N°8 Mémoire photographique champenoise

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Mémoire photographique Champenoise « Centre Régional de la Photographie de Champagne Ardenne » Villa Bissinger 51160 Ay

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Vue prise par Jean Poyet le 1° juin 1920 pour M. Ravily, de Vitry sur Seine (n° 20 045) de la Porte Saint Martin à Epernay

N° 8 Juin 2009 Parution du n° 9 En décembre 2009


Mémoire photographique champenoise Bulletin de l’Association loi de 1901

Centre Régional de la Photographie de Champagne-Ardenne Villa Bissinger 51160 Ay Editorial Contrairement à ce que nous avons fait jusque là, nous publions dans ce huitième numéro de notre bulletin le compte rendu entier de notre dernière assemblée générale. C’est par soucis d’économie, évitant ainsi un envoi postal à chaque adhérent rien que pour ce compte rendu. Nous n’avons pas hésité, non plus à présenter un article passionnant d’une jeune chercheuse suisse, bien qu’il soit très long, mais impossible, compte tenu de la parution bisannuelle de notre bulletin, de couper un texte aussi intéressant. Comme bien souvent, nous avons eu recours à l’immense culture de Francis Leroy pour apporter du sens à nos vieilles images, et la photographie ancienne étant notre domaine, chaque numéro de notre « mémoire photographique champenoise » se doit de fouiller dans les revues spécialisées du XIX° siècle pour remettre au jour des trésors totalement ignorés. Ainsi, vous découvrirez que la télécopie des images date de...1895 ! et vous saurez tout sur la fabrication des négatifs sur plaques de verres que Jean Poyet a utilisés jusqu’à ce que cesse leur commercialisation, détrônés par les supports souples et les pellicules en rouleaux. Vous remarquerez aussi dans ce numéro l’omniprésence des gravures de Louis Poyet, l’oncle de Jean, notre photographe, figure notoire de cette deuxième moitié du XIX° siècle où la technique dans tous les domaines a été si dominante. Ce fut le dessinateur en titre de Gustave Eiffel dont la Tour fête cette année ses 120 ans. Mais le présent nous intéresse aussi, et c’est à ce titre que vous découvrirez une exposition magnifique du photographe Gérard Rondeau qui, si gentiment, a rédigé, il y a quelques mois, la préface de notre catalogue d’exposition. Photographie très contemporaine, aussi, avec ce photographe finlandais, Arno Rafael Minkkinen qui, tout comme Gilbert Garcin que nous vous avions présenté dans le n°7 a inventé un mode d’expression très original, et pour lui aussi en noir et blanc ! Enfin, le témoignage tout fraîchement recueilli de Marie Thérèse Peltier, qui fut apprentie chez Poyet en 1947, et y travailla pendant quinze ans ! Je ne peux que vous souhaiter une bonne lecture, et vous remercier de votre intérêt malgré la piètre qualité technique de notre publication qui est diffusée en photocopie. Rêvez avec nous de la voir un jour imprimée sur un beau papier glacé. N’en vaut-elle pas la peine ? Et bien sûr, toutes vos suggestions ou réactions sont bienvenues. Francis Dumelié.

Sommaire : - La vie de l’association. . Le mot du Président . Compte rendu de l’assemblée générale - L’histoire de la photographie vue par l’imagerie d’Epinal. - Comment on fabriquait les négatifs sur verre en 1886 - Les multiples inventions de la photographie : télécopie en 1895 - L’histoire en filigrane dans les registres du fonds Poyet - L’exposition sur le fonds Poyet - Librairies d’Epernay d’hier et d’aujourd’hui - Représentation de l’amitié à travers les albums de photos - Nouvelles brèves - Quand on se pose une question sur Epernay (l’image de couverture) - Exposition de Gérard Rondeau à Châlons - Les « deux roues » dans le fonds photographique Poyet - Un témoignage : MT Peltier entre comme apprentie chez Poyet en 1947 - Arno Rafael Minkkinen photographe finlandais : Exceptionnel !

Quelques cartes de photographes régionaux

p.2 p.2 à 6 p.7 p.8 p.11 p.13 p.15 p.18 p.19 p.26 p.27 p.28 p.29 p.32 p.34

Contacts : Présidence : Hubert Ballu : 06 08 85 13 20 Conservation du Fonds Poyet, tirages, bulletin, site : Francis Dumelié : 06 08 61 15 33 Actions Villages : Marie France Bannette : 03 26 57 04 74 Secrétariat ; Marie Pierre Deplaine 03 26 52 33 51 site internet : http://memoirephotographiquechampenoise.org

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Ordre du jour :

Rapport Moral Bilan financier Bilan des activités 2008 Projets 2009 Renouvellement du CA Vote des résolutions Questions diverses

Rapport Moral

Après avoir accueilli les personnes présentes, le Président donne lecture de son rapport moral pour l’exercice écoulé. Hubert Ballu souligne que l’intérêt porté à notre association est de plus en plus important, pour preuve les graphiques de fréquentation sur Internet, les chiffres ne laissent place à aucun doute ainsi que le succès de l’exposition du Fonds photographique Jean Poyet. La côte de sympathie est là. Il insiste ensuite sur l’importance de mobiliser plus fortement nos membres et pour ce faire, le bureau a décidé de les inviter systématiquement . -2-

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Le 5 mars à 18h30, les membres de l’association du CRPCA se sont réunis en Assemblée Générale Ordinaire à la Villa Bissinger, 15 rue Jeanson, 51160 Ay sur convocation écrite faite par le Conseil d’administration. L’assemblée est présidée par Hubert Ballu assisté de Rachel Payan en sa qualité de secrétaire de l’association. Il a été établi une feuille de présence signée par tous les membres présents et qui demeure annexée au présent Procès Verbal.

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Procès Verbal de l’assemblée générale du CRPCA 5 février 2009

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Le mot du président La vie de notre association commence à avoir un rythme et une notoriété grandissants avec une côte d’amour tout à fait honorable. Pour preuve, l’exposition présentant le fonds photographique Poyet, qui a eu lieu à la médiathèque d’Epernay, a connu un grand succès de la part du public. Le travail de cette officine, qui a marqué la vie photographique d’Epernay pendant quatre-vingt ans, avait de quoi attirer un large public. Selon les responsables de la bibliothèque ce serait l’une des expositions qui ont attiré le plus grand nombre de visiteurs. Ce fut à Epernay, lors de l’inauguration, un moment fort de rencontres et nous y avons reçu des promesses de cessions de fonds qui enrichiront nos collections. C’est aussi le but que nous nous étions assignés lors de la création de notre association. Pour ceux qui n’auraient pas eu l’occasion ou le temps de voir cette exposition, une cession de rattrapage aura lieu à Hautvillers qui va la recevoir dans les locaux de l’office de tourisme. Par ailleurs, nous poursuivons nos travaux dans les villages et le dernier en date fut Louvois avec la conclusion en juin. Hubert Ballu

tous les deux mois afin que ceux qui se sentent un peu concernés soient plus au courant et par là encouragés à participer aux actions. Le grand souci de l’association est de gérer les difficultés du quotidien, à savoir la restitution des commandes dont se charge activement Francis Dumelié. C’est un exercice qui demande du temps. Cette gestion n’est pas facile pour des bénévoles et relèverait plutôt d’un permanent. A cela s’ajoutent les conditions difficiles du local actuel ; sans chauffage et sans toilettes. Toutefois si le lieu n’est pas très accueillant il est un outil apprécié et indispensable à la poursuite des activités de l’association. Il parait aussi important pour l’association de travailler à une meilleure communication de ses activités et fonctions afin de mobiliser plus d’adhérents et de membres actifs. Le président évoque un projet de formation à la photo informatique et de la gestion en aval, voire une formation à la prise de vue et également aux techniques anciennes. Des contacts ont été pris avec la M.J.C. d’Aÿ pour une aide logistique à cet effet. Le but avoué est double : faire en sorte d’avoir de nouveaux adhérents et sensibiliser les participants à la valeur patrimoniale de la photo. Enfin pour terminer son propos le président exprime toute sa satisfaction à propos de l’inauguration de l’exposition autour du fonds Poyet et les contacts qui s’en sont suivis. Il remercie de nouveau les personnes qui sont intervenues dans sa réalisation :


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l’exposition « Le fonds Photographique Jean Poyet » dont il sera question juste après, ainsi que les bulletins qui sont retirés régulièrement. Cela a permis entre autres de prendre contact en vue peut-être d’une présentation de l’exposition à la Médiathèque de Cormontreuil (à suivre.) ÄLe marché de noël à Hautvillers

L’exposition « Le fonds Photographique Poyet »

L’action importante de l’année se jouait autour de la réalisation de l’exposition « Le fonds Photographique Poyet » et l’édition à cette occasion d’un catalogue, tout ceci orchestré par l’infatigable Francis Dumélié. Cette action s’est déroulée sans subvention ce qui a contribué à mettre l’association dans le rouge sur l’exercice 2008. Toutefois, la vente des catalogues est déjà bien engagée et l’exercices 2009 devrait s’en ressentir. Notons que l’association doit cette réalisation aux prix des tirages accordés par M. Chaffiol, et le catalogue a vu le jour grâce aux conditions de règlement particulièrement douces accordées par M. Lévêque, directeur de l’imprimerie Imprim éclair. Les plumes de Gérard Rondeau et Francis Leroy ont été sollicitées pour la préface du catalogue et le CRPCA les en remercie. L’exposition a été présentée du 20 septembre au 26 octobre 2008 à la Villa Bissinger. L’inauguration s’est déroulée le 7 octobre 2008 et est visible jusqu’au 19 mars à la médiathèque d’Epernay où l’inauguration s’est faite le 20 février 2009.

