20140208 sph

Page 1

Retour en grâce Sept ans après avoir mis un terme à sa carrière, Annabelle Euranie remonte sur les tatamis, samedi 8février, au Tournoi de Paris. A 31 ans, la judoka tente un pari osé. P A G E 3

Du ring à la place Vendôme JeanMarc Mormeck, double champion du monde de boxe, est l’ambassadeur du joaillier Mauboussin. A son bras, il porte une montre ornée d’un rubis. P A G E 2

Poker à Monaco Claudio Ranieri, entraîneur du club de la Principauté, dit que son club n’a aucune chance face au PSG dimanche 9 février. Mais il fera tout pour rafler la mise. P A G E 8

Le chercheur d’or Le biathlète Martin Fourcade représente les meilleures chances de médaille pour la délégation française aux Jeux olympiques de Sotchi, qui s’ouvrent vendredi 7février. PAGES 4-5

Martin Fourcade, le biathlète français favori des JO de Sotchi... même pour les Russes. MARTIN ALEX/PRESSE SPORTS

S

«Le Monde» raconte l’envers du décor à Sotchi

ix ans après Pékin, le grand barnum des Jeux s’installe à nouveau dans un pays où le fameux esprit olympique ne flotte pas forcément dans l’air. Pour transformer la cité balnéaire de Sotchi en station de sports d’hiver, Vladimir Poutine a englouti pas moins de 37milliards d’euros et fait quelques entorses aux normes environnementales et aux droits des dizaines de milliers d’ouvriers réquisitionnés. Et pour que la cérémonie d’ouverture, vendredi 7 février, ne soit pas perturCahier du « Monde » N˚ 21480 daté Samedi 8 février 2014 - Ne peut être vendu séparément

bée par des apprentis terroristes, le patron du Kremlin a mobilisé 100 000 militaires, policiers et agents du renseignement. Les 3 000 athlètes seront sous haute protection. Les Etats-Unis ont envoyé deux navires de guerre en mer Noire, et la France a appelé à la rescousse le GIGN et le RAID pour chaperonner ses 114 athlètes. Le Monde a dépêché deux journalistes à Sotchi pour témoigner au jour le jour et sur tous les supports (site Web, quotidien, cahier « Sport & forme»)

de cette étrange cohabitation. Il a demandé à des personnalités russes comme la Pussy Riot Nadejda Tolokonnikova ou l’ex-champion d’échec Garry Kasparov de prendre la plume pour raconter leur pays. Trois séries de reportages feront découvrir l’envers de Sotchi et la face cachée de la Russie de Poutine. Et parce que les Jeux, qu’ils aient lieu à Pékin, à Londres ou à Sotchi, restent une compétition mondiale, la geste sportive y sera disséquée sous toutes ses coutures. p


2

0123

Samedi 8 février 2014

SPORT & FORME

à vos marques

Des Jeux à tout prix

chronique

Paul Smith

T

Couturier

out récemment, à Paris, à l’occasion du lancement de mon dernier livre, trois personnes de l’ambassade de Russie sont venues faire dédicacer leur exemplaire. J’ai aujourd’hui de nombreux clients russes et j’ai ouvert plusieurs boutiques en Russie. Depuis ma boutique moscovite, on aperçoit la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux, le mausolée de Lénine et le Kremlin. Il y a quarante ans, lorsque j’ai ouvert ma première boutique au 6, Byard Lane – une toute petite rue – à Nottingham, je n’aurais jamais

imaginé qu’un jour j’en aurais une au numéro 3 de la place Rouge. C’est pourquoi j’ai été étonné d’apprendre que le gouvernement russe aurait dépensé quelque chose comme 50 milliards de dollars (37 milliards d’euros) pour organiser les Jeux olympiques d’hiver qui doivent débuter à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, le 6février. Ce chiffre donne le vertige. Il équivaut à plus de trois fois ce que Londres a déboursé pour accueillir les Jeux olympiques et paraolympiques de 2012, qui furent un événement d’une tout autre ampleur du point de vue du nombre d’athlètes et des compétitions.

Travaux titanesques Ce n’est pourtant pas ce nombre qui m’a le plus impressionné. J’ai entendu l’autre jour à la radio que Vladimir Poutine comptait déployer 30 000 personnes pour assurer la sécurité à Sotchi. J’en ai été choqué, même si, à la réflexion, il n’y avait peut-être pas lieu d’être surpris. Le niveau de sécurité des Jeux a été radicalement rehaussé à la suite du massacre perpétré pendant les Jeux olympiques de Munich en 1972, et il a encore été renforcé après les attentats du 11-Septembre. Même à Londres, on avait positionné des batteries de missiles antiaériens sur les toits des immeubles proches du parc olympique, ce qui avait affolé pas mal de gens.

Mais la sécurité n’a pas été le seul problème à Sotchi. On a dû dépenser plus de 9 millions de dollars pour construire une route de 50 km reliant la zone où se tiendront les épreuves de ski à celle où auront lieu celles de patinage. La route comporte quarante-cinq ponts et douze tunnels. On a également dû réaliser des travaux titanesques pour empêcher les avalanches et faire en sorte qu’il y ait suffisamment de neige pour les compétitions de ski. On a même dynamité des pans de montagne pour obtenir les résultats souhaités. C’est un exemple de ce qui semble arriver de plus en plus souvent aujourd’hui : quand quelque chose qui a commencé comme une simple compétition sportive se trouve graduellement soumis à d’autres priorités. Ces Jeux ont été conçus pour créer des installations qui attireront à l’avenir les touristes dans la région, tout en rehaussant le prestige international de la Russie. Et la raison pour laquelle 30 000 agents de sécurité seront présents sur le site est de réduire le risque de voir des gens hostiles à la politique de Poutine venir gâcher le spectacle. Nul doute que les précautions prises pour la sécurité des athlètes et des spectateurs feront pâlir en comparaison de celles que mettent en œuvre les aéroports internationaux. Mais comme nous avons appris à l’accepter depuis quelques années, cela fait partie de la vie moderne. p (Traduit de l’anglais par Gilles Berton)

200 C’est le nombre d’écrivains, issus de 30 pays, qui ont signé une lettre dans le quotidien britannique The Guardian pour dénoncer, jeudi 6 février, les lois russes sur le blasphème et contre l’homosexualité. Salman Rushdie, Margaret Atwood ou encore Wole Soyinka accusent la Russie d’« asphyxier » la créativité. « Nos amis journalistes et écrivains sont forcés au silence pour le simple fait de partager leurs pensées», dénoncent-ils notamment.

Agenda Samedi 8 février Jeux olympiques C’est parti pour deux semaines de

sports d’hiver dans le froid caucasien. On ferme bien sa doudoune, on enfonce son bonnet, et tout schuss vers Sotchi. D’emblée, le biathlète tricolore Martin Fourcade a l’occasion de se parer d’or dans l’épreuve du 10 km. Les patineurs de vitesse s’élancent, eux, pour une place en finale le lendemain sur 5 000 m. Pour boucler la journée, rien de tel que la finale de bosses dames. Après, une soupe et au lit (France Télévisions, à partir de 10 h 45).

Dimanche 9 JO On embraye avec le 15 km de ski de fond. Leader français

LUCY NICHOLSON/REUTERS

de la discipline, Maurice Manificat tentera de faire honneur à son nom en allant décrocher les lauriers. Un petit détour par la patinoire est prévu pour admirer les finalistes dames de patinage de vitesse sur 3 000 m (France Télévisions, à partir de 10 h 45). Rugby On retourne à Paris, à Saint-Denis plus précisément. L’équipe de France est sur une bonne dynamique dans le Tournoi des six nations. Après avoir vaincu le XV de la Rose samedi 1er février (26-24), les hommes de Philippe Saint-André se verraient bien prendre le scalp des Italiens. Une victoire contre les Azzurri au Stade de France serait bienvenue pour aborder sereinement le prochain match, le 21février, au Pays de Galles (France 2, 15 h 50). Football Crochet obligé du côté du Rocher. Les Monégasques, emmenés par Eric Abidal (photo), 2e au classement de Ligue 1, doivent briller face au PSG pour rester dans la course au titre. Mais le leader du championnat ne veut pas faire le déplacement pour rien. Si nos pronostics sont bons, ça va zlataner ! (Canal +, 20 h 45) (PHOTO : AFP)

Lundi 10 JO Sotchi, ici Sotchi. On retourne dans la station préférée de

Rêve olympique

Japonaise vice-championne olympique Mao Asada (photo), le Canadien triple champion du monde Patrick Chan… mais surtout vers Evgeni Plushenko, qui rêve aussi de décrocher un 4e titre chez les hommes après ceux de 2002, 2006 et 2010. Un record, chez lui, en Russie. p

Mardi 11 JO On commence avec du ski slopestyle sur le skate park de

l ’ h i s t o i r e

Roza Khoutor. La finale dames sera enlevée. En short-track, Véronique Pierron jouera son va-tout sur 500 m. Ensuite, on file à la poursuite dames sur 10 km (France Télévisions, à partir de 10 h 40).

