20140329 scq

Page 1

Samedi 29 mars 2014

Loi Florange: les socialistes obligés de revoir leur copie

Le rachat d’Oculus par Facebook suscite un tollé sur le Net

t Le texte emblématique a été censuré par le Conseil constitutionnel. Un coup dur pour l’exécutif

L

a décision était prévisible, mais c’est quand même une mauvaise nouvelle de plus pour l’exécutif. Saisi par les groupes UMP de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Conseil constitutionnel a décidé, jeudi 27 mars, de censurer plusieurs articles de la loi Florange, l’une des promesses de campagne emblématiques du président de la République, dont l’objectif était d’empêcher la fermeture de sites rentables. LessagesduPalais-Royalestimentnotam-

ment que l’article 1 de cette loi, qui oblige une entreprise à céder un établissement s’il existe une offre de reprise sérieuse, et prévoit des sanctions en cas de refus, est « contraire à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété», selon un communiqué publié jeudi après-midi. Cette censure était attendue, tant l’accouchement de la loi a été difficile. Son origine remonte au 24 février 2012. Juché sur une camionnette, le candidat Hollande promet ce jour-là aux centainesde métallos Arcelor-

Mittal de Florange (Moselle) venus l’écouter, de tout faire pour empêcher la fermeture desdeux derniershautsfourneauxde Lorraine. Mais une fois élu, c’est l’embarras : obliger une entreprise à céder un site revient à l’exproprier, affirment en chœur tous les juristes. Conscient du danger, le gouvernement préfère ne pas déposer de projet de loi et confie le bébé au groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Alors qu’il devait être initialement adopté à l’automne 2012,

LIRE PAGE 4

le texte n’est voté que le 24 février 2014. Jeudi, le Medef, très opposé au texte, a applaudi la « décision réaliste » des sages du Palais-Royal, rappelant que l’organisation patronale avait « alerté les pouvoirs publics depuis des mois sur les dispositions inapplicables et dangereuses » de la loi. Vendredi 28 mars, sur France 2, Thierry Mandon, porte-parole du groupe des députés PS, a indiqué que le volet censuré de la loi allait être remodelé. p LIRE PAGE 3

LIRE PAGE 6

LA FACTURE JUDICIAIRE À 100 MILLIARDS DE DOLLARS DES BANQUES AMÉRICAINES

t Le groupe français

négocie avec Lukoil, la première compagnie pétrolière privée russe, pour créer une coentreprise qui exploiterait ces huiles non conventionnelles

LIRE PAGE 6

t Les négociations ont débuté avant la crise ukrainienne et l’annexion récente de la Crimée par la Russie

j CAC 40 4 396 PTS + 0,38 % J DOW JONES 16 264 PTS – 0,03 % J EURO-DOLLAR 1,3715 j PÉTROLE 107,85 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS 2,03 %

LIRE PAGE 5

Site du groupe gazier russe Novatek, dont Total possède 17 %.

28/04 - 9 H 30

PLEIN CADRE

PERTES & PROFITS | par J ean- B apti s te J acq ui n

Murdoch : le retour du fils prodigue

Ciseaux et laminoir pour oligarque

HISTOIRE La Bretagne, entre régionalisme et ouverture

La révolte des «bonnets rouges», en novembre2013, marque l’essoufflement du « modèle économique breton» construit dans les années 1950-1960. Tout avait pourtant bien commencé, à la fin du XIXe siècle. LIRE PAGE 7

Rusal

L

a vie est certainement souriante pour les oligarques russes. Mais dans les affaires, ce n’est pas toujours le cas. Oleg Deripaska a bâti sa fortune dans l’aluminium durant l’ère post-soviétique. Il subit aujourd’hui de plein fouet la crise de surproduction de ce métal, qui est principalement destinéauxindustriesautomobiles et aéronautiques et aux canettes de boisson. Son groupe, Rusal, premier producteur mondial d’aluminium, ne vaut plus, à la Bourse de Hongkong où il est coté, que 40,7 milliards de dollars de Hongkong (3,8 milliards d’euros). Il faut dire que cette entreprise accumule les déficits. A la fin des années 1990, Oleg Deripaska avait racheté, à bon prix, des fonderies d’Etat. Il a constitué ensuite un groupe mondial, en rachetant des usines, en Afrique, en Asie et sur le Vieux Continent. Mais aujourd’hui le marché sur lequel il évolue est inondé par l’aluminium chinois.

Rusal a annoncé, vendredi 28 mars, que ses comptes 2013 se soldaient par une perte nette de3,2milliardsde dollars(2,3milliards d’euros), six fois plus importante que celle de 2012. La dernière fois que le géant russe était tombé si bas, c’était en2008, quandl’économiemondiale s’était presque arrêtée, après la crise des subprimes.

Stratégie malthusienne LesdifficultésdeRusalaujourd’hui, comme celles du groupe américain Alcoa, sont le fait de coûtsdeproductionquiaugmentent – notamment en raison des prix de l’électricité dont les fonderies sont d’énormes consommatrices–quandlecoursdel’aluminium s’effondre. En 2013, la consommation mondiale d’aluminium a certes augmenté de 6 %, à 51,3 millions de tonnes, mais les prix ont chutédeplusde10%.Letonnagevendu devrait encore progresser de 6 % cette année, estime Rusal dans son communiqué. Pour conjurer cet « effet de ciseaux» destructeur, Oleg Deripaska a opté pour une stratégie malthusienne.

Cahier du « Monde » N˚ 21522 daté Samedi 29 mars 2014 - Ne peut être vendu séparément

Après avoir réduit de 9 % sa production en 2013, au prix de 3 000 suppressions d’emplois, il compte encore l’amputer de 10 % en 2014 pour la ramener à 3,5 millions de tonnes. Avec le numéro un américain, Alcoa,engagé dansla mêmestratégie de fermeture des capacités les moins rentables, il espère pouvoir faire remonter les cours. Mais en attendant, c’est sonchiffred’affairesquiest laminé au rythme de 10 % par an. Et désormais, le groupe russe inquiète ses créanciers. C’est qu’au temps de sa splendeur, Rusal a emprunté sans compter pour financer ses emplettes. Il se retrouve aujourd’hui avec une dette de 10 milliards de dollars, soit deux fois sa capitalisation boursière. Mais on ne va pas pleurer sur OlegDeripaska.A46ans,safortune personnelle est estimée par Forbes à 6,5 milliards de dollars. Loin il est vrai des 28 milliards dont le magazine américain le créditait en 2007. La fragilité de son groupe risque en revanche de devenir critique. p jacquin@lemonde.fr

– Habitat France SAS au capital de 3.7500.000€ - siège social : 42/44 rue du faubourg Saint-Antoine 75012 Paris – RCS Paris 389 389 545

PAVEL KOTLYAR/TOTAL

LIRE PAGE 2

LIRE PAGE 5

Au Danemark, le taux de chômage est au plus bas

TOTAL CONVOITE LES PÉTROLES DE SCHISTE RUSSES

Humilié par son père, remplacé par son frère, Lachlan Murdoch, 42 ans, revient aux commandes du géant des médias News Corp. Rupert Murdoch, 83 ans, l’a nommé vice-président afin de verrouiller le contrôle de son empire.

LE FMI CONTRAINT L’UKRAINE À DES RÉFORMES DIFFICILES

m

comme Musique

Chez Habitat, on aime la musique

Retrouvez toutes les petites philosophies du savoir habiter de A à Z en magasin.

www.habitat.fr Disponible aussi chez les meilleurs revendeurs spécialisés.


2

0123

plein cadre

Samedi 29 mars 2014

Rupert Murdoch entouré de ses fils Lachlan (à gauche, sur la photo) et James (à droite) en 2012. JIM URQUHART/REUTERS

Murdoch: le retour du fils prodigue

Humilié par son père, remplacé par son frère, Lachlan revient aux commandes du géant des médias News Corp Londres Correspondant

P

ourune surprise,c’estune surprise ! Divine pour l’un, amère pour l’autre. Le destin de Lachlan Murdoch, 42 ans, qui paraissait compromisil y a quelquesmois encore, vole à nouveau vers le firmament de l’un des plus grands empires médiatiques de la planète. La nomination, annoncée le 26 mars, par Rupert Murdoch de son fils aîné à la coprésidence non exécutive du conseil d’administration des deux sociétés issues de la scission en 2013 du groupe News Corporationbouleverse une nouvelle fois la succession du patriarche, âgé de 83 ans. Le retour de Lachlan, désormais pivot de l’avenir du conglomérat, est le dernier épisode de ce Dallas-sur-Hudson qu’est l’impitoyable feuilleton familial Murdoch. Pourtant, quand en 2005 l’héritier désigné démissionne avec fracas de son poste de directeur général adjoint des opérations pour retourner en Australie, l’affaire paraît entendue. Le frère cadet James prend la place et c’en est alors apparemment fini de la carrière de Lachlan Murdoch au sein de l’empire familial. Son destin était pourtant tout tracé. En vertu du plan de succession dévoilé en 1997, il devait reprendre le flambeau en cas de mort du PDG fondateur. Depuis son arrivée, en 1994, dans ce groupe de presse présent sur quatre continents, celui qu’on surnommeen interne et pas toujours avec gentillesse « Monsieur Fils » a grimpé toutes les marches menant au pinacle. C’est la voie royale: numéro deux aux Etats-Unis, siège au conseil d’administration et surtout au comité exécutif, le saint des saints, ainsiqu’unmariageglamouravecunmannequin pour la marque de soutiens-gorge Wonderbra. Lors d’une interview accordée au Monde à Sydney après sa désignation de dauphin, en 1997, Lachlan Murdoch, alors âgé de 25ans, avaitavouéde bon cœur«l’admiration» et l’affection qu’il éprouvait pour Citizen Murdoch. « Le premier commandement de cette société familiale est la loyauté à mon père », avait confié le sympathique et svelte jeune homme qui a hérité de son père les fameux sourcils,la mâchoireà

JAMES, ELIZABETH ET WENDI : LES MALHEURS DU TRIO FONT LE BONHEUR DE LACHLAN QUI PROFITE DU « RIFIFI CHEZ LES MURDOCH » POUR REBONDIR

broyer des canettes de bière et le regard perçant. Positif. Pendant ce temps James Murdoch grillait cigarette sur cigarette dans la PME informatique de Manhattan qu’il avait créée pour News Corporation. Celui qui avait abandonné des études de cinéma à Harvard pour monter une maison de disques, n’avait que faire du politiquement correct. L’entrepreneuravait tout du loser. Négatif. Lourde erreur d’appréciation. Sous ses côtésrebelle, James est un conformiste qui déteste les marges et les extrêmes à l’image de Rupert-le-Ma-gni-fi-que. Rusé, astucieux, il cache bien son jeu. Tout l’inverse de Lachlan, hédoniste dans l’âme, qui aime surfer et nager. Le sportif émérite, simple et solide, porte un tatouage. Rupert envoie James, âgé de 27 ans, à Hongkong en vue de redresser Star TV, en perdition. La réussite de cette gageure le propulse trois ans plus tard à la direction générale de BSkyB, le bouquet par satellite britannique que cette ceinture noire de karaté sort de l’ornière. Il relève les deux défis et se fait un prénom. Desa secondeépouseAnna,RupertMurdoch a eu également une fille, Elisabeth, qui affiche ses ambitions dans le secteur des médias, d’abord à la direction des programmes de BSkyB, ensuite en créant sa propre société de production. En 1999, Rupert Murdoch épouse Wendi Deng, de trente-sept ans sa cadette, dont il a deux filles. Proche de sa mère Anna, Lachlan déteste sa nouvelle belle-mère. Celle-ci, en revanche, est proche de James dont la jeune Chinoise a fait connaissance chez Star TV. Par la suite, un grave différend oppose l’héritier pressenti et son père à propos de la part qui reviendrait aux deux filles qu’il a eues avec Wendi. Par ailleurs au sein de l’état-major américain de News Corporation, une réputation de légèreté et de désinvolture pend aux guêtres de Lachlan. Comme cela arrive souvent dans les familles d’industriels, le fils n’a ni le caractère d’acier ni la vision stratégique du fondateur de l’affaire. Ce fintacticiens’intéressed’abordauxproblèmes d’organisation. Les sources de conflit sont nombreuses entre les barons des studios comme de la télévision, installés à Los Angeles,et Lachlan,qui opère depuisle siège new-yorkais d’Avenue of the Americas.

