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M Le magazine du Monde no 127. Supplément au Monde no 21492 du samedi 22 février 2014. Ne peut être vendu séparément. Disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

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22 février 2014

Karin viard

la star d’à côté

Spécial Lyon l’autre ville lumière


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Edito.

Au programme.

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Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

Dans le genre passage obligé médiatique, le Salon de l’agriculture (qui ouvrira le 22 février) et la cérémonie des Césars (qui aura lieu le 28 février) se posent là. Bien sûr, ces deux événements semblent se dérouler sur deux planètes différentes (quoique?) mais ils délivrent chaque année le même – abondant – flot d’images et de sons, dessinant des moments forts de la société du spectacle… Le scénario semble écrit une bonne fois pour toutes et se répète, peu ou prou, à l’identique d’année en année. Veaux, vaches, cochons, et responsables politiques alternant tartines de fromage de chèvre et coups de rouge dans le premier cas. Robes de gala offrant aux regards qui une poitrine, qui une cuisse, remerciements étouffés de sanglots et gags écrits par des auteurs branchés dans le second cas. Cette semaine, le Salon et les Césars sont au sommaire de M Le magazine du Monde. Pas exactement comme vous ne les avez jamais vus mais dans un registre différent de l’habituel cirque qui les entoure. Les agriculteurs que nous avons rencontrés ne seront pas tous au rendez-vous de la porte de Versailles. Pas le temps, pas le cœur à la fête : les pesticides et les engrais qu’ils utilisent inévitablement dans l’exercice de leur profession les ont rendus malades. Certains ont même perdu des proches, comme cette famille dont le fils a été emporté par ce que les médecins appellent « le cancer des viticulteurs ». Mais parce qu’il faut bien faire tourner l’exploitation, ils ne se résolvent pas à virer au bio pour de bon. C’est dire si l’ambiance n’est pas au cochon rose dragée et au tracteur rutilant… Et puis, en couverture, il y a Karin Viard, femme et star d’à-côté : à l’affiche du nombre record de cinq films en une année, comédienne populaire au sens premier du terme, aimée d’un large public, actrice normale, « dans la vie », devenue bankable. Magnifiquement forte ou superbement banale : c’est précisément dans ce registre-là qu’elle séduit les cinéastes, des hommes autant que des femmes d’ailleurs. A mille lieues de la dinguerie charmante ou du mystère glamour dont il convient de se nimber quand on exerce son métier. Et qu’il faut monter sur scène pour donner ou recevoir la fameuse compression. Karin Viard doit se moquer de tout ce cinéma : des Césars, elle en a déjà deux! Marie-Pierre Lannelongue

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J’y étais… à une séance de dédicace dans un bar-tabac.

marc beaugé rhabille… Pierre Gattaz.

p. 29

la photo. La loi de l’attraction.

p. 30

les Questions subsidiaires.

p. 32

Juste un mot. Par Didier Pourquery.

LE MAGAZINE p. 33

la régulière du cinéma français. Populaire, polyvalente, pas snob pour un sou, Karin Viard remplit les salles et est appréciée de tous les publics.

p. 40

la chimie, c’est presQue fini. Conscients de la toxicité des pesticides, ils n’arrivent pourtant pas à s’en passer. Parcours de paysans qui tentent une agriculture de compromis.

p. 44

le crime est leur affaire. Dans la banlieue lyonnaise, les experts de la Police technique et scientifique traquent les indices retrouvés sur les lieux d’un crime. Visite d’un pôle policier unique en son genre.

LA SEMAINE

La photographie de couverture de L’édition rhôneaLpes a été réaLisée par aLexandre guirkinger pour M Le Magazine du Monde .

p. 15

on ne badine plus avec l’humour. Jusqu’où peuvent aller les satiristes ? Après l’interdiction du spectacle de Dieudonné, le CSA est appelé à fixer les limites du rire.

p. 18

il fallait oser. Pretium doloris.

p. 20

football. OM-PSG, rivaux mais plus trop.

p. 21

le roman-photo des ripoux.

p. 22

Qui est vraiment Christoph Blocher ?

p. 23

ils font ça comme ça ! ESPAGNE La Catalogne veut son jackpot.

La photographie de couverture a été réaLisée par ward ivan rafik pour M Le Magazine du Monde . Karine Viard porte un trench beige, Céline.

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p. 24

CHINE Bistourisme en Corée du Sud.

p. 26

ALLEMAGNE Dans la Sarre, le français ça sert.

Stylisme : Anna Schiffel. Maquillage : Alexandrine Piel @Franck Provost. Coiffure : Silvia Carissoli. Guillaume Rivière pour M Le magazine du Monde. Sébastien Erome / Signature pour M Le magazine du Monde.

p. 14

p. 28

Retrouvez “M Le magazine du Monde” tous les vendredis dans “C à vous”, présenté par Anne-Sophie Lapix. Une émission diffusée du lundi au vendredi en direct à 19 heures.

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80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/25-61 Courriel de la rédaction : Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des lecteurs : courrier-Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr

m sur iPAD ET sur lE WEB.

“M Le magazine du Monde” se décline sur tous les supports. L’application pour iPad vous propose une expérience de lecture et de visionnage nouvelle. “M” vous est ainsi accessible à tout moment et dans toutes les situations. Sur le site (lemonde.fr/m), vous retrouverez aussi une approche différente de l’actualité et les dernières tendances dans un espace qui fera toute sa place aux images.

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Arnaud Lajeunie. Photo et sculpture, Lorenzo Vitturi pour M Le magazine du Monde

p. 50

thierry frémaux, le petit frère lumière. Il déniche les meilleurs films pour la Sélection du Festival de Cannes et dirige l’Institut Lumière de Lyon, où il a grandi. Portrait d’un môme des Minguettes fou de cinéma, devenu l’ami des stars.

le portfolio p. 56

la double ville. En pleine rénovation, Lyon se rêve en capitale. Balade dans les quartiers en transition, entre présent et futur.

le style p. 65

une faim de lyon. De grandes tables en bouchons, la cuisine lyonnaise sublime le produit.

p. 68

l’icône. La provoc’ rock de Siouxsie Sioux.

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Président du directoire, directeur de la publication : Louis Dreyfus Directrice du Monde, membre du directoire, directrice des rédactions : Natalie Nougayrède Directeur délégué des rédactions : Vincent Giret Secrétaire générale du groupe : Catherine Joly Directeur adjoint des rédactions : Michel Guerrin Secrétaire générale de la rédaction : Christine Laget M Le MAGAziNe Du MoNDe Rédactrice en chef : Marie-Pierre Lannelongue Direction de la création : eric Pillault (directeur), Jean-Baptiste Talbourdet (adjoint) Rédaction en chef adjointe : eric Collier, Béline Dolat, Jean-Michel Normand, Camille Seeuws Assistante : Christine Doreau Rédaction : Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Annick Cojean, Louise Couvelaire, emilie Grangeray, Laurent Telo, Vanessa Schneider Style : Vicky Chahine (chef de section), Fiona Khalifa (styliste) Responsable mode : Aleksandra Woroniecka Chroniqueurs : Marc Beaugé, Guillemette Faure, JP Géné, JeanMichel Normand, Didier Pourquery Directrice artistique : Cécile Coutureau-Merino Graphisme : Audrey Ravelli (chef de studio), Marielle Vandamme, avec Camille Roy Photo : Lucy Conticello (directrice de la photo), Cathy Remy (adjointe), Laurence Lagrange, Federica Rossi, Alessandro zuffi Assistante : Françoise Dutech Edition : Agnès Gautheron (chef d’édition), Yoanna Sultan-R’bibo (adjointe editing), Anne Hazard (adjointe technique), Julien Guintard (adjoint editing), Béatrice Boisserie, Maïté Darnault, Valérie GannonLeclair, Catarina Mercuri, Maud obels, avec Valérie Lépine-Henarejos, Agnès Rastouil et elodie Ratsimbazafy Correction : Michèle Barillot, Ninon Rosell et Claire Labati Photogravure : Fadi Fayed, Philippe Laure avec Gilles KebiriDamour et Anne Loeub

p. 69

fétiche. Traitement de chic.

p. 70

variations. L’appel du vide.

p. 71

le goût des autres. Le bide du minitop.

p. 72

trois questions à Satu Maaranen.

p. 73

la palette. Teint nomade.

p. 74

un peu de tenues… La chemise blanche.

p. 80

la chronique de JP Géné.

p. 81

le resto.

p. 82

au marché… Les tentations de Saint-Antoine.

p. 86

le voyage. Le Lyon d’Arthur Dreyfus.

la culture p. 88

les dix choix de la rédaction. Photo, musique, cinéma, théâtre, arts plastiques, BD, danse…

p. 96

les jeux.

p. 98

le totem.

Documentation : Sébastien Carganico (chef de service), Muriel Godeau et Vincent Nouvet Infographie : Le Monde Directeur de production : olivier Mollé Chef de la fabrication : Jean-Marc Moreau Fabrication : Alex Monnet Coordinatrice numérique (Internet et iPad) : Sylvie Chayette, avec Aude Lasjaunias Directeur développement produits Le Monde Interactif : edouard Andrieu Publication iPad : Agence Square (conception), Marion Lavedeau et Charlotte Terrasse (réalisation). DiFFuSioN eT PRoMoTioN Directeur délégué marketing et commercial : Michel Sfeir Directeur des ventes France : Hervé Bonnaud Directrice des abonnements : Pascale Latour Directrice des ventes à l’interna­ tional : Marie-Dominique Renaud Abonnements : abojournalpapier @lemonde.fr ; de France, 32-89 (0,34 € TTC/min) ; de l’étranger (33) 1-76-26-32-89 Promotion et communication : Brigitte Billiard, Marianne Bredard, Marlène Godet, Anne Hartenstein Directeur des produits dérivés : Hervé Lavergne Responsable de la logistique : Philippe Basmaison Modification de service, réassorts pour marchands de journaux : Paris 0805-050-147, dépositaires banlieue-province : 0805-050-146 M PuBLiCiTÉ 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/38-91 Directrice générale : Corinne Mrejen Directrices déléguées : Michaëlle Goffaux, Tél. : 01-57-28-38-98 (michaëlle.goffaux @mpublicite.fr) et Valérie Lafont, Tél. : 01-57-28-39-21 (valerie.lafont@mpublicite.fr) Directeur délégué digital : David Licoys, Tél. : 01-53-38-90-88 (david.licoys@mpublicite.fr) M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA). imprimé en France : Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes. Dépôt légal à parution. iSSN 03952037 Commission paritaire 0712C81975. Distribution Presstalis. Routage France routage. Dans ce numéro, un encart « Relance abonnement » sur l’ensemble de la vente au numéro.

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contributeurs.

Julien Blanc-Gras est romancier et journaliste indépendant. Pour M, il s’est rendu chez Karin Viard, qui lui a servi du thé et lui a raconté sa vie (p. 33). Il dresse le portrait de cette actrice populaire, installée dans le paysage depuis bientôt vingt-cinq ans et à l’affiche de cinq films sur une seule année. « On a l’ impression que tout le monde l’aime car on se la représente facilement en voisine sympa. J’ai essayé de comprendre comment elle est devenue la star d’ à côté. » elisa MiGnot a 29 ans. Journaliste indépendante, collabore régulièrement au magazine Polka. Avec Guillaume Rivière, elle est partie sur les chemins de Charente à la rencontre de paysans en quête d’une agriculture plus saine (p. 40). « Quand même ceux qui ont perdu un fils ou un mari, victimes de l’usage des pesticides, continuent de les utiliser, on comprend, passé l’étonnement, le cercle vicieux dans lequel vivent les agriculteurs depuis cinquante ans. » alexandre GuirkinGer, photographe, a passé deux ans à organiser des productions chez Magnum Photos avant de passer professionnel en 2006. Il signe les portraits de Thierry Frémaux (p. 51). Son travail est publié régulièrement dans Wallpaper, Elle UK, Les Inrockuptibles et le magazine du Wall Street Journal. 12 -

Le photographe francosuisse olivier MetzGer, 40 ans, a réalisé les images de l’article sur la police scientifique (p. 44). « En immersion dans ces lieux bien gardés, j’ai employé une lumière très directe de façon très protocolaire, à la manière des constatations policières de terrain », explique-t-il. Diplômé de l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles, il fut, entre autres, lauréat du festival Voies off des Rencontres d’Arles et a obtenu le prix spécial BMW du Septembre de la photographie. Le photographe italien lorenzo vitturi vit et travaille entre Milan, Londres et Venise, après avoir passé deux ans chez Fabrica, le studio créatif de Benetton installé près de Trévise. Il a réalisé les photographies sur les marchés de Lyon (p. 82), Paris et Marseille. « Une immersion dans la riche culture française du goût. Le jour, sur les marchés, je collectais et shootais des matières premières. Le soir, dans ma chambre d’ hôtel transformée en studio photo, je reconstituais et sculptais tous les matériaux trouvés. » 22 février 2014

Fred Kihn. Adrien Mingues. Emilie Luc-Duc. Pierre Augro. Olivier Metzger. James Pfaff

Ils ont participé à ce numéro.

correspondant du Monde à Lyon, reporter au Progrès, richard schittly a souvent traité les faits divers, la chronique judiciaire et le banditisme lyonnais. Il en a tiré un ouvrage, L’Histoire vraie du gang des Lyonnais (Manufacture de livres, 2011). Il propose une visite des coulisses de la Police technique et scientifique à Ecully (p. 44). « C’est ici que sont gérés les grands fichiers centraux d’empreintes génétiques ou digitales. Désormais, on parle de “police scientifique de masse”, avec des recherches d’ indices à tous les étages de la délinquance.»


Le courrier.

Le M de la semaine.

« C’est en promenant mon regard dans les rues de Lyon que j’ai soudain pensé au “M” de la semaine. »

Sébastien Mathieu

Sébastien Mathieu

Pour nous écrire ou envoyer vos photographies de M (sans oublier de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m) : M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13, ou par mail : courrier-mlemagazine@lemonde.fr

Précisions. Dans l’article « Samia Ghali ne perd pas le Nord » (M Le magazine du Monde du 15 février), les 300 000 habitants sur lesquels la maire exerce une influence recouvrent la population des 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements, une zone communément appelée « quartiers Nord ». Une erreur s’est glissée dans la chronique de Marc Beaugé sur Pharrell Williams (M Le magazine du Monde du 8 février) : les élégants parisiens de l’époque du Directoire étaient bien sûr surnommés « les incroyables » et non pas « les intouchables ». 13


J’y étais… à une séance de dédicace dans un bar-tabac.

Par Guillemette Faure

C

harlotte avec deux t ? »

Derrière sa petite table, Thomas Legrand dédicace son dernier livre. Quelques jours plus tôt, il a déjà signé une quarantaine de livres d’un « cordiallement » avec deux l. Son orthographe de dyslexique ne l’a pas empêché de faire une très belle carrière à la radio. Pas très loin, Laure Watrin, sa femme et coauteure de La République bobo, un livre qui prend le parti de défendre le bobo, devenu punching-ball. Quelqu’un demande une dédicace « pour un ami », pas étonnant puisque le bobo c’est l’autre. Ce soir, on peut observer le bobo dans son habitat naturel, car les auteurs ont invité leurs voisins et amis – dont je suis – à fêter la sortie de leur livre près de chez eux, au Doremi, bar-tabac du Pré-Saint-Gervais. « Tout est libanais », fait savoir la patronne du café à nappes rouge et blanc et maquettes de trois-mâts sur les étagères. Arrivent quelques SMS désolés de ceux qui se sont découvert un surcroît de travail en réalisant que Le Pré-Saint-Gervais est de l’autre côté du périph’.

« Il y a des morceaux de vous dans ces pages », dit une « J’ai fait le test, je n’ai que huit points », s’exclame une dédicace. Non, pas moi, je ne suis pas bobo, je re- femme à propos du quizz de la fin de l’ouvrage, qui garde les films en VF… Si, quand même. Je me suis propose de déterminer son degré de « boboïtude ». fait attraper au lasso dans ces pages. (Aller à une fête « Finalement le bobo serait une sorte de chrétien afde sortie de livre d’un éditorialiste de France Inter franchi », tente un quadra. Même après 269 pages, dans un bar-tabac du 93, c’est de toute façon un co- l’espèce reste impossible à définir. Ni même à plaming out de bobo.) Les amis présents forment la cer. Le bobo est partout, même à un jet de pierre de matière du livre, comme si des entomologistes l’Elysée, depuis qu’on sait que Julie Gayet fait ses avaient invité les insectes à fêter leur soutenance de courses dans un magasin bio et écoute Radio Nova. thèse avec eux. Egalement présents, des gens qui se Le bar-tabac est maintenant bondé. La patronne connaissent par les crèches parentales, la militante remplit les verres de vin. Un jeune PS décrit la comqui porte un badge à la gloire de la maire écolo d’une position d’une liste locale au chroniqueur politique banlieue voisine, une poignée de journalistes, de de France Inter et, croyant lui faire plaisir, promet créateurs et d’intermittents du spectacle, dont l’ins- « y aura plein de bobos ». « Pas que, sinon ce sera la fin tallation dans cette banlieue nord-est de Paris té- des bobos », lui répond Thomas Legrand. moigne autant de la précarisation de ces métiers que de la gentrification du PréSaint-Gervais… Des bébés, un peu moins de chiens, des Les amis présents forment la matière poussettes. « Faut revenir le samedi à l’heure du marché », du livre, comme si des entomologistes dit une voix. Le bobo aime avaient invité les insectes à fêter être de quelque part. a la sortie d’une émission

leur soutenance de thèse avec eux.

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Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

le philosophe Alain Finkielkraut a sursauté en apprenant que Thomas Legrand vivait au Pré-Saint-Gervais : « Mais vous n’y mettez pas vos enfants à l’école ? » (Si.) Là, l’auteur signe un livre « pour la précurseuse ». Il est dédié à Jacqueline Jacobson, la créatrice de Dorothée Bis, dont la fille, cheveux gris et lunettes en cœur, tient une petite boutique à bout de bras dans cette même commune. Un quadra à lunettes en écaille demande s’il y a du jus de pomme (y en n’a pas). Des enfants vont chercher à manger chez eux. Le bobo s’intègre, mais il amène un peu de lui. Quelqu’un propose de compter les barbus. Celui qui porte une cravate et une veste, c’est le maire du Pré-Saint-Gervais, qui s’intéresse probablement autant au contenu du livre, une bobologie qui redessine la plus petite commune de SeineSaint-Denis, qu’à la notoriété de ses auteurs.

de France inter,

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La Semaine / Il fallait oser / Face à face / Le roman-photo / Le buzz du Net / Ils font ça comme ça ! / / Les questions subsidiaires / J’y étais /

Melanie FREY/Reservoir Photo

On ne badine plus avec l’humour. L’interdiction d’un spectacle de Dieudonné, un dérapage de Bedos, un sketch douteux de Canteloup… Plusieurs associations dénoncent la montée d’un « humour discriminatoire ». Le CSA est régulièrement saisi. Peut-il poser des limites ? Par Stéphanie Marteau

En 2013, une plainte au CSA vise « Les Guignols de l’info », sur Canal+, dont certains propos encourageraient « des comportements discriminatoires à l’encontre des Roumains ». Le CSA ne donnera pas suite.

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la semaine.

suffirait donc plus. Voici que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) se voit sommé de trancher le plus vieux débat du monde : peut-on rire de tout ? Après l’interdiction, début janvier, par le Conseil d’Etat du spectacle de Dieudonné Le Mur, la question est devenue épidermique. Le président du CSA Olivier Schrameck, ex-directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, ne cache pas qu’il souhaite poser des limites à la dérision. Selon certains de ses interlocuteurs, il serait même décidé à tenir les humoristes à l’œil… Du coup, les associations engagées contre « l’humour discriminatoire » ont le vent en poupe. « On n’est pas couché», émission de Laurent Ruquier sur France 2, « Salut les Terriens » de Thierry Ardisson sur Canal+, « Après le 20 h, c’est Canteloup » sur TF1, « On n’demande qu’à en rire » de Ruquier encore, jusqu’aux « Guignols de l’info » sur Canal+… Tous – et quelques autres – ont fait l’objet d’un signalement au CSA en 2013. Et ce dernier a de nouveau été saisi le 6 février par le CRAn (Conseil représentatif des associations noires), à la suite d’un sketch de nicolas Canteloup à propos du génocide rwandais diffusé sur Europe 1. « On attend une mise en demeure dans les semaines qui viennent », assurait le fondateur du CRAn Louis-Georges Tin à la sortie de son rendez-vous avec Olivier Schrameck, le 14 février. Selon lui, « Canteloup est en état de récidive après que Canal+ a reçu, sur le même sujet, une mise en demeure du CSA le 29 janvier ».

Le président du CSA, Olivier Schrameck, souhaite surveiller plus étroitement les provocations des humoristes.

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Dans « On n’est pas couché », sur France 2, le 11 janvier, barbe et moustache postiches à l’appui, le chroniqueur Nicolas Bedos dit tout le mal qu’il pense de Dieudonné. Saisi, le CSA n’a donné aucun avis.

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Citizenside/AFP. Capture d’écran YouTube/France 2

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a loi Gayssot contre le racisme et le néGationnisme ne

Face à ce qu’ils estiment être « un climat de censure », les pros de l’humour s’alarment, s’inquiétant de voir « le rire pris en otage »… Des craintes justifiées ? Pas sûr. Car les sages assurent que les plaintes visant des humoristes ne sont pas plus nombreuses. En 2013 et pour le début de l’année 2014, le groupe de travail Déontologie, qui aborde la question du « droit à l’humour » au sein du CSA, n’est intervenu qu’à deux reprises : en 2013, concernant des attaques contre Elie Semoun au « Grand Journal » de Canal+, et en janvier, après un sketch polémique sur le génocide rwandais dans l’émission « Le débarquement », sur Canal+ également. Saisi pour cinq autres cas, le Conseil n’est pas intervenu. Il n’empêche, selon Louis-Georges Tin, « ces attaques contre les pseudo-humoristes sont le signe d’un progrès démocratique ; tant pis pour ceux qui regrettent le bon vieux temps où l’on pouvait taper sur les Noirs, les Arabes, les homos ». Une « avancée démocratique » que conteste natacha Polony, chroniqueuse à « On n’est pas couché » et sur Europe 1. La journaliste, qui dénonce une « compétition victimaire », revendique son « droit à rire de tout ». Elle cite l’exemple de nicolas Bedos, tour à tour « assigné » en 2010, par le CSA, pour antisémitisme suite aux plaintes du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BnVCA), après un sketch dans l’émission « Semaine critique » de Franz-Olivier Giesbert sur France 2 ; puis pour avoir attaqué Dieudonné le 11 janvier dernier dans « On n’est pas couché ». Même si la chaîne a simplement été rappelée à l’ordre au sujet du sketch de 2010, natacha Polony s’offusque d’« une logique malsaine » qui plomberait le débat politique… Une loGiqUe qUi poUrrait s’étendre à toUs les propos jugés « discriminatoires » ou « insultants » entendus lors des nombreux talk shows et débats de tout poil qui fleurissent sur le petit écran. En témoigne la plainte de deux membres du conseil national du PS, proches d’Harlem Désir, qui viennent de saisir le CSA à la suite des propos d’Alain Finkielkraut évoquant les « Français de souche » dans l’émission « Des paroles et des actes » sur France 2, le 6 février. Des termes qui, selon les plaignants, sont « directement empruntés au vocabulaire de l’extrême droite ». En attendant la décision du CSA sur le cas Canteloup, le CRAn a suggéré à Olivier Schrameck de « faire signer aux chaînes une clause de responsabilité ». Il s’agirait de contraindre les humoristes qui évoquent dans un sketch un crime contre l’humanité à le faire valider par leur responsable éditorial avant de le diffuser à l’antenne. « La censure comme réponse à l’indécence… », soupire un sage…


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La semaine.

“Les Etats-Unis ont fait de la fracturation hydraulique [très] polluante. Aujourd’hui (…), c’est le seul pays qui a diminué ses gaz à effet de serre.” Maud Fontenoy, navigatrice, le 13 février sur France Inter.

La navigatrice Maud Fontenoy a de nouveau créé des remous en prenant la défense du gaz de schiste. dans un entretien au Parisien, celle qui fut candidate sur la liste uMP de JeanFrançois copé aux régionales de 2004 a une nouvelle fois appelé à rouvrir le débat en France en faveur de la recherche et de l’exploration de ces hydrocarbures non conventionnels. Pour plaider cette cause, elle assure que les etats-unis – seul pays au monde à produire du gaz de schiste à une large échelle commerciale – ont réussi à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. La vérification. La navigatrice, qui a traversé l’Atlantique à la rame, a raison sur un point : aux etats-unis, les émissions de dioxyde de carbone (co2) dues aux énergies fossiles sont effectivement passées de 5 646 millions de tonnes en 2002 à 5 118 millions de tonnes en 2012 (soit une baisse de 9 %), selon les chiffres du Global carbon Project. Mais le co2 n’est pas le seul gaz à effet de serre : si le gaz de schiste émet trois à quatre fois moins de co2 que le charbon, qu’il tend à remplacer aux etats-unis, il rejette par contre beaucoup plus de méthane. et ce gaz à effet de serre-là a un potentiel de réchauffement trente-quatre fois supéL’affirmation.

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rieur à celui du co2. Le sujet des fuites de méthane au-dessus des puits de gaz de schiste américains fait débat parmi les scientifiques. La dernière étude en date, publiée le 25 novembre dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, indique que les etatsunis produisent 50 à 70 % de méthane en plus que l’Agence de protection de l’environnement américaine l’estimait. et la plus grande part de cet écart provient de toutes les activités pétrolières et gazières. reste à voir si, avec des calculs rectifiés, les etats-unis enregistrent toujours une baisse de leurs émissions. Maud Fontenoy omet en outre de préciser que l’union européenne, qui ne produit pourtant pas de gaz de schiste à une échelle commerciale, a également vu ses émissions de co2 baisser sur la même période, passant de 3 965 millions de tonnes en 2002 à 3 543 millions en 2012. enfin, l’argument selon lequel « le gaz de schiste permettrait de diminuer le coût de l’énergie » est plus qu’incertain. La concLusion. Publiée la veille de l’intervention de la navigatrice, une étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) estime que le gaz de schiste ne changera pas la donne énergétique en europe, où subsiste une incertitude sur l’ampleur des réserves potentielles. Son exploitation ne devrait pas non plus permettre de réduire la dépendance du continent aux importations de gaz et de pétrole. Audrey Garric Retrouvez les auteurs du « Décodeur » sur decodeurs. blog.lemonde.fr, un blog réalisé par le service politique du Monde, avec la collaboration des internautes. Il passe au crible les déclarations des personnages publics pour démêler le vrai du faux.