Actions « portraits de village ».

2008 aura aussi été l’année de la reprise des actions « portraits de village ». Un très bon accueil a été réservé aux membres du CRPCA par l’association d’histoire locale de Oiry –Merlette et son président M. Thiébaux. L’action comme toujours s’est déroulée en deux temps avec le 11 Octobre, la collecte de photos et la réalisation des portraits des Oiryats et le 8 et 9 novembre, l’exposition de portraits et de la collecte. C’est avec un grand plaisir que les Oiryats ont apporté leurs trésors photographiques familiaux de la première partie du XX° -4-

. Pour sa part, notre association a mis à disposition son stock de photos anciennes et l’inventaire photographique du patrimoine bâti de Oiry. L’exposition des 8 et 9 novembre a attiré une grande foule notamment le dimanche , près de 200 personnes ont défilé dans les écoles pour venir voir les portraits de Oiryats réalisés avant 1956 par Jean Poyet qui cotoyaient le temps d’un week-end les photos des jeunes générations. Une soixantaine de photos de tailles différentes ont été commandées auprès de l’association à cette occasion. Il est à noter qu’au niveau organisation, si l’association était plus au point, il apparaît indispensable d’être au moins deux membres du CRPCA sur place lors de l’exposition : une pour le scan de photo et l’autre pour les commandes. Lors de prochaines opérations nous reverrons également la taille des tirages car nous sommes restés avec de nombreux tirages grand format alors que la commande se faisait sur des formats intermédiaires.

Le site Internet

Administré par Francis Dumélié, il constitue réellement la vitrine de l’association et le meilleur outil de diffusion de l’existence du fonds Poyet. En perpétuelle évolution, il a été enrichi de galeries d’images ( environ 1500 images). Chaque page du site est référencée dans Google. Les visites sont passées de 2423 en 2006 (mise en ligne du site en mai) à 14 666 en 2007, et 25 241 en 2008...

Les bulletins

Comme les deux années précédentes, l’association a édité deux nouveaux bulletins dans l’année, avec un progrès dans la participation à la rédaction d’articles. Dans le n°7, une dizaine d’auteurs se sont mis au travail, et parmi eux, le CRPCA remercie particulièrement Jean Jacques Charpy, Conservateur du Musée d’Epernay qui nous a présenté les collections photographiques de son établissement. A noter un obstacle de taille à sa diffusion : jusqu’au numéro précédent, la Municipalité d’Ay prenait en charge l’affranchissement du bulletin, ce qui nous permettait de l’envoyer en particulier à tous les maires des communes dont des habitants ont été photographiés chez


Poyet. Nous espérons trouver une nouvelle source de financement. L’une des solutions serait que notre bulletin soit reconnu par un numéro de commission paritaire qui entraîne un tarif postal privilégié, mais il faudrait atteindre une publication trimestrielle, soit deux fois plus de travail... Notre bulletin nous apporte une certaine notoriété dans les milieux universitaires. Grâce à lui, une étudiante doctorante en histoire de Paris a pris contact avec nous pour effectuer un travail sur notre stratégie d’exploitation d’un fonds photographique, une autre, de Suisse, travaille sur l’analyse des méthodes de constitution des albums de photos familiaux depuis l’origine de la photographie

Permanences de l’association Depuis juin 2007, l’association bénéficie d’un local situé rue Clamecy aimablement mis à disposition par la ville d’Aÿ. 2008 aura inauguré son ouverture au public avec une permanence de l’association le 2ème Samedi de chaque mois. Le local permet la gestion du fonds Poyet. Pas encore complètement rangé dans les classeurs de conservation, il nécessiterait l’intervention de plusieurs personnes susceptibles de donner au moins une demi-journée par semaine de leur temps afin d’avancer dans la constitution des fichiers, sans parler du travail de restauration ou de sauvegarde qui deviendra nécessaires pour des milliers de négatifs sur verre. Francis Dumélié a consacré plus de 300 h cette année au rangement. Sauf à trouver de nouvelles bonnes volontés, nous serons amenés à refuser des dons... La saisie des registres avance. Madame LeBihan nous a rejoint dans cette tâche. Nous avons reçu le don de 6500 diapositives prises dans le monde entier par un couple de voyageurs infatigables habitant dans les environs de Reims. Un grand merci pour ce trésor documentaire retraçant leurs voyages depuis 40 ans.

La commande des tirages : Hormis les demandes recueillies lors des permanences, elles arrivent par le site Internet, à cadence irrégulière, mais cependant -5-

soutenue. Tâche encore assuré par Francis Dumelié ce qui deviendra totalement impossible si la demande s’accentue. Ainsi, l’association a livré à une trentaine de familles une centaine de tirages depuis le début de cette année, ce qui représente 1436 € de recettes. Ces recettes ont permis entre autres de nous équiper d’un scanner très performant pour réaliser des numérisations de qualité, et d’un appareil de prise de vues numériques pour les numérisations courantes et les prises de vues extérieures... même si nous travaillons toujours avec nos ordinateurs personnels ! A noter que le CRPCA a fourni au Champagne Montaudon plusieurs images prises par Jean Poyet, qui ont été utilisées dans une nouvelle plaquette professionnelle par cette maison de champagne. Le Conseil régional a aussi eu recours à nos documents pour la réalisation d’une plaquette sur l’économie sociale et solidaire, et nous sommes entrain de fournir à la Communauté de communes d’Epernay des photographies du fonds Poyet qui participeront à la création d’un guide multimedia embarqué .

Orientations 2009

Présence de l’association sur diverses manifestations

En ce qui concerne les orientations 2009, l’association continuera d’être présente sur les différentes manifestations qui peuvent permettre de faire parler de ses activités, comme la bourse aux cartes postale, la foire du Clic Clac Club, le marché de noël de la CCGVM.

Itinérance de l’exposition du « Fonds Photographique Jean Poyet » et Projet d’exposition en partenariat avec Les Archives Départementales L’exposition devrait être reçue par la médiathèque de Cormontreuil. Une prise de contact doit être réitérée à cet effet. Cet été, l’exposition devrait être visible à la capitainerie de Mareuil sur Ay (à confirmer). D’autre part, une rencontre avec les membres du bureau de l’association a eu lieu le 9 juillet 2008, en présence du directeur des


archives départementales (Lionel Gallois, qui a quitté le Département courant janvier 2009). Monsieur Gallois était favorable à la réalisation d’une exposition associant le fonds photographique Poyet et delui des archives, afin de lui donner une dimension départementale (désenclaver géographiquement le fonds Poyet avec d’autres sources et secteurs) et faciliter ainsi son itinérance (et l’inclure éventuellement à «Marne, pays d’histoires»). Une thématique reste à définir : comment la photo s’est installée dans la Marne ? Pistes : arrivée de photographes avec la création du camp de Châlons (1856), histoire de la photographie dans la Marne, des monuments aux personnages en passant par les faits de société...

Action portait de village à Louvois

La poursuite des actions de « portraits de village » nous amènera à Louvois le 4 avril pour la collecte des photos et les 6 et 7 juin 2009 pour l’exposition. Essayant de tirer leçon des précédentes campagnes, les tirages des photographies se feront en format intermédiaire (13x18) de façon à ne pas rester avec trop de photos sur les bras. D’autres actions sont à prévoir sur Plivot, Chouilly et Mutigny

Contact avec Geneanet

Hubert Ballu signale l’intrusion heureuse de Généanet dans notre univers, par l’intermédiaire de Monsieur de Mégret, d’origine sparnacienne, et qui souhaite rencontrer l’association afin de créer des liens entre notre site et le leur.

Renouvellement du CA

Hubert Ballu prend la parole pour fairel’appel des candidatures pour le renouvellement du tiers des membres du Conseil d’administration dont Guillaume Gellert et Alain Janisson sont sortants Deux personnes se sont portées candidates pour les remplacer. Sont ainsi régulièrement élus : Marie-Pierre Deplaine, demeurant 17, allée des tilleuls 51160 Fontaine sur Ay Jerôme de Horschitz, retraité, demeurant 11 Rue de Reims 51200 Epernay. Il est aussi pris note de la démission du poste de trésorier de Francis Dumélié et de celle de -6-

Rachel Payan du poste de secrétaire

Vote des Résolutions

1ère résolution : L’assemblée générale, après avoir entendu lecture du rapport d’activité et du rapport moral au nom du Conseil d’Administration, approuve ces rapports tels qu’ils lui ont été présentés. L’assemblée 2ème résolution : générale, après avoir entendu lecture du bilan financier du Conseil d’Administration approuve les comptes de l’exercice tels qu’ils lui ont été présentés. En conséquence, elle approuve les actes de gestion accomplis par le Conseil au cours de l’exercice écoulé et donne quitus de leur gestion aux membres du Conseil d’Administration.

