la definition d'Hesychius.... Consacres en commemoration d'une victoire militaire '" ou sportive ... , en action de grace pour une aubaine inattendue

, ou simplement en temoignage de

prosperite

, ceuvres de propagande autant que de

piete, I'habitude de les offrir aux dieux dure autant que la periode de: la plus grande vitalite des cites;515 ...

Dyer, "Olympian treasuries and treasuries in general", JHS 25 (1905), pp.294-3l9, p.305. Sur Ie sujet du tresor, voir encore: L. Ziehen, "eWU1J(>O';". RE VI, AI, (1936) pp.1-7 et G. Roux, "Le vrai temple d'Apollon a Delos", BCH 103 (1979), pp. 109-135, pp.llO-112. 5140p. cit., p.169. 515G. Roux, "Tresor, Temple, Tholos", in Temples et sanctuaires, Lyon, 1984, p. 154.

S13L.

233


Ernoa1JQae; est Ie mot propre. Issu vraisemblablement de la meme racine que Tltlnl-lL il exprime la fonction pricipale du tresor comme un depot d'offrandes. 516 " Mais, selon G. Roux, il y a des temples semblables aux tresors, qu'il appelle 'temples-tresors': il sont des tresors

a

grande echelle (comme Ie Parthenon), n'etant "Ie lieu d'aucune ceremonie cultuelle"

517.

II existe donc une sorte de multiple perequation qui fait que tlnoa1JQae;=Ctvatln~a=iiyaA.~a=(parfois)

vace;. Les seules differences

qui peuvent etre introduites dans cette perequation, c 'est que tlnoa1JQae; a en plus la caracteristique d'etre un edifice, et qu'un o.vatln~a iiyaA.~a

au un tlnoa1JQ<>e; ou un temple peuvent constituer un pour les dieux, puisque la notion de I' iiyaA.~a est

qualitative et qu'une offrande est un agalma si elle est belle. 518 Quelle est la signification des agalmata 519? Prenons quelques cas,

a titre d'exemple :

516Ibid., p.158. 517Ibid., p.167. 518"Ce n'est pas seulement parce qu'un objet est d'usage religieux qu'il a une

valeur, c'est parce qu'il est precieux qu'il est objet de consecration", L. Gernet, " La notion mythique de la valeur en Greee", op. cit., p.174. 519De nombreuses etudes ont ete consacrees a la signification des offrandes. Signalons entre autres, W. H. D. Rouse, Greek votive offerings. An essay in the history of the Greek religion, Hildesheim and New York, 1976 (1902); Gifts to the Gods:Proceedings of the Uppsala Symposium 1985, ed. T. Linders et G. Nordquist, Uppsala, 1987 ou on selectionne les publications de W. Burkert, "Offerings in perspective: surrender, distribution, exchange", pp. 43-50; G. Englund "Gifts to the gods - a necessity for the preservation of cosmos and life. Theory and practice", pp. 57-66; R. Hagg, "Gifts to the heroes in Geometric and Archaic Greece", pp. 93-100; S. Langdon, "Gift

234


Menelas dit it Telemaque : "Et je veux te donner rna coupe la plus belle, pour qu'en buvant aux dieux, Ie restant de tes jours, de moi tu te souviennes"520.

Et Alcinoos, offrant it Ulysse son present dit: "Pour mon cadeau, voici rna belle coupe en or, afin qu'it tout jamais, if garde ma memoire lorsque, dans sa grand'salle, il boira it Zeus, et aux autres dieux"521. Herodote, en contant l'histoire de Gyges, dit qu'il a envoye beaucoup d'offrandes :!i Delphes, la plupart d'argent; mais il a aussi offert des ava8nl-u:na d'or "entre autres, ce dont surtout it convient de garder La memoire, des crateres d'or au nombre de

six ont Me consacres par lui"522. Selon Herodote encore, it Tenare il y a un ava8TH.l.Cl d' Arion, de bronze, en petites dimensions, qui represente un homme assis sur un dauphin:

exchange in the Geometric sanctuaries", pp. 107-114. Sur la relation des statues et du culte, voir: 1. B. Romano, Early Greek Cult Images, Dissert. Pennsylvania, 1980 et aussi "Early Greek Cult Images and Cult Practices", in: Early Greek Cult Practice, op. cit, pp. 127-133. La signification d'agalma est aussi etudie par F. Frontisi-Ducroux dans son livre Dedale: mythologie de l'amsan en Grece ancienne, Paris, 1975. 5200d.IV, v.590-592 : uin<lO EJtELwl owo", )(ul-6v ahwov, LVU oJtEvouo8u 8WLGCvI a8uvutow' E!LE8£v 1L£.!LV'lILEVO<; nlLUtu Jtuvw, tr. par V. Berard. 5210d. VIII, v.430-432 : xul 0\ EYW t60' al-ELOOV E!LOV Jt£OL)(UI-A.E<; oJtuoo",! XOUOWV, 0<1'0' E!LE8£v !L£!LVrl!LEvo<; n!Lutu Jtuvwl OJtEVOU Evl !L£yuO(D CHL t' anOWLV t£ 8WLOLV. 522Herodote I, 14, 5-6 : )(ui, tOO !Lul-Wtu !LV~!L1IV ill;LOV EXELV Eotl, )(01ltiio£<; 0\ uOL81L6v Es XgUO£OL UVU)(Eatm. [Herodote, Histoires, Livre I, Collection des Universites de France, texte, etabli et traduit par P. - E. Legrand, Paris, 1970 (1932)].

235


I'offrande est censee nous rappeler I'incident selon lequel Arion a ete sauve d'une mort sUre dans la mer par un dauphin qui I'a emmene sain et sauf a la terre, sur son dOS. 523 Et Pausanias, faisant Ie parcours du sanctuaire d' Apollon

a

Delphes, ecrit qu'il va se souvenir des offrandes qui, selan lui, sont dignes d'etre mentionnees. 524 De meme quand il fait Ie parcours de la crepis de I' Altis et qu'il se trouve dans Ie tresor des Sicyoniens. 525 Dans tous ces exemples on voit que les grande partie Ie role de

~vil~ata,

avaeil~m;a

jouent en

d'objets qui perpetuent Ie

souvenir. Par leur fomle, (comme I'offrande d'Arion), par leur valeur, par les inscriptions qui y sont gravees, ils rappellent

a

celui qui les regarde un incident, ou une presence, humaine ou divine. Les belles offrandes impressionnent Ie visiteur au Ie passant; elles sont dignes d'etre vues 526 et puis d'etre mentionnees, d'etre gardees en memoire. Et

a celui qui re90it un

don, I'objet re9u rappelle chaque fois qu'il l'utilise, Ie donateur. De souvenir

personnc~1

reconnu seulement par celui qu'il

concerne et disparu av,ec la mort (mais

a jamais perpetue avec

I'epopee), I'agalma devient une chose qui garde Ie souvenir pour

523Herodote, I, 24, 30:

XCtl

'AQLOVO£ Ean ava6nfia xa)"x£Ov oil fiEya Eltl

TaevaQ\O, Errl be),,<plvo£ Erremv av6QWlto£.

524Pausanias X, 9, 1-2 :

bltoaa bt tWV ava6nfiatwv elvat fiOL )"oyot! asLa

Ecpatveto, ltOLnaofi€6a ailtwv IlVllfinv.

525Pausanias VI,19 : xelV<UI, bE xal a)"),,a EvtaiJ6a aSLa ErrLfiVna6iivae. 526Herodote I, 25, 3-6 : 6En£ II!;LOV bLa ltavtwv tWV EV Ae),,<polaL ava6ljfiatwv= "offrande digne d'etre vu par-dessus toutes les offrandes qui sont a Delphes", tr. par P. - E. Legrand.

236


toujours Ie transmettant arriver finalement

a tous

ceux qui la regardent, pour en

a etre objet meme du souvenir en soi, chose

digne d'etre mentionnee, demeurant vivante dans la memoire des hommes meme apres sa disparition,

a travers

I' ecrit de la

personne qui I'a vue jadis (Herodote, Pausanias). C'est bien la memoire qui interesse par consequent les donateurs ou plus generalement les personnes qui dressent un monument : les agalmata, qui sont des

Ilvu8inw,u,

jouent Ie role de

"La poesie epique ... decrit

I-lVl1l-luw.

... Ie recours

a des

objets souvenirs capables de preserver de I'oubli. S27 Le mot

I-lVUI-lU

•••

perd assez tot cette signification precise

pour ne plus designer que les traces ou vestiges du passe oublie. "'528 On a donc d'un c6te Ie

I-lVUI-lU

dont la signification est

inseparable de I'objet materiel, telle une coupe ou un ex-voto. Mais d'une facon metaphorique, Ie poeme constitue aUSSI un I-lVUI-lU. "Mvul-lu

est l'instrument d'immortalisation, Ie signe

glorieux, dont les formes concretes sont Ie feuillage de I'olivier ou I'hyrnne du poete, parure de couronnes ou de louanges.... apres un grand labeur, les plus beaux eloges vont perpetuer la memoire,

A.6ywv qJEQn:nwv I-lVUl-lnLU

(Pind. Pyth. V, v.48-49)529".

En ce qui concerne les inscriptions tombales 527M. Simondon, op. cit., p. 82. Sur "MvfiIlU chez Homere et son evolution dans la poesie lyrique", voir pp. 82-87. 528Ibid., p.84. 529Ibid., p.85. L'histoire P'~ut aussi constituer un monument: voir H. R.

Immerwahr, "Ergon: History as a monument in Herodotus and Thucydides",

American Journal o/Philology, 81 (1960), pp. 262-290.

237

c


"Mvii!-LU n'est pas d'abord Ie monument materiel, mais la qualil[e qui fait du oii!-LU un memorial ou un objet de gloire.... Mvii!-Lu, qui designe d'abord Ia fonction de memorial de la stele ou de I' objet dedicatoire fililit par se confondre avec Ie monument meme".530 Les monuments done, qui pour la periode archalque sont des agalmata des dieux, les statues, les steles, les choses precieuses ou

meme des batiments entiers commes des temples ou les tresors, sont des objets qui fixent la memoire. La fixation est Ie resultat de la presence de I'objet et la rememoration devient possible cause de la place que I' objet occupe, de sa position, D'ailleurs la racine d'c'tv6.6T]!-Lu et

6eoL~

a

6eoL~.

est commune. Cette place

est memorisable parce qu'elle se trouve sur un parcours precis, ou il y a un avant et lm apres. La fonction de memorial d'un agalma est activee par Ie regard du passant (ou du visiteur); et Ie

souvenir qu'il en gardle peut vivre dans son esprit parce que I' objet precieux appartient

a une

serie d 'objets qui occupent

respectivement une serie de lieux constituant un chemin. Le caractere lineaire du chemin favorise la permanence du souvenir et cree la narrativite.

530lbid., p.88. Pour l'evolution du sens de fiviifia dans les inscriptions, voir

pp.88-99 et pour fiviifia en

gl~neral,

238

pp.82-99.


b) Herodote

Ainsi les descriptions de sanctuaires par les auteurs grecs se font

a partir

de l'emplacement des divers agalmata. Herodote

nous donne beaucoup d'exemples de rois etrangers, qui apres un oracle favorable, ont dedie

a Delphes

des objets precieux.

L'offrande la plus importante est celle de Cresus qui a envoye

a

Delphes un lion d'or dant la base est faite de plinthes en or, deux grands crateres, I'un d'or et l'autre d'argent, quatre jarres d'argent, deux vases pour l'eau lustrale, I'un d'or et I'autre d' argent, des lingots d' argent fondu de forme arrondie, une statue de femme de trois coudees en or, les colliers et les ceintures de sa femme. 531 Cette liste donnee par Herodote est une fois de plus accompagnee d'indications de lieu; I'historien nous informe sur la place qu'ont occupee les offrandes de Cresus : Le lion est tombe du haut: des demi-briques sur lesquelles il Mait place quand Ie temple de Delphes a ete brUle, et:, du temps d'Herodote, il se trouvait dans Ie Tresor des Corinthiens. Les deux crateres ont ete places des deux cotes de I'entree du temple;

a main droite en entrant dans

Ie cratere d'or etait: cratere d'argent

a main

Ie temple, Ie

gauche. Mais apres I'incendie ils ont

change de place: Ie premier (celui qui est en or) se trouve dans Ie tresor des Clazomeneens et Ie deuxieme,

a I'angle du pronaos.

Entin les jarres se trouvaient dans Ie tresor des Corinthiens. 532 531Herodote. I, 50-52. 532 Herodote, I, 50,3: 6

Aewv, treEltE xatE><alEto 6 EV L\.EA<pOloL VTJO" XatEJtElJE

<'ut6 t<iN nJ.lLltALvlllwv (trel

yu~)

8noauQ!iJ;

toUtOLOL lO()Uto) xa, vvv xEltUL EV tep KOQLvlllwv

Herodote, I, 51, 1-2: t<iN

6 J.Li:v XQ"OEO, ,xmo btl OE!;LU EOLOVtL E,

t6v VTJov, 6 6t UQY"QEO, bt' aeLotEQ<l. J.lEtEXLviJ8noav 6t xa' aOtOL vrro tev VTJOV

239


L'action de Cresus est decrite au moyen des verbes (envoyer) et

aVU118n~!l,

anonE~w

mais I'expression qui la plus utilisee c' est

avuBn!J,u UVU1LBEVaL. II y a des offt'andes pour lesquelles Herodote

ne donne pas I'emplacement; deux sont placees a I'entree du temple. Mais la plupart des offrandes de Cresus sont placees dans des Tresors qui oment les abords de la voie qui mene a I'entree du temple.

c) Pausanias

Pausanias presente aussi les tresors et ce qu'il y a dedans (agalmata contenus dans des agalmata) en suivant des itineraires.

A Delphes, Pausanias entre dans Ie peribole du sanctuaire d'Apollon. Et il ecrit : "Je vais enumerer les offrandes qui me semblent les plus irnportantes" .533 La seule information topographique nous est donnee au debut lorsqu'il dit: "Tout pres de I'offrande des Tarantins est Ie tresor des Sicyoniens; je n'ai trouve ni la ni ailleurs de choses precieuses".534 Puis il nous nomme les tresors en expliquant I'occasion historique de la consecration, comme il Ie fait d'habitude pour toutes les offrandes: les tresors ne constituent pour lui qu'un objet de

xa,axaÂŁvt<l, xat 6 flEV XQuow<; xEltaL EV t(il KA.atoflEv[WV fllloauQ(il, ...., 6 OE ixQ'lUQEO<; btl to;:; ltQOVlltou ,ii<; ywv[a<;.

533Pausanias X, 9, 1-2 : 'O:1tooa

OE ,wv ixvaflllfl"ttwv dvae flOL A.6you flUA.LOta

Iil;La EqJaLvE'to, ltOLl106flEfla autwv flviJflljV.

534Pausanias XI, 1 : IUllO[OV OE to;:; ixvafliJf1Uto<; to;:; ,aQaV't[vwv OLxuwvLwv â‚Źott fllloauQ6<;. Sur 1es tresors, delphiques, voir, A. Jacquemin, op. cit., pp. 274 sqq.

240


consecration entre autres, temples, objets precieux ou sculptures. Ii est caracteristique que la conjonction utilisee continuellement

par Pausanias soit lit (et), chose qui montre que pour lui tout est sembiable et que les raisons pour lesquelles il nomme ou decrit tel ou tel objet ou biitiment ne different pas de celles qui lui ont fait mentionner Ie precfident. Dans une autre description d'offrandes alignees de Pausanias, celle des tresors de l'Olympie, nous voyons d'abord sa methode, mais aussi nous constatons que pour Ie passant les biitiments et les objets etaient de la meme nature, des offrandes ayant une grande capacite mnemonique . "A l'est de I'Heraion", ecrit-il, "dans l'Altis, il y a une krepis en poros derriere laquelle se trouve Ie Mont eronion. Sur cette krepis sont les tresors, pareils a ceux que les Grecs ont faits a Delphes pour Apollon. Ii y a un tresor a Olympie qu'on appelle des Sicyoniens, et c'est une offrande de Myron, tyran de Sicyone; il l'a edifie quand il a gagne Ie concours hippique a la 33e Olympiade. Dans ce tresor il a fait deux coffres (eaA.CL!lOu~)

l'un en style dorique, l'autre ionien.... A

Olympie il y a des epigrammes dans Ie plus petit des eaA.CL!lWV ....

Dans ce tresor se trouvent trois disques ...

et un bouclier de bronze plaque qui est orne d'une peinture a l'interieur et un casque et des cnemides avec Ie bouclier. Et il y a un epigramme sur les armes.... Ont ete placees la d'autres choses qui sont dignes d'etre mentionnees, Ie grand couteau (!lCLxmQa) de Pelops avec G

241


sa poignee d' or, la come d' Amalthee, faite en ivoire, offrande de Miltiade fils de Cimon, ... et il y a un epigramme sur la come, ecrit en lettres attiques ancIennes: "De Chersonese on m'a consacre en tant

qu'agalma a Zeus I'Olympien, apres s'etre empare la muraille d'Aratos; et Miltiade en etait Ie chef'..... A la suite du tresor des Sicyoniens il y a celui des Carchedoniens, ... ; la-dedans il y a en ex-voto, un Zeus de grande taillle et trois cuirasses en lin.... Le troisieme et Ie quatrieme des tresors sont des offrandes des Epidamniens ,et des Byzantins..... Et les Sybarites ont construit un tresor a la suite de celui des Byzantins ... A cote des Sybarites il yale tresor des Libyens de Cyrenes. Les carchedoniens ont fait la guerre aux habitants de Selinonte, en Sicile qui, avant Ie desastre, ont fait un tresor a Zeus d'Olympie..... Dans Ie tresor des Metapontins (qui est a la suite de celui des habitants de Selinonte) il y a Endymion..... Les Megarites, du cote de I' Attique, ont edifie aussi un tresor et ils ont consacre au tresor des offrandes ... Le demier des tresors, a cote de celui-Ia, est deja pres du stade, et l'epigramme dit que Ie tresor et les agalmata qui se trouvent dedans sont un ex-voto des habitants de Gela."535

535Pausanias VI, 19 : 'Eon

oE "l60u JtOlglvou x!?"lJtl<;

taD lwalou, xmil vWtou OE clinn<; lta(?ilXÂŁl to Kg6vlOV. dOlV ot

61l0augoL, xa6il oil xat

242

tv

tv t~

'AAteL Jtgo<; agxtov

me

tatitll<; tn<; x!?"lJtI06<;

<'.ÂŁ).<pol<; e).).i1vOlv nVE<; EJWL1l0av to


La description de Pausanias est tres methodique: il commence par la topographie generale, en donnant I'emplacement de la crepis sur laquelle se trouvent les tresors. Puis il fait la promenade, en allant vers Ie stade. Pour chacun de ces tresors il nous informe : 1) d'abord sur la provenance de l'offrande (c'esta-dire la personne du donateur) 2) sur les architectes, s'il en connait les noms 3) sur I'occasion de I'offrande 4) sur son contenu et les inscriptions des ex-votos qui s 'y trouvent.

·Alt<;),).OlVl Bl1oauQOVe;. 'Eon OE Bl1oauQOe; EV ·O).uflJt"a olxuOlvlOlv xa).ovfLEVOe;, MVQOlvoe; OE avuBl1fLa luQavvnoavl0e; mxuOlvlOlv. 10UI0V l)JxoMfLnoEv 0 MVQOlv vlxnoae; iiQfLan InV lQllnV xat lQcaxOOlilv ol.uflJtlulia. 'Ev liE lriJ BnoauQriJ xal 8a).ufLOUe; Mo ErtOLnOE, 10V fLEV OOJQlOV, 10V OE EQyaolae; Ine; ,wvOlv..... 'Ev 'O).uflJtta liE EmYQufLfLala Ert, lriJ E).uooovl Eon llilv Ba).ufLOlv, .... 'Ev 1001'1' lriJ 8110aUQriJ OlOXOl 10V aQl8fLOV aVUX"VlaL lQEte;. ... .xat aOltte; Eonv Ertlxal.xoc; YQacpu la EV10e; ltEJtOlXl).fL£Vl1 xal xQuvoe; IE xat XVl1fLtOEC; OfLOU lU aOltlOl. KEtV'taL OE xat aHa EV'tau8a iil;ca ErtlfLV1108nvaL, fLUXaLQa n II£).oltoe; XQuoou lilv

).a~nv

ltEltOll1fL£Vl1,

xai

ELQyaofL£vov

E).£<pavwe;

x£Qae;

10 'AfLa).BElae;,

avu811fLa Ml).nuoou lOU Ki.fLOlvoe;, .... xat EltLYQafLfLa Eltt lriJ XEQUll Eonv aQXalOle; alllxote; yQ<ifLfLaal : "Zl1vi. fL' aya).fL' av£81]Xav o).UflJti.cp EX XEQQoVnoou / TEtxoe; E)'6V'tEe; 'AQuwu. ErtnQXE OE Ml).nuol1e; O<plV"..... 'E<pE;ne; OE lriJ olxuOlvlOlv EOllv 6 xaQXl1oovlOlv Bl1oauQOe;, .... avaBnfLa1a OE EV aiJ1riJ ZEUC; fLey£e" fLEyae; xat BWQUXEe; ).lVOt lQEte; aQl8fL6v. ... '0 OE lQlwe; llilv 8noauQWv xal 6 lEta(l"tOe; avu811fL<i Eonv ErtlOafLVlOlv <xal ~u~aV't[Olv>. .. .. '.Qxo06fLnoav OE xal ouf!aQttaL 811oauQov EXOfLEVOV tou f!u~avtLOlv.... IIQoe; OE triJ ouf!aQltlilv ).t.I\vOlv EOtt tlilv EV KUQnvl1 011oauQOe;.... >:lXE).lwtae; OE OE).lVOuvtlouC; aVEat110av fLEV xaQXl1oovLOl ltO).£fLcp· ltQtv OE

Ii tnv oufL<poQav yEvEOOaL o<plm, 811oauQov triJ

EV ·O).UflJt"q. /l.ll ErtOl110aV .... 'Ev OE triJ fLEtaltOvtlvOlv Bl10auQriJ (ltQooExne; yaQ triJ oel.lvouvtlOlv Eotlv oUtoe;) EV tovtcp ltEltOll1fL£VOe; EOtlv 'EvOUfLLOlV. .. .. MEyaQEte; OE ot ltQoe; tu 'AttlXU Bl1oauQ6v n

(iJxooofLnOaVtO xat avaOnfLata

av£8wav Ee; tOV 811oauQov ... TE).Eutatoc; OE tlilv 811OauQ<ilv ltQ6c; aiJtriJ !LEv Eatlv

li611 triJ ataoLcp, YE).WOlV avuB11/la t6v IE 8110auQiJv xat ta ayu).fLUta elVaL ta tv amriJ ).£y" to ErtLYQafLfLU.

243


L'inscription (ordinairement un epigramme), ou sa provenance, ou n'importe quel autre detail sont pour lui l'occasion, et la source (comme par association d'idees) de petits developpements annexes. 536 Chaque tresor constitue une unite, il est une offrande. Cette offrande en contient d' autres qui portent des inscriptions nous renseignant sur les conditions exactes de la consecration. Quand Pausanias en a fini avec une offrande, il passe

a la suivante : tout

y est question de visualisation et de parcours lineaire. Ce passage,

qui est une miniature de la methode generale et de to utes les descriptions faites par Pausanias, est une demonstration de la nature mnemonique du parcours. Pausanias appartient biensUr

a

une epoque beaucoup plus tardive que celle qui nous interesse, mais nous pensons que la mnemotechnique de cette periode a ete elaboree sur les memes principes537 ; en plus, Ie role de l'espace et de la linearite apparait ici denude de ses fonctions metaphoriques, apparents dans la poesie: Pausanias n'est pas oblige de creer des analogies; il utilise son materiel sans aucune transformation.

536Sur la methode de Pausanias, voir: C. Habicht, Pausanias' Guide to Ancient Greece, Berkeley-Los Angeles-London, 1985, pp. 19-27, mais aussi: Pouilloux J., Roux G., Enigmes a Delphes, Paris, 1963 et J. G. Frazer, Pausanias' Description o/Greece, London, 1898. 537J. Scheid a pu etablir que la logique du parcours determine aussi la composition des Questions Romaines de Plutarque, ii. savoir leur composition. Voir J. Scheid (en collaboration avec J. Svenbro), E. P. H. E. Annuaire, t. XCIX, 1990-1991, pp. 273-277.

244


Pour commencer il utilise la locution eo'n bE (=il y a), qu'il repete deux fois, d'abord dans sa premiere phrase lorsqu'il se rHere a la crepis et une dans sa troisieme phrase en commencant son parcours. II donne dlonc d'abord une image de l'ensemble des tresors sur la crepis en pi)ros, puis il aborde Ie premier d'entre eux, dans la direction du stade. Pour chaque tresor, il utilise a peu pres les memes mots : eon bE, ava8nl-la, EV bE tcp 8noauQcp EOtL

ou EV tomrp EOtL, b1CLYQUl-ll-la Eon ou EltLYQal-ll-la A-EyEl, mots qui

donnent la trame de sa description. On a donc une enumeration d'ensemble, qui est ceUe des tresors, et pour quelques tresors des enumerations detaillees, avec les offrandes; chaque tresor, comme nous avons vu, etant un agalma qui en contient d'autres. Et comment Pausanias passe-t-il d'un tresor a un autre? De la meme maniere qu'ille ferait s'il se trouvait devant eux : il repete par ecrit Ie parcours. ""Eon bE", il commence, "EqJEI;Ti<;; bE"538, il enchaine, en donnant ainsi 1'idee de la file des (reSOrS, "6 bE tQLto<;; tWV 8noauQwv xai

dans sa description

6 tEtaQto<;;", il continue, apportant ainsi

l'idl~e

de la serle ordonnee et de la direction

(puisque s'il se refere a un troisieme et un quatrieme, il y en aura d'autres apres et il y en a eu d'autres avant). Pour Ie tresor des Sybarites il ecrit qu'il e:st place a la suite de celui des Byzantins (hOI-lEVOV).

Puis il parle des tresors de Selinonte, de M6taponte et

de Megare, sans donner une indication de place (qui n'etait d'ailleurs pas necessair'e, puisque toute la partie anterieure avait deja suggere l'idee de la suite) et il clot avec "tEA-Eutaio<;; bE (et Ie 53814 meme expression etait utilisee pour designer la fa~on dont les rhapsodes

etaient tenus aenchainer lew:s recitations d'Homere.

245


dernier) ,wv 6noauQwv nQac; ain(iJ

~ev

Eonv non ,(iJ o,a/)(<p",

finissant la serie en ayant a l' esprit Ie voisinage spatial, la suite de l'itineraire.

- Plan de l'enceinte sacree d'Olympie, a la fin de l'epoque classique: 1. enceinte grecque de !'Altis ; 2. enceinte romaine de l'Altis ; 3. habitat heUadique; 4. temple d'Hera et de Zeus; 5. nymphee d 'Hefode Atticus ; 6. terrasse des thesauroi (treSats): a) Gela-b) Megarec) Metapome-d) Selinonte-e) autelde Gaia-f) Cyrene-g) Sybarish) Byzance - i) Epidaure - j) Samos (?) - k) Syracuse -1) Sicyone; 7. Metroon (temple de Cybele); 8. stade; 9. anCJenne stoa (ponique) ; 10. stoa d'Echo ; 11. sade avec bases des coionnes ponant les statues d'Arsinoe et de Ptolemee II; 12. temple de Zeus; 13. aurel de Zeus (?); 14. Pelopion; 15. murs de la terrasse; 16. Philippeion; 17. prytanee; 18. gymnase j 19. palestre; 20. Theokoleon ; 21. bain grec ; 22. thermes; 23. Hospitium; 24. maison rom3.ine; 25. eglise byzantine; 26. Ergasterion de Phidias (atelier); 27. Leonidaion; 28. stoa meridionale; 29. bouleuterion; 30. porte de Neron; 31. Hellanodikeion; 32. maison de Neron; 33. maison de !'Octogone.

f'---~

- Restitution de I'enceinte sacree d'Olympie.

246

f


IX 3.

CATALOGUES D路AGALMATA DANS LES SANCTUAIRES

Voyons alors un peu les listes de choses precieuses qu'on rencontre dans les sanctuaires. La, il y a seulement des objets. Ces objets sont catalogues de la maniere la plus systematique539 . Ils constituent les biens du sanctuaire; leur presence (et donc leur absence) est controlee a des periodes bien definies par Ie personnel responsable. Delos possede les lilstes les plus soignees. Comparons deux d'entre elles, qui s'appliiquent au Utoon: I'une datant de 156/5 et I'autre anterieure. 540 Les objets y sont enumeres dans Ie meme ordre et la methode suivie est la meme pour les deux inscriptions: on nomme d'abord I'olbjet et on Ie decrit en deux mots, en se referant a son emploi et au materiau dont il est fait; puis on donne Ie nombre des objets de ce type qui sont presents. P. ex.: "Dans Ie Utoon; la statue de la deesse en bois, portant un chiton en lin et drape de lin; des chaussures creuses, une paire; Ie trone de bois oil elle s'assied;" .... (et ainsi de suite). Dans ces listes on donne aussi des indications de lieu; on dit par exemple que quelque chose se trouve "a la droite de la statue"541 ou "sur les

539Sur la maniere d'archivage, vOIr la publication de St. Georgoudis "'Manieres d'archivage et archives de cites" dans Les Savoirs de I'Ecriture, op. cit., pp.221-247. 540/D, n.1417, A, coLI, 1.100 sqq et /D, n.1412, a, 1.6-13. 541 EVOE;LO 100 ayaAiLo1o;, 1.1 08-1 09. 247


portes interieures"542 au encore "sur Ies portes exterieures"543. La constance observee dans I'ordre suivi et ces informations "topographiques" donnent

a penser que

cette Iiste constitue un

parcours, qui, dans notre exemple, s'effectue

a I'interieur

du

temenos de Leto. Ce parcours Iineaire pourrait traduire Ie

cheminement du regard de la personne qui ecrit la liste. L'ordre est chaque fois Ie meme, parce que I'inscription precedente sert de guide au catalogueur pour Ia creation de Ia prochaine: de cette maniere il peut aussi tres vite faire Ia comparaison et s'aviser de ce qui manque (ou de ce qui a ete ajoute). T. Linders resume ainsi la maniere dont etaient cataloguees Ies offrandes dans Ies inventaires deliens: "Les offrandes, presque exclusivement en or et en argent, sont cataloguees dans un ordre topographique, d'un biitiment

a un

autre, d'une salle

a Ia

prochaine. De divers indices montrent que Ies listes etaient faites devant Ies objets: Ia place est indiquee" Ie nom du donateur et Ie poids est souvent Iu dans I'inscription sur I'offrande; si une inscription manque, on Ie note; si des ex-votos precieux ont subi une deterioration elle est decrite et Ies parties qui manquent sont enumerees"544. J. Treheux, dans Ie meme ouvrage, demontre que Ies inventaires, non seulement etaient faites suivant un itineraire, mais que Ia redaction meme des inscriptions Ie dit explicitement 542btt tWV Ev60v 8tJQwv: 1.110-111. 543"EJtL twv . t.<:.W Xc uu(>WV. 1• II"".... 544T. Linders, "The purpose of the inventories", p. 37-47, in: Comptes et 0....

•

inventaires dans la cite grecque, Actes du colloque international d'epigraphie tenu a Neuchdtel du 23 au 26 septembre 19486 en I'honneur de J. Treheu.x, Neuchatel-Geneve, 1988.

248


(la fonnule

IiE~Lii~

EV nllL JtQO<'i6!lWL est traduite par "pour qui

fait Ie tour du prodomos en commencant par la droite")S4s. On voit tres c1airement que la methode, decrite plus haut, que suivaient les personnes qui faisaient les inventaires des sanctuaires, est la meme que celie que Pausanias suit. Dans les inventaires du Brauronion de I' Acropole d' Athenes I'activite des epistates est aussi decrite en termes de parcours. Selon J. Treheux il y avait un inventaire de base dans I'acropole. "Ce catalogue, que I'on tenait de principe il jour en y inscrivant les offrandes au fur et il mesure de leur entree, etait grave sur une stele de marbre et c'est celie que les textes appellent路fJ otllA-n. A l'epoque du recensement les epistates parcouraient les differentes salles des sanctuaires de Brauron et de I' Acropole et controlaient, avec une copie de la o'tTtA-n la presence dans Ie

LEQ6v

des offrandes figurant sur la stele"S46. Ce qui constitue Ie point commun de toutes ces listes, c'est leur caractere mnemonique:: les listes jouent tout d'abord Ie role d'archives, orales ou ecrites; des objets precieux (ayuA-!lU'tu) y sont catalogues. Mais il y a plus: c'est la structure de ces listes, leur architecture, qui est fondee sur la mnemotechnique: car fa

juxtaposition sur une ligne est fa maniere-meme dont cette memoire fonctionne, c 'est-a-dire en suivant des chemins.

545 J. Treheux "Vne nouvelle, lecture des inventaires d'Apollon aDelos", ibid.,

pp.27-35. 546"Observations sur les inventaires du Brauronion de l'Acropole d'Athenes"

pp. 347-355, ibid, p. 354.

249


Narrativite et memoire sont intrinsequement liees au moyen du parcours.

Pour s'assurer que les listes sont en mesure de creer la narration il suffit de regarder celles qui, tout en etant une juxtaposition de noms,

(~tablissent une

serie qui instaure un temps,

mythique ou historique 547 . II y a d'abord les genealogies mythiques, comme celIe de la cosmogonie d'Hesiode ou des 'HowL.

Mais aussi il y ales listes des sanctuaires, comme celles qu'on utilisait pour etablir UDie chronologie. Hellanicos de Lesbos par exemple, dans son ouvrage 7ipetat

,1r7~ 'lfpa~ at tv "Apyet

a

essaye d'etablir une correspondance entre la liste des pretresses et d'autres evenements548 . On suppose que cette liste etait faite en suivant les statues que les pretresses erigeaient pendant leur service au sanctuaire549 . La serie des statues et l'etroite liaison qui existe entre leur erection dans Ie sanctuaire, leur disposition,

547H. L. Schanz, dans Ie chapitre "Row Groups" de son livre, op. cit., pp. 12-66, etablit·aussi une analogie entre 1es listes et les groupes de statues en fIle qui sont erigees sur des bases communes.Selon eUe, tous les groupes de cette categorie representent forc:ement des genealogies ou des 1istes de nature historique (pretresses, par ex:emple). 548FGH, 1, pp. 454-5 (1, 4, F65-76). F. Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker (=FGH), 15 vol., Berlin puis Leyde, 1923-1969. 549Cette hypothese est emise par N. P. Papachatzis dans son edition de Pausanias, op. cit., 1. II, p. 146, en commentaire du passage de Pausanias II, 17, 3 qui dit que devant l'entree de l'Heraion d'Argos, il y a des statues de femmes qui ont ete des pri~tresses d'Hera: n'AvogLCLvt€<; t€ Eo'tlixum "go tii<; Eo600'U xaL yUVOLXWV, at yeyovaoLv LEQELOL "tile; "'HQOr;".

250


la memoire et I'histoire, est demontre par un passage d'Herodote qui decrit une situation similaire chez les Egyptiens: "lis m'introduisirent ii. I'interieur du temple, qui est grand, et Iii. ils me montrerent en les comptant des colosses de bois en aussi grand nombre que j'ai dit; car chaque grand-pretre erigeait en ce lieu, de son vivant, une statue de lui-meme; en me montrant ces statues et en les denombrant, les pretre me firent voir que chacun de ces personnages etait Ie fils d'un pere compris dans la serie; ils commencerent par celie du mort Ie plus recent et parcouraient la serie entiere, jusqu'ii. cle qu'ils eurent fait la demonstration pour toutes "550.