Il fallait oser Pretium doloris.

Par Jean-Michel Normand L’affaire s’annonçait difficile à plaider. D’ailleurs, à sa seule évocation, les gens de robe du tribunal d’orléans étaient pliés de rire. Pourtant, cinq fans éplorés de michael Jackson ont obtenu satisfaction et recevront 1 euro symbolique. Et pour quelle raison, direz-vous ? « Préjudice d’affection ». rien que ça. En revanche, vingt-neuf autres groupies n’ont pas vu leur immense douleur reconnue par la justice des hommes. Epaulés par la puissante section de montargis de l’association michael Jackson community, qui se charge de perpétuer le souvenir de « Wacko Jacko », disparu en 2009, les plaignants ont produit des certificats médicaux à la pelle, des ordonnances longues comme le bras, et certains de leurs proches ont témoigné à quel point la disparition de « Bambi » les avait mis dans un sale état. Le verdict des juges d’orléans est tombé : conrad murray, le médecin du chanteur, dont les quatre ans de prison pour homicide involontaire ont été confirmés en janvier par la justice de californie, devra leur verser 1 euro, ou plutôt 1,37 dollar. cette peine, certes métaphorique (quoique, si tout le monde s’y met, cela va finir par lui faire cher l’euro symbolique, au docteur murray), ouvre des perspectives vertigineuses. considérant cette interprétation particulièrement extensive du pretium doloris appliqué aux fans, on aurait pu aller en justice contre l’assassin de John Lennon, sans parler des pharmaciens d’Elvis Presley et de marilyn monroe, ou du dealer de Philip seymour Hoffman, disparu le 2 février. Les fans de Johnny Hallyday pourraient aussi se retourner contre son ancien médecin, à cause duquel ils ont passé des nuits blanches et se sont rongé les ongles. Dans ces conditions et puisqu’il s’agit de « préjudice d’affection », on conseille à ceux qui nous ont cruellement déçus – skieurs français promis à la médaille et qui ont terminé dans les choux, hommes politiques qu’on a défendus mordicus et qui, aujourd’hui, nous en font voir de toutes les couleurs – de se choisir un bon avocat. notre douleur ne restera plus muette. 22 février 2014

Gonzalo Fuentes/Reuters. Cecilia Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

Le décodeur


© Laurence de Terline

Quand Recyclage rime avec Partage, les enfants sont les maîtres ! Pour bien étudier, il faut aussi de la lumière ! Félicitations aux 1000 classes qui relèvent le Défi Recy-Lum. Un projet de recyclage solidaire mené par Récylum, en partenariat avec l’ONG Électriciens sans frontières pour éclairer, grâce à l’effort de tous, les écoles de 4 villages au bout du monde. Les enfants comptent sur vous ! Recyclez vos lampes usagées pour éclairer leurs savoirs. www.malampe.org


la semaine.

L’impensable se produit à Marseille : on achète des maillots du PSG, le rival de toujours. Ici, rencontre au stade vélodrome le 6 octobre 2013.

ment que toute France du football attendait, cristallisant l’antagonisme entre Paris et une province qui avait fait de Marseille son champion. Alors que le PsG se concentre sur ses Ambitions euroPéennes, la

FOOTBALL

colère gronde à Marseille. Lassés par le manque d’ambition et de moyens de leurs dirigeants, les spectateurs délaissent un Stade Vélodrome en travaux, qui ne résonne plus de la même ferveur. « Il y a ici une sorte de rasle-bol généralisé, témoigne Benoît Martelloni, 33 ans, qui fréquente l’enceinte depuis 1989. Les gens se préoccupent moins du clasico que de l’avenir du club. » Cette perte de saveur résulte également des évolutions qu’ont connues les tribunes, avec les mesures prises en 2010 par le président du PSG de l’époque, Robin Leproux. « Son plan de sécurité a engendré la disparition des associations de supporteurs au Parc des Princes, éléments moteurs de l’ambiance et de la rivalité, analyse Nicolas Hourcade, sociologue à l’Ecole centrale de Lyon, spécialiste des supporteurs. Les groupes marseillais ne trouvent plus en face le même répondant en termes d’animation dans le stade. » L’enseignant note aussi un effet de contraste grandissant entre des supporteurs marseillais à la sociologie plutôt « populaire » et un public parisien davantage tourné vers la « consommation » d’un spectacle. « Un peu à la manière des franchises de NBA », compare Nicolas Hourcade. Une perte de folklore qui est pour certains le prix à payer pour garantir une atmosphère plus apaisée et faciliter la venue d’un public plus familial au Parc des Princes. Le « foot-business » à la parisienne aurait même fini par contaminer la Canebière, comme le confirme la responsable de l’une des principales enseignes de sport de la ville. « Les mentalités changent ; le maillot du PSG se vend ici de mieux en mieux », témoigne-t-elle, se remémorant une époque pas si lointaine où exposer les couleurs parisiennes était impensable. Reste que se balader dans les rues de Marseille affublé d’une tunique rouge et bleu relève encore du sacrilège. Sur le Vieux-Port, l’hostilité envers le club de la capitale a peut-être faibli mais elle reste tout de même vivace. Franck Berteau

OM-PSG, rivaux mais plus trop.

e 14 février, alors que le Paris-Saint-Germain recevait Valenciennes, le Parc des Princes songeait déjà à son hôte du 2 mars : l’Olympique de Marseille. Comme lors de chaque rencontre à domicile qui précède un « clasico », des chants d’insultes s’élevaient des tribunes, brocardant la cité phocéenne. Les apparences, pourtant, sont trompeuses. Car, ces dernières saisons, la rivalité historique entre les deux clubs semble avoir perdu en intensité. Dans les rues, les affrontements entre supporteurs ont disparu. Sur le terrain et en dehors, les habituelles provocations qui accompagnaient les confrontations OM-PSG se font rares. Leader au classement avec cinq points d’avance sur la richissime AS Monaco du milliardaire russe Dmitri Rybolovlev, le club de la capitale version qatari s’est trouvé un nouveau challenger. De leur côté, les Marseillais enchaînent des performances inégales, souvent décevantes. « En 2013, l’OM réalise 104 millions de chiffre d’affaires, contre 398 millions pour son rival… », rappelle Geoffroy Garrétier, consultant pour Canal+. Bref, les deux clubs ne boxent plus dans la même catégorie. Elles sont loin, les années 1990, lorsque Bernard Tapie, président de l’OM, et Canal+, actionnaire majoritaire du PSG, s’accordaient pour faire de leurs confrontations un événe-

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22 février 2014

Anthony Bibard/FEP/Panoramic

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Le 2 mars, le club parisien recevra son meilleur ennemi au Parc des Princes. Si l’ambiance devrait être chaude, ce “clasico” a aujourd’hui perdu de son intensité. La faute, notamment, aux performances décevantes de l’équipe phocéenne.


Le roman-photo des ripoux.

La mise en examen pour corruption et abus de biens sociaux du commissaire Jean-Yves Adam, le 7 février, à Paris, rappelle que la frontière entre flics et voyous demeure parfois poreuse…

3 octobre 2011. Trafic à Lyon

IP3 PRESS/Max PPP. Philippe Desmazes/AFP. Kenzo Tribouillard/AFP. Ludovic/REA. Federico Pestellini/Panoramic

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Soupçonné de trafic d’influence et de stupéfiants, le numéro deux de la PJ et figure de la police lyonnaise, Michel Neyret, est mis en examen. Révoqué de l’administration en 2012, on lui reproche une dangereuse proximité avec la pègre locale, dont il aurait accepté de luxueux cadeaux.

2.

11 septembre 2012. Gueuletons à Vénissieux

Sept policiers, en majorité des gardiens de la paix, sont arrêtés dans le cadre d’une affaire de corruption. L’enquête rapporte des échanges de bons procédés entre une famille de Vénissieux, près de Lyon, connue pour ses activités délinquantes, et les policiers, qui auraient bénéficié de prêts de véhicules ou de repas au restaurant.

3. 5 octobre 2012. Extorsion à Marseille

Douze policiers de la BAC (brigade anti-criminalité) Nord de Marseille sont poursuivis pour « vols et extorsions en bande organisée, infraction à la législation sur les stupéfiants ». Ils auraient en effet pris l’habitude de racketter les dealers. La brigade sera dissoute dans la foulée par Manuel Valls.

16 mai 2013. Copinage à Créteil

4. 7 février 2014. Corruption à Paris

A 61 ans, Jean-Yves Adam, ex-patron de la police de l’Ouest parisien (de 2005 à 2013), est mis en examen pour « corruption, violation du secret professionnel, banqueroute et abus de biens sociaux ». Amateur de sport automobile, il vivait « au-dessus de ses moyens » selon les enquêteurs et aurait rendu divers services à des restaurateurs en échange de caisses de vin. Franck Berteau

L’ex-patron de la Brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP), Patrick Moigne, est condamné à deux ans de prison ferme pour avoir monnayé la consultation de fichiers de la police. Il reconnaît avoir rendu service « par amitié, par copinage, par camaraderie ».

5.

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Instigateur de la votation du 9 février contre “l’immigration de masse”, ce milliardaire suisse a fait fortune dans la chimie avant de se lancer en politique. Self-made milliardaire Né en 1940 près de Zurich, en Suisse alémanique, ce fils de pasteur est originaire d’un milieu modeste. Il est embauché comme juriste en 1968 par l’entreprise chimique EMS-Chemie, qu’il rachète, au bord de la faillite, en 1983, après avoir vendu tous ses biens. Il est aujourd’hui milliardaire en francs suisses. Agent provocateur Cet homme râblé, à l’œil pétillant et au verbe haut, adore briser les codes très policés du système politique suisse fondé sur la collégialité. Ses adversaires, qui l’ont admis en 2003 dans le Conseil fédéral (gouvernement) en espérant l’assagir, ont fini par l’en exclure quatre ans plus tard.

Helvète intégriste Tout ce qui n’est pas suisse lui est suspect. En 1992, il met en échec la votation sur l’adhésion de la Confédération à l’Espace économique européen, puis fait voter en 2009 l’interdiction de la construction de minarets. « Nous avons gardé notre indépendance », s’est-il félicité au soir du référendum contre « l’immigration de masse ». Populiste biblique Prenant ses distances avec l’extrême droite française ou autrichienne, il se définit comme « patriote, conservateur, libéral » et ne fait pas mystère de sa foi. « Il n’a rien d’un vulgaire fasciste ; c’est un homme intelligent et sympathique, qui voit le monde tel que la Bible l’a décrit », dit de lui l’altermondialiste suisse Jean Ziegler. Collectionneur pompier Sa luxueuse maison du lac de Zurich abrite une imposante collection d’art empreinte d’un réalisme pompier, très à la mode parmi les artistes helvétiques du milieu du xixe siècle, lors de la construction de la Suisse comme Etat-nation. Il possède également plusieurs toiles du peintre-sculpteur Giacometti.

Jean-Michel Normand

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Fabrice Coffrini/AFP

Qui est vraiment Christoph Blocher ?


la semaine.

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Ils font ça comme ça!

a rivalité entre Madrid et Barcelone ne connaît

Surtout pas celle de la mégalomanie. Officiellement annoncé mi-décembre par le magnat américain Sheldon Adelson – qui préfère désormais chercher des « opportunités en Asie » – l’abandon du faramineux et ô combien controversé projet de casino géant EuroVegas près de Madrid a eu un effet immédiat. Celui de redonner des ailes à son rival Barcelona World (BCNWorld), un complexe similaire à peu près aussi délirant, qui serait construit à une heure au sud de Barcelone. En dépit des critiques qui lui sont adressées, le Parlement de Catalogne a désigné une commission qui planche sur les modifications légales pouvant permettre d’attirer ce complexe de casinos qui prévoit de s’implanter sur la Costa Dorada, non loin de Tarragone. Pour séduire les investisseurs, la région de Madrid n’avait pas lésiné sur les concessions : baisse de l’impôt sur les jeux de 55 % à 10 %, exemptions de taxes, facilités d’embauche de salariés étrangers. En vain. Sheldon Adelson, qui avait aussi exigé l’autorisation de fumer dans les casinos, a finalement tourné les talons. La baisse du tourisme à Madrid et l’échec de sa troisième candidature au Jeux olympiques ont peut-être achevé de dissuader l’homme d’affaires américain qui avait fait miroiter l’installation de douze hôtels et six casinos. Au grand soulagement des écologistes et associations madrilènes qui craignaient de voir débarquer des mafias et critiquaient une croissance économique fondée sur des emplois très peu qualifiés. aucune liMite.

Pas de quoi doucher Pour autant l’enthousiasMe des autorités

de Barcelone qui, débarrassées de la concurrence madrilène, comptent aller au bout de leur démarche. Le paradis du jeu catalan devrait accueillir six casinos sur une surface totale de 800 hectares. BCNWorld annonce 4,7 milliards d’euros d’investissement, 20 000 emplois directs, dix millions de touristes par an, 12 000 lits d’hôtel, des restaurants et des zones de shopping. Objectif : devenir « le plus grand centre de loisirs d’Europe », après avoir reçu « l’un des plus grands investissements au monde ». Barcelone mise sur la caisse d’épargne Caixa Catalunya, associée à Enrique Bañuelos, promoteur valencien et actionnaire principal du groupe Veremonte. Devenu millionnaire à la tête de la compagnie immobilière Astroc durant la bulle immobilière, mais ruiné en 2007, il a refait fortune au Brésil. Les griefs formulés contre le projet catalan sont identiques à ceux faits à EuroVegas. Les opposants dénoncent le manque de transparence d’un projet jugé potentiellement risqué dans une zone de la Costa Dorada vouée au tourisme familial et

durable. « Construire des casinos de style Las Vegas génère des impacts sociaux très élevés », prévient Joan Pons, consultant environnemental et porte-parole de la plateforme Aturem BCNWorld (« Arrêtons BCNWorld »). « Actuellement, les groupes politiques sont en train de débattre sur le changement de la loi urbanistique de la zone alors qu’il n’y a aucun projet technique réel ; BCN World, c’est la porte ouverte au retour de la spéculation immobilière », s’indigne Antonio Russo, professeur de géographie spécialisé en tourisme urbain à l’université Rovira i Virgili (URV) de Tarragone. Les promoteurs du projet ont annoncé la couleur : obtenir de Barcelone ce qu’Adelson avait gagné à Madrid, en particulier la baisse des impôts sur le jeu. Sinon, a menacé le directeur général de Veremonte et président de BCNWorld, Xavier Adserà, « un projet comme celuici ira ailleurs ». A Madrid par exemple ? Sandrine Morel

EspagnE

La Catalogne veut son jackpot.

après l’abandon d’un gigantesque “paradis du jeu” près de Madrid, c’est au tour de sa rivale Barcelone de dégainer son projet. Les opposants se mobilisent.

Josef Lago/AFP.

A Madrid, comme à Barcelone, les deux projets de supercasino ont soulevé de vives critiques. Une manifestante, le 25 juin 2012, à Madrid. 22 février 2014

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ils font ça comme ça! davantage de Japonais et d’Américains – pour la Saint-Valentin, afin de fêter l’obtention d’un diplôme ou encore à l’occasion de… la Journée de la femme. Les interventions les plus courantes concernent les paupières, le nez, les tempes ou la mâchoire. On ne s’étonnera pas du fait que c’est à Shanghaï que, du 26 au 27 mars 2014, se tiendra le Salon international pour la promotion du tourisme médical. « L’élévation du niveau de vie d’une partie de la population chinoise, mais aussi la standardisation des critères internationaux d’esthétique créent une demande grandissante », souligne Virginie Chasles, maître de conférences en géographie à l’université Lyon-III. Des agences de voyages offrant des « packs » pour la Corée du Sud fleurissent aux quatre coins de la Chine. « Parmi nos clients figurent des personnes qui veulent masquer leur âge, notamment celles qui occupent un poste à responsabilité, ou des gens complexés qui veulent changer leur aspect physique », raconte Michael Larson, directeur de l’agence de voyages coréenne Seoulution, qui a ouvert en 2013.

Bistourisme en Corée du Sud.

De plus en plus de Chinois séjournent dans des cliniques esthétiques à Séoul. Un effet de l’amélioration du niveau de vie et de la standardisation de la beauté.

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n billeT D’AVion, une

trousse de toilette et quelques accessoires. Le contenu des bagages de Feng, 24 ans, est celui d’une touriste ordinaire, mais le voyage que cette jeune fille s’apprête à effectuer vers Séoul n’est pas tout à fait banal. Elle reviendra avec un visage tout neuf. « Je pars en Corée du Sud par le biais d’une agence de voyages qui organise mon séjour à l’hôpital. J’ai un peu peur, mais j’ai hâte », dit-elle. Selon la télévision chinoise CCTV, le nombre de Chinois s’étant rendus en Corée du Sud pour y subir une intervention de chirurgie esthétique a augmenté de 40 % de 2010 à 2012. Un phénomène qui serait dû notamment au succès des séries télévisées et des groupes de K-pop (pop coréenne) qui ont rendu populaire une certaine forme de beauté à la coréenne. Contre l’équivalent d’environ 4500 euros, ces touristes bénéficient de facilités de visa et d’un séjour hospitalier 5 étoiles. Les riches Chinois ont pris l’habitude de s’offrir le voyage vers la Corée – dont les chirurgiens esthétiques attirent encore

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De leUr CôTé, les AUToriTés Chinoises PeinenT à réAGir.

Dans le pays, les hôpitaux n’ont le droit d’utiliser que 10 % de leurs ressources pour les services esthétiques et les coûts restent élevés. Mais, alors que l’ambassade de Chine en Corée du Sud a lancé en juillet 2013 une campagne de sensibilisation aux risques encourus lors des opérations de chirurgie esthétique dans le cadre de la « mobilité touristique », quelques établissements se sont créés pour tenter de capter une partie des touristes en partance pour Séoul. Quitte à faire preuve d’imagination. Ainsi, à Chongqing, dans le sud-ouest, on peut s’offrir un « nez tour Eiffel » (voir M Le magazine du Monde n° 125). L’heureux propriétaire du nez à la plus belle courbe « tour-eiffélienne » se verra offrir un voyage touristique à Paris.

Sexe, mensonges et reportage télé.

D

ongguan (région du Guangdong, sud de la Chine) était devenu un lieu de perdition. Désormais surnommée « la ville du péché », cette localité est aujourd’hui montrée du doigt par les autorités... qui, curieusement, n’ont pris conscience du scandale qu’après la diffusion le 9 février d’un reportage de la chaîne de télévision publique CCTV. Comme il est d’usage dans ce genre de scandale, des têtes sont tombées. Celle du chef de la police, Yan Xiaokang, qui était également le vicemaire de Dongguan, dont « les manquements ont conduit à l’installation d’un commerce illégal du sexe ». Ainsi que celles de sept autres responsables locaux du Parti. Cette affaire a inspiré au ministère de la sécurité publique un appel à renforcer la lutte contre la prostitution et « l’adoption rapide de mesures sévères » dans tout le pays afin de « combattre résolument les organisateurs et opérateurs » impliqués dans des activités de prostitution. Une prise de conscience qui laisse sceptique jusqu’à l’agence de presse officielle. « Ce n’était un secret pour personne que Dongguan était, depuis des années, la capitale chinoise du sexe », a commenté Chine nouvelle. J.-M. N.

Alisée Pornet

22 février 2014

Seokyong Lee/The New York Times/Redux/Rea. Imagine China/AFP

Chine

Chine



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Ils font ça comme ça!

AllemAgne

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etit état-région de l’allemagne à l’histoire com-

plexe (elle fut un temps placée sous administration française), située aux confins du Luxembourg et de la Lorraine, la Sarre vient d’adopter une ambitieuse « Stratégie France ». Pour profiter des multiples échanges entre les deux pays et « être la porte de la France en Allemagne », la ministre-présidente Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU) s’est fixé un objectif : qu’en 2043 tous les Sarrois nés en 2013 – année marquant les 50 ans du traité de l’Elysée – soient bilingues. Personnage atypique dans le monde politique allemand, cette élue âgée de 51 ans qui incarne l’aile sociale des chrétiens-démocrates allemands entend faire du français une langue véhiculaire au même titre que l’allemand, y compris dans l’administration. Par ailleurs, des Français pourront occuper des emplois dans les collectivités territoriales. Chaque petit Sarrois va recevoir dès sa naissance un CD bilingue et ses parents se verront expliquer tout l’intérêt qu’il y a à l’élever en deux langues. Progressivement, on parlera allemand et français dans les 460 jardins d’enfants du Land (c’est déjà le cas dans 180 d’entre eux) et les écoliers apprendront le français dès leur troisième année de scolarité, soit l’équivalent du CE2. « Il ne s’agit pas d’une alternative à l’anglais. Il faut aussi que les enfants parlent anglais, mais ils commenceront à apprendre le français en primaire », plaide Annegret Kramp-Karrenbauer lorsqu’il faut rassurer les parents. Car son programme a suscité un véritable débat en Allemagne. Faut-il privilégier le français pour des raisons politiques ou continuer de laisser l’anglais et l’espagnol se substituer peu à peu à la langue du voisin ? Une initiative semblable menée il y a quelques années dans le Bade-Wurtemberg a échoué car les parents voulaient que leur enfant apprenne d’abord l’anglais. Mais la situation de la Sarre est différente, estime la ministre-présidente. Près de 10 000 Français y habitent et, selon elle, l’avenir de la Région passe nécessairement par le renforcement des liens avec son voisin.

Dans la Sarre, le français ça sert.

Rendre tous les enfants bilingues d’ici à 2043, c’est le programme d’Annegret KrampKarrenbauer, ministre-présidente de Sarre, le land frontalier de la lorraine. Une mesure qui a déclenché un large débat outre-Rhin.

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Marko Priske/Laif-REA

à la tête du land depuis l’été 2011, annegret Kramp-Karrenbauer

n’est pas une femme politique tout à fait comme les autres. Longtemps sous-estimée par ses pairs, cette conservatrice, dont la base électorale « est formée d’ouvriers catholiques », explique son entourage, a d’abord gouverné avec le Parti libéral puis, à la suite d’élections anticipées, a convaincu en 2012 les sociaux-démocrates de faire alliance avec elle alors que ces derniers avaient la possibilité de former un gouvernement avec les écologistes. Lors du carnaval, madame la ministre-présidente fait chaque année un tabac auprès de ses électeurs en se déguisant en femme de ménage. « Ça fait du bien de rire de soi… et des autres une fois par an », explique-t-elle. Durant la dernière campagne électorale, elle a proposé de porter à 53 % le taux d’imposition des plus riches alors que le SPD et les Verts n’allaient pas au-delà de 49 %. « C’est une socialiste repeinte en noir [la couleur de la CDU] », s’est alors étranglé Rainer Brüderle, candidat libéral à la chancellerie. Annegret Kramp-Karrenbauer n’en a cure. En 2012, elle avait soutenu une proposition de la gauche visant à instaurer un quota légal de femmes parmi les dirigeants d’entreprise, contre l’avis d’Angela Merkel. Frédéric Lemaître



La semaine.

Marc Beaugé rhabille… Pierre Gattaz.

S

i L’ATTEnTion MéDiATiquE sE FoCALisA

sur François Hollande et Barack Obama, la récente visite de l’état-major français à Washington permit aussi d’observer les pas de danse d’un petit homme vraisemblablement à la recherche de notoriété. A l’ombre des géants, le dénommé Pierre Gattaz, patron du Medef, ne recula devant rien pour attirer l’attention. Ni à contester le « pacte de responsabilité », ni même à se parer, l’espace d’une soirée, d’un smoking de gala. Plus que le choix du smoking en lui-même (celui-ci était composé d’un pantalon gansé et d’une veste un bouton à col châle visiblement taillé dans une toile de crêpe, soit rien de particulièrement scandaleux), c’est bien l’allure du patron des patrons qui retint l’attention. Concrètement, celui-ci apparut engoncé, fourbu, et aussi à l’aise dans son smoking qu’il l’aurait été dans une chasuble orange ornée d’autocollants Force ouvrière, un mégaphone à la main. Autant dire que Pierre Gattaz, le pantalon trop large et les manches trop longues, parut ce soir-là particulièrement mal à l’aise. Ainsi, à son insu, LE PATron Du MEDEF vinT souLiGnEr

soulignant une carrure sans grâce. De la même façon, le rapprochement avec Mr Burns, patron de la centrale nucléaire de Springfield dans le dessin animé « Les Simpsons », a vite semblé légitime. Au point même que l’on se prit à imaginer un dessin animé où Pierre Gattaz rapprocherait lui aussi le bout de ses doigts, en regardant, l’œil sinistre, les écrans de contrôle d’une usine. Pourquoi pas l’usine d’équipements électroniques Radiall, dont il est le patron dans le civil ? Au pays de Donald Trump, milliardaire à mèche filasse et cravate satinée, ou de Bill Gates, entrepreneur nerd à l’épaule tombante, Pierre Gattaz ne fit donc rien pour remettre en question cette traditionnelle inélégance patronale, ni pour faire valoir une certaine idée du style à la française. Dans une logique d’exportation du savoir-faire tricolore, c’est évidemment dommage. Mais peut-on vraiment reprocher à un homme marchant dans les pas de Laurence Parisot de ne pas faire preuve d’un style irréprochable ?