Questions diverses

Une personne dans l’assistance signale l’écomusée d’Oeuilly comme partenaire possible d’actions à venir, notamment pour recevoir l’exposition. Elle se propose de prendre des contacts dans des villages pour accueillir l’exposition voir s’il est possible de la présenter. Une discussion autour des circonstances de la découverte du fonds et de son intérêt. Monsieur Mercier intervient dans l’assemblée pour demander comment les bénévoles peuvent aider l’association. Hubert Ballu précise que pour la saisie des registres des mains sont largement encouragées à se joindre à celles qui déjà enregistrent les données. Pour les actions villages des volontaires sont toujours bienvenus pour aider à l’organisation de la journée. Des personnes qui pourraient former à la photographie ou à des logiciels concernant la photographie sont également les bienvenus. Des personnes peuvent aussi venir aider Francis Dumélié dans la recherche de photographies et le scannage; des séances seraient à convenir avec lui à cet effet. Monsieur Mercier évoque également le Vit’Eff pour accueillir l’exposition lors d’un de ses salons. Monsieur Goutorbe soumet l’idée de voir avec la mairie pour lui vendre des catalogues de l’exposition. L’ordre du jour étant épuisé et personne ne demandant plus la parole, Hubert Ballu déclare la séance levée à 19h30.


Histoire de la photographie. L’abondance des sujet de ce numéro de notre bulletin nous oblige à nous limiter pour cette partie historique à la publication des dernières vignettes de l’imagerie d’Epinal. Dans le n° 9, nous reprendrons notre analyse chronologique.

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Quelques autres documents analogues publiés sur le papier sensibilisé montreront à quel chiffre d’affaires s’élève le trafic photographique. Le papier qui sert à faire les images, est fabriqué à peu près entièrement par une seule maison française et cette fabrique livre annuellement 50 000 rames de papier. Ce papier est ensuite recouvert d’une couche d’albumine et rendu sensible. Le papier ainsi préparé vaut au bas mot 500 francs la rame,(1250 €) sa production atteint donc, le chiffre de 15 millions de francs. ( 37,5 millions d’€) Les autres papiers sensibles au gélatino bromure d’argent, papiers au charbon, etc., montent au chiffre de 5 millions.(12,5 millions d’ €) Si l’on ajoute à cela les produits chimiques et l’ébénisterie, on arrive encore au total annuel de 50 millions de francs. (125 millions d’€) On voit que la fabrication des glaces, ou plaques sèches, atteint à elle seule la moitié, de la fabrication totale des objets photographiques. Tous les photographes de profession, tous les amateurs, s’en servent aujourd’hui. En est-il beaucoup qui connaissent leur mode de fabrication? Nous ne le croyons pas. Pour notre part nous avons voulu nous en rendre compte ; nous nous sommes adressé à cet effet à l’un de nos plus grands fabricants français, M. D.. Hutinet qui a bien voulu nous montrer, dans tous ses détails, son usine de l’avenue Parmentier à Paris. Il nous a semblé intéressant pour tous, et très instructif pour les praticiens, de connaître le mode de confection des plaques sèches dont ils se servent constamment. C’est ce qui nous a décidé à écrire la présente notice. Les plaques sèches sont des verres recouverts d’une émulsion au gélatino-bromure d’argent. Leur fabrication comprend une série d’opérations que nous allons passer en revue. 1- Préparation de l’émulsion. — Une grande quantité de formules ont été publiées dans les traités spéciaux. Une des plus simples est la suivante. On introduit (en opérant dans une pièce -8-

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« Les amateurs de photographie sont devenus légion, à tel point que nous nous rappelons cet été, nous trouvant pendant quelques jours à l’une de nos stations maritimes, avoir vu les opérateurs avec leurs chambres noires se toucher presque les uns les autres sur la plage à l’heure du bain. Il est peu de touristes aujourd’hui qui ne soient devenus photographes ; aussi n’est-il pas étonnant que la fabrication des appareils et des produits photographiques ait pris un développement considérable. Nous avons déjà donné précédemment une statistique de la fabrication des glaces au gélatino-bromure qui évaluait à 50 millions de francs (125 millions d’€ 2009) le montant de la production annuelle en Europe.

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Fabrication des plaques sèches photographiques au gélatino bromure d’argent en 1886

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éclairée par la lumière rouge) dans un flacon à large ouverture : Eau distillée, 300 centimètres cubes ; bromure d’ ammonium, 18 grammes; bonne gélatine, 12 grammes. Lorsque la gélatine est gonflée, on porte le flacon dans un bain-marie et on élève la température à 40°. Dans un autre flacon on fait dissoudre 27 grammes d’azotate d’argent cristallisé( nom du nitrate d’argent au 19° siècle) dans 150 centimètres cubes d’eau distillée tiède. On verse la solution d’argent en un mince filet de liquide dans la gélatine qu’un mouvement circulaire du bras tient constamment agitée, même lorsque les deux liquides sont réunis dans le même flacon. On reporte ensuite le flacon dans le bain-marie dont on élève la température, jusqu’à l’ébullition. On a soin de remuer l’émulsion avec une longue baguette de verre et de continuer l’ébullition du bain-marie pendant 15 à 20 minutes; après quoi on laisse tomber la température de 55°C à 40°C environ et l’on ajoute 12 à 15 grammes de gélatine, préalablement gonflée dans un peu d’eau distillée. Après ces opérations successives, on verse, l’émulsion dans une cuvette et on la laisse refroidir dans l’obscurité. Après la prise en gelée, on la lave pour la débarrasser des sels inutiles et nuisibles; On la passe à travers un filtre et on la recueille dans une mousseline posée sur un tamis. On lave pendant 20 minutes sous un robinet. L’émulsion est alors remise dans le flacon où l’on introduit une troisième dose de gélatine, 12 à 15 grammes, que l’on fait fondre avec l’émulsion qui peut être alors coulée sur les verres. 2- Etendage de l’émulsion sur les verres Lorsqu’il s’agit d’une grande fabrication, l’étendage ou le couchage de l’émulsion sur les verres, offre de très sérieuses difficultés. Le temps du couchage des verres doit être aussi court que possible, car l’émulsion change constamment d’état ; l’opération doit donc être exécutée très promptement pour que la couche soit bien homogène. Le couchage à la main est toujours imparfait à cause dee l’inégalité d’épaisseur de la couche qui est toujours plus considérable du côté où on a fait couler la gélatine en penchant le verre. L’opération du couchage de l’émulsion se fait mécaniquement dans l’usine de M. Hutinet. Notre obligeant cicérone nous était absolument indispensable pour visiter ses ateliers, car seuls nous n’aurions osé faire un seul pas à cause de l’obscurité qui y règne. A notre entrée dans le laboratoire, nous n’avons rien aperçu que des murs noirs et quelques foyers lumineux rouges. Mais peu à peu l’œil se fait aux ténèbres, il trouve bientôt appréciable la lumière de petites lanternes à verres rouges posées ça et là. Nous avons peu à peu aperçu des ombres ; c’étaient les ouvriers au travail; enfin, après un quart d’heure, notre œil étant fait à cette obscurité, nous sommes montés à l’atelier de couchage où se trouve la machine que représente notre première gravure (fig. ]).


Cette pièce mesure en longueur 20 mètres. Les verres préalablement nettoyés ont exactement la largeur qu’ils doivent conserver une fois coupés ; leur longueur est de lm,20. Chaque verre est posé sur deux courroies sans fin qui sont actionnées par une machine à vapeur. Le verre, ainsi entraîné, passe sous un rouleau qui appuie très légèrement sur sa surface, un contrepoids servant à l’équilibrer. L’émulsion est contenue dans un récipient chauffé au bain-marie, et que l’on voit au milieu de notre figure; elle s’écoule lentement et en quantité voulue à l’aide d’un robinet en verre et tombe dans une cuvette ayant la largeur du rouleau. Cette cuvette est percée à sa base de petits trous qui permettent

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à l’émulsion de se répandre uniformément sur le rouleau, qui, dans son mouvement de rotation, couvre le verre d’émulsion. Les verres sont placés les uns à la suite des autres. Ils continuent leur marche sur une longueur de 12 mètres et, pendant ce temps, l’émulsion est figée. 3- Séchage des verres. — Au bout de la table, les verres sont pris et placés dans le séchoir (fig. 2). Il se compose de rayons en bois dans une pièce qui a une ventilation peu appliquée jusqu’alors. L’air pris du dehors passe à travers des tampons de ouate et il vient se chauffer sur les tubes où circule de la vapeur sous le double plancher du séchoir; après s’être ainsi chauffé,


4- Découpage des plaques. — Une fois sèches, c’est-à-dire six à huit heures après leur mise en rayon, les plaques sont portées dans l’atelier de découpage. A l’aide d’une machine très simple qu’une seule ouvrière fait agir, chaque plaque est coupée à la grandeur voulue (fig. 3). Cette machine est composée de deux rainures en bois dont on fixe la largeur à volonté à l’aide d’écrous. Comme nous l’avons indiqué, la largeur exacte de la grande plaque est faite avant le couchage; elle est introduite dans cette glissière qui vient se buter à un endroit fixe de manière que la distance comprise entre la règle qui doit guider le diamant et une plaquette qui arrête la glace, soit de la longueur nécessaire au format de la petite plaque qui est alors coupée à l’aide d’un diamant. Pendant le découpage, les plaques sont examinées une à une par d’autres ouvrières ; celles qui ont quelque défaut sont rejetées, tandis que les autres sont remises au paquetage.