En se rangeant systématiquement dans le camp de ses manageurs, Rupert humilie sans cesse son fils aîné, dont l’étoile pâlit dans la City comme à Wall Street. Le père necesse de l’humilieren public.Son autorité chancelle. Quand dégoûté, Lachlan claque la porte, James prend tout naturellement le relais. Lachlans’est lancé dans le capital-investissement et la télévision australienne. Mais face aux « Aussies » (Australiens) forts en gueule, le natif de Wimbledon, la chic banlieue londonienne, a contre lui sonéducationaméricaine,son anglaischâtié et sa réputation de frayer avec le bon chic bon genre de Sydney. Le diplômé en histoire de l’université de Princeton se révèle un piètre investisseur. L’étoile de l’exilé continue de pâlir. Sa sœur Elisabeth est également sur la sellette. Victime de la misogynie légendaire de Rupert, cette femme de tête a osé défier le paternel en épousant Matthew Freud. Ce spécialiste en relations publiques est le type même du « bobo » londonienque vomitsonpère, attachéà ladéfense des valeurs familiales les plus réactionnaires. De plus, l’associé d’Elisabeth au sein de sa maison de production est un pair travailliste et homosexuel, de surcroît.

E

n prenant, en 2007, la tête des activités européennes, en particulier les journaux britanniques et le réseau Sky au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie, James est mis définitivement sur orbite. Mais en 2011, le scandale des écoutes clandestines du tabloïd anglais News of the World fait tomber le favori du piédestal. Malgré la fermeture du très rentable symbole de la presse populaire,la réputationdu groupe est touchée, ses prochaines acquisitions sont compromises et le cours de Bourse plonge. Un an plus tard, James est contraint de démissionner. Rentré aux Etats-Unis où règne en maître le numéro deux du groupe, Chase Carey, il est prié de faire profil bas. Wendi Deng, elle aussi, trébuche. En juin 2013, après quatorze ans de mariage, le magnat demande le divorce en évoquant un couple brisé « de façon irrévocable ». Les gazettes concurrentes expliquent cette décision par la fureur de Mur-

EN PLAÇANT LACHLAN À UN POSTE-CLÉ TOUT EN CONSERVANT CERTAINES FONCTIONS, RUPERT CADENASSE LA COMPAGNIE

doch à la suite de rumeurs d’adultère entre cette femme extrêmement ambitieuse et l’ex-premier ministre britannique Tony Blair, un ami proche de la famille, parrain de l’une des filles du couple. James, Elizabeth et Wendi : les malheurs du trio font le bonheur de Lachlan. Ce dernier profite du « rififi chez les Murdoch» pour rebondir. Pour Rupert, l’enjeu du retour de Lachlan est triple. Il est d’abord dynastique. Le tycoon n’a jamais caché sa volonté que l’un de ses enfants lui succède. Rupert en a les moyens grâce à sa maîtrise de 37,4% des droits de vote. La réhabilitation de l’ancien dauphin pressenti est également stratégique. Pour créer de la valeur à l’actionnaire, en juin2013, le groupe multiforme a été divisé en deux sociétés distinctes, News Corp (journaux et éditions) et 21 Century Fox. (audiovisuel et cinéma). En plaçant Lachlan à un poste-clé tout en conservant certaines fonctions, Rupert cadenasse la compagnie. Ce népotisme flagrant risque en revanche d’alimenter la rébellion de certains des actionnaires, en particulier les caisses de retraite américaines opposées à la domination de la famille. Enfin, le « coup Lachlan» doit marquer un retour aux sources d’un groupe fondé par Sir Keith Murdoch à Adelaïde dans les années 1940. Reste que le siège et la cotation principale ont été transférés du cheflieu de l’Australie méridionale à New York en 2004, afin de soutenir le cours de l’action. Rupert Murdoch a également renoncé à sa nationalité australienne pour devenir citoyen américain. Par la promotion au sommet de Lachlan, Rupert entend rendre hommage à sa mère, Dame Elizabeth Murdoch. La seule personne dont il était proche est décédéeen 2012 à l’âge de 103 ans à Cruden Farm, le domaine familial près de Melbourne. « Mon petit Lachlan est un idéaliste très prévenant, très discipliné. C’est le grand espoir de la famille », assurait-elle. Le ton inimitable d’une grand-mère éblouie était compréhensible. A ses yeux, son petit-fils était le portrait tout craché de son mari adulé, Sir Keith, décédé en 1952. « Et Rupert pense sans cesse à son père. Tout est là. » p Marc Roche


économie & entreprise 3

0123

Samedi 29 mars 2014

Loi Florange censurée: l’UMP jubile, le PS encaisse

Le Conseil constitutionnel a rejeté les pénalités prévues en cas de refus d’une entreprise de céder un établissement

L

a décision avait beau être attendue, elle tombe au plus mauvais moment pour François Hollande. Saisi par les groupes UMP de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Conseil constitutionnel a décidé, jeudi 27 mars, de censurer plusieurs articles de la loi Florange, l’une des promesses de campagne emblématiques du président de la République, dont l’objectif était d’empêcher la fermeture de sites rentables. Les sages du Palais-Royal estiment que l’article1 de cette loi, qui oblige une entreprise à céder un établissement s’il existe une offre de reprise sérieuse et prévoit des sanctions en cas de refus, est « contraire à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété », selon un communiqué publié jeudi après-midi. « L’obligation d’accepter une offre de reprise sérieuse (…) et la compétence confiée au tribunal de commerce pour apprécier cette obligation et sanctionner son nonrespect font peser sur les choix économiques de l’entreprise (…) et sur sa gestion des contraintes qui portentuneatteinte inconstitutionnelle au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre », estime le Conseil constitutionnel. Les sages ont également censuré l’article qui prévoyait une pénalité en cas de refus de l’entreprise de céder un établissement, dont le montant avait été fixé à vingt fois la valeur mensuelle du smic par emploi supprimé, soit 28 000 euros par salarié. « Une telle sanction est hors de proportion avec la gravité des manquements réprimés», indique la Cour. En revanche, les sages ont estimé « conformes à la Constitution» les dispositions de l’article 8, portant sur l’information du comité d’entreprise en cas d’offre publique d’acquisition, et de l’article 9, sur les modalités de distribution d’actionsgratuites,qui étaientégalement contestées par les parlementaires UMP. Le volet anti-OPA

Cour de cassation a estimé, dans une décision du 8 décembre 2000, que les juges n’ont pas à apprécier leschoixstratégiquesd’unchefd’entreprise. Le Conseil constitutionnel vient rappeler ce principe.» Ex-élu CFDT et leader emblématique des ArcelorMittal de Florange, aujourd’hui candidat socialiste aux élections européennes, Edouard Martin a fait part de sa «colère » à l’annonce de la censure

Pour symbolique qu’elle soit, cette censure était attendue, tant l’accouchement de la loi a été difficile

Sur le site ArcelorMittal de Florange (Moselle), en octobre 2013. ROLLINGER-ANA/ONLY FRANCE/AFP

(offre publique d’achat) du texte a été également préservé. Pour symbolique qu’elle soit, cette censure était attendue, tant l’accouchement de la loi a été difficile. Son origine remonte au 24 février 2012. Juché sur une camionnette, le candidat Hollande promet ce jour-là aux centaines de métallos ArcelorMittal de Florange (Moselle) venus l’écouter, de tout faire pour empêcher la fermeture des deux derniers hauts-fourneaux de Lorraine, contre laquelle ils se battent avec acharnement.

« Si Mittal ne veut plus de vous (…), je suis prêt à ce que nous déposions une proposition de loi qui dirait: quand une grande firme ne veutplusd’uneunité deproduction, mais ne veut pas non plus la céder, nous en ferions obligation», s’engage alors M. Hollande devant un public conquis. Mais une fois élu, c’est l’embarras : obliger une entreprise à céder un site revient à l’exproprier, affirment en chœur tous les juristes, quipointentdéjàlerisqued’inconstitutionnalité. Conscient du dan-

ger, le gouvernement préfère ne pas déposer de projet de loi et confielebébéaugroupesocialisteà l’Assemblée. Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, qui avait pourtant défendu becetongles lesmétallosdeFlorangeet brandi le texte devanteux lors d’une visite en Moselle, demande que la loi ne porte pas son nom. Alors qu’il devait être initialement adopté à l’automne 2012, le texte est finalement voté le 24 février2014, deux ans jour pour jour après la promesse de M. Hol-

lande. Il n’a plus grand-chose à voir avec les intentions du futur président: la loi ne concerneplusque les entreprises de plus de 1 000 salariés et la notion d’obligation de cession disparaît, les entreprises pouvant la refuser si cela met en péril «lapoursuitedel’ensembledel’activité». «Maislaisseràunjugel’appréciation de ce motif légitime de refus revenaitàluiconfierlesrênesdel’entreprise, explique Stéphane Béal, directeur du département droit socialauseinducabinetFidal.Or,la

de la loi, dénonçant « une manœuvre politicienne et tacticienne» de l’UMP.« Enquoiont-ils défendul’intérêt général ? », a-t-il demandé, après que le groupe UMP du Sénat eutsaluédansuncommuniquécette «belle victoire». De son côté, le Medef a applaudi la « décision réaliste » des sages du Palais-Royal, rappelant que l’organisation patronale avait «alerté les pouvoirs publics depuis des mois sur les dispositions inapplicables et dangereuses» dela loi.« Alorsquele gouvernement doit encore présenter au Parlement le contenu du pacte de responsabilité, le Medef espère que les prochains projets et propositions de loi feront preuve de plus de réalisme », tacle le syndicat des patrons. «Nous jugeons la censure sévère, mais il y a des éléments importants qui demeurent», a sobrement réagi le ministère du travail auprès de l’AFP. Interrogévendredi matin sur France 2, Thierry Mandon, porteparole du groupe des députés PS, a indiqué que le volet censuré de la loi allait être remodelé, avec une obligation de chercher un repreneurplusencadréeet des sanctions allégées. p Cédric Pietralunga

Cinqans après les faits,les salariés deMolexobtiennentgainde cause

Alcatel-Lucentva participer au déploiement du réseau 4Gde ChinaMobile

Le licenciement économique des employés est jugé injustifié

Pékin donne des gages sur l’ouverture de son marché aux Occidentaux

D

E

écisioncontroverséede l’actionnaire américain, occupation des locaux, séquestration de cadres, bataille judiciaire, l’affaire de l’usine de connecteurs automobiles Molex avait fait grand bruit en 2008 et 2009. Cinq ans plus tard, les anciens salariés du site français du géant américain Molex Inc., basé à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), ont remporté une nouvelle victoire,auboutd’unelongueluttejuridique. Le conseil des prud’hommes de Toulouse a jugé, jeudi 27mars, que le licenciement économique, en 2009, des employés de ce site de connectique était «sans cause réelle et sérieuse». «Ils sont injustifiés », précise Jean-Marc Denjean, leur avocat,quiavaitplaidéqueleslicenciements étaient « nuls » et « frauduleux» car, selon lui, il « n’y avait pas de difficultés économiques réelles», mais une « stratégie globale », unedécision«préméditée»conduite par le seul souci « d’offrir toujours plus de dividendes aux actionnaires». Sur un effectif de 283 salariés, 190 avaient engagé cette action devantlesprud’hommes.Ils seront donc indemnisés, si leur ex-employeur ne fait pas appel. La décision de ce dernier n’est pas encore connue. Particularité de ce dossier, qui était devenu un nouveau symbole de ces entreprises jugées rentables

mais sacrifiées sur décision étrangèreaunomd’unelogiquefinancière globale : leur ex-employeur, Molex Automotive ayant été liquidé, c’est la maison mère américaine, Molex Inc., qui est condamnée, en tant que coemployeur. Un statut obtenu par les Molex à la faveur d’une décision du 7 février 2013 de lacourd’appeldeToulouse.M.Denjean avait alors salué «une grande victoire, qui devrait interdire aux grands groupes étrangers d’évacuer leur responsabilité sociale ».