XIX 4.

CHEMIN ET CHANT, AGALMA ET MEMOIRE

Un recit peut se fonder donc sur une parataxe d'agafmata qui jouent Ie role des objets qui perpetuent Ie souvenir; il suffit qu'il y ait Ie mouvement du regard ou de I'esprit d'une personne qui

etablira les rapports. Si no us tournons Ie mecanisme ii. l'envers, nous nous retrouvons devant la "decouverte" de Simonide, les "voies de fa memoire"; ici c'est l'esprit humain qui, sur un itineraire existant

ou fantastique, transpose ses "images actives" (imagines agentes) dont nous parle la Rherorique

a Herennius;

c'est cette sorte

d' agafmata singuliers qui pourraient, pour l'epopee, constituer I'Ot!tl1, Ie chemin du chant.

55OHerodote II, 143, 4-11.

251


Pour Bacchylide, tout son poeme "est un agalma immortel des Muses"551. Pour Pindare, Ie chant peut etre "une stele des Muses qUI chante d'une voix forte"552, rappelant selon les scholies 553 les vers suivants: "et voici que Ie char des Muses a pris son essor pour celebrer la memoire de Nicocles Ie pugiliste"554. chant est Ie

!!va~.lU

lei Ie

de Nicocles: Ie char des Muses est en

mouvement, iI chante pour Ie poete la victoire du pugiliste; plutl)t qu'immobile, Ie chant est mobile, il voyage. Dans un autre poeme Pindare ecrit: "Je ne suis pas statuaire; je ne fais pas des figures qui restent dressees sur leurs bases, immobiles. Non! barque ou vaisseau de transport, que Ie premier navire en partance t' emmene d'Egine, I) rna douce chanson, pour pubIier que ...555".

II est important de souligner ici que Ie trajet que Ie chant de

Pindare va effectuer est exprime avec Ie verbe OtElxw, verbe qui donne la connotation d'un trace lineaire et qui etait utilise par Hesiode quand il decrivait Ie chant des Muses. Mais la structure de la memoire, la maniere dont elle fonctionne pour les poetes recitant ou chantant par creur, favorise I'utilisation de la metaphore du chant en tant que 551 Bacchylide Epinicie. X, v. 9 : it8o.ValOV Mouoav iiyaA~a. 552Pindare Nem.VIII, vA7 : Ao.~QOV ultEQ£lom Al80V Mowalov, tr. par A. Puech. 553Schol. Is. VII, 62 (VIII 67). 554Pindare, Is. VIII, v. 61-62 : Eooutal 1£ MOLoalov &Q~a NL"O"),EO~ ~va~a :n:uwo.xou "£Aa6iiom, tr. par A. Puech. 555Pindare, Nem V, v. 1-6 : ou" av6QLavl0:n:oL6~ £l~' , W01' EALVlJOOna EQY<i~w8m

ayo.A~al·

m'

aUlal; ~a8~l60<;l E01061', an'

it"o.l\O, yAU"£1' aOLOO/ melX'

a.."t'

ALy(va~, 6LayyEAoLo'

252

ml

:n:o.oa~ 6A"o.60~ EV l'

on ..., tr. par A. Puech.


chemin. Bacchylide ecrit: "c'est de cette fac;:on qu'aujourd'hui, pour moi aussi, partout se multiplie Ie chemin OU chanter votre valeur"556 ou encore: "mais pourquoi conduis-je une parole longue, en dehors du droit chemin?"557 Le poeme pour Bacchylide est un chemin; Ie sujet principal constitue Ie droit chemin et la parenthese, une deviation. De meme Pindare elabore une longue et riche metaphore dans sa VIe Pythique. Le

dl~but

du poeme decrit Ie mouvement du

poete vers "Ie tresor des hymnes" dont la facade fait connaitre aux hommes la victoire de Xenocrate. Voyons de plus pres : "Ecoutez : nous labourons Ie champ d' Aphrodite aux vives prunelles:; nous labourons Ie champ des Graces, en marchant vers Ie temple qui contient Ie nombril de la terre aux sourds grondements; la, pour les Emmenides fortunes, pour Agrigente sise aupres de son fleuve, pour Xenocrate enfin s' eleve, dans l' opulente vallee d' Apollon, Ie tresor des hymnes qu' ils ont merites par leur victoire

p~vthique;

sur lui peuvent fondre avec furie

les pluies d'hiver, milice impitoyable des nuees aux sourds grondements, et les vents peuvent venir Ie battre avec elles, de tous les debris confus qu'il emportent, sans l'entrainer jusqu'aux abimes de la mer. Sa fac;:ade, 556Bacchylide, Epinicie V (c. 5), v. 15-17: tw£ vUv xat <E>i1oL fmQLa ltavtQ: XEAElJ809' 1Ji1EtEQav aQEtUv/ 1J!1.VELV, IT. par J. Duchemin et L. Bardollet. 557Bacchylide, Epinicie X, v. 42-43: tl i1UXQUV yAwooav LfhJoa£ E1.auvw/ ExtO£ 61io;;; Epin. X, v. 29: i1atEUE1. 0' aAA[O£ ii1.Aol]wv XEAEU80v = "Chacun s'efforce de ITouver la route dont Ie trajet lui obtiendra une reputaion insigne", tr. par J. Duchemin et L. Bardollet.

253


illuminee d'une Iumiere pure, proclamera et fera redire par Ies hommes, 6 ThrasybuIe, I' illustre victoire, commune Ii ton pere et Ii sa race, remportee Ii Ia course des quadriges, dans Ies vallees de Crisa" .558 Le debut du poeme coIncide avec Ie debut d'un mouvement; Ie

poete, parlant avec Ia bouche du chreur559 pendant qu'il chante est en mouvement, comme Ie sont Ies Muses dans Ia Theogonie. II va vers, il approche

Ie temple d' Apollon

(JtQoooLX6!!£VOL)

(puisqu'il dit qu'il contient I'omphalos). La (eve') se trouve, entoure des murs du peribole, Ie tresor des hymnes; Ia description de Pindare renvoie Ii I'image de Ia voie du sanctuaire pythique oil s'alignent les riches tresors. Le tresor de Xenocrate appartient aussi Ii toute Ia famille des Emmenides, et Ii Agrigente, sa cite, puisque Ies tresors sont d'habitude des offrandes de cites (comme c'est Ie cas pour Ie Tresor des Atheniens qui vient d'etre construit quand Pindare compose Ia sixieme Pythique) ou de tyrans puissants. II s'agit d'un biitiment que Ies intemperies ne

558Pindare, Pyth. VI, v.1-18 : iiQouQav i\

'Axo'lioat' .

n

XaQ'twv/ aV(IJ(OA.'~OfLev, OfLlpaA.OV

yaQ £A.LXWltLOOC; 'AlpQoOUtac; tQL~QOfLOU/

xflovoC;

tc;

V('((ov

ltQoooLxofLevoL'/ IluflLovLxoc; 'vB' OA.~lOLOLV 'EfLfLevlbmc;f ltOWfLle;t t' 'AxQayaVtL xat

fLav EevoxQateL/ £tOlfL0C; ilfLVWV

tetelXLOtm

vcme;t./ tov

o,;,;e

flnoauQoc;l

XeLfLEQLOC;

0fL(lQOC;,

tv ltOA.UxQ'liOQl/ 'AltoA.A.wvle;t tltaxtoc;

tA.lflwv

tQL~QOfLOU

velpEA.ac;l OtQatOC; afLdA.LX0C;" OUt' iivefL0C; tc; fLux0'lic;l &.A.Oc; iisOLOL ltafLlpoQ(O xeQabw' tultt0fLevov. <l>aeL be ltQOOWltOV tv xaflaQ0/ ltatQL te0, 6Qao'li(loUA.f, XOLvav te yevecp A.OYOLOL flvoltwv eubo!;ov/ aQ!!atL vlxav/ KQLOalmc; tvl ltt1Jxalc;

tr. par A. Puech. 5590n trouvera une analys:e de Ia premiere personne chez Pindare et de sa

MayyeA.el,

relation avec Ie chreur, on Itrouvera dans: M. Lefkowitz, "TQ first person in Pindar", HSCP 67 (1963), pp. 177-253.

254

KAI

ErQ. The


peuvent abimer comme les batiments ordinaires, que les vents et les pluies d'hiver ne pelLlvent abattre; car il est fait d'un materiau indestructible. Le poete approche lie tresor; en meme temps il introduit Ie sujet de son chant car Ie: parcours de la voie qui va vers Ie temple et vers Ie tresor n' est qu'une introduction, un

ltQOOL!-lLOV

qui

precede Ie sujet principal du chant, l'hymne adresse au vainqueur560, identifie :i la facade du tresor. C'est cette facade brillante qui recitera, qui annoncera ÂŤ'mayyeA.ei;) la victoire remportee

a la

course de chars. La lumiere pure qui baigne la

facade evoque celle qUL'il prie Mnemosyne et ses filles de lui accorder, afin qu'il puisse dissiper I'

U!-lUXUVLa,

pour qu'il puisse

prendre la route de la sagesse. 561 lci Pindare,

a la

fin de la deuxieme strophe, a acheve

I'essentiel de la description de sa route. II passe

a sa troisieme

strophe dont Ie persoImage principal est Thrasybule, fils de Xenocrate. La scene est comme une image active, qui resume toute la valeur de Thrasybule (qui apparemment conduisait Ie char de son pere Xenocrate) et represente sa victoire. Thrasybule

a sa droite, debout, Ie Precepte que jadis dans la montagne Ie fils de Philyre donnaiit a Achille, a savoir d'honorer Zeus plus

mene,

que tous les autres diem" et de meme, ne jamais cesser d'honorer ses parents toute leur vie. Cette image active donne I' essence de la victoire de Thrasybule et explique son merite de facon

5600n peut alors soutenir qUie Ie pluriel

tresor constitue par l'hymne". 561Yoir supra, pp. 191-195..

255

iillVWV

(v. 7) equivaut au singulier, "un


symbolique. On voit debout, personnification de la maxime

a

cote du valllqueur, la

a laquelle il

doit sa victoire : la

veneration des parents et de Zeus.(Plus bas, Pindare va illustrer la maxime en decrivant une deuxieme scene que cette premiere a' engendree: la mort d'Antiloque sauvant la vie de son pere). Puisque cette description suit la phrase ou il est dit que c' est la facade (du tresor des hymnes) qui proclamera la victoire, on peut supposer que cette scene est un agalma imaginaire du tresor, ou mieux que cela, qu'elle fait partie du decor architectural de cette facade lumineuse. Le poeme ne fonctionne-t-il pas comme une double metaphore: celle de l'activite poetique pendant qu'elle se deroule sur la scene de la voie du sanctuaire pythique (en tant que procession chorale allant vers Ie temple d' Apollon) et celie de l'activite mentale du poete pendant qu'il chante ? Pindare parcourt la premiere pmtie du chemin poetique jusqu'3o l'agalma, scene imaginaire qui

fI~presente,

devant l'ceil de son esprit, Ie

theme qu'il va developper par la suite. C'est un tresor de la memoire, que ce tresor de Xenocrate; et la richesse des images de l'hymne rend a la vision sa place preponderante. Ainsi, Ie 8noaugo(;

UJ.lVWV

de la VIe Pythique est-il

singulierement proche du tresor dont parlera quatre siecles plus tard un certain maitre de rhetorique 562 et plus encore, des tresors des Confessions de Saint-Augustin, quand il ecrit : "Et voici que j'arrive, aux vaste palais de la memoire, 130 ou sont les 562Dans La Rhhorique tresor des inventions".

a Herennius III, XVI, la memoire c'est "la salle au 256


tresors des images innombrables apportees par les perceptions multiformes des sens. La sont renfermees toutes les images que nous formons, en augmentant, en reduisant, en modifiant d'une faeon quelconque ce que nos sens ont atteint, et aussi tous les elements mis la en dep6t, en reserve, pour autant que l'oubli ne les a pas engloutis et ensevelis"563.

Dans la VIe Pythique Pindare met en parallele d'un cote I' execution du prooimion de son chant et la marche processionnelle d'un ch,ceur vers Ie temple d' Apollon (chemin et chant)564 et de I'autre Ie sujet central (Ia louange du vainqueur) et un monument imaginaire

(8r)oa'UQ6~ u~vUJv).

Le premier volet de Xa metaphore, nous I'avons deja vu, c'est

Ie chemin; dans un autre poeme Pindare parle de "Ia voie des louanges dignes" lorsqu'il celebre la prochaine victoire dont il espere que Hieron la rernportera "pres de la colline lumineuse de Cronos"565; enfin dans la VIe Olympique 566 Ie chemin oil les 563Saint-Augustin, Confessions, X,8, texte etabli et traduit par P. de Labriolle, Collection des Universites

dl~

France, Paris, vol. 2, 1926.

564De meme type est la rnetaphore de navigation que Pindare utilise souvent. Sur ce sujet, voir Ie chapitre: "Navigation du poeme et navigation du poete", dans Ie livre d'A. Bonnafe Poesie, Nature et Sacre, II, Lyon, 1987, pp.92-99, ou e1le ecrit : " ...., la navigaltion reeelle que peut connaitre Ie poeme devient une metaphore de l' activite creatrice du prete (deja mise en representation par Ie chreur qui chante et danse son ode et dit 'je' publiquement a sa place) et, de son cote, la navigation metaphorique qui mene Ie poete de la premiere strophe au dernier vers de l'ode se confond elle-meme avec cette traversee a1eatoire qui est I'image de toute entreprise humaine en train d'etre menee.",p. 93.

565Pindare, Ol.I, v.1l0-1l1.. E'A.8wv Kl'6vLOV, tr. par

mLKougov eiJgwv aMv 'A.oywv/ rrag' eiJlide'A.ov

A. Puech.

257


mules conduiront Ie

poi~te

aboutit

a l'origine du genos d' Agesias;

il s'agit done d'un vrai chemin de memoire. En ce qui concerne l'autre aspect de la metaphore de la VIe

Pythique, Ie chant (ou plutot son sujet principal) est presente comme un monument, un tresor, renvoyant

a la fois a l'idee de la

crypte, du coffre renfermant et, a l'objet precieux qui s'y trouve, a I' agalma. On voit done ici etroitement liees, chemin et agalma. Dans la VIle Olympique, gravee en lettres d'or dans Ie temple d' Athena Lindienne

a Rhodes, selon les scholies (WVtTlV ,nv 06'i]v

avaxEweal qJTlOl fOQYwv ÂŁv ,li> Tij~ AlV6la~ 'ABTlvala<; LEQli> XQUOOL<; YQ<J.!1!1aow)

-ce qui muhiplie les effets de miroir entre chemin et

chant en posant par Ie biais de I'ecriture Ie chant au bout du chemin, pour qu'on puisse Ie lire tout comme les visiteurs du sanctuaire lisent les inscriptions sur les ex-votos en creant leur chemin de narrativite- dans la VIle Olympique done, Pindare mentionne qu'a Rhodes "les chemins portaient des figures semblables a des vivants en marche".567 Ce qui veut dire que pour les statues, pour les c:euvres humaines qui jouent Ie role

d'agalmata, il n'y a pas de position plus convenable que celle des abords d'une voie : ce sont les voies qui doivent les porter en tant que parure. Constatation qui nous ramene a la VIe Nemeenne, OU a propos d'Egine, Pindlare dit : "de larges avenues s'ouvrent de toutes parts aux 'homrnes de la parole' quand ils veulent louer

566Voir infra, p. 285. 567Pindare, OI.VII, v.52 : tr. par A. Puech.

"(?ya OE ~wotOLv ÂŁQltovtwol

258

W ofLota

xO.ElJAOL (jlEQOV,


cette lle renommee". qui est celle de

568

L'activite des "hommes de la parole"

XOO~ELV.

signifie parer ou mettre en ordre; les

voies qui s'ouvrent sont les divers episodes de I'histoire d'Egine, qu'ils peuvent raconter. Les poetes oment les chemins du chant comme les Rhodiens ornent les rues de leur pays au moyen de statues si bien faites qu' elles donnent I' impression de marcher comme des etres vivants. Le chant est un chemin que Ie poete parcourt569 ; ce chemin peut etre enrichi par lies produits de son imagination, de sa technique 57o . Ainsi, dans Ie meme poeme, un peu plus bas, 568Pindare, N. VI, v.45-46 : ltAunlaL ltavt06ev AOY(OWLV EvtL ltQ6aoIiOL/ viiaov e""AEU tavlie xoal.uolv.

569Une pareille idee doit etre la base de I' Epopee de Gilgamesh. Le debut et la fin du poeme (prologue et epilogue), dont Ie theme est la narration de la vie et du grand voyage du heros, faite d'une maniere lineaire et paratactique, est celui-ci : "Celui qui a tout vu I celui qui a vu les confms du pays lie sage, I'omnicient I qui a connu toutJ~s choses I celui qui a connu les secrets let devoile ce qui etait cache I nous a transmis un savoir I d'avant Ie deluge.

11 a fait un long chemin. I De retour, fatigue mais serein, I il grava sur la pierre I Ie recit de son voyage." : L 'Epopee de Gilgamesh, texte traduit et adapte par A. Azrie, Paris, 1979, p.13 et p.183 lei Ie recit du voyage s'idenltifie au sujet du poeme, a peu pres comme dans 1'Odyssee, mais cela n'empeche la valeur metaphorique de ces premiers verso 570J. Svenbro voit la continuation de la metaphore du char et du chemin, dans l'ecriture et la lecture. Dans son article "Sur les traces d' Anniceris de Cyrene". op.cit., il ecrit : "A cette me:taphore du char et du chemin, la petire roue de plomb -avec laquelle Ie scripteur fraye Ie chemin a parcourir sur la pages'ajoure comme une confirmation en quelque sorte tangible, trop frappanre pour que la difference entre l'opecr-ation qui consiste a tracer la ligne et celle qui consiste aecrire sur cette premiere ligne soit ressentie comme un obstacle. Le 'char' du poeme-en train- df:-s'ecme se deplace sur une ligne vierge, tracee d'avance par Ie peete lui-meme".

259


Pindare poursuit:

"Tl~lle

est la VOle carrossable que mes

predecesseurs ant decouverte, et moi-meme je la suis avec les ressources de mon art" . 571 La route deja existante que les autres poetes ont empruntee, Pindare arrive a la suivre par I'exercice (ou par I'application). Son invention contribue a orner, a parer cette voie. Dans la H'e Pythique en revanche il se vante de pouvoir conduire les autres dans son art: il va emprunter un raccourci parce qu'il n'a pas Ie temps et que la voie carrossable est trap longue: "Mais Ie retour serait long par la grande route; l'heure me presse, et, je connais un sentier plus court"572 lei Pindare utilise Ie mot

ol!1o~

pour rendre Ie sens a la fois de

chemin et de chant; les vers qui precedent, proches de la narration epique, lui paraissent interminables; l' ol!1o~ qu'il connait est plus conciis; il fait Ie resume de I'histoire qu'il racontait sans details superflus. L'ceuvre pindarique condense Ie chemin et la narration, la memoire et la vision, l' agalma en tant que monument et objet precieux, I'approche d'un ensemble architectural, la marche, Ie parcours et la creation du chant. Les mMaphores creees par Pindare illustrent mieux que toute analyse les liens etroits qui unissent toutes ces notions car elles arrivent a donner une image riche et complexe de la maniere dont tout cela etait vecu par I'homme de la Grece archai"que. 571 Pindare, Nem. VI, v.53-54

:xal tauta flEV JtaA.aLO"tEQoL! aMv ufla!;L1ov

eVgov. EJtOflUL 6t xal airto, f.;(WV flEA.EtaV,

tr. par A. Puech.

wga

yiIQ

OllvnJttEL. xat tLvtV olflOV LoaflL ~Qaxuv. JtoA.A.oloL Ii' iiynflUL oO<I'La, EtEQOL"

II.

572Pindare, Pyth. IV,

v.247-248 :

par A. Puech..

260

flaxQn flOC VE10flaL xat' Ufla!;LtOv.


QUATRIEME PARTIE

CHEMIN ET ARRIVEE

261


X. Retour iJ l'Odyssee REMARQUES PRELIMINAlRES

Dans un chapitre pre:cedent nous avons etudie les descriptions de chemins dans I' Odyssee; cela pour prouver que la parataxe y etait presente. A ce moment-la, il nous fallait seulement prouver l'analogie de structure entre Ie chemin des sanctuaires archaiques et Ie recit du chemin. II est evident qu'il existait dans l'epopee, non seulement une stmcture paratactique des recits de voyage semblable a celie de la voie sacree, mais que cette stmcture apparaissait aussi dans I'ensemble du recit et dans la constmction de la langue homerique.. II y a donc trois niveaux d'analogie entre les chemins des sanctuaires et I'epopee homerique: Ie plus concret d'abord, conceroe les descriptions des chemins dans I'Odyssee (voir p. ex. Ie trajet qui conduit Ulysse de la source au palais d' Alkinoos et a I'interieur du megaron meme) : Ie poete parle d'un chemin dont la forme est determinee par la juxtaposition de lieux sur Ie til du trajet, de la meme facon que les voies des sanctuaires se presentent en tant que parataxe de batiments et d'offrandes des deux cotes de I'espace ou se deplace Ie visiteur. A un deuxieme niveau la description d'un chemin chez Homere oMit, elle aussi, a cette stmcture: Circe montre a Ulysse Ie trajet qu'il doit suivre en lui decrivant, I'un apres l'autre, dans

262


un ordre topographique, les endroits qu'il va traverser. Et Ulysse lui-meme en racontant au palais de Pheacie ses aventures, Ie fait en enumerant les endroits par lesquels il est passe et ce qui lui est arrive. Et nous voici enfin au troisieme niveau au Ie recit des aventures a la meme structure de parataxe sur un fil (qui est Ie fil du recit)573 et donc la construction de l' ensemble -au de diverses unites du poeme- est tout

a fait

analogue

a celle

du

chemin des sanctuaires. Enfin, on a vu qu'un certain type de poesie, celui des Catalogues, avait aussi une forme analogue, et que toute enumeration, toute liste qu'on pourrait croire n'avoir qu'un rapport lointain avec Ie recit, en tant que serie d'unites distinctes, est finalement constitutrice de la narration, grace justement

a sa

structure qui engendre Ie chemin. Nous avons

egalement montre que Iia force mnemonique de cette structure a ete decouverte, et qu'elle a meme ete utilisee dans la memorisation par les rhapsodes de grands poemes et par consequent dans leur creation meme. Les poetes, comme Pindare ou Bacchylide, conscients de la forte analogie, envisageaient leurs poemes en tant que chemins; c'est

a travers

la figure du

chemin que les poetes pensaient leur composition poetique. II y avait donc une sorte de determination mnemonique du chant. A 573En poussant plus loin, a un niveau qui excederait notre competence et qui d'ailleurs ne nous int6ressse pas ici directement, on pourrait discerner aussi cette analogie a l'intmeur de la phrase homerique. Sur Ie sujet, on verra : P. Chantraine, Grammaire Homerique, Paris, 1953, II pp. 351-364; <1>. I. KaXQLOi'j, 'R IlaQota!;n twv OiJmaonxwv otav "O!J.nQo xal OtOV, 路O!J.nQ'xo':',

Salonique,1960; B. A. Van Groningen La composition litteraire archai'que grecque, Amsterdam, 1958.

U!J.VOU"

263


cause de la mnemotechnique, invention attribuee par la legende it Simonide, Ie recitation du poeme etait synonyme des parcours de la voie qui contenait" disposees paratactiquemant, en serie, comme des agalmata, les scenes constitutives du recit. Pour en revenir a l'Odyssee, on peut voir d'un tout autre reil ses differents niveaux de ressemblance avec la voie sacree archalque. Sur Ie premier niveau, notre hypothese n'a pas apporte de changements de point de vue. Mais sur Ie deuxieme, elle a eu des effets de dedoublement: car, la description du trajet jusqu'a I'Hades ou jusqu'a I'ile ou paissent les vaches du Soleil, laisse clairement deviner I'importance mnemotechnique du chemin pour Ie poete qui parle par la bouche d'Ulysse qui, a son tour transmet les paroles exactes de Circe. Et plus tard, Ulysse raconte Ie deuxieme aspect du chemin, qui est celui du chemin parcouru; Ie meme Ulysse racontant ses aventures par la bouche du poete qui recite 574 . II y a done d 'abord Ie personnage mythique qui se souvient, au banquet du palais de Pheacie, en refaisant son voyage en pensee, en Ie traversant de nouveau, dedouble par la voix du rhapsode qui recite en parcourant a son tour un a un les lieux oilles aventures d'Ulysse ont jadis eu lieu. Le recit du voyage et des perip6ties est done une rememoration, une nouvelle traversee qui se fait au fur et a mesure que Ie poete raconte. Chaque recitation reactive la memoire; elle la met en marche de nouveau. Mais cette remarque 574S ur Ie role que jouent les recits a la premiere personne dans I' Odyssee, voir: 'I. 'AvaotaoLOlJ: "'0 I.UI"lYll!!Unx6c; xaQ<lxtnQ<lC; twv l.6yffiV otnv '06VOOÂŁLO,", in .nmvOE, {miv '0I'17(!O, op. cit., pp, 41-56,

264


a un effet qui englobe I'ensemble du poeme; on voit ainsi que toute I' Odyssee a ete construite comme un duplicata de regles de la poetique. Si par definition, chaque poeme est un chemin

a

parcourir, et si cela eXlPrime les regles de la methode qui regit I'reuvre du poete, qu'en sera-t-il done d'un poeme dont Ie sujet est un cheminement?

NiDUS

nous trouvons par consequent en face

de la representation masquee de l'image meme que se fait de sa production un poete de la Grece archalque. Et cela

a travers

la

narration d'aventures, lIlarration faite par Ie personnage central du poeme.

X 1. PARCOURS D'ENSEMBLE ET KLEOS

Soyons un peu plus concrets: quand Ulysse doit dire aux Pheaciens qui il est, il commence par parler sur Ie bonheur d'ecouter un aede dont la voix l'egale aux Immortels 575 . II juge comme la meilleure des vies celie "de tout un peuple en bon accord, lorsque, dans les manoirs, on voit en longues files les convives sieger pour ecouter l'aede, quand, aux tables, Ie pain et les viandes abondent t:t qu'allant au cratere, l'echanson vient offrir et verser dans les coupes576 ". Avant meme qu'Ulysse dise son nom, il se pose la question du poete, du narrateur qui doit commencer son recit. "Ah! Par ou debuter? Par ou continuer? et

5750d. IX, vA : lOCOtiO' DID, OIi' eOlL, AwIo' evaALyxLo, aiJo,;v. 5760d. IX, v.5-10, tr. par V. Berard.

265


comment jusqu'au bOUlt te canter les souffrances, dont m'ont combIe les dieux, les habitants du ciel?577". Son identite est par consequent son histoire personnelle. Les souffrances qu'il a endurees constituent sa personne578 . Le recit de son histoire precede comme question celle du nom - au il en fait partie. Ulysse va maintenant annoncer son nom en ajoutant que son kleos arrive au ciel 579 et que son lieu d' origine est 5770d. IX, v. 14-15 : tL Jtg<lltOV, q( 0'> ÂŁmcta, t( 0' -uatat<<i toc> xUtaAE~W/ xTllic mel flOC "OAAa OOOUV 8E1,o( ovguvlwvE';, tr. par V. Berard.. 578S ur Ie nom d'Ulysse en tant que sujet autour duquel se tisse toute l'Odyssee, voir l'exceIIent ouvrage de J. Peradotto, Man in the Middle Voice: Name and Narration in the Odyssey, Princeton, N. Jersey, 1990. Dans Ie meme livre, on trouvera une analyse des diverses theories linguistiques (et philosophiques) sur Ie nom e:t son rapport avec la description; voir surtout pp. 94-99. Sur Ie sujet du nom d'Ulysse, voir aussi : J. Strauss Clay, The Wrath ofAthena: Gods and Men in the Odyssey, Princeton, N. Jersey, 1983, pp.5468. 5790d. IX, v. 19-20. J. Strauss Clay fait des remarques auxqueIIes il n'y a rien a ajouter : "The self-revelation of Odysseus forms the climax to Demodocus' songs which presented the victory of Odyssean metis. In announcing himself to A1cinoos and the Phaeacians, Odysseus lays claim to the highest kleos, based on the fame of his doloi. The fame of Demodocus' song already reaches heaven (8.74). To be complete, the triumph of Odysseus' metis must be celebrated in song; it must receive its due share of kleos, the fame by which song grants immortality to great accomplishments. Kleos, as Nagy points out, cannot exist outside the medium of its transmission: ' .... the usual translation of kleos 'fame' is inadequate: it merely designates the consequences rather than the full semantic range. The action of the gods and heroes gain fame through the medium of the Singer, and the Singer calls his medium kleos'- (G.Nagy, Comparative Studies in Greek and lndic Meter, Cambridge Mass., 1974, p. 250), J. Strauss Clay, op. cit., p. 107. G. Nagy dans The Best of the Achaeans, (Baltimore et Londres, 1979), se refere une fois de plus au kleos d'Ulysse; il est de l'avis que l'aMe rend a

266


Ithaque. Et puis il retourne

a son propos, a savoir son histoire.

Et la question de la narration surgissant de nouveau, iI decide d'y repondre par Ie recit d,e son retour580 • Pour Ie faire iI repete Ie trajet, cet itineraire qui Ie mena d'Ilion

a Ia

au

Pheacie

iI se trouve aujourd'hui. L'identite

d'Ulysse est donc Ie produit de son voyage; et Ie voyage constitue Ie cceur du poeme (ch. IX, X, XI, XII), sa partie centrale. II y a donc Ie protagoniste qui, pour dire qui iI est, raconte ses aventures identifiees traverse de nouveau

a un

long parcours. Ce parcours iI Ie

a I'aide de

sa memoire, c'est un parcours

fait en utiIisant la matie:re constituante de la memoire. Pour se souvenir de qui il est, Ulysse doit faire un parcours mnemonique. De meffile, Ie poete, pour etre poete, doit toujours se servir de sa memoire et donc ce qui assimile UIysse au poete ce n'est pas seulement Ie fait qu'il raconte, c'est qu'iI recite en parcourant, en refaisant un parcours de nature mnemonique, c'est que Ies deux s'insGrivent dans Ie domaine de Ia memoire. Dans I'Odyssee Ie poete se met lui-meme en scene en pleine activite, et il presente les differentes couches de cette activite meme; et Ie kleos du protagoniste c'est Ie double kleos du poeme et du parcours. Pour crf:er l' Odyssee, Ie poete a pu jouer avec les regles de son art; Ie poeme est Ie produit de ce jeu, intrinsequement lie, comme c'est Ie cas pour l'essence de cet art, Ulysse son kleos en assurant dans son chant I'auditoire que c'est lui qui a conquis Troie (pp. 40-41); en plus, Ie kleos d'Ulysse est, selon I'interpretation de Nagy, dil en grande partie a Penelope et a sa vengeance quand il tue les pretendants (pp. 36-39). 5800d. IX, v. 37: d o' ayE tOL xul v6atov EflDV ltOAvxiJOE' Evloltw.

267


a la memoire.

Par consequent Ie kleos qu'a proclame Ulysse au

debut de sa presentation aux Pheaciens, c'est Ie kleos de son pareours et de ses aventures, c'est Ie kleos du poete les racontant. Ulysse c'est son histoire, I'histoire (dans I'Odyssee) c'est son parcours; son parcours (et les aventures venant apres) appartiennent

a la memoire; et Ie poete qui les raconte, en jouant

avec les regles de son art a cree un personnage qui peut etre

a lui meme581 . Et nous voici done a la fin renoues a la question du nom.

identifie

Le

kleos d'Ulysse est lie ii son nom, car Ie recit de son parcours donne son essence. Kleos du heros dfi au poeme racontant ses aventures; poeme-parcolllfs pareil aux aventures dues au parcours du retour; souffrance du heros s'identifiant aux aventures du parcours et resonnant dans son nom-meme, racontees de nouveau

a la fin,

au moment du retour au fond de la demeure, dans Ie lit

conjugal, au moment OU il se retrouve lui-meme en retrouvant tout ce qui est

a lui: "Le rejeton des dieux, Ulysse, lui narrait les

chagrins qu'il avait causes aux ennemis, puis sa propre misere et toutes ses traverses"582. 581" .••• the

story of Odysseus., the Odyssey, offers an alternative: a new kind

of kleos founded precisely on Return and long life...The kleos of Odysseus...resides in endurance and survival and on the accomplishment of the Return through the aid of metis. ... This, at the very end of the poem, is the seal to the promise of kleos both for Odysseus and Penelope, whose fame will never perish; "and the gods themselves will make a pleasing song about them for mortals" (24.196-198). The Odyssey, the song of praise for Odysseus, fulfills that promise", J. Strauss Clay, op. cit., pp.l11-112.

5820d. XXIII, v. 306-308

: OU'UQ 0 OLOY£Vn<; ·OolJaa£u<;. oao xno£' Eenx£v

UvllQUlJtOLa' oao " OU'O<; OLs"Jao<; £!!Oyna',1 ",av,' D.£y',

268

tr. par V. Berard.. Et


Si Ie theme du parcours est central dans I' Odyssee et a la fois constitutif de la narration en general, en tant qu'inherent a la memoire, dans la plupart des poemes OU il est utilise, il concerne toujours la direction vers quelque chose, Ie mouvement vers un but. Si l'analogie entre chemin et chant existe vraiment, il s' agirait plutot d 'une analogie entre un chant et un chemin conduisant a une destination bien precise et importante. Autrement dit ce qui est interessant est Ie mouvement vers un but qui clot Ie recit et qui en meme temps correspond a un espace interieur. Dans I' ensemble de I' Odyssee la destination est I' arrivee d'Ulysse dans Ie lit conjugal. Ce qui est conte, c'est son cheminement jusqu'a la reappropriation de ce qui etait a lui, sa maison et sa femme. Ulysse y arrive, point par point, d'une faeon progressive: il atteint

tout d'abord, et c'est un des

moments les plus importants, son lle natale, Ithaque (premiere arrivee). Puis il rend visite a I'un de ses intendants, Ie porcher Eumee (deuxieme arrivee), il rencontre et reconnait son fils, il atteint Ie palais (troisieme et quatrieme arrivees). Apres Ie meurtre des pretendants la maison lui appartient de nouveau, mais il doit conquerir la confiance de Penelope, pour pouvoir enfin arriver au fond de la maison, au lit conjugal (arrivee finale).

on souligne Ie commentaire de J. Strauss Clay: "Troubles inflicted and troubles endured-these are the two-fold aspects of the hero. The name itself, Odysseus, embraces both and is profoundly ambiguous in its significance", p. 56,op. cit.

269


'A grande malS aussi a petite echelle, Ie poeme raconte I'arrivee jusqu'a un "fond": Ie lit est a Ia fois un fond metaphorique et un fond litteral. Litteral parce qu'il se trouve toujours

[.lUXWL OO[.lOU

U1jJnA.olo, a I' endroit Ie plus profond de la

demeure. Metaphorique car a chaque etape Ie lit, la couche et Ie sommeiI, representent l'activite humaine qui arrive apres tout, comme un aboutissement.

X 2. RECITS

583.