Gad en prend pour son grade. La dernière sortie publicitaire de Gad Elmaleh agace les internautes. Depuis début février, l’humoriste joue les têtes d’affiche pour la banque LCL dans plusieurs spots d’une trentaine de secondes. « Je rêve d’une banque qui ne me prendrait pas que pour un numéro de compte », déclame-t-il dans un faux stand-up pas vraiment hilarant. Ce défaut d’effet comique n’a pas échappé à la Toile, qui ne laisse rien passer. « Nulle, surjouée et maladroite : une vraie catastrophe », qualifie @DavAndJo sur le réseau social Twitter, alors que @FlorentDeligia prédit aux spots publicitaires un avenir maussade : « Gad Elmaleh pour #LCL, ça va devenir la nouvelle pub Juvamine : tu la vois, tu zappes direct pour protéger ton cerveau. » Le comique Didier Porte donne le coup de grâce en ironisant sur l’exil à Monaco de la cinquième personnalité préférée des Français en 2013 : « Breaking news : Gad Elmaleh annonce qu’il va faire don de son cachet pour la pub LCL aux nécessiteux monégasques. Ouf ! » Franck

Berteau

AubertStorch

la subtile mais tangible différence entre élégance et allure. Car, si l’élégance est une question vestimentaire relevant du choix des bonnes coupes, des matières et des bonnes pièces, l’allure est une question de corps, de taille, de minceur et de façon de bouger. Concrètement, l’allure ne se travaille pas. Elle s’assume, se transmet souvent de père en fils, et se perpétue même, étonnamment, à l’intérieur d’une corporation, comme pour mieux encourager la caricature. Les images de Pierre Gattaz nous firent ainsi rapidement penser au personnage d’Aimé De Mesmaeker dans la bande dessinée Gaston Lagaffe, homme d’affaires incapable de signer le moindre contrat à cause des gags de Gaston, et systématiquement affublé d’un costume

Le buzz du Net

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Illustration Peter Arkle pour M Le magazine du Monde – 22 février 2014


On la dévore des yeux.

Philippe Wojazer/Reuters. Kim Hong-Ji/Reuters. Toru Hanai/Reuters. Rebecca Cook/Reuters. Morris MacMatzen/Reuters

La photo

La loi de l’attraction. François Hollande et Jean-Marc Ayrault – entourés des patrons Jean-Pierre Clamadieu (Solvay), Boris Sharov (Doctor Web), Ferdinando BeccalliFalco (General Electric Europe) et Dominic Barton (McKinsey) – se mettent en place pour la photo de famille qui ponctue la première réunion du « conseil stratégique de l’attractivité », le 17 février, à l’Elysée. « La France, elle n’a peur de rien », a lancé le président devant des chefs d’entreprise.

ça roule en famille.

L’entrée du groupe chinois Dongfeng et de l’Etat dans le capital de PSA entérine la perte de contrôle de la dynastie Peugeot. D’autres constructeurs familiaux sont, eux, parvenus à garder la main.

Toyota, le triomphe d’un clan

Numéro un mondial, le japonais bat tous les records : 10 millions de voitures produites en 2013 et un résultat attendu de 17,4 milliards d’euros. Détail : la rémunération du PDG Akio Toyoda (photo), petit-fils du fondateur, est cinq fois inférieure à celle de Carlos Ghosn (Renault-Nissan).

Ford, l’influence discrète

Le groupe a réussi un rétablissement spectaculaire mais revient de loin. En 2001, Bill Ford, (photo) arrière-petitfils d’Henry Ford, se fait nommer PDG avant de démissionner, en 2006. Depuis, la famille qui détient 5 % du capital mais 40 % des droits de vote se fait discrète.

Volkswagen, les enfants terribles

On peut être à la tête d’un groupe florissant et se déchirer en violentes querelles de famille entre la branche Porsche et la branche Piëch, menée par le patriarche Ferdinand (photo). Au terme d’une longue rivalité, ce sont les Piëch qui l’ont emporté. J.-M. N.

C’est la dernière tendance en Corée du Sud : regarder les gens manger en direct sur Internet. La star incontestée de ce nouveau hobby se surnomme « The Diva », de son vrai nom Park Seoyeon : silhouette de Barbie, regard de biche, chevelure rousse ruisselante et appétit d’ogre. Chaque jour, pendant plus de trois heures, la jeune femme s’assied devant son ordinateur, allume la caméra et ingurgite en direct des portions gargantuesques de nourriture. Ses milliers de fans lui envoient des messages sur une « live chat room » auxquels elle répond tout en dévorant ses victuailles dont elle prépare environ le tiers. Cela pourrait être répugnant, mais la sylphide au métabolisme de mammouth parvient à bâfrer sans jamais se départir de son charme. Résultat, ses fans (à 60 % des femmes) lui envoient tant de « bitcoins », monnaie qui s’échange en ligne anonymement et de gré à gré, qu’elle déclare aujourd’hui gagner l’équivalent de plus de 6 500 euros par mois. Dans un pays où vivre seul est de plus en plus fréquent et où la population est obnubilée par les régimes, son émission est perçue comme un antidote à la solitude et aux privations. Le voyeurisme gastronomique peut-il remplacer les plaisirs de la bonne chère ? Camille

Labro

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La semaine.

Les questions subsidiaires Doit-on sortir de table pour aller twitter ?

Consternation chez les stars de la grande cuisine :

de plus en plus de clients de restaurants étoilés photographient leur assiette sous toutes les coutures avant d’y planter le premier coup de fourchette. Interrogé par le Guardian, le chef Alexandre Gauthier se montre affligé. « Avant, dit-il, les clients s’immortalisaient en famille, avec la grand-mère, en souvenir. Désormais, ils shootent la nourriture, commentent sur Facebook et Twitter. Et le plat est froid. » Au point qu’il a décidé, prenant exemple sur des restaurateurs new-yorkais, de faire figurer un petit appareil photo barré sur sa carte. Stéphanie Marteau

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Le kitsch est-il une niche fiscale ?

Le choix des tenues que portait le groupe ABBA dans les années 1970 tenait moins de la faute de goût que d’une stratégie d’optimisation fiscale. Björn Ulvaeus, membre du quatuor suédois, révèle dans un livre qu’il s’agissait de profiter d’une loi permettant de déduire des impôts le coût des costumes de scène dès lors qu’ils étaient trop excentriques pour être portés au quotidien. « Personne n’a jamais été aussi mal habillé que nous sur scène », a confié le musicien au Guardian. Maintenant, on sait pourquoi. Jean-Michel Normand

22 février 2014


Ana Arevalo/AFP. Olle Lindeborg/Scanpix Sweden/AFP. Rue des Archives/BCA x2

Qui peut se passer de MAM ? Sa modestie

dût-elle en souffrir, Michèle Alliot-Marie a fait savoir le 17 février qu’elle avait été « sollicitée » pour conduire une liste pour les élections municipales « à Neuilly, à Montpellier, à Briançon, à Paris ». Des affirmations qui ont suscité un silence gêné à l’UMP et l’irritation de Nathalie KosciuskoMorizet, contraignant l’entourage de MAM – candidate, pour de vrai, aux élections européennes dans le grand Sud-Ouest – à faire machine arrière et préciser que cette éventualité avait été envisagée « bien évidemment, avant les primaires UMP » à Paris. MAM sera-t-elle aussi appelée au secours pour les élections municipales de Toronto, au Canada, en octobre ?

Y a-t-il un lézard en NouvelleZélande ? Convaincu que des lézards humanoïdes dominent le monde, Shane Warbrooke, citoyen d’Auckland (Nouvelle-Zélande), a formulé une demande officielle au gouvernement sous forme d’un OIA, « Official information act », sommant le premier ministre de prouver qu’il n’est pas un… « reptile alien ». John Key a été contraint de s’exécuter, comme la loi l’exige. « J’ai vu un médecin ainsi qu’un vétérinaire et tous deux ont confirmé que je ne suis pas un reptile », a déclaré le chef du gouvernement.

Les services secrets canadiens rejouentils “Homeland” ? Une agente

des services secrets canadiens, spécialisée dans l’antiterrorisme, vient d’être suspendue de ses fonctions pour avoir fait de son bien-aimé l’une de ses cibles. « Hey chéri ! […] Je t’aime et je m’ennuie de toi », a-t-elle notamment écrit par SMS à son amant, un homme d’affaires montréalais d’origine iranienne placé sous surveillance. Le message a déclenché une enquête interne, menant à l’éviction de l’espionne. Un scénario qui rappelle celui de la série américaine « Homeland », dans laquelle un membre de la CIA s’éprend d’un sergent de l’armée américaine suspecté d’avoir été « retourné » par l’ennemi. F. Be.

Franck Berteau

J.-M. N.

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Juste un mot Cash.

J

e veux les rendre ringards,

tous ces esprits étriqués, et tirer un coup d’avance, un coup cash, où tout est dit… » Ces fortes paroles sont extraites du courriel envoyé le vendredi 7 février par M. Ledoux à ses collègues actionnaires de Libération. Elles ont beaucoup choqué les salariés du journal. Elles ne leur étaient pas destinées, bien sûr, d’où le style… cash. Le vrai style qu’on emploie entre vrais boss. Pas question ici de pérorer sur la crise de Libé, en une énième analyse définitive sur ce qu’il faudrait faire, ce qui est ringard ou non. J’ai trop de respect pour ce journal où j’ai débuté. Et trop conscience de la complexité de la mutation des médias. La phrase citée plus haut illustre le formidable décalage du discours de l’entre-soi managérial avec celui de salariés (ici, journalistes) habitués à travailler avec des mots, d’autres mots. Le dialogue part sur de mauvaises bases. La vogue du libéralisme sauvage des années 1980 et la dureté des crises successives depuis lors ont fait ré-émerger une langue militaro-wallstreetienne toujours à la limite du cynisme et de la brutalité, alignant les affirmations, sans que jamais un doute ne soit affiché : le style cash, la langue cash.

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La langue cash est celle où l’on commence c’est l’essentiel ». « Me suis-je bien fait compar : « On ne va pas se mentir… » ou « On ne va prendre ? » Oui, chef ! pas se raconter d’histoires ». Comme si, d’habi- La langue cash ne s’embarrasse pas de gramtude, le mensonge et la fantaisie étaient de maire, préoccupation ringarde sans doute. Elle mise dans les réunions. Mais là, non ; on va se fonce, elle tranche, elle vise l’efficacité. Un de dire la vérité. « On ne va pas se mentir » annonce mes lecteurs, commentant une récente chrorarement une bonne nouvelle. « On ne va pas nique, me suggérait rudement « Relisez (ou lise mentir, vous méritez d’être augmenté »… Non, sez) Bourdieu, Ce que parler veut dire ou “Le ça ne colle pas. C’est plutôt « on ne va pas se fétichisme de la langue”… Ah ! le “bon” usage mentir, ça ne va pas du tout ». La langue cash est du français… », en critiquant « l’esthétisme » celle où l’on vous recrute en disant : « Je vous dont j’abuserais. J’ai relu Bourdieu (chic préviens, je cherche quelqu’un qui soit prêt à renver- d’écrire ça, non ?) et j’ai repéré dans Ce que parser la table » (mais pas la mienne, hein… pas de ler veut dire sa conception de la langue comme blagues). Un cliché politique typique de l’ère marché dans lequel les « échanges linguistiques Sarkozy (Mélenchon, Wauquiez ou même sont aussi des rapports de pouvoir symbolique où Bayrou utilisent aussi ces mots) passé à l’entreprise. Elle est ainsi la La langue cash est celle où l’on langue cash, elle « dit les choses ». « Il est temps de se commence par : “On ne va pas se mentir…” dire les choses » est une autre introduction cou- ou “On ne va pas se raconter d’histoires”. rante et peu amène. Comme si d’habitude le mensonge et la La langue cash doit se travestir un peu pour fantaisie étaient de mise dans les réunions. « communiquer en inMais là non, on va se dire la vérité. terne ». Car « en interne » on ne peut quand même pas tout se dire, l’interne est poreux à cause d’Internet. L’interne est le s’actualisent les rapports de force entre locuteurs ou royaume du « radio-moquette », donc mé- leurs groupes respectifs ». Cette histoire de style fiance. Rappelons en passant qu’interne est cash me semble assez bien coller avec son proun adjectif sauf quand il désigne un étudiant pos. Relisez donc Bourdieu ; après tout, c’était en médecine (ou en pharmacie ou bien un pour Libération le 19 octobre 1982 qu’il avait pensionnaire) et donc « qu’en interne » est donné à Didier Eribon une magnifique interview pour présenter Ce que parler veut dire. Très fautif (et moche)… la langue cash, enfin, a un gros avantage : elle beau texte, où il décortique entre autres le permet de réduire son vocabulaire à deux « vocabulaire de la domination ». Cash. cents mots à peu près pour le traduire plus aisément en anglais d’aéroport quand on travaille « à l’international ». Ah ! voilà un autre adjectif substantivé sauvagement : « à l’international » ! Un bel emploi fautif. Qu’importe, rétorquent les managers, « vous avez compris, 22 février 2014

M Le magazine du Monde

Par Didier Pourquery


Le Magazine / Portrait / Analyse / Reportage / Enquête / Portfolio /

Stylisme : Anna Schiffel. Maquillage : Alexandrine Piel @Franck Provost. Coiffure : Silvia Carissoli Veste noire Christian Dior

La régulière du cinéma français. 2014 serait-elle l’année Karin Viard ? Cinq fois à l’affiche, l’actrice semble plus incontestable que jamais. Sans se limiter aux comédies populaires ou aux films d’auteur, elle s’épanouit dans une multitudes de rôles. Et attire le public. Par Julien Blanc-Gras/ Photos Ward Ivan Rafik

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tilliez, en 1990, onze de ses films ont dépassé le million d’entrées. Lulu, femme nue, le dernier Solveig Anspach adapté d’une BD d’Etienne Davodeau, a déjà attiré 300 000 spectateurs, une prouesse pour ce type de film à petit budget. Si on ne monte pas des superproductions sur le nom de Karin Viard, sa présence permet à des projets du calibre de Lulu, femme nue d’exister. De fait, l’actrice occupe une place singulière dans le paysage cinématographique français. Pile au milieu. A la fois rentable et porteuse d’une exigence ous êtes enartistique, mais loin des extrémités qui core pas si mal pour votre âge. » Dans divisent – on ne la voit ni dans les coWeek-ends, le nouveau film d’Anne Vil- médies très grand public d’un Fabien lacèque (en salles mercredi prochain), Onteniente ni chez le précieux Chrisle personnage de Karin Viard reçoit ce tophe Honoré. Trop populaire, sans compliment maladroit de la part d’un doute, pour séduire la frange intello du dragueur pas très élégant. Pour mal- septième art. Elle figurait en quatrième heureuse qu’elle soit, la formule colle à position des actrices les mieux payées la carrière de la comédienne. Comme de France d’après le palmarès du Figaro de 2012. Sur le podium, on trouvait un euphémisme. En ce début d’année, Karin Viard est Valérie Lemercier, Mélanie Laurent et partout. En vamp incestueuse dans Florence Foresti. Ni comique revendiL’amour est un crime parfait, le thriller quée ni star inaccessible perchée sur un givré des Larrieu. En épouse quittée Olympe de glamour, Viard est plutôt la dans Week-ends, où des couples pleins star d’à-côté, crédible dans des rôles de de non-dits se défont dans la cuisine commerçante, de flic, de mère au foyer, d’une maison de campagne – petite im- de secrétaire ou de maître-nageur. Des pression de déjà-vu. En femme éteinte personnages de classe moyenne, sur se libérant des chaînes du quotidien lesquels, par définition, un maximum dans le joli Lulu, femme nue, de Solveig de gens peuvent se projeter. Anspach. Fin juin, on pourra la voir « C’est l’une des meilleures actrices de sa dans On a failli être amies, une comédie génération. Elle n’est jamais décevante, d’Anne Le Ny où elle « forme un duo même quand les films dans lesquels elle détonnant avec Emmanuelle Devos, à la joue le sont », estime la réalisatrice CaBourvil et De Funès », explique-t-elle therine Corsini, qui l’a dirigée dans La dans la cuisine de sa maison parisienne. Nouvelle Eve et Les Ambitieux. Une Enfin, pour finir l’année en beauté, elle constance doublée d’une grande polydevrait retrouver François Damiens en valence : « Elle a cette capacité rare décembre dans La Famille Bélier d’Eric d’émouvoir et de faire rire en même Lartigau : « Une comédie familiale très temps. » Les Randonneurs (de Philippe gonflée, à la fois cruelle, émouvante et Harel, 1996) la fait connaître du grand drôle » dans laquelle elle joue une mère public en rigolote pulpeuse ? Elle temde famille sourde. Cinq films en une père son registre avec sa composition année : qui dit mieux ? parfaite de femme enceinte atteinte d’un cancer dans Haut les cœurs ! de Dans une semaine, la cérémonie Des césars Solveig Anspach, qui lui vaut le César devrait faire la part belle à une ribam- de la meilleure actrice en 2000. Karin belle de jeunes actrices françaises : les Viard dispose d’une palette de jeu asinévitables Adèle Exarchopoulos et sez éclectique pour naviguer entre les Léa Seydoux auréolées de leur aura gla- grosses comédies commerciales (Rien mour et de leur reconnaissance interna- à déclarer de Dany Boon, 8 millions de tionale ou encore la mystérieuse Ma- spectateurs) et les premières œuvres rine Vacth… Tandis que ces fraîcheurs (le pas si formidable Parlez-moi de vous du jour explosent, c’est souvent de Pierre Pinaud, l’an dernier), les l’éclipse qui guette au tournant de la films choraux estampillés qualité francinquantaine. Les propositions se raré- çaise (Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc, nouveau César dans un fient, le registre se resserre parfois. Chez Karin Viard, c’est l’inverse qui se second rôle en 2003, Le code a changé produit. Outre les hasards du calendrier, de Danièle Thompson, Paris de Céson omniprésence rappelle que l’actrice dric Klapisch) et des univers d’auteurs a ce don précieux de remplir les salles plus personnels, chez Maïwenn ou les de cinéma. Depuis ses premiers pas frères Larrieu. « Elle n’est pas trop sodans Tatie Danielle d’Etienne Cha- phistiquée. On peut facilement s’identifier

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car elle est très contemporaine. Avec son approche naturaliste, elle ne prend jamais ses rôles de haut », poursuit Catherine Corsini. Nicolas Blanc, le producteur de Week-ends, souligne que cette Parisienne « voyage très bien en province ». Comprendre : elle y fait vendre des tickets de cinéma. « Elle parle à tout le monde », résume le producteur. Ce statut de star de proximité, cet entre-deux, n’est pas le fruit du hasard. Il prend ses racines dans un parcours et un caractère. Et il s’incarne dans une plastique. Solveig Anspach renchérit : « Elle n’est pas sur une autre planète, elle pourrait être notre voisine. Son capital sympathie est énorme. Les gens l’adorent et ils ont raison. » il suffit d’emménager dans le 20e arrondissement de Paris, versant bobo plutôt que populaire. L’actrice y possède une belle maison où elle vit avec son compagnon de longue date, un directeur de la photographie, et ses deux adolescentes, Marguerite et Simone (nées en 1998 et 2000). Son regard vert sonde son interlocuteur tandis qu’elle sert un thé (tout aussi vert) avant de dérouler les étapes de sa vie. Tantôt volubile, tantôt verrouillée, pas aussi spontanée que son personnage public le laisse imaginer. Née en 1966 à Rouen, Karin Viard a été élevée par ses grands-parents. « Ils étaient tapissiers décorateurs, ils avaient un amour du décor. C’était un imaginaire très fort, tourné vers l’histoire, avec des papiers peints chinois, des tentes de guerre napoléoniennes à l’entrée du HLM. Il y avait une vraie fantaisie. » Un tel décorum ne pouvait qu’encourager une passion précoce pour le théâtre. Elle grandit bercée par les opérettes et les films de Fernandel ou Bourvil, qu’elle adore. Loin des avant-gardes de l’époque, ancrée dans une tradition bien française. « C’était une culture de petits artisans. Ma grand-mère venait de la campagne normande profonde. Je voyais mes parents de temps en temps. Ma mère et son cortège de copines étaient influencées par le féminisme des années 1970. Mon père s’était remarié avec une femme de la petite bourgeoisie. » C’est donc un faisceau d’influences socio-culturelles diverses qui construit Karin Viard, qui assume aujourd’hui son statut de « bobo ». « C’està-dire que je suis de gauche et que je gagne de l’argent. » Ajoutons qu’elle pratique la gymnastique holistique et qu’elle fait partie du comité de soutien d’Anne Hidalgo. Pas militante dans l’âme, elle sait toutefois s’engager quand une cause lui tient à cœur, comme celle de la sauvegarde de la maternité des Lilas. Ses deux filles sont nées dans (Suite page 38) ••• Pour Devenir le voisin De Karin viarD,


Trench beige Céline

Le magazine.

22 février 2014 – Photos Ward Ivan Rafik pour M Le magazine du Monde

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Prod DB/Alia - Dan - Mercury/DR/TCD. Prod DB/Les Productions du Trésor - Mars Films - Chaocorp - Arte/DR/TCD. Prod DB/Ex Nihilo/DR/TCD. Prod DB/Ex Nihilo/DR/TCD. Prod DB/Alia - Dan - Mercury/DR/TCD. Prod DB/StudioCanal - Ce Qui Me Meut/DR/TCD.

De ses racines, Karin Viard a hérité une “absence de snobisme” et une “grande curiosité pour l’autre” se traduisant dans ses choix artistiques. “Tu peux toucher à l’universel avec la banalité des petits destins.” 3

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Pull en maille Chloé

Une des forces de l’actrice : jouer, sans complexe, sur tous les registres. Déprimée mais très drôle dans Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc (2002) (1 et 2), elle incarne une impeccable policière de la brigade de protection des mineurs dans Polisse, de Maïwenn (2011) (3). Pour Solveig Anspach, elle joue une femme enceinte atteinte d’un cancer du sein dans Haut les cœurs ! (1999) (4), rôle qui lui vaudra un César, puis une femme qui chemine, sans artifices, dans Lulu femme nue (2013) (5). Elle interprète avec la même crédibilité une femme de ménage pour Cédric Klapisch, avec Gilles Lellouche, dans Ma part du gâteau (2011) (6).

22 février 2014 – Photos Ward Ivan Rafik pour M Le magazine du Monde

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cette clinique pionnière qui défend une approche individualisée, douce et respectueuse de la relation mère-enfant. Dans une vidéo toujours visible en ligne, l’actrice explique son geste de reconnaissance envers cette institution qui lui a permis de surmonter les complications de son deuxième accouchement. Karin Viard a son franc-parler, comme lorsque le quotidien belge Le Soir lui demande, en janvier, d’évoquer la relation entre Julie Gayet et François Hollande : « Julie Gayet est une actrice comme moi, elle existe, joue, fait des documentaires, est productrice, est militante d’un certain cinéma. Ce n’est pas Zahia ! Je ne peux pas laisser dire qu’une actrice de ma génération est une grue qui se tape le président de la République pour exister. Ça m’agresse. En tant que femme et en tant qu’actrice. »

l’interview, pour donner un peu de piquant à la très studieuse séance photo, elle prend soudain une pose suggestive de tigresse griffant langoureusement la table. La petite assemblée de stylistes, maquilleuses et assistants pouffe. En un clin d’œil, elle a su déclencher le rire et la sympathie. Et détendre l’ambiance pour de bon. La séance terminée, elle repart à scooter, simplicité qu’on a du mal à imaginer chez d’autres actrices césarisées. De ses racines, Karin Viard a hérité une « absence de snobisme » et une « énorme curiosité pour l’autre » se traduisant dans ses choix artistiques. « Tu peux toucher à l’universel avec la banalité des petits destins. Lulu, femme nue, ce n’est pas une histoire exceptionnelle, simplement une femme qui fait une escapade fondamentale. Au-delà de l’anecdote, c’est l’idée qu’on n’a qu’une vie, et qu’à 45-50 ans, elle est déjà passée. Si elle ne te convient pas, ça vaut encore le coup de ctrice, Karin prendre un chemin de traverse. » Le goût Viard Veut l’être de la banalité ne lui interdit pas les depuis l’adoles- rôles flamboyants. Maïwenn lui en a cence. Le bac offert deux. Elle est impeccable en poe n p o c h e à licière de la brigade de protection des 17 ans, elle vient mineurs dans Polisse, comme dans Le étudier à Paris où ses grands-parents lui Bal des actrices, où elle joue une coméachètent un petit studio. Elle suit des dienne nommée Karin Viard clamant cours de comédie, connaît quelques an- son désir de conquérir le cinéma aménées de galère et de petits boulots. « Je ricain. Et dans le réel ? « Je n’ose même ne connaissais personne et je n’avais pas pas rêver d’Hollywood. Trop inaccesde piston. » Pas le pedigree idéal pour sible. Je ne vois pas pourquoi ils vienpénétrer un milieu du cinéma français draient me chercher. » Le personnage du qui cultive sa tradition dynastique film est une caricature de diva prétenjusqu’à la caricature. « C’était une période tieuse. Au risque, peut-être, de voir le enrichissante, où j’ai rencontré mon au- public le confondre avec la vraie Karin dace, mon opiniâtreté, ma volonté. J’avais Viard. Elle dit ne pas s’en soucier. « Il énormément d’énergie et rien à perdre. Je y a beaucoup d’acteurs qui pèsent longm’exposais beaucoup, j’ai pris des coups. temps le pour et le contre, qui trouvent Mais c’est comme ça que j’ai trouvé ma qu’accepter un film les engage énormévoie, que je me suis éduquée. Le jour où je ment. Ce n’est pas mon cas. (…) L’idée me suis assumée financièrement avec ce mé- que les gens attendent quelque chose de tier, je me suis dit que j’étais tirée d’affaire. vous est bidon. La seule personne à qui Je n’ai pas imaginé régresser. Arrivée là, il j’aurais à rendre des comptes, c’est moiy avait d’autres étapes à conquérir. » Per- même. Au fond, je sais toujours quand sonnalité pugnace et ambitieuse, cette j’ai accepté un film pour les mauvaises « actrice à tempérament » sait ce qu’elle raisons. » Toute filmographie conteveut et ne s’embarrasse pas de péri- nant des passages oubliables, elle phrases. Son entourage professionnel considère Les Randonneurs à Saints’accorde sur sa franchise, son côté brut Tropez comme « un film raté », et l’évoet direct. On constate en effet qu’elle cation de Baby Blues génère chez elle s’agace rapidement quand les questions une petite moue silencieuse. « Les pourtant anodines qu’on lui pose ne lui mauvais choix que j’ai pu faire étaient conviennent pas. Petites impétuosités nécessaires. Ils m’ont finalement aidée à immédiatement suivies d’un enjoué « je me débarrasser de certains problèmes. » vous ressers un peu de thé ? », utilisé Avant le succès, Karin Viard a connu les comme un mantra aux vertus apaisantes. affres de la boulimie. Pas simple, quand Karin Viard, comme elle le glisse au dé- on est une jeune femme, d’apprivoiser tour d’une phrase sans qu’on le lui ait un corps dont on veut faire son outil de demandé, est dotée d’un « caractère travail. « Dans les cours de théâtre, on complexe », sachant manier l’autorité et vous catégorise vite. J’aurais voulu être désamorcer les situations avec une une princesse, mais ce n’était pas pour pointe de séduction. Le lendemain de moi. Je n’étais ni belle ni moche. »

••• (Suite de la page 34)

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L’entre-deux, encore. En 2009, elle pose dans une série « Stars sans fards » du photographe Peter Lindbergh pour le magazine Elle. L’actrice y dévoile sa beauté sans artifice, susceptible d’attiser le désir mais pas ostensible au point de susciter la jalousie. Ce qui explique peut-être sa cote d’amour équivalente auprès des publics masculin et féminin, comme des cinéastes des deux sexes. Une petite moitié de ses films sont l’œuvre de réalisatrices, proportion notable dans une profession où le mâle est largement dominant. « Si ça se justifie artistiquement, si ça raconte quelque chose, j’accepte. Si c’est gratuit et voyeur, ça ne me plaît pas. Avec certains réalisateurs, on montre un sein et on est mortifiée. Avec d’autres, vous êtes à poil et vous ne l’êtes pas. » Sa nudité, effectivement, raconte des histoires différentes de film en film. Dans L’amour est un crime parfait, son érotisation comique renseigne la folie du personnage. Lulu, femme nue redécouvre les petites joies de la vie dans le plus simple appareil – tout est dans le titre. Un bout de sein furtivement échappé d’un corsage illustre la plénitude sexuelle retrouvée de l’épouse de Week-ends. « Je ne contrôle pas mon image filmée. C’est le boulot de l’autre. Mon boulot, c’est de bien jouer. Déjà, ce n’est pas rien. Si je suis bien filmée, tant mieux. Si on voit la ride, la crevasse, la sale gueule, j’ai un peu les boules et c’est comme ça. La nudité participe de ça. En vieillissant, alors que mon corps se transforme et qu’il est plutôt plus délicat à filmer, je m’en fiche un peu, je suis plus libre. Aujourd’hui, j’ai davantage confiance en moi. Je suis un peu débarrassée d’un certain nombre de tyrannies qui nous habitent tous », confie celle qui a passé quelques années sur le divan de la psychanalyse. Sa liberté, elle l’utilise en s’autorisant des incursions sur les planches (notamment dans les pièces du dramaturge argentin Rafael Spregelburd). Ou en s’amusant à jouer une télévendeuse de vibromasseurs avec la troupe du « Débarquement » de Canal+ en décembre dernier. Bonne vivante, on l’a vue guincher à la fête d’aftershow où la fine fleur du cinéma français se lançait dans une chenille enfiévrée. Après une cinquantaine de longs-métrages, serait-elle tentée par un passage à la réalisation? « Non, je vois le travail que c’est, le talent qu’il faut avoir et je ne l’ai pas », tranche-t-elle, lucide. C’est donc devant la caméra qu’elle continuera à se mouvoir.Toujours au beau milieu, là, juste devant nous. son corps est souVent mis à nu.