Illégitimité de la fermeture Sont également condamnés, précise M. Denjean, le mandataire liquidateur et le régime de garantie des salaires (AGS), qui se substitueau mandatairesicelui-ci nedispose pas des sommes nécessaires. Les anciens salariés réclamaient au total 22 millions d’euros de dommages et intérêts. « Ils n’ont pas obtenu exactement cette somme, mais les condamnations sont très significatives », précise l’avocat, qui n’a pas encore eu le temps de toutes les compiler. Mais, « dans plusieurs cas, elles dépassent les 100 000 euros », a-t-il constaté. Pour lui, ce jugement consacre l’illégitimité de la fermeture de l’usine, dont les salariés ont toujoursclamé qu’elleétaitviable.Cette décision est en ligne avec ce qu’avait déjà dit un autre juge. Le tribunal administratif de Toulou-

se avait ainsi annulé, en 2013, le licenciement économique de 23 salariés protégés (délégués, etc.) de cette usine, faute de motif économique.Pour ce faire, il avait estimé, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’une multinationale comme l’américain Molex ne peut justifier des licenciements économiques sur l’un de ses sites français ense fondant seulementsur la rentabilité de celui-ci, alors que le reste de la branche à l’international n’est pas en difficulté. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués par l’entreprise, le juge doit, si la société relève d’un groupe dont la société mère a son siège à l’étranger, faireporter son examensur « la situation économique de l’ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d’activité (…) sans qu’il y ait lieu de borner cet examen à celles qui ont leur siège social en France », ajoute-t-il. Le tribunal administratif validait ainsi « ce qu’[ils] essaye[nt] de faire valoir depuis le début, avait alors indiqué M. Denjean. Une sociétémère a toute possibilitéd’assécher une société à un endroit précis et décider de la fermer ». Maison ne peut pas se contenter de « faire une analyse microéconomique et ne regarder que la situation de cette société », pour juger si des licenciements sont justifiés ou pas. p Francine Aizicovici

n marge de la visite du président chinois, Xi Jinping, à Paris,Alcatel-Lucenta annoncé, jeudi 27 mars, la signature d’un gros contrat à 750 millions d’euros avec China Mobile. L’équipementier de télécommunications français fournira au premier opérateur mondial en nombre d’usagers du mobile des technologies de très haut débit 4G. China Mobile compte en effet 776 millions de clients, dont 28 % utilisant son réseau 3G, loin devant ses deux concurrents, des opérateurs publics également, China Unicom et China Telecom. Il propose à ses usagers de s’abonner à la 4G depuis le début 2014, au moment où il a introduit pour la premièrefoisdans sesoffresl’iPhone d’Apple. Le marché de la fourniture des infrastructuresde réseau très haut débit mobile à la Chine est un enjeu majeurpour les équipementiers occidentaux alors qu’ils se font rattraper sur ces technologies d’avenir par leurs deux concurrents chinois ultra-compétitifs, Huawei et ZTE. La banque Barclays estime à 200 milliards de yuans les dépenses de capital de China Mobilesur l’année2014, soit23 milliards d’euros, après avoir déjà investi 190 milliards de yuans, 22milliardsd’euros, en2013, essentiellement dans le déploiement de ses réseaux. Lors de l’attribution de sa pre-

mière phase de contrats d’installation de la 4G, en septembre 2013, pour un montant de 2,3 milliards d’euros, China Mobile avait confié à Alcatel-Lucent 11 % de ce marché, une portion équivalente à celle confiée aux deux autres étrangers, Ericsson et Nokia Siemens Network. Un tiers du marché revenait donc aux étrangers, tandis que la moitié des contrats est allée à Huawei et ZTE (environ 25 % chacun).

A point nommé L’annonce formelle de cet accordarrivaità point nommé jeudi, donnant ainsi des gages sur l’ouverture du marché chinois aux équipementiers étrangers, alors que ces derniers accusent régulièrementPékin de faire bénéficier ses champions nationaux de largesses, biaisant ainsi la concurrence. Ce même jour, hasard du calendrier ou pas, le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, a enterré une enquête antidumping sur les équipements de réseau chinois, ne conservantsous le coude qu’une procédure visant les subventions publiques de la République populaire. Le résultat de l’appel d’offres dont s’est félicité Alcatel-Lucent jeudi était en réalité déjà connu, mais les marchés financiers ont quand même salué la divulgation de son montant, l’action de l’équi-

pementier prenant 5,32 %, à 2,87 euros, peu après l’annonce. « On profite de la visite d’un haut responsable chinois pour annoncer un contrat-cadre qui comporte tout ce qui a déjà été signé et est en cours. Pour Alcatel, ce n’est pas extraordinaire puisque le chiffre d’affaires de Shanghai Bell, sa filiale chinoise, est constitué à hauteur de 70 % de contrats avec China Mobile », tempère un analyste. Mais toutes les bonnes nouvelles sont à prendre pour Alcatel car, même s’il se porte mieux depuis la mise en place du plan stratégique de Michel Combes, le nouveau patron arrivé en avril 2013, l’équipementier français n’est qu’en convalescence. Très fort sur le fixe, le groupe avait raté le virage du mobile et s’était vu, ces dernières années, devancé par le chinois Huawei, le finlandais Nokia Siemens Networks et le suédois Ericsson dans les principaux appels d’offres européens. Seuls les opérateurs américains ATT et Verizon lui sont restés fidèles pour l’équipement de leurs infrastructures mobiles. Pour réduire ses coûts, le groupe a dû procéder à son sixième plan de licenciements en six ans, de sorte que 900 emplois sont en cours de suppression en France. p Sarah Belouezzane et Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)


4

0123

économie & entreprise

Samedi 29 mars 2014

Le rachat d’Oculus par Facebook fait polémique Les internautes crient au dévoiement de la plate-forme de financement Kickstarter, sur laquelle Oculus a trouvé ses premiers supporteurs

V

iolation de la vie privée, publicité intrusive… Les reproches et les rancœurs s’accumulent contre Facebook, après l’annonce par le réseau social de l’acquisition d’Oculus Rift,pour la somme astronomique de 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros). La start-up, qui n’a encore généré aucun chiffre d’affaires, a été fondée par un petit génie de 21 ans, Palmer Luckey, à l’origine d’un casque permettant des’immergerdans une réalité virtuelle, essentiellement destiné aux jeux vidéo. L’acquisition, officialisée mardi 25mars, suscite depuis un déchaînement de violence sur la Toile, les

«Je n’ai pas mis 10000dollars lors d’un premier tour de table pour créer de la valeur en faveur de Facebook» Markus Persson créateur du jeu Minecraft internautes dénonçant la dernière d’une série d’achats, souvent spectaculaires de par leur montant, de jeunes pousses considérées comme« indépendantes»,voire« alternatives» : Instagram, WhatsApp et maintenant Oculus. Les plus grands déçus sont les premiers « supporteurs » de la start-up: ceux qui ont mis la main auportefeuillepourlafinancergrâce à la plate-forme de financement participatif Kickstarter. Ce sont en effet pas moins de 9 500 participants qui ont réuni quelque 2,4millions de dollars sur Kickstarter, en 2012, pour faire grandirlajeunepousse,dontlepremier prototype a été présenté au grandpublic en mars 2013, au festival South by Southwest (Austin, Texas). Et ceux-ci s’estiment floués.

Certes, le modèle du financement participatif fonctionne sur le principe du don et du contre-don, sansqu’aucunecontrepartiefinancière soit prévue. Mais les membres fondateurs voient d’un mauvaisœill’acquisitiond’une technologie de pointe, très prometteuse, par un réseau social tentaculaire et « vendu aux annonceurs », selon les internautes, qui n’a pas hésité à mettre 2 milliards de dollars sur la table. Au-delà de l’aspect financier, beaucoup d’acteurs de l’industrie du jeu vidéo se sentent trahis. « Je n’aipas mis10 000dollarslors d’un premier tour de table pour créer de la valeur en faveur de Facebook », a publiquement déclaré Markus Persson, le médiatique créateur du jeu Minecraft, qui s’était associé à Oculus pour développer une version de son jeu pour le casque. Sur Twitter, un des créateurs de Kickstarter a lui aussi exprimé son désarroi face à ce qu’il estime être un dévoiement du modèle du financement participatif: « Je peux sentir l’oxygène se raréfier dans la pièce, a tweetté Andy Baio, des possibilités brillantes et infinies venues de développeurs indépendants, silencieusement mises au placard.» Les commentaires se sont déchaînéssur la plate-formeKickstarter même, où chaque contributeur peut poster des messages. « Votre vente à Facebook est une honte, a écrit l’un d’entre eux, parmi les plus virulents, cela abîme non seulement votre réputation, mais aussi l’ensemble du financement participatif. Je n’ai pas de mots pour dire à quel point je me sens trahi.» Les esprits les plus chagrins ont fustigé la course à la « branchitude » menée par Mark Zuckerberg, le jeune PDG de Facebook, dont le réseau n’est plus aussi « cool » qu’avant, selon nombre d’internautes. Palmer Luckey, le fondateur d’Oculus, s’est justifié en rappelant que sa société n’était déjà plus

indépendante depuis sa dernière levée de fonds. Facebook n’est en fait que l’étape suivante du développement d’Oculus, à même de luifournirlescapitauxetles infrastructures pour, soulignent les défenseurs du rachat à 2 milliards, mettre le masque en production et le vendre à un prix raisonnable. Le site spécialisé Gizmodo est allé encore plus loin dans la défense de l’intéressé, arguant du fait que l’intégration dans Facebook permettrait à la technologie d’Oculus de toucher largement les utilisateurs lambda. Même si tous les observateurs s’accordent sur le côté hors norme decetteacquisition,l’alliancepourrait se révéler prometteuse. Facebook détient à la fois une gigantesque base d’utilisateurs et beaucoup d’argent dans ses caisses, la combinaisondesdeuxdevraitdonner l’impulsion à Oculus pour se transformeren une plate-formede distribution. C’est l’autre angle de critique de cette fusion: quel est le sens d’une

