Le moment est opportun pour l’Union méditerranéenne de l’énergie Par Silvia Pariente-David*
Alors que la Commission européenne vient de présenter son nouveau paquet « Union de l’énergie », soit un ensemble de trois communications définissant la stratégie à suivre pour une énergie sûre, durable, compétitive et abordable, le moment semble idéal pour que les pays méditerranéens entrent dans le mouvement de la transition énergétique et s’engagent dans la création d’une Union méditerranéenne de l’énergie qui stimulera la création d’emplois, la croissance et la compétitivité. La première communication de la Commission européenne, intitulée « Cadre stratégique pour une Union de l'énergie résiliente, dotée d'une politique clairvoyante en matière de changement climatique », présente les objectifs de l’Union de l’énergie ainsi que les différentes étapes à franchir afin d’y parvenir, à savoir notamment : une nouvelle législation visant à réorganiser le marché de l’électricité et garantir une plus grande transparence des contrats gaziers et une meilleure sécurité d’approvisionnement en gaz naturel, une coopération régionale renforcée—une nécessité pour réussir l’intégration des marchés —, ainsi qu’un financement renforcé de l’Union européenne (UE) de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables. Un marché régional pleinement intégré est un élément clé pour un avenir énergétique sûr, sobre en carbone et compétitif, et réciproquement l’énergie est l’un des vecteurs de l’intégration régionale. Les avantages d’un marché régional de l’énergie sont multiples : sécurité de l’approvisionnement, diversification du bouquet énergétique, réduction des dépenses d’investissement et des coûts d’exploitation (les infrastructures étant optimisées par-delà les frontières), baisse des prix pour les consommateurs, transition moins coûteuse vers un système énergétique à basse teneur carbone, etc. Cette intégration facilitera par exemple le développement des énergies renouvelables à grande échelle en améliorant la flexibilité des réseaux d’électricité. Ces systèmes ont en effet besoin de flexibilité pour faire face aux variations imprévisibles qui caractérisent la disponibilité des sources d’énergie renouvelable. Un grand marché de l’électricité sera plus flexible car il peut tirer avantage de la production de sources d’énergie renouvelable géographiquement diversifiées (ce qui rend peu probable une indisponibilité simultanée de ces différentes sources), ainsi que des différences de structures de production d’électricité et de la demande d’un pays à l’autre.
La coordination et la coopération régionales, grâce à l’harmonisation des normes et standards, renforcent par ailleurs les programmes d’efficacité énergétique puisque les pays peuvent partager leurs expériences et accéder à des équipements et des services plus efficients et plus compétitifs. En résumé, l’intégration régionale du marché de l’énergie contribue à la baisse des émissions de CO2 grâce au développement plus efficace de solutions à faibles émissions de carbone. Mais pour parvenir à cette intégration régionale, il faut disposer de réseaux fortement interconnectés à même de soutenir le commerce et les échanges de ces services énergétiques. C’est ce qui est souligné dans la seconde communication de la Commission européenne, intitulée « Réaliser l'objectif de 10 % d'interconnexion dans le secteur de l'électricité—un réseau électrique européen prêt pour 2020 ». Un marché intégré reposant sur une plus forte interconnexion permettra de réduire les besoins d’investissements dans des capacités de production d’électricité et d’optimiser l’utilisation des capacités d’énergies renouvelables (en tirant par exemple davantage profit des excédents d’électricité éolienne en Espagne ou de l’hydroélectricité dans les pays nordiques). Avec des coûts de production moindres et des besoins d’investissement réduits dans les centrales électriques, on aboutirait à des prix de l’électricité plus compétitifs aussi bien pour les entreprises que pour les ménages. Des réseaux énergétiques européens bien connectés permettraient ainsi aux consommateurs de faire des économies allant jusqu’à 40 milliards d’euros par an selon une récente étude.
