Développement durable et Emergence de l'Afrique

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Afrique dispose d’une fenêtre d’opportunité unique pour accélérer sa marche vers l’émergence. Ses potentialités sont exceptionnelles, tant sur le plan humain, puisqu’elle est aujourd’hui peuplée de plus d’un milliard d’habitants, que du point de vue agricole, minier ou énergétique. Toutefois, ses ambitions de développement ne pourront se réaliser sans prendre en compte les défis du développement humain durable et ceux de l’adaptation au changement climatique. Le présent ouvrage, édité avec le concours du Programme des Nations Unies pour le développement, met en exergue ces défis ainsi que les potentialités et les meilleures pratiques notamment africaines qui concourent à la promotion d’une meilleure gouvernance environnementale et à la réalisation des Objectifs de développement durable. Cet ouvrage se fait l’avocat d’une approche intégrée et multisectorielle capable de promouvoir des stratégies de transformation planifiées et inclusives car mobilisatrices des forces vives du continent mais aussi des partenaires de l’Afrique. Il met aussi en valeur les options et progrès engagés en matière de promotion de l’agriculture durable, de gestion de l’eau et des énergies renouvelables, de ramassage des ordures et de recyclage, d’intégration des matériaux de construction adaptés au climat et disponibles localement ou de promotion de l’emploi vert. Enfin, il valorise l’innovation pour des solutions technologiques et des modèles de financement mieux adaptés et accessibles. Par les analyses et les orientations qu’il définit, cet ouvrage constitue un référentiel pour la compréhension et la mesure des enjeux et un instrument pour la promotion de politiques publiques affinées.

Remy Allah-Kouadio Babacar Cissé

Luc-Joël Grégoire

Ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire

Directeur pays du Programme des Nations Unies pour le Développement en Côte d’Ivoire

Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’ONU et Coordonnateur des agences du SNU en Côte d’Ivoire

ISBN 978-2-909550-98-5

CODE BELIN 90955098 / 47 €

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Remy Allah-Kouadio Babacar Cissé Luc-Joël Grégoire

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Développement durable et Émergence de l’Afrique

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Développement

durable et Émergence de l’Afrique

Remy Allah-Kouadio Babacar Cissé Luc-Joël Grégoire

Préface

Alassane Ouattara Président de la République de Côte d’Ivoire

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Développement

durable et Émergence de l’Afrique Préface

Alassane Ouattara Président de la République de Côte d’Ivoire

Remy Allah-Kouadio Babacar Cissé Luc-Joël Grégoire

ISBN 978-2-909550-98-5 © ÉDITIONS GRANDVAUX, 18410 Brinon-sur-Sauldre- France www.editionsgrandvaux.com Tous droits réservés pour tous pays selon la loi du 11 mars 1957. Toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, de la présente publication, faite sans l'autorisation de l’Editeur est illicite (article L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle) et constitue une contrefaçon.

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Préface

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os pays ont adopté le 25 septembre 2015 lors de la 70e session de l’assemblée générale des Nations Unies, dans un formidable élan de solidarité, les Objectifs de développement durable qu’il convient maintenant d’atteindre grâce à des financements pérennes qui devront nous permettre notamment d’éradiquer la pauvreté à l’horizon 2030. Toutefois, le monde doit aller plus loin et ajouter au programme de développement durable, un accord ambitieux sur le climat, en décembre prochain, compte tenu de l’impact du réchauffement climatique sur chacun des 17 objectifs identifiés. Nous devons cependant être conscients que l’adoption de ces Objectifs intervient au moment même où la croissance économique du continent amorce un ralentissement qui pourrait réduire ses capacités de développement et son attractivité. Il n’en demeure pas moins qu’au regard de ses potentialités et des réformes structurelles réalisées par plusieurs pays, l’Afrique dispose toujours d’une fenêtre d’opportunité unique pour accélérer sa marche vers l’émergence et la transformation de l’économie. Pour y parvenir, nous devons désormais prôner une croissance respectueuse des contraintes environnementales, qui profite à tous. Cette mutation vertueuse ne peut plus attendre.

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En effet, une étude de la FAO a montré que le taux de déforestation en Afrique subsaharienne a continué de croître. La perte nette de forêts ayant atteint 3,4 millions d’hectares chaque année entre 2000 et 2010. La dégradation des sols et la désertification ont continué de progresser ces dernières années affectant la sécurité alimentaire et la productivité du monde rural. De même, la perte de biodiversité s’est accélérée au cours des quinze dernières années, le nombre des espèces animales et végétales s’étant réduit de l’ordre de 30 % sur le continent. Par ailleurs, nous devons faire face à des désastres environnementaux et des risques de catastrophes naturelles dont l’échelle et l’intensité se sont accrues. Nos pays sont parmi les moins responsables du dérèglement climatique mais aussi parmi les plus vulnérables et les moins bien équipés pour faire face à ces perturbations. Cette injustice envers les pays les plus démunis doit être réparée ; c’est à la fois un préalable et une condition pour que l’accord de Paris sur le climat soit profitable à tous. Ceci est fondamental pour accompagner la transition agricole et la transformation des modes de production et de consommation afin de favoriser une croissance verte essentielle à l’émergence de l’Afrique. Ce défi est aussi une opportunité pour tous, une ouverture pour l’humanité entière. Ce nouveau siècle s’est ouvert sur une déclaration de solidarité sans précédent, pour s’attaquer à l’insuffisance des revenus, à l’omniprésence de la faim, aux inégalités entre hommes et femmes et à la dégradation de l’environnement. Il importe aujourd’hui de veiller à mettre en œuvre ces engagements

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pour construire un avenir meilleur pour la Côte d’Ivoire et le continent africain. Comme l’ont montré les analyses ivoiriennes contenues dans cet ouvrage, la décennie de crise qu’a connue la Côte d’Ivoire a véritablement affecté les acquis obtenus au niveau national en matière de développement humain durable. Depuis 2012, une croissance économique d’environ 9 % a été obtenue, des progrès ont été enregistrés en matière de réduction de la pauvreté et du chômage, du sous-emploi, de la lutte contre le VIH/sida et d’autres endémies, de parité entre fille/garçon dans les enseignements y compris dans les investissements sociaux de base. L’accès à l’eau potable concerne aujourd’hui plus de 82 % des Ivoiriens, l’énergie pour tous progresse sensiblement de même que la transformation de l’agriculture que nous voulons durable et bénéfique pour le plus grand nombre à travers l’amélioration de la nutrition et de la santé génésique. La Côte d’Ivoire est devenue l’un des leaders de l’économie verte ouest africaine. Elle est le premier porteur de projets du mécanisme de développement propre (MDP Kyoto) de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Sa contribution au PIB et au développement manufacturier de la sous-région, ses potentialités de développement et son ambition d’émergence constituent un pilier de référence pour l’Afrique. Ses opérateurs économiques sont également engagés dans le développement durable. Son cadre législatif s’étoffe pour prendre en considération les défis de l’adaptation au changement climatique.

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Les engagements volontaristes pris ont permis des réformes favorables à la gestion foncière, à l’exploitation plus durable des terres, des mines et des ressources en eau, à l’interdiction des sacs plastiques. Le reboisement en cours et la gestion des ressources forestières et des aires protégées constituent également une priorité pour le bien-être de nos populations. Beaucoup reste encore à faire, mais les politiques publiques continueront de s’atteler à l’inclusivité de la croissance, à une plus grande valorisation du capital humain ainsi qu’à la diversification des modes de production et de consommation. Elles continueront de cibler les options de politiques les plus appropriées pour le développement durable, d’accueillir et de financer les investissements structurels durables, de dynamiser les innovations et l’effort de résilience climatique de notre pays. Au-delà de la Côte d’Ivoire, l’Afrique jouit d’un potentiel illimité en ressources solaires, éoliennes, hydrauliques et géothermiques. Ceci nous permettra de réussir la transition énergétique de nos pays et de poursuivre leur développement. Notre continent dispose également d’un potentiel agricole et minier considérable ainsi que de potentialités de développement exceptionnelles. Nous devons faire preuve d’audace, de créativité, en forgeant des partenariats stratégiques pour l’énergie, l’accès à l’eau, l’assainissement ou la gestion des déchets et ce, en mobilisant des ressources issues tant des secteurs public que privé. Les pays du continent doivent s’efforcer de promouvoir une croissance soutenue, durable, transformatrice des modes de

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production et bénéfique au plus grand nombre. Nous devons également nous attacher à promouvoir le capital socio-institutionnel dont regorge notre continent jeune, aujourd’hui peuplé de plus d’un milliard d’habitants, en valorisant la dimension sociale du développement humain. Certains pays se sont engagés sur le chemin de l’émergence et mettent en place des politiques et des programmes pour assurer la conservation des actifs naturels ainsi que le bienêtre des populations. Le Rwanda, célébré comme étant l’un des pays les plus propres d’Afrique, se distingue par la priorité accordée au développement d’une économie verte grâce à la mise en place de plusieurs projets de promotion des énergies renouvelables, de gestion des ordures et du recyclage. Le Gabon et la République démocratique du Congo s’efforcent de protéger les forêts équatoriales. L’Éthiopie a, quant à elle, entrepris une stratégie visant à développer une économie verte qui repose sur plusieurs piliers interdépendants, notamment l’agriculture, la foresterie, l’énergie et le secteur manufacturier. À l’approche de la Conférence de Paris sur le climat, (COP 21), une position africaine, commune et volontariste, se construit, et les pays africains y concourent de manière magistrale en communiquant les engagements qu’ils sont prêts à consentir sur les émissions de gaz à effet de serre. L’Afrique qui s’associe à l’effort collectif de réduction du réchauffement de la planète, en dépit de sa faible contribution à la pollution de la planète, appelle les pays développés à tenir leurs engagements financiers afin que le continent

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s’adapte aux effets du dérèglement climatique. C’est à cette seule condition de solidarité et d’efforts partagés que nous sauverons notre planète. Il existe des opportunités pour un développement humain durable de l’Afrique qui viendrait pallier à la fois la dégradation des écosystèmes et développer une économie verte, créatrice de richesses et porteuse d’une transformation de l’agriculture et du monde rural, de l’industrie, de la mobilité humaine et des transports, des modes de gestion des ressources en eaux et en énergie, de l’urbanisation, des services sociaux et de la gouvernance, notamment environnementale, etc. Le présent ouvrage édité avec le concours du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) met en exergue les défis, les potentialités et les meilleures pratiques, notamment africaines, qui concourent à la promotion d’une meilleure gouvernance environnementale ainsi qu’à la réalisation des Objectifs de développement durable. Cet ouvrage se fait l’avocat d’une approche intégrée et multisectorielle capable de promouvoir des stratégies de transformation planifiées, inclusives car mobilisatrices des forces vives du continent, mais aussi des partenaires de l’Afrique. Il met aussi en valeur les options et progrès engagés en matière de promotion de l’agriculture durable, de gestion de l’eau et des énergies renouvelables, de ramassage des ordures et de recyclage, d’intégration des matériaux de construction adaptés au climat et disponibles localement, de promotion de l’emploi vert. Enfin, il valorise l’innovation pour des solutions techno-

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logiques et des modèles de financement mieux adaptés et accessibles. Par les analyses et les orientations qu’il définit, cet ouvrage constitue un référentiel pour la compréhension et la mesure des enjeux, un instrument pour la promotion de politiques publiques affinées ainsi que le développement de partenariats novateurs. La volonté politique, la mobilisation sociale et l’inventivité seront indispensables pour relever les défis des Objectifs de développement durable, car la transformation des modes de production et de consommation devra s’appuyer sur des stratégies de développement dont les populations se sentiront maîtresses. Ces stratégies devront être guidées par un savoir scientifique solide, des moyens économiques appropriés et une gouvernance résolue, alliant transparence et sens des responsabilités. Nous sommes convaincus qu’il est possible d’améliorer fondamentalement le développement humain, de générer une croissance accélérée et bénéfique pour tous, de mieux maîtriser la mondialisation et la dynamique de développement régional, afin de les mettre au service du plus grand nombre et des plus défavorisés en particulier.

Alassane Ouattara Président de la République de Côte d’Ivoire


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Avant-propos Daniel Kablan Duncan Premier ministre de la République de Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire s’est attachée à préparer, aux côtés de nombreux pays africains, une contribution de référence, déterminée et ambitieuse, pour le développement durable et l’adaptation au changement climatique. Cette contribution est conforme à notre volonté d’inscrire la Côte d’Ivoire dans le sillage des pays émergents, car nous sommes conscients qu’il nous faut appréhender et répondre aux défis du développement durable et du changement climatique. Les concepts de développement durable et d’émergence sont inextricablement liés car le développement durable constitue le soubassement nécessaire pour arpenter les marches de l’émergence. Notre ambition s’inscrit pleinement dans les cadres de référence de l’Union africaine et du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) notamment la vision 2063 ainsi que les priorités de l’agenda mondial post 2015 en faveur des Objectifs de développement durable. Cela a été dit et répété à plusieurs reprises, c’est une urgence et un devoir de responsabilité pour nos sociétés et leur devenir. Bien qu’étant le continent contribuant le moins au réchauffement climatique, l’Afrique en subit néanmoins terriblement les conséquences. Or, celles-ci peuvent altérer notre marche vers l’émergence et un mieux-être planétaire. Je voudrais d’emblée saisir cette occasion pour réitérer l’adhésion pleine et entière de mon pays aux mécanismes mis en place, par l’Afrique notamment, lors des négociations intergouvernementales au sein de la Convention cadre des Nations Unies pour le changement climatique. 13


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Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins. Toutes les parties prenantes, sans exclusive, doivent trouver le ton juste et les moyens appropriés pour réconcilier l’économique, le social, le culturel et l’écologique tout en donnant aux nécessités immédiates leur part, et au long terme, l’attention nécessaire pour préserver les générations futures des affres du changement climatique. Évoquant spécifiquement la Côte d’Ivoire, notre Plan national de développement 2016-2020, en cours de finalisation, vise à consolider cette trajectoire vers l’émergence et la transformation de nos structures de production. Cette planification s’inscrit dans une vision à plus long terme qui souhaite pleinement appréhender la mesure des enjeux de l’évolution du climat. Nous sommes en effet conscients que les changements climatiques, avec comme manifestations, des sécheresses récurrentes, l’érosion côtière, les pluies diluviennes de plus en plus intenses et fréquentes, le décalage des saisons et l’augmentation des températures, affectent négativement nombre de secteurs d’activité, dont notamment le secteur agricole. Il est par ailleurs indéniable que la stratégie nationale de développement de mon pays fondée sur une forte croissance économique (8 à 10 % par an), conjuguée à une croissance démographique élevée, pourrait accroître les émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour relever ces défis, mon gouvernement a conçu en 2012 un Programme national de changement climatique (PNCC) afin de coordonner, proposer et promouvoir des mesures et stratégies en matière de lutte contre les changements climatiques. Par ailleurs, en décembre 2014, une Stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques a été adoptée pour la période 2015-2020. La vision de cette première Stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques consiste à « mettre en place à l’horizon 2020, un cadre de développement socio-économique durable qui intègre les défis des changements climatiques dans tous les secteurs d’activité en Côte d’Ivoire et qui contribue à améliorer les conditions de vie des populations et leur résilience ». Pour faire de cette vision une réalité, nous nous attachons à développer sept axes d’intervention stratégiques. Il s’agit en particulier de : • promouvoir l’intégration des changements climatiques dans les politiques et stratégies sectorielles, dans la planification du développement, et dans le renforcement du cadre institutionnel et juridique ;

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Avant-propos

• améliorer et vulgariser la connaissance nationale sur les change-

ments climatiques et renforcer les capacités des acteurs ; • promouvoir des mesures d’atténuation des effets des changements climatiques dans tous les secteurs ; • renforcer et promouvoir des actions d’adaptation aux changements climatiques ; • promouvoir la recherche-développement au niveau national et le transfert de technologies en matière d’adaptation aux changements climatiques ; • anticiper et gérer les risques de catastrophes naturelles et ; • renforcer la coopération et mobiliser des financements au niveau national et international pour la mise en œuvre des actions de lutte contre le changement climatique. Au regard de notre vision de l’émergence de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020 et tenant compte de la problématique du changement climatique, plusieurs réformes au niveau du cadre institutionnel et juridique ainsi que des programmes ont été élaborés. Ainsi, le nouveau code de l’électricité prévoit, entre autres, la libéralisation de tous les segments du secteur de l’électricité, notamment la production, ce qui est déjà effectif mais également, le transport, la distribution jusqu’à la commercialisation, à l’exclusion du dispatching. Nous souhaitons par ailleurs assurer la promotion des énergies renouvelables comme source de production et d’efficacité énergétique et ce, à travers des mesures incitatives et normatives. Le nouveau code minier de 2014, quant à lui, prévoit pour tout investissement, l’obligation d’une étude d’impact environnemental et social (EIES) qui doit comporter un plan de gestion environnementale et sociale comprenant un plan de réhabilitation des sites et leurs coûts prévisionnels. Ce code prévoit, dès le début de l’exploitation, un compte séquestre de réhabilitation de l’environnement qui doit être ouvert et domicilié dans un établissement financier de premier rang en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire a également adopté, en juin 2014, une loi d’orientation en matière de développement durable, marquant ainsi sa volonté de s’engager dans la transition vers une économie verte. Pour ce faire, nous œuvrons afin de constituer une masse critique de citoyens qui, dans leurs activités et leurs comportements de tous les jours, contribueront à l’harmonie entre la qualité de l’environnement, le dynamisme économique et l’équité sociale pour une société épanouie. Cette loi d’orientation met également en exergue le principe du « pollueur payeur ». 15


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Avant-propos

En tant que Pays partie à la Convention cadre des Nations Unies pour le changement climatique, la Côte d’Ivoire a élaboré sa contribution prévue déterminée au niveau national (CPDN/INDC) et entend réaffirmer sa volonté de réduire l’empreinte carbone de son développement.

Je puis vous affirmer que la Côte d’Ivoire, à l’instar des autres pays parties à la Convention, tiendra ses engagements, en soumettant à bonne date sa contribution auprès du secrétariat de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique.

Nous sommes à la phase de finalisation de cette contribution qui prévoit certaines actions dans les trois grands secteurs prioritaires que sont les énergies, l’agriculture et les déchets.

Tout en prenant en compte la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la Côte d’Ivoire, à l’instar des économies africaines, doit relever le défi du développement humain durable afin d’améliorer le niveau et la qualité de vie des populations.

Par exemple, notre objectif en matière d’énergies renouvelables est de passer de moins de 2 % actuellement à 11 % du mix énergétique en 2020 et 16 % en 2030. Pour ce faire, l’État a lancé la mise en œuvre de plusieurs projets de petites centrales hydroélectriques (PCHE), de centrales à biomasse et de centrales solaires en cours d’étude pour une mise en service prévue à l’horizon 2018. En matière de transport, nous avons entrepris de développer davantage les transports publics avec des réseaux de trains urbains dont le premier démarrera le mois prochain à Abidjan. Par ailleurs, des mesures sont en cours pour favoriser l’introduction de véhicules peu polluants et la mise au rebut des plus polluants via des normes, réglementations et incitations. Concernant l’agriculture, mon pays s’est engagé depuis 2011 dans le mécanisme international de réduction des émissions de gaz à effet de serre issus de la déforestation et de la dégradation des forêts, en abrégé REDD+, afin de renforcer la lutte contre la déforestation et réaliser une transition vers une économie verte. L’enjeu principal de la REDD+ en Côte d’Ivoire réside dans le découplage production agricole et déforestation, car l’économie de notre pays, repose essentiellement sur l’agriculture. Pour ce faire, mon pays se propose d’adopter à travers l’initiative REDD+ « une agriculture zéro déforestation » visant à compenser systématiquement toute déforestation résiduelle par l’introduction d’arbres sur les surfaces cultivées ou libérées, à partir de l’agroforesterie. Cela s’accompagnera par une augmentation de la productivité sur les surfaces actuelles à travers l’intensification agricole et le renforcement de l’encadrement fourni aux producteurs. Il est important de noter que le nouveau code forestier concède la propriété de l’arbre au propriétaire de la parcelle, encourageant ainsi les paysans à entretenir les forêts et même à reboiser. En matière de gestion des déchets, nous envisageons de transformer les déchets ménagers, agricoles et forestiers à partir de systèmes de valorisation efficients afin de les transformer en énergie ou sous forme de compost, ou encore recyclés en produit marchand dans l’économie. 16

L’impérieuse nécessité de développement qui passe notamment par l’accroissement de la production agricole, la transformation agro-industrielle et la poursuite, voire l’accélération de la mise à disposition d’énergie moderne à tous les habitants, n’entame en rien notre volonté politique de contribuer à la réduction des émissions des gaz à effet de serre. Toutefois, nous souhaitons bénéficier de soutiens et d’une assistance de qualité pour poursuivre la voie d’un développement durable, respectueux de l’environnement et soucieux des enjeux du changement climatique. C’est en cela que nous devons tous insister et de manière conjointe pour que les engagements pris par nos partenaires en novembre 2014, à Berlin, en ce qui concerne le Fonds vert pour le climat et plus récemment, à New York, en septembre 2015, soient tenus. Ce fonds doit permettre à travers des financements importants, nouveaux et additionnels, prédictibles et facilement accessibles, de lutter contre le réchauffement climatique dans les pays en développement. Nous devons également œuvrer pour que soit mis en place des mécanismes adéquats pour favoriser le transfert effectif de technologies et le renforcement des capacités des pays du continent. C’est à ce prix et à ce prix seulement que les pays en développement et les pays africains en particulier pourront contribuer efficacement à la lutte contre le réchauffement climatique.


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Préambule Abdoulaye Mar Dieye Administrateur assistant et directeur du bureau régional pour l’Afrique du Programme des Nations Unies pour le développement

Le continent africain a souscrit sans équivoque au programme mondial de développement pour l’après 2015 en vue de réaliser les Objectifs de développement durable, objectifs universellement convenus pour le développement durable et l’adaptation au changement climatique. Notre continent enregistre, depuis plus d’une décennie, une croissance économique supérieure à 5,1 %, affichant l’une des performances les plus élevées au plan mondial le rendant ainsi attractif à de nombreux investisseurs. Ainsi, l’Afrique dispose d’une fenêtre d’opportunité unique pour accélérer sa croissance. Son potentiel est exceptionnel, tant sur le plan humain, avec, aujourd’hui, plus d’un milliard d’habitants, que du point de vue agricole, minier ou énergétique. Toutefois, ses ambitions de développement ne pourront se réaliser sans prendre en compte deux défis de taille ; le développement humain durable et l’adaptation au changement climatique. En effet, malgré cette renaissance incontestable du continent, la croissance est fort inégalitaire et peu respectueuse des contraintes environnementales. L’accès à la terre et aux ressources de même que la redistribution des gains de la croissance sont devenues, dans bien des cas, extrêmement limitées pour la nouvelle génération. L’état environnemental du continent s’est aussi dégradé. Les écosystèmes africains ont été durement affectés par la pression démographique qui est demeurée supérieure, en moyenne, à 2,6 % par an. Le taux de déforestation de l’Afrique subsaharienne a continué de croître de manière exponentielle, la perte annuelle nette de forêts ayant atteint 3,4 millions d’hectares au cours de la dernière décennie. La dégradation des sols et la désertification ont continué également de progresser ces dernières années affectant la sécurité alimentaire et la productivité du monde rural. De même, la perte de biodiversité s’est accélérée sur la période au cours des quinze dernières années, le nombre des espèces animales et végétales s’étant réduit de l’ordre de 30 % sur le continent. Près de 75 % des réserves marines de poissons se sont épuisées en Afrique de l’Ouest et de l’Est.

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Préambule

En outre, le continent doit faire face à des désastres environnementaux et des risques de catastrophes naturelles dont l’échelle et l’intensité se sont accrues. L’Afrique figure parmi les continents les plus vulnérables aux changements climatiques. Les scientifiques estiment aujourd’hui les risques et les conséquences d’un réchauffement modéré aux alentours de 2 à 3 °C en moyenne d’ici à 2100. Ils insistent néanmoins sur le fait, qu’en raison de la variabilité géographique, les températures pourraient augmenter de 3 à 6 °C en Afrique de l’Ouest et particulièrement dans le Sahel dès 2040.

prospérité, mais la pauvreté et la maladie. Une faible production et productivité agricole conjuguée à l’accroissement des prix alimentaires fait surgir le spectre de pénuries alimentaires.

D’après les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le coût économique du changement climatique en Afrique représenterait actuellement 1,5 à 3 % du produit intérieur brut annuel du continent et pourrait même dépasser 5 % en 2030.

Le continent africain n’a pas encore saisi l’opportunité de son dividende démographique qui lui permettrait de lancer véritablement sa révolution en faveur du développement humain durable. Le développement du capital humain et des relations sociales, pour une cohésion sociale et une gouvernance apaisée, et la préservation ou la réhabilitation de l’environnement doivent être attentivement considérés. Ceci est essentiel car les pays africains portent aujourd’hui une attention particulière à la transformation structurelle de leurs modes de production notamment dans le cadre de programmes régionaux de développement. Des initiatives partenariales sont également conduites avec le secteur privé pour assurer une insertion durable des économies africaines à travers les chaînes de valeurs et l’accès aux technologies vertes, créatrices d’emplois productifs et décents. Ces entreprises sont de plus en plus mobilisées car elles procèdent à des évaluations de l’impact environnemental et à des audits environnementaux.

Or, nos pays sont parmi les moins responsables du dérèglement climatique et parmi les plus vulnérables et les moins bien équipés pour faire face à ces perturbations dont l’ampleur est chaque jour douloureusement ressentie par les communautés. Cette injustice climatique envers les pays les plus démunis doit être réparée, comme l’exprimait publiquement le président du Gabon : « C’est à la fois un préalable et une condition pour que l’accord de Paris sur le climat en soit une opportunité. » Alors que le cheminement vers l’émergence est engagé de manière inéluctable, le continent doit conduire sa destinée sur des chemins privilégiant une croissance inclusive, génératrice de revenus et peu émettrice de gaz à effet de serre. Cette croissance doit être soutenue, durable, transformatrice des modes de production et bénéfique au plus grand nombre. Nous devons également nous attacher à promouvoir le capital socio-institutionnel dont regorge notre continent en valorisant la dimension sociale du développement humain. Le changement climatique induit des contraintes financières au développement humain. Sur le continent africain, où la plupart des économies reposent sur l’agriculture pluviale, les conséquences de fréquentes et graves sécheresses et inondations compromettent les efforts de développement et peuvent réduire à néant certains progrès accomplis. Le changement climatique épuise les ressources naturelles renouvelables de l’Afrique : le sol, l’eau et la forêt. Les effets des changements climatiques sont en outre exacerbés par une croissance démographique rapide, qui entraîne une augmentation de la demande des ressources naturelles. Lorsque la fertilité du sol diminue, l’on défriche les forêts pour accroître l’activité agricole ; quand l’agriculture est moins productive, les centres urbains deviennent plus attrayants. Lorsque la densité urbaine s’accroît plus rapidement que les services sociaux et les infrastructures (approvisionnement en eau, assainissement et gestion des déchets), il en découle non pas la

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À l’approche de la Conférence de Paris sur le climat (COP 21), une position africaine, commune et volontariste, se construit, et les pays africains y concourent de manière magistrale en communiquant les engagements qu’ils sont prêts à consentir sur les émissions de gaz à effet de serre.

Une planification stratégique et inclusive pour l’accès rationnel aux ressources et la consolidation de la gouvernance environnementale est également fondamentale, au niveau global comme local. En effet, devant la montée des conflits liés à l’utilisation des terres, la rareté des ressources et l’incertitude due au changement climatique deviennent une composante de plus en plus centrale de la planification de l’utilisation des ressources mais aussi du développement. Cela implique une gouvernance exemplaire et des changements juridiques et administratifs importants, qui pourront donner une impulsion, capable de consolider les droits des communautés locales et leur participation inclusive dans les régimes de gestion des terres nationales. Il nous faut faire preuve d’audace, de créativité, en forgeant des partenariats stratégiques pour l’énergie, l’accès à l’eau, l’assainissement ou la gestion des déchets et ce, en mobilisant des ressources issues tant des secteurs publics que privé. Les pays africains réussiront leur ambition légitime de développement s’ils s’attachent à promouvoir l’ambition d’une émergence « verte » fondée sur la transformation des secteurs productifs et l’amélioration de la productivité des ressources.

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Les grappes d’entreprises à vocation agricole – formées par des entreprises d’une même région coordonnant leurs activités pour fournir des productions transformées et des services sur une base concurrentielle – obtiennent d’excellents résultats, comme en témoignent les activités axées sur les exportations non traditionnelles du Maroc ou de l’Afrique du Sud. Une démarche plurisectorielle d’investissement pour exploiter les synergies entre l’accès aux intrants et aux technologies appropriés (semences, engrais, races animales améliorées), une gestion plus durable des ressources en eau et des sols, des services améliorés (vulgarisation, emplois, assurances, services financiers), et la valorisation des ressources humaines (éducation, santé, nutrition) sont autant d’éléments qui doivent permettre une expansion du secteur agricole et la promotion du secteur non agricole. Cela suppose un soutien plus fort aux organisations paysannes et aux organisations professionnelles ainsi que des mécanismes permettant de les consulter avant de prendre des décisions importantes, de manière à instaurer la confiance et la mobilisation indispensables à l’investissement. Les femmes jouent à cet égard un rôle prédominant dans la production alimentaire et la sécurité humaine en Afrique. Aussi, le renforcement des capacités rurales doit habiliter les femmes à obtenir un accès égal aux ressources et aux moyens de production essentiels (terre, crédit, financement, technologie, marché, soutien commercial, formation, etc.). L’Afrique dispose désormais des moyens de financer son développement. Outre, une épargne interne qui trouve désormais à s’investir localement, les financements africains se sont développés et professionnalisés avec l’apparition de véritables réseaux bancaires, et l’afflux de fonds d’investissement souverains et privés. À cet égard, la lutte contre le changement climatique devrait tirer parti de la réflexion plus générale sur l’efficacité de l’aide et du partenariat mondial au moment où se met en place notamment le Fonds vert pour le climat dont la dotation a atteint 10 milliards de dollars, fin 2014 à Lima et près de 70 milliards à fin septembre 2015. L’objectif affiché demeure celui de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. L’appel à la mobilisation de fonds privés pour le climat ne suffira pas naturellement. Il nous faudra créer les conditions pour rendre cette mobilisation possible en combinant une diversité d’instruments financiers avec des modes de partenariats innovants. Ceux-ci permettront de concilier les intérêts privés avec la production de biens publics locaux et globaux et ainsi de mettre l’accent de façon concrète et efficace sur les résultats et la performance.

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Préambule

Penser le financement pérenne de l’adaptation au changement climatique, c’est identifier avec justesse le rôle et les responsabilités de chacun. Au secteur public, ceux de fixer le cadre stratégique et de définir les objectifs sociaux poursuivis. Au secteur privé, ceux de prendre des risques et d’investir. L’objectif n’étant pas de socialiser des risques que le secteur privé devrait prendre, mais, en répartissant les risques en fonction des rôles et responsabilités de chacun, pour permettre à la finance de mettre l’épargne disponible au service d’objectifs sociaux et environnementaux durables. Nous avons les moyens de limiter le changement climatique et de construire un avenir meilleur, ainsi que le mentionnait Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’ONU, à l’ouverture de l’assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2015. Les conséquences destructrices de l’inaction sont de plus en plus claires, l’inaction et le doute ne peuvent plus être invoqués. La communauté internationale reconnaît depuis quelques années la gravité des conséquences induites par les phénomènes d’intensification des crises et catastrophes et la modification du climat, pour la sécurité humaine et internationale. Elle est aussi plus attentive à la refonte du cadre international de l’assistance extérieure et à l’apparition de nouveaux acteurs ce qui amène nos institutions dont le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD1) et plus largement les Nations Unies à constamment renouveler ses manières de faire, en cherchant à mieux accompagner les acteurs clés du changement en proposant des solutions concrètes et parfois alternatives pour concilier climat et développement. Il nous faut anticiper, prévenir et construire sur la durabilité avec cette perspective toujours sous-jacente que l’homme et les écosystèmes dans lesquels il vit sont fragiles et doivent être préservés. Tous les habitants de la terre possèdent un droit inhérent à vivre dans un monde dont le futur n’est pas compromis par l’irresponsabilité du présent car, ne l’oublions pas, nous empruntons nos ressources aux générations futures.

NOTE 1. Le Programme des Nations Unies pour le développement figure parmi les sept premières entités accréditées en tant qu’agence d’exécution du Fonds vert pour le climat, lors de sa 9e réunion tenue à Songdo, en République de Corée, en mai 2015.


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Sommaire 5 Préface, SEM Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire 13 Avant-propos, SEM Daniel Kablan Duncan, Premier ministre de la République de Côte d’Ivoire 19 Préambule : L’émergence de l’Afrique et l’adaptation au changement climatique pour le développement durable, Abdoulaye Mar Dieye, administrateur assistant et directeur du Bureau régional pour l’Afrique du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) I - Les défis et enjeux du développement durable et du changement climatique : priorités et planification stratégique pour le développement 33 Les défis du développement durable et du changement climatique en Côte d’Ivoire, Dr Rémi Allah-Kouadio, ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire 43 La planification du développement pour la résilience, l’inclusivité et le développement humain durable en Côte d’Ivoire, Dr Albert Toikeusse Mabri, ministre d’État, ministre du Plan et du Développement de la Côte d’Ivoire 49 Le programme national d’atténuation et d’adaptation au changement climatique de la Côte d’Ivoire, Pr Georges Kouadio, directeur général de l’Environnement, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire Marcel Yao, coordonnateur du projet national Changement climatique de la Côte d’Ivoire, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable 56 Défis et opportunités du développement durable et de l’adaptation au changement climatique en Afrique, Albéric Kacou, directeur de cabinet de l’administrateur du PNUD 71 Croissance verte et développement durable : options pour l’émergence de l’Afrique au XXIe siècle, Siaka Coulibaly, représentant résident adjoint Programme et Opérations du PNUD au Togo , Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire II – Gouvernance environnementale, emplois et économie verte 91 Bonnes pratiques de gouvernance environnementale en Afrique, Nasséré Kaba, directrice de cabinet du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire Emma N’gouan-Anoh, représentante résidente adjointe au bureau du PNUD en Union des Comores 113 Partenariats public-privé pour une croissance verte, le cas de Eranove en Afrique de l’Ouest, Marc Alberola, directeur général de Eranove Cédric A. Lombardo, directeur associé de BeDevelopment 123 La gouvernance locale pour le développement durable : les rôles des collectivités territoriales en Afrique, Jeannot Ahoussou, ministre d’État, auprès du président de la République, président de l’Assemblée des régions et districts de la Côte d’Ivoire 133 Les opportunités de créations d’emplois verts en Afrique et en Côte d’Ivoire, Célestin Tsassa, économiste principale du Programme des Nations Unies pour le développement au Gabon El Allassane Baguia, chargé de programme, spécialiste des ODD du PNUD en Côte d’Ivoire Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire 153 Le dispositif national de prévention et de gestion des catastrophes en Côte d’Ivoire, Abé Delfin Ochou, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, Côte d’Ivoire, Laboratoire de physique de l’atmosphère et de mécanique des fluides, université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, Côte d’Ivoire Paul Atoublé Kaman, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, Côte d’Ivoire


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III – Genre et dimension sociale du développement durable 167 Genre et dimension sociale : renforcer le pilier humain du développement durable en Afrique et en Côte d’Ivoire, Anne-Désirée Ouloto, ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant de la Côte d’Ivoire 179 Développement durable et genre : priorités et orientations pour l’adaptation aux changements environnementaux en Afrique, Madeleine Oka Balima, responsable des programmes, Bureau de l’Organisation des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes) en Côte d’Ivoire 189 Éducation et développement durable : priorités et orientations pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques en Afrique, Dr Joseph Ezoua, spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire Dr Gustave Aboua, membre du Conseil économique et social de Côte d’Ivoire Mamadou Konaté, coordonnateur des projets et programmes du PNUD 201 Santé et développement durable : priorités et orientations pour l’adaptation aux changements climatiques en Afrique, Dr Allarangar Yokouidé, représentant, bureau de l’OMS en Côte d’Ivoire Dr Joseph Ezoua, spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire 213 Dimension culturelle du développement et priorités pour l’atténuation et l’adaptation aux changements environnementaux en Afrique, Yao Ydo, chef de bureau et représentant résident de l’Unesco en Côte d’Ivoire IV – Agriculture durable et sécurité alimentaire 225 Enjeux et défis de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire, Sangafowa Coulibaly, ministre de l’Agriculture de la Côte d’Ivoire 237 Contribution du secteur privé au développement d’une cacao culture durable en Afrique de l’Ouest : le cas des activités de la Fondation mondiale du cacao en Côte d’Ivoire, Jean-Yves Couloud, directeur de la Fondation mondiale du cacao (WCF) en Côte d’Ivoire 245 Les enjeux et les défis de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire en Afrique Subsaharienne, Germain Dasylva, représentant de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture en Côte d’Ivoire Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire V – Gestion durable des forêts et des terres 263 Les priorités stratégiques pour la gestion durable des forêts en Côte d’Ivoire, Mathieu Babaud Darret, ministre des Eaux et Forêts de la Côte d’Ivoire 275 La gestion durable des forêts en Afrique : défis, enjeux et bonnes pratiques, Emma N’gouan-anoh, représentante résidente adjointe au bureau du PNUD en Union des Comores Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire 113 REDD+, un catalyseur pour le développement durable en Afrique, Fabien Monteils, conseiller technique régional du programme ONU-REDD 297 Les parcs nationaux et réserves naturelles de Côte d’Ivoire, un maillon essentiel du développement durable, Adama Tondossama, ingénieur en chef des Eaux et Forêts, directeur général de l’Office ivoirien des parcs et réserves

307 Retour d’expérience sur la gestion du périmètre des forêts classées de Côte d’Ivoire, Mamadou Sangaré, directeur général de la SODEFOR 321 La gestion durable des terres en Afrique : défis, enjeux et bonnes pratiques, Dr Joseph Ezoua, spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire Bernard Brou, coordonnateur national du projet d’information environnementale pour le développement de la zone côtière au PNUDen Côte d’Ivoire 333 Enjeux et défis de la gestion durable des forêts en Côte d’Ivoire, Inza Koné, enseignant à l’UFR de biosciences de l’Université Félix-Houphouët-Boigny (UFHB) et chercheur associé au Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS) VI – Gestion et accès aux ressources en eaux 341 Enjeux et opportunités de la gestion intégrée des ressources en eaux pour un développement durable en Côte d’Ivoire, Mathieu Babaud Darret, ministre des Eaux et Forêts de la Côte d’Ivoire 353 La professionnalisation de la gestion de l’eau potable en milieu rural, Patrick Achi, ministre des Infrastructures économiques de la Côte d’Ivoire 361 Gestion durable de l’eau et partenariat national en Côte d’Ivoire, N’Dri Koffi, président du Partenariat national de l’eau de Côte d’Ivoire (PNECI) 371 Enjeux et défis de la gestion durable de l’eau en Afrique de l’Ouest, Mogbanté Dam, secrétaire exécutif du Partenariat régional de l’eau de l’Afrique de l’Ouest (GWP/AO) 379 Les aires marines protégées : enjeux et priorités en Afrique de l’Ouest, Georges Kouadio, directeur général de l’environnement du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire Abou Bamba, point focal du Programme des Nations Unies pour l’environnement en Afrique de l’Ouest VII – Production et consommation durable d’énergie 407 Priorités et orientations nationales en faveur d’une énergie durable pour tous en Côte d’Ivoire, Adama Toungara, ministre du Pétrole et de l’Énergie de la Côte d’Ivoire 417 Innovation technique et financière pour la cuisson au charbon de bois en Afrique : le cas de Soutra Fourneau, Fabrice Lesache, président d’Ecosur Afrique Aurélie Lepage, directrice des opérations d’Ecosur Afrique Cédric A. Lombardo, directeur associé de BeDevelopment 425 La contribution des entreprises énergétiques au développement durable en Côte d’Ivoire, Jean Kacou Diagou, président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire 439 Les agrocarburants et le développement durable en Afrique de l’Ouest, Cédric A. Lombardo, directeur associé de BeDevelopment 451 L’initiative Énergie durable pour tous en Afrique, Dr Kandeh K.Yumkella, représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies à SE4All, directeur exécutif de l’équipe mondiale de facilitation de l’initiative Énergie pour tous 457 Bonnes pratiques de développement des énergies propres et de l’efficacité énergétique en Afrique, Madiana Pognon Azoumé, expert Énergie Benoit Lebot, chef au Partenariat international pour la coopération sur l’efficacité énergétique


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467 Enjeux et défis des énergies propres et de l’efficacité énergétique en Afrique, Pr Georges Kouadio, directeur général de l’environnement au ministère de l’Environnement et du Développement durable de la Côte d’Ivoire Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire Dr Joseph Ezoua, spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire VIII – Exploitation minière performante et responsable 487 L’exploitation minière durable : enjeux et défis pour la Côte d’Ivoire, Jean-Claude Brou, ministre de l’Industrie et des Mines de la Côte d’Ivoire 497 La prise en compte des orpailleurs dans le développement durable du secteur minier, Guillaume Gnamien, directeur de cabinet du ministre de l’Industrie et des Mines Kadjo Kouamé, directeur général de la SODEMI 507 Mines et développement durable, rendre à la Terre et à ses hommes ce qu’elle nous a donné, Cédric A. Lombardo, directeur associé de BeDevelopment 515 L’exploitation minière durable : enjeux et défis pour l’Afrique subsaharienne, Joseph Ezoua, spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire IX – La recherche scientifique, la formation professionnelle et l’innovation 533 Recherche scientifique et formation professionnelle : enjeux et défis pour le développement durable de l’Afrique subsaharienne, Pr Bassirou Bonfoh, directeur général, Gilbert Fokou, chercheur, Centre suisse de recherche scientifique en Côte d’Ivoire 545 Les enjeux et les opportunités de la mobilisation des NTIC pour le développement durable de la Côte d’Ivoire, Bruno Koné, ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication de la Côte d’Ivoire 555 La prise en compte du développement durable dans la programmation de la recherche scientifique, le cas ivoirien, Dr Abdourahamane Konaré, directeur de la programmation scientifique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique 561 Les bonnes pratiques pour l’augmentation de la formation professionnelle pour le développement durable de l’Afrique subsaharienne, Paul Ginies, président de Srat Conseil (ex-directeur général de 2IE Burkina Faso) X – Urbanisation et transport durable 575 Les enjeux et les défis d’une urbanisation durable pour la Côte d’Ivoire, Mamadou Sanago, ministre de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme de la Côte d’Ivoire 585 Les défis de l’urbanisation accélérée de l’Afrique et la prise en compte du dividende démographique, Mbaye Babacar Cissé, représentant spécial adjoint du secrétaire général de l’ONU et coordonnateur des agences du SNU en Côte d’Ivoire 603 Les quartiers précaires en Afrique et en Côte d’Ivoire : diagnostics et orientations stratégiques, Agnès Gnammon Adiko, chargée de programme auprès de l’organisation des Nations Unies pour l’habitat (UNHABITAT) Aissata De, directrice adjointe du PNUD en Côte d’Ivoire 625 Penser la ville autrement en Afrique : pour une urbanisation et un habitat durables, Guillaume Koffi, architecte et développeur, directeur général de l’agence Koffi & Diabaté Issa Diabaté, architecte et cofondateur de l’agence Koffi & Diabaté Architectes

635 Transport durable et sécurité alimentaire : l’expérience de Éolis en Côte d’Ivoire, Lucien Delzechi, président-directeur général de Éolis Cédric A. Lombardo, directeur associé de BeDevelopment XI – La responsabilité sociétale des entreprises et les enjeux du développement durable 647 La RSE en Côte d’Ivoire, entre contingence et universalisme, Dr Denis Gnanzou, directeur général du développement durable/ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement de la Côte d’Ivoire 659 La RSE dans le secteur minier : l’expérience du Canada, SEM Chantal de Varennes, ambassadeur du Canada en Côte d’Ivoire 671 L’agriculture durable : démarche RSE dans le secteur agro-industriel ivoirien, l’expérience de la SCB, Oliver Biberson, directeur général de la SCB 685 La responsabilité sociétale des entreprises et les enjeux du développement durable, Bruno Leclerc, directeur de l’Agence française de développement (AFD) en Côte d’Ivoire Anne Françoise Dayon, directrice adjointe du CEFEB, responsable de la division Formation auprès de l’AFD Louise de la Forest, chargée de mission RSE auprès de l’AFD XII – Finance verte et adaptation aux changements climatiques 697 Les enjeux et opportunités du développement durable dans la stratégie économique et financière de la Côte d’Ivoire, Nialé Kaba, ministre auprès du Premier ministre, chargé de l’économie et des finances en Côte d’Ivoire 713 Le retour d’expérience sur les projets ivoiriens financés par le Fonds mondial de l’environnement, Alimata Koné Bakayoko, secrétaire permanent de la Commission nationale du Fonds pour l’environnement mondial, point focal opérationnel du FEM Côte d’Ivoire 723 Développement et perspectives d’un marché carbone en Côte d’Ivoire : expérience tirée du mécanisme pour un développement propre, Rachel Boti-Douayoua, coordonnateur du mécanisme pour un développement propre (MDP) - Agence nationale de l’environnement de Côte d’Ivoire 731 Les possibilités de financement des énergies renouvelables en Afrique, Hela Cheikhrouhou, directeur de département de l’énergie, de l’environnement et du changement climatique de la Banque africaine de développement (BAD) Kurt Lonsway, chef de division, du secteur de l’énergie de l’environnement et du changement climatique de la Banque africaine de développement Florence Richard, spécialiste avisé du changement climatique L'engagement de l'Afrique pour le climat : les contributions prévues et déterminées au niveau national (INDC) 745 La position africaine en faveur de l’adaptation au changement climatique et l’analyse comparée des INDC, Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire Marc Daubrey, coordonnateur national du projet INDC de la Côte d’Ivoire 765 Les expériences africaines pour l’adaptation au changement climatique et le développement durable 773 Biographie des coordonnateurs de l’ouvrage 777 Acronymes 780 Remerciements


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I Défis et enjeux du développement durable et du changement climatique : priorités et planification stratégique pour le développement


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Les défi fiss du développement durable et du changement climatique en Côte d’Ivoire Dr Rémi Allah-Kouadio Ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire

Introduction Depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire, en 1960, la volonté politique de protéger l’environnement et les ressources naturelles est restée manifeste. Ainsi, dès 1971, un Secrétariat d’État chargé de la reforestation fut créé. En 1981, un ministère dédié exclusivement à l’environnement a été mis en place dont les missions ont été élargies, en 2011, au développement durable. En effet, les autorités ivoiriennes ont pris la pleine mesure des enjeux globaux et locaux de la dégradation de l’environnement et se sont résolument engagées dans la lutte contre les changements climatiques. De façon plus générale, le pays s’est engagé dans un processus de développement durable depuis le début des années 1990 et a renforcé, au fil des années, les missions du ministère en charge de l’environnement. Ainsi, aujourd’hui, sont confiés à ce ministère l’élaboration et la mise en œuvre de la politique du gouvernement dans les domaines : • du développement durable ; • de la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique ; • des négociations internationales sur le climat et • des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.

La problématique du changement climatique et du développement durable Le réchauffement du système climatique mondial est sans équivoque et risque de s’amplifier dans le futur. Selon les scénarios climatiques du Groupe intergou-

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vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) même si tout était mis en œuvre pour réduire et stabiliser la concentration des gaz à effet de serre, les changements climatiques se poursuivraient pendant des siècles, à cause de la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère. Les bouleversements climatiques touchent toutes les régions du monde et s’accompagnent de graves conséquences, parfois irréversibles, sur la production alimentaire, les établissements humains, les infrastructures, la santé, la sécurité, etc. La Côte d’Ivoire n’est pas épargnée par les phénomènes climatiques se traduisant par la hausse des températures, la baisse de la pluviométrie, le raccourcissement de la longueur des saisons pluvieuses, la persistance et la rigueur des saisons sèches, les inondations de plus en plus violentes notamment en ville et les feux de brousse fréquents. Plusieurs secteurs de l’économie ivoirienne sont sévèrement fragilisés par ces phénomènes. Les secteurs tributaires des conditions météorologiques comme l’agriculture, la pêche, la sylviculture et le tourisme sont plus menacés que d’autres secteurs. Les effets de ces phénomènes se traduisent par la diminution des terres arables, l’exposition accrue des plantes au stress hydrique et l’amenuisement du volume des eaux de surface dans la plupart des régions. L’étude de Djè (2007) indique que les perturbations pluviométriques peuvent entraîner une chute de plus de 20 % de la production du cacao pendant les épisodes El Niño. Au niveau de l’élevage, l’impact se focalise sur l’indisponibilité du fourrage et l’apparition de vecteurs pathogènes pour le bétail. Par ailleurs, les déficits de production constatés et amplifiés par les modifications climatiques, mettent à mal la sécurité alimentaire des populations qui dépendent directement de la production de leur exploitation agricole. Les variations des paramètres climatiques agissent également sur la santé publique. En effet, Besancenot et al. (2004) ont montré l’existence d’une corrélation positive entre les variations de la pluviométrie, des températures et du taux d’incidence du paludisme, des infections respiratoires et des maladies diarrhéiques dans plusieurs localités de Côte d’Ivoire. Enfin, les villes, les côtes maritimes et les infrastructures sont de plus en plus déstabilisées par les variabilités climatiques. De nombreuses villes subissent des inondations lors des saisons pluvieuses et l’on observe une érosion côtière qui gagne du terrain avec un cor tège de dégâts matériels et de per tes en vie humaine. Face à tous ces problèmes multidimensionnels et complexes, des réponses urgentes et adéquates doivent être trouvées pour non seulement atténuer nos émissions de gaz à effet de serre (GES) mais surtout s’adapter et développer une résilience vis-à-vis des manifestations climatiques. La vision des autorités ivoiriennes a consisté en la mise en place d’un cadre de développement socio-économique durable intégrant les défis des changements

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climatiques, dans tous les secteurs, en vue de contribuer à améliorer les conditions de vie des populations et leur résilience. Sur cette base des axes d’interventions clair s ont été définis au cour s des quatre dernières années (2012-2015). Les solutions pour remédier aux changements climatiques et s’adapter à ces effets néfastes passent avant tout par la mise en place d’un cadre institutionnel et réglementaire adéquat. Ce cadre a permis de définir la politique et la stratégie nationale nécessaires pour communiquer, sensibiliser et orienter tous les acteurs y compris le gouvernement, le secteur privé, les organisations de la société civile sur les réponses à apporter. Les outils législatifs et réglementaires existants sont périodiquement examinés, au niveau des secteurs d’activité, dans le but de décrire et de prioriser les révisions, les adaptations et les mises à jour les plus pertinentes. Le gouvernement s’attache à introduire la préoccupation de l’adaptation aux changements climatiques, lorsque cela est pertinent, à l’occasion de l’élaboration de nouveaux instruments législatifs, politiques et de développement tels que le plan national de développement (2016-2020).

Les orientations stratégiques et la mise en œuvre des réformes La problématique des changements climatiques et de la protection de l’environnement a très vite été perçue par les autorités de la Côte d’Ivoire. La ratification de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en novembre 1994 témoigne de cet engagement. En plus, un certain nombre de textes et lois ont été adoptés. À savoir I) le décret n° 2012-1049 du 24 octobre 2012 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission nationale pour la REDD+ ; II) le décret n° 20121050 du 24 octobre 2012 por tant création, attribution, organisation et fonctionnement de l’Autorité nationale du mécanisme pour un développement propre (AN-MDP) ; III) la Loi n° 2014-390 du 20 juin 2014 d’orientation sur le développement durable. Aussi, le gouvernement ivoirien a I) mis en place un ministère en charge de l’environnement, qui dans son décret d’organisation n° 2012-1119 du 22 novembre 2012, II) créé un programme national d’atténuation des gaz à effet de serres et d’adaptation aux changements climatiques (PNCC), et III) élaboré des communications nationales, etc. La stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques, 2015-2020 a été adoptée à fin 2014. Lors du Sommet mondial sur le climat tenu en décembre 2014 à New York (États-Unis), le chef de l’État, Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara a annoncé l’adhésion pleine et entière de son pays aux mécanismes mis en place lors des négociations intergouvernementales au sein de la CCNUCC. Il a affiché son ambition visant à lutter contre le réchauffement climatique et à soutenir les

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efforts des pays en développement en matière d’adaptation aux effets du changement climatique. Aussi, le décret fixant les modalités d’application du principe pollueur-payeur, tel que défini par la loi n° 96-766 du 3 octobre 1996, portant code de l’environnement a été-t-il adopté en Conseil des ministres en 2012. Outre les effor ts des autorités publiques, le secteur privé est également engagé dans la lutte contre les changements climatiques. Ainsi, dans le secteur de l’énergie, la société Azito a construit une centrale à cycle combiné qui contribue à la réduction de 400 000 tonnes de gaz carbonique émis par an. Le gouvernement appuie également les transporteurs privés dans le renouvellement de leur parc auto vieillissant afin de réduire les émissions de GES issues de ce secteur. De plus, l’État envisage d’améliorer le mix énergétique en faveur des énergies renouvelables avec comme vision d’accroître leur part de 5 % en 2015 à 15 % en 2020 et 20 % en 2030 et faire de la Côte d’Ivoire le premier marché énergétique de l’Afrique subsaharienne avec une faible empreinte carbone. Pour y arriver, notamment avec le concours du secteur privé, un code de l’électricité ouvrant pour la première fois ce secteur aux énergies renouvelables (EnR) a été voté, l’environnement des affaires propices aux investissements privés a été assaini et un code d’investissement incitatif est également disponible. Dans le domaine des EnR, les autorités publiques utilisent les partenariats public privé (PPP) comme instruments de financement des projets. Pour l’adaptation du secteur agricole aux changements climatiques, de nombreux efforts ont été faits notamment en termes de politique, de recherche et d’encadrement des paysans. Au niveau politique, le gouvernement a défini et mis en œuvre un programme national d’investissement agricole (PNIA) qui fait la promotion d’une agriculture durable prenant en compte la gestion durable des terres et des forêts. La recherche agronomique a offert au monde agricole des variétés améliorées et résistantes aux aléas climatiques aussi bien pour les cultures de rente telles que le café et le cacao que pour les cultures vivrières. La vulgarisation de ces cultures et des meilleures pratiques (itinéraires techniques) est assurée par la structure nationale d’encadrement agricole (Agence nationale d’appui au développement rural - ANADER). Au niveau, de la foresterie, un nouveau code forestier a été voté pour améliorer les moyens de l’administration forestière, renforcer la lutte contre les feux de brousse et assurer la protection des parcs et réserves. Ainsi, l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) met actuellement en œuvre une stratégie impliquant les populations riveraines à la protection de ces parcs et au développement de l’écotourisme. Le développement de l’innovation et le transfert de technologie représentent également l’un des axes dans lequel il faut consentir des efforts plus grands. En effet, réussir l’atténuation comme l’adaptation aux changements climatiques suppose de modifier substantiellement les modes de production et de consommation ainsi que l’utilisation de l’énergie grâce à des technologies innovantes,

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efficaces et à moindre coût d’accès. Ces technologies devraient contribuer à prévenir à un stade précoce des catastrophes naturelles et permettre un meilleur calage des calendriers culturaux. Au niveau international, la Côte d’Ivoire est engagée, aux côtés de tous les pays du monde, à la contribution globale à la réduction des émissions des GES mais également à la recherche de solutions pour une adaptation efficiente des pays les plus vulnérables. Ainsi, elle a été présente à toutes les Conférences des parties sur les changements climatiques (COP) et se prépare activement à la 21e COP à Paris, prévue du 30 novembre au 11 décembre 2015. Cette conférence devra aboutir à un nouvel accord international sur le climat impliquant tous les États signataires de la CCNUCC dans un engagement commun et légalement contraignant qui prendra la suite du protocole de Kyoto adopté en avril 2007. À ce titre, la Côte d’Ivoire a établi comme d’autres pays africains son rapport sur ses contributions prévues pour la réduction des émissions de GES déterminées au niveau national (INDC). Au travers de cette contribution prévue déterminée au niveau national (CPDN/INDC), la Côte d’Ivoire entend I) marquer sa volonté de réduire l’empreinte carbone de son développement en privilégiant des options d’atténuation présentant des « Co-bénéfices » élevés ; II) renforcer la résilience du pays aux changements climatiques ; III) mettre en cohérence ses politiques sectorielles et renforcer son dispositif et ses outils de mise en œuvre pour faciliter l’atteinte de ces objectifs et enfin IV) mobiliser à cet effet tous les moyens pertinents, notamment de financement, tant nationaux qu’internationaux. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est également partie prenante de l’adoption des Objectifs du développement durable lors du Sommet de haut niveau qui s’est tenu au siège des Nations Unies en septembre 2015. Les résultats issus de ces deux impor tantes rencontres internationales vont permettre de renforcer davantage l’engagement de la communauté internationale, des économies industrialisées ainsi que des pays émergents et en voie de développement dans la lutte contre les changements climatiques grâce à des moyens conséquents. Au total, les autorités mettent tout en œuvre pour lutter efficacement contre les changements climatiques et accroître la résilience de l’économie nationale et des populations. Les acquis se présentent aux plans institutionnel, politique, réglementaire, de la recherche scientifique, des investissements publics et privés ainsi que de l’engagement, de la société civile et des collectivités territoriales (voir l’appel de Yamoussoukro, 2015). En vue de renforcer ces acquis, l’État entend accélérer la transition du pays vers une économie verte c’est-à-dire une économie sobre en carbone et créatrice de richesse et d’emploi. Il s’agit aussi d’obtenir une masse critique d’acteurs du secteur productif et de la société civile engagés dans la lutte contre les changements climatiques. À cet effet, les actions projetées se déclinent en termes de mesures d’atténuation, d’adaptation et de planification de la mise en œuvre de ces mesures.

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Au niveau de l’atténuation, les secteurs de concentration des effor ts sont ceux à fort potentiel d’émission notamment, l’agriculture/foresterie, l’énergie dans les secteurs du transport, l’industrie et le bâtiment (résidentiel) ainsi que les déchets. Il est prévu une mise en cohérence de la planification nationale et de l’aménagement de l’espace rural pour développer l’agriculture et le secteur forestier marqué par la sécurisation du foncier avec l’implication des interprofessions et coopératives agricoles et des acteurs de la filière Forêt/Bois. De façon opérationnelle, il s’agira de découpler la production agricole et la déforestation via la promotion de pratiques agricoles intensives à impacts réduits sur l’environnement et l’agroforesterie. En somme, concrétiser le concept « Agriculture zéro déforestation » par une intensification d’une production agricole permettant d’éviter la déforestation, notamment grâce à l’utilisation de semences résistantes à haut rendement et à une rationalisation de l’utilisation des intrants chimiques et de l’emploi des intrants biologiques. La Côte d’Ivoire entend également renforcer la gestion durable des forêts classées et des aires protégées, notamment grâce au suivi spatial des terres, et faciliter la réhabilitation des terres dégradées et le reboisement des zones de savane, et ainsi accroître les stocks de carbone dans les forêts dégradées à travers la promotion du reboisement villageois par un système d’incitation de type paiement pour services environnementaux (PSE). Le développement de solutions énergétiques domestiques durables est également envisagé pour les besoins de cuisson des populations en encourageant le reboisement à partir des essences à croissance rapide à vocation bois énergie, la production et l’utilisation de foyers améliorés et du biocharbon issu des résidus agricoles. Il s’agit aussi d’intégrer la dimension énergie/climat dans la planification territoriale et faciliter l’achat de véhicules peu polluants et la mise au rebut des plus polluants via des normes, incitations ou obligations. Pour le développement des énergies à partir de sources renouvelables, il est prévu de lever les barrières à l’investissement (incitation fiscale, corruption, etc.), d’investir dans la recherche et développement, en renforçant les capacités de l’Institut de recherche sur les énergies renouvelables (IREN), et d’évaluer l’opportunité de créer une Agence de promotion des énergies renouvelables. En matière d’adaptation, les actions planifiées visent à réduire la vulnérabilité des secteurs clés et accroître la résilience de l’économie nationale et des populations urbaines et rurales. Pour le secteur de l’eau, il s’agira de mettre en œuvre la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) adoptée depuis 2010. La GIRE intègre, entre autres actions suivantes : • le développement de barrages agropastoraux pour faciliter l’abreuvement du cheptel ; • l’aménagement de sites hydro-agricoles et des retenues d’eau pour améliorer les productions vivrières ; • l’amélioration de l’efficacité de l’irrigation pour limiter la consommation d’eau et le renforcement des capacités des paysans et autres utilisateurs en matière d’irrigation ;

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• la valorisation des eaux pluviales et de crues (captage et stockage des eaux de ruissellement). Au niveau agricole, les perspectives de développement portent sur la promotion des pratiques de gestion de la fertilité des sols, de développement de l’utilisation des engrais organiques et du compost issus des déchets ménagers, l’association agriculture/élevage et d’unités de stockage et de conservation pour limiter les pertes élevées post récolte. Les prévisions saisonnières doivent être améliorées afin de renforcer la résilience des pratiques culturales. En définitive, toutes ces projections doivent s’inscrire dans un processus de planification tel que proposé dans le rappor t INDC de la Côte d’Ivoire (tableau 1, page suivante).

Conclusion Les changements climatiques posent des défis environnementaux et socioéconomiques complexes, qui recoupent plusieurs domaines et champs de compétence for tement interdépendants. Ainsi, les orientations en matière d’atténuation et d’adaptation doivent tenir compte des liens étroits qui existent entre les systèmes humains, écologiques, socio-économiques et bâtis. Le caractère transversal des enjeux, de même que la multitude d’acteurs concernés, aux responsabilités et aux pouvoirs variés, rend encore plus complexe la prise de décision en matière d’adaptation. Les stratégies d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques proposent des interventions concrètes et réalistes qui privilégient une approche globale et concer tée avec tous les par tenaires et qui s’inscrivent dans une démarche de développement durable. L’adoption de solutions d’adaptation préventives doit pouvoir contribuer à réduire les coûts induits par les changements climatiques et pourra même, dans certains cas, se traduire par des bénéfices grâce à une prévision de leurs effets. Bien que les défis que pose l’adaptation aux changements climatiques soient de taille et teintés d’incertitude, la Côte d’Ivoire envisage dans le cadre de son INDC de prendre ses dispositions pour y faire face. La disponibilité de données pertinentes, de bons systèmes de surveillance et de suivi, la concertation reconnue entre les chercheurs, les experts et les intervenants sur le terrain ainsi que l’engagement de l’État sont des gages de réussite. Si tous les acteurs partagent une même vision et se mobilisent face aux changements climatiques, la mise en œuvre des mesures projetées permettra à la Côte d’Ivoire, sans nul doute, d’accroître sa résilience face aux changements climatiques.

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La planifi ficcation du développement pour la résilience, l’inclusivité et le développement humain durable en Côte d’Ivoire Dr Albert Toikeusse Mabri Ministre d’État, ministre du Plan et du Développement de la Côte d’Ivoire

Introduction Depuis l’adoption du plan national de développement (PND 2012-2015), la Côte d’Ivoire a accompli d’indéniables progrès sur le plan politique, économique et social. Ces progrès sont le fruit de la mise en œuvre de mesures et de réformes structurelles intégrant le développement durable comme axe clé des politiques publiques et sectorielles. Ces acquis ont permis au pays de renouer avec la croissance, qui s’établit en moyenne à 9,4 % entre 2012-2015 contre -4,4 % enregistré en 2011 au lendemain de la crise postélectorale. Grâce à cette performance, la Côte d’Ivoire figure dans le groupe de tête des pays à fort taux de croissance dans le monde. Ce fort taux de croissance, également possible grâce à un processus intégré de planification du développement au niveau national et sectoriel, a placé au cœur des débats la résilience du pays, l’inclusivité dans les approches et concertations et le financement du développement humain durable. Ainsi, l’investissement public est passé de 5,4 % à 6,2 % du PIB sur la période 2012-2015 alors que l’investissement privé augmentait de 6,3 % du PIB à 9,9 %, soit en moyenne 40 % du total des investissements publics contre 60 % pour les investissements privés.Toutefois, ces efforts n’occultent pas la nécessité d’une intensification des investissements qui devra dorénavant prendre en compte plusieurs localités en termes de correction des disparités, où bon nombre de préoccupations subsistent, et la valorisation des potentialités notamment, l’accès aux ressources naturelles et la pratique de certaines activités menées encore de façon rudimentaire comme l’élevage, l’agriculture ou la pêche. Les enjeux d’une planification

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inclusive, mobilisatrice et conforme aux préceptes du développement durable, concernent les questions foncières, la transhumance et les conflits autour des mines ou sites d’orpaillage illégaux qui mettent à mal la préservation de l’environnement et ont un impact négatif climatique.