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5- Mise en paquet. — La machine à paqueter (fig. 4) se compose de trois parties essentielles à rainures ; celle du dessous dépasse l’affleurement de la table; elle a six rainures; de petits papiers tuyautés qui y sont préalablement placés s’adaptent exactement dans ces rainures ; de chaque côté de la rainure du dessous, s’élèvent deux autres planchettes verticales mobiles à rainures et correspondant aux divisions de celles de la table. Les glaces sont introduites une par une dans ces rainures, et, lorsqu’il y en a six, on place dessus des papiers tuyautés. Cela fait, le système du bas, par un mouvement mécanique, descend au-dessous de l’affleurement de la table en même temps que les deux planchettes verticales s’écartent; les six glaces sont alors serrées entre elles par l’ouvrière et séparées par les petits papiers tuyautés. Elles sont, ensuite paquetées et deux paquets sont placés ensemble dans une boîte. Une bande de papier est collée sur l’ouverture des boîtes, qui peuvent après ce travail, être transportées au jour. GASTON TISSANDIER


Les multiples inventions autour de la photographie – Tout à fait incroyable pour nous qui avons si peu de mémoire et qui avons tendance à voir le passé comme un temps obscur. L’équivalent de la télécopie des images date de 1895... Nous reproduisons ci-après in extenso un article paru dans la Nature le 27 avril 1895, encore illustré par le très célèbre dessinateur Louis Poyet, Oncle de notre Jean Poyet, photographe... Une lecture attentive ne peut que susciter notre émerveillement devant tant d’ingéniosité !

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L’histoire peut se lire dans les registres du Fonds Poyet. La saisie de toutes les informations consignées dans les 22 registres du Fonds Poyet est un travail considérable. A ce jour, plus de la moitié des 100 000 prises de vues est saisie. Travail fastidieux qui, cependant, réserve parfois des surprises. Ainsi, depuis quelques mois, je travaille sur le livre 13, qui consigne les prises de vues du 1° février 1940 au 17 juillet 1942, période troublée s’il en fut ! J’avais déjà noté, sur le livre précédent la quantité énorme de prises de vues pour des photos d’identité à partir de septembre 1939 ( 68 prises de vues le 12 septembre, 81 le lendemain...) et ainsi jusqu’en décembre 39.

Et c’est ainsi presque chaque jour, le 9 mars, 26 clients dont 4 anglais de la RAF. Le 23 mars, 18 clients dont 12 de la RAF, ainsi qu’un sous lieutenant français. Le 20 avril, l’Angleterre est rue Gambetta : sur 28 clients ils sont 14, et une Miss Hurtler, de l’hôpital anglais, se joint à eux. Trois clients sont venus de Courcourt, ce jour-là, M. Prudhomme de Cramant, le Docteur Charpentier de St Martin d’Ablois, Madame Mathieu de Montmort. Les derniers soldats anglais photographiés chez Poyet, le sont le 27 et le 29 avril 1940. Parmi eux, un nommé Baker, à qui Jean Poyet enverra ses photos le 22 janvier 1949 ! comme il le fera pour Mr Pritchard, le 10 février 1949.

Depuis 1903, j’étais habitué à enregistrer en mai des quantités de photos de communiants et communiantes. En mai 1940, une quinzaine pas plus, et le gros des troupes en aubes et costumes à brassard blanc apparaît en octobre... En 1941, tout rentre dans l’ordre : les communions ont lieu début juin. Les premiers soldats anglais se font photographier le 12 février 1940. Ils arrivent en bande : Moody, Simon, Taylor, Cpunif, Murfly, Foster. C’est une journée ordinaire : 16 prises de vues dont 6 pour les Anglais.

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Rêvons un peu : nos deux soldats sont venus se faire photographier rue Gambetta, et comme c’était l’habitude, ils payaient à la commande. Brutalement évacués d’Epernay, ils ont continué leur participation à la guerre, en sont sortis vivants. Sans doute quelques années plus tard se sont-ils souvenus s’être fait tirer le portrait chez Poyet. Sans doute ont-ils écrit en notant sur leur enveloppe « Poyet à Epernay », demandant l’envoi des épreuves en indiquant leur adresse qui a été recopiée scrupuleusement sur le registre, et avec une conscience professionnelle qui n’a jamais failli, le père Poyet (il a 76 ans en 1946) a expédié à ces deux soldats leur photo prise neuf ans plus tôt... Pourrait-t-on imaginer pareille situation de nos jours ? Garder pendant 9 années un achat qui n’a pas été réclamé ?

14, puis le studio ferme pour ne rouvrir que le 30 mai. Du 30 mai au 8 juin, c’est presque la vie normale pour l’atelier du photographe : entre 10 et 30 clients par jour. Du 9 juin 1940, au 30 août 1940, pas une prise de vue, et le photographe n’est pas en vacances : c’est l’exode... Le préfet a décidé de l’évacuation de la Ville le jour même. En effet, Epernay sera occupée par les Allemands du 14 juin 1940 au 28 Août 1944 !

communiquées par Francis Leroy, conservateur des Archives de la Ville d’Epernay)

Mais ce n’est que début novembre qu’on voit apparaître dans le registre des noms à consonance allemande : Spielgehalder, Worner, Einecker le 2 novembre 1940. Le 8, ce sont Sawror, Kalfass Paul, Schulze. Le 15, ils sont 8 sur 9 clients dans la journée. Et ainsi, régulièrement, l’envahisseur teuton remplace l’aviateur anglais dans le salon du photographe, maintenant un chiffre d’affaires régulier. Et puis, curieusement, à partir du 12 avril 1941, plus un Allemand chez le photographe : ils ont été presque tous expédiés sur le front russe... Ainsi, sans une annotation, on trouverait presque du sens historique dans le parcours de ces gros registres, sur une période de guerre qui fut tellement difficile pour toute la population champenoise.

Le 10 mai, Jean Poyet ne fera que 3 portraits dont celui d’un membre de la RAF, le 11 mai, il n’a que 6 clients, 12 le 12 mai, 3 le 13 – on imagine les risques de circuler en ville – 3 le

Pas d’annotation, ou presque comme en témoigne ce cliché d’une page de ce registre du 16 janvier 1941.

Le 10 mai, premier bombardement sur Epernay. Le 19, la Ville aurait reçu 200 bombes. Entre le 17 et le 31 mai, on comptera 30 victimes civiles, victimes des bombardements ou des mitraillades sur les routes. (informations

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L’exposition sur le fonds photographique Poyet

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Déjà présentée avec succès à la Villa Bissinger à Ay en septembre - octobre 2008 (voir le n° 7 de notre bulletin), elle a été à nouveau mise en valeur à la médiathèque d’Epernay du 19 février au 19 mars 2009. La Municipalité d’Epernay avait très bien fait les choses : édition et diffusion d’une belle affiche, organisation d’une inauguration le 20 février. Une permanence sur place a été assurée en continuité par notre ami Jérôme de Horchitz, membre actif de notre association, ce qui a permis à chaque visiteur de pouvoir poser des questions, et acquérir le catalogue de l’exposition qui, par ailleurs, est en vente à la librairie l’Apostrophe, à deux pas de la Médiathèque. D’après la directrice de l’établissement, Eléonore Debar, l’exposition a eu un réel succès auprès d’un public très varié, beaucoup de visiteurs entrant à cette occasion pour la première fois dans la médiathèque, informés de cette exposition par la presse locale qui a eu la gentillesse de consacrer deux articles à notre exposition. Dans les mois qui viennent, l’exposition poursuivra son itinérance, et nous espérons bien pouvoir la présenter à l’occasion du Vit’Eff, en octobre, au Millésium d’Epernay, à un public encore plus nombreux et d’autant plus concerné que nous détenons les négatifs de la plupart des portraits de leurs familles ! Ont participé à la rédaction de ce numéro : Edgard Hospitalier, Gaston Tissandier, Francis Dumelié, Francis Leroy, Nora Mathys, Sonia Musnier.

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L’exposition sur le Fonds photographique Poyet. La presse locale

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Quelques objets étaient présentés dans des vitrines : un registre, quelques tirages originaux d’époque, le chevalet de retouche de Jean Poyet, et surtout, l’énorme chambre photographique devant laquelle tout Epernay et ses environs ont dû attendre que le petit oiseau sorte...

De nombreux enfants, scolaires ou centres aérés, ont visité l’exposition.

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Librairies d’Epernay

La Librairie Péroche a été photographiée par Jean Poyet le 17 décembre 1937. On voit que la publicité n’hésitait pas à prendre de la hauteur ! Soixante-douze ans plus tard, c’est la librairie l’Apostrophe qui diffuse le catalogue de notre exposition sur le Fonds Poyet, place des Arcades. Son rayon régionaliste est particulièrement important. C’est une vraie librairie, avec de vrais libraires lecteurs !