Un petit rubis dans un gant de boxe

Mercredi 12 JO On l’attendait, le voilà. Jason Lamy Chapuis entre en piste

Véronique Lorelle

P

Le patinage artistique par équipes est l’une des nouvelles épreuves au programme des Jeux d’hiver. C’est aussi l’une de celles qui débutent avant la cérémonie d’ouverture des 22es JO, vendredi 7 février. Depuis jeudi, le public de la patinoire de Sotchi a donc les yeux tournés vers la

Vladimir Poutine et de ses amis oligarques pour suivre le parcours de nos Français – et des autres bien évidemment. Au programme: slalom du super-combiné dames, finale de bosses hommes et biathlon. Martin Fourcade s’attaque cette fois au 12,5 km (France Télévisions, à partir de 10 h 40).

oings relevés, mâchoire serrée, regard d’acier… Jean-Marc Mormeck, l’ancien double champion du monde des lourdslégers, s’affiche sur les Abribus de France et dans le métro parisien, comme sur le ring. L’air déterminé. Prêt à décrocher un uppercut. A un détail près. A son bras gauche bodybuildé figure une montre rectangulaire, un bijou de mécanique suisse, ornée d’un petit rubis. Cette nouveauté du joaillier français Mauboussin s’appelle Energie vitale, en rapport avec la force de la nature qui la porte. A 42 ans, le Guadeloupéen Jean-Marc Mormeck se prépare à raccrocher les gants. Le voilà nouvel ambassadeur d’une maison d’horlogerie de la place Vendôme pour l’année 2014. « Je l’ai choisi pour notre nouvelle campagne publicitaire, photographiée par Sylvie Lancrenon, parce que ce garçon venu du monde des invisibles a réussi, à force d’opiniâtreté et d’énergie, à se propulser dans la lumière », explique Alain Nemarq, le PDG de la griffe Mauboussin. « Dans la France d’aujourd’hui, il est un modèle de vie et d’espoir», précise ce chef d’entreprise qui compte parmi les porte-drapeaux de sa

marque d’autres stars populaires, tels l’exJames Bond girl Caterina Murino ou le chanteur Garou. « Cela peut surprendre, cette rencontre de la boxe et du luxe, du brutal et du bijou… Mais moi, j’aime bousculer les préjugés », s’amuse Jean-Marc Mormeck.

« Dandy du luxe» L’athlète n’en est pas à sa première apparition de gentleman boxeur. Il a déjà posé devant l’objectif des photographes de mode Dominique Issermann, Jean-Baptiste Mondino ou Eric Traoré, et même, une fois, en compagnie de la superbe Linda Evangelista. Ses 41 combats – et 36 victoires (22 K.-O.) – lui ont laissé le visage intact et un corps à la plastique parfaite. « J’ai géré ma carrière avec de fréquentes pauses, de façon à ne pas être abîmé», se félicite le boxeur. Passera-t-il des cordes de ring aux colliers de haute joaillerie? Le cogneur deviendra-t-il un dandy? « Je suis né en Guadeloupe et j’ai grandi dans le 93, où j’ai appris à me forger une autre destinée. Désormais, si je peux être un dandy du luxe, je suis ouvert… Les séances photo, à côté des entraînements de boxe, c’est de la rigolade! », convient-il. Jean-Marc Mormeck confirme que 2014 sera sa dernière année sur les rings. « Grâce au

sport, j’ai réalisé mes rêves, j’ai rencontré Mike Tyson, j’ai voyagé dans beaucoup de pays et j’ai approché un tas de gens intéressants, ce que je n’aurais jamais pu faire autrement», résume-t-il. Vingt-sept années à asséner et recevoir les coups, à avoir l’impression de « vivre dans une série télévisée américaine », ne pouvaient pas se clore de façon anodine. Le voilà qui s’est lancé un dernier défi : combattre en Afrique. « Je veux m’arrêter en apothéose, sur une note magique, comme le combat de Mohamed Ali et George Foreman, le 30 octobre 1974. Le vieux lion a triomphé, contre toute attente, et c’est resté dans toutes les mémoires», raconte-t-il avec gourmandise. Signe fort: le promoteur de ce combat légendaire n’était autre que le sulfureux Don King, celui-là même à qui Mormeck avait confié sa carrière, à ses débuts… avant de reprendre les rênes de son destin. Sur le lieu de cet ultime combat prévu d’ici à juillet2014 et sur l’identité de son adversaire, Jean-Marc Mormeck n’en dira pas plus. Le sportif, qui flirte avec la barre des 100 kg, précise seulement qu’il va se mettre au régime pour perdre 7 kg. Un sacrifice qui lui permettra peutêtre de remporter son ultime défi tout en gardant la silhouette d’un « vrai dandy »… Un coup double. p

pour le combiné nordique. Le fondeur Maurice Manificat, lui, s’élance sur 10 km. Pour bien finir la soirée, on admirera les demi-tubes des dames lors de la finale de half-pipe (France Télévisions, à partir de 10 h 40).

Jeudi 13 JO Qui aura la médaille d’or en ski slopestyle? Les hommes

entrent en scène pour une finale qui s’annonce spectaculaire. Les fondeuses, elles, se disputeront le titre olympique. Top départ enfin pour les biathlètes masculins sur 20 km (France Télévisions, à partir de 10 h 40).

Vendredi 14 JO On ne perd pas le rythme. Après la finale hommes du

10 km de ski de fond, c’est au tour les experts du slalom de rentrer en piste pour le super-combiné. Vers 16 heures, on attend enfin un sursaut de Florent Amodio en patinage artistique. A moins que Brian Joubert, « le pestiféré » (selon ses dires) de l’équipe de France, ne réussisse un octuple axel qui pourrait lui valoir la médaille d’or. Ah ben non, il n’y a pas de trampoline sur la glace… On se rabat donc sur un podium, ça sera plus raisonnable (France Télévisions, à partir de 10 h 40). > Retrouvez la carte et le calendrier des principales épreuves des Jeux olympiques de Sotchi page 6.


SPORT & FORME

portrait

0123

Samedi 8 février 2014

3

La judoka au dojo de l’Insep, à Paris, le 21 janvier. SIMONE PEROLARI POUR « LE MONDE »

La tentation d’Annabelle judo |

Championne d’Europe et vice-championne du mondeen 2003, AnnabelleEuraniea mis un terme à sa carrière en 2007. Septans plustard, à 31 ans, elle revientau plus haut niveau,samedi 8 février au Tournoi de Paris

Florent Bouteiller

I

l n’y a pas si longtemps encore, le nom d’Annabelle Euranie évoquaitauxmeilleuresjudokasfrançaises de la catégorie des – 52 kg le plus grand respect. Depuis quelques mois, il inspire aussi les plus grandes craintes. Sortie d’une retraite de septans que le mondedu judo croyaitdéfinitive, la gauchère longiligne détonne depuis qu’elle a retrouvé le chemin des tatamis – et de la victoire – en septembre 2013, à l’âge de 31 ans. Deux mois d’entraînement lui ont suffi, à grand renfort d’uchi-mata (une technique de hanche, sa prise favorite), pour décrocher haut la main le titre national 2e division en octobre. Une mise en jambes avant de venir taquiner l’élite le 8 novembre à Marseille. Lors des championnats de France 1re division, seule Pénélope Bonna, sacrée championne, a réussi in extremis à se sauver des griffes de son assaillante. Si Annabelle Euranie n’a pris « que » le bronze, elle a semé le doute dans les esprits de ses adversaires médusées. « Je suis de retour, c’est une réalité. Je vais me battre comme une lionne car j’ai envie de gagner»,prévientcellequisignesoncomeback sur la scène internationale, samedi 8 février, au Grand Slam de Paris, le plus prestigieux tournoi du monde. Annabelle Euranie, un spectre au passé aussi illustre qu’éphémère. Championne d’Europe et vice-championne du monde en 2003 à seulement 21 ans, la native de Gonesse (Val-d’Oise) a longtemps été considérée comme l’espoir du judo féminin. Sur les tatamis, elle séduit par son judo efficace fait de grandes attaques de jambes; en dehors, par son charme qui lui attire très vite la sympathie des médias. Sa silhouette vertigineuse et son minois qu’adoucissentde grandsyeuxnoirsparticipent de cette alchimie. « A l’époque, j’aimais bien être en jupe, j’étais assez coquette et cette étiquette ne me dérangeait pas trop, se souvient-elle. Ce que j’ai mal vécu, en revanche, c’est que les journalistes avaient décidé que je serais la représentante du judo féminin. Ça partait d’une bonne intention, mais je ne le voulais pas.» Timide, discrète et d’apparence fragile,