Les orientations de planification stratégique pour le développement durable Pour répondre aux principaux défis environnementaux, confortés, en septembre 2015, par l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) auxquels la Côte d’Ivoire agréée, le gouvernement s’est engagé dans le cadre du plan national de développement 2016-2020, à porter une attention toute particulière aux axes forts du développement durable et de l’adaptation au changement climatique, au processus attendu de décentralisation et à l’opérationnalisation de la déclaration de politique nationale d’aménagement du territoire. À cet égard, le gouvernement est déterminé à impulser une réelle dynamique de développement durable des régions, articulée autour de la mobilisation des collectivités territoriales et des acteurs clé du développement local et de la maîtrise de l’information socio-économique, géo-spatiale et surtout environnementale des potentialités et richesses naturelles du pays. En effet, pour apporter des réponses appropriées aux différentes contraintes liées au développement durable, il est prévu de renforcer le lien production-transformation-consommation durable pour créer plus de valeur ajoutée et des emplois décents et durables, en grand nombre. La programmation annoncée de la création de plusieurs technopôles, à vocation régionale, intégrera le triptyque « économique, social et environnemental » pour une croissance régionalisée plus incluvise. À cet effet, le pays qui aspire à devenir émergent à l’horizon 2020 veut bâtir sa stratégie de moyen terme autour de trois principaux axes : I) la forte contribution du secteur privé à l’action de développement ; II) l’utilisation des avantages comparatifs par rappor t aux autres pays, au niveau régional et dans le monde ; III) et l’appui ciblé de l’État en matière d’accompagnement (qualité, normes, appui à la restructuration des filières, accès au crédit et à la terre, gestion durable des zones industrielles, avantages fiscaux ciblés, etc.). Malgré les progrès réalisés ces trois dernières années, l’accélération de l’industrialisation demeure un défi majeur pour la transformation structurelle et durable de l’économie ivoirienne. Pour ce faire, l’inclusivité dans la démarche consultative a permis d’identifier les secteurs stratégiques à fort potentiel retenus pour le prochain cycle de planification du développement et qui concernent : l’agro-industrie, la valorisation des ressources naturelles autres qu’agricoles, les industries structurantes, les produits de consommation alimentaire, les produits pharmaceutiques et des industries manufacturières légères.

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minier, par l’adoption de réformes du cadre juridique et institutionnel. Ainsi, un nouveau code minier, plus attractif pour les investisseurs, en cohérence avec les principes de transparence, de traçabilité et de responsabilité sociétale basé sur la résilience, l’inclusion et le développement durable a été adopté en mars 2014. Dans le domaine des hydrocarbures, le gouvernement a adopté un code Pétrolier qui renforce la transparence dans l’exploitation et la gestion des ressources pétrolières tout en renforçant la préservation de l’environnement pendant la conduite de toutes les opérations d’exploitation. La Côte d’Ivoire dispose d’importantes réserves en eau de surface et souterraines ainsi que de nombreuses zones humides, qui sont utilisées dans divers secteurs d’activité (hydraulique humaine, agriculture, énergie, pêche, transport, urbanisation, etc.) et qui doivent être gérées, de manière écologique et rationnelle. La population ayant accès à une source d’eau meilleure est estimée à plus de 78 % au-delà de la cible prévue en 2015. Cependant, l’utilisation par chaque secteur d’activité des ressources en eau se fait sans tenir compte des besoins des autres secteurs. Cette situation occasionnant souvent des conflits d’usages et des dégradations des réserves. Sur le plan qualitatif, la dégradation de la qualité des ressources en eau s’est accentuée, au cours des deux dernières décennies, par les rejets domestiques et industriels et le lessivage des sols agricoles et urbains. Le niveau encore faible des investissements dans la protection des ressources en eau a pour conséquence la pollution des fleuves, des lacs et des systèmes lagunaires. Aussi, le gouvernement a décidé d’augmenter les capacités des structures en charge de l’évaluation de la qualité de l’eau afin de leur permettre d’accomplir leurs missions sur l’ensemble du territoire et de disposer de données réelles sur le niveau de pollution des eaux sur toute l’étendue du territoire national. Il s’agit dans ce secteur d’anticiper les risques et contraintes liés aux usages de l’eau. Les changements climatiques constituent une préoccupation pour l’État de Côte d’Ivoire. En effet, principalement dus à la déforestation avancée, à la pollution industrielle et artisanale ainsi qu’à d’autres facteurs anthropiques contribuant aux émissions de gaz à effet de serre, les changements climatiques déjà observés constituent une menace sur les saisons agricoles dans le pays et accentuent l’érosion côtière. Ils touchent tous les secteurs essentiels du développement, notamment les infrastructures socio-économiques. Face aux enjeux de la déforestation et de la lutte contre le changement climatique, le gouvernement s’est engagé dans le processus international de réduction des émissions de gaz à effet de serre issues de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD+) en créant une plateforme de gestion des risques et des catastrophes naturelles. Cependant, les moyens pour y parvenir demeurent insuffisants.

La matérialisation des investissements futurs tenant compte du développement durable a conduit le gouvernement à mettre en valeur son potentiel

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D’une manière générale, la démographie élevée de notre pays (la population ivoirienne a doublé en moins de vingt ans et atteint 22,6 millions d’habitants en 2015) engendre des tensions voire des conflits dans l’utilisation des ressources naturelles. L’urbanisation accélérée souvent non alignée sur les schémas directeurs d’urbanisme exerce une forte pression foncière sur les matrices environnementales avec pour conséquence la pollution de bon nombre de milieux aquatiques. Cette urbanisation inorganisée entraîne également la baisse de la recharge de la nappe phréatique due à l’imperméabilisation des sols résultant de l’occupation des sols par les hommes. L’insuffisance de l’assainissement et du traitement des déchets présente également un haut risque pour la santé publique et l’environnement avec plusieurs risques naturels dont les inondations, les catastrophes pluviales et les glissements de terrain. En outre, l’érosion côtière favorisée par plusieurs installations industrielles et autres infrastructures socio-économiques sur les côtes sableuses conduisent à une progression rapide de la mer vers la terre. Ainsi, l’on observe 2/3 du trait de côte déstabilisés par l’érosion. Ce phénomène a une dimension économique et socioculturelle considérable sur les populations riveraines et les habitats. Environ 400 mille mètres cubes de sable au niveau de toute la façade maritime de Grand Bassam ont été emportés par les eaux marines, ayant essentiellement pour cause la fermeture de l’embouchure. En réponse, des réflexions sont en cours pour l’adoption d’une législation spécifique à la protection du littoral. En ce qui concerne la gouvernance environnementale, des avancées notables ont été obtenues dans les domaines législatif et réglementaire. En effet, une loi d’orientation pour le développement durable a été adoptée et promulguée. Une série de 13 décrets relatifs à la mise en œuvre de la loi portant code de l’environnement et à la création de la plate-forme de réduction des risques de catastrophes et de la REDD+ ont été adoptés entre 2012 et 2014, et dans l’ensemble, 33 accords internationaux comme sources potentielles de mobilisation de ressources ont été pris dans les secteurs de l’environnement et du développement durable. Malgré les avancées au plan réglementaire et le décret n° 2013-327 du 22 mai 2013 relatif à l’interdiction de la production, de l’importation, de la commercialisation, de la détention et de l’utilisation des sachets plastiques, les efforts doivent être poursuivis et intensifiés. En matière d’assainissement et de salubrité urbaine, le gouvernement s’efforce de promouvoir de nouveaux comportements et pratiques. Sur le plan politique et économique, des mesures d’envergure seront prises pour une plus grande intégration des préoccupations environnementales dans tous les processus sectoriels et locaux, un engagement plus opérationnel des entreprises concernant leur responsabilité sociétale en faveur d’un environnement durable et un accroissement des activités promouvant l’économie verte. Une sensibilisation de la population à travers un partenariat avec les acteurs de la société civile sur les coûts de la dégradation de l’environnement et leurs

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répercussions sur le changement climatique ainsi que la création d’une masse critique de négociateurs et d’experts du développement durable seront promues. Malgré plusieurs avancées notables, la promotion de modes de production et de consommation cohérents avec les principes de durabilité environnementale reste un défi majeur pour réduire les émissions des gaz à effet de serre et assurer la conservation de l’environnement et de la biodiversité. Un fort accent sera accordé lors de l’opérationnalisation du PND 2016-2020 au niveau sectoriel et local, pour une planification du développement intégrant la santé publique et l’environnement, l’assainissement et le traitement des déchets et le développement des énergies renouvelables. Les besoins énergétiques du pays sont couverts par l’énergie de biomasse dans l’ordre de 60 %. Cette importante consommation des populations en bois de chauffage alimentaire et domestique, et la combustion de résidus de déchets a un impact négatif sur la préservation forestière et la disponibilité. Des travaux sur les opportunités d’emplois verts ont permis d’explorer des pistes innovantes pour la promotion de l’économie verte en Côte d’Ivoire assorti d’une feuille de route, d’un catalogue d’emplois ver ts ainsi que d’une car tographie des acteurs et des filières « vertes ». Des initiatives sont en cours également dans le cadre des partenariats public-privé pour la promotion d’une formation professionnelle adaptée aux défis du développement durable et une conceptualisation des outils pédagogiques dans les curricula scolaires et universitaires professionnalisés. C’est à ce prix que la Côte d’Ivoire pourra valoriser ses niches d’employabilité des jeunes dans l’économie verte.

Conclusion Le programme de l’après 2015 assorti des 17 Objectifs de développement durable (ODD) constitue un puissant agenda commun pour le déroulement des étapes clés en faveur de l’émergence de la Côte d’Ivoire. Ainsi, les stratégies visant la transformation structurelle de l’économie doivent s’opérationnaliser au sein de pôles compétitifs de croissance et de développement, avec un for t ciblage des secteurs porteurs clés et une prise en compte du développement durable, de la résilience et de l’inclusion programmatique. La croissance inclusive et l’équité sociale, socle de l’émergence de la Côte d’Ivoire, seront privilégiées. La vision « Côte d’Ivoire émergente » s’attachera au mieux-être des populations grâce à une réduction significative de la pauvreté et une montée concomitante de la classe moyenne pour soutenir durablement et alimenter le processus de croissance. Une Côte d’Ivoire qui gagne c’est aussi, une Côte d’Ivoire qui s’insère, de manière équilibrée et durable, au marché mondial et qui coopère avec ses voisins pour le renforcement de l’intégration régionale, de la paix et de la sécurité.


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Le programme national d’atténuation et d’adaptation au changement climatique en Côte d’Ivoire Pr Georges Kouadio Directeur général de l’Environnement, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de Côte d’Ivoire

Marcel Yao Coordonnateur du Projet national Changement climatique de la Côte d’Ivoire, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable

Introduction La Côte d’Ivoire, consciente des effets du changement climatique, dont elle subit aussi les conséquences (sécheresses, inondations, érosion côtière, etc.) s’est engagée à lutter contre ce phénomène. Elle a ainsi ratifié la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le 29 novembre 1994 et le protocole de Kyoto, le 23 avril 2007. La vision de la Côte d’Ivoire consiste à « mettre en place à l’horizon 2020, un cadre de développement durable qui intègre les défis des changements climatiques dans tous les secteurs et qui contribue à améliorer les conditions de vie des populations et leur résilience ». Ainsi, le pays, à travers le ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, a-t-il mis en place, dès 2012, un Programme national d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux changements climatiques, dénommé Programme national changement climatique (PNCC).. Le PNCC est chargé de la coordination des activités d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux changements climatiques. Il comprend une unité de coordination chargée de la gestion quotidienne du Programme et un comité scientifique chargé de l’orientation et de la veille scientifique, en appui à la mise en œuvre des actions et orientations stratégiques. Le PNCC propose des mesures d’adaptation face aux changements climatiques et œuvre pour l’atténuation de leurs effets en Côte d’Ivoire. Il conduit, à ce titre, la stratégie nationale de lutte contre les change-

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ments climatiques. La mission du PNCC est basée sur les sept (07) axes stratégiques suivants : 1. promouvoir l’intégration des changements climatiques dans les politiques et stratégies sectorielles, dans la planification du développement et renforcer le cadre institutionnel et juridique ; 2. améliorer et vulgariser la connaissance nationale sur les changements climatiques et renforcer les capacités des acteurs ; 3. promouvoir des mesures d’atténuation des effets des changements climatiques dans tous les secteurs ; 4. renforcer et promouvoir des actions d’adaptation aux changements climatiques ; 5. promouvoir la recherche-développement au niveau national et le transfert de technologies en matière de changements climatiques ; 6. gérer les risques de catastrophes naturelles ; 7. renforcer la coopération et mobiliser des financements au niveau national et international pour la mise en œuvre des actions de lutte contre le changement climatique.

La problématique et les enjeux En Côte d’Ivoire, six secteurs prioritaires vulnérables aux impacts des changements climatiques ont été identifiés. Ce sont : • l’agriculture ; • l’utilisation des terres ; • les forêts ; • les ressources en eau ; • l’énergie ; • les zones côtières. Les émissions de gaz à effet de serre, à l’origine des changements climatiques, ont été inventoriées et actualisées dans la 2e communication nationale relative à l’adaptation. Les émissions totales de gaz à effet de serre sont estimées à 252 822,14 Gg Eq-CO2. La plus forte émission est enregistrée dans le secteur de l’agriculture avec 194 612,26 Gg Eq-CO2 soit 76,98 % des émissions nationales totales. Le secteur de l’énergie vient en deuxième position avec une émission de 66 585,01 Gg Eq-CO2 soit 26,34 %. Le secteur déchet suit avec une émission de 9 998,35 Gg Eq-CO2 soit 3,95 %. Les émissions des secteurs des procédés industriels et des solvants et l’utilisation d’autres produits chimiques sont les modes d’utilisation des terres, leur affectation et la foresterie constituent un puits de gaz à effet de serre. Ce secteur absorbe 18 375,07 Gg Eq-CO2 des émissions de gaz à effet de serre, soit 7,27 %. En Côte d’Ivoire, les changements moyens dans les températures et les précipitations se traduiront par des changements dans divers types d’événements cli-

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matiques, dont la probabilité d’occurrence est plus ou moins bien connue. Les scénarios climatiques sur la Côte d’Ivoire ont été générés à partir du modèle climatique CMIP5. Les différents scénarios validés par le 5e rapport du GIEC (AR5) sont disponibles sur l’Atlas numérique du changement climatique géré par l’Institut royal météorologique des Pays-Bas (KNMI). Il semble ainsi fort probable que l’on observe les événements suivants au cours des prochaines décennies : • le scénario montre une hausse de la température de 3°C d’ici 2100 sur la majeure partie du pays allant du nord au sud ; • une réduction de la pluviométrie, simulée sous le modèle RCP 4.5, qui indique une baisse journalière de 8 % des précipitations pendant la saison d’avril à juillet au cours des cent prochaines années. Les changements sont de plus en plus ressentis en Côte d’Ivoire et se manifestent par : • la baisse effective de la pluviométrie depuis les trois dernières décennies ; • l’irrégularité des pluies (mauvaise répartition) ; • le raccourcissement de la longueur des saisons pluvieuses ; • la hausse des températures ; • la persistance et rigueur des saisons sèches ; • les inondations ; • la fréquence des feux de brousse. Ainsi, les changements climatiques affectent plusieurs secteurs en Côte d’Ivoire (MINESUDD, 2014). Ce sont entre autres : • L’agriculture : un raccourcissement de la durée moyenne des périodes de croissance végétative (décalage des débuts de saison culturale), une faible croissance de la biomasse et une réduction des potentialités productives des écosystèmes (diminution des terres arables due à leur dégradation, exposition accrue des plantes au stress hydrique et amenuisement du volume des eaux de surface dans la plupart des régions). Les perturbations pluviométriques ont un impact significatif sur la production du cacao dont le rendement peut chuter de plus de 20 % pendant les épisodes El Niño par rapport aux campagnes précédentes (DJE, 2007). • Les ressources en eau : la baisse de la disponibilité en eau de surface pour les fleuves Bandama et Sassandra allant respectivement de - 21 à - 22 % et de - 5,10 à - 8,35 % (résultats d’études basées sur des modèles climatiques GFD3 ET UK89, Direction des ressources en eau/MINEF), une forte baisse de la recharge en eaux souterraines en Côte d’Ivoire allant de 7,44 % à 13,73 % pour l’horizon 2031-2040 et de 49,34 % à 70 % pour l’horizon 2091-2100 (Direction des ressources en eau/MINEF). • La santé humaine : une corrélation positive entre les variations de la pluviométrie, des températures et du taux d’incidence du paludisme, des infections respiratoires et des maladies diarrhéiques dans plusieurs localités de Côte d’Ivoire (Besancenot et al., 2004). Aussi, la pénétration régulière de l’harmattan au cours de la saison sèche sur le Sud du pays

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atteignant même la côte qui a pour conséquence le déplacement de la ceinture de la méningite du 8e parallèle en zone forestière. • Les ressources côtières : une érosion côtière accentuée par les changements climatiques, la hausse du niveau des océans et une élévation de la température de l’eau. Au vu de la prégnance des changements climatiques qui sont observés et de la nécessité de se préparer à y faire face, il est important que la Côte d’Ivoire se soit dotée d’une stratégie intégrée et de capacités opérationnelles de lutte en la matière.

Les solutions identifiées Pour la recherche de solutions en faveur de la lutte contre les changements climatiques en Côte d’Ivoire, une série de consultations de différentes parties prenantes a permis de dégager les actions prioritaires. Ces actions, qui entrent dans la stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques pour la période 2015-2020, ont été validées au cours d’un atelier national en 2014. Ces actions, identifiées au niveau du Programme national changement climatique (PNCC) en matière d’atténuation et d’adaptation, sont les suivantes : Au niveau de l’atténuation • mettre en place des plans sectoriels et régionaux d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre ; • formuler et mettre en œuvre des mesures d’atténuation appropriées au niveau national (MAAN ou NAMA en anglais) ; • élaborer un plan national d’action contre les polluants climatiques de courte durée de vie ; • mettre en œuvre la stratégie nationale REDD+ (réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) ; • élaborer et mettre en œuvre des stratégies d’atténuation des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Au niveau de l’adaptation • élaborer et mettre en œuvre un plan national d’adaptation (PNA) aux changements climatiques ; • prendre en compte l’adaptation aux changements climatiques dans les décisions relatives à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme ; • construire, tester et normaliser des indicateurs nationaux d’adaptation face aux changements climatiques; • mettre à la disposition des ministères techniques les bulletins et informations disponibles sur l’adaptation.

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La mise en œuvre des mesures Le PNCC est très récent (mis en place en 2012). Avant sa création, plusieurs actions de lutte contre les changements climatiques (atténuation et adaptation) ont été entreprises en Côte d’Ivoire notamment, au sein des ministères ayant eu en charge l’environnement. Il s’agit entre autres de : • l’élaboration et la publication de la 1re et 2e communication nationale respectivement en 2001 et en 2010 ; • la mise en place d’une autorité nationale désignée (AND), du mécanisme pour un développement propre (MDP) en 2005 ; • etc. Depuis la création du PNCC, plusieurs activités ont été entreprises en vue de l’opérationnalisation de l’atténuation et de l’adaptation à travers des secteurs spécifiques (agriculture, forêts, érosion côtière, technologies climatiques, renforcement de capacités, etc.). L’opérationnalisation de l’atténuation • Le mécanisme de réduction des émissions de gaz à effet de serre issues de la déforestation et de la dégradation des forêts REDD+.. La Côte d’Ivoire a adhéré au mécanisme international de réduction des émissions de gaz à effet de serre issues de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD+) depuis 2010, dans l’optique d’une contribution à la lutte mondiale contre le changement climatique et surtout de la restauration de son couvert forestier fortement dégradé. La Côte d’Ivoire est devenue aussi membre des deux plates-formes internationales d’appui à la REDD+ : le Programme ONU-REDD (qui est un partenariat de la FAO, du PNUD et du PNUE) et le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF), qui est soutenu par la Banque mondiale. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire reçoit depuis 2013 l’appui de l’Agence française de développement (AFD) et de la facilité REDD+ de l’Union européenne (UE-REDD). Depuis 2014, la Côte d’Ivoire a élaboré, selon une approche participative, son plan de préparation à la REDD+, connu sous l’acronyme R-PP. Ce document comprend une analyse du contexte pour la REDD+ et la proposition d’organisation, d’actions et d’approches du pays pour se préparer au mécanisme REDD+. À ce jour, le plan de préparation est mis en œuvre afin de définir, à l’horizon 2017, la stratégie nationale REDD+ de la Côte d’Ivoire. • L’évaluation des besoins en technologies (EBT). Depuis 2013, la Côte d’Ivoire a réalisé son évaluation des besoins en technologies et plans d’action technologique aux fins d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques. Deux secteur s du développement social et économique de notre pays ont été retenus pour la mise en œuvre de cette première phase du projet EBT. Il s’agit de l’agriculture et des ressources en eau pour le volet Adaptation et des secteurs de l’énergie et des déchets pour le volet Atténuation. Pour chaque secteur, des technologies

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ont été identifiées et hiérarchisées. Les EBT ont conduit par la suite à l’élaboration de plans nationaux d’action technologies (TAP). Ceux-ci ont recommandé un cadre propice à la diffusion de ces technologies et facilité l’identification de bons projets de transfert de technologies et leur lien avec des sources de financement pertinentes. Les TAP portent sur des actions concrètes nécessaires pour réduire ou surmonter les obstacles politiques, financiers et technologiques connexes. • Les mesures d’atténuation appropriées au niveau national (MAAN) ou NAMA. Les NAMA sont donc des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre prises volontairement par les pays en voie de développement. Ces pays ne sont pas soumis à des engagements de réduction des émissions en vertu de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), sous réserve d’un appui financier, technologique et d’un renforcement des capacités. Le seul résultat notable est la désignation depuis le 13 mars 2014 d’un point focal NAMA auprès du secrétariat de la CCNUCC. • Le renforcement des capacités nationales. Sous l’égide de l’Alliance mondiale contre les changements climatiques (AMCC), le PNCC a bénéficié d’une assistance technique pour le démarrage d’un programme REDD+ (août 2012) et un atelier de renforcement de capacités sur l’inventaire des gaz à effet de serre dans le cadre de la troisième communication nationale (octobre 2012). L’opérationnalisation de l’adaptation

La répartition des financements pour la lutte contre les changements climatiques en Côte d’Ivoire 2014-2017 en matière de REDD+. (Source : Programme national changement climatique)

C’est au total 5 097 660 000 FCFA qui sont mobilisés pour la lutte contre les changements climatiques pour la période 2014-2017. La part de l’État de Côte d’Ivoire est de 692 860 000 FCFA (soit 13,6 %). La contribution des partenaires étant de 4 404 800 000 FCFA (soit 86,4 %). Remarque : ces financements sont acquis essentiellement pour l’atténuation à travers le mécanisme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+).

L’adaptation dans le cadre du PNCC est fondée essentiellement sur des études stratégiques spécifiques : • l’étude de l’érosion côtière qui a permis l’élaboration d’une stratégie nationale d’adaptation du littoral côtier grâce à l’appui de l’AMCC en 2012 ; • une étude de vulnérabilité du secteur agricole en Côte d’Ivoire avec l’appui du PNUD ; • la définition d’un cadre institutionnel de mise en œuvre de la politique nationale en matière d’adaptation face aux changements climatiques (avril 2014) grâce à l’AMCC ; • l’évaluation des besoins technologiques en matière d’adaptation dans les secteurs de l’agriculture et des ressources en eau. La mise en œuvre des activités a été possible grâce aux contributions des différentes partenaires techniques et financiers (PTF) et de l’État de Côte d’Ivoire. La figure ci-dessous donne un récapitulatif des principales sources de financement en matière de lutte contre les changements climatiques pour la période 2014-2017.

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Conclusion La mise en œuvre efficace des options d’atténuation et d’adaptation est une priorité nationale. Pour ce faire, le gouvernement s’attache à : • renforcer le cadre institutionnel de lutte contre les changements climatiques ; • mettre en œuvre la stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques 2015-2020 ; • créer un Fonds national de lutte contre les changements climatiques (contribution de l’État de Côte d’Ivoire et des partenaires techniques et financiers, participation à travers des appels à projets) ; • élaborer le plan national d’adaptation (PNA) aux changements climatiques ; • rendre opérationnelle la plate-forme de réduction des risques de catastrophes naturelles ; • faciliter la mise en œuvre d’un système national d’assurance climatique (en rapport avec les structures spécialisées de l’Union africaine).


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Défi fiss et opportunités du développement durable et de l’adaptation au changement climatique en Afrique Albéric Kacou Directeur de cabinet de l’administrateur du PNUD

Introduction Le continent africain, fort de ses richesses humaines et entropiques, est sans nul doute la partie du globe possédant le maximum d’atouts pour relever les défis du siècle à venir et prétendre à l’émergence. Toutefois, la gestion actuelle de ces atouts doit être consolidée et réformée sur certains aspects, afin que le développement soit plus durable tout en prenant en compte les réalités liées au changement climatique. Le continent africain, bien que sa croissance démographique ralentisse, n’a pas encore atteint le dividende démographique qui lui permettra de lancer véritablement sa révolution en faveur du développement humain durable. Alors que le cheminement vers l’émergence est engagé de manière inéluctable, le continent doit conduire sa destinée sur des chemins privilégiant une croissance inclusive, génératrice de revenus et peu émettrice de gaz à effet de serre. L’Afrique est le continent le plus jeune au monde, avec 43 % de sa population ayant moins de 15 ans. Sa population est passée de 230 millions d’habitants en 1950 à 808 millions en 2000 et 1,1 milliard d’habitant en 2015. Elle devrait atteindre 2,4 milliards d’habitants en 2050. Caractérisée par cette population jeune et la richesse de ses ressources naturelles, dont les habitants dépendent pour leur alimentation, l’Afrique est fortement concernée par l’adaptation aux changements climatiques. La pauvreté et l’aggravation des inégalités, les défis éducatifs et sanitaires, l’aggravation de la situation du sous-emploi et l’arrivée chaque année de plus de

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12 millions de jeunes sans emploi sur le marché du travail ainsi que la faible diversification des économies africaines, sont des facteurs contribuant considérablement à freiner la dynamique de développement du continent. L’Afrique apparaît comme l’un des continents les plus vulnérables à la variabilité et aux changements du climat1, une situation aggravée par l’interaction des stress multiples qui se produisent à divers niveaux et la progression des phénomènes climatiques extrêmes. Alors que sa contribution à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est minime, l’Afrique risque bien d’être le continent le plus gravement touché2 par les effets du changement climatique. Le changement climatique induit des contraintes au développement humain. Il modifie la conception traditionnelle du développement et entraîne des coûts élevés. Sur le continent africain, où la plupart des économies reposent sur l’agriculture pluviale, les conséquences de fréquentes et graves sécheresses et inondations sont assez sérieuses pour compromettre les efforts de développement et réduire à néant cer tains progrès accomplis jusqu’ici notamment dans le monde rural. Une faible production et productivité agricoles conjuguée à l’accroissement des prix alimentaires fait surgir par ailleurs le spectre de pénuries alimentaires. Cette situation, ajoutée à l’épuisement des ressources hydriques, assombrit considérablement les perspectives futures d’un certain nombre de pays africains notamment sahéliens. D’après les estimations du rapport 2014, du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les coûts économiques du changement climatique en Afrique correspondent à 1,5 à 3 % du produit intérieur brut annuel du continent jusqu’en 2030. Les évolutions climatiques, en redessinant les cartes des réserves en eau, de la sécurité alimentaire, de la prévalence des maladies et des frontières côtières, pourraient accroître les migrations forcées, augmenter les tensions et déclencher de nouveaux conflits notamment au sein du continent. Le changement climatique épuise les ressources naturelles renouvelables de l’Afrique : les sols, l’eau et les forêts. Les effets des changements climatiques sont en outre exacerbés par une croissance démographique rapide, qui entraîne une augmentation de la demande des ressources naturelles. La rareté croissante de l’eau, en particulier sur un continent où beaucoup de plans d’eau traversent les frontières nationales, évoque le spectre de conflits et de vulnérabilités importantes. Lorsque la fertilité du sol diminue, l’on défriche les forêts pour accroître l’activité agricole ; quand l’agriculture est moins productive, les centres urbains deviennent plus attrayants. Lorsque la densité urbaine s’accroît plus rapidement que les services sociaux et les infrastructures (approvisionnement en eau, assainissement et gestion des déchets), il en découle non pas la prospérité, mais la pauvreté et la maladie.

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Les défis et enjeux du développement durable pour l’Afrique Le continent africain se trouve placé depuis près de cinquante ans au cœur de problématiques complexes car de nombreux pays ont été confrontés à des niveaux de pauvreté élevés, à des famines récurrentes, aux ravages de certaines endémies et à l’insécurité induite par des conflits chroniques et multiformes. La résultante de tous ces freins au développement est aujourd’hui aggravée par les effets du changement climatique et par la dégradation des ressources naturelles. Nous sommes entrés à l’aube de ce troisième millénaire dans un monde d’interdépendance et de complexité croissante où les problématiques sont étroitement imbriquées les unes aux autres et aggravées par la dégradation continue des écosystèmes et de l’environnement4. La communauté internationale 5 comprend et reconnaît depuis quelques années la gravité des conséquences induites par les phénomènes d’intensification des crises et catastrophes et de la modification du climat, pour la sécurité humaine et internationale. Le continent africain y est d’ailleurs reconnu comme étant le plus vulnérable aux impacts des changements climatiques, en raison de multiples facteurs socioéconomiques tels que la pauvreté endémique, les enjeux de la demande sociale, la pression démographique, les défis de la gouvernance et de la gestion des conflits ainsi que la dégradation des écosystèmes. Dans un avenir proche, les impacts des changements climatiques sur l’agriculture, la santé, les ressources en eau et le développement socio-économique bouleverseront les modes de vie et les moyens de subsistance des populations africaines à un point tel que leurs capacités d’adaptation pourraient être largement dépassées. L’analyse menée dans le cadre de cet essai a permis de démontrer que cette atteinte directe à la sécurité humaine pourrait entraver la marche vers l’émergence et engendrer des conflits 6 en Afrique si des mesures concrètes ne sont pas entreprises pour atténuer l’ampleur des changements climatiques et minimiser leurs impacts. La stratégie à adopter dans la logique du développement durable, consiste à relever simultanément et en s’inscrivant dans le long terme, trois défis majeurs : • développer durablement l’économie en dynamisant la croissance et en la rendant plus inclusive et mieux répartie ; • développer le capital humain et les relations sociales, pour une cohésion sociale et une gouvernance apaisée et ; • préserver ou réhabiliter l’environnement et structurer le processus d’adaptation aux changements climatiques.

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La croissance africaine bien que fort élevée depuis plus d’une décennie (5,1 % du PIB sur la période 2001-2014) demeure plus ou moins fragile selon les régions du continent. Par ailleurs, l’entretien des conflits sahéliens constitue un frein au développement de cette zone géographique. La poussée islamiste qui va au-delà du Nigeria et s’étend au Niger, au Tchad, au Cameroun et à la Centrafrique, le niveau de corruption dans plusieurs États, la pandémie Ebola, qui a durement affecté certains pays, comme la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria, l’absence de grandes infrastructures routières et ferroviaires et la fragilité des structures étatiques demeurent également des obstacles à une croissance forte.Toutefois, ces éléments ne pourront faire obstacle à la marche inéluctable vers le progrès et le développement progressif de l’Afrique. La croissance démographique et son dividende en cours de constitution, le développement de sa classe moyenne et les richesses en matières premières sont de véritables opportunités qui permettent dès à présent de soutenir la croissance africaine. L’Afrique doit transformer l’essai et poursuivre sa transformation en consolidant sa croissance, en diversifiant ses structures productives et en contribuant à devenir un moteur pour la croissance mondiale. Cela implique plusieurs conditions, parmi lesquelles le renforcement de l’intégration régionale, le développement des infrastructures, l’amélioration de la gouvernance et la priorité donnée aux grandes agglomérations de taille mondiale. Toutefois, les effets de la croissance ne profitent pas à tous7. De nombreux pays d’Afrique subsaharienne n’affichent pas encore les progrès escomptés en matière d’amélioration du niveau de vie, de baisse de la pauvreté et de progrès sociaux. Le potentiel de croissance économique de l’Afrique est pourtant considérable : les investissements nationaux et étrangers continuent d’évoluer très rapidement à la hausse, la valorisation des richesses minières et pétrolières s’étoffe et le secteur manufacturier se diversifie progressivement.

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Veiller à ce que les politiques économiques8 favorisent le développement de ces secteurs aura un impact réel sur la création d’emploi et l’amélioration de la productivité. Le second concerne l’inclusion financière et la facilité d’accès à des sources de financement fiables et abordables. L’Afrique affiche encore un des taux le plus bas d’accès aux services financiers, ce qui limite les possibilités d’investissement, tant pour les épargnants que pour les petits entrepreneurs. Cependant, le développement des nouvelles technologies pourrait bien bouleverser la donne. Au-delà de la croissance économique, qui est un moteur et non une fin en soi9, le but du développement est d’abord le progrès social qui peut se décliner en lutte contre la pauvreté10, en promotion de l’intégration sociale et de l’emploi durable. Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont joué un rôle de catalyseur pour la promotion des actions menées par les gouvernements, la société civile et le secteur privé en vue de faire progresser le développement. Ils ont induit des effets à la fois directs, notamment par la mobilisation de l’aide en faveur du développement social, et indirects, grâce aux efforts de sensibilisation et de suivi déployés au plan mondial, à l’appui des indicateurs clés mis au point pour mesurer les avancées enregistrées dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’égalité des sexes. Aujourd’hui, le nouvel agenda post 2015 et la priorité donnée aux Objectifs de développement durable (ODD) fixent des priorités et cibles particulièrement mobilisatrices et un pacte de solidarité et de promotion du financement qui valorise les opportunités d’une croissance verte, inclusive et durable. Même si le continent ne peut s’attendre à réaliser que certains des objectifs majeurs, le rythme des progrès porte témoignage des efforts11 résolus des décideurs politiques à promouvoir l’émergence et le développement durable du continent.

Le grand défi pour l’Afrique durant les deux prochaines décennies consistera à ce que cette croissance soit créatrice d’emplois et bénéficie aux pauvres. La question se pose donc de savoir comment traduire ces performances économiques impressionnantes en une croissance plus inclusive et, en particulier, en une croissance économique qui génère de l’emploi pour les jeunes, toujours plus nombreux. Le département africain du Fonds monétaire international (FMI) a étudié les facteurs qui pourraient expliquer la performance relative des pays en termes de revenus par habitant et de recul de la pauvreté. Il en ressort qu’un environnement économique stable, de meilleures infrastructures et une hausse de la productivité agricole peuvent avoir de profonds effets sur l’inclusion et la création d’emplois.

Toutefois, les politiques de développement actuelles devront relever toute une série de problèmes aggravés par les récentes crises (alimentaire, climatique, énergétique et financière). Le contexte économique et politique mondial favorable, qui existait en 2000 lorsque les OMD12 ont été adoptés, a disparu. Dès lors, à l’échelle mondiale, face aux inégalités persistantes, des idées nouvelles et de nouveaux moyens de mobilisation sociale et politique s’imposent. Ainsi, des questions décisives pour le développement telles que la gouvernance, la justice sociale ou les migrations viennent étayer certains facteurs comme le changement climatique, l’instabilité financière et économique ou la multiplication des conflits.

En termes de politique économique, le FMI a identifié deux domaines complémentaires favorisant la croissance inclusive : le premier concerne la création d’emplois, particulièrement au sein des entreprises familiales des secteurs de l’agriculture et des services. La grande majorité de la population active africaine travaille au sein de petites structures familiales, souvent dans des zones rurales.

Le changement climatique menace aujourd’hui les progrès réalisés en termes de développement humain et de lutte contre la pauvreté (GIEC). L’instabilité financière et économique s’accroît également car les crises économiques ont notamment influé sur les prix alimentaires, la stabilité des marchés d’approvisionnement et les termes de l’échange. La multiplication des zones de conflit s’inten-

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sifie : 51,2 millions de personnes étaient déracinées dans le monde à fin 2013, un nombre qui n’a jamais été aussi élevé depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour atteindre les nouveaux objectifs de développement durable, il est essentiel de mobiliser tous les acteurs, États, société civile, entreprises, de même que les populations qui doivent se sentir maîtresses de leur destin.. Les pays riches ont un rôle important à jouer. Si en 2013, l’aide publique au développement s’est élevée à 134,8 milliards de dollars, son plus haut niveau jamais enregistré, l’aide va de moins en moins aux pays les plus pauvres. Il faut renforcer notre action dans certains secteurs, leviers de développement : la démocratie et le respect des droits humains, l’éducation, notamment des filles, et la formation professionnelle. Dans le document d’analyse de la position commune africaine (PCA) sur le programme de développement pour l’après-2015, le troisième pilier dédié au développement axé sur l’être humain prévoit sept axes d’efforts : • l’éradication de la pauvreté13 ; • l’éducation et le développement du capital humain14 ; • l’accès universel et équitable à des soins de santé de qualité15 ; • l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes16 ; • la dynamique de la population au service du développement17 ; • la mobilisation des jeunes18 ; • l’amélioration de l’accès à des établissements humains viables19. « Les OMD sont réalisables lorsque les politiques publiques des pays sont soutenues par les partenaires internationaux », affirmait en juin dernier le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, qui appelle à un sursaut mondial afin de tenir les promesses faites en 2000 ; promesses qui devront être tenues d’ici à 2030 avec les ODD. L’Afrique est un continent riche en ressources naturelles. Des millions de personnes dépendent consciemment ou non de ses terres, ses eaux et ses forêts pour leur subsistance et leur survie. La plupart des pays du continent sont tributaires de ces ressources, qui sont importantes pour la croissance économique et le développement durable. La préservation des écosystèmes et la biodiversité en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale constitue un véritable défi, compte tenu du niveau de pauvreté des populations qui y résident ou les fréquentent, et des problèmes institutionnels auxquels sont confrontés ces pays. Les niveaux de vulnérabilité des populations, dont plus de 43 % vivent en dessous du seuil de pauvreté, la fragilité de certains écosystèmes et la faible gouvernance des ressources notamment écologiques, contraignent la gestion efficace des programmes pourtant dédiés au développement durable.

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Près de 75 % des habitants les plus pauvres de ces régions vivent dans des zones rurales, où la plupar t sont tributaires de l’agriculture et d’activités connexes. La destruction des habitats, la surexploitation des ressources naturelles, la prolifération d’espèces envahissantes et la pollution sont autant de menaces qui pèsent sur les écosystèmes, dont dépendent ces populations qui les exploitent pour survivre. Mais la dégradation des ressources naturelles s’explique aussi par d’autres raisons indépendantes des populations locales : le croît démographique, l’évolution de la conjoncture économique internationale, les enjeux de gouvernance, les cadres juridiques, l’évolution de la science et des techniques et celle des valeurs culturelles et religieuses. En outre, toutes les menaces et pressions qui s’exercent sur l’écologie humaine sont accentuées par le changement climatique. Or, il est capital de préserver la richesse de la biodiversité unique notamment d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale : la survie et l’avenir des peuples de cette région y sont liés. La terre20 est le socle de l’agriculture. L’eau21 est l’élément essentiel à la vie. Les forêts22 recouvrent au moins 19 % de la superficie totale de l’Afrique subsaharienne, mais les variations sont importantes en fonction du couvert végétal. Ainsi, selon les termes employés par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), terres, eaux et forêts forment les pierres angulaires d’un développement à l’épreuve du changement climatique en Afrique. Les trois projets majeurs que le FEM finance et conduit en Afrique : terres du Sahel, lac Tchad et forêts du bassin du Congo démontrent que l’Afrique est prête à s’engager dans la voie d’un développement « non pas à la merci, mais à l’épreuve du climat23 ».

Orientations de politique L’amélioration de la gouvernance, souvent présentée comme quatrième pilier du développement durable, est un préalable pour soutenir la croissance économique et contribuer à réduire la pauvreté en préservant l’environnement. On entend souvent cette interrogation : Alors que l’Afrique est si riche, pourquoi les Africains sont-ils si pauvres24 ? La réponse réside dans la critique de la gouvernance. En effet, la gouvernance actuelle de nombreux États d’Afrique manque d’efficacité. Un seul exemple est édifiant : selon les estimations, l’Afrique perdrait jusqu’à 200 milliards de dollars par an25 dans le cadre de flux illicites de capitaux. En comparaison, l’aide au développement reçue paraît dérisoire. Les inégalités de revenus et les flux illicites de capitaux dépouillent l’Afrique de ses richesses et de précieux moyens d’investir dans l’éducation, la santé et l’agriculture, des secteurs essentiels à une population active. Il est primordial de prôner sans tarder une gouvernance vertueuse susceptible de mobiliser l’ensemble des

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parties prenantes à l’action de développement. Pour ce faire, cette gouvernance doit s’attacher à favoriser les points suivants : • les ressources de l’État doivent être efficacement gérées pour fournir l’éducation et les services de santé, qui sont très insuffisants dans la plupart des pays du continent. Les bénéfices potentiels provenant de l’augmentation de l’aide et de l’allégement de la dette doivent être gérés de manière efficiente et transparente ; • les lois doivent être appliquées en toute justice et la sécurité humaine doit être assurée. Sans sécurité et sans État de droit, l’Afrique ne peut que faire face à des risques élevés d’insécurité interne, qui peuvent rapidement devenir des crises humanitaires ; • les citoyens doivent être représentés de manière équitable pour favoriser le développement de la démocratie voire même d’une démocratie participative, sans quoi, la société civile ne peut jouer son rôle et participer au développement ; • les investisseurs internationaux doivent être rassurés, sinon les entreprises ne peuvent pas fonctionner. Le secteur privé est un moteur de croissance il est créateur d’emploi, de prospérité et de ressources fiscales à condition qu’il puisse prospérer. Une meilleure gouvernance26 est également fondamentale pour améliorer la situation globale de l’Afrique. Le continent doit être un partenaire à part entière dans l’élaboration des politiques essentielles à son émergence, à un moment où la sécurité mondiale et la croissance économique sont si étroitement liées à sa stabilité et à son développement durable27.

Les acquis en faveur du développement durable de l’Afrique Ces dernières années, la croissance économique28 africaine s’est révélée soutenue, bien qu’elle soit tombée à 3,6 % en 2009, mais elle est rapidement repassée au-dessus des 5,5 % pour atteindre une moyenne de 5 % par an depuis une décennie, indépendamment des aléas de la crise mondiale, des risques souverains et de la crise financière. La croissance du continent s’est ainsi singulièrement affermie et autonomisée, elle apparaît solide sur le long terme et présente un atout remarquable pour sa transformation. Les comparaisons avec d’autres pays sont flatteuses pour l’Afrique, six des dix pays connaissant la plus forte croissance dans le monde sont en Afrique, dont le Nigeria (7,5 %) et la Côte d’Ivoire (8,5 %). La richesse par habitant a augmenté de 3,5 % par an depuis une décennie. Huit pays africains ont un revenu par habitant de 10 000 dollars, supérieur à celui des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). L’inflation est contenue à moins de 6 %. La balance commerciale est globalement excédentaire de 4 % du PIB29. La croissance africaine, qui est endogène, est portée par la consommation, avec pour moteurs le recul de la pauvreté de

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42 % à 32 % de la population, et l’apparition d’une classe moyenne de 400 millions d’habitants, selon la Banque mondiale. L’urbanisation qui s’établit aujourd’hui à plus de 40 % de la population, contre 28 % en 1980, est allée de pair avec le développement des services de première nécessité, tels que l’assainissement de l’eau, la construction des infrastructures scolaires et universitaires (le nombre d’université a été multiplié par 4 en moins de quinze ans sur le continent) et le recours aux transports collectifs s’est intensifié. Grâce à cette urbanisation accélérée, l’Afrique a connu des gains de productivité en progression notable, de 3 % par an depuis 2000. L’attractivité économique suscite mécaniquement l’intérêt des investisseurs étrangers qui s’avère croissant, entraînant le développement des nouvelles technologies, et tout particulièrement, la téléphonie mobile, dont l’Afrique constitue le second marché mondial, occasionnant l’apparition d’une nouvelle classe d’entrepreneurs africains, pour certains devenus milliardaires. L’Afrique compte désormais 35 milliardaires et plus de 2 500 millionnaires. L’Afrique est également devenue un acteur commercial à part entière et non plus seulement un réservoir de matières premières pour le reste du monde. Cette ouverture commerciale s’est ainsi traduite par la diversification30 des partenaires commerciaux, en particulier les pays émergents qui investissent de plus en plus en Afrique subsaharienne. L’investissement intra-africain est également très actif, il a progressé de 33 % depuis 2007, notamment sous l’influence des projets sud-africains, kényans et nigérians. Cette tendance révèle une confiance et un optimisme croissants chez les Africains eux-mêmes dans l’avenir de leur continent. Enfin, l’Afrique dispose désormais des moyens de financer son développement. Outre une épargne interne, qui trouve désormais à s’investir localement, les financements africains se sont développés et professionnalisés avec l’apparition de véritables réseaux bancaires, et l’afflux de fonds d’investissement souverains et privés. Dans le même temps, les Bourses africaines se structurent, notamment à Johannesburg, Lagos et Nairobi. Ainsi, cette croissance est tirée par la vente des matières premières, mais aussi par la consommation, qui est devenue le premier moteur de la croissance. De grands centres commerciaux sont en construction et l’e-commerce est en plein essor. Un certain nombre de rapports établis récemment relèvent qu’il existe en Afrique très peu d’organismes régionaux s’occupant de questions liées aux changements climatiques31. Or, au moment où s’amorcent l’intense processus de négociation d’un cadre d’examen de ces questions et les préparatifs de rencontres consacrées au développement durable et au changement climatique, il est sans aucun doute nécessaire d’avoir une idée précise des catégories d’acteurs qui interviennent dans des domaines connexes tels que la vulnérabilité, l’adaptation et les moyens de subsistance, particulièrement en Afrique.

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En collaboration avec des partenaires de premier plan au sein du système des Nations Unies et d’autres organisations internationales, il peut s’avérer pertinent de mettre en place un réseau africain d’experts de l’adaptation aux changements climatiques appelé à collaborer avec ceux engagés dans la réflexion stratégique pour l’émergence du continent. L’objectif premier du réseau envisagé est d’accroître la résistance des écosystèmes, des économies et des systèmes humains vulnérables face aux changements climatiques, grâce à la mobilisation des connaissances et des technologies pour appuyer l’élaboration des politiques, la planification et les pratiques dans ce domaine. Pour que la croissance économique soit durable, celle-ci requiert un investissement massif dans le secteur de l’énergie. Le présent rapport établit que l’Afrique possède le potentiel et la capacité pour faire des énergies renouvelables le principal moteur de cette croissance. Ce choix s’avérerait compétitif par rapport à d’autres solutions, favoriserait les économies d’échelle et offrirait des avantages considérables en termes de développement équitable, de création de valeur à l’échelle locale, de sécurité énergétique et de viabilité environnementale. Cette transformation sans précédent ne se fera pas d’elle-même. Elle ne sera possible que si les décideurs déploient des efforts concertés pour mettre en place les mécanismes permettant de stimuler les investissements et pour faciliter le développement du secteur au moyen de politiques pertinentes et de collaboration au niveau régional. Des initiatives innovantes, telles que celles connues sous le nom de paiements pour services environnementaux (PSE) doivent être promues car elles s’appuient sur une logique contractuelle. Leur attractivité tient à leur capacité à mobiliser de nouvelles sources de financement pour la conservation mais aussi car elles peuvent bénéficier aux populations locales et améliorer le rappor t coût-efficacité32 des actions de promotion de la biodiversité et du développement durable. Face à ces défis, à la quantité de conflits d’intérêts qui naissent naturellement entre les différents acteurs et à la déliquescence de la gouvernance internationale de l’environnement, il apparaît pertinent de faire bénéficier l’environnement d’une enceinte internationale capable d’émettre des directives, voire le droit, en matière de protection de l’environnement et de développement durable.

Conclusion Face à ces défis et à la quantité de conflits d'intérêts qui naissent naturellement entre les différents acteurs et de la déliquescence de la gouvernance internationale de l'environnement, il apparaît pertinent de faire bénéficier l'environnement d'une enceinte internationale capable d'émettre des directives voire le droit en matière de protection de l'environnement et de développement durable.

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La croissance économique de l'Afrique nécessaire à son développement doit permettre aussi de lutter contre le réchauffement climatique. La solution repose sur les fondements de l'économie verte, qui couplée aux principes de la responsabilisation, de la subsidiarité et du contrôle permettront au continent africain de relever les défis de demain et de devenir, le poumon économique d'un monde malade de ses crises économiques, environnementales et démographiques.

NOTES 1. Selon le Groupe d’exper ts intergouvernemental sur l’évolution du climat, (GIEC), dans son 5e rapport de 2014, le changement climatique est la variation de l’état du climat, qu’on peut déceler par des modifications de la moyenne et/ou de la variabilité de ses propriétés et qui persiste pendant une longue période, généralement pendant des décennies ou plus. Les changements climatiques peuvent être dus à des processus internes naturels ou à des forçages externes, notamment les modulations des cycles solaires, les éruptions volcaniques ou des changements anthropiques persistants dans la composition de l’atmosphère ou dans l’utilisation des terres. On notera que la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dans son article premier, définit les changements climatiques comme des « changements qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables ». La CCNUCC établit ainsi une distinction entre les changements climatiques attribuables aux activités humaines altérant la composition de l’atmosphère et la variabilité du climat imputable à des causes naturelles. L’accélération du réchauffement de la planète se confirme, la tendance linéaire du réchauffement sur les cinquante années de la période 1956-2005 (0,13 °C par décennie) est presque deux fois plus rapide que celle de la centaine d’années de 1906 à 2005. Les projections mondiales actuelles pour la décennie 2090-2099 mettent en évidence une augmentation de température entre 1,1 °C et 6,4 °C au-dessus des températures enregistrées pendant la décennie 1980-1999, la fourchette la plus probable se situant entre 1,8 °C et 4 °C. Par ailleurs, selon le GIEC, le réchauffement de la planète sera plus intense en Afrique que dans le reste du monde. GIEC confirme également l’origine humaine de ce changement accéléré, et affirme que l’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de gaz à effet de serre (GES) anthropiques (C02, NH4 et N2O principalement), la concentration des GES dans l’atmosphère ne cessant de croître depuis le début de l’ère industrielle. 2. La régression du lac Tchad constitue l’un des exemples les plus saisissants du changement climatique, la NASA prévoit la disparition du lac à l’horizon 2025 si rien n’est fait pour maintenir son reliquat. La région du lac Tchad compte en effet parmi les zones les plus affectées par le changement climatique. 4. Mohamed Roufaï. 5. Le secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon, a clairement analysé la situation lors d’une rencontre du Conseil de sécurité en avril 2007 en déclarant que les modifications prévues du climat mondial ne posaient pas seulement des problèmes environnementaux, mais pourraient avoir aussi de graves implications socio-économiques ayant elles-mêmes un impact sur la sécurité. En automne 2013, le cinquième rapport d’évaluation du Groupement intergouvernemental d’experts sur les évolutions du climat (GIEC) est paru. Il confirme les connaissances précédentes sur le changement climatique, mais met en évidence que ses effets se feront sentir plus rapidement que prévu. 6. Les principales sphères de conflits probables identifiées par les chercheurs concernent les migrations climatiques et la compétition pour les ressources en eau et les terres arables. De plus, il apparaît que la fragilité de nombreux gouvernements en place ainsi que leur incapacité à répondre aux besoins des populations constituent des facteurs aggravants.

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Développement durable en Afrique 7. Malgré l’évolution positive de cette dernière décennie, l’Afrique reste encore le continent le plus pauvre où 40 % de la population vit dans une pauvreté extrême. 12 % de la population mondiale vit en Afrique, mais le continent produit environ 1 % du PNB total du monde entier. 8. Les expériences menées en Asie, au Vietnam notamment, peuvent servir de modèle. Les prévisions de croissance de la population active africaine renforcent la pertinence du thème de l’emploi. En effet, un surplus de personnes en âge de travailler ne représente un atout pour un pays que si ce dernier dispose d’un vivier d’emplois. 9.Thimothée Ngakoutou, conseiller pour les sciences sociales et humaines en Afrique. 10. La pauvreté englobe de multiples dimensions : sociales, culturelles, environnementales, politiques, économiques... Des auteurs tels que Amartya Sen, analysent la pauvreté comme le cumul de handicaps, dans cette perspective, les droits civiques et politiques ainsi que les droits économiques et sociaux sont les enjeux et facteurs du développement et du progrès. La lutte contre la pauvreté implique de s’attaquer à la vulnérabilité des populations en leur permettant d’échapper aux risques de marginalisation et d’exclusion de la société. La question de la pauvreté s’est imposée comme essentielle dans les débats politiques en Afrique subsaharienne au début des années 2000 avec l’initiation des stratégies de réduction de la pauvreté (SRP) par la Banque mondiale et le FMI. L’Assemblée générale de l’ONU a réaffirmé l’ambition de promouvoir les droits de l’homme (le droit de chaque personne à la santé, à l’éducation, au logement, à la sécurité...). Dans cette perspective, en septembre 2000, a été adopté lors d’une session extraordinaire par cette même assemblée la Déclaration du millénaire qui fonde un nouvel accord entre pays riches et pays pauvres, 189 États ont alors adopté la Déclaration du millénaire et les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ces derniers servent depuis de guides dans toutes les actions de coopération internationale à travers le monde. Le but de cet accord est de contribuer à améliorer les conditions de vie dans les pays pauvres et de garantir le développement humain. Les huit Objectifs du millénaire pour le développement édictés pour être atteints à l’horizon 2015 consistent à encourager les pays en développement à s’engager sur les chemins de la croissance et du développement durable. Ils constituent une feuille de route pour mobiliser la communauté internationale en faveur du développement des pays les plus pauvres et définissent des indicateurs chiffrés pour en mesurer les progrès. Ils visent notamment à réduire la pauvreté, la faim, la mortalité infantile et maternelle d’ici à 2015. À moins d’un électrochoc, les OMD ne seront pas atteints en 2015. 11. Dans son rapport de 2014, l’ONU se réjouissait déjà de constater l’atteinte de plusieurs cibles fixées en 2000. Le nombre des personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour semble avoir été réduit de moitié par rapport à 1990. La lutte contre le paludisme aurait évité plus de 3 millions de décès entre 2000 et 2012 et les efforts contre la tuberculose auraient sauvé 22 millions de vies depuis 1995. Quelque 89 % de la population mondiale a désormais accès à une source d’eau potable améliorée, contre 76 % en 1990. Les taux de pauvreté sont en baisse dans le contexte d’une croissance rapide, et même si le rythme de la création d’emplois en Afrique est insuffisant, ce rythme dépasse la moyenne mondiale. La qualité des emplois continue à faire problème, comme l’atteste la forte prévalence des emplois précaires et des travailleurs pauvres, mais la tendance n’en est pas moins positive. On observe en effet une diminution de la pauvreté des travailleurs et de l’incidence des emplois précaires. 12. Bonnie Campbell, directrice du Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS) à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), reconnaît que les OMD attirent l’attention sur des enjeux cruciaux. En revanche, elle critique la manière dont ils ont été conçus. Elle leur reproche, en outre, de s’appliquer de la même façon à tous les pays, sans tenir compte des spécificités. « Lorsqu’on veut éradiquer la pauvreté, il faut s’attaquer aux causes et aux origines structurelles, qui sont très différentes au Burkina Faso et en Bolivie. » De plus, elle qualifie les actuels OMD de « désagrégés », c’est-à-dire qu’ils abordent les problèmes séparément, sans tenir compte de leur interdépendance. Cette distinction cautionne, selon elle, une approche en silo. « La mortalité infantile est une question inséparable de celles que représentent l’éducation des jeunes femmes et l’alimentation, mais elles sont traitées séparément », illustre-t-elle. 13. La position commune africaine (PCA) s’engage à promouvoir l’autonomisation de toutes les personnes, y compris celles qui vivent dans des conditions de vulnérabilité (notamment les femmes, les enfants, les personnes âgées, les jeunes, les personnes handicapées, les populations rurales, les per-

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Défis et enjeux du changement climatique sonnes déplacées et les migrants) au moyen d’une croissance inclusive qui crée des emplois décents, améliore l’accès à la protection sociale et veille à ce qu’aucune personne ne continue de vivre en dessous du seuil de pauvreté. 14. Les dirigeants africains envisagent d’atteindre l’excellence en matière de développement des capacités de ressources humaines au moyen de l’amélioration de la qualité de l’éducation et de la formation. 15. La PCA comporte des engagements visant à améliorer l’état de santé des mères, des nouveaunés, des enfants et des personnes se trouvant dans des conditions de vulnérabilité, tels que les jeunes, les chômeurs et les personnes handicapées : en réduisant l’incidence des maladies transmissibles, des maladies non transmissibles (y compris mentales) et des maladies émergentes ; en mettant fin à l’épidémie de VIH/SIDA, tuberculose et paludisme ; en réduisant la malnutrition ; et en améliorant l’hygiène et l’assainissement. À cet égard, des mesures nécessaires seront prises pour assurer l’accès universel et équitable à des soins de santé de qualité, y compris l’accès universel à l’ensemble des droits en matière de santé reproductive et sexuelle, et notamment de planification familiale. 16. L’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes constituent un catalyseur déterminant du développement humain. À cet égard, des mesures seront prises pour : améliorer la mobilité professionnelle des femmes et éliminer les inégalités salariales entre les hommes et les femmes ; permettre aux femmes d’accéder aux terres et à d’autres actifs productifs et d’en devenir propriétaires, et d’accéder aux services de crédit et de vulgarisation, et à la formation ; éliminer toutes formes de violence à l’encontre des femmes et des enfants et les pratiques néfastes, telles que la mutilation génitale féminine (MGF) et le mariage précoce ; et éliminer la discrimination sexiste dans les processus de prise de décisions politiques, économiques et publiques. En outre, les capacités des femmes africaines, notamment leurs compétences en matière de leadership et de médiation, seront renforcées afin de les aider dans le rôle essentiel qu’elles peuvent jouer dans les domaines du mentorat, de l’entrepreneuriat, de la prévention et de la résolution des conflits, de la médiation et des efforts de consolidation de la paix, ainsi que dans la reconstruction des sociétés au sortir de conflits, pour n’en citer que quelques-uns. 17. Des politiques en matière d’aménagement rural et urbain seront mises en place afin de fournir des services adéquats, équitables et de qualité à toutes les tranches d’âge. Les principaux objectifs prioritaires seront de s’atteler aux écar ts entre les zones rurales et urbaines, de répondre aux besoins des personnes âgées et des jeunes, et d’éliminer la traite des êtres humains. La mise en œuvre d’un tel plan devra prendre en compte les besoins de tous les citoyens et sera facilitée par la disponibilité de données opportunes, de qualité et désagrégées et de statistiques visuelles. 18. L’augmentation de la population jeune de l’Afrique doit être mise à profit sous la forme de dividendes démographiques en mettant en place des politiques et des stratégies qui : renforcent les compétences et les capacités en matière d’entrepreneuriat ; facilitent l’accès des jeunes aux services financiers ; promeuvent les emplois décents ; accroissent l’accès aux services de conseil aux entreprises et les facilités de crédit ; promeuvent la participation aux processus de prise de décisions ; et soutiennent l’initiative de l’Union africaine visant à créer un cadre continental sur les dividendes démographiques. 19. Le rythme rapide d’urbanisation en Afrique souligne le besoin d’infrastructures et d’installations fiables permettant d’assurer une meilleure qualité de vie. Pour ce faire, les infrastructures urbaines doivent être développées et une approche planifiée de l’urbanisation rapide et de l’émergence de nouvelles villes doit être élaborée. En outre, l’aménagement rural et urbain doit être promu. Il s’agira notamment : de multiplier les logements décents et bon marché ; d’améliorer les services d’hygiène et d’assainissement ; de promouvoir l’accès aux installations sociales et économiques. 20. L’Afrique subsaharienne a une superficie estimée à 2,4 milliards d’hectares, dont à peine 8 % de terres arables ou consacrées à des cultures permanentes. Il est indispensable de préserver la productivité des terres arables existantes pour répondre aux besoins de développement présents et futurs, tout en gérant les risques climatiques. La dégradation des sols et la désertification, qui touchent le continent tout entier, ont un impact considérable sur la productivité agricole et la sécurité alimentaire dans les régions subsahariennes.

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21. Le changement climatique se répercute sur la disponibilité et l’accessibilité des ressources en eau. Dans de nombreuses parties du continent, le régime des précipitations enregistre déjà de très fortes variations, avec des différences considérables d’une année et d’une région à l’autre. Environ 60 % des terres du continent (14,3 millions d’hectares) sur lesquelles l’eau est affectée à la production agricole (c.-à-d. des zones où existent des aménagements hydrauliques) se trouvent en Afrique subsaharienne. À l’échelle nationale, la part du territoire occupé par ces zones varie énormément : moins de 1 % des terres cultivées en République démocratique du Congo, en Ouganda, au Ghana, au Togo et aux Comores, contre 100 % dans les pays les plus arides comme Djibouti où l’agriculture est impossible sans irrigation. Le Nigéria, l’Angola, le Soudan, l’Afrique du Sud et Madagascar sont les pays où se trouve la majeure partie des équipées d’aménagements hydrauliques en Afrique subsaharienne. 22. Les forêts africaines sont réputées pour la richesse de leur biodiversité, l’Afrique de l’Ouest (forêts guinéennes), l’Afrique de l’Est (montagnes du rift d’Albertin et de l’Arc oriental) et l’Afrique australe (surfaces boisées du Miombo-Mopane) comptant certains des écosystèmes les plus menacés du monde. Le bassin du Congo, en Afrique centrale, abrite le plus vaste manteau forestier du continent. Le bassin du Congo, qui couvre près de 300 millions d’hectares, est la deuxième surface forestière du monde, après l’Amazonie. Il représente une ressource de première importance pour le développement de huit pays – Burundi, Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République du Congo et Rwanda. En dépit de sa vaste superficie, seuls 37,3 millions d’hectares sont classés en aires protégées. Une grande partie de cette forêt est donc très exposée à l’exploitation sauvage, souvent au détriment de près de 60 millions de personnes vivant des ressources forestières. 23. Monique Barbut, directrice générale et présidente du Fonds pour l’environnement mondial. 24. Pierre Bamony, philosophe et anthropologue auteur du livre Pourquoi l’Afrique si riche est pourtant si pauvre ? 25. Le Monde.fr | 28.05.2013 à 08h55 • Mis à jour le 28.05.2013 à 12h51. 26. Personne ne conteste l’importance de la bonne gouvernance. « La bonne gouvernance constitue le principal facteur d’éradication de la pauvreté et de la promotion du développement. » Le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, a, pour sa part, déclaré que « ce dont les gens ont besoin, c’est d’un État qui fonctionne efficacement ». 27. Luc J. Gregoire ; Abdoulaye Racine Kane et Alberic Kacou : L’Afrique et les défis de la gouvernance. Éditions Maisonneuve et Larose, 2008, 851 p. 28. En 2007, le taux de croissance était de 6 %, puis l’Afrique a fait preuve d’une résilience remarquable durant la période suivant la crise financière de 2007-2008. 29. Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po-10-11-2014. 30. La Chine est devenue le premier partenaire commercial pour l’Afrique (93 milliards d’exportations et 69 milliards d’importations) mais également l’Inde et le Brésil. 31. Khennas, 2008 : étude non publiée. 32. Ce dernier objectif est associé au principe de paiement aux résultats : plutôt que financer des actions visant à atteindre des résultats, il semble plus rentable de payer directement et de manière conditionnelle à l’obtention des résultats. Pour ces trois raisons, leur développement en Afrique semble prometteur. Mais pour en tirer le meilleur parti, les pays africains doivent encore mettre en place des cadres institutionnels adaptés. La clarification de la tenure des terres représente un défi majeur alors que les droits exclusifs sur les terres sont rares (les États étant souvent légalement présumés propriétaires des terres) et les conflits fonciers nombreux. Il s’agit également de renforcer les capacités d’organisation des populations locales et de mettre en place les mécanismes légaux, institutionnels et fiscaux nécessaires pour générer de nouvelles sources de financement pour la conservation de la nature. Les financements climatiques, qui sont au cœur des négociations internationales devant aboutir en fin d’année à Paris à un accord global sur le climat, sont particulièrement visés. Les PSE pourraient permettre de mieux accéder à ces fonds et les canaliser jusqu’aux populations locales.