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Représentation de l’amitié à travers des albums de photos

La revue de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales vient de mettre en lumière le travail d’une jeune chercheuse, Nora Mathys, travaillant en Suisse au Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine à l’EHESS . Ses centres d’intérêt ne peuvent que nous intéresser : Histoire et théorie de la photographie Conservation et archivage des médias modernes, en particulier de la photographie Culture visuelle et histoire des médias Histoire de l’Amitiés, Cultures populaires en Europe aux XIX et XX° siècles Histoire des sciences et historiographie Laissons lui la parole :

« Dans mon projet de doctorat, j’étudie les représentations de l'amitié dans un groupe d'albums photos. Les traces matérielles des relations personnelles sont rares, car ces relations se réalisent surtout dans le contact direct et nous sont transmises seulement par des documents personnels, tels que : lettres, journaux intimes et photos privées. En même temps, jusqu’à aujourd'hui, ces dernières ont attiré très peu l’attention des chercheurs, quoique la photographie ait été vite introduite dans la vie quotidienne. Presque depuis son invention, la bourgeoisie l’utilisait pour faire des portraits à donner aux amis et aux parents, de sorte que les photos privées sont devenues des documents personnels très répandus vers la fin du XIXe et surtout au XXe siècle. En mettant l’amitié au centre de cette étude, je me concentre sur le sujet qui est le motif le plus fréquent après la famille dans la photographie privée. Dans la littérature sur la photographie privée on trouve des formules fixes qui disent que les photos étaient prises de la famille et des amis et qu’elles étaient montrées dans le cercle familial et amical. Tandis que la photographie familiale a été étudiée assez fréquemment par différents chercheurs, la photographie amicale mène une existence marginale. En ce qui concerne les sources, je m’appuie essentiellement sur la collection des photographies privées du Musée national suisse qui comporte près de 2000 albums de 1860 jusqu’à nos jours, la plus importante de ce genre en Suisse. La majorité des albums date des années 1890-1960. La collection n’a pas encore fait l'objet de recherches, de sorte qu’il y a seulement quelques courts articles sur quelques albums de la collection. Sur ces 2000 albums, j’en ai retenu 195 pour mon étude. Dans le cadre de cette intervention, je voudrais présenter mes réflexions méthodologiques sur la photographie privée comme source pour l’histoire de culture visuelle. Mon sujet :"La mise en scène de l’amitié et la pratique photographique entre des amis" ne me sert qu’à questionner la photographie privée et à me demander comment on devrait procéder dans l’analyse des photographies anciennes. Dans un premier temps, je me tourne brièvement vers la photographie privée comme champ de recherche. Dans un second temps, j’ajouterai les deux approches à la photographie privée à ma méthode d’analyse et pour finir quelques problèmes de la photographie privée comme source. La photographie privée comme champ de recherche Qu’est-ce qui nous vient à l’idée quand on pense à la photographie privée? On se souvient des albums photos, des boîtes de diapositives ou des cartons pleins d’images que l’on a faites soi-même ou que l’on a reçu d’amis ou de parents. Les meilleures d’entre elles ont été sélectionnées et parfois des informations comme la date, le lieu, le nom des personnes et quelques commentaires y ont été ajoutés.

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Certaines de ces photos se trouvaient dans des portefeuilles, tandis que d’autres étaient encadrées et exposées dans les salons, sur la table de nuit ou dans le bureau. Parfois lors de soirées, on projetait des diapositives pour soi, en famille ou avec des amis et on les commentait. Ces pratiques sont presque obsolètes et aujourd’hui on garde et regarde les photos plutôt sur l’ordinateur ou sur le téléphone portable. Mais que voit-on quand on ouvre un album? La famille, les amis, des rencontres faites en vacances, des paysages, des excursions, des fêtes, mais aussi des photos prises lors du service militaire, ou dans le cadre d’associations sportives ou musicales. Timm Starl, qui a essentiellement travaillé sur l’histoire de la photographie privée en Allemagne et en Autriche, a montré que les portraits posés ou pris en instantané représentaient la plus grande partie des collections de photographies privées, suivi des paysages et des monuments historiques. Si on examine ces collections soigneusement, on découvre que la famille n’est pas le seul sujet représenté; amis, voyages, loisirs, école sont aussi très présents. La réduction de la photographie privée à la photographie familiale, empêche le regard sur ces autres sujets. Les chercheurs germanophones utilisent fréquemment le terme «Knipser» ou «Knipserfotografie» pour décrire la photographie privée. «Knipser» désigne, comme l’a dit Clément Chéroux en français, les «photographes amateurs usagers». Leur but n’est pas de faire des belles images, mais de fixer des souvenirs des moments particuliers. Mais le terme «Knipserfotografie» est trop restrictif car il ne tient pas compte du fait que les photographes professionnels font aussi des photos privées et que les «amateurs usagers» peuvent parfois faire appel à des professionnels pour des événements ponctuels, comme c’est souvent fait pour le mariage. Pour la dénomination de l’usage privé de la photographie, on retrouve donc une multitude de termes, qui renvoie souvent aux aspects particuliers, comme à la maîtrise technique ou à des motifs particuliers. J’utilise le terme photographie privée pour souligner l’utilisation privée.

Page de l’album de Karl Pfranner. 1930, Musée National Suisse, LM-75349.525.

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En regardant des albums, on pense aussi à la pratique de photographier et de prendre la pose. On voit des touristes posant devant un monument historique, des scènes photographiques de mariage, on remarque les éclairs liés au flash pendant des fêtes, des groupes qui se tiennent par l’épaule. Ces photos circulent après leur développement pour que chacun puisse en choisir quelques-unes et les faire refaire. Celui qui prend les photos pouvait faire des instantanés ou obliger des personnes à poser. Les manières de poser sont innombrables. Aller chez un photographe professionnel fait aussi partie de la photographie privée, car les photographies professionnelles étaient souvent offertes avec une dédicace à des amis ( voir illustration ci-dessus) Nous venons de parcourir rapidement trois aspects de la photographie privée: la façon de présenter les albums, ce que montre l’image et la pratique de photographier et de poser. Dans la chronologie de la pratique photographique, on a: la production par «l’acte de photographier», l’image en soi et la réception des photos qui tient aussi compte du tri des et l’agencement des photos, leur mise en albums et l’événement de la présentation comme la soirée diapos. La photographie privée est donc plus qu’un simple ensemble de photos; c’est aussi une pratique culturelle, visuelle; une pratique fréquente qui permet de s’approprier le monde visible, une manière individuelle et en même temps collective. Les approches à la photographie privée – ou comment analyser cette pratique? Le premier travail qui est consacré à la photographie privée est l’étude de Pierre Bourdieu (Un Art moyen, Minuit, 1965). Avec un groupe de chercheurs, il a interviewé des photographes amateurs et des ouvriers sur leur pratique photographique et en arrive à la conclusion qu’on peut photographier beaucoup de choses, mais que seuls des événements précis sont photographiés, d’une façon particulière. Le choix de ces événements et les manières de les photographier n’est pas individuel, mais dirigé par l’"habitus". Les photos sont donc l’expression d’une fonction sociale, dont la plus importante est, selon Bourdieu, de confirmer la famille. Dès les années 1970, dans la lignée du travail de Bourdieu, une recherche sur la photographie de famille basée sur des interviews s’est développée aux Etats-Unis, notamment sous la direction de Richard Chalfen. Ce dernier analyse les photos privées comme des formes symboliques dans une communication, qui inclue forcément le codage, le décodage et une usage multiple des photos. Il développe un schéma pour l’analyse des interviews et distingue cinq phases, lesquelles il faut interroger par les questions, qui fait quoi, comment et pour quoi. Les cinq phases sont donc: la planification de l’événement, la mise en scène devant l’objectif, la prise de vue, le choix des clichés, l’agrandissement et l’agencement des images et pour finir leur exposition. Mais en même temps, il faut aussi analyser cinq autre éléments, qui jouent également un rôle dans la pratique photographique, tout en sachant bien, qu’on ne peut pas toujours les distinguer précisément: il s’agit des liens sociaux entre les personnes, qui participent à ces phases, des lieux et des circonstances de ces phases, des événements photographiés et des événements d’exposition, des supports qui sont utilisés comme le polaroid, le cadrage et pour finir des codes de la mise en scène. Plusieurs de ces éléments peuvent aussi être utilisés pour l’analyse d’images et d’albums. Les études basées sur les interviews s’intéressent beaucoup au sens donné par les gens eux-mêmes à leurs photos, et à leurs pratiques photographiques. Ces méthodes sont souvent proches de la psychologie et ne permettent d’interroger que les pratiques contemporaines. Je n’en dirai pas plus et vais me tourner vers l’histoire de la photographie privée. Si on veut reconstituer l’histoire de la photographie privée, il nous faut analyser les photographies privées anciennes et leurs présentations. Les personnes encore en vie, qui ont pratiqué la photographie dans la première partie du XXe siècle, sont rares et leurs témoignages est influencé par leurs pratiques plus récentes. Les notes des «amateurs usagers» sur leurs pratiques photographiques ne sont pas nombreuses elles aussi. Du fait des informations limitées, dont on dispose, les questions, que l’on peut poser, sont elles aussi limitées. Des images seules, on ne peut ni extraire des informations sur le choix de la mise en scène, ni connaître la valeur que le propriétaire attribuait à ces images. Les souvenirs inscrits dans les photographies disparaissent avec leurs propriétaires et le cercle des initiés. En plus les photos nous parlent peu de la réalité hors des images. Ce que l’on peut analyser à partir des photos, - 21 -