elle endosse le rôle tant bien que mal, remporte le Tournoi de Paris en 2005 et un titre national chez les – 57 kg en 2006 qui sera son dernier fait d’armes. En janvier 2007, à seulement 24 ans, elle met un coup d’arrêt brutal à sa carrière pour retrouver l’anonymat. « Je n’en pouvais plus. J’avais un mal-être, la flamme s’était éteinte et je n’avais plus envie de me battre, raconte-t-elle. J’avais toujours rêvé d’avoir une vie de famille, un travail, une sécurité d’emploi. J’ai arrêté le jour où j’ai décroché mon concours des douanes.» « A l’époque,elle a pris une décision courageuse, analyse Emmanuel Charlot, rédacteur en chef du bimestriel L’Esprit du judo. Les régimes la fatiguaient, elle n’arrivait plus à exprimer son judo et elle ne prenait plus de plaisir. Elle a fait ce que beaucoup, par souci de confort, n’osent pas faire en équipe de France. » En 2007, Annabelle Euranie a pris tout le monde de court. En 2013, elle récidive. Agente de la sûreté aérienne à Roissy – un poste qu’elle occupe désormais à mi-temps pour assurer ses entraînements– et maman de deux garçons de 1 an et demi et 3 ans, son retour à la compétition était aussi inespéré qu’improbable. « Toutes ces années, j’ai construit un équilibre, j’étais une femme comblée. Jamais je ne m’étais imaginé revenir au judo, explique-t-elle. Mais j’avais besoin de bouger, de refaire quelque chose. Je n’ai pas été diminuée par mes deux grossesses. Mieux, j’ai perdu du poids ! » Un jour de septembre 2013, elle a donc renoué sa ceinture élimée dans le dojo de son club au Blanc-Mesnil (Seine-SaintDenis), « un peu par hasard», parce que le judo a toujours été ce qu’elle « savai[t] faire le mieux ». Et toute cette vie qu’elle croyait évanouie s’est subitement réveillée, jusqu’à exploser en un grand cri. «C’étaitplus fortque moi, décrit-elle.Je prenais tellement de plaisir. Tout de suite, j’ai eu envie de refaire de la compétition.» Cette tentation, son conjoint et le père de ses enfants, Bastien Puget, a tenté de la refréner. En vain. Entraîneur dans le club réputé de Seine-Saint-Denis, il s’est incliné jusqu’à soutenir « à 200 % » celle qui partage sa vie. « Il y avait tellement d’enthousiasme chez elle. Après coup, je me suis dit que c’étaitun super truc à vivre pournous deux,

se souvient-il. Aujourd’hui, on n’a rien à regretter. Au bout de cinq mois, être au Tournoi de Paris, c’est fort ! Jamais je n’aurais imaginé que ça irait aussi vite. » A l’euphorie ont succédé quelques doutes, ces détails auxquels Annabelle Euranie n’avait pas pensé. Comme les petites blessures ou encore ce premier jour où elle a poussé la porte du dojo flambant neuf de l’Institutnationaldu sport, de l’expertise et de la performance (Insep). « En sept ans, tout a changé, je n’avais plus de repères. J’étais complètement paumée », rigole-t-elle. Aux retrouvailles avec les anciennes comme Gévrise Emane, qui lui ont apporté un soutien sans faille, se sont mêlés les regards stupéfaits des nouvelles

« Elle ne va pas calculer. Elle n’a pas d’objectif et pas de limites. C’est sa faiblesse, mais c’est surtout sa force » Bastien Puget

son conjoint et son entraîneur générations. A commencer par ses rivales directes, pas franchement emballées de voir l’ancienne pensionnaire retrouver ses quartiers. Championne d’Europe en 2010, déjà distancée dans la course aux Jeux olympiquesen 2012 par Priscilla Gneto (médailléede bronzeà Londres),Pénélope Bonna voit ainsi ressurgir ses vieux démons. Ces dernières semaines, tous les journalistes l’ont bombardée de questions sur son illustre aînée. « Je commence à avoir l’habitude, souffle la blondinette. Mais je comprends cet emballement. Quand j’étais petite, c’était mon modèle, j’avais des posters d’elle dans ma chambre. C’est la belle histoire… Au final, c’est moi qui ferai la médaille à Paris.» De l’avis de tous, Annabelle Euranie a quandmême une jolie carte à jouer. Samedi 25 janvier, la judoka a écrasé la concur-

rence à l’Open de Casablanca, au Maroc, un tournoi préparatoire au Tournoi de Paris. Et à Bercy, elle arrive sans pression tout en gardant au fond d’elle sa précieuse expérience des grands rendez-vous. « Elle ne va pas calculer, anticipe Bastien Puget. Elle n’a pas d’objectif et pas de limites. C’est sa faiblesse, mais c’est surtout sa force. En fait, elle arrive dans la peau de quelqu’un qui est invité à un tournoi de poker sans avoir payé son droit d’inscription. Si elle peut gagner le million à la fin, c’est parfait. » PourLarbiBenboudaoud,le retourd’Annabelle Euranie est crédible. « Sur le papier, 31 ans, mère de famille… tu ne donnes pas grand-chose au départ, reconnaît l’entraîneur national de l’équipe de France féminine. Pour autant, sa crédibilité, elle la trouve sur le tapis en faisant chuter. A Bercy, elle peut surprendre toutes les filles, même les plus fortes, parce qu’elle a un judo vraiment atypique avec ses uchimata et sa garde envahissante. » Reste un bémol pour le responsable des Bleues qui coachera l’athlète au Tournoi de Paris : sa capacité à endurer les entraînements intensifs si jamais l’aventure se poursuit. « Etre doué ne suffit pas, dit-il. Il faut passer par la besogne. Si elle franchit des caps et qu’elle remporte des médailles, elle devra s’inscrire dans une démarche de haut niveau. Mais elle le sait. » « Personnellement, je crois qu’elle a les capacités de faire quelque chose, mais je pense qu’elle ne va pas y arriver, prédit le journaliste Emmanuel Charlot. Elle va tomber parce que son judo demande de la jeunesse et de l’explosivité. Et très vite, elle va plafonner.» Plutôt que d’un retour, Bastien Puget préfère, lui, parler de « recommencement». « Bien sûr, il y a des restes, admet-il. Mais elle est dans un autre état d’esprit. C’est une nouvelle personne qui va monter sur le tatami. » Ce que confirme l’intéressée : « On me parle beaucoupde mon âge et c’est normal, mais contrairement à d’autres, je n’ai pas connu cette overdose de sport, j’ai encore cette fraîcheur. Mentalement, j’irai puiser en moi ce qu’il y a de plus dur, devenir une guerrière. » Autant dire qu’Annabelle Euranie compte encore prolonger l’état de grâce. Et enterrer une bonne fois pour toutes l’idée encore vivace qu’elle ne serait qu’un feu follet. p

Dates 1982

Naissance le 4 septembre à Gonesse (Val-d’Oise).

1995

Commence le judo au DJK Tremblay-en-France (SeineSaint-Denis).

2003

Championne d’Europe à Düsseldorf (Allemagne) en mai. Vice-championne du monde à Osaka (Japon) en septembre dans la catégorie des – 52 kg.

2004

5e aux Jeux olympiques d’Athènes.

2007

Obtient son concours des douanes et met un terme à sa carrière à 24 ans.

2011

Naissance de Lorik, son premier enfant, le 6 avril. Du second, Anton, le 13 juin 2012.

2013

Reprend l’entraînement en septembre. Championne de France 2e division en octobre. Troisième aux championnats de France 1re division en novembre.