Blouse blanche Céline. Pantalon noir Chloé

22 février 2014 – Photos Ward Ivan Rafik pour M Le magazine du Monde

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La chimie, c’est presque fini.

Ils ne seront pas au Salon de l’agriculture, qui ouvre ses portes le 22 février. Entre défilé des politiques et concours agricoles, pas sûr qu’on évoque leur problème. Eux, ce sont des éleveurs, viticulteurs ou céréaliers, qui ont pris conscience de la nocivité des produits phytosanitaires, après la mort d’un proche ou une maladie. Mais il n’est pas si simple de s’en passer. A défaut de basculer vers le bio, ces paysans pratiquent une agriculture de compromis. Par Elisa Mignot/Photos Guillaume Rivière

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Caroline Chenet a perdu son mari en 2011, intoxiqué chronique au benzène. Depuis, elle a repris la gestion de l’élevage de bovins à Saujon (Charente-Maritime) qu’elle aimerait passer en bio.

le magazine.

En octobre 2012, un an après la création de l’association Phyto-Victimes, Nicole Bonnefoy, sénatrice de Charente, rendait un rapport consacré à l’impact des pesticides sur l’environnement et la santé, assorti d’une longue liste de recommandations. Elle avait auditionné une centaine de personnes, dont Paul François. L’association et le rapport ont mis le département agricole sous les projecteurs. « On entend souvent qu’avant les produits étaient pires, qu’on avait moins de protections qu’aujourd’hui… Sans doute, déclare la sénatrice socialiste. Mais ils restent dangereux! Il n’y a qu’à voir comment, dans les usines où on les fabrique, les salariés prennent d’infinies précautions. On ne peut donc pas continuer avec le tout-chimique. » Son rapport a été adopté à l’unanimité, en juillet 2013, par les membres de la mission parlementaire mais sa proposition de loi n’a pas été mise en discussion au Sénat. L’élue aux yeux charbonneux essaie donc, à coups d’amendements, de faire passer ses recommandations dans des projets sur la santé, la consommation, la biodiversité, l’agriculture… Plusieurs fois confrontée aux lobbys des grands fabricants de pesticides, qui répètent à l’envi que le lien entre certaines maladies et leurs produits n’est pas prouvé, la socialiste demande aussi que les décès et les accidents dus aux pesticides soient mieux comptabilisés. Caroline Chenet est la vice-présidente de l’association Phyto-Victimes. Elle a vu mourir son mari à petit feu, emporté par une leucémie en 2011. Ils se sont battus pour la faire reconnaître comme maladie professionaul françois est un resCapé. nelle par la Mutualité sociale agricole. Ce cancer résultait d’une intoxiEn février 2012, cet cation chronique au benzène, un hydrocarbure qui sert d’adjuvant à homme a gagné un procès nombre de pesticides. Dans sa maison aux volets lavande, Caroline Checontre Monsanto. La net boit du thé, mais pas de café – à cause de ses ulcères. La petite firme de Creve Cœur, femme gironde, ancienne secrétaire, est récemment entrée à la chambre dans le Missouri, a été ju- d’agriculture de Charente-Maritime pour mieux comprendre ce milieu gée responsable de son agricole dont elle n’est pas issue. « On a traité leurs grands-pères de bouseux, intoxication aiguë au Las- eux ont été considérés comme plus modernes avec la mécanisation et la chimie, ils so, un herbicide qu’elle ont pu enfin participer à la société de progrès, voir leurs conditions de vie améfabriquait. Mais le géant liorées et aujourd’hui, le monde urbain commence à les traiter de pollueurs, américain a fait appel. Da- d’assassins. » Caroline Chenet aimerait passer son exploitation en bio, en vid et Goliath n’en ont pas appliquant des méthodes qu’elle apprend dans les livres. Mais elle doit terminé. En 2004, Paul reconnaître que, seule, à 48 ans, c’est compliqué. « Agriculture raisonnée, François avait inhalé ce raisonnable, peu importent les noms, quels que soient les produits, on ne peut pas désherbant – depuis retiré de la vente – en nettoyant une cuve. Après faire confiance aux firmes qui les fabriquent. Eux ne feront pas de produits raides mois d’hospitalisation, il a gardé des séquelles neurologiques et doit sonnables ! », s’emporte-t-elle avant d’ajouter : « Ça me rend malade à aujourd’hui travailler à mi-temps. Le quinquagénaire n’a plus le droit de chaque fois que j’en utilise un. » Car elle aussi en emploie encore. Elle a manipuler de pesticides. Pourtant, ses deux salariés le font encore. Y pulvérisé cinq produits sur sa vigne l’année dernière – certes, c’est mieux compris de la marque Monsanto. que les douze des voisins – et loue une partie de ses terres à un céréalier « Une exploitation, c’est pire qu’un paquebot à faire changer d’orientation, ex- qui traite plusieurs fois par récolte. Egalement éleveuse, elle fait paître plique le céréalier. Dès 1995, bien avant mon accident, nous avions déjà di- ses 130 vaches à viande, à destination des hypermarchés Leclerc, dans minué de 30 % les produits phytosanitaires. Pas pour des raisons de santé ou ses marais bio et les nourrit avec de l’épeautre traité « de façon limitée ». d’environnement mais parce que les rendements diminuaient. On s’est aperçu que Pour sa consommation personnelle, elle a sa vache « qui n’a pas vu la l’agriculture intensive était une fuite en avant. » L’homme d’affaires agricole, couleur d’un pesticide » et son potager bio. smartphone vissé à l’oreille et mèche poivre et sel, déclare pratiquer désormais une « agriculture raisonnable ». Il entend diminuer encore Chez tous les agriCulteurs renContrés, la conscience des dangers butte l’usage de produits chimiques, pour faire des économies, mais pas s’en sans cesse sur la vie quotidienne, comme un gros caillou sous le soc d’une passer complètement. Même si ces « produits phytosanitaires » ont failli charrue. Leur situation économique, la pression des vendeurs de produits lui coûter la vie, il leur alloue encore aujourd’hui deux locaux dans sa phytosanitaires, le regard des collègues, les aides financières favorisant les grande et belle ferme de Bernac, en Charente. La terminologie censée grosses exploitations, leur âge, et leur retraite proche, l’impossibilité de être rassurante désigne les pesticides que le céréalier répand, plusieurs valoriser une production de meilleure qualité… en pétrifient plus d’un. fois par an, sur les 260 hectares de son exploitation charentaise. Par De plus, la conversion au bio leur fait craindre de nouvelles difficultés : ailleurs, il est également président de Phyto-Victimes, une association travailler encore plus et perdre de l’argent, être débordé de paperasses créée en 2011 pour venir en aide aux agriculteurs victimes de pesticides. administratives, assailli de contrôles. Ils sont donc quelques-uns à tâtonEn janvier, il a même reçu la Légion d’honneur au nom de cet engage- ner vers une agriculture plus respectueuse de la nature. Impossible de déterminer leur nombre, car le ministère de l’agriculture les englobe dans ment. Paul François a opté pour le compromis. Comme lui, les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à remettre les 95% d’agriculteurs conventionnels (non bio) – qu’ils usent à tout-va en question le tout-chimique. Qu’ils aient touché les limites écono- des produits chimiques ou le moins possible. miques de cette pratique qui finit par appauvrir leurs sols ou qu’ils aient « C’est bien sûr un mieux qu’il y ait des agriculteurs dans cet entre-deux », soucompris les dangers pour eux, leurs proches, l’environnement et le ligne Claude Bourguignon, microbiologiste et militant de longue date du consommateur, de l’agriculture intensive. La prise de conscience est en bio. Avec sa femme Lydia, ils ont créé un laboratoire indépendant d’anamarche. Mais elle est très lente. La France figure toujours parmi les lyse des sols, et ensemble ils vont toute l’année de conférences en études de parcelles. « On explique aux agriculteurs qu’il faut se réapproprier les ••• premiers utilisateurs de produits phytosanitaires en Europe.

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Jacky Ferrand (ci-contre), installé à Gondeville (Charente), a perdu son fils en 2011, des suites d’un cancer de la vessie, « la maladie des viticulteurs ». En haut à droite, local où le céréalier Paul François stocke les produits phytosanitaires.

••• sols qu’ils violent depuis des années, qu’il faut réapprendre l’agronomie, enchaîne Lydia Bourguignon. Mais il faut aussi arrêter de penser que c’est un agriculteur qui, tout seul, dans l’adversité, peut faire changer les choses. » Eux, la sénatrice et les agriculteurs évoqueront tous le rôle essentiel du Jacques Brard-Blanchard, vigneron bio charentais. consommateur qui doit faire attention à ce qu’il achète et mange. « Il faut dire aussi que les agriculteurs sont esclaves, avance Claude Bourguignon. Ils pulvérisateurs, les tracteurs, les épandeurs, les désherbeurs. « Dans son sont coincés dans des systèmes, pieds et poings liés avec les firmes qui leur vendent camion, c’était infect, se souvient Madeleine. Les produits étaient juste à l’arsemences, produits, et les coopératives qui achètent à des prix qu’elles ont fixés. » rière, il n’y avait aucune ventilation. L’entreprise ne lui avait fourni que des Didier Sardin a assisté à une conférence que le couple Bourguignon gants, même pas une combinaison! » Leur fils se plaignait souvent de maux donnait dans la région. C’était il y a plus de quinze ans. L’éleveur cha- de tête et de ventre après des interventions. Pour les Sardin, il est mort rentais s’intéresse depuis toujours à l’agronomie. Sur sa table de cuisine, empoisonné par un cocktail de ces produits ingérés à la longue, par peil y a toute une littérature sur le sujet. « Nous autres, on a toujours été contre tites doses. « Ça fait trente ans que nous nous battons contre toute cette cochonce système, on a toujours fait comme les anciens, raconte le très grand homme nerie en évitant d’employer les produits et les semences des firmes, martèle Didier à l’œil curieux. Et puis on n’est pas des moutons, on a l’habitude de dire non Sardin, son épaisse main crispée sur la toile cirée. Pourquoi ne dit-on pas à ce qu’on nous impose. » Au bout d’un chemin du village de Montem- que l’on peut faire autrement ? » Avec sa femme, ils n’ont jamais voulu prabœuf, avec sa femme Madeleine, ils élèvent 57 vaches laitières. Ils ven- tiquer une agriculture 100% biologique, trop de contraintes, pensent-ils. dent à la seule coopérative du coin, Terra Lacta, précisent-ils en levant En plus, la coopérative ne fait pas de lait bio et ne le leur achètera pas les yeux au ciel. Pas le choix. Mais ils ont toujours refusé les désinfec- plus cher. Et puis, au fond, ils n’y croient pas vraiment, au bio : « Entre tants pour les pis des vaches, achètent des produits naturels pour net- les avions au-dessus de nos têtes qui larguent tout leur benzène et les voisins qui toyer leur matériel de trait, diminuent chaque année un peu plus leur polluent les champs et les nappes phréatiques. » usage de produits phytosanitaires et ne traitent pas leurs champs situés près du collège voisin. A la coopérative, leur production quasi bio est Sophie Brard-Blanchard n’eSt paS d’accord. La viticultrice de 38 ans prend bien soin de la haie qui justement la sépare de ses voisins. En bio depuis malgré tout mélangée à celle des autres. Les Sardin ne seraient pas sortis de leur réserve s’ils n’avaient pas perdu plus de quatre décennies, son vignoble de 20 hectares à Boutiers-Saintleur fils, 28 ans, foudroyé en un mois par un cancer des testicules, en août Trojan produit du cognac, du vin de pays et du pineau, tous certifiés AB 2013. Stéphane était mécanicien agricole, il entretenait et dépannait les (agriculture biologique). Malgré la proximité de vignerons moins scrupu-

“Tous les anciens qui se sont mis au bio ont eu le déclic après des problèmes de santé.”

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Didier et Madeleine Sardin (ci-dessous) élèvent 57 vaches laitières sur leur exploitation (en bas et ci-contre) à Montembœuf. Ils utilisent le minimum de produits phytosanitaires sans pour autant être en bio.

leux, son vignoble contrôlé chaque année remplit tous les critères. La grande femme blonde aux yeux dorés ne cache pas le travail que cela demande. « Même après toutes ces années, il faut être très attentif et en recherche perpétuelle. Par exemple, il y a deux ans, le mildiou a anéanti les trois quarts de nos récoltes, malgré tous nos tests. On a dû tenir grâce à nos stocks. D’un autre côté, nous n’avons plus de problème d’insectes depuis 35 ans! » Pour elle qui a baigné dans le bio depuis son enfance, le respect de sa santé, de la nature et du consommateur est une évidence, une philosophie de vie. Elle était d’ailleurs complètement perdue dans son BTS viticulture et œnologie qui n’enseignait que le tout-chimique. Mais elle n’a jamais douté. « Et quand je vois tous les gens du milieu qui, autour de moi, ont des problèmes pour faire des enfants, je ne regrette vraiment rien. »

S

on père, Jacques Brard-Blanchard, était un pionnier. Le deuxième vigneron bio de Charente. Après des allergies respiratoires liées à un fongicide, le folpel, il a décidé de passer en bio, d’abord sur une parcelle puis sur toutes. On était au début des années 1970. « Fallait que je change de métier ou de méthode », raconte-t-il, casquette sur la tête, accoudé au bar en bois où lui et sa fille font de la vente directe. « Tous les anciens qui se sont mis au bio ont eu le déclic après des problèmes 22 février 2014 – Photos Guillaume Rivière pour M Le magazine du Monde

de santé avec les traitements », se souvient-il. Pourtant au début, rien n’était gagné. Son look barbe, cheveux longs et sa passion pour Le Métèque de Moustaki n’arrangeaient rien. « Tous les collègues attendaient que je me plante. » Jacky Ferrand était de ceux-là. Viticulteur de la même génération, près de Cognac lui aussi, il se baladait alors dans les vignes bio en se moquant des herbes et des fleurs qui poussaient entre les pieds. Lui a traité, produit plus et traité à nouveau. Il n’en est pas fier du tout. Triste ironie du sort, le même folpel est également accusé d’avoir causé la mort de son fils en 2011. Frédéric Ferrand avait 41 ans, deux enfants. Et un cancer de la vessie métastasé au niveau des os. « C’est la maladie des viticulteurs », lui avait-on dit dans le service de cancérologie de Bordeaux où il était soigné. Là-bas, ils étaient une petite dizaine touchés par ce cancer. Jacky et Marie-Rose Ferrand revoient encore leur fils s’en aller vomir après avoir fait les mélanges pour traiter sa vigne. A sa mort, ils ont épluché, avec l’aide d’un médecin, vingt ans de factures de produits achetés pour leur exploitation : pas une n’était exempte de produit cancérigène. « Frédéric a grandi dans les vignes, c’était sa passion, c’est ce qui l’a maintenu en vie », murmure sa mère. C’est aussi ce qui l’a tué.

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Des premiers gestes sur une scène de crime dépend toute la chaîne de la police scientifique. Aujourd’hui, il est désormais possible de relever des empreintes digitale et génétique sur une même trace.

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P as de nom. Pas question non Plus de citer

une affaire particulière. Discrétion oblige. Avec leurs mines ébouriffées, les deux ingénieurs sont avant tout des experts judiciaires, tenus par le secret procédural.Tout juste s’ils s’autorisent un sourire entendu à propos d’un récent dossier, dont « l’identification de la voix avait entraîné des aveux ». « Nos travaux cherchent à déterminer une signature vocale, on établit un rapport de vraisemblance entre des voix comparées », précisentils, prudents, écartant toute notion d’« empreinte vocale ». La petite pièce est capitonnée, truffée d’appareils sophistiqués – avec la table de mixage et les haut-parleurs, on pourrait se croire dans un studio d’enregistrement. C’est là que ces ingénieurs de la Police technique et scientifique (PTS) passent en boucle des voix de truands, d’escrocs, de braqueurs, de terroristes, dans des systèmes de débruitage et de modélisation, notamment le logiciel Batvox, développé avec l’école polytechnique de Madrid. C’est ici que l’enregistrement malencontreux d’un téléphone portable a été authentifié et que la voix de Jérôme Cahuzac a été identifiée, avant d’entraîner la chute du ministre du budget pour ses cachotteries suisses. Unique en son genre dans la police française, ce labo audio, qui traite une trentaine d’affaires sensibles par an, est situé dans les étages d’un blanc bâtiment rectangulaire, planté sur une colline d’Ecully, dans l’ouest résidentiel de l’agglomération lyonnaise (Rhône). Au fond d’un parc verdoyant aux accès sécurisés, la bâtisse abrite depuis 1996 la sous-direction nationale de la Police technique et scientifique (SDPTS). Au rez-dechaussée, au bout d’un couloir où règne un silence inquiétant, on tombe sur une curieuse pièce en désordre. Un mannequin affalé sur un canapé, des verres renversés, un pistolet au sol : une scène de crime, figée. L’endroit est très fréquenté. Chaque année, des centaines de policiers y passent, en formation initiale et continue, avant de rejoindre les rangs de la police scientifique française, qui a accueilli 172 nouveaux venus en 2013. Au centre de la scène, concentrée, Viviane Blanquet, lunettes en Plexiglas, combinaison blanche avec chaussons assortis, explique comment •••

le magazine.

Le crime est leur affaire.

L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime, dit-on. Ce qui est sûr, c’est que ses traces transitent tôt ou tard par la banlieue lyonnaise. Signatures vocale ou olfactive, prélèvements biologiques, empreintes palmaires… A Ecully, les experts de la Police technique et scientifique traquent les indices laissés par les escrocs, les meurtriers, les terroristes…. Un laboratoire policier de pointe unique en son genre. Par Richard Schittly/ Photos Olivier Metzger

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Table de mixage, haut-parleurs, c’est dans ce lieu, qui ressemble à un studio d’enregistrement, que la voix de Jérôme Cahuzac a été authentifiée par les ingénieurs de la Police technique et scientique (PTS). La sous-direction de la PTS gère également les deux grandes bases de données de la police nationale, dont le fichier des empreintes digitales.

••• sont aujourd’hui traquées, relevées et prélevées les traces du crime

et du délit. Bien gérer la scène de crime, c’est la base du métier. De la qualité des premiers gestes dépend toute la chaîne de la police scientifique. « Il faut respecter un ordre de prélèvement, certains indices biologiques sont destructeurs pour d’autres, explique cette technicienne passée par la pharmacie, il faut commencer par le plus fragile et le plus volatil. » Première étape dans la recherche d’une piste : l’odeur! C’est la dernière trouvaille en date, mise au point par « les experts Ecully». L’odorologie consiste à capturer des odeurs sur une scène d’infraction, en posant un tissu spécial sur un point choisi, durant une bonne heure. Si un suspect apparaît dans l’enquête, il est invité à malaxer un chiffon pendant plusieurs minutes. Les différents tissus sont posés dans des bocaux anonymes, alignés dans une pièce aseptisée. Un chien spécialement dressé fait alors la comparaison, selon un protocole très strict. A ce jour, cette technique a permis 141 reconnaissances sur 423 affaires traitées. Elle attend dans les mois à venir une publication officielle sous l’égide du CNRS pour accéder au statut de preuve scientifique. Après l’odeur, les traces biologiques. L’objectif est de récupérer une empreinte génétique. Sang, salive, sperme, sueur, cheveux, poils : tout est repéré avec des lumières aux différentes longueurs d’onde, puis matérialisé avec des cavaliers numérotés. Les traces sont ensuite transférées sur un Coton-Tige imprégné de sérum physiologique. Lequel est séché et rangé. Pour les traces plus récalcitrantes, Viviane Blanquet pioche dans sa petite mallette parmi une dizaine de procédés chimiques, en fonction du support. Le violet de gentiane s’adapte aux canettes, le noir amido réagit aux protéines du sang, alors que le nitrate d’argent s’active plus volontiers sur du bois.

A

l’autre bout du bâtiment, dans un dédale à la blancheur clinique, Viviane Blanquet fait visiter son laboratoire, avec hottes aspirantes, étuves, armoires à produits. Ses équipements sont similaires à ceux des deux cents autres laboratoires de l’identité judiciaire et de la sécurité publique, répartis sur le territoire français selon une carte qui doit être revue et corrigée d’ici à 2015. Dans ce labo chimique, il est possible de plonger des supports poreux tels que le carton ou le papier dans un bain de ninhydrine. Les supports non poreux passent aux vapeurs de colle

chauffée à 150 °C. Ce qui peut révéler des traces vieilles de plusieurs années. « On a fait des tests de compatibilité entre différents produits, on a la possibilité d’aller chercher de l’ADN sur une crête d’empreinte digitale », confie Viviane Blanquet derrière son masque. Autrement dit, la police scientifique est désormais en mesure, dans certains cas, de relever des empreintes digitale et génétique sur une même trace. Décrété roi des preuves, l’ADN aurait un peu trop tendance, aux yeux des experts d’Ecully, à s’imposer sur les scènes de crime. « Dans une politique du “tout-génétique”, on peut être tenté de prélever systématiquement les traces biologiques pour rechercher l’ADN, ce qui risque de détruire d’autres traces intéressantes. On peut passer à côté d’une belle empreinte digitale, il faut bien réfléchir aux priorités », signale Viviane Blanquet. Autre danger : l’asphyxie du système. La pertinence des prélèvements biologiques a fait basculer les experts dans une autre dimension, celle de la « police scientifique de masse ». Désormais, la police scientifique intervient systématiquement ou presque dans les affaires de petite et moyenne délinquance. Mais il serait hasardeux de traiter des cambriolages d’appartement comme des assassinats, sous peine d’engorger des chaînes d’extraction d’ADN qui travaillent à flux tendus, et d’exploser les budgets. « On recommande de limiter à trois les prélèvements d’ADN sur les scènes de petite délinquance, il faut que la police scientifique de masse puisse se développer sans être paralysée, on doit faire preuve de discernement », explique la commissaire Estelle Davet, chef du service central d’identité judiciaire. Dans cet espace à haute teneur en technologie trônent ici et là de petites vitrines, semées comme des petits cailloux. Leurs tablettes exposent aux regards de vieux appareils de mesure, aux cadres de bois vermoulu. Ces objets d’un autre âge rappellent les racines historiques des lieux. Ils proviennent du premier véritable laboratoire de police scientifique, ouvert en 1910. A Lyon justement. Son créateur : le professeur Edmond Locard, considéré comme le fondateur de la police scientifique. Issu d’une famille bourgeoise de scientifiques avides de découvertes, qui fait penser aux frères Montgolfier ou autres frères Lumière, Edmond Locard s’était destiné à la médecine, non sans manier plusieurs langues et dévorer les ancêtres du roman policier, tels Paul Féval ou Emile Gaboriau. Grand-père ingénieur en chemin de fer, père naturaliste, il a été assistant du professeur Alexandre Lacassagne, pionnier de la médecine légale à Lyon. En 1910, il •••

Sang, salive, sperme, sueur, cheveux, poils : tout est repéré avec des lumières aux différentes longueurs d’onde.