Palmer Luckey, 21 ans, a vendu sa société à Facebook pour 2 milliards de dollars. PATRICK FALLON/NYT/REDUX/REA

acquisition de ce type pour Facebook ? Car, pour de nombreux développeurstravaillantsur la réalité virtuelle, celle-ci ne doit surtout pas être mise au service d’un quelconque intérêt commercial. Or c’est précisément ce qui fait peur dans l’acquisition d’Oculus par Facebook. Avec ces rachats, Facebook veut fidélisersonénorme base d’utilisa-

teurs (plus de 1 milliard !). C’est le sens de son rachat (pour 19 milliards de dollars), début 2014, de l’application de messagerie instantanée WhatsApp. La monétisation de son audience sur mobileestle principalaxe de développement du réseau social. Voit-il en Oculus la martingale « postmobile», la prochaine plateforme de distribution de contenus

et de produits? Probablement. « L’entreprise se concentrera d’abordsur la distributionà grande échelle [du casque] et ensuite sur la création d’un réseau où les gens communiquent et achètent des biens virtuels », a déclaré Mark Zuckerberglors durachatd’Oculus…Et d’ajouter: « Il y aura de la publicité [dedans]. » p Audrey Fournier

Palmer Luckey, petit génie de la réalité virtuelle Profil San Francisco Correspondance

Palmer Luckey n’a que 21 ans mais il pourrait bien être à l’origine de la prochaine révolution technologique : la réalité virtuelle. Il n’a que 2 ans, en 1995, quand Nintendo tente sa chance avec le Virtual Boy, une console de jeux en forme d’énorme casque, qui se révélera un des plus gros échecs commerciaux du géant japonais. En 2010, la réalité virtuelle existe enfin, mais, au regard de son prix, son usage est réservé à quelques entreprises ou encore à l’armée. Palmer Luckey, lui, veut créer un produit grand public capable de révolutionner la société. A 16ans, il est déjà à l’université. Il cherche à acheter un casque de réalité virtuelle à utiliser avec ses jeux vidéo. Il fait le tour des enchères de l’armée, d’entreprises ou encore d’hôpitaux, qui liquident leurs technologies un peu datées. Très vite, son trésor de guerre

s’étoffe. « Je pense avoir la plus importante collection au monde de casques de réalité virtuelle », assure-t-il aujourd’hui. Il en possède plus d’une cinquantaine. Dans le garage de ses parents, il les démonte, les remonte, les combine, tente de comprendre leur fonctionnement et leurs problèmes. « Je me suis rendu compte qu’il fallait repartir de zéro pour faire quelque chose qui fonctionne correctement», se souvient-il. L’idée d’Oculus VR est née. Elle se concrétise deux ans plus tard. Il a 18ans.

Succès fulgurant Deux rencontres vont tout changer. La première avec Brendan Iribe, qui deviendra le PDG de la société. C’est lui qui l’aide à structurer son projet. La seconde avec John Carmack, une légende du jeu, créateur du célèbre Doom. Conquis par l’ambition de M.Luckey, il lui offre une belle exposition médiatique lors de l’Electronic Entertainment Expo, le salon des jeux vidéo de Los Angeles. Trois mois plus tard, en septem-

bre 2012, Oculus lance une campagne sur Kickstarter, la plate-forme de financement participatif. Le succès est fulgurant. Un premier prototype voit le jour. S’il ne ressemble alors qu’à un casque bricolé avec les moyens du bord, il suscite, à chaque apparition publique, autant de curiosité que d’enthousiasme. Une deuxième version, plus aboutie, est dévoilée. Elle confirme le potentiel entrevu jusque-là. Les investisseurs traditionnels affluent. En juin 2013, la start-up lève d’abord 16 millions de dollars (11,7millions d’euros) auprès de fonds de capital-risque. Puis 75 millions en décembre. Les acheteurs potentiels se bousculent aussi, mais Oculus repousse leurs offres. Jusqu’au week-end des 22 et 23mars, où ses dirigeants acceptent finalement une proposition de Facebook. Le réseau social vient de dépenser 2milliards de dollars pour acheter Oculus et son produit phare, le casque Rift… Pour Mark Zuckerberg, patron de Facebook, la réalité virtuelle

peut devenir « la plate-forme la plus sociale jamais créée». Il anticipe même que cette technologie va changer le monde comme le mobile l’a fait ces dernières années. Ce point de vue enthousiaste a peut-être été motivé par la présentation, quelques jours auparavant, de Morpheus, un casque concurrent conçu par Sony. Sur le réseau communautaire Reddit, M. Luckey assure le service après-vente: « Ce rachat va accélérer les choses. Nous allons pouvoir embaucher les personnes dont nous avons besoin et réaliser d’importants investissements dans les contenus », écrit-il. «Les possibilités sont immenses, assure-t-il. Dans un futur proche, la réalité virtuelle formera policiers, pompiers ou chirurgiens, traitera les phobies, entraînera les apprentis conducteurs, sera utilisée par les cabinets d’architectes…» « La technologie est encore limitée mais nous avons ouvert la porte et continuons de l’ouvrir encore plus grand», promet le petit génie. p Jérôme Marin

Satya Nadella engage la transformation de Microsoft

Le PDG du géant américain des logiciels annonce la disponibilité de la suite Office sur l’iPad

Catherine Diverrès Penthésilées…

Photo Caroline Ablaine

3 au 5 avril 2014

www.theatre-chaillot.fr

San Francisco Correspondance

M

oins de deux mois après sa nomination à la tête de Microsoft, début février, Satya Nadella imprime déjà sa marque. Lors d’une conférence de presse organisée jeudi 27 mars à San Francisco, sa première intervention publique depuis sa prise de fonction, le nouveau directeur général du géant américain a officialisé la rupture stratégique avec son prédécesseur, Steve Ballmer, en poste pendant quatorze ans. Symbole de ce tournant : l’arrivée de la suite bureautique Office de Microsoftsur l’iPad. Dès aujourd’hui, Word, Excel et PowerPoint, logiciels bien connus de tous les utilisateurs de PC, sont accessibles sur la tablette d’Apple, l’un des principaux rivaux de Microsoft. « Office est disponible sur Mac depuis vingt ans », a rappelé M.Nadella.Mais il nel’était jusquelà que sur les tablettes équipées de Windows, le système d’exploitation (OS) maison. « Nous voulons qu’Office soit accessible partout, a indiqué M. Nadella. Sur PC, sur tous les télé-

phones, sur toutes les tablettes. » Un responsable de la société a confirmé qu’une version Android, le système d’exploitation mobile de Google qui équipe la majorité des terminaux mobiles vendus dansle monde, sera bientôt lancée. Quelques heures après leur mise en ligne, les trois applications de la suite Office étaient déjà les plus téléchargées sur l’AppStore, le magasinenligned’Apple.Leurtéléchargement est gratuit. Mais un abonnement à Office 365, la suite logicielle en ligne de Microsoft, est requis pour profiter de toutes les fonctionnalités. Sans ce dernier, l’utilisateur ne peut que consulter les documentsmais ne peut pas les éditer. Office 365 coûte 100 euros par an pour les particuliers.

L’échec de Steve Ballmer Ce revirement met en évidence l’échec de M. Ballmer. Ce dernier considérait l’exclusivité d’Office comme l’un des principaux arguments de vente des tablettes sous Windows. Il espérait convaincre les entreprises, de plus en plus nombreusesàs’équiperd’iPadoudeterminaux Android. Et ainsi compenserlabaissedesventesdePC.L’argu-

ment n’a pas convaincu: en 2013, le système d’exploitation de Microsoft n’a capté que 2,1 % du marché mondialdestablettes,selonlesestimations du cabinet Gartner. Au contraire, la stratégie de la firme de Redmond (Washington) a favorisé les services concurrents de Google. Elle a aussi l’alternative à Office, comme les applications Evernote ou Dropbox. Plébiscitées par le grand public, ces solutions gagnent du terrain sur le marché des professionnels. Une menace croissantepour l’activité de Microsoft, qui dépend encore beaucoup de sa suite office. « Microsoft a voulu montrer aux entreprises qu’il demeure un partenaire essentiel, qu’elles utilisent ou non des terminaux sous Windows », analyse Carolina Milanesi, du cabinet Kantar Worldpanel. La société a ainsi dévoilé de nouveaux outils pour les directions informatiques, leur permettant de gérer l’ensemble des plates-formes mobiles. « Ce n’est qu’un premier pas dans notre stratégie, assure M.Nadella. Nos applications et services doivent être disponibles partout.» Il rompt avec la politique de

la précédente direction, trop longtemps préoccupée à préserver ses activités historiques, comme Office et Windows, au lieu de répondre aux évolutions des usages. Le nouveau patron assure vouloir s’adapter à « la réalité du marché ». Et il entend faire de Microsoft, souvent critiqué pour sa lenteur, « la société qui innove sur les marchés où elle est en retard». M. Nadella veut concentrer ses efforts sur le mobile et le cloud computing (l’informatique dématérialisée). « Ce sont deux aspects d’une même évolution », explique-t-il. « Le mobile sans le cloud est limité. Le cloud sans le mobile est sous-exploité. C’est à l’intersection des deux que se produit la magie. Et c’est aussi une incroyable opportunitéde croissance», a ajouté le PDG. M. Nadella a prouvé qu’il était prêt à bousculer les lignes. A plus long terme, cela passera par une évolution du modèle économique de Microsoft, des licences d’utilisation de logiciels vers la fourniture de services. « Windows reste un pilier », assure-t-il. Mais assurément moins qu’auparavant. p Jé. M.


0123

économie & entreprise

Total négocie avec Lukoil pour exploiter des pétroles de schiste en Russie

Le pouvoirukrainien contraintpar le FMI à des réformesdrastiques

Samedi 29 mars 2014

Le pays est «stratégique» pour la major française, qui a déjà des accords avec Novatek dans le gaz

L

a Russie reste une province pétrolièreetgazière«stratégique» pour Total, répètent ses dirigeants depuis des années. Le groupe le confirme en cherchant à s’y développer dans les pétroles de schiste. Il négocie actuellement avec Lukoil, la première compagnie pétrolière privée russe, pour créerunecoentreprisequiexploiterait ces huiles non-conventionnelle, a indiqué, jeudi 27 mars, le site Internet du Financial Times. Des négociations qui ont débuté avant la crise ukrainienne et l’annexion récente de la Crimée par la Russie. Premier producteur mondial d’or noir au coude-à-coude avec l’Arabie saoudite (environ 10 millions de barils par jour), la Russie cherche à développer ces pétroles non-conventionnelspourcompenser le déclin de la production de ses gisements de Sibérie. Le pays détiendrait, selon le Département américain de l’énergie (DoE), les plus riches réserves de pétrole de schistedansle monde,notamment dans la formation sibérienne de Bajenov. Lukoil a commencé une campagne d’exploration mais n’a pas encore trouvé de pétrole. L’information tombe alors que la crise ukrainienne exacerbe les tensions entre Moscou, WashingtonetlesEuropéens.Totals’estrefusé à tout commentaire, tout comme Lukoil, qui avait pourtant révélé, il y a quelques semaines à des investisseurs à Londres, qu’elle discutait avec une major européenne. La politique de Total a toujours été de poursuivre ses activités dans despayscritiquéstantqu’uneinterdiction émanant du gouvernement français ou des Nations unies ne les interdisait pas, comme ce fut le cas en Irak et en Iran. «Nous sommes en Russie pour longtemps », a souligné son PDG, Christophe de Margerie, début mars, au CERA Week de Houston (Texas).

P

L’intérêt de la compagnie française, qui doit sans cesse reconstituer ses réserves, est évident. D’autant plus qu’elle dispose déjà d’un savoir-faire grâce à l’extraction de condensats (gaz assez liquides) aux Etats-Unis en recourant avec son partenaire américainChesapeake Energy, à la technique controversée de la fracturation hydraulique. Elle a récemment décroché un permis d’exploration d’huile de schiste en Argentine.