2014

Remporte l’Open de Casablanca, au Maroc, le 25 janvier. Combat au Tournoi de Paris le 8 février.


4

0123

Samedi 8 février 2014

SPORT & FORME

événement

Dans la ligne de mire biathlon

MartinFourcade entre en piste dès samedi 8février avec l’épreuve du sprint. A 25 ans, le Français espère décrocher à Sotchi sa premièremédaille d’or olympique. Voire plus si affinités

L Bruno Lesprit

es Jeux de Sotchi n’ont pas encore commencé mais ils tiennent déjà leur tube : la version étonnamment sage et lisse du Get Lucky de Daft Punk par les Chœurs de l’armée rouge, ensemble plus révolutionnaire et tonitruant quand il interprète La Guerre sacrée ou Kalinka. Livrée en zakouski, cette reprise devrait être le clou, sinon la scie, vendredi 7 février, de la cérémonie d’ouverture des 22es Jeux d’hiver, dont l’ordonnancement reste entouré du plus grand mystère. Le lendemain, les choses sérieuses pourront commencer. L’attention se déplacera du stadeFicht,sur les rives dela mer Noire, aucomplexedebiathlonLaura,autre enceinteflambant neuve, sur le site alpin de Krasnaïa Poliana.Et d’emblée se lèverontles premiers espoirs de médaille de la France autour de sa discipline d’excellence – associant tir à la carabine et ski de fond – et de son champion providentiel, Martin Fourcade. Le Pyrénéen entrera en piste pour le sprint. Maître incontesté depuis 2012, Martin Fourcade « a fait un début de saison énorme et il est le favori », reconnaît Nicolas Michaud, directeur national du ski nordique. Le vainqueur des deux dernières éditions de la Coupe du monde est actuellement en tête du classement général devant son éternel rival, le Norvégien Emil Hegle Svendsen. Inscrit dans six épreuves (outre le sprint, la poursuite, l’individuelle 20 km, le départ en ligne,les relais mixte et masculin), le phénomène pourrait signer, à 25 ans, un exploit retentissant. Il a les moyens de réaliser un carton en seize jours, sachant qu’en dix, lors des championnats du monde, il avait raflé trois médailles d’or (toutes en individuel) et une en argent en 2012 à Ruhpolding (Allemagne), puis une en or et quatre en argent (dont deux en relais) à Nove Mesto (Républiquetchèque)en 2013. « Physiquement, Martin est un des plus forts du circuit et il est capable d’enchaîner les courses, constate Nicolas Michaud. Il sait bien gérer la pression et il en a même besoin. Bon à Sotchi, il pourrait remporter quatre ou cinq médailles,moyence serait une ou deux.» Reste à savoir de quel métal. Le complexe Laura a déjà réussi à Martin Fourcade puisqu’il avait gagné les deux épreuves individuelles préolympiques, ce qui lui avait permis de s’assurer son deuxième gros Globe de cristal dès mars 2013. S’il décrochait trois ors, le natif de Céret entrerait dans la légende en devenant le quatrième Français à réussir ce triplé en une même édition, après le cycliste Paul Masson (Athènes, 1896), l’escrimeur Roger Ducret (Paris, 1924) et le skieur Jean-Claude Killy (Grenoble, 1968). Pour l’heure, cette force tranquille affiche une assurance lucide qui appartient davantage aux humbles qu’aux flambeurs. « Je suis un gros compétiteur, assume-t-il, c’est dans mon ADN. Il y a énormément d’attente du public et je ne m’en plains pas. J’ai de la chance d’avoir ce rêve olympique.» Six médailles, ce serait surréaliste. C’est précisément ce qu’avait récolté le biathlon français lors des Jeux de Vancouver, en 2010. A ce sport d’origine militaire pratiqué

par trois centaines de licenciés, la patrie fut reconnaissante.Il avait fourniplusde la moitié du butinnational et les troisseuls Tricolores qui se hissèrent à deux reprises sur les podiums, Marie Dorin, Marie-Laure Brunet et Vincent Jay. Découvert par le pays grâce à la médaille d’or du relais féminin en 1992 à Albertville puis lors des années fastes de Raphaël Poirée – huit fois champion du monde entre 2000 et 2007, mais jamais récompensé par l’or olympique –, le biathlon a fait l’objet d’un intérêt croissant en France, symbolisé par l’organisation, pour la première fois, d’une étape de la Coupe du monde de l’Union internationale de biathlon (IBU) au Grand-Bornand (Haute-Savoie), en décembre2013.«La médiatisationest souhaitable pour moi et pour ce sport, j’ai envie de le partager et c’est pourquoi j’ai réalisé un film de 52 minutes avec Eurosport, se félicite Martin Fourcade. J’aime bien la communication, c’est un milieu qui m’intéresse. La résistance provient plutôt des entraîneurs. » Avec onze récompenses au total à Vancouver,Denis Masseglia, président du Comité national olympique français, évoqua « le total le plus important de l’histoire », un constat optimiste et tronqué qui ne tenait nullement compte de l’ajout de disciplines et d’épreuves au fil du temps.En fait, la France, douzième, avait régressé de deux places au tableau des médailles par rapport à Turin 2006, malgré deux unités supplémentaires. Premier de la classe, le biathlon fut couvert d’éloges. Ses succès tranchaient cruellement avec les fiascos du ski alpin et des sports de glace – zéros pointés et bonnets d’âne. Curieusement,la star françaiseà Vancouver fut un skieur nordique, mais non un homme du biathlon : Jason Lamy Chappuis, le roi du combiné (saut à skis et ski de fond). Sa course-poursuite au sprint tint les

« Martin sait bien gérer la pression, et il en a même besoin. Bon à Sotchi, il pourrait remporter quatre ou cinq médailles, moyen ce serait une ou deux » Nicolas Michaud

directeur national du ski nordique (télé)spectateurs en haleine. Le Jurassien fut le seul, avec le biathlète Vincent Jay (aujourd’huiretraité), à conquérirl’or. Nommé porte-drapeau, à Sotchi, de la délégation tricolore de 116 sportifs, le triple vainqueur des gros Globes de cristal de 2010 à 2012 vise un doublé individuel à Sotchi, au petit tremplin le 12 février, puis au grand six jours plus tard, avant de prendre part à l’épreuve par équipes. Jason Lamy Chappuis a pourtant perdu son leadership. L’Allemand Eric Frenzel l’a relégué à la place de dauphin la saison passée et à la quatrième de l’actuel classement général de la Coupe du monde, à près de 400 points du prodige saxon. Dans cette discipline exclusivement masculine qu’est le combiné, on ne doit compter que sur lui, le deuxième Français,

François Braud se trouvant au 27e rang. Pendant que Lamy Chappuis triomphait à Vancouver, Martin Fourcade était en rodage, maisdéjà en embuscade.Le Catalanfit sensation – il avait fini vingt-quatrième au classement général 2008-2009 – en remportant l’argent au départ en ligne. Ce podium olympique, précédant de quatre semaines le premier obtenu en Coupe du monde, aurait été ledéclicdesonirrésistibleascension.Al’écouter, celle-ci repose davantage sur l’acquis que sur l’inné. Ce fils d’un accompagnateur de montagne et d’une orthophoniste, à la pratiquesportivefortdispersée(skinordique,hockey, VTT, athlétisme, natation, judo), découvrit les charmes du biathlon à l’âge de 15 ans grâceàson frèreSimon(cinquièmeauclassement général de 2011-2012). « J’ai toujours aimé les sports d’endurance, rappelle le cadet Fourcade.J’avaischoisileski defondcarj’adorais la sensation de glisse. Le biathlon m’a apporté une pluralité et contraint à un gros travail mental sur moi-même. Car je n’étais pas un bon tireur au départ. C’est parce que le biathlon ne me réussissait pas que je me suis accroché. J’ai dû beaucoup bosser, pas pour devenir un grand skieur, mais un des meilleurs tireurs du monde. Le tir, c’est du travail, ce n’est pas génétique.» Le portrait de famille présenté par le biathlon à Vancouver risque-t-il de se transformer en triomphe individuel à Sotchi ? Martin Fourcade n’est heureusement pas le seul à être attendu. A la mi-janvier, lors de la dernière étape de Coupe du monde, à Antholz-Anterselva, en Italie, Jean-Guillaume Béatrix est monté sur la deuxième marche du podium pour la poursuite. Et le relais masculin (Béatrix, les frères Fourcade, Alexis Bœuf) a triomphé. Chez les femmes règnent des incertitudes. La première médaillée à Vancouver, Marie Dorin-Habert, quatrième du classement général en 2012-2013, relève de blessure. « C’est une inconnue pour nous, reconnaît