D'ARRIVEEs DE PETITES ETAPES

Mais revenons aux recits d'arrivees s'agissant des petites etapes. lIs appartiennent, pour la plupart, a cette categorie qu'on a nomme "type-scene" ou "narrative pattern", jugee intrinseque a la technique narrative d'Homere. Le concept fut elabore d'abord par W. Arend 584 , qUI a rassemble et analyse les "scenes-typiques" en presentant un autre aspect de la poesie oralie. Dans certains cas on a aussi utilise Ie terme "theme". Dans son article "Type scenes and Homeric hospitality", M. W. Edwards 585 presente les differentes definitions de cette technique proposees par les savants : selon Gunn, qui suit Lord, Ie '''theme'' c'est la description d'une activite simple ayant une structure reguliere, comme cel1e de 583Voir O. Taplin, Homeric Soundings: The Shaping of the Iliad, Oxford, 1992, p.82. 584W. Arend, Die typische S;~enen bei Homer (Problemata 7, Berlin 1933). 585M. W. Edwards, "Type-scenes and Homeric hospitality", pp.51-72, TAPA 105 (1975). C'est l'etude la plus complete sur Ie sujet qui nous interesse, celui de scenes d'arrivee et d'hebe:rgement.

270


s'embarquer sur un vaisseau, de preparer ou manger un repas, de recevoir un hote, etc586 . Lord utilise aussi un autre terme qui

a un champ plus etendu : il s'agit du pattern (modele) Le mot "theme" pouvant se referer a un contexte

appartient narratif.

beaucoup plus abstrait, oilla repetition verbale et les formules ne sont pas utilisees, M. W. Edwards lui prefere l'expression "typescene" (que nous traduisons par "scene-typique")587. Comme Ie remarque tres justement O. Taplin, "plus qu'une simple aide mnemonique, c'est plut6t un cadre poetique qui est fourni par ces scenes typiques, prises dans leurs sequences, cadre dans lequel des ressemblances et des differences se signalent. D'ailleurs ces 5861bid. p.5l. 587Une bibliographie assez e:tendue existe sur Ie sujet. Voir surtout, a cote de l'ouvrage d' Arend et sa recension, plutot negative, par M. Parry in CP 31 (1936), pp. 357-360, D. Lohmann, Die Komposition der Reden in der Ilias, Berlin, 1970; T. Krischer., Formale Konventionen der homerischen Epik (2etemata, 51) Munich, 1971; B. Fenik, Typical Battle Scenes in the Iliad (Hermes Einzelschr. 21), Wiiesbaden 1968, et Studies in the Odyssey (Hermes Einzelschr. 30), Wiesbaden, 1974; O. Tsagarakis, Form and Content in Homer (Hermes Einzelschr. 48) Wiesbaden, 1982; B. Powell, Composition by Theme in the Odyssey, Meisenheim, 1977; H. Patzer, Dichterische Kunst und poetisches Handwerk in homerischen Epos (SB Frankfurter Akad. 1971.1) Wiesbaden, 1972; H. Bannert, Formen des Wiederholens bei Homer (W. St. Beiheft 13), Vienllle,1988; M.W.Edwards, la section "Theme" in Homer in Greece and Rome; New Surveys n03, Oxford, 1969; W. F. Hansen, The Conference Sequence (University of California Classical Studies 8), Berkeley 1972; M. N. Nagl~~r Spontaneity and Tradition: a Study in Oral Art of Homer, Berkeley 1974; O. Taplin, Homeric Soundings: The Shaping of the Iliad, Oxford, 1992, pp.75-82 et les articles de J. Russo in Arion 7 (1968) pp. 275-295; W. C. Scott in TAPA 102 (1971) pp. 541-551 et J. Peradotto in Texas Studies in Lit. et Lang. 15 (1974) pp.803-32, mentionnes dans l'article de M.W. Edwards. 271


scenes periodiques racontent tres souvent des procedures sociales ou "rituels" oil une observation propre de la norme -ou, un eloignement de celle-lcl.-, portent un sens anthropologique 588 ". Les scenes d'arrivee: entrent dans cette categorie des scenes typiques. Selon Arend il y a trois formes de scenes-typiques d'arrivee : a) la forme simple, oil un personnage arrIve trouve la personne qu'il cherche, se tient

a destination,

a son cote et parle;

b) la scene typique du messager; c) la scene typique: de la visite, qui developpe la derniere partie de la scene-typique d'arrivee et suivie de la description de la reception du visiteur par son hate avant que ne commence la conversation propremeJllt dite 589 • C'est la troisieme forme, celle de la visite qui nous interessera surtout. La structure des recits des "petites arrivees", appartenant

a des

sous-parties du poeme, repete

a l'interieur

la grande

"scene" (non typique) que constitue l'ensemble du poeme, l'arrivee "au fond" qu'il retrace. Et cela vaut meme pour les scenes d'arrivee les plus simples. Il s'agit toujours d'une introduction, d'un mouvement vers l'interieur, comme celui qui conduit Ie visiteur d'un sanctuaire, marchant sur la "voie sacree" et venant de l'exterieur,

a cet espace delimite qu'est Ie temenos,

et oil Ie fond est represe:nte par l'autel ou par Ie temple. Taplin, op. cit., p. 75. 589W. Arend, op. cit. pp.28 ss, 54ss et 34ss. Les scenes-typiques de la visite sont reprises et commentees exhaustivement, avec des exemples de derivement 588 0.

de la regIe, par M. W. Edwards, op. cit., pp. 62 ss. Voir aussi Lohmann, op.

cit., pp. 227-231.

272


Dans Ie chant I, quand Pallas Athena vient Telemaque, elle se tient

a

a la

rencontre de

I'entree de la cour590 et c'est

Telemaque qui la fait penetrer dans la haute demeure 591 . Le meme jour, Telemaque assiste au repas des pretendants et ecoute Athena, qui sous les traits de Mentes, I'incite et

a se rendre a Pylos

a Sparte et a temr un conseil au sujet des pretendants. Quand Ie

soir tombe, il va se coucher dans sa chambre qui donne sur la cour, il fait donc encore Ie mouvement d'entrer592 . II vise les profondeurs de la maison, car il va vers l'endroit OU a lieu son sommeil nocturne: la fin du jour scelle I'atteinte, metaphorique et litterale, d'un fond. Car Ie lit est cette nuit pour Telemaque Ie lieudu recueillement k plus absolu; dans l'obscurite, couvert de la laine la plus fine, il va penser au voyage, aux espaces qui s'ouvriront

a lui

Ie lendemain, quand la lumiere regnera de

nouveau593 . Sa traversee est constamment decrite comme un trajectoire : meme au depart, quand Telemaque commence son voyage, c'est I'arrivee qui compte. Le fait qu'Athena, au moment meme que Telemaque et ses compagnons s'asseoient sur leurs banes, leur envoie la brise, "un droit Zephyr chantant sur les vagues vineuses"594, doit etre compris en ee sens. Cette traversee

t,-"

aiJ).dov.

mOd. I, v. 126 : ui Ii"(h<

o~ '''Evtuul1<v Euav OOlIDU iJ'l1llAOtO.

mOd. I, v. 425-427 : Tll).EllUXO, 0', Ml ot A6.>.UIlO' It<!?lxuHEO, uuUi, 'lnVlIAO, OEO!!~tO

ltEQloxffitt,ll Evi XWQ(o/ EVA' Ef\~ d, EiJ~V lto)J.a 'PQEOi !!EQIl~Ql~IOV.

mOd. I, v. 443-444 : 'EvA' 'PQEOi

~OlV

Mav niv ltE'PQaO'

I)

yE ltUVVUXLO, ,,,-xU).U!!!!EVO, oto, auJtt;J/ flO'UA'UE

'AO~v~,

s940d. II, v. 419-420 : i'iv liE xui u'utol I)('tvt', ffii XAlitOl lx","vuv uO(JOv tH yAauxwm, 'Al1li~, tr.

par V. Berard.

273

XUAl~OV./

tolalV 0'


est suivie par I'arrivee de Telemaque

a Pylos

que no us avans

analysee plus haut595 . Le lendemain de cette arrivee Telemaque se met en route vers Sparte avec les fils de Nestor. La nuit ils arrivent

a Pheres, oil Ie

roi Diocles leur offre I'hospitalit6 596 . Le surlendemain ils achevent leur route enarrivant

a Lacedemone Ie soir, quand "Ie

solei! se couchait et que I' ombre emplissait toutes les rues "597. 11 y a donc un deuxierne recit de voyage et une deuxieme destination: deux jours de traversee, et

a I'oree de la deuxieme

a I'inte:rieur d'une nouvelle clOture, Ie palais de a Sparte 598 . n n'est pas sans importance que Ie

nuit, on penetre Menelas

mouvement d'entree de Telemaque qui se deroule dans Ie temps (on passe de la lumiere du jour a l'obscurite de la nuit) et qui est indissociable des soins du corps qui preparent au repos (Ie bain, Ie repas) represente non seulement un passage de I'activite et du rnouvement au repos et

a

l'immobilite, mais encore un

deplacement oil Ie contact humain s'intensifie et devient plus profond; car deux hommes qui etaient etrangers au debut deviennent amis

a la

fin, reunis par les liens de l'hospitalite,

scelles plus tard par les cadeaux qui en assurent la memoire. C'est de l'ensemble dll corps et de I'ame de Telemaque qu'il s'agit; Ie d6placement va toujours vers I'interieur, vers Ie fond qui est Ie repos, la tranquillite et Ie recueillement. 595Dans Ie chapitre sur la pmeataxe et I' epopee homenque, pp. 5960d. III, v. 490. 5970d. IV, v. 497, tr. par V. Berard. 598L'arrivee de Telemaque a Sparte a ete aussi analysee dans Ie chapitre sur Ia parataxe et I' epopee homenque. Voir supra, pp. 274


Le retour de Telt~maque

a Ithaque,

a comme toujours Ie

caractere d'un mouvement vers une destination. Et c'est ainsi qu'un retour n'est pas tellement pense en termes de rentree; ce sont les memes expressions qui servent

a decrire

ce nouveau

voyage maritime 599 . C'est encore Ie recit de I'entree qui importe, lorsqu'Ulysse s'introduit au palais d'Alkinoos et lorsqu'il est heberge avec ses compagnons sur l'ile de Circe. Apres que Circe, transgressant les lois de l'hospitalite, eut transforme en porcs 600 les compagnons d'Ulysse, ce demier parvient, avec Ie secours d'Hermes,

5990d.

xv,

v.

a

292-294 : to,mv 0' 'X/LEVOV ougov tEL yAUUXWln, 'A8Tivn/

A6.~gov ÂŁrrmyltovtu OL' uLBE,go"

o<pgu tCtXLOta vnu, avuam BEouau BUACtOan,

aA/LugOv ijOOlg.

Il faut noter ici !'emploi du mot 'XI'ÂŁVOV, ayant la meme racine que Ie verbe LXVEoIJ.UL signifiant arriver a; atteindre. OODLes lois de l'hospitalite, sont tant6t renverses par les h6tes, s'ils sont des etres sauvages comme les Lotophages, les Lestrygons, Ie Cyclope, tant6t par les compagnons d'Ulysse quand ils transgressent les lois en mangeant les vaches du Soleil, pendant tout Ie voyage qui mene illysse de !'Ilion a Ithaque; et ce voyage apparait tout a fait different de celui qui est fait par son fils, qui est partout accueilli d'une maniere tres chaleureuse et qui est l'objet de toutes sortes de politesse et de confort. Par contre illysse est bien accueilli seulement au pays de Pheacie, I'ultime etape avant Ithaque, ce pays ideal d'ou il est meme accompagne, comble de cadeaux , jusqu'a chez-lui. G. Aurellio Privitera, op. cit., divise les aventures d'Ulysse en deux categories: la premiere, constituee des voyages impairs (I, II" V, VII, IX) est celie ou Ulysse rencontre des creatures hostiles et la seconde, constituee des voyages pairs (II, IV, VI, VIII, IX) est celie ou il renconbre des creatures hospitalieres. Neanmoins, cette categorisation nous semble un peu generale, puisque dans la seconde categorie Ie caractere hospitalier de certaines creatures (comme les Sirenes ou Circe) est nuance par des aspects negatifs (p. ex. la mort qui menace ceux qui ecoutent Ie chant des Sirenes).

275


resister aux sorcelleries de la maglclenne. Apres quoi, Circe, reconnaissant Ulysse en son hote, Ie combIe de bienfaits. II semble que la "scene typique" de visite qui s'ensuit ne soit pas tout ii fait conforme aux autres

601

du meme genre.

Deux descriptions d'arrivee semblent encore tres importantes: celle du voyage d'Ulysse vers I'Hades et celle du voyage d'Ulysse de la demeure de Circe ii I'lle ou paturent les vaches du Solei!. II faut d'abord remarquer que ces deux voyages se font en sens inverse: Ie premier qui atteint la passe et les courants profonds de I'Ocean602 est un voyage vers I' obscurite, vers un espace couvert de nuees et de brumes que les rayons du Soleil ne percent jamais 603 .Le second a comme but I'lle Thrinakie ou paissent les vaches du Solei!, et qui est donc un espace qui appartient au dieu de la lumiere. Sur cette lle, en outre, les gardiennes des brebis et des vaches, sont deux nymphes, filles du Soleil, et dont les noms, Phaethousa et Lampetie, rappelent aussi la splendeur et la lumiere. Mais ces deux destinations ne sont pas en elles-memes des buts; elles representent plutOt des lieux que Ie voyageur doit fuir apres avoir accompli la mission qui I'y mene. II s'agit donc de points d'arrivee qui ne constituent pas un fond

601P.ex. la description de la preparation du repas precede celie du bain du heros, la quatrieme servante est presentee chauffant l'eau pour Ie bain d'Ulysse, chose qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Sur ce sujet, voir M. W. Edwards, op. cit., pp. 67-69. 6020d. XI, v.13 : n C' E; m:lQ<lB', ixav£ 0a8uQQo01J 'Qxwvoio. 6030d. XI, v. 14-16 : Ev8a CE KLf'f'£gtwv avcQ<ilv Ciif'o; tt ltOAL; ttl nEgL xat v£epEAu

x£xaAuf'f'EvoL.

DuM ltOl'

aUlou;!

aX1LVEOOLV.

276

'HEALD; epaE8wv

XataCEQx£taL


mais une escale plus importante. Le voyage vers Hades permet de s'informer du passe des personnages, de savoir quels sont ceux qui ont peri pendant I'absence du heros; les informations recueillies pendant ce voyage servent done de la memoire,

a combler les lacunes

a creer une sorte de fond mnemonique auquel se

referer. L'autre voyage par contre, n'est qu'une serie d'epreuves, dont la plus grande adviendra sur l'lle des vaches du Solei!. Et cette epreuve: aura des consequences negatives sur les protagonistes, puisque la faim poussera les compagnons d'Ulysse

a desobeir a ses

instructions

a la suite de quoi ils

periront tous.

Ces arrivees rituelles de I' Odyssee ne sont pas Ie seul cas dans la litterature grecque, OU la notion d'entree dans / ou d'arrivee

a/

joue un role important. II y a plusieurs autres cas ou Ie chemin se definit surtout par son aspect de trajet vers : I'aspect important du chemin c'est Ie mouvement vers une destination. Le poeme de Parmenide (et plus specialement son proeme) est tres significatif a cet egard.

277


XI. Le prooimion de Parmenide XI 1.

Le proeme de arrivee

RESSEMBLANCES AVEC LA POESIE EPIQUE

Pamlt~nide

decrit litteralement un trajet, une

a un but: les jeunes filles du SoleiI guident Parmenide qui

voyage sur son char en empruntant la fameuse route qui mene aux portes des chemins de la Nuit et du Jour. Elles persuadent Dike avec de douces paroles d'ouvrir Ie verrou qui commande Ie pene de la porte. Ainsi Ie char conduit par les korai passe

a

travers pour suivre la grand route. Apres etre entre, Parmenide rencontre une deesse qui Ie recoit en lui annoncant qu'il va maintenant tout savoir, la verite et la doxa des mortels. Mais voila Ie texte dont il est question: "Les cavales qui me portent, aussi loin que mon cceur peut acceder, m'ernmenaient, apres rn'avoir engage dans Ie chemin abondant en paroles (aMv Jto":UQJ11llov) de la divinite, qui porte sur toute sa longueur I'homme qui saito En ce chemin je me portais, car c' est en lui que de tres habiles cavales m'emportaient, tirant mon char puissamment, tandis que les jeunes filles montraient Ie chemin (xougaL 6' 6Mv TrtÂŁllovÂŁuov). L'essieu dans les ecrous des moyeux emettait un

cri de fliiteen s'enflammant (car deux roues tourbillonnantes Ie pressaient de chaque cote), quand, laissant derriere elles les demeures de Jla Nuit, les jeunes filles se hataient de

278


conduire a la

lumii~re,

ecartant de leurs tetes des voiles avec

leurs mains. La sont les portes des voies de Nuit et du Jour, qu'une poutre et un seuil de pierre A<iLYO~ ouM~)

(iJJtEQ!hJQOY ul1qJl~

ExH

xal

enC21strent tout autour. Elevees dans l'Ether,

elles s'emplissent par d'immenses battants. C'est Dike aux multiples rigueurs qui en detient les des qui ouvrent tour a tour. La seduisant aussit6t par d'apaisantes paroles, les jeunes filles

(xo'DQm)

la persuaderent habilement de vite

ecarter des portes leur verrou cheville. En s' envolant, celles-ci produisirent un espace beant entre les battants dont les pentures pleine:s d'airain pivoterent, l'une apres l'autre, dans les ecrous des gonds equipes de chevilles et d'agrafes.. Par la, a travers les partes, tout droit, les jeunes filles guidaient Ie char et les cavales sur I'accessible chemin (n) ga Ill' aU,EUlY WU~ EXOY xo'DQm xat' Ul1ru;noy aQl1a xal tJtJtou~).

Et moi, une deesse bienveillante m'accueillit, prit rna main droite dans sa main, et dit les mots suivants en s'adressant a moi : 6 jeune homme (m

x01)Q' ),

uni par la jeunesse a

d'immortels cochers, que des cavales te portent jusqu'a notre demeure, rejouis-toi, puisqu'aucun destin funeste ne te mandait a emprunter ce chemin JtQOUJtfl1Jtf YEw8m ,ny/)' aMy)

(oun

Of

110LQa

xaxi]

(qui est en effet en ecart du

sentier battu des hommes), mais Ie droit et la justice. Tu dois t'enquerir die toutes choses, d'une part, du creur inflexible d' Aletheia bien-arrondie, d 'autre part, des

279


considerations des mortels, en lesquelles il n'y a pas de creance vraie. "604

On ne peut pas s'empecher de faire ici une comparaison du poeme de Parmenide avec Ie passage de I' Odyssee oil, en Pheacie, Ulysse est conduit au palais d' Alkinoos par Nausicaa, puis par Athena: 1) Les filles du Soleil menent Parmenide - deux korai menent

Ulysse au palais; l'une d'elles est aussi une deesse, Athena. 2)Les guides de Parmenide decouvrent leur visage en ecartant de leurs mains les voiles (v.lO : XOAUltl:QOÂŁ); Athena au contraire garde son visage cache (Od. VII, v.20 : XUAltLV fXOVOTj). Parmenide par consequent connait la nature divine de ses guides tandis qu'Ulysse ne peut pas la soupc;onner. 3) Parmenide arrive finalement devant les pylai : leur seuil et leur linteau sont de pieITe, elles s' elevent dans les airs et ferment par de puissants battants dont les verrous sont gardes par Dike. En Pheacie Ie seuil est de bronze, Ie linteau d 'argent, les montants d'argent, Ie corbeau d'or, les battants d'or sont ouverts (puisqu'Ulysse peut cOlltempler du seuill'interieur de la salle) et la maison est gardee pair des chiens d'or et d'argent. 4) Et qu'est-ce qu'il y a de I'autre cote de la porte? Pour Parmenide les portes sont plutot un obstacle qu'il doit franchir<'s 604L.

Couloubaritsis, Mythe et philosophie chez Pamll?nide, Bruxelles, 1986.

Je cite ici sa traduction, en apportant certains changements. 605 Voir I'analyse de cette partie du poeme dans: G.S. Kirk-J.E. Raven-M. Schofield, The Presocratic Philosophers: A Critical History with a Selection of Texts, Cambridge, 1983 ; Trad.grecque, Athenes 1988, p.250-25I.

280


•

afin de pouvoir continuer sur la route des paroles. La, il va rencontrer la deesse. Ulysse, de son cote, trouve les portes ouvertes et enjambe Ie seuil sans difficulte entre

a I' interieur du

palais ou Ie bronze et I.email bleu font resplendir la salle avec I'eclat du soleil et de la lune; pendant la nuit les kouroi d'or I'eclairent, torche en mains. 5) Finalement nous soulignons que Ie poete est lui-meme un kouros (selon les paroles de la deesse, v.24) et il avance sur son

char traine par des chevaux, tandis qu'Ulysse marche

a pied

derriere Ie char tire par des mulets ou Nausicaa se trouve. Sur les ressemblances entre Ie texte homerique et celui de Parmenide, on a beaucoup ecrit; il y a toute une serie d'interpretes qui considerent l'reuvre de Parmenide en tant que I'echo de traditions plus anciennes en passant par les Orphiques et la Theogonie d'Hesiode. Un examen exhaustif de ces theories a ete

recemment fait par L. Couloubaritsis 606 . Ce sont

essentiellement E. A. Havelock, A. P. D. Mourelatos et J. Tzavaras, qui ont effectue les rapprochements les plus interessants607 . Tandis que ce dernier parle des similitudes avec I'Odyssee d'une maniere exhaustive mais plutot dispersee, sans

essayer de former un systeme, E. A. Havelock arrive

a la

conclusion plus generaIe que Parmenide 606L. Couloubaritsis, op. cit. Voir surtout Ie chapitre 1,1 : "Entre Ie reaJisme et la fiction", pp. 76-129. 607E. A. Havelock, "Parmenides and Odysseus", Harvard Studies ofClassical Philology. 63, 1958, pp. 133-143; A. P. D. Mourelatos, The Route of Parmenides, New Haven et Londres, 1970, pp. Iss; J. Tzavaras, Le poeme de Parmenide, Athenes, 1980, pp. 91 ss (en grec).

281


"a compose un poeme philosophique en grande partie dans I'etat d'esprit d'Ulysse faisant route vers Hades et passant par les Planctes et Skylla et Charybde pour arriver

a

l'lle de Thrinacie. ... Les deux voyages, celui du heros et celui du philosophe obeissent

a des directives surnaturelles.

... Le premier plan de I'imagination de Parmenide est occupe par Circe et par les nymphes de Thrinacie, les unes et les autres filles du Solei!. "608 Les hypotheses anterieures liees, elles aussi,

a des

a celle de

E. A. Havelock, sont

assimilations du meme type. Diels, par

exemple, a trouve chez Parmenide Ie reflet d'un modele orphique et a aussi parle du voyage de Telemaque en tant que prototype du voyage parmenideen609 . Kranz, de son cote, trouve des ressemblances avec I'histoire de Phaethon, en pensant que Parmenide suit Ie chemin quotidien du Soleil mais en sens inverse 610 • On voit done que pour les interpretes, plusieurs points du proeme posent des problemes se rapportant aux lieux de depart,

a la destination et a la direction (anodos ou kathodos)

du voyage. Pour notre part, nous pensons qu'une interpretation de type cosmologique, synonyme de la localisation des points de depart et d'arrivee est presque impossible, d'autant plus que les

A. Havelock, op. cit., p. 138; pp. 139-140; p. 140. 609H. Diels, Parmenides Lehrgedicht, Berlin, 1897, pp. 12-21, mais aussi E. A. Havelock, op. cit., p. 134 et n036 et L. Couloubaritsis, op. cit., p. 77-80. 61OW. Kranz, "Veber Aufbau und Bedeutung des Parmenideischen Gedichte~, 608E

Sitzungsberichte der Koeniglich preussischen Akademie der Wissenschaften 47 , 1916, pp. 1158-1176; E. A. Havelock, op. cit., pp. 134-135; L. Couloubaritsis, op. cit. , pp. 86-88.

282


expressIOns utilisees par Parmenide sont enigmatiques et contradictoires et que Ies donnees que nous possedons ne peuvent les elucider davantage611 • Neanmoins il n'empeche que Parmenide s'est vraiment servi dans Ie proeme de formules connues, empruntees a Hesiode et a Homere, se referant ainsi a un contexte coneret de representations du monde. Selon M. Detienne, Parmenide "recourt au vocabulaire religieux des sectes et des confreries. ... Par son contexte religieux, par sa configuration, l'ALetheia de Parmenide s'inscrit sous Ia ligne d 'une tradition qui, par dela Epimenide et Ie mouvement des sectes, remonte jusqu'a Hesiode et a Ia pensee religieuse dont il est Ie temoin Ie plus autorise. "612

aussi L. Couloubaritsis, op. cit., pp.87-88. L'anodos est soutenue par O. Gigon, Der Usprung der griechischen Philosophie. Von Hesiod bis Parmenides, Bille, 1968, tandis que W. Burkert dans son "Dans Pr06moiom des Parmenides und die Katabasis des Pythagoras Phronesis 14, 1969, pp. 1-30, partant de theses soutenues par J. S. Morrison, "Parmenides and Er JHS, 1955, pp. 59-68, va plutot vers une interpretation d'un voyage fait en sens inverse: pour lui, il s'agit d'une katabasis et la deesse revelatrice c'est la Nuit. Quant a J. Mansfeld, (Die Offenbarung des Parmenides und die menschliche Welt, Assen, 1964), de meme que M. E. Pellikaan-Engel, 611 Voir

H

,

H

,

(Hesiod and Parmenides. A new view on their cosmologies and on Parmenides Proem, Amsterdam, 1978), ils sont aussi pour un trajet se dirigeant vers l'obscurite et la nuit, se fondant, Ie premier sur une association d'Hesiode et d'un texte d'Homere et Ie second sur Hesiode en principe. 612M. Detienne, Les rna/tres de verite dans la Grece archal"que, Paris, 1990 (1967), p.l38 et p.l39.

283


Mais Pannenide se situe aux limites entre la tradition des sectes philosophico-religieuses et la rationnalite ouverte par Ie nouveau contexte social, et pour lui, I' opposition absolue entre Lethe, Apate et Aletheia est remplacee par une problematique sur I,Etre et Ie Non-Etre 613 . En revanche, L. Couloubaritsis pense que Ie proeme montre "un eloignement par rapport

a la

culture dominante

(par Ie rejet des Muses et de ce qu'elles impliquent) et en meme temps une adhesion au moins relative (par I'usage de figures tout aussi respectees)614". Couloubaritsis, sui vant N. -L. Cordero 615 , considere Ie chemin comme la structure narrative de type mythique qui soustend toute la pensee philosophique de Pannenide. Nous sommes d'accord avec ses concllusions generales, concernant I'utilisation

6l3Ibid, pp. 141-143 "'VeI1te' prononcee par un type d'homme qui par plusieurs traits se rattache <Ilia lignee des "Maftres de verite", I' Aletheia de Parmenide, est aussi la premiere 'verite' grecque as' ouvrir a la confrontation de caractere rationnel".

614Ibid., p. 133. 615"Verite et opinion prennent la forme de deux chemins (fr. 2), mais la presentation rigoureuse des deux possibilites, ainsi que I'impasse a laquelle aboutit l'une d'entre e1les <Ia seconde, a cause de l'obscurite qui la rend inaccessible> montrent qu'i1 ne reste qu'un chemin.... Le contenu du poeme determine ... la forme que Parmenide a choisie pour presenter sa pensee: Ie parcours d'un chemin.... Parmenide propose l'emp1oi d'une 'methode'.": N. L. Cordero, EPHE, Annuaire: resume des conferences et travaux, t. XCIX,

1990-1991, pp. 269-272, p. 270.

284


du theme du chemin616 , mais nous ne partageons pas son point de vue sur la question des Muses et de la tradition. Dans son article "Studies in Parmenides"617 H. Frankel etablit un autre parallele du poeme de Parmenide : ce sont les vers 2227 de la VIe Olympique de Pindare. II s'agit encore une fois

d'une allegorie qui est fondee sur la notion de la voie, mais cette fois c'est la voie du chant. lei Ie poete veut atteler ses mulets pour qu'ils I'amenent au genos des hommes en marchant sur Ie chemin clair

([:laOO~Ev

ÂŁv

XEA.EU6\J.l

Les mulets

xu6ug g.).

connaissent Ie chemin ou ils doivent Ie conduire (aMv nYE~ovEi:Jom

tuutUV ÂŁrrlotuvtm); mais on doit d'abord leur ouvrir

les portes des chants (mJAUC;

iJ~vwv).

L'analogie dans I'utilisation

des expressions est impressionnante; mais ici les

X6QClL

(jeunes

filles) du Solei! sont remplacees par des mulets. Toutefois il y a une evolution de I'utilisation metaphorique de l'image : celle-ci devient apparente si on prend l'exemple de l'expression "rruAuc; iJ~vwv".

On constate une avancee de I' expression poetique : en

utilisant les memes materiaux (chemin-porte) elle passe de la

616Dont voici les plus essentielles : "Le proeme ne presente aucune structure cosmologique ; il met plut6t e:n ceuvre un mythe de I'ongine et de la genese du savoir dont Ie contenu narratif anticipe les donnees ultimes de ce savoir, celles

•

auxquelles les chemins du savoir conduiront .....Ie point du depart du chemin contient deja en lui Ie but, la destination. (L. Couloubaritsis, op. cit., p. 358) . .... Bref, l'Eleate, parce qu'il situe Ie scheme dans l'ordre du savoir .... se voit contraint de subordonner en quelque sorte a ce scheme (du chemin) tous les autres modes d'approches, comme les deux 'formes' ou les schemes de parente." (Ibid. p. 366). 617 H. Frankel, 'Studies in Parmenides', in Studies in Presocratic Philosophy, ed. R. E. Allen et D. J. Furley, London, 1975, tom.II, p. 1-47.

285


simple description fictive (Homere),

a I' allegorie (Parmenide) et

puis par Ia a I'image mhaphorique immediate (Pindare).

XI 2.

LE PROEME

Parmenide est en quete du savoir. C'est un philosophe, mais son reuvre est en vers, il est donc aussi poete. En tant que poete il se sert de la parole rythmee, mais egalement de toutes les ressources de l'art, et cela d'une facon codee que seuls Ies autres poetes sont en mesure de reconnaitre. Dans Ie proeme, Pannenide decrit un voyage; theme commun, comme I' on a deja sOIUIigne, des poetes, en commencant par Homere et en passant par Hesiode et Pindare. Pour etre plus precis: dans Ie proeme, Parmenide est en train de decrire une arrivee. En fait, Ie trajet qu'il emprunte conduit a des portes, bien fermees, qu'on est oblige d'ouvrir avec des des. Mais cette arrivee, cette entree pareille

a celle

ou Ulysse arrive au palais

d'Alkinoos, n'est pas seulement une arrivee en un lieu, elle est combinee avec la rencontre de la Deesse618 • Parmenide arrive, rencontre la deesse et est accueilli par elle. L'accueil de Parmenide par la deesse s' exprime en gestes et en paroles. II

618Ce theme de l'arrivee d'ull mortel

a une divinite est tres frequent dans les

plaques votives, comme Ie souligne E. Simon: "Thus most classical and Hellenistic votive reliefs show the worshippers arriving and the gods awaiting for them", (E. Simon, Festivals of the Athenians. An Archeological

Commentary, London, 1983, pp. 70-72).

286


s'agit done d'une arrivee a un but. Pannenide par consequent fait dans son proeme la description de son arrivee, de son voyage jusqu'a la Deesse qui va lui reveler a la fois I' Aletheia et les considerations des mOItels. Que Ie voyage de Pannenide est vu comme un mouvement qui va vers un but est accentue par l'utilisation du mot

6oo~

qu'on rencontre trois fois (v. 2, v. 5, v.

27) dans Ie proeme. En fait, "Ie terme couvre un plus large champ semantique que

ldA.ÂŁtJeo~,

il signifie Ie chemin, la direction

qui vous mene au but"619. Ce voyage est decrit en deux temps: dans Ie present et dans Ie passe. Le present est ,exprime seulement au premier vers du proeme, ou il est dit que "Ies cavales Ie portent loin que son creur peut acceder (6aov c' EJtl

(qJEQOOUOlV)

aussi

ew6~ Lx(h"EL)".

Ce

temps present se change en passe des Ie deuxieme vers, ou on rencontre pour la premiere fois la notion (ou image) de la rue

(hodon); et la il s'agit de la rue "abondante en paroles de la divinite" (hodon poluphemon daimonos). Pourquoi done ce brusque changement de temps, et cela en relation avec Ie chemin des paroles? Dans Ie vers suivant, Parmenide fait apparaitre I'autre caractere essentiel de ce chemin: c'est celui "qui porte dans toute sa longueur !'homme qui sait"620. Par consequent, les cavales qui portent Parmenide, Ie font sur Ie chemin des paroles, et c'est un chemin qui est foule dans toute sa longueur par 619p .

Ch ant:raJ.ne, . D ' op. Cit., . S. v. 000<;; . ct.i et.,

. VOlT

. aUSSl,. 0 . Beck er, op. Cit.,

pp. 15-22 et p. 46.

62Oy. : ~

"Uta

mivm

tU<tJt1"j> <PEQEL

doom <p6>tu. J'utilise ici Ie texte etabli par

N. Cordero, dont se sert aussi L. Couloubaritsis, et que je trouve moi-aussi plus coherent au niveau des significations que la solution adoptee par Diels.

287


l'homme qui connait. Mais, cet homme-la, si on tient compte des donnees de l'epoque, c'est Ie poete, celui qui etait "maitre de verite". Parmenide est un po Me en quete du savoir philosophique. Pour quelqu'un qui a appris ce qu'est la "voie de la poesie", Ie voyage peut se repeter plusieurs fois: et c'est Ie cas de Parmenide recitant son poeme. Au moment de livrer en personne devant ses auditeurs Ie contenu de sa poesie (qui s'identifie a sa pensee philosophique), il se remet en route; en recitant il parcourt a nouveau ce chemin abondant en paroles, OU il a rencontre la deesse lui revelant la verite "toute ronde". Et ce parcours se repete a chaque recitation: voila pourquoi Ie poete s'exprime d'abord au present et puis au passe, pour une action qui est la meme : elle a eu lieu au passe, mais elle se reactive a chaque recitation de ce:s vers, a chaque repetition de la recherche de la verite Parmenide voyage en char6 21 ; Ie mouvement de ce char est double. II y a d'abord celui des chevaux, qui utilisent leurs pattes et marchent

(jJJj(7av,

v. 2) et OU on se trouve en face de cette

categorie de mouvement compose de petites unites distinctes qui sont les /itf/iara, les enjambees separees, les pas en serie. Et puis, il y a la seconde sorte de mouvement, celie des roues du char. Parmenide donne plus de valeur a cette derniere, peut-etre parce qu'elle depasse les possibilites physiques de l'homme, qu'elle 621 Le

char de Parmenide rappelle a la fois Ie "char des Muses" de Pindare (P.

X, 65) et les poetes vediques qui selon M. Durante, "attellent la formule poetique" (X, 13, I) ou directement "Ies metres" (X, 114,9) : M. Durante,

Sulfa preistoria della tradizione poetica greca, II: Risuftanze della comparatione indoeuropea, op. cit., p. 133.

288


combine Ie cercle et la ligne droite, et qu'en outre elle connote la continuite. Parmenide c1ecrit donc les deux roues tournant autour de leur axe (l'essieu) fixe par des ecrous. Mais il y a plus: la force

necessaire aI' a vancement des

1'echauffement de 1'e:ssieu (i'i:;wv

roues

aW6~£vo<;),

provoque

la production

d'etincelles, de lumiere, de nouveau introduite (et renforcee) au vers suivant avec l'image des Heliades, filles du Soleil (v.9: 'HA.LaD£<; xougm)622. L'image des jeunes filles qui guident (si connue a travers Homere, surtout par l' Odyssee) est apparue dans Ie proeme dans Ie v. 5, juste apres la premiere phrase du poeme; la aussi est introduite l'idee de la combinaison du mouvement des roues ell de celui des cavales : la marche y a aussi sa place a cause de la presence des jeunes filles (kourai) qui guident (6Mv

l1Y£~6v£1)OV).

chemin je me portais (tf]L

La (v. 4-5) il est dit que: "en ce qJ£g6~nv)

car c'est en lui que de tres

habiles cavales m'emportaient (tf]L yag LJtJtOL) tirant mon char puissamment

(iiQ~a

JtoA.uqJQaaTOL qJ£Qov

tLwlvouam)".