Exonérations fiscales Présent en Russie depuis 1991, Total n’a cessé de s’y développer. D’abord dans le pétrole, avec le gisement de Khariaga, dans le Grand Nord. Puis dans le gaz, avec sa participation de 17 % dans la société privée Novatek, deuxième groupe gazier russe. Leur coentre-

prise développe un énorme projet de gaz naturel liquéfié (GNL) dans la péninsule de Yamal. Pour Lukoil, un partenariat avec Total marquerait un changement de stratégie. Jusqu’à présent, le deuxième pétrolier russe a toujours développéses projets en solitaire. Wintershall, filiale du géant allemand de la chimie BASF, veut aussi étendre sa coopération avec Lukoil. Cette stratégie a été retenue par son grand concurrent public, Rosneft. Associé à l’américain ExxonMobil, il prospecte aussi la formation de Bajenov. Selon ses experts, elle renfermerait plus de 9 milliards de barils de brut et le ministèrerusse de l’énergie a assuré queces shaleoil pourraientassurer une production quotidienne de 440 000 barils en 2020.

Le gouvernement russe a soutenu le partenariat Rosneft-ExxonMobil, qui explore en mer de Kara (Arctique).M. Poutine, qui n’hésite pas à pressurer les compagnies produisant du pétrole et du gaz conventionnels, a accordé en septembre 2013 des exonérations fiscales pour les forages en mer et l’extraction de pétroles de schiste. La Russie se montre en revanche beaucoup plus prudente sur l’extraction des gaz de schiste, probablement présents en grande quantité sur son territoire. Leur fort développement a longtemps été qualifié de « mythe » par Alexeï Miller, patron de Gazprom. Jusqu’à ce que M. Poutine admette qu’ilyavait bienune «réellerévolution » des hydrocarbures nonconventionnels. p Jean-Michel Bezat

Gaz: Barack Obama entrouvre la porte des exportations Le président américain souligne que l’Europe devra compter sur ses propres ressources

N

e comptez pas trop sur les Etats-Unis pour vous libérer de votre dépendance au gaz russe ! C’est un des messages que le président américain a délivré aux Européens, mercredi 26 mars, à Bruxelles, au terme de sa tournée européenne. En pleine crise ukrainienne, qui fait planerune menacesur l’approvisionnementde l’Europe par Gazprom, Barack Obama a souligné que l’Union européenne (UE) devaitsurtoutcomptersur ses propresressources, à savoir le nucléaire, le charbon, le gaz de schiste et les énergies renouvelables. Depuis quelques mois, l’administration américaine délivre au compte-gouttes les autorisations d’exportation par méthanier du gaz extrait aux Etats-Unis et liquéfié dans les usines qui seront construites sur les côtes du golfe du Mexique ou du Pacifique. Non sans réticences, tant certains industriels et hommes politiques et industriels veulent garder cette ressourcepourrenforcerla compé-

Les mesures d’austérité sont difficiles à mettre en œuvre compte tenu du contexte politique Kiev Envoyée spéciale

Site de stockage de gaz de la compagnie russe Lukoil dans la région de Saint-Pétersbourg. MIHAIL MOKRUSHIN/RIA NOVOSTI

titivité des entreprises et la sécurité d’approvisionnement du pays. « Nous saluons la perspective d’exportationsde gaz naturelliquéfié [GNL] américain à l’avenir, car une augmentation de l’offre mondiale bénéficiera à l’Europe et à d’autres partenaires stratégiques », ont indiqué dans un communiqué commun M. Obama, José-Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Herman Van Rompuy, président du Conseil européen. Mais M. Obama a prévenu que « quand nous aurons conclu un accord [de libreéchange Etats-Unis-UE], les licences d’exportation seront fortement facilitées». Dansl’espritdeM.Obama,partisan du marché, il est impossible d’imposer aux compagnies de livrer ce gaz en priorité à l’Europe, même si certains parlementaires poussent en ce sens au Congrès. M. Barroso en a convenu : « Nous ne nous attendons pas à ce que le gaz soit alloué à un marché spécifique. » Encore moins à ce que les

pays européens bénéficient de tarifs préférentiels. Le GNL risque donc d’aller vers les consommateurs les mieux-disants, autrement dit vers l’Asie. En outre, les premières unités de GNL ne produiront pas avant 2016 et leur construction est très coûteuse. Le projet Cameron LNG, auquel participe GDF Suez, mobilisera plus de 7 milliards d’euros. Le prix du gaz produit, augmenté des coûts de transport, sera élevé.

« Dans les bras des Chinois » « Les réponses à court terme sont d’une autre nature, juge Claude Mandil, ancien patron de l’Agence internationale de l’énergie, qui évoque le charbon et le nucléaire. « Il faudrait surtout accepter de payer le gaz plus cher. Celui du Qatar va exclusivement en Extrême-Orient parce que c’est là que sa valorisation est la plus élevée. A 15 dollars par million de British Thermal Unit [28 m3], au lieu de 11 dollars maintenant, il viendrait en Europe. »

M. Mandil estime qu’à plus long terme, « l’apparition des Etats-Unis comme nouveau fournisseur peut accroître les marges de manœuvre européennes». Mais cela entraînera, selon lui, une nouvelle difficulté pour les Européens : « Je ne suis pas sûr que nous devions tout faire pour pousser la Russie, détenteur des premières réserves gazières au monde, dans les bras des Chinois.» Même si Pékin refuse depuis plusieurs années le prix proposé par Gazprom, bloquant un contrat de livraison stratégique qui pourrait néanmoins être signé en mai, lors de la visite de Vladimir Poutine en Chine. Hors transport, le gaz provenant de Russie représente moins de 10 % de l’énergie primaire consommée en Europe. « L’Europe est-elle si dépendante que cela ?, nuance M. Mandil. Il faut vraiment relativiserla catastropheque représenterait la perte de 10 % de nos besoins dans une matière aisément substituable.» p J.-M. B.

5

our le nouveau gouvernement ukrainien issu de la révolution qui a renversé le président Viktor Ianoukovitch en février, l’heure de vérité est arrivée. L’annonce, jeudi 27 mars, par le Fonds monétaire international (FMI) d’un plan d’aide d’urgence vitalpourKievimpliquequele gouvernement s’engage à adopter des mesuresd’austéritépolitiquement si risquées que le précédent régime y avait toujours renoncé, malgré la dramatiquedégradationdelasituation économique du pays. Le plandu FMI, annoncéà l’issue d’une mission de trois semaines d’une délégation de l’institution à Kiev, évite à l’Ukraine de faire défaut sur sa dette, avec une échéance de 10 milliards de dollars (7,3milliards d’euros) en 2014. D’un montant de 14 à 18milliards de dollars, il doit permettre de débloquer de nouveaux crédits qui s’élèveront au total à 27 milliards de dollars sur les deux années à venir. Les Etats-Unis et l’Union européenne ont fait dépendre de l’accord du FMI leur propre participation au sauvetage financier de l’Ukraine. Le plan du FMI est cependant soumis à l’approbation de son conseil d’administration, qui lui donnera son feu vert en avril « une fois que les autorités auront adopté untrainde mesurespréalablesénergiques et globales, propres à stabiliser l’économie et à créer les conditions d’une croissance durable », selon le communiqué du FMI. Ces mesures, le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, est venu les présenter jeudi au Parlement, qui les a approuvées. Dans un discours d’une heure devant une assemblée tendue, M. Iatseniouk, qui a lui-même qualifié son gouvernement de « kamikaze » lorsqu’il a pris ses fonctions fin février, a exposé une succession de chiffres apocalyptiques sur l’état de l’économie. Le déficit budgétaire est équivalent au budget total de l’Etat; «si nous étions une entreprise commerciale, nous serions en faillite», a-t-il ajouté. L’Ukraine ne coupera pas à la récession, avec un produit intérieur brut (PIB) en baisse de 3 % dans le meilleur des cas, voire de 10% si cela va mal. Le taux d’inflation prévu est de 14% à 15%. Pour redresser la situation et ramener le déficit budgétaire de 4,5% du PIB en 2014 à 2,5% en 2016, le FMI préconise l’augmentation du prix du gaz à la consommation; la baisse des programmes de subventions massives ; une réforme des modes d’attribution des marchés publics, sources de corruption massive et de pertes de revenus pour l’Etat; une restructuration de l’entreprisepubliqued’énergieNaftogaz,dontledéficiten2013équivalait à peu près à 2 % du PIB ukrainien ; et le flottement de la monnaie, déjà mis en œuvre. La première mesure, à forte valeursymbolique,avaitétéannoncée mercredi: la hausse de 50% des prix du gaz pour les consommateurs ukrainiens, à partir du 1er mai. Pour les entreprises, cette hausse a

Un plan à 27 milliards de dollars Entre l’aide financière que le Fonds monétaire international (FMI) s’est engagé lui verser sur deux ans (entre 14 et 18 milliards de dollars, soit entre 10,2 et 13 milliards d’euros) et les autres sommes promises par la Banque mondiale (jusqu’à 3 milliards de dollars), le Japon (1 milliard), le Congrès américain (1 milliard) et l’Union européenne (11 milliards d’euros dans les prochaines années), l’Ukraine devrait bénéficier d’un plan de sauvetage massif atteignant, selon le FMI, 27 milliards de dollars sur deux ans. Dans ce cadre, l’Union européenne pourrait débloquer d’ici à l’été 850 millions d’euros en aides et en prêts. La Banque européenne d'investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement devraient aussi aider l’Ukraine mais dans un deuxième temps.

été limitée à 40 % et reportée au 1er juillet. « C’est le prix de l’indépendance de l’Ukraine», a plaidé le premier ministre. Elle ne permettra pas cependant de renflouer Naftogaz, qui doit faire face à une hausse de 80% du prix du gaz russe.

Tentatives de déstabilisation M. Iatseniouk a également annoncéle gel des salaireset retraites des fonctionnaires, une réduction de 10 % des effectifs dans l’administration et l’augmentation d’un certain nombre de taxes. Selon un récent sondage, 60 % des Ukrainiens seraient prêts à accepter des mesures impopulaires dans le nouveau contexte politique, mais ce taux tombe à 34 % dansles régionsde l’Est,plusindustrielles et majoritairement peuplées de russophones. C’est là toute la nature du pari du FMI, à la fois pour l’institution et pour le nouveau pouvoir ukrainien: mettre en placedes réformes difficiles alors que l’armée russe occupeenCriméeunepartieduterritoire de l’Ukraine et a massé des troupes le long de la frontière orientale. Les tentatives de déstabilisation dans l’Est ukrainien sont évidentes et la situation pourrait se tendre davantage encore à l’approche de l’élection présidentielle du 25 mai. « Si la Russie multiplie par troisle montantdes retraites en Crimée,les habitantsde l’estdel’Ukraine vont dire “nous aussi” », souligne Oleksandra Betly, de l’Institut pour la recherche économique à Kiev. Le FMI avait déjà attribué deux lignes de crédit massives à l’Ukraine, en 2008 et 2010, mais les avait interrompues devant le refus des dirigeants, à l’époque Ioulia Timochenko puis Viktor Ianoukovitch, de céder aux exigences du Fonds. Cette fois, la volonté de coopération des autorités est plus claire, maisla situationpolitiqueplusfragile. p Sylvie Kauffmann


6

0123

économie & entreprise

Samedi 29 mars 2014

Depuis2008,lesbanquesaméricainesont payé100milliardsde dollarsd’amendes La justice a sanctionné les établissements pour leurs responsabilités dans la crise financière

D

Pour le quotidien britannique, cette facture record dans l’Histoire de Wall Street, dont la moitié concerne l’année 2013, atteste d’un durcissement de ton de l’administration de Barack Obama. Des critiques s’étaient fait entendre dans le camp démocrate sur l’impunité des banques et la clémence supposée à leur égard du président…

éjà 100 milliards de dollars etlecompteurn’estpasarrêté. Le Financial Times, la bible des marchés financiers, est parvenu, mercredi 26 mars, à ce chiffre choc : depuis le début de la crise de 2007-2008, les banques américaines, et les filiales de banques étrangères aux Etats-Unis, se sont vues infliger 99,5 milliards de dollars d’amendes (72,5 milliards d’euros) par les tribunaux et les autorités réglementaires américaines pour leur responsabilité dans le déclenchement de ce séisme financier et leur comportement pendant cette période. Les produits risqués vendus de façon trompeuse par ces établissements – dont les fameux crédits immobiliers subprimes – ont été à l’origine du plus grave choc financier depuis 1929. Ils ont contaminé toute la planète.