22 février 2014 – Photos Olivier Metzger/Modds pour M Le magazine du Monde

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Dans cette pièce du bâtiment de la PTS, on reconstitue les scènes de crime. Les numéros servent de repères aux enquêteurs pour indiquer la présence de traces biologiques susceptibles d’être analysées.

••• crée le premier laboratoire de police technique et scientifique dans

les greniers du palais de justice de Lyon. Après un passage au déchiffrage de codes ennemis lors de la première guerre mondiale, il développe l’idée d’une criminalistique en laboratoire, en conjuguant toutes sortes de disciplines, à partir de prélèvements de terrain. Les résultats ne tardent pas : des criminels sont bientôt condamnés grâce à leurs empreintes digitales, une première en France. Quelques années plus tard, en 1922, ces techniques de comparaisons d’écriture aident à résoudre l’affaire du «corbeau de Tulle», une femme qui avait envoyé un millier de lettres anonymes et semé la panique dans la petite ville corrézienne. Cette découverte va fonder sa réputation. Il prendra ses distances avec les thèses racistes du criminologue italien Cesare Lombroso et avec les égarements du Français Alphonse Bertillon, gravement compromis dans l’affaire Dreyfus. Un siècle plus tard, le laboratoire a quitté le vieux palais de justice du quartier Saint-Jean pour migrer vers la colline d’Ecully, où il fait face à la sousdirection nationale de la PTS, avec ses sections de balistique, de stupéfiants, de recherches de traces, sa chaîne d’extraction d’ADN. Ils étaient une douzaine de pionniers à l’origine de la PTS. Plus de 600 personnes, policiers, techniciens, ingénieurs, se concentrent aujourd’hui sur le site d’Ecully.

C

ontrairement à alphonse Bertillon,

qui en avait pourtant été l’initiateur à la préfecture de police de Paris, Edmond Locard a compris que la collecte et l’exploitation des empreintes digitales, avec leurs fiches décadactylaires, représentaient un avenir prometteur pour les investigations policières. Cette intuition historique est à l’origine des deux grands fichiers de la police française, basés, gérés et développés à Ecully par la sous-direction de la PTS. Près de 4,8 millions d’individus sont référencés dans le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED). Installé au fond du parc, dans une maison aux allures de Moulinsart, le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) compte lui, 2,6 millions de profils ADN, individus référencés et traces inconnues. « Notre avenir passe par la modernisation des grands fichiers, la police scientifique n’est pas celle des enquêtes qu’on voit à la télé, elle est désormais inscrite dans la lutte contre la délinquance du quotidien, confie le contrôleur géné48 -

ral Eric Arella, sous-directeur de la PTS. Nous remettons aux normes européennes tous les laboratoires d’identité judiciaire. » Après l’odeur et l’ADN, l’empreinte palmaire arrive en dernier dans l’ordre protocolaire de la scène de crime. La technicienne Viviane Blanquet sort cette fois ses pinceaux, afin de poudrer les objets de limailles, différentes selon les surfaces choisies. L’empreinte est ensuite transférée sur un ruban adhésif, à destination du fichier. L’empreinte d’un doigt, d’une paume reste un atout maître dans les enquêtes policières. En 2013, le fichier des empreintes digitales a permis 32 724 identifications de traces, contre 23 728 rapprochements par le fichier génétique. A Lyon, la PJ garde en mémoire un fameux policier de l’identité judiciaire qui parvenait à reconnaître des malfaiteurs inscrits au fichier en scrutant leurs empreintes à l’œil nu sur une scène d’infraction! «On trouve des donneurs plus ou moins bons parmi les criminels, la personne stressée va suer et nous favoriser le travail!», s’amuse Viviane Blanquet. A un siècle de distance, les propos de la technicienne font écho au principe de «l’échange» édicté par l’ancêtre Locard : « Nul individu ne peut séjourner en un point sans y laisser la marque de son passage, surtout lorsqu’il a dû agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle. » Cette théorie reste le fondement de la police scientifique. Même dans ses applications les plus avancées. Détecter la trace du passage du criminel, même dans les labyrinthes des circuits électroniques : les experts d’Ecully ne font pas autre chose en décortiquant disques durs, GPS, téléphones portables, sur des postes de travail dernier cri du Service central de l’informatique et des traces technologiques (SCITT). Sur ce plateau technique, situé au cœur du bâtiment de la PTS, en haut d’escaliers métalliques en colimaçon, deux ingénieurs assurent une veille technologique permanente pour se tenir au courant des dernières nouveautés. La police scientifique de masse va prochainement s’élargir à la vidéo.Une plateforme à très forte capacité de recueil et de traitement d’images de vidéosurveillance est en cours de conception. Une nouvelle perspective d’investigation considérée comme un «véritable acte d’enquête». La prochaine étape de la longue histoire de la police scientifique française, où l’activité ne manque pas : tous les dossiers majeurs de crime organisé et de terrorisme sont auscultés ici, 312 ont été traités en 2013. De quoi faire de ce coin de banlieue lyonnaise le centre névralgique de bon nombre d’affaires criminelles en France.

Un policier de l’identité judiciaire parvenait à reconnaître des malfaiteurs en scrutant à l’œil nu leurs empreintes sur une scène d’infraction !

Photos Olivier Metzger/Modds pour M Le magazine du Monde – 22 février 2014


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Thierry Frémaux, 53 ans, photographié le samedi 8 février, à Lyon, dans le tout premier décor de l’histoire du cinéma, celui du premier film de Louis Lumière.

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Thierry Frémaux, le petit frère Lumière. Depuis treize ans, Thierry Frémaux règne sur la Croisette. “Ami” des stars, courtisé, craint aussi, le délégué général du Festival de Cannes se démène pour dénicher les meilleurs films. Même s’il court à travers le monde, ce fou de travail n’en oublie pas pour autant sa ville, son quartier général. Car celui qui dirige aussi l’Institut et le Festival Lumière de Lyon reste un enfant des Minguettes. Par Vanessa Schneider/Photos Alexandre Guirkinger

L

a voiture se faufile

dans le flux dense des véhicules qui progressent sur les quais. Elle accélère, puis freine brutalement, tourne à droite, bifurque, tente de gagner une place à grand renfort de manœuvres périlleuses. Le chauffeur klaxonne, peste en riant contre un conducteur trop lent: « C’est un 07… Les Ardéchois ne savent pas conduire, tout le monde le sait ! » Et repart à toute blinde dans sa Renault noire. On ose lui demander s’il peut ralentir, il rigole franchement : « Il ne faut pas avoir peur ! » Et admet: « Les gens avec lesquels je travaille ne veulent plus monter avec moi… » Plus loin, une rue barrée, il monte sur le trottoir, roule dessus entre la

file des voitures stationnées et les pavillons de ce quartier de Lyon. Cheveux ébouriffés, barbe de trois jours, yeux pétillants derrière des lunettes à monture foncée, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, le directeur de l’Institut Lumière de Lyon, l’ami des stars, renoue, l’espace d’un instant, avec le môme des Minguettes, avec ces années où la voiture était « la clé de tout », et le permis fièrement obtenu une semaine après ses 18 ans. A Lyon, parka sombre et baskets fatiguées, il vient vous chercher à la gare de Perrache parce qu’elle est située à quelques minutes de chez lui, et fait visiter sa ville sans descendre de voiture. La Halle Tony Garnier, le Palais des sports, le stade Gerland, forcément, où ce fan de foot continue de soutenir l’Olympique lyonnais avec une ferveur de jeune supporteur. « On n’est pas mauvais, en ce moment », assure-t-il, bravache. Une année de compétition internationale, il a fait installer des écrans de télévision dans les

couloirs du Palais des festivals pour permettre au personnel de suivre les matchs pendant les projections. A Lyon, Thierry Frémaux se rend toujours au stade à vélo, comme lorsqu’il était ado, mais, désormais, il est dans la tribune officielle avec l’homme d’affaires Jérôme Seydoux et le président du club Jean-Michel Aulas, aux côtés des notables lyonnais parmi lesquels il compte. Installés dans le virage d’en face, ses neveux lui envoient des textos gentiment moqueurs: « Ça va le bourge? » on passe ensuite devant les usines de feyzin,

au sud de Vénissieux, dont les cheminées déchirent le ciel. C’est là, chez Rhône-Poulenc où l’on fabriquait l’Aspirine, qu’avec ses copains il travaillait l’été. « On a fait toutes les usines du coin, on faisait les trois-huit. Il y avait cette idée que si on n’avait pas été ouvrier à un moment donné, on ne savait pas ce qu’était la vie, se souvient-il. On était des Minguettes, il ••• 51


••• fallait se frotter à ça. Les grands bourgeois se

sentent particuliers, les gens du peuple aussi. » Et voilà qu’en face des champs de maïs et de blé se dresse la colline des Minguettes, ses barres grises, symbole des émeutes des années 1980, abritant près de 40000 personnes. « C’est beau, non? », lance-t-il le regard brillant. Ici, on ne dit pas la « cité », mais la ZUP. Les Frémaux y sont arrivés à l’aube des années 1970, cette époque où l’on voulait croire que tout était possible, où l’on pensait construire son avenir et non le subir. Thierry a une dizaine d’années, son père, ingénieur EDF, pas baba cool mais gaucho tendance PSU, veut tenter l’aventure de la mixité sociale. « C’était superclasse à l’époque d’aller là-bas. C’était un acte politique de vivre dans ces villes nouvelles, un rêve architectural, urbanistique, social. » Au volant de sa voiture, il circule entre les ensembles en béton, à l’aise comme un kakou à mobylette, s’arrête devant l’immeuble où il vécut de 1973 à 2004, au 18 de la rue Gabriel-Fauré, évoque le café Marco Polo, rendez-vous des copains, désigne le garage des Spenato, «les vedettes de la ZUP, chez qui nous passions beaucoup de temps car on avait des voitures d’occasion qui ne marchaient pas ». Il a été remplacé aujourd’hui par un magasin de meubles. Frémaux prend soin de préciser : « On était des prolos, on était des voyous.» Pas vraiment au regard du pedigree paternel, et de celui des potes, des Blancs qui ne roulaient pas sur l’or mais qui ont tous fait des études supérieures. Mais n’est-on pas toujours du milieu auquel on a cru appartenir enfant? Il montre la piscine, le cinéma Gérard-Philipe,qu’il a assidûment fréquenté et où il se réjouit d’avoir amené depuis les frères Dardenne et Marjane Satrapi: « Il y avait tout ici, il y avait une vie interne, on ne quittait pas la ZUP. » Le collège PaulEluard, le lycée Marcel-Sembat, les bancs des parcs mités sur lesquels « on embrassait les filles »… Il évoque les « zupiades », les Jeux olympiques du quartier avec tournois de pétanque et de foot : « C’était formidable, joyeux, festif, et puis, tout est parti en couille. » Les familles italiennes, espagnoles, françaises ont économisé et ont acheté des pavillons un peu plus loin. Elles sont remplacées par une immigration bien plus pauvre, touchée par le chômage, abandonnée par les pouvoirs publics. Et pour la première fois, on sent Thierry Frémaux en colère : « Ce sont des endroits dont on ne s’est pas occupé. J’ai vu les gens changer, la violence arriver. » On n’en saura pas

Dans les années 1980, « ça se Délite ».

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“Je préfère un bon film commercial à un mauvais film d’auteur” dit-il. Il a fait venir “Matrix 2” ou “Gatsby” sur la Croisette. Il aurait aimé montrer le potache “Very Bad Trip 3”… plus. Le délégué général du Festival de Cannes ne veut pas parler politique, mais jure que le sujet le passionne. Les paillettes s’accordent mal aux engagements partisans. Il a été proche de Nicolas Sarkozy, l’est tout autant de François Hollande avec lequel il a dîné quelquefois au « Château » lors de réceptions destinées aux personnalités du monde de la culture. Il assume: « Je vais à l’Elysée quel que soit le président. » Treize ans après son arrivée au Festival de Cannes, Thierry Frémaux, 53 ans, s’est imposé comme l’une des figures les plus puissantes du cinéma français. Malgré ses relations parfois heurtées avec Gilles Jacob, le patron du Festival jusqu’à cette année – qui confiait récemment et non sans perfidie au Monde, « au début, Thierry n’y connaissait pas grand-chose » –, il a su imprimer sa marque. A base d’éclectisme (bien qu’il n’aime pas le mot), de disponibilité, de générosité et de goût de la fête. Son cinéma, c’est tous les cinémas: « Ce n’est pas que j’aime tout, mais je

n’ai pas de barrières, précise-t-il. J’aime Lautner et Godard, je ne me force pas. Je peux programmer Grace de Monaco en ouverture, puis un film thaïlandais. » Il ajoute: « Je préfère un bon film commercial à un mauvais film d’auteur. » Il a fait venir Matrix 2 ou Gatsby Le Magnifique sur la Croisette et ne craint pas de dire qu’il aurait aimé montrer le potache Very Bad Trip3. Et tant pis si certains cinéphiles le considèrent comme un beauf amateur de blockbusters. « C’est lui qui a permis à Cannes d’évoluer en faisant venir des stars hollywoodiennes, en imposant l’animation en compétition. Il n’a aucun a priori », le défend la journaliste Stéphanie Lamome, rédactrice en chef adjointe du magazine Première et membre du comité de Sélection du Festival. « C’est quelqu’un qui n’appartient à aucune chapelle, à aucun clan et qui rend tout ça ringard, renchérit le réalisateur Bertrand Tavernier. Il programme tous les types de cinéma et il est aussi à l’aise en Argentine qu’avec des majors américaines ou le cinéma d’auteur français. » « Il est capable de faire quatorze heures d’avion pour aller regarder un bout de montage d’un film asiatique réalisé par un inconnu dont on lui aura parlé », explique la comédienne Elsa Zylberstein, qui l’a connu à l’Institut Lumière de Lyon avant les années cannoises.

G

ranD manitou De la sélection,

Frémaux est à la fois dragué par ceux qui concourent, critiqué par ceux qu’il écarte et qu’il appelle les « fausses valeurs », craint par certains journalistes qu’il n’hésite pas à houspiller quand un article lui déplaît, adoré de ceux, nombreux et de tous milieux, qui sont invités à sa table autour de repas tardifs et arrosés. Il prodigue aux artistes l’affection qu’ils attendent, et les artistes aiment qu’on les aime. Ses amis s’appellent Tim Roth, Monica Bellucci, Sean Penn, Nicole Kidman – « d’ailleurs c’est elle qui vient de me laisser un message », constate-t-il en consultant son portable –, Wong Kar-wai, mais aussi l’humoriste populaire Laurent Gerra, le copain des virées lyonnaises, et les anciens de la ZUP et du judo, dont il fut un champion. Il cite Bourdieu et assure ne pas être « dans le profit social. J’ai eu ma photo très tôt dans le journal avec le judo, ça m’a suffi ». « Il n’est pas snob, il s’intéresse à ce qu’on fait avec la même passion qu’à ses débuts », insiste Elsa Zylberstein.La comédienne garde en mémoire les dîners joyeux qu’il organise à Cannes ou à Lyon, où Quentin Tarantino côtoie Michael Cimino, les frères Dardenne, les ••• 22 février 2014

Dave Hogan/Getty Images. François Guillot/AFP. Benainous/Gamma/Ccartier/Gamma/Eyedea Presse. Eric Gaillard/Reuters. Benainous/Hounsfield/Legrand/Gamma. Stéphane Cardinale/People Avenue/Corbis. Dominique Jacovides/Bestimage. Benjamin Larderet/ Demotix/Corbis. Photo12/Emanuele Scorcelletti.

le magazine.


Dès son arrivée à Cannes, en 2001, Thierry Frémaux (4) a “ouvert” le Festival aux stars d’Hollywood, comme Tim Burton (1), Sharon Stone (10), Angelina Jolie et Brad Pitt (5).

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Le « sélectionneur » est aux petits soins pour ses amis, acteurs et réalisateurs, comme Nicole Kidman (8) ou David Lynch (3). Certains le lui ren-

dent en venant à Lyon au Festival Lumière comme Quentin Tarantino (9) ou Jean-Paul Belmondo (7). Eclectique, il assume ses choix, parfois

source de frictions avec Gilles Jacob, son ex-patron (6). En 2010, il défend le polémique Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, avec Jamel Debbouze (2)…


le magazine.

••• acteurs français Gilbert Melki

semaine, Thierry Frémaux la passe à Paris. Ou à Londres, Los Angeles, Madrid, Berlin, en Asie, en fonction des films à voir, réalisateurs à rencontrer, des festivals à arpenter. Pour la Sélection à Cannes, il visionne près de 1 800 films en quelques mois, avec une petite équipe de passionnés qu’il fait trimer quasi bénévolement. Sept à huit par jour « Il y a une gourmanen période de sélection, une dise chez cet homme quinzaine par semaine le reste qui est réjouissante et rare », dit de lui du temps. Le week-end, il rentre Pierre Lescure, le à Lyon voir sa famille et s’occuprochain président du Festival de Cannes. ien n’aurait été per de l’Institut. possible sans Pour concilier les différentes Lyon. Un jour de facettes de sa vie, il s’est organijuin 1982, un sé autour d’habitudes de vieux jeune judoka et garçon, des repères auxquels il étudiant en histoire se pointe à la conférence de sollicite pour Cannes, Thierry Frémaux refuse s’accroche pour ne pas se laisser déborder par un presse d’ouverture de l’Institut Lumière. Lyon d’abandonner l’Institut Lumière, par sécurité rythme effréné. Un appartement à Paris, à vient de se souvenir qu’elle fut la ville du cinéma sans doute, par souci d’équilibre aussi. « Les deux quelques minutes de la gare de Lyon, un autre à et veut faire revivre les fameuses usines Lu- expériences se nourrissent l’une de l’autre », oppose- Lyon, choisi pour rejoindre le TGV en quelques mière devenues des hangars éventrés et battus t-il à ceux qui l’accusent d’utiliser Cannes pour pas. Dans le train, il réserve toujours la même par les vents, dans le quartier de Monplaisir. faire venir le gratin du cinéma mondial à Lyon. Il place dans le même wagon. « Cannes rend fou, il Thierry Frémaux a 22 ans, il est fou de cinéma, précise qu’il n’a pas attendu d’être appelé au Pa- est important de vivre une vie normale. » Et il fréqu’il a découvert avec son père et dont il parle lais des festivals pour inviter Elia Kazan et Joseph quente toujours les mêmes restaurants dont il sur la radio libre Radio-Canut, qu’il a cofondée. Mankiewicz dans sa ville.Et prévient:« Je ne par- connaît la carte par cœur et où il a sa table attitrée. « C’est mon côté lyonnais, je n’aime pas aller Il demande à participer à la création de l’Institut tirai d’ici que si on me chasse. » là où je ne connais personne. » Au Passage, dans le à titre bénévole. Son culot surprend Bertrand Tavernier qui préside la nouvelle structure et à 18 ans, lorsque ses parents quittent la ZUP pour centre de Lyon, où il nous emmène en point l’accepte dans l’équipe. Il découvre « un type for- retourner dans le Dauphiné, Thierry Frémaux d’orgue de ce tour de la ville, les serveurs lui font midable, passionné, travailleur ». décide de rester. Il prend un appartement avec la bise, l’encouragent à se servir au buffet avant Treize ans plus tard,Thierry Frémaux deviendra huit copains avec lesquels il part l’été en Amé- que les autres clients ne vident les plats, lui réle directeur artistique de l’Institut. Non sans mal. rique latine. « C’est ici que j’ai aimé le sport, le ci- servent une assiette de pâté en croûte. Ici, le Bertrand Tavernier raconte avoir menacé plu- néma, la politique. Je ne me suis jamais dit : “Je directeur de l’Institut Lumière organise, à l’ocsieurs fois de mettre sa démission dans la balance quitterai cette ville de merde!” Il y avait cette idée que casion du festival, des dîners mythiques où l’on pour contraindre les autorités de la ville à confier vivre aux Minguettes ne nous empêcherait pas de chante du Ferré et du Brassens jusqu’au bout de les rênes de l’Institut à son protégé: « Il n’avait mener la vie que nous avions envie de mener. » En la nuit. Dans cette bonbonnière kitsch tendue pas de titres, un parcours atypique, les politiques se octobre 1994, il assiste à la première destruction de velours rouge, les photos encadrées sur les demandaient s’il allait être à la hauteur. En un an, d’une tour : « On pleurait tous. » La fin d’un murs fixent les traces de ces étoiles filantes du il a réglé des problèmes qui traînaient depuis des an- monde, mais il s’accroche, il y installe sa femme cinéma mondial. Mais ce jour-là, Thierry Frénées; on a créé une collection de livres chez Actes Sud, et ses deux garçons, toujours dans le même im- maux tique. Sa table l’attend, dans un renfonceorganisé le centenaire, entrepris la restauration des meuble. Les cinq premières années du Festival, ment, à gauche, près du comptoir, mais le plafilms des frères Lumière, lancé le festival en 2009, la il fait des allers-retours entre la Croisette et la teau rond a été remplacé par un carré et ça, il construction de la salle de cinéma. Aujourd’hui, ZUP. Un jour, son épouse lui dit: « C’est sympa, insiste, ça le dérange vraiment. Il commande un chaque année en octobre, on fait venir 110000 per- mais quand tu n’es pas là, moi, je fais quoi? » Il verre de bon vin rouge et se remet à parler sans sonnes en une semaine pour voir surtout des clas- consent à déménager vers la Presqu’île dans un presque reprendre son souffle, de cinéma, de siques en noir et blanc… Tout le monde reconnaît que quartier catholique et bourgeois, mais jure: « Je Lyon, de l’enfance, du passé qui semble si doux, c’est un succès. » En 2001, quand Gilles Jacob le pourrais revenir m’installer ici demain. » La de la vie, et en oublie la table carrée.

ou Manu Payet.Autour de la table, on parle cinéma, bien sûr – « j’en parle du matin au soir », confesse Frémaux –, mais aussi sport, politique… « Il y a une gourmandise chez cet homme qui est réjouissante et rare dans les festivals », estime Pierre Lescure, qui va remplacer Gilles Jacob à la présidence de Cannes, et se dit « convaincu de former un bon ticket avec lui ».

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Photos Alexandre Guirkinger pour M Le magazine du Monde – 22 février 2014


ÉDITION

Hors -sé ri e

édition 2014 2014

économie & environnement

+ L’atlas de 193 pays

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Travaux de rÊhabilitation de l’ancienne prison Saint-Paul, dans le quartier de Perrache.

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Lyon s’est toujours rêvé en capitale. Entre deux eaux, deux collines, la ville réinvente sa géographie, avec la construction de tours, l’aménagement de ses rives en promenade, et la reconfiguration d’anciennes friches industrielles. Par Eric Collier/ Photos Sébastien Erôme

La double ville. 22 février 2014

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le portfolio.

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imon Kuper, un chro-

du Financial Times, a récemment publié quelques suggestions pour « sauver la France». Idée numéro 2: «Déplacer la capitale vers le sud. » En Provence, propose-t-il, un séjour prolongé au soleil et au contact des racines paysannes de la France ne saurait faire de mal aux élites dirigeantes du pays. Pas sûr que les Provençaux apprécieraient ce grand chambardement, mais il est une ville, un peu plus au nord, à peine plus au nord, qui se verrait bien jouer ce rôle capital: Lyon. Après tout, elle a déjà porté ce titre, il y a quelques centaines d’années, et elle a aussi une « tour Eiffel », plus discrète que la vraie, à Fourvière. Mieux, elle n’a jamais vraiment abdiqué cette ambition, « un syndrome lyonnais » selon l’historien Bruno Benoît, auteur du Roman de Lyon (Elah, 2013). Capitale dans ses rêves et provinciale dans son mode de vie, Lyon s’est toujours vue double. C’est inscrit dans sa géographie, avec ses deux collines et ses deux cours d’eau, la Saône et le Rhône. Cela se retrouve dans son histoire, souvent réactionnaire et frondeuse. Aujourd’hui en chantier permanent, Lyon se repeuple (près de 500000 habitants, 1200000 dans le Grand Lyon), se réinvente. «Elle se reconstruit sur elle-même, observe Patrick Miton, un architecte lyonnais. Sa grande chance, c’est son passé industriel et ses friches, qui offrent beaucoup d’espaces pour construire ou reconstruire. » La rive gauche du Rhône, autrefois dévolue aux voitures, a été transformée, de Gerland à la Têted’Or, en une longue promenade réservée aux piétons, aux rollers et aux cyclistes. Le quartier d’affaires de la Part-Dieu va accueillir une nouvelle tour. Et la pointe de la Presqu’île, longtemps dissimulée derrière les voûtes et l’échangeur de Perrache, a vu surgir un ambitieux projet urbanistique qui fait la fierté des dirigeants lyonnais : la Confluence. Des programmes de logements de standing, des immeubles de bureaux flambant neufs et quelques audaces architecturales ont remplacé les vieux bâtiments du mar-

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niqueur anglais

ché de gros et redonné vie à ce bout de ville longtemps déserté par les Lyonnais. « Lyon prend en main son destin », se réjouit François Bregnac, directeur général adjoint de l’agence d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise. Aux yeux de cet urbaniste, tout l’enjeu consiste désormais à «retravailler sur les limites de la ville pour en effacer les ruptures, et ainsi retrouver des liens urbains et une cohésion sociale ». Une préoccupation qui fait écho au regard du photographe Sébastien Erôme, auteur de ce portfolio. Pour raconter cette double ville, pour mieux deviner «comment ça va s’emboîter », il a déniché les endroits de «frottements», ces lieux où cohabitent présent et futur. «La photographie sait montrer ça », dit-il. Cette «redécouverte» de sa ville l’a conduit dans le nord, à Vaise, où un vieux bâtiment industriel Rivoire & Carret a été partiellement reconfiguré en espace commercial. Dans le centre-ville, dans un café de la place du Pont où les chibanis (vieux ou ancien en arabe maghrébin) enracinés dans ce quartier d’immigration coudoient de nouveaux venus tendance bobo. Et aussi au sud, sur un vieux stade de joute nautique (il n’y a pas que du foot à Lyon), qui survit dans l’ombre encombrante du futur Musée des confluences : un énorme établissement destiné aux sciences et aux sociétés qui doit ouvrir en 2015, au bout du bout de l’étroite langue de terre qui précède l’union du Rhône et de la Saône. lyon embellit, se renouvelle, cela saute aux yeux.