On voit donc les chevaux galopant et tirant Ie char (dont est decrit ensuite, comme on l'a deja vu, Ie mouvement circulaire et 622Et donc je ne suis pas tout a fait d'accord avec la conclusion de L. Ballew, qui, dans son article "Straight and circular in Parmenides and the Timaeus", Phronesis XIX, 1974, pp.189-209, ecrit : "Dans Ie poeme de Parmenide ainsi

que dans Ie Timee, la cosmologie et l'epistemologie sont traitees d'une fac;on scMmatique, c' est-a-dire en termes de formes. Les notions de ligne droite et de ligne circulaire sont appliqut:es et a 1'univers et aux connaissances humaines Ie concernant. .... L'analyse de la langue et des images montre que dans les deux ceuvres 1,Etre, spMrique, est saisi par une intelligence dont Ie mouvement est circulaire, tandis que les apparences tracent des lignes droites et sont perc;ues par les sens dont Ie mouvement est egalement rectiligne".

289


rectiligne des roues et de I'essieu etinceIant), et en meme temps les kourai en avant frayant la route. Jusque la, Parmenide lance, I'un apres I'autre, les elements de son voyage (identifie a son discours poetique et philosophique). D' abord il introduit dans Ie poeme I' idee d 'une repetition constante du trajet, reparcouru par lui chaque fois qu'il recite. Les trois premiers vers donnent aussi l'idee centrale du poeme : Ie poete est amene par des cavales, Ie long de la route des paroles qui porte I'homme qui sait sur son trajet. Les elements introduits ainsi sont : les cavales qui emmenent, la route des paroles dont la destination n 'est pas precisee mais qui est bien celle que doit prendre I'homme qui saito A un deuxieme niveau, est aussi introduite I'idee de la repetition du trajet pendant la recitation et celle de la presence du poete :il est bien clair que celui qui parle, Parmenide (puisque tout Ie proeme est a la premiere personne) est d'abord un poete, ensuite un homme qui sait, un "maitre de verite" . Aux deux vers suivants (v. 4-5), s'ajoutent l'image du char, et celle des jeunes filles qui guident. Ensuite, Parmenide enchaine en presentant Ie double mouvement des roues du char combine au mouvement conducteur des jeunes filles. Et la c'est Ie moment de superposer de nouveaux elements, concernant la provenance des Filles et par consequent Ie type du voyage 623 . Nous apprenons donc que les jeunes filles qui allaient en avant sur Ie

623 "OtE 'HAL<iliee; XOUgUL omgxoLUlo nEfU'ELV eLe; <pao" <ixJafleVaL xgatwv ano XÂŁgol xukuJttgue;.

290


chemin, sont les filles du Soleil et qu'elles "se hiitaient de conduire a la lumiere".624 Devant Ie char marchent les jeunes filles qui montrent Ie chemin: telle est I'image que nous presente Ie poeme et qui renvoie tres directement a celle des Muses au debut de la

Theogonie, ou il est dit que "c'est de la qu'elles s'elancaient, enveloppees de brume epaisse, pour cheminer dans la nuit, laissant s'elever leur voix si belle en hymnes"625. Evidemment, les expressions utilise,es ne sont pas les memes sauf Ie mot

kalyptra (dans Ie proeme de Parmenide) dont on retrouve la racine dans Ie mot kekalymmenai de la Theogonie. 626 Parmenide nous parle des Jeunes Filles du Soleil marchant vers la lumiere et laissant derriere elles les demeures de la Nuit. Les Heliades decouvrent leurs visages, tandis que les Heliconiennes sont couvertes de brume et cheminent dans la nuit. Ces differences n'empechent pas d'etablir des correspondances et de voir que 624Je suis d'accord sur ce point avec Couloubaritsis qui pense que Ie chemin va vers la lumiere, et non vers I'obscurite et la nuit, comme Ie suggerent en revanche d'autres interpretes..

625Theog.

v.

9-11 :

EvflEV

futOflvUj.lEVUL

xExabJj.lj.lEVUL ~EflL rroU~

(JtELXOV mflLxaUEa o(J(Jav [EL(JUL, tJj.lVEU(JUL ......•

avons rapproche Ie verbe

(JtELXELV

EVVUXLUL

trad. par A. Bonnafe. Nous

dans ce contexte de la Theogonie aux

lamelles orphiques. La metaphore du chemin dans la lamelle d'Hipponion a ete mise en rapport avec Ie prot:me de Parmenide aussi, par B. Feyerabend, "Zur Wegmetaphorik beim Goldblattchen aus Hipponion und dem Proomium des Parmenides, RhM 127 (1984), pp. 1-22. 626Voir Ie Commentaire de Theogonie de M. L. West, Oxford, 1978 (1966), p. 155 ou el1e note: "xEXo),;uPlJÂŁym MQ' 1!oUn : the regular epic way of saying 'invisible' and cnlfl is the very stuff of invisibility. KExal.lOj.lj.lEvaL suggests a veil

(xul.lOwa , xcxl.u1!tfla)."

291


Pannenide, construisant une toute autre image, ne parle que d'un autre aspect d'une meme idee. Selon E. F. Dolin, il s'agit d'une "nouvelle Theogonie, rationnelle et videe du mythe"627. Mais en verite ce qui est present a travers les vers de Pannenide, c'est la lumiere. Les kourai menant Pannenide appartiennent au domaine de la Iumiere parce qu'elles fonctionnent dans Ie champ de Ia memoire 628 , de I' 'A-).iJHew; et c'est la, a notre avis, Ia reference implicite. Pannenide, construisant toute cette Image du chemin du savoir et des paroles, veut combiner Ia tradition de la poesie et sa nouveaute a lui, la quete du savoir. Ainsi, Ie chemin qu'il est en train de parcourir (ce chemin qu'il a jadis fait et qu'il refait chaque fois qu'il recite), c'est Ie chemin de Ia poesie, une sorte de ofme

ou son analogue chez Pindare. Parmenide se refere

donc a une realite implicite pour les poetes de I'epoque, a des termes techniques propres a leur art. Ce sont des termes techniques parce qu'il sont lies a Ia fois a I'exercice

et a la

production de Ia poesie. Puisque Parmenide parle d'un renouvellement incessant du voyage, il est Iogique de penser a Ia 627E. F. Dolin, "Parmenides and Hesiod", HSCPh 66, 1962, pp. 93-98, p.98. Nous ne sommes pas du meme avis que l'auteur, qui soutient l'absence du mythe dans une narration nourrie de materiel mythique. Toutefois Ie reste des remarques de E. F. Dolin ne nous trouve pas en desaccord : p. 94, "The poetic imagination, ..... moves purposefully toward the creation of a new vision. The didactic song of the Muses came at night, veiled, under Mt. Helicon. The didactic discourse of the Heliads comes in the light, unveiled, beyond the gates of any place". 628Et ici nous rapprochons Parmenide de Pindare, dans ces vers deja commentes. Voir supra, p. 285.

292


recitation du poeme en tant que rememoration de I'evenement unique qui fut celui de la rencontre avec la deesse, de l'obtention de la verite. Les kourai qui ont conduit Parmenide sur Ie chemin de la recherche du savoir ('AAn8ELCl), I'ont conduit dans Ie domaine de la Memoire. Elles Ie conduisent par consequent fois

a la

a la voie de la poesie ( la "voie abondante des paroles" - aMv

rrof;uqnnlOV)

qui est la voie de la lumiere parce qu'elle appartient

au domaine de la Memoire; et au chemin de la connaissance rationnelle que represente ici la nouveaute de pensee que Parmenide introduit. Mais ces deux references sont si etroitement liees qu'il est difficile de delimiter leurs domaines respectifs; cela sera plus evident dans la suite du poeme, dans les paroles de la deesse qui accueille. Mais revenons au point ou nous etions arretes; Parmenide decrit son voyage d'une maniere qui est lineaire et paratactique, comme il est frequent dans les descriptions de parcours (voir p. ex. celles de I'Odyssee) . Mais pour lui, il est encore plus clair qu' s'agit d'un enchainement mnemonique : chaque element appelle Ie suivant, de sorte que cette chaine ne puisse s'interrompre; Ie chemin du poeme s'identifie au chemin des paroles que represente la pensee de Parmenide, la maniere dont il est arrive son but. Les cavales sont associees

a la

route, la route

a

a sa

destination, la connaissance, et cette derniere au sujet de la

a savoir lui-meme, Parmenide. II est lui-meme, a associe a son char que portent des cavales, et Ie

connaissance, son tour,

mouvement du char dans lequel se trouve Parmenide entraine par les cavales, rappelle la direction du chemin, qui est donnee 293


par les jeunes filles qui vont en avant. Le mouvement du char est decrit dans tous ses details, reactivant I'image des filles, et a ce moment-Ia Parmenide nous decouvre ce qui reste a apprendre d'elles, c'est-a-dire lewr lieu d'origine et Ie but du voyage, vers la lumiere, vers I'endroit ou sont les portes des voies de Nuit et de Jour. Ce passage a

suscitc~

aux interpretes un probleme relatif a la

localisation de cet endroit629 , lie aussi aux vers precedents (v.910) ou Parmenide se rMere encore a la Nuit et au Solei!. Selon nous, ce qui est important ce n'est pas de determiner avec surete les points de depart et d'arrivee, ni d'etablir la direction du voyage d'un point de vue cosmologique. Ce qui importe c' est Ie changement total de situation, Ie depassement de la condition normale et I'arrivee en un lieu ou la Verite va etre dite par la bouche de la deesse; a cette destination Ie poete avait deja fait allusion au debut du poeme, aux v. 2-3, quand il etait dit que Ie chemin "porte dans toute son etendue I'homme qui sait". Ce qu'il accentue par ces vers la est done fonde sur I' opposition entre Lumiere et Obscurite; les portes figurent la limite et Ie passage vers un etat different oli se deployera la decouverte de la Verite. Les portes ou Ie char conduit Parmenide sont encadrees, il y a tout autour une poutre transversale et un seuil de pierre63o . Le seuil apparait en tant que ce qui peut etre enjambe pour passer d'un cote a I'autre; il marque symboliquement le changement de

situation; les portes, en revanche, representent la limite qui 629Voir supra, la note se refc:rant ace probleme. 63Oy.ll : xal

O<jXlC;

iJll'EQfhJQov iIf!<jllc; EXEC xal AULVOC; ouMC;.

294


separe les deux endroits. De toute fagan, il faut souligner que Ie chemin ne s'arrete pas devant les partes: il continue au-dela. Le poete doit emprunter cette voie, arriver aux partes qui separent et au seuil qui donne la possibilite de franchir, pour passer de 1'autre cote au la voie appartient tout a fait a la Memoire, a la Verite en tant que Non-Oubli, et au Ie poete va la rencontrer6 31 .

Parmenide presente les partes et Ie seuil en tant que frontiere visible (dont on a vu les ressemblances et les differences avec l'autre description, celIe de l'Odyssee, au il s'agit de l'entree au palais d' Alkinoos) et il les decrit en detail, puisque Ie moment du depassement de cette frontiere coIncide avec l'ouverture d'un autre espace, qui est en meme temps la suite de celui qu'il a parcouru (puisqu'il s'agit d'un chemin) mais qui appartient au domaine de la Memoire, a l'Alerheia. 632 L'obstacle represente par les partes est acceliltue par 1'utilisation de l'image des cles, Sulla preistoria della lingua poetica greca, II, op. cit., M. Durante presente un aspect tres interessant du proeme de Parmenide : ses liens avec la poesie vectique. Au sujet des portes, il oppose les Grecs (Bacchylide, Pindare, Platon) pour qui la porte des hymnes ou des paroles n'est pas mise en rapport avec la connaissance, ala poesie vectique, oil savoir et poesie constituent un tout (p. 132). 11l, les portes de 1'inspiration (I, 120) sont synonymes des "portes des pensees" (IX, 106) ou des "portes de la verite" (VII, 95, 6), p. 133. 632Le concept de la route qu 'emprunte Ie prete et qui conduit ala connaissance de la Vente, a aussi, selon M. Durante, des racines profondes dans Ie monde arien : "La formula vedica rtiisya path -'la via del rtiin' (veritii, ordine cosmico e simili) e una delle piil stabili e frequenti..... rna piil frequentemente la veritii constituisce la condizione pc~ ~correre il cammino del •Buon pensiero' : cosl ad esempio in Y. XXXIV, 12-3", ibid., p. 133. 63 1Dans Ie chapitre "II discorso come cammino" de son livre

295


que Dike dMient (v.14 : a[!0l13cru~).

1(llV liE L'.lxT] ITOA:lmolvo~

EXEl XAT]l6u~

Les jeunes filles conductrices, c'est vers Dike qu'elles

ont dfi se tourner, pour ouvrir les portes. Et voila qu'une fois de plus la parole est associee aux jeunes filles qui menent : les kourai ont ouvert la voie de la verite, la voie des paroles concernant l'Aletheia en utilisant leur pouvoir de bien parler, leur pouvoir de persuasion. C'est Ie pouvoir meme des Muses, c'est Ie don qu'elles accordent aussi aux rois qu' elles "tiennent en honneur" ,633 a savoir pouvoir "faire se retourner les actes <nocifs> contre leurs auteurs, et cela sans peine, en se gagnant les creurs par des mots sans rudesse634 ". L'expression qu'utilise Parmenide rappelle Hesiode, mais Parmenide met en valeur encore plus Ie langage puisque la ou Hesiode dit : [!UA.UXOL<Jl ITUQUlCjJU[!EVUl eITEWOlv",

par

emCjJQu6Ew~

(qui provient de

"QT]ll)lw~,

Parmenide remplace I' adverbe CjJQU~ElV)

et done multiplie les

rapports des jeunes filles avec Ie langage 635 . Ensuite, tout a fait dans cette meme logique d'un enchainement de

parole~s

et de scenes descriptives, on a 1'image

de I'ouverture des battants de la porte et I'apparition devant la porte de I'espace beant636 . Parmenide, une fois de plus decrit

81: ovtlva nfl-naouaL !>L6t; XoUe"lL 634Theog. v. 90 :QllL6(wt;, fl-a.).axolm rW(laLqJU[LEVOL trad. par Annie Bonnafe. 635V. 15-16, tilv I\iJ Jta(lqJUfl-EVaL XoU(laL fla).axolaL 633 Theog.

,

v.

fl.ÂŁyuimo.

b,twaLV.

).6'yOLOLv rrElaav ÂŁ:n:LqJ(labtwt;.

636L'image de l'ouverture des portes associee aux jeunes filles qui guident renforce 1'identification des celles-ci avec les Muses. Et ici, la formule utilisee par Platon dans Ie Phedre, 245a est eclairante:

296

6t;. iiVEU [LaVea; Mouatov ErrL

c:


I'image en partant du mouvement et non de l'immobilite : "En s'envolant, celles-ci produisirent un espace beant entre les battants dont les pentures pleines d'airain pivoterent, l'une apres I'autre, dans les ecrous des gonds equipes de chevilles et d'agrafes 637 ". Voici de nouveau I'ecrou et son mouvement autour de lui-meme; cette fois il s'agit d'un ecrou vertical qui se toume, tandis que I'ecrou du char qui va franchir Ie seuil est horizontal. Et I' espacl~ beant qui se produit ainsi, accentue davantage I'idee du franchisssement et du changement d'etat. Apres avoir parle d'lme maniere si persuasive et ayant obtenu I'ouverture des portes, les jeunes filles guident Ie char et les cavales sur I'accessible chemin, droit a travers les portes 638 . La, Parmenide rencontre la deesse qui va lui parler, apres avoir pris sa main droite dans la sienne (geste qui a tres souvent ete compris comme ayant une relation avec les sectes mysticoreligieuses, alors que cela pourrait n'etre qu'un simple geste d'accueiI 639 ). La deesse en adressant la parole a Parmenide

ltOLnnXa; eU(!a; aqJLxntOL.=

"Mais qui se sera, sans Ie de1ire des Muses,

presente aux portes de 1a poe:sie .."(P1aton, (Euvres completes, t. IV, 3e partie.

Phedre, texte etab1i et traduit par L. Robin, Collection des Universites de France, Paris, 1933.) 637V.

17-20:

tal 6£ elJ(!Et(!Ol'V xaafl' axav.; ltoLnaav avalttafJ£VOL ltOA.lJxaAxOlJ;

Ci~ova; EV aU(!LY~LV uflOLflaMv EiA.l~aaOL 'IOflqJOL; xat ltE(!OVnaLV uQn(!Ote, 638V.

21-22 :

tiiL Oa IiL' a;)tEOlV Leu; EXOV XOV(!OL xat' 6.fla~Lt6v 1i(!fla xal

L.itJtOUt;.

22-23, XEl(!a liE XEL(!( IiE~LtE(!iiv £),EV. Comme Ie souligne L. Cou1oubaritsis, op. cit., p. 101 : "Or, si l'on admet l'usage de motifs

639V.

297


I'appelle kouros, et I'associe aux Filles du Solei! par la jeunesse (sun-aoros), ce qui indiquerait que Ie rapport que Parmenide

introduit entre Ie jeune homme et les Heliades est intrinseque

a

la structure de la narration, tout comme l'est Ie rapport entre les cavales et Ie jeune homme, qui comme Ie revele Ie tout debut du texte, est en train d'etre porte"640. Puis elle lui explique que son voyage n'est dfi

a "aucun destin funeste"641.

On doit souligner

que la premiere partie des paroles adressees au jeune homme concerne de nouveau

11~

chemin qu'il a emprunte, tandis que la

deuxieme se rapporte au but de son itineraire, I'atteinte de la verite. Nous voyons donc de nouveau que Parmenide considere la route, cette route de paroles, comme intrinsequement unie

a la

quete du savoir et de la Verite - en fait, elles ne font qu'un. II est devenu bien clair, de la bouche de la deesse, que cette route "est en effet

a I'ecart du sentier battu des hommes". L'expression em'

av8QwJtwv EJn6~ rt<hou fotlv

utilisee ici donne bien la connotation

du contact du corps humain avec Ie sol, et peut donc conduire

a

deux sortes d'interpretation. La premiere prend dans son sens litteral la phrase; ainsi la phrase semble se referer

a un chemin

que les hommes n'ont jamais parcouru : chemin qui n'est foule homeriques par Parmenide on peut tout aussi bien supposer que eet element est emprunte il l'Odyssee, oil I'on trouve un theme parallele, encore qu'inverse:Telemaque accueille Athena, metarnorphosee en Mentes .... I, 118122". Sur Ie symbolisme de la droite et de la gauche, voir la these de J. Cuillandre, La droite et fa gauche dans fes poemes homenques en concordance avec fa doctrine pythagoricienne et avec fa tradition grecque, Rennes, 1943. 640L.

Couloubaritsis, op. cit., p. 93, commentaire avec lequel nous sommes

tout il fait d'accord. 641V.

26 :

!LOrea xaxlj.

298


que par les cavales emportant Parmenide. La deuxieme, est du cote des allusions elliptiques de Parmenide concernant I'art du poete (et que nous tachons de cerner); elle nous amene a conclure que Parmenide se

refl~re

ici

a la

voie de la poesie, que les

hommes ne peuvent pas fouler justement parce qu'il s'agit d'une voie mentale: mais

c'est peut-etre pousser tres loin

l'interpretation, car I'ac:ception litterale suffirait

a nous mener a

cette conclusion: un chemin eJoigne des sentiers battus, peut tres bien etre celui-meme emprunte par les poetes. Toutefois il faut souligner que Ie mot patos rappelle Ie contact des pieds avec Ie sol, tout comme Ie mot tribos de I'Hymne homerique 0. Hermes, qu'on rencontre justement dans Ie passage ou ApoUon parle

a

Hermes de son chant642 . A la fin du proeme" la deesse annonce au jeune homme en deux mots Ie contenu de ce qu'il va connaltre, dont la matiere une fois de plus est la parole: et comme cela se demontrera suite de son discours Ie contenu du savoir peut former

a la

a son tour

des chemins.

11 nous paralt done difficile de dissocier aussi clairement que L. Couloubaritsis,643 les jeunes fiUes des Muses. Meme si elles

ne sont pas nommees dans Ie proeme (ce qu'on pourrait expliquer par la position 'critique' de Parmenide, poete, maitre de Verite traditionn,el, etant philosophique

a

la recherche du savoir

a la fois), leur role conducteur, la ressemblance de

642Hymne hombique a Hennes v. 448. 643Voir L. Couloubaritsis, op. cit., pp. 106-107; 132-133; 154-155;159.

299


certains vers avec ceux d 'Hesiode decrivant les Muses dans la Theogonie, la forme du proeme, exprime en vers et en meme

temps structure comme une chaine, I'utilisation du theme du chemin, nous permettent d'identifier de faeon plus que convaincante leur role avec celui des Muses dans la poesie traditionnelle. Les jeunes filles du Soleil ouvrent Ie chemin des paroles, y conduisent Ie poete et Ie menent

a destination.

Destination et voie appartiennent toutes deux au domaine de la Memoire et Mnemosyne pourrait etre par consequent I'aspect cache de la deesse revelatrice. Le proeme de Parmenide decrit une entree, I'arrivee dans un fond mnemonique et ce parcours s'identifie

a la recitation de ses verso

300


CINQUIEME PARTIE

LE CHEMIN ET LA TRACE

301


XII. Route de Pausanias et Route d'Oreste La maniere dont Ie parcours toujours genere la narration devient evidente dans les descriptions de Pausanias. Au livre VIII de la Periegese, Pausanias sort de Megalopolis et prend la

route qui conduit a Messene. II ecrit:

a Messene, quand on a parcouru environ sept stades, on trouve a gauche de ÂŤEn allant de Megalopolis

la grand route: un sanctuaire de deesses. On appelle ces d6esses ellies-memes aussi bien que Ie territoire du sanctuaire : Muvtu; (Folies); il s'agit :i man avis d'une epiclese des Eumenides; et on dit qu'en fait c'est ici que la folie s'empara d'Oreste en chatiment pour avoir repandu Ie sang de sa mere. Non loin du sanctuaire il y a un tertre, pas tres haut, surmonte d'un doigt de pierre, et on appelle ce tertre: 8mnVAOU

~vfl~U

(Memorial du Doigt) ; c'est l:i

qu'Oreste, ayant perdu I'esprit, mangea, dit-on, un doigt de l'une de ses mains. Jouxtant I'endroit, il y a un autre lieu Homme

'AXTI

(Cure), parce que c'est l:i

qu 'Oreste fut gueri de sa maladie; l:i aussi il y a un sanctuaire des Eumenides. L'histoire raconte que ces deesses, au moment ou elles allaient faire perdre la raison :i Oresite lui apparurent, dit-on, noires; mais

302


des qu'il euf. mange son doigt il lui sembla au contraire qu'elles etaient blanches et il recouvra ses esprits

a leur

vue; aussi sacrifia-t-il d'une certaine

faeon aux premieres tandis qu'il sacrifia d'une autre faeon aux sec:ondes, c'est

a dire aux blanches 11 est

habituel de sacrifier aux Graces en meme temps qu'aux Eumenides. Pres du lieu dit des Cures, il y a un autre sanctuaire qu'on appelle

K01J(lELoV

car Oreste

y coupa ses cbeveux en recouvrant ses esprits.»644

Ce n'est pas par hasard qu' on rencontre toute cette serie de monuments aux abordls d'une voie. Pausanias parcourt avec l' «ceil de I'esprit» la route qu'il a jadis r6ellement parcouru. 11

cite les monuments I'UII apres I'autre, comme illes a rencontres. 644pausanias, VHf, 34, 1-3 .: Ex lit MeyaJ..n; Jt6J..ew<; L6vu t; MWOlivnv xal olaoLo,,; (UiJ..L01a JtgoeJ..A6vlL £Jtla,

~OlLV

tv IxgLOleg.li lii; Aew<p6go" Aewv

Leg6v. KaJ..oiJOL ot xaL ama; la; Aea; xat lilv xoogav lilv JtegL 10 [egov MavLa;. ooxeLv OE fLOL Aewv

EUlLevLowv tOllv mLxA11oL;, xal 'OgE0111v

lWV

ml 10 <p6vQJ lii; 1L111Q6; <paCILV aU16AL IJ.OViiVUL. Oil Jt6ggw ot toil [egoil yii;

xw(Ui tOlLV ou lLEya, mLA111J.O aVOlLa 10 xooILa1L

tOll

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ALAoo JteJtOLnlLEvov OOX1"AOV, xaL oil xat

""~X1VAO"

ILviilLa.

tV1aiJAa

~x<pgova

'OgE0111v

yev6ILevov AEyO"OLV Eva lii; "tEga; lWV XecgWv ilJto<payeLv &6:X",AOV. TO-UlQJ OE t01Lv Etegov auvext; xwgf.ov 'Ax11 xaAovlLevov, 61L tyEVelO tv aUlql lii; v600" 10 'OgEOtn la talJ.Ow. JteJtot11tUL ot EUlLevlOL xaL aut6AL [egov. Tavta<; la; Aea;, fJvlxa 10V 'OgE0111v

~<pQova ~eAAOV

JtoLiloeLv, <paoLv am0

<paviivaL lLeAaLva;. ell; 6t <'''''E<paye 10V &6:xl"Aov, la; ot aUAL; ooxeLv ot AEuxat; dvot, xal ailtev oW<pQov'float tE

ud t'O 6El;l. xal

oUlm tOLt; Jl£v

EvnyWEv CutOlQ£nwv t6 Jlnvq.Lo a-utwv, tatt; O£ ettuoe tatr; A.euxalt;. 'OIlOt! 6f'.

amaL; xat XagLoL AVecv Eonv <KOtlOEtoV> X61L11V,

tJteLoil

VOlLl~o"OL.

oVOJla~6I-lEVOV

tvtO;

ngo; ot 10 xwgLQJ 10L; 'AXWLV Eteg6v

1..£(>6v, on 'Ogeatnt; EvtauAa

tyEvno a"lOiJ,

Pausanias,

Dc(Jut,Y17mr;, ed. N. D. Papachatzi, Athenes, 1976, .

303

EXELgOtO

DatJ{7av(otl

tnv

'EJ.J.dt5o,;


l Sur son chemin se trouvent juxtaposes les «reliques» de l'histoire de Ia maladie et de Ia guerison d'Oreste. II y a la Ie sanctuaire des Manies, Ie monument du Doigt, Ia «cure» avec Ie sanctuaire des Eumenides, Ie Kougei:ov. En parcourant Ie chemin, on suit la narration de l'histoire d'Oreste, creee par la juxtaposition des «objets-lieux», dont chacun symbolise une etape. Si Ia narration est une marche, chaque monument est un pas. Le mouvement du passant, du visiteur, cree la narration suscitee par la presence des objets juxtaposes, des unites autonomes. Sans lui Ie chemin de la narration ne peut exister. Avec lui il emerge de la terre, se fixant sur les choses qu'on appelle

~viJ~m;a,

des "objets qui perpetuent

Ie souvenir". On voit que Ie chemin de Ia realite est un chemin de lecture

ou

Ies noms des lieux servent d'appuis; la serie qu'ils constituent fait emerger la narration 645 • Dans Ie cas d'Oreste, Ia narration est a

64sChristian Jacob dans "Paysages hantes et Jardins merveilleux : La Grece imaginaire de Pausanias", in L 'Ethnographie, 1980-1981, pp. 35-67, de&le la dimension narrative du paysage grec, comme elle est representee dans la Periegese de Pausanias. Ainsi dans Ie chapitre "L'espace est un recit", pp. 4243, il analyse de la meme fayon que nous les descriptions de la visite du Periegete

a Sparte

(ou Ie mythe qui en resulte c'est celui des 'Noces de

Penelope") et la visite des Folies d'Oreste.

n ecrit alors

: "Dans Ie paysage

urbain ainsi construit par Pausanias, I' espace se donne parfois a lire comme un recit : Ie lieu de la description devient Ie theatre de la narration et en passant d'un lieu a]'autre, Ie promeneur peut relire les episodes du mythe", p. 42. Et il conclut : "Pausanias marche ici sur les traces d'Oreste et chacune des etapes de sa promenade correspond

a un episode du recit mythique. Lieu bien delimite,

dont les monuments commemorent la folie d'un meurtrier, lieu ou Ie parcours est aussi une lecture, ou J'esJPace est un recit", p. 43.

304


la fois de type mythologique et de type rituel, puisqu'elle raconte les actes religieux qui conduisent Oreste

a sa

guerison. La

presence de personnages divins, (dans Ie recit) ainsi que de leurs sanctuaires (sur Ie chemin) instituent une sorte de marche rituelle de la part d 'Oreste: l' espace du parcours est delimite rituellement. Les sequences rituelles dont Ie souvenir est suscite par les vestiges spatiaux (un territoire, un sanctuaire des Manies, un Monument du Doigt, un sanctuaire des Eumenides - la Cure, un

KOUQELOV

Sacre) jaillissent dans l'esprit du visiteur: les traces

du parcours d'Oreste dont l'espace est parseme visualisent l'histoire en des images pareilles aux imagines agentes, images leur tour semblables

a celles

a

que produisent des hommes

ordinaires (non mythiques) qui pratiquent un rituel. Comme l'ecrit C. Calame: ~Dans

qui,

sa manifestation textuelle en effet, l'acteur

a mesure

protagoniste,

que progresse l'action dont il est Ie construit

I'espace

de

tel

recit

mythologique ou de telle sequence rituelle, peut etre assimile

a celui qui enonce cet esprit; l'espace est ainsi

fonde dans Ie il (simulacre) des differents acteurs qui Ie parcourent. [... J D'autre part dans ce processus d'enonciation interne au texte, la construction de I' espace apparait encore une fois comme liee

a la

linearite du deroulement de l'action narrative; elle est donc assimilable

a un

parcours oriente qui suit les

etapes du schema narratifÂť. 646 6.ÂŁ. Calame, Recit, op. cit., p.l64 et 165.

305


La linearite de la narration donne Ie moyen de son assimilation au rituel (qui de son cote est egalement lineaire), quel qu'il soit. Mais la description de Pausanias pousse encore plus loin l'assimilation: ici, nous nous trouvons devant l'existence d'un itineraire precis o'u "ici" est lie it "devant" et it "derriere", se traduisant chronologiquement en un avant et un apres concrets, dont la succlession a un sens. La linearite du rituel rencontre celIe d'un chemin existant. Par consequent ce qui separe Ie recit du parcours (effectue par Pausanias), de la description d'un parcours rituel, par exemple, est minime; leur caractere mnemonique evident se fonde sur la profondeur des noms et des mots qui I'encadrent. On est donc devant Ie scMma suivant: La description d'un chemin reel s'identifie au recit mythoLogique, qui it son tour se trouve assimile it La description du parcours rituel. Pausanias d'ailleurs it I'occasion de la description de tel ou tel monument bordant Ie chemin qu'il parcourt, en profite souvent pour faire reference aux rituels qui sont celebres au meme endroit: il utilise donc la correspondance entre La description d 'un chemin et La description du parcours rituel. A Tegee par exemple, les statues d'Apollon lui servent comme point de depart pour raconter I'histoire de Scephros et decrire Ie rituel qui y est celebre (Paus. VIII, 53, 1-3). D'autre part ce troisieme terme de la concordance renvoie souvent allusivement au premier; Pausanias peut donc prendre celui des trois qui lui plait pour donner it entendre d'une fac;on elliptique Ie reste. Dans d'autres cas finalement Ie recit mythologique

et la

description d'un

306

parcours rituel


s' entremelent. Cela nous aide

a comprendre a quel

point Ie

mouvement s'identifiait avec l'espace ou il avait lieu. Christian Jacob parlle du paysage de Pausanias en tant que "cadre mnemotechnique permettant de raconter un recit". Ainsi il ecrit: "La description, dans son oeuvre, est regie par deux modeles, la carte (Ie plan) et l'inventaire (Ie catalogue, la liste) et Ie genre de l'itineraire offre un til conducteur se pretant

a enumerer, a

detailler toutes les curiosites rencontrees en chemin. Ce fil conducteur, en outre, permet de multiplier les digressions erudites, les developpements analogiques, sans jamais egarer Ie lecteur qui sait toujours ou il (en) est. Les signes dissemines dans Ie paysage, pour etre r,eactives, n'attendent que Ie regard d'un lecteur, d'un promeneur. Le paysage joue Ie role d'un 'reliquaire', d'un espace ou s'inscrivent les traces des dieux et des heros, des episodes du mythe, autant de reperes qui, bien enchames, permettent de reconstruire un recit. Le souvenir des heros mythiques renaitra

a travers

les objets disposes dans Ie

cadre, plantes, rochers, faune, et tous ces elements ne seront pas perc;us dans leur materialite naturelle, mais davantage leurs significations analogiques"

a travers

647.

On retrouve chez les aborigenes d' Australie des rites et des mythes ayant une logique analogue

a celIe que nous venons de

decrire. Nous allons donc no us depayser un instant en 647C. Jacob, "Culture du paysage en Grece ancienne", in Paysage et crise de La

lisibilire, ed. L. Mondada, F. Patiese et O. Soderstrom, Lausanne, 1992, pp. 11-46, p.32.

307


considerant leur cas parce qu'il nous offre une image encore vivante il y a peu d'unle construction culturelle assez proche de celie qui nous interesse, impliquant un parallelisme entre Ie chant et Ie chemin. II existe un "Iabyrinthe de sentiers invisibles sillonnant tout Ie territoire ausltralien, labyrinthe connu des Europeens sous Ie nom de 'songlines', 'itineraires chantes' au 'pistes de reves' et des aborigenes sous Ie nom d' 'empreintes des ancetres' ou de 'chemins de la loi'. Les mythes aborigenes de la creation parlent d'etres totemiques h\gendaires qui avaient parcouru tout Ie continent au Temps du Reve. Et c'est en chantant Ie nom de tout ce qu'ils avaient croise en chemin Olseaux, animaux, plantes, rochers, trous d'eau - qu'ils avaient fait venir Ie monde

a l'existence648 .....

Le

chant etait suppose reposer sur Ie sol en une chaine ininterrompue de couplets, un pour chaque paire de pas, chacun forme 'ejectait'.

a partir des

noms que <I' ancetre>

649"

Les aborigenes, pendant leur vie, doivent refaire I'itineraire de leur ancetre clanique.

64gB.

Chatwin, Le chant des pistes, Paris, 1988, (Londres, 1987), p. 10. Il

s'agit d'un roman

au 1'auteur raconte ses aventures personnelles en Australie

qu'il a visite justement pour venir en contact avec et approcher plus les "songlines". Pour la documentation voir aussi Les rraditions aranda et Les

chants de 1'Australie centrale, de T. Strehlow. 6491bid., p. 72.

308


"Celui qui partait pour un walk-about

650

accomplissait un voyage rituel. II marchait dans les pas de son ancetre. II chantait les strophes de l'ancetre sans changer un mot, ni une note - et ainsi recreait la creation. "651 La derniere tribu sauvage, continuant la VIe sauvage, pratiquant la chasse et la cueillette a ete celle des Pintupi. On s'est rendu compte de la faeon dont les itineraires (identifies aux chants) ont ete enseignes, en suivant les meres pintupi racontant a leurs enfants des contes. " ... la mere aborigene trace des dessins dans Ie sable pour illustrer les vagabondages des Heros du Temps de Reve. Elle raconte son recit dans un crepitement d'eclats de voix saccades et, en meme temps, marque sur Ie solles 'empreintes de pas' de l'ancetre en faisant courir son index et son majeur, l'un apres l'autre, en une double ligne pointillee. Elle efface chaque scene avec la paume de la main et termine en traeant un grand cercle traverse d'un trait - un peu comme un Q majuscule. Ce point indique Ie lieu OU l' ancetre, epuise par les travaux de la creation, est 'retourne

a

l'interieur'. Les dessins sur Ie sable faits pour les enfants ne sont que des esquisses ou des 'versions autorisees' des veritables dessins 652 representant les

650Ainsi ont ere appeles par les blancs les voyages rituels des aborigenes. 651Ibid., p. 23. 65:!LeS veritables dessins, a savoir les tablettes sacrees, s'appellent tjuringa.