« Dure » Vu d’Europe, la facture impressionne. Elle a beau refléter la façon de fonctionner de la justice américaine,où les affairessesoldentsouvent, avant condamnation, par des transactions et d’importantes pénalités. Elle contraste aussi avec la situation européenne où de tels produits ont été vendus, mais où peu d’affaires de ventes litigieuses massivesont été portéesen justice. «Les modèles de société sont dif-

férents. Les pratiques l’ont aussi été. Mais les banques espagnoles qui ont vendu aux particuliers des obligations subordonnées dont la valeur s’est écroulée en 2012 [titres que les investisseurs institutionnels avertis n’achetaient plus…] ne portent-elles pas des responsabilités?, interroge Nicolas Véron, chercheur au think tank Bruegel. Aux Etats-Unis, de telles pratiques auraient sans doute donné lieu à des pénalités massives…» Selon M. Véron, si le système judiciaire américain est critiqué pourlesexcèsqu’ilpermet,ilimpose bel et bien une discipline. « Oui, appuie-t-il, la justice des Etats-Unis est dure envers les banques, comme l’est aussi la régulation. On parle des énormes dépenses de lobbying de Wall Street. On oublie de dire que la machine à sanctionner fonctionne mieux qu’en Europe. » Lors des

Lors de l’annonce par le procureur américain Preet Bharara des deux chefs d’inculpation contre JPMorgan Chase, le 7 janvier, à New York. ALLISON JOYCE/REUTERS

récents tests de résistance bancaires, les autorités américaines ont annoncé que les établissements devraient encore mettre de côté 151 milliards de dollars pour faire face à leurs risques, notamment juridiques. Plus efficace le système judiciaireaméricaindanslespériodes de crise financière? C’est aussi l’avis de Hubert de Vauplane, avocat associé au cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP. « Certes très peu de dirigeants américains ont été poursuivis au pénal », dit-il, et il est des banques qui ont acquitté les sanctions sans changer leur management. C’est le cas de JPMorgan Chase et de son PDG, le banquier-star Jamie Dimon, qui a traversé la crise et les sanctions indemne. Sa banque détient pourtant la palme en matière de pénalités : 13 milliards de dollars négociés en novembre 2013 avec l’Etat américain, pour solder l’affaire des subprimes. Outre JP Morgan Chase, les banques jusqu’ici les plus lourdement sanctionnées sont Bank of America, Citigroup et Wells Fargo. Cependant la justice civile, elle, passe. Et frappe fort. « Ce mode de justice arbitrale et transactionnelle peut être critiqué. Mais c’est un paradoxe: il prouve son efficacité… Les banques, quand elles ont commis des infractions, paient. » L’avocat fait valoir que de récentes décisions de justice américaines ont permis d’indemniser des victimes dans des affaires mal engagées. Ainsi du scandale Bernard Madoff, cet Américain condamné en 2009 à cent cinquante ans de prison, pour une escroquerie portant sur des dizaines de milliards de dollars. «Certaines victimespensaient avoir tout perdu. Mais fin 2013, un règlement a permis d’apporter 4 milliards de dollars pour l’indemnisationdefonds,d’entreprises ou de particuliers, notamment en Europe…», dit M. de Vauplane. p Anne Michel

Dettes publiques: le record de 1945 bientôt dépassé

L’endettement des économies avancées devrait atteindre 117,4% du PIB en 2014, selon l’OCDE

T

riste record. En 2014, la dette publique des grandes économies avancées devrait frôler 117,4 % du produit intérieur brut (PIB), un niveau jamais atteint depuis la seconde guerre mondiale. C’est ce que révèle un rapport de l’Organisationde coopérationet de développement économiques (OCDE) publié vendredi 28 mars et intitulé « Sovereign Borrowing Outlook 2014 » (« perspectives des emprunts souverains 2014»). En 1945, sortis exsangues du conflit et de son financement, les

dix Etats concernés (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Etats-Unis, Canada, Japon, Corée du Sud et Australie) avaient vu leur dette culminer à 116 % du PIB en moyenne, avant qu’elle retombe à 23,5 % en 1965. Cettefois,c’estl’héritagedelacrisefinancièrede2008quiestencause. « Elle a conduit à une forte augmentation des dettes des Etats suite àleurdécisiondetoutfairepouréviter la faillite du système financier », rappellent notamment les auteurs. Selon la plupart des économistes,

Suivez leS académicienS www.lemonde.fr/blogs/monde-academie/

LE MONDE

ACADÉMIE en partenariat avec et

les dettes publiques des pays développés devraient gonfler encore en 2015, avant d’entamer une lente décrue dès 2016. Mais les efforts de rigueur commencent à porter leurs fruits. Les déficits publics se résorbent enfin. En moyenne, ils sont passés de 5,9 % du PIB en 2012 à 4,8 % en 2013 dans l’OCDE, pour se stabiliser à près de 4 % en 2014. De plus, les besoins de financements bruts des Etats de l’OCDE commencent à diminuer. Après le pic de 2012, où ils ont culminé à 11 000 milliards de dollars (8 020 milliards d’euros), ils sont passésà10 800milliardsen 2013,et devraient tomber à 10 600 milliards en 2014. Dans le même temps, les pays ont réduit la part des emprunts de court terme dans le total des nouvelles obligations émises. Après avoir grimpé de 49 % à 55,5% entre 2007 et 2008, celle-ci est redescendue à 45 % fin 2013.

Deux risques majeurs Enfin, « plus de cinq ans après la chute de Lehman Brothers, il y a de fragiles signes de reprise économique », ajoute le rapport. Est-ce à dire que la crise des dettes souveraines est enfin derrière nous ? L’OCDE reste prudente sur le sujet, et met en garde les Etats. Car, si les conditions d’emprunt se sont détendues depuis mi-2012, les gestionnaires de dette doivent garder à l’esprit que les marchés peuvent se montrer capricieux et imprévisibles, rappelle l’Organisation. Façon de dire que l’embellie observée sur les taux espagnols, italiens

et portugais depuis fin 2013 reste fragile. Et peut se retourner. De manière générale, les Etats seront confrontés à deux risques majeurs dans les mois à venir. D’une part, la remontée des taux d’intérêt américains qui accompagnera inévitablement la réduction des soutiens à l’économie de la Réserve fédérale (Fed, banque centrale américaine). Cela risque, par effet de contagion, de pousser les taux d’intérêt à la hausse dans les autrespays développés,et en particulier dans la zone euro. D’autre part, pour compliquer le tout, le changement de cap de la Fed s’accompagnera de plus de volatilité sur les marchés. C’est d’ailleurs déjà le cas : depuis mai2013, lorsque la Fed a dévoilé sa nouvelle stratégie, les devises des pays émergents sont chahutées. Dans ces conditions, la gestion des dettes sera délicate. Pour éviter des mouvements de panique, les Etats devront mener des politiques économiques les pluscohérentesetclairespossibles, estimel’OCDE.Illeur faudramettre de l’ordre dans leur stratégie d’émission de nouvelles obligations, chaotique pendant la crise. Pour rassurer les investisseurs, les auteurs du rapport leur suggèrentdepublieràl’avanceleurcalendrier d’émission et de se montrer transparents sur le détail des programmes d’emprunts à venir. Un bon point pour la France: l’Agence France Trésor, qui gère notre dette publique, a déjà adopté ces bonnes pratiques depuis des années… p Marie Charrel

Au Danemark, paysde la «flexisécurité», le chômageest au plusbas

Le taux de demandeurs d’emploi a atteint 5,3% en février, un record depuis août2009 Stockholm Correspondance

P

our le troisième mois consécutif, le taux de chômage a baissé au Danemark. Il est tombé de 5,4 % à 5,3 % au mois de février, le chiffre le plus bas depuis août 2009, en baisse de 0,6 % par rapport à février 2013. Dans ce pays de 5,6 millions d’habitants, membre de l’Union européenne, seuls 140 600 personnes sont au chômage, soit 2 700 de moins qu’en janvier. Souvent montré en exemple en France pour son modèle de marché du travail qui mélange flexibilité et sécurité, le Danemark n’avait pas échappé aux conséquences catastrophiques de la crise financière de 2008. Son économie, l’une des plus performantes d’Europe, avait même commencé à entrer en crise avant l’automne 2008, en raison de la raréfaction de la main-d’œuvre disponible. Ces bons chiffres sont salués par les syndicats et les économistes comme résultant en grande partie des réformes engagées par le gouvernement de gauche arrivé au pouvoir en 2011. Présentée en 2013, l’une des principales réformes, celle de l’aide sociale, est entrée en vigueur début 2014. Les jeunes de moins de 30 ans sans diplômes mais disponibles pour le marché du travail cessent derecevoirl’aidesociale.Ilssontforcés de suivre une formation et touchent une allocation équivalente à la subvention que touchentles étudiants, soit 770 euros mensuels avant impôt. Une somme que touchent aussi désormais les jeunes chômeurs de moins de 30 ans avec une formation. Avant cette réforme, les chômeurs de plus de 25 ans touchaient 1400 euros d’aide sociale par mois avant impôt et ceux de moins de 25ans, 900euros par mois. Les jeunes de moins de 30 ans, qui pour uneraison ouune autrene sont pas prêtsà suivre une formation,continuent toutefois à percevoir l’aide sociale tant qu’ils en cherchentune autre. Les bénéficiaires de cette aide sociale pouvant travailler doivent accepter des travaux au service de la communauté. Le groupe de réflexion Kraka a présenté des statistiques mon-

trant que 33 % des chômeurs trouvaient un emploi dans les derniers mois de leur période de prestation de deux ans. Avant la réforme entrée en vigueur en janvier, ce nombre était de 14 %, ce qui fait dire à l’économiste en chef de Kraka, Andreas Hojbjerre, que « la réforme fonctionne ».

