Magazine Culture Papier N°41 sept-NOV. 2021

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MAgazine I Des livres et des idées

Les dents noires C’est une véritable saga que nous ont offert heliane Bernard et Christian-Alexandre Faure avec les trois tomes des Dents Noires, relatant l’histoire du Livre et de l’imprimerie. Après La Colline aux corbeaux et L’homme au gant, c’est désormais L’encre et le Feu qui clôture cette passionnante fresque. historiens, éditeurs, les deux auteurs sont des passionnés comme en témoigne l’un d’entre eux : Christian-Alexandre Faure.

Heliane Bernard et Christian-Alexandre Faure

Comment l’idée de vous lancer dans une telle saga vous est-elle venue ? Nous avions depuis longtemps l’envie d’écrire un roman historique, une façon de réunir nos trois passions : Tout d’abord le goût de l’histoire qui a été notre premier métier puisque nous avons l’un et l’autre fait des recherches sur l’histoire culturelle du XXème siècle. Ensuite l’amour du livre nous a conduit à devenir éditeurs en créant en 1991 la revue d’initiation à l’art Dada. Enfin notre désir d’être des passeurs de la grande Histoire, à travers un roman d’aventures et de passions. Témoins aujourd’hui d’une nouvelle révolution, celle d’Internet, nous avons fait le parallèle entre cette révolution et celle apportée par l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. La diffusion du livre a changé les mentalités comme Internet le fait aujourd’hui. Pour le meilleur et le pire. La fiction romanesque permet d’aborder un thème aussi essentiel et complexe que celui de la révolution du livre à l’aube de la Renaissance. Nous avons voulu faire comprendre ce qui a été vécu. Nos héros sont des témoins. Dioneo, jeune imprimeur dans La Colline aux Corbeaux, connaîtra un destin tragique du fait de l’obscurantisme religieux. Iulio, dans L’Homme au gant, voit sa vie basculer à la lecture d’Utopie de Thomas More. Au fil des trois volumes, nous évoquons le poids de la censure religieuse ou royale. À l’inverse l’humaniste Aldo Manuzio, le fameux imprimeur vénitien, en inventant «le livre de poche» a contribué à la diffusion des savoirs. La lecture devenait quelque chose d’intime, permettait un jugement personnel. On pouvait dès lors voyager, en emmenant avec soi ses livres. Tout cela à un moment, le XVIème siècle, où littérature, arts, religion, sciences, découvertes du Nouveau Monde sont en pleine transformation.

Combien de temps avez-vous mis pour écrire les 3 tomes ? Au total, la trilogie « Les Dents noires » a représenté 9 années de travail. Des mois de recherches pour élaborer le scénario, choisir les personnages « réels » qui allaient croiser nos héros imaginaires. En fond, le règne de François 1er. Pendant nos recherches, nous avons découvert avec jubilation le « bestseller », de Symphorien Champier, son livre sur le chevalier Bayard, formidable « fake news » à la base d’une mythologie politique qui a traversé les siècles. Ce personnage, comme certains autres, ne sont connus que de quelques spécialistes mais furent très connus en leur temps. Rabelais ou Diego de Mendoza ont survécu au tamis du temps. Mais qui sait aujourd’hui que l’auteur de Pantagruel travaillait comme espion pour les Du Bellay ou que l’auteur de La vie de Lazarillo de Tormes, était l’ambassadeur de Charles Quint à Venise ? Puis est venu le temps de l’écriture. Notre formation d’historien a été essentielle dans la mesure où nos héros devaient, même s’ils sortaient de notre imagination, être des femmes et des hommes dont les destins étaient plausibles au XVIème siècle. Dioneo et Iulio, nos deux apprentis imprimeurs, issus l’un et l’autre de milieux modestes, ont eu des destins exceptionnels car ce nouveau

métier, l’imprimerie, permettait à des audacieux brillants de prendre place dans la société. Les femmes sont également révélatrices de ce que cette invention a permis. Pariette comme Diana, l’héroïne de L’Encre et le feu, sont à l’image de cette évolution qu’a connu la condition des femmes grâce à l’imprimerie. Tous nos personnages, papetiers, imprimeurs, libraires (éditeurs), auteurs, s’inscrivent dans une Europe en construction. Comment voyez-vous l’avenir de l’imprimerie avec l’avènement de la révolution numérique ? Certains ouvrages comme les encyclopédies, vont adopter la forme du numérique plus adaptée à leur mode de lecture. Dans certaines situations, les liseuses seront peut-être pratiques, mais le livre ne cesse de se réinventer, d’évoluer. Depuis quelques années nous voyons se multiplier les romans graphiques. La littérature jeunesse est en pleine expansion. Les livres d’artistes se multiplient. Nous ne sommes pas inquiets, et au contraire heureux de pouvoir penser comme Érasme en son temps quand il écrivait : « Quel siècle je vois s’ouvrir devant moi ! Comme je voudrais rajeunir ! ». P de F


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