Nicolas Michaud, mais elle peut être performante grâce à ses grandes qualités de tir. » Usée par un surentraînement la saison passée,Marie-LaureBrunetconserve«un potentiel médaillable comme l’a montré sa troisième place à Östersund », en Suède, lors de la première étape de la saison. Il faut aussi compter avec « la bonne surprise » qu’a réalisée Anaïs Bescond à Antholz-Anterselva, une première victoire individuelle en Coupe du monde, en sprint, qui lui a permis de « prendre confiance et conscience de ses forces». Enfin, en relais féminin, « la France reste une des cinq nations qui peut se placer », avec la Norvège, l’Ukraine, l’Allemagne et la Russie, ajoute Nicolas Michaud. Trois concurrentes des Françaises seront absentes, suspendues provisoirement par l’IBU après des contrôles antidopage ayant révélé des échantillons A positifs. Leurs identités n’ont pas été révélées, on sait seulement qu’elles représentent la Russie et la Lituanie. L’une d’elles, la Russe Irina Starykh, actuellement sixième au classement général, a pris les devants en annonçant son retrait de cette sélection, déjà touchée par trois contrôles positifs à l’EPO en 2008-2009, assortis de suspensions de deux ans. « Quelle pub pour le biathlon à J – 10 des Jeux de Sotchi. Honte à eux ! », s’est indigné Martin Fourcade sur son compte Twitter. « Il y a quatre ans, l’équipe était moins affichée et moins annoncée. Les Jeux de Vancouver ont été plutôt extraordinaires, avec des favoris qui ont assuré et des outsiders qui l’ont fait. Alors, on préfère rester calmes sur les objectifs, tempère Nicolas Michaud. Quatre ou cinq médailles, ce serait correct, six et plus, ce serait fabuleux. On en a la capacité, bien sûr. Le sprint de samedi va sans doute déterminer le reste. » Une manière d’indiquer que le biathlon français dispose d’une locomotive et d’un conducteur, Martin Fourcade. p


événement

SPORT & FORME

0123

Samedi 8 février 2014

Martin Fourcade lors de l’étape française de Coupe du monde, au Grand-Bornand (Haute-Savoie) en décembre 2013. SYLVAIN FRAPPAT POUR « LE MONDE »

Le stade ultime de la démesure russe

D

’un blanc immaculé, visible de loin au cœur de la plaine d’Imérétie, le stade Ficht est certainement la plus belle réussite architecturale du site qui accueillera une partie des compétitions (hockey, curling, patinage artistique) des 22es Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, en Russie. Le bâtiment, une sorte de baleine blanche posée en bord de mer, doté d’une capacité de 40000 places, fait la fierté des organisateurs, qui le décrivent comme « unique», « multifonctionnel», « plus haut que l’Arc de triomphe » et « sans équivalent en Europe». Son nom lui vient du Ficht, l’un des sommets (2 867 m) de la chaîne du Grand Caucase, visible au loin. Ficht signifie, dit-on, « tête blanche» dans la langue des Adygués, un peuple caucasien jadis dominant dans la région. Le Ficht accueille la cérémonie d’ouverture des Jeux, vendredi 7 février, tout comme la cérémonie de clôture le 23 février. Les détails de la fête inaugurale ont été gardés secrets mais les médias russes se demandent qui aura l’honneur d’allumer la vasque olympique. L’identité de l’heureux élu n’a pas été dévoilée. La presse russe en a fait des gorges chaudes, convaincue qu’Alina Kabaeva, une ex-championne olympique de gymnastique rythmique à laquelle les tabloïds prêtent une idylle avec le président Vladimir Poutine, a été choisie pour porter le flambeau. Des spéculations

balayées d’un revers de main par le maître du Kremlin: « Je suis au courant de cela (…). Nous avons beaucoup d’athlètes de renom, je ne vais pas m’impliquer dans ce processus.» Vladimir Poutine a d’autres chats à fouetter. Pour ces JO censés couronner son prestige, il a dépensé sans compter, 37 milliards d’euros. C’est le rousski razmer, la « dimension russe », comme on dit dans la langue de Pouchkine. L’ardoise est à la mesure du plus grand pays du monde, engagé, « sans exagération, dans le plus grand chantier de la planète», relevait le président russe le 19 janvier.

Tempête et sol marécageux Et qu’on ne vienne pas lui parler de corruption! « Nous n’avons pas décelé de grosse affaire de corruption dans le projet des Jeux. Nous avons assisté tout au plus à des dépassements de devis, ce qui arrive dans n’importe quel pays du monde», a-t-il expliqué. Le résultat est à la hauteur de ses attentes. « Il m’est particulièrement agréable de voir ce qui se passe ici, parce que j’ai personnellement choisi cet endroit », se félicite-t-il dans une vidéo diffusée vendredi 7 février sur le petit écran. Son pari est réussi, tous les sites olympiques ont été achevés dans les temps, contrairement aux hôtels restés à l’état de chantier (le Sotchi Plaza et Hyatt Regency), tandis que ceux qui ont ouvert leurs portes reçoivent déjà les plaintes

des premiers arrivés: fuites, eau de couleur orange au robinet, problèmes de connexion Internet, etc. La construction du Ficht a donné bien du fil à retordre. Après plusieurs difficultés, le chantier a été bouclé in extremis en décembre 2013, au prix de 800millions de dollars (592 millions d’euros), soit 2,5fois plus qu’escompté. Après les Jeux de Sotchi, le stade sera agrandi à 45 000 places car il servira au moment de la Coupe du monde de football en 2018. Au départ, le Ficht devait avoir un toit ouvert aux quatre vents, offrant aux spectateurs une vue sur les crêtes enneigées du Caucase ou bien sur la mer Noire, selon l’aile choisie. Quand, en 2009, la tempête a arraché la quasi-totalité du port artificiel aménagé un peu plus loin pour acheminer les matériaux, les constructeurs ont dû revoir leurs plans. Impossible de faire sans un toit, que les ouvriers ont mis plus d’un an à poser. Il a fallu aussi compter avec le caractère marécageux du sol, ce qui a compliqué l’édification du Ficht tout comme celle des autres stades et immeubles qui ont surgi dans la plaine d’Imérétie. En 2009, l’endroit était sauvage, avec sa réserve naturelle d’oiseaux, ses plages et son village de vieux-croyants (une branche de l’orthodoxie russe), Morlinski, dont il ne reste que le cimetière au pied du Ficht. p Marie Jégo (Moscou, correspondante)

Le stade Ficht, théâtre de la cérémonie d’ouverture, vendredi 7 février. ALEXANDER DEMIANCHUK/REUTERS

5


6

SPORT & FORME

0123

Samedi 8 février 2014

événement

Les sites des Jeux 88

Krasnaïa Poliana Club France

Sotchi

PAYS Biathlon

Village olympique

3 000

Ski de fond Bobsleigh Saut à skis

Skeleton

Combiné nordique

Luge

ATHLÈTES

7

PAYS DÉCOUVRENT LES JEUX

Ski acrobatique Ski alpin

Snowboard

98

MÉDAILLES D’OR

Adler

13 000

Mz ym ta

Aéroport

JOURNALISTES

Sotchi 34 km

25 000

Gare

BÉNÉVOLES

37 000

Parc olympique

Village olympique Patinage de vitesse

ADLER

Curling

rt Po

Village olympique

12,1

ICEBERG

MILLIARDS D’EUROS D’INFRASTRUCTURES Cérémonies d’ouverture et de clôture

ICE CUBE

Hockey sur glace

Mer Noire

POLICIERS

Patinage artistique

KM DE ROUTES

FICHT

Hockey sur glace

BOLCHOÏ

367 201

CHAÏBA

KM DE VOIES FERRÉES

1

NOUVEL AÉROPORT INFOGRAPHIE LE MONDE

Le calendrier des principales épreuves Disciplines :

Jeudi

6 février

Cérémonies

Vendredi

7

Samedi 8

Dimanche 9

Lundi 10

Mardi 11

Femmes Mercredi 12

Jeudi 13

Vendredi 14

Hommes

Samedi 15

Dimanche 16

10 km 10 km sprint 7,5 km sprint 12,5 km 15 h 30 poursuite 16 h poursuite 16 h 15 h 30