« Trop tôt pour se réjouir » « Il s’agit d’un très bon chiffre en apparence, estime pour sa part Tore Stramer, analyste en chef chez la banque Nykredit. Cependant, la baisse du taux de chômage a été favorisée de façon exceptionnelle par le travail de nettoyage effectué après les ouragans Bodil, [début décembre 2013] et Allan, [fin octobre2013]. En outre, le taux de chômage diminue de façon artificielle par la réduction de la période de prestations. Il est donc trop tôt pour se réjouir. » Rien n’est encore gagné pour certains, d’autant qu’une grande partie de ces emplois nouveaux ne sont que temporaires. La confédération syndicale 3F s’inquiète par ailleurs d’une augmentation de la pauvreté avec un nombre croissantde personnesexcluesdu système de prestations sociales. Les responsables de l’Institut danois des statistiques ont d’ailleurstempéréleur enthousiasme. Ils constatent qu’en raison des nouvelles réformes, certains chômeurs ont simplement changé de colonne. « Ces réformes ont contribué à une baisse du nombre de chômeurs bénéficiaires d’allocations depuis décembre 2013, mais cela n’a pas été suivi d’une augmentation correspondante du nombre de chômeurs entrés sur le marché du travailou en apprentissage»,expliquent-ils. Les prévisions de créationd’emplois pour le reste de l’année restent prudentes, notamment à causedesprévisionsde croissanceestimée entre 1,3 % et 1,5 % du produit intérieur brut pour 2014. Souvent loué pour sa politique de « flexisécurité », le Danemark demeure l’un des pays avec la plus forte pression fiscale au monde, où deux tiers des Danois de plus de 18 ans travaillent dans la fonction publique ou sont dépendants de l’Etat pour leurs revenus. p Olivier Truc

MÉDIAS

L’AFPcontinueraà recevoir desaidespubliques

La Commission européenne a reconnu, jeudi 27mars, la « mission d’intérêt général» exercée par l’Agence France-Presse (AFP), justifiant les aides publiques qu’elle perçoit. Celles-ci sont apportées par les nombreux abonnements de l’Etat pour ses diverses administrations et institutions, représentant au total 100millions d’euros et 40% du chiffre d’affaires. Cette forme de subvention avait été mise en cause, en février2010, par l’agence de presse allemande DAPD, aujourd’hui disparue. Dans sa décision, Bruxelles invite Paris «à s’assurer que le nombre d’abonnements sera limité à ce qui est nécessaire» et que les modalités de calcul de leur prix «soient conformes à la grille tarifaire appliquée aux sociétés du secteur privé». Pour Emmanuel Hoog, PDG de l’AFP, cette décision va « changer la relation économique avec l’Etat », amené à devenir un client comme les autres. p Daniel Psenny

Télécommunications Bouygues offre des garanties aux salariés de SFR et de Bouygues Telecom

Dans une lettre envoyée jeudi 27 mars, le groupe Bouygues a promis de maintenir l’emploi chez SFR et Bouygues Telecom, dans le cas où le groupe de BTP parviendrait à racheter le premier. Cet engagement, assorti « d’aucune condition restrictive», est valable trente-six mois à compter de la signature d’un éventuel accord.

Industrie Alstom est l’objet d’une enquête pour corruption de la justice américaine

Le groupe Alstom a annoncé, jeudi 27 mars, être l’objet d’une enquête de la justice américaine sur des soupçons d’actes de corruption qui concerneraient plusieurs pays d’Asie. Le spécialiste français des infrastructures électriques et ferroviaires a, par ailleurs, dit coopérer pleinement sur ce dossier avec les autorités américaines. La crainte que l’entreprise doive payer de lourdes amendes a toutefois aussitôt fait dévisser la valeur de la société en Bourse: jeudi, le titre Alstom a perdu 4,87 % à 19,245 euros.


0123

histoire

Samedi 29 mars 2014

7

La révoltedes «bonnetsrouges», en novembre2013, marquel’essoufflement du «modèleéconomiquebreton» construitdansles années1950et 1960

La Bretagne, entre régionalisme et ouverture

L

la crise bretonne a fait la « une » des journaux ces derniers mois. Il y a bien sûr la fameuse révolte des «bonnetsrouges»;cesderniers ont présenté, le 8 mars, leurs revendications en faveur de leur territoire et contre l’écotaxe. Mais la Bretagne a aussi été marquée par l’annonce de plans sociaux et de restructurations. Le secteur agroalimentaire a été particulièrement touché – les volaillers Doux et Tilly-Sabco, la société d’abattage et de découpe de porcs Gad, le numéro un mondial du saumon Marine Harvest. Les télécommunications (Alcatel-Lucent) et l’automobile (PSA Peugeot Citroën) ont aussi été affectées. L’économie de la région est alors apparue fragile, son tissu industriel peu diversifié et dépendantde décisions souvent extérieures. Cela a-t-il toujours été le cas ? Le milieu du XIXe siècle fut une période de splendeur. Pêcheries, chantiers navals, usines de conserverie de sardines et de thon : les ports bruissaient d’activités. Dans l’arrière-pays, l’élevage fournissait les tanneurs et l’industrie de la chaussure (particulièrement à Fougères dans l’Ille-et-Vilaine). Dans les années 1850-1880, l’arrivée du rail permit d’exporter les produits agricoles. Une entreprise Olida-Caby, reine de la filière porcine, profite alors de cette révolution. Et c’est à cette époque que des groupes industriels essaiment à Brest, Lorient(Morbihan),NantesetSaintNazaire (Loire-Atlantique), autour des arsenaux de la marine militaire et des chantiers navals privés. Au tournant des années 1960, des militants du syndicalisme agricole, conscients de la persistance de lapauvretédanslescampagnesbretonnes du fait de l’archaïsme des exploitations,cherchentàfaireévoluer la condition paysanne. La modernisation passe par la créationd’uneindustriedetransformation; elle permet, notamment, de pérenniser les revenus. Dès 1951, des programmes d’aménagement avaient d’ailleurs été conçus par le Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons (Celib). Un héros surgit. Le syndicaliste Alexis Gourvennec (1936-2007) prend la tête du mouvement dans les Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) et exige la création d’unesociétéd’intérêtcollectifagricole (SICA) du pays de Léon (Finistère).Cettestructure,qu’ildirigerajusqu’en2004,regroupealorsunecentaine d’agriculteurs face aux intermédiaires. Sous son impulsion, des manifestations éclatent d’octobre à décembre1959 pour demander un plan d’aide au développement. La sous-préfecture de Morlaix sera occupée le 8 juin 1961. Quand, en 1962, la SNCF remet en cause la péréquation nationale des tarifs aux dépens des régions enclavées de l’Ouest, la Bretagne s’émeut à nouveau et, en septembre, des manifestations bloquent le réseau ferré. Désireux de concurrencer la droite classique, bien implantée, les gaullistes tirent parti du mouvement.MichelDebré,premierministre de 1959 à 1962, et Edgard Pisani, ministre de l’agriculture puis de l’équipement entre 1962 et 1967, multiplient alors les initiatives. Deux « plans bretons », en 1962 et 1968, désenclavent l’Ouest par un réseau de voies express gratuites et de voies ferrées électrifiées, et créent des zones industrielles. A l’instigation de la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, des chambres de commerce et d’industrie, et d’experts comme Michel Philipponneau (auteur du Modèle industriel breton 1950-2000, Presses universitaires de Rennes, 1993), l’Ouest se couvre d’usines. L’Aérospatiale

Le 22 juin 1961, à Morlaix, le syndicaliste Alexis Gourvennec est porté en triomphe par des sympathisants du mouvement coopératif agricole. AFP

Désenclavements et résistances 1666 Lorient (Morbihan) devient le siège de la Compagnie des Indes orientales. 1851 Le chemin de fer relie Paris à Nantes. 1960 Le Centre national d’études des télécommunications (CNET) s’implante à Lannion (Finistère). 1962 Loi-programme pour la Bretagne. 1983 Manifestations contre la politique agricole commune. 1994 Mouvement des marins pêcheurs ; le 4 février, à Rennes, à l’issue d’échauffourées, le palais du Parlement de Bretagne est incendié. 2000 Un attentat contre le McDonald’s de Quévert (Côtes-d’Armor) cause la mort d’une personne. 2 novembre 2013 Manifestation des « bonnets rouges » à Quimper.

LA RÉGION A ÉTÉ RATTRAPÉE PAR LA MONDIALISATION. UN SENTIMENT DE DÉCLASSEMENT TRAVAILLE LA POPULATION

(aéronautique)està Nantes;lesusines Citroën, créées en 1954 et 1961, offrent 10 000 emplois à Rennes. La fabrication d’appareils électriques ou électroménagers se développeainsiquelestélécommunications autour du pôle de recherche du Centre national d’études des télécommunications (CNET) de Lannion (Finistère) avec Alcatel, Thomson-CSF et Matra. Dans les années 1980, l’industrie électronique est le premier employeur breton avec 16% des salariés. Dans le même temps, des entrepreneurs bâtissent une industrie de transformation ramifiée. La famille Doux investit la filière du poulet à partir de 1955. Depuis Laval (Mayenne), les Besnier lancent un empire fromager avec le camembertPrésident(1968) puisla gamme de produits Lactalis (1990). La région bénéficie aussi de la révolution des « jeunes agriculteurs », qui militent pour plus de productivisme.Unedizainedecoopératives (Coopagri, Even, Terrena,

Coopérative laitière de la région nantaise, etc.) sont soutenues par les chrétiens-sociaux, les chambres d’agriculture, la Jeunesse agricole chrétienne et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Elles fédèrent les filières lait et viande, promeuvent la génétique animale, fournissent engrais et aliments, structurent la filière légumes. Eleveurs de porcelets et engraisseurs représentent des dizaines de milliers d’emplois. L’apogée est atteint dans les années 1980-1990. L’Ouest rural prospère, fait vivre des villes riches en usines, en entrepôts logistiques et en sociétés de transport routier. Le patronat capitaliste et coopérateur distribue du pouvoir d’achatà des dizainesde milliersde salariés (souvent membres de la CFDT,unsyndicatcréépardeschrétiens-sociaux).Des coopératives de distributeurs montent des entreprisesnationalesà partirde racines atlantiques: Leclerc à Landerneau (Finistère) ; Système U, qui a ses

racines à Savenay (Loire-Atlantique). Le pays semble avoir trouvé un équilibre économique, ce qui permet d’absorber la fermeture d’activités historiques comme la construction navale, la tannerie, la chaussure et la fonderie.

M

ais la Bretagne est rattrapée par la mondialisation. Les usines ferment ou sont délocalisées au gré des stratégies de groupes internationaux.La crise de PSA ébranle la filière des équipementiers. Electronique grand public et télécommunications se contractent. Quant aux coopératives, elles engagent un mouvement de concentration. Coopagri s’unit à deux consœurs dans Triskalia en 2010 ; Even, Terrena et Triskalia groupent leur activité laitière dans Laïta.Lebutestde restaurerlacapacité d’autofinancementd’une agriculture orientée vers les produits de masse et à faible marge, faute d’appellationsd’origine protégées.

L’avenir réside dans la rationalisationdel’outilproductif.Leplafonnement de la politique agricole commune, la concurrence – allemande, danoise, néerlandaise et brésilienne (pour le poulet) – incitent à une montée en gamme. Un sentiment de déclassement travaille également la Bretagne. Par rapport aux espoirs des années 1960-1970, « paysans entrepreneurs» et salariés se sentent désormais mis en danger. L’espoir se cristallise aujourd’huiautour des usineset desservices de l’électrotechnique éolienne, de la filière aéronautique (usines Airbus à Nantes), du dynamisme d’entreprisescommeUbisoft(société de jeux vidéo, créée en 1986 dans le Morbihan) ou du technopôle de Rennes-Atalante, qui est riche en « jeunes pousses». p Hubert Bonin

Hubert Bonin est professeur d’histoire économique, Sciences Po Bordeaux et université de Bordeaux.

Dans les archives du «Monde» | Breton d’abord Le Monde publie la nécrologie d’Alexis Gourvennec, mort lundi 19février 2007 à l’âge de 71 ans, pivot du développement économique de la Bretagne.