309


vrais ancetres, lesquels ne sont realises que lors des ceremonies secretes et ne doivent etre vus que des inities. Neanmoins c'est grace aces esquisses que les jeunes apprennent a s'orienter sur leur terre, a en connaitre la mythologie et les ressources 653 ". Mais puisqu'un chant pouvait traverser toute I' Australie, les routes allant d'un poinlt d'eau intarissable a un autre654 , chaque homme "recevait en heritage un troncon du chant de l'ancetre et un troncon du pays ou passait ce chant. .... Lorsque, ... , les anciens du clan de Python <par

exemple> dec:idaient qu'il etait temps de chanter leur cycle de chants du debut a la fin, des messages etaient envoyes, tout au long de la piste, pour convoquer les proprietaires des chants au lieu du grand conseil. L'un apres l'autre, chaque proprietaire chantait son troncon d'empreintes de pas de l'ancetre"655. En ce qui conceme: finalement la musique des chants des aborigenes, "au dela des mots, il semble que Ie profil melodique du chant decriive la nature du terrain sur lequel il passe. .... On pensait que certaines phrases, certaines combinaisons de notes musicales decrivaient Ie deplacement des pieds de I'ancetre. Une phrase

653Ibid., p.30-31. 654Ibid., p. 68. 655Ibid., p. 69.

310


signifierait 'lac de se1', une autre 'lit de riviere', etc. Un chanteur experimente, en ecoutant leur succession, pouvait compter Ie nombre des rivieres que son heros avait

traversel~s,

Ie nombre des montagnes qu'il avait

escaladees et en deduire

a que1 endroit de

I'itineraire

chante il se trouvait656 ". Voyons maintenant les nombreux points d'analogie entre 1es pistes chantees des aborigenes et ce que nous avons etudie jusqu'ici. Ces pistes sont constituees d'empreintes, de 1ieux qui representent une partie du mythe se referant

a l'ancetre. Chantes

I'un apres I'autre ces 1ieux composent un recit, Ie recit qui se refere

a l'ancetre.

Mais c'est 1a forme du territoire qui a suscite

1a narration; de meme" dans Ie cas d'Oreste, Ie Memorial du doigt rappe11e par son aJPparence Ie doigt du heros de 1a narration mythologique. En Austra1ie, 1a repetition de 1'itineraire reconstitue Ie mythe contenu dans Ie chant, tout comme ici Pausanias, en reprenant la route d'Oreste, reconstitue

a son tour

I'histoire. Les differences qui separent Ie cas grec et ce1ui de I' Australie ne sont pas pour autant minimes : les Australiens se referent a un passe totimique, chacwl rec;oit et herite son tronc;on d'itineraire, tandis qu'en Grece l'itineraire n'appartient pas aux membres de te11e ou telle fa mille (les descendants des Atrides, disons, pour parfaire I'analogie) maiis

a tous

ceux qui parcourent la route et

s'enquierent de son histoire. Neanmoins, on pourrait peut-etre avancer I'hypothese que 1es gens qui habitent Ie territoire auquel 656Ibid., p. 122.

311


la route appartient en sont les vrais connaisseurs et les mieux informes: ainsi les mythes regionaux, locaux, sont connus par un ensemble de gens qui babitent la region. La repartition donc du savoir mythique en Grece ne se fait pas par rapport familles, mais par rapport

a des

a des groupes de population lies au(x)

lieu(x).657 En outre, les: histoires, en tant qu'elles ne concement pas un ancetre, mais un personnage mythique de plus grande envergure, ou un dieu, peuvent etre divulguees

a tous ceux qui

sont Grecs (ou plus tard, pour la periode par exemple ou vit

a tous ceux qui connaissent Ie grec et la civilisation grecque). Et on peut alIer plus loin: la croyance a une terre qui Pausanias,

doit rester vierge, et ou l'homme n'a pas Ie droit d'intervenir, croyance d'un peuple nomade ne pratiquant pas l'agriculture mais la chasse et la cueillette, est tres loin de I'attitude des Grecs, pasteurs et constructeurs de cites. Nous voyons donc que les reliques de I'histoire d'Oreste sont construites; chaque eIidroit est occupe par un monument : que ce soit une pierre, un enclos sacre, un sanctuaire. Elt c' est exactement cette construction , ce ~vf)~a,

qui joue Ie role de ce qui suscite la memoire - et qui la

garde

a son interieur comme Ie contenant garde Ie contenu. Nous

pensons que cette

diffl~rence

grec; c'est I'ectification des

fonde Ie caractere special du cas

~viJ~am

aux bords du chemin et la

construction de I'itineraire par celui qui suit la voie et les 657Sur cela, voir ce qu'ecrit C. Jacob dans "Paysage et crise de la lisibilite",

op. cit., surtout dans la p. 37 : "Le paysage apparaft bien ici comme une forme de texte, explicitement lu et appris par les habitants du territoire, dispositif de semantisation et en meme temps de manipulation rhetorique, se pretant it la persuasion, a]a valorisation, aux revendications ideologiques ou politiques".

312


regarde qui est analogue a la construction du poeme; et c'est dans cette direction que les voies sacrees nous apprennent

a regarder.

Mais laissons de cotle les differences, pour nous occuper de ce en quoi l'exemple des aborigenes peut nous instruire: leurs chants constituent des itineraires, des lignes qui coupent Ie paysage (ou en relient les points importants), ou les differentes strophes (et lieux) representent des "empreintes de l'ancetre"; les chants sont mis en acte par les marches des descendants de cet ancetre, et leur sont enseignes par Ie moyen de dessins (de traces) sur Ie sable (ou sur la tablette sacree , la tjuringa). Et cela nous ramene

a

la poesie grecque et

a

la

mnemotechnique; s'inspirant lui aussi du livre de B. Chatwin, O. Taplin ecrit justement : "Homer may well have used aide-memoires other than writing. Although architecture has become the dominant model of mnemonics in the Western tradition, Homer's own image for the memorysequence of poetry seems to be the path. So he may well have built up a mnemonic journey as the underlying shape of his poem - for all we know, he may have mapped his poetic path in the sand. 658 " O. Taplin emet donc I'hypothese, influencee par Ie livre de Chatwin, que Ie poete apprenait (et composait) son chant en

6580.

Taplin, Homeric Soundings, op. cit., p.36. 'A notre avis, cam me nous

croyons l'avoir dejii demontre, Ie chemin est une mnemotechnique qui releve du damaine de

l'architectun~;

seulement la mnemotechnique romaine est une

forme beaucoup plus elaboree et riche de cette meme idee.

c 313

c


dessinant Ie parcours auquel il correspond sur la terre. Mais pour la recitation, il n'etait pas oblige d'utiliser cette sorte de schema. Selon nous, a ce mome:nt critique, il devait entrer dans I'espace meme de ce chemin et commencer a Ie parcourir en pensee; et comme on a deja repete, il avait besoin pour eela de la force motrice des Muses, ses guides. La notion d'empreinte, ou de trace, tellement utilisee par les aborigenes d' Australiie, semble egalement jouer un role important dans la creation des chemins chantes par les Grecs; et cela nous ramene de nouveau au theme de la marche. Longin, a la suite du passage ou il parle de Simonide et de ses voies de memoire, constituees d'une disposition en serie de lieux et d'images, se lance dans une analyse du role du lieu. II combine la notion de lieu avec celles de trace (ichnos) et d'empreinte (tupoS659). II ecrit que "Ie reconnaissable est une certaine

empreinte et une trace diu connu"660. II explique que c'est comme cela qu'on comprend la voix des barbares, en leur opposant Ie

659Le

mot tupos avait au debut selon I'etude de J. J. Pollitt, The ancient View

a/Greek An: Criticism, History arui Terminology, New Haven and London, 1974, pp. 272-293, qui suit A. Von Blumenthal, "Turco, und

TIU(lli1\ÂŁLYJUl",

Hermes 63 (1928), pp. 391-414, Ie premier sens de "moule~ (fonne, mattrice, modele), "or the product which is produced from a mold by pressing, casting, or beating

the meaning 'relief could arise from this basic meaning

.

The general abstract sense of 'type' and also 'pattern' or 'model' ..... can also be derived from the basic idea of 'mold' ", p. 288. J. J . Pollitt regarde avec detail tous les cas concernant l'art et les metaphores relatives. 66oLongin, Ars.rhet., 574, 4-5 Spengel :,0 n~

xat Ixvol;;.

314

YU(l YVW(lL~OV tau YVOlOtaU

"Jrco,


reconnaissable et en e:x:aminant les

'tvJtO'IJ~ 'tlilv JtQ<lY~(1'tWV;

et il

enchaine en disant que "Ie lieu est Ie point de depart pour la memoire, car il n'est rien qui soit depoUTVu de lieu et la partie (est Ie point de depaJrt) pour l'ensemble"661. A la suite de ce passage, Longin compose un tableau OU les idees de la trace (ou empreinte), du lieu qu'elle occupe, et de l'ensemble des lieux en tant que serle irreversible sont presentees en tant que fondements de la rnnemotechnique: il compare ceux qui veulent memoriser l!eurs cours a des chiens qui chassent une proie. Celui qui doit se lrappeler, suit des traces, des empreintes, "de meme que les chiens qui ont trouve la trace et l'emplacement des traces, poursuivent l'animal pied-apied"662. Le deuxieme volet dIe la comparaison conceme l'homme qui apprend et doit apprendre les parties des cours (ou des discours) pour pouvoir au cas OU! il oublie quelque chose la retrouver en recherchant son emplacement dans I' ensemble des lecons. Cet homme est un ichneutes, mot qui s'applique selon Pollux a

661Longin, Ars rhet., 574, 8路-10 Spengel: 0 OE tOltO; tii; fLvnfLll; Cd;] ixcpownv EO""'EV,

on

fLllOEV IiVE'U tOlto'U, xoL to fl拢QO; taD OAO'U.

66zLongin, Ars. rhet., 574, 10-11 : illOltEQ YOQ o[ 'to Ixvo; ixVE'UQOvtE; X1JVE; xoL tilv XWQov tillv txvwv xm<i. lto60; OLWxO'UaL to 811Qlov. L'expression ici

utilisee xotix lt66o; qui signifie litteralement "en suivant les pieds", "pied pied", va servir plus tard aLongin pour la metrique.

315

a


I'homme et au chien663 et qui appartient au vocabulaire de Ia chasse. A. Schnapp ecrit que "ce qui revele Ie gibier, c'est Ia trace, Ia voie qui ne se decouvre qu'au chasseur..... La piste de l'animal biesse est Ia plus IisibIe, Ia plus facile a suivre 664". II cite Ies Eumenides, qui dans Ie texte d'Eschyle se comparent a des chiens : "Comme un chien un faon blesse, nous suivons I'homme a la piste du sang qu' il perd goutte a goutte"665. De Ia trag6die nous ,est aussi parvenue l'image d'Ulysse " en chasse" d'Ajax. Au tout debut de Ia piece, Athena parle a Ulysse et lui dit : "Depuis un moment deja je t'observe: tu vas suivant sa piste, scrutant ses traces fralches, afin de voir s'il est chez-lui ou non. On dirait qu'un vrai flair de chienne de Laconie te mene droit au but"666. 663Pollux,

v, 10 : xaL

LXVf:Util£

aviQ

xaL XVlOV. (Pollux,

Orwmasticon, edidit et

adnotavit Ericus Bethe, Teubner, Leipzig, t. 1 (I-V), 19(0). 664A. Schnapp, La Duplicite du Chasseur: Componement juvenile et pratique

cynegetique en Grece ancienne aux epoques archai"que et classique, These de I'EHESS, Paris, 1987, p. 113. 665Eschyle, Euminides, v. 246-247 : rCT{XZt!/laru7pEvoV rap co.• xwv v£ppow' JT(Jo; a{pa xai araJ.arpov ExpaTEllopEl>

(Eschyle, t. II: Agamemnon-Les

Choephores-Les Eumenides, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par P. Mazon, Paris, 1935). 666Sophoc1e, Ajax, v. 5-8 : ltclkm "eLVOU

xuv~yetojjvtU

v£oXd{XZx8; omv; fa/I? eLt' Evl\ov eLt'

"uvo£ i\a"alv~;

n; eupLvo£ fldat;:'

316

0;:'''

xaL ~EtQov~evov/ txv~ Evl\ov. EiJ 6£

0'

ta

t"cp£Qet.!

(Sophocle, t. 1: Ajax-CEdipe Roi-


Les traces sont appeles

tXVT]

et elles ont ete faites recemment;

Ie vocabulaire utilise ici montre que les traces entrent dans Ie champ du visuel, puisqu'elles sont

vEOXaQuX8'.

Ensuite, au

contraire, Athena passe au champ de I' odorat, les deux faisant partie de la methode dont les chiens usent a la chasse. Car l' txvos a nne presence visuelle, mais en meme temps il renvoie une odeur. Et Pollux rend bien ces deux aspects complementaires, utiles au travail de l'ichneutes, dans son lexique667 . Dans la reponse d'Ulysse on trolUve de nouveau l'image des pas, cette fois les pas du chasseur qui suivent ceux du gibier, les traces reperees: "Qui, cette: fois encore, tu m'as bien compris : mes pas sont la qui tournent autour d'un ennemi, Ajax, l'homme au bouclier"668. Meme si ce passage entre tout a fait dans Ie champ de la metaphore - metaphore de toute facon toute interne a la logique de la memoire, telle que la decrit Longin- il n'en reste pas moins

Electre, Collection des Universites de France, texte etabli par A. Dain et traduit par P. Mazon, Paris, 1965). 667Pollux, V. 11-12: eLltOL, /\' liv LXVO" LxvnAualu, iVT£TvJtWjLEVa Ttl yfi, Ef.'voqxln~ lXV11 Cm:6~EL,

xal

iXYEVjLarOJ

op(lci, £l)!Jia

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iJ&u Q.rrorrVEOVta J"EyOUOLV, aJ:A.6. t<1 e:uolofhno Ti

LXVl:i)V.

668Sophoc1e, Ajax, v. 18-19: X1JXA.OVV"(,

xat' 'l'11;- txvEVUE{/J; rp1}ulv

O'lljJ.1Tf..JTAfj'lLiva, eVvala b(Jojie'a otta. "'O~El.

reveL, CmorrveL, WtO<pEQf.tOl ca( aUlwv

EV00J...l0

O"I/I'Ela JTO<5rih, mil'lloJ.a

xul vUV EreEyv,", EiJ fJ.' Ere' avliQl &uafJ.EvEt j)<'IOLV

oaxEoqx.)(>,O.

317


qu'il donne une image bien vivante de ce qu'un chien (ou un homme) fait quand il suit une piste, constituee de traces 669 • C'est egalement dans Ie domaine metaphorique que se situe la comparaison de Cassal!ldre avec un chien, dans I' Agamemnon d'Eschyle. C'est d'abord Ie chceur qui s'y livre: "L'etrangere, je crois, a Ie nez d'une chienne : elle va flairer la piste et va trouver Ie sang"670. Puis, plus tard, C31ssandre elle-meme va reprendre cette image; elle dira en s'adressant au chceur : "En attendant, rendez-moi temoignage que, Ie nez sur 131 piste, j 'ai suivi sans ecart 131 trace des forfaits anciens"67I. En fait, Cassandre, en cherchant des traces, suit Ie fil de l'histoire des Atrides, dle ce qui a ete et ce qui sera; il s'agit de cette serie de crimes qui constituent Ie trace du drame familial. Cassandre trouve les empreintes du sang verse et les interprete, en faisant ressurgir les

i~venements.

Son activite recree I'histoire.

II s'agit finalement d'un mouvement inverse de ce que, d'apres 669C. Mainoldi dans L 'ima!~e du loup et du chien dans la Grece ancienne d'Homere a Platon, Paris, 1984, qui commente ce passage d' Ajax en Ie comparant aux limiers, pense aussi que I'image d'Ajax "se situe dans un domaine proprement metaphorique". 67oEschyle, Agamemnon, v. 1093-1094 : 'EOLxev eiJQL£ iJ t;£vn xwo£ otxnv/ dvm, !J.amJeL o'tilv aVfUQiJOet <pOvov, tr. par P. Mazon. 67IEschyle, Agamemnon, ".1184-1185 : xaL !J.UQtuQeltE auvoQ6!J.w£ LXVO£ xaxrov/ QLvni.ato-uou trov ltcrAm lteJtQaW£vwv, tT. par P. Mazon. Voir aussi les remarques de A. Schnapp, op. cit., p.10 : "Cassandre n'est pas comme les Eumenides une chasseresse, mais plutot une pisteuse qui revele les crimes passes".

318

o


Longin, fait Ia personne qui se souvient: Cassandre cree Ie chemin du mythe des Atrides; elle est une prophetesse qui reactive Ie passe et fait surgir Ie present et I'avenir proche. Et la, Apollon Agyieus n' est pas un mauvais guide - il I'a bien sUr guidee vers sa mort, ciDmme elle I'a bien prevU672 , rnais en ce qui conceme son activite prophetique, il ne lui donne pas des indices ambigus ou obscurs. Le cas de Cassandre nous ramene

a I'aspect metaphorique de

Ia trace, en tant qu' empreinte d 'un evenement. Une serie de traces est en mesure de guider sur Ie chemin de Ia narration; et c'est ainsi que Longin utilise Ie concept, tout comme Ies nomades d'Australie, allant

a Ia

recherche des 'empreintes des pas de

I'ancetre', repetent Ie chant de Ia creation. Un exemple qui semble Ia metaphore de toute I'activite poetique en tant que marche et en tant que: traces par cette demiere Iaissees, est

I'hymne homerique

a Hermes,

texte que I'edition de Allen-

Halliday date du 7e siec:le au plus tard 673 .

672Je me refere ici aux premieres paroles de Cassandre, quand elle fait un jeu de mots entre Ie mot Apollon et Ie verbe <'mOAAuvm et entre Ie verbe ayeLv et l'epiclese d'Apollon AgyieUls: Eschy1e, Agamemnon, v.l080-1082; v. 10851087. 673Homeric Hymns, ed. de T.W.Allen, W. R. Halliday, E. E. Sikes, Amsterdam, 1980, p.276. J. Humbert Ie date du dernier tiers du VIe siecle:

Homere, Hymnes, texte traduit et etabli par 1. Humbert, Paris, 1967 (1936), p. 115: les traductions que nous citons des hymnes homeriques sont de J. Humbert, sauf si nous indiquons un autre traducteur.

319


XIII. Cheminem,ent et hymne homerique ii Hermes L'hymne a ete l'objet d'analyses tres detaillees et fecondes, en particulier celles de L. Kahn et de A. L. T. Bergren674 . La premiere se fonde sur la mitis d'Hermes, sa puissance trompeuse et ambigueet rend compte de la modalite d'echange de la mediation, "terme clef de l'analyse de l'Hymne (qu'il s'agisse d'echange de positions ou d'echange de biens)"675. La seconde ne separe pas l'hymne homerique

a Hermes

de

a Apollon : son travail tend a presenter leurs sens comme complementaires, a cause de la complementarite de la fonction des deux dieux par rapport au chant. Ainsi, I' hymne a l'hymne homerique

Apollon est selon elle un reflet de ce qui devrait etre pour les rhapsodes la representa.tion en tant que voix, en tant que parole orale676 , tandis que l'Hymne

a Hermes

apparait comme

674L. Kahn, Hermes passe ou les ambiguites de la communication, Paris, 1978; A. L. T. Bergren, "Sacred apostrophe; representation and imitation in the Homeric Hymns", Arethusa : Texts and contexts: American Classical

Studies in Honor of f.-P. Vemant, vol. 15, n. 1 et 2, 1982, pp. 83-108. L'c~tude qui

a change la fa90n de concevoir Ie dieu Hermes, est biensilr celle de

J. -Po Vemant, "Hestia-Hermes. Sur I'expression religieuse de l'espace et du mouvement chez les Grecs", dans: J.- P. Vemant, Mythe et pensee chez les Grecs, Paris, 1985 (1965), pp. 155-201. 67SL. Kahn, op. cit., p.I77. 676"ln the Hymn(s) to Apollo, therefore, the harmonious lyre, the straight arrow, accurate speeech and proper naming all embody the power of unerring representation. This mode is claimed for the voice of the god, for the voice of his surrogates, the Delian Maidens, and for the voice of the hymnist who

320


I'elaboration de I'idee de I'imitation, en tant que discours ecrit677 . L'approche de A. L. T. Bergren est interessante parce qu'elle pose Ie probleme d'une facon assez subtile: elle envisage les deux dieux (Apollon - Hermes) ensemble et elle explique leurs roles par rapp0l1 au chant, et aussi par rapport repetition

a sa

a travers les deux seuls documents poetiques que sont

leurs hymnes 678 • Cette approche a tout de meme un aspect philosophique; I'auteur voit dans les deux hymnes une "version preconceptuelle de la relation entre parole orale et parole ecrite, comme elle est exprimee dans Ie Phedre"679. Nous sommes, pour notre part, plutot interessee par une lecture des deux poemes qui se rapproche de la pratique de la poesie et de ses regles. Ces hymnes mettent en evidence la force du theme du chemin680 et tirent profit de ses vale:urs metaphoriques. represents the voice of the 'blind man from Chios", A. L. T. Bergren, op.

cit., p. 95. 677"But in the Hymn to Hermes, this 'straight arrow' of ideal invocation is defected by the competing and completing mode of imitation, the mode, that is, of writing", ibid., p.95. 678"Taken together, therefore, the hymns to Apollo and Hennes reveal a competition between the gods over the issues of ownership, accuracy, temporal primacy and origin. This competition centers around the problem of repetition. The Hymns pres<ent divergent forms of repetition, two modes of doubling: the 'reprerentation' of the Hymn to Apollo and the imitation of the

Hymn to Hermes", ibid., p.:B8. 679/bid., p. 89. 680Vn troisieme hymne homerique entre ala meme caregorie de ceux qui

decrivent Ie cheminement d'un dieu. n s'agit de l'hymne homerique ii Demeter, que nous n'allons pas etudit~r parce qu'il n'a pas de rapport avec Ie chant: ici, l'errance de la deesse a comme resultat la fondation de son sanctuaire a Eleusis. Vne analyse Ie comparant avec l'hymne homerique ii Apollon est celie

321


Hermes, juste apres sa naissance dans l'antre

au

Maia

demeurait, se mettait d,eja a la recherche des vaches d' Apollon (v.22). Au seuil de l'an1tre eleve il rencontra une tortue. 681 "Hermes sut Ie premier fabriquer un instrument de musique avec la tortue qu'il rencontra sur Ie pas de la porte de la cour cependant que, d'un pas nonchalant, elle paissait devant la demeure l'herbe fleurie"682. L'importance du jral'lchissement du seuil, qui pour les Grecs etait du domaine d'Hennes, comme dieu du passage et des lieux du passage, nous rappelle I'utilisation du theme dans maints exemples

au Ie seuil apparait dans un contexte relatif a la poesie.

En fait, l'espace des portes est une image forte qui jaillit dans des passages

au l'idee du depassement

de la condition quotidienne et

d'entree dans un espace nouveau -ceLui de La poesie, de L'activire poetique, de La Memoire ou de La Write en tant que Non-Oubli -

est un sujet majeur683 . Selon L. Kahn, la rencontre de la tortue

de F. de Polignac, "Demere:r ou l'alterite dans la fondation", in: Traces de

joruiation, ouvrage collectif sous la direction de M. Detienne, ed. Peeters, Louvain-Paris, 1990, pp. 289-299. 681V. 23 : oiJ06v u1C£gtlalvwv iJtjtnQ£qJEo; avtQoLO 682V. 25-28 :

'EQ~fi; tn 1CQ<imata XEAtJV tEX'tnVet' (lOL06v,!

En' au).£illOL 9UQlloL,I

~oaxo~"n

1CQOJtnQOLe£

M~wv

n On

0\ ilvt£~6AllO£v

'QLellAEa 1Colllv,l aaUAa 1Cool

~lvouaa,

trad. par J. Humbert, Coil. des Univ. de France. 683Et ici on doit se rappeleJ: l' expression de Pindare 1CuAa; ii~vwv (01. VI, v.27, voir aussi infra, p. 54); celle de Bacchylide, fro 5 Snell: mEWV 1Cu).a<; et finalement celle, plus tardive, de Platon, Phedre 245a, MovoGl\' 1COLlltLxil<; (h)QU<;, ou il est question de l'inspiration poetique. Voir aussi Parrnenide, infra, p. 197.

322


au seuil exprime bien les deux aspects essentiels d'Hermes comme divinite : ceux de hasard et de signe. "Hasard ou signe, la tortue se trouve sur Ie pas de la porte lorsque Hermes, sitC>t ne, sort de son berceau : hasard ou signe, aubaine ou presage, sumbolon doit etre distingue d'hermaion. 684

•••.

De meme, Hermes

Enodios, place sur Ie chemin, est non seulement un repere spatial, mais il preside aussi

a cette

premiere

rencontre apres qu' on a franchi Ie pas de la porte, rencontre chargee de signes".685 Mais ce n' est pas seulement cela; Ie seuil a, comme on I'a dit plus haut, la force symbolique de changement total de situation, de passage d'un interieur

a un exterieur (et vice-versa). Et c'est

ce que fait Hermes quand il rencontre la tortue: il rentre de nouveau a la maison et <lit en s'adressant a l'animal: "Mieux vaut etre chez-soi; du dehors vient la ruine "686.

684L.

Kahn, op. cit., p.121.

68sIbid., p.122. Sur l'epithete Ev60w" 5OLO" d'Hermes, voir P. Raingeard, Hermes psychagogue. Essai sur ies origines du cuite d'Hermes. Paris, 1935, p. 468 ; "Ev6ow" 5Ow, (TImc. 25,4, APX 12, VI 299; Arrien, Yen. 35, 3; Hesch. bt16EtOV ·EQJ.LOii, ·EQf.lOLO, A6q>o,); place dans 1a rue ou sur Ie chernin Hermes n'est qu'un des dieux de 1a route (Sch. Plat. Phedre 107c)'". Mais il y a aussi " Hermes ltQOltUWLO, (Paus. Athenes, Messene, Megiste), de devant 1es portes" (Ibid., p. 469) et "IIUAW;, (Erythres, i1 s'agit d'un Hermes sur un char), des portes", Ibid., p. 469. Sur Ie role des pi1iers hermaiques, voir: P. Devambez, "Piliers herrnaiques et ste1es", RA 1968, pp. 139-154.

686H. h. Ii Hermes, v. 36: OtKOL BEAtEQOV Citation des Travaux d'Hesiode, v. 365.

323

dvm, tltd Bi.aBEQov to 8UQ~OlV.


Nous sommes done en plein langage de poesie : le seuil, les

pones, autant de notions imagees qui nous font entrer dans Ie domaine de I'activite poetique, introduisant Ie chant, l'inspiration et la memoire poetique. Meme la marche est signalee: la tortue paissait "d'un pas nonchalant"687. Le pas "tranquille" de la tortue, un pas qui ne fait pas de bruit, renvoie au pas d'Hermes et des bovins; leur marche laisse sur Ie sol des traces (tordues ou ambigues), mais la dimension acoustique des pas n'est pas signalee; il y a seulement leur aspect visue!.

a la trouvaille de la tortue, et Ie retour d'Hermes a l'interieur de I'antre equivaut a une transformation d'Hermes en un eaUl-lmol1m6~688 qui procede a la Le franchissement du seuil conduit

fabrication d'un objet quasi-magique au prix "d 'un triple renversement qui est aussi triple passage, du dedans au dehors, de VIe I' exterieur

a trepas,

de

a l'interieur"689

de I'animal. C'est la lyre qui sort ainsi de ses mains, et tout de suite Hermes commence

a jouer, en chantant a la fois

Zeus et

Mala, en "glorifiant son illustre naissance"690. Apres la celebration de sa naissance il chante ]' espace ou il se trouve, et les

agalmata qui peuplent cet antre:

687V.

28 : oaN,a noolv fla"vouoa, tr. par J. Humbert; voir Ie commentaire de

Halliday, Allen, op. cir., p.281 ou est citee la glose d'Hesychius : oaN.a· l<oucpa, iiouxa t(lUcp£()<l. 688L.

Kalm, op. cit., p. 127.

689Ibid., p.123.

690V. 59 : iiv

t" avtoii y£v£~v QVOIUll<AvtOV £~OVOIL<l~OlV,

324

tr.

par

J. Humbert.


"II celebrait aussi les suivantes et la superbe demeure de la Nymphe, les trepieds de la maison, et ses chaudrons dwrables"691. Le chant d'Hermes double Ie contenu de l'hymne homerique, puisqu'illoue sa provenance (ses parents) et sa demeure; ce chant entre dans Ie domaine de la Memoire, car il appartient

a la

genealogie et il decrit en meme temps des objets qui rejouissent l'reil, des agalmata qui perpetuent la memoire, pareils aux dons de I'epOpee692. Mais Hermes nous est presente pensant

a la

viande en meme temps, et il bondit du megaron odorant. Recapitulons : Herm,es chante un hymne dont il est lui-meme Ie sujet; ses actions font partie de cet hymne. II joue d'abord un

prooimion, un hymne qui celebre sa naissance et sa provenance. Le seul episode apparteillant au recit de sa naissance qui est omis de cet hymne qu'Hermes joue en s'accompagnant de sa lyre, c'est la construction de cette lyre-meme. Apres sa naissance, pris d'un desir de viande, il va vers les vaches d' Apollon. Puisque Ie discours et les actes ne font qu'un pour Hermes ("il meditait

a la fois

des paroles et des actes"693), nous formulons

l'hypothese que l'aventure qui suit n'est qu'une partie de ce qu'il chante; Ie recit du vol des bovins et de tout ce qui arrive apres,

c

691V. 60-61 : 'AflljJlJtoI.O'Ue;

tE yt(?aLQE "at iIyl.aiI OOJfUlta V"fL<p11e;/ "al t(?l3to6ae;

J. Humbert. op. cit., p. 98 : "When Hermes first plays the

"ata ot"ov bcnEtavoue; tE ),tjl'ltae;, tr. par 69~Voir aussi

A. L. T.

Bergrl~n,

lyre, .... he plays the poet of his own origin, that is, the poet of the hymn to Hermes."

693Y. 46 :

we; iifL' E3tOe;

tE

"al ÂŁ(?yov EfLiJ6EtO "U6LfL0C; 'EQfLiie;, tr. par

Humbert.

c 325

J.


appartient Ii son chant, c'est un

olll-o~,

un chemin equivalent Ii

l'oLll-n. La phrase qui dit que "tout en chantant ces splendeurs, il n'en avait pas moins d'autres projets en tete"694, sert de lien entre Ie prooimion, la partie ou est decrite l'action de chanter et sa naissance, et la suite qui represente ses actes, actes chantes, actes qui sont des paroles (ema) pour Ie poete, comme il est dit au sujet d'Hermes (v. 46).695 Toute la course d'Hermes et Ie chemin qu'il suit apres Ie vol des bovins, itineraire trace au sol, d'une faeon etrange et brouillee, ne sont, d'apres cette hypothese, que les empreintes spatiales de son chant, empreintes que Ie rhapsode sait dechiffrer, car elles appartiennen1t Ii la Memoire, une sorte de Memoire tracee, de signes bizarres, l'ecriture.

694V. 62 : xat ~iI fJ.EV ouv nELl')E, ~iI I\t CPQEOtv aUa fJ.Evolva, tr. par J. Humbert. 6950n verra ici I'analyse de L. Kahn sur "Ia correspondance etroite qui unit Ie chant de la Iyrea.la reaIite du monde qu'elle evoque", ibid., p. 13 1. Selon elle, "Ia question prephilosophique sur l'ecart reaI.ite-fiction est d'une certaine maniere sans reponse : la parole du peete est au monde; elle n'est pas question. Elle est perpetuellement emergence d'une part, d'autre part experience des interferences du dehors et du dedans, de la rencontre exterieure inquietante et de l'intervention psychique interieure perturbante", p.132. Meme si cette analyse fait partie du commentaire que L. Kahn fait sur Ie chant qu'Hermes fait ecouter a Apollon, il n'empeche qu'elle a une valeur plus generale, s'appliquant a I'ensemble de la poesie. Mais ici de surcroit, on se trouve devant la construction meme de cet hymne homerique qui donne encore plus de fondements a ce melange de reaIite et de fiction, de paroles et d' actes, de leurs signes; car ce melange ,est propre aHermes l'ambigu.

326


Hermes arrive alors aux montagnes de Pierie quand Ie Soleil, quittant la terre, plongeait dans l'Ocean; son voyage jusque la n'est pas decrit; la seule information qui a ete donnee, c'est qu"'il y parvint en courant" 696 . Hermes donc parvient, rapide, aux vaches et sans laisser die traces derriere lui. II ampute Ie troupeau de cinquante vaches et ill repart. Dans les vers suivants (v. 75-86) Ie mouvement des vaches nous est decrit a partir de leurs etranges empreintes, et celui d'Hermes, a partir des sandales extraordinaires de sa fabrication. En fait, Hermes pousse les vaches devant lui

"a travers Ie terrain sablonneux, en retournant leurs traces "697, tandis qu'il marchait lui-meme en sens inverse. 698 Les sandales qu'il portait, lui, illes jeta sur Ie sable et les remplaca par d'autres, merveilleuses, qui lui eviterent la fatigue de la route 699 . L'itineraire suivi par Hermes nous est decrit en detail: partant des montagnes de Pierie (oli il avait vole les vaches), il traverse un terrain sablonneux au bord de la mer700 (oli il laisse les etranges empreintes) et apres etre sorti de la Pierie701 il gagne la plaine en traversant les doux herbages d'Onchestos 702 (oli il 696v. 70 : (lCpl"avE 6EWV, tr. par J. Humbert. 697V. 75-76 : oLiI 'lj!afla6wOEOl XWQOv/ IxVTI aJtOatQE1I'a<;, tr. par J. Humbert. 698v. 78 : "ata 0' ÂŁf.lJtahv a'ut6<; ÂŁ!lawE. 699V.

85 : OOOLJtOQblV

al.,,(VUlV.

700v. 79 : W.lWLV. 701 v, 85 : fhEQln6Ev. 702v. 88 : LEflEVOV JtEblov

liE OL' 'Oyxnm;6v l.ExEltolnv.

327


rencontre Ie vieillard). On voit bien que jusque la, chaque etape de I'itineraire est marque par un evenement : Ie vol, les traces, la rencontre du viellard. Chaque endroit a donc ete scelle par une action, et la ligne de I'itineraire est un veritable "chant de piste"; elle evoque la memoire des evenements survenus. L'ensemble des lieux geographiques, relies entre eux par Ie mouvement de I'acteur, cree Ie chant que Ie rhapsode emprunte a la maniere dont il suit un chemin. Hermes, est a la fois Ie protagoniste et Ie rhapsode. Apres cela, tout en continuant a pousser Ies vaches, il traverse des paysages anonymes : "beaucoup de montagnes ombreuses, de vallees sonores et de plaines fleuries"703, jusqu'a ce que, au p,oint du jour, il passe Ie fleuve Alphee. II s'arrete la, pres des abreuvoirs d'une etable au bord d'une prairie magnifique 704 , ou il va faire un sacrifice, un sacrifice qui va "contre les regles"70S. Apres Ie sacrifice, Hermes rentre chez-lui, sans se faire voir, sans faire de bruit :

703v. 95-96 :

JIoHit o' 1iC'~ aXLoevlU xuL UUAWVU£ xe).uoELVOu;/ xuL JIeol'

itvflqwevw OLnAuoe XUOLilD£ 'EQf1ii;, 704V.