Croissance verte et développement durable : options pour l’émergence de l’Afrique au XXIe siècle Siaka Coulibaly Représentant résident adjoint Programme et Opérations du PNUD au Togo

Luc-Joël Grégoire Directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction Notre monde est confronté aux limites de son modèle de développement, qui s’est principalement fondé sur la recherche d’une croissance économique à tout prix, une énergie fossile peu chère et disponible, et qui a eu pour conséquences, l’augmentation exponentielle des émissions de gaz à effet de serre et une dégradation rapide et parfois irréversible de l’environnement. La planète est en état de surchauffe et pas seulement sur le plan climatique. De façon très inégalitaire, l’humanité utilise 50 % de plus de ressources que la Terre ne peut en reconstituer. D’ici à 2030, elle consommera l’équivalent de deux planètes supplémentaires, selon le rapport 2012 du WWF (World Wildlife Fund) sur l’état du monde. Depuis 2000, chaque année, 13 millions d’hectares de forêts disparaissent. Dont près d’un tiers sur le continent africain. Les océans, exposés à la surpêche et à l’acidification de leurs eaux, s’appauvrissent. Partout, la biodiversité recule : moins 28 % entre 1970 et 2008 à l’échelle du globe et moins 61 % rien que dans les régions tropicales, selon l’indice spécifique bâti par WWF. La plupart des stratégies de développement et de croissance économiques ont favorisé l’accumulation rapide de capital physique, financier et humain, au prix d’un épuisement et d’une dégradation excessifs du capital naturel. Ce schéma de développement et de croissance, qui épuise le stock de richesse naturelle, souvent de manière irréversible, nuit au bien-être des générations actuelles et placera les générations futures devant des risques et des défis considérables. Les multiples crises récentes en sont symptomatiques. Dans ce contexte, l’économie verte reste un espoir, un nouveau levier pour l’économie mondiale et le continent africain. L’abondance des ressources natu-

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relles1 renouvelables et non renouvelables de l’Afrique est une richesse connue et reconnue. S’appuyant sur le concept élargi de développement durable, le modèle de croissance verte2 offre une voie permettant d’optimiser les synergies entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Il s’agit de promouvoir une utilisation plus efficace des ressources, avec une pollution et des compromis minimisés.

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Pour l’Afrique, la priorité consiste à renforcer la sécurité des moyens de subsistance et à accroître la prospérité économique. La promotion de la croissance verte sur le continent implique de s’attaquer aux défis existants et émergents3 en matière de développement4, sans s’enfermer dans les voies archaïques qui appauvrissent le capital naturel de l’Afrique et aboutissent à des économies plus vulnérables au changement climatique et à d’autres risques environnementaux.

Les défis et enjeux de la croissance verte et du développement durable en Afrique La croissance ver te, outil de développement durable, peut répondre à de nombreux défis et enjeux : • maintenir une croissance économique soutenue5 ; • réduire le chômage et le sous-emploi ; • limiter l’épuisement des ressources naturelles6, la dégradation de l’environnement et les impacts du changement climatique7 ; • promouvoir la transformation des modes de production tout en réduisant les impacts environnementaux des industries et des zones urbanisées8 ; • assurer la sécurité énergétique9 ; • assurer la sécurité alimentaire10 ; • répondre aux défis du développement et de l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) ; • renforcer l’accès aux marchés internationaux11 ; • renforcer l’intégration et la coopération au développement12. La transition vers ce nouveau modèle de croissance suppose un vaste effort d’investissements13 dans plusieurs domaines : • l’adaptation du stock d’équipements et de bâtiments existants ; • le déploiement de nouveaux réseaux d’infrastructures, notamment dans le domaine de l’énergie et des transports ; • un effort de recherche et d’innovation pour faire émerger de nouvelles technologies et de nouveaux modèles économiques ; • la levée des barrières institutionnelles et la nécessité d’une mise en cohérence de façon inclusive des dispositifs institutionnels et de gestion du développement durable ; • une institutionnalisation de l’intégration du développement durable dans les politiques et stratégies nationales et les programmes d’actions.

Les orientations de politiques Bien que les politiques actuelles promeuvent la croissance verte, de nouvelles orientations14 doivent pouvoir permettre de lancer véritablement une démarche vertueuse de croissance verte :

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• il s’agit de développer des politiques15 consensuelles à long terme, fondées sur une croissance inclusive et une prise en compte affinée de l’environnement ; • faire émerger une vision orientée vers un développement propre16 ; • lancer d’importants programmes17 d’énergie renouvelable18 et de rénovation énergétique ; • créer des filières vertes19. Bien qu’il soit nécessaire, à ce niveau, d’opérer des choix difficiles, l’adoption d’une approche axée sur une économie verte ne signifie pas qu’il faille pour autant opter pour un élément au détriment des deux autres dans l’équation alliant croissance, progrès social et durabilité environnementale. Grâce à une planification intersectorielle affinée, des cadres de politique solides et une approche privilégiant une gouvernance inclusive, l’économie verte peut être promue de manière à limiter l’apparition, à long terme, d’éventuels préjudices à l’encontre de certains groupes sociaux ou secteurs économiques, tout en augmentant l’accès aux investissements économiques de manière à réduire les inégalités et à promouvoir le bien-être social. La conception et la mise en œuvre d’approches intégrées fondées sur l’économie verte inclusive doivent être étayées par des données plus pertinentes sur le plan socio-économique et environnemental. Les décideurs et les partenaires de la société civile et du secteur privé doivent également disposer d’un ensemble d’instruments de politique, de mesures et de méthodologies plus sophistiqués, susceptibles d’être adaptés et capables de répondre aux besoins des contextes nationaux, dans leur diversité. L’agriculture durable doit constituer un levier majeur pour promouvoir une croissance génératrice de revenus, équilibrée, inclusive et créative d’emplois décents. Le développement industriel guidé par des politiques industrielles vertes est au cœur des politiques de développement en Afrique. Le développement industriel vert, selon l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) consiste à mettre en place des industries qui sont « efficientes en termes de ressources et d’énergie, non polluantes, peu carbonées, peu génératrices de déchets, sûres et dont les produits sont gérés d’une manière responsable pendant tout le cycle de vi ». Trois types de politiques industrielles vertes à mettre en œuvre en Afrique sont à l’œuvre : • des politiques visant à accroître l’efficience industrielle des ressources dans le cadre du verdissement des industries20 ; • des politiques visant à atténuer l’impact environnemental négatif dans le cadre de la transformation structurelle des modes productifs 21 ; • des politiques visant à mettre en place les capacités d’exportation et de production de nouvelles industries vertes22.

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Les pays africains por tent progressivement une attention par ticulière à la transformation structurelle de leurs modes de production dans le cadre de programmes régionaux de développement. Des initiatives partenariales sont également conduites avec le secteur privé pour assurer une insertion durable des économies africaines dans les chaînes de valeurs et l’accès aux technologies vertes. Pour ce faire, les institutions de conseil à l’investissement, les centres de promotion des exportations et les structures du secteur privé doivent assurer une veille stratégique et une coordination de leurs politiques pour promouvoir des technologies vertes compétitives et créatrices d’emplois décents en Afrique. Le programme économie verte23 en Afrique (ou P-EVA) s’inscrit résolument dans cette démarche. Il est le fruit d’une collaboration multipartite, regroupant les partenaires suivants : – l’Institut de la francophonie pour le développement durable (IFDD), organe subsidiaire de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ; – le Centre international des technologies de l’environnement de Tunis (CITET) ; – l’Université Senghor d’Alexandrie ; – l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) ; – l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ; l’association Énergies 2050. L’ambition de cette collaboration multipartite est de concevoir et de mettre en œuvre un programme de renforcement des capacités et d’accompagnement sur l’économie verte pour les pays africains notamment francophones. L’objectif général du programme économie verte de l’Afrique est de promouvoir l’élaboration et la mise en œuvre de politiques vertes aux niveaux national et régional, dans une perspective de développement durable et d’élimination de la pauvreté. Il s’agit de favoriser le plaidoyer politique, l’assistance technique, la production de connaissances et la mobilisation de ressources.

Les bonnes pratiques initiées sur le continent L’Afrique a fait ces dernières années des progrès dans la création d’un cadre favorable à l’émergence de la croissance verte. Aux niveaux régional et national, l’Afrique a initié un grand nombre d’accords, de protocoles et de lois relatives à la protection et à la gestion de l’environnement tout en définissant de nouvelles politiques industrielles. Ainsi, la plupart des pays sont signataires de conventions internationales sur l’environnement et d’accords environnementaux multilatéraux (AEM). Des organismes comme le secrétariat conjoint de la Commission de l’Union africaine, la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et la Banque africaine de développement (BAD) ont joué un rôle prépondérant dans la mise sur pied et le lancement de grandes initiatives régionales pour faire avancer le programme de développement durable de l’Afrique, telle que l’initiative de la politique foncière du programme ClimDev-Afrique. L’agence du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) a également adopté un certain nombre de grandes directives-cadres et des programmes qui intè-

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grent les préoccupations environnementales dans le développement durable, à l’instar du programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA), le plan d’action environnemental (PAE), le plan d’action infrastructure à court terme (PACT), la directive-cadre Eau et Énergie, le cadre stratégique de développement des capacités (CSDC) et plus récemment, le programme de développement rural. La conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE) est une plate-forme qui a joué un rôle déterminant par rapport à la position commune de la région en matière de changements environnementaux et climatiques en mettant les stratégies de négociation et l’information à la disposition des négociateurs et dirigeants de la région. Les décideurs et autres parties prenantes dans les pays africains reconnaissent de plus en plus que les anciens modèles de développement n’ont pas tenu les promesses de croissance durable ou de développement équitable. Des débats intenses ont émergé sur la manière de passer structurellement des anciens modèles de croissance intense dans lesquels les progrès ont été réalisés au détriment de l’environnement à ceux dans lesquels la productivité est améliorée par l’utilisation et la gestion des ressources naturelles de façon plus équitable, efficiente et efficace. Les dialogues régionaux et nationaux actuels sur l’économie verte illustrent une reconnaissance croissante par les dirigeants africains, les institutions de recherche et la société civile, de la nécessité de s’attaquer à certains des problèmes systémiques de l’économie actuelle. Ces débats ont également redynamisé les concepts et les outils importants, tels que la comptabilité verte, l’évaluation environnementale et l’analyse des politiques qui permettent de veiller à ce que les marchés et les politiques intègrent la totalité des coûts et des revenus des impacts sur l’environnement, tout en offrant des possibilités de mesurer la transition vers une économie verte au niveau macroéconomique. Dix pays africains ont signé lors du Sommet africain sur le développement durable au Botswana en 2012, la déclaration de Gaborone qui valorise les aspects environnementaux et sociaux du progrès et reconnaît les limites du produit intérieur brut comme mesure du bien-être et de la croissance durable. La Banque africaine de développement (BAD), en partenariat avec la Banque mondiale, les Nations Unies et l’OCDE, a présenté une boîte à outils sur la croissance verte inclusive lors du Sommet des dirigeants du G20 à Los Cabos, au Mexique, en 2012. Cette boîte à outils est le fruit d’une collaboration étroite entre les quatre organisations internationales, dans laquelle la BAD, à travers le dépar tement de l’énergie, de l’environnement et du changement climatique (ONEX) a joué un rôle actif et s’est assurée que les points de vue des pays à faible revenu, en particulier ceux qui sont situés en Afrique, soient suffisamment pris en compte. La boîte à outils constitue un document vivant qui devra être périodiquement mis à jour à mesure que de nouveaux outils et instruments se développent. En outre, la consultation permanente sur ces outils entre les différentes institutions (organisations internationales, groupes de réflexion, donateurs bilatéraux) qui soutiennent la croissance verte inclusive pourra conduire à des approches et des pratiques communes et promouvoir une meilleure compréhension de la façon dont les différents outils se complètent mutuellement.

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Perspectives et recommandations Malgré des progrès significatifs concernant les mesures politiques, juridiques et l’adoption de nouvelles approches visant à améliorer la gestion durable des ressources, les modèles économiques continuent d’accorder une attention insuffisante aux paramètres écologiques dans la planification du développement, les politiques publiques et les investissements 24, ainsi que dans les normes et l’engagement du secteur privé. Des mesures concrètes 25, fortes et comprises de tous, doivent être adoptées en fonction des points critiques environnementaux mesurés et identifiés comme étant les plus impactants.

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Avec les préoccupations croissantes sur les limites des modèles de croissance actuels, la gestion non durable, inefficace et inéquitable des ressources ne peut se concevoir face aux impératifs de la transformation du monde rural dans le contexte de l’économie verte et des nouveaux cadres en faveur du développement durable. L’adoption de politiques et de technologies durables en matière de gestion des ressources naturelles fait déjà partie intégrante du discours sur le développement rural, mais la recherche et l’application de modèles plus durables et inclusifs doit s’intensifier. Les stratégies en faveur de la croissance verte doivent être adaptées aux spécificités des pays. Elles devront prendre effectivement en considération la façon de gérer tout arbitrage potentiel et d’exploiter au mieux les synergies entre croissance verte et réduction de la pauvreté. Il s’agira notamment de mettre à la disposition des populations des infrastructures plus efficientes, des technologies adaptées et des services énergétiques modernes et durables. Il sera également nécessaire de convenir des mesures permettant d’identifier et de mettre un terme aux mauvaises politiques et pratiques aux niveaux local 26 et régional, et par la même occasion, de promouvoir stratégiquement des nouvelles opportunités qui permettront une croissance verte durable et créatrice d’emplois décents. La transition vers des politiques plus vertes dépendra essentiellement de la capacité à résoudre les problèmes liés aux politiques de gouvernance environnementale. À cet égard, il apparaît important d’adapter le législatif pour inciter, faciliter et mettre à la portée de chaque acteur potentiel de la croissance verte, des moyens concrets de s’impliquer et de coopérer avec d’autres. Les nouveaux textes doivent créer l’élan d’une écologie positive qui lève les freins, libère les initiatives et apporte dès aujourd’hui des bénéfices tangibles à chacun. Il convient également d’adapter le législatif pour organiser la complémentarité des énergies dans la perspective dynamique d’un nouveau modèle énergétique évolutif et plus diversifié. Face aux défis et enjeux mentionnés, certaines réformes seront indispensables. Quelques pistes évoquées ci-dessous permettent de juger de l’ampleur du travail à accomplir : • l’adoption d’une législation imposant aux entreprises l’obligation de procéder régulièrement à des évaluations de l’impact environnemental et à des audits environnementaux, législation qui devrait être appuyée par des régimes de suivi et de vérification assortis de sanctions ; • la promulgation dans le domaine de l’environnement de lois et de règlements sanctionnant les entreprises qui nuisent à l’environnement ainsi que la création ou le renforcement des agences de protection de l’environnement ;

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• la mise en place de subventions ou d’exonérations fiscales accordées aux entreprises pour récompenser l’adoption d’énergies renouvelables et de procédés écologiquement rationnels ; • la mise en place de programmes de marchés publics industriels verts et l’incorporation de conditions vertes dans les marchés publics ; • des campagnes d’information ciblées sur les PME pour mettre en lumière les avantages économiques à attendre du passage à des modèles économiques verts et les possibilités d’exportation résultant d’une économie mondiale verte ; • l’application de politiques en faveur de l’IED (Innovations Environnement Développement) à faible teneur en carbone et la création de zones industrielles spéciales à faibles émissions de carbone, qui ciblent les investissements provenant de sociétés transnationales utilisant des technologies environnementales ; • l’amélioration de la qualité de l’enseignement scientifique et technique dans les établissements scolaires et les universités pour une formation adaptée au développement durable ; • la création d’instituts de formation technique et professionnelle travaillant directement avec l’industrie ; • la création de programmes d’emploi pour les scientifiques et les ingénieurs s’engageant dans l’innovation « verte » ; • la délivrance de bourses aux étudiants pour leur permettre d’étudier dans des universités scientifiques et technologiques proposant des cursus de développement durable ; • la mise en place d’interactions entre le monde entrepreneurial et les centres scientifiques et technologiques en créant à cette fin des pôles industriels et des parcs technologiques verts ; • l’utilisation de l’infrastructure des technologies de l’information et de la communication pour rationaliser les processus productifs et les modes de consommations durables ; • une planification stratégique et inclusive pour l’accès rationnel aux ressources est également fondamentale. Devant la montée des conflits liés à l’utilisation des terres, la rareté des ressources et l’incer titude due au changement climatique, la planification de l’utilisation des ressources devient une composante de plus en plus centrale dans la planification du développement. Cela implique des changements juridiques et administratifs importants, qui pourront donner une impulsion importante, capable de consolider les droits des communautés locales dans les régimes27 de gestion des terres nationales et des forêts ; • la gestion écosystémique est indispensable : en réponse à la baisse des ressources naturelles critique, les efforts de conservation ont de plus en plus abandonné l’approche traditionnelle de réglementation des espèces par espèces, pour adopter une approche écosystémique de gestion, qui met l’accent sur l’interaction entre les composantes de l’écosystème au

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sein d’un paysage terrestre ou marin, tout en y intégrant les préoccupations humaines ; • la mise en œuvre de mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques28 doit être promue : le changement climatique a une influence notable sur les perspectives de transformation économique de l’Afrique. Les pays africains individuellement et collectivement commencent à s’aligner autour des cadres et des investissements visant à atténuer les difficultés socio-économiques et environnementales imminentes ; • lancer des programmes de certification environnementale29 permettant de reconnaître les efforts en matière d’agriculture durable ou équitable est aussi essentiel. • jouer la car te de l’innovation 30 doit constituer une priorité pour l’Afrique : la science, la technologie et les innovations ont un rôle important à jouer dans la réalisation des Objectifs de développement durable de l’Afrique. Pour que l’Afrique s’attaque aux problèmes urgents de l’environnement tels que l’utilisation non durable des ressources et la vulnérabilité au changement climatique, la priorité doit être accordée à la recherche scientifique et au développement des technologies favorisant l’utilisation efficiente et écologiquement rationnelle des ressources. Il est indispensable de promouvoir en Afrique des industries vertes comprenant des équipements et matériels alimentés par des énergies renouvelables, tels que les chauffe-eau solaires et les éoliennes de pompage, ainsi que les produits du recyclage, les produits biotechnologiques, les engrais pour cultures maraîchères, les savons et cires naturels, les ampoules fluorescentes. La croissance du marché des biens environnementaux s’accompagnera également d’une demande croissante de services environnementaux liés à l’installation, à l’entretien et à l’élimination des produits environnementaux. Il est aussi essentiel de promouvoir une révolution agricole authentiquement verte en Afrique et de renforcer les capacités commerciales des pays et leur compétitivité en tant que fournisseurs du segment des services environnementaux. Pour cela, deux options politiques devraient être engagées. Les politiques31 visant à accroître la productivité des terres, obtenue en poursuivant des politiques simultanées selon une approche intégrée pour s’attaquer aux facteurs multiples qui freinent les progrès de la productivité dans l’agriculture africaine : • encourager l’acquisition et l’adaptation des technologies étrangères aux conditions locales chaque fois que cela est nécessaire et possible ; • renforcer les capacités nationales pour la production de technologies agricoles autochtones innovantes (créer un soutien public à l’enseignement et à la recherche-développement). Les politiques visant à promouvoir la durabilité environnementale dans l’agriculture : l’intensification agricole durable se définit comme la production d’une plus

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grande quantité de produits obtenus à partir de la même superficie de terres tout en réduisant les impacts environnementaux négatifs et en accroissant en même temps les contributions au capital naturel et au flux de services environnementaux. Pour ce faire, il convient de : • mettre à profit les contributions des scientifiques et des agriculteurs dans des technologies et des pratiques qui associent les productions végétales et animales à une gestion écologique et agronomique appropriée ; • créer une infrastructure sociale nouvelle pouvant à la fois générer des flux d’information et créer des relations de confiance entre particuliers et institutionnels ; • améliorer les connaissances et les aptitudes des agriculteurs en recourant à des fermes-écoles, à des agriculteurs formateurs, à des vidéos et aux technologies modernes de l’information et de la communication ; • coopérer avec le secteur privé pour fournir des biens et des services et renforcer l’aptitude des agriculteurs à créer de la valeur ajoutée en développant leurs propres entreprises ; • mettre par ticulièrement l’accent sur les besoins des femmes dans le domaine de l’éducation, de la microfinance et des technologies agricoles et renforcer leur forme unique de capital social ; • veiller à ce que la microfinance et les services bancaires ruraux soient accessibles aux groupements d’agriculteurs (pour leurs besoins aussi bien dans le domaine de la consommation que de la production) ; • veiller à ce que le secteur public appuie la mobilisation des biens publics nécessaires pour une intensification durable de l’agriculture (systèmes de recherche innovants et efficaces, infrastructure sociale dense, incitations économiques appropriées (subventions et signaux émanant des prix), régime juridique de la propriété foncière et accès amélioré aux marchés facilité par l’infrastructure des transports).

Conclusion Si une transformation structurelle s’impose compte tenu des besoins et des défis fondamentaux de l’Afrique en matière de développement, elle ne doit pas se faire au détriment de la préservation de l’environnement. Les pays africains ne doivent pas reprendre le mode de développement réalisé précédemment, qui consistait à promouvoir la croissance économique aux dépens de l’environnement. Le développement durable en Afrique passe par des mesures délibérées, concertées et proactives pour promouvoir la transformation structurelle et le découplage relatif entre l’utilisation des ressources naturelles et l’impact environnemental d’une part et le processus de croissance de l’autre. Les pays africains étant hétérogènes, le choix optimal des moyens de découplage pourra varier selon les pays. Les pays africains doivent s’attacher à pro-

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mouvoir l’ambition d’une émergence « verte » fondée sur la transformation des secteurs productifs, l’amélioration de la productivité des ressources et l’atténuation des conséquences environnementales de l’utilisation des ressources. En outre, le document programme de développement pour l’après-2015 intitulé « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 », adopté le 25 septembre 2015 par le Sommet des Nations Unis, est un plan d’action pour une humanité et une planète protégées et solidaires. Ce document intègre 17 Objectifs de développement durable (ODD) et 169 indicateurs, intégrés et indissociables qui concilient les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Ce nouveau programme, qui est un appel à l’action pour changer le monde, promeut la dynamique de la croissance verte en encourageant une croissance économique soutenue, inclusive et durable, essentielle à la prospérité, investissant dans le capital naturel et le valorisant. La réussite d’une transition vers une économie verte implique une volonté politique avérée, la prise en compte des politiques et des stratégies par les mécanismes nationaux de planification, de même que la mise en place d’un cadre de financement suffisant.

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NOTES 1. Les ressources naturelles ont été un moteur important dans les progrès que de nombreux pays africains ont connu, dans leur développement au cours de la dernière décennie. Dans certains pays africains comme le Cameroun, le Ghana, le Kenya, le Mozambique, la Tanzanie, l’Ouganda ou la Zambie, l’agriculture et les secteurs à base de ressources naturelles constituent pas moins de 35 % du PIB et deux tiers des exportations. Inversement, dans les pays dotés de gaz et de pétrole comme l’Algérie, l’Angola, le Tchad, le Congo, la Guinée équatoriale, les ressources pétrolières et gazières restent prépondérantes. Les ressources naturelles sont intimement liées aux conditions d’existence et à la vie rurale et l’utilisation des ressources naturelles est source de multiples revenus. 2. L’économie verte est étroitement associée à l’innovation dans plusieurs domaines : l’économique, pour les activités de production, de transformation et de distribution ; le social, en termes d’équité de genre et géographique, de participation et de système organisationnel ; le technologique, en termes d’efficience et de sobriété ; l’environnemental, dans la prise en compte des différentes fonctions des écosystèmes. 3. Garantir à la population en âge de travailler (500 millions de personnes en 2020) une croissance socialement inclusive qui crée des opportunités économiques pour tous dans des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre (Grégoire, Haidara et Lensing-Hebben, 2010). 4. Permettrait de favoriser des investissements plus efficaces et respectant au mieux la préservation des ressources naturelles. 5. Diversification économique et accroissement de la valeur ajoutée, limiter l’impact du ralentissement économique. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (UNECA), les secteurs pouvant entraîner une transformation substantielle des modes de production vers une économie verte sur le continent africain sont : l’agriculture, le bâtiment, l’énergie, la pêche, la foresterie, l’industrie, le tourisme, le transport, les villes, les déchets et l’eau.Trois conceptions de dynamique du développement, de l’utilisation des ressources et des impacts environnementaux ont été développées : l’équation IPAT formulée par Ehrlich et Holdren (1971) et Commoner (1972) : facteurs qui déterminent le degré de l’impact environnemental enregistré au cours des différents stades du processus de développement. Un impact environnemental (I) dépend des niveaux de population (P), de la richesse (A) et de la technologie (T). I = P x A x T. Cette équation est utile pour exprimer dans quelle mesure chaque élément contribue à une situation qui n’est pas durable, mais elle peut aussi être interprétée comme un moyen d’évaluer le cheminement d’une économie vers la durabilité ; la courbe environnementale de Kuznets (CEK) : À mesure que les économies croissent et que le revenu par habitant augmente, la dégradation environnementale s’aggrave, mais au-delà d’un certain niveau de revenu, la qualité de l’environnement s’améliore ;

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Défis et enjeux du changement climatique le métabolisme socio-écologique et le changement structurel : concept apparu dans les travaux sur la durabilité et l’écologie industrielle, pour expliquer la relation entre économie et environnement. 6. Le développement reste intimement lié à l’évolution des secteurs liés à la terre, l’eau, la forêt et l’énergie. Les pressions exercées sur ces autres utilisations non planifiées des ressources naturelles auront une incidence directe sur la sécurité alimentaire des pauvres et des plus vulnérables (indice de la faim dans le monde, 2012). 7. Adaptation aux effets du changement climatique : tourisme, agriculture, foresterie, transport, bâtiment. La transformation rurale dépend de la productivité et de la santé des systèmes de ressources naturelles. Les populations rurales font face plus que par le passé à une détérioration à grande échelle de l’environnement, du fait de nombreux processus divers y compris l’expropriation des ressources, la rupture des systèmes traditionnels d’utilisation et de gestion de la terre, la commercialisation des produits agricoles, les investissements et les politiques macro-économiques inadéquates. Le lien entre le développement rural et les changements environnementaux est peut-être plus complexe aujourd’hui, et les évolutions tels que le changement climatique, la mondialisation et l’urbanisation changent rapidement le contexte et la façon dont la gestion durable des ressources naturelles doit être perçue, gérée et mesurée. 8. Pollution et gestion des déchets. 9. Réduire la dépendance aux combustibles fossiles et répondre à la demande énergétique croissante des pays africains. 10. Dans un contexte marqué par la raréfaction des ressources naturelles, le changement climatique, la forte dépendance vis-à-vis des importations (hausses des prix des aliments de base). 11. Promouvoir l’industrialisation et stimuler les PME, renforcer le respect des standards environnementaux. 12. Meilleur usage des accords de libre-échange, recherche et transfert de technologies, harmonisation du cadre réglementaire. 13.Tous ces investissements se caractérisent par un temps de retour long et parfois par un degré de risque élevé. 14. Charte nationale pour l’environnement et le développement durable en vue de l’intégration de l’environnement et de la croissance verte ; rédaction et application d’un plan national contre le réchauffement climatique ; promotion des énergies renouvelables et amélioration de l’efficacité énergétique : réaliser 15 % d’économie et atteindre 20 % de production d’électricité renouvelable en 2020, créer un programme national d’assainissement, un programme national de gestion des déchets ménagers, mettre en place un fonds capital carbone pour appuyer le développement de projets MDP ; ER, EE, gestion des déchets, reboisement, promouvoir le transport durable, appuyer l’objectif de ville verte, développer la filière agriculture biologique. 15. Renforcer le cadre institutionnel, réglementaire et financier, augmenter les financements publics alloués à l’environnement, développer les mécanismes financiers innovants (marché du carbone, mobiliser les fonds internationaux spécifiques), améliorer la cohérence entre les politiques économiques, environnementales et sociales, modifier/ajuster la réglementation des investissements et des politiques fiscales pour soutenir l’investissement privé dans les filières vertes, adopter les incitations positives en faveur des banques pour promouvoir les investissements verts, développer une véritable politique industrielle des filières stratégiques de croissance verte, clarifier les droits de propriété sur les ressources naturelles : une cause de défaillance du marché qui empêche une bonne gestion de l’environnement, renforcer les compétences des collectivités territoriales, sensibiliser le public sur les avantages liés à l’économie verte, renforcer la coopération régionale (partage des bonnes pratiques : réseaux existants, programmes conjoints de recherche et développement, approche harmonisée des politiques énergétiques et la mise en place d’instruments pour la création d’un marché intégré de l’énergie. 16. MDP pour la Tunisie, le Maroc et l’Egypte, FTP (BM) pour l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et l’Égypte, la lutte contre la pollution industrielle, développer de nouveaux secteurs porteurs de croissance verte (agriculture biologique, recyclage et valorisation énergétiques des déchets organiques, écotourisme, transports propres. 17. Partenariat avec le secteur privé national et étranger. 18. Le paradoxe énergétique : Le rôle important et de grande envergure que l’énergie joue dans le

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Développement durable en Afrique processus de développement est bien connu. Paradoxalement, malgré d’abondantes ressources énergétiques que possède l’Afrique, y compris les énergies renouvelables, de nombreuses personnes vivant dans les communautés rurales n’ont pas accès à un approvisionnement fiable en combustible pour cuisiner et éclairer leurs habitations ou leurs petites entreprises. Le fait qu’une personne vivant en Afrique subsaharienne ait la plus faible consommation d’énergie dans le monde amène à se poser des questions sur la façon dont ces personnes pourraient accéder à beaucoup plus d’énergie, tout en minimisant les émissions de gaz supplémentaires. 19.Transfert de technologies et formation (mise en place de technopoles qui associent des entreprises innovantes, des centres de recherche et des organismes de formation dans une démarche partenariale), créer des centres d’excellence (centres de production propre qui visent à améliorer la performance environnementale et économique des entreprises : audit environnemental, mise à niveau et formation), renfort des synergies entre les systèmes de formation, de production et de recherche, renfort des capacités liées aux nouveaux métiers : opter pour une importante politique de formation. 20.Trois grands défis que doivent relever les pays africains dans le contexte de l’accroissement de la productivité des ressources à mesure que l’industrialisation est encouragée afin d’accélérer la transformation structurelle : défi de l’investissement et de l’innovation dans les technologies dites technologies écologiquement rationnelles et de l’adaptation à ces technologies qui sont nécessaires pour induire des améliorations dans l’utilisation de l’énergie, de l’eau et des matières ; défi de la formation des capacités humaines qui donneront leur impulsion aux changements nécessaires dans les structures et pratiques managériales, organisationnelles et comportementales pour réaliser des gains d’efficience dans les industries ; défi financier, qui consiste à déterminer comment les petites et moyennes entreprises (PME) d’Afrique peuvent mobiliser des ressources pour accéder aux technologies et aux infrastructures nécessaires pour investir dans la productivité industrielle des ressources. 21. Politiques constituant à encourager le « verdissement » des industries, c’est-à-dire à promouvoir dans le développement industriel le recours à des procédés et à des pratiques compatibles avec un environnement durable. Il s’agit de politiques visant à sensibiliser, encourager, récompenser ou pénaliser les entreprises afin d’atténuer l’impact environnemental de leurs activités productives à chaque étape du cycle de vie de leur production. Un élément central du verdissement des industries consiste à assurer un découplage relatif de la production industrielle par rapport à l’accroissement des émissions de carbone et des rejets de polluants et d’effluents nocifs dans l’environnement. 22. Au moment où d’autres pays accélèrent leur passage à des économies vertes, les pays africains doivent être prêts à exploiter les chances qu’offre cette transition en se dotant d’avantages concurrentiels dynamiques pour la production et l’exportation et ce, dans de nouveaux secteurs verts. 23. Il s’articule en deux phases successives. Phase 1 : initiative économie verte en Afrique (I-EVA) – 2014 : élaboration d’un rapport bilan et perspectives de l’économie verte en Afrique francophone. Ce rapport dresse un état des lieux de l’économie verte en Afrique francophone et analyse les opportunités, au niveau national et régional, pour sa prise en compte. Phase 2 : programme économie verte en Afrique (P-EVA) – 2015-2018. 24. La question du financement a pour préalable l’analyse, sur le plan économique, des scenarii d’investissements. Le problème de financement peut être qualifié d’externalité. Comme le rappellent Alain Quinet et Didier Janci, le financement de ces investissements se heurte à plusieurs difficultés structurelles : les marchés sont incomplets : l’absence des générations futures, principalement concernées par le changement climatique et l’épuisement des ressources, qui empêche le partage des coûts et des bénéfices entre générations, est une donnée fondamentale du bouclage du financement de la croissance verte. Du fait de cette incomplétude, les marchés ne permettent pas une allocation efficace des risques entre générations, ce qui pose un véritable problème en termes d’équité sociale comme d’anticipation des risques ; les marchés financiers sont imparfaits, rendant difficiles le financement des projets de long terme et risqués ; le fort degré d’incertitudes (environnementales, économiques, réglementaires) soulève des difficultés de valorisation du risque qui complique les choix d’investissement ;

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Défis et enjeux du changement climatique les États sont sous forte contrainte budgétaire. Quatre conditions en découlent : la vérité des prix écologiques, l’implication des investisseurs de long terme, le développement des supports pour mobiliser l’épargne vers ce type de projets et un bon partage des risques entre public et privé. Ce partage public-privé peut prendre plusieurs formes : couverture partielle de l’état du risque « projet » dans le cadre de contrats de partenariat pour les grands projets d’infrastructures, mutualisation du risque de projets par des co-investissements en fonds propres pour le développement de l’innovation, garanties accordées par l’État aux emprunts pour apporter des fonds propres et des prêts à long terme aux entreprises en phase de démarrage (modèle du SBIC américain). La question du financement se pose avec une acuité particulière à propos des subventions à l’innovation. Certes, l’établissement de prix écologiques est un élément déterminant, pour déclencher les investissements dont la rentabilité dépend de la rémunération relative future anticipée des technologies propres par rapport aux produits actuels. Des subventions sont donc nécessaires pour corriger ces imperfections des marchés, mais elles n’ont pas vocation à être permanentes. En revanche, il est intéressant de les mettre en place tôt, l’écart entre les technologies polluantes et propres devenant souvent plus difficile à combler avec le temps. Par ailleurs, ces subventions doivent être différenciées en fonction des économies attendues, qui sont en effet variables selon les types de technologies, et peuvent justifier à ce titre un taux plus élevé pour le photovoltaïque que pour l’éolien et la biomasse. S’agissant d’investissements longs et innovants, l’importance de la visibilité et la confiance dans le cadre réglementaire, qui supporte la rentabilité de l’investissement, l’importance des phases de derisking (R & D, démonstrateurs) et la nécessité de trouver le bon profil d’investisseur, à chaque phase du projet (capital-risque en phase amont, épargne et dette en phase aval). 25. Par exemple, des logements mieux isolés donc des factures en baisse avec un crédit d’impôt et un prêt à taux zéro pour financer les travaux de rénovation énergétique, des déplacements propres, plus économes et moins polluants, moins de déchets et moins de gaspillage avec le développement du recyclage, du réemploi et de la valorisation des déchets, une consommation d’électricité et de gaz mieux maitrisée grâce à l’installation de compteurs intelligents qui offrent une information en temps réel aux usagers, le déploiement des énergies renouvelables, des pouvoirs publics exemplaires et des collectivités locales soutenues dans leur démarche de réduction de la consommation énergétique, ainsi que des outils pour favoriser la qualité de l’air. 26. Effort concerté et engagement croissant de toutes les communautés, des ONG locales, des autorités gouvernementales, des entreprises, des consommateurs nationaux, du secteur privé et des bailleurs de fonds. 27. Généralisation des plans fonciers ruraux qui ont été aménagés dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest. 28. En intégrant le droit coutumier. 29. La question du changement climatique est particulièrement préoccupante pour le développement rural en Afrique. La nécessité d’une révolution énergétique pour sauvegarder le climat et assurer la sécurité énergétique est primordiale. Les scenarii de réduction compatibles avec un réchauffement contenu à 2,4 / 2,8 °C nécessitent une ré-allocation drastique des investissements, et de la transformation de paradigmes énergétiques, passant des combustibles fossiles aux technologies dites propres. 30. Permet d’associer le commerce et l’environnement à travers de nouveaux mécanismes tels que les systèmes de certification. Ces programmes sont des outils importants pour la réduction des impacts environnementaux majeurs causés par les modes actuels de production des matières premières. 31. Par exemple, les travaux du groupe d’experts africains de haut niveau sur la biotechnologie mobilisés par l’Union africaine ont relevé et encouragé certains développements positifs dans des domaines tels que les techniques de surveillance et d’évaluation (y compris la télédétection et la technologie spatiale), les technologies de l’information et de communication (TIC) et la biotechnologie. 32. Ces politiques devront englober des éléments provenant de la réforme législative, institutionnelle et réglementaire, du système d’incitations mis en place, du renforcement des capacités et de la mobilisation financière. Un élément important dont dépend l’accroissement de la productivité des terres en Afrique, c’est l’amélioration de la gestion durable des ressources foncières qui sera le résultat des réformes de gouvernance institutionnelle comportant des réformes des régimes fonciers, des institutions foncières et de la réglementation du foncier et de ses ressources.


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Bonnes pratiques de gouvernance environnementale en Afrique Nasseré Kaba Directrice de cabinet du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire

Emma Ngouan-Anoh Représentante résidente adjointe au bureau du PNUD en Union des Comores

Introduction Le continent africain est confronté depuis trente ans à des défis environnementaux sans précédents qui l’ont conduit à mettre en place une gouvernance1 environnementale. La gouvernance du développement durable a donné lieu à un large débat et fait l’objet de diverses propositions de réforme, notamment parce que les trois piliers du développement humain durable ne sont pas suffisamment intégrés. L’Union africaine œuvre au développement durable dans le cadre des programmes et instruments de sa commission (CUA) et du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD 2).

Contexte Les pays africains ont participé au débat sur la gouvernance internationale de l’environnement à tous les niveaux. En juin 2011, à Malabo, lors de la 18e session ordinaire de la conférence de l’Union africaine, la décision a été prise de réviser les cadres institutionnels pour le développement durable en vue de prendre en compte la nécessité de renforcer, de consolider et de transformer le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) en une institution internationale spécialisée pour l’environnement, qui aura son siège à Nairobi. Le plan d’application de Johannesburg recommande en outre aux commissions régionales de promouvoir, dans leurs activités, l’intégration équilibrée des

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trois dimensions du développement durable, de faciliter et de promouvoir une intégration équilibrée des dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable dans les États membres et les politiques régionales de développement. Au sein de la Commission de l’Union africaine (CUA), le département de l’économie rurale et de l’agriculture coordonne les activités en matière de développement durable. Les initiatives spécifiques pour le développement durable menées par la CUA incluent : • le Programme de surveillance de l’environnement en Afrique pour un développement durable, dont les conclusions seront incorporées aux processus de planification et de décision ; • le renforcement des capacités en matière de comptabilité des ressources naturelles ; • la mise en place du Forum du développement durable ; • la Grande Muraille verte du Sahara ; • Le projet ClimDev. La Conférence ministérielle africaine sur l’environnement3, la Conférence ministérielle africaine sur l’eau, le Conseil ministériel africain sur la science et la technologie, la Conférence ministérielle africaine sur le logement et le développement urbain et le Forum africain des ministres de l’Énergie font partie des divers comités techniques spécialisés dont la création a été actée dans l’article 5 de l’acte constitutif de l’Union africaine. La Conférence ministérielle africaine sur l’eau4 a établi des liens entre les institutions et les programmes initiés par les communautés économiques régionales 5 , dont les activités en matière d’eau demeurent marquées par la quasi-absence de coordination. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) a spécialement reçu pour mandat du Sommet mondial pour le développement durable et de l’assemblée générale des Nations Unies d’intégrer le développement durable dans son propre programme de travail et d’aider les États et les organisations régionales et sous-régionales africains à en intégrer les trois dimensions de manière équilibrée. En application de ce mandat, la CEA a pris plusieurs mesures, dont la mise en place de divers comités sectoriels comme le comité de sécurité alimentaire et du développement durable (dont le prédécesseur était le comité africain du développement durable), la tenue des réunions régionales d’application, la création du mécanisme de coordination régionale en appui de l’Union africaine et au NEPAD et la publication du rapport sur le développement durable en Afrique. En outre, la Commission a élaboré et exécuté des programmes dans des secteurs précis comme les changements climatiques, l’eau, le secteur minier et le commerce. Enfin, elle s’est engagée dans un exercice de réforme interne et de réorganisation pour mieux répondre aux tâches qui lui ont été confiées par le Sommet mondial et l’assemblée générale dans sa résolution 57/7.

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Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) constitue le réseau de développement des Nations Unies. Il est présent dans quelque 45 pays africains et intervient, principalement, outre les questions intersectorielles d’égalité entre les sexes et d’autonomisation des femmes, dans les quatre domaines suivants : • réduction de la pauvreté et promotion des objectifs du développement durable (ODD) ; • gouvernance démocratique ; • environnement et énergie ; • prévention des crises. Le PNUE définit la marche à suivre au niveau mondial dans le domaine des questions environnementales, favorise la mise en œuvre cohérente du volet environnement du développement durable dans le cadre du système des Nations Unies et plaide d’une voix qui fait autorité en faveur de la défense de l’environnement mondial. Outre sa stratégie à moyen terme axée sur six domaines thématiques intersectoriels, le PNUE a adopté un cadre stratégique pour l’Afrique qui offre une orientation stratégique et définit les modalités concernant l’analyse des défis et des perspectives liés à l’environnement et au développement, tout en prévoyant des mécanismes de mise en œuvre de ce cadre pour l’Afrique. Depuis 1995, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) possède un département du développement durable pour répondre au besoin d’adopter une démarche globale et stratégique en appui au développement et à la lutte contre la pauvreté. Le département met l’accent sur quatre dimensions clés de la durabilité, notamment la durabilité des moyens de subsistance, la transformation agraire et la gestion des ressources naturelles.

Défis et enjeux L’Afrique constitue depuis des siècles une base de ressources vitales pour la majeure partie de l’humanité. Toutefois, elle n’a que peu tiré parti de cet atout même si des avancées significatives ont été enregistrées sur le plan de la croissance. Les défis du développement durable sur le continent restent essentiels. For t heureusement, les dirigeants africains sont, à présent, par ticulièrement engagés 6 à modifier la donne et à satisfaire les aspirations de leurs peuples. Pour les aspects environnementaux, ils sont à présent forts documentés. Les pays ont fait l’objet d’études approfondies dans le cadre de la Stratégie régionale africaine pour l’environnement (SRAE) de la Banque mondiale, des perspectives de l’environnement dans le monde et en Afrique du PNUE, ainsi que de l’évaluation réalisée à l’intention du secrétariat conjoint élargi. L’examen de la gouvernance du développement durable au niveau national montre que le principal problème réside dans le fait que les ministres de la

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Planification et des Finances demeurent encore peu associés aux réflexions sur les défis et enjeux du développement durable. Dans bon nombre de pays, le développement durable relève toujours du ministère de l’Environnement étant donné que les autorités nationales considèrent généralement le développement durable comme un problème environnemental plutôt que comme l’un des trois piliers du développement durable. La gouvernance environnementale est confrontée à de nombreux défis qui peuvent prendre différentes formes, qui vont de l’ignorance des règles et des règlements aux pratiques frauduleuses, en passant par l’abus de pouvoir et l’exploitation et le commerce illégaux des produits. Elle est confrontée à la conversion illégale des forêts à d’autres utilisations des sols (déforestation) et l’utilisation irrationnelle des ressources (conduisant à la dégradation des milieux et l’impossibilité de prévoir une bonne gouvernance des ressources). La dégradation de l’environnement est aussi la conséquence de la pauvreté et des pressions démographiques. L’accroissement rapide de la population peut amener, en fait, un pays à dépasser sa capacité de charge, entraînant ainsi l’accélération de la perte des sols et de la désertification rapide. Aux besoins d’une population croissante s’ajoutent ceux d’un cheptel en augmentation rapide. Le défrichement des terres pour l’élevage bovin en liberté et le surpâturage figurent parmi les principales causes du déboisement et de la dégradation des sols. Toutes ces mauvaises pratiques ont un impact important et la plupart du temps négatif sur les moyens de subsistance, le bien-être des communautés mais aussi sur l’application des principes de bonne gouvernance. L’exploitation illégale des ressources, bois d’œuvre, bois de chauffe, plantes médicinales, faune, a un impact écologique important en Afrique et tout particulièrement en Afrique de l’Ouest. En conséquence, les forêts de l’Afrique de l’Ouest deviennent de plus en plus vulnérables aux changements climatiques et les ressources en eau ainsi que celles du sol se dégradent, ce qui contribue à l’augmentation de la vulnérabilité du monde rural, à la réduction de la qualité de l’environnement et à une perte importante de revenus gouvernementaux en raison des taxes et redevances non versées. Les questions suivantes exigent une attention particulière : • les opérations transfrontalières illégales constituent un phénomène complexe en Afrique et son étendue est difficile à quantifier. Dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, les situations post-conflictuelles exacerbent ce problème ; • la plupart des pays ont une législation qui règle l’exploitation et le commerce mais la capacité d’application est faible et la corruption est un obstacle important à l’application d’une bonne gouvernance ; • l’extraction illégale des ressources et le commerce connexe au niveau national et international sont la conséquence de la faiblesse des politiques intersectorielles, du manque d’engagement des parties prenantes pour respecter et faire appliquer les politiques et les réglementations, du cadre régulateur et législatif insuffisant et de la capacité institutionnelle limitée en matière d’application des lois ;

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• des restrictions excessives à l’accès aux ressources imposées par la loi (notamment des droits de propriété non clairs et non garantis et les procédures trop bureaucratisées) peuvent encourager l’exploitation illégale des ressources ; • l’exploitation illégale des ressources fausse les marchés et influe négativement sur la rentabilité et la compétitivité des filières ; • le degré de mise en œuvre des politiques et des lois, le degré de compréhension des questions relatives au respect des lois, l’utilisation des nouvelles technologies et la participation des communautés locales au suivi 7 de l’application des lois est variable au sein des pays du continent, le partage des connaissances et des expériences est donc extrêmement important à cet égard. Les problèmes relatifs à l’application des lois et aux enjeux de gouvernance ont récemment été l’objet d’une attention particulière au cours de différents forums et processus internationaux de concertation. Il est toutefois encore difficile d’évaluer dans quelle mesure le non-respect de la législation et une gouvernance faible influent sur les moyens d’existence locaux et sur l’économique des nations et quelle est la meilleure façon d’affronter ces carences dans l’optique d’une gestion durable de l’Afrique. Les États d’Afrique centrale sont conscients des défis qui se posent en termes de paix et de sécurité, ainsi que des risques qui pèsent sur le développement équilibré 8 et intégré de la région. L’architecture de paix et de sécurité mise en place en réponse à ces défis constitue peut-être la meilleure stratégie de développement durable pour la région. Il convient, dans le cadre de la subsidiarité, de renforcer les liens entre l’architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine et le Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale (COPAX) en créant des capacités adéquates. Malgré les progrès accomplis, il subsiste un certain nombre de défis, notamment la fragilité et la faiblesse des institutions, des instruments et des processus ainsi que la dépendance des organismes de surveillance et de défense des droits à l’égard des pouvoirs publics. Par ailleurs, les problèmes d’environnement auxquels l’Afrique est confrontée sont exacerbés par la marginalisation croissante dont certains pays, notamment les plus démunis, sont l’objet dans le processus de mondialisation9. À la lumière des principales contraintes et opportunités du développement durable en Afrique et compte tenu des grands principes sous-tendant le développement durable, un certain nombre d’enjeux essentiels peuvent être identifiés : • inverser la tendance à la dégradation des sols et à la désertification10 ; • protéger les zones côtières11 ; • protéger les biens publics mondiaux12 ;

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• améliorer la santé publique13 ; • renforcer les capacités de gestion des catastrophes ; • promouvoir les pratiques durables de l’industrie14 , de l’exploitation minière15 ; • améliorer la gestion de l’environnement en milieu urbain16 ; • améliorer la gouvernance environnementale17, renforcer les institutions et leurs capacités18, poursuivre la mobilisation et la sensibilisation19 des parties prenantes à l’action de développement.

Orientations de politiques Le cadre d’action de la politique environnementale repose fondamentalement sur le concept20 du développement durable. Bien que les principes de durabilité soient internationalement admis depuis des décennies, leur traduction en objectifs spécifiques de gestion de l’environnement s’est heurtée à des problèmes sur le plan tant pratique que théorique. En adoptant le concept de développement durable comme cadre de l’action environnementale, les politiques nationales veulent s’ancrer dans la réalité du terrain en Afrique. En fait, à la différence des autres continents, les pays africains ont été confrontés dans les années 1990 à des problèmes de transition politiques, économiques et écologiques majeurs. Le continent s’est heurté à de nombreux défis écologiques perdant ses ressources naturelles à un rythme relativement rapide par rapport aux autres régions du monde. Cette dégradation est essentiellement le fait de la pauvreté et les plus démunis deviennent immanquablement victimes de la perte continue de ces ressources, dont ils dépendent pour leur survie. L’appauvrissement est un processus dynamique mû par un certain nombre d’autres processus, notamment la perte constante du contrôle sur les ressources locales et les conséquences négatives sur les moyens de subsistance ayant pour noms : surexploitation, empiétement des pratiques de l’agriculture commerciale intensive, érosion et perte de moyens. Il est impératif que la politique environnementale veille à prendre en compte les problèmes démographiques et notamment urbains. Le plan d’application de Johannesburg prend en compte la dimension régionale du développement durable et prévoit une série de mesures visant à renforcer le cadre institutionnel du développement durable à l’échelon régional. Au nombre de ces mesures figure la poursuite de la mise en œuvre, à l’échelle régionale et sous régionale, du programme d’Action 21 et des résultats du Sommet mondial sur le développement durable par le biais de commissions régionales et autres institutions et organismes régionaux et sous-régionaux. Le plan d’application de Johannesburg recommande en outre aux commissions régionales de promouvoir, dans leurs activités, l’intégration équilibrée des

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trois dimensions du développement durable, de faciliter et de promouvoir une intégration équilibrée des dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable dans les États membres. Même si chaque pays aura besoin de sa propre stratégie pour faire face à ses propres défis, des lignes directrices peuvent être fixées. Il s’agit de : • garantir que les lois et les politiques soient rationnelles, équitables, transparentes et structurées ; • améliorer le suivi et la collecte des données environnementales ; • renforcer les capacités institutionnelles nationales ; • formuler des politiques pour chaque secteur, afin de prendre en considération les dynamiques économiques et sociales sous-jacentes aux activités illégales. Pour une approche stratégique efficace, il existe quatre étapes critiques : • garantir une participation vaste et inclusive des parties prenantes ; • affronter les causes sous-jacentes de l’illégalité et de la fragilité écosystémique ; • donner la priorité aux actions correctives ; • évaluer la viabilité économique et l’acceptabilité sociale des réformes proposées. La politique environnementale doit tenir compte des défis et des opportunités du continent et reposer sur des principes 21 qui sont généralement admis comme préalables à tout développement durable et énoncés dans un certain nombre d’accords internationaux. Du fait de leur nature plurielle, la plupart des pays africains doivent impérativement reconnaître et prendre en compte la diversité des systèmes politiques, les processus institutionnels de réforme en cours et les besoins de renforcement des capacités exprimés par les acteurs nationaux.

Bonnes pratiques Le programme de sur veillance de l’environnement 22 en Afrique pour un développement durable a permis de renforcer les liens institutionnels au bénéfice du développement des services de géo-information. L’initiative de la Grande Muraille verte pour le Sahara est un programme impliquant plusieurs parties prenantes qui vise à stopper l’avancée du désert du Sahara. Elle rassemble différents partenaires aux niveaux régional, sous-régional et national en vue de renforcer la durabilité du point de vue de l’environnement, lutter contre la dégradation des sols, promouvoir une gestion intégrée des ressources naturelles et contribuer à l’élimination de la pauvreté.

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Depuis sa création, le NEPAD 23 s’est révélé être à la fois une institution et une stratégie pour le développement durable. Une évaluation de la CEA 24 a conclu que, dans l’ensemble, il est conçu comme un programme de développement durable. Grâce à ses programmes25 en matière sociale, de développement et d’environnement, le NEPAD intègre26 les trois piliers du développement durable. Des progrès considérables ont été enregistrés dans la mise en œuvre du Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA). Fin 2010, 18 pays avaient signé leurs pactes PDDAA, s’engageant ainsi à affecter au minimum 10 % de leur budget national à l’agriculture. Le programme sur la bioénergie 27 du NEPAD a gagné ses galons en tant qu’initiative transversale puisqu’il recouvre les secteurs de l’énergie, de l’environnement, de l’agriculture, des sciences et de la technologie. Dans le cadre de sa stratégie 28 à moyen terme, la Banque africaine de développement (BAD) a fourni un appui intégré, bien ciblé et de grande por tée pour le développement de l’Afrique. Elle a également mis en place une stratégie de croissance verte, qui vise notamment à assurer une croissance économique durable et équitable, la protection de l’environnement et la mise en œuvre efficace du capital naturel, en vue de promouvoir les pratiques optimales et mobilisatrices. Elle a aussi pour but de consolider la stratégie à moyen terme de la banque et les secteurs stratégiques, et d’appuyer les politiques existantes de la banque en matière de changement climatique. Dans le cadre de son positionnement, la CEA a restructuré son appareil intergouvernemental pour l’aligner sur son orientation stratégique et sa structure programmatique nouvelles. Elle a pu ainsi obtenir une plus grande congruence et cohérence entre ses sous-programmes et ses comités sectoriels. Les réunions régionales d’application ont amélioré l’examen des progrès accomplis dans la mise en œuvre des engagements d’Action 21, du programme relatif à la poursuite de la mise en œuvre d’Action 21 et du plan de mise en œuvre de Johannesburg. Par ailleurs, la plupart des États membres ont été représentés par leur mission diplomatique à Addis-Abeba aux réunions régionales d’application, dont les conclusions ont enrichi les débats tenus aux sessions de la Commission du développement durable de l’ONU, comme le démontrent les rapports de ces différentes sessions. Le rapport sur le développement durable en Afrique offre des analyses pertinentes, solides et de qualité sur les questions prioritaires de développement durable. Le mécanisme de coordination régionale (MCR) a sensiblement progressé depuis sa création. Grâce à une coordination efficace, une trentaine d’organismes des Nations Unies et d’organismes régionaux et sous-régionaux africains participent de plus en plus, et à des niveaux élevés, au processus du MCR. Ce dernier a débouché sur la prestation d’un appui institutionnel et d’une assistance technique dynamiques à l’Union africaine et au NEPAD, en particulier

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dans des domaines prioritaires comme le PDDAA, le mécanisme d’évaluation intra-africaine et l’examen mutuel de l’efficacité du développement. Le repositionnement de la CEA et l’examen du processus qui s’en est suivi ont permis à la commission de faire des avancées remarquables en ce qui concerne l’application de programmes intégrés et le renforcement de ses liens avec des institutions régionales et autres. Le PNUD, bien qu’il s’intéresse principalement au volet social du développement durable, porte également une attention soutenue à l’environnement, dans le cadre de son programme environnemental et énergétique, et participe aux efforts visant à intégrer les trois piliers du développement durable dans toutes les activités. C’est ainsi que le PNUD, au titre de son programme Capacités 21, a permis à de nombreux pays africains de mettre en place leur Conseil national du développement durable (CNDD) et d’élaborer leur Stratégie nationale de développement durable (SNDD). Dans le cadre de son rôle de coordination au niveau des pays, le PNUD contribue à l’établissement de liens programmatiques et institutionnels importants. Le programme du PNUE en Afrique vise à aider les pouvoirs publics et les principaux acteurs africains à trouver une réponse intégrée aux défis posés par les changements climatiques, la crise énergétique, la persistance de l’extrême pauvreté, l’insécurité alimentaire, la carence des services sanitaires et sociaux. Son exécution en Afrique se déroule suivant un processus coordonné et multipartite associant le PNUE et ses différents partenaires, les institutions gouvernementales et les forums ministériels, les organismes non gouvernementaux, les communautés économiques régionales, les organisations de la société civile, le secteur privé, les autorités locales, ainsi que les centres régionaux d’excellence. Le Programme régional africain permet au PNUE d’assurer la cohérence et la bonne coordination de ses activités d’appui au renforcement des capacités et d’assistance technique concernant l’environnement, afin de répondre aux besoins et aux priorités des pays à tous les niveaux. Le département du développement durable de la FAO joue le rôle de centre de référence mondial en matière de connaissances et de conseils sur l’intégration des dimensions biophysiques, biologiques et socio-économiques du développement durable. La FAO a collaboré avec le NEPAD pour élaborer le PDDAA et avec les États membres pour mettre au point des pactes PDDAA nationaux. Ces pactes sont considérés comme une étape importante sur la voie de la stabilité agricole et du développement économique.

Perspectives et recommandations Bien que les reformes de gouvernance environnementale se mettent en place de manière coordonnée dans de nombreuses régions d’Afrique, des problèmes persistent et doivent être travaillés pour y remédier.

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On notera notamment : • une incohérence dans certaines politiques et leurs liens avec le cadre législatif : les problèmes surgissent lorsque les lois sont incohérentes ou inapplicables et négligent la question des droits de propriété et d’utilisation des milieux et écosystèmes. Une réglementation excessive peut rendre prohibitifs les coûts des transactions légales, forçant la plus grande partie des utilisateurs des milieux à enfreindre les lois. C’est le cas des petites et moyennes entreprises communautaires qui ne disposent pas toujours de tout l’équipement nécessaire pour respecter les procédures administratives. Dans les cadres juridiques nationaux, les contradictions internes sont fréquentes. Elles peuvent engendrer des situations où l’autorité – ou un propriétaire coutumier – ne peut rien faire pour empêcher des étrangers de pénétrer sur le territoire. Dans cer tains cas, les lois contradictoires interdisent même les stratégies utilisées traditionnellement par les parties prenantes locales pour leur subsistance ou la gestion des conflits. Le manque de volonté politique est souvent une cause importante de ces incohérences. Une réforme des politiques et de la législation peut être également entravée par les défaillances institutionnelles et le désaccord des décideurs (surtout appartenant à différents secteurs) au sujet des réformes nécessaires et de la façon de les mettre en œuvre. Par conséquent, il arrive souvent qu’aucune institution ne soit capable de produire les réformes politiques ou les arbitrages nécessaires ; • des capacités insuffisantes en matière d’application des lois sont souvent déterminées par la faiblesse institutionnelle et par le manque de transparence et d’obligations redditionnelles lors de la mise en œuvre des politiques et du cadre législatif. Les puissants intérêts qui sont en jeu directement ou indirectement et l’absence d’autres activités économiques possibles pour les populations locales peuvent provoquer une acceptation passive de l’illégalité. Le défaut de coordination à l’échelle institutionnelle et interinstitutionnelle, entre les organes chargés de l’application de la législation et les organes judiciaires réduit le risque pour un contrevenant d’être attrapé sur le fait et poursuivi. L’application des réglementations visant à promouvoir l’efficacité des processus industriels est souvent faible ; • le manque d’informations concernant la disponibilité, les modes opératoires de gestion des ressources et leur modification dans le temps rendent difficile le suivi des activités. Pour une application adéquate, il faut disposer d’informations exactes concernant les activités. En raison de la faiblesse des dispositifs de gouvernance et de contraintes budgétaires, les activités de surveillance et de contrôle n’utilisent pas les technologies avancées et les parties prenantes sont exclues des activités de suivi. Le manque de connaissances et la formation insuffisante des agents chargés de la gestion et de l’application des lois constituent un obstacle supplémentaire, même lorsque certains outils technologiques sont disponibles, ils ne sont souvent utilisés et compris que par une minorité de décideurs ; • la corruption dans le secteur privé, dans les institutions gouvernementa-

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les et parmi les décideurs locaux est étroitement liée au manque de transparence dans la mise en œuvre des politiques, à la faiblesse des contrepouvoir s. Une forme par ticulièrement impor tante de corr uption concerne l’allocation des droits d’utilisation des milieux, par exemple des forêts, notamment pour les licences d’exploitation forestière et l’octroi des concessions. De plus, les fonctionnaires, chargés de faire respecter les lois, étant peu ou irrégulièrement payés, ils pourraient être tentés d’arrondir leur fin de mois de façon illicite. Des pouvoirs discrétionnaires excessifs et le manque de mécanismes pour la résolution des différends et des conflits peuvent aussi conduire à la corruption et à l’illégalité. Les distorsions du marché des productions peuvent toucher le marché intérieur ou celui des exportations en présence de débouchés faciles pour des produits à prix cassé, récoltés illégalement. Dans certaines régions, le trafic transfrontalier non surveillé exacerbe ce problème. Les marchés internationaux et intérieurs, surtout ces derniers, consentent des mesures d’incitation souvent insuffisantes aux producteurs qui peuvent démontrer la légalité et la durabilité de leurs opérations, ces derniers concurrencent donc difficilement les opérateurs illégaux. De plus, en raison de l’évolution constante des conditions requises par les marchés au sujet de la légalité et de la durabilité, les producteurs ont du mal à mettre en œuvre des mesures de correction systématiques, surtout lorsque ces changements demandent des investissements à long terme et que leurs bénéfices sont incertains. Les gouvernements, avec la participation de la société civile et des autres parties prenantes intéressées, s’engagent progressivement à revoir leurs politiques29 et leurs lois environnementales. Ils sont encouragés à introduire de nouvelles politiques et de nouvelles lois, en considérant, en premier lieu, les obligations au titre des conventions internationales et, en deuxième lieu, la nécessité d’affronter les questions critiques, telles que la gestion des marchés nationaux des ressources. La coordination30 entre les institutions chargées de l’application de la loi à l’échelle nationale et entre les pays doit être améliorée. La lutte contre l’exploitation et le commerce illégal des ressources exige des investissements spécifiques de la part des gouvernements, des organisations internationales et du secteur privé. Il est tout aussi important de créer un environnement favorisant le financement des activités légales. Il faut explorer de nouvelles sources de financement comme les crédits du carbone et les fonds de dotation et augmenter la valeur ajoutée des productions légales. Un élément crucial est l’établissement de mécanismes destinés à donner plus d’autonomie aux communautés locales dans la gestion des ressources locales et de leur donner les informations nécessaires à la gestion de leur patrimoine. Dans l’ensemble de l’Afrique, il est nécessaire de développer les capacités de collecte de données environnementales et de renforcer la gestion des systèmes d’information à travers la collaboration inter institutions, y compris avec les ONG et le secteur privé. La collaboration régionale et transfrontalière (bilaté-

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rale) est tout aussi importante, notamment à travers la définition de politiques régionales, la mise en place de plateformes pour l’application des lois et règlements et le développement de normes et de marchés à l’échelle régionale pour les produits provenant de sources légales. La CUA devrait s’appuyer sur les conférences ministérielles africaines relatives à l’environnement et sur l’eau ainsi que sur les réunions conjointes des ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement économique organisées par l’UA et la CEA en vue de promouvoir la cohérence et l’intégration en matière d’élaboration et d’exécution de programmes. Par ailleurs, les liens entre les programmes devraient être renforcés pour assurer la synergie. Il faudrait éclaircir le statut des conférences ministérielles africaines sur l’environnement et sur l’eau au sein du comité technique spécialisé sur l’agriculture, le développement rural, l’eau et l’environnement de l’Union africaine, car les conseils de ces conférences sont parfois considérés comme des comités techniques spécialisés distincts. Une telle mise au point faciliterait la coordination et les liens entre programmes. Les liens avec d’autres organes de l’Union africaine (comme le comité des représentants permanents et le conseil exécutif) devraient être renforcés, pour assurer l’harmonie des relations de travail et une meilleure coordination. Certains des conseils ministériels ont exprimé le souhait de rendre compte directement à la conférence de l’Union africaine, alors que les règles actuelles prévoient de passer par l’intermédiaire du conseil exécutif. Des liens similaires doivent être établis entre le comité technique spécialisé sur l’agriculture, le développement rural, l’eau et l’environnement et le groupe des ambassadeurs africains à New York, et particulièrement avec les membres africains de la Commission du développement durable, pour améliorer la coordination. L’exécution des plans et programmes de développement durable aux niveaux sous-régional, régional et local est constamment entravée par l’insuffisance des financements. En collaboration avec l’UA, la CEA et l’autorité de planification et de coordination du NEPAD, la BAD devrait analyser la situation et établir d’éventuels mécanismes pour le financement des programmes de développement durable qui tiendraient compte des spécificités et des priorités de la région. Ces institutions devraient amplifier les programmes visant à renforcer les capacités des communautés économiques régionales et des États membres en matière d’application des outils d’intégration comme la comptabilité des ressources naturelles, l’évaluation économique des ressources environnementales et naturelles, les évaluations d’impact environnemental et social et les évaluations stratégiques environnementales. L’évaluation de la phase pilote des projets « Unis dans l’action » de l’ONU dans huit pays montre l’importance qui s’attache à l’unité d’action de l’organisation. Ainsi, le groupe des Nations Unies pour le développement devrait veiller à une coordination et à une collaboration étroite entre les agences et programmes en vue d’assurer la synergie et la cohérence au niveau national. Le PNUD et le département des affaires économiques et sociales de l’ONU doivent ren-

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forcer l’appui apporté aux 33 pays les moins développés (PMA) dans le cadre de leurs préparatifs en vue des prochaines échéances internationales. Le PNUD devrait davantage aider les pays africains à intégrer harmonieusement les trois dimensions du développement durable et à prendre en compte ce dernier dans leurs processus de planification nationale. La FAO étant le principal organisme des Nations Unies chargé de l’agriculture, son appui à l’agriculture et à la sécurité alimentaire africaine est vital. Elle doit veiller à ce que les politiques et les investissements intègrent pleinement le développement agricole, l’utilisation durable des ressources naturelles et le renforcement de la sécurité alimentaire. À cet égard, la FAO doit aider les pays africains, d’une par t, à mettre en place les politiques les plus à même de leur permettre de traiter de manière intégrée les problèmes de développement, de sécurité alimentaire, de pauvreté et d’utilisation des ressources naturelles et, d’autre part, à définir la manière dont ils pourraient utiliser l’aide et les dépenses publiques pour assurer l’équilibre entre le développement socio-économique et la protection de l’environnement. L’insuffisance des ressources financières et humaines représente un obstacle persistant à l’intégration harmonieuse des diverses dimensions du développement durable dans les programmes sous-régionaux. Plus spécifiquement, le secrétariat de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) fait face à l’insuffisance de capacités, à l’inégalité des niveaux de mise en œuvre dans les États membres, ainsi qu’au manque de données de référence fiables et à la faiblesse de ses ressources financières. La viabilité des stratégies régionales est également menacée par de nombreux facteurs de risque : la faiblesse d’engagement rendant difficile la réalisation d’un consensus sur un grand nombre de questions ; l’insuffisance de l’engagement économique dans un contexte où l’Afrique continue de dépendre des ressources extérieures pour l’essentiel des programmes régionaux. Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres ne favorise pas non plus le développement durable, étant donné les ramifications des effets des conflits. Bien que régulièrement effectuée, l’évaluation de l’impact sur l’environnement31 ne se fait pas de manière complète et intégrée. Elle ne concerne, au plan régional, que la faune et la flore et ne prend pas en considération certaines questions comme l’impact des routes et des projets similaires. L’absence d’institutions nationales opérationnelles32 chargées de coordonner efficacement les questions de nature régionale, la difficulté d’harmoniser les cadres réglementaires et politiques, y compris l’intégration des plans nationaux et régionaux, et le manque de ressources pour élaborer et exécuter des projets constituent des difficultés supplémentaires auxquelles l’organisation est confrontée.