Une figure du syndicalisme agricole

Y

Fondateur de la Société d’intérêt collectif agricole (SICA) de Saint-Pol-de-Léon (Finistère) en 1961, puis, en 1972, de la compagnie maritime Brittany Ferries, installée à Roscoff, Alexis Gourvennec, surnommé « le paysan-directeur général », a poursuivi toute sa vie le même objectif: développer sa région natale, la Bretagne. Edgard Pisani, qui fut ministre de l’agriculture entre 1961 et 1966, se remémore un homme « difficile et excessif », mais « loyal ». Né le 11 janvier 1936 à Henvic dans une famille d’agriculteurs pauvres du Léon légumier, le jeune Alexis fait ses classes au sein de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), principal vecteur de

diffusion de la modernisation agricole après la seconde guerre mondiale, avant de reprendre l’exploitation maraîchère de ses beaux-parents et d’entrer à la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA). En juin 1961 se produit l’épisode fondateur de sa carrière. A la tête de plusieurs milliers de maraîchers ruinés par la chute des cours, le syndicaliste prend d’assaut la sous-préfecture de Morlaix. Il vient alors de fonder la SICA de Saint-Pol-de-Léon. Son objectif est de fédérer les producteurs de légumes afin d’imposer les prix aux négociants. « Il s’agissait en fait de donner de la dignité aux producteurs du Léon, très soumis aux caprices du marché et à ceux qui l’organisaient», déclarait M. Gourvennec dans un entretien à La Revue maritime d’août2005. En marchant sur Morlaix, les syndicalistes veulent obtenir du gouvernement qu’il légifère sur les coopératives agricoles, afin de

contraindre les producteurs à se plier à des règles de gestion du marché. Ce sera chose faite avec les lois d’orientation agricole qui seront votées en 1962. Le « modèle Gourvennec» repose sur plusieurs piliers: la coopérative, l’intensification de la production et l’utilisation parfois musclée de la pression syndicale.

« Sens stratégique » Ces principes, appliqués d’abord à la production de fruits et légumes, puis déclinés dans les productions porcine, avicole et laitière, vont permettre de sortir la Bretagne de la misère et de la propulser au rang de première région agricole française – avec, aussi, des conséquences importantes sur son environnement. L’ambition d’Alexis Gourvennec ne s’arrête pas là. Doué d’un « sens stratégique hors du commun», selon l’expression du président de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne, Jean Salmon, il développe une vision à long terme et obtient du gouver-

nement, en fédérant derrière lui les représentants des chambres de commerce et d’agriculture, les syndicats, les élus locaux, la réalisation d’un plan routier, le développement d’une université à Brest et le creusement d’un port en eau profonde à Roscoff. En 1972, il devient armateur, en créant dans cette cité la Brittany Ferries, avec des capitaux issus de la coopération agricole. « A chaque fois que nous nous sommes tournés vers l’océan, notre région a connu de longues périodes de prospérité», disait-il en août 2005. En janvier1973, la ligne avec Plymouth (Angleterre) est inaugurée. Aujourd’hui, Brittany Ferries emploie 2500 personnes. Elle dessert la France, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne. Fait exceptionnel, au moment où les compagnies maritimes cherchent à s’affranchir de la réglementation nationale, ses huit navires battent pavillon français et ses 1 500 marins sont français. » p

Gaëlle Dupont

« Le Monde» du 22 février 2007


8

0123

0123

Samedi 29 mars 2014

L’ÉCLAIRAGE | CHRONIQUE pa r S i m o n J o h n s o n

La loi Dodd-Frank n’a rien réglé

professeur à la Sloan School of Management du MIT, est membre bénévole du comité consultatif de résolution systémique de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), le fonds américain de garantie des dépôts bancaires. Les propos exprimés ici n’engagent que lui.

LES INDÉGIVRABLES | p a r X a v i e r Gorce

Puisque les capitaux propres représentent la seule réelle protection contre les pertes de ces sociétés, cela signifie qu’une baisse de 4 % de la valeur de leurs actifs ruinerait leurs actionnaires, portant ces entreprises au bord de l’insolvabilité. En d’autres termes, il s’agit là d’un système bien fragile. Pire, le traitement réglementaire actuel des produits dérivés et du financement des grandes institutions financières complexes – les « mégabanques» mondiales – exacerbe cette fragilité. Peut-être allons-nous dans la bonne direction, c’est-à-dire vers une plus grande stabilité, mais M. Hoenig semble plutôt sceptique au vu de la lenteur du processus. Comme il le souligne, les études pertinentes montrent que les mégabanques reçoivent d’importantes subventions gouvernementales implicites, ce qui les encourage à rester grandes et à prendre beaucoup de risques. En principe, elles sont censées avoir été éliminées par les mesures prévues par la loi Dodd-Frank qui a été votée en 2010. Mais dans la pratique, ces subventions – et les jeux politiques qui les rendent possibles – sont fermement ancrées.

HORS-SÉRIE

Simon Johnson,

I

l est assez inhabituel, pour un haut fonctionnaire américain, de publier une analyse claire et concise. C’est encore plus rare lorsque ce fonctionnaire s’attaque au cœur du problème et présente une critique dévastatrice de l’ordre existant. C’est pourtant exactement ce qu’a fait Thomas M.Hoenig, vice-président de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC, le fonds de garantie des dépôts bancaires aux EtatsUnis), dans un discours prononcé le 24 février. Les quatre feuillets sur lesquels sont rédigés ses propos doivent absolument être lus, non seulement par les décideurs économiques du monde entier, mais aussi par toute personne qui se soucie de la direction qu’est en train de prendre le système financier mondial. M.Hoenig, un ancien président de la Réserve fédérale (Fed, banque centrale) de Kansas City, a consacré sa carrière à travailler sur les questions liées à la réglementation financière. Mais il n’est pas nécessaire de comprendre les subtilités de la finance pour saisir ses principaux arguments. Il explique ainsi que les plus grandes sociétés financières du monde détiennent des capitaux propres à hauteur d’environ 4 % de leur actif total, seulement.

En 1984, les Etats-Unis avaient un système financier relativement stable dans lequel les petites, les moyennes et ce qui était considéré à l’époque comme les grandes banques détenaient une part à peu près égale des actifs financiers américains. Depuis le milieu des années 1980, la part des grandes banques dans l’allocation du crédit a augmenté de façon spectaculaire. Cette notion de taille a alors fort évolué. De sorte que les « grandes » banques sont devenues beaucoup plus « grandes » par rapport à la taille de l’économie (mesurée par exemple par le produit intérieur brut annuel). Comme le dit M. Hoenig, « même si un seul des cinq plus grands établissements bancaires faisait faillite, cela aurait des conséquences dévastatrices sur les marchés et l’économie».

Dimension transfrontalière La loi Dodd-Frank prévoit que les banques, quelle que soit leur taille, doivent pouvoir faire faillite sans provoquer de perturbations massives. Si les autorités – en particulier la Réserve fédérale et la FDIC – estiment que ce n’est pas possible, elles ont le pouvoir légal de les forcer à modifier leur mode de fonctionnement, y compris en réduisant leur échelle et leur gamme d’activités. Mais la réalité actuelle est qu’aucune mégabanque ne pourrait faire faillite sans provoquer, comme Lehman Brothers en septembre 2008, une panique mondiale. Les experts comme M. Hoenig, qui ont réfléchi à la dimension transfrontalière des faillites, notent que cela serait le cas de sociétés de la taille de JPMorgan Chase avec ses

3 700 milliards (2 700 milliards d’euros) de dollars d’actifs, de Bank of America (3 000 milliards de dollars), ou de Citigroup (2 700 milliards de dollars). « La panique est la panique, dit M. Hoenig. Les gens et les nations se protègent eux-mêmes et leurs richesses avant de protéger les autres. En outre, il n’existe pas de loi sur la faillite internationale pour régir ces questions et prévenir l’accaparement des actifs. » J’ajouterais que, dans ce contexte, la probabilité que des tribunaux commerciaux coopèrent à travers les frontières est nulle. En conséquence, la Fed et la FDIC devraient agir immédiatement pour forcer les mégabanques à devenir des entités juridiques plus simples. Les structures d’entreprise actuelles sont opaques et les risques sont cachés partout dans le monde – sans parler des divers jeux frauduleux permettant aux sociétés de déclarer les mêmes actions dans plus d’un pays. Séparer les activités des établissements bancaires en éléments gérables a du sens. La Fed a récemment fait un pas dans cette direction en exigeant notamment que les banques mondiales ayant une présence significative aux Etats-Unis y opèrent à travers une société holding adéquatement capitalisée selon les normes américaines. Il ne s’agit pas d’empêcher la circulation des capitaux à travers le monde mais de rendre le système financier plus sûr. Toute personne qui conteste cette nécessité devrait lire ce qu’a écrit M. Hoenig et lui répondre. p Traduit de l’anglais par Timothée Demont © Project Syndicate, 2014. www.project-syndicate.org

Réussir votre bac avec 0123 et décrocher la mention

C’EST TOUT NET ! | CHRONIQUE par Marlène Duretz

5euros, sinon rien

P

our 100 briques, t’as plus rien, affirme le film réalisé en 1982 par Edouard Molinaro et dans lequel le réalisateur français apparaît en vendeur de journaux. Mais, sur Internet, la requête « t’as plus rien » s’associe à bien d’autres montants. « Pour un dollar, t’as plus rien ? », s’interroge ainsi Terraeco.net. En octobre2013, le site relayait le concours lancé sur les réseaux sociaux par la Banque mondiale, incitant les internautes du monde entier à publier une photo de ce qu’ils pouvaient acquérir dans leur pays pour un dollar (0,72 euro). « Pour 100 balles, t’as plus rien… ah si, un Picasso ! », titrait pour sa part, en décembre 2013, Euronews.com, qui se faisait l’écho d’une tombola de 50 000 billets à100euros pour décrocher L’Homme au gibus, de Picasso. Cette initiative était destinée à sauver le patrimoine historique de la ville de Tyr (Liban). Culture-generale.fr estime de son côté que « pour un pavé, t’as plus rien », relevant que les auteurs de prix littéraires « ne doivent pas compter sur la récompense – modeste, voire inexistante– pour [se] payer des vacances en demi-pension au camping deux étoiles de Bray-Dunes[Nord] ». «Fiscalité, plume affûtée, tarte meringuée… on a tous un domaine

d’expérience», expliquent les créateurs du site 5euros.com, qui propose pour cette modique somme des services qui vont «de l’indispensable au créatif déjanté», comme «se faire traduire un document en ukrainien, prendre un cours de chant via Skype et même acheter un rayon de soleil». Par service, il faut entendre « un coup de main proposé par un vendeur au prix fixe de 5euros tout compris».

Services testés et approuvés Parmi les seize catégories proposées par 5euros.com, celle intitulée « Ça les vaut» renferme une liste de «services testés anonymement» et approuvés par l’équipe du site. Ils permettent d’envoyer un communiqué de presse à cinquante journalistes, de créer des menus équilibrés, de répondre à des questions d’ordre juridique ou de piéger ses amis grâce à un faux site Web. Moyennant un petit billet de 5 euros, on peut aussi se faire envoyer un grand bol d’air pur de Scandinavie ou entendre son prénom crié depuis les marches du Sacré-cœur, vidéo à la clé. A l’attention des vendeurs, la Foire aux questions stipule que «tout l’argent que vous gagnez doit être déclaré». Advienne que pourra, tant que mon vendeur me livre mon rayon de soleil… p duretz@lemonde.fr

LES SUJETS DÉTAILLÉS

+

LES ARTICLES DU MONDE

Le Monde vous propose sept hors-séries regroupant toutes les clés pour réussir votre bac et obtenir une mention. Français, philosophie, mathématiques, sciences éco., SVT, histoire et géographie : chaque matière est traitée avec les fiches de cours détaillées, les repères essentiels, les sujets commentés pas à pas, et bien sûr les articles du Monde, sélectionnés pour la qualité de leur contenu et leur lien avec les thèmes du programme. Chaque volume de 96 pages est une mine d’informations pour enrichir votre copie et faire toute la différence le jour J.

En partenariat avec

En coédition avec

EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.