La Commission européenne estime que la moitié des 200 milliards d’euros d’investissements nécessaires pour parvenir à une meilleure intégration des marchés européens d’ici à 2020 concerne le secteur de l’électricité, dont 35 milliards d’euros pour atteindre l’objectif de 10 % d’interconnexion dans l’ensemble de l’UE. Le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) a été mis en place en décembre 2013 afin d’identifier les projets essentiels et d’assurer leur mise en œuvre dans les délais impartis, avec un budget alloué aux infrastructures énergétiques de 5,35 milliards pour la période 2014-2020. En outre, le nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI), qui vise à mobiliser 350 milliards d’euros d’investissements publics et privés, deviendra probablement un outil de développement important des infrastructures énergétiques transfrontalières de l’UE. Si l’intégration du marché est élargie pour englober la région méditerranéenne, les économies seraient encore plus importantes, allant jusqu’à 30 milliards d’euros supplémentaires pour les consommateurs européens (selon une étude de Dii). Le développement d’un réseau euro-méditerranéen permettrait de faire un meilleur usage des ressources énergétiques, d’exploiter le potentiel des énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire, dans les pays du Sud de la Méditerranée et de renforcer la sécurité d’approvisionnement d’électricité aussi bien pour les pays du Nord que du Sud. Les investissements nécessaires pour relier les deux rives de la Méditerranée sont estimés entre 35 et 55 milliards d’euros. En ne considérant que les seules économies réalisées par le consommateur européen, le projet serait déjà avantageux. En outre, la coopération régionale favorise l’expansion d’une industrie locale à l’appui du développement des sources d’énergie renouvelable nationales, ce qui permettrait aux pays du Sud de la Méditerranée de recueillir les bénéfices économiques et sociaux de ces programmes énergétiques. Un premier pas vers la création d’un carrefour énergétique méditerranéen a été franchi le 24 novembre 2014 à Rome avec la conférence « Construire un pont énergétique euro-méditerranéen : l’importance stratégique des réseaux de gaz et d’électricité dans le contexte de la sécurité énergétique ». La conférence a permis de réaffirmer l’importance de la coopération régionale dans le domaine de l’énergie afin d’assurer un approvisionnement énergétique sûr, abordable et durable, facteur clé de la stabilité et d’une prospérité partagée dans la région méditerranéenne. Trois plateformes ont été créées à l’issue de la conférence (une pour le gaz, une pour l’électricité et une dernière pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique), dans l’optique d’offrir à toutes les parties prenantes un forum permanent pour discuter des objectifs et de la mise en œuvre des politiques énergétiques, et de leur permettre ainsi d’identifier les actions et les projets de coopération concrets à même de favoriser l’intégration régionale.
Certains pays de la rive Nord de la Méditerranée ont déjà réussi leur transition vers un système énergétique sobre en carbone. L’Espagne est ainsi devenue en 2013 le premier pays au monde dont la part d’électricité éolienne est supérieure à toutes les autres sources d’énergie, le Portugal a produit près de 50 % de son électricité à partir de sources d’énergie renouvelable en 2012 et l’Italie a atteint l’objectif d’énergies renouvelables fixé par l’UE trois ans avant la date prévue. Plusieurs pays du Sud de la Méditerranée se lancent également dans la transition énergétique, avec le développement à grande échelle de leur vaste potentiel d’énergies renouvelables afin d’approvisionner les marchés intérieurs aussi bien qu’extérieurs. Seul pays de la région MENA connaissant une interconnexion électrique avec l’Europe, le Maroc est en pointe dans ce domaine avec plusieurs parcs éoliens désormais opérationnels et près de 1 000 MW de capacité d’énergie solaire en exploitation, en construction ou en développement. L’ambitieux Plan solaire marocain contribue non seulement aux objectifs climatiques et énergétiques mais il soutient également la création d’emplois dans la mesure où il fait appel au secteur manufacturier local et à la prestation de services connexes, plaçant ainsi le Maroc sur le chemin de la croissance verte. Le rôle moteur joué par ce pays dans la lutte contre le changement climatique et dans le développement des technologies qui l’accompagnent, lui a ainsi valu d’être choisi pour accueillir la 22e Conférence des Parties (COP22) en 2016. La Tunisie, qui mentionne le changement climatique dans sa nouvelle Constitution, développe plusieurs parcs éoliens ainsi que de grandes centrales solaires et prévoit une interconnexion avec l’Europe afin d’optimiser son approvisionnement énergétique et le développement de son potentiel d’énergies renouvelables. Afin de mettre fin aux délestages qui ont des effets politiques et sociaux désastreux, l’Égypte vient quant à elle de se fixer l’objectif ambitieux (et sans précédent dans la région MENA) d’atteindre une capacité d’énergies renouvelables de 12 000 MW à l’horizon 2020. Le processus de transition énergétique, qui implique une mutation des politiques énergétiques afin de mettre les économies sur la voie d’un développement durable, serait davantage efficace et fructueux si les pays méditerranéens coopéraient et coordonnaient leurs efforts, en plus d’intégrer leurs marchés. Plusieurs mécanismes de coopération existent déjà au sein de l’UE, non seulement pour aider les pays européens à atteindre leurs propres objectifs énergétiques et climatiques à des coûts abordables, mais également pour contribuer à la stabilité politique des pays de la région MENA et à la réalisation de leurs objectifs d’accès à l’énergie pour tous, d’approvisionnement énergétique compétitif et de développement durable. Le Centre de Marseille pour l’intégration en Méditerranée (CMI) a un rôle à jouer dans ce processus, en tant que plateforme de dialogue, de partage de connaissances, de renforcement des capacités et d’accès à des financements, notamment. Le CMI est partenaire du MEDCOP21 ; cet événement, organisé à Marseille en juin en préparation de la COP21 qui se tiendra à Paris en décembre 2015, a pour but de présenter une position commune des pays méditerranéens et de renforcer leur coopération pour lutter contre le changement climatique et mettre les économies sur la trajectoire d’une croissance verte. *Silvia Pariente-David a été chef de projet pour la première opération de la Banque mondiale pour le financement du complexe solaire de Noor-Ouarzazate au Maroc. Aujourd’hui retraitée de ses activités à la Banque mondiale, elle continue son implication, en tant que conseillère, dans le développement des centrales solaires au Maroc. Elle participe également à divers projets d’interconnexion afin de contribuer à la création d’un marché de l’énergie euro-méditerranéen.