Juger l’art Qu’est-ce qu’une œuvre ? Quel est le statut de l’artiste ? Un livre raconte les procès, souvent savoureux, qui ont tranché ces questions depuis la Renaissance. P A G E S 4 - 5
La surprise ukrainienne Bruxelles comme Moscou se sont laissé dépasser par les événements en Ukraine, estime le politologue Jacques Rupnik. Entretien. PAGE 6
Faut-il tout publier ? La parution chez Gallimard des lettres échangées entre Paul Morand et Jacques Chardonne, deux écrivains antisémites, relance le débat. P A G E 3
Le privé fait-il le politique? Aux Etats-Unis, l’«affaire» Hollande-Gayet aurait provoqué une crise majeure. En France, on préfère s’interroger. Connaître la vie personnelle du président sert-il le débat public?
jeu médiatique. Il n’empêche: si Obama, mari et père de famille modèle, était pris en flagrant délit d’escapade chez une maîtresse, les conséquences dans l’opinion publique en seraient ravageuses. Scénario du reste très improbable, le président des Etats-Unis étant en permanence soumis à son service de sécurité. En France, on voit les choses autrement– tradition monarchique et héritage des Lumières obligent. Le chef de l’Etat expose une face publique aux électeurs, mais il a le droit de préserver son revers des regards. Sous la Ve République, le général de Gaulle incarna cette conception mieux que quiconque. Georges Pompidou la renforça par les textes : après l’affaire Markovic (le garde du corps de l’acteur Alain Delon retrouvé assassiné en octobre 1968), dans laquelle on tenta de compromettre sa femme, Claude, après aussi d’insistantes enquêtes journalistiques autour de sa santé, il fit voter la loi instituant l’article 9 du code civil garantissant à chacun le « droit au respect de sa vie privée » et de nouveaux articles du code de procédure pénale punissant les atteintes à ce droit.
Catherine Vincent
C
’estdoncencélibatairequeFrançois Hollande va se rendre aux Etats-Unis, en visite d’Etat, du 10 au 12 février. Que penseront les Américains en voyant BarackObama recevoir ce président aux mœurs exotiques, dont ils ont suivi les péripéties sentimentales avec perplexité, pour ne pas dire effarement ? Seule certitude: ce « mélodrame» – ainsi l’a qualifié le New York Times, quand le pays de Feydeau parle de vaudeville – n’aurait pu se jouer outre-Atlantique sans provoquer une crise politique majeure. Pour avoir, en 1998, nié sous serment avoir eu des relations sexuelles avec Monica Lewinsky, Bill Clinton ne passa pas loin de l’impeachment de son second mandat pour parjure et entrave à l’exercice de la justice. François Hollande, lui, a laissé Julie Gayet démentir la rumeur qui, dès le printemps 2013, enflait sur Internet. Au risque d’être ensuite accusé de duplicité. Or, de quoi débat-on en France? Du respect de la vie privée, et de l’hypothétique intérêt des révélations du magazine Closer pour la bonne marche du pays. Pourquoice qui suscite ici tant de questions relève-t-il, là-bas, de l’évidence ? D’abord, un constat : quiconque se place sous les feux de la rampe ne peut plus espérer garder ses coulisses secrètes. Hyper-réactivité des outils de communication, fonctionnement de la presse (people comme d’information), intérêt bien comprisdes adversairespolitiques, curiosité de chacun : entre domaines public et privé, tout concourt à rendre la frontière plus poreuse. Découvrir notre président enfourchant son scooter comme un ado pour rejoindre subrepticement une autre en aura navré certains et réjoui d’autres. Dans tous les cas, la révélation nous aura distraits, et rappelé que derrière le chef de l’Etat il y a aussi un homme. Mais en quoi ce marivaudage nous aura-t-il éclairés sur la manière dont il gouverne ? Dont il décide de l’orientation à donner à nos impôts, à notre économie, à nos valeurs sociales? La réponse dépenddes circonstances, et surtout des pays. D’un côté, Latins et catholiques, pour qui les zones d’ombre peuvent être tolérées. De l’autre, Nordiques et Anglo-Saxons, à la morale plus protestante, pour qui une totale clarté est de rigueur. « Dans la vision anglo-saxonne et scandinave, la transparence est une vertu pour l’homme public, précise Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux(Credof).En Scandinavie, l’idée qui prime est celle de l’honnêteté: du moment qu’un homme politique ne cache rien sur ses dépenses et sur sa vie privée, on ne lui reprochera pas une éventuelle liberté dans ses choix personnels. Les pays anglo-saxons, plus puritains, estiment que leurs élus doivent avoir une vie privée irréprochable, et proche si possible de la famille idéale.» L’exigence ne va pas sans une certaine hypocrisie: un homme politique ayant trompé son épouse, s’il fait repentance, peut revenir dans le Cahier du « Monde » N˚ 21480 daté Samedi 8 février 2014 - Ne peut être vendu séparément
« Dans la vision anglo-saxonne et scandinave, la transparence est une vertu pour l’homme public » Nicolas Hervieu
juriste au Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux
Dans ce mur érigé entre vie publique et vie privée, la première faille vint du pouvoir luimême. D’abord avec Valéry Giscard d’Estaing, qui, le premier, usa de son couple comme argumentélectoral.AvecFrançois Mitterrandensuite, qui, une fois sa double vie révélée, reprit la main sur sa mise en scène. Désormais, les brèches sont devenues béantes. Sous l’effet conjoint de deux éléments : la présidence de Nicolas Sarkozy, qui a poussé à son paroxysme la mise en scène de sa vie privée à des fins électorales ; et l’avènement d’Internet et de l’information en continu, qui a forcé la communication politique à changer de nature. « Aujourd’hui,le chef de l’Etat est enpermanenceimmergé dans une bulle médiatique, qui fait que le moindredeses faitset gestesest surexposé,résume l’essayiste Christian Salmon. Faut-il en accuser les journalistes? Les hommes politiques eux-mêmes? En vérité, c’est un effet de système auquel chacun participe – grand public compris, qui tweete, commente et influence également la perception de l’ensemble.» STÉPHANE KIEHL
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