Mais ses habitants, qu’en pensent-ils ? Là encore, deux points de vue possibles. Pour l’historien Bruno Benoît, « la ville mute dans sa mise en scène, mais dans le fond rien n’a changé » : « Quand on est lyonnais, on ne va pas habiter à la Confluence », argumente ce spécialiste de la « lyonnitude ». Version locale de « il faut que tout change pour que rien ne change ». Pour l’urbaniste François Bregnac, en revanche, « la bascule a eu lieu », les Lyonnais se réapproprient cette terre de conquête, et le Confluent n’est plus le quartier « derrière les voûtes » mais un quartier à part entière de la métropole lyonnaise. Et un signe que Lyon aime toujours regarder vers le sud, à l’opposé de Paris.

Photos Sébastien Erôme/Signatures pour M Le magazine du Monde – 22 février 2014


Porche d’entrée de l’ancien marché de gros dans le quartier de la Confluence, qui connaît un ambitieux projet architectural à la pointe de la Presqu’île. Le bâtiment de droite a été rasé le lendemain de la prise de vue. Le Musée des confluences (ci-contre), photographié depuis le stade de joutes de la Mulatière.

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Le portfolio.

En février, aux abords des quartiers du Bon-Lait et de Techsud, entre le port et le stade de Gerland.

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Photos Sébastien Erôme/Signatures pour M Le magazine du Monde – 22 février 2014


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Le portfolio.

La Part-Dieu (en haut). A l’arrièreplan, la nouvelle tour Oxygène. Le site de l’ancienne usine Rivoire & Carret, quartier de Vaise, dans le nord de Lyon (ci-contre). Page de droite, face au Palais de justice, The Weight of One Self, une statue créée par les artistes Michel Elmgreeen et Ingar Dragset dans le cadre du projet de réhabilitation des rives de la Saône.

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Photos Sébastien Erôme/Signatures pour M Le magazine du Monde – 22 février 2014


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Le Style

/ Mode / Beauté / Design / Auto / / High-tech / Voyage / Gastronomie / Culture /

Une faim de Lyon.

Vues depuis la rue, les cuisines de L’Institut, le restaurant-école de Paul Bocuse place Bellecour, à Lyon. 22 février 2014

La ville aux 2000 restaurants abrite une culture gastronomique vivace. Si la figure tutélaire de Paul Bocuse en impose toujours, de nombreux chefs sortent des sentiers battus, bousculant la tradition et les papilles. Par Boris Coridian/ Photos Félix Ledru - 65


Le style.

M

anger à Lyon, c’est du sérieux. Il suffit de feuilleter le livre d’or de la cité traversée par le Rhône et la Saône pour se faire une idée de la haute estime dans laquelle la ville tient la gastronomie. Paul Bocuse, les mères lyonnaises, le titre – officieux et délicieusement suranné – de « capitale mondiale de la gastronomie », le concours des Bocuse d’or (la Coupe du monde de cuisine) et bientôt une Cité de la gastronomie (enfin, d’ici 2016 ou 2017…) : Lyon envoie du lourd. Avec 2 000 restaurants, elle offre une quantité astronomique d’adresses gourmandes et le pouls de la ville se mesure aux ouvertures (et fermetures parfois fracassantes) d’établissements. A Lyon, on adore cuisiner les nouveaux chefs. Les locaux s’échangent les nouvelles adresses comme des petits trésors. Le bouche-à-oreille est encore le meilleur guide du coin. Tirant parti de cette grande exigence et de cette culture gastronomique vivace, la ville mijote toute sa communication autour du goût. Les visiteurs sont bichonnés, aiguillés vers les bonnes adresses et repartent rarement déçus. La ville veut également profiter de sa position géographique pour mettre en avant les produits des régions avoisinantes. Elle est le carrefour du goût made in France, au milieu de l’axe nord-sud – la Bourgogne au-dessus et la Méditerranée en ligne de mire – et située entre l’Auvergne et les Alpes. Mais le goût de Lyon en 2014, ça ressemble à quoi ? Coincées entre les spécialités vintage (difficile de trouver une quenelle ou un saucisson brioché au menu d’un restaurant en dehors de Lyon…) et les monuments truffés (la soupe VGE servie chez Bocuse depuis 1975), les papilles venues d’ailleurs ont parfois du mal à exprimer précisément ce qu’elles viennent y chercher. Du bon, certes. Mais sous quelle forme? Et si on demandait au maire de servir de guide ? Gérard Collomb, premier magistrat de la commune depuis 2001, gastronome averti et grand amateur de côte-rôtie : « Celui qui définit le mieux cette cuisine, c’est Paul Bocuse. Il dit : “Le plus important, c’est le produit.” S’il y a un héritage de la gastronomie lyonnaise, aujourd’hui elle se transforme, se renouvelle, tout en restant fidèle à ses racines. » Si « Monsieur Paul » est dans toutes les bouches, c’est qu’il est omniprésent. Il a quadrillé géographiquement tous les quartiers de la ville avec ses brasseries et restaurants. Le dernier rejeton de la galaxie : L’Institut, attenant à l’Hôtel Le Royal situé place Bellecour, est le restaurant d’application de son école où les étudiants servent une jolie cuisine bistro chic dans une salle lumineuse et moderne d’où tous les clients peuvent voir les futurs chefs en action.

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Pour plonger un peu plus loin dans la gueule du vieux Lyon, il faut pousser la porte d’un bouchon. Rendez-vous Chez Hugon, institution à proximité de l’hôtel de ville. Dans la salle, « où la décoration n’a pas bougé depuis 1935 », comme l’explique la patronne, on se serre autour de tables protégées par des nappes à carreaux. Le menu n’a pas beaucoup changé depuis un siècle non plus. Les portions sont généreuses. Le pied de veau sauce ravigote servi en entrée est proposé dans un saladier. Difficile d’avaler toute cette quantité de cartilage nacré pour être honnête, mais la sauce du poulet au vinaigre qui suit est délicieuse. On vient dans ces restos populaires pour casser la croûte, mais aussi pour donner ses rendez-vous. A Lyon, le déjeuner est une institution. Chez La Mère Brazier, les salons à l’étage sont parfaits pour offrir des espaces de confidentialité propices aux déjeuners d’affaires. De cette maison ouverte en 1921 qui a tout connu – les trois étoiles, puis le creux de la vague –, le chef Mathieu Viannay a repris les rênes depuis 2008. Ce MOF (meilleur ouvrier de France) a conservé les recettes d’hier pour les mettre au goût du jour. Le pâté en croûte (un autre dada de Lyon) est sublime et la poularde en demi-deuil, proposée en deux services – le suprême à la crème puis la cuisse croustillante dans son bouillon – est à tomber de bonheur. Avec ses deux étoiles, La Mère Brazier est sur la route qui devrait lui permettre de retrouver son lustre d’antan. Mais qui sont les cuisiniers qui électrisent aujourd’hui les assiettes lyonnaises ? Une alternative s’organise pour sortir du carcan dans lequel la gastronomie locale semble parfois un peu engoncée. Guillaume Monjuré incarne cette nouvelle voie. Au Palégrié, ses vingt-cinq couverts sont honorés, pour le déjeuner ou le dîner. Dans sa microcuisine, le chef (ex-Jamin, Olivier Roellinger, Apicius…) envoie ses plats du marché, frais et décomplexés. Chrystel Barnier, son épouse (ex-George-V, Apicius…) fait le service et conseille de jolis vins. On est loin du faste des grandes tables étoilées, et pourtant son poulpe, bouillon de bœuf, bonite séchée mériterait une belle récompense. « Je ne suis pas seul à Lyon à proposer une autre approche, ni gastro classique ni bouchon. Je peux citer Substrat, Arsenic ou Le 126, avec qui nous partageons la même vision. » En s’installant dans la ville, le chef de 32 ans, originaire de Tours, est venu chercher un public gourmand aux papilles affûtées. « Les Lyonnais sont de vrais épicuriens, ils peuvent sortir plusieurs fois par semaine. Et au moins ici, pas de problème pour servir des abats ! » Pas de second service non plus, comme c’est (trop) souvent le cas dans les tables branchouilles, notamment à Paris, où il faut arriver à 19 h 30 ou à 21 h 30. Dans la préfecture du Rhône, on prend son temps, pas question de presser le client. En servant son cabillaud aux cardons, le restaurateur précise que ce légume emblématique de Lyon n’a pas vocation à jouer la carte de la tradition mais celle du locavore. « C’est la saison, et mon producteur m’en a proposé de magnifiques. J’ai à peine eu besoin de les effiler. » La présence dans l’assiette de lard de Colonnata et de chips de vieux comté achève de vous faire comprendre que le chef puise dans son inspiration plutôt que dans les vieux grimoires. cuisiner à Lyon c’est aussi ceLa : un sLaLom risqué entre les mythes qui jalonnent le patrimoine local. Le jeune chef raconte son expérience : « Les quinze premiers jours d’ouverture du restaurant, je revisitais la cervelle de canut… J’ai arrêté rapidement. Et je ne sers jamais de saint-marcellin, sauf si les clients m’en réclament. » Le look décontracté du cuisinier fait aussi partie de cette volonté de bousculer les codes et les habitudes. « Comment faire partie des Toques blanches [un club de chefs qui prône la qualité et le respect de la tradition culinaire, ndlr], alors qu’on ne porte même pas de veste ? », demande avec malice celui qui travaille en tee-shirt sous son tablier bleu, l’uniforme des chefs bistronomiques. L’amour du produit que partagent ces jeunes chefs et les institutions plus classiques est en passe de les rapprocher. Et de permettre à cette cuisine lyonnaise de reprendre du poil de la bête. Gérard Collomb veut y croire. « Récemment, la gastronomie s’est lancée dans quelque chose de très élaboré : les émulsions, le moléculaire… La cuisine lyonnaise, celle que j’aime, c’est une cuisine où l’on sait ce que l’on mange. » Ça tombe bien, c’est la cuisine d’aujourd’hui. 22 février 2014


carnet d’adresses Bouchon lyonnais Chez Hugon 12, rue Pizay, Lyon 1er. Tél. : 04-78-28-10-94.

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La Mère Brazier 12, rue Royale, 1er. Tél. : 04-78-23-17-20. L’Institut, restaurant-école 20, place Bellecour, 2e. Tél. : 04-78-3723-02. Restaurant Palégrié 8, rue Palais-Grillet, 2e. Tél. : 04-78-9294-84.

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Chez La Mère Brazier, le chef Mathieu Viannay (1) remet au goût du jour les recettes d’hier, comme ces aiguillettes de saint-pierre, poireaux étuvés, nage aux herbes et truffes. Au menu du bouchon Chez Hugon : quenelles de brochet ou pied de veau sauce ravigote. La décoration et la carte ont peu varié en près de quatre-vingts ans (2). Guillaume Monjuré (3), chef du Palégrié, défend une cuisine libre, « ni gastro classique ni bouchon ». 3

Photos Félix Ledru/Picturetank pour M Le magazine du Monde

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Le sac à dos à L’orIgINE

La provoc’ rock de Siouxsie Sioux.

Dès 1976, la jeune chanteuse se fait remarquer lors d’une émission de télévision anglaise en flirtant en direct avec l’animateur. Deux ans plus tard, elle crée avec son groupe Siouxsie and The Banshees la chanson Hong Kong Garden, qui deviendra l’hymne d’une génération. Rayon style, Siouxsie multiplie les extravagances et le maquillage outrancier. Et continue d’inspirer de nombreux créateurs de mode.

L. B.-C. Stylisme F. K.

La bague.

En argent et obsidienne, Sissai, 74 €. boticca.com

La robe.

Longue en coton, See by Chloé, 287 €. www. thecorner.com

Dès la pré­ histoire, les hommes inventent poteries et outres pour transporter les denrées alimentaires et le matériel. A partir du xie siècle, la hotte en osier apparaît et se porte parfois sur le dos. Au xviie siècle, on construit des cadres en bois fixés aux épaules à l’aide de lanières en cuir. Deux cents ans plus tard, un grand sac de cuir est attaché à des cadres, créant le premier sac à dos. En 1909, le bois est remplacé par du métal, le cuir par de la toile, et le modèle est déposé par Ole F. Bergan, puis développé en France par Millet et Lafuma. Dans les années 1950, l’Américain Dick Kelly invente un produit en aluminium plus léger, avec une sangle au niveau de la taille. Dans les années 1970, certaines marques profitent de l’essor des activités de plein air pour sortir des collections destinées à la ville. Le sac à dos entre dans les universités américaines. En France, il remplace le cartable en cuir au collège et au lycée à la fin des années 1980.

Le braceLet.

En argent et cristaux, Kenneth Jay Lane, 130 €. www. theoutnet.com

EXPOSITION

Quand l’élégance prenait le maquis.

On a coutume de dire que la mode a fait ses trouvailles les plus significatives en période de restriction. Et les plus durables aussi : les sandales à semelle en liège ou en bois arpentent encore les trottoirs de Paris dès que les beaux jours arrivent. Une exposition à Lyon rappelle l’inventivité des femmes et de toute une industrie face à la raréfaction du cuir, de la laine et du coton, et aux contraignantes cartes textiles en vigueur à partir de juillet 1941. La résistance s’exprime aussi par ce refus fièrement affiché de perdre son droit élémentaire à la frivolité. Quand le shampooing manque, on couvre ses cheveux de chapeaux et turbans. Le brou de noix remplace les bas, et les souliers recouverts de toile et lacés autour de la cheville ne manquent pas de charme. Ca. R. « Pour vous, Mesdames ! La mode en temps de guerre. » Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation. 14, av. Berthelot, Lyon. Jusqu’au 13 avril. Visites commentées à réserver. www.chrd.lyon.fr

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à L’arrIvéE

Recherche du confort, influence grandissante des années 1990 ou retour d’une esthétique « montagnard 1930 », le sac à dos arrive dans les col­ lections des maisons de luxe, qui le libèrent de son image « scout toujours ». Le designer anglais Christo­ pher Kane s’inspire du vintage et propose un modèle en cuir noir avec fleurs bro­ dées type canevas. Pierre Hardy continue de capitaliser sur son motif cube 3D en l’apposant sur un large sac à poches (photo). Plus sauvage, Jérôme Dreyfuss décline sur cuir ou toile des imprimés animaliers. J. N.

Maisons Louise/Dalle APRF. Sissai. Chloé. Kenneth Jay Lane. Art Media/Print Collector/Getty Images. Pierre Hardy. Pierre Verrier

L’ICÔNE


Le style.

FéTICHE

Traitement de chic.

Brera est l’un des quartiers les plus chics de Milan. Son Académie des beaux-arts attire depuis 1950 une faune élégante d’esthètes en tous genres. Il n’en fallait pas plus pour inspirer les marques italiennes : Alfa Romeo a donné à l’un de ses coupés ce nom symbole de sophistication. Et Bottega Veneta, fleuron du groupe Kering, vient également de le choisir pour baptiser son dernier sac. Ce grand format aux faux airs de sacoche de médecin est coupé dans un cuir de chèvre ultra-souple, soumis à une teinture végétale et travaillé en dégradé de couleurs. Ca. R. Sac Brera en cuir madraS Sfumato, grand modèle, Bottega Veneta, 2 400 €. tél. : 01-42-65-59-70. www.BottegaVeneta.com

22 février 2014 – Photo françois coquerel pour m le magazine du monde. Stylisme fiona Khalifa

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Le style. VARIATIONs

L’appel du vide.

Posé dans l’entrée ou au milieu du salon, le vide-poche est devenu le réceptacle des vieux tickets de métro ou de pressing, des clés et autres grigris plus ou moins anecdotiques. Inexistant il y a encore vingt ans, il s’est développé au point d’être décliné dans tous les matériaux, du design le plus écologiquement correct au modèle archipointu. On y expose ses trouvailles quotidiennes comme s’il s’agissait d’une nature morte sophistiquée… Au risque de transformer ce récipient élégant en vulgaire fourre-tout. L. B-C De haut en bas, viDe-poche bénitier à visser en hêtre, Design inga sempé, moustache, 53 €, www.moustache.fr viDe-poche Les briQues en bois De charme, finition LaQuage satiné bLanc, Design fX baLLéry, y’a pas Le feu au Lac, 26 €, www.ypLfL.com viDe-poche carré en cuir, coLLection ateLier 2011, poLtrona frau, 210 €, www.poLtronafrau.com viDe-poche sweLL en céramiQue, Design Luca nichetto petite friture, 29 €. www.petitefriture.com

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22 février 2014 – photo françois coquerel pour m Le magazine du monde. stylisme fiona Khalifa.


Le goût des autres Le bide du minitop. Par Carine Bizet

L

a mode aime les raccourcis. C’est le moyen le plus facile que les designers ont trouvé de rafraîchir des pièces classiques sans trop se creuser l’hémisphère gauche du cerveau – siège de la créativité. Résultat, les boutiques proposent des hauts aux proportions étranges : ils s’arrêtent brutalement sous les seins, plus ou moins bas sur les côtes. Les Anglo-Saxons appellent cela un « crop top », un top rogné, tout un programme. D’emblée, on est dans la restriction et l’économie, des thèmes qui vont, certes, avec l’époque. Stylistiquement, en revanche, on est moins dans l’harmonie. D’abord cette pièce coupe sans pitié la silhouette dans le sens de la largeur : un effet « tranche de rôti » qui n’est pas réputé pour amincir. Et puis, il faut savoir quoi porter avec ce modèle réduit : une jupe ou un pantalon à taille haute reste l’option la plus raisonnable et la moins calamiteuse. C’est également une façon plus ou moins habile de jouer aux Lego avec sa silhouette et à cache-cache avec son ventre. Le mal de tête guette : quelle surface de peau optimale dévoiler ? Comment

éviter le débordement latéral disgracieux, autrement connu sous le nom délicieux de poignée d’amour ? Faut-il coordonner la couleur du haut et celle du bas, histoire de conserver une unité ou, au contraire, fautil miser sur un contraste qui déstructure la ligne ? La résolution de cette équation stylistique du quatorzième degré pourrait presque être distrayante si elle n’était pas incompatible avec les rendezvous de la vie quotidienne : obligation d’arriver à l’heure au travail, de nourrir ses enfants, de ne pas les abandonner à l’arrêt de bus parce qu’on a froid au nombril, etc. A ce stade, on a presque oublié la question de l’ourlet « rogné » de ce haut. Et pourtant. Interdiction désormais de lever les bras sous peine d’exhiber son soutien-gorge qu’il faudra de toute manière choisir avec soin et de préférence discret et raccord couleur avec le top à problème. Même dans les cas rarissimes où on se sert peu de ses bras, il faut admettre que le moindre déplacement de souris d’ordinateur est susceptible de transformer cette pièce en brassière, un élément qui

reste mal noté en termes de tenue professionnelle (à moins d’être serveuse dans un bar de plage). Enfin, il va falloir songer à se tenir bien droite, parce que tout affaissement de la colonne vertébrale fera ressor-

tir la chair, aussi ferme soit-elle, dans l’espace livré à la vue du public et au vent. C’est la poussée d’Archimède appliquée à la mode. Et la goutte d’eau qui donne envie de se rhabiller.

TêTe chercheuse

Illesteva s’est fait une place au soleil.

Peter Richardson. Illesteva/Mr Porter

si les griffes de luxe dominent, par la magie des licences, le marché de la lunette de soleil, certains indépendants parviennent malgré tout à se frayer un chemin vers le succès. en la matière, le label californien Oliver Peoples, créé il y a vingthuit ans par Ken schwartz et Larry Leight, a montré l’exemple. ces dernières années, la marque new-yorkaise Illesteva est elle aussi sortie du lot. Fondée en 2009 par le designer Daniel silberman (à gauche) et le DJ Justin salguero (alias Jus ske, à droite), qui a travaillé avec Madonna, Jay-Z et Pharrell Williams, elle s’est retrouvée en 2012 parmi les dix finalistes du célèbre prix américain pour la jeune création, le cFDA/Vogue Fashion Fund. La clé de leur réussite ? un design intemporel, des matières sophistiquées (bambou, bois, titane ou corne de bison) et une fabrication artisanale en France, Italie et Allemagne. en moins de quatre ans, Illesteva – dont les modèles s’arrachent, jusqu’à la rupture de stock – a déjà signé des collaborations avec le styliste Zac Posen, les bijoux house of Waris et, juste avant sa disparition, avec la légende du rock, Lou reed. J. N. Illesteva disponible sur MrPorter.com. Lunettes rondes Léonard en acétate, 165 €.

Illustration Johanna Goodman pour M Le magazine du Monde

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Pour les couleurs et les motifs, Satu Maaranen s’est inspirée des rayures du dentifrice et du sucre d’orge.

HorLoGEriE

Globe-trotteuse.

Vous travaillez sur l’idée de « porter la nature ». Comment cela se concrétise-t-il?

La styliste finlandaise a remporté le Grand Prix du jury Première vision de la mode au Festival international de Hyères l’an dernier. Basée à Helsinki, elle s’intéresse à l’intégration du vêtement dans l’environnement. Ses imprimés numériques sont comme de grands paysages peints. Elle collabore ce printemps avec Petit Bateau pour la femme et l’enfant.

J’ai déjà recouvert de la soie avec de la cendre, du sable et de l’herbe, pour créer des motifs ou diversifier les textures. Mais cela peut aussi s’exprimer métaphoriquement. Même si mes vêtements ressemblent à des pièces « couture », je reste obsédée par la fonctionnalité. Chaque coupe, chaque détail, chaque matière doit être choisi dans un but bien précis. Tout a un sens, une fonction, une raison d’être. En pensant de cette façon, je me rapproche de la nature, qui ellemême laisse peu de choses au hasard.

Que reste-t-il de votre démarche dans la collection que vous avez dessinée pour Petit Bateau?

J’ai utilisé une technique libre d’impression numérique sur tricot pour créer des vagues que l’on croirait peintes à main levée. La même que dans ma collection « Landscape » avec laquelle j’ai gagné le Grand Prix de Hyères. Le résultat est un très bon compromis entre mon esthétique et celle, marine, de Petit Bateau. J’ai aussi voulu sortir de mon univers romantique et 72

produire quelque chose de plus ludique en m’inspirant, pour les couleurs et les motifs, des rayures du dentifrice ou du sucre d’orge. Le défi était de conserver autant de spontanéité que de luminosité, ce qui est moins facile sur du jersey que sur du tissu. Mais je crois que nous y sommes parvenus.

Recevoir un prix ou collaborer avec une marque connue, quel est le plus court chemin vers la notoriété pour un jeune créateur?

Les deux sont d’importance égale et complémentaires. Avec Hyères, j’ai bénéficié d’un seul coup d’une visibilité incroyable dans la presse mode et j’ai pu sortir du lot un peu abstrait de la jeune création. Les gens du métier ont pu m’identifier. Avec Petit Bateau, c’est évidemment le grand public que je vais pouvoir toucher. La collection sera vendue dans 300 boutiques à travers le monde.

Propos recueillis par Caroline Rousseau

Patek Philippe Heure Universelle réf. 7130. Boîtier en or rose de 36 mm de diamètre, serti de 62 diamants (0,82 carats). Fond en verre saphir transparent. Mouvement à remontage automatique avec indication simultanée de l’heure des 24 fuseaux horaires. Prix sur demande. Tél. : 01-42-44-17-77.

Arnaud Lajeunie x2. Philep Motwary. Patek Philippe

3 questions à SATU MAARANEN

On appelle montres à complication celles dotées de fonctions élaborées. Elles étaient considérées comme l’apanage des hommes, soi-disant plus sensibles à la mécanique que les dames. Or, le goût pour la complexité n’a pas de genre et les marques horlogères le découvrent sur le tard. Patek Philippe est un pionnier en la matière. Son modèle 7130 est destiné aux grandes voyageuses. Sa complication d’heures universelles permet de connaître l’heure partout sur la planète en un coup d’œil. Les aiguilles centrales donnent celle qu’il est ici. La périphérie du cadran montre une ville de référence pour chacun des 24 fuseaux horaires, positionnée face à l’heure qu’il y est. Patek a opté pour un boîtier en or rose de taille moyenne à la lunette sertie. L’ensemble est d’une sobriété ivoire et d’une qualité mécanique exceptionnelle. D. C.


Le style.

LA PALETTE teint nomade.

Résistant à l’avalanche de « BB » et autres « CC creams », le fond de teint compact continue de se réinventer. Un objet né dans les années 1930 grâce à Max Factor : « A l’époque, il révolutionne le maquillage avec son “cake”, un fond de teint mis au point suite à l’arrivée du cinéma en Technicolor, explique Anne de Marnhac, auteure de Beauté. Histoire, florilège & astuces (La Martinière). Il fallait permettre aux actrices de cacher les imperfections et de matifier leur peau sans que le fond de teint ne soit perceptible. » Alors qu’on a longtemps reproché à ce genre de produits d’être justement trop épais, une nouvelle génération de matières aériennes vient de sortir, plus moelleuses et moins figées. Avec la perspective d’avoir dans son sac un objet chic qui ne risque pas de dégouliner. L. B.-C. De gauche à droite et de haut en bas, fond de teint crème compact correcteur Dermablend, Vichy, 22,90 €. Fond de teint compact crème éclat, Nars, 46 € le poudrier (vide) et sa recharge. www.narscosmetics.fr Vitalumière douceur lumière, Chanel, 52 €. www.chanel.com Mine de rien, Serge Lutens, 160 € (rechargeable). www.sergelutens.com Fond de teint poudre compact Smooth Finish, Laura Mercier, 45 €, au Printemps et au Bon Marché. www.lebonmarche.com

Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde. Frank Hülsbömer. Achivio Storico Flos

Réédition

Lumière mûrement réfléchie.