103-104 :

Lxavov

tr. par J. Humbert.

E£; aVALOV U'l'Lf1EAa8Qov/ xaL

A~V01J£

lTQOrrcigOL8E\'

itQlJtQEJtEO; ).EL,uovo£. 70SVOir 1'analyse

de L. Kahn dans son chapitre "Contre les regles; un sacrifice

efficace",op. cit., pp. 41-71. L.Kahn voit dans I'itineraire d'Hermes "des

connotations spatiales qui ... vont de pair avec la metamorphose du statut du troupeau". (Ibid., p. 48).

328


"Vers Ie matin il revint aux cimes divines de Cyllene sans rencontrer personne sur cette longue route -Dieux bienheureux, ni hommes immortels - et les chiens meme ne donnaient pas de La voix. Hermes, Ie fils bienveillant de Zeus, se glissa obliquement par La jermeture de La salle, pareil

a La

brise d 'automne,

comme un brouillard. IL se dirigea vers l'auteL opuLent de L'antre, apas silencieux : ses pieds ne jaisaient pas de bruit, comme il arrive d 'ordinaire sur Le sol. "706

Recapitulons de nouveau : pour voler les bovins, Hermes arrive en courant, en un temps eclair, temps qui n'entre pas dans la narration. En compagnie des cinquante vaches volees, il passe par des endroits, des lieux marques par des evenements singuliers (traces, traversee du fleuve, sacrifice, effacement des traces du sacrifice)707. II rentre finalement a I'antre de sa naissance invisibLe, silencieux. Ainsi nous voyons effaces par Ie poete les

deux moments cruciaux, celui du depan et celui de l'arrivee du dieu dans I'antre : personne ne peut temoigner de ceux-Ia; de plus, la dimension sonore de tout Ie voyage a disparu; demeurent seulement les empreintes brouillees et inversees sur Ie terrain sablonneux (qui n'occupe qu'une partie de l'itineraire du dieu), et 706H. h.

a Hermes, v. 142-149, v.145 : 000£ XliVE;

).EAuxOVto;

v. 147: aU(ll1

v. 149 : nxa ltool ltQO~L~<iJV. ou yQ.Q xtliltEV 6>; ltEQ tJI' oiibEL, tr. par J. Humbert. 707H. h. aHermes v.138-141 : "apres avoir accompli tous les rites ainsi qu'il OltO)(lLVfj £vaklyxLO;, 'init· 0lllxkn;

se devait, Ie Dieu lanya d'abord ses sandales dans les tourbillons profonds de l'Alphee; puis il etouffa les charbons et passa Ie reste de la nuit a couvrir de sable la cendre noir.", tr. par J. Humbert.

329


Ie signe du sacrifice, II~s chairs des deux vaches suspendues en l'air708 . II est vrai done que de I'itineraire d'Hennes, il ne reste que des signes visuels et ceux-Ia, "renverses, doubles, embrouilles, se perdant finalement lorsque Ie terrain redevient plus ferme"709. En fait, Hennes n'ouvre Ie chemin qu'a travers son chant, chant qui inclut Ie recit du vol, chant qui raconte la creation des signes; ce frayage est done du domaine de la metaphore se rapportant a I'art de la poesie. Mais Ie chant trace sur Ie sol qu'Apollon suit en essayant de Ie lire, de Ie dechiffrer, tel Ulysse dans Ajax ou Cassandre dans

Agamemnon~

appartient a la

memoire, une autre sorte de memoire, celle qui est tracee, la

memoire de l'ecriture. Les traces qu' Apollon regarde (1:XVlU, v. 220), celles qu'Hennes a inventees et laissees, proviennent de pas

qui ne sont ni "ceux d'ulD homme, ni d'une femme, ni de loups au poil gris, ni d'ours, ni de lions, ni meme d'un Centaure"710. ApoIlon, pour sa palt, raconte de nouveau Ie trajet d'Hennes, puis entre dans sa demeure et I'oblige a aller comparaitre avec lui devant les Immort:els. Pour y arriver, ils marchent, I'un derriere I'autre, de nouveau sur Ie sable, mais cette fois rien ne nous est dit sur les traces qu' ils y laissent; neanmoins, c' est

ai'illa VEn~

708V.

136:

'PwQiK

709L.

Kahn, op. cit., p. 46.

7l0V.

222-225, tr. par J. Humbert: il faut remarquer ici qu'Apolion va dans

son explication de I'homme vers la creature la plus eloignee de I'homme, en passant par des espeees dont Ie degre de sauvagerie est de plus en plus grand.

330


Hermes qui marche en avant7 lJ . Devant les dieux, Apollon racontera de nouveau Ie trajet en decrivant encore une fois les traces etranges qu'il a vues: "les traces etaient doubles -extraordinaires, et propres

a etonner712", "quant aux vaches,

la poussiere

sombre en montrait aussitot les pas, tournes vers la prairie d'asphodeleS 713 "; Hermes, lui, "avait imagine je ne sais quel autre moyen quand iI foulait Ie sentier en y laissant des traces etranges comme si on marchait sur de petits arbres714 ". Ces traces apparaissaient facilement sur la poussiere, mais sur un sol plus dur, elles disparurent soudain (v. 350-354). La plupart des mots utilises par Apollon pour decrire l'activite d 'Hermes sont de la famille de t\il!uua

(v. 344),

f3aLvo~

t\aLvE~v: tl<ic'i~~'

(v.320),

(v. 349). C'est la marche d'Hermes qui

interesse ApolIon, cette marche et les traces qu'elle laisse, mais tout cela est toujours bien en rapport avec Ie chant: Ie verbe c'i~mQLtlE~v

(v. 348) n'est pas non plus sans lien avec la marche du

poete; et cela va etre evident plus tard,

a propos

du chant

qu'execute Hermes devant Apollon.

711V.

320-321 :

tCClJI!EVW<; oi) mma OLa \jKlfLolloLO fl<iOL~eI 1t{!6cllEv, ataQ

xatOm..a6f 6L6~ xat Allloti; viOl;;. 712v.

342-343 :

"ta o' uQ' txvLO OOLO, 1tEAwQa/ oto "t' ayoccacllaL,

tr.

par

J.

Humbert;. 713V.

345 :

714V.

348-349 : iJJJ:

av-r(a /lnfLQ"t' txouca xovL<; avtQxILvE fLV,aLVa, U)),WV "<Lva fLi)nv EXWV

Et tl UQaLtiCL o(>IJcl /lalvOL,

tr. par J. Humbert.

331

od,[JifJr

tr.

par

J. Humbert.

xdm6'a/"toia 1tV,wQ',

w;


Hermes repond aux accusations d' Apollon en niant sa culpabilite; il fait memf: un serment : "et ce grand serment couronnera rna defense: NON, par les somptueux portiques des Immortels"715.

Le serment d'Hermes se rapporte a la porte; et comme on a vu il existe un Hermes JlgmnJAaLo<;, un Hermes JluATn;n;, et un Hermes JlUAW;, et cette porte nous rappelle de nouveau les portes de l'entree du chant. Apres cela, Herme:s est contraint par Zeus de conduire Apollon jusqu'a la haute etable, d'y entrer et de ramener les vaches aux tetes puissantes. Et quand Apollon menace de nouveau son jeune frere, ce demier l'apaise en jouant de la lyre. Le vol des vaches va etre oublie, et tout rentrera dans I'ordre, car Hermes seduit Apollon avec Ie jeu de sa lyre 716 , et son chant

renoue avec Ie premier, celui de l'invention, chant qui est reste . suspendu mais dont Ie vol des vaches a occupe une longue parenthese. Hermes Ie continue ici en louant les dieux et Mnemosyne, mere des Muses. Les Irnmortels, il les celebre "suivant une belle ordonnance" '717. Le jeune dieu, par consequent, apres sa naissance et en inventant la lyre, franchit Ie seuil du chant; et il est en mesure de chanter lui-meme, sa provenance, son kleos dfi au vol des vaches. (Comme ille dit

a Zeus d'une facon presque

715V. 383-384 : ILEyo\' /j' Em.lliJoOlLaL o(Âť<o\,'/ OY IJ.ir t<il'>' iIllo\,atw\, Ei",60lLnto ltQofhjQaLO, tr. par J. Humbert. 716Voir Ie chapitre "Sortileges de lyre et de langue: les ruses du desir et de la persuasion", de L. Kahn, op. cit., pp. 119-162. 717V. 433 : lta",' t\'btw\' "at(, ,,601LO\'. tr. par J. Humbert.

332


comlque, a propos du voleur des vaches "il n'entend que Ie kleos"718. ) Tout comme un poete, Hermes fonde son propre kleos, en racontant l'histoire du premier jour de sa vie. Ce kleos, tout comme celui d'Ulysse, se rapporte a un trajet parcouru, a un itineraire bien precis ou il devient I'acteur principal et qui est par lui-meme trace sur Ie sol. Les empreintes, tout en etant bizarres et differentes de toutes celles des humains ou des animaux, ramenent a lui, conduisent qui les suit jusqu'a l'auteur du chant, jusqu'a Hermes lui-meme, et peuvent etre chantees et racontees par lui-meme, seul capable de les dechiffrer. Ainsi Hermes invente-t-il l'art des traces avec les traces de pas qui sont les siennes tout comme les aborigenes d' Australie dans des trajets geographiques, ont pu reconnaitre et chanter les pas du trajet de l'ancetre. En continuant son ehant par I'hymne a Mnemosyne et aux Muses, Hermes declare son appartenance au champ de la Memoire, memoire qui fonde son kleos comme celui d'un mortel, d'un poete mortel. Et Apollon reconnait I'art d'Hermes; il suit Ie chemin

(tQij30l;)

de son chant, chemin fraye par ses pieds

foulant Ie sol, chemin constitue par les traces qu'il a laissees de la marche. Et la on se rappelle de la phrase d' Apollon decrivant l'itineraire (egal au chant) d'Hermes, ou Ie mot

'tQll3ol;

pour Ie chemin du chant est contenu dans Ie verbe decrit la creation des empreintes sur Ie sol:

718V.

277 :

to

OE

XAEO; oLav ilxOtJw.

333

utilise ici

/),f.'tQLI3E,

qui


"il avait imagine je ne sais quel autre moyen quand il

foulait Ie sentier en y laissant des traces etranges"719. Et quand Apollon d,emande l'echange des vaches contre l'art d'Hermes, ce dernier accepte de lui apprendre

a "marcher sur la

voie de cet art qui est Ie sien720 ", art dont il avait auparavant (alors qu'il etait de retour de son itineraire) informe sa mere qu'il allait etre leur moyen d'entrer au nombre des Immortels et de recevoir des offrandes et des priereS 721 • Ainsi Apollon et Hermes apparaissent dlesormais ensemble dans Ie domaine du chant "car l'epiplhanie d'Hermes c'est Ie vol de l'epiphanie d'Apollon, un vol en echange de I' epiphanie ApollonHermes 722 " • Et ils apparaissent ensemble parce qu'il sont associes par Ie chant et par la Memoire. Dans son livre Hermes psychagogue, P. Raingeard a recense plusieurs monuments representant ensemble Apollon et Hermes. Nous avons selectionne ceux qui illustrent mieux notre propos: Au piedestal d' Altis, Hermes est avec Hestia; Apollon et Artemis lui font pendant723 ; apres l'autel d'Hera Olympienne, on rencontre selon Pausanias un autel d'Apollon et d'Hermes: "11 est commun aux deux divinites parce que dans la tradition grecque

719V. 348-349, tr. par 1. Humbert. Voir, supra, n. 714. 465 : t£xvne; nll£t£(?Tle; i':lnjlnflEVaL oil n ll£yalQw. 721V. 166-169 : autuQ tvw tltxvne; EJtLflnoOflUl ii ne; <lglotn . 722A. L. T. Bergren, op. cit., p.103. 720V.

723P.

Raingeard, op. cit., p.62.

334


Hermes a invente la lyre et Apollon la cithare"724. A Argos, toujours selon Pausanias, au sanctuaire d' Apollon Lycios,

a

l'interieur du naos, "il y a un Hermes qui tient en l'air une tortue dont il veut faire une lyre"725 A Thebes, selon Pausanias encore, pres du temple d'Artemis Euclea "il y a un Apollon sumomme Boedromios, et un Hermes dit de l'Agora : "il s'agit d'une offrande de Pindare"726. Nous soulignons la provenance de l'offrande : c'est un poete, Pindare lui-meme qui a dresse les statues des dieux du chant. A Thebes, de nouveau, selon Pausanias egalement, vers les Portes Electres,

a proximite

du

champ ensemence des dents du dragon, il y a une butte consacree

a Apollon et en suivant Ie chemin d'acces il y a une Athena et un Hermes nommes les Pronai"oi, de marbre 727 . lei Hermes se trouve de nouveau associe au chemin et l'entree. A Pompei, sur les fresques, Hermes est associe a Apollon lyricine728 . 11 existe, en outre, des monuments ou sont associes les trois divinites ayant un rapport avec Ie chemin du chant : les Muses, Hermes et Apollon. De l'inventaire etabli par P. Raingeard, nous

choisissons les exemples qui semblent bien representer notre point de vue. A Megalopolis, il existait un sanctuaire commun des Muses, d'Apollon et d'Hermes, mais au temps de Pausanias il n'en subsiste plus que quelques assises, une Muse et une statue

724Ibid., p.64; Pausanias V, 14,8. 725Ibid., p. 87; Pausanias, II, 19, 7. 726Ibid., p.154; Pausanias, IX, 17, 2.

727Raingeard, p.154; Pausanias, IX, 10, 2-3. 728Raingeard, p. 298.

335


d'Apollon sculptee a la maniere des Hermes rectangulaires 729 .

;

et c'est une ironie de la fortune de voir que du sanctuaire des divinites de la memoire n'avait subsiste rien de memorable : 1ivT)IiTlV.

E~

Dans Ie bois des Muses de l'Helicon, "il y a encore un

Apollon de bronze .... et un Hermes qui se disputent la lyre" dont Pausanias ne nous dit pas l'origine, mais qu'il nous montre places au milieu d'ceuvres de Cephisodote, Strongylion, Olympiosthene, Lysippe (lVe siec1e) et Myron eVe siec1e)73o. En Locride, une inscription du lIe siecle parle des sacrifices gu' offrent les comediens a Apollon, a Hermes et aux Muses 73 !. Selon Arrien, enfm, Hermes est associe aux Muses, a Apollon et a Mnemosyne, dans les sacrifices des hommes qui s'instruisent732 • Mais Hermes se trouve egalement associe seul aux Muses. Des documents archeologiques ou des monuments cites dans des textes, nous en avons. AI'Academie,

"n y a un autel des Muses,

et un second a Hermes, et a l'interieur a Athena; et celui-la ils l'ont consacre a Heracles"733; a Teos, dans une inscription concernant une amende pour violation des regles des jeux, il y a

729Raingeard, p. 54; Pausartias, VIII, 32, 2 : t6 O£

tWV MODOWV 'AJto),l.wvo; tE

LEQav xal 'EQfloii, xataoxElJao6tv O'PLOLV EV XOLV,p JtaQELXEtO E; LLvnflnv 6EflEl.La

oil

JtQ).l.<i.

73oRaingeard, p. 162; Pausanias, IX, 30, 1. 731Raingeard, p. 173; IG, IX (lGS, III)I, 278 = Collitz. Bechtel 2, 1502. 732Arrien, Cynegerique, 35, 2 : .... MvnflOO"li"ll xat 'Ewfj,

xal OL Ufl'Pl JtalbEDolv

Mo,;oaL; xai

(Arrianus Scripra minora et jragmenra, ed. A. G. Roos,

Leipzig, 1967), 733Pausanias, I, 3D, 2 : Eon b'

Mouowv

'A6n va ;.

336

tE flwf16;

XUt

EtEQO;

'EQfloiJ xat £vOOv


une reference

a un sancltuaire commun a Hennes, a Heracles et

aux Muses 734 . Tenninons avec un exemple appartenant

a une

periode de

beaucoup posterieure, mais qui montre bien que Ie rapport entre Hennes et Muses passe par Ie chemin, Ia memoire, I'ecriture, la poesie : \ "A 15 milles de Rome, pres de Labicum, ... un certain Fronton, intendant de Claude, avait une villa 'les Platanes' ou Domitien aurait fait donner des 'recitations' dont s'est moque Juvenal Ouv. I, 12). Un Hennes y montrait Ie chemin de la Bibliotheque et l'image etait associee au culte des Muses. Dans l'epigramme qui nous a ete conservee les Muses s'adressent a Hennes: 'Dis que ce bois est consacre aux Muses, apres avoir montre la Bibliotheque qui est aupres des Platanes; dis que nous sommes aux aguets : s'il vient ici un veritable amateur, nous Ie couronnons de lierre"'.735 Les papyrus magiques font d'Hermes un enfant de Mneme736 . Et

a la

fin de I' hymne orphique

a Hermes,

Ie chanteur fait

vreu que lui soit accordee "la faveur (grace) des paroles et de la memoire"; cette demiere fait donc, une fois de plus, I'objet d'un rapprochement avec Hermes.

734Raingeard, p. 225-226. 73sRaingeard, p.305; Kaibel 829 = IG, XIV, 1011 = C16186. 736PGM,

vol. I, V, 415 : OEUgO,

~xag, Mvnfln; lEt.EOL<pgovoC; uit ~YLa1E.

337


Hermes apparait lie au chemin du chant: l'invention de la lyre et l'invention de l' ecriiture qui lui ont Me attribuees 737 , sont contees dans l'hymne homerique, comme les traces d'un itineraire, itineraire appartenant

kleos a lui,

a la

memoire et formant son

a la maniere des rhapsodes. Ce sont done les traces du

chemin du recit qui fondent Ie kleos d'Hermes, chemin chante par lui-meme merveilleusement et provoquant Ie grand etonnement et Ie plaisir de son frere Apollon. Les traces sont liees

a un chemin, qui est en meme temps geographique (comme

celui des Australiens) et represente une histoire, un recit, un chant; dans l' hymne homerique

a Hennes

est structuree la

a travers des signes visuels. Hermes remonte sa piste et oblige Apollon a la remonter a son tour pour Ie retrouver; il s'agit d'un actemetaphore du chant et du processus de rememoration

metaphore de ce qui est dit ensuite sur Ie chemin du chant par Apollon lui-meme

("tExVT)~

btL/3ilI.tEvm).

Dans I' hymne homerique

a Apollon,

par contre, Ie chant se

presente comme un choix parmi differents itineraires geographiques, et Ie resultat du parcours, c'est la fondation. Cet hymne est anterieur de l'hymne homerique

a Hennes; J. Humbert

Ie place dans les premieres annees du VIle siecle (ou les dernieres du VIIIe 738 ).

737La deuxieme d'apres, parait-il, la tradition egyptienne : sur Ie sujet, voir P. Raingeard, op. cit, mais aussi, Diodore de Sicile, I, 16 : tliv tE rugEOlv tillv ygaj.4.LCttUlv yEvEollat.

738Homere, Hymnes, texte traduit et etabli par J. Humbert, Paris, 1976, p. 76.

338


XIV. Cheminement dans l'hymne homerique

a

Apollon La memoire, en tant que contenu du chant, est presente des Ie premier vers de l'hymne: "loin de l'oublier, je me souviendrai de l' Archer Apollon"739, et Ie deuxieme vers decrit I'arrivee du dieu sur I'Olympe, arrivee qui, it l'oppose des parcours d'Hermes est loin de passer inaperc;ue et fait trembler les dieux74O. Apres la description de cette entree d' Apollon (v. 113) et Ie salut

a Uta

(v. 14-18), suit une phrase 741 de transition

annonc;ant Ie developpement des deux parties, des deux themes centraux de l'hymne (qui pour certains philologues constituent deux hymnes distincts: l' hymne deLien et l' hymne pythique). Cette phrase exprime Wle aporie: "Comment te celebrer, toi dont tant d'hymnes celebrent la gloire?"742. La question est analysee

739V. 1 :

MviJoofUlL 000, l..aSwfUlL 'A;'t6Uwvo; ",almo,

74Ov. 2 :

6v

"ala

tr. par J. Humbert.

16V'to. 741Sur I'unite de l'hymne voir Ie commentaire de T. W. Allen, W. R. Halliday, E. E. Sikes, op. cit., pp. 186-193; voir aussi : A. M. Miller, "The 'IE

Seal

OOl!J.O LH6; lQO!J.拢o'llOLV

address to the Delian Maidens in the Homeric Hymn to Apollo : Epilogue or Transition?", TAPA 109 (1979), pp. 173-186, ou est aussi demontree la valeur transitionnelle de la phrase du v. 20, apparaissant aussi au v. 207. Le meme auteur a ecrit une monographie sur l' Hymne homerique a Apollon, ou est expose toute la bibliographie qui Ie concerne : A. M. Miller, From Delos to Delphi, Leiden, 1986. 742V. 19 : II",; l路 ag o路 il!J.vilOW JtUVlW; EUu!J.VOV EaV'to; . tr. par J Humbert.

339


dans les vers suivants, oil elle est posee de nouveau, cette fois en tennes geographiques. Selon A. M. Miller, "two adverbs of manner,

Jtw~

and

Jt(ivt(j)~,

defme the difficulty: although Apollo is in all ways a worthly subject of song, a merely mortal encomiast must choose one particular way in which to begin743 . S'il est vrai qu'au debut du chant on entre dans Ie domaine de la Memoire (v. 1), ces vers n'expriment pas vraiment un embarras reel, mais un vrai embarras relatif au monde de la creation et de la rememoration poetique. Puisque les differents chants-recits presupposent I' existence de differents itineraires poetiques (equivalents

a des

voies de memoire), Ie poete se

demande lequel d'entre-eux il doit emprunter. Chaque lieu geographique represente un episode digne d'etre narre; plusieurs endroits rassembles en une ligne, constituent Ie chemin du chant. D'ailleurs c'est dit de facon tres claire: "Tous les Heux, sur Ie continent nourrlCler de genisses ou

a travers les iles lancent les modes du chant.

743A. M. Miller, op. cit., pp. 184-185; apres quoi l'auteur interprete Ie passage qui suit (v. 20-24) comme purement metaphorique, alors que, selon nous, ses remarques, d'ailleurs tres subtiles, meriteraient d'etre legerement nuancees: "The aporia propounded in I. 19 is then explained and amplified by a 'summary priamel' that tran!Jates the poet's thematic embarras de richesse into the concrete language of metaphor (20-24). Only when Apollo's universal 'range of song "has been vividly sketched in geographical terms the poet proposes one specific theme (25ff) choosing, out of 'all the ways' (It<ivtw,) in which the god could be celebrated, the one 'way' (w,) of his birth; out of all his VfiOOL, the xgavan Cynthus", p.185.

vfiOo,

of Delos; out of all his v'lJT1).<i agw the ago, of

340


Tous les hauts lieux te sont agreables et les clmes aitieres des caps montueux, et les fleuves qui coulent vers Ia mer ret les falaises qui tombent dans Ies flots et les ports de Ia mer]744". Puis, apres avoir expose de faeon schematique (hauts Iieux, cimes, fleuves, falaises, ports), l'ensemble des Iieux de depart, Ie poete choisit Delos et l'histoire de Ia naissance d' Apollon. Apres quoi, il parcourt en les enumerant les lieux qui ont refuse 744V.

20-24 : Davtn ya(! tOL, cI>OLf\E, v611O, flE/li.iJataL \h&iq

ii~v

av' iilteL(!Ov

ltO(!tLt(!6qJOv iio' avo. vilootJ,.! DaOaL of. oxoltLat tOL Mov xat It(!<iJove, IIX(!otl irljJni.wv O(!EwV ltmaJl.Ol 6' iiAaoe It(!O(!ÂŁoVtE, [aXtat t' et, iiAa XEXAL~VaL A4J1ve, tE 6a).aoon,j, tr. par J, Humbert. On a ici pris la lettre l'expression v6~o,

a

fleflAiJataL <,00;;,; dans Ie vers suivant, Ie mot Mov qui existait dans Ie papyrus, serait plus conforme,

a notre avis, puisque Ie sens aurait ere en ce cas que tous

ces lieux geographiques chantent Apollon (comme les points des itineraires arwanda); mais nous ne nous sentons pas competents pour proposer de tels changements. Voir aussi A. L. T Bergren, op. cit., p. 91: " ... the hymning of Apollo must represent the reality of the god : as he covers all geographical vOllOt

(vo~6,=

place of pasturage) so his hymn must contain all the V6~OL

(v6~o,

= type of song of the entire 'range' of its possibilities, a total

representation that would contradict the limits of time and space)". Selon G. Roux, ces vers representent une "belle carte en relief de la Greee vue d'oiseau, telle qu'elle apparait

a vol

a un dieu parcourant les espaces du ciel et

embrassant d'un regard l'etendue de son empire", G. Roux, "Sur deux passages de l'hymne homerique

a ApoIlon", REG 77

(1964), pp. 1-22, p.6.

Voir aussi Pindare, fr.ll= xLvn6el, muev/ yav tE xaL <--> 6UAaooav/ xal OXOltLaLQLV <tJ-->/ -O(!t",v illtE(! EOtai xat

~tJxoiJ,

oL~UaatO

flan6~evo,

XQTIltLOO, o.AOEwvj Kat ltote lOV t(!LXU(!aVov/ DlWLotJ xEtJ6~va xmtaxe6ÂŁ xoU(!O = "il prit son elan et parcourut la terre et ... la mer; et, sur les guettes ... des montagnes, it s'arreta, et il explora leurs replis, y jetant Ie fondement des sanctuaires ... et, un jour, la fille (d'Athenes) occupa la retraite a trois cimes du Pt60n" : Pindare, lsthmiques etfragments, 1. IV, Collection des Universites de France, texte etabli et traduit par A. Puech, Paris, 1961.

341


accueillir UW et d'etre ainsi Ie lieu de naissance du dieu Archer. C'est III Ie premier catalogue geographique de l'hymne. A. W. Miller ecrit: "The movement that gradually unfolds through the lines is a slow clockwise spiral from Crete up to the western coast of the Aegean, across the Thraxian seabord, down Ionia and the eastern islands to Carpathos - that is nearly full-circle to Crete again - with a fmal swing inward through the Cyclades to Rhenaea, Delos' closest neighbour. Formal and metrical considerations, however, take precedence over strict geographical sequence"745 . Cette enumeration de lieux represente un double parcours: parcours de Leta

a travers

Ie monde, et parcours mnemonique

du poete. A ce dernier, les epithetes qui caracterisent les differents endroits (de nature essentiellement visuelle) et la forme metrique, apportent des soutiens de differentes sortes. Ce parcours se termine

a Rhenee,

au voisinage geographique de

Delos, derniere escale de Uta avant l'accouchement d'Apollon.

745A. W. Miller, ibid., pp. 33-34. Voir aussi Ie commentaire de HallidayAllen-Sikes,op. cit., pp. 20:5-209.

342


Le moment de la naissance est Ie seul moment d'immobilite,

puisque juste apres, Apollon demande sa lyre et son arc (v. 131) et se met en marche746 • Sous ses pas Delos se couvre d'or747 . En possession de la lyre et de I'arc, Ie dieu parcourt Delos748 et erre parmi les iles et les hommes 749 • Le poete fait ici encore un petit tour sur les cotes de ]'Asie Mineure Oil Apollon possede des sanctuaires750 avant de revenir

a Delos pour decrire la grande

panegyrie ionienne qui y a lieu 751 .Un rapprochement semble se dessiner entre les Deliades et les Muses: les Deliades sont des kourai; elles chantent un hymne "aux hommes et femmes de jadis", en penetrant une fois de plus dans Ie domaine de la memoire

(~Vllo6.~EVaL,

v. 160) et comme les poetes mortels, elles

ont leur propre kleos 752 . 746 V. 747

133 : Gx;

eLmov EIlLflaoxEv btl X60v6<; Eil(l'U01iEln<;.

v. 135-136; Dumezi1 pense que ce1a exprime bien l'origine unique non

seu1ement de l'alimentation, mais aussi de 1a richesse qui seront celies de Delos: "exterieures,

importees~.

G. Dumezil, Apollon sonore et autres essais,

Paris, 1982, pp. 9-108, p. 29. Nous trouvons son interpretation un peu exageree. 748v •

141 : aUotE

Iliv t' btl K 1iv6ou EIlnoao ltaL3taA6EVlo<;.

749 v .

178 : a).),.OtE

0 CIii vnoou<; tE xaL aVEQa<; nI-CtOXal;E<;.

75Oy.

179-180 :

-Q,

ava, "al AuxLnv xaL MuovLnv tQatELvnv/ xal MLl-ntOv

ExEL<;, rva),ov lt6l.L\' lIJ.EQ6EO(J(JtV. 751 V.

181 : ailto<;

0' ail AnI-ow ltEQ'XI-OOtOU fliy' avCtooEL<;.

Une tres interessante

analyse de 1a partie delienne a ere faite par A. L. T. Bergren, qui voit une sorte d'equivalence entre les Ioniens, les Deliades et Ie peete de l'hymne, puisque tous se ·rappe1eront~ (IJ.viJaovtm) Apollon (p. 92); 1a caracteristique d' Apollon, la voix, connote aussi l'activire des Deliades et du peete, qui offre ainsi Apollon un

"Mo<; ttEtVIJ.OV,

a

un vrai kJeos. Mais pour elle ce qui importe

surtout, dans toutes les caracteristiques d' Apollon, du poete et des Deliades

343


La partie delienne de l'hymne homerique se termine par une fonnule qui sert aussi de cloture, mais qui ici a une fonction de transition; "moi, je ne cessserai point de celebrer Apollon, l'Archer

a

l'arc d'argent, que Leto aux beaux cheveux

enfanta "753.

La Suite Pythique de l'hymrie decrit "les faits et les gestes du dieu qui 'se met en marche' sur la terre aux larges routes jusqu'au site retenu pour batir un temple magnifique. L'hymne met en scene Apollon defricheur et constructeur. II traverse de grandes surfaces boisees sans routes ni chemins, des paysages vides, sans habitants, sans aucune cite

a

l'horizon "754. (lyre, parole vraie, parole oraculaire, arc comme homonyme de la lyre) se rapporte ala representation. 752Sur ce sujet, voir aussi : C. Calame, Les cJueurs de jeunes fllles en Grece

archalque,op. cit., pp. 145-146 et surtout pp. 195-204 ou est discutee aussi la reaJ..ite cultuelle des Deliades. 753V• 180-181 : Autag

EYWV

ou

).,jl;w

tX'1BoA.oV

'AJtol.A.wval

Uf1VEWV

ilQYtlgOtol;ov, 6v iriixOf1Ot; tEXE 1\'1tOO. Sur la structure de la partie delienne de

l'hymne, tr. par J. Humbert. J. D. Niles ecrit : "In brief, the structure of the hymn to the Delian Apollo could be described as a ring based on formulas of opening and closing, intermediate material organized in an orderly se<jlence (assemblies, apostrophes, questions, catalogues of natural features) and a central muthos", 1. D. Niles, "On the Design of the hymn to the Delian Apollo", The Classical ]ournal75, 1979, pp. 36-39, p. 37. Le mythe central c'est bien sUr ]'histoire de la naissance du dieu. 754M. Detienne, Annuaire de l 'EPHE : resume des conferences et des travaux, 1. XCVIII, 1989-1990, pp. 294-296, p. 294.

La marche d'Apollon, marche

divine dont chaque enjambee lie deux lieux geographiques eloignes, se

344


Mais avant Ie recit de l'arrivee d' Apollon a Delphes, il y a la description de son arrivee sur l'Olympe, qui est combinee avec la fete chez les Immortels: "ils ne songent plus qu'a la cithare et aux chants"755. Apollon tient Ie role de celui qui joue de la phorminx, l'instrument musical, (v. 184-185), tandis que les Muses chantent d'une voix toute belle, des Muses qui sont comme l'analogue divin des D61iades (v, 189-193). En meme temps, les Graces et les Heures dansent, avec Artemis au milieu d'eiles et accompagnees par Ares et Hermes. De nouveau Apollon se presente sur scene jouant de la cithare et executant un beau pas releve756 ; il est environne de lumiere, des eclairs jaillissent de ses pieds et de sa fine tunique 757 . Le pas d'Apollon jouant de cithare rappelle le pas mental du poere parcourant le chemin du chant. On souligne ici de nouveau l'importance du theme de

l'arrivee, car toute la partie delphique ne decrit que l'arrivee a la fondation de l' oracle. Au v. 207, la question du theme de la narration a suivre se pose de nouveau, avec les memes mots 758 . Deux chemins s'offrent: d'un cote les conquetes, les amours du dieu, et de 1'autre la quete du premier oracle parmi les humains. Le distingue de la marche des hommes dont Apollon meme dit: "Ce seront toujours deux races distinctes, celie des dieux immortels, et celie des humains qui marchent sur la terre", (lliade, V, Y. 439 sq, trad. par P. Mazon). 755 y .

188:

756y.

201-202 : autal.' 0 crotf\o; 'Alton",v E)'XLBal.'ll;EV xal-a xal ihl>L BLf\<i<;. tr.

aiJ'tlxa I)' aBavaWLOL ~El xLeal.'L<; xal aou'i11.

tr. par J. Humbert..

par J. Humbert. 757 y •

202-203 : alyl-l OE ~LV aJUjJLcpaElvEv ~l.'~a(",yal tE lt06<ilV xal EUxl-WatOLO

xLt6iVo;. 758y .

tr. par J. Humbert.

207 : TI6i<; t' ul." 0' u~vno(O ltavt"'<; Eii\l~vOV EOvta;

345


premier chemin est parcouru rapidement en six vers (v. 208213). Le second en revanche va occuper Ie reste du poeme; on suit Apollon dans sa recherche qui trace elle aussi un itineraire 759. La decision de prendre Ie sujet de la fondation de I'oracle comme l'occasion d'un recit nouveau la narration

a la louange d'ApolIon, conduit de

a prendre

la forme d'un chemin. Ce

chemin, chemin geographique de la quete du dieu, conduit au sanctuaire pythique et

a sa fondation.

Le chemin geographique

suit Apollon dans sa marche, tout comme Ie premier catalogue geographique correspondait

a l'itineraire

de Leta cherchant

759Ce chemin a ere analyse JIIlII" J. Defradas comme une version mythique de ce que la 'propagande delphique' assumait, a savoir "Ia preeminence absolue du dieu pythique" (p. 67). Ainsi, ecrit-il, "l'auteur de la Suite pythique remoigne a la fois de I'im¢rialisme de Krisa et de la presence des Amphictyons a Delphes (p. 58).... L'auteur de la Suite pythique est probablement un Beotien du debut du VIe siecle : nous ajouterons que ce Beotien n'est pas un Thebain.", p. 60 : J. Defradas Les themes de Ia propagande deIphique, Paris, 1972 (1954). A la suite de ce dernier, P. Guillon voit en la personne du prete de la suite pythique un habitant de la region orchomenienne (p.97). Selon lui, il s'agit d'un "remaniement qui a bouleverse I'itineraire ancien" (p. 90) dont Ie but a ete de "contester a Thebes tout titre a la domination du Tilphoussaion, ..., d'humilier Thebes, de bafouer ses pretentions .... de lui denier toute participation a l'accueil et I'extension du culte nouveau d' Apollon" (p. 90) : P. Guillon, Le

Bouclier d'HeracIes, Aix-en- Provence, 1963. Pour nous, ces tentatives d'6clairer I'hyrnne sous I'angle de la pure transposition historique, semblent appauvrissantes. Plus moderee est I'interpretation de Y. Bequignon, "Sur l'itineraire d' Apollon dans la Suite Pythique", pp. 3-12, qui considere que "I'itineraire d' Apollon est inspire moins par des considerations geograpiques que par des legendes en faveur a l'epoque oil fut composee la Suite Pythique. .... [Le poete] s'est comporte comme firent les sculpteurs de la meme epoque, en empruntant ici et la des themes connus de ses lecteurs", p. 12.