20 km

15 h

15 km

Mercredi 19

15 km départ art 12,5 km départ en ligne 16 h en ligne 16 h

15 h

A deux

17 h 15

Jeudi 20

Vendredi 21

Curling Hockey sur glace

9h

9h

Relais

Samedi 22

Dimanche 23

4 x 6 km 4 x 7,5 km relais 15 h 30 relais 15 h 30

15 h 30

A deux A deux A deux 15 h 30 16 h 15 17 h 15

Tremplin 9 h 30

Combiné nordique

Grand tremplin emplin 9 h 30

A quatre A quatre 17 h 30 10 h 30 Grand tremplin emplin équipes 8 h

6h

6h

6h

6h

6h

6h

6h

6h

6h

11 h

9 h 30

9 h 30

11 h

11 h

9h

9h

9h

9h

9h

13 h 30

9h

9h

13 h

13 h

16 h

13 h

Simple Simple Simple Simple Double Relais 15 h 45 15 h 30 15 h 30 15 h 30 15 h 15 équipes 17 h 15

Luge Court 16 h 30

Danse sur Libre glace 15 h 30

Court

16 h

5 000 m 3 000 m Course 12 h 30 12 h 30

Patinage de vitesse

14 h

500 m

16 h 13 h 45

Libre

16 h 45

1 000 m

15 h

1 500 m 500 m 10 h 45

Patinage sur piste courte Tremplin Tremplin 16 h 15 17 h 15

Saut à skis

Court

16 h

1 000 m

Libre

15 h

Tremplin 17 h 30

15 h

Bosse

Bosse

15 h

Ski alpin

Descente

Ski de fond

Skiathlon Slopestyle

7h

11 h

Skiathlon

20 h 10

Slopestyle

11 h

Descente

Slopestyle Slopestyle 6 h 30 7 h 30

Sprint Half-pipe

1 500 m 1 000 m 11 h

1 000 m 500 m 10 h 30 Equipe

10 km Half-pipe

11 h

11 h

15 km

14 h

16 h

Libre

Exhibition 20 h 30

16 h

5 000 m 14 h 30

Poursuite Poursuite 14 h 30 14 h 30 1 000 m 500 m 17 h 30

17 h 15

15 h 45

SuperSuper-G combiné 8 h

8h

11 h 11 h

10 000 m

Slopestyle Sauts 7 h 15 14 h 45

7h

Super-G + 8 h combiné 8 h

13 h 30

Court

1 500 m 1 500 m 14 h 30 15 h

Grand tremplin Grand tremplin emplin 17 h 15 17 h 30 8 h 30

Bosse

Danse sur Danse sur 16 h glace 16 h glace

16 h

1 500 m 500 m 11 h

Skeleton

Snowboard

Mardi 18

18h

Bobsleigh

Ski acrobatique

Lundi 17

Finales

17 h

Biathlon

Patinage artistique

Femmes/Hommes Mixte

Sauts

8h

Super-G

14 h 45

Slalom géant

8h

Relais Relais 11 h 4 x 5 km 11 h 4 x 10 km 11 h Cross

8h

Half-pipe 14 h 45

Cross

Slalom 8 h géant Sprint

Cross

8h

8h

10 h 15

Slalom géant parallèle 6 h 15

8 h 45

Cross

8 h 45

Slalom Slalom 13 h 45 13 h 45 30 km

10 h 30

Slalom parallèle 6 h 15

50 km

8h


à moi de jouer

SPORT & FORME

0123

Samedi 8 février 2014

7

Cessez-le-feu Persuadé de faire moucheà ski, notre reporter a testé le biathlon avec Sylvie Becaert, médaillée de bronze aux JO de Turin et Vancouver. Mais bien qu’armé d’une carabine, il a vite agité le drapeau blanc

Florent Bouteiller

N

Le Grand-Bornand (Haute-Savoie), envoyé spécial

’allez surtout pas croire que je suis rancunier ! Mais un événementm’est resté en travers de la gorge l’hiver dernier. En arrivant dans la coquette station des Contaminespour tester le skicross, mi-février, pérorant sur mes qualités de skieur hors pair, j’ai naïvement laissé échapperqu’ensnowbladej’étaisloin d’êtreridicule (« Sport & forme» du 2 mars 2013). Au pays de la raclette et de la fondue, arborer à ses pieds ce qu’on désigne vulgairement sous le nom de « patinettes » ou, localement, « spatules de Parisiens » vous expose aux plus virulentes moqueries. Je l’ai appris à mes dépens en étant l’objet d’une cabale orchestrée par la championne de skicross Ophélie David et la perfide attachée de presse de Duodecim, Amélie Penz. Traînant une réputation peu glorieusedans la station, j’ai, depuis, décidé de bouder les sports alpins. Mais quand Amélie Penz m’a proposé de tester le biathlon, discipline reine du ski nordique, j’y ai vu l’occasion de redorer mon blason en faisant parler mon talent pur. « Inné » conviendrait mieux à la situation puisquele biathlon a vu le jour sous l’ère des Vikings (VIIIe-XIe siècle), mes lointains ancêtres. Si j’ai depuis bien longtemps coupé mes longues bouclettesblondes,il n’en demeure pas

« Tu disposes de cinq plombs pour atteindre le centre, et quand tu fais mouche le rond noir passe au blanc. Tu as trois secondes pour tirer. C’est parti ! » Nicolas Pessay

professeur de biathlon au Grand-Bornand moins que le sang de ces guerriers légendaires coule encore dans mes veines de Normand. Autre versant, autre station. A 50 km à vol d’oiseau des Contamines, me voilà au GrandBornand, vaste domaine skiable qui compte pas moins de 90 km de pistes au cœur d’un environnement préservé. La vallée du Bouchet, dominée par la chaîne des Aravis (2 700 m), est un cadre privilégié pour les amateurs de disciplines nordiques. Nombre de grands champions

sont d’ailleurs originairesdu coin, à l’instar de la biathlète Sylvie Becaert. Médaillée de bronze aux JO de Turin (2006) et de Vancouver (2010), la jeune retraitée de 38 ans a acceptéde m’initier à cette discipline avec le soutien de Nicolas Pessay, moniteur dans la station bornandine. Une championne et un technicien, c’était le minimum pour me transformer en cador capable de défier Martin Fourcade, le Français quintuple champion du monde que tout le monde voit déjà sur la plus haute marche aux Jeux d’hiver à Sotchi (du 7 au 23 février 2014). «Le biathlonestun sportquicombinedeuxdisciplinesopposées: le ski nordiqueetle tir àla carabine. On passe d’un état de stress où le palpitant est à 170 pulsations par minute à un état quasi méditatif où il ne faut pas bouger pour atteindre sacible.C’estça quiest excitant», m’expliqueSylvie Becaert. La dame a d’ailleurs un complexe à son nom, homologué par l’Union internationale de biathlon. Manque de chance pour moi, ce n’est pas là mais à quelques encablures que j’effectue mes premiers pas dans la discipline. D’abord le ski. Au fin fond de la vallée du Bouchet, face au hameau des Plans, il m’a fallu plusieurs minutes pour comprendre le mécanisme des chaussures qui se clipsent dans une petite encoche. Un grand moment de solitude qui m’a mis la puce à l’oreille : une journée galère s’an-

nonçait. Sentiment renforcé par mes premières glisses disgracieuses… « Aide-toi de tes bâtons et pousse d’un pied sur l’autre pour avancer », me conseille Sylvie Becaert. Cette technique dite du « skating » est la plus efficace pour avancer. Encore faut-il la maîtriser. J’ai beau me démener, difficile d’avancer sans dévier. Dès que je lèveun pied pour me propulser,je perds l’équilibre et m’écrase dans la poudreuse. L’ennemi est touttrouvé: les skiseffilés, qui me donnentl’impression d’avoir des pales d’hélicoptère sous les pattes. Désespérée par ma gestuelle déplorable, ayant perdu toute foi en mes progrès, Sylvie Becaert abrège mon supplice en m’orientant vers le pas de tir. Guère fatigué par ma course, je m’affale sur le pas de tir, où Nicolas Pessay me dispense de précieux conseils. « Quand tu arrives à ce stade, il faut savoir que tu as déjà 10 km dans les pattes», commence mon entraîneur, armé d’une carabine 22 long rifle. En compétition,c’est ce type d’arme qu’utilisent les athlètes pour atteindre des cibles placées à 50 mètres,de 45 mm de diamètre pourle tir couchéet de 112mm pourle tir debout. Pour mon initiation, je vais me contenter de tirer avec une carabine à plombs à 10 mètres, mais la proportion est respectée. « La cible du tir couchée est plus petite car tu as plus de stabilité, m’explique Nicolas Pessay. Tu disposes de cinq