c’est une partie de la pratique photographique et de l’appréhension visuelle du monde, mais aussi la construction de l’image et le milieu social de l’auteur d’albums. Peu d’études se sont attachées aux fonds anciens de photographie privée et à l’analyse des images. Il faut cependant mentionner l’article d’Andrew L. Walker et Rosalind Kimball Moulton. Ils ont plus envisagé des albums comme un ensemble complet et significatif, que comme un assemblage hasardeux et les ont analysés en fonction de leurs narrations. Ils ont ainsi distingué cinq types d’albums: Premièrement, l’album de famille, qu’il faut analyser en fonction des relations, des activités, des rituels, des possessions et des lieux indiqués. Deuxièmement, l’album d’événements, qui répond aux questions: quel événement; qui était là; où; quel est le sens symbolique de l’événement, et quelle est la relation du photographe à cet événement? Ce type d’album est souvent arrangé par l’ordre chronologique. Walker et Mouton citent par exemple le mariage ou d’autres événements religieux ou politiques. Troisièmement, l’album de voyage a part parmi les albums d’événements. Ils le mentionnent comme un type en soi car il est très fréquent. Quatrièmement, l’album autobiographique, qui a souvent l’air de ne pas être structuré, mais qui, si on le regarde comme une succession de contextes, devient cohérent. Pour finir, l’album thématique, qui est souvent consacré à un loisir comme l’excursion à la montagne. Il existe bien évidemment des albums qui ne correspondent pas à cette typologie car ils mélangent des narrations ou regroupent plusieurs types. Si on en revient maintenant armé de ces considérations, à la photographie privée et aux relations sociales qui transparaissent dans les albums, il faut se demander comment elles deviennent visibles. Dans la photographie privée, la nature des relations entre personnes devient visible par des mises en scène. Du fait du caractère abstrait et invisible de ces relations, les participants à l’acte de photographier utilisent des «techniques culturelles» de visualisation, qui sont des gestes, de mimes, des poses, des regards, mais aussi des cadrages et des prises de perspectives, pour rendre ces relations visibles – le terme «Kulturtechniken» signifie les pratiques, les connaissances et les capacités avec lesquelles l’homme modèle son environnement, qui lui aide à approprier le monde et à participer à la société. Dans ces mises en scènes, on retrouve des normes sociales, des types de relations personnelles. Pour la famille, une telle norme serait par exemple qu’elle se compose d’un père, d’une mère et d’un enfant. Dans les photos de famille, on retrouve donc souvent cette composition. Les photographies reflètent aussi le contexte social de ces relations, car elles sont réalisées à des «occasions photographiques» comme le service militaire, les séjours à l’étranger, l’école, l’association etc. Les «occasions photographiques» sont des périodes d’une durée médiane qui sont régulièrement photographiées et qui dirigent l’environnement des mises en scène. Les «événements photographiques» indiquent les activités en contexte des occasions photographiques, qui sont regardées comme dignes d’être mémorisées. Par ces occasions et événements, les photographies montrent une part des activités, des temps et des lieux communs et grâce à leur intégration dans l’album, elles se retrouvent dans un contexte élargi et prennent plus de sens au sein de la série. C’est alors que, par la mise en scène dans l’album, les photos créent une biographie visuelle dont l’environnement social ressort plus clairement. La représentation des relations personnelles dépend alors de deux procédés culturels propre à la pratique photographique: les relations peuvent donc d’une part se construire visuellement pour une photo prise isolément, par l’acte de photographier et, d’autre part se construire à l’intérieur de l’album, par l’ajout de commentaires et par un agencement particulier. Les photographies offertes et dédicacées sont aussi à prendre en considération car elles relèvent aussi des liens entre le possesseur de la photo et son donateur. Les recherches sur les collections historiques demandent un travail intense, sur un grand nombre d’albums et seule une approche sérielle permet de tirer des conclusions et généralités sur l’évolution des représentations des relations. Les analyses s’effectuent à la fois au niveau de l’album ou des albums, et à la fois au niveau des photos. Les analyses sérielles sont complétées par des analyses individuelles, aux deux niveaux, afin d’obtenir des résultats plus approfondis, plus fins, sur les pratiques culturelles de la photographie. Pour des raisons de réductions la complexité de la matière, je n’analyse que des albums photos. Examinons donc cela de plus près:

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Les photos sont des matériaux plats qui peuvent être présentés de différentes manières: dans l’album, l’exposition sur le mur ou sur une table, la projection. Ces présentations tissent des liens entre les photos et leur donnent, par la série composée, un sens nouveau. Ainsi dans un album par exemple, c’est la coexistence des plusieurs images sur une même page, sur une double page, ou dans l’ensemble de l’album, qui a cet effet pour la photo. Par contre, pour les diapositives, la projection dans le noir, l’agrandissement de limage, la succession des images et les commentaires donnés par le projecteur, créent une atmosphère qui modifie le sens de la photo. L’atmosphère créée par les différentes présentations est donc un élément déterminant pour la réception des photographies. L’album en tant que livre produit deux effets, bien décrits par Matthias Bickenbach: Premier effet, un album conditionne sa réception de manière d’un regard intime et sociable, parce qu’il ne peut être regardé que par un petit nombre de personnes, et parce qu’il est souvent consulté dans un cadre privé. Temps qu’il reste fermé, son contenu n’est pas dévoilé aux regards étrangers. L’album accentue le caractère privé de la photo, mais il donne aussi accès à la biographie visuelle du propriétaire, si celui-ci le permet. Deuxième effet, l’album suscite une attente de narration, structurée par une chronologie ou par des thèmes. Cette narration peut être achevée ou se poursuivre par l’ajout d’un nouvel album jusqu’à la mort de son auteur, achevant aussi la biographie visuelle. Photographier et collectionner les photos devient, comme l’a dit Walter Benjamins, une mémoire pratiquée.Dans l’analyse individuelle au niveau des albums, il faut donc prendre en compte les aspects suivants: 1. Premièrement la structure narrative qu’il faut interroger par les modes narratifs. Les narrations peuvent se composer d’un mode unique ou les mélanger. Les structures narratives nous informent par leur composition, sur l’objectif que l’on assigne aux albums. Ces narrations visuelles varient non seulement dans leurs structures, mais aussi selon leur densité et leur rythme. La densité est liée au nombre de photos et à la dispersion temporelle des photos, c’està-dire à la fréquence des prises en vue dans une période donnée sur un album donné. Un album qui couvre avec un certain nombre de photos une année est donc plus dense qu’un album qui couvre une plus longue période avec la même quantité de photos . Le rythme des images est lié à la dispersion spatiale, c’est-à-dire au nombre d’images par page,

Page de l’album d’Hans Roth, 1929, Musée National Suisse, LM-101954.62-67.

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et la répétition des événements ou des sujets spécifiques. Il faut en plus considérer les photos arrachées ou ajoutées, les légendes biffées ou complétées ultérieurement, car ce sont des traces de la réception du propriétaire.


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Deuxièmement l’agencement des textes et des images: La position de chaque image et la répétition dans un album est signifiante pour sa réception. L’ordre des images et leurs légendes lient les images entre elles. Avec l’apparition des albums à coller, l’agencement libre des photos est devenu possible. Les albums de cartes de visite qui les ont précédés, fixaient à l’avance une place pour les photos. Leur structure rigide ne permettait pas de créer une narration, mais produisait plutôt un effet de catalogue (voir ci-dessus) Ainsi créait-on des liaisons visuelles en plaçant deux portraits côte à côte, de telle sorte que leurs regards se croisent, ou en chevauchant les photos unes sur les autres. Une autre stratégie pour rendre les relations visibles consiste à créer les liaisons textuelles par des titres communs ou des allusions à des images placées sur la même page Leur ton qui est soit ironique, soit gai ou sérieux change le sens des photos. Dans le album de Doris Keiser, 1936, Musée National Suisse, domaine visuel, il faut en plus prendre en LM-99898.18-20. compte la proportion des photos et la technique, comme la cyanotypie, le gélatino-bromure, le photomaton, ainsi que les ornements, les illustrations, les fleurs séchées ajoutées ou les cadres redessinés. Concernant les légendes, il faut s’attacher à la place qu’on leur donne, au choix des caractères, au style, au soin apporté au lettrage, mais aussi à la ponctuation par exemple le point d’exclamation; tout en faisant attention à l’album lui-même, au format, au nombre des pages et aux emplacements réservés à l’image. Cette séparation des différents aspects d’un album rend bien visible que la mise en album est un acte créatif. Il faut donc considérer l’album comme une œuvre et son créateur comme «auteur d’albums». En plus l’auteur d’albums ne doit pas correspondre au photographe des images.