Si la personnalité d’un créateur se retrouve dans ses œuvres, c’est particulièrement vrai chez Gino Sarfatti. designer, ingénieur et entrepreneur, ce Vénitien a réinventé la lumière en créant plus de 600 lampes totalement novatrices. Entièrement réalisée par ses soins, depuis le dessin jusqu’à la fabrication, en 1951, la 548 en est l’illustration parfaite. La lumière de cette lampe de table en porte-à-faux, appuyée sur un contrepoids, se réfléchit dans le diffuseur-abat-jour en forme de vasque, fabriqué en Perspex (acrylique) blanc, bleu ou orange. A l’époque, ce matériau totalement novateur fait de la 548 l’un des premiers luminaires à s’extraire de l’éclairage direct pour apporter une lumière réfléchie. toute sa vie, Gino Sarfatti poursuivra ce travail de recherche autour de la lumière indirecte. il y a deux ans, à l’occasion du centenaire de la naissance du maître, le patron de Flos – spécialiste du luminaire à qui Gino Sarfatti avait revendu son entreprise, Arteluce, en 1973 –, songe à la réédition d’une partie de son patrimoine. deux années ont été nécessaires pour intégrer les technologies contemporaines, en l’occurrence des leds, et offrir ainsi une seconde vie à la 548. M. Go.

A droite, la version originale de la 548 (1951). Ci-dessous, la réédition du modèle par Flos.

Modèle 548, de Gino Sarfatti, Flos, 1 104 €. www.flos.com

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Le style.

un peu de tenues…

La chemise blanche. En voile de coton ou en popeline japonaise, cette pièce classique se prête à tous les raffinements. Les coupes varient, mais l’éclat demeure. Par Marine Chaumien/ Photos Alexis Armanet

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22 février 2014


page de gauche, chemise en popeline japonaise, Balenciaga. jean, Zadig & Voltaire. ci-contre, chemise en coton texturĂŠ, emporio armani.

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Le style.

page de gauche, chemise en coton, AtlAntique Ascoli. Jean, APc. Bague serrure en or Jaune et diamant, Dinh VAn. ci-contre, Blouse en coton, christoPhe lemAire. Jean, leVi strAuss & co.

22 fĂŠvrier 2014

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Le style.

ci-contre, chemise en coton, IKKS Men Pure edItIon. Jean, LevI StrauSS & Co. page de droite, chemise en voile de coton, PauL SMIth. Jean, aPC. mannequin : georgia hilmer @ next coiffure : fred teglia maquillage : marielle loubet assistante stylist : ana li mraovitch

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22 fĂŠvrier 2014


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Le style.

JP Géné Léon de Lyon.

Le carnet d’adresses LÉON DE LYON, 1, rue Pleney. Ouvert 7/7 j. Tél. : 04-72-10-11-12. www.leondelyon.com LE BISTROT DE LYON, 64, rue Mercière. Ouvert 7/7 j. Tél. : 04-78-38-47-47. www.bistrot-de-lyon.com

A lire LE BISTROT DE LYON, 40 ANS RUE MERCIÈRE, de JeanPaul Lacombe, Glénat, 256 p., 29 €

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Paul. A la mort de Léon en 1928, le Chicago Daily Tribune a rendu hommage à cet homme d’énorme appétit et de grande soif dont la devise était : « Mieux vaut boire et s’en ressentir que ne pas boire et s’en repentir ». Il s’en est ressenti définitivement à 57 ans. I L FAU D R A AT T E N D R E 1 9 5 0 pour qu’après de multiples changements de propriétaires Léon de Lyon renaisse sous la houlette de Paul et Gisèle Lacombe – « Femme du Puy et homme de Lyon faisant bonne maison », selon le dicton. Depuis, les Lacombe n’ont pas quitté le no 1 de la rue Pleney. On y buvait à toute heure du beaujolais et du mâcon au rez-de-chaussée. Le restaurant était à l’étage, dans deux petites salles. Paul Lacombe a fait son tour de France et il connaît la cuisine. Foie gras en brioche, terrine maison et galantine truffée, truite farcie braisée au porto, gratin de queues d’écrevisse, coq au vin, poularde « Mère Léon » aux morilles, tous ces classiques construisent la renommée de la table qui obtient sa première étoile en 1955. Ce sont les Trente Glorieuses, et Lyon regorge de chefs de talent. Les Nandron, Vettard, Bourillot, Chapel, Bocuse, forment une joyeuse bande de farceurs qui, le 1er avril 1971, rebaptisera la rue Pleney « rue Léon de Lyon, Paul Lacombe, inventeur de la cervelle de canuts ». Les affaires prospèrent si bien que le fisc, intrigué, s’intéresse à cette « mafia lyonnaise ». Paul Lacombe se retrouve en première ligne face aux gabelous tant et si bien que, couvert de

dettes et le moral ruiné, il y laissera la vie en 1972. C’est la qualité des mariages réussis : même dans l’adversité ils ne rompent pas et Lyon ne pouvait vivre sans Léon. Le fils Jean-Paul, alors commis chez Lasserre à Paris, doit rentrer au restaurant familial : the service must go on ! et il va continuer sous la direction de ce jeune chef de 25 ans avec le soutien des copains de son père au point d’obtenir la seconde étoile en 1978. Au fond de lui-même, la course aux étoiles n’est pas son truc. Il perdra d’ailleurs la seconde en 1992, et Léon de Lyon redeviendra une brasserie où la bourgeoisie lyonnaise a ses habitudes. Le P’tit Lacombe, comme dit Bocuse, rêve d’un bistrot où « on joue aux cartes », on vient manger et bien vivre avec ses copains. Dès 1974, il a acheté un ancien claque, rue Mercière, entre Saône et Rhône, dans un quartier à l’abandon livré au ta-

pin sordide. Il sera le premier en France à ouvrir un bistrot en parallèle de son restaurant étoilé. Succès immédiat du Bistrot de Lyon servant tard le soir dans une ville où c’était couvre-fourchette après 21 heures. Le décor bistrot est magnifique et l’on s’y accommode d’un gratin d’andouillette à l’ancienne purée de pommes de terre comme d’un filet de merlan, coulis de persil et velouté de panais au wasabi. Pour faire patienter les clients à l’apéro puis accueillir les mêmes au pousse-café, il a créé avec son complice Jean-Claude Caro le bar du Bistrot mitoyen. Aujourd’hui la rue Mercière rénovée offre une succession d’enseignes pas toutes recommandables et le Bistrot de Lyon y fête ses quarante ans. Bravo à Jean-Paul Lacombe pour avoir osé le premier et pour nourrir tous les jours de l’année celui qui passe par Lyon. jpgene.cook@gmail.com

Depuis plus d’un siècle, Léon et Lyon sont unis sous le régime de la communauté des sons et des mets. Régime n’est peut-être pas le mot juste dans cette cité où la diète se décline en gras-double, pâté en croûte, saucisson chaud, sabodet…

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Cecilia Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

R

arement un restaurant peut se confondre à ce point avec la ville qui l’héberge. Seule une voyelle sépare en effet Lyon de Léon et depuis plus d’un siècle les deux sont unis sous le régime de la communauté des sons et des mets. Régime n’est peut-être pas le mot juste dans cette cité où la diète locale se décline en gras-double, pâté en croûte, saucisson chaud, sabodet, cervelle de canuts, gratin de macaronis, cardons à la moelle, quenelles de brochet, bugnes, tartes aux pralines… arrosés de pots de beaujolais. Tel est l’ADN de Léon de Lyon, né dans les bras de la mère Coquit qui tenait en 1900 épicerie buvette dans la rue Petite-Longue devenue rue Pleney. Léon (Déan) est arrivé d’Anjou à la veille de la guerre de 1914-18. Avec Mme Léon. De fortes personnes – le couple dépassait les trois quintaux – qui ont donné son prénom à l’estaminet et assuré une renommée mondiale à sa cuisine lyonnaise, réalisée alors par Georges Bocuse, le père de


Le resto

Croix-Rousse et Soleil-Levant. Il faut y aller en bus ou en taxi pour redescendre à pied de la Croix-Rousse, ce qui facilite la digestion et permet de découvrir Lyon dans toute sa splendeur. Le Canut et les Gones semble sorti de l’histoire de la Croix-Rousse avec ses salles bistrot, cette abondance d’horloges et de plaques publicitaires aux murs, qui en font un lieu unique et fort sympathique. Cuisine traditionnelle aux nuances japonisantes, fruit de la collaboration entre Franck Blanc, maître des lieux, son second Kazuhito Uchimura et le pâtissier Daisuke Odashima. Le menu lyonnais (24,70 €) bien sûr (saladiers lyonnais, gratin d’andouillette purée, tarte praline), les formules à trois plats midi (18,50 €) et soir (28,80 €), et une carte soucieuse des saisons et des produits locaux. J’avais une petite faim, et une

terrine de gibier (6,70 €), un gratin de macaronis (5,20 €) et un fromage blanc à la crème ont fait mon bonheur avec un quart d’Hortus à 9 €. Jolie sélection de vins, certains nature au verre, fillette, pot et bouteilles à moins de 32 €. J’aurais pu choisir des ravioles de homard ou une longe de veau, purée de pommes de terre et patates douces, cerfeuil tubéreux et panais rôtis. N’hésitez pas à monter sur la Croix-Rousse pour y manger en dehors des sentiers battus. JPG Le Canut et les Gones, 29, rue de Belfort, Lyon 4e. Tél. : 04-78-29-17-23. Fermé dimanche et lundi.

banc d’essai

Le coteauxdu-lyonnais.

Une vingtaine de vignerons et une cave coopérative s’activent à faire vivre quelque 300 hectares de vignes tout près de Lyon. Les caractéristiques de la vallée du Rhône appliquées au gamay révèlent un rouge frais, fondu et soyeux, à des prix attractifs.

Par Laure Gasparotto

Jonathan Fayard x2. DR x5

Les coordonnées

de la série Un peu de tenues… La chemise blanche, p. 72. APC : 01-42-39-84-46 AtLANtIqUe AsCOLI CHez COLette: www.colette.fr BALeNCIAGA : 01-56-52-17-32

Domaine De La Petite GaLLée, Cuvée 1896 2012

Le charnu Poivré et profond, il provient d’une vigne de plus de 100 ans, et ça se sent, car ses saveurs libèrent une minéralité pleine de rebondissements. Tél. : 04-78-46-24-30. 13 €.

Domaine Des Grès 2010

Le sanguin Voilà qui est à boire ! C’est sanguin et fruité à souhait, gourmand et long. Notes agréables d’épices. Avec des charcuteries ou même un couscous. Finale dynamique. Tél. : 04-78-46-18-38. 5 €.

CHRIstOPHe LemAIRe : 01-44-78-00-09 DINH VAN : 01-42-86-02-66 emPORIO ARmANI : 01-53-63-33-50 IKKs : 02-41-75-21-21 LeVI stRAUss & CO : 01-45-08-40-32 PAUL smItH : 01-53-63-13-19 zADIG & VOLtAIRe : 01-42-21-88-88

réGis DesCotes rouGe PrestiGe 2011

L’élevé Un vin simple et néanmoins profond, élégant et équilibré. Notes rondes de griottes et de fruits noirs pour cet ensemble très bien élaboré. Finale fraîche. Tél. : 04-78-46-18-77. 7,10 €.

Domaine Du CLos saint-marC Le GranD CLos 2011

L’appétissant Avec son abord sympathique, ce gamay gouleyant est issu de vieilles vignes qui lui donnent de la profondeur et du relief.

Tél. : 04-78-48-26-78. 8,70 €.

Domaine ConDamin, Cuvée Les anCiennes 2012

Le soyeux Un vin de tous les jours qui nourrit, qui accompagne le repas, voire désaltère grâce à sa structure fluide et fraîche, fruitée et souple. C’est sain, plein et simple. Tél. : 04-78-48-71-87. 6 €.

Pages réalisées par Vicky Chahine et Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Carine Bizet, Boris Coridian, Lili Barbery-Coulon, Laure Gasparotto, JP Géné, Marie Godfrain, Vahram Muratyan, Julien Neuville et Caroline Rousseau. 81


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le style.

Le marché SaintAntoine s’étire sur les quais de Saône, entre les ponts Bonaparte et Maréchal-Juin. Michel Dulac (en haut, à gauche) en est l’une des figures : depuis près d’un demi-siècle, il déballe ses fleurs dès 5 heures du matin. « J’ai aimé la diversité de ce marché », explique le photographe plasticien Lorenzo Vitturi. A gauche, une de ses compositions, réalisée avec, entre autres, un savon d’Alep, un saucisson, des salsifis et du fromage de chèvre.

Au marché… Les tentations de Saint-Antoine.

Chaque week-end, sur les quais de Saône, Saint-Antoine s’éveille. Châtaignes d’Ardèche, volailles de Bresse ou myriades de saucissons, les produits locaux foisonnent. Un univers qui a inspiré le photographe Lorenzo Vitturi, adepte des compositions artistiques et alimentaires. Par Boris Coridian/ Photos et sculptures Lorenzo Vitturi

I

mardi au vendredi, les étals s’étirent en pointillés sur les quais des Célestins et Saint-Antoine qui surplombent la Saône. A croire que ces cinq cents mètres sont trop longs pour la vingtaine de commerçants qui déballent quotidiennement leurs produits entre les deux ponts, Bonaparte et Maréchal-Juin. Mais, chaque week-end, le marché s’éveille, s’anime et bat son plein. Il offre un autre visage et devient une attraction pour les Lyonnais qui viennent y faire leurs courses de la semaine et pour les visiteurs, attirés par la diversité et la qualité des produits proposés. Situé sur la •••

22 février 2014

l n’y a pas un marché saint-antoine, mais deux. Du

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••• presqu’île de Lyon, dans le 2e arrondissement, Saint-Antoine est au cœur de la ville. C’est vers 1910 que ce quai, qui accueille alors les marchandises en gros arrivant par bateaux sur la Saône, se transforme en marché alimentaire de détail. Les habitants aiment s’y approvisionner et il n’est pas rare d’y croiser de grandes toques, comme Paul Bocuse. Si les chefs sont plus rares aujourd’hui, les clients profitent – en fin de semaine surtout – de la proposition pléthorique de 140 commerçants, producteurs et revendeurs venus de toute la vallée du Rhône et des départements voisins. Châtaignes d’Ardèche, fromages du Jura ou des Alpes, volailles de Bresse côtoient les cardons frais ou les jésus lyonnais. « Je n’avais jamais vu autant de saucissons », s’amuse Lorenzo Vitturi, auteur de ces images. « Le marché crée chaque jour une sorte d’installation artistique grâce à l’agencement des produits, à la disposition des commerçants. Il y a une multitude de formes et de couleurs. Pour moi, SaintAntoine possède une dominante de beige dans sa globalité, éclairé par des touches multicolores », raconte le photographe plasticien. Et si Saint-Antoine semble avoir perdu – un peu – de sa splendeur d’antan, la population locale possède une vraie culture du marché. Il se tient, dans le département du Rhône, 350 marchés par semaine et, rien qu’à Lyon, on en compte 95. Pas de chichis (ni de beignets d’ailleurs), mais du bon à manger, du simple, du franc. Les marchés lyonnais forment la première grande surface alimentaire de la ville. Ce jour-là, un monsieur s’offre une fressure de chevreau (l’ensemble cœur, rate, foie et poumons de l’animal) qu’il préparera pour le déjeuner, « coupée en morceaux, sautée au beurre et déglacée au vin blanc », comme le lui recommande la bouchère.

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le style.

« J’ai aimé associer ce bâton de siwak, une racine qui fait office de brosse à dents naturelle, et ce vendeur de marrons », raconte Lorenzo Vitturi (ci-contre). « J’ai voulu rendre hommage aux producteurs qui vendent leurs magnifiques fruits et légumes sur le marché, explique le photographe. Sur cette composition (en bas, page de gauche), les carottes sont biscornues, les champignons croquants, et les endives vendues avec leurs racines. » Sur l’autre rive, on aperçoit l’historique palais de justice de la ville et ses 24 colonnes.

LES BONNES ADRESSES DU MARCHÉ SAINT-ANTOINE Repérez les petits producteurs parmi les nombreux revendeurs. Quelques règles permettent de faire le tri : saisonnalité des produits proposés, quantité de références sur l’étal… fRomages et spécialités lyonnaises (aRôme de lyon, ceRvelle de canut…) le fromager Jouvray, présent à saint-antoine depuis 1920. fRuits et légumes de saison philippe crozier. volaille la maison girerd. fleuRs… et histoiRe du maRché le truculent michel dulac, présent à saint-antoine depuis cinquante ans.

AUX ALENTOURS maison malartre, 29, quai saint-antoine et Quenelles giraudet, 2, rue colonel-chambonnet, pour les quenelles, à déguster sur place ou à emporter. pâtisserie sève, 29, quai saint-antoine. pour la tarte à la praline chic et autres jolis gâteaux. in cuisine, 1, place Bellecour. une foisonnante librairie 100 % gastronomique, où l’on peut aussi déjeuner ou prendre un thé. guyot saint-antoine, 32, quai saint-antoine. une nouvelle cave, spacieuse et design, tenue par la maison de vins guyot.

22 février 2014 – Photos Lorenzo Vitturi pour M Le magazine du Monde

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Le style.

Se prendre pour Bambi au parc de la Tête-d’Or

« Avec ses rocailles moussues, sa roseraie, son zoo de pacotille et ses vendeurs de barbe à papa, le parc de la Tête-d’Or est probablement l’endroit que je préfère à Lyon. Un lieu, en particulier, me revient : il s’agit du grand enclos des biches. Mes parents me demandaient: “On va voir les biches? ”, et je perdais mes yeux dans ce petit troupeau piqueté de taches blanches. Un fossé empêchait de rejoindre leur territoire. Un jour, un camarade m’a juré avoir vu des gens courir parmi les biches, et cette idée m’a fait rêver. »

FRANCE

Jouer au magicien rue Longue

« Durant l’adolescence, j’ai souvent tourné à l’angle de cette rue où se situait la seule boutique de magie de la ville. Pendant des heures, le mercredi soir, je perfectionnais mes faux mélanges de cartes, et renforçais les muscles de ma paume afin d’y cacher mieux les pièces de monnaie. La rue Longue est aussi le début du vieux Lyon. Face au magasin de magie se déployait la traboule où j’échangeai mon premier baiser (presque public) avec un garçon. Il s’appelait Jean-Charles. Un prénom très lyonnais. » 86 -

Ce jeune journaliste, qui présente « Encore heureux » sur France Inter, est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués, dont son dernier roman Histoire de ma vie sexuelle (Gallimard). Le précédent Belle famille (également aux éditions Gallimard), inspiré de l’affaire de la disparition de Madeleine McCann, est en cours d’adaptation pour le cinéma, avec Bérénice Bejo dans le rôle principal. Arthur Dreyfus entretient avec sa ville natale une relation compliquée : « Il faut bien admettre que je ne suis pas toujours objectif. En l’espèce, c’est moins Lyon que je repousse que le quartier de la Part-Dieu – et une période de ma jeunesse. Il doit bien exister des choses aimables à Lyon : l’exercice de cette page m’oblige à l’admettre. » Propos recueillis

par Emilie Grangeray

Photos Bertrand Gaudillère/Item pour M Le magazine du Monde – 22 février 2014

Hélie Gallimard

Le Lyon d’Arthur Dreyfus.


Errer dans la mélancolie tranquille de Montchat

« J’ai grandi sous deux immenses cèdres dans le quartier résidentiel de Montchat. Cette partie de Lyon est déserte, ce qui est charmant pour des parents en quête de tranquillité. Pour le petit garçon que je fus, chaque expédition dans la seule épicerie du coin ressemblait à la traversée d’un monde inhabité où l’on ne croisait que des pédophiles. Pour autant, les rues de Montchat dégagent une beauté singulière. La Fondation Berliet, orange comme un carrot cake, ressemble à une maison magique. Elle raconte la mélancolie grandiose d’un temps passé et sa désuète bourgeoisie. »

Côtoyer des fantômes au Musée Guimet

« A deux pas du rassurant appartement de mes grands-parents, j’ai passé bien des après-midi dans ce muséum d’histoire naturelle à observer des sarcophages égyptiens aux teintes passées et le squelette d’un mammouth en très bon état, déterré sur la colline de Fourvière en 1859. Le bâtiment, inauguré par Jules Ferry, est depuis plusieurs années devenu fantôme. Ses collections ont été transférées vers le Musée des Confluences, qui ouvrira en 2015 – et qui ressemble à une caricature de bâtiment futuriste dans une parodie de « Star Trek ». »

CARNET PRATIQUE 1/Parc de la Tête-d’Or www.loisirs-parcdelatete dor.com 2/Magic Boutique 22, rue Longue 3/Fondation Berliet 39, avenue Esquirol www.fondationberliet.org 4/Musée Guimet 28, bd des Belges (fermé) Musée Confluences Pont Pasteur 5/Chocolatier Bernachon 42, cours FranklinRoosevelt www.bernachon.com

Ne faire qu’une bouchée chez Bernachon

« Le centre de Lyon héberge toujours le chocolatier Bernachon, célèbre pour ses palets d’or, chocolats ronds incrustés de feuilles d’or. Lorsque mes parents viennent à Paris, j’ai droit à mon ballotin. Par chance, ou par gourmandise, j’ai pu comparer bien des chocolats : je n’ai rencontré nulle part ailleurs l’arôme puissant, délicieusement sucré des bouchées Bernachon, qu’elles soient pures ou au lait, tendres ou croustillantes. Dans un coin brasserie, on peut maintenant y déguster une cuisine de qualité, le fils Bernachon ayant épousé, en parfaite histoire lyonnaise, la fille Bocuse. » 87


Focus

À lyon, l’art trace son chemin

Directeur du Musée d’art contemporain et de la Biennale, Thierry Raspail se bat depuis trente ans pour tisser des liens étroits entre les Lyonnais et la création contemporaine. Dernier rendez-vous en date : une chevauchée fantastique nommée “Motopoétique”. Par Philippe Dagen

Approach to Mundi Mundi, vidéo de l’artiste australien Shaun Gladwell, 2007.


E

logE dE la sEnsation, “Motopoétique” explore avec plus de 200 œuvres et 42 artistes, la culture moto sous toutes ses facettes : vidéos, sculptures, peintures, installations… » Ainsi est annoncée l’exposition de printemps du Musée d’art contemporain de Lyon (MAC). Le sujet est plus qu’inattendu. Thierry Raspail, directeur du MAC, en convient, s’en amuse même. L’idée lui a été proposée par l’historien et critique Paul Ardenne, dont la passion pour l’art actuel n’a d’égal que son goût pour la moto. « Rien de pire que le prévisible. Le projet m’a paru étrange. En principe, je ne suis pas fou de ces expos collectives. Celle-ci présente certains artistes que nous n’aurions pas adoubés de nous-mêmes. Mais pourquoi pas ? Nous aurons toutes sortes de réactions, le public des amateurs de motos, celui des amateurs d’art. Le principal est qu’ils puissent se retrouver dans la même exposition. » Dans les propos de Thierry Raspail, le mot « public » revient avec une fréquence rare. Quand on le lui fait remarquer, il hoche la tête d’un air mi-entendu mi-narquois, comme pour rappeler que c’est une histoire longue et délicate que celle des relations entre le public français et l’art contemporain. Cette histoire, il la vit à Lyon depuis trente ans, sans interruption. Il y arrive en 1984, après avoir commencé sa carrière de conservateur au Musée de Grenoble et conçu la muséographie du Musée national de Bamako (Mali). A Lyon, il crée

courtesy de l’artiste et anna schwartz Gallery, sydney.

thierry raspail, devant Toaster, une œuvre de Gonzalo lebrija (2006).

d’abord en 1984 le futur MAC, qu’il dirige depuis. En 1991, il fonde la Biennale d’art contemporain, dont il demeure le directeur artistique. « Au début, le public était absent, en dehors du petit groupe des amateurs lyonnais. En 1988, dans le cadre de ce qui s’appelait alors Octobre des arts, nous avons monté l’exposition “La Couleur seule” avec pour soustitre “L’Expérience du monochrome”. Nous ne nous attendions pas à un grand succès… En deux mois, nous avons accueilli 53000 visiteurs. » La première édition de la Biennale, en 1991, permet de vérifier l’ampleur de la curiosité. « Avec des artistes vivants, pour certains inconnus, nous avons intéressé 73 000 visiteurs. » L’action du MAC et de la Biennale s’inscrit depuis lors dans la continuité de ces événements, de 1991 à 2013, et enregistre jusqu’à 200000 entrées lors de la dernière édition. En trEntE ans, thiErry raspail a dévEloppé son analysE. Il situe la « cassure » dans les années 1990 et l’explique par les évolutions technologiques. La génération née dans les années 1980 et les suivantes se définissent, dit-il, par Internet. « Après 2000, nous avons assisté à l’arrivée massive des moins de 20 ans. Ils vivent en permanence sur un écran, dans le flux des images, toutes sortes d’images venues de n’importe où. Ils savent les manipuler en quinze secondes. Jouer avec elles est devenu une pratique populaire, peut-être la plus populaire de toutes celles que l’on peut dire culturelles. Ce qu’ils voient au MAC et à la Biennale leur est familier et, d’autre part, bénéficie d’une espèce d’aura, l’aura artistique. » Cette nouvelle culture visuelle n’est pas liée à une connaissance savante de l’art. « Un peu Matisse, un peu Duchamp, un peu les ready-made, c’est tout. Cette culture est totalement différente ce que l’on entendait par ce mot jadis. » Pour autant, pas question de se reposer sur cet effet générationnel. La Biennale s’est efforcée d’aller vers des zones de l’agglomération lyonnaise où l’art contemporain est inconnu. Cube blanc mobile destiné à exposer une œuvre choisie par les riverains du lieu où il s’implantait, accrochages dans des appartements privés : quelle que soit l’opération, le lieu – Décines, Vaux-en-Velin – et le nom de code – Veduta, Chez moi –, ces initiatives ont accompagné les dernières éditions de la Biennale. « Nous n’avons jamais rencontré d’hostilité à l’égard de l’art contemporain, au contraire, le public est très demandeur. Mais quand l’opération finit, ce public ne nous suit pas, ou peu. Il faudrait inventer une structure mobile et permanente afin de faire en permanence des offres. Il faudrait réussir à passer à travers des territoires qui restent fermés. » Dès lors, la question devient financière, alors que la perspective probable est celle d’une stagnation des budgets. Selon Thierry Raspail, le problème n’est pas politique. Il a travaillé avec Michel Noir, Raymond Barre puis Gérard Collomb. « Ils ont tous soutenu l’art contemporain. La nécessité de travailler ensemble a été intégrée à tous les niveaux. » Mais « ensemble » ne suffit pas. Il faut que ce soit « en permanence », pour aller au-delà d’attractions ponctuelles, vite oubliées. Pour y parvenir, insiste Thierry Raspail, il faudrait que le MAC montre au quotidien sa collection. « Le musée est trop petit et ne peut à la fois exposer ses collections et organiser des expos significatives. Cela a une incidence négative sur le public et aussi sur la politique de dons et de mécénat. Il manque 5000 mètres carrés, et c’est vital. » Le prochain maire de Lyon devra traiter du dossier. Etant donné l’endurance et la combativité de Thierry Raspail, étant donné aussi les succès de la Biennale, la cause n’est sans doute pas perdue. « Motopoétique », Jusqu’au 20 avril, Musée d’art conteMporain de lyon, 81, quai charles-de-Gaulle, lyon 6e. du Mercredi au diManche, de 11 h à 18 h. tél. : 04-72-69-17-17. 6 €. www.Mac-lyon.coM/Mac

22 février 2014 – Félix ledru pour M le magazine du Monde

- 89


La culture.