plombs pour atteindre le centre, et quand tu fais mouche,le rond noir passe au blanc. Une fois que ta carabine est chargée, tu as trois secondes pour tirer.C’est parti ! » D’emblée, je réalise un coup de maître en dégommant mes cinq cibles. Pas peu fier, je toise d’un air bravache Nicolas Pessay, qui réplique aussitôt : « Pas mal. Maintenant, fais la même chose debout ! » L’exercicese corse. Tenir sur des skis parallèles au pas de tir et viser sans reposoir n’est pas chose aisée. Par miracle, j’arrive à faire basculer trois cibles, mais mes statistiques déclinent inexorablement. « Allez, maintenant, on se met en mode poursuite», me presse Nicolas Pessay, qui désigne du doigt mon adversaire, Sylvie Becaert. La championne est partie en quatrième vitesse. Tandis que je m’évertue à fixer ma carabine sur le dos, j’aperçois la silhouette de ma concurrente qui rapetisse au loin pour finalement s’évanouir dans une forêt de sapins. La rattraper ? Je laisse tomber l’idée. Je n’ai plus qu’un objectif : avancer. Mes quelques souvenirs de patinage artistique, que j’ai pratiqué enfant, surgissent pour me redonner de minces sensations. Enfin, je skie plutôt bien jusqu’à ce qu’un monticule de neige se dresse sur mon chemin. Impossible de contourner la bosse. Les fesses bien en arrière, je négocie comme je le peux l’obstacle et m’écrase sur le dos. Sylvie Becaert est depuis bien longtemps en train de tirer quand je la rejoins. Pour rattraper mon retard, j’ai dégainé ma carabine précocement. Grossière erreur qui, dans le cadre d’une compétition, m’aurait coûté une disqualification. « On ne sort son arme qu’une fois sur le pas de tir, me réprimande Nicolas Pessay en roulant de gros yeux. C’est une question de sécurité.» Le temps de cette courte poursuite, j’ai pu constater à quel point le rythmecardiaquepouvaitavoiruneincidencenéfaste sur les résultats au tir. Couché, j’atteins deux cibles. Debout, c’est zéro pointé. Ces contre-performances me mettent définitivement hors jeu pour la première place car, à chaque cible manquée, c’est autant de pénalités (points en moins ou distances de 150 m à parcourir en plus) que j’accumule. D’autant que ma rivale, elle, a réalisé un sans-faute. « Il faut être zen et faire le vide. Quand on arrive au stand, plus rien d’autre ne doit exister que la cible », m’explique Sylvie Becaert avant de me consoler: « C’est pas grave, tu feras mieux la prochaine fois… » Je prends le chemin des vestiaires avec une cruelledésillusion.A défaut de chapeau,je mange mon bonnet et rumine ce nouvel échec. L’heure est venue de dresser un bilan, amer mais lucide: les sports d’hiver, ce n’est définitivement pas pour moi. A moins que je ne me replie sur les raquettes, les patinettes du pauvre en ski de fond. p

pratique

racines

Né dans l’armée

Le biathlon est un sport qui a des origines militaires. Au VIIIe siècle, les tribus du nord de l’Europe, armées d’arcs, défendaient leur territoire sur des skis contre l’envahisseur viking. Au XVIIIe siècle, les armées nordiques qui surveillaient les frontières étaient composées de soldats aussi habiles au tir à la carabine qu’à la pratique du ski. En 1767, la première compétition est organisée sur la frontière suédo-norvégienne entre des patrouilles des deux pays. Jusqu’à la toute fin du XIXe siècle, la combinaison du tir et du ski n’est utilisée qu’au sein de l’armée ou pour la chasse. En 1954, le biathlon est reconnu comme sport. Il faudra attendre 1960 pour qu’il soit inscrit au programme des Jeux olympiques.

dos, grâce à un harnais fixé sur un côté de la crosse comprenant deux bretelles rembourrées. Les munitions utilisées sont de calibre 22 long rifle à percussion annulaire. Le projectile, d’un alliage tendre de plomb et sans enveloppe de cuivre, a un diamètre de 5,56 mm. Une carabine coûte environ 3 000 ¤

équipement

Bien au chaud

La combinaison des biathlètes est souvent en polyester et en élasthanne, matière chaude et fine qui permet aussi de lutter efficacement contre le vent. Un bonnet et des gants, de même composition, complètent la panoplie.

Avec des skis, c’est mieux

Le matériel requis est le même que celui d’un fondeur. Grosso modo, les skis doivent être un peu plus grands que le biathlète. Les bâtons, eux, doivent arriver à hauteur d’épaule. En aluminium ou en carbone, ils correspondent à la taille du pratiquant moins 20 cm. Les chaussures de skating sont rigides. Elles comprennent une tige haute qui permet de bien tenir la cheville. La semelle est

compétitions

Plusieurs types de course

aussi plus dure, pour assurer un bon contact pied-neige.

Chargez, tirez !

Une carabine, à vide, pèse entre 3,5 kg et 6 kg. Le chargement de la cartouche dans la brèche doit être manuel, soit depuis le chargeur, soit en insérant la balle dans la brèche en ouvrant la culasse. Le poids de déclenchement de la

détente doit être au minimum de 500 g. C’est l’alignement du viseur, du tunnel à guidon et de la cible qui permet la visée. Le biathlète doit placer sa carabine sur le

Une compétition de biathlon se compose d’une course dans laquelle les concurrents parcourent une piste de ski de fond et divisée par deux ou quatre séries de tir, la moitié en position couchée, l’autre moitié en position debout. La distance de tir est toujours de 50 m et chaque tir consiste à abattre cinq cibles. Les courses de sprint et l’individuelle

sont des courses contre la montre. La poursuite est une course avec départ par handicap d’après les résultats de la course précédente, tandis que l’ensemble des concurrents des relais ainsi que du départ en ligne prennent le départ en même temps.

Voir des champions

Malgré son faible nombre de licenciés (300) en France, la discipline est la plus grande pourvoyeuse de médailles aux Jeux olympiques d’hiver. En 2010, à Vancouver, six des onze médailles tricolores ont été obtenues au biathlon. Seul Eurosport retransmet les étapes de Coupe du monde. Aux JO de Sotchi, du 7 au 23 février, c’est France Télévisions qui diffuse l’événement.


8

0123

Samedi 8 février 2014

SPORT & FORME

portrait

Claudio Ranieri lors du match contre le TFC (2-0) le 19 janvier, à Toulouse. MANUEL BLONDEAU /ICON SPORT

Mister Bluff L’entraîneur de l’AS Monaco se plaît à répéter que le titre de champion de France n’échappera pas au PSG. Mais dimanche 9février, Claudio Ranieri ne fera aucun cadeau à son homologue Laurent Blanc pour la «finale» de la Ligue 1 football |

Rémi Dupré

L

es 130 journalistes qui vont se ruer au stade Louis-II de Monaco, dimanche 9 février, pour couvrir le choc de la 24e journée de Ligue 1 entre le club de la Principauté et le PSGse réjouissent déjà à l’idée de recueillir les bons mots de Claudio Ranieri lors de la conférence de presse d’après-match. Et ce, quel que soit le résultat de cette « finale » duchampionnatde Franceopposantle leader parisien, propriété du fonds Qatar Sports Investments (QSI) depuis 2011, et son dauphin du Rocher, acquis la même année par l’ex-empereur de la potasse et milliardaire russe Dmitri Rybolovlev. Avecson sourire pincé, l’entraîneur de l’AS Monaco (ASM) s’est aisément mis les médiasfrançaisdans la poche.Sobre etélégant, le technicien italien s’exprime souvent avec componction, ponctuant ses interventions de subtiles analyses et de douces provocations. A l’automne 2013, Claudio Ranieri évoquait avec ironie son homologue du PSG Laurent Blanc, qu’il a eu sous ses ordres à Naples(1991-1992).«Il pourraitmettreIbrahimovic dans les buts, Paris serait capable de gagner », gloussait le technicien de 62 ans. Fin janvier, le natif de Rome qualifiait d’«extraterrestres»les joueursdela capitale comme s’il minorait les qualités de sa formation, et doutait de sa capacité à gagner le championnat devant son rival. « Paris a gagné le titre avant le début de saison », a récemment renchéri celui que les membres du staff de l’ASM surnomment avec déférence « Mister ». Un véritable coup de bluff alors que seulement cinq points séparent les deux locomotives du championnat. Davantage que la grande explication entre les superpuissances de la Ligue 1, Ranieri a certifié qu’il préférait préparer le prochain déplacement en championnatdesRougeetBlanc,programmé à Bastia le 15 février. Perçue comme le signe d’un renoncement ou d’un manque d’ambition, cette déclaration a valu au Transalpin d’être égratigné par le consultant Jean-Michel Larqué. « A la limite, si M. Ranieri veut bien préparer le match contre Bastia, autant qu’il déclare forfait ! Là, c’est sûr, il mettra