346


I'endroit de I'accouchement. Plusieurs verbes de mouvement sont utilises pour designer Ie parcours d' Apollon.76o M. Detienne constate "les affinites du dieu avec les verbes du mouvement, en particulier avec la famille de

(3ULVELV

'mettre Ie pied sur', et Ie

caractere 'statique' du deplacement dans l'espace (comme il convient a un maitre des seuils, des portes, des lieux solidement etablis); dieu marcheur, et un seul pas lui suffit pour assurer sa maitrise"761. De petits episodes en forme de digressions apparaissent au fur et a mesure qu'Apollon avance. II s'agit de la description du rituel d'Onchestos, au bois de Poseidon (v. 229-238); ensuite, de la premiere tentative de: fondation a Telphousa, ou un veritable recit survient762 . De nouveau les verbes de mouvement se juxtaposent pour decrire la marche du dieu 763 , jusqu'a la resolution fInale a erisa, ou Ie verbe utilise, sa forme

·mq,1.11QulO)

·mq.l.<lLQEO(Jm

(sous

donne la connotation de marque, de repere

spatial. Suit Ie recit de la construction de I'oracle; les fondations vastes et etendues, ont ete posees par Apollon lui-meme, ; sur elles Trophonios et Agamedes ont place un seuil de pierre. 764

760y . 215 : El'n~; v. : E."E/ln~;; v.

222 :

216 : XO~iiAe£~; v. 217:

OLaflO~;

ltuQWtLX£<;; v.

218:

lXOV£~;

v.219

v. 223 : flii~, LS£~; v. 224 : LO"'; v. 225 : £LOO<ptxovf~;

229 : b,,£~; Y. 230 : L:;£;; v. 239 : EXL£~; v. 242 : OLoflO;; v. 243: a<ptxED; 244 : flii;; v. 246 : alii;. 761M. Detienne, Annuaire de l'EPHE, op. cit., p. 295. Y.

76~Telphouse

a su convaincre Apollon d'aller plus loin fonder son sanctuaire,

763 v. 277 : ExL£~; v. 278 : U;£~; 764v .

296 : AO'Lvo\'

Y.

281 : ltQooE/ln;; v. 282 : lXED,

DuM\"

347

Y.


L'importance du seuil a ete aussi signalee ailleurs: dans tous les poemes relatifs a la memoire, il y a un seuil de pierre qui doit etre franchi. On Ie voit surtout aux exemples d'Hermes et de Parmenide. Mais il y a aussi Ie seuil dans l'episode dans De oratore de Ciceron qui raconte la facon dont Simonide a invente

la mnemotechnique: guide par les Dioscures il est sorti de la salle, puis a franchi de nouveau Ie seuil pour se souvenir de la place des invites 765 . II semble done que Ie seuil a une valeur metaphorique d'entree dans Ie champ de la memoire. Mais Apollon est en outre Ie dieu architecte, dieu des fondations, "il aime les murs, les toits et les portes, il affectionne les seuils larges et profonds ainsi que les autels 766 ". lei done, ce qui est important, c'est la description de la mise en place du seuil, et non de son franchissement dans Ie mouvement mnemonique du poete. Cependant la phrase qui suit reintroduit la question de la narration, celle que Ie poete a deja evoquee par deux fois.7 67 lei il renouvelle en quelque sorte la justification du chemin emprunte, Ie theme de la fondation de l'orade, puisqu'il ajoute: "Autour du seuil, les familles innombrables des hommes eleverent un temple avec de la pierre a biltir, pour qu'il rut digne d'etre chante a jamais"768. Le chemin parcouru par Ie poete, celui qui suit Ie trajet du dieu jusqu'a la fondation de son illustre 765Ciceron, De oraJore, II, LXXXVI, 351-354. 766M. Detienne, EPHE, Annuaire, op. 767v. 19,

cit., p. 294.

v. 207.

768v . 298-299 : <'qupl bE vno" Evaooa" aBtocpma qroA' a"B(lwltwv/ "tLOI0tO~" A<iEOO~v, aol6~~v

EfljJ.ÂŁ"UL Clld, tr. par J. Humbert.

348


oracle, se trouve encore plus digne d'etre chante parce que Ie Mtiment, Ie temple du dieu est lui aussi digne d'etre chante; Apollon lui-meme en posa les bases. Le meurtre du Dragon femelle considere comme la cause de l'epithete cultuel d' Apollon "Pythios" est decrit immediatement apres. (Selon J. Defradas "1a Suite Pythique est un essal d'explication de trois noms rituels d' Apollon: Pythios, Telphoussios, Delphinios"769.) Le dragon habitait

a proximite du

a la source. J. Defradas pense que Ie meurtre du serpent femelle "proc1ame sans replique la priorite d' Apollon a

temple,

Delphes"770. Car "si Ie serpent a ete depouille de toutes les fonctions que lui attribuait peut-etre la legende, dans un etat plus ancien, ..., c'est que, en devenant Ie symbole du mal, il cessait de representer d'autres divinites qui auraient occupe les lieux avant Apollon .. En nommant PythO, Apollon en est Ie veritable createur"771. L'histoire de la bete s'etend sur 74 vers (v. 300-374). C'est un moment d'arret dans Ie mouvement incessant d' Apollon, mais Ie dieu se rend ensuite compte de la culpabilite de Telphouse : "lrrite, il marcha sur Telphouse, il arriva ausit6t, s 'arreta tout pres d'elle et lui dit772 ". L'epithete cultuelle Telphoussios selon 769J.

Defradas, op. cit., p. 64.

77oIbid., p. 67. 771

Ibid., p. 66.

772v.

374-378, tr. par 1. Humbert. Les formules utili sees ici,

B~ I:,., LXClVÂŁ, 01~

bÂŁ, rappellent les "scenes typiques" d'arrivees des dieux, classees et analysees

par Arend. Voir supra, pp. 169-172.

349


l' hymne provient de la disparition ulterieure de la source sous

une pluie de pierres provoquee par Apollon. II est interessant de voir comment les pierres, qui ont ete Ie materiau de construction du temple, se transforment ici en instrument d'une disparition. Cependant elles restent dans les deux cas signe visible, comme il sied

a un

dieu architecte, qui juste apres rebatit; cette fois il

s'agit d'un autel, tout pres de la source, un autel -

ltVT)!1ELOV,

contenant la memoiJre, suscitant l'invocation d' Apollon Telphousios. Le monument apparait de nouveau par rapport a un nom, responsable du dedenchement du recit. II est temps maintenant de suivre Ie dieu dans un voyage maritime. Quand Apollon s'apen;oit de la presence d'un vaisseau cretois allant vers Pylos, il decide de prendre comme officiants de son culte les marins qui y voguaient. II marche

a leur

rencontre 773 et, prenant l'apparence d'un dauphin, il bondit sur Ie vaisseau (v. 400-401). Ainsi il enleve aux marins la possibilite de gouverner leur batiment. Le vent du Sud pousse Ie bateau, qui longe de nombreux endroits; c'est Ie motif d'une nouvelle enumeration de lieux ge:ographiques, maritimes cette fois. Apollon, toujours metamorphose en monstre marin, est Ie vrai pilote du vaisseau, un pilote immobile. Car Ie navire, "allait toujours son chemin, et Apollon, Ie seigneur Archer, Ie dirigeait facilement avec I'aide du vent 774 ." lci Ie poete utilise non seulement des verbes se referant au voyage maritime, mais aussi

773 V•

399 :

(ltlv1JVtf,o.

774v • 420-421 : i\"i oMv, ",volii Of. i"tvas f.xUf{lYO; 'Alt6n",,, {In"llilol; 19""., tr.

par J, Humbert.

350


certains autres deja rencontres a l'occasion de la marche terrestre du dieu 77S . L'activite d'Apollon pilote est exprimee au moyen des deux verbes

i8uVELV

(v. 421) et

nyqlOvEuELV

(v. 437).

Quand Ie navire arrive finalement a Crisa, Apollon surgit du navire sous l'apparence d'un astre et "passant a travers les trepieds de grand prix, iiI penetra dans son sanctuaire et y alluma la flamme"776. A sa rentree, rapide comme la pensee, sur Ie navire, un dialogue entre lui et les Cretois s'engage: it leur demande leur identite" leur provenance et la raison de leur inertie; car ils n'ont pas debarque de leur vaisseau; de leur cote ils repondent qu'ils ont mouille contre leur gre. "Nous voulions revenir par un autre chemin, par une autre route", disent-ils. 777 De nouveau un verbe de la famille de

aYELv

designe I'activite

d' Apollon. Et ce meme verbe va etre de nouveau repris par Apollon lui-meme dans sa reponse, quand il leur dit "qu'il n'avait pas de mauvaises intentions en les amenant ici par-dessus Ie grand abi'me de la mer"778. Le dieu leur dit aussi ce qu'i! faut faire ensuite: decharger Ie vaisseau 779 , proc6der a la 775 y .

418, Y. 437 : btl-wv; v. 430 : ltal'evloato; Y. 421: ltl'noocn,oa "D.eullov; Y.

414 : oxe1v, iIltoj1<'Ivm;, mais aussi : Y. 420 : l"ave; Y. 425 : Bii; y.438 : U;ov.

776y. 443-444 : <p1-6ya bale, tr. 777 y .

E<; /l' M"to'v "atElluoe /lui tl'Llt6llwv El'LtlfLwv.l "'EvS' lil" 6 yÂŁ

par J. Humb(:rt.

472 : v6ota" lEfLevoL, linnv aMv, lina "El-wSa.! o.na tL<; iI8aVatWv

/leul" fryayev oiix ESD.Ovta<;,tr. 778 y .

481-482 : "fLEa<; /l' f)'fayov EvSa/l' {lltEl' fLEya l-altfLU Sa).aoon;! ou tL

"a"o. <PQOVEWV, tr. 779Le

par J. Humbert.

par J. Humbert..

debarquement du vaisseau explique aussi 1'epithete apheror d' Apollon

dans I' Iliade. Sa description done ici a bien sa place selon M. Detienne (op.

cit., p. 295) : C'est "celui qui maltrise Ie depart accompli, Ie dieu du

351


construction d'un autel, au sacrifice de farines blanches, aux prieres, au repas, aux libations. lIs devront ensuite suivre Apollon, en chantanlt Ie Paean, jusqu'a son temple. La description de leur marche vers Ie sanctuaire est tres importante pour notre propos. La voici: "Apres avoir chasse tout desir de boire et de manger, ils se mirent en route: Ie Seigneur Apollon, fils

de Ze1lls,

ouvrait la marche en jouant

delicieusement de la phorminx qu'il tenait a la main, et

s 'avanrait d'un beau pas releve. Les Cretois Ie suivaient en mesure et marchaient vers Pytho en chantant Ie Ie Paean - tels que sont les paeans des Cretois, a qui la Muse, cette d,eesse, inspire un chant suave au fond de leurs poitrines. Inlassables, ils gagnerent a pied la hauteur et parvinrent bientot au Parnasse, dans ce lieu seduisant ou il devait demeurer, entoure d'honneurs par une foule d 'hommes. II les conduisait, et leur indiqua Ie sanctuaire sacre et Ie temple opulent"78o.

debarquement et de I'embarquement, I'Apollon oraculaire 'montrant et indiquant 1es routes de 1a mer' aux compagnons de Jason comme a ceux qui viennent, selon I'usage, Ie consulter avant d'alIer fonder une polis radica1ement nouvelle." 78Oy.

514-523 : Bav 0' L!LEv.

~QXE 0' IiQa O'PLV liva; ~L6, u\6, 'Alt6!.A.wv,I

'P6Q!LLyy' £1' XELQEOOLV £Xwv, £Qat6v

xLAaQl~wv,I

xa).a xai ihjJt /It/ld,. 0\ 6E

oi!OOOvtE, movto! KQiitE, ltQ6, TIuA", xat 'Ii! TImi!ov' IiELoov,l oIoi tE KQntliiv ltmi!ovE, oLol tE Moiioal £1' oti!AEOOLv £ATlXE AEa !LE1.lynQLv aOLoi!vJ -AX!LntOl Ot l-6<pov ltQOoEBav ltooiv, ahpa 0' ,xovm! TIaQvn06v xat XliiQov mi!Qutov, £1'8' IiQ' £!LEHEV! otxi!OELV ltOUOIOL tetL!LEVO, avAQWltOlOL.! OEL;E 0' liywv Mutov xat ltiova vn6v, tr. par J. Humbert.

352

~aA£Ov


Avant de clore notre analyse du poeme en nous occupant de

a I'activite

l'element qui lie Ie cheminement d'Apollon au chant,

poetique, ouvrons une parenthese pour recapituler ce que l' hymne homerique

a Apollon vient de nous

montrer par rapport

a la recitation du poeme et a la creation du chant. Dans cet hymne les differentes possibilites de raconter, les differents recits qui existent sur Ie dieu sont presentes en tant que chemins; c'est la fm de: chacun de ces chemins qui determine Ie choix, car ici c'est Ie but qui importe. Qu'il s'agisse de Delos ou de Delphes, chacun des endroits representes comme lieu d'arrivee du dieu, a une importance propre, relative passa

a cet

a ce qui se

endroit au moment de son arrivee. C'est par

consequent par rapport

a l'evenement lie au but de

l'itineraire

que chaque itineraire est decrit; seul l'episode des Cretois constitue un recit qui se deroule pendant Ie cheminement, mais

a cause de l'importance de la demiere partie de l'episode, celle Oil les Cretois arrivant a Delphes deviennent les officiants du dieu. Le poete choisit sa maniere de raconter a lui aussi est conte

partir de ces itineraires et de leurs aboutissements; ainsi voyonsnous demontree la valeur mnemotechnique du chemin. Le caractere special de la nature divine d'Apollon est la base

de la structuration du poeme: Apollon est vraiment un dieuarchitecte; ses cheminernents aboutissent a une fondation; et cette fondation constitue Ie creur, Ie moment crucial de I'histoire. Le cheminement d'Apollon,

a cause de l'importance de l'evenement

qui Ie couronne, a un caractere Tituel et fondateur; ainsi Ie poete humain ne peut se confondre avec Ie dieu. Hermes,

353

a l'oppose,


chemine pour cheminer; et son mouvement comme on a vu, est UD chant, son chant a IUli, chante par Iui-meme et en meme temps par un poete-homme q[ui peut prendre Ia place du dieu. Dans I' hymne homerique d Apollon on peut voir comment la celebration et par conse:quent Ia rememoration prennent Ia forme d'un (ou de plusieurs) itineraire(s), car c'est ainsi que la memoire poetique fonctionne; et on peut constater que pour les Grecs, tout comme pour Ies aborigenes australiens, Ie sol peut garder les empreintes

dl~

Ia marche d'UD etre sacre.

Mais revenons a Ia suite de l'hymne ou I'image qui nous interesse presente Apoillon guidant ses futurs serviteurs vers Ie sanctuaire. Les expressions utilisees au v. 514, nous sont connues par I' epopee; Ia aussi eilles servaient a decrire l'action de guider. Mais Ia suite est originale : Apollon marche en avant; on Ie voit, la phorminx dans les mains, jouant et executant un beau pas releve (XUA<'x xul i'hjJL

t\Lf36.~);

derriere lui les Cretois avancent,

eux-aussi, en chantant Ie Pean, un chant que la Muse a mis dans leurs poitrines. Du verbe d'action

8n~u

sur Ie chemin

e811XE ('tl8111.U)

provient aussi Ie nom

et il rappelle par consequent Ies offrandes dressees (<'xvu8i]~u路w)781.

Les Cretois avec Apollon forment

un chreur d'hommes. On est tente de rapprocher ce chreur de I'image guerriere de I' armee en marche et ce n' est pas sans rapport avec Apollon, car, par exemple, "a Megare, dans les 781Yoir P. Chantraine, Dictionnaire etymologique, op. cit., pp. 1116-1117, s. V. ,l8'1I1L. Pour Chantraine, Ie verbe a Ie sens de "poser quelque chose qui est

destine ii durer, etablir, fonder, poser, creer". Tout comme Apollon pose Ie sanctuaire, les Muses posent Ie chant dans les poitrines des Cretois. Les deux (temple, chant) sont des agalmata.

354


recits de fondation mise en reuvre par Dieuchidas, l'Aguieus des Doriens se montre en conducteur divin de I' armee qui marche"782. On a ici donc l'analogue de ce qui a ete decrit dans la Theogonie sur Ie chre:ur des Muses s'avancant; c'est un chreur d'hommes ou Apollon est Ie guide. Si on etudie davantage cette scene, on voit qu' Apollon apparait sous deux aspects : il est celui qui va en avant, celui qui conduit, et il joue de la phorminx en executant un pas special. C'est egalement sous ces traits qu'il apparait au debut de la Suite Pythique, quand il avalilce vers Pytho. En effet, Ie debut de la

deuxieme partie de l' hymne homerique Ii Apollon nous presente Ie dieu "avancant en jouant sur sa phorminx creuse"783. Puis il se tourne vers 1'0lympe, ou les dieux ne pensent plus qu'a la cithare et au chant.784 JEt quand il arrive a destination, dans la scene qui se deroule au sejour de Zeus, les Muses chantent, les Charites et les Heures dlansent avec Artemis, Ares et Hermes, et Apollon "joue, lui, de la cithare et execute un beau pas releve" (v. 201-202).

II semble donc que dans cet hymne Apollon reunisse deux traits du chant: l'execution musicale a la cithare et la marche en avant. Le chant en tant que voix et paroles, en tant que recit concernant Ie passe, est du cote des Muses.

782Yoir M. Detienne, EPHE Annuaire, op. cit., p. 294. 783 v.

J 82-183 :

ElaL bE <poQi1t~(Ov AnlOi:J; EQLXUOEO; u\o;! cpOQi1lYYl y).a<p1lQ~

ltQo; IIuB", ltElQ11waav, 784v .

188 :

IIBavalOLOL

tr. par J. Humbert.

flEA"

xWaQL; xaL IImoli.

355


Les Muses et Apollon, teIs qu'ils sont decrits dans les textes les plus anciens, representent par consequent deux aspects differents de l'art du poete: les Muses, Ie cote de la memoire visuelle et du redt en tant que paroles et voix, et Apollon, le cote musical et celui de la memoire acoustique. Tous les deux sont decrits en marche; on a deja analyse la marche des Muses dans la Theogonie; dans l'hymne homerique Apollon est constamment en marche, et surtout quand il joue de la cithare. Au debut de la Suite Pythique, les pas du dieu semblent si importants que pour souligner l'image, Ie poete nous parle "des eclairs qui jaillissent de ses pieds 78s ". La formule

"xaA.u xat '!hjn

tlL/36.r;" se trouve,

dans l'hymne, toujours combinee avec Ie jeu de la cithare (v. 201-202 et v. 515-516); selon nous il s'agit d'nne marche qui rythme, d'une marche qui ainsi joue Ie role d'une sorte de memoire acoustique. Dans Ie Cratyle, l'etymologie du nom d'Apollon est donnee de quatre facons differentes, dont 1'une pose Apollon comme "l'auteur du mouvement simultane" (homopoLOn)786. Platon pense que l'harmonie est assuree par Apollon dans tous les domaines; celui des astres et celui de la musique. Et cette harmonie est concue en tant que mouvement, mouvement simultane. "De meme

ICI,

il faut entendre cette rotation

simultanee (homou polesis) qui se fait dans Ie ciel, ce qu'on appelle revolutions (poloi), comme dans 785 V . 203 :

~Q~QUya[

1ÂŁ

ltoO<iiv, tr. par J. Humbert.

786Platon, Craryle, 405 a-e, tr. par E. Chambry.

356


l'harmonie du chant, qui se nomme consonance; car tous ces mouvements, affirment les beaux esprits verses dans la musique et I' astronomie, se reglent tous en meme temps sur une harmonie. Ce dieu preside a 1'harmonie, en les determinant tous simultanement et chez les dieux et chez les humains." .187 .

La conception de I'harmonie du chant en tant que mouvement est une abstraction qui rappelle l'image archalque d' Apollon jamais immobile, toujours avancant.

XV. Les traiCeS de la marche et Ie rythme Revenons de nouveau a Longin. Pour tout Ie processus de memorisation, Longin n'abandonne pas les idees de mouvement

suivi, regulier. Etroitement liee a cette idee est l'image des pieds et des traces que leur mouvement laisse derriere eux, introduits dans la comparaison de la chasse, oil comme nous avons deja vu Ie travail de la rememoration est consideree comme semblable a celui du chien qui chasse un animal en suivant ses traces sur Ie sol. A la phrase suivalOte nous voyons la reintroduction de la poesie par Ie moyen du rythme et du metre. Un troisieme volet de la comparaison se presente ainsi: c'est celui de la chasse au mot, a la parole.

787Platon, Crary/e, 405 c-e, tr. par E. Chambry.

357


"Voilil donc pourquoi nous nous rappelons mieux les metres que ce qui est compose sans metres, car nous rappellant l'analogue du rythme et de la disposition ordonnee, nous suivons aussi a la trace ce qui concerne chacun des mots pied a pied, en cherchant ce qui manque a partir de ce que nous connaissons deja. lei l'expression "Uta:

lt60a~

"788

a un double sens: d'abord Ie sens

metaphorique, analogue a la chasse "Uta

lt6/)a~;

et puis, Ie sens

plus technique, des lto6wv du metre poetique. La memoire, Ie mouvement des pieds, la marche se trouvent ainsi de nouveau reunis. En fait, Ie metre pour Longin etablit une sorte de structure sous-jacente qui permet l'identification de ce qui manque, de la meme faeon que la serie etablie des lieux assure la memoire. Car, puisque pour celui qui veut se souvenir, Ie probleme se pose en teJrInes d'oubli d'une certaine partie, Ie seul moyen d'y remedier c',est de disposer toutes les parties dans un ensemble; I' espace est par definition un tel ensemble, car il forme un contexte bien ancre et solide. De meme les metres forment aussi un contexte ou on peut placer les differentes parties; ou plut6t ces parties sont a la fois contexte et contenu. lt66a~

Mais ce n' est pas seulement cela; I' expression "ata

decouvre un autre aspect de la fonction rnnemonique du metre. Il s'agit de celui de la marche.

788l..ongin,

Rherorique, 279, 16-21 : 'tOCYUQauv

xul 'tit !'fwu fJliu.ov fU'flv;u!ÂŁ9a

'tellV avE'U 11ÂŁ1(>01.1 rrenOL,n/lEVWV, O'tL 6'11 'to loU (JuAlloil xUt

tfi; E"iJta;La;

ava)~o'Yov

IlvnllovEuovlef; xat ta xuff EXaOta lWV Qnllcl'twv aVlxvEuOJ!fV xata ~l)'tO;:;VtE;

'to

AELJIOV

E;

<lJv It()OELA1i<jXlfU'v.

358

Jt66a~


Voila donc que Longin lie la mernoire et Ie rythme (Ie metre) par Ie moyen de la maT'che. II etablit deux aspects paralleles du phenomene de la memorisation; l'aspect optique et l'aspect acoustique. Devant nous se dressent deux tableaux: Ie premier nous montre des chiem, chassant un animal; I'animal n'est pas visible sur Ie tableau: on voitseulement ses traces qui, formant une sene, creent sur Ie sol une ligne. Cette ligne faite de points est l'empreinte du chemin pris par l'animal, I'image fixe du mouvement de ses pieds. Le second tableau n'est pas vraiment un tableau puisque sa dimension essentielle c'est Ie son. II s'agit d'un personnage qui recite par creur: s'illui manque un morceau, un mot quelconque, il peut se Ie rappeler au moyen de cette serie etablie par la repetition de la meme unite constituee de syllabes longues et courtes, qui forme Ie metre. Les metres ont une dimension mnemotechnique, fondee sur Ie rythme acoustique. La fonction memonsante du metre poetique est bien connue; ce n'est pas

a nous de

la demontrer. Par contre, nous trouvons

interessante pour notre propos la concordance que Langin etablit entre marche et metre poetique; Ie metre est en queIque sarte Ie pas du chant. Or, comme on Ie sait par les traites sur la

metrique, l'unite rythmique s'appelle noue;789. Le noue; (pied 789Aristophane, GrenouilIes, v. 1323 : o(lij, tov :re6&t tomov, (Aristophane, t. IV: Les Thesmophories-Les Grenouilles, texte etabli par V. Coulon et traduit par H. Van Dae1e, Paris, 1928). ; Platon, Republique 400a: to\, :re6<'\a tQ> tOU tQLO\ltQU A.0Y\ll a\'ayx<i~EL\' bt:E<TOm xai to 110.0"

texte etabli et traduit par E.

Chambry; Bekker, AnecdoUl Graeca, 751, 1-3: :rea, atixo, ial1llLx6; tE oi\ll6iJ:reotE :reoM I1EtQO"I1EVO,; Hephestion, III, 15-16: :reo,,; tolvtIV

359

... xaL Eatil'


metrique) est constitue de deux parties: l'une, c'est la syllabe la moins prononcee, donc la courte; l'autre, c'est celle qui est Ie plus prononcee, donc la longue. Et ces deux parties sont appelees par la metrique,

o.QOL~

et eEOL~

wi)

les auteurs anciens, correspond produit quand nous voulons

lto1X>~.

La syllabe courte, selon

a la levee du pied, telle qu'elle se avancer, et la syllabe longue, a

l'abaissement, la percussion du pied sur Ie

SOF90.

Ainsi, les

tableaux paralleles que Longin etablit pour la memoire, l'un evoquant l'aspect optique (traces), l'autre l'aspect acoustique (metres) de la marche, ne sont-ils pas construits de maniere arbitraire. On peut maintenant completer Ie second tableau, celui de la recitation du poeme: 1'homme qui se souvient est debout et frappe Ie sol du pied chaque fois qu'il arrive

a une

syllabe

longue.

OUVta~L£ otJA.A.aj)Wv aQOLV xuL 6tOLV JtEQLtXOtJoa,

(Hephaestionis Alexandrini

Enchiridion, Herum edidit T. Gaisford, Oxonii, 1855, vol. 2). 790Aristoxene, Elementa Rhythmica, II, 20; Denys d'Halicarnasse, Dem. 48: oUto£

6t yLyvEtaL (>1I6(L6£, tttE <m6 OtJEtv

aQ~U(LEVO£

otlVLomo6aL flQaXELGlv,

ii'JOJtEQ otovwt tLVE£ xaL XaA.OUOL tov OlitOl£ xataoxEtJa06tvta (>tJ6(L6v 'lYE(L6vo, JtQGltov

exovta

A.6yov

tGl\'

LOOlV

aQoEL

tE

xal

6tOEL

XQ6VOlV,

(Denys

d'Halicarnasse, Opuscules RMtoriques, t. II: Demosthene, Collection des Universires de France, texte etabli et traduit par G. Aujac, Paris, 1988).; Lucien, Harmonides, I: aQoEL

xal

6tOEL xaL

"xai. iJJtOf\<iUELv taU£ OaxtuA.OtJ£ EiJaqxii£ iJJtO JttJxv~ t~

flatvEL\'

EV

(>tJ6(L0",

(Lucian, 1. VI, Loeb, London-

Cambridge Massachussets, MCMLIX); Bacchius, Harm. 2, 4 ou 98:

"aQOLV

JtoLav A.tyO(LEV dVaL; OWV (LE1:tOlQO£ 6 Jtou£, nv,xa av (LeA.A.Ol(LEV EfLflaLvnv. 6tOLV

oE

Jtotav; OWV XEL(LEVO£ ta(Lflo£ ouyxnwL EX flQaxto£ xai

aQXEtaL

oE

(LaxQou

XQ6votJ.

<m6 aQowl£, olov fl£otJ. XOQEtO£ OtlVtOtTlXEv EX (LaxQou xal flQoxto;

XQovotJ. aQXEtaL

6t aJto 6tOEOl£, otov JrejjJ.o;. avuJtaWto£ EX Mo f!QOXtOlV

U(>OEWV xal f.LO.xQO£ AeoEw,;".

360


On voit par consequent que Ia metaphore si frequente du chemin du chant, du cheminement du poete, trouve dans Ia metrique une concordance de tous Ies termes utilises. Nous voila devant Ie pied, Ia levee et I'abaissement du pied qui constituent Ie pas metrique, Ia marche. Selon Ie cas, i1 s'agit d'une marche du chreur pendant qu'il recite (voir Pindare) ou d'une marche du poete qui donne Ie rytlume, ou de Ia marche imaginaire du poete dans Ie chemin du chant - son entree dans I'autre espace, celui de Ia memoire poetique et Ia traversee du chant, l'avancee dans Ie chant. Ainsi rappelons-nous Ie "beau pas releve" qu' Apollon execute pendant qu'il joue de Ia cithare et que Ie chreur des Muses chante, ou pendant qu'il avance vers Pyth6 pour Ia creation de son sanctuaire. Cette marche ordonnee rythme Ie chant; elle aide a Ia rememoration. L'image d' Apollon dans I' hymne homerique apparait donc homologue de celIe du poete qui avance sur Ie chemin de son chant. L'arrivee au lieu du sanctuaire et I'acte de sa fondation correspondent a Ia fill de I'hymne homerique, tout comme I'arrivee du poete a Ia fin du chant correspond a son arrivee au bout imaginaiire de son cheminement. En plus, l'action d'utiliser Ies pieds metriques est exprimee par Ie verbe d' Apollon

l3a(vÂŁLv,

(I3Ll3a~).

celui-Ia meme utilise pour Ia marche

"IIs utili sent <Ie mot> marcher pour Ie

rythme, ainsi dit-on, arpente ce vers-ci"791. Aristote ecrit:

791 Bekker, Anecdota Graeca 85, AEYOf!l'\',

~iiA,

tov otlxo\' t6\'6E.

361

21

~alvELv

<paalv Errt tOu (lvAf!ou,

to,


"l'epopee se parcourt"792. £t Denys d'HaIicamasse ecrit: "Ce metre est herolque; il est marche sur Ie pied dactylique"793. Les termes de marche et de chemin devaient se rapporter aussi

a la

musique. Pindare dit: "L'Eolien suivait Ia voie dorienne des hymnes"794. L'unite rythmique est appelee tlaoL<;795 par Aristote et Platon, et Ie mot rappelle

a Ia fois

Ia marche et Ie socle des statues, en

792Aristote, Metaphysique 1093a, 30 : flalvEtaL to ~lto<;, (Aristotle, Metaphysics, TI, Books X-XIV, Loeb, London-Cambridge Massach, 1947). 793Denys d'Halicarnasse, De Synth. 21 : toilto to I-lEtQOV fJQw',x6v tOtL, xata On pourrait objecter que ces phrases proviennent d'une periode tardive. Mais les ouvrages sur la metrique ne sont apparus que tres tard, tandis qu'i!s utili sent probablement des termes provenant d'une periode anrerieure. Meme si on admet que la metrique et la rythrnique ne sont apparues, en tant que theories sysrematiques, que tardivement, quand Ie rythme ne provenait plus d'un ensemble ou metre et rythme musical n'etaient pas separes, les termes utilises dlevaient eviter de choquer et done etre choisis dans la famille plus large du vocabulaire relatif ala poesie. 794Pindare, :46tlA.a fro 69 Puech: AlOAEl)<; ~aLVE 6wQlav XtAEUBov ill-lvwv. On lt66a oaXtUAOV flaLv6l-'fvov.

consultera aussi Ie texte d'A. Belis, "Anthoiogie XI, 78: Fourmillements musicaux sur la tete d'un boxeur", Les Etudes Ciassiques LVTII (1990), pp. 115-128, ou a propos d'un epigramme de Lucillius de I'Anthologie, eUe parle de "Ia metaphore, appliquee ,a un style musical, d'un cheminement complexe et sinueux" (p. 125). 795Aristote, Metaphysique, 1087 b : to b'EV 6n I-lEtQOV oTJ!-'alvEL, <pavEQ6v. ><at tv JtavtL EcrtL oaXtUAO<;

"tL

ElEgOY iJj[oxELJ1.EVOV

I

otov tv CtQJ1.ovLa oLeou;, tv OE IlEyt8EL

ii ltou<; ii tL 'OLOUlOV, tv bt QuB1101<; flUOL<; ii otJUaflfJv; Platon,

Repubiique, 39ge : '0 ltEQt QtJBl101J<;, I1fJ ltoLxD.otJ£ autou<; bL,"XELV I1nbt ltav,olicma<; flCtOEL£ = "il ne faut chercher des rythmes varies, ni des pieds de toute espece", tr. par E. Clhambry. Et Platon, Republique, 400b : ,lVE<; tE aVEAEUBEQla£ xat ilflQEW£

ii l1avla<; xat (i).An<; xax,a<; It(lEltOUOaL fluOEL';

"queUes mesures conviennent a la bassesse, autres defauts", trad. par E. Chambry.

362

~

a la violence, a la folie et aux


rapprochant I'aspect acoustique et I'aspect optique de Ia memoire poetique et cela au moyen de Ia marche du poete. Car si I'on admet que Ie poete marche sur Ie chemin du chant, c'est son pas qui d'une part rythme son chant et d'autre part, lie Ies differents

images qui constituent ce chemin, tout comme Ie pas du passant dans Ie sanctuaire. En meme temps, Ies statues alignees sont representees un pied en avant, comme si elles marchaient, et elles se dressent, tout comme Ies batiments (temples, tresors, etc) sur des bases796 . On se rappelle que nous avons pose comme structure generatrice de Ia narrativite Ia juxtaposition d'unites qu'un fillie entre elles. Dans Ie cas de Ia voie du sanctuaire, c'est Ie Regard797 du passant qui invente Ie fi1 de jonction. 11 s'agit d'un regard mobile, d'un regard qui chemine et dont Ie mouvement accompagne Ie mouvement du corps du passant. De meme, Ie mouvement du corps du poete accompagne ou eveille son regard. On ne peut pas separer Ia marche de Ia narrativite: Ia marche inc1ut Ies unites juxtaposees et Ie fiI. Chaque pas distinct est une unite et a comme resultat direct Ies sequences optiques, il correspond aux aga/mata. II y a par consequent une concordance entre Ie pas et I'unite optique, I'ago/ma. En meme temps, comme on l'a vu plus haut, les anciens ont mis en rapport (les termes utilisees en temoignent) Ie pas et Ie metre, c'est-a-dire Ie pas et Ia 796Voir ce qu'ecrit A. Jacquemin sur l'utilisation des termes comme tkimc;, et flii~a:

A. Jacquemin, op. cit., pp. 224-226, ainsi que P. Chantraine,

Dictionnaire erymoiogique, s. v. flaLvw. 797Nous entendons Ie Regard tel qu'il a ete defini par A. Antonas, op. cit., pp.

64-168.

363


«sequence» acoustique. Le fil de jonction de ces unites, c'est I'acte de Ia marche. La marche peut ainsi ec1airer comment Ie mot "rythme" pouvait unir Ies deux notions de mouvement et de forme 798 . Selon E. Benveniste, «Quell-OC;, d' apres Ies contextes oil il est donne, designe Ia forme dans I'instant qu'elle est assumee par ce qui est mouvant, mobile, fluide, Ia forme de ce qui n'a pas consistance organique,. 799. Cette premiere acception est attestee dans Ies textes Ies plus archaiques, jusqu'au milieu du Ve siecle. Benveniste pense que Ie sens moderne du «rythme,. a ete Ie resultat d'une specialisation posterieure operee par JPlaton. «Et c'est I'ordre dans Ie mouvement, Ie proces entier de I'arrangement harmonieux des attitudes corporelles combine avec un metre qui s'appelle desormais Quell-OC;" 800. L'innovation faite par Platon est Ie resultat de I'application de Ia notion anterieure du rythme

a Ia forme

du mouvement du

corps humain. La theorie de Benveniste, qui vise

a preserver Ie

rapprochement ancien avec QEw «couler,.801, pose Ie mouvement

798Yoir P. Chantraine, Diet.

etym., p. 333.

