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« Migrations, Territoires et Développement: à la recherche d’un nouveau modèle d’interactions » Par Jacques OULD AOUDIA* De quoi allons-nous parler ? De la migration internationale, des diasporas, du développement, des territoires d’origine des migrants, des pays d’accueil, .... et des liens que les migrants tissent chaque jour entre tous ces mots. Nous en parlerons en 8 épisodes. N’hésitez pas à réagir, critiquer, proposer, contester, approuver... Vous avez votre espace pour vous exprimer.

[Episode n° 6] : Que faire pour dynamiser le lien entre la migration et le développement du pays d’origine ? Tout d’abord, partir des pratiques sociales et de leur profonde évolution, tant dans les territoires d’origine que dans la migration. C’est le thème de cet épisode n° 6. Ensuite, répondre à ces nouvelles demandes sociales en construisant des « Communautés de Développement Solidaires », adaptées aux dynamiques des territoires et aux attentes des diasporas (épisode n°7). Dans cet épisode n°6, nous traitons donc des mutations dans les territoires et dans la migration. Nous tirons ces analyses d’une capitalisation sur « le rôle des migrants dans le développement du territoire » dans l’action de l’association « Migrations & Développement1 » (M&D) menée depuis près de 30 ans sur l’Atlas 1

Association Migrations & Développement : http://www.migdev.org/


et Anti-Atlas au centre-sud du Maroc. Cette étude, accompagnée par Odile Balizet avec le soutien du F3E2, a montré que de profondes mutations étaient intervenue à la fois dans la migration, mais aussi dans les territoires d’origine. Nous avons déjà abordé les mutations que connait la migration au plan général (épisode n°2). La migration marocaine suit cette évolution : fixation des migrants dans les pays d’accueil, importance croissante des générations « issues de migrants », féminisation des nouveaux flux migratoires, élévation du niveau d’éducation, insertion (difficile mais réelle) dans les sociétés d’accueil... Ces évolutions sont prises dans un mouvement général d’individualisation croissante. Les plus jeunes, formant « la diaspora connectée », restent attachés à leur pays d’origine (pour les nouveaux migrants) ou au pays de leurs parents et certains sont disposés à agir, mais individuellement et ponctuellement sans se laisser prendre par les lourdeurs des associations et les pesanteurs des obligations sociales de la première génération. Les nouvelles générations, restent en quête d’appartenance à une communauté mais les notions de communauté et d’appartenance ont fondamentalement changé. Par exemple, cette communauté peut être virtuelle, temporaire le temps d’une action, d’un projet… Elle n’est plus seulement exclusive : on accepte de plus en plus ses identités multiples ! Dans les territoires d’origine, des mutations aussi importantes sont en cours. De nouveaux acteurs émergent : associations de développement (notamment associations de femmes et de jeunes), collectivités locales, administrations au niveau territorial... une bonne partie de ces acteurs ont accru leurs capacités, veulent agir, et sont fortement demandeurs de formations. Ils sont en train de prendre en main le développement de leur territoire, notamment au travers des Plans Communaux de Développement (PCD) que la nouvelle Charte communale marocaine impose aux Communes d’établir sur un mode participatif. Dans le modèle associant la migration au développement qui prévalait jusqu’aux années 90’, on trouvait d’un coté des associations de migrants appartenant au même village ou à la même région, et du coté du territoire marocain, des associations villageoises. Le lien entre les deux s’établissait sur des bases communautaires faites d’obligations sociales et de conformité au fonctionnement du groupe. L’Etat était lointain, les Communes, avec leurs élus, très peu actifs. Le migrant apparaissait alors comme l’acteur central apportant innovations, solutions et co-financement pour des projets collectifs villageois. Ce modèle est désormais caduc avec l’émergence de nouveaux acteurs du territoire d’une part, d’une diaspora plus individualisée d’autre part. D’acteurs principaux de la dynamisation des terroirs, les migrants deviennent aujourd’hui des acteurs parmi d’autres, aux côtés des acteurs locaux qui prennent le devant. Ces migrants sont alors invités par le Ministère Chargé des Marocains Résidants à l’Etranger à se mobiliser pour « développer leur pays d’origine » par des politiques publiques à l’échelle nationale abstraites, tandis que les anciens l’ont fait de leur propre initiative sans l’impulsion de l’Etat. Qui plus est, les enfants de migrants, né en France, dont on pense qu’ils devraient assurer la relève de leurs parents dans l’appui au développement du territoire d’origine, n’ont pas les mêmes motivations et intérêts à s’y impliquer. Dès lors, il convient de renouveler radicalement le « modèle » qui avait prévalu jusqu’alors. C’est ce que nous verrons dans l’épisode n°7. Mais avant d’aborder ce nouveau modèle, regardons ce que signifient pour les territoires les mutations qui sont à l’œuvre. L’émergence des acteurs nouveaux tend à renverser le lien entre la migration et le développement. En considérant la diaspora comme une ressource du territoire -et non plus comme une perteet en les impliquant dans leurs Plans Communaux de Développement, les élus locaux les plus actifs prennent la main sur les dynamiques locales de développement. Le lien entre migration et développement est inversé : ce sont désormais les logiques de développement sur le territoire qui interpellent la migration, quand aux origines de M&D, c’était la migration qui impulsait le développement. 2

F3E : Evaluer, Echanger, Eclairer : http://f3e.asso.fr/


Ce changement radical témoigne d’un élan tout à fait nouveau d’une partie des acteurs locaux vers le développement. Il insère clairement le territoire entre la migration et le développement, et met la migration en une place nouvelle : en appui aux dynamiques existantes sur les territoires du pays d’origine.

-------*Jacques OULD AOUDIA est chercheur en économie politique du développement. jacques.ould-aoudia@dbmail.com Activité professionnelle : Jusqu’en 2011 : Économiste à la DG du Trésor (Ministère de l’Economie, France): analyse des fondements institutionnels et de l’économie politique du développement, notamment dans le monde arabe. Chercheur associé à l’Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES, Maroc). A titre bénévole : Président de l’association « Migrations & Développement » créée en France par des migrants marocains en 1986. http://www.migdev.org/ Est l’auteur de plusieurs publications dont : « Captation ou création de richesse ? Une convergence inattendue entre Nord et Sud », Gallimard, Le Débat n°178, janvierfévrier 2014. « Des migrants marocains acteurs du développement » (avec Yves Bourron), Hommes & Migrations n°1303, juilletseptembre 2013. Avertissement / Disclaimer : Le contenu des textes qui sont publiés dans ce blog n’engagent que leur auteur et non ses institutions d’attache.


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