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De la même manière, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) éprouve des difficultés à assurer une intégration horizontale et une coordination interdépartementale. Ainsi, au sein de la commission, les questions de développement durable sont traitées par plusieurs commissaires33. Bien que la commission se réunisse régulièrement, rien ne permet de penser que les différents programmes soient coordonnés. La nécessité de mettre en place un mécanisme de coordination a été relevée lors d’un entretien avec le directeur de la planification stratégique. Il est important que les partenaires, notamment la CEA, aident la commission de la CEDEAO à mettre en place des mécanismes permettant de mieux intégrer les programmes et d’assurer une cohésion institutionnelle. Un autre grand problème est de savoir comment faire participer le secteur privé et la société civile aux efforts d’intégration régionale – même si la CEDEAO s’emploie à établir des liens entre les acteurs du secteur privé et l’ensemble de la collectivité – et comment les amener à s’intéresser davantage à la mise en place d’un marché régional. L’intégration régionale a un rôle essentiel à jouer dans la promotion des liens institutionnels et programmatiques, ainsi que dans l’intégration équilibrée des trois piliers du développement durable. Il convient par conséquent d’approfondir et d’accélérer l’intégration régionale sur tout le continent. Il faut de toute urgence des outils d’intégration appropriés afin que puissent être adoptés les liens (ver ticaux et horizontaux) mettant en évidence les solutions gagnantgagnant et qui contribuent à changer la perception qui prévaut. Bien que les indicateurs d’intégration soient pertinents, il est important de mettre en place des systèmes de suivi et d’évaluation pour étudier les progrès accomplis et les tendances observées en s’appuyant sur les réalisations et les enseignements tirés. Il convient enfin de déployer plus d’efforts pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies intégrées, documenter et échanger les pratiques optimales et démonter les nombreux avantages de l’intégration équilibrée des objectifs économiques, sociaux et environnementaux par le biais de programmes et de projets pilotes bien conçus. Compte tenu des difficultés que rencontrent les communautés économiques et les acteurs clés, la CUA, le PNUE et la BAD devraient élaborer et mettre en œuvre, en collaboration avec la CEA, un programme global de renforcement des capacités à l’intention des communautés économiques régionales et des États membres. Les mécanismes de financement des programmes de développement durable devraient être soutenus en tenant compte des spécificités et des priorités de la région. En outre, les parlements nationaux, sous-régionaux et régionaux devraient participer activement à la formulation des plans et des programmes afin de renforcer l’appropriation dans les sphères de prise de décision et l’appropriation sociale. Les cadres d’indicateurs sont très importants pour promouvoir le développement durable, en particulier pour exposer les liens existants entre les différents secteurs. Aussi, il est essentiel de promouvoir l’élaboration et l’utilisation des cadres d’indicateurs et de développement durable aux échelons régional, sous-régional et national.

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Les communautés économiques régionales34 peuvent jouer un rôle clé pour ce qui est de favoriser la mise en place et le développement des cadres institutionnels et stratégiques et de garantir leur mise en œuvre effective. Pour obtenir une plus grande participation du secteur privé, la commission de la CEDEAO devrait renforcer les initiatives existantes (comme lorsqu’elle parraine périodiquement les forums des affaires de la CEDEAO), accélérer la mise en place d’une nouvelle instance de la communauté économique régionale qui serait appelée à conseiller les chefs d’État et de gouvernement sur les questions intéressant les entreprises et appor ter un appui renforcé aux chambres de commerce et d’industrie de l’Afrique de l’Ouest ou à la Fédération des associations des industriels de l’Afrique de l’Ouest. L’importance des forêts pour l’économie des pays d’Afrique centrale explique que les cadres institutionnels de la région soient surtout concentrés dans tout ce qui est foresterie ou apparenté, mais les régions devraient intégrer les aspects sociaux et économiques du développement durable dans l’action des différents organismes qui s’occupent des forêts.

Conclusion La gouvernance environnementale de l’Afrique est sur des rails qui la conduiront vers une plus grande transparence et inclusivité des réformes, vers une maîtrise de l’exploitation des ressources et un maintien de la qualité environnementale des milieux. Pour cela, il est nécessaire de mieux s’approprier les processus d’application des lois de la part des parties prenantes, et notamment d’obtenir un engagement plus résolu au sein des secteurs public et privé et de la société civile, qui doivent être sensibilisés à la nécessité d’une action vigoureuse dans le domaine de la maîtrise des prélèvements. Les mesures prioritaires incluent la révision et l’harmonisation, au niveau national et continental, des politiques et des législations avec la participation de toutes les parties prenantes, le renforcement des capacités nationales d’application des lois et du cadre régional de consultation et de coopération pour la lutte contre les activités transfrontalières illégales. Pour cela, le renforcement des mécanismes de contrôle par le biais de conventions ayant force d’obligation, entre États et régions, pourrait être une des solutions. (Encadré page suivante.)

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NOTES 1. La gouvernance est généralement définie comme l’ensemble des processus dans le cadre desquels sont prises et mises en place les décisions et engagées les réflexions. 2. Adopté en 2001, le NEPAD vise à accélérer la croissance et le développement durable, à éradiquer les situations d’extrême pauvreté généralisée et à endiguer la marginalisation de l’Afrique lors du processus de mondialisation. Ces objectifs se traduisent par des priorités établies dans les six domaines suivants : infrastructure, ressources humaines, agriculture, environnement, culture, science et technologie. 3. Pendant vingt-et-un ans, la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement a appuyé l’intégration des préoccupations environnementales dans les politiques publiques de nombreuses manières, entre autres en fournissant des conseils d’ordre politique en vue de la mise au point des positions de l’Afrique s’agissant d’accords multilatéraux sur l’environnement, dont la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, la Convention sur la diversité biologique et son protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, et la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et son protocole de Kyoto. Les travaux de la commission ont également conduit à l’adoption, en janvier 1991, de la Convention de Bamako sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le contrôle des mouvements transfrontaliers et la gestion des déchets dangereux produits en Afrique. La commission a par ailleurs conduit le processus d’élaboration du plan d’action de l’initiative sur l’environnement du NEPAD, et incité le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) à dresser un rapport régional détaillé sur l’état de l’environnement africain, intitulé L’avenir de l’environnement en Afrique. Elle a également facilité la révision de la convention africaine pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (Convention d’Alger) adoptée en 1968. Des mesures ont aussi été prises pour renforcer les liens entre la commission et les deux conventions sur les milieux marins et côtiers, à savoir la convention relative à la protection, à la gestion et à la mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région de l’Afrique de l’Est (Convention de Nairobi) et la convention relative à la coopération en matière de protection et de mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Convention d’Abidjan). 4. À l’instar de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement, la Conférence ministérielle africaine sur l’eau est membre (ou constitue un sous-comité) du comité technique spécialisé de l’Union africaine sur l’agriculture, le développement rural, l’eau et l’environnement. À ce titre, elle a donc établi un lien institutionnel formel non seulement avec l’Union africaine, mais également avec les autres sous-comités du comité technique spécialisé. Dans ce cadre, elle travaille avec l’Union africaine à la mise au point de l’architecture africaine de l’eau, qui étaiera la coordination des activités associées à l’eau. Consciente de la dimension sociale de l’eau, la Conférence ministérielle africaine sur l’eau a intégré les trois piliers du développement durable grâce à la mise au point d’un cadre et d’un programme de travail et en encourageant les communautés économiques régionales à assimiler ces éléments. De plus, s’agissant de ses efforts d’intégration, la commission collabore avec la CEA pour organiser une réunion conjointe des ministres africains des Finances et de leurs homologues

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Développement durable en Afrique chargés de l’eau, en vue d’assurer la bonne prise en compte du secteur de l’eau dans les processus nationaux de planification. 5. Les communautés économiques régionales peuvent jouer un rôle important non seulement dans l’accélération de la mise en place et du développement des cadres institutionnels et stratégiques pour le développement durable, mais aussi dans leur mise en œuvre. Elles doivent par conséquent être soutenues pour renforcer la cohérence institutionnelle et harmoniser les politiques, les plans et les programmes de développement pertinents des États membres. 6. Il existe un consensus général quant à l’impérieuse nécessité d’adopter une approche globale qui prenne en compte les principaux domaines prioritaires, et notamment l’environnement. 7. Le suivi et l’évaluation sont les principales composantes des stratégies nationales de développement durable. Les pays devraient définir et utiliser des indicateurs couvrant les différentes dimensions du développement durable, notamment les indicateurs d’intégration pour permettre une évaluation objective des progrès et des réalisations. 8. En Afrique centrale, les cadres institutionnels portent dans une grande mesure sur les questions relatives aux forêts. En attestent la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), la Conférence sur les écosystèmes des forêts denses et humides d’Afrique centrale (CEFDHAC), l’Observatoire satellital des forêts d’Afrique centrale (OSFAC), le Programme régional d’Afrique centrale pour l’environnement (CARPE) et le Par tenariat pour les forêts du bassin du Congo (PFBC). 9. Tout le monde s’accorde à reconnaître que pour tirer parti des avantages et opportunités de la mondialisation, il est nécessaire d’accélérer les taux de croissance économique grâce à l’accroissement du volume et du rendement des investissements, tout en attirant davantage de capitaux internationaux en menant de profondes réformes et en encourageant une plus grande participation du secteur privé, en renforçant la compétitivité des produits d’exportations classiques, tout en assurant leur diversification, et de renforcer l’intégration régionale et les mécanismes de coopération. 10. La majorité des populations africaines tirent directement leurs moyens de subsistance des ressources foncières. C’est dire l’impérieuse nécessité de lutter contre les pratiques néfastes de gestion des terres et les régimes fonciers inadéquats qui entraînent la dégradation et l’utilisation non optimale des terres. 11. Il est impératif de protéger l’intégrité des zones côtières, dont seront tributaires à l’avenir les principales activités humaines, économiques et culturelles des menaces qu’engendre le développement non durable. 12. Les biens publics mondiaux constituent une opportunité unique pour l’Afrique de renverser la tendance à la baisse des flux de l’aide publique au développement (APD). En fait, le continent recèle de nombreux biens qui comportent des avantages à caractère international et mondial. Il s’ensuit que leur protection appelle des efforts à l’échelle mondiale. 13. Partie intégrante du programme de développement, l’investissement dans le secteur de la santé a pour objectif global de promouvoir la santé des populations capables de piloter le processus de développement de façon durable. Afin de réaliser cet objectif, il est impérieux de prendre en compte l’interdépendance entre environnement et santé. L’insuffisance des efforts de gestion de l’environnement dans le processus de développement peut entraîner la dégradation des sols, la pollution atmosphérique, la pollution de l’eau et des sols, qui recèlent toutes des risques pour la santé. 14. L’Afrique est le continent où la plupart des économies nationales reposent sur une base industrielle étriquée. 15. En dépit d’abondantes ressources minérales, l’exploitation des ressources et le développement de l’industrie lourde pourraient être de courte durée dans certains pays, en particulier dans les zones où l’exploitation minière perturbe les principaux écosystèmes de surface ou souterrains, et en raison des risques de pollution inhérents à l’élimination des déchets liés à l’exploitation minière ou de substances toxiques telles que le mercure et l’arsenic. 16. Bien que le continent africain soit le moins urbanisé au monde, il enregistre des taux d’urbanisation élevés. 17. Le développement durable appelle la prise en compte de l’environnement et du développement dès les premiers stades du processus de prise de décision, de manière à harmoniser les stratégies

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Gouvernance environnementale et économie verte macroéconomiques fondamentales, y compris celles relatives au commerce et à l’environnement. Toutefois, ce développement passe par une bonne gouvernance, notamment la transparence, l’obligation de rendre des comptes, l’approche participative et la décentralisation. 18. L’appui institutionnel et le renforcement des capacités sont devenus des volets importants des opérations de prêt des banques de développement. Cette tendance est renforcée par l’intégration des activités de formation formelles sur les principes de gestion de l’environnement dans tous les projets financés par ces banques et susceptibles d’avoir des incidences négatives sur l’environnement. 19. Tout le monde s’accorde à reconnaître de plus en plus que les plans nationaux de développement et les politiques environnementales ont davantage de chances d’être exécutés lorsqu’ils bénéficient du soutien d’un public éclairé qui participe à leur mise en œuvre. À présent, la plupart des pays africains intègrent l’environnement dans les programmes scolaires. Par ailleurs, le travail en réseau mérite d’être développé afin d’assurer une utilisation plus efficace, efficiente et économique de l’expertise environnementale disponible. 20. Ce concept a considérablement évolué depuis qu’il a été défini pour la première fois, en 1987, par la Commission Brundtland comme « le développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». 21. – Une économie forte et diversifiée constitue un moyen sûr de renforcer les capacités de protection de l’environnement, cependant tous les processus de prise de décision en matière de développement prennent en compte les facteurs économiques, sociaux et écologiques. – Les outils de gestion de l’environnement, notamment les évaluations environnementales, contribueront à assurer la viabilité écologique des opérations et à surveiller systématiquement leur performance environnementale. – La participation des communautés à la prise des décisions pour la gestion des ressources naturelles affectant les groupes les plus marginalisés et les plus vulnérables doit être assurée et l’importance des connaissances traditionnelles reconnue et sauvegardée. – La transparence et la responsabilisation des structures et institutions de gestion, plus attentives aux besoins et priorités des communautés affectées en général et des populations pauvres et des groupes vulnérables en particulier, méritent d’être encouragées. – Une approche coordonnée des initiatives écologiques sur le continent doit être adoptée en créant des partenariats avec les autres intervenants, notamment les banques multilatérales de développement, les organisations bilatérales, les institutions des Nations Unies, les institutions de recherche et les ONG. 22. Projet à l’échelle du continent, financé par l’Union européenne et auquel participent les communautés économiques régionales et le secrétariat du Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Il encourage donc les relations de partenariat entre la CUA, les communautés économiques régionales, le secrétariat ACP et l’Union européenne. Des organismes appartenant au système des Nations Unies tels que la CEA, le PNUE, la FAO et l’Organisation météorologique mondiale sont aussi liées au programme. 23. Le NEPAD a fait l’objet d’une reconnaissance croissante de la part de la communauté internationale et des partenaires de développement de l’Afrique. En novembre 2002, l’assemblée générale des Nations Unies a adopté respectivement les résolutions 57/2 (déclaration sur le NEPAD) et 57/7, affirmant le soutien du système des Nations Unies à la mise en œuvre du NEPAD et recommandant que ce dernier soit le cadre de référence dans lequel la communauté internationale appuie le développement de l’Afrique, pour coordonner l’appui des Nations Unies au continent, pour guider la préparation des rapports liés à l’Afrique et pour organiser le plaidoyer mondial en soutien au NEPAD. 24. Le bilan fait par la CEA, l’UA et le NEPAD met en lumière quelques progrès accomplis ainsi que les défis que pose la gouvernance régionale du développement durable. Ainsi, pour améliorer cette gouvernance, il convient de renforcer la capacité des institutions régionales, dont la CEA, à soutenir des forums multipartites et multidisciplinaires tels que le Forum africain de développement, le mécanisme de coordination régionale des organismes des Nations Unies intervenant en Afrique dans le cadre du soutien à l’UA et au NEPAD, la réunion conjointe de la Commission des ministres de l’Économie et des Finances de l’UA et de la Commission des ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement économique de la CEA, le comité de la sécurité alimentaire et

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Développement durable en Afrique du développement durable de la CEA et les réunions régionales d’application pour l’Afrique correspondantes. 25. Son programme agricole, par exemple, vise à parvenir à la croissance économique et au bienêtre social par l’intermédiaire d’une meilleure prestation de services dans les domaines de la santé et de l’éducation, tout en protégeant l’environnement. 26. L’intégration se fait également en liaison avec des institutions régionales et sous-régionales. Les plans d’action du NEPAD dans les domaines de l’environnement et de l’agriculture ont ainsi été élaborés en collaboration avec la CEA, la BAD et d’autres intervenants. 27. Partenariat avec des institutions comme le Power Institute for East and Southern Africa (PIESA), Institut de l’énergie orientale et australe) et a lancé un programme de renforcement des capacités en matière de par tenariats public-privé (PPP) au sein du cadre NEPAD-OCDE. Il a également œuvré à la sensibilisation en faveur de la participation des PME au secteur de l’électricité, particulièrement en ce qui concerne les énergies renouvelables. 28. Au niveau national, la banque encourage l’intégration des trois piliers du développement durable en tenant compte de ces considérations lors des phases de conception et d’exécution de ses projets. Elle parraine par ailleurs des programmes de renforcement des capacités destinés à augmenter la sensibilisation au développement durable et à la nécessité d’aborder le développement de manière intégrée. De manière similaire, elle accueille des régions régionales et internationales sur le développement durable, publie le rapport sur le développement de l’Afrique et collabore avec l’UA et la CEA dans de nombreux domaines, notamment aux fins du projet ClimDev. 29. Les pays devraient éviter de multiplier, de répéter inutilement et de fragmenter les stratégies de développement et veiller à la cohérence entre les stratégies de développement locales, sectorielles, à moyen et à long terme ainsi qu’à l’établissement de liens entre lesdites stratégies. Les stratégies nationales pour le développement durable devraient, dans la mesure du possible, être liées au processus budgétaire. 30. Il faudrait déployer davantage d’efforts pour, d’une part, développer et mettre en œuvre des stratégies intégrées et d’autre part, consigner et échanger les pratiques optimales et démontrer les nombreux avantages d’une intégration équilibrée des objectifs économiques, sociaux et environnementaux par le biais de programmes et de projets pilotes bien conçus. Le partenariat devrait être renforcé. Les pays devraient disposer d’un cadre pour l’échange d’informations et de données d’expérience sur les stratégies nationales de développement durable dans le but de renforcer le processus d’apprentissage. 31. Quand le secrétariat de la SADC a été centralisé en 2001, l’environnement a été négligé et nul n’a pris en charge ce secteur jusqu’en 2009, date à laquelle une unité a été créée au sein du département de l’alimentation, de l’agriculture et des ressources naturelles. En dépit du mandat étendu de cette entité, son démarrage tardif et le fait qu’elle ne dispose que d’un seul administrateur signifient qu’il y a fort à faire pour l’intégration des préoccupations environnementales dans la planification et la mise en œuvre des politiques au niveau du secrétariat. 32. Il faudrait aider les pays à mettre en place des organes nationaux de coordination du développement durable et à les renforcer en tenant compte des processus nationaux de planification du développement et des spécificités des pays. 33. Le commissaire à l’agriculture, à l’environnement et aux ressources en eau est chargé de l’agriculture et s’occupe de questions environnementales comme les changements climatiques et la désertification. Son homologue au développement humain et au genre s’occupe, entre autres, de questions sociales telles que l’éducation, les droits des femmes, la santé et les affaires humanitaires hors conflit. L’exploitation minière relève du commissaire aux politiques macroéconomiques, alors que parmi les grands projets placés sous la tutelle du commissaire à l’infrastructure figurent les projets d’approvisionnement en combustibles modernes. 34. Ces communautés devraient bénéficier d’un appui de manière à renforcer la cohérence institutionnelle et à harmoniser les politiques, les plans et les programmes de développement pertinents au sein des États membres.

Partenariats public-privé pour une croissance verte, le cas de Eranove en Afrique de l’Ouest Marc Alberola Directeur général de Eranove

Cédric A. Lombardo Directeur associé de BeDevelopment

Introduction La déclaration de RIO+20, « L’avenir que nous voulons », prise en 2012 par les États membres des Nations Unies, met en exergue le rôle du secteur privé dans le développement d’une croissance verte. Elle encourage les partenariats public-privé innovants pour mobiliser les financements et les technologies, renforcer les capacités nationales et élaborer des politiques de développement durable, qui garantissent l’accès de tous à des services essentiels à la vie. Le secteur privé est ainsi appelé à contribuer à l’élimination de la pauvreté et à la croissance économique durable, à favoriser l’intégration sociale et le bien-être de l’humanité, en créant des possibilités d’emploi et de travail décent pour tous. Ceci en utilisant et en préservant les services écosystémiques de la planète. L’accès à l’eau et à l’assainissement, déclarés droits fondamentaux à la 64e Assemblée générale des Nation Unies, et l’accès de tous à des services énergétiques durables sont les piliers d’une croissance verte inclusive. Malgré des efforts réels dans ces secteurs, l’Afrique n’a pas atteint les Objectifs du millénaire pour le développement : 344 millions d’Africains, soit 35 % de sa population n’ont pas accès à l’eau potable1 ; environ 620 millions de personnes, soit deux Africains sur trois, n’ont pas accès à l’électricité 2. Ce sont des défis humains, technologiques et financiers que le secteur privé peut contribuer à relever : le recours à l’aide publique au développement et les budgets nationaux sont insuffisants pour combler le déficit actuel. L’Afrique de l’Ouest a très tôt développé des schémas institutionnels favorisant des partenariats public-privé (PPP) dans ces trois secteurs.

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Gestionnaire de service public, producteur indépendant d’eau et d’électricité en Côte d’Ivoire (depuis 1961 pour la SODECI, 1990 pour la CIE et 1994 pour CIPREL) et au Sénégal (depuis 1996 pour la SDE), Eranove et ses filiales témoignent de partenariats réussis avec ces États, cherchant à concilier les objectifs de développement durable et l’équilibre économique des secteurs concédés. L’électricité, l’eau potable et l’assainissement se sont développés sous différents modèles en Afrique. Le cadre réglementaire, la répartition des rôles dans les opérations et dans les investissements entre opérateurs privés et États varient. L’expérience du groupe, construite depuis le début des années 1960, témoigne qu’il n’existe pas de modèle universel pour le développement de PPP en Afrique.Toutefois des facteurs de succès se distinguent.

Présentation du groupe Eranove Eranove est présent au Sénégal avec la Sénégalaise des eaux (SDE) et en Côte d’Ivoire avec trois principales filiales : la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), la Compagnie ivoirienne de production d’électricité (CIPREL), la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (SODECI). Il intervient en République démocratique du Congo à travers un contrat de service avec Regideso financé par la Banque mondiale et maintenant au Mali avec sa filiale Kenié énergies renouvelables chargée du développement de la centrale hydroélectrique de Kenié. Eranove est un opérateur privé qui s’inscrit comme partenaire de long terme des pays dans lesquels il intervient. Pour ce faire, le groupe s’est intégré sur toute la chaîne de valeur de l’eau et de l’électricité : captage de la ressource, potabilisation et transport, distribution et interface commerciale, assainissement et rejet en milieu naturel pour la première ; production hydroélectrique et thermique, gestion des mouvements d’énergie, transport et distribution d’électricité, interface commerciale pour la seconde. En 2014, ses filiales opéraient une puissance installée de plus de 1 100 mégawatts et produisaient 374 millions de mètres cubes d’eau potable. Elles ont desservi plus de 1,3 million de clients en électricité et 1,4 million en eau potable, et assuré l’assainissement de plus de 370 000 clients à Abidjan, Côte d’Ivoire. Le modèle managérial du groupe Eranove est décentralisé et interculturel pour assurer la pérennité et l’accroissement de ses performances. Il encourage la responsabilisation de ses filiales et de leurs collaborateurs, tous réunis dans un objectif commun : développer des solutions adaptées et innovantes pour rendre accessibles des services essentiels, dans le respect des meilleurs standards internationaux. La performance des filiales est renforcée par des démarches de certification qualité (ISO 9001), sécurité (OHSAS 1800) et environnement (ISO 140001). Chacune développe des procédures et des outils pour identifier ses meilleures pratiques. Ces procédures et outils sont mis en commun, puis adaptés au contexte opérationnel et aux réalités de chaque société, ceci pour répondre aux spécificités de chaque pays et de chaque filiale, à la culture et à l’impératif d’un ancrage local.

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Acteur responsable, le groupe est engagé, au travers de ses filiales, dans une démarche de développement durable suivant la norme ISO 26000.Trois de ses filiales ont fait évaluer leur stratégie de responsabilité sociétale par AFNOR Certification selon le référentiel AFAQ 26000 : la démarche de la SDE est estimée « Exemplaire », celle de CIPREL et le périmètre de la production interconnectée de la CIE ont atteint le niveau « Mature ».

Des partenariats publics–privés verts et de confiance Au-delà de la réalisation des objectifs de performance, les opérateurs privés doivent s’engager aux côtés de l’État pour améliorer le service pour les populations, s’impliquer dans les réflexions nationales sur l’accès à l’eau pour les plus démunis, anticiper les enjeux de demain en proposant des plans d’investissement et en accompagnant la réalisation des grands travaux. Réciproquement, ce partenariat de confiance implique de l’État le respect de ses engagements : paiement des factures, anticipation et planification des investissements, mobilisation des financements de type concessionnel pour le renforcement et l’extension des infrastructures, ajustement des tarifs pour qu’ils demeurent socialement acceptables tout en préservant l’équilibre financier du secteur, etc. Dans le secteur de l’eau, la SODECI et la SDE ont associé le suivi de ces indicateurs de performance à un benchmarking incessant avec les services publics africains et internationaux, pour s’améliorer constamment et aller au-delà de leurs propres performances. Elles travaillent de concert, dans le respect mutuel des rôles et des responsabilités, avec les sociétés publiques, l’Office national de l’eau potable (ONEP) en Côte d’Ivoire et la Société nationale des eaux du Sénégal (SONES) au Sénégal, et leurs partenaires dans le secteur hydraulique, devenant des acteurs incontournables des politiques de développement de l’eau potable de leurs pays. (Encadré page suivante.)

Le défi de l’investissement public-privé Les secteurs de l’eau et de l’électricité doivent relever le défi du financement des infrastructures. Le recours à l’aide publique au développement et les budgets nationaux ont témoigné de leurs limites. Les investissements nécessaires pour répondre à ces déficits d’infrastructure ainsi qu’aux défis que la mutation économique et sociale du continent africain pose aux secteurs de l’électricité et de l’eau potable sont importants. Selon la Banque africaine de développement, le développement du secteur de l’électricité en Afrique subsaharienne nécessiterait un investissement annuel de 41 milliards de dollars US par an, soit environ 6,4 % du PIB de la région3.

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de la dette ? Quel État acceptera un projet qui ne garantit pas un prix raisonnable pour les consommateurs ? Par ailleurs, le besoin de dépenses annuelles dans l’infrastructure dans le secteur de l’eau potable et de l’assainissement se chiffre à 21,9 milliards de dollars américains4.

L’équilibre économique et financier des secteurs est la pierre angulaire. C’est l’un des fondements de la pérennité du système pour soutenir les investissements.

Le déficit d’investissements des secteurs de l’électricité et de l’eau potable en Afrique de l’Ouest représente une opportunité pour les acteurs du secteur privé, en particulier dans le domaine de la production indépendante d’électricité. CIPREL, filiale du groupe Eranove et premier producteur indépendant d’électricité de Côte d’Ivoire au 31 décembre 2014, poursuit son développement. Eranove, pour sa part continue de promouvoir sa stratégie de production indépendante d’électricité en Afrique. (Encadré 2 ci-contre.)

Au regard de l’ampleur des investissements à réaliser et de la contrainte de l’équilibre économique et financier des secteurs, il faut identifier des solutions de financement créatives capables d’améliorer la fourniture de services essentiels sans surcoût excessif, d’accroître les performances techniques et notamment le rendement. Bien souvent, pour être compatible avec l’atteinte de l’équilibre économique et financier, le financement de ces investissements doit pouvoir s’appuyer sur des prêts concessionnels et des partenaires institutionnels s’inscrivant dans une logique de long terme.

Pour permettre la mise en œuvre des producteurs indépendants d’électricité, les acteurs privés doivent avoir la capacité d’identifier des sources de financements ayant une structure et un coût adaptés. Mais quelle entreprise crédible peut accepter de s’engager sur la durée si le financement des infrastructures n’est pas pérenne et si son business model ne lui assure pas un retour sur investissement ? Quelle institution financière peut apporter du financement si les recettes ne permettent pas le remboursement

L’amélioration de la performance de l’exploitation (rendements techniques, facturation, charges d’exploitation, etc.) a un impact immédiat sur la capacité de financement du secteur. Les gaspillages constituent un frein à l’atteinte de l’équilibre économique et financier. La hausse de la consommation des administrations doit être maîtrisée, par exemple en déployant des programmes combinant sensibilisation et responsabilisation des consommateurs au sein des administrations, avec recherche et réparation de fuite d’eau ou de gaspillage d’électricité.

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En dernier lieu, la bonne application de tarifs évolutifs est une réponse à ces questions. Une tranche sociale accessible aux plus démunis doit être préservée et les autres tranches tarifaires doivent être régulièrement ajustées pour permettre de supporter les charges d’exploitation et les investissements.

Le capital humain de l’entreprise Le développement du capital humain du groupe, mosaïque de compétences africaines, s’est construit sur la formation des collaborateurs et l’organisation de méthodes de travail performantes car l’eau et l’électricité sont des métiers techniques. Une décision centralisée permet difficilement de fournir un service public à une échelle nationale exigeant une proximité locale. Il fallut décentraliser et responsabiliser. La pyramide managériale fut réarticulée en une structure en râteau, avec un nombre limité de niveaux hiérarchiques. Les objectifs sont depuis négociés collectivement, à chaque échelon des exploitations. Les collaborateurs participent à la fixation des besoins, des moyens et des objectifs ; ils sont ensuite informatisés en tableaux de bord, les résultats sont suivis et analysés. Chacun est coresponsable du pouvoir de décision. Cette direction participative par objectif assure une décentralisation des décisions, une délégation des pouvoirs et une responsabilisation de chacun. Il en résulte aussi une politique de communication de proximité qui rend la hiérarchie plus accessible, développe un esprit de famille au sein de l’entreprise. Le dialogue social en est d’autant plus facilité entre les représentants des salariés et la direction. En contrepartie, s’ajoute un système de contrôle. L’organisation méthodique des processus et des instructions de travail est complétée par un système d’audit interne. Les démarches de certification qualité/sécurité/environnement, les procédures et les « boîtes à outils » sont développées par les filiales pour identifier les meilleures pratiques. Elles sont ensuite adaptées au contexte opérationnel et aux réalités de chaque société ou nouveau projet, pour toujours répondre aux spécificités pays ainsi qu’à la culture et à l’impératif d’ancrage local. Cette culture de responsabilisation et d’adaptation encourage les savoir-faire pour pérenniser les performances et développer des solutions dans chaque contexte africain. Eranove veille enfin à ne pas se substituer aux compétences de ses filiales, mais à les développer, les renforcer pour pérenniser les performances. Le groupe se veut catalyseur d’expertises africaines : dans le respect de la culture de chaque société, il impulse et suit les enjeux principaux. Pour développer les compétences internes, il anime des projets de centres de formation. En complément de ses formations continues, confrontés au déficit de jeunes diplômés ayant reçu la formation de base nécessaire à l’exercice des métiers de l’électricité, le groupe Eranove a pris la décision, avec sa filiale CIE, de lancer un BTS électrotechnique

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d’excellence depuis septembre 2015. Un BTS qui doit aussi permettre de satisfaire l’ambition d’excellence et de catalyse des expertises africaines portée par le groupe. Là où les compétences internes doivent être complétées, il tisse des partenariats avec des leaders techniques reconnus internationalement. Lorsque l’ancrage local n’existe pas encore, pour les nouveaux projets, il développe des partenariats avec des sociétés locales reconnues pour leur savoir-faire et à même d’apprécier précisément le contexte local.

Production et consommation durable Face aux enjeux de déficit d’accès et de croissance de la demande, une démarche de production et de consommation durable des ressources doit être mise en œuvre, pour répondre aux besoins des générations présentes tout en préservant ceux des générations futures. Au défi démographique s’ajoutent les changements climatiques. Les sociétés du groupe et leurs collaborateurs ont conscience des précieuses ressources qu’ils transforment et des services publics qu’ils fournissent. Chacune a entrepris, et certaines ont finalisé, un système de management environnemental selon le référentiel ISO 14000. Le changement climatique est une réalité prise en compte dans les modèles des entreprises. Des actions de sensibilisation sont menées auprès des consommateurs pour les engager dans une consommation durable. La CIE est un électricien vert ; elle opère un parc de production hydroélectrique de 604 MW. L’alimentation des barrages dépend de la pluviométrie et, la saison sèche venue, l’eau peut manquer. Elle mesure donc régulièrement les apports pluviométriques nets et le stock hydraulique de ses barrages. Le plan de production mis en œuvre recherche un équilibre entre les besoins des populations et ceux des écosystèmes. Le centre de dispatching de la CIE intègre les facteurs climatiques saisonniers et journaliers dans les planifications de consommation et de la production. En parallèle, pour agir sur la demande, la CIE s’est associée à la société d’État CI-Énergie afin de promouvoir l’efficacité énergétique auprès du grand public et encourager une consommation durable et responsable avec des équipements moins énergivores. La production durable d’électricité est aussi intégrée dans le modèle de CIPREL. Producteur indépendant d’électricité, sa centrale thermique fonctionne au gaz naturel. Depuis 2014, CIPREL a commencé la construction d’un cycle combiné pour recycler les gaz chauds de ses cheminées pour alimenter une turbine à vapeur, produisant ainsi plus d’électricité à combustion égale de gaz, évitant l’émission de gaz à effets de serre. L’enjeu climatique est tout aussi important pour la SDE et pour la SODECI dans les métiers de l’eau. Le remplissage des réservoirs de surface et souterrains varie lui aussi au gré des pluies. La démographie et l’urbanisation augmentent plus vite que les infrastructures de potabilisation et de transport d’eau. Des actions de sensibilisation pour une consommation durable sont nécessaires pour

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mieux préserver et partager la ressource disponible. En Côte d’Ivoire, la SODECI encourage les consommateurs à relever leurs compteurs, suivre leurs consommations d’eau et identifier d’éventuelles fuites ; des guides sont mis à

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vices publics, des ressources humaines engagées par l’État pour assurer ces missions, et des communautés locales qui abritent ses projets de développement. Le partenaire privé, délégataire d’une mission de service public, se doit d’être une référence dans la prise en compte de toutes ses parties prenantes. La performance sociétale du partenaire privé de l’État se mesure aussi aux valeurs créées qu’il partage avec les consommateurs, ses salariés et ses communautés locales. Dans un modèle de délégation de services publics, le client est l’État.Toutefois le consommateur, bénéficiaire de ces services essentiels, est au centre du dispositif. Les performances attendues sont d’autant plus importantes pour Eranove et ses filiales, que tous les pays dans lesquelles elles opèrent ont ratifié la déclaration des Nations Unies érigeant l’accès à l’eau et à l’assainissement au rang de droit fondamental, et se sont engagés dans le programme « Énergie durable pour tous » (SE4All). Au premier rang, il faut assurer un dispositif d’accueil des consommateurs sur tous les territoires nationaux et des systèmes d’information en cas d’événement sur le réseau altérant l’approvisionnement. Pour contribuer à satisfaire un droit fondamental, tel que l’accès à l’eau et à l’assainissement, le partenaire privé ne dispose pas de tous les leviers pour actionner seul les moyens techniques et financiers. Avec l’appui de l’État et de partenaires au développement, il peut participer à des programmes de branchements sociaux. L’opérateur privé permet alors, grâce à sa connaissance acquise du terrain et des consommateurs ainsi que grâce à son organisation, la mise en œuvre opérationnelle et l’accès aux moyens financiers, pour faciliter l’accès des consommateurs aux réseaux et rendre le service financièrement accessible aux populations les moins aisées.

leur disposition pour découvrir des pratiques de consommation durable de l’eau. Au Sénégal, la SDE accompagne l’État pour réduire les consommations d’eau des bâtiments administratifs, par la préservation des ressources en eau gaspillées dans des fuites non réparées. La SDE a également une politique d’efficacité énergétique avec des comités « éco énergie » dans chaque direction régionale, des actions correctrices sur les COS phi, les puissances souscrites, l’adaptation des moteurs de forage. De plus la SDE étudie la possibilité d’autoproduction d’électricité à base de biomasse pour un des sites de production d’eau qu’elle exploite.

L’engagement auprès des parties prenantes L’État régalien, dans l’exercice de ses missions de service public, doit être un exemple. Cette attente s’est manifestée de la part des bénéficiaires de ces ser-

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En plus des actions favorisant le développement des compétences, la démarche sociétale mise en œuvre au profit des collaborateurs du groupe résulte d’un autre trait marquant de la culture africaine : la solidarité. En l’absence de couverture sociale, un mécanisme de solidarité traditionnelle veut que « celui qui a réussi » subvienne aux dépenses de santé, de mariage ou de funérailles des membres de sa famille élargie. Il en résulte une dette sociale, dont le poids peut fausser le jugement du collaborateur voire générer des actes de fraude et de détournement. Il fallait libérer les collaborateurs du poids que peut représenter, dans ces circonstances, la solidarité communautaire. Une politique sociale innovante fut mise en œuvre. Dans certaines filiales, un fonds de solidarité a été constitué pour assurer un soutien financier non remboursable lors d’événements heureux ou malheureux ; ce fonds est alimenté par contribution de l’entreprise et par cotisation des collaborateurs. Une mutuelle d’épargne et de crédit encourage la constitution d’épargne des collaborateurs afin qu’ils puissent accéder à des prêts pour financer, notamment, l’accès à la propriété. Un fonds Solidarité santé soutient les collaborateurs infectés par le VIH pour qu’ils aient un accès gratuit aux trithérapies. Un fonds commun de placement permet aux salariés de se constituer un « trésor de retraite » et de participer au capital de leur société et de la holding Eranove.

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Les communautés d’accueil des sites d’implantation des entreprises ont aussi une place importante dans la démarche sociétale du groupe. Leur prise en compte est d’autant plus forte que, dans l’histoire de l’électricité, les ouvrages hydro-électriques ont souvent transformé l’environnement. Dans le secteur de l’eau, la ressource est puisée sur un site villageois ; il en résulte une relation avec les populations locales. Dans tous les cas, ces ancrages territoriaux ont été renforcés par la prise en compte de ces communautés et la contribution au développement local. Des actions de développement ont été mises en œuvre par les filiales de Eranove dans plusieurs villages, agissant sur l’organisation de la gouvernance locale, l’accès à l’éducation et à la santé, la création d’activités génératrices de revenus, la préservation de l’environnement et de la biodiversité. Une démarche s’est progressivement homogénéisée, traduisant le modèle sociétal de l’entreprise auprès des communautés : former les villageois à une gestion participative du développement du village, donner les outils nécessaires pour identifier les sources de richesse, promouvoir la culture d’épargne et la gestion durable des ressources.

La gouvernance locale pour le développement durable :

les rôles des collectivités territoriales en Afrique

Jeannot Ahoussou-Kouadio Ministre d’État auprès du président de la République, président de l’Assemblée des Régions et districts de la Côte d’Ivoire

Conclusion et perspectives Les fondements du modèle du groupe Eranove sont posés. Une ère nouvelle s’annonce. Au-delà de la consolidation des acquis, de la performance et de son modèle managérial et sociétal, Eranove a entrepris une phase de développement dont les premières étapes ont été franchies ces dernières années. Eranove a en effet accentué son développement panafricain en République démocratique du Congo en obtenant en 2012 un contrat de service auprès de la Régideso financé par la Banque Mondiale, et au Mali en signant en juin 2015 avec l’État, à travers sa filiale Kenié énergie renouvelable, une convention pour le financement, le développement, la construction et l’exploitation de la centrale hydroélectrique de Kenié. L’objectif est de devenir une plateforme panafricaine de gestion de services publics et de production d’eau et d’électricité. Plusieurs projets sont actuellement à l’étude à travers l’Afrique. Le challenge est désormais de déployer cette plateforme sur le continent africain, en restant fidèle aux valeurs du groupe, à ses exigences tant opérationnelles qu’environnementales, sociétales ou financières ; c’est-à-dire en conciliant reproduction du modèle et adaptation au contexte et à la culture de chaque société et de chaque pays.

NOTES

Introduction La Côte d’Ivoire compte 31 Régions et 2 districts autonomes, qui sont désormais rassemblés dans une association faîtière : l’Assemblée des régions et districts de Côte d’Ivoire (ARDCI). L’ARDCI a été créée en 2013 afin de constituer un cadre de concertation et de dialogue permanent entre les régions et districts de Côte d’Ivoire, de les représenter à la fois au plan national et international, et de proposer les moyens à mettre en œuvre pour promouvoir le développement et le bon fonctionnement des collectivités territoriales1. De plus, l’ARDCI a pour ambition de soutenir les régions et districts dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies territoriales de développement durable et de lutte contre le changement climatique au niveau local. En effet, la Côte d’Ivoire, qui sort d’une crise politique de plus de dix ans, possède une économie principalement basée sur l’exploitation des ressources agricoles et animales. Les enjeux de développement des populations et de stabilisation du contexte social et politique sont donc fortement mêlés à ceux de la protection des ressources naturelles et de la lutte contre le réchauffement global. Agir de manière intégrée est donc nécessaire. Les collectivités territoriales ivoiriennes sont un échelon central de cette action intégrée, car elles ont, de par les compétences qui leur sont transférées, un rôle prépondérant dans la planification du développement territorial.

1.WHO 2012. 2.Wolrd Energy Outlook 2014,Agence international de l’énergie. 3. Banque africaine de développement, Étude relative au diagnostic et à l’évaluation des besoins de renforcement des capacités du secteur de l’énergie, 2014. 4. Source : Banque mondiale, Infrastructures africaines : une transformation impérative, 2011.

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Constatant que l’importance des collectivités territoriales dans le développement durable était similaire sur tout le continent africain, l’ARDCI a souhaité

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contribuer à un cadre de mobilisation et de concertation sur ce sujet. C’est ainsi qu’elle a organisé le Sommet des villes et régions d’Afrique pour le climat, à Yamoussoukro, Côte d’Ivoire, les 24 et 25 juin 2015. Les collectivités territoriales d’Afrique présentes au Sommet ont uni leurs voix en une Déclaration de Yamoussoukro. Elles ont entériné leur volonté d’agir localement pour la protection des ressources naturelles et la lutte contre le changement climatique, promettant notamment de mettre en œuvre des « principes de bonne gouvernance environnementale » et de dédier 1 % de leur budget à l’approvisionnement d’un Fonds climat et territoires d’Afrique. Ainsi, elles mettent en avant à la fois la nécessité et la pertinence de développer la décentralisation et la gouvernance climatique locale.

Le renforcement de la gouvernance locale pour mieux lutter contre le changement climatique Les concepts de décentralisation et de gouvernance locale sont apparus dans l’écosystème politique africain dans les années 1980 et 1990, sous l’action conjuguée d’une pression des populations en faveur de la démocratie et de celle des bailleurs de fonds et partenaires internationaux. La décentralisation, qui correspond à la mise en place par le gouvernement central de gouvernements locaux dotés d’instances autonomes chargées de gérer des compétences spécifiques, est complétée par le concept de gouvernance locale. Celui-ci étend la décentralisation, promeut le débat et la prise de décision politique à tous les acteurs locaux, individus, représentants de la société civile ou du secteur privé, et organise la prise de décision collective2. La décentralisation est une condition première pour le développement d’une gouvernance locale. Désormais, ces deux concepts sont présentés comme des outils de choix pour la protection des ressources naturelles et la lutte contre le changement climatique, malgré de nombreuses limites. Tout d’abord, les causes et les réponses au changement climatique et à l’adaptation sont le fruit d’actions humaines réalisées dans des territoires locaux, aussi administrés par des gouvernements locaux. Lesquels possèdent des outils de gouvernance pour agir concrètement lorsque les États ont décentralisé les compétences clés de lutte contre le changement climatique. En Côte d’Ivoire, la loi attribue aux collectivités territoriales seize domaines de compétence3, dont notamment l’aménagement du territoire, la planification du développement, l’urbanisme et l’habitat, la protection de l’environnement et la gestion des ressources naturelles, l’enseignement, la promotion du développement économique et de l’emploi, et l’électrification. Au Mali, la loi 96-050 du 16 octobre 1996 rend les collectivités territoriales responsables de la gestion du domaine qui leur est transféré par l’État, incluant notamment les cours d’eau, les nappes souterraines, les lacs et les sites naturels officiels 4. De nombreux autres pays africains ont ainsi décentralisé les compétences clés de la lutte contre le changement climatique.

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De plus, en se rapprochant des populations, les collectivités peuvent créer les conditions pour les intégrer dans les prises de décision et développer des projets adaptés aux cultures, traditions et contextes locaux. Un projet de développement durable doit nécessairement développer une vision intégrant économie, bien-être des populations, protection des ressources naturelles et prise en compte du changement climatique. Dans de nombreuses sociétés africaines, les clans traditionnels sont souvent des unités ayant un pouvoir reconnu par les populations sur la gestion des ressources naturelles 5. Ainsi, il est nécessaire de recueillir l’avis des populations pour s’assurer de l’adéquation du projet avec les besoins réels du terrain, intégrer les savoirs informels et assurer son acceptation et sa mise en œuvre au fil du temps par toutes les parties prenantes 6. Cependant, la décentralisation en Afrique possède encore un faible taux de réussite dans la mise en œuvre effective d’un développement durable. Plusieurs études menées en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, en Tanzanie, au Ghana et au Zimbabwe ont démontré que la décentralisation n’avait pas permis de réduire la pauvreté7. De manière générale, les gouvernements locaux souffrent d’un manque de moyens qui les empêche de répondre aux responsabilités qui leur sont transférées 8 et de compétences humaines 9. De plus, les expériences de gouvernance locale, avec coconstruction de politiques de gestion des ressources naturelles, doivent intégrer des processus complexes : la procédure est longue, il faut s’assurer d’avoir une bonne représentativité de toutes les parties prenantes, de la cohérence avec la législation nationale, etc. Les résultats ne sont donc pas toujours effectifs. Dans la vallée du fleuve Sénégal par exemple, les plans d’occupation et d’affectation des sols (POAS) ont été co-construits selon des principes d’inclusivité. Cependant, la méthode n’a pas donné lieu à une appropriation des POAS de la part des différents acteurs et n’a donc pas eu d’impact significatif sur la gestion des ressources naturelles10. Ainsi, la décentralisation en cours sur le continent africain est une opportunité formidable pour développer une gouvernance climatique locale. Il faut aller plus loin, approfondir ce processus pour favoriser le potentiel d’impact réel des collectivités territoriales au profit des populations locales. Les collectivités africaines présentes au Sommet de Yamoussoukro ont échangé sur leurs approches pour renforcer la politique locale et lutter efficacement contre le changement climatique. L’analyse des solutions mises en avant lors du Sommet met en évidence des outils de mise en œuvre. Elle permet aussi de formuler des recommandations à l’égard des gouvernements centraux pour encourager la gouvernance climatique locale.

Les solutions pour une décentralisation efficace face au climat : la Déclaration de Yamoussoukro La Déclaration de Yamoussoukro est multithématique, adressant les solutions de gestion durable dans plusieurs secteurs du développement : l’eau, l’énergie,

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les déchets, etc. Elle a également mis en exergue deux conditions transversales pour que les collectivités soient des acteurs climatiques efficaces : approfondir la gouvernance locale et adapter les outils financiers.

pour favoriser les investissements locaux, notamment en ce qui concerne la capacité de gestion productive et d’endettement des collectivités, de contractualisation de partenariats public-privé pour une économie verte et résiliente au climat.

Aussi, les collectivités africaines ont formulé des engagements sur la gouvernance et la finance climatique locale, encourageant le développement des coopérations entre les collectivités. Ces engagements sont autant de recommandations des gouvernements locaux.

• Développer des outils et instruments financiers adaptés - tels que les instruments d’intermédiation adaptés portés par le RIAFCO11 ou le Fonds vert des femmes du R20 – et valoriser les outils existants - tels les mécanismes 1 % eau et 1 % déchets – et encourager les plates-formes de financement participatives pour permettre aux collectivités locales d’accéder aux ressources existantes de la finance environnementale.

Développer la gouvernance climatique locale • Mettre en œuvre les principes de bonne gouvernance environnementale, intégrer les risques et oppor tunités des changements climatiques dans les stratégies et plans de développement locaux. • Mobiliser les instruments locaux, nationaux et internationaux pour la réduction des émissions des gaz à effet de serre, l’adaptation aux changements climatiques, la préservation et la conservation des écosystèmes. • Développer des alliances et partenariats entre les collectivités territoriales africaines et avec les collectivités territoriales du monde en vue de préserver la planète des conséquences néfastes du réchauffement climatique. • Encourager les instruments réglementaires nationaux et locaux qui permettront une décentralisation effective des compétences et le développement de par tenariats public-privé pour mobiliser les ressources et engager les actions qui favoriseront l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. • Impliquer toutes les parties prenantes dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques territoriales efficientes contre les changements climatiques et des stratégies de gouvernance écologique incluant les stratégies permettant d’associer le secteur privé et les collectivités territoriales pour développer des partenariats de lutte contre le changement climatique et de préservation de l’environnement. • Développer une plate-forme d’information et de concertation permanentes des villes et régions d’Afrique sur le climat, favorisant le partage de connaissances et l’interaction des collectivités territoriales africaines. Adapter les outils financiers aux besoins locaux • Intégrer l’adaptation au changement climatique dans les systèmes de planification et de budgétisation des gouvernements locaux et assurer la transparence, la traçabilité et le suivi de la performance. • Encourager le développement de conditions favorables à l’investissement de long terme dans la lutte contre les dérèglements climatiques, en assurant une décentralisation financière permettant l’investissement de long terme des gouvernements locaux (dotations stables et prévisibles, capacité fiscale accrue, compétence de gestion d’infrastructures productives, etc.).

• Accompagner, lorsque le contexte le permet, l’accès aux marchés des capitaux des gouvernements locaux et, lorsque les capacités ou les conditions locales ne permettent pas l’accès aux outils financiers complexes, accompagner les territoires les plus vulnérables dans le renforcement de leur résilience à travers des aides publiques, sous forme de dons ou subventions à la lutte contre le changement climatique et à l’adaptation aux risques associés. • Créer un Fonds climat et territoires d’Afrique doté de 1 % du budget de chacune des collectivités territoriales, en vue d’amorcer les capacités de financement dédiées et de solliciter des dotations complémentaires des organisations de financement nationales et internationales d’Afrique et du monde ; et à appuyer collectivement la formulation d’une stratégie africaine plus large de financement des collectivités territoriales dans la lutte contre le changement climatique.

Renforcer la coopération et ses implications programmatiques Les points forts de la Déclaration de Yamoussoukro sont deux outils dont la mise en œuvre est soutenue par l’ARDCI : une plate-forme des Villes et régions d’Afrique pour le climat, ainsi que le Fonds climat et territoires d’Afrique. Ces deux outils donneront un cadre à deux éléments nécessaires à l’approfondissement de la gouvernance climatique locale : la coopération et l’implication. La coopération des collectivités panafricaines est nécessaire afin que les initiatives positives mises en place dans de nombreuses collectivités africaines soient connues de tous, implantées à grande échelle et adaptées aux contextes locaux. L’Afrique est créatrice de ses propres solutions et doit les développer. Cette coopération ne portera ses fruits que par une réelle implication des collectivités dans l’action contre le changement climatique, et notamment une implication financière. La création d’un Fonds climat et territoires d’Afrique ouvrira de nouvelles opportunités de financement, et montrera que l’Afrique est prête et capable de faire le premier pas pour son propre développement. Au niveau national, chaque collectivité peut se saisir d’outils complémentaires qui lui permettront d’agir sur son territoire et de mettre en œuvre les recommandations de Yamoussoukro. Une compétence majeure des gouvernements

• Favoriser la création des cadres réglementaires et juridiques nécessaires

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locaux étant la planification du développement, il est nécessaire que chaque acteur se dote d’un plan de développement durable, qui pourra prendre la forme d’un Agenda 21.

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coordonner avec les plans régionaux de développement, les schémas régionaux d’aménagement du territoire, et les plans d’investissement régionaux. Bien construit, un Agenda 21 remplit une bonne partie du rôle du plan régional de développement.

La planification du développement territorial durable grâce aux Agendas 21 Afin de mettre en œuvre les politiques environnementales et de prendre en compte leur dimension transsectorielle, l’ONU a développé un outil de planification : l’Agenda 21 local. C’est un processus de consultation et de planification visant à élaborer un plan d’action concret pour le développement durable des territoires. L’Agenda 21 prend donc la forme d’un document coécrit par les différents acteurs du territoire. Établir un Agenda 21 peut se faire en plusieurs phases : • assurer une bonne assise politique en créant une cellule opérationnelle au sein de la collectivité ; • sensibiliser tous les acteurs du territoire et les associer au projet en créant un cadre de concertation et de consultation tout au long du processus ; • si besoin, faire appel à un organisme de conseil ou un bureau d’études afin d’appuyer sur les aspects techniques et méthodologiques et d’apporter un regard extérieur ; • faire un état des lieux du contexte local, et des forces, des faiblesses, des besoins du territoire en matière de développement durable ; • établir, toujours en concer tation avec les différents acteurs, un programme d’action dans les différents secteurs concernés, tout en précisant les modes d’élaboration de ces actions, et les sources de financement ; • élaborer des outils de mesure et des indicateurs pour suivre la mise en œuvre de l’Agenda 21 ; • la publication du document doit permettre à tous d’y avoir accès, et plus le document sera précis, plus les bailleurs de fonds pourront être intéressés d’y investir ; • la mise en place de la politique ainsi définie permettra d’enrichir l’Agenda 21 et de le modifier en fonction des retours d’expérience sur les différents projets au fil du temps ; • pour s’assurer de la réussite d’un Agenda 21, il est crucial de s’assurer de son suivi et de créer un cadre de concertation permettant de continuer le débat et la participation citoyenne après la publication du document. Il est important de « jouer le jeu » de la participation citoyenne jusqu’au bout et de ne pas sauter d’étapes12. De plus, un Agenda 21 n’aura de sens que si toutes les politiques territoriales vont dans le même sens. Il est nécessaire de le

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Pour favoriser la réussite de cet Agenda 21, il peut être complété par des dispositifs contractuels engageant les parties prenantes. Par exemple, des accords locaux négociés entre les différents acteurs s’engageant pour une meilleure gestion des ressources naturelles. Ils établissent les droits et les devoirs de chacun, fixent les règles d’utilisation d’une ressource après accord des participants. Par exemple, ils peuvent instituer un accord de partage des terres entre les agriculteurs et les éleveurs pour limiter les conflits. Leur validation par un acte administratif donnera un caractère officiel et contraignant14 renforçant les décisions prises.

Les recommandations à l’endroit des gouvernements centraux africains15 Les collectivités territoriales peuvent être un échelon central de la lutte contre le changement climatique si elles approfondissent la gouvernance locale et adaptent les outils financiers à leur disposition à la crise climatique. Les engagements pris à Yamoussoukro peuvent servir de lignes directrices pour orienter les prises de décision allant dans ce sens, favorisant la coopération et l’implication des gouvernements décentralisés. L’élaboration d’un Agenda 21, co-construit avec les populations, soutiendra la bonne planification d’un développement territorial durable. Cependant, pour que les collectivités puissent pleinement agir, il est fondamental que les gouvernements centraux les soutiennent dans ce sens, en levant les barrières qui persistent. Les échanges de Yamoussoukro ont permis de formuler des recommandations à destination des gouvernements centraux africains : • souvent, le cadre législatif de transfert des compétences aux collectivités n’est pas complet. Les décrets d’application tardent à être signés. Il est donc nécessaire de créer le cadre législatif adéquat pour assurer les compétences des collectivités16 ;

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• assurer un transfert effectif des budgets aux collectivités pour soutenir leur action dans le long terme, et mettre en place un cadre législatif leur permettant de lever des fonds propres ;

• permettre l’accès des collectivités aux mécanismes de financement pour le climat (par exemple les fonds verts pour le climat) ;

Global Taskforce Post-2015 Development Agenda Towards Habitat III, « Financing Local and Regional Governments », 2015. Disponible à : http://www.gtf2016.org/ Granier L., 2010, Les conventions locales, des outils efficaces de gestion concertée des ressources naturelles ?. Disponible sur http://www.agter.org/bdf/fr/corpus_chemin/fiche-chemin53.html. MINESUDD, 2013, Évaluation des besoins en technologies et plans d’action technologiques aux fins d’adaptation aux changements climatiques. OCHA, 2013, Côte d’Ivoire 2013 : besoins humanitaires en phase de transition. PNUD, 2013, Étude de vulnérabilité du secteur agricole face aux changements climatiques en Côte d’Ivoire. Poulin Y., 2004, « Les décentralisations en Afrique : qu’avons-nous appris ? » Télescope, l’observatoire de l’administration publique, vol 11, n° 3, juin 2004.

• développer un cadre législatif et économique incitatif stable pour rassurer les investisseurs et permettre le développement des par tenariats public-privé pour des projets « verts » ;

NOTES

• augmenter les capacités techniques des conseils régionaux en travaillant en synergie avec les partenaires techniques pour effectuer des journées de formation, ainsi que de proposer un soutien sectoriel aux collectivités ; • renforcer la capacité des gouvernements locaux à accéder à des instruments de financement de long terme à travers la création de mécanismes pour assurer les investissements ;

• faciliter la création d’entreprises durables, génératrices d’emplois locaux, à travers la création de fonds de garantie régionaux facilitant l’emprunt bancaire et valorisant les projets soutenables.

BIBLIOGRAPHIE La Déclaration de Yamoussoukro, disponible sur http://www.afriqueclimat2015.org/ Sites internet http://conseilsregionaux.ivoireplus.com/bagoue/strategie-de-developpement-de-labagoue2. http://www.apur.org/sites/default/files/documents/4P13.pdf. http://ardci-rd.org/index.php/l-ardci. Articles et livres Agence française de développement, région Île-de-France, ARENE, 2010, « Agendas 21 et actions internationales des collectivités : quelles articulations ? », Savoirs communs, n° 10. Disponible sur http://www.afd.fr/webdav/shared/PUBLICATIONS/THEMATIQUES/savoirscommuns/10-Savoirs-communs.pdf. Dia A. H., Becerra S., Gangneron F., 2008, « Crises climatiques, ruptures politiques et transformations de l’action publique environnementale au Mali », VertigO, la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], vol 8, n° 1, mis en ligne le 12 avril 2008, consulté le 25 septembre 2015. URL : http://vertigo.revues.org/1468 ; DOI : 10.4000/vertigo.1468. Touré E.H., 2011, « Les conventions locales pour la gestion des ressources naturelles au Sénégal : entre autonomisation et problème d’appropriation », VertigO, la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], vol 11, n° 1, mis en ligne le 20 mai 2011, consulté le 25 septembre 2015. URL : http://vertigo.revues.org/10863 ; DOI : 10.4000/vertigo.10863. German L. A., Karsenty A., Tiani A.-M., 2010, Gouverner les forêts africaines à l’ère de la mondialisation, CIFOR

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1. http://ardci-rd.org/index.php/l-ardci 2. Yves Poulin, « Les décentralisations en Afrique : qu’avons-nous appris? » Télescope, l’observatoire de l’administration publique, vol 11, n° 3, juin 2004. 3. Loi 2003-208 du 7 juillet 2003 portant transfert et répartition de compétences de l’État aux collectivités territoriales. 4. Amadou Hamath Dia,, Sylvia Becerra,, Fabrice Gangneron, « Crises climatiques, ruptures politiques et transformations de l’action publique environnementale au Mali », VertigO, la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], vol 8, n° 1, avril 2008, mis en ligne le 12 avril 2008, consulté le 25 septembre 2015. URL : http://vertigo.revues.org/1468 ; DOI : 10.4000/vertigo.1468. 5. Laura A. German, Alain Karsenty, Anne-Marie Tiani, « Gouverner les forêts africaines à l’ère de la mondialisation », CIFOR, 2010. 6.Vertigo.revues.org/2279,lang=pt» 7. Crook (2003) cité par Yves Poulin, op. cit. 8. Yves Poulin, op. cit. 9. L’exemple du Mali, où la mise en œuvre de programmes d’action locaux de lutte contre la désertification et de la protection de l’environnement a été limitée, notamment par le manque de compétences humaines, est décrit dans l’article d’Amadou Hamath Dia, Sylvia Becerra, Fabrice Gangneron,, op.. cit. 10. El Hadj Touré, « Les conventions locales pour la gestion des ressources naturelles au Sénégal : entre autonomisation et problème d’appropriation », VertigO, la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], vol 11, n° 1, mai 2011, mis en ligne le 20 mai 2011, consulté le 25 septembre 2015. URL : http://vertigo.revues.org/10863 ; DOI : 10.4000/vertigo.10863. 11. Réseau des institutions africaines de financement des collectivités locales. 12. Granier Laurent, Les conventions locales, des outils efficaces de gestion concertée des ressources naturelles ?, 2010. Disponible sur http://www.agter.org/bdf/fr/corpus_chemin/fiche-chemin-53.html 13. Agence française de développement, région Île-de-France, ARENE, « Agendas 21 et actions internationales des collectivités : quelles articulations ? », Savoirs communs, n° 10, 2010. Disponible sur http://www.afd.fr/webdav/shared/PUBLICATIONS/THEMATIQUES/savoirscommuns/10-Savoirscommuns.pdf. 14. Granier L., op. cit. 15. Global Taskforce Post-2015 Development Agenda Towards Habitat III, « Financing Local and Regional Governments », 2015. Disponible à : http://www.gtf2016.org/ 16. Par exemple, en Côte d’Ivoire, sur les seize compétences qui sont accordées aux régions et communes, par la loi n° 2003-208, seuls sept décrets d’application ont effectivement été votés. De plus, la gestion des déchets a été transférée au gouvernement national en 2007.