tous les atouts de son côté pour aller du côté de Furiani. Vraiment, on se fout de la gueule du monde ! », a fulminé, vipérin, l’ex-milieu de l’AS Saint-Etienne. Sardonique et feignant l’indifférence, Claudio Ranieri avait expliqué, en octobre 2013, qu’il préférait dîner avec son épouse, antiquaire à Londres, plutôt que de suivre devant son téléviseur le clasico entre Marseille et le PSG. Une manière de relativiser le mano a mano que se livrent à distance l’ASM et son adversaire de la capitale. Le 22 septembre 2013, le technicien avait néanmoins savouré le nul (1-1) décrochéparsa formationà l’issuede laconfrontation aller entre les deux titans de Ligue 1. Ce jour-là, il alignait deux cracks issus du centrede formationmonégasque,ledéfenseur Layvin Kurzawa (21 ans) et le milieu Yannick Ferreira Carrasco (20 ans), assumant pleinement son tropisme « jeuniste». Jadis qualifié avec dédain par la presse anglaise de « tinkerman » (bricoleur) lors de son passage à Chelsea (2000-2004), Claudio Ranieri a importé sur le Rocher son sens de l’équilibre, jouant aux alchimistes en mêlant ancienne génération (la charnière centrale composée d’Eric Abidal et de Ricardo Carvalho, 70 ans à eux deux) et jeunes cadors. Fin mai 2012, Dmitri Rybolovlev avait reçu Ranieri dans le cadre d’un entretien d’embauche. Cherchant un successeur au Transalpin Marco Simone, l’ex-magnat avait fait part de son intérêt pour le profil de cet entraîneur habile et bosseur, qui favorisa l’éclosion de Gianfranco Zola à Naples ou des Anglais John Terry et Frank Lampard à Chelsea. Institution en plein naufrage,l’ASM pataugeaitalors à la 8e place de Ligue2.Un titrede championde France de L2 et un retour parmi l’élite plus tard, Dmitri Rybolovlev dépensait 166 millions d’euros pour offrir à Ranieri une formation taillée pour défier le PSG. « L’objectif, c’est au moins de se qualifier pour la Ligue des champions », murmure-t-on au club de la principauté. « On tire notre force du discours intelligent de l’entraîneur», assurait au Monde à la rentrée 2013 (« Sport & forme» du 21 septembre 2013) le capitaine monégasqueEricAbidal pourmieuxsouligner l’osmose créée par Ranieri. Depuisplusieurssemaines,la presseitalienne avance pourtant l’hypothèse d’un départ anticipé, à la fin de la saison, du

coach aux cheveux argentés, dont le contrat sur le rocher expire en 2015. Les médias sportifs transalpins témoignent des dissensions entre un Rybolovlev aspirant à des titres européens et un entraîneur qui souffre d’une réputation peu reluisante d’éternel loser. Limogé avant le terme de ses contrats à Naples (1991-1993), au Valence CF (1997-1999), à Chelsea, à la Juventus Turin (2007-2009) et à l’Inter Milan (2011-2012), le Romain affiche un palmarès en totale inadéquation avec la renommée de ses points de chute successifs. Son seul fait de gloire notable reste son passage à la Fiorentina (1993-1997) avec laquelle il remporta une Coupe d’Italie en 1996, deux ans après l’avoir ramenée parmi l’élite. « Au vu de son expérience, il fait partie du top 10 des entraîneurs européens, assure l’ex-défenseur tricolore Jocelyn Anglo-

« Il a deux facettes. Il peut s’énerver et parler d’autre chose une minute après » Marcel Desailly

ex-joueur de Chelsea (1998-2004) ma, qui fut coaché par Ranieri au Valence CF (1997-1999). Il n’a peut-être pas eu les résultatsqu’ilméritait. Il aurait dû remporter pas mal de titres au regard des équipes qu’il a dirigées.» « Il a su restructurer Chelsea, recruter les joueurs qu’il fallait et effectuer le travail administratif et médical donta pu profiter José Mourinhoà son arrivée », estime l’ex-capitaine des Blues (1998-2004) Marcel Desailly. L’ancien défenseur de l’équipe de France (116 sélections) se souvient d’un entraîneur qui « aime tenter des coups. » « Il sait tenir un groupe et a deux facettes, explique l’ex-taulier des Bleus. Soit il cherche à dialoguer avec un joueur qui veut aller au conflit. Soit il montre que ça sera lui le plus fort et qu’il faut tenir bon. Son management est intelligent. Il est très latin. Il peut s’énerver et parler d’autre chose une minute après. » A Chelsea, Ranieri avait rapide-

ment fait les frais du remaniement ordonné au sein du club par l’oligarque russe Roman Abramovitch, son propriétaire depuis juin 2003. Raillé par certains tabloïds, « Clownio » était tombé en disgrâce un soir d’avril 2004, éliminé en demi-finale de Ligue des champions (3-1/2-2) par l’AS Monaco entraînée alors par Didier Deschamps. Affable et mesuré, l’ex-arrière latéral, passé notamment par l’US Catanzaro (1974-1982), dans la région de Calabre, a montré qu’il était capable d’entrer dans une colère noire lorsque son meilleur joueur, l’attaquant Radamel Falcao, fut fauché, le 22 janvier, lors des 16es de finale de Coupe de France, par Soner Ertek, instituteur de profession et défenseur du club amateur de Chasselay (CFA). « Si Falcao a quelquechose de grave,c’est la fautede l’arbitre », avait tempêté le technicien. Victime d’une grave blessure au genou, la star colombienne sera indisponible au minimum durant cinq mois. L’austère Ranieri fut par ailleurs l’un des premiers coachs italiens à avoir tenté l’aventureloinduCalcio.Depuissonpassageà laJuve,ilcollaboreavecsoncompatriote PaoloBenetti,unancien défenseurdevenu son adjoint sur le banc de l’ASM et qui futuntemps son beau-frère.«Le mondedu football ne retient que les victoires. Or, un club victorieux passe par différentes phases de construction avant d’atteindre les sommets. Et Ranieri excelle dans ce genre d’entreprise », loue Paolo Benetti. « C’est un entraîneur exigeant qui a une faculté d’adaptationénorme,ajouteJocelynAngloma. Il fait tout son possible pour apprendre la langue. En Ligue 1, il s’exprime en français. A Valence, il donnait l’impression d’y vivre depuis longtemps.» Moqué pour ses échecs, Ranieri le besogneuxpeut-il répondre à court terme aux attentes d’un président en quête de succès immédiats? «Tant qu’onresteradanslesillageduPSG,oncontinueraànourrirquelquesespoirs,souritPaolo Benetti. Le foot montre que la meilleure équipe ne gagne pas toujours.» « Ranieri n’a pas le droit à l’erreur, même si Monaco revient de loin, note Jocelyn Angloma. Le PSG a plus d’expérience. C’est pourquoi Rybolovlev doit être patient. L’ASM a besoin de grandir sur deux ou trois ans.Mais Ranieriaura-t-ille tempsde la faire mûrir ? » p

Dates 1951

Naissance le 20 octobre à Rome.

1991-1997

Entraîne successivement Naples et la Fiorentina.

1997-1999

Devient entraîneur du FC Valence (Espagne).

2000-2004

Est nommé entraîneur du club londonien de Chelsea.

2007-2012

Officie sur les bancs de Parme, la Juventus Turin, de l’AS Roma et de l’Inter Milan.

2012

Devient entraîneur de l’ASMonaco en mai.

2013

Permet à l’ASM, sacré champion de Ligue 2 en mai, de remonter parmi l’élite.

2014

L’ASM reçoit le PSG en match de clôture de la 24e journée de L1, dimanche 9 février.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.