3. Troisièmement il faut analyser les contenus des albums en fonction du sujet choisi. Dans le cadre de mes recherches, je tiens compte du contexte social des relations, des «occasions photographiques» et des stratégies de visualisations inhérentes aux albums. Je m’intéresse aussi au nombre de représentations des relations, à leur place dans l’album et à leur fréquence. L’analyse individuelle permet de faire ressortir des types de représentation des relations, leurs visualisations et leurs fonctions dans l’album. Elle mène aussi au catalogue de classification pour les analyses sérielles. Pour l’analyse comparative sérielle des albums, j’ai suivi la méthode d’Ulrike Mietzner et d’Ulrike Pilarczyk et ce qu’elles appellent «qualifier un fonds». J’ai donc catalogué les albums d’après leur l’origine, l’époque représentée, les «occasions photographiques» ainsi que d’après le sexe et l’age de l’auteur. L’indexation précise et systématique des albums m’a permis de comparer des éléments précis, communs aux albums, et de voir si les liens significatifs d’un album étaient comparables avec ces autres albums. L’analyse comparative est faite de façon diachronique et synchronique pour rendre lisible l’évolution de la pratique de la photographie privée et les caractéristiques de chaque époque.

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album d’Ernst Winizki, 1935, Musée National Suisse, LM-109670.571-579

Nous avons beaucoup évoqué les albums, mais il faut aussi examiner les photographies de manière sérielle et individuelle. Le photographe participe à «l’acte de photographier», car il choisit le moment de la prise de vue, la perspective et certains éléments de la composition, mais aussi parce qu’il choisit les personnes photographiées, qui elles-mêmes se mettent en scène, par des mines, des gestes et en prenant des poses. «L’acte de photographier» est donc une interaction entre

le photographe et les personnes représentées – mais dans l’instantané, cette interaction n’existe plus. Erving Goffman a montré dans ses travaux sur l’interaction entre les personnes, que ces interactions sont déterminées par les conditions de communication au moment de l’interaction. Il a ainsi montré qu’on a appris à jouer un rôle et à adapter ses gestes, son comportement, face à une situation, et notamment face à l’objectif. Bourdieu a montré quant à lui que les photographies privées révélaient plus les rôles sociaux que les individus. Le comportement devant l’objectif et de celui qui est derrière l’objectif est donc culturellement codifié. Cette codification conduit à la reproduction de style, de motifs et de clichés qui rendent l’esthétique de la photographie privée monotone. Les conventions sociales conditionnent la manière avec laquelle les personnes se photographient et photographient les autres, la manière dont ils se présentent, et le choix de ce qui est photographiable, c’est-à-dire de ce qu’il est socialement possible de mettre en scène et donc de rendre visible. Il faut considérer l’esthétique uniforme et la répétition des sujets comme acte de production sociale, comme un consensus grâce auquel la communication par l’images devient possible. Ces discours visuels peuvent supporter les normes données par la société ou diverger et contredire ces images officielles. Comme l’ont montré différentes études sur la photographie privée, les photos peuvent avoir des fonctions multiples: fonction de communication, de mémoire, de représentation, d’orientation, etc. Une part de l’analyse sérielle des photos se fait lors de l’interprétation des albums, ensuite les photos sont examinées à partir d’index pour faire ressortir les types de visualisations des relations, qui seront ensuite approfondies par une analyse individuelle. Les catégories d’analyse relient aux gestes, poses, mises en scène des relations, qui se retrouvent dans le cadre de l’album. Les fonctions et les champs d’action des stratégies de visualisation ne se révèlent que dans la série. L’histoire de la photographie privée ne dépend donc pas seulement de l’analyse de ses photos mais surtout de ses formes de présentation qui les mettent dans un contexte élargi, l’autobiographie visuelle. J’ai essayé de montrer une façon de s’approcher de ces sources complexes. Il faudrait bien développer des approches aux autres formes de présentation et de les comparer pour qu’on ait une image plus profonde de cette pratique fondamentale du XXe siècle. »

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On reparle de Madagascar Dans le numéro 3 de ce bulletin, paru en septembre 2006, nous avions évoqué le don de négatifs sur verres présentant des scènes particulièrement intéressantes prises en 1906 et 1907 par un soldat français à Madagascar. Le 13 septembre 2007, je recevais un courriel venant de l’île de la Réunion, d’un érudit, Claude Bavoux, qui avait découvert cet article sur notre site, et prenait contact avec moi pour apporter des information capitales sur ces photographies. Dans le N° 6, en juin 2008, j’évoquais ce contact qui jamais n’aurait eu lieu dans Internet... Il s’en est suivi une correspondance entre nous, et après un long silence dû à une très grave maladie, Claude Bavoux vient de publier un article passionnant sur un photographe militaire, le Capitaine Sénèque, qui officia à Madagascar à l’époque dont proviennent les photos que nous avons reçues en don. Trop long pour être rapporté dans notre bulletin, vous pourrez en prendre connaissance l’adresse suivant : http://www.galerie-photo.com/senequephotographe-colonial-madagascar.html

Visite intéressée et intéressante Toujours grâce à notre site Internet, nous avons reçu une demande tout à fait intéressante : Une jeune femme, Hélène Ginestet , actuellement étudiante en Master 2 de Muséologie à l'Ecole du Louvre, effectue des recherches concernant la mise en valeur de fonds photographiques. En effet, dans le cadre de son mémoire, elle doit étudier des actions de valorisation afin de proposer des préconisations pour le fonds Gabriel Millet. A partir de cette étude, elle pourra ensuite proposer un plan de mise en valeur pour ce fonds photographique.

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Claude Bavoux : Retraité Un an d’histoire malgache à l’université de Tananarive en 1964-65 Doctorat d’histoire contemporaine à Paris VII-Jussieu sur Les Réunionnais de Madagascar entre 1880 et 1925; (1997) Une quinzaine d’articles concernant l’histoire coloniale malgache en particulier sur Vichy à Madagascar

Le Capitaine Sénèque, photographe de l’armée française, qui a créé un vrai style de prises de vues.

Elle nous écrit : « Les actions de votre association, tournées vers la connaissance du fonds lui-même ou sa diffusion vers le public, m'ont semblé très intéressantes. » Comment ne pas être flattés de la manifestation d’un tel intérêt pour notre travail de la part d’une universitaire de ce niveau ? Elle va passer prochainement quelques jours en Champagne pour analyser notre travail !


Quand on se pose une question sur Epernay... C’est bien sûr à Francis Leroy, Conservateur des Archives municipales que l’on s’adresse. Ainsi, souhaitant mettre en couverture la photographie prise par Jean Poyet en 1922 de la porte St Martin, tant la scène est intéressante : attitudes, costumes, éventaire, véhicule, je souhaitais un minimum de précisions. Les voici : « Ce cliché est fort intéressant car on a l'impression que rien n'a changé. Il m'a fallu d'ailleurs un certain temps pour réaliser qu'il avait été pris en 1920. Je croyais en effet à première vue, que nous étions en 1909 lorsque il s'est agi de la démolition et de l'église et du couvent adjacent. Alors la réponse est simple. A l'occasion précisément de cette démolition, le portail fut déplacé mais je ne sais où. Je dirais qu'il fut mis en réserve. Où se trouvait-il donc originellement ? A l'issue de la rue de Châlons puisque des Cartes Postales de la rue saint Martin montrent bien qu'à son issue se trouvait le fameux portail flanqué d'ailleurs d'une lourde construction, le clocher de l'ancienne église pour lequel, la Municipalité de l'époque - on est au XIX° siècle, dans le premier tiers - le plaça tout simplement sur le portail Renaissance !

Ce qui veut dire que lorsque ce portail fut érigé à frais communs entre les religieux de l'abbaye et les habitants d'Epernay, en juillet 1540, il le fût dans la rue de Châlons. C'était un portail latéral qui permettait d'accéder à l'église de façon plus pratique. Ce portail et pas seulement lui, connut des vicissitudes importantes lors de la démolition de l'église ancienne et séculaire [qui remontait, semble-t-il, au XI° siècle (1032? )] en 1826/28, travaux qui furent conduits dans un premier temps sans contrôle ! Ce portail a été classé monument historique en 1908 - pour l'écarter de la démolition de 1909 bien sûr et déplacé (tel que mentionné sur la plaque de "marbre" noir apposée sur le monument) en 1916 par mesure de "protection" en vue des bombardements qui cette année là commençaient de s'intensifier. On dirait aujourd'hui : application du principe de précaution ! D'ailleurs beaucoup de gens croient encore que l'endroit où il se trouve était son endroit d'origine ce qui est erroné. Par contre il ne devait guère être éloigné de son endroit actuel. »

Sans commentaire : A Ay, 2006 à gauche, 2009 à droite

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Exposition de Gérard Rondeau au Musée des beaux-arts de Châlons en Champagne Vues sur Cours, c’est le titre de cette superbe exposition qui a lieu jusqu’à la fin du mois d’août, et où l’artiste nous montre à voir les bords de Marne qu’il domine près de Dormans, du haut du coteau où il habite, et ce jusqu’à Paris, en un voyage à la fois historique et littéraire où vous rencontrerez parmi de nombreux personnages ses amis Jean Paul Kaufmann, ou encore notre Cabu départemental. Toujours cette maîtrise de l’image où le noir et blanc joue à la fois dans une gamme de gris qui semble infinie, et dans des plans qui vont d’une netteté presque cruelle à un flou d’épais brouillard. Quelques petits formats en couleurs surprennent chez ce maître du noir et blanc, et la présentation de cette oeuvre de plusieurs décennies est parfaite, chaque panneau étant composé comme l’une de ses images. Un régal.