2.

Trois décennies d’amour cerné, de Thomas Lebrun, 2013.

3 questions à

GUY WALTER

L’écrivain fête ses dix ans à la tête des Subsistances, laboratoire lyonnais de création artistique à la ligne exigeante et éclectique.

Les Subs sont d’abord un lieu trans­ disciplinaire de théâtre, danse et nou­ veau cirque, un laboratoire de création, de travail et de résidence pour les artistes. C’est un espace expérimental avant tout, mais ouvert à un public le plus large possible. Adolescent, dans les années 1970, j’ai eu la chance d’aller régulièrement au Festival de Nancy voir les créations de Pina Bausch, le Living Theater, bref de me construire un lexique artistique tout en cheminant pour comprendre et appréhender le monde. J’aimerais que les Subs servent à ça aussi pour les jeunes Lyonnais.

90 -

Comment dialoguent les Pour quelles raisons Subsistances avec les autres programmez-vous “Trois institutions comme la Maison décennies d’amour cerné”? C’est la troisième fois que nous invitons de la danse ou le TNP? le chorégraphe et danseur Thomas

Chacun est très différent. La présence des Subsistances a comblé le vide qui existait autour de formes specta­ culaires que l’on pourrait dire d’avant­ garde. Certains chorégraphes, comme par exemple Alain Buffard, n’avaient jamais été programmés à Lyon avant de passer aux Subsistances. Nous tissons par ailleurs des liens avec la Biennale de la danse au gré de différents rendez­vous pendant l’année. Nous nous complétons en quelque sorte.

Lebrun. Outre son amour de la danse et sa capacité à inventer du mouvement, il traite ici du sida de façon puissante et non didactique. Il est dans l’expérience de la danse et de l’humain. Le spectacle vivant, c’est de la pensée, et c’est ce que nous défendons ici.

Propos recueillis par Rosita Boisseau

Trois décennies d’amour cerné, DE ThoMas LEbRun. Du 25 FévRIER au 1er MaRs. LEs subsIsTancEs, 8 bis, quaI saInT-vIncEnT, Lyon. TéL. : 04-78-39-10-02. 8 €.

22 février 2014

Frédéric Lovino x2. David Ignaszewski/Koboy

Comment définissez-vous les Subsistances?


Jeune pousse

Mø, fUrie électro-pop

Après avoir découvert sur scène sa natte tournoyante de guerrière viking, son chant farouche et son corps de gymnaste, on attendait de se faire piétiner par le premier album de Mø. A la fois fille du hip-hop, de l’électro et du punk, cette Danoise de 25 ans livre dans No Mythologies To Follow soul séductrice et ballades ténébreuses sans rien perdre de son énergie, laissant deviner un destin de pop star. Après tout, Karen Marie Ørsted n’a-t-elle pas fait ses premiers pas de chanteuse, à l’âge de 7 ans, dans un girls band reprenant des tubes des Spice Girls ? Découvrant à l’adolescence la pratique autarcique des ordinateurs et l’euphorie des beats, la gamine se rebaptise Mø (« vierge » en danois) pour mitrailler des brûlots synthétiques inspirés d’abord par le cabaret féministe de la Canadienne Peaches. Diplômée de l’école des beaux-arts de Copenhague, la rebelle a depuis appris à donner du charme à sa rage, prouvant au rythme d’affriolants singles – Pilgrim, Glass, Waste of Time, Never Wanna Know, Don’t Wanna Dance, XXX 88 (enregistré avec Diplo)… – que derrière son air buté bouillonne une sensualité prête à toutes les conquêtes. S. D.

DR. Editions du Masque

No Mythologies to follow, DE Mø, 1 CD ChEss CLub/sOny, 25 €. COnCERts : LE 24 MaRs à 20 h 30 à La MaROquInERIE, 23, RuE bOyER, paRIs 20e. tÉL. : 01-40-33-35-05. 19,80 € ; LE 27 MaRs, au I. bOat, à bORDEaux, 14 €.

4.

Pages de garde Un corps sUr les bras

En 2012, on avait découvert John Fitzgerald Dumont, dit Fitz, trentenaire parisien agité, dealer de cocaïne à la petite semaine et tombeur de jeunes femmes, dans l’excellent Les talons hauts rapprochent les filles du ciel. Puis aimé la suite de ses aventures : Les mannequins ne sont pas des filles modernes. Le voici de retour. Ici, ce sera dans les bras de Daniela, une bien belle avocate… Avec un humour ravageur et un incroyable sens du rythme, Olivier Gay nous propulse dans un surprenant tourbillon où le cocktail nuits parisiennes - enquête criminelle fonctionne à merveille. L’ordinateur, les mails, les hackers, les téléphones portables y jouent un rôle prépondérant. Un roman vif et intelligent qui se lit d’une traite. A quand le prochain épisode ? Y. P. Mais je fais quoi du corps ?, D’OLIvIER Gay, ÉDItIOns Du MasquE, 301 p., 16 €.

91


La culture.

western moral

Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières est un film âpre et rude, dans lequel on entre à tâtons, en se demandant ce que le metteur en scène cherche à nous montrer. Adapté d’une nouvelle d’Heinrich von Kleist datant de 1808 et appréciée par Kafka, ce western cévenol se déroule au xvi e siècle et relate la révolte d’un marchand de chevaux huguenot contre l’arbitraire d’un hobereau local. Il y perdra sa famille, ses chevaux et sa vie, mais pas son intégrité. « Cette histoire d’un héros qui pourrait prendre le pouvoir et décide de ne pas le faire par rigueur morale est une des plus belles histoires politiques qui puissent exister », raconte le cinéaste. Outre sa forme épurée comme une peinture flamande, Michael Kohlhaas doit énormément à l’acteur principal, le Danois Mads Mikkelsen (l’homme de la série « Hannibal »), dont la présence minérale irradie cette réflexion ambitieuse sur le pouvoir et la justice. Y. P. Michael Kohlhaas, d’ArnAud des PAllières, 1 dVd M6 Vidéo, 18,99 €, Blu-rAy, 24,99 €.

Frederick wiseman

Le documentariste américain spécialiste des institutions retourne sur les bancs de la fac avec “At Berkeley”, son nouveau projet sur l’université de Californie. Un œil toujours vif à… 84 ans.

1967.

Après une première vie de professeur de droit – « c’était si ennuyeux que je m’en souviens à peine » –, Frederick Wiseman se lance dans la réalisation et met au point sa méthode : ni voix off ni commentaire, rien que le montage pour donner du sens. Son premier film, en noir et blanc, est tourné dans un asile psychiatrique : Titicut Follies.

1994.

Pour High School II, il tourne dans un lycée pilote de Spanish Harlem. En trente-huit documentaires, Wiseman s’est penché par deux fois sur le système éducatif. « Dans les années 1960, avec High School, j’avais déjà filmé un lycée de Philadelphie où seuls 12 élèves sur 4 000 étaient afro-américains. » Mais At Berkeley, qui s’intéresse à l’enseignement supérieur, « n’est pas la suite de ces deux films », précise-t-il.

2013.

Après avoir examiné les services sociaux américains, ou, chez nous, la ComédieFrançaise et le Crazy Horse, il pose sa caméra parmi les tableaux de maître de la 92 -

6.

National Gallery. « Ce sera mon film le plus abstrait », précise-til, ajoutant avec un sourire entendu qu’il durera « seulement trois heures ». Celui-là devrait sortir à l’automne.

2014.

Optimiste campus movie de quatre heures, At Berkeley s’intéresse à la seule fac d’élite publique aux Etats-Unis. Wiseman se dit impressionné par l’administration et les étudiants qui lui ont ouvert leur porte : « La fac est en pleine crise financière après le désengagement de l’Etat de Californie (qui a réduit sa contribution de 60 à 9 % du budget). Pourtant il subsiste un mythe autour de Berkeley, hérité des années 1960 et du mouvement Free Speech. Les étudiants y apprennent autant des profs que les uns des autres. » Un long tournage et plus de 250 heures de rushes. « Je ne suis qu’une seule règle : poser la caméra, tourner et ne pas couper. Sinon on est certain de rater quelque chose. »

Propos recueillis par Clémentine Gallot

at BerKeley, de FrederiCk WiseMAn, doCuMentAire, en sAlles le 26 FéVrier, 4 H 04.

22 février 2014

M6 Vidéo x2. Zipporah Films

Plein écran

Bio express


Rue de Vaugirard, Paris, France, mai 1968.

Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos/Courtesy Fondation Henri Cartier-Bresson

Chambre noire

7.

Cartier-Bresson inattendu

En finir avec le mythe : c’est l’idée qui soutient la grande rétrospective Henri Cartier-Bresson au Centre Pompidou. L’artiste, devenu un classique de la photographie, a influencé des centaines de disciples qui ont copié jusqu’à la caricature ses images en noir et blanc prises au Leica, à la fois virtuoses et saisies sur le vif. L’exposition, dix ans après sa mort, souligne au contraire qu’il n’y a pas de dogme Cartier-Bresson, que l’artiste a constamment évolué, passant du surréalisme à l’engagement, du cinéma au photojournalisme. On retrouve au Centre Pompidou un Cartier-Bresson aux différents visages, plus complexe que celui lié à l’agence Magnum, au temps où il courait le monde sans s’arrêter. Cl. G. « Henri Cartier-Bresson », jusqu’au 9 juin. Centre PoMPidou, PlaCe GeorGes-PoMPidou, Paris 4e. du MerCredi au diManCHe, de 11 H à 23 H. de 9 à 13 €. tél. : 01-44-78-12-33. www.Centre PoMPidou.Fr CataloGue Henri Cartier-Bresson, Par CléMent CHéroux, éd. du Centre PoMPidou, 397 P. 500 ill. 49,90 €.

93


La culture.

A vue d’œil

8.

Orsay fait mumuse

Envie de rire un bon coup et de vous instruire en même temps ? Précipitez-vous sur « l’album le plus drôle jamais publié par Futuro ! », dixit son propre éditeur dans un aveu de saine autodérision. Catherine Meurisse, à qui l’on doit déjà l’hilarant Le Pont des arts (sur les relations entre littérature et peinture à travers l’histoire de France), s’est immergée cette fois dans les œuvres du Musée d’Orsay, transformé par ses soins en studio de cinéma hollywoodien. S’y opposent deux clans de comédiens : les Refusés et les Officiels. Dans le premier, la très dévêtue Olympia, chère à Manet, rêve de devenir une étoile. Dans le second, la diva Vénus aux faux airs de Rita Hayworth fait régner la terreur sur les plateaux. L’amour incarné par le falot Romain, rencontré à la cantine du musée, sortira-t-il gagnant de cette farce façon lutte des classes ? Tableaux célèbres (Degas, Toulouse-Lautrec, Monet, Courbet…) et comédies musicales bien connues (West Side Story, Singin’ in the Rain…) composent ce joyeux et savant bazar, stimulé par le trait à la Reiser de Catherine Meurisse. F. P. Moderne olyMpia, pAr CAtherine Meurisse, FuturOpOLis, 72 p., 17 €.

Le petit théâtre Onirique de JOseph COrneLL L’imposante rétrospective « Joseph Cornell et les surréalistes à New York » à peine achevée au Musée des beauxarts de Lyon vit encore sur Internet. L’application très complète et gratuite pour smartphones et tablettes conçue par le musée permet de prolonger la visite, à la rencontre de l’ami américain des surréalistes. Outre une mine d’informations sur le travail de sculpteur de Cornell et sur son époque, on y trouve un diaporama exhaustif et commenté des œuvres, un audioguide pour une visite virtuelle, ainsi qu’une vidéo pour percer les mystères du petit théâtre onirique de Joseph Cornell. L’artiste américain autodidacte connut la notoriété à partir des années 1930 avec ses collages et surtout ses boîtes en bois à couvercle vitré dans lesquelles il pratiquait l’assemblage (accumulation de photos, objets divers et variés…). Un voyage dans le temps et dans l’espace, de Lyon à New York, comme si vous y étiez. C. Gt ViDéO Du Musée : COMprenDre L’expOsitiOn COrneLL http://www.DAiLyMOtiOn.COM/ViDeO/x16xgs8_COMprenDreL-expO-jOseph-COrneLL_CreAtiOn#FrOM=eMbeDiFrAMe AppLiCAtiOn DispOnibLe sur L’App stOre et gOOgLe pLAy, grAtuite https://itunes.AppLe.COM/Fr/App/iD720669168?Mt=8

94 -

22 février 2014

Futuropolis/Musée d’Orsay éditions 2014. My Lucky Day. Apple Corps Ltd x2.

Vu sur le Net


10.

1964 : la Beatlemania se propage aux etatsUnis. C’est à l’occasion du 50e anniversaire de leur première tournée qu’a lieu cette réédition.

Réédition

Le versant américain des fab four

Couplage des chansons, visuels des pochettes et titres des disques… pour les Beatles, comme pour d’autres groupes britanniques à succès, les albums publiés dans les années 1960 sur le marché américain étaient différents de ceux destinés au marché européen. Ainsi le fan américain s’est rué sur Meet The Beatles, Second Album, Something New… quand en Europe on s’arrachait Please Please Me et With The Beatles. Les disques liés aux films A Hard Day’s Night ou Help ! contiennent des passages instrumentaux absents des éditions européennes ; The Beatles Story est constitué de chansons, d’entretiens, etc. Voici rassemblés dans un coffret, avec livret détaillé, ces albums en réédition CD tels que les Américains les ont acclamés entre 1964 et 1970. Les répliques sont visuellement impeccables (pochettes cartonnées, pochettes intérieures illustrées…) et chaque CD comporte la version mono et stéréo de l’album original, comme lors de la réédition en 2009 des albums européens des Beatles. S. Si.

IL

EST PEUT-ÊTRE VOTRE VOISIN...

www.pocket.fr

Crédit photo : © GettyImages / Ryan Klos

The U.S. AlbUmS, The BeATLes, 1 COFFreT De 13 CD CApiTOL reCOrDs/AppLe/UniversAL MUsiC, 150 €.

Pages réalisées par Emilie Grangeray, avec Rosita Boisseau, Philippe Dagen, Stéphane Davet, Clémentine Gallot, Claire Guillot, Yann Plougastel, Frédéric Potet et Sylvain Siclier.

« Les tueurs en série sont vos voisins. Vous les croisez aux réunions de parents d’élèves, leurs enfants jouent avec les vôtres. » Ainsi parle Jack Scott, directeur en charge des crimes violents au FBI. Alors qu’il pensait avoir tout enduré, Jack va se retrouver aux prises avec un psychopathe aussi pervers que machiavélique… 960 pages - 9,10e


Les jeux.

Mots croisés 1

2

3

Sudoku

Grille No 127

Philippe Dupuis

No 127

expert 4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Compléter toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. Chacun ne doit être utilisé qu’une seule fois par ligne, par colonne et par carré de neuf cases.

1 2 3 4 5 6 7

Solution de la grille précédente

8 9 10

Bridge

No 127

Fédération française de bridge

11 12 13 14 15

Horizontalement 1 Coince les bulles. Coincent la bulle. 2 Ne fait rien comme les autres. Petit espace de culture. 3 Partis pour de nouvelles aventures. Dresses à grands coups de lame. 4 Ouvre les portes du pouvoir. On a cru qu’ils pouvaient guérir la folie. 5 Gens de pouvoir. Plein de cailloux dans les sables. Comme un hareng passé chez les gendarmes. 6 Langue d’oc sur la baie des Anges. Des coups qui nous dépassent. Doublé en ricanant. 7 Pour une recherche intérieure. Séparation en tête. Petit, petit. 8 Fait souffrir ceux qui s’aiment. 9 Passe à Saint-Omer. Avec beaucoup de tristesse. Règle. 10 Ouvertes comme des boîtes. Pose des problème à la conscience. 11 On en fait tout un plat. Espars horizontaux. 12 Lac en Laponie. Cherches en profondeur. 13 Flagelle. Possessif.Au bout du compte. Piégé. 14 Dégagement au sommet. Un peu en retard. 15 Vous attend en sortant du bain. Verticalement 1 Ont toujours de l’avance dans leurs entreprises. 2 Réservé aux hommes en principe. Que du sable. 3 Mouvement issu de l’hindouisme. Nettoyer les noix. 4 Autre moi. Dans la caisse. Boire comme un berger. De plus en plus plate. 5 Prendre en considération. Relevai le goût. 6 Enfermeraient totalement. Pièce de charrue. 7 Volcan des Philippines. Comme de belles bananes. Assure la liaison. 8 Préparer les sauces. Prince troyen. Associe. 9 Dans le cœur. Comme l’ami de Guy. Termine sa course en mer du Nord. Sa Marseillaise ne manque pas de relief. 10 A consommer avec beaucoup de modération. Bien bloquée. 11 Tombe chaque jour. Prochainement. Cœur de champion. 12 Attaquent par derrière. Son bulletin est attendu par le plus grand monde. 13 Tourna sur trois temps. Encadrent tout. Démonstratif. Point de départ. 14 Page d’histoire. Met le lait à l’abri pour un temps. Lieu de grève. Tas de sable dans les sables. 15 Station du Piémont. Coup de chaleur. Solution de la grille no 126

Horizontalement 1 Aperçus. Eteules. 2 Notairesse. Nabi. 3 Tueur. Retassure. 4 Ili. Erin. Ma. Reg. 5 Cinquante. Tee. 6 Ontario. Doutais. 7 Mien. Dniepr. Tu. 8 Me. Un. Son. Ni. Ye. 9 Urinez. Piffai. 10 Net. Oltenie. Eon. 11 AB. Ir. Ignares. 12 Salonnarde. Dr. 13 Triai. Né. Aérage. 14 Eté. Nasaliserai. 15 Sensibilisation. Verticalement 1 Anticommunistes. 2 Poulinière.Arte. 3 Eteinte. Italien. 4 Rau. Qanun. Boa. 5 Cireur. Néo. Nini. 6 Ur. Raid. Zlin. Ab. 7 Serinons. Transi. 8 Sent. Iole. Réal. 9 Est. Eden. Nid. Li. 10 Team. Op. Pigeais. 11 Saturnien. ESA. 12 Uns. Et. If. Adret. 13 Lauréat. Ferrari. 14 Ebre. Iuyaoe. Gao. 15 Sièges. Einstein. 96 -

22 février 2014


0123

*Chaque volume de la collection est vendu au prix de 9,99 €, sauf le n° 1, offre de lancement au prix de 3,99 €. Offre réservée à la France métropolitaine, dans la limite des stocks disponibles. Visuels non contractuels - Photo Thinkstock- agencejem.com

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Cette semaine, le volume 5 : ROYAUMES ET EMPIRES DU PROCHE-ORIENT

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Le totem.

Le tour-bus de Woodkid.

Le tour-bus m’est devenu indispensable depuis que mes concerts ont démarré. Je suis confronté à une situation paradoxale : à une période de ma carrière où je remplis des Zénith dans toute l’Europe, je me retrouve à dormir chaque nuit au fond d’un bus qui n’est pas d’un luxe extrême… Nous sommes une douzaine à y vivre et à y passer nos nuits. Au début, comme sur un bateau, le plus compliqué est de s’habituer aux secousses et au mouvement. Dans le même esprit, c’est aussi un moyen de transport qui nous coupe du monde extérieur et nous fait perdre la notion de distances. Sous un effet baguette magique assez étrange : nous nous endormons dans une ville et nous nous réveillons dans une autre. Lorsque nous quittons

98 -

une salle de concert, on boit un coup, on discute, puis j’observe un certain rituel : après le moment de “descente”, qui dure trois ou quatre heures, je regarde un film, je bouquine… et je m’endors. Le tour-bus concentre aussi des tas de souvenirs, comme lors de notre tournée américaine où nous avons tous dû passer la douane canadienne en pyjama à 3 heures du matin. Amusant, aussi, ce moment où certains essaient de faire monter dans le bus leur copine d’un soir… Je trouve ça romantique et excitant d’être sur la route car vivre dans un bus ramène à l’imagerie des groupes de rock. En plus, nous ne sommes que des garçons, il règne donc à l’intérieur un esprit régressif de colonie de vacances, où se côtoient junk-food et consoles de jeux. Etrangement, ce véhicule m’aide à garder les pieds sur terre. Car si certains artistes s’y installent une grande chambre, voire un jacuzzi, moi, je préfère vivre entouré de mon équipe et dormir dans une simple couchette. Le plus dur, c’est le côté impersonnel. Comme cet engin est loué, nous ne pouvons pas toucher à son aménagement, un peu comme dans une chambre d’hôtel. Mon rêve ultime serait de posséder mon propre tour-bus que je pourrais customiser. Je l’imagine noir laqué, avec Woodkid peint sur la carrosserie, des calandres chromées et une déco en laiton et marbre noir… L’équivalent de la Trump Tower en tour-bus !

Propos recueillis par Marie Godfrain

A voir

Woodkid en tournée : le 21 février à Lyon, le 22 à Genève, le 6 mars à Hambourg, le 7 à Oberhausen, le 11 à Munich.

Yoann Lemoine

Sensation musicale de 2013, le Lyonnais Yoann Lemoine, alias Woodkid, a écoulé 350 000 exemplaires de son album The Golden Age à travers le monde. En ce moment, il alterne compositions (l’installation de JR avec le New York City Ballet ou des collaborations avec Pharrell Williams) et concerts (il jouera au festival californien de Coachella en avril). Mais il ne délaisse pas pour autant la vidéo, son premier amour. Réalisateur de clips pour Lana Del Rey ou Rihanna, il débute l’écriture de son premier long-métrage. En 2013, il a passé plus de soixante nuits sur la route dans son “tour-bus” auquel il voue un culte certain.

22 février 2014


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PEAU parfaite DIOR répond en un seul geste aux attentes des femmes qui devaient jusqu’ici choisir entre soin anti-âge global, soin anti-taches ou soin affinant-lissant et leur offre enfin la peau dont elles rêvent, en un instant et pour longtemps avec Dreamskin. Pour la première fois, la Science Dior crée un nouveau soin hybride et transgénérationnel réussissant à allier éfficacité immédiate et long-terme, propriétés perfectrices et anti-âge globales, action sur l’uniformité et la qualité de la peau. En une formule unique qui donne des résultats visibles sur toutes les couleurs de peau. Un défi que les chercheurs Dior ont relevé avec succès. Prix de vente conseillé : 105 €

www.dior.com

MARINES & rangers Le Soldier dans tous ses états ! Eté 2014, IKKS crée le buzz et offre l’opportunité aux 2 gagnantes de son jeu concours « 10 urban amazones… 1 soldier » de voir leur création se réaliser en « édition limitée ». Soldier version «Marines» pour le prix concours (Collage vintage - Blog Espagnol - www.collagevintage.com) Soldier version «Rangers» pour le prix jury (Zoé macaron - Blog Français - www.zoemacaron.fr). Dans les boutiques IKKS à partir du 15 Mars 2014. 180 €

www.ikks.com

HUIT saveurs A LA FERME DES PEUPLIERS, à 85 km de Paris, ce sont 140 vaches qui produisent quotidiennement le bon lait normand qui sera transformé dans la foulée en yaourt. Les vaches sont essentiellement nourries avec des aliments simples, sans OGM, produits sur la ferme. Des atouts qui servent à réaliser des produits sûrs autour de méthodes simples et artisanales dans cette ferme familiale dirigée par François Chedru. Des produits qui allient goût et onctuosité pour un savoureux mariage authentique et original. Un yaourt brassé (180g), au lait entier 8 saveurs (nature, fraise, framboise, citron, abricot, myrtille, vanille, caramel beurre salé). Prix de vente conseillé de 1.60 € à 1.90 € le pot

www.fermedespeupliers.fr

ROCK & glamour GUCCI consacre une édition limitée de Gucci Guilty, sa fragrance emblématique, à l’esprit de confiance du rock and roll : l’édition limitée Stud. Gucci Guilty pour femme est un parfum aux fleurs d’Orient envoûtant et chaleureux, à l’esprit délicieusement hédoniste. Gucci Guilty pour homme est un parfum fougère qui joue la carte de la provocation et de la séduction. Les parfums sont présentés sous un jour nouveau et surprenant, avec des flacons en édition limitée ornés de plus de 400 clous (couleur argent pour le flacon Homme, or pour le flacon Femme) ; des pièces de collection exclusives spécialement créées pour les iconoclastes du monde entier.

www.gucci.com

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