799E. Benveniste, Problemes de iinguistique generale, Paris, 1966, pp. 327335: «La notion de "rythme" dans son expression 1inguistique», p. 333.

8oo/bid., pp. 334-335. 801Il s'accorde avec R. Waltz «"PtJ8~S et numerus», Revue des etudes wines, 26, 1948, pp. 109- 120 qui pense que «pour 1es Grecs, c'est ... l'idee du mouvement -et du mouve:rnent continu - qui predornine dans leur conception

364


et la fluidite du mouvement en tant que caracteres essentiels des emplois archaiques du rythme. Mais d'autres theories etymologiques ont rapproche gue~~ de eguOJ. J.J. Pollitt802 a redige une revue exhaustive de toutes les theories, en dehors de celle de Benveniste. II s'accorde avec la these de E. Petersen803 qui, fait deriver gv6!J,6c; de la racine egv(gu-),

a savoir

«dessiner», ce qui explique bien la premiere

acception du mot en tant que «Shape, form, pattern», tel qu'il a ete utilise par Herodote et Democrite, et rend compte peut-etre aussi de son emploi par Anacreon et Theognis en tant que «disposition». L'auteur cite A. Jaeger dont l'avis est assez interessant pour notre propos: «Rhythm then is that which implies bonds on mouvement and confmes the flux of things... Obviously, when the Greeks speak: of the rhythm of a building or a statue, it is not a metaphor transformed from musical language; the original conception that lies beneath the Greek discovery of rhythm in music and dancing is not flow but pause, the steady limitation of mouvement»804.

du rythme, musical, poetique ou oratoire. Pour 1es Latins ... c'est J'idee de mesure et de nombre», p. 119 et avec H. Frisk, Griechisches, erymologisches

Wonerbuch, S.V., (>vfl!'6;. 802J.1. Pollitt, The ancient View of Greek An: Criticism, History and Terminology, New Haven and London, 1974, Qufl!'6;, pp. 218-228. 803E. Petersen, «Rhythmu:s», Abhand lungen der Kon. Gesellschaft der Wissenschaften zu Gottingen, Phil-Hist. Klasse, N.F. 16 (1917): 1-104. 804E. Jaeger, Paideia, Oxford, 1945, I, pp. 125-126. R. Renehan donne une etymo1ogie qui s'accorde egalement avec Ja theorie de E. Petersen: voir «The

365


L'analyse faite par Petersen et suivie par celIe de J.J. Pollitt, pour expliquer Ie passage pour Ie mot "forme" ou "pattern"

"Qu81l-6~"

de la notion de

a celIe de "repetition", est particulierement

interessante pour notre propos.: " ... 'PueIl-OIL'

were originally the positions that the

human body was made to assume in the course of a dance, in other words the patterns or schema that the body made. .... the recurrent positions taken by the dancer in the course of his movements also marked distinct intervals in the music : the Qu81l-0t of the dancer thus became Quell-Ot of the music. This explains why the basic component of music and poetry was called a Jtou~ 'foot' (Plato, Rep. 400A) or

f36.0L~

'step' (Ar. Met.

I087b37) and why, within the foot, the basic elements were called the

o.QOL~

'lifting, up-step', and the

eEOL~

'placing, downbeat'80S" Par cette analyse il est evident que E. Petersen (ainsi que J. J. Pollit),

a I'oppose de E.

Benveniste, considere comme anterieure

la liaison du mot "rythme" avec Ie corps, puisqu'il conclut que "by the fourth century it was possible to speak of

Quell-6~

as

'repetition' without any direct reference to physical motion which originally accompanied it"806.

derivation of (ru8!J6;Âť , Classical Philology 58 (1963), pp. 36- 38 qui part de la eonstatation de E. Jaeger que nons venons de eiter. 805J. J. Pollit, op. cit., p. 224. 806/bid., p. 224.

366


Petersen prend comme exemple Ie passage oii Platon dans la Republique ou dans Ie Cratyle, parle du rythme, sans Ie combiner avec Ie mOlllvement physique, mais il ajoute que lorsque Platon est plus exact, il se souvient de la liaison entre les deux: comme par exemple dans les Lois, oii il ecrit que "l'ordre du mouvement, s'appeJlait rythme,.807. En fait, Platon, dans un passage de la Republique, cite plus haut, quand nous parlions de tlaLVOJ

et de ses derives,ecrit: "ll ne faut point chercher des rythmes varies ni des pieds de toute espece, mais, discerner quels sont les rythmes qui expriment la vie d'un homme regIe et courageux, et quand on les a discernes, contraindre la

a se conformer aux paroles d'un tel homme, et non les paroles a la mesure mesure aussi bien que la melodie

de la melodie"Il08. lei Ie rythme semblle caracteriser et determiner

a la

fois la

melodie et Ie metre. Par contre dans un passage du Cratyle Platon se refere seulement

a la

metrique quand il parle du

rythme: " ... comme ceux qui s'attaquent aux rythmes distinguent d'abord la valeur des lettres, puis celles des 807 Platon, Lois, 665A: <<T~ b~ tii'; xLviloE"''; tru;EL gullfl">,; avoJ.La E1:n». (Platon,

Lois: Oeuvres completes, t. Xl, texte etabJi et traduit par

E.

des Places,

Collection des Universites de France, Paris, 1975). 808Platon, Republique, 39ge:-400a:

« •..

to mgt gv8J.Lou,;, J.LiI ltoLxD.ovc; aiJt01J';

OUJJXEI.V ~116£ j[ov"tuml£ j)O.aEL~, OJJ..a ~LOll Ql.le~.tOiJ:; L,OeLV xoa~Lo'U 1E xal av6Q£LO'lJ

<LVE'; EtaLv. ou,; ioovw tov It,x;a to toil tOLOUtOli i.&yliJ to J.LE).O;, iIi.i.iJ. J.L~ ).oyov ltobl

tE

iIvayxa~£Lv

xai J.LEi.EL», trad. par. E. Chambry.

367

blEaeUl xal


syllabes, apres quoi ils se mettent el l'etude des rythmes, mais pas avant"S09. Selon T. Georgiadis, si cela se produit c'est parce que, au debut «la rythmique n'etait pas detacMe de la metrique. Cela signifie que Ie mot meme determinait la forme rythmique, que la langue ne pouvait pas etre consideree comme une matiere neutre, sur laquelle on appliquait je ne sais quelle rythmique pure et "absolue". Le rythme musical etait irnbrique dans Ie mot"SlO. Or les deux theories, -celle de E. Petersen (suivi par 1.1. Pollitt) selon laquelle Ie ryfume est lie d'abord au mouvement et celle de T. Georgiadis" qui pense que Ie ryfume, etant d'abord une caracteristique du mot (el cause de l'existence de voyelles longues et courtes), s'identifiait au metre-, peuvent etre valables l'une et l'autre si on pense 11 l'origine commune des trois arts rnusicaux, la rythmique de la danse, la musique, et celle des vers, telle qu'elle est envisagee par PlatonS!!. Si l'on oublie l' etymologie pour en revenir 11 la theorie de Benveniste, on voit que finalement cette derniere n'est pas si eloignee de celle de Petersen: elles s'accordent toutes deux sur la notion de oxTi!1U, de forme, en tant que premiere acception du S09Platon, Craryle, 424C, trad. par E. Chambry: «... oi bt'XELQOiivtE, lot, Qu8/IDt; lWV mmxelOJv :rcQ<ill0V lCt, OUVU!!EL, oceO.ovtO, E.ltEL1a lWV O1JAAa!'>G1V xal aU1OJ, lion EeJ<ovtm btl lOU, (Ju8/illU, axE'ljJ6!l£Vm, :rcQ61EQOV O' aU».

SlOe.

rEOJQYu'ton"

«PuS!!,X;' xal yAwaaa», in: 61f't1J(Jia t'ii.:: FJ.Wcr(Ja;, ed.

c,Q<IX6:rcOUAO" Athenes, 1982, pp.92-102.

sl1Platon, Lois, 653 sq et 816.

368

n.


mot rythme; elles s'accordent egalement sur l'importance du mouvement du corps et l'emploi du mot differents

crX7JIl-U1;U,

QlJell-6~

pour les

positions caracteristiques prises par Ie

danseur812 . Nous voulons signitiier par la que l'histoire du mot

Qve1l-6~

et

notre hypothese sur 1'ihomologie entre chant et cheminement s'eclairent mutuellemeIllt. Si Ie mot forme, Ie

crx'iill-U,

QlJell-6~

signifiait au debut la

et cela en relation avec les formes du corps

pendant les pauses de la danse, et s'il a pu ensuite etre utilise pour designer I 'ordr,e dans Ie mouvement, la repetition

ordonnee, cela n'a pu etre possible qu'a cause de l'existence du chant en tant que cheminement (et dans Ie cheminement nous pouvons inclure la danse). "D'une fac;on generale d'ailleurs, soit qu'il chante ou qu'il parle, nul n'est capable, de garder son corps en repos. Aussi f:st-ce de l'imitation des paroles par les gestes qu'est

nl~

tout l'art de la danse", ecrit Platon. 813

Le mouvement du corps et specialement des pieds est inseparable de l'emission de la parole poetique; et puisque celleci a, par elle-meme un poids temporel que la musique suit, tout

la relation entre ces positions et Ie (l'Jfl!!6, applique a la sculpture grecque, voir: J.J. Pollitt, Art and experience in ancient Greece, Cambridge, 1972, pp. 54-59. 8l3Platon, Lois, 816a: OA.W, bE <pfl£yy6!!£vo" ft,' tv ";'bal, £11' tv A.OyOL" 812S ur

n01Jxlav

ou

:rtO:VlJ

6'Uvat6~

1\0 o<b~atL JtuQEx£o8aL rru;;.

~L6

~t~nau;

't(OV

A.£YO!!EVWV oxiJ!!am yavO!!Ev'l lilv oQXllonxilv tl;l1Qyaomo lEXVllV O1J!Utaoav.

(CEuvres completes, 1. XI: Lois, texte etabli et traduit par

Collection des Universites de France, Paris, 1975).

369

E. des Places,


comme la marche «suppose pour sa part, une activite continue decomposee par Ie metre en temps alternes»8l4, Ie rythme comme caractere comllllun de la poesie, de la musique et du chant, a pu designer en meme temps ou separement, au fil du temps, la forme, et la cadence de la repetition. Car Ie chant et Ie mouvement de la danse ou la marche, meme s'ils donnent l'impression d'etre fluides, sont Ie produit de la juxtaposition d'unites liees entre elles; ces unites peuvent etre les syllabes, synchronisees avec Ie pas, l'

iiQOL~

et la

eEOL~

du pied,

I'instantane de ce pas, en tant que oxii!t(l, forme, mais aussi l'agaIma mnemonique (oxii!t(l lui aussi) auquel correspond chaque pas du poete. Les differentes acceptions du mot

Qve!t6~

remontent

a une

epoque ou Ie mouvement corpore!, Ie mouvement musical et la parole poetique formaient un ensemble dont les elements etaient inseparables. Ainsi dans Ie Timee , Platon ecrit-il que l'harmonie et Ie rythrne nous ont etle donnes par les Muses: «Pareillement Ie rythme, qui corrige en nous une tendance

a un dlefaut de mesure et de grace, visible en la

plupart des hommes, nous a ete donne par les memes Muses et en

vUi~

de la meme fin,,8l5.

8l4E. Benveniste, op. cit., p. 335. 8l5Platon, Timee, 47 c-d:<<. ..

Kat

01J81l0<;

au liLa t1'1v allEt(>ov Ev nll1v Kal

XaQLlffiV £:rUbEU YLYVO~vwv £'V 'tOLt; 1t)~ElatOLr; E:;lv tltLx011QO; f..J"tl amcilV

tOllta uno

twv

m08n». (Platon,lEuvres completes, t. X: Timee-Critias, texte etabli et

traduit par A. Rivaud, Colleaion des Universires de France, Paris, 1925.)

370


XVI. Catalogues, memoire, narration Revenons aux deux hymnes, l'hymne homerique

l'hymne homerique

a Hermes.

a Apollon et

Le premier presente une pure

enumeration de lieux geographiques; dans Ie second, chaque lieu a deja une capacite mnemonique. Dans l'hymne

a

Apollon, l'enumeration equivaut a un

parcours des lieux enumeres. Dans l'hymne

a Hermes,

chaque

lieu contient un agalrna, l'acte qui y a eu lieu. On passe de la simple liste geographique representant un parcours, au chant qui utilise Ie pareours pour construire un recit. L'etape suivante dans ce schema d'evolution apparalt quand Ie catalogue geographique disparalt du chant et existe seulement d'une faeon implicite. C'est la meme difference qui existe entre les gammes musicales ,et la composition qui est faite selon ces gammes. Le support se cache, devient une structure. Si nous supposons que Ie recit est un effort pour conserver la memoire historique, et si nous pensons que celle-ci ne peut pas etre dissociee de la memoire en general, les catalogues se presentent comme l'echine, les os denudes de la narration. Ce sont des tresors de noms, et les noms, les genealogies, sont la matiere premiere de la narration historique tout comme du mythe. L'enumeration construit a elle seule l'histoire puisqu'elle donne la suite des generations. La genealogie est done une echine, pure structure, et forme en meme temps: c'est Ie recit

a

l'etat pur, puisqu'elle donne la continuite et Ie temps et puisque

371


les noms qui la constituent ne sont pas vides de sens, au contraire. Les catalogues geographiques constituent par Ie moyen des parcours une forme de elassification mnemonique. Quand Ie catalogue geographique (la liste des lieux) se combine a des noms, noms d'etres divins ou mythiques, ou meme humains, comme dans Ie Catalogue des Vaisseaux de l'Iliade, on a franchi Ie pas vers la liaison mnemonique d'un symbole avec l'espace auquel il appartient, et la personne qui se souvient peut faire Ie pas de la narration creative. Selon nous la preservation de la memoire se met en route

a

partir de la creation des catalogues (par exemple, les genealogies); elle s'appuie sur Ie support du chemin, de la serie de lieux et se deploie avec la narration ou Ie lieu peu

a peu

disparait en tant que squelette, se cachant derriere Ie recit meme,

a savoir I'intrigue.

Plus tard Ie support devient une metaphore

que Ie poete travaille sUlr cette trame en Ie faisant apparaitre nombreux niveaux, comme Ie font Bacchylide et Pindare.

372

a de


CONCLUSION

Dne structure commune de parataxe sur une ligne d'unites caracterise il. la fois cheminement et chant en Grece archaique. Cette parataxe est presente il. differents niveaux: celui de la disposition architecturale des voies, celui de la description du chemin dans Ie chant, celui de la description du chemin dans la

Periegese de Grece, celui de la narration meme, celui des catalogues (de cadeaux, de noms, des offrandes des sanctuaires), celui du chemin de la recittation, celui du mode de fonctionnement de la memoire, celui de la marche meme, celui du rythme et du metre. Pour mettre les deux tableaux en parallele, celui du cheminement dans Ie chant et celui du cheminement sur une voie reelle, on a procede en examinant tous les elements essentiels de cette structure il. ses differents niveaux. Nous avons tout d'abord mis en evidence la parataxe des statues et offrandes Ie long de certains chemins des sanctuaires archai"ques. La parataxe d'unites des deux cotes du chemin est une 373


structure qui va egalement, des l'epoque archaique jusqu'a I'epoque hellenistique, dominer la disposition des chemins dans I'agora, dans la ville en gc5neral ou dans les cimetieres. Elle ouvre la possibilite de l'approche narrative de l'espace, d'autant plus que chacune des unites est un contenant mnemonique qui a une forte presence visuelle. Le passant qui chemine entre les objets juxtaposes, les lie entre eux de faeon a creer un recit, plus ou moins simple, complet ou elliptique. Le paradigme des voies des sanctuaires nous a aid,e a comprendre ce qu'a pu etre Ie cheminement dans une voie reelle. La meme parataxe est presente dans les descriptions de chemins de I'Odyssee, mais aussi dans les catalogues, dans la narration meme en tant qlUe juxtaposition d'actes, comme c' est Ie cas des scenes typiques, des descriptions d'arrivees, et d'ailleurs de l'ensemble du poeme. Le chemin dans l'imaJginaire des Grecs est peuple de jeunes filles. Sur les chemins des sanctuaires, l'ceil est guide par la juxtaposition des korai. A l'inverse, sur les chemins que les heros empruntent dans la poesie epique, des korai leur servent de guide. Les korai jouent Ie role de la pupille de I'ceiI pour Ie voyageur et cela n'est pas sans relatiol!l avec I'importance de la vision et de la lumiere lors de la traversee. Mais la maniere dont les jeunes filles guident se rapporte aussi bien a la vision qu'a la parole. En fait, Nausicaa, Athena ou Circe, montrent Ie chemin au heros en marchant devant lui, malS aussi par leurs indications. Elles decrivent Ie chemin d'une faeon extremement precise: elles utilisent des slgnes visuels et elles organisent I'ensemble du 374


cheminement par lieux-etapes ayant un ordre precis. Ainsi leurs paroles remplacent d'une certaine maniere leurs pas. Un exemple contraire de celui de la jeune fiUe qui guide

a l'aide de la vision et

de la parole est celui du devin Tiresias, qui, aveugle, guide Ulysse d'une fa90n tout

a fait

indirecte, en lui revelant seulement les

conditions de son voyage. Au niveau du chant, de sa recitation mais aussi de sa creation, les Muses sont l'equivalent des korai presentes lors des cheminements decrits dans les chants; elles sont, eUes aussi, des jeunes fiUes et, comme eUes sont les fiUes de la Mnemosyne (Memoire), elles aident Ie poete

a se souvenir en operant comme

la lumiere, comme la vision. Les Muses aident Ie poete

a franchir Ie

seuil qui I'introduit

dans l'espace de son chant et eUes lui montrent Ie chemin du chant afin qu'il puisse reciter. L'activite des Muses se rapporte done memoire visuelle mais aussi

a la parole poetique qui

a la

en resulte.

Dans la Theogonie elles sont decrites cheminant et chantant; les paroles du poete qu'eUes cherissent coulent de sa bouche douces comme Ie miel. Le pouvoir des Muses appartient au domaine de la metaphore: Ie poete qui recite doit se transporter dans un autre espace qu'eUes dominent. Cette metaphore (;I'un espace

a dimensions surreels, qui apte au

religieux, a toutefois un cote technique: il s'agit de la fa90n dont les poetes procedaient

a la memorisation de leurs chants.

A l'aide

des textes latins on a pu etablir que la mnemotechnique ancienne utilisait principalement Ie moyen du parcours imaginaire des lieux ayant un ordre concreto Dans ces lieux des images representant les 375


i

•

__ .

scenes cruciales etaient disposees. Pour completer ce processus de memorisation nous avons aussi eu recours

a un texte de

Longin.

En fait, Longin parle de veritables "voies de la memoire", creees par la juxtaposition d'images et de lieux. On pense que ce processus n'a pu qu'influencer d'une certaine fac;on la composition de l'ensemble du poeme: ainsi les poemes sont composes comme des cheminements, sinueux, tordus, cycliques ou droits, dont les parties, l,es unites, ont une grande force visuelle pouvant se concentrer dams des images. La fonction memorisatrice de l'image devient plus apparente si

on remplace cette derniere par la notion d'agalma. Les agalmata sont les cadeaux (i'lvu8l1I1UW)

enUmerf~S

dans l'epopee, mais aussi les offandes

des sanctuaires; il s'agit d'objets precieux qui

rejouissent l'reil, occupent une place et servent de

I1vl1I1m;U,

de

jalons pour perpetuer Ie souvenir. Les catalogues sont la notion-cle pour approfondir cette structure de juxtaposition d'agalmata (qui est celle des voies de memoire). En fait, les catalogues representent la forme la plus pure de parataxe tout en etant la forme la plus denudee de narration ou de description; ils concernent soit des noms (genealogies, Catalogues de Vaisseaux ou de Femmes), soit des agalmata. Les noms, etant l'objet de memorisation difficile dans la poesie orale, correspond,ent aux agalmata dans les voies de la memoire. Les catalogues, en tant que series d'agalmata, sont envisages comme cheminements; ainsi les listes des sanctuaires sont-elles 376


•

etablies par rapport au cheminement du regard de la personne qui les fait; et Ie Catalogue des Vaisseaux de I'lliade represente un itineraire, non seulement geographique mais aussi mnemonique. En meme temps, les genealogies sont une forme premiere de narration. Et la rememoration et la description d'une voie par Pausanias se fait a partir de la serie d'agalmata dont elle est constituee, qu'il s'agisse de statues ou de batiments; dans certains cas (comme celui d'Oreste) ces agalmata representent les traces des episodes principaux d'un mythe et leur enumeration equivaut a une narration. Les catalogues nous informent done sur plusieurs aspects de la correspondance entre cheminement et narration: un catalogue peut etre une narration mais aussi Ie materiel constitutif de la voie d'un sanctuaire demontrant ainsi comment l'alignement paratactique est une facon majeure de concevoir la composition d'un ensemble. D'autre part, au niveau de la memoire, Ie catalogue meme de la narration, par un jeu de miroir, peut rep resenter un cheminement. Le catalogue d'offrandes d'un sanctuaire tout comme la liste de dons dans j'epopee sont constitues d'une serie d'agalmata, objets qui gardent Ie souvenir tout en occupant une place au bord d'un chemin. Mais Ie catalogue des objets d'un chemin reel ne constitue pas un recit a lui seul; I'ordre des agalmata disposes est aleatoire. En revanche, les poemes sont composes selon un ordre concret, du debut jusqu'a la fin, oil seul Ie poete peut intervenir; et cet ordre est porteur de sens. Le cheminement du poete pendant la recitation ne constitue pas l'effet d'un improvisation; il est Ie fruit

377


,.

d'une composition preetaiblie. Par contre, dans les chemins de la realite, c'est au passant d',etablir une serie selon un ordre

a lui qui

fait naitre Ie recit. Pour cela il a la liberte de choisir les objets qui lui conviennent et de leur donner un sens concret; la composition de la part du passant est facilitee par la structure de parataxe des voies. Un tresor, en tant que depot d'offrandes peut representer un catalogue d'agalmata, ma-is en tant que biitiment sur la voie d'un sanctuaire, i1 peut egalement etre un agalma parmi les autres, sur la voie. Ainsi Pindare chemine dans son chant tout comme sur la voie du sanctuaire pythique et Ie sujet de son recit mythique est represente en tant qu'agalma sur la facade d'un tresor; et cela n'est pas Ie fruit du hasard mais d'une composition d'ensemble.

L'Odyssee et Ie proeme du poeme de Parmenide s'organisent par rapport aux principaux elements qui apparaissent

a la

fois

dans Ie chant et dans Ie cheminement: la memoire, la conception d'une narration en tant que chemin et la description du chemin en tant que parataxe, l'impo:rtance de l'entree et Ie role de la jeune filIe comme guide. Le mouvement vers une destination c'est leur sujet central et cela dans plusieurs niveaux. Dans les hymnes homeriques Ie cheminement poetique est presente de deux faeons differentes relatives aux dieux loues.

L'hymne homerique

a Hames

a comme sujet les traces que Ie

dieu laisse derrriere lui dans son cheminement; elles constituent un itineraire dont les etapes sont des lieux bien precis, nommes: chacun represente un acte; Ie tout est parcouru par Ie dieu et 378


..

forme son chant. Ainsi, l'hymne apparait-il assez proche des song-lines des aborlgenes australiens et du cheminement d'Oreste

selon Pausanias; chez ce demier, les traces sont construites dans l'ordre meme du recit. Dans l'hymne homerique ii Apollon, Ie poeme apparait comme un choix de chemins. Mais les lieux geographiques parcourus. ne representent pas d'actes; seule la destination compte, ayant: comme but la naissance du dieu ou la fondation de son oracle. Dans cet hymne les traces ne subsistent que dans I'etape finale du trajet; dans Ie reste ce qui importe, c'est la marche du dieu, marche qui rythme Ie chant du Pean.

Le theme de la marcllte eclaire par excellence Ie sujet car il touche a la fois au chant et au cheminement: c'est par sa marche et par son regard mobile que Ie passant suivant la voie d'un sanctuaire lie en une narration les differents agalmata du sanctuaire. Les agalmata, eux-aussi, sont en position de marche, et sont dresses sur des bases

(l3aaEL~),

mot qui derive de l3atvUl

(marcher). Enfin Ie poete, en recitant, fait un mouvement de marche pour garder Ie metre, pour preserver Ie rythme. Cette marche physique double la marche representee par l'ecoulement du poeme pendant sa recitation; et cette recitation est rendue possible par Ie chemineIDi;:nt du poete dans I'espace de la voie de son chant. Le poete availlce dans l'espace pour reproduire une autre marche imaginaire, qui relie entre eux les agalmata disposes en serle representant les differents actes de sa narration.

379


A differents niveaux, Ie cheminement est donc parallele au chant; un jeu de miroir est etabli entre les deux. Des caracteristiques de l'un sont pretees

a l'autre de sorte que nollS ne

sommes pas en mesure de distinguer auquel des deux elles appartiennent en propre. Si on part de l'hypothese que chant et cheminement ont ete construits sur la base d'une structure commune, on se trouve dans l'impossibilite de decrire la metaphore du chemin du chant en tant qu'analogie entre deux elements bien differents. Nous avons donc decele "une correspondance ordonnee, autrement dit une homologie, .... Ie chant et Ie cheminement se reproduisent l'un l'autre"816. Les Grecs de I'epoque archai"que (mais aussi ceux de l'epoque classique) cheminent dans un chant tout comme sur la voie d'un sanctuaire. En fait, Ie mot otf.ln rassemble

a la fois

Ie sens du chemin et

celui de la narration, et c'est par ce mot que la correlation entre les deux notions a pu exister pour la premiere fois. C'est

a partir

de cette matiere premiere qui ne constituait pas une metaphore, mais etait utilisee au sens propre, litteral, que Ie chemin des paroles trouve chez Aristote la reconnaisance de son allure metaphorique. En fait, dans la Rhetorique Aristote cite I'exemple ~l'une petite phrase tiree du Panegyrique d'lphicrate: "La voie de mes paroles passe

a travers les actes de Chares". Aristote caracterise la phrase

816C'est ainsi que Cl. Levi-Strauss parle de la conception par les ethnologues de la relation entre mythe et rite darlS I' Anthropologie structurale, Paris, 1974 (1958), p. 266. J'ai remplace ici les deux mots de mythe et de rite par chant et cheminement. 380


comme une "metaphore par analogie, ou 'il. travers' apporte devant les yeux"817. Le

:rtgo OlJ,lJ,Utwv JtOLELV,

l'action d'apporter

devant les yeux, est Ie resultat de mots qui signifient les choses en acte 818 . Par consequent l'expression 6La IJ,EOOU signifie Ie mouvement

a travers et il nous place tout de suite dans l'espace.

Mais en ce qui conceme la metaphore par analogie, il nous est tres difficile d'en etablir les quatre termes. C'est dire que meme il. son epoque assez tardive, Aristote peut, certes, reconnaitre la metaphore, mais il n'eslt pas encore vraiment en mesure de l'analyser. La phrase d'Iphicrate met en scene tous les points essentiels de

la presente etude. La voie des paroles d'Iphicrate est construite comme les voies des sanctuaires puisque des agalmata representant les actes de Chares y sont poses en parataxe. Iphicrate, quand il parle, lie ces differents agalmata entre eux, en cheminant sur la voie qu'ils forment, ou qu'ils bordent, en passant "au milieu" IJ,Eoou)

d'eux. La serie qu'il etablit ainsi peut prendre la forme de

817Aristote, Rhetorique, 141lb, 1-4 : Kat AOyWV

(6La

ow.

~w(Ov

trov XUQ'fl'tt

.n:en:Qay~EV(()V

w, '!<pLxeatn, E1JtEv "n yixQ 606, !JOL tWV em Lv",

IlE'tu<po(>O xat' CtvaAoyLav, xal

to

IiLli flEoOlJ nQ6 oflflCrtWv nmEL. La metaphore par analogie est definie par Aristote

dans la Poetique comme 1a quameme sorte de metaphore : Aristote, Poetique, XXI, 4; Rhetorique, 1412b 40. Pour creer une metaphore par analogie il faut avoir deux volets formes de deux paires et une similitude existant entre la relation qui lie les parties des deux volets : si A, B forment Ie premier volet et C, D Ie second, la

c

relation de A a B doit etre 1a meme que celie de CaD. La metaphore existe quand on peut remp1acer Ie B par Ie C ou vice-versa.

818 Aristote, Rhetorique, 1411 bt, 26-27 : !l.f:yW lin EVEQYoVvta on~LVEl.

381

nQo Oflf!Crtwv

mum nmELV 60a


ses arguments, fondes

a leur tour sur la

verite des evenements;

elle peut aussi, tout simplement, etre un recit.

382


•

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2-5

sept.

1990),


ERRATA

Ala: page 26, n. 27.

CORRIGE

Au lieu de:

Lire:

avec la complete bibliographie pour reviser rapidement tout Ie sujeL

avec une bibliographie complete pour faire un tour de la question.

"An Ancient Route in Southeastern l..oucania".

"An Ancient Route in Southeastern Lucania".

page 37

Dodecanese

page 43

Chares

Chares

page 58

acote

acote

page 63

Kynosargues

Kynosarges

page 69

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" go avLO Ef.tL

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OBEA.O~ ltOLEOE"

OBEA.6~ ltOLEOE"

page 87

selon les trouvailles archeologiques

selon les interpretations des archeologues

page 88

avec leur amenagemant

par leur amenagement

page 94, n. 133

XO.4.0tJoO;

XO.4.0000;;

Revue des Etudes Grecques

Revue des Etudes Grecques

page 96, n. 138

Sy1l581

Syll.3 581

page 100, n. 143

J. Brunschvig

J. Brunschwig

page 101, n. 147

Sur ekphrasis

Sur I'ekphrasis

Letoublon

Utoublon

1. Coulton The architectural

J. COUlton, The ArchitecTUral

. page 102, n. 148 page 110, n. 163

developmenr ofThe greek stoa

Developmenr ofthe Greek Sma

page 122etp.123

symmetrie

symetrie

page 123

avec l'espace de la rue

avec l'espace de la voie publique


• •

,

e;

page 123, n. 195

Sur la mnemotechnique et Ie chemin, on va se referer plus explicitement ala suite.

Sur la mnemotechnique et 1e chemin, je discuterai plus loin au chapitre VI.

page 138

l'intervention de Circe qui, de son ile, ...

l'intervention de Circe (deesse ayant 1'apparence d'une jeune fiUe) qui, de son He, ...

question c1esespere

question desesperee

page 140

trad. par p. Jaccottet. = 6Mv %at ~tl{)a %EAEV8ou/ VOCJl:Ov 8' .. , tr. par V. Berard..

trad. par p. Jaccottet. = 6Mv %at ~E'Qa %EAEV8ou/ voo,ov 8', w; btl rrOVl:Ov EJ,EVOWL ix8uOEVl:a.

page 144

surhargee

surchargee

page 144, n. 241

claiement

clairement

page 147

l'ile de Trident

l'ile de Thrinakie

page 152

lesDeesses Redoutables

les Deesses Redoutables

pp. 152-153, n. 266-272

A.Mazon

P. Mazin

page 155

Celee

Keleos

page 159, n. 284, 286, 288

E. Puech

A. Puech

page 160

Ie renvoie-t-ellle

Ie renvoie-t-e11e

page 160, n. 291

Elegies

Elegies

page 165, n. 308

execrable

execrable

page 165, n. 310

Fonc1ation Hard

Fonc1ation Hardt

page 166

"rue cercle sentier, d'olI...

"rue, cercle, sentier, d'olI ...

page 166, n. 315

plus d;hesitation

plus d'hesitation

page 170, n. 327

Thucidide

Thucydide

page 173

Ie son charmant des flutes

le son charmant des auloi

page 178, n. 346

toute la bibliographie relative.

toute la bibliographie relative au sujet.

page 183

marcher droit".;

marcher droit";

page 190

Ie "je" de l'epinicee

Ie "je" de J'epinicie

page 200, n.435

qui aient une performance augmentee

qui aient une capacite de performance augmentee


page 210

dans image

sans image

page 223

Ie lIe sieclen •

page 224

eire surs d'un point:

etre sur d'une donnre:

page 233, 234

enouuQ6~,

enouUQ6£

page 236

mais ajamais perpetue

mais ajamais perpetue

page 239

Clazomeneens

Clazomeniens

page 242

carchedoniens

Carthaginois

Megarites

Megariens

Sybarites

Sybarites

page 244

un epigrarnme

une epigramme

page 247

Letoon

Let60n

page 250

,h~ ~H{J'(I~

1:[Ti£ "Hgut;

page 253

Graces

Charites

page 254

Eve'

Eveu

page 270

de la demeure

de la haute demeure

RECITS D'ARRIVEES DE PETITES lOTAPES

RECITS D'ARRIVEES SillVANT DES PETITES ETAPES

page 273

un trajectCiire

une trajectoire

page 278

un cIi de fluteen s'enflammant

un cIi de flute en s' enflammant

page 279

accessible chemin

chernin carrossable

page 285

chemin clair

chemin puriM

page 288

/Jti(mv

BTiouv

IltJ)/ora

BiJf.luW

page 292

de ofme

d'oime

page 302

Roure de Pausanias et Route d'Oreste

Chemin de Pausanias et Chemin d'Oreste

page 312

pasteurs

nomades

p,313

aboIigene:s

Aborigenes

,

Ie lIe siecle",


page 317 page 317, n. 667

page 319

• page 323, n. 685

(JT]~Ela no6wv, 01i~tlOAU EvrE"tUnl1l~EVa 1:1] Y1], iXvE1i~U1:a, ixvia,

{T//j.lE:ta ff.Wciw, CTlJj.ljJoAa ev;;ewff.CLJj.liva '!l y!l lxvevj.law, lxv/a, lXvevClt~· xai ,ig lxveVCleCLJ~ cplJCliv 6 .E'E:vocpciJv. lxvlJ op8d, evOia ClVf.lJ7:eff.Aeyj.liva, evvala c5poj.lia otia.

LxvEum<;· xai 1:i'i<; iXVEUOEl1l<; cpTIoiv 6 ::::EVOqxDV. LXVT] ogeci, EUeEa OUfJ..itEnAEy~EvU, Euvala 6QO~EU 01;EU.

l'hymne homerique a Hennes,

l'hymne homirique a Hennes.

texte que l'edition de AllenHalliday date du 7e siec1e au plus tard. Erythres

Erythree

Cet hymne est anteneur de

l'hymne homerique a Hennes

Cet hymne est, selon de nombreux auteurs, anterieur a l'hymne homenque Ii Hermes

page 340

priamel

primal

page 341, n. 744

Ie mot iiliav qui existait dans Ie papyrus,

Ie mot Mov qui est la leyon du papyrus,

page 342

1'accouchement d' Apollon

son accouchement d'Apollon et d'Artemis

page 343, n.747

exageree

excessive

page 346, n. 759

la 'propagande delphique'

la 'propagande delphique' (notion dont il est l'inventeur malheureux )

page 348

seuil

seuil

page 365, n. 804

E. Jaeger

W.Jaeger

page 331 page 338

p. 366


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