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Le deux roues dans le fonds photographique Poyet

Nous avons déjà abordé plusieurs thématiques présentes dans cette énorme quantité de photographies, ainsi le champagne, les bébés, les automobiles... Il y a dans ce fonds beaucoup plus de bébés que de deux roues ! Les seules photos faites dans un but de présentation sont ci-contre. Celle du haut a été cadrée normalement, celle du bas montre les artifices de création du décor –sobre - de la prise de vue. Elles ont été prises le 16 mai 1935 pour M. Bouvy Canard. Vélos de ville très classiques, celui pour dames étant équipé du filet qui évite à la robe de se prendre dans les rayons de la roue arrière. On trouve assez souvent des clients de Poyet se faisant photographier avec leur chien. Plus rarement avec leur vélo, mais ces quelques vues sont pleines d’intérêt :

travailleur 3 mars 1919. M. Papin

Voilà de vrais sportifs, photographiés le même jour, l’un après l’autre Il s’agit de Mrs Meyer et Muller, de Montmort, le 7 juillet 1924. Sans doute sont-ils arrivés chez le photographe sur leur bicyclette .

Le vélo de course impose le boyau de rechange entortillé sur les épaules. Celui de droite est incontestablement plus touriste que coureur ! A noter les bandes molletières. La guerre n’est pas encore bien lointaine. Mais le deux roues, ce n’est pas que la bicyclette, nous allons bien le voir. - 29 -


Le cyclo moteur ne se rencontre dans le fonds Poyet qu’accidenté... En haut, 22 juin 1932 La photo a été prise pour Epernay assurances, et d’autres images montrent le camion sur lequel cette sans doute dangereuse machine s’est jetée. Vous remarquerez que la transmission se fait par une courroie non protégée qui entraîne la roue arrière avec une poulie de très grand diamètre.

Cette autre motocyclette accidentée est beaucoup plus moderne. La photo a été prise le 1° novembre 1936 pour M.Champeaux, de Palaiseau. Mais la moto aussi a sa place

Et il entre parfois bien plus gros dans cette cour :

La moto a été amenée dans la cour du photographe. En effet, le portraitiste n’a sans doute pas prévu une entrée adéquate pour des engins de cette taille dans son studio qui est juste à droite de l’arbuste derrière la moto. Prise de vue du 18 février 1928 pour M. Baudoin de Moussy

Là, on voit la verrière de l’atelier, et suis-je vraiment hors sujet ? C’est bien en chevaux qu’on mesure la puissance des motos, non ? Prise de vue du 16 octobre 1920 pour M. Hasard de Pierry. Note : dans les photos de gauche, le photographe regardait vers la rue. Dans celle du cheval, on voit derrière, la maison d’habitation de Jean Poyet, dans le grenier de laquelle furent retrouvées les 5 tonnes de plaques de verre du fonds, accumulées depuis 1902...

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Revenons à la bicyclette . Le photographe est souvent témoin des accidents, mais ce vélo abîmé est le seul que nous ayons trouvé dans le fonds. Pourtant, la photo n’est pas banale. En effet, elle a été prise le 11 octobre 1929 pour M. Lemaire Roger.(mécanique automobile) Deux autres photos portant les numéros précédents ont été prises en même temps.

Il s’agit tout bonnement du protagoniste de notre cycliste : la voiture du Champagne de Montebello, avec un gros plan sur l’aile arrière gauche, sans doute éraflée par la roue avant du vélo... Impossible de savoir dans quel état était le cycliste après cette rencontre ! Nous n’avons vu jusqu’ici que des vélos statiques. En voici donc en mouvement, lors d’une course dont Jean Poyet assura le reportage pour Bertrand Chandon, le 25 mars 1935 : il s’agit de la course des 100 km dans le vignoble. Et comment résister à l’envie de présenter un dernier « deux roues » ?

La pancarte indique : La Pratik voiture système Blocquaux convenable à tout usage : légère, souple, robuste.La prise de vue est du 29 juillet 1927. Avec le cheval de la page précédente, nous aurions un véhicule complet !

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Témoignage sur l’entreprise Poyet : Marie Thérèse Peltier y a travaillé de 1947 à 1962

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Elle vit actuellement à Epernay, et nous a reçu avec beaucoup de gentillesse pour porter témoignage de son passage chez Poyet. Elle y entre en apprentissage à 17 ans, fin 1947, en premier pour y devenir vendeuse. Elle apprend donc à s’occuper du magasin, puis assez vite, devient plus technique : le studio louant des films de cinéma en 8 mm, elle rembobine et vérifie chaque retour, parfois recolle les films cassés. Puis elle servira d’assistante à Robert Persohn, lui-même formé par Jean Poyet, qui assure les prises de vues extérieures. Jean Poyet a alors 77 ans, travaille toujours, mais sort moins. Il travaillera d’ailleurs jusqu’en 1956, année de son décès.

MT Peltier, entrain de recoller un film, le 4 mars 1950

Sur le pas de la porte du magasin,

Elle raconte avec le sourire les émotions fortes de sa première sortie : tenir la torche flash au-dessus du lit d’un homme récemment décédé, prise de vue à domicile, bien sûr, qui permettait l’édition de «souvenirs mortuaires», avec, au dos de la carte, une prière imprimée. Elle occupera pratiquement tous les postes

de l’entreprise qui compte alors plusieurs apprentis dont Jacques Damiens qui participe à la rédaction de notre bulletin (n° 4,5,6) et a adhéré depuis plusieurs années à notre association, en tout environ dix personnes dont deux femmes de ménage : une pour la maison des employeurs, l’autre pour l’entreprise. Après le décès de Jean Poyet, elle fera aussi

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les prises de vues pour les photos d’identité; Elle apprend aussi à retoucher les négatifs « Monsieur Poyet était absolument intraitable sur la qualité du travail, n’hésitant pas à me faire tirer plusieurs épreuves pour juger du résultat, lui qui par ailleurs était si économe» Elle évoque alors les conflits entre le patron et Robert Persohn au sujet, entre autres, du chauffage : «Monsieur Poyet éteignait la chaudière du chauffage central tous les soirs et se levait à cinq heures du matin pour allumer, si bien que l’hiver, nous grelottions dans l’atelier qui ne devenait vivable qu’au moment de quitter le travail.» Elle ajoute : «Les Poyet avaient eu des débuts très difficiles, vivant sans meubles, jusqu’à ce que le magasin devienne très fréquenté, ce qui explique sans doute son acharnement à l’économie...» .

En haut, MT Peltier, à la retouche Ci contre, sortant les tirages de la grosse glaceuse à cylindre

Après le décès de Jean Poyet, sa fille Marguerite a essayé de poursuivre l’activité, mais sans arrêt, elle sollicitait son frère Fernand, installé depuis 1945 dans le midi, si bien que celui-ci, lassé de faire des aller-retour entre Cannes et Epernay, a mis le fond en vente, trop cher pour que le premier opérateur, Robert Piersohn rachète, si bien que ce dernier a créé son propre studio, rue Eugène Mercier, et c’est M. Schillinger qui prit la succession de la famille Poyet. Marie Thérèse Peltier resta encore quelques mois avec ce dernier puis cessa son activité à la naissance de sa fille Isabelle. Elle garde un très bon souvenir de ces 15 années passées chez Poyet et n’a qu’un souvenir d’horreur : « Nous tirions les copies de plans pour les architectes et c’était un supplice que de faire ce travail dans une atmosphère irrespirable d’ammoniaque...» - 33 -

Marie Thérèse Peltier aujourd’hui, qui pose à côté de son bouquet tout en mettant en vue le catalogue de notre exposition sur le Fonds Poyet.


Les photographies d’Arno Rafael Minkkinen sont mondialement connues

Belles, troublantes, étonnantes, en noir et blanc, elles le mettent en scène, lui ou parties de son corps nu, dans des positions souvent improbables, au milieu de paysages naturels. Un travail, réalisé sans aucun trucage, ni manipulation ultérieure, et généralement sans assistance, qu’il poursuit depuis près de 40 ans. Son influence est majeure, notamment en Finlande, où il est à l’origine d’un courant défini dans Wikipédia comme le Paysage humain Les vues sont généralement prise en gros plan, sous des angles inattendus ou dans des poses inhabituelles, il est parfois difficile de déterminer quelles zones du corps montre la photographie : les courbes et aspérités ressemblent à des monts et vallées, la pilosité évoque une végétation.

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Dans ses photographies, Arno Rafael Minkkinen éprouve les limites de son corps. Il apparaît, le plus souvent, seul sur ses photos. Il tord son corps nu et filiforme, dans des positions parfois acrobatiques, pour se glisser dans le paysage. Minkkinen cherche à surprendre par ses poses inattendues ou ses contorsions. Beaucoup d’images paraissent truquées bien qu’elles ne soient manipulées ni à la prise de vue ni au tirage. Le photographe lui-même ignore ce que seront les résultats de ses efforts lorsque l’appareil se déclenche et n’en prend connaissance qu’une fois la photo développée.

Sonia Musnier - 35 -


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