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Les opportunités de créations d’emplois verts en Afrique et en Côte d’Ivoire Celestin Tsassa Économiste principal du PNUD au Gabon

El Allassane Baguia Chargé de programme, spécialiste des ODD du PNUD en Côte d’Ivoire

Luc-Joël Grégoire Directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction En 1972, la conférence des Nations Unies sur l’environnement humain, dite de « Stockholm », a placé les questions écologiques au cœur des préoccupations internationales et a marqué le début d’un dialogue entre pays industrialisés et pays en développement concernant le lien entre la croissance économique, l’emploi décent, la pollution de l’environnement (l’air, l’eau, les sols) et le bienêtre des peuples. À la fin de la conférence de Rio en 1992, les pays dits « riches » se sont solidarisés avec les pays du Sud, dits « pauvres » pour conduire des actions communes en faveur du développement durable dans le monde. La plupart des mécanismes mondiaux dits de la génération de Rio comportent en effet des volets d’assistance technique et d’appui financier. Ces éléments ont constitué des sources de motivation supplémentaire pour les acteurs nationaux y compris les décideurs publics. Garantir une croissance économique soutenue et réduire la pauvreté, maintenir les capacités de renouvellement des écosystèmes naturels (qui constituent la base écologique de la croissance et du développement économique et social), mettre en place des institutions et développer des instruments juridiques efficaces (lois, règlements, etc.), mettre en place un mécanisme de financement durable de l’environnement (instruments économiques – taxe, marché, subvention, consignation), informer, sensibiliser et éduquer

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l’ensemble des acteurs pour un changement de compor tement en vue du développement durable, soutenir la participation des populations locales dans les prises de décisions, valoriser les savoirs traditionnels et développer la conscience écologique, sont les principaux axes des programmes d’action, dont certains mentionnent l’emploi et la formation professionnelle. Ce n’est véritablement qu’au début des années 2000 qu’une attention toute particulière est portée à l’emploi vert. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) définit les métiers verts comme des « emplois dans l’agriculture, l’industrie manufacturière, la recherche et développement, l’administration et les services, qui contribuent de manière substantielle à préser ver ou à restaurer la qualité de l’environnement ». Il s’agit en particulier, mais pas uniquement, des métiers qui participent à préserver les écosystèmes et la biodiversité, à réduire la consommation d’énergie, de matières premières, à décarboniser l’économie et à minimiser ou à éviter toute forme de déperdition et de pollution. Les métiers verts sont donc potentiellement présents dans tous les secteurs de l’économie et, par définition, transversaux. Selon les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), 100 millions d’emplois verts existeraient déjà à l’échelle planétaire. L’organisation souligne toutefois des lacunes importantes en matière de disponibilité des données chiffrées dans ce domaine. À travers l’Afrique, des politiques importantes ont donné des résultats : • l’initiative « Île Maurice durable » visant à atteindre 10 % d’emplois verts additionnels d’ici à 2020 significatif ; • la politique nationale de l’emploi en Namibie (2013-2017) qui inclut dans son cadre politique des dispositions spécifiques sur « le développement durable : l’économie verte et les emplois verts » ; • la stratégie nationale du Sénégal pour le développement économique et social (2013-2017) qui comporte des objectifs spécifiques en faveur de la promotion d’une économie verte et la création d’emplois verts ; • l’accord « économie ver te de l’Afrique du Sud », qui vise à créer 300 000 nouveaux emplois verts d’ici à 2020.

(tels que le recyclage et la valorisation énergétique des déchets). Les politiques publiques jouent un rôle essentiel pour soutenir le développement de technologies et d’activités « propres » génératrices d’emplois. Mais, le passage à une économie verte implique également d’autres acteurs que sont les entreprises privées et les consommateurs. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) définit l’économie verte dans les termes suivants : « Une économie qui engendre une amélioration du bien-être humain et de la justice sociale, tout en réduisant sensiblement les risques environnementaux et les pénuries écologiques. » Selon cette définition, l’économie verte comprend non seulement des aspects environnementaux (protection de la planète et des ressources naturelles) mais aussi des aspects socio-économiques (création d’activités et d’emplois, formation professionnelle, innovation et transfert de technologie, développement d’un commerce équitable etc.). En Côte d’Ivoire, l’engagement des acteurs vis-à-vis de l’économie verte est appréhendé au niveau politique, du secteur privé et de la société civile.

Défis et enjeux La Côte d’Ivoire a accompli des progrès en matière de développement durable, et par conséquent, dans la création d’emplois verts. Aussi, forte de cette expérience, elle doit analyser les retours d’expériences, afin d’identifier les facteurs de progrès nécessaire en vue de les bonifier et connaître les contraintes et défis actuels et futurs en vue de proposer des orientations stratégiques pour les années à venir. Face aux problèmes environnementaux de plus en plus importants en Côte d’Ivoire, le gouvernement s’était lancé depuis les années 1980 dans la préservation de l’environnement et des ressources naturelles. Malheureusement les crises sociopolitiques des années 2000 ont durement éprouvé les acquis, le capital naturel et les écosystèmes. Depuis 2012, les décideurs publics adhèrent totalement au processus de développement durable, ils ont pris conscience de la nécessité d’une implication de tous les acteurs. Ces populations en effet subissent les affres de la dégradation de l’environnement et de la réduction des ressources naturelles. Or le phénomène des externalités s’amplifie jour après jour.

Contexte Les progrès réalisés en matière de développement durable se déclinent en termes d’engagements politiques de la part des pouvoirs publics et d’implication effective du secteur privé et de la société civile. Cette implication transforme les processus d’emplois et crée des emplois dits verts. Dans la pratique, l’économie verte peut se définir comme la mise en œuvre concrète des principes du développement durable dans l’activité économique. Elle recouvre toutes les activités économiques respectueuses de l’environnement dans des secteurs traditionnels (comme le bâtiment, les transports ou l’agriculture) ou de nouveaux secteurs

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Aussi, pour que les emplois verts restent pérennes, la population et le secteur privé doivent aussi s’impliquer. La Côte d’Ivoire installe peu à peu une approche participative qui permet non seulement d’intégrer les besoins réels des acteurs locaux mais également de les impliquer dans le processus décisionnel. Une amélioration de la qualité de l’environnement contribue à l’amélioration du bienêtre des ménages. Toutefois, la prise de conscience et l’appropriation1 de cette réalité et de cette chance restent encore faibles. Le civisme écologique2 est à construire en Côte d’Ivoire. Sans cette transformation des esprits, les emplois dits verts ne pourront s’implanter durablement dans la société ivoirienne. D’une

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manière générale, le constat est valable pour un grand nombre de pays africains et pas seulement. Plusieurs programmes de formation3 universitaire ou professionnelle restent encore disciplinaires et non conçus de façon à prendre en compte tous les aspects du développement durable. Les formateurs ont également besoin de renforcement des capacités dans le domaine du développement durable, notamment en matière de gouvernance environnementale et d’économie verte. De plus, le secteur de la recherche4 environnementale souffre cruellement de moyens. Les travaux de recherche ne sont pas suffisamment valorisés en termes d’apport concret5 au développement économique et social. Par ailleurs, malgré les efforts d’intégration et de synchronisation des stratégies et plans nationaux, beaucoup reste encore à faire. Il existe encore de nombreux problèmes, comme la difficulté de définir un cadre opérationnel et de financement intégré6, des incohérences entre certaines stratégies et plans par rapport à la vision globale du gouvernement sur le développement durable. En effet, plusieurs ministères ou directions rattachées s’occupent des questions environnementales, provoquant à des degrés divers, des chevauchements et des conflits de compétence voire parfois une confusion par rapport aux mandats et aux responsabilités. L’instabilité institutionnelle amoindrit aussi l’efficacité des actions et empêche le suivi efficace des programmes. Tout ceci ralentit l’émergence d’emplois verts. Les changements climatiques se manifestent particulièrement par des phénomènes extrêmes d’inondation et de sécheresse. En milieu urbain, des inondations sont parfois recensées déclenchant des épidémies, des pertes de biens et de vie humaine. Malgré la mise en place du plan d’organisation de réponse de sécurité civile (ORSEC), ces problèmes se répètent en cas de for tes pluies sur tout à Abidjan. Dans les zones rurales, notamment au nord du pays, les phénomènes d’inondation et de sécheresse se manifestent en même temps entraînant surtout des per tes de production agricole et l’appauvrissement du capital naturel. Comme réponse globale, l’État a ratifié la convention sur le changement climatique, mais cet engagement reste à parfaire par une plus grande visibilité auprès de la population à travers des dispositifs juridiques et institutionnels clairs. En matière de contrôle et de suivi environnemental par les agences d’exécution telles que le Centre ivoirien antipollution (CIAPOL) et l’Agence nationale de l’environnement (ANDE), on note une faible capacité de l’ANDE7 à exécuter efficacement sa mission. Le suivi environnemental et social des projets n’est pas assuré pour de nombreux projets validés par l’Agence elle-même.

Les orientations de politiques

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mise en place de cadres politique9, institutionnel10 et juridique11 et le soutien aux secteurs économiques12 et aux domaines environnementaux prioritaires. Dès 1995, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’un plan national d’action environnementale (PNAE-CI) avec des objectifs stratégiques de gestion environnementale pour la période 1996-2010. Ce premier plan (PNAE) s’articulait autour de 10 programmes13. Le document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP14) de la Côte d’Ivoire constituait un autre document de référence qui ambitionnait de guider les actions de réduction de la pauvreté et de développement du gouvernement et de tous les acteurs clés nationaux à l’horizon 2015. En 2001, a été validée la première stratégie nationale de développement durable (SNDD15), avec pour but d’« engager la transition vers une société plus viable16 ». En 2012, le gouvernement ivoirien a établi un plan national de développement ambitieux et volontairement accès sur le développement inclusif et durable et l’aménagement du territoire. Ce plan 2012-2015 a donné un éclairage majeur à la croissance accélérée ; à la relance de l’emploi productif et décent et à la valorisation du capital productif. Sur le plan du développement de l’agriculture et des infrastructures, des priorités explicites et des investissements structurants ont été établis. En termes d’urbanisme, le ministère en charge de ces questions a initié des réformes importantes. Au niveau juridique, la loi impose aujourd’hui aux collectivités territoriales la mise en place de plans de gestion de l’environnement, en vue d’une meilleure maîtrise de l’occupation des espaces urbains. À travers les dispositions du code de l’environnement, l’on peut dire que l’économie verte trouve un consensus national à son adoption en Côte d’Ivoire. En effet, la nécessité d’intégrer l’économie, l’environnement et le social traduit la volonté du législateur à adhérer à la notion d’économie verte. Selon le code de l’environnement et ses décrets d’application, tout projet de développement doit en principe minimiser son impact sur l’environnement tout en préservant sa rentabilité économique. De ce fait, l’ensemble des départements ministériels intègre de facto les principes de l’économie verte dans leurs politiques respectives. Par ailleurs, le code de l’environnement est à l’origine de la création d’une bourse des déchets et aujourd’hui d’une politique incitative pour le recyclage de certains déchets et de l’interdiction des sachets plastiques. Au niveau politique, il faut noter que l’engagement du gouvernement dans la promotion des modes de consommation et de production durables (MCPD) est une preuve de sa volonté à renforcer les bases de l’économie verte en Côte d’Ivoire. Cette volonté doit naturellement se manifester au-delà des politiques mais aussi dans l’action à travers les achats publics durables et la promotion de l’emploi vert.

Les engagements politiques pris par les pouvoirs publics se résument en trois points : la ratification de nombreux accords et conventions8 internationales, la

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Les bonnes pratiques Dans le cadre de l’application de la stratégie nationale de développement durable (SNDD), des objectifs sectoriels ont permis de construire une politique d’intégration des principes environnementaux dans l’économie. Aussi, l’agriculture, qui demeure encore aujourd’hui la base de l’économie ivoirienne17, est le secteur économique qui a été le plus sollicité. Son essor a fortement entamé le capital naturel du pays notamment les forêts, les terres agricoles et le microclimat. Aussi, les engagements politiques18 pris par les pouvoirs publics, depuis l’adoption des principes du développement durable, commencent à porter leurs fruits. Afin de doter le secteur agricole, au sens large, d’un instrument de politique, le gouvernement a adopté un plan directeur de développement agricole19 (PDDA) pour la période 1992-2015 et un projet national d’investissement agricole (PNIA), 2012-2017 dont les objectifs répondent aux trois piliers du développement durable. Plusieurs actions, qui conduisent à la création d’emplois verts, ont été menées sur l’étendue du territoire national : • la poursuite du reboisement et de l’aménagement des forêts ; • le développement des infrastructures rurales ; • la promotion des jeunes exploitants agricoles ; • l’intensification du rôle des caisses d’épargne et de crédit ; • le renforcement de la politique nationale en matière de sécurité alimentaire ; • la gestion des déchets. Il est à noter également l’existence de projets d’agroforesterie et de microirrigation pour une utilisation efficiente des terres et de l’eau. La gestion durable des terres (GDT) et la maîtrise de l’eau pour satisfaire les besoins de l’agriculture ont longtemps été un axe d’inter vention 20 majeur du ministère de l’Agriculture. Les collectivités locales (communes rurales), les petits agriculteurs regroupés en groupement à vocation coopérative (GVC) et en organisations professionnelles agricoles (OPA) participent à la prise de décision en ce qui concerne le développement agricole. Par ailleurs, dans le cadre de la mise en œuvre de la politique agricole durable, le gouvernement déploie des activités visant la sensibilisation et la participation des populations à la promotion des pratiques agricoles durables. Le secteur industriel ivoirien intègre les aspects environnementaux et les principes du développement durable à travers son cadre politique, institutionnel, réglementaire et opérationnel. Ainsi, les industries doivent se conformer aux exigences environnementales prévues dans le code de l’environnement. De plus, elles font l’objet d’un contrôle périodique de la part du CIAPOL. Enfin, les indus-

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tries ont bénéficié de plusieurs séminaires organisés à leur attention par le ministère en charge de l’environnement. Le ministère en charge de l’industrie possède un département chargé des questions environnementales. Le décret sur les études d’impact environnemental et social (EIES) impose à toute unité industrielle qui veut s’installer de procéder, au préalable, à la mise en œuvre de cet outil de gestion de l’environnement. De même, les unités industrielles en exploitation sont aussi soumises périodiquement à un audit environnemental. Toutes ses dispositions créent des emplois verts. Dans le cadre de leurs activités, un renforcement de leur capacité est opéré à travers des ateliers de formation sur la thématique de la responsabilité sociétale des entreprises, étape essentielle à l’opérationnalisation du concept de développement durable au sein du secteur privé (normes ISO 21000 et 26 000). Le tourisme est extrêmement sensible à la qualité des ressources écologiques, environnementales et culturelles d’un pays. En Côte d’Ivoire, le ministère en charge du développement touristique s’engage également dans le tourisme durable. L’objectif qu’il s’assigne en la matière est de susciter une exploitation optimale des ressources environnementales, qui constituent un élément clé pour le tourisme, en préservant les processus écologiques essentiels, en aidant à sauvegarder les ressources naturelles et la biodiversité dans le respect de l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil, en conservant leurs atouts culturels bâtis, vivant, leurs valeurs traditionnelles et en contribuant à l’entente et à la tolérance interculturelle. En somme, il s’agit de développer l’écotourisme ou tourisme vert qui vise à concilier impératif économique, socioculturel et environnemental. Sur le plan des potentialités écotouristiques, on note la présence, sur toute l’étendue du territoire, de plusieurs parcs nationaux21 riches en variété d’espèces fauniques et floristiques parfois endémiques. Le transport en Côte d’Ivoire est un domaine où l’État a réalisé d’importants investissements.Vu son importance dans le développement économique, le secteur des transports, pour être viable, doit intégrer les principes du développement durable . Ainsi, selon le décret relatif aux études d’impact sur l’environnement (EIE), tout projet routier est assujetti à une évaluation environnementale préalable. Depuis septembre 1998, l’État a mis en place, avec l’appui de la Banque mondiale, le programme d’ajustement et d’investissement des transports en Côte d’Ivoire (CI-PAST). L’exécution de ce programme a pris non seulement en compte des dispositions juridiques nationales mais également les directives environnementales et sociales de la Banque mondiale. Comme les autres secteurs économiques, les mines et l’énergie occupent une place importante dans la politique gouvernementale. L’engagement politique pour ce secteur est marqué par l’adoption d’un cadre institutionnel, législatif et réglementaire propice à la promotion de l’emploi vert. La biomasse énergie est considérée comme la source d’énergie la plus utilisée en Côte d’Ivoire à l’instar de la plupart des pays en développement. Sa part

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dans la satisfaction globale des besoins énergétiques du pays est de l’ordre de 60 %. Malheureusement, cette forte demande à un impact négatif majeur sur les ressources forestières et la disponibilité de cette biomasse se fait de plus en plus rare. Face à ce problème, le gouvernement s’est engagé dans des programmes22 d’efficacité énergétique à travers le développement des énergies renouvelables (43 % à l’horizon 2030) dont on sait qu’elles sont génératrices d’emplois durables. Le secteur des hydrocarbures bénéficie ces dernières années d’une grande attention dans le domaine du développement durable. En effet, dans le cadre du projet de don de gouvernance et de développement institutionnel (DGDI), le gouvernement a commandité en 2010, avec l’appui de la Banque mondiale, l’élaboration d’un plan cadre de gestion environnementale et sociale (PCGES) du secteur ainsi qu’un système de suivi automatisé de l’exécution de ce PCGES. Le secteur minier ivoirien intègre dans son développement les aspects environnementaux et les principes du développement durable. Ainsi, les activités minières de toutes sortes doivent se conformer aux exigences environnementales prévues dans la loi portant code de l’environnement. De plus, l’ANDE a en charge le suivi et la surveillance environnementale de ces activités en vue de garantir leur viabilité écologique et sociale. En outre, des mesures ont été prises pour réguler le problème de l’orpaillage clandestin et traiter le défi de l’emploi des jeunes dans le secteur des mines. Le développement urbain, qui s’est malheureusement accompagné de nombreux problèmes23 environnementaux et sociaux, devient, sous l’impulsion du gouvernement ivoirien, une priorité. En ce qui concerne l’assainissement, malgré leurs insuffisances, les programmes en cours tel que le programme d’urgence d’infrastructures urbaines (PUIUR) comme le projet du Grand Abidjan participent de la prise en compte de la dimension écologique du développement durable. Le secteur de la santé est avec l’environnement l’un des secteurs les plus porteurs en termes d’emplois verts. Santé et environnement sont en effet intimement liés. Les progrès réalisés sur le plan de l’éducation et la formation24 environnementale se caractérisent tant au niveau du public en général qu’au niveau des élèves et étudiants en particulier et ce depuis 2012. De nombreuses structures existantes ont adapté leur programme aux enjeux environnementaux et surtout à l’émergence des emplois « verts ». Du fait de son importance vitale, l’État de Côte d’Ivoire vient de se doter d’une politique nationale de l’eau orientée sur la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Ce processus participatif et coordonné consiste à concilier les différentes utilisations et fonctions physiologiques, sociales, culturelles, environ-

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nementales, économiques et spirituelles de l’eau pour assurer une gestion durable de la ressource disponible. La mise en œuvre rapide du plan d’action (PLAN-GIRE) représente un vivier important d’emplois verts. En matière de biodiversité, la Côte d’Ivoire s’est engagée dans l’établissement d’un réseau d’aires protégées25 recouvrant toutes les zones phytogéographiques, à l’exception du centre d’endémisme du bloc forestier guinéen. Un des projets majeurs mis en place au lendemain de Rio 92, est le projet-cadre de gestion des aires protégées (PCGAP), promoteur d’emplois verts. Ce programme est fondé sur : • le renforcement des capacités des institutions à charge de la gestion des parcs nationaux et réserves naturelles ; • l’intégration d’une approche participative impliquant la population civile (ONG, populations riveraines, etc.) à toutes les étapes de préparation des projets relatifs aux aires protégées ; • le développement d’activités alternatives génératrices de revenus substantiels dans les zones riveraines des parcs et réserves et le développement d’un partenariat entre gestionnaires et riverains dans l’exécution des activités d’aménagement et de protection ; • la prise en compte de la formation (agents, populations et autres privés) et de la recherche (suivi écologique et autres programmes de recherche) dans les différents plans d’aménagement des parcs et réserves naturels ; • le développement du réseau des aires protégées par la création des parcs et réserves marins dans le littoral. Enfin, la Côte d’Ivoire a ratifié la convention cadre sur les changements climatiques en septembre 1995 et a entrepris, conformément à ses engagements de partie, des activités26 qui visent les objectifs de cette convention. L’engagement du secteur privé dans l’économie ver te est réel en Côte d’Ivoire. Les instruments juridiques et économiques appliqués dans le cadre de la politique environnementale y contribuent de façon significative. En effet, le cadre institutionnel et juridique a contraint les entreprises privées à prendre en compte les préoccupations dans le cadre de leurs activités sous peine de sanction légale. Même si de nombreuses activités non viables vis-à-vis de l’environnement échappent encore à la réglementation, le dispositif existe et peut être renforcé. Ce cadre juridique apparaît comme le cadre privilégié pour amener les entreprises à créer des emplois verts. Les instruments économiques et le marché paraissent toutefois plus incitatifs que les instruments réglementaires. Mais les deux sont complémentaires. En Côte d’Ivoire, les instruments économiques concernent la fiscalité environnementale. Les autres instruments tels que les subventions, les systèmes de consignations et le marché de droit à polluer sont encore dans l’informel avec une base très restreinte. La prise en compte de la fiscalité est une forme d’interna-

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lisation des externalités causées par les activités économiques (principe du pollueur payeur). Au-delà de ces instruments de politique nationale, de nombreuses entreprises du secteur privé27 adoptent des modes de production durable, du fait de l’ouverture des marchés mondiaux à la certification environnementale et sociale28.

Perspectives et recommandations Dans le cadre des énergies renouvelables, la Côte d’Ivoire possède un potentiel considérable pour leur développement mais ne dispose pas de politique énergétique forte, clairement définie et dotée de moyens financiers importants, pour la promotion de celles-ci. Il serait impor tant de développer, dans les années à venir, ce secteur porteur d’emplois verts potentiels. Le sous-secteur de l’énergie solaire29 a commencé à occuper une place de choix dans les préoccupations des pouvoirs publics, avec les projets développés, notamment, dans les utilisations ponctuelles, telles que le pompage solaire, les télécommunications, le chauffage, la réfrigération, l’éclairage, etc. Le potentiel en énergie éolienne est moindre par rapport au solaire. Ce soussecteur ne fait pas encore l’objet d’un engagement politique significatif à cause certainement de la faible vitesse moyenne du vent sur le territoire. Par contre le potentiel de l’énergie éolienne est important au vu du maillage fluvial du pays. L’urbanisation en Côte d’Ivoire dont le taux30 est le plus élevé d’Afrique est le secteur qui a le plus besoin d’être suivi et accompagné dans sa transformation. Presque tous les plans directeurs d’urbanisme31 n’ont pas été appliqués. À cet égard, bien des pays du continent n’ont pas de plan d’occupation des sols (POS). Le secteur de la culture n’intègre pas de fait l’environnement dans ses activités car aucune réglementation n’existe en la matière. Toutefois, dans le cadre des études d’impact environnemental et social (EIES), des projets identifiés dans d’autres ministères prennent en compte cette dimension fondamentale. La culture est relativement prise en compte par les sociologues, mais encore de manière insuffisante par les spécialistes du patrimoine culturel. C’est pour cela que l’environnement doit être intégré de manière explicite dans l’action culturelle. L’amélioration des conditions de vie des ménages constitue un facteur déterminant de réduction de la pauvreté. De ce fait, la pauvreté et l’environnement entretiennent une relation de dépendance. Selon le libre blanc sur l’environnement en Côte d’Ivoire, la pauvreté est à la fois une cause et une conséquence de la dégradation de l’environnement. Il existe un cycle infernal auto-entretenu32 entre pauvreté et environnement.

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L’urbanisation33 galopante et les problèmes environnementaux, sociaux et sanitaires qui s’ensuivent imposent de nouvelles stratégies de développement créatrices d’emplois verts, pour répondre aux défis posés. Il s’agira par exemple, de définir et d’exécuter des plans d’urbanisme qui tiennent compte à la fois des préoccupations environnementales, socio-économiques et sanitaires. La gestion des déchets – et leur recyclage 34 – est un problème qui peut engendrer la création de plusieurs milliers d’emplois : • la récupération de matières métalliques recyclables (qui englobe tant le recyclage de véhicules automobiles que la démolition des bateaux ou encore le broyage de machines à laver hors d’usage ou de vieilles bicyclettes, etc.) ; • la dépollution (élimination et collecte sélective de toutes les liquides – huiles, liquides de refroidissement, carburant) et des éléments polluants ou nocifs (batteries, pneus, catalyseurs, réservoirs, airbags, gaz) du véhicule ; • le démontage pour réutilisation (certaines pièces pouvant être réutilisées) ; • la récupération de matières non métalliques recyclables (qui englobe quant à lui divers procédés de transformation, comme la récupération du caoutchouc, la récupération de produits chimiques, la récupération du verre, etc.) ; • la récupération et la valorisation des déchets d’équipements électriques et électroniques ménagers et professionnels ; • la récupération et la valorisation des huiles et graisses alimentaires ainsi que les huiles à usage non alimentaire ; • la récupération et le recyclage des papiers et cartons ; • la récupération, le conditionnement et la revente dans les pays possédant la filière de retraitement de piles, de batteries et accumulateur ; • la récupération, conditionnement et revente dans les pays possédant les filières de retraitement des médicaments périmés ; • la récupération, tri, recyclage et valorisation des déchets d’emballage ménagers et non ménagers ; • la récupération et compostage des déchets verts en vue de leur incorporation dans les filières de fertilisation agricole ; • la gestion des décharges et des sites définitifs de stockage et le nettoyage de la voirie. La gestion des eaux usées est aussi une préoccupation conduisant à la création d’emplois verts, notamment la collecte et le traitement des eaux usées et la valorisation des boues d’épuration dans la fertilisation des terres agricoles. La construction durable est un secteur vertueux permettant de maîtriser l’accroissement de la demande énergétique et d’approvisionnement en eau au vu

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de l’accroissement démographique urbain. Plusieurs secteurs sont à créer ou à renforcer notamment : • la conception et les études diagnostiques (conception basse énergie, audits énergétiques, étude de faisabilité, énergies renouvelables) ; • les systèmes de climatisation, ventilation et de l’installation de systèmes à haut rendement, contrôle et entretien ; • le développement des énergies renouvelables : installation solaire thermique et photovoltaïque, d’éolienne, de puits canadiens, de puits géothermiques. En termes de mobilité urbaine, l’offre de transport doit répondre au défi de l’urbanisation. Les transports publics ont en effet un impact certain sur la qualité de l’environnement des villes. En effet, les politiques dans ce domaine permettent de réduire le nombre de véhicules présents sur les routes et ainsi de limiter les nuisances environnementales générées par ceux-ci (pollution, bruit, embouteillages, etc.). Améliorer l’efficacité des transports publics les rendrait davantage attractifs et pourrait augmenter le nombre de leurs utilisateurs. À cet égard, différentes mesures sont possibles, parmi lesquelles : • l’amélioration des fréquences et de la régularité de ces transports ; • l’extension du réseau de transports publics ; • la création de sites propres afin de limiter le temps des parcours ; • l’acquisition de matériel roulant moderne, confortable et à basse énergie.

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• le développement d’une économie ver te39 par la mise en place des conditions permettant aux entreprises d’assumer leurs responsabilités écologiques et sociétales, de développer les « filières vertes » et d’opter pour les achats publics durables. Outre la filière étatique de création d’emplois ver ts, ce secteur ne sera pérenne que si l’entrepreneuriat vert africain est développé. 11 000 entreprises ont déjà été créées avec 23 000 nouveaux emplois en 2014, 4 680 étudiants ont participé de 2010 à 2014 à un programme de jeunes entrepreneurs. Pour une grande efficacité en termes de création d’emplois verts, il faut prioriser les investissements verts à forte intensité d’emploi et de transferts monétaires conditionnels.

On peut supposer que ce type de mesures puisse créer des besoins de maind’œuvre additionnels pour différents profils professionnels : conducteurs de bus, trams et/ou métros, ouvriers de voirie pour les travaux d’aménagement, etc. Les priorités stratégiques de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (CNUDD) sont une chance de voir fleurir des emplois verts. Au cours de la prochaine décennie, la mise en application de cette vision conduira inévitablement à la création de nouveaux emplois, tels que dans : • l’information, la sensibilisation et la participation35 ; • l’éducation en vue du développement durable (EDD36) ; • la mobilisation des pouvoirs publics37 au plus haut niveau, l’amélioration de la cohérence des politiques, l’intégration du développement durable dans le fonctionnement de l’administration centrale et des établissements sous tutelle ; • l’intégration des principes du développement durable dans la gestion des collectivités territoriales38 et dans l’aménagement du territoire ; • la consolidation du cadre juridique et des normes de développement durable, l’actualisation du dispositif institutionnel, l’instauration d’une fiscalité favorable aux initiatives volontaires, l’amélioration de la gouvernance des systèmes de financement du développement durable ;

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NOTES 1. Le problème persistant est la faible vulgarisation et la méconnaissance des textes relatifs à l’environnement par une proportion importante de la population. Les médias d’État sont très faiblement utilisés pour cette tâche. Il s’ensuit une ineffectivité de l’application des textes par les acteurs. Cette ineffectivité est également liée à la faible conscience écologique nationale et surtout à l’absence d’instruments économiques plus incitatifs (ex. : principe du pollueur payeur ou d’usager payeur). La méconnaissance des textes explique le fait que de nombreux projets échappent encore à la réglementation relative aux études d’impact environnemental et social (EIES), ne conduisant pas à la création d’emplois verts. 2. Sans éducation environnementale, pas de civisme écologique. L’éducation environnementale reste très faible au niveau de la Côte d’Ivoire. Cet état de fait peut-être généralisé à presque la totalité du continent. Les Journées mondiales sur l’environnement et la désertification peuvent être un cadre approprié pour atteindre les objectifs d’EDD (éducation pour le développement durable). 3. Les programmes de formation doivent être en adéquation avec le marché des emplois verts. 4. Un des rôles essentiels de la recherche est de soutenir la croissance et le développement. Malgré les efforts de l’État et des partenaires extérieurs, les ressources restent limitées voire inexistantes pour la recherche en faveur du développement durable en Côte d’Ivoire et en Afrique. 5. Les résultats de recherche ne sont pas suffisamment traduits en projets ou en actions. 6. Le cadre financier du secteur de l’environnement et du développement durable n’est pas correctement défini. À part le budget de l’État, les autres mécanismes existants apparaissent inopérants et inefficaces car n’arrivant pas à mobiliser suffisamment de ressources complémentaires pour le financement de la politique environnementale et du développement durable. Les ressources internes nécessaires au financement du développement durable sont très limitées. La difficulté réside dans une large mesure dans l’absence d’un système efficace de fiscalité environnementale. Le Fonds national de l’environnement (FNDE) connait un dysfonctionnement et les autres fonds sectoriels ne sont pas suffisamment définis et utilisés dans un cadre intégré. Plusieurs aspects de la politique nationale de l’environnement et du développement durable sont trop liés aux financements extérieurs. Les exigences de conditionnalité pour certains financements extérieurs restent encore rigides au niveau de l’État et des opérateurs nationaux. Les conditions d’accès à ces financements sont souvent complexes et mal connues du grand public (ex. : Mécanisme de développement propre – MDP et Fonds pour l’environnement mondial – FEM). 7. Une évaluation des capacités de l’ANDE a révélé des limites en ressources humaines et matérielles. 8. Les conventions ratifiées par la Côte d’Ivoire couvent tous les domaines concernés par les thématiques de l’environnement et le développement durable. Plus de 40 textes internationaux relatifs à l’environnement et aux autres secteurs du développement durable ont été ratifiés. 9. À l’instar de la plupart des pays ayant participé au Sommet de Rio en 1992 et qui, depuis lors, se sont engagés dans le processus de développement durable, la Côte d’Ivoire dispose d’une politique nationale d’environnement (PNE) et de la plupart des politiques et stratégies sectorielles de gestion des ressources naturelles (biodiversité, changement climatique, lutte contre la désertification, gestion des ressources en eau, gestion des produits chimiques, forêt, faune, etc.) Tous ces programmes ont connu des niveaux d’exécution divers. Cependant, ils ont servi de fondement à l’élaboration d’un

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Développement durable en Afrique cadre législatif propice au développement durable, renforcé en particulier par l’adoption du code de l’environnement en 1996, du code de l’eau en 1998, suivi d’une série de législations et réglementations environnementales. Aujourd’hui, la plupart des stratégies et plans d’action nationaux (PAN) sectoriels prennent en compte dans leur conception les préoccupations environnementales et sociales avec comme principe de base l’approche intégrée et participative. Dans son document d’orientation stratégique de l’action gouvernementale, le gouvernement s’est engagé, entre autres, à renforcer le cadre institutionnel en matière d’environnement et de développement durable, à planifier et à mettre en œuvre des politiques en ces matières. 10. Le ministère en charge des relations extérieures, en occurrence le ministère des Affaires étrangères, négocie puis signe les accords en relation avec le ministère chargé de l’environnement. Le président de la République décide de la procédure de ratification/adhésion (voie réglementaire ou législative). Leur mise en œuvre en incombe aux ministères techniques dans le cadre de leurs compétences respectives. 11. La loi n° 2000-513 du 1er août 2000, portant constitution ivoirienne, dispose en ses articles 19 et 28 que : « Tout citoyen a droit à un environnement sain. » Dès 1926, un décret relatif aux installations classé est pris. En 1965, après la rencontre d’Arusha de 1961, deux lois furent votées, l’une relative à la protection de la faune et la chasse et l’autre sur la protection de la forêt. La Côte d’Ivoire dispose d’une législation importante qui porte sur les domaines de la forêt, des aires protégées, des eaux, des installations classées, de l’utilisation des terres, de la protection de la faune. À ces lois, on ajoute le code de l’eau, le code minier, le code forestier, le code foncier, le code pétrolier et le code d’investissement. Ces codes participent à l’intégration de l’environnement dans le développement socio-économique du pays, et donc dans la création d’emplois verts. 12. La plupar t des secteurs d’activités économiques ont fait l’objet d’une attention par ticulière depuis la Conférence de Rio de 1992. Les préoccupations environnementales ont été largement intégrées à ces secteurs dans la perspective du développement durable. 13. Programme 1 : Développement d’une agriculture durable. Programme 2 : Préservation de la biodiversité. Programme 3 : Gestion des établissements humains. Programme 4 : Gestion de la zone côtière. Programme 5 : Lutte contre la pollution industrielle et les nuisances. Programme 6 : Gestion intégrée de l’eau. Programme 7 : Amélioration de la ressource énergétique. Programme 8 : Recherche, éducation, formation et sensibilisation. Programme 9 : Gestion intégrée et coordonnée de l’information environnementale. Programme 10 : Amélioration du cadre institutionnel et réglementaire. 14. Le DSRP fait désormais partie intégrante du plan national de développement (PND). 15. La SNDD a mis du temps à se mettre en place à cause certainement de la persistance de la crise économique et sociopolitique du pays. Ce qui a dû limiter les actions de la Commission nationale pour le développement durable (CNDD). Orientation stratégique 1 : Information, sensibilisation, participation, gouvernance. Orientation stratégique 2 : Éducation, formation. Orientation stratégique 3 : L’État, avant-garde du développement durable. Orientation stratégique 4 :Villes, collectivités territoriales et aménagement durable du territoire. Orientation stratégique 5 : Environnement réglementaire et institutionnel porteur. Orientation stratégique 6 : Engager la société dans une économie respectueuse de la planète. Orientation stratégique 7 : Coopération régionale et internationale. 16. Promotion du concept de développement durable. 17. Elle représente un tiers du PIB et 66 % des recettes d’exportation en 2008. 18. Les mesures adoptées par le gouvernement pour assurer la prise en compte de l’environnement dans les projets d’aménagement agricole figurent dans certaines dispositions du code de l’environnement. Le décret 97-393 du 8 novembre 1996 déterminant les règles et procédures applicables aux études relatives à l’impact environnemental des projets de développement précise notamment que les projets agricoles et forestiers d’une superficie supérieure à 999 ha sont soumis à l’étude d’impact environnemental. En outre, la réalisation d’aménagement à la périphérie ou dans une aire

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Gouvernance environnementale et économie verte protégée fait l’objet d’une étude d’impact. Enfin, les points d’eau bénéficient d’un périmètre de protection. La législation en Côte d’Ivoire ne restreint pas l’utilisation de l’affectation des terres arables. 19. – Économie : améliorer la productivité et la compétitivité, diversifier les productions agricoles, développer les pêches maritimes et lagunaires. – Social : rechercher l’autosuffisance et la sécurité alimentaire. – Environnement : réhabiliter le patrimoine forestier et préserver la diversité biologique. 20. Deux documents stratégiques essentiels pour le développement agricole durable : PAN-GIRE et PAN-LCD. 21. Le parc national d’Azagny, dans la région de Grand-Lahou, constitue une attraction touristique pour ses Trichechus senegalensis ou Lamentin et ses singes ainsi que pour la beauté de son paysage. D’autres parcs nationaux sur le littoral constituent également des curiosités touristiques importantes, notamment le parc naturel des îles Ehotilés. 22. Projet de développement d’entreprise de services éco-énergétiques (ESE), initié en 2000 par l’IEPF dans le cadre de son programme international de soutien à la maîtrise de l’énergie (PRISME), projet de foyers améliorés depuis 1996, programme « Maîtrise de l’énergie et formation à l’utilisation rationnelle de l’énergie », programme ESMAP, projet régional PNUD/FEM de réduction de gaz à effet de serre, programme électrification rurale. 23. Mauvaise gestion des déchets municipaux et médicaux, occupation anarchique des voies publiques, exploitation abusive et illicite des ouvrages d’assainissement, pollution de l’air et de l’eau. 24. Acquis liés à l’éducation en vue du développement durable (EDD) : campagnes de sensibilisation et d’éducation environnementale menées aussi bien par les organisations gouvernementales que par les organisations non gouvernementales. Acquis liés à la formation/recherche : depuis la conférence de Rio en 1992, création en Côte d’Ivoire, d’une multitude de structures de formation technique et universitaire ayant pour vocation l’enseignement des sciences et gestion de l’environnement et du concept du développement durable. 25. La Côte d’Ivoire possède 8 parcs nationaux, 2 réserves de faune et de flore et 2 réserves naturelles intégrales, couvrant une superficie d’ensemble de 1 969 450 ha. 26. C’est dans cette optique que deux projets ont été entrepris pour, d’une part faire l’inventaire des gaz à effet de serre (GES) et, d’autre part, améliorer l’efficacité énergétique dans les bâtiments grâce à la réduction des GES. Dans le domaine de la pollution de l’air, les actions du gouvernement ont porté sur l’évaluation de la pollution de l’air, l’identification des zones susceptibles de recevoir des appareils de mesure des retombées des poussières par les établissements émetteurs (cimenterie, etc.). Il identifie, à partir des mesures, les zones d’émissions et mène les actions de réduction. Il incite les industriels à la réduction de la pollution de l’air par le biais des actions de traitement des gaz avant leur rejet (désulfuration, dépoussiérage, lavage des fumées). 27. Selon l’étude sur les modes de production et de consommation durables (MPCD) commanditée par le ministère en charge de l’environnement et du développement durable, des entreprises et coopératives agricoles s’investissent dans ce domaine. Plusieurs entreprises privées de différents secteurs (eau potable, agro-industries, transport, etc.) disposent d’un système de management environnemental et affirment leur responsabilité sociale auprès des populations locales. Quelques coopératives sont certifiées commerce équitable. 28. L’ouverture des marchés nationaux et mondiaux à la certification environnementale et sociale a été également une source de motivation des acteurs nationaux. En effet, les entreprises certifiées ISO 26 001 (responsabilité sociétale), 9001 (qualité) et 14 001 (environnement) peuvent voir leur image de marque s’améliorer auprès des clients résidents comme non-résidents. De plus, l’affirmation de la responsabilité sociétale des entreprises est bénéfique pour les populations locales qui ne peuvent qu’adhérer au processus. 29. L’énergie solaire va connaître un véritable développement en Côte d’Ivoire si le projet ATESA vient à voir le jour. Ce projet, dont les études sont achevées depuis 2002, prévoit l’électrification de près de 105 villages par système photovoltaïque avec des capitaux espagnols. 30. Il représente un tiers de la population urbaine vivant à Abidjan. En 1975, le taux d’urbanisation était de 32,1 %, en 1999, il atteignait 45,7 % et les prévisions annoncent qu’il s’élèvera au moins à 55,5 % en fin 2015. Cette estimation ne prend pas en compte les mouvements de population

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Développement durable en Afrique durant la crise, la population d’Abidjan ayant doublé de 3 à près de 6 millions d’habitants entre 2001 et 2014. 31. En plus de l’occupation des sols par les habitats non contrôlés, il convient de mentionner les 2 822 établissements industriels installés principalement (92,8 %) à Abidjan. La non-existence de POS et le non-respect des règles d’urbanisme et de constructions résultent entre autres d’une juxtaposition spatiale des habitations et des industries, d’une expansion rapide et inefficiente de la superficie urbaine et souvent aussi d’une modification des systèmes de drainage provoquant des inondations et la pollution de l’environnement. 3.2 Le pauvre s’oriente naturellement vers les biens et services environnementaux, qui sont quasiment gratuits et accessibles pour satisfaire leurs besoins humains essentiels (BHE). La surexploitation de ces biens et services peut entraîner leur dégradation voire leur disparition et un effet négatif de retour sur le bien-être des pauvres peut se manifester. C’est dans l’optique de corriger cet état de fait que le gouvernement à travers le PND 2012-2015 et l’atteinte des OMD a développé des programmes et projets qui intègrent ces deux préoccupations majeures du pays. 33. Avec 43 % de sa population vivant en ville en 1998, la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus urbanisés de la sous-région ouest africaine. Elle détient l’un des taux d’urbanisation les plus élevé en Afrique. Abidjan représente un tiers de la population nationale. La forte croissance urbaine a malheureusement entraîné d’importants problèmes environnementaux, sociaux et sanitaires notamment dans les grandes agglomérations. Il s’agit de la prolifération des bidonvilles, des problèmes de gestion des déchets ménagers, industriels et médicaux, de logements. La croissance de la population urbaine entraine une pression sur les établissements humains. Le cas particulier des déchets municipaux fait actuellement l’objet d’une attention particulière, mais demeure encore problématique notamment en ce qui concerne le plan de financement durable de la filière de gestion des déchets ménagers. Le souci de satisfaction des besoins des populations en matière d’habitat ne doit pas faire perdre de vue les exigences de protection de l’environnement et surtout du choix de normes de constructions d’habitats moins consommateurs d’énergie et économiquement accessibles et viables. 34. Ensemble de procédés et comportements visant le retraitement des déchets dans un processus de production, aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins. 35. Les objectifs stratégiques assignés à cette priorité sont de faire connaître le concept du développement durable à l’ensemble du corps social et de créer les conditions favorables à la participation du public aux processus de prise de décision à l’accès de l’information. Le gouvernement entend notamment emmener les citoyens, individuellement et collectivement, à partager et soutenir les objectifs et initiatives gouvernementales en termes de développement durable, développer des écogestes (gestes et comportements compatibles avec les exigences du développement durable), participer, de façon active, aux processus de prises de décisions qui les concernent. 36. L’éducation pour le développement durable (EDD) vise à doter les individus de connaissances et compétences pour adopter un comportement adéquat pour eux-mêmes et pour les autres. Les objectifs stratégiques assignés à cette priorité sont intégrer l’éducation pour le développement durable dans le système éducatif formel, favoriser la prise en compte du développement durable dans le système éducatif non formel et renforcer les capacités des professionnels. Le développement de la conscience environnementale, en tant que finalité de l’éducation en environnement, s’inscrit dans une dynamique de mise à jour constante des connaissances dans le domaine de l’environnement afin de permettre à tous de mieux répondre aux exigences du développement durable. Il permet alors de susciter un esprit éco-citoyen.Toutes les options sont à envisager. Surtout avec les avantages qu’offrent les technologies de l’information et de la communication. 37. L’État, plus que toute autre entité, doit mettre en œuvre les principes du développement durable dans l’exercice de ses compétences. Cette exemplarité est nécessaire afin de rendre crédible la sensibilisation aux enjeux du développement durable et de susciter les modifications souhaitées dans le comportement des citoyens et des autres acteurs. De même, en tant que chef de file du développement durable, l’État doit trouver des manières plus durables de produire des résultats et être en mesure de respecter les contraintes qu’il impose aux autres. Ce leadership repose sur le déploiement de moyens pour atteindre trois objectifs majeurs. La mise en place d’un développement durable dépend dans une large mesure de l’existence d’une volonté politique, conséquence de la mobilisation des pouvoirs pour permettre que la haute administration soit acquise à la cause du développement durable, qu’elle intègre les exigences du développement durable dans son fonctionnement et dans ses notes d’orientations et de cadrage de l’action des pouvoirs publics. Enfin, il

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Gouvernance environnementale et économie verte importe que l’État et ses démembrements intègrent les principes de développement durable dans leur fonctionnement. L’engagement des ministères à se doter de plans de développement durable incluant un volet sur la responsabilité sociétale en constitue l’approche prioritaire. L’autre levier important est la réduction de l’empreinte écologique, qui résulte du fonctionnement de l’administration. Réduire l’empreinte écologique de l’État suppose que l’ensemble des administrations et des établissements publics s’engage au quotidien dans des démarches éco-responsables, notamment pour la gestion de leur patrimoine bâti, de leurs déchets, de leur flotte de véhicules, de leur consommation d’eau, d’énergie et des achats. 38. En Côte d’Ivoire, le législateur a conféré aux collectivités territoriales des prérogatives importantes, en matière d’aménagement du territoire, qui doivent tenir compte et refléter effectivement, à l’échelon local, les principes du développement durable. De même, ces entités de gestion des territoires devraient pouvoir décliner, à leur échelon, autant dans les pratiques d’aménagement que dans leur fonctionnement, les préoccupations relevant des engagements internationaux, tels ceux concernant le changement climatique, la biodiversité, la dégradation des terres, la préservation de la couche d’ozone, etc. Les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels pour conduire des politiques publiques de développement durable en adéquation avec les besoins quotidiens des citoyens. Elles sont à même de favoriser le développement d’emplois verts relatifs aux politiques de développement économiques, d’actions sociales et culturelles, d’urbanisme, de déplacement, d’habitat et d’environnement pour lesquelles elles ont compétence. Par ailleurs, elles doivent élaborer et faire vivre des Agendas 21 locaux leur permettant de développer des stratégies de développement durable au niveau local. 39. En Côte d’Ivoire, il s’agit de faire en sorte que le développement de l’économie verte soit une oppor tunité pour obtenir des résultats cohérents et positifs en termes d’accroissement de la richesse, d’emplois décents et d’approches propices à une croissance durable. La mise en œuvre d’une politique de croissance verte repose sur l’engagement des secteurs privés et publics. Le secteur privé, par les biens et services qu’il produit, par ses modes de production et sa politique sociale, est un acteur clé pour l’instauration du développement durable pour la Côte d’Ivoire. Il importe, notamment, de mobiliser les investissements privés dans l’écologisation des filières traditionnelles et le développement de filières vertes.


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Le dispositif national de prévention et de gestion des catastrophes en Côte d’Ivoire Abé Delfi fin n Ochou Ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, Côte d’Ivoire, Laboratoire de physique de l’atmosphère et de mécanique des fluides, université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, Côte d’Ivoire

Paul Atoublé Kaman ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, Côte d’Ivoire

Contexte La planète (terre) est le théâtre de l’impact croissant de catastrophes résultant de la combinaison d’aléas naturels ou technologiques et de facteurs de vulnérabilité écologique . Chaque année , la planète subit les assauts de phénomènes météorologiques et géologiques extrêmes. La fréquence et la gravité de ces phénomènes naturels sont en pleine augmentation. En outre, selon le rapport annuel du Système des Nations Unies, un tiers de ces catastrophes a affecté les pays à faible et moyen revenus (Rapport de Sendai, 2013). Ces catastrophes représentent une menace constante pour la vie humaine, les moyens de subsistance des populations (établissements humains) et les efforts de développement (Neuilly, 2008). Pour ce faire, sous les auspices des Nations Unies, une Décennie internationale de la prévention des catastrophes naturelles (1990-2000) avait été instituée pour instaurer une culture de la prévention des risques au plan international. Depuis lors, les actions se sont multipliées à travers notamment la mise en place de la Stratégie internationale de la prévention des catastrophes (ONU-SIPC) en 2000, l’élaboration du cadre d’action de Hyÿgo 2005-2015, l’organisation des deux conférences mondiales sur la prévention des catastrophes (1994 à Yokohama et 2005 à Hyÿgo) et, tout récemment, la formulation du plan d’action de Yokohama 2013-2017 ainsi que le cadre de Sendai 2015-2030.

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Ainsi, la nécessité d’entreprendre des actions visant à prévenir les risques a gagné en importance dans l’agenda international. Les gouvernements des différents pays font également montre de leur forte volonté politique en faveur de la prévention des catastrophes. En Afrique, 23 pays ont entrepris des plans d’action ou esquisses de plan pour la prévention des catastrophes. L’objectif ultime recherché à travers cette dynamique, tant au niveau international que national, est de promouvoir l’intégration de la réduction des risques de catastrophe dans la planification et la pratique du développement, et renforcer ainsi les capacités nationales et locales dans le traitement des causes des catastrophes qui entravent le développement.

La problématique de la prévention et de la gestion des catastrophes en Côte d’Ivoire La Côte d’Ivoire, bien qu’épargnée jusque-là par les grandes catastrophes naturelles dues aux tremblements de terre, aux cyclones et tsunamis, est confrontée de manière récurrente à de graves inondations, glissements et éboulements de terrains pendant la saison des pluies. Elle est aussi affectée par la sécheresse et les feux de brousse pendant la saison sèche, et à l’érosion côtière qui se manifeste de façon insidieuse sur toute la bande côtière. De 1996 à 2015, selon les statistiques disponibles et accessibles, 237 décès ont été enregistrés suite aux inondations, glissements et éboulements de terrains en Côte d’Ivoire. La grande sécheresse des années 1980 avait entraîné une famine prolongée dans la plupart des départements du pays avec des conséquences sur la nutrition infantile. Elle a eu aussi comme impact négatif majeur l’intensification et la sévérité des feux de brousse et la perte de production au niveau agricole. Au cours de la période 1983-2010, il y a eu 350 décès suite aux feux de brousse et 400 villages détruits. Les plantations de café et cacao n’ont pas été épargnées par ces feux. En effet, 130 280 hectares de plantations de café et de cacao sont partis en fumée. Ces pertes énormes enregistrées pour ces deux spéculations agricoles, qui étaient à la base du miracle économique des années 1970, ont contribué fortement à exacerber la crise économique que le pays a connue à partir de 1990.

Le dispositif national de prévention et de gestion des catastrophes La prévention des risques comprend toutes les politiques et stratégies, les dispositifs juridiques et structurels ainsi que les mesures qui peuvent rendre les communautés, les établissements humains et les moyens de subsistance plus résilients face aux aléas divers. La prévention s’attache à réduire les différentes formes de vulnérabilité. La gestion des catastrophes est quant à elle fondée sur la mise en place de structures et de dispositifs visant à se préparer et à apporter une réponse d’urgence en cas de catastrophe pour protéger les personnes et les biens.

a) Le cadre juridique et réglementaire Sur toute la bande côtière, la mer avance d’un à deux mètres par an en moyenne, avec des situations exceptionnelles allant jusqu’à 10 m comme ce fut le cas en août 2011. L’érosion côtière conduit au déplacement de populations et à la perte de biens économiques. Compte tenu de la vulnérabilité du pays face aux catastrophes, la Côte d’Ivoire a mis en place des mécanismes institutionnels, organisationnels et juridiques pour la prévention des risques et la gestion des catastrophes.

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Le cadre juridique et réglementaire en matière de prévention des risques et de gestion des catastrophes est caractérisé par l’existence de politiques générales sur la protection des personnes et des biens, et des stratégies qui traitent en partie de la réduction des risques de catastrophe. À ce jour, peu de législations traitent du domaine spécifique de la prévention des risques et de la gestion des catastrophes en Côte d’Ivoire. La législation disponible est centrée sur la réponse aux urgences et l’action humanitaire. Il s’agit notamment du cadre suivant :

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• le plan Orsec (décret du 8 août 1979 portant organisation du plan des secours à l’échelon national en cas de catastrophe). Ce plan constitue le cadre légal national de gestion des situations d’urgence ; • le plan Pollumar (instruction ministérielle du 13 mai 1994) ; • le Plan rouge qui organise les secours dans le cas d’une catastrophe de grande envergure (instruction interministérielle du 3 juillet 2001) ; • le décret du 11 juillet 1974 por tant règlement de sécurité dans les immeubles de grande hauteur et leur protection contre les risques d’incendie ; • le décret n° 2000-822 du 22 novembre 2000, portant création, attributions et organisation de l'Office national de la protection civile ; • le décret du 9 octobre 1991 déterminant les attributions, l’organisation et le fonctionnement du Service d’aide médicale d’urgence (SAMU). Par ailleurs, des textes législatifs et réglementaires portant plus spécifiquement sur la protection de l’environnement mais qui ont un lien avec la réduction des risques de catastrophe existent. Ce sont : • le Code de l’environnement (loi n° 96-766 du 3 octobre 1996) dont l’article 21 traite des plans d’aménagement du territoire et des schémas directeurs, ainsi que des plans d’urbanisme pour la protection des personnes et des biens. L’article 39 quant à lui institue des études d’impact environnemental et social à réaliser pour tout projet de développement susceptible de détériorer l’environnement ; • le décret n° 98-43 du 28 janvier 1998 qui impose des inspections périodiques aux installations classées pour la protection de l'environnement par le Centre ivoirien antipollution (CIAPOL) ; • le décret n° 96-894 du 8 novembre 1996 instituant les règles et les procédures applicables aux études d’impact environnemental et social des projets de développement dont l’Agence nationale de l’environnement (ANDE) assure la coordination ; • le décret n° 2012-962 du 2 octobre 2012 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Comité national de défense de la forêt et de lutte contre les feux de brousse. Cette mission a été confiée au ministère des Eaux et Forêts ; • le décret n° 2012-988 du 10 octobre 2012 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la Plate-forme nationale de réduction des risques et de gestion des catastrophes. Cette structure dite Plate-forme nationale RRC est placée sous l’autorité du Cabinet du Premier ministre.

b) Cadre institutionnel et organisationnel La gestion des risques de catastrophe est pluridisciplinaire et multisectorielle. En effet, de nombreux secteurs au niveau national et local sont concernés.

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1. Les responsabilités au niveau national En Côte d’Ivoire, deux ministères concentrent les principales responsabilités de prévention des risques et de gestion des catastrophes. Il s’agit du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable (MINESUDD) et du ministère d’État, ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Le ministère en charge de l’environnement et ses structures sous tutelle, notamment l’Agence nationale de l’environnement (ANDE), le Centre ivoirien antipollution (CIAPOL), l’Office ivoirien parcs et réserves (OIPR) et la Direction de la qualité de l’environnement et de la prévention des risques (DQEPR), assurent la coordination et la mise en ?uvre de la politique nationale pour la protection de l’environnement ainsi que la coordination de la gestion des risques majeurs. Ils établissent également des études d’impact environnemental et social (EIES) et des audits environnementaux. Ce ministère a aussi en charge une partie des actions de réhabilitation post-catastrophe. Le ministère en charge de l’Intérieur et de la Sécurité, en vertu de l’article 1er du plan Orsec, est responsable de l’organisation des secours en cas de catastrophe. Ce ministère, à travers l’Office national de la protection civile (ONPC), coordonne toutes les activités de gestion des catastrophes dont les principales sont les suivantes : • la définition et la mise en ?uvre de la politique en matière de protection civile ; • la réglementation et la formation en matière de protection civile ; • la prévention des risques civils ; • l’organisation et la coordination des activités de secours d’urgence en cas d’accidents, de sinistres, de catastrophes naturelles et technologiques ; • l’élaboration et la réalisation des plans de secours. Sous les auspices du Système des Nations Unies et de la CEDEAO, la Côte d’Ivoire a élaboré une stratégie nationale de réduction des risques de catastrophe assortie d’un plan d’action triennal, qui a conduit à la création d’une Plateforme nationale de réduction des risques et de gestion des catastrophes (Plate-forme nationale RRC) comme mentionnée ci-dessus, et placée sous la tutelle du Premier ministre. Elle est un cadre institutionnel d’analyse et de conseil pour la coordination des actions de prévention des risques, de préparation des communautés, d’atténuation des effets et d’intervention en cas de catastrophe. Elle a l’avantage de mutualiser les ressources humaines, matérielles et financières autour de la problématique de la réduction des risques et de la gestion des catastrophes qui ont un caractère multidisciplinaire et multisectoriel. Cette Plate-forme nationale RRC appuie l'identification des besoins urgents dans le domaine de la RRC, alloue les ressources disponibles, présente les calendriers d'exécution, surveille et passe en revue la mise en ?uvre des activités de

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RRC conformément au cadre d’action de Hyögo 2005-2015 et au cadre de Sendai 2015-2030. Elle se positionne comme un lieu d’échanges des connaissances, de proposition et de mobilisation des expertises. Par ailleurs, pour permettre à toutes les structures ayant en charge des activités de prévention des risques et de gestion des catastrophes d’être plus opérationnelles, la cellule de mise en place de la Plate-forme nationale RRC a pu élaborer : • un document d’analyse des vulnérabilités et des capacités de réponse en Côte d’Ivoire ; • un guide de sensibilisation sur la réduction des risques de catastrophe ; • une cartographie des zones à risque d’inondation, de mouvement de terrain et d’érosion côtière dans la ville d’Abidjan. Un décret portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et d’indemnisation des victimes ainsi qu’une loi relative à la réduction des risques et la gestion des catastrophes en Côte d’Ivoire sont en cours de formulation. En outre, une étude relative à la mémoire des catastrophes en Côte d’Ivoire de 1960 à 2015 est en cours de réalisation ; elle servira à l’amorçage de la mise en place d’une base de données nationale sur les catastrophes. Certaines structures nationales mettent en ?uvre des activités qui contribuent à la réduction des risques de catastrophe. Il s’agit principalement : • du ministère en charge de la Construction, de l’Assainissement et de l’Urbanisme qui a pour mission de concevoir et d’exécuter la politique du gouvernement en matière d’urbanisation et d’assainissement et ce, à travers l’Office national de l’assainissement et du drainage (ONAD) ; • du ministère en charge de la Solidarité, qui assure les missions de l’action humanitaire en cas de catastrophe à travers l’assistance des personnes affectées ; • du Comité national de défense de la forêt et de lutte contre les feux de brousse (CNDFB), créé en 1986, qui dépend du ministère des Eaux et Forêts et qui travaille dans la lutte contre les feux de brousse en étroite collaboration avec l’OIPR ; • de la Société d'exploitation et de développement aéroportuaire, aéronautique et météorologique (Sodexam) qui, à travers la Direction de la météorologie nationale, est chargée de la veille climatique et météorologique au niveau national. Elle élabore entre autres les bulletins d’alerte précoce pour l’information des populations sur les phénomènes météorologiques. 2. Les responsabilités au niveau local L’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire (UVICOCI) intervient dans

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l’amélioration du cadre de vie des populations locales. Sa connaissance des réalités locales est un atout pour la gestion des risques de catastrophe. L’Assemblée des régions et districts de Côte d’Ivoire (ARDCI), qui est constituée de présidents des conseils régionaux et de gouverneurs de districts, a également un rôle impor tant dans la prévention des risques et la gestion des catastrophes au niveau local. La Croix-Rouge de Côte d’Ivoire, qui est représentée sur toute l’étendue du territoire national, joue un rôle prépondérant dans la gestion des catastrophes. Elle dispose ainsi de 50 branches locales et 26 brigades communautaires, toutes formées aux premiers secours. De ce fait, la Croix-Rouge est capable de répondre rapidement aux besoins des communautés touchées par des catastrophes. La société civile a aussi une responsabilité importante dans la gestion des risques de catastrophe. Du fait de sa proximité avec la population, les diverses ONG de Côte d’Ivoire sont parfois amenées à alerter le gouvernement sur des situations d’urgence. 3. Les ressources financières pour la prévention et la gestion des catastrophes La prévention et la gestion des catastrophes en Côte d’Ivoire ont deux sources de financement. Il y a les financements publics via les budgets des différents ministères et organismes publics susmentionnés qui ont une responsabilité dans la réduction des risques et la gestion des catastrophes. Cependant, il est difficile de déterminer avec exactitude la part du budget qui est allouée spécifiquement aux activités de réduction des risques et de gestion des catastrophes dans la mesure où les budgets des structures servent aussi à traiter des problématiques différentes de celles sus-évoquées. L’autre part des ressources financières dédiées à la prévention et à la gestion des catastrophes provient des financements privés et des partenaires au développement, notamment le PNUD, la FAO, la Banque mondiale, la CEDEAO, l’OCHA, et l’ONU-SIPC. Le constat qui se dégage est que le cadre juridique, réglementaire et institutionnel pour la prévention et la gestion des catastrophes en Côte d’Ivoire reste encore faible, à l’instar de celui de plusieurs pays africains. Il est néanmoins important de relever que, depuis 2007, l’État s’est inscrit dans la vision de la Stratégie internationale de la prévention des risques de catastrophe qui préconise d’investir davantage sur des actions de réduction des risques de catastrophe, qui ont l’avantage de réduire la vulnérabilité des populations et de leurs biens face aux catastrophes. Pages suivantes : Encadré II : Les axes prioritaires de renforcement des capacités de réduction des risques en Côte d’Ivoire Encadré III : La Plate-forme nationale RRC et ses missions

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Conclusion En Côte d’Ivoire, des inondations et des glissements de terrain ont lieu dans certaines localités et particulièrement à Abidjan durant les périodes de saison pluvieuse. Les périodes de sécheresse sont sporadiques et s’accompagnent de feux de brousse. L’érosion côtière quant à elle agit de façon insidieuse tous les jours au niveau de la zone côtière. Ces aléas causent d’importants dégâts matériels et pertes en vies humaines, et constituent une menace pour les moyens de subsistance des populations et les acquis du développement. L’État, en exerçant sa fonction régalienne de protection de l’environnement et de promotion de la qualité de la vie pour l’ensemble des communautés, a mis en place des structures pour la gestion des catastrophes. Cependant, force est de constater qu’il existe de nombreux dysfonctionnements au niveau du cadre juridique, réglementaire et institutionnel qui mettent à mal la mise en œuvre des activités de réduction des risques et de gestion des catastrophes. Il n’existe pas encore une entité unique spécialisée dans la prévention des risques. De plus, la protection sociale est orientée prioritairement sur les interventions d’urgence et englobe rarement des mécanismes de prévention des catastrophes. Pour inverser les tendances à l’accroissement spectaculaire des risques de catastrophe et des conséquences y relatives, il importe de renforcer les politiques publiques et les dispositifs institutionnels de gestion des crises et catastrophes et la mise en œuvre de mesures de pour leur réduction. Si la priorité est accordée aux efforts visant à lutter contre les facteurs de vulnérabilité, les risques pourront être réduits, le développement humain sera assuré et l’adaptation aux changements climatiques facilitée. Dans la dynamique de la prévention des risques de catastrophe, tous les coûts y relatifs doivent être considérés comme un investissement dans la construction d’un avenir plus sûr, stable, durable et équitable. En outre, étant donné le caractère urgent des actions de lutte contre les effets des changements climatiques, il est indispensable pour le gouvernement ivoirien d'engager des ressources nécessaires pour une gestion prospective et corrective des risques, qui n’est rien d’autre qu’une façon rentable de soutenir le développement durable. Ainsi, la Côte d’Ivoire, qui a pris la pleine mesure des enjeux en matière de prévention des catastrophes, a saisi l’opportunité offerte par le cadre d’action de Hyÿgo 2005-2015 pour manifester sa volonté politique à s’engager dans le domaine de la réduction des risques de catastrophe, à travers l’élaboration de la Stratégie nationale pour la réduction des risques de catastrophes et la création par décret, en octobre 2012, de la Plate-forme nationale de réduction des risques et de gestion des catastrophes. Des efforts restent néanmoins à faire par l’État pour rendre opérationnel et durable ce cadre institutionnel dont les actions devront s’inscrire dans la mise en ?uvre du cadre de Sendai 2015-2030 qui prend le relais en matière de réduction des risques de catastrophe.

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BIBLIOGRAPHIE Banque mondiale, Côte d’Ivoire, Analyse environnementale Pays, juin 2010, p. 1-8. Banque mondiale, Analyse post-conflit 2012. Ben Wisner, 2006, Ce que nos enfants ont à nous apprendre ; examen du rôle de l’éducation et du savoir dans la réduction des risques de catastrophe. Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres, Bilan d’activité, OFDA-CRED, 2002 ; UN/ISDR, 2002, 2004, 2009. Cartographie des zones à risques d’inondation, d’éboulement de terrain et d’érosion côtière dans la ville d’Abidjan, 2014. Benson C., Twigg J., Outils d’intégration de la réduction des risques de catastrophe. Commission européenne, 2006, Profil environnemental de la Côte d’Ivoire. Dauphine A., 2003, Risques et catastrophes : observer, spatialiser, comprendre, gérer. Diagnostics et plans d’amélioration des quartiers précaires des 13 communes du district d’Abidjan, 2014. Dje Kouakou, 2009, Note d’information sur le climat, sa variabilité et les impacts en Côte d’Ivoire. Document de politique nationale de l’environnement, 2011. Document de stratégie de réduction de la pauvreté, 2012. État des lieux de la lutte contre la désertification et la dégradation des terres en Côte d’Ivoire, 2012. Kaman A.P., 2013, Analyse des vulnérabilités aux catastrophes et capacités de réponse en Côte d’Ivoire, p. 33-68. Munich Re, 2013, Geo Risks Research et NatCatSERVICE. Neuilly, M.T., 2008, Gestion et prévention de crise en situation post-catastrophe, p. 8-15. Rapport de Sendai, 2013, Gérer les risques de catastrophe pour un avenir résilient. Risques et pauvreté dans un climat en évolution, Bilan mondial, 2009.

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Genre et dimension sociale : renforcer le pilier humain du développement durable en Afrique et en Côte d’Ivoire Anne-Désirée Oulotto Ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant de la Côte d’Ivoire

Introduction La Côte d’Ivoire s’est fixée pour objectif de devenir un pays émergent à l’horizon 2020. Mieux, elle s’est profondément engagée dans la conduite du processus devant conduire au développement durable dans tous les secteurs d’activités économiques, politiques, sociaux, religieux… Au demeurant, loin d’être un slogan, le développement, tout en satisfaisant les besoins du moment sans compromettre ceux des générations futures, se veut harmonieux, équitable, égalitaire entre les hommes et les femmes, les filles et les garçons, et repose principalement sur trois piliers : l’économie, l’environnement et le social. Cependant, l’accroissement actuel de la population ivoirienne a poussé à une surexploitation des ressources naturelles entraînant, bien souvent, leur mauvaise gestion. Ce qui génère de fâcheuses conséquences au plan économique et social. Néanmoins, l’État ivoirien mène diverses actions en faveur d’une croissance économique durable qui doit profiter à tous, notamment aux enfants et aux jeunes, aux générations futures sans distinction d’âge, de sexe, d’appartenance ethnique, de religion, etc. En d’autres termes, il s’agit pour le gouvernement actuel de placer les besoins et les aspirations des populations au centre des politiques et plans nationaux de développement, particulièrement ceux en lien avec les Objectifs de développement durable, qui au plan international recherchent la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes. En témoigne, la Conférence mondiale des femmes à Pékin en 1995 dont l’un des objectifs a été consacré à la « femme et à l’environnement » et qui vise, à terme, au renforcement de la participation des femmes aux décisions relatives à l’environnement et à la prise en compte de leurs besoins, de leurs préoccupations et de leurs opinions dans les politiques de développement durable. Ceci a permis

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de prendre en compte la dimension genre dans l’évaluation des politiques sur leur développement social, économique, intellectuel, politique… Renforcer le pilier humain du développement durable se présente comme un défi majeur à relever au travers des politiques environnementales, sociales et économiques mises en place en vue de réduire, sinon supprimer, les injustices issues d’une modélisation sociale des rôles que doivent jouer les individus en dehors des habituelles tâches biologiquement attribuées. Inclure le concept du genre dans le développement durable, c’est prendre en compte une juste situation des femmes et des hommes dans la détermination des politiques au travers de projets de développement appropriés et mis en œuvre. C’est, en un mot, offrir les mêmes chances, les mêmes opportunités et les mêmes considérations sans distinction aucune pour un développement plus harmonieux et équitable. En effet, l’approche genre tend à prouver qu’elle recherche assidûment à long terme, l’efficacité et l’efficience dans les politiques, plans et programmes du développement durable de la Côte d’Ivoire. Le présent article se veut être un outil de plaidoyer à l’effet de convaincre les décideurs ivoiriens et l’ensemble des par ties prenantes à l’action de développement à prendre en compte le concept du genre et de la protection sociale dans leur action.

La clarification des concepts genre, dimension sociale et développement durable La dimension genre Selon l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le genre renvoie à la « construction sociopsychologique des images de la femme et de l’homme ». Le terme se réfère au groupe femmes et au groupe hommes dans une société donnée, à un moment donné. Il implique un savoir sur la différence sexuelle mais aussi sur le pouvoir qui organise et hiérarchise les groupes. Il se réfère à l’expression anglo-saxonne Gender. La définition adoptée par la Côte d’Ivoire est citée dans le document de politique sur le genre de 2009 comme étant :

La dimension sociale « La protection sociale est l’ensemble des mesures publiques et privées (ayant une mission d’intérêt public) qui visent à réduire la vulnérabilité des populations aux risques et à l’impact des chocs, à éviter l’emploi de stratégies d’adaptation néfastes et à garantir des niveaux minima de dignité humaine », selon la Stratégie nationale de protection sociale (SNPS Côte d’Ivoire, 2014)1. La protection est une notion fortement liée à la prise en compte des vulnérabilités qui renvoie à « l’incapacité plus ou moins grande d’un individu, d’un ménage ou d’une couche de la population à faire face à un risque », (SNPS, 2014). La nature et le degré de vulnérabilité dépendent, outre des capacités des ménages et des individus, de plusieurs dimensions telles que le statut économique du ménage (revenus, actifs, épargne, etc.), la situation géographique du lieu de résidence (proximité des services publics, des marchés et vulnérabilité aux risques climatiques), le genre, les étapes du cycle de la vie, le niveau d’éducation, les maladies chroniques, les handicaps, etc. Les composantes prises en compte par la thématique de la protection sociale en Côte d’Ivoire sont l’assurance sociale, les transferts sociaux, les services d’action sociale (la branche non contributive) et la législation protectrice. Dans le cadre de cet article, elle peut être comprise comme ce qui relève de l’exigence d’un système social capable de trouver des solutions aux tensions nées d’un développement déséquilibré. Elle suppose donc la recherche de l’équité entre toutes les composantes de la société, entre les générations, entre les individus issus de la même génération. Nous utiliserons bien souvent le terme de « protection sociale ».

Le développement durable Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) : « Le principal objectif du développement humain est d’élargir la gamme des choix offerts à la population, qui permettent de rendre le développement plus démocratique et plus participatif. Ces choix doivent comprendre des possibilités d’accéder aux revenus, à l’emploi, à l’éducation, aux soins de santé et à un environnement propre ne présentant pas de danger. L’individu doit également avoir la possibilité de participer pleinement aux décisions de la communauté et de jouir des libertés humaines, économiques et politiques. » Dans cet article, nous entendons par « développement durable », « toute réponse précise et efficace face aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».

L’état des lieux de l’évolution du genre dans les secteurs clés de la vie sociale, économique et environnementale en Côte d’Ivoire Dans le domaine de l’éducation, près d’une femme sur deux (51 %) et un peu plus d’un homme sur trois (36 %) n’a aucun niveau d’instruction en Côte d’Ivoire. Quel que soit le niveau atteint, les hommes sont plus instruits que les

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femmes : 33 % des hommes ont, au minimum, le niveau primaire complet contre 21 % des femmes. Au niveau du système d’éducation de base non formelle, les femmes sont moins alphabétisées (38 %) que les hommes (61 %). Le taux d’alphabétisation varie aussi de manière importante selon le milieu de résidence : 53 % des femmes et 76 % des hommes sont alphabétisés en milieu urbain contre respectivement 21 % et 45 % en milieu rural (EDSIM, 2012). Les principales raisons d’interruption scolaire des filles sont : la grossesse, les mariages forcés, le manque de moyens financiers et le manque d’infrastructure, d’eau potable et d’assainissement dans les écoles. Bien que l’éducation de base soit obligatoire en Côte d’Ivoire, il n’est prévu aucune amende ou sanction institutionnalisée à l’encontre des parents qui refusent d’envoyer leurs enfants à l’école. Dans le domaine de la santé, l’espérance de vie à la naissance est de 56 ans pour les hommes et de 57 ans pour les femmes. Le taux de mortalité maternelle est estimé à 614 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes pour la période des sept dernières années (2005-2012, EDSIM, 2012). L’indice synthétique de fécondité est de 4,3 enfants par femme et seul 21 % des femmes utilisent des méthodes contraceptives. Par ailleurs, le secteur de l’entreprenariat et du secteur privé, enregistre une forte proportion de femmes dans les petites et moyennes industries telles que l’immobilier, la papeterie, la fabrique de produits laitiers, la vente de produits alimentaires et cosmétiques, le textile, etc. Bien que les textes ne contiennent aucune discrimination, les femmes entrepreneures rencontrent des difficultés majeures dans l’exercice de leurs activités surtout au niveau du financement. En ce qui concerne les secteurs de l’agriculture et de l’élevage, le sous-secteur des cultures vivrières occupe 85 % de la population active agricole, dont 90 % sont des femmes. En plus du vivrier, elles s’occupent également de petits élevages, des activités de transformation et de commercialisation des produits dérivés et représentent les deux tiers de la main-d’œuvre agricole. Pourtant,, les femmes ivoiriennes accèdent rarement à la propriété, en particulier en zone rurale, en raison de pesanteurs socioculturelles issues des coutumes, des valeurs et des pratiques ancestrales ou de la méconnaissance des droits et des lois. Les femmes productrices de produits vivriers, par exemple, ont une facilité d’accès à la terre pour les cultures de contre-saisons, contrairement aux cultures pérennes. À cela, il faut ajouter les difficultés d’accès aux principaux facteurs d’aide à la production que sont la terre, les intrants, les crédits, les capitaux, l’adaptation des techniques utilisées et l’eau. Ce sont principalement les femmes qui sont chargées de la corvée d’eau. Leur responsabilité dans ce domaine coïncide généralement avec une accessibilité limitée à l’eau, ce qui exige d’elles qu’elles consacrent un temps considérable à cette tâche. Soixante-dix-huit pour cent des ménages (67 % en milieu rural contre 92 % en milieu urbain) s’approvisionnent en eau potable, eau de boisson auprès d’une source améliorée. Près de deux ménages sur dix (17 %) doivent consacrer trente minutes au minimum (si ce n’est plus) pour s’approvisionner en eau de boisson (EDSIM, 2012). Plus de la moitié des ménages ivoiriens (53 %) disposent de toilettes non améliorées (EDSIM, 2012). En zone rurale, non seulement la femme ivoirienne est toujours

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confinée dans ses rôles de reproduction mais elle participe également, à certains niveaux, à la production de rente pour l’exportation, sans nécessairement bénéficier d’une rémunération. Les pratiques discriminatoires et les résistances socioculturelles à l’égalité du genre demeurent encore impor tantes, nonobstant l’existence de lois, qui ne sont pas toujours appliquées dans toute leur rigueur. En outre, le taux de participation des femmes dans le gouvernement est passé de 16 % en 2011 à 17 % en 2014. À l’Assemblée nationale, cette proportion est passée de 8,5 % en 2005 et à 9,9 % en 2014. Dans l’armée, la première femme générale a été nommée en 2012. Aussi, les violences à l’égard des femmes demeurent-elles courantes et préoccupantes. Ainsi, les mutilations génitales féminines, bien que réprimées par la loi nº 98/757 du 23 décembre 1998 portant répression de certaines formes de violence à l’égard des femmes, continuent pourtant d’être pratiquées, avec des conséquences néfastes sur la santé de la fille et de la femme. Malgré l’existence d’une législation nationale, les femmes sont encore confrontées aux stéréotypes culturels qui les culpabilisent parfois en les accusant d’être responsables des violences dont elles sont victimes. De plus, la prévalence du VIH Sida dans la population âgée de 15 à 49 ans est estimée à 3,7 %. Elle est de 4,6 % chez les femmes et de 2,7 % chez les hommes. Elle varie selon l’état matrimonial : 17,3 % parmi les veuves, 11,5 % pour les veufs et 8 % pour les divorcées. Elle est plus faible chez les femmes et les hommes célibataires (respectivement 2,9 % et 0,7 %). Une stratégie innovante de lutte contre le VIH Sida en milieu rural a été développée. Elle a été mise en place depuis 2005 et bénéficie de subvention jusqu’en septembre 2015. Elle contribue, en milieu rural, à la réduction des comportements à risques et de la vulnérabilité de la femme et de la fille face au VIH. Enfin, les conséquences des changements climatiques ont des impacts différents sur les femmes et les hommes, en fonction de leurs statuts sociaux, de leur capacité à participer aux décisions et de leur accès aux ressources. Les secteurs les plus concernés sont les ressources en eau, l’agriculture et l’érosion côtière2.

La protection sociale comme facteur de développement durable La Côte d’Ivoire s’est dotée depuis 2014 d’une Stratégie nationale de politique sociale (SNPS) qui, en phase de mise en œuvre, est censée accompagner les politiques de promotion de la croissance, de l’emploi, de la fiscalité, de la protection environnementale, de la promotion de la paix et de la bonne gouvernance. En effet, le gouvernement de Côte d’Ivoire reconnaît que les dispositifs de protection sociale devraient davantage jouer un rôle crucial dans l’autonomisation des couches les plus vulnérables de la population, dans le renforcement de la capacité des ménages à gérer les risques sociaux, dans le développement du capital humain, dans la redistribution des fruits de la croissance, dans le renforcement de la cohésion sociale et la consolidation de la paix. Pour faire l’état des lieux de la dimension sociale du développement en Côte d’Ivoire, indiquons

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que le pays n’a pas encore développé de programmes de transferts sociaux réguliers et à large échelle comme les allocations familiales (hors des régimes de sécurité sociale liés à l’emploi dans le secteur formel) ainsi que les pensions sociales de vieillesse non contributives. La protection sociale moderne est largement limitée à sa branche contributive, c’est-à-dire à l’assurance sociale, puisque les caisses de sécurité sociale ont une couver ture très faible et un impact minime en matière de protection de la population générale contre les risques sociaux. La réforme de la Caisse générale de retraite des agents de l’État (CGRAE) en 2013 et la couverture maladie universelle (CMU) en Côte d’Ivoire en 2015 ont été lancées pour la prise en compte sociale de toute la population. La politique sociale appliquée dans le secteur de l’eau et de l’assainissement ne contribue pas toujours à améliorer le cadre de vie des populations vulnérables. En effet, le coût du branchement, même subventionné, reste hors de portée des ménages pauvres urbains. Ils sont également plus élevés dans les villages, notamment ceux servis par les systèmes d’hydraulique villageoise améliorée (HVA), où cer tains problèmes au niveau du fonctionnement des systèmes (entretien des pompes, gestion défaillante, etc.) limitent aussi leur accès dans la pratique quotidienne. En parallèle, des mesures importantes de protection sociale scolaire visent à augmenter l’accès à l’école et à freiner la déperdition scolaire, même si elles restent largement inadéquates. Il est à noter cependant que l’abolition des frais d’inscription et de scolarité pour l’enseignement primaire public et la distribution gratuite de manuels et de kits scolaires ont contribué à alléger les coûts de la scolarité. Les cantines scolaires contribuent fortement à la scolarisation de la jeune fille, à son maintien dans le système éducatif, et plus largement à l’amélioration des rendements scolaires, à la réduction des carences alimentaires et à l’augmentation du niveau de revenu des ménages par l’effet de transfert que constitue l’économie financière de la ration alimentaire fournie à l’enfant. A contrario, les mesures prises pour assurer la scolarisation des enfants handicapés restent très faibles. En effet, le grand manque de places avéré dans les établissements d’éducation spécialisée pour les enfants ayant des handicaps sévères se confond aux difficultés de mise en œuvre effective de l’éducation intégratrice dans les écoles ordinaires pour des enfants ayant des handicaps modérés.

L’accès inéquitable à l’énergie comme frein à l’autonomisation des femmes et à leur pleine participation au développement Le manque d’accès à des formes modernes d’énergie, incluant même l’électricité en passant par la force motrice ou aux autres options de cuisson, affecte la croissance et le développement économique du pays, imposant ainsi de sérieuses contraintes aux activités productives et ménagères des femmes. Les femmes et les filles restent donc cantonnées dans des activités chronophages qui induisent des coûts élevés, tant sur le plan personnel que social, car elles se voient

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privées de possibilités d’autoperfectionnement et ne peuvent réellement contribuer au développement social, culturel, politique et économique de leurs communautés. De plus, l’absence de ser vices énergétiques modernes pour les activités productives et ménagères impose des restrictions à la production de revenus, à l’amélioration de la santé, aux possibilités éducatives et à la protection de l’environnement. Il est évident que les femmes peuvent être un facteur d’amélioration de leurs conditions de vie et d’existence lorsqu’elles ont accès aux sources d’énergie. Leur faible accès à l’énergie est principalement en corrélation avec leur modeste condition de vie. Cette situation est due à la persistance de normes et pratiques sociales stéréotypées qui entraînent un accès inégal aux opportunités, aux ressources et aux processus de prise de décision. Si les femmes n’ont pas un accès facile aux sources d’énergie au même titre que les hommes, les conditions de leur autonomisation s’en trouvent négativement affectées. Par exemple, dans les travaux domestiques, champêtres ou de transformation des aliments à des fins commerciales, le travail des femmes africaines est particulièrement pénible.

Les actions menées dans le cadre de la promotion du développement durable La protection de l’environnement et du climat À l’instar des autres États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’État de Côte d’Ivoire est soucieux de la maîtrise de son énergie. Cela passe par une synergie d’actions au sein de la CEDEAO qui veut atteindre les 35 % de part des énergies renouvelables à l’horizon 2020 par la mise en place de lois, de politiques et de mécanismes incitatifs en matière d’énergies renouvelables. Au regard de l’objectif global depuis 2000 qui était d’assurer un environnement durable, des progrès importants ont été réalisés en ce qui concerne l’accès à l’eau potable dont le taux national est passé de 51,2 % en 2002 à 61 % en 2008, puis, à 78 % en 2012, dont 92 % en milieu urbain et 67 % en milieu rural. En vue de faire face aux défis de l’habitat et du cadre de vie, le gouvernement ivoirien a entrepris la réalisation de logements sociaux et économiques, pour le relogement des populations hors des zones à risque, facilitant aussi l’acquisition des terrains à bâtir. La politique du logement qui est en cours depuis 2012 connaît une mise en œuvre relativement satisfaisante, en ce sens qu’elle permettra aux couches vulnérables et aux populations à revenu modeste de disposer d’une habitation décente. Par ailleurs, afin de réduire l’empreinte écologique liée aux infiltrations massives de certaines populations dans les forêts classées, parcs nationaux, réserves naturelles et autres forêts du domaine rural, l’État a opté pour leur relocalisation massive et progressive. En amont, un accroissement du dispositif de sécurisation des forêts est implémenté par l’augmentation du nombre d’agents qualifiés des structures en charge de la protection de l’environnement et des ressources naturelles. En ce qui concerne le cadre de vie, diverses actions sont conduites pour équiper les villes en réseaux d’assainissement et en unités de traitement des eaux, à partir

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d’un schéma directeur d’assainissement. Toutefois, particulièrement en milieu rural, il importe d’adopter et de mettre en œuvre une politique d’assainissement. Enfin, face à la recrudescence de l’érosion côtière, et au vu du balancement continuel entre inondations et périodes de sécheresses, des capacités d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques ont été renforcées. Par ailleurs, pour la réduction du gaspillage des ressources énergétiques, des séances de sensibilisation sont organisées et depuis le début de l’année 2015, des ampoules dites « économiques » sont distribuées aux populations. Ces efforts ont contribué un peu plus à améliorer l’accès des populations aux services énergétiques modernes, notamment celles à revenu modeste. Les progrès en matière de lutte contre les inégalités liées au genre Au niveau juridique et institutionnel, la Côte d’Ivoire a adapté son arsenal juridique aux recommandations régionales et internationales. Ce qui met notre pays au rang des États les plus respectueux de leurs engagements internationaux, à travers plusieurs politiques, stratégies et programmes élaborés et mis en œuvre sous l’impulsion du gouvernement avec l’appui des partenaires au développement. Aussi, l’autonomisation socio-économique des femmes, a-t-elle été facilitée à travers la mise en place de fonds spéciaux tels que le Fonds femme et développement installé depuis 2000, davantage orienté au renforcement de l’entreprenariat féminin et à l’assistance aux femmes victimes de la crise postélectorale pour les années 2013 et 2014. À cela, il faut ajouter la mise sur pied du Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI) d’un montant initial d’un milliard de francs CFA en 2012, passé, en 2014, à cinq milliards. Pour les femmes ivoiriennes, le FAFCI vise à faciliter l’accès aux ressources financières à coût réduit en vue de créer ou de renforcer les activités génératrices de revenus. Le renforcement de la participation politique des femmes a été assuré à travers le projet d’élaboration du Compendium des compétences féminines (CCF) lancé en 2011 et qui a permis de disposer à ce jour d’un Annuaire des femmes compétentes (AFC) dans divers domaines d’activité. La lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) a été renforcée depuis l’adoption par le gouvernement de la Stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre (SNLVBG) en septembre 2014. Quarante-trois plateformes de lutte contre ce fléau ont été créées à travers le territoire national au titre des mécanismes institutionnels de prise en compte des survivantes de violences. Dans l’accès à l’éducation, d’importantes réformes ont été initiées par le gouvernement qui mérite d’être renforcées et soutenues. Il s’agit notamment de la création du Réseau national pour la promotion de l’éducation des filles (UNGEICI), de la construction et de l’équipement des cantines scolaires et de la séparation des latrines pour filles et garçons dans les établissements scolaires et enfin du projet École pour tous. L’intensification de la politique de gratuité de l’école, depuis 2011, vise à donner une chance à tous les enfants, avec un accent en direction des filles, de fréquenter l’école en réduisant l’écolage supporté par les ménages. En matière de santé, la réhabilitation et la construction des centres de santé et le renforcement des plateaux techniques sont cités parmi les pro-

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grès accomplis dans le domaine de l’éducation. Sur la question de l’environnement, il y a eu des programmes de facilitation à l’acquisition de foyers améliorés et la promotion des énergies renouvelables de substitution (énergie de cuisson, énergie solaire et gaz butane). Pour la protection des droits fondamentaux de la petite fille, l’État ivoirien a développé des politiques de protection et des plans d’action accélérés contre les mariages précoces et les grossesses en milieu scolaire par l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la petite fille. Il est donc temps que les dimensions genre et inclusion sociale soient intégrées aux critères de croissance économique et de développement humain. Cela exige un rééquilibrage à l’effet de garantir la pérennisation de la société humaine actuelle en proie à de fortes pressions environnementales. Cela aurait un impact doublement favorable sur la durée de l’atmosphère, la stabilité du climat et la qualité de vie. Pour ce faire, nous recommandons la révision des politiques et des textes de lois sur l’environnement et les mécanismes de prévention et d’atténuation des effets du changement climatique à la lumière du genre et de l’inclusion sociale. À cela s’ajoute, la représentation équilibrée et équitable des hommes et des femmes aux forums de réflexions sur les questions de développement durable, la participation des populations dans toutes leurs diversités (urbaines, rurales, instruites, analphabètes) aux négociations sur le climat, l’éducation environnementale en faveur des populations, notamment des femmes et des jeunes, l’adoption de stratégies de communication plus innovantes et accessibles à tous, pour un changement de comportement, singulièrement chez les jeunes, chez les acteurs du développement local, les leaders communautaires alliés à la mise en place d’instruments de veille et de vigilance dans les régions et provinces du pays, en vue d’alimenter les mécanismes d’alerte précoce, la planification/l’évaluation systématique de l’impact environnemental de tous les projets de développement, les effets des programmes environnementaux sur divers groupes sociaux en plus des hommes, des femmes et leur renforcement des capacités.

Conclusion Les effets des changements climatiques se font déjà sentir notamment dans les zones les plus fragiles à travers des sécheresses, des pluies diluviennes, des inondations, la hausse du niveau des mers… qui affectent de manière disproportionnée les femmes et les hommes en plus de différents groupes sociaux. La progressive perturbation climatique à l’échelle planétaire est due principalement à d’énormes quantités de gaz rejeté en excès dans l’atmosphère par les activités humaines. Vu son importance, la question est inscrite dans le processus de l’Agenda post 2015 d’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) universels, sur la base d’une proposition de 17 ODD formulés par les Nations Unies en août 2014.

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Dans bon nombre de pays africains, les femmes jouent un rôle particulièrement important dans l’adoption des modes de consommation et de production, ainsi que dans la gestion des ressources naturelles. Toutefois, leur participation à la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques environnementales reste encore limitée. Dans les ménages ruraux et périurbains où la biomasse traditionnelle est utilisée comme source principale de combustible à des fins de cuisson, les femmes, compte tenu de leurs rôles sociaux traditionnellement prescrits, sont en grande partie responsables de l’achat et de l’utilisation du bois de chauffage. Il est, certes, difficile pour elles de se défaire des tâches domestiques, mais un accès égal et facile à l’énergie pourrait leur faciliter la vie, à travers une agriculture mécanisée, des moyens de transport adaptés, des solutions plus appropriées pour la transformation… Pour faire face aux défis environnementaux, il importe de passer nécessairement par la prise en compte, dans les politiques environnementales, des réalités locales et des aspirations des femmes et des hommes vivant ensemble et partageant les mêmes ressources naturelles. Il s’agit de contribuer à valoriser des solutions locales et innovantes en matière de sources d’énergie renouvelable et à accroître l’accès des femmes aux services énergétiques. La Côte d’Ivoire reconnaît que la promotion du genre et l’autonomisation des femmes sont primordiales pour le processus de croissance économique et de développement humain durable. Ces dernières années, des efforts importants ont été engagés dans le cadre politique, institutionnel et juridique en vue du respect de l’équité du genre et de l’inclusion sociale. Malgré les nombreuses avancées en la matière, les défis restent à relever en vue d’éliminer toutes les discriminations basées sur les spécificités liées au genre et aux questions sociales. L’égalité des femmes et des hommes dans les domaines politiques, économique, social et culturel est à la fois un objectif déterminant en matière de droits humains et un moyen pour concrétiser un réel développement durable.

BIBLIOGRAPHIE Amartya S., 1970, Collective choice and social welfare, Holden-Day. Longwe S., 1990, Criteria for analyzing a project contribution towards women’s development, présenté à une réunion du Partenariat Afrique-Canada à Nairobi. Lorena P., 2006, Le système de genre. Introduction aux concepts et théories, Zürich : Seismo, coll. Questions de genre. Banque mondiale, 2013, tre femme en Côte d’Ivoire : quelles stratégies d’autonomisation ?, rapport des consultations. Chaire UNESCO, 2014, Eau, femmes et pouvoir de décisions, profil genre pays, République de Côte d’Ivoire, mai 2014. CRDI, Gender and biodiversity guidelines, voir thhp;//www.idrc.ca/ols/gender_e.cfm. CRDI, Évaluation des réformes des politiques sociales, Initiative du programme du CRDI : soutien des recherches équitables pour les deux sexes, voir : http//www.idrc.ca/sovdev/research/gender.html.

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Mission du groupe de la Banque africaine de développement, Abidjan, Commission économique pour l’Afrique, 2011. Indicateur de développement et des inégalités entre les sexes en Afrique (IDISA), Addis Abeba. Ministère d’État, ministère du Plan et du Développement, 2012. Plan national de développement (2012-2015), Abidjan. Ministère d’État, Ministère de l’emploi, des affaires sociales et de la formation professionnelle, 2014. Stratégie Nationale de Protection Sociale (SNPS), Abidjan. Ministère de l’Environnement et du Développement durable, 2012, Rapport Pays Rio+20, Abidjan. Ministère des Affaires Sociales, de la Famille, et de la Femme, 2009, Document de politique nationale sur l’égalité des chances et le genre, Abidjan. Ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, 2014, Rapport Beijing+20, Abidjan. Programme des Nations Unies pour le développement, Gender and integrated water resources management : issues papers, Bangkok, 21e session du CAC, 16 au 20 octobre 2000.

NOTES 1. Projet du Gouvernement Ivoirien qui vise à mettre sur pied des mesures publiques et privées en vue de réduire la vulnérabilité des populations et de garantir la dignité humaine pour chaque habitant de la Côte d’Ivoire un projet du Gouvernement Ivoirien qui vise à mettre sur pied des mesures publiques et privées en vue de réduire la vulnérabilité des populations et de garantir la dignité humaine pour chaque habitant de la Côte d’Ivoire. Institut national de statistique, Enquête démographique et de santé aux indicateurs multiples, EDSIM, 2012. 2. Actes du séminaire francophone des 27 et 28 janvier 2011 à Paris en vue de la création du Réseau d'experts francophones « Genre et changement climatique », organisé par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ; l’Institut de l'énergie et de l'environnement de la francophonie (IEPF) ; Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ;Women's Environment and Development Organization (WEDO), 2011.


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Développement durable et genre : priorités et orientations pour l’adaptation aux changements environnementaux en Afrique Madeleine Oka Balima Responsable des programmes, bureau de l’Organisation des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes) en Côte d’Ivoire

Introduction Les menaces pesant sur le devenir de l’humanité liées à une gestion destructrice de l’environnement ont été à la base du concept de développement durable qui, selon la définition du rappor t Brundtland en 1987, est « un développement répondant aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ». Dans cette communication, nous nous référerons également à la définition du développement humain selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) qui le considère comme un processus économique, social et culturel par lequel les besoins humains sont satisfaits, par le biais d’un accès plus large au pouvoir économique et politique. Un « élargissement des possibles » qui doit conduire à une société plus égalitaire et plus inclusive, où les êtres humains sont libres de toute domination. Nous établirons le lien avec la définition du rapport Brundtland car la perspective genre est nécessaire à chaque fois que, dans une situation donnée, être un homme ou une femme implique des conséquences différentes en termes d’oppor tunités, de rôles à jouer et de relations. Nous utiliserons l’approche genre à la fois comme cadre d’analyse et comme outil porteur de transformation en vue de contribuer, à travers la promotion du développement durable à l’équité et l’égalité des sexes, une égalité qui constitue avant tout un droit fondamental, et dont la réalisation apporte de surcroît d’immenses bénéfices socioéconomiques pour tous.

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Les défis et enjeux Concernant la préservation des écosystèmes et la gestion des ressources naturelles, le continent africain est notamment touché par la désertification, la déforestation et le déboisement à grande échelle, comme cela a été le cas de la Côte d’Ivoire qui a perdu son couvert forestier, passant de 12 millions d’hectares en 1960 à 2,8 millions d’hectares aujourd’hui. Ainsi, dans ce pays, qui affiche aujourd’hui une croissance économique avoisinant les 10 %, la croissance économique enregistrée jusque dans les années 1980 s’est faite au détriment de ses ressources forestières, avec des résultats très décevants en termes de reboisement. 80 % des Africaines sont des agricultrices. En Afrique subsaharienne, l’agriculture est une activité féminine intensive, et les femmes y sont responsables de la plus grande part de la production alimentaire. Les femmes jouent des rôles prépondérants au plan de la survie économique de la famille. Elles effectuent environ 90 % du travail lié au traitement des récoltes et à la fourniture de l’eau et du bois de chauffage domestiques, 90 % du binage et du sarclage avec des instruments primitifs ; 80 % du travail lié à l’entreposage et au transport des aliments du champ au village ; et 60 % de la récolte et de la mise en marché (Banque mondiale). Elles produisent et commercialisent plus de 90 % des aliments cultivés. Dans le même temps, les Africaines sont les plus touchées par l’érosion des sols et le déboisement. Elles sont plus que quiconque concernées par les défis climatiques, leurs impacts sur les saisons, le calendrier agricole et les importants dégâts qu’ils occasionnent. Concernant l’eau plus particulièrement, en Afrique, les femmes et les filles sont responsables de l’approvisionnement en eau pour leurs communautés et sont affectées de manière disproportionnée par les difficultés d’accès à la ressource. On estime à environ 40 milliards le nombre d’heures passées chaque année par les femmes et jeunes filles pour cette tâche. Une étude portant sur 25 pays d’Afrique subsaharienne a révélé que 71 % de celles et ceux qui vont chercher de l’eau dans la région sont des femmes et des filles, et on estime que les femmes consacrent 16 millions d’heures par jour à puiser de l’eau (contre 6 millions d’heures pour les hommes). Les distances parcourues, en particulier dans les zones non protégées, pour aller chercher de l’eau, et le manque de toilettes privées et sûres rendent les femmes et les filles vulnérables à la violence. Ceci peut également présenter un obstacle à l’éducation des filles et empiéter sur le temps passé à des activités génératrices de revenus. Elles sont à cet égard encore plus vulnérables pendant la grossesse et la maternité. Les femmes et les jeunes filles exercent principalement dans des secteurs informels où elles jouent des rôles significatifs qui sont dévalorisés telle la collecte, le jardinage, le stockage, le désherbage ou le petit élevage. Dans les forêts elles ramassent du bois de chauffe, ou assurent la cueillette des champignons et la récolte du miel. Elles sont aussi celles qui s’investissent le plus dans la cueillette des plantes médicinales.

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Bien qu’étant des actrices incontournables, détentrices de savoirs et connaissances, d’une éthique écologique, chevilles ouvrières de la gestion des ressources durables, trop souvent les Africaines, de par la division du travail, les normes sociales et le rôle qui leur est dévolu au sein de leurs communautés, se retrouvent dans la situation de productrices, cantonnées dans le secteur informel, ployant sous le fardeau des corvées, privées de l’accès à la scolarisation et au bien-être, éloignées des sphères décisionnelles et de l’accession et au contrôle des ressources productives (eau, terre, biens & services). De plus, la voix des Africaines n’a pas beaucoup de poids quand il s’agit de planification et de gestion environnementale. Elles ont peu accès à la terre et aux ressources productives. Seulement 1 à 2 % d’entre elles accèdent à la propriété foncière agricole, quand elles ne sont pas privées de ces droits. En général, elles n’accèdent à sa jouissance qu’au travers d’un homme, père ou époux, et perdent ce pouvoir d’accès à travers lui. Dans la plupart des cas, lorsque les terres deviennent plus attractives au plan économique, elles sont contraintes de les céder aux hommes. Malgré leurs savoir-faire, leurs expériences et les connaissances capitalisées, leurs voix sont insuffisamment entendues et leur participation aux prises de décision reste marginale. En dépit de leur importante contribution, la plupart des femmes n’ont pas accès aux facilités de crédit, et dans certains cas, la permission du mari est exigée pour en obtenir. Sur la foi de données estimatives, les femmes en Afrique reçoivent moins de 10 % du crédit octroyé aux exploitants de petites unités agricoles et 1 % de l’ensemble du crédit à l’agriculture. En 2015, vingt ans après les engagements pris par les États à travers la déclaration et le plan d’action de la plateforme de Beijing, et après quinze années de mise en œuvre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), le rôle crucial et le potentiel transformateur joué par les femmes en matière de développement durable restent sous valorisés. Sept années après la mise en place de la politique de l’Union africaine en matière de genre et alors que l’Afrique se caractérise par une vision partagée pour l’émergence enregistrant les meilleurs taux de croissances mondiaux, la pauvreté et la vulnérabilité des femmes, restent prégnantes. Nous sommes convaincus qu’il est particulièrement indiqué de mesurer le chemin parcouru, les défis qui continuent de se poser, de tirer des enseignements et de revisiter les solutions à apporter, en se référant à la problématique croisée du développement durable et du genre. Si les Africains, hommes et femmes, sont tous impliqués dans la gestion des écosystèmes et la production des ressources naturelles, ils ne jouent pas les mêmes rôles. La nature de leurs relations est façonnée par les valeurs culturelles. Notre démarche revient ici à questionner la façon dont l’Afrique pourrait mieux et plus rapidement progresser vers le développement durable, en préservant la dignité et en améliorant la qualité de vie des Africaines et des Africains, tout en contribuant à leur épanouissement, à la préser vation et la gestion appropriée des ressources et savoirs liés à l’écosystème. Comment revisiter ou bâtir sur les rôles et relations entre les hommes et les femmes du continent, influençant ou influencés par ces décisions dans leur vie au quotidien. Cette problématique prend une tournure particulière en Afrique, ou dans la plupart des

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pays, l’économie est essentiellement basée sur l’agriculture et l’élevage, et où les femmes s’investissent majoritairement dans ce domaine, dans lequel l’accès à la propriété foncière, un élément indispensable à leur autopromotion et au développement socio-économique de leurs pays, leur est rarement concédé.

La valorisation des bonnes pratiques Le continent africain offre notamment une variété d’expériences et d’enseignements qui peuvent nous inspirer. Ainsi, en Sierra Léone, une étude a montré que les femmes étaient capables de nommer 31 utilisations possibles du bois tandis que les hommes n’en connaissaient que 8. Le sol des lopins de terre des femmes du Ghana reste plus fertile que celui des terres cultivées par les hommes. Au Mali, dans la zone d’approvisionnement de Bamako, les femmes s’investissent dans les activités de bucheronnage et de charbonnage pour approvisionner Bamako. Dans cette zone, 60 à 65 % des bûcherons et charbonniers sont des femmes. Une enquête réalisée en 2007 dans la zone concernée a noté la professionnalisation des femmes dans le secteur et l’importance de leur chiffre d’affaires comparé à celui des hommes (60 000 francs CFA de marge annuelle, contre 75 000 francs CFA pour les femmes). Les revenus des activités de bucheronnage sont utilisés pour l’achat de céréales et de condiments, ainsi que les autres dépenses d’entretien de la famille, notamment relatives aux enfants. Le bucheronnage permet aussi aux femmes de faire face aux dépenses sociales : mariages, baptêmes, et autres. Toujours au Mali, sur le plan coutumier, certains animaux sauvages doivent leur survie au fait qu’ils sont assimilés à la femme. C’est le cas du lamentin dans les eaux du fleuve Niger. En 2006, la Côte d’Ivoire a été primée et Mme Euphrasie Yao, directrice du genre au sein du ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, s’est vue octroyer une chaire par l’UNESCO pour un projet novateur lancé en 2005 sur la problématique Femmes et eau. Ce projet partait du constat du rôle de premier plan joué par les femmes dans les villages en matière d’approvisionnement de gestion et d’utilisation de l’eau sans pourtant prendre la parole lors des grandes assemblées régissant la communauté tout entière, ce qui limitait leur participation à la prise de décision. Le projet « Eau, Femmes et Pouvoir de décisions », mis en œuvre en 2006, a soutenu des programmes d’animation et de sensibilisation, de formation et de renforcement des capacités des comités de gestion des systèmes Hydraulique villageoise améliorée (CGHVA), en suscitant la participation effective des femmes dans la gestion de ce système depuis la conception jusqu’à l’exécution des travaux. Il en est résulté un meilleur fonctionnement des HVA, tous les points d’eau étant désormais fonctionnels du fait de la maîtrise du dépannage et de la disponibilité des ressources. Les femmes ont réduit le temps consacré à la collecte de l’eau, se sont vite familiarisées aux pièces de rechange,

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sans être freinées par les aspects techniques, et ont assuré une bonne gestion financière et comptable des revenus de l’eau, contribuant à l’amélioration de l’hygiène familiale. Les communautés concernées ont enregistré une réduction sensible des maladies, (le choléra, la dysenterie, le ver de guinée) et autres maladies hydriques. L’implication des femmes dans la gestion des points d’eau s’est traduite par une participation accrue dans les processus de prises de décisions au sein de leurs communautés. Elles ont d’ailleurs su utiliser ce point d’entrée pour créer des AGR qui ont contribué à accroître leur autorisation. Nous voudrions citer les femmes de la coopérative de Lanaya réputées pour la bonne pâte de placali, et qui ont saisi cette opportunité de développer leur commerce. Enfin, dans le cadre du projet, l’éducation des femmes à l’hygiène a réduit sensiblement la pollution de la nature et contribué non seulement à l’amélioration de l’état sanitaire du cadre de vie, mais aussi à la non pollution des rivières. En 2014, lors de la commémoration de l’Open Day, lors d’une rencontre organisée par l’ONU Femmes à l’attention des Ivoiriennes, concernant leur participation au développement et à la paix dans leur pays, l’une d’entre elle, s’est exprimée pour dire ceci : « Traditionnellement dans ma région, les femmes ne sont pas impliquées dans les décisions liées à l’organisation des funérailles, considérées comme relevant exclusivement des hommes. Mais moi aujourd’hui on me consulte. Pourquoi ? Parce que j’ai les moyens, on sait que je peux contribuer, alors ma parole compte dans la décision. » Cet exemple pris en dehors du domaine de notre problématique est applicable dans de nombreux domaines, y compris celui que nous abordons dans la présente communication. Nous l’avons choisi parce qu’il démontre de manière très simple à quel point l’autonomisation économique de la femme, ce processus complexe d’accession à une participation pleine et entière au devenir de leur société, est fondamental. À la vie civile, politique, sociale et économique, et à l’exercice des droits correspondants pour leur plein épanouissement, la promotion de la dimension genre peut contribuer à son inclusion dans les processus décisionnels. Et ceci y compris dans des domaines où les normes sociales excluent normalement la présence ou la participation féminine. L’autonomisation des femmes peut être un puissant agent de changement pour le développement durable. Ces divers exemples démontrent une autre façon d’envisager la gestion des écosystèmes en intégrant une perspective de développement plus soucieuse de durabilité et d’égalité des sexes et qui sache capitaliser sur les savoirs des communautés africaines.

Des lignes d’orientation pour l’action Comme préalable incontournable, l’Afrique doit se doter des données statistiques désagrégées selon les sexes, lui permettant de mieux appréhender les situations et rôles à jouer par les femmes dans la préservation et la promotion du développement durable.

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Le continent doit communiquer durablement à travers des stratégies tant centrales que décentralisées, et de proximité, en adaptant les messages et canaux à la diversité des cibles, tenant compte du fait que les femmes africaines sont moins exposées aux médias que les hommes. Ceci pour fournir un terreau favorable à l’examen critique des croyances héritées du passé, en vue de la transformation des valeurs et des normes sociales. L’Afrique doit entreprendre la révision de ses systèmes éducatifs à tous les niveaux de l’enseignement, y compris l’alphabétisation fonctionnelle et toutes les autres formes de renforcement de capacités des femmes et des filles. Ceci, à travers des services décentralisés disponibles où elles se trouvent, noue des partenariats avec des acteurs clés pouvant influencer les décisions, tels les leaders d’opinion et les chefs religieux. Il impor te de revisiter les systèmes de gouvernance dans une optique de prise en compte des intérêts stratégiques des femmes. Ainsi, nous préconisons d’utiliser les fondamentaux de l’autonomisation économique qui commandent de revisiter les statuts légaux et les droits fondamentaux des femmes : la dignité, le droit de faire et de déterminer ses choix, d’accéder aux ressources et aux opportunités, d’avoir le contrôle sur leur propre vie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du foyer, en particulier en matière d’accès à la propriété, à la succession et à l’héritage, et la capacité d’influencer le changement social, afin de créer un nouvel ordre économique et social. Il convient également de promouvoir l’autonomisation économique des femmes, les oppor tunités économiques (emplois décents) et la participation et l’inclusion des femmes dans les processus décisionnels économiques. Il s’agit non seulement de combattre les inégalités mais aussi de maximiser les opportunités. De telles stratégies n’excluant pas la poursuite des initiatives visant la satisfaction des besoins pratiques immédiats des Africaines. Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), dans son rapport sur les femmes en première ligne des changements climatiques, l’Afrique doit investir dans des technologies vertes permettant de réduire la main-d’œuvre, qui soient sensibles au genre et adaptées à la culture locale, dans les domaines du captage et du stockage de l’eau, des systèmes d’irrigation et des substituts au bois de chauffage (y compris les mécanismes de maintenance). Concevoir et mettre en œuvre ces investissements en collaboration avec les femmes afin de rester fidèle à leurs besoins et à leurs préoccupations. Contrôler que les aspects physiques, culturels, sociaux, économiques et pratiques sont compatibles avec les pratiques de subsistance dans les divers écosystèmes soutenant l’agriculture, les pâturages, les forêts, les bassins hydrographiques, l’économie domestique et les communautés. Comme réitéré dans le point 1I de la déclaration politique de Beijing + 20 adoptée en mars 2015, et comme préconisé par l’initiative « He For She » lancée par l’ONU Femmes en septembre 2014, la nécessaire implication des hommes est désormais promue et doit désormais devenir effective. Il s’agit de

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trouver les moyens de vaincre la résistance des hommes qui traduit de fait la peur que les bénéfices des femmes se traduisent par la perte de leur pouvoir, et leur prestige, en leur faisant la démonstration des retombées positives induites par l’évolution des rôles et relations entre Africains et Africaines. Il importe également de considérer avec plus de réalisme les délais d’obtention des résultats de développement, qui vu l’enracinement des croyances et normes sociales, la complexité des processus mis en œuvre et la diversité des acteurs concernés, requièrent du temps, parfois une ou plusieurs générations. En tant que cadre de référence pour le changement, le programme d’action contient des engagements complets en réponse à 12 domaines critiques. La problématique des femmes et l’environnement fait partie des 12 domaines de préoccupation de la déclaration et du programme d’action de Beijing, adoptée à l’unanimité par les dirigeants du monde lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995. Le programme d’action de Beijing, dont les vingt ans ont été célébrés à New York en septembre 2015, a mis en exergue trois objectifs stratégiques d’action gouvernementale sur l’environnement, à savoir, I) faire participer activement les femmes à tous les niveaux du processus décisionnel concernant l’environnement, II) prendre en compte leurs préoccupations et leurs points de vue dans les politiques et les programmes d’actions et III) mettre en place des mécanismes permettant d’évaluer l’impact que peuvent avoir les politiques de développement environnementale sur les femmes. Depuis lors, les gouvernements, la société civile et le public ont traduit sur le terrain les promesses du programme d’action, engendrant ainsi de véritables changements dans chaque pays. Ils ont conduit à des améliorations dans la vie des femmes. Plus que jamais auparavant, les femmes et les filles ont accès aux responsabilités politiques, sont protégées par les lois, et plus que jamais l’égalité des sexes est garantie constitutionnellement. Près de vingt ans plus tard, on note des progrès sensibles dans la participation des femmes et les gouvernements font de plus en plus appel à leur expertise et à leur leadership au moment de prendre des décisions clés sur l’environnement. Toutefois, en son point 4, la déclaration politique produite en mars 2015 à l’occasion de Beijing + 20 fait le constat de progrès lents et inégaux, de lacunes de taille et d’obstacles d’ordre structurel. Il importe que la prise de conscience de la nécessité de lier la protection de l’environnement au développement participatif en Afrique se traduise par les politiques et stratégies nationales inclusifs des femmes et des hommes. À travers la valorisation du potentiel des Africaines dans la gestion des ressources naturelle et la protection des écosystèmes, le continent, pourrait transformer les sociétés et accroître les dividendes du développement. Dans la mesure où les relations inégalitaires entre hommes et femmes, les disparités entre hommes et femmes sur le plan de l’accès aux ressources, les rôles

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attribués aux femmes, en Afrique comme ailleurs, sont profondément enracinés dans des normes sociales et culturelles qui les définissent et perpétuent, valoriser le rôle des Africaines dans le contrôle et la gestion des ressources environnementales revient à transformer des sociétés. Il s’agit de changer de paradigme et d’aborder résolument les réformes qui permettent les changements en profondeur des sociétés.

tion Sud-Sud servir de sources d’inspirations pour les pays. Le véritable enjeu est désormais le passage à l’action. Le temps est venu de traduire tous ces engagements en programmes cohérents, coordonnés, et opérationnels avec les actrices concernées. L’ONU Femmes, à travers sa directrice exécutive, le Dr. Phumzile Mlambo-Ngcuka, exhorte les pays à « franchir le pas » en faveur de l’égalité des sexes, et à réaliser des progrès concrets d’ici à 2020.

Conclusion et perspectives L’indice d’inégalité genre (IIG) en matière de développement humain du PNUD a montré qu’en 2010 l’Afrique subsaharienne avait enregistré un IIG de 22 %, ce qui indique un niveau élevé d’inégalité entre les femmes et les hommes, et représente la note la plus basse après l’Asie du Sud, par rapport au reste des pays en développement. L’IIG des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes était de 15 % alors que celui des pays de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique s’établissait pour la même période à 14 % (PNUD, 2010). En 2015, seuls trois pays d’Afrique, (l’Afrique du Sud, le Mozambique et le Rwanda) ont atteint l’objectif d’au moins 30 % de femmes au Parlement, conformément à l’objectif fixé par l’ONU pour la représentation des femmes dans les organes de décision. Aucune société ne peut se développer dans des conditions d’inégalité relative croissante entre hommes et femmes, ni sans une plus grande équité et une plus grande participation des femmes aux destinées de l’humanité. Ainsi, la préservation des écosystèmes nécessite que soit systématiquement intégrée une analyse genre aux fins de valoriser la contribution des hommes et des femmes à cet enjeu vital qui conditionne le devenir de la planète. En Côte d’Ivoire, en Afrique comme un peu partout dans le monde, il est reconnu que les femmes sont plus sensibles aux besoins de l’environnement, de par leur relation particulière avec la nature et la gestion des écosystèmes, et plus soucieuses de le protéger que les hommes mais elles ne participent que de façon marginale à la prise de décision, donc ne peuvent pas exercer une influence à grande échelle pour faire advenir une transformation équilibrée et durable de la gestion des écosystèmes. Au-delà des préoccupations environnementales liées à la gestion des écosystèmes, il apparaît important que la perspective genre soit intégrée dans tous les autres objectifs de développement durable. Le plaidoyer de l’ONU Femmes a été payant pour que le genre fasse l’objet d’un objectif spécifique du nouvel agenda mondial pour le développement post 2015 (Objectifs du développement durable - ODD). Les engagements pris, les accords, traités, politiques, stratégies nationales sont désormais nombreux et contextualisés. Ils peuvent dans le cadre de la coopéra-

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Éducation et développement durable : priorités et orientations pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques en Afrique Dr Joseph Ezoua, Spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire

Dr Gustave Aboua, Membre du Conseil économique et social de la Côte d’Ivoire

Mamadou Konaté, Coordonnateur des projets et programmes du PNUD

Le débat sur le changement climatique ne se limite pas à une question d’ordre environnemental mais s’inscrit désormais dans une vision plus large, qui lie étroitement les objectifs environnementaux aux objectifs de développement économique, social et culturel. Le concept de développement durable englobe des domaines clés, tels que la société, l’environnement et l’économie, et il est sous-tendu par la dimension culturelle. Les valeurs, la diversité, les savoirs, les langues et les visions du monde associées à la culture ont une incidence sur le traitement des questions liées à l’éducation au service du développement durable dans des contextes nationaux spécifiques. L’éducation occupe une place de choix dans la transformation des structures et modes de production et de consommation car en investissant dans les personnes, l’on jette les bases d’un développement inclusif et durable. L’acquisition des connaissances, des compétences, des valeurs et des comportements permet d’apporter des solutions pour résoudre des problèmes environnementaux et renforcer la gestion de la qualité de l’environnement (conférence de Tbilissi en 1977).

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L’éducation est le fondement du développement durable. Elle est un instrument essentiel pour faire évoluer les valeurs et les attitudes, les compétences, les comportements et les modes de vie en les rendant plus cohérents avec le développement durable, au sein des pays et entre pays.

développement communautaire sensibilise des exclus à leurs droits ; un travailleur humanitaire apprend aux habitants à puiser de l’eau à des sources potables, etc.). Nombre de programmes appliquent une approche d’EDD pour apporter les rudiments indispensables à l’avènement d’un monde durable.

Elle est, par conséquent, essentielle au développement durable. Tout individu doit apprendre de sorte à s’inscrire dans la durabilité. Il est évident que notre savoir actuel n’apporte pas toujours les réponses aux problèmes de la planète, qu’ils soient environnementaux, sociaux ou économiques. Toutefois l’éducation reçue déterminera notre capacité et celle des générations futures à trouver des solutions durables et de nouvelles voies vers un avenir meilleur.

Ainsi, l’éducation au développement durable présente des caractéristiques essentielles susceptibles d’être mises en œuvre sous de nombreuses formes culturellement appropriées (UNESCO, 2014).

C’est à juste titre que la Convention cadre des Nations Unies pour le changement climatique (CCNUCC), en son article 6 consacré à l’éducation, la formation et à la sensibilisation des populations, encourage à emprunter cette voie.

L’éducation au développement durable, catalyseur de la lutte contre le changement climatique en Afrique Le projet planétaire d’éducation au développement durable (EDD) propose d’axer désormais l’effort éducatif, non pas sur le rapport à l’environnement et la reconstruction du réseau des relations au milieu de vie, mais sur l’avènement d’un « développement » que l’on souhaite durable. L’EDD consiste à intégrer dans l’enseignement et l’apprentissage les thèmes clés du développement durable, comme le changement climatique, la prévention des catastrophes, la biodiversité, la réduction de la pauvreté ou la consommation durable . Elle implique l’adoption de méthodes pédagogiques participatives visant à motiver et autonomiser les apprenants, pour qu’ils modifient leurs comportements et deviennent les acteurs du développement durable. C’est pourquoi l’EDD favorise l’acquisition de compétences permettant aux apprenants de développer leur esprit critique, d’imaginer des scénarios prospectifs et de prendre des décisions communes. Cependant, il est nécessaire de préciser que l’EDD n’est ni un programme, ni un projet. Elle recouvre nombre de modalités éducatives qui existent déjà et d’autres à créer. Elle encourage à repenser les systèmes éducatifs et les programmes d’enseignement qui avalisent aujourd’hui des projets de sociétés non viables. En effet, l’EDD concerne tous les aspects de l’éducation : la législation, les orientations de politiques, le financement, les cursus, l’apprentissage, l’évaluation, etc. Elle appelle à s’éduquer tout au long de la vie et admet que les besoins éducatifs d’une personne peuvent changer avec le temps. Beaucoup de personnes et d’organisations, dans le monde entier, la mettent déjà en œuvre (un instituteur l’aborde à l’école primaire avec des méthodes participatives ; un agent de

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De façon logique, l’EDD repose sur les principes et les valeurs qui sous-tendent le développement durable, traite du bien-être dans les quatre dimensions de la durabilité : environnement, société, culture et économie, fait appel à un éventail de méthodes pédagogiques mettant en avant l’apprentissage participatif et le développement de compétences intellectuelles élevées. L’éducation ou développement durable promeut également l’apprentissage permanent. Elle se réfère aux perceptions et conditions locales ainsi qu’aux besoins locaux mais admet que la satisfaction de ces besoins a souvent des effets et des conséquences à l’échelle internationale. Elle appréhende les contenus en tenant compte du contexte, des problèmes planétaires et des priorités locales. S’intégrant facilement à l’éducation formelle, non formelle et informelle, l’éducation au développement durable participe du renforcement des capacités de l’ensemble des parties prenantes en matière de décision collective, d’adaptation et d’atténuation des impacts sur la population en matière de changement climatique. Elle reste, à cet égard, interdisciplinaire ; aucune discipline ne saurait en réclamer l’exclusivité. En somme, elle permet d’appréhender la complexité du monde dans ses dimensions scientifiques, éthiques et civiques. Transversale, elle figure dans tous les programmes d’enseignement afin de comprendre les enjeux du développement durable pour agir en citoyen responsable.

Éducation au développement durable, facilitateur de l’adaptation et de l’atténuation L’atténuation et l’adaptation constituent les deux volets de la stratégie de lutte contre les modifications environnementales, particulièrement le changement climatique. Elles sont certes complémentaires mais n’en présentent pas moins des nuances et des spécificités notables dont la connaissance est importante pour la conception et la mise en œuvre des programmes d’éducation ; leur intégration devant être prise en compte. L’adaptation vise à réduire la vulnérabilité des systèmes ou territoires par des actions qui permettent de réduire les impacts effectifs du changement climatique ou d’améliorer la capacité de réponse de la société. L’adaptation peut

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englober des stratégies nationales ou régionales et des mesures concrètes prises au niveau communautaire ou individuel. Par exemple, au niveau des ressources en eau, l’adaptation pourrait se traduire par l’augmentation de la récupération de l’eau de pluie, le stockage et la protection de l’eau. En agriculture, elle pourrait se traduire par l’ajustement des dates de plantation et des variétés de cultures. Dans le domaine des infrastructures, l’adaptation pourrait être la création de lacs ou d’espaces de rétention comme barrières contre la montée du niveau de la mer et les inondations. En matière d’énergie, l’adaptation consisterait en la promotion de sources d’énergie renouvelables et l’amélioration du rendement de l’énergie (efficacité énergétique).

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Si le cadre de l’éducation formelle scolaire et universitaire est a priori celui dans lequel l’EDD a le plus de chance d’être facilement inséré, il n’est cependant pas le seul. De ce point de vue, le volet de la sensibilisation correspondant à un cadre non formel comptant des populations diverses mérite un traitement particulier, les exemples de mise en œuvre constituent des modèles de bonnes pratiques.

Pour ce qui concerne l’atténuation au changement climatique, elle est une activité qui a pour objectif la stabilisation des concentrations des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique, en favorisant les efforts pour réduire ou limiter les émissions de GES ou améliorer leur séquestration. Elle pourrait se traduire en termes d’exemples par un ensemble d’activités pour la protection et l’amélioration des puits et réserves de gaz à effet de serre par la gestion durable des forêts, la plantation de forêts ou le reboisement, la remise en état des zones touchées par la sécheresse et la désertification. De même, le mécanisme REDD+ (réduction des émissions des GES dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) participe de l’atténuation en veillant à promouvoir des changements de politiques et de comportements. Ainsi, face aux changements climatiques, il existe deux types de politiques de prévention : l’atténuation, d’une part, qui s’adresse aux causes du changement en s’efforçant de réduire les GES présents dans l’air, et l’adaptation au nouveau climat, d’autre part. La nécessité de prendre en compte la question du changement climatique dans les programmes scolaires en Afrique s’explique par plusieurs raisons. D’abord, les changements environnementaux, en particulier le changement climatique, ont fait l’objet d’une forte médiatisation, de débats et colloques dans les milieux scientifiques et politiques ; les concepts et notions y afférents ont été galvaudés d’autant plus qu’à ces changements sont attachées des incertitudes souvent argumentées. Tout ceci provoque des confusions au sein des populations. La poursuite des campagnes de sensibilisation s’avère indispensable pour escompter les comportements d’adaptation au changement climatique. Ce contexte justifie l’ancrage scolaire et universitaire de l’EDD : mais celui-ci s’avère délicat pour plusieurs raisons tenant compte de l’acuité, la complexité et la diversité des problèmes environnementaux que connaît l’Afrique. De ce fait, les approches éducationnelles du développement durable doivent être assises sur des bases conceptuelles solides devant être complémentaires dans leur mise en œuvre afin d’optimiser les synergies.

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En Afrique, réorienter l’éducation vers le développement durable signifie l’axer sur la réussite des objectifs internationaux de développement et la réduction de la pauvreté. Trois problèmes majeurs sont incontournables : le développement humain est étroitement lié à la santé et au bien-être, au renforcement des capacités et à la promotion des connaissances. Les actions à entreprendre doivent développer des synergies entre l’école et les communautés, ressourcer l’enseignement dans la culture, les savoirs et les contextes africains, et susciter une réflexion créative sur de nouveaux modèles économiques bénéficiant davantage à la population. Il s’agit de promouvoir des réponses sociales aux changements qui se produisent dans le domaine culturel, les structures sociales et les modes de vie. En ce sens, elles devraient s’appuyer sur des initiatives de prise en compte systématique de l’environnement et de la durabilité dans l’enseignement supérieur prenant en compte les objectifs du développement durable (ODD).

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Les défis et orientations en matière d’éducation au développement durablefaire pour garantir la pleineohérence du secteur de l’éducation avec celui du L’éducation au développement durable est confrontée à de nombreux obstacles qui exigent de revoir ses priorités et orientations dans l’optique de l’atténuation et de l’adaptation aux changements environnementaux. Le rôle de l’éducation maintes fois rappelé devrait être clarifié et précisé en termes de priorités et d’orientations améliorant l’atténuation et l’adaptation aux changements environnementaux. En Afrique, beaucoup reste à faire pour garantir la pleine cohérence du secteur de l’éducation avec celui du développement durable. Pour ce faire, une réforme des curricula doit s’accompagner de la conception et de l’élaboration de manuels scolaires et matériels didactiques conformes à la problématique en question. Ces manuels scolaires et matériels didactiques de référence sont à mettre à la disposition des apprenants et des formateurs, ce qui suppose de renforcer, ou au besoin d’élaborer, une politique de promotion d’édition écologique durable. Le renforcement des capacités des enseignants (formation des formateurs) doit fournir les informations et les connaissances pertinentes sur les changements environnementaux. Les méthodes pédagogiques interactives qui privilégient la par ticipation des apprenants modifient quelque peu le rôle des enseignants. De nouvelles pratiques pédagogiques mettant l’accent sur les compétences à acquérir relativement à la lutte contre les effets des changements environnementaux doivent être élaborées. Des réseaux d’échange et de partage d’expérience entre les différentes institutions et entre pays africains contribueront à l’amélioration du rôle de l’éducation. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication seront déterminantes dans la diffusion des connaissances sur les changements environnementaux. Dans le domaine des politiques, l’EDD n’est pas intégrée de manière cohérente dans les politiques sectorielles ou sous-sectorielles pertinentes. Les éducateurs de l’EPPE (Education et Protection de la Petite Enfance), notamment les premiers dispensateurs de soins, n’ont pas les capacités suffisantes pour incorporer l’EDD à leur enseignement ou à leurs activités de soins. Parmi les obstacles au développement de l’EDD à l’école figurent l’absence de stratégies et de politiques d’EDD clairement définies et le manque de compétences en EDD chez les éducateurs. La mise en œuvre de l’EDD exige le renforcement des capacités des responsables politiques, des concepteurs de programmes d’enseignement, des directeurs d’école, des exper ts de l’évaluation et, avant tout, des enseignants. Il convient de faire évoluer les profils et les compétences professionnels pour les adapter aux métiers actuels en reconversion verte ainsi qu’aux nouvelles industries vertes.

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Cependant, pour que les engagements se traduisent dans la pratique, un changement coordonné est nécessaire à de multiples niveaux – gouvernance, planification, programmes universitaires, gestion des établissements et financement durable. Pour transformer les programmes et la pédagogie, il est nécessaire d’accélérer l’innovation en matière de formation du personnel dans l’ensemble des établissements. Le cloisonnement des disciplines continue de faire obstacle à l’exploration des problèmes complexes et empêche les apprenants d’acquérir la capacité d’aborder la complexité. Les établissements d’enseignement supérieur doivent déployer des efforts considérables pour incorporer la durabilité sur les campus, soutenus en cela par l’élaboration et le partage d’outils et de cadres de notification, ainsi que par plusieurs exemples de bonnes pratiques en matière de réorientation des pratiques d’enseignement et d’apprentissage et par les avancées de la recherche sur la durabilité. Les initiatives d’éducation non formelle au développement durable, par le bénévolat dans les communautés, les programmes diffusés par des centres d’apprentissage en plein air et autres expériences concrètes, se sont multipliées au cours de la décennie. Les stratégies nationales et les documents de planification reconnaissent peu à peu l’apprentissage et l’éducation des adultes comme des moyens adaptés pour réaliser le développement durable. La sensibilisation du public et l’attention des médias au développement durable se seraient renforcées dans de nombreux pays. Les médias sociaux et les réseaux sociaux en ligne sont de plus en plus utilisés pour sensibiliser le public au développement durable. Dans l’intérêt de la mise en œuvre de l’EDD, les organisations de la société civile devraient avoir la possibilité, ainsi que les ressources nécessaires, de travailler en partenariat avec le secteur public. Il est indispensable de renforcer les capacités de toutes les parties prenantes afin qu’elles travaillent en partenariat et, en particulier, qu’elles comprennent mieux le processus de l’apprentissage social et les mesures d’évaluation et d’amélioration des résultats. Au niveau du privé, les chefs d’entreprise et des multinationales sont davantage conscients de la question du développement durable, que ce soit grâce à leur formation formelle initiale dans les écoles de commerce, aux programmes de formation des cadres, à la formation sur le lieu de travail ou à l’apprentissage par les pairs dans des contextes non formels. Les réseaux et l’apprentissage multipartite s’avèrent particulièrement efficaces pour orienter le secteur privé vers le développement durable. L’éducation au développement durable occupe une place de plus en plus impor tante dans les programmes des écoles de commerce. Les entreprises ne se contentent plus de savoir comment le développement durable peut être rentable, elles s’intéressent désormais à une éducation

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et à une formation plus techniques qui les aident à appliquer les pratiques axées sur la durabilité. Le savoir-faire technique ne suffira pas à faire progresser le secteur privé. Il est indispensable de réorienter l’éducation et la formation du secteur privé pour qu’au lieu de porter sur la sensibilisation, les cadres et les modèles, l’enseignement définisse les compétences nécessaires à l’analyse critique de l’ensemble du système, à la prise de décision et à la résolution collaborative des problèmes. Il convient de déployer des efforts, planifiés et stratégiques, en vue de la formation et du renforcement des capacités, en particulier dans les micro-entreprises et les petites et moyennes entreprises.

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À ces priorités « intrinsèques » au système éducatif, il impor te de ne pas oublier l’extension des infrastructures dont la construction doit obéir aux exigences environnementales et contribuer à l’atténuation et à l’adaptation aux changements environnementaux. L’utilisation des matériaux locaux « améliorés » (géobéton par exemple) pour la construction des écoles doit être envisagée.

Les programmes doivent dispenser un enseignement, voire une éducation, à l’assainissement et à l’hygiène. Le volet formation professionnelle qui concerne aussi bien les « scolarisés » que les « non scolarisés » contribue au renforcement des capacités des populations ciblées en leur fournissant les compétences, les voies et moyens de créer un entrepreneuriat à petite échelle et de se prendre en charge. Les structures formelles d’éducation, notamment les écoles, constituent pour les populations concernées des lieux d’expérimentation des innovations en matière d’atténuation et d’adaptation. Ainsi, par exemple, la diffusion au sein de l’ensemble des populations des systèmes d’alerte précoce peut commencer dans les écoles. L’identification des savoirs locaux actuels et/ou passés peut être l’occasion d’introduire les langues nationales à des points précis dans les programmes d’enseignement ou modules liés aux changements environnementaux. (Encadré 2, page suivante.) De façon pratique, il faut identifier dans le système éducatif les disciplines ou les matières dans lesquelles des modules et cours relatifs aux changements environnementaux peuvent être introduits. Ceci a pour avantage de ne pas créer de nouvelles matières. Plusieurs matières scolaires et universitaires traitent et enseignent de façon « disciplinaire » (sectorielle) des éléments ayant trait aux changements environnementaux. Il apparaît clairement qu’une approche « pluridisciplinaire » ou « multidisciplinaire » est appropriée et commande une intégration aussi bien des connaissances et des méthodes.

Les orientations de l’EDD insisteront sur les démarches interdisciplinaires et systémiques des aspects scientifiques, économiques, culturels, politiques, et relatifs au genre.

En outre, des programmes scolaires au contenu spécifique, modulé selon l’âge des apprenants, doivent être conçus. Le préscolaire ne doit pas être oublié. Enfin, un système de suivi-évaluation de ces programmes est indispensable pour en dégager les réussites et les faiblesses. Les résultats attendus des enseignements et des apprentissages de l’approche par compétence reflètent ou dépendent du contexte sociopolitique et écologique des milieux où ces derniers se déroulent ; il s’agit donc de l’insertion des écoles dans leur milieu.

Les approches pédagogiques novatrices centrées sur les apprenants et la transversalité des compétences doivent être privilégiées. Leur finalité est de faciliter le passage aux actions bien conçues pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques. Aussi, ces approches concilient-elles théories et pratiques. Les facteurs pédagogiques et les composantes du système éducatif (infrastructures, enseignants, élèves, communautés…) sont for tement liés aux changements environnementaux.

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Au total, les priorités et les orientations relatives à l’EDD en Afrique doivent se conformer au principe suivant de la Charte de la terre, à savoir « intégrer au système éducatif et à la formation les connaissances, les valeurs et les compétences nécessaires à un mode de vie durable ». Les enjeux relatifs à l’EDD sont importants et cruciaux pour le développement de l’Afrique. Seule une EDD peut changer les attitudes et les comportements dans un sens permettant aux populations de se prendre en charge elles-mêmes et de mener des actions pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques.

Conclusion Les parties prenantes du développement durable recourent de plus en plus à l’éducation, à la sensibilisation du public et à la formation pour promouvoir le développement durable. L’éducation occupe une place centrale dans les débats internationaux sur le développement durable. On accorde désormais une attention accrue à l’éducation, à la formation et à la sensibilisation du public comme autant de mécanismes d’appui essentiels à la mise en œuvre des conventions et accords majeurs sur l’environnement. On observe que les pays sont de plus en plus nombreux à intégrer les stratégies, les outils et les cibles de l’éducation à leurs stratégies nationales de développement durable. L’EDD a stimulé l’innovation pédagogique. Les politiques de l’éducation, y compris la refonte des programmes, encouragent désormais l’apprentissage au développement durable dans un grand nombre de pays – de l’éducation de la petite enfance jusqu’à la formation dans le secteur privé. Les partenariats et les réseaux intra- et intersectoriels de grande envergure ont largement contribué aux réalisations accomplies au cours de la décennie. Les enfants, les jeunes et les étudiants ont joué un rôle de premier plan en tant qu’agents du changement, en participant activement aux discussions relatives à leur avenir, en plaidant pour la transformation des contextes d’apprentissage et en relayant les messages sur la durabilité et la citoyenneté mondiale auprès de leurs parents et de leurs communautés. Cependant, un leadership politique fort est indispensable pour faire progresser l’EDD, œuvre encore inachevée. Le leadership est indispensable pour que nous passions des engagements politiques et des projets pilotes au stade d’une mise en œuvre intégrale dans l’ensemble des programmes, de l’enseignement et des activités de fonctionnement, dans les systèmes formels comme dans l’apprentissage non formel et dans la sensibilisation de l’opinion publique. On s’accorde de plus en plus à reconnaître que l’éducation, y compris l’EDD, est une composante essentielle de l’agenda post-2015.

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Le secteur de l’éducation a donc la possibilité de resserrer encore ses liens de travail avec la communauté du développement durable afin de préparer les citoyens à l’émergence de sociétés viables et respectueuses. Des moyens importants doivent être mobilisés à cet égard en veillant à l’égalité de genre. L’EDD offre une vision renouvelée, un nouvel objectif pour la politique et la pratique de l’éducation. Nombreux sont ceux qui s’accordent désormais à reconnaître qu’une EDD de qualité renforce le sens des responsabilités chez les individus considérés comme citoyens du monde et les aide à se préparer au monde qu’ils recevront en héritage. L’éducation est un élément essentiel de la réponse mondiale au changement climatique. Elle aide les jeunes à comprendre et à tenter d’atténuer l’impact du réchauffement planétaire, les encourage à changer d’attitude et de comportement et facilite leur adaptation aux tendances liées au changement climatique.

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Santé et développement durable : priorités et orientations pour l’adaptation aux changements climatiques en Afrique Dr Allarangar Yokouidé, Représentant, bureau de l’OMS en Côte d’Ivoire

Dr Joseph Ezoua, Spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction Tous les pays du monde et en particulier les pays d’Afrique, en pleine transition socio-économique et démographique pour la plupart, sont concernés par les impacts du changement climatique qui aggravent les facteurs de risques environnementaux traditionnels et ceux émergents sur la santé des populations. Ces impacts menacent le développement des systèmes de santé des pays africains, généralement peu performants, face aux nouveaux besoins et exigences légitimes en matière de santé. Partant de la définition de la santé qui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », le mot santé fait référence à l’état physiologique et psychologique d’un individu ou d’un groupe de personnes ainsi qu’à la qualité et à la durée de leur vie. La santé est influencée par une série de conditions et facteurs, tels que la qualité de l’air, le niveau d’instruction, les conditions de travail et le niveau de revenus, l’accès à un habitat décent, à l’eau potable et aux infrastructures d’assainissement, à une nourriture de qualité, à des services de santé de qualité, etc. En agissant sur ces déterminants sociaux, il est possible d’améliorer l’état de santé et le bien-être des personnes ou des populations, et leurs conditions de vie. Lorsqu’un individu est en bonne santé, il est mieux disposé à apprendre, à être productif et à contribuer au développement socio-économique de sa communauté (Lawrence, 2009 ; Delhommeau, 2011).

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La santé est devenue une préoccupation majeure au cœur du développement durable comme le souligne le principe I de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement : « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature. » La notion de bien-être est intimement liée à la qualité de vie, un des principes du développement durable. Il est admis que l’accès des ménages à de meilleurs services énergétiques, notamment pour la cuisson des repas et la climatisation, permet de réduire la pollution de l’air à l’intérieur des maisons. La construction de logements décents, l’assainissement et l’amélioration du cadre de vie, l’adoption de moyens de transport peu polluants contribuent à réduire les risques de survenue de maladies. Il en est de même pour l’adoption de systèmes d’approvisionnement en denrées alimentaires plus durables, capables de desservir même les couches les plus défavorisées, afin de réduire l’insécurité alimentaire et de prévenir les maladies d’origine alimentaire. C’est un fait, l’impact du développement sur la santé humaine est réel. La pollution de l’air du fait de l’industrialisation et de la production de déchets ainsi que leurs répercussions sur le climat sont à l’origine de l’apparition de maladies et d’épidémies. La dégradation de l’environnement devient de plus en plus un déterminant de la morbidité et de la mor talité humaine. L’interdépendance entre processus de développement, dégradation de l’environnement et santé est donc un défi majeur du développement durable, particulièrement pour les pays africains qui aspirent à la transformation de leur économie. Toutefois, les impacts potentiels des changements environnementaux sur la santé peuvent être jugulés par la combinaison de stratégies et de politiques innovantes, qui renforcent les systèmes de santé et améliorent la gestion des risques inhérents au changement climatique. Comment transformer les contraintes des changements environnementaux en ressources pour l’amélioration des conditions sanitaires en Afrique ? Quelles stratégies d’adaptation propices pour améliorer la santé des populations africaines ? Telle se présente la problématique de cette étude qui nous invite à examiner les impacts prévus du changement climatique sur la santé ainsi que les mesures visant une adaptation planifiée de la gestion des systèmes nationaux de santé afin de dégager des alternatives salutaires pour les pays africains.

Le changement climatique, facteur de vulnérabilité des systèmes sanitaires africains Le changement climatique, du fait qu’il influence les déterminants sociaux de la santé, constitue une contrainte au développement de la santé publique car il affecte la santé de différentes manières et pourrait représenter un lourd fardeau humain, social et économique pour l’Afrique.

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Bien que l’effet du changement climatique sur la santé dans les pays africains n’ait pas encore fait l’objet d’une évaluation globale, on peut faire le constat que les conséquences sont considérables pour le continent. Selon l’OMS, le réchauffement du climat aurait causé entre 1980 et 2010 plus de 140 000 décès supplémentaires, chaque année. Entre 2030 et 2050, les changements climatiques pourraient causer environ 250 000 décès supplémentaires par an. On estime que le coût des dommages directs pour la santé se situerait entre 2 et 4 milliards de dollars (US$) par an en Afrique d’ici à 2030. La progression continue de ces changements pourrait entraîner une augmentation de 5 à 7% de la population à risque en Afrique. Il convient de noter que les risques sanitaires auxquels s’exposent les populations africaines varient en fonction de leur niveau de vulnérabilité et de pauvreté. Les habitants des petits États insulaires ou des régions côtières, prédisposés aux catastrophes naturelles, sont particulièrement vulnérables. C’est aussi le cas pour ceux qui vivent dans les grandes villes en proie à une urbanisation insuffisamment maîtrisée, habitent dans des quartiers précaires, occupant souvent des maisons surpeuplées, délabrées et inadéquatement desservies en eau potable (OMS, 2014). Les populations les plus pauvres sont plus vulnérables aux maladies sensibles au climat. Elles disposent de peu de moyens pour prévenir les maladies et les traiter lorsqu’elles en sont affectées. La santé des femmes, des enfants, des personnes âgées est particulièrement menacée en cas d’événements climatiques extrêmes (Lawrence, 2009). Les changements de température influent sur la distribution géographique de nombreux facteurs et insectes vecteurs qui sont à la base de la transmission des maladies. Ces facteurs et vecteurs sont sensibles aux températures ambiantes. Il a été démontré que leur intensité et portée ont tendance à s’accroître lorsqu’il fait plus chaud. Ce qui pourrait justifier l’étendue de la distribution et de la transmission saisonnière de certaines maladies infectieuses telles que le paludisme et la méningite qui affectent par ticulièrement la zone sahélienne de l’Afrique (Githeko et al, 2000 ; OMS, 2004 ; Besancenot, 2007). En effet, l’élévation de la température a pour effet d’accroître la capacité vectorielle des moustiques, des anophèles femelles, et la transmission du paludisme dans des régions où elle était auparavant entravée par des températures trop basses. L’on observe que le nombre de cas de paludisme augmente, à des altitudes plus élevées durant les années les plus chaudes et diminue pendant les années les plus fraîches. La transmission du paludisme est étroitement liée aux conditions du milieu et à ses modifications. L’incidence du paludisme est en nette progression dans les régions montagneuses, surtout à l’est du continent, du fait de l’augmentation des températures et des précipitations. Chaque année, plus de 300 millions de cas et 1,5 million de décès sont notifiés en Afrique. La maladie est la cause de plus de 90 % des décès d’enfants de moins de 5 ans. En ce qui concerne la méningite, la déforestation couplée à l’avancée du désert entraîne un élargissement de la ceinture méningitique et favorise la pro-

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pagation de l’épidémie à méningocoques. Cette épidémie occasionnée par les vents de l’harmattan chargés de poussières se produit durant la saison sèche, principalement entre le 10e degré latitude Nord et le 15e degré latitude Nord. Cette zone s’étend de manière inquiétante du Sénégal à l’ouest jusqu’à l’Éthiopie à l’est du continent où l’on enregistre les prévalences les plus élevées. Le risque de survenue de cette épidémie climato-dépendante diffère à l’intérieur des 26 pays de l’Afrique subsaharienne concernés. Les catastrophes naturelles, dont la fréquence d’apparition et l’intensité continuent d’augmenter, affectent la santé de millions de personnes en Afrique. Les pluies diluviennes et les inondations causent souvent des traumatismes, des décès et des déplacements de populations. Elles sont à la base de la destruction de maisons et d’infrastructures sociales, y compris des établissements sanitaires, pouvant occasionner une désorganisation de l’offre des services de santé au moment même où la demande est forte. Les récentes inondations qui ont touché le bassin-versant de la rivière Shy sur la frontière entre le Mozambique et le Malawi en janvier 2015 ont détruit plus de 650 écoles et 7 centres médicaux. Elles ont affecté 177 000 personnes et occasionné 158 décès au Mozambique selon le bilan officiel du ministère de la Santé du pays. Les inondations favorisent la contamination des réserves d’eau douce et augmentent le nombre de parasites et de bactéries responsables des épidémies. Les zones inondées favorisent l’accroissement de la reproduction des moustiques, augmentant ainsi le nombre de cas de paludisme. Du fait des mauvaises conditions d’hygiène, du manque d’accès à l’eau potable, de la grande promiscuité et de l’insuffisance des mesures de prévention dans certains pays africains, on assiste à la résurgence de cer taines maladies hydriques dont le choléra. Parmi les récentes épidémies de choléra, on compte celle du Zimbabwe qui a enregistré entre 2008 et 2009, plus de 98 500 cas et environ 4 000 décès. L’épidémie du bassin du lac Tchad (Niger, Nigeria, Tchad, Cameroun) a occasionné 142 727 cas et 5 179 décès entre 2009 et 2011 (Coeck, 2010). En Côte d’Ivoire, ce sont 1 985 cas qui ont été confirmés et 64 décès enregistrés entre 2009 et 2014 (OCHA, 2014). En Mozambique, le bilan du ministère de la Santé a fait état de plus de 4 500 cas de choléra et 40 décès à la suite des inondations de 2015. Les changements de cycle de précipitation influencent fortement la production et les rendements agricoles, sources d’insécurité alimentaire pouvant contribuer à l’aggravation des problèmes de santé. Il en est de même lorsque la température augmente, la chaîne d’approvisionnement alimentaire est davantage affectée par des bactéries et des micro-organismes pouvant être aussi à l’origine des maladies infectieuses. D’un autre côté, les températures très élevées contribuent à accroître l’incidence des maladies cardiovasculaires ou respiratoires, en particulier chez les personnes âgées, du fait de la teneur de l’air en ozone et autres polluants qui

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augmente avec la température. En cas de chaleur extrême, les concentrations en pollen et autres allergènes dans l’air qui augmentent également peuvent déclencher des crises d’asthme. Tous ces événements liés au changement climatique ont eu un impact sur les progrès réalisés ver s l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) relatifs à la santé. Par ailleurs, il convient de souligner que la faiblesse des systèmes nationaux de santé du continent africain est un fardeau supplémentaire. En dépit des effor ts entrepris pour accroître la performance de leur système de santé, de nombreux pays sont toujours confrontés à des problèmes de gouvernance, de financement, de ressources humaines, de technologies sanitaires, de systèmes d’information et de prestations de ser vices de qualité dans le secteur. Cette situation explique leur faible capacité à fournir l’accès univer sel à des ser vices de qualité et à développer une réponse adéquate aux épidémies ou aux catastrophes lorsqu’elles surviennent. En somme, le changement climatique affecte directement ou indirectement la santé des populations africaines. Ses impacts sur la santé humaine se traduisent par un accroissement de la vulnérabilité aux maladies transmises par l’air, l’eau et les vecteurs, de même que la malnutrition. Le risque d’accroissement de la mortalité et de majoration des coûts de santé est élevé. Avec des systèmes nationaux de santé peu performants, les populations africaines sont moins en mesure de se préparer et susceptibles d’être sérieusement affectées par les impacts négatifs du changement climatique. Certaines populations du continent seront affectées de façon plus notable que d’autres. Les populations les plus pauvres sont les plus vulnérables aux maladies sensibles aux facteurs climatiques. Les enfants, les personnes âgées et celles dont la santé est fragile auront les plus grandes difficultés à s’adapter au changement climatique et aux risques sanitaires qui lui sont liés.

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L’adaptation au changement climatique : priorités pour la promotion de la santé La vulnérabilité des systèmes de santé des pays africains vis-à-vis du changement climatique a conduit à une prise de conscience collective sur le plan régional. Déjà en 2008, plusieurs États africains avaient adopté la Déclaration de Libreville sur la santé et l’environnement qui les invite à mettre en place une alliance stratégique pour des actions concertées en Afrique. Cette initiative a été renforcée en 2010 à Luanda par la volonté des gouvernements de mettre en œuvre un ensemble de mesures essentielles de santé publique pour améliorer la capacité d’adaptation du secteur de la santé au changement climatique. Des approches harmonisées sont nécessaires pour mettre en œuvre des interventions essentielles sur le plan de la santé publique et de l’environnement, toujours de façon à renforcer la capacité d’adaptation aux impacts du changement climatique sur la santé. La priorité des politiques est de renforcer les capacités de résilience des États, des communautés et des populations. Certes, un grand nombre de pays africains se sont dotés d’un programme d’action national d’adaptation au changement climatique (PANA). Ces programmes pays ayant été élaborés en vue d’identifier les actions prioritaires et répondre aux besoins d’adaptation urgents et immédiats. Cependant, leur mise en œuvre n’est pas effective compte tenu de l’insuffisance d’allocation financière. Par ailleurs, en matière de protection de l’environnement pour réduire l’impact du changement climatique sur la santé, des politiques visant entre autres : i) le renforcement de la sensibilisation aux risques sanitaires, et ii) l’adoption de normes nationales en la matière (pollution atmosphérique, qualité de l’eau, hygiène alimentaire, utilisation des pesticides, etc.) et le renforcement de la réglementation et du contrôle doivent être développées. Malheureusement, de nombreux pays en sont dépourvus et, lorsque cer taines normes nationales existent, leur application fait défaut du fait de l’insuffisance de contrôle. Il convient aussi de noter que pour faire face au changement climatique et à la vulnérabilité des systèmes de santé, il y a nécessité d’entreprendre une planification axée davantage sur des approches préventives et d’adopter une démarche multisectorielle en vue d’assurer l’intégration effective de la composante santé dans les politiques sectorielles. Car si le secteur de la santé ne participe pas à la planification de l’adaptation, les actions essentielles pour la protection de la santé des populations seront loin d’être prises. En outre, cer taines mesures adoptées au niveau des autres secteurs risquent de provoquer des effets préjudiciables sur la santé. Cette disposition d’intégrer la santé dans les processus nationaux de planification a été prise en compte dans le Cadre d’adaptation de Cancun au changement climatique (Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques-CCNUCC, Conférence des parties, 2010). Le Cadre pour l’adaptation de la santé publique au changement climatique a été adopté par les pays africains en septembre 2011. Il est destiné à fournir une

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réponse coordonnée, scientifique et fondée sur des données factuelles aux besoins d’adaptation au changement climatique (OMS, Bureau régional Afrique, 2011). À travers ce cadre, les pays sont amenés à élaborer des plans d’action qui constitueront la composante santé des plans nationaux d’adaptation au changement climatique, destinés à minimiser les effets du changement climatique sur la santé publique. Il s’agit surtout de faire l’inventaire des risques sanitaires liés au changement climatique, de renforcer les capacités nationales de préparation et de réponse, de faciliter la réalisation d’interventions essentielles en matière de santé publique et d’environnement pour gérer les risques sanitaires, de promouvoir la recherche sur les besoins d’adaptation de la santé et les solutions à apporter, et de partager les enseignements tirés et les expériences des pays. Le Programme panafricain pour l’adaptation de la santé publique au changement climatique a été lancé en 2012 en tant que plate-forme globale pour faciliter la coordination des réponses nationales (OMS, Bureau régional Afrique, 2014). Comme priorités pour l’adaptation du secteur de la santé, les pays doivent évaluer les capacités de résilience des populations, les risques sanitaires sensibles au climat et les capacités de riposte et de gestion des systèmes de santé. Les données produites sur la base des évaluations doivent permettre d’établir des références à partir desquelles le suivi de l’évolution des risques sanitaires et des mesures de protection de la santé est fait. Ces études permettront aussi d’initier un processus de renforcement d’un système de santé résilient, bâti sur les besoins et des lacunes identifiés au préalable. Le renforcement des services climatologiques peut aider à prévoir l’apparition, l’intensité et la durée des maladies car la prévention et la préparation sont au cœur de la santé publique. La mise en place d’un dispositif de surveillance environnementale et sanitaire intégrée doit être aussi considérée comme une priorité. Il vise à améliorer la gestion des risques environnementaux et à suivre les changements susceptibles d’affecter les déterminants de la santé. Un tel dispositif a été établi dans neuf pays d’Afrique australe (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Madagascar, Mozambique, Namibie, Swaziland, Zambie et Zimbabwe) dans le cadre du Programme mondial de lutte antipaludique. Cette initiative a montré comment l’information météorologique et climatologique sert au système régional mis en place pour combattre la maladie. Ce dispositif permet d’analyser les prévisions saisonnières pour anticiper les épidémies et prendre des mesures efficaces de prévention et de lutte. Ces prévisions climatologiques ont contribué à la mise en place du Système d’alerte précoce au paludisme (OMS et Organisation météorologique mondiale, 2012). Le renforcement de la coopération entre les communautés de la météorologie et de la santé est essentiel pour garantir l’intégration de données actualisées et pertinentes sur le temps et le climat dans la gestion de la santé publique. Les projets d’apprentissage par la pratique exécutés sur le continent et soutenus par l’Organisation météorologique mondiale ont renforcé le partenariat entre les services météorologiques et hydrologiques (SMHN) et les ministères de la Santé dans certains pays. Par exemple au Botswana et à Madagascar, les respon-

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sables de la santé sont aujourd’hui informés plus rapidement des risques d’épidémie de paludisme, de peste ou de fièvre de la vallée du Rift grâce aux prévisions climatiques transmises par ces SMHN (OMS et Organisation météorologique mondiale, 2012). La sensibilisation du grand public et la mobilisation communautaire sont des mesures essentielles à adopter en vue de consolider le dispositif d’adaptation au changement climatique. Les données issues des évaluations de base sur les risques et des capacités, de la surveillance et de la riposte sont utilisées pour informer les communautés des risques et effets sanitaires du changement climatique. L’intensification des campagnes d’information, d’éducation et de communication, dont la communication pour l’impact comportemental écocitoyen, doit être menée pour accompagner les stratégies d’adaptation à base communautaire. Une campagne de sensibilisation axée par exemple sur la promotion des sources d’énergie plus propres, la sécurité des transports publics moins polluants et certains modes actifs de déplacement, comme la marche ou la bicyclette au lieu d’utiliser des véhicules privés, pourraient contribuer à réduire les émissions de dioxyde de carbone et la pollution de l’air dans les habitations, qui sont la cause de 4,3 millions de décès par an, ainsi que la pollution atmosphérique, cause d’environ 3,7 millions de décès par an (AEO : Avenir de l’environnement en Afrique, 2013). Il est à noter que l’utilisation des méthodes, de voies et de canaux de communication adaptés ainsi que l’implication des populations sont un gage de succès. Le Cadre pour l’adaptation souligne aussi que des effor ts doivent être consentis pour promouvoir une gestion de l’environnement axée sur la préservation de la santé des populations. Il est requis la participation active d’experts de différents secteurs concernés (santé publique, environnement, développement durable, etc.) à l’élaboration de politiques ou interventions en matière de gestion durable de l’environnement en vue de réduire la vulnérabilité et l’impact des risques sur la santé des populations. Le rapprochement institutionnel entre l’environnement et la santé permet concrètement de mutualiser les ressources. La surveillance sanitaire et la gestion de la santé publique peuvent intégrer les préoccupations environnementales par le canal de la lutte contre des maladies dites environnementales. Des dispositifs efficaces d’alerte précoce et de surveillance des maladies destinés à prévenir les populations face aux épidémies annoncées permettraient de réduire leur vulnérabilité à un certain nombre de maladies provoquées par le climat et faciliteraient des réponses rapides et décisives (AEO, 2013). Un tel dispositif de surveillance et de veille sanitaire à échelle sous-régionale ou régionale doit aussi être mis sur pied. Par exemple au cours de la saison épidémique de 2014 de la méningite, 19 pays africains ont mis en œuvre une surveillance renforcée. Ce qui a permis d’enregistrer un total de 11 908 cas suspectés, dont 1146 décès, les chiffres les plus bas depuis la mise en œuvre de la surveillance renforcée dans le cadre d’un réseau opérationnel selon l’OMS. Ce dispositif pourrait s’étendre à la veille environnementale et à la surveillance des écosystèmes (OMS, 2015).

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L’accent doit être aussi mis sur l’intensification des interventions de prévention et de promotion en santé publique. Par exemple lors d’événements climatiques extrêmes (sécheresses ou inondations), l’exécution des programmes de vaccination, le renforcement des mesures de lutte anti-vectorielle, d’hygiène et d’inspection des aliments, le contrôle du traitement de l’eau courante contribuent à réduire significativement les maladies transmissibles. La mise en œuvre des programmes de supplémentation, notamment en vitamines, permet d’assurer la prise en charge des carences nutritionnelles de certains groupes de la population. Une des actions additionnelles à faire en priorité à travers le Cadre est également le renforcement et la mise en œuvre de la composante santé des plans de réduction des risques de catastrophes pour prévenir les éventuels accidents résultant des conséquences sanitaires en cas d’événements météorologiques extrêmes. Cela implique l’élaboration de plans d’urgence ou de crise (type Orsec) adaptés, intégrant la mise en place d’organes fonctionnels dotés de capacité de réaction en cas d’urgence ou de crises sanitaires. Dans la dynamique d’élaboration de plans de préparation et réponse, il est aussi prévu le développement d’un programme de recherche opérationnelle en vue d’améliorer la compréhension des effets sanitaires du changement climatique et de connaître et vulgariser les mesures d’adaptation appropriées. Toutes ces actions précitées doivent être soutenues par le renforcement des par tenariats et la collaboration intersectorielle. La mise en œuvre de plans d’adaptation au changement climatique exige une action intersectorielle étroite entre tous les acteurs impliqués au niveau national, mais également entre les pays, les organisations régionales (Union africaine, Banque africaine de développement, Communautés économiques régionales), la Convention cadre sur le changement climatique et d’autres partenaires du Système des Nations Unies, notamment l’OMS, le PNUE, le PNUD. Le rôle de la collaboration intersectorielle et des partenariats au niveau national est d’intégrer la planification, la mise en œuvre d’initiatives conjointes, l’affectation des ressources, l’évaluation conjointe des inter ventions, la législation et la réglementation ainsi que le contrôle. Au niveau international, ce partenariat est crucial pour développer un plaidoyer en faveur de la prévention des risques sanitaires liés aux changements climatiques, ainsi que pour la mobilisation des ressources pour bâtir des systèmes de santé résilients. En 2013, un Consortium international sur le climat et la santé en Afrique a été mis en place par l’OMS. Il agit en tant que réseau d’institutions susceptible d’aider les pays africains à gérer l’impact du changement climatique sur la santé publique. Les possibilités d’adaptation des systèmes sanitaires africains doivent donc être identifiées et mises en œuvre dans un plan d’action fixant un horizon temporel précis (court et moyen termes au regard des urgences). Le cadre des mesures d’adaptation doit être articulé, notamment au plan institutionnel, entre les secteurs de la santé et de l’environnement. Ainsi, une politique de santé

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publique appropriée prenant explicitement en compte les risques sanitaires liés au changement climatique doit être développée. Au niveau des interventions, l’accent doit être mis sur la promotion de la santé et la prévention des risques sanitaires. Les systèmes sanitaires africains peuvent contribuer à l’atténuation des changements environnementaux. Cer tes de nombreux obstacles existent à cet égard mais il est possible de les surmonter. De façon spécifique pour la santé, les enjeux de l’atténuation appellent entre autres à opérer des choix en termes de matériels et équipements techniques respectueux de l’environnement. À ce niveau, des normes strictes respectueuses de l’environnement sont édictées dans le secteur du matériel médical dont l’usage contribue aux efforts d’atténuation. Les voies et possibilités de valorisation et autres traitements des déchets médicaux existent et les centres de santé africains doivent en faire l’expérience et la promotion.

Conclusion Le développement durable en Afrique ne peut se réaliser efficacement sans tenir compte des impacts du changement du climat sur la santé qui affecte surtout les plus pauvres. Des approches harmonisées sont nécessaires pour mettre en œuvre des interventions essentielles sur le plan de la santé publique et de l’environnement, de façon à renforcer la capacité de résilience des systèmes de santé. Ces solutions ne peuvent être mises en œuvre que par l’implication effective des États. Malheureusement, jusqu’à présent, les gouvernements ont très peu réagi à la mesure des risques. Le développement de plans d’adaptation de la santé publique au changement climatique basé sur un ensemble d’actions (évaluation de base des risques et des capacités, renforcement des capacités des acteurs, surveillance environnementale et sanitaire intégrée, mise en place de système d’alerte précoce, sensibilisation et mobilisation sociale, gestion environnementale orientée vers la santé publique, intensification des interventions de santé publique, renforcement des partenariats et promotion de la recherche, développement de normes et directives, application de la réglementation) doit être une priorité nationale, voire régionale, pour les pays africains.

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Dimension culturelle du développement et priorités pour l’atténuation et l’adaptation aux changements environnementaux en Afrique Yao Ydo Chef de bureau et représentant résident de l'UNESCO en Côte d'Ivoire

Introduction Le concept de développement a longtemps été assujetti à sa composante économique. Le développement était essentiellement perçu comme un processus de production de richesses matérielles et de croissance économique. En ce sens, les notions de développement et de croissance étaient interchangeables. Le développement était vu comme un cheminement linéaire dépendant d’une croissance forte et soutenue devant aboutir à un idéal commun, celui d’une société de la consommation de masse1. Une prise de conscience progressive des insuffisances de cette approche productiviste, occultant le bien-être de l’homme en tant que finalité et niant les aspirations et besoins sociaux des populations, a conduit à repenser la notion de développement à la fin des années 1960. La persistance d’une pauvreté endémique dans des pays bénéficiant pourtant d’une croissance significative a participé à cette évolution conceptuelle qui prône le recentrage sur l’humain et une prise en compte accrue du bien-être social comme facteur clé du développement. À cette évolution, s’est ensuite greffée dans les années 1970 et 1980 une réflexion foisonnante sur l’incorporation des dimensions culturelles et écologiques au concept de développement. Ce phénomène reflète le souci grandissant de prendre en considération la spécificité des situations sociales et culturelles de chaque société, questionnant par là même l’idée d’une solution unique de développement. La nécessité de mettre en balance les considérations environnementales et économiques est, également, à cette période de plus en plus ardemment défendue. Ce plaidoyer aboutit à la naissance en 1987 du concept de développement

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durable, qui préconise un développement responsable répondant aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs 2. Depuis une dizaine d’années, les débats s’orientent sur la relation intrinsèque entre culture et développement durable et témoignent de la volonté d’aller vers une approche plus holistique et intégrée du développement.

La culture : clé du développement durable L’importance de la culture pour le développement durable fait l’objet d’une attention particulière, comme le démontrent les nombreux documents d’orientation faits en ce sens. Il s’agit notamment, pour les plus récents, de la déclaration de Hangzhou en 2013, du document issu de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, « L’avenir que nous voulons », en 2012 et de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies n° 66/208, « Culture et développement », adoptée la même année. L’ensemble de ces documents insiste sur le fait qu’un développement équilibré ne peut être atteint sans une pleine intégration des spécificités culturelles propres à chaque société. La culture constitue le prisme à travers lequel tout individu construit son identité. Elle oriente la compréhension de son environnement et régit ses interactions sociales. C’est un élément dynamique fondamental qui influence la capacité des individus, peuples et sociétés à freiner ou provoquer le changement social. En ce sens, la culture est intrinsèquement liée au développement et la diversité des expressions culturelles se reflète dans le caractère multiforme des voies de développement. Comme l’a par ailleurs démontré l’échec de l’approche productiviste, la croissance économique n’est pas le seul pendant du développement. Ce dernier correspond également à la possibilité d’accéder à un niveau intellectuel, moral, spirituel et affectif satisfaisant. La qualité de vie dépend de la capacité des individus à s’investir et jouir de leur culture. La possibilité pour les peuples de maintenir le lien avec leur environnement historique et naturel, leurs modes de vie, leurs systèmes de valeurs, traditions et croyances, et leur langue, contribue de manière fondamentale à leur bien-être spirituel et donne un sens au développement. L’importance de la culture tient également à sa participation primordiale à la durabilité de toute stratégie de développement. Comme le rappelle la déclaration de Hangzhou, la culture « est une source de sens et d’énergie, de créativité et d’innovation, et une ressource pour répondre aux défis et trouver des solutions appropriées ». La culture, en tant que capital de connaissances et secteur d’activités, est un véritable moteur du développement. Elle permet de mettre à profit l’expérience des générations passées tout en stimulant l’innovation, et participe à un développement économique plus inclusif.

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À titre d’exemple, en Côte d’Ivoire, l’Abissa – ce moment solennel de réconciliation et de communication avec les esprits et les forces de la nature en pays N’zima –, au-delà de l’événement festif et culturel qu’il constitue, dispose d’un fort potentiel économique et est un véritable facteur de cohésion sociale. En effet, les opérateurs économiques régionaux ont affirmé faire 60 % de leur chiffre d’affaires pendant les deux semaines de l’Abissa. L’utilisation des savoir-faire endogènes par les femmes potières de la région de Katiola illustre bien le lien entre activités génératrices de revenus et respect de l’environnement. En effet, pour la coloration de leurs poteries faites à partir d’argile locale, ces femmes utilisent des essences naturelles d’espèces florales de leur environnement, qu’elles transforment pour la teinture des poteries.

Culture et nature : des concepts interdépendants Il existe des interactions constantes entre les communautés humaines et leur environnement. La compréhension de l’environnement, évolutive en fonction des époques et des lieux, façonne les modes de vie et les expressions culturelles. Le milieu naturel influence le fonctionnement des sociétés humaines en orientant les pratiques de subsistance et la gestion du lien social. Il est au fondement des pratiques, valeurs, et croyances culturelles locales. L’interaction culture et nature a été reconnue par l’UNESCO en 1992, à travers le terme « paysage culturel ». Les paysages culturels représentent les « ouvrages combinés de la nature et de l’homme » ; ils expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement. Ils illustrent l’évolution de la société et des établissements humains au cours des âges, sous l’influence de contraintes et/ou des atouts présentés par leur environnement naturel et les forces sociales, économiques et culturelles successives, internes et externes. Les paysages culturels témoignent du génie créateur de l’être humain, de l’évolution sociale, du dynamisme spirituel, de l’imaginaire de l’humanité, de sa capacité à s’adapter et à façonner son environnement. Ils font partie de notre identité collective. Le terme paysage culturel recouvre une grande variété de manifestations interactives entre l’homme et son environnement naturel. Il se divise en trois catégories majeures : • le paysage clairement défini, conçu et créé intentionnellement par l’homme, ce qui comprend les paysages de jardins et de parcs ; • les paysages culturels évolutifs, reliques (fossiles) ou vivants ; • les paysages associatifs. La dernière catégorie, le paysage culturel associatif, représente la force d’association des phénomènes religieux, artistiques ou culturels de l’élément naturel. Cette catégorie caractérise nos sites sacrés (forêt sacrée, bosquets sacrés,

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rivière sacrée, montagne sacrée, etc.). Dans bon nombre de communautés africaines on trouve des sites sacrés ; ils ont un rôle sociétal très fort, sont liés très souvent à des initiations/ou à des rituels et ont un rôle environnemental qui contribue véritablement à la préservation de la nature et sur lequel il est possible d’agir pour valoriser les potentialités de développement et promouvoir des pratiques de protection environnementale et d’adaptation au changement climatique.

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La culture africaine, dans sa pluralité, accorde une importance primordiale à la nature, dont les fonctions sont multiples. La nature est une source de richesses qui fournit aux hommes les moyens nécessaires à leur subsistance : eau, terre, faune et flore. La nature revêt par ailleurs une dimension spirituelle et non matérielle forte comme en témoignent notamment les sites naturels sacrés. Ces espaces sont à la fois des lieux de médiation, de concertation, de culte, d’initiation et de recueillement qui permettent la cohésion sociale et le dialogue intra et intergénérationnel. Inversement, la nature est également fortement influencée par les activités humaines. Les décisions et actions quotidiennes des hommes conditionnent la capacité des écosystèmes à se maintenir et prospérer. L’homme modifie les processus naturels qui l’entourent en puisant dans les réserves organiques et en modifiant l’équilibre naturel existant. Comme l’a rappelé la directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, le 5 juin 2015, « L’environnement est inextricablement lié aux valeurs et comportements humains : il subit directement l’influence de nos modes de vie, du développement urbain, des mesures de conservation de la nature que nous prenons et des schémas migratoires, qui ont une incidence sur l’utilisation de l’eau et des sols et des effets sur la survie des espèces. » Nature et culture sont donc les deux faces d’une même pièce. Elles se sont développées à travers le temps par le biais d’adaptations mutuelles et d’interactions complexes dans un processus d’évolution indissociable. En ce sens, les diversités écologiques et culturelles sont foncièrement interdépendantes. La richesse de la biodiversité, décisive puisque conditionnant la résilience des écosystèmes, peut être renforcée et maintenue par la diversité des communautés humaines. En effet, la qualité de la biodiversité est souvent dépendante de communautés culturellement diverses qui ont su faire évoluer leurs pratiques, valeurs et croyances, afin de vivre en harmonie avec la nature et préserver la diversité du vivant dont elles dépendent. C’est pour cette raison que la réserve intégrale du mont Nimba et les parcs nationaux, tels que celui de Taï ou de la Comoé, qui sont des sites du Patrimoine mondial de l’UNESCO, sont conservés en raison de leurs richesses écologiques, florales et fauniques. Il convient aussi d’évoquer la cascade naturelle de Man et les grands sites montagneux tels que le mont Tonkpi, le mont Nimba, le mont Korhogo qui sont d’importants écosystèmes régulateurs de la pluviométrie en même temps qu’ils constituent, en matière écologique et de biodiversité, des espaces conservant les traditions sacrées séculaires. Alors que le contexte actuel est marqué par des phénomènes simultanés de dégradation de la biodiversité et de réduction de la diversité culturelle, il est urgent d’adopter une démarche holistique qui prenne pleinement en compte la relation dynamique entre expressions culturelles et préservation de l’environnement.

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Les exemples de la fête des générations, de la fête des ignames chez les Akan, la sor tie des Tchélé, jeunes initiés du Tchologo, tous les sept ans chez les Sénoufo de la région de Ferkéssédougou sont ici à citer. Le respect et la reconnaissance de ces savoirs et pratiques constituent une pierre angulaire de la durabilité environnementale et culturelle, à la base du développement durable. Il est donc primordial que ces connaissances soient considérées dans l’ensemble des processus de décision relatifs à la gestion des écosystèmes. La préservation des langues locales et leur promotion sont également au fondement des stratégies d’atténuation et d’adaptation aux changements environnementaux. Les savoirs écologiques traditionnels, la connaissance de la faune et de la flore locales, les systèmes de guérison traditionnels et l’ensemble des rites et croyances associés à la nature reposent en grande partie sur des langues locales autochtones et leurs lexiques environnementaux spécifiques. Les langues locales et leurs lexiques constituent les vecteurs privilégiés des connaissances traditionnelles sur l’environnement et les pratiques de gestion durable.

L’UNESCO promeut depuis longtemps l’idée d’une interdépendance dynamique entre les êtres humains et la nature, et plus particulièrement depuis le lancement, en 1971, du programme sur l’homme et la biosphère (MAB) et l’adoption, l’année suivante, de la Convention du patrimoine mondial. Sept domaines d’interdépendance entre la biodiversité et la diversité culturelle (UNESCO, 2008 b) ont été révélés à la suite d’analyses approfondies. Culture et environnement fonctionnent comme les éléments d’un système unique et ne peuvent être compris séparément. De ce qui précède une interrogation surgit, le changement climatique n’est-il pas aussi un défi culturel ?

Approches intégrées pour une atténuation ou adaptation aux changements environnementaux Plusieurs approches et initiatives d’atténuation ou d’adaptation aux changements environnementaux fondées sur une démarche culturelle sont aujourd’hui explorées. La plus évidente est peut-être la valorisation des connaissances traditionnelles qui fournissent des renseignements précieux sur les processus écologiques qui sous-tendent la durabilité environnementale. Il s’agit notamment de mettre en valeur les ressources et savoirs des populations autochtones qui ont prouvé leur efficacité et participent à prévenir et atténuer efficacement la dégradation de l’environnement ainsi que la concurrence et les conflits liés à l’accès aux ressources naturelles.

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Il convient donc d’œuvrer activement à la préservation des langues locales car leur disparition ne correspond pas seulement à l’effacement des identités culturelles mais aussi à la perte d’un savoir précieux sur l’environnement. Du point de vue de l’enseignement, « les écoles traditionnelles doivent être considérées comme des formes d’éducation non formelle. Elles doivent être intégrées dans le système scolaire des pays africains au moment où se repensent les systèmes scolaires en Afrique noire dans une approche à la fois culturelle et interculturelle 3 ». La dimension éducative et la formation professionnelle doivent s’ancrer sur les fondements culturels du développement de l’Afrique pour promouvoir l’équité, la justice sociale, la dynamique participative et l’inclusion des communautés. À cet égard, il est essentiel de promouvoir le patrimoine interculturel et les particularismes culturels et traditionnels au sein des politiques de développement durable, y compris concernant la gestion des ressources naturelles et leur préservation. Les politiques sanitaires méconnaissent la fonction des rituels traditionnels dans le soin de certaines douleurs et maladies4, et rentrent ainsi, de par « un modèle sanitaire égocentrique », en altercation avec les pratiques culturelles locales. D’autre part, extraites de leur contexte traditionnel d’usage par une commercialisation abusive des plantes et espèces qui y sont corrélées, les pratiques traditionnelles, non reconnues et négligées, représentent un risque pour la biodiversité. De ce point de vue, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met en garde contre la surexploitation d’espèces en danger d’extinction et le risque de destruction de savoirs traditionnels et de la biodiversité. Aussi, il importe de formuler une politique et des réglementations nationales pour le bon usage de la médecine traditionnelle et de la médecine complémentaire ou parallèle, ainsi que pour leur intégration dans le système national de soins, conformément à la stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle. À cet égard, il s’agit de : I) mettre en place des mécanismes de réglementation pour contrôler l’innocuité et la qualité des produits et des pratiques de la médecine

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traditionnelle et de la médecine complémentaire ou parallèle ; II) sensibiliser le grand public et les usagers aux thérapies traditionnelles et complémentaires ou parallèles qui peuvent être appliquées avec efficacité et sans danger ; III) cultiver et conserver les plantes médicinales pour qu’elles puissent être durablement utilisées5. La culture joue également un rôle fondamental dans la réduction des catastrophes d’origine naturelle. Les catastrophes soudaines et extrêmes (séismes, tsunamis, inondations, etc.) peuvent avoir des incidences considérables sur la diversité culturelle. La destruction de centres et de monuments culturels clés (temples, musées, écoles) interrompt la transmission des traditions et des croyances, voire éventuellement de cultures entières. La culture comme réponse au défi de changement climatique doit à cet égard être considérée. La protection et l’entretien du patrimoine bâti (habitat traditionnel) et des paysages culturels (les mangroves) facilitent la résilience face aux phénomènes naturels extrêmes. Cette résilience tient en grande partie à l’accumulation de connaissances traditionnelles relatives à l’environnement, transposées au sein de l’environnement historique. Les techniques de gestion traditionnelles, lorsqu’associées aux mécanismes modernes de gestion des risques liés aux catastrophes, ont démontré leur efficacité et leur « rentabilité » dans la réduction de la vulnérabilité et des risques environnementaux. Valoriser les traditions culturelles peut également amener à repenser les modes de consommation et de production. Il peut s’agir notamment d’encourager, en réactivant les traditions culinaires, la consommation d’ingrédients autochtones et d’espèces adaptés à l’écosystème local. Cela peut par ailleurs inclure la promotion de formes d’agriculture traditionnelles alternatives propres à soutenir durablement la production agricole, la subsistance des communautés locales et la préservation de l’environnement.

Conclusion Nous ne pouvons ni comprendre ni protéger notre environnement naturel sans appréhender les cultures et les sociétés qui l’ont façonné, maintenu, et géré. Les langues, les savoirs et les savoir-faire sont les vecteurs et témoins de l’interdépendance de la culture et de l’environnement. Selon le rapport mondial de l’UNESCO « Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel », le changement climatique pourrait bien devenir l’un des plus importants défis que l’humanité aura à relever au cours du XXIe siècle comme en témoigne la situation des communautés vulnérables en proie aux difficultés, et pour lesquelles les effets cumulatifs sur l’approvisionnement en eau, la morbidité, les systèmes agricoles et l’habitabilité des établissements côtiers auront des conséquences dévastatrices. Les expressions et pratiques culturelles s’élaborant très souvent en réponse aux conditions environnementales,

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la perspective de bouleversements environnementaux de grande ampleur pourrait constituer un défi politique, socio-économique et culturel majeur pour l’humanité et l’Afrique naturellement. Il est aujourd’hui nécessaire d’adopter une approche holistique et interdisciplinaire, d’encourager et de renforcer les systèmes traditionnels de gestion des ressources naturelles et de l’environnement en général ainsi que leur mode de gouvernance, afin de pleinement prendre ces interactions en compte et d’être plus efficaces dans nos actions en faveur du développement durable, de l’atténuation et de l’adaptation aux changements environnementaux.

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NOTES 1. W. Rostow, Les étapes de la croissance économique, 1960. 2. Rapport Brundtland, 1987. 3. Esoh Elamé, 2011. 4. Soulignons notamment qu’au Ghana, au Mali, au Nigeria et en Zambie, le traitement de première intention pour 60 % des enfants atteints de forte fièvre due au paludisme fait appel aux plantes médicinales administrées à domicile. Par ailleurs, l’OMS estime que, dans plusieurs pays d’Afrique, la plupart des accouchements sont encore pratiqués par des accoucheuses traditionnelles. 5. Cf. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/2003/fs134/fr/.

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Enjeux et défi fiss de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire Sangafowa Coulibaly Ministre de l’Agriculture de Côte d’Ivoire

Introduction Le développement de l’agriculture ivoirienne s’est souvent déroulé autour des politiques qui n’ont souvent pas été suffisamment comprises ou totalement appliquées par les différents acteurs, à plusieurs niveaux, de sorte qu’elles ont abouti à des résultats très mitigés. Ces politiques telles que pratiquées par l’Association de la vallée du Bandama (AVB), la Banque nationale agricole (BNDA), l’Autosuffisance alimentaire, le Retour à la terre, etc. sont restées comme des slogans d’une certaine époque qui n’ont pu transformer ni significativement ni durablement l’économie ivoirienne malgré les efforts surtout financiers qu’ont coûtés les séminaires, les tables rondes et les ateliers, etc. Malgré tous les efforts entrepris, le développement de la Côte d’Ivoire reste tributaire du secteur primaire contrairement à d’autres pays, notamment la Corée du Sud qui était au même niveau économique que notre pays au moment de l’indépendance. L’agriculture ivoirienne demeure extensive, non mécanisée, peu productive (AISA, 2010) et incapable de soutenir durablement une économie nationale renaissante et qui vise l’émergence dans les cinq années à venir. L’explication objective qu’il convient d’opposer à cette série d’échecs partiels ou temporaires est que les enjeux, c’est-à-dire les objectifs immédiats et à long terme, n’ont peut-être ni suffisamment été expliqués, ni acceptés encore moins appliqués par les populations parce que les initiateurs se sont souvent limités à entretenir les slogans du développement durable plutôt que d’envisager les difficultés réelles et potentielles à surmonter. De sorte que les moyens et les stratégies de mise en œuvre de ces politiques n’ont pas été ou ont été insuffisamment élaborés. Ainsi, de gouvernement en gouvernement, les crises aidant, les noms et les hom-

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mes ont changé, autrement dit, sont passés, alors que l’objectif reste le même depuis des décennies. En effet, depuis la loi plan de 1985, issue des plans quinquennaux, en passant par le plan directeur du développement agricole 19922015 (PDDA) du 2 juillet 1993 (GRET, 2005) jusqu’au programme national d’investissement agricole (PNIA, 2010-2015) et la loi d’orientation agricole (LOA), l’agriculture ivoirienne vise l’amélioration de sa compétitivité, l’accroissement de sa productivité, l’autosuffisance et la sécurité alimentaire, la diversification poussée des productions agricoles, le développement des pêches maritimes, lagunaires et continentales et la réhabilitation du patrimoine forestier. Il s’agit, à ces différents niveaux, d’initier, de définir, de promouvoir, de soutenir, d’entretenir, d’assurer, de garantir des politiques pour nourrir conséquemment une population locale d’au moins 22,4 millions d’habitants avec un taux de croissance naturelle de 3,3 % (MINAGRI, 2014) et un flux important d’immigrants, surtout de la sous-région ouest africaine en quête légitime d’un mieux-être. La diaspora toujours attachée aux mets de la mère patrie comme les ressortissants des pays de ce « village planétaire » à la recherche de fruits ou de repas exotiques, tels que la banane, l’ananas, le chocolat ou le café, attendent de notre pays une agriculture qui répond aux besoins d’aujourd’hui sans compromettre celle des générations à venir. L’atteinte du premier Objectif du millénaire qui est de réduire de moitié la pauvreté et la faim des populations demeure la préoccupation majeure. Certes, la situation actuelle n’est pas des plus alarmantes et tranche avec celle des années 1980-1990, si nous considérons une économie nationale avec un taux de croissance moyen d’environ 9 % depuis 2012, soutenue par un secteur primaire qui contribue à 25 % du PIB et emploie les deux tiers de la population active grâce à la présence d’entreprises internationales américaines, hollandaises, françaises, suisses, etc. lesquelles opèrent déjà depuis de nombreuses années. Néanmoins, il convient d’accompagner cette nouvelle dynamique par une politique agricole durable qui débute par la compréhension et la définition d’objectifs clairs mais sur tout l’identification des défis, c’est-à-dire des implications, des contraintes, des difficultés, mais aussi des opportunités économiques sociales, environnementales nationales et internationales qu’offre le concept d’« Agriculture durable », sur tout dans un contexte où l’émergence nationale, repose sur le secteur primaire, qui est la principale source de réduction de la pauvreté en Côte d’Ivoire (AISA, 2010).

Les défis de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire Les défis de l’agriculture ivoirienne sont similaires à la plupart de ceux des pays africains, notamment la République démocratique du Congo (RDC) dont le développement repose essentiellement sur ce secteur (Kasonia, 2009). Il s’agit de mener et de poursuivre des réformes à plusieurs niveaux : le renforcement des capacités des acteurs et parties prenantes, l’amélioration des facteurs, des infrastructures et des technologies de production, la conservation, le stockage, la

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commercialisation et la transformation dans un contexte de post-crise, et l’adaptation au changement climatique. Il faut lutter au niveau du cacaoyer contre la maladie du Swollen Shoot. Par ailleurs, il convient de rajeunir le verger à par tir de nouvelles variétés à hauts rendements, résistantes aux nouvelles maladies et issues de la recherche agronomique. Une autre préoccupation est le rajeunissement de la population des producteurs devenue vieillissante, par l’amélioration de leur qualité de vie. Pour tous ces objectifs, le gouvernement ivoirien doit pouvoir mobiliser plus de 2 002 milliards de francs CFA correspondant à 4 milliards de dollars américains (PNIA, 2010) dont 456,4 milliards de francs CFA seront consacrés au programme Qualité, Quantité Croissance (2QC) sur la période 2014 à 2023. La contribution de plusieurs partenaires, tels que IDH, Cargill, GIZ, World Cocoa Foundation (WCF), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)/Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et la Banque mondiale dans le cadre de la plateforme de partenariats public privé est donc nécessaire pour la mobilisation des fonds et la réalisation de plusieurs projets agricoles inscrits au programme. Ces programmes s’attachent à promouvoir la fertilité des sols, les infrastructures scolaires et médicales, la production de matériel végétal amélioré, l’introduction de l’énergie solaire, et l’apiculture au niveau des producteurs des cultures pérennes (CRSDFCC, 2014 ;WCF, 2013).

L’amélioration de la gouvernance agricole

financement agricole mobilisé. De plus, il importe de mentionner l’utilisation des résultats de la recherche agronomique surtout nationale, plus attrayante, la valorisation des prix d’achat, la redynamisation du système de commercialisation aujourd’hui plus rassurant. L’amélioration de la gouvernance agricole tel que souhaitée par le document du plaidoyer du PNIA (2010) constitue une priorité des autorités nationales. a) L’adaptation aux changements climatiques L’autre principal défi de l’agriculture durable en Côte d’Ivoire est sa résilience aux changements climatiques dus principalement aux gaz à effets de serre. Celui-ci se manifeste par le retard des pluies, l’allongement des saisons sèches, la baisse de la température ou de la pluviométrie avec pour conséquences la hausse de la température de 1,5 à 2,5 °C qui entraînera la dégradation et la disparition de 20 à 30 % de la faune et de la flore, de sévères pénuries d’eau, des risques de malnutrition, d’inondations, de baisse de la fertilité des sols, d’apparition de nouvelles espèces d’adventices, de résurgence de nouvelles pathologies floristiques et zoologiques, de difficultés d’approvisionnement en bois d’énergie, en bois d’œuvre, de fourrage et du raccourcissement des temps de jachère. Il faudra alors appliquer de nouvelles technologies, telles que l’irrigation, l’énergie solaire, l’agroforesterie, la sylviculture, la culture hydroponique, l’utilisation de plantes de couver ture (Kouadio, 2010), les biotechnologies pour relever les défis du développement durable. b) La réduction des contraintes foncières

La gouvernance agricole nécessite une évolution des mentalités par rapport à l’agriculture. Le premier défi de l’agriculture durable en Côte d’Ivoire est le changement des mentalités à l’égard de l’agriculture et du monde agricole. Malgré certaines transformations opérées depuis l’indépendance, l’agriculture ivoirienne reste encore une agriculture de subsistance pratiquée par « les moins aptes » c’est-à-dire ceux qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école ou les déscolarisés. Il faudra donc expliquer à ces premiers acteurs qu’il ne s’agit plus seulement de se nourrir mais de se réaliser économiquement, socialement, financièrement à partir des revenus agricoles. À un certain niveau, les intellectuels doivent considérer le secteur primaire comme économiquement rentable et socialement valorisant. Ces mesures permettront de décomplexer les Ivoiriens vis-à-vis de ce secteur, de sor te à en faire un secteur stratégique de développement et de transformation de la société ivoirienne. Viendra alors le processus du changement de la manière de faire l’agriculture. Si les choses semblent évoluer positivement à ce niveau, parce que de nombreux cadres nationaux sont issus de familles de paysans et que l’investissement dans ce secteur est réalisé par de hauts cadres de l’administration au plus niveau, il reste tout de même une classe moyenne et surtout une jeunesse difficiles à convaincre, surtout au niveau de la cacaoculture et de la caféiculture, dont les rendements et le niveau de revenus individuel laissent la jeunesse indifférente (CRSDFCC, 2014 ; WCF, 2013). La nouvelle loi portant statut de l’agriculteur va certainement contribuer à rendre ce secteur moins pénible par la mécanisation (plus productive) et grâce au

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La pression foncière est particulièrement marquée dans les zones forestières de production de cultures pérennes (cacao, café, hévéas, palmier à huile, etc.). Cette situation se généralise de plus en plus dans les régions du centre et du nord du pays du fait de l’introduction de nouvelles spéculations comme l’anacardier, les manguiers, le coton, la canne à sucre, etc. mais également de l’accaparement des terres par des industriels, d’autant plus que l’identification du foncier ne fait que commencer. Il faut par conséquent appliquer la loi sur le foncier rural du 23 décembre 1998 et le nouveau code forestier de juillet 2014 (ministère des Eaux et Forêts, 2014). Par ailleurs, il existe des défis sectoriels à relever pour la valorisation de la production nationale, la commercialisation, la normalisation et le financement durable. c) L’application des normes internationales dans la production agricole nationale Les projets de cer tification des produits agricoles d’origine ivoirienne ont pour objectif global d’améliorer durablement les moyens d’existence des planteurs ivoiriens de cacaoyers en les encourageant à appliquer les méthodes d’agriculture durable au niveau économique, social et environnemental, conformément aux normes internationalement reconnues de Rainforest Alliance, de UTZ Certified, (ICCO, 2012).

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Le cacao est essentiellement produit par des petits agriculteurs. Il représente 15 % du PIB de la Côte d’Ivoire. La culture occupe environ sur 2,5 millions d’hectares. Le rendement moyen à l’hectare est relativement faible et varie de 0,74 à 1 tonne. La filière compte plus de 800 000 producteurs (CRRDFCC, 2014). De plus, notre pays est le premier producteur mondial du cacao et l’un des plus grands exportateurs de fèves de cacao avec 1 400 000 tonnes. La Côte d’Ivoire produit également 130 000 tonnes de café, 390 000 tonnes d’huile de palme et 450 000 tonnes de noix de cajou. La production ivoirienne de caoutchouc est de 255 000 tonnes. La part de l’agriculture dans les exportations ivoiriennes est de 40 %. Divers projets de cer tification sont lancés par des exportateurs depuis 2005 au niveau de plusieurs de ces spéculations agricoles. Ils sont financés sous trois formes : financement exclusif de l’exportateur, cofinancement exportateur et ONG dépositaire du label et financement de type PPP (partenariat public privé). Cinq types de certifications existent : Fair Trade (commerce équitable), Rainforest Alliance, UTZ Certified, Starbucks, Bio et les expor tateurs promoteurs sont : Cargill, Armajaro, Barry Callebaut, CEMOI, ADM, Outspan). Environ 100 coopératives de café et cacao dont certaines sont préparées pour une ou deux, voire trois certificats. Ici, le défi majeur est de faire adhérer les petits producteurs en réduisant le coût de la certification afin d’éviter la fraude sur la traçabilité et d’optimiser les revenus agricoles des paysans et la qualité des fèves produites (Échté, 2015). d) La responsabilité sociétale des entreprises agro-industrielles Les entreprises exportatrices de fruits tels que la banane, la mangue, les noix de coco, l’igname, doivent au plan local contribuer durablement à l’épanouissement économique, social et environnemental des travailleurs et des populations locales afin d’impulser le développement de proximité. La difficulté est de faire adhérer les entreprises à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) vis-àvis des effets qu’elles exercent sur la société. Pour assumer cette responsabilité, il faut respecter la législation et les conventions collectives. Et pour s’en acquitter pleinement, il faut avoir engagé, en collaboration étroite avec les parties prenantes, un processus destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale , d’éthique , de droits de l’homme et de protection des consommateurs dans les activités commerciales et la stratégie de base (Commission européenne, 2011). Il faut faire en sorte que toutes les entreprises agricoles soient certifiées. e) La transformation des produits agricoles Seulement 30 % de produits agricoles sont transformés en Côte d’Ivoire : 10 % pour le café, 3 % des noix de cajou, 2 % du caoutchouc naturel et 2 % de coton. Mais déjà à ce niveau, le secteur secondaire contribue au développement à hauteur d’un tiers du PIB (MINARGI, 2015). Ceci indique clairement que l’agriculture peut contribuer à l’industrialisation rapide de la Côte d’Ivoire par la transformation sur place des productions agricoles et participer, ainsi, à la création de richesses, donc à la croissance et finalement à l’émergence économique.

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f) La commercialisation des produits vivriers Elle concerne particulièrement le riz qui représente le produit de base le plus consommé en Côte d’Ivoire avec 60 kg/hab./an (MINAGRI, 2015) et dont l’importation s’élève à 750 000 tonnes par an, selon les données statistiques de la FAO (2014). Pour le ministère d’État, ministère de l’Agriculture, l’importation du riz uniquement coûte plus de 400 milliards de francs CFA à la Côte d’Ivoire (MINAGRI, 2014). La République de Côte d’Ivoire souhaite relever le défi de l’autosuffisance en riz en mettant en place un programme soutenu de production, de transformation et de distribution. Par ailleurs, le secteur du vivrier occupe aujourd’hui 85 % de la population active agricole, dont 90 % sont des femmes. La production vivrière, qui était estimée à 9 000 000 tonnes en 2006 est passée à plus de 11 000 000 tonnes en 2014. Ces cultures occupent aujourd’hui une superficie de 2 448 000 hectares. Il faut faciliter l’acheminement de l’igname, de la banane plantain et du manioc sur le marché d’Abidjan. Les filières igname, manioc et banane plantain révèlent les plus grands potentiels d’augmentation du revenu agricole et de réduction de la pauvreté en Côte d’Ivoire comparativement aux cultures de rente, dont le potentiel est relativement plus faible (PNIA, 2010). La banane est d’abord collectée par des grossistes depuis les champs, dans les différentes villes de l’intérieur du pays en particulier. Cependant, le transport de la banane plantain à l’instar des autres produits vivriers en provenance de l’intérieur de la Côte d’Ivoire se heurte à d’énormes difficultés. Ces contraintes sont pour la plupart liées aux tracasseries routières (racket, coupeurs de route), au manque de véhicules de transport uniquement affectés au vivrier, à l’insuffisance des routes praticables pouvant faciliter l’évacuation des produits et au coût trop élevé du transport. Il faut créer des structures de conservation de la banane, du manioc et des autres produits vivriers sur les marchés d’Abidjan. Notamment, le gouvernement de concert avec les mairies et les structures privés doit contribuer à améliorer le cadre environnemental, et sécuritaire des marchés, relever le niveau d’instruction des femmes du vivrier, les organiser en associations, en coopératives, financer leurs activités et les encourager à l’épargne (Yao et Koudou, 2015). Outre ces contraintes, d’autres aussi importantes concernent la transformation des exploitations individuelles et des coopératives agricoles en de véritables entreprises. De plus, il va falloir opérer des choix politiques entre l’agriculture familiale et l’agro-industrie, créer des infrastructures de transport et de conservation des produits, fixer et contrôler les prix, assurer la formation professionnelle, l’électrification des populations rurales, garantir la disponibilité et la qualité des semences et des produits phytosanitaires et, enfin, valoriser les productions locales par l’indication géographique (Kouyaté, et Kramo, 2015). Au niveau du maïs, il faut produire au moins 100 000 tonnes par an pour garantir la nutrition humaine et animale. De plus, il faut améliorer la qualité du maïs produit et mis sur le marché, réduire la saisonnalité des ventes et

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accroître le revenu des paysans par une optimisation des conditions de stockage. Il convient en outre de faciliter la commercialisation de la production par une contractualisation entre producteurs et acheteurs et de mettre au point une bonne structuration professionnelle. g) L’assurance agricole et la sécurité nationale En tout état de cause, il s’avère indispensable de créer un système d’assurance agricole indicielle en Côte d’Ivoire pour limiter les risques organisationnels, de commercialisation, de vulnérabilité aux risques météorologiques liés à la sécheresse, aux inondations, aux pressions phytosanitaires et de garantir l’accès au crédit bancaire des agriculteurs et des entreprises agricoles. Par ailleurs, comme il est souvent dit, « l’argent n’aime pas le bruit ». Les temps de crises que le pays a connus depuis 1990 montrent que la paix demeure l’un des plus grands facteurs de développement et qu’il convient de la préserver par tous les moyens pour promouvoir le développement rural et garantir une agriculture durable.

Les opportunités de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire a) Les avantages de la certification dans la cacaoculture Il y a plus d’une centaine de coopératives certifiées à ce jour. Elles deviennent, des partenaires commerciaux avec les exportateurs, qui constituent la cible de ces opérations de certification. La traçabilité du cacao est garantie et permet à ces producteurs de bénéficier de bons prix d’achats tels que fixés par le gouvernement. De plus, ces structures bénéficient de la ressource additionnelle qu’est la prime aux paysans qui, mutualisée, permet d’amorcer le développement d’infrastructures locales : écoles, centre de santé, électrification, etc. La traçabilité permet également de garantir la qualité aux consommateurs, les rassure que les fèves ont été produites à travers de bonnes pratiques agricoles et environnementales et que le cacao satisfait les droits de l’homme à l’égard des bonnes conditions de travail et la prévention contre le travail des enfants. Par ailleurs, la certification permet l’introduction de technologies innovantes : le compostage et l’agroforesterie, qui favorisent la préservation de l’environnement et du cadre de vie des producteurs, et la construction des fosses pour les eaux usées et des trous à ordures pour lutter contre les maladies liées au manque d’hygiène et les mauvaises odeurs dans les cours des producteurs certifiés. Ces opérations induisent un accroissement du rendement des exploitations de cacao de 49 % (Bonjean et Chambas, 2009), permettent l’organisation des producteurs (Chan et Pound, 2009) et assurent la réalisation de bonnes pratiques agricoles et de conservation post-récolte du cacao. Il y a également une acquisition de matériel de contrôle nécessaire au traitement et au conditionnement des produits.Tout ceci favorise l’adhésion des paysans aux systèmes de production intensifs améliorant la quantité et la qualité des fèves et contribue à la

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réduction de la pauvreté en milieu rural (Chan et Pound, 2009), la création d’emplois pour les jeunes et la scolarisation des enfants des coopérateurs certifiés. Comme autres atouts, la certification procure aux adhérents un accès aux soins médicaux, le renforcement des capacités des membres des coopératives, la mobilisation communautaire, le respect des droits des ouvriers et la préservation de la sécurité humaine et de la biodiversité. b) Les enjeux de la certification des entreprises agricoles Au niveau des entreprises agro-industrielles exportatrices de fruits (mangues, noix de coco, ignames, etc.), la certification à travers la responsabilité sociétale assure l’augmentation de la production exportable avec un niveau de limites maximales de résidus (LMR) inférieur au taux acceptable, l’amélioration du niveau de vie des producteurs (achats de motos, por tables téléphoniques, construction de nouvelles maisons, etc.). Elle apporte des revenus additionnels (vente de miel naturel, de poulets et autres animaux domestiques, etc.), ce qui favorise l’ouverture de comptes bancaires durant la campagne, la mobilisation communautaire et une meilleure gestion des biens communs. Par ailleurs, l’application de la convention collective par les entreprises, les innovations en faveur du développement et l’emploi de la main-d’œuvre locale, garantissent l’interdiction du travail des enfants, la liberté syndicale, la lutte anti-corruption, le renforcement des capacités, l’intégration du personnel au système de sécurité sociale, la couverture des coûts médicaux et des accidents de travail ainsi que le plan de retraite prévu par la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). Le respect du genre, la scolarisation des enfants et les prêts de toutes sortes (scolaires, naissances, maladies et funérailles, etc.) sont des avantages également prioritaires. D’autres avantages sont la création de réfectoires, d’infirmeries et de dispensaires, l’assurance maladie, la bonne gestion des déchets solides et liquides, les boîtes à pharmacie, les visites médicales, le port de chaussures de sécurités et l’évacuation des eaux usées dans des fosses spécialisées. Il faut ajouter à cela, la garantie continuelle des emplois de la main-d’œuvre locale, l’amélioration de la texture et de la structure des sols exploités, la réduction de l’érosion, l’utilisation de la fumure organique, la création de zones tampons et de conservation d’espèces végétales et animales afin de contribuer à la restauration, à la conservation et à la protection de la biodiversité ainsi que l’interdiction de la chasse et des feux de brousse (Soro, 2015).

Conclusion L’agriculture durable et la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire constituent des priorités majeures de notre pays. Les mesures multisectorielles prises par les acteurs clés du secteur agricole contribueront à l’avènement d’une agriculture productive saine et créatrice d’emplois. Pour ce faire l’agriculture durable devra utiliser des pratiques limitant l’érosion et la dégradation des sols et réduire l’usage d’intrants pour protéger les ressources en eau et la biodiversité. Elle ne

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devra pas porter atteinte à l’intégrité physique, sociale, économique et environnementale des personnes et des êtres vivants. Elle devra être intensive, créatrice d’emplois, hautement productrice, peu coûteuse, économiquement rentable et attrayante. Elle devra être socialement valorisante, dynamique et adaptée aux aléas climatiques, fournissant l’essentielle de la matière première à l’industrie agroalimentaire pour satisfaire les besoins alimentaires, sociaux, économiques et environnementaux d’une population galopante dans un contexte où les terres cultivables sont devenues rares, rendant la cohabitation de plus en plus difficile entre les différentes communautés. Ces défis sont encore loin d’être atteints d’autant plus que le secteur primaire occupe encore 49 % de la population totale, et qu’il est encore peu équipé, peu formé et donc peu efficace. Nous devons aussi favoriser la recherche par des conventions entre les paysans, les coopératives, les entreprises d’une part et les universités, les centres de recherche et de formation d’autre part. Il nous faut aussi appuyer l’administration locale, centrale, les collectivités décentralisées, les privés et solliciter les partenaires au développement afin d’aboutir à des innovations permanentes permettant à la Côte d’Ivoire de passer d’une économie agricole à l’agro-industrie et de booster ainsi l’émergence économique au niveau des secteurs secondaires et tertiaires par la création d’emplois, de richesses et l’amélioration des services sociaux et du cadre de vie. Il est possible de réaliser un deuxième boom économique dans notre pays. N’oublions surtout pas le rôle important joué par l’agriculture vivrière au cours du premier miracle ivoirien. Ce rôle sera plus accru pour le présent mais surtout pour celui des générations à venir. Car ceux qui se développent mangent pour le faire, créent de ser vices et des emplois pour ceux qui mangeront. Dans tous les cas, le Père de la nation l’avait dit en son temps, « Celui qui a faim n’est pas un homme libre. » L’agriculture durable peut et doit assurer l’indépendance économique, sociale et environnementale des générations à venir.

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Contribution du secteur privé au développement d’une cacao culture durable en Afrique de l’Ouest : le cas des activités de la Fondation mondiale du cacao en Côte d’Ivoire Jean-Yves Couloud Directeur de la Fondation mondiale du cacao (WCF) en Côte d’Ivoire

Introduction La Fondation mondiale du cacao ou World Cocoa Foundation (WCF) est une organisation à but non lucratif fondée en 2000 dans le but de promouvoir le développement social et économique ainsi que la gestion environnementale au niveau des communautés productrices de cacao. La Fondation est une organisation qui englobe plus d’une centaine de sociétés membres impliquées dans l’industrie du cacao et du chocolat à travers le monde. Elle représente plus de 80 % du marché mondial. Les principes et buts de la durabilité de la Fondation mondiale du cacao se basent sur les piliers concernant le profit, le développement humain et la sauvegarde de la planète. Ils assurent que les partenariats sont stratégiquement ciblés et conduisent à un changement positif dans les communautés productrices de cacao là où il est le plus nécessaire. Ils facilitent également la promotion de la coopération et la collaboration entre les parties prenantes du cacao, en encourageant la recherche ciblée, et en guidant les planteurs dans leurs activités propres et axées sur la chaîne des valeurs.

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Contexte et problématique La production du cacao est à la base de la prospérité économique et sociale de la Côte d’Ivoire. Cependant, l’expansion de cette culture s’est généralement réalisée par la consommation des massifs forestiers et subséquemment la fertilité naturelle des sols, et au détriment de la biodiversité. L’on assiste très souvent au déclin de la cacaoculture dans certaines zones, à la suite de l’épuisement de ce précieux capital foncier. C’est ce qui s’est passé dans l’ancienne boucle du cacao (centre-est) et risque de se produire sur les fronts du centre-ouest et de l’ouest, si des techniques de production plus modernes n’étaient pas appliquées. Dans leur stratégie de conquête et d’occupation des terres, les producteurs ne se soucient pas toujours de la productivité de leurs plantations ; ils utilisent très peu de moyens modernes de production et sont confrontés aux difficultés de renouvellement de leurs vergers vieillissants, soumis aux attaques des maladies et des insectes ravageurs. Ainsi, le contexte actuel est-il caractérisé par : • la diminution du patrimoine forestier qui n’autorise plus l’extension des superficies ; • le vieillissement du verger à l’est et au centre-ouest et la dégradation précoce des exploitations à l’ouest ; • la faible productivité des cacaoyères ; • la dégradation des sols ; • la forte pression parasitaire due aux maladies (pourriture brune des cabosses) et aux insectes nuisibles (mirides) ; • le vieillissement des exploitants et le désintéressement des jeunes de la cacaoculture considérée comme peu rentable du fait des faibles rendements ; • la migration des producteurs valides vers la nouvelle boucle du cacao ; • l’insuffisante capacité des organisations des producteurs de cacao à se prendre en charge. Toutes ces problématiques constituent des risques majeurs qui pèsent sur la durabilité de la cacaoculture et par conséquent sur la pérennité des revenus et la survie des producteurs de cacao. Ce constat fait ressortir des préoccupations majeures qui engagent à plus d’un titre la durabilité de la cacaoculture et par conséquent la pérennité des revenus et la survie des producteurs. En effet, faut-il le rappeler, la Côte d’Ivoire est le premier pays producteur du cacao avec 46,5 % de la production mondiale en 2000, sans oublier qu’environ 800 000 petits exploitants vivent de cette culture.

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Afin de contribuer à la recherche de solutions à ces menaces et problématiques précitées, la Fondation mondiale du cacao (World Cocoa Foundation) en relation avec l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et le gouvernement ivoirien ont initié et mis en œuvre en Côte d’Ivoire des programmes visant à tester des approches et options nouvelles d’amélioration de la productivité des exploitations de cacao, de renforcement des capacités d’organisation, de gestion et de commercialisation des coopératives ainsi que d’information et de formation des producteurs et de leurs organisations sur les questions sociales (travail des enfants dans les plantations de cacao) et environnementales.

Les programmes d’amélioration des revenus des cacaoculteurs Ces programmes ont été mis en œuvre à par tir de l’année 2003 en vue d’améliorer l’économie des petits producteurs de cacao. L’idée essentielle sur laquelle se basent ces programmes dans leur approche est la suivante : pour produire le cacao de manière durable, les petits planteurs doivent acquérir une bonne connaissance des processus biologiques et comprendre de façon claire et simplifiée les interactions au sein de l’agroécosystème du cacaoyer (sol-eauplante). Cela pour être en mesure de prendre de bonnes décisions de gestion. En somme, ils doivent bien comprendre pourquoi et comment la plante produit son fruit pour mieux apprécier la pertinence des différentes opérations de l’itinéraire technique qui leur sont proposées ou qu’ils appliquent déjà. Pour ce faire, l’approche de vulgarisation agricole champ école paysan (CEP) a été adaptée à la cacaoculture pour la mise en œuvre des formations des producteurs à travers ces programmes. La formation des producteurs porte essentiellement sur la gestion intégrée des cultures et des déprédateurs, avec un accent particulier mis sur : • • • • • •

le bon entretien des plantes ; la lutte contre les organismes nuisibles et les maladies ; l’utilisation rationnelle des pesticides ; la réhabilitation des plantations ; l’utilisation d’arbres d’ombrage compatibles aux cacaoyers ; et l’amélioration des techniques de récolte et post-récolte.

Les études réalisées sur l’évaluation de la rentabilité des pratiques de gestion intégrée des déprédateurs (GID) dans la cacaoculture après la mise en œuvre des programmes de formation des producteurs ont permis de tester non seulement la rentabilité technique et financière des pratiques de lutte intégrée, mais aussi à déterminer le niveau d’adoption des pratiques de lutte intégrée par les paysans.1

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Il en ressort que globalement nous avons un accroissement du nombre de cabosses formées sur les parcelles GID des CEP du stade de chérelle au stade de cabosses mûres ainsi qu’une baisse du nombre de cabosses détruites. Aussi, toujours concernant la rentabilité technique, le test de comparaison des moyennes des rendements des parcelles a révélé une différence significative entre les parcelles GID et PP (pratiques paysannes) avec un accroissement du rendement de 83 % sur les parcelles GID. En effet, un rendement moyen de 611 kg/ha a été obtenu sur les parcelles GID contre 333 kg/ha sur les parcelles PP. L’analyse de la rentabilité financière des pratiques de lutte intégrée a révélé un bénéfice net additionnel de 77 550 francs CFA/ha soit un accroissement de 97 % (157 564 francs CFA/ha sur les parcelles GID et 80 014 francs CFA/ha sur les parcelles PP). Pour atteindre ce résultat, une augmentation de 55 % des coûts variables est indispensable. Le taux de rentabilité moyen issu du budget par tiel a été de 377 %. Autrement dit pour 1 franc investi, la mise en œuvre des pratiques de lutte intégrée rapporte 3,77 francs CFA. En outre, l’établissement du budget de rentabilité a permis la détermination d’un prix seuil de rentabilité de 226,07 francs CFA ainsi qu’un rendement seuil de rentabilité de 391,36 kg/ha. L’étude a en outre révélé concernant l’adoption des pratiques de lutte intégrée que 66 % des enquêtés ont appliqué la taille sur toute la superficie de leur cacaoyère. Pour ce qui est du réglage de densité, les participants se sont démarqués significativement des non-participants en ce qui concerne le nombre de pieds supprimés et le remplacement des manquants. En ce qui concerne la récolte sanitaire, 63 % des par ticipants appliquent l’opération qui consiste en la récolte des cabosses pourries ou endommagées et le transport de ces cabosses hors de la plantation contre seulement 7 % des non-participants. Aussi, l’étude a révélé que pour le réglage de l’ombrage de leurs cacaoyères les participants ont recours à l’utilisation du mélange de vin de palme et du sel et aussi la coupe d’entretien/taillage des essences qui apportent un excès d’ombre. La pulvérisation des produits pesticides dans les plantations cacaoyères semble progressivement rentrer dans les mœurs des participants au CEP à en juger par le nombre de pulvérisations qui va croissant au fil des ans. Néanmoins, il faut noter que le nombre moyen de pulvérisations obser vées est en deçà des recommandations des firmes phytosanitaires.Toutefois, Il est important de renforcer la formation des participants aux CEP sur l’utilisation rationnelle des produits phytosanitaires. Pour ce qui est de la régénération des cacaoyères, 50 % des participants mettent en œuvre les pratiques de régénération sur leurs parcelles contre 30 %

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chez les non-participants. Les pratiques les plus utilisées par les paysans sont la technique de réhabilitation et la replantation sur jachère cacaoyère. 28 % des participants au CEP ont des plantations d’hybrides de cacao contre 12 % des non-participants. Également en termes de nombre de plants hybrides, nous avons dénombré un grand nombre de plants hybrides chez les participants au CEP comparativement aux non-participants. L’observation de l’application des recommandations concernant la gestion de l’ombrage dans les cacaoyères a permis de noter que l’ombrage est assuré en moyenne par 11,51 arbres à l’hectare par cacaoculteur. Les producteurs ont fini par comprendre l’importance de l’agroforesterie dans le processus de la cacaoculture durable. Ils prennent désormais le soin de préserver les sauvageons qui poussent naturellement dans leur exploitation. Chez les producteurs non formés on rencontre moins d’arbres, environ 31,45 sur leur exploitation soit 8.38 arbres à l’hectare. Un nombre assez faible du fait de la méconnaissance des bienfaits de l’ombrage pour la cacaoyère. Ils ont pour habitude de détruire les arbres de leurs exploitations pensant que ceux-ci entrent en compétition avec les pieds de cacao et donc empêchent leur évolution.2 Dans le cadre du renouvellement du verger cacaoyer, l’initiative cacaoyère en Afrique de la Fondation mondiale du cacao en partenariat avec le Centre national de recherche agronomique (CNRA) réalise depuis 2012 l’empreinte génétique des types de cacaoyers en vue de la validation des champs semenciers nationaux.Toujours dans le cadre de cette initiative, il est procédé à l’extension de champs semenciers décentralisés (plus accessibles) en ajoutant un minimum de 50 hectares supplémentaires de champs semenciers, dans les zones actuellement mal desservies par le système de distribution de cabosses ; soit une augmentation de plus de 50 % de la production de cabosses certifiées et un accès facilité pour les planteurs. En cinq ans, ces 50 hectares de champs semenciers permettront d’assurer la replantation à un rythme de 70 000 hectares par an. WCF/ACI aide également à la promotion de la méthode de greffons comme méthode pionnière de nouvelles technologies. Établir une production décentralisée de pépinières de greffons afin de promouvoir la réhabilitation des cacaoyères (remplacement de canopée) comme une nouvelle technologie pour la production de cacao. Entre 10 hectares de jardins décentralisés (10-15 centres) sont mis à l’essai en Côte d’Ivoire. Les résultats ouvrent le champ de nombreuses études qui permettront d’améliorer son adaptation aux conditions environnementales, sa résistance aux maladies et ses qualités aromatiques, tout en facilitant la création de variétés productives permettant de développer une cacaoculture durable en réduisant l’utilisation de pesticides et l’usage de terres forestières 3. Il est également attendu de ces travaux un raccourcissement de la durée des programmes de sélection, le cycle de sélection étant normalement estimé à 15 pour une plante pérenne. De nouvelles variétés plus performantes

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seront disponibles aux producteurs, comme l’a été avant eux le célèbre hybride « Mercedes », développé par le même CNRA mais dont la distribution semble être inférieure aux attentes des planteurs. Conscient de l’enjeu du rajeunissement du verger cacaoyer ivoirien, les onze plus grands industriels du cacao et du chocolat à travers l’initiative CocoaAction ont défini comme axe stratégique la production et la multiplication de matériel végétal amélioré performant. Pour ce faire, le Groupe Nestlé a ouvert en Côte d’Ivoire un centre de recherche et développement, dont l’un des objectifs vise la production de 12 millions de plants de cacaoyers en dix ans 4. Afin de réduire la variabilité intrafamille des plants et assurer la diffusion des cacaoyers les plus remarquables par leurs performances, il a été décidé de recourir à la création de plants par embryogenèse somatique à partir de pièces florales. Des techniques de greffage font actuellement l’objet d’opérations pilotes par le chocolatier Mars à travers son projet Vision for Change en vue d’accélérer le renouvellement du verger cacaoyer. L’application des bonnes pratiques couplée à l’utilisation de fertilisants adéquats permettra aux cacaoculteurs d’améliorer leurs revenus. En effet, selon Assiri et Al. 5 , la réhabilitation des plantations adultes basée sur des travaux d’entretien adéquats et sur la gestion intégrée des déprédateurs entraîne des accroissements de production de 20 à 221 %, avec un taux moyen de rentabilité qui atteint 377 % par rapport aux plantations paysannes témoins. En plus, en apportant des engrais minéraux NPK, on obtient des gains supplémentaires de rendement de 35 à 65 % à partir de la deuxième année.

Nouvelle vision d’approche Les résultats issus de la mise en œuvre des différents programmes de durabilité de la WCF ont incité les principaux industriels à mettre en œuvre une stratégie commune d’action qui est CocoaAction. CocoaAction favorise la coordination et l’alignement des efforts pour la durabilité du cacao mise en œuvre par les plus grandes entreprises de cacao et de chocolat au monde à l’effet d’accroître leur impact et de contribuer à la mise en place d’un secteur du cacao rajeuni et économiquement viable pour plus de 300 000 producteurs de cacao et leurs communautés à l’horizon 2020. La stratégie a pour cible le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui tous deux réunis représentent à ce jour environ 55 % de la production mondiale de cacao. La stratégie s’étendra ensuite à d’autres pays producteurs de cacao. La stratégie CocoaAction se fonde sur quatre principes clés : • le renforcement de l’interdépendance entre l’amélioration de la productivité et les interventions de développement communautaire ; • l’engagement pour une approche holistique sous la forme d’un kit de productivité et de développement communautaire, qui indique là où l’industrie peut apporter une bonne contribution ; • un approvisionnement adapté aux conditions locales ;

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• l’alignement des programmes et des interventions d’entreprises dans le cadre des plates-formes nationales de partenariat public privé. CocoaAction se fonde sur une approche holistique qui vise à améliorer les moyens de subsistance et les possibilités économiques des communautés productrices de cacao avec un accent double sur les mesures visant à accroître la productivité et le développement des communautés. Spécifiquement, les objectifs de CocoaAction sont que, d’ici à 2020, au moins 300 000 producteurs du Ghana et de la Côte d’Ivoire (200 000 en Côte d’Ivoire et 100 000 au Ghana) : – Appliquent les bonnes pratiques agricoles – Aient accès au matériel végétal amélioré – Aient accès aux engrais et les utilisent correctement

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Kit de productivité

Ces producteurs vivront dans des communautés pour qui les résultats visés par CocoaAction sont : – L’élimination des pires formes de travail des enfants – L’éducation de base sera disponible et les enfants iront à l’école – La parité sera améliorée afin que les femmes aient une plus grande influence dans la prise de décisions et le développement de leurs communautés

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Kit communautaire

Un objectif clé de cette approche est que ces producteurs de cacao verront leur productivité augmenter d’au moins 100 %.

NOTES 1. Mémoire de fin d’études, Assi Franck, 2006. 2. Mémoire de fin d’études, Assi Laetitia, 2010. 3. Le décryptage du génome du cacaoyer : une avancée majeure pour la compréhension de la biologie et l’amélioration de cette espèce, CIRAD, 2010. 4. The Cocoa Plan, Nestlé, 2012. 5. Assiri et Al., Rentabilité économique des techniques de réhabilitation et de replantation des vieux vergers de cacaoyers (Theobroma cacao L.) en Côte d’Ivoire, 2012.


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Enjeux et défi fiss de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne Germain Dasylva Représentant de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture en Côte d’Ivoire

Luc-Joël Grégoire Directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction Malgré un potentiel agricole exceptionnel, l’Afrique enregistre le niveau de vie le plus faible de la planète et compte le plus grand nombre de personnes malnutries proportionnellement à la population totale. De plus, l’Afrique rurale fait face à d’importants défis en matière d’emplois, de protection sociale et de satisfaction des besoins essentiels. À la différence de l’Amérique latine et de l’Asie de l’Est qui, à partir des années 1970, ont vu les épisodes de pénurie alimentaire progressivement disparaître, l’Afrique subsaharienne a vu sa situation se détériorer, le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique passant de 176 millions en 1990-1992 à 214 millions en 2011-2013 selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2014). En outre, le nombre de ruraux pauvres va continuer d’augmenter notamment en raison de la croissance démographique et restera, selon toute probabilité, supérieur au nombre d’urbains pauvres jusqu’en 2050. Au-delà de leur dimension éthique, la faim et l'insécurité alimentaire prennent un énorme tribut sur l'économie et ont des conséquences néfastes pour les moyens de subsistance et les capacités économiques des populations vulnérables. Les coûts pour la société sont énormes en ce qui concerne la perte de productivité, la santé, le bien-être, la baisse de la capacité d’apprentissage et la réduction de la réalisation du potentiel humain. À de rares exceptions près, la productivité de l’agriculture traditionnelle demeure faible et « l’économie paysanne d’exportation », porteuse de nombreux espoirs de développement dans les années 1970, s’est essoufflée. La pau-

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vreté génère un bas niveau de demande domestique et les débouchés extérieurs demeurent encore faibles en raison du caractère extrêmement concurrentiel et instable des marchés internationaux pour les produits d’exportation. Alors que dans l’Europe des années 1950-1960, l’exode rural s’expliquait plutôt par un phénomène de modernisation de l’agriculture couplé à l’expansion de l’industrie en zone urbaine, en Afrique, ce sont la pauvreté et l’insécurité alimentaire dans les campagnes qui provoquent un exode vers les villes. Là, en l’absence d’un secteur industriel et manufacturier dynamique capable d’absorber cette main-d’œuvre, la pauvreté et le sous-emploi s’accroissent de manière préoccupante surtout chez les jeunes.

D’autres problèmes comme la fuite des cerveaux, la mise en œuvre hâtive de réformes mal conçues et la tendance à privilégier les villes, ont affecté une grande partie de l’Afrique subsaharienne. Dans les pays riches en ressources minérales, les conditions macroéconomiques ont également été défavorables à l’agriculture, mettant en péril sa compétitivité.

L’Afrique rurale fait face aux principaux défis suivants : • l’évolution atypique des agricultures qui laisse peu de place à l’amélioration des conditions de vie des plus démunis ; • la question démographique qui constitue dans cer tains pays une contrainte de fond pour l’emploi des jeunes ; • la transition mal maîtrisée de sociétés à dominante agraire vers des sociétés à évolution urbaine non maîtrisée ; • la faible diversification et transformation des productions et l’accès insuffisant aux financements du monde rural ; • la question foncière et l’évolution des régimes dits coutumiers face aux enjeux contemporains du développement rural ; • les enjeux de la gouvernance des marchés et de l’intégration aux dynamiques de développement international et régional ; • la question environnementale et du changement climatique qui affecte les terroirs et plus largement, les écosystèmes du continent.

Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, l’extension des terres cultivées a été limitée par le manque d’accessibilité physique, l’insécurité de la propriété foncière, l’accès insuffisant à la traction animale et motorisée. La propagation de maladies transmissibles comme le VIH-Sida ou plus récemment, le virus Ebola, l’attractivité des villes et la concurrence de certaines activités non agricoles ont aussi affecté les rendements de l’agriculture. La productivité est restée faible en raison d’une sous-exploitation des ressources en eau, de l’utilisation réduite des engrais, du recours limité à des pratiques améliorées de gestion de la fertilité du sol et de la faiblesse des services d’appui (recherche, vulgarisation, financement). Les sécheresses et autres fléaux périodiques, ainsi que l’augmentation des risques liés à ces phénomènes, ont découragé les investissements indispensables à l’accroissement de la productivité.

Toutefois, des changements récents observés sur le marché alimentaire mondial, dans les domaines de la science et des technologies et, au sein des institutions qui exercent une influence sur la compétitivité, favorisent l’émergence de nouvelles opportunités pour la compétitivité des petits exploitants. Une bonne compréhension de ces défis est essentielle à l’élaboration des mesures politiques qui doivent aider les hommes et les femmes des régions rurales à s’extraire, par eux-mêmes, de la pauvreté et à développer leur propre résilience pour un développement humain et durable.

Les enjeux de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire en Afrique De multiples difficultés ont entravé le développement de l’agriculture1 dans la région, mais il est réconfortant de constater que l’élimination ou l’atténuation de certains de ces obstacles doit permettre de libérer, du moins en partie, le vaste potentiel de croissance de l’agriculture africaine.

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La croissance agricole peut provenir tant d’une expansion de la superficie cultivée que d’une augmentation de la productivité ou d’une diversification au profit de produits à plus forte valeur ajoutée. Elle peut aussi être le résultat d’une réduction du gaspillage et des pertes « post-récolte ».

En outre, le dysfonctionnement et l’inefficacité des marchés (largement imputables à la fragilité du secteur privé dans la plupart des pays), le manque d’investissement dans les infrastructures, les coûts de transport élevés, les déficiences des systèmes d’information et l’inadaptation du cadre réglementaire ont empêché une rémunération correcte des producteurs et les ont dissuadés, d’investir et de se spécialiser dans des produits nouveaux et à haute valeur ajoutée. Les prix 2 restent bas et extrêmement volatils, et il n’existe pas de mécanisme pouvant aider à minimiser ou partager les risques supportés par les producteurs. Par ailleurs, la part de l’agriculture dans le budget de l’État, qui était de 5 % environ en 1990-1991, est tombée à 3,5 % en 2001-2002 et à 3,1 en 2013-2014, un niveau bien inférieur à l’objectif de 10 % fixé par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA), dans la déclaration de Maputo en juillet 2003. Sur 54 pays du continent, seuls 9 en 2015 ont respecté leur ratio d’engagement. Ces coupes budgétaires ont fortement ébranlé l’investissement public dans l’agriculture et la capacité des institutions publiques à fournir à ce secteur des biens publics dont il a tant besoin, particulièrement à un moment où les flux d’aide en faveur du développement agricole et rural s’amenuisent et s’orientent vers les pays les mieux lotis.

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Les défis et enjeux sont donc multiples : sur le plan environnemental : les pratiques agricoles inadéquates et le changement climatique dégradent progressivement et de façon drastique les ressources en eau de surface, la fer tilité des sols et le couver t végétal des écosystèmes arides et semi-arides, diminuant ainsi leur résilience ; • en ce qui concerne les défis sociaux : la recapitalisation des ménages à l’issue des crises écologiques est demeurée freinée par la prévalence et l’intensité de la pauvreté dans les zones rurales, la faiblesse des systèmes de protection sociale et la déstructuration des réseaux de solidarité familiale provoquée par l’exode rural ; • les problèmes économiques : l’alimentation représente la moitié des dépenses des ménages, en ville mais aussi à la campagne, les coûts de l’énergie, des transports et des intrants, associés à l’insécurité foncière, aux dysfonctionnements des marchés du crédit et des produits agricoles, pénalisent les petites exploitations familiales qui assurent la quasi-totalité de la production alimentaire, mais restent souvent incapables d’assurer complètement leur autoconsommation. Les évaluations du climat des affaires en milieu rural révèlent des contraintes significatives à l’investissement parmi lesquelles le mauvais accès au crédit et son coût élevé, un approvisionnement en électricité inadéquat ainsi que la mauvaise qualité des routes et de l’infrastructure. • l’enjeu foncier : face aux besoins alimentaires que génère la croissance démographique et, par conséquent, aux surfaces indispensables pour permettre l’activité et la production agricoles, l’enjeu principal est certainement foncier. À cet égard, on obser ve des effets per ver s de la marchandisation systématique de la terre alors même qu’une distribution de titres de propriété aux plus démunis pourrait permettre de lutter contre la pauvreté ; • le consensus relatif aux politiques sectorielles de sécurité alimentaire demeure parfois encore difficile à établir (petites agricultures contre grandes entreprises, cultures pluviales et irrigation, petits et grands périmètres, importation à bas prix et soutien aux prix intérieurs, libéralisation du marché et fermeture des frontières, cultures vivrières et cultures commerciales, interventionnisme de l’État et acteurs privés, etc.) ; • les politiques publiques actuelles ne permettent pas totalement de résoudre le problème de la pauvreté et de la faim, malgré les effor ts récemment consentis par certains pays. La gouvernance actuellement en place à tendance à aider les plus riches et les plus performants et à abandonner à leur sort les moins nantis et les victimes de la faim, non pas que les gouvernements et leurs par tenaires s’en désintéressent, bien au contraire, mais tout simplement parce que l’efficacité des politiques et la mise en œuvre des réformes ont été insuffisantes ; • les ressources publiques actuellement consacrées à l’agriculture restent marginales par rapport aux besoins identifiés dans le cadre du programme

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détaillé pour le développement de l’agriculture africaine du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) préparé avec l’aide de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). Aujourd’hui, les pays développés accordent plus de ressources à l’aide alimentaire qu’au développement agricole et rural alors que les analyses indiquent que l’investissement de ces mêmes moyens dans l’agriculture aiderait à se passer dans une large mesure de l’aide alimentaire ; • le désengagement de l’État, dans un grand nombre de pays, suscite une vive inquiétude car l’examen des problèmes auxquels se heurte l’agriculture en Afrique subsaharienne montre que leur résolution exigera un soutien significatif de la par t des gouvernements, à la fois en termes de ressources supplémentaires et de réforme des politiques.

Les orientations de politiques en matière d’agriculture durable L’agriculture moderne offre un potentiel très important de création d’emplois et de richesse, et peut absorber un grand nombre de jeunes candidats à la migration ou de jeunes qui font actuellement ployer les villes sous le sousemploi. Un choix judicieux d’investissements à forte intensité de main-d’œuvre dans l’agriculture et d’autres activités rurales non agricoles peut créer des opportunités d’emplois à court terme, plus accessibles aux jeunes. Il convient pour cela d’élaborer des stratégies qui rendent l’option agricole suffisamment attractive pour que les jeunes s’y engagent ; il faut en particulier promouvoir la commercialisation et les gains de productivité par l’innovation technologique et le développement des infrastructures. Pour mettre l’agriculture en situation de répondre aux défis du continent, l’accès aux marchés, le développement des filières et la mise en place de chaînes de commercialisation modernes doivent être considérés comme un axe prioritaire des stratégies de croissance accélérée et de réduction de la pauvreté. Les grappes d’entreprises à vocation agricole – formées par des entreprises d’une même région coordonnant leurs activités pour fournir des productions transformées et des services sur une base concurrentielle – obtiennent de bons résultats, comme en témoignent les activités axées sur les exportations non traditionnelles du Maroc ou de l’Afrique du Sud. Une démarche plurisectorielle d’investissement pour exploiter les synergies entre l’accès aux intrants et aux technologies appropriés (semences, engrais, races animales améliorées), une gestion plus durable des ressources en eau et des sols, des services améliorés (vulgarisation, emplois, assurances, services financiers), et la valorisation des ressources humaines (éducation, santé, nutrition) sont autant d’éléments qui doivent permettre une expansion du secteur agricole et la promotion du secteur non agricole.

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Il existe de réelles possibilités de conforter les revenus ruraux à condition de promouvoir l’expansion des marchés de produits à forte valeur ajoutée – en particulier l’horticulture, le petit élevage, la pisciculture, la production laitière, les filières du karité, du sésame, des produits non ligneux, des fruits, notamment les mangues mais aussi des huiles essentielles – qui offrent des opportunités de diversifier les systèmes agricoles et de développer une agriculture compétitive et à forte intensité de main-d’œuvre. La production de manioc, les exportations de fruits et légumes, celles de thé, de même que la pêche se distinguent comme des secteurs ayant connu un succès indéniable. Ces succès, ainsi que d’autres obtenus ailleurs, révèlent tous l’impor tance d’une participation publique dans le développement agricole et rural à travers en particulier des politiques adéquates, des institutions appropriées, le développement des technologies, la mise en place d’infrastructures et l’amélioration des capacités des ressources humaines. Le secteur des cultures et des produits d’élevage à forte valeur ajoutée est intensif en main-d’œuvre et possède un fort potentiel de croissance de l’emploi. Ceux de la pisciculture et de l’horticulture disposent également d’opportunités de premier plan. Ceci dit, les conditions de travail dans l’agriculture ne sont pas toujours propices à des avancées importantes en termes de bien-être social en raison, d’une part, de la nature des processus de production et, d’autre part, du manque de réglementation appropriée. Parmi les principaux ingrédients du succès figurent la stabilité politique et économique ainsi qu’un cadre politique et réglementaire favorable (notamment en matière de réforme agraire et de cadre juridique des contrats). Les services publics (conseils techniques, formation des agriculteurs et recherche) jouent un rôle déterminant en tant qu’initiateurs du changement et du développement, même si avec le temps, certains de ces services pourront être progressivement confiés à des organisations de producteurs, comme le font déjà certains pays. Le changement technologique constitue souvent un déclencheur du développement, à condition que les marchés réagissent positivement et absorbent le surcroît de production. Pour cela, il faut généralement mettre en place des systèmes d’information sur les marchés, stimuler les industries agroalimentaires et, dans tous les cas, disposer d’infrastructures publiques, que ce soit au niveau de la production (aménagements irrigués, par exemple), de la commercialisation ou des transports. Cela suppose un soutien plus fort aux organisations paysannes et aux organisations professionnelles ainsi que des mécanismes permettant de les consulter avant de prendre des décisions importantes, de manière à instaurer la confiance et la mobilisation indispensables à l’investissement. Les femmes jouent un rôle prédominant dans la production alimentaire en Afrique, car dans les milieux agricoles les femmes n’ont pas une place marginale, elles sont même un maillon impor tant de l’agriculture. Elles jouent un rôle essentiel – qui n'est pourtant pas toujours apprécié à sa juste valeur – à tous les

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stades du système alimentaire, participant à la production et à la commercialisation des denrées et veillant aussi à nourrir convenablement leur famille. Par contre, elles ont une place « marginale » dans le cadre des cultures de rente et elles sont peu représentées dans les organes de décision aux niveaux des coopératives et des filières. Aussi, le renforcement des capacités rurales doit habiliter les femmes à obtenir un accès égal aux ressources et aux moyens de production essentiels (terres, crédits, financement, technologie, marchés, soutien commercial, formation, etc.). Sur d’autres continents, l’expérience a montré que si l’appor t de moyens financiers supplémentaires était impor tant, les politiques, les institutions, la volonté politique et la mobilisation générale avaient au moins autant de poids. La stabilisation des prix, autre tabou, est un important facteur d’encouragement pour l’investissement privé (comme en Asie) et contribue dans une large mesure à faire de l’agriculture un moteur de la croissance et la base d’une croissance solide et diversifiée. La stabilité macroéconomique peut également favoriser l’épargne (comme en Chine), tandis que le développement des ressources humaines, des sciences et des technologies (Corée, Brésil) est essentiel dans une perspective à plus long terme. L’investissement dans la recherche agricole s’est avéré bénéfique partout dans le monde. Enfin, et sur tout, tout ceci ne peut se concrétiser que si les organisations publiques se montrent efficaces et si leur gestion repose sur une meilleure gouvernance et des pratiques transparentes et responsables. Les priorités doivent varier en fonction des situations spécifiques des pays, il n’y a pas de solution de type prêt-à-porter identique pour tous, mais on peut faire ici quelques suggestions applicables à l’ensemble de la région ou adaptées à certaines situations type rencontrées dans la région. Cinq grandes priorités générales semblent essentielles pour l’ensemble de la région : • les gouvernements et leurs partenaires doivent mettre tout en œuvre pour résoudre les conflits armés, assurer la stabilité politique, empêcher de futurs conflits et adopter les meilleures pratiques de gouvernance ; • les gouvernements, conformément à leurs engagements vis-à-vis tant des Objectifs du millénaire pour le développement que du droit à l’alimentation, doivent concevoir des stratégies et mettre en œuvre des programmes favorisant le développement d’activités rémunératrices et créatrices d’emplois décents, nécessaires pour un accès à la nourriture ; • les gouvernements doivent mettre l’accent sur la redistribution des ressources, d’une part en privilégiant les ministères responsables des secteurs productifs plutôt que ceux chargés des secteurs non productifs et, d’autre part, en accordant la priorité à la fourniture de biens publics dans l’intérêt de tous plutôt qu’à des subventions3 ne profitant qu’à quelques privilégiés. Ceci doit s’accompagner d’une amélioration de l’efficacité du secteur

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public et du recouvrement fiscal et d’une gestion plus durable des ressources et des écosystèmes ; • les organisations régionales doivent promouvoir la paix et la coopération entre les pays pour la réalisation de la sécurité alimentaire et identifier, formuler et recueillir des fonds pour des projets et programmes de développement agricole et rural aux niveaux régional et sous-régional ; • les partenaires au développement doivent renforcer leur assistance aux pays d’Afrique subsaharienne les moins avancés et l’orienter en priorité vers des programmes qui favorisent l’accroissement et la stabilisation de la production agricole pour éviter de futures crises.

Les acquis et pratiques en faveur d’une agriculture durable en Afrique Un certain nombre d’organisations pour le développement agricole participent déjà à différents projets pilotes qui concernent des mécanismes de financements innovants. Il est nécessaire de coordonner ces inter ventions, de concevoir et d’ajuster les outils et les mécanismes innovants et de les promouvoir afin d’évaluer les expériences et de partager les bonnes pratiques. Le rôle central et stratégique que joue l’agriculture dans le développement de l’Afrique fait de ce secteur la clé de voûte du développement économique, de l’amélioration des conditions de vie, de la réduction de la pauvreté et de l’augmentation de la sécurité alimentaire. En effet, tous les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) comme ceux relatifs au développement durable (ODD) ont des liens directs ou indirects avec l’agriculture. C’est pour ces raisons qu’en 2003, les chefs d’État et de gouvernement africains ont adopté le programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), une initiative africaine visant à aider les pays à revitaliser le développement agricole comme stratégie de lutte contre la pauvreté et la faim. Une perspective de long terme (10 à 15 ans) est nécessaire pour accompagner la transformation de l’agriculture et prendre en considération les défis du changement climatique. La Banque africaine de développement (BAD), la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ainsi que d’autres partenaires au développement, s’attachent à promouvoir certaines lignes directrices essentielles pour la conduite de cette transformation et à les soutenir sur le plan de leur coopération. D’une manière générale, il apparaît que les priorités de leur programme d’accompagnement concernent :

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I)

L’amélioration des politiques pour l’exploitation efficiente des ressources, la protection des moyens d’existences durables des producteurs ruraux et le renforcement de la résilience des personnes et des communautés ; II) La promotion d’une bonne gouvernance des systèmes tant humains que naturels ; III) La mobilisation des financements nécessaires à la transformation de l’agriculture et à l’accompagnement du monde rural ; IV) La coordination intersectorielle des dispositifs d’accompagnement des investissements et de mise en valeur des filières de production et de commercialisation.

Les perspectives et recommandations : Afin de permettre de relever les défis majeurs de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire en Afrique, des recommandations adaptées à des situations particulières doivent être formulées pour : les pays en conflit : il s’agit de pays où les insécurités alimentaire et nutritionnelle ont atteint une intensité extrême et causé d’importantes pertes en vies humaines. Ils abritent des groupes importants de personnes déplacées qui sont souvent confrontées au problème de la démobilisation des combattants. La destruction des infrastructures physiques et sociales et la présence de mines antipersonnel atteignent parfois une telle ampleur qu’elles constituent des obstacles insurmontables au développement durable. Dans ces circonstances, cinq principaux domaines d’action prioritaires sont recommandés : a) des mesures immédiates pour assurer aux victimes de la faim ainsi qu’aux réfugiés en voie de réinstallation et aux soldats démobilisés, un accès adéquat à la nourriture, notamment la distribution de denrées alimentaires aux groupes vulnérables, la distribution d’outils agricoles et de bétail et le financement de la participation de la population aux activités de reconstruction, b) le déminage et la remise en état/construction d’infrastructures rurales (routes et ponts, marchés et installations de stockage, aménagements irrigués), c) la mise en place de services ruraux de base (microcrédit, vulgarisation, multiplication de semences, centres de services et formation) s’appuyant sur des organisations publiques légères et des accords contractuels avec les ONG, la société civile et le secteur privé, d) des appuis structurants en faveur de la création d’organisations rurales ou de leur réhabilitation, e) la mise en place d’un environnement institutionnel et politique 5 approprié, soutenu par des opérations macroéconomiques viables, des mécanismes de gouvernance équilibrés, et un système légal crédible. Ce cadre

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politique et réglementaire devrait être favorable aux initiatives locales et privées, car fondé sur des systèmes statistiques et d’information sur les marchés performants. les pays les moins avancés : en règle générale, ces pays ont un produit intérieur brut (PIB) par habitant inférieur à 750 dollars et l’agriculture représente plus de 25 % de PIB. La majorité des pays de la région appartiennent à cette catégorie et se caractérisent généralement par une faible capacité institutionnelle, un secteur privé fragile et un dysfonctionnement des marchés. Cinq domaines prioritaires apparaissent essentiels à cet égard : a) le renforcement des capacités institutionnelles, et notamment le renforcement des organismes publics (structure, dotation en personne et en autres ressources, gestion), la participation accrue des parties prenantes à la prise de décision économique et aux processus de décentralisation et le passage progressif à une approche du développement fondée sur des programmes agricoles durables ; b) la promotion d’un cadre politique inclusif et stable, en particulier : un régime foncier sûr (sécurité et protection des droits), des normes techniques pour les produits agricoles, des règles pour la gestion durable des ressources naturelles, des mesures visant à limiter les effets perturbateurs éventuels des importations commerciales et de l’aide alimentaire, la stimulation des exportations, une participation accrue dans les négociations commerciales, le développement de statistiques fiables et d’informations sur la sécurité alimentaire ; c) des investissements publics structurants et incitateurs (routes, pistes rurales, marchés et installations de stockage, infrastructures et aménagements irrigués, mesures et recherche en matière d’amélioration des sols et de lutte contre l’érosion) ; d) des services publics d’accompagnement (la vulgarisation et le financement rural, le renforcement des capacités dans le domaine des activités commerciales, l’appui à la création d’organisations professionnelles, la professionnalisation de l’agriculture à tous les maillons des filières, la lutte contre les plantes et animaux nuisibles et les maladies, la promotion de partenariats public-privé pour la fourniture de services et d’intrants) ; e) la promotion d’une diversification économique à travers la recherche sur les exportations non conventionnelles, la promotion à l’étranger des produits nationaux et des opportunités d’investissement nationales, la collecte d’informations sur les marchés mondiaux, le développement de possibilités d’expor tation et de par tenariat et l’investissement dans les installations portuaires et aéroportuaires. Les études et bonnes pratiques conduites dans des pays comme le Ghana, l’Éthiopie ou le Mozambique et les enseignements tirés des institutions spécialisées apportent un éclairage particulier sur les mesures nécessaires à un développement agricole durable :

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• améliorer l’accès des petits agriculteurs au crédit rural, en particulier pour les agricultrices ; • utiliser plus efficacement les petits réseaux d’irrigation ou autres méthodes de gestion de l’eau qui restent à la portée des petits agriculteurs et accroître les services de vulgarisation et tout particulièrement à destination des femmes agricultrices ; • rechercher et promouvoir les technologies adaptées aux conditions des petits agriculteurs leur permettant d’améliorer leurs moyens de subsistance (une grande partie de la recherche actuelle est déconnectée des besoins et des priorités des petits agriculteurs) ; • améliorer l’accès légal, juste et transparent aux moyens de production pour les petits producteurs agricoles ; • améliorer les infrastructures rurales pour les marchés locaux et l’entreposage et consolider l’effort de mise sur pied de systèmes d’information sur les marchés et de commercialisation qui attribuent aux agriculteurs locaux une plus grande part de la valeur marchande des produits ; • améliorer l’accès aux marchés commerciaux, surtout les marchés locaux et régionaux en développement, sans toutefois négliger les possibilités d’exportation dans la mesure où elles ne compromettent pas la sécurité alimentaire nationale ; • appuyer les petits agriculteurs dans leur rôle de conservation et de promotion de la diversité agro-écologique, ce qui implique notamment de s’assurer qu’ils sont en mesure de gérer eux-mêmes leurs systèmes d’approvisionnement en semences ; • soutenir la mise en place d’une plate-forme pluri-acteurs de coordination de la recherche et de diffusion des connaissances sur les financements innovants6 pour l’agriculture, la sécurité alimentaire7 et la nutrition8, qui pourrait s’appeler facilité innovante pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition (FIASAN) ; • promouvoir les partenariats public-privé pour attirer l’investissement privé vers la chaîne de valeur agricole et alimentaire avec l’offre des petits producteurs locaux ; • concevoir des outils structurés de financement et de gestion des risques pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition ; • financer9 dans la durée, par des mécanismes destinés à dégager des ressources nouvelles, par des mécanismes visant à mobiliser l’investissement privé, les mesures visant à mettre en place une agriculture10 durable et s’assurer de la sécurité alimentaire. Par ailleurs, il existe d’importantes marges de manœuvre en matière de diffusion des innovations techniques (facteur clé dans la croissance de l’agriculture et l’amélioration de la nutrition) par le biais de mécanismes innovants permettant de mobiliser l’investissement privé au profit de systèmes novateurs :

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• les mécanismes incitatifs ex post (qui encouragent l’innovation en fonction d’objectifs prédéfinis) ; • les garanties d’achat futur (qui assurent aux entreprises innovantes un marché minimum, réduisant ainsi le risque de défaillance du marché) sont des solutions prometteuses qui méritent d’être développées ; • les obligations à impact sur le développement (Development Impact Bonds – DIBs) sont un outil intéressant pour promouvoir l’innovation en matière de prestation de services, notamment pour les interventions de l’initiative SUN 11 en matière de nutrition.

Conclusion Pour réduire la pauvreté et la faim, priorité doit être donnée à la croissance économique dans les secteurs où les pauvres travaillent, où les facteurs de production appartiennent aux plus démunis et aux personnes sous-alimentées, et qui se développent dans les régions où ces populations vivent. L’agriculture remplit tous ces critères et a prouvé qu’elle était capable, en Afrique comme ailleurs, d’assumer un rôle de chef de file dans les initiatives en faveur d’une croissance rapide et d’un développement économique de grande ampleur, en particulier dans les pays les moins avancés. L’agriculture occupe une place de premier plan dans les économies des pays d’Afrique subsaharienne et constitue la première source d’emploi, la principale source de recettes d’exportation, sauf dans les pays riches en minerais. Ce secteur s’est montré plus efficace sur le plan de la lutte contre la pauvreté que le secteur manufacturier ou celui des services. Il peut stimuler le développement d’activités rurales non agricoles rémunératrices pour les pauvres si l’on veille à ce que les plus riches n’en récoltent pas seuls les bénéfices. Enfin, l’agriculture peut également engendrer un surplus de capitaux, libérer de la main-d’œuvre pour d’autres secteurs et assurer un approvisionnement alimentaire stable à des prix abordables, contribuant ainsi à la compétitivité de l’économie dans son ensemble tout en agissant comme un stimulant puissant pour la demande de biens et de services. Il ne sera pas possible de relever le défi de la sécurité alimentaire sans miser sur des investissements importants dans l’adaptation au changement climatique et la réduction des risques de catastrophes dans le secteur rural. La foresterie et l’agroforesterie, des secteurs dont dépendent des millions de ruraux pour vivre, présentent de vastes possibilités d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, d’accroissement des puits de carbone, de stabilisation des moyens d’existence ruraux et de renforcement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages. Comme cela a été reconnu, notamment au Sommet de l’Union africaine, à Maputo en 2003, l’agriculture doit impérativement être, dans la plupart des pays africains et en particulier les plus pauvres, le secteur prioritaire pour la réalisa-

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tion du premier des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui est de réduire la faim et la pauvreté, et de contribuer ainsi largement à atteindre les autres objectifs de développement durable (ODD). Pour être durable, le développement agricole doit toutefois être soutenu par des initiatives de développement plus larges en zone rurale et dans d’autres secteurs économiques. La fragilité de la situation alimentaire et la vulnérabilité des économies les moins avancées nous rappellent la nécessité et l’urgence à la fois, de diversifier et de sécuriser le secteur agricole, tout en protégeant les écosystèmes. Relever ces défis n’est pas seulement une possibilité, c’est une nécessité dont l’urgence n’a jamais été aussi grande et dont les fruits pourraient être fort bénéfiques pour l’Afrique.

Encadré en fin de chapitre. BIBLIOGRAPHIE Agence canadienne de développement international, 2009, Accroître la sécurité alimentaire, stratégie de l’ACDI sur la sécurité alimentaire. Agence française de développement, 2013, Sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne. Agence française de développement, 2014, Cadre d’intervention régional en Afrique subsaharienne. Banque africaine de développement, 2011, Amélioration des statistiques relatives à la sécurité alimentaire, à l’agriculture durable et au développement rural. Benoit-Cattin M., BRICAS N., 2012, L’Afrique : quelles stratégies de sécurité alimentaire ? Enjeux et prospective. Bourarach E.H., Baali E.H., 2014, De la production agricole au commerce agro-alimentaire : les défis énergétiques. CCFD-Terre solidaire, 2013, Investissements agricoles, sécurité alimentaire ou financière. Centre Worldfish, 2005, Le poisson et la sécurité alimentaire en Afrique. CNUCED, 2009, Soutenir l’agriculture biologique en Afrique, synthèses de la CNUCED, n° 6. Dembélé N.N., 2010, Sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest : Enjeux et éléments stratégiques pour sa réalisation. Diop M., 2014, L’Afrique a aussi son mot à dire sur le changement climatique. Doublier T., Dupanloup C., Gicquel G., Lamotte A., 2011, Habiter l’Afrique subsaharienne, nourrir les hommes et promouvoir le développement durable. EISMV de Dakar, 2014, Qualité et sécurité sanitaire des aliments en Afrique subsaharienne francophone. FAO, 2006, Sécurité alimentaire et développement agricole en Afrique subsaharienne : dossier pour un accroissement des soutiens publics. FAO, 2010, Enjeux et possibilités pour l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique. FAO, 2015, Sécurité alimentaire et développement agricole en Afrique subsaharienne : dossier pour un accroissement des soutiens publics.

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Développement durable en Afrique FIDA, 2012, La petite agriculture durable, nourrir le monde, protéger la planète. FIDA, 2012, Garantir la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne grâce à l’agriculture de conservation : comment l’agriculture de conservation peut-elle contribuer à l’atteinte de la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne ? Fifth GEF Assembly, 2014, Changement climatique et sécurité alimentaire, perspectives des entités. FMI, 2014, Afrique subsaharienne : pour une croissance durable et plus solidaire. Groupe canadien de réflxion sur la sécurité alimentaire, 2007, L’efficacité de l’aide aux petits agriculteurs en Afrique subsaharienne : perspectives de la société civile du Sud. Lançon F., del Villar P.M., 2014, Le marché rizicole ouest-africain et la sécurité alimentaire : leçons et perspectives après la flambée des prix de 2008. Lenhardt A., Glennie J., Intscher N., AliLI A., 2014, Un Burkina Faso « plus vert » : techniques agricoles et amélioration des moyens de subsistance. Septième Forum pour le développement de l’Afrique, 2010, Agir face aux changements climatiques pour promouvoir un développement durable en Afrique. Side C.S., 2013, Stratégie de mécanisation de l’agriculture familiale en Afrique subsaharienne. Viard E., 2012, Afrique subsaharienne : comment favoriser le développement des filières agricoles et agro-industrielles.

NOTES 1. L’agriculture durable vise à assurer la fourniture pérenne de nourriture, de bois, de fibres et d’aménités en respectant les limites écologiques, économiques et sociales qui assurent le maintien dans le temps de cette capacité de production. Il s’agit donc de faire évoluer les systèmes de production et les pratiques agricoles en prenant en compte la finitude des ressources naturelles et la nécessité de préserver les écosystèmes pour garantir durablement la rentabilité économique, le bien-être social et le respect des équilibres écologiques. Les enjeux de l’agriculture durable se retrouvent naturellement au cœur de toute réflexion prospective ou évaluative sur l’agriculture ou les politiques agricoles. L’agriculture biologique est une méthode de production agricole qui se caractérise par l’absence d’usage des produits de la chimie de synthèse. Elle se veut être le prolongement d’une agriculture extensive datant de plusieurs millénaires qui a été presque totalement exempte d’intrants chimiques, à l’opposé de leur utilisation massive par l’agriculture industrielle et intensive depuis le XXe siècle. 2. Un prix plancher (prix minimum) et un prix plafond (prix maximum) sont fixés pour un produit. Le contrôle des prix encourage la production par un prix plancher ou par un prix plafond. Un gouvernement peut ériger des barrières commerciales pour limiter la quantité des marchandises importées (dans le cas d’une quote-part) ou adopter des tarifs en vue d’augmenter le prix intérieur des produits importés. Ces obstacles donnent la préférence aux producteurs nationaux. Le contrôle des prix peut également être utilisé pour aider les citoyens pauvres. De nombreux pays ont utilisé cette méthode de l’aide sociale car elle fournit la nourriture bon marché pour les plus pauvres, sans la nécessité d’évaluer les capacités des ménages pour leur accorder une aide financière. 3. Une subvention à l’agriculture est une subvention gouvernementale versée aux agriculteurs. Les conditions de paiement et les raisons pour lesquelles les subventions individuelles spécifiques varient avec des produits agricoles, de la taille de la ferme, la nature de la propriété, et le pays, entre autres facteurs. Subventionner l’agriculture peut encourager les gens à rester sur les terres afin d’obtenir de meilleurs revenus.

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Agriculture durable et sécurité alimentaire 4. Les différents acteurs concernés par une politique agricole sont : • l’État ; • les producteurs (paysans, OPA, transformateurs, exportateurs, commerçants) ; • les consommateurs ; • les organisations internationales et les accords. 5. Les politiques agricoles mises en place par les gouvernements doivent parvenir à des résultats spécifiques tant du point de vue de la durabilité des acquis que de la gestion efficiente des marchés intérieurs de produits agricoles. Les résultats peuvent impliquer, par exemple, un niveau d’approvisionnement garanti, la stabilité des prix, la qualité du produit, la sélection des produits, l’utilisation des terres ou de l’emploi. Une politique agricole se compose d’un ensemble d’interventions publiques qui portent sur la production nationale, les importations et les exportations de produits agricoles et d’une combinaison d’instruments. Elle fixe des objectifs spécifiques dans différents domaines du secteur comme celui de l’organisation des marchés intérieurs des produits agricoles, de la sécurité alimentaire, de l’emploi agricole, de la répartition géographique des activités … Une politique agricole, c’est avant tout une vision pour s’accorder sur l’idée que l’on se fait de l’agriculture. Une politique agricole doit gérer les priorités des besoins de la société, la qualité, les modes de production, dans un cadre social et écologique. Une politique agricole se compose d’un ensemble de mesures d’interventions publiques qui por tent sur la production agricole nationale ou sur les impor tations et exportations de produits agricoles. Elle se caractérise généralement par « un ensemble de mesures réglementaires, dispositifs structurels, moyens financiers et humains interdépendants, mis en œuvre par la puissance publique pour contribuer à la progression du secteur agricole ». Cette définition d’une politique agricole idéale repose sur un certain nombre de conditions qui ne sont que rarement réunies dans le contexte africain. Elle suppose : • qu’il y ait une cohérence globale tout au long du processus de production agricole, depuis le choix de la stratégie, la formulation des objectifs spécifiques, l’identification des instruments et mesures, leur mise en œuvre et leur évaluation, et qu’il y ait une cohérence avec les autres politiques sectorielles menées (commerciale, environnementale, etc.) ; • qu’il existe des moyens inscrits dans la durée permettant de mettre en œuvre ces mesures, sans rupture dans le financement, de manière à ce que la politique soit appliquée de manière stable. 6. Les financements innovants (y compris les ressources innovantes en complément de l’APD et des budgets nationaux, ainsi que les mécanismes innovants visant à attirer l’investissement privé) sont essentiels pour réaliser les objectifs en matière de sécurité alimentaire et de nutrition (en appliquant les principes directeurs de la FAO en la matière). 7. Pour améliorer la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne, il faut non seulement une situation de croissance économique et des revenus plus élevés mais aussi des mesures immédiates pour assurer à ceux qui ont faim, un accès adéquat à la nourriture, conformément à l’action sur deux fronts adoptée par les trois organisations ayant leur siège à Rome : l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le Programme alimentaire mondial (PAM). 8. En ce qui concerne la nutrition, les efforts et les investissements mondiaux doivent être renforcés pour faire baisser les taux de malnutrition par carences, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud où ils demeurent élevés. 9. Pour relever les défis et permettre aux pays de garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle, il faudra consentir des investissements importants dans le secteur agricole (soit une hausse de 50 % par rapport aux niveaux actuels, d’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et dans le domaine de la nutrition (des investissements annuels de 11,8 milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires pour mener à grande échelle les actions spécifiques en matière de nutrition. 10. Concernant le volet agricole, l’aide publique au développement (APD) a augmenté ces dernières années, les pays émergents à revenu intermédiaire bénéficiant de montants plus élevés que les pays d’Afrique subsaharienne, continent où la croissance démographique sera la plus forte, où les rendements ont eu tendance à stagner ces dernières années et où le changement climatique pourrait peser sur la productivité agricole. 11. SUN : l’initiative internationale pour la nutrition.

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V Gestion durable des forĂŞts et des terres


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Les priorités stratégiques pour la gestion durable des forêts en Côte d’Ivoire Mathieu Badaud Darret Ministre des Eaux et Forêts de Côte d’Ivoire

Introduction La zone forestière de la Côte d’Ivoire couvre la moitié sud du pays et comprend une succession de forêt dense humide (forêt dense sempervirente et forêt dense semi-décidue) et de forêt claire. Cette zone comporte des formations végétales particulières, notamment les forêts de montagnes à l’ouest, les forêts marécageuses et les mangroves sur le littoral. Il faut cependant noter que la zone soudanienne au nord du pays, renferme aussi des forêts claires d’une richesse spécifique importante. La diversité biologique de la Côte d’Ivoire est concentrée dans ces écosystèmes forestiers. Malheureusement, le couver t forestier ivoirien souffre d’une dégradation accélérée depuis les années 1970 sous l’effet de diverses pressions anthropiques. Cette situation s’est davantage aggravée avec la crise socio-politique que le pays a connue, compromettant ainsi les efforts de réhabilitation des superficies forestières et la conservation de la diversité biologique. La perte du couvert forestier a pour conséquences la baisse de la richesse en bois d’œuvre aussi bien en quantité qu’en qualité, avec des difficultés croissantes d’approvisionnement des unités de transformation et des impacts énormes du point de vue économique et social. Cette évolution négative du milieu naturel qui contribue à la disparition de la faune et à la dégradation des ressources en eau, matrice qui alimente l’ensemble des systèmes vivants (faune et flore), interpelle l’ensemble de la communauté nationale.

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Le défi et les enjeux de la gestion durable des forêts D’après Koné et al. (2014), la couverture forestière dense humide estimée à environ 8,14 millions d’hectares dans les années 1960, aurait subi une perte de plus de 80 %. L’agriculture constitue le principal moteur de disparition de cette forêt par son caractère extensif (Aké-Assi et Boni, 1988), associé à l’augmentation rapide de la population due aux migrants à la recherche de forêts à cultiver. En cela, l’exploitation forestière a servi de vecteur en favorisant l’accès en profondeur, dans les forêts primaires, par les populations, grâce aux pistes ouvertes pour l’évacuation des billes de bois. Ce phénomène est aggravé par la production de bois énergie et de charbon de bois qui constitue, par son ampleur, une activité nocive pour les forêts. La réalisation des grands projets d’infrastructures pour le développement contribue aussi à la destruction des forêts. Les barrages hydroélectriques inondent des portions importantes de forêts qui sont définitivement perdues. Dans le cas des cinq grands barrages hydroélectriques (Buyo, Kossou, Taabo, Ayamé I et Ayamé II) par exemple, les superficies cumulées de leurs réservoirs représentent un total de 2 925 km2, soit presque l’équivalent du parc national de Taï. Au niveau des routes, si la construction de la voie côtière a permis de rapprocher San-Pédro d’Abidjan, elle a également accéléré la destruction des forêts de cette zone, et plus spécifiquement de celle de Monogaga qui présentait un intérêt scientifique particulier à cause de sa diversité floristique exceptionnelle liée à la présence d’un grand nombre d’espèces endémiques.

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considèrent les ressources vivantes inépuisables ; le renouvellement et l’influence de l’homme sur elles sont minorés, voire ignorés. La conséquence en est l’idée qu’il n’est pas nécessaire de réguler l’accès à ces ressources gratuites dont on peut user à volonté (OIBT, 2008). Les conséquences de cette déforestation sont alarmantes et celle-ci est d’autant plus dommageable qu’elle s’est faite essentiellement au sud, aire d’extension des écosystèmes forestiers. De 1960 à ce jour, vingt-six espèces de plantes vasculaires ont disparu dans les forêts ivoiriennes. Soixante-dix autres sont en voie d’extinction ou devenues rares parce qu’elles sont surexploitées ou parce que leurs sites, particuliers, sont perturbés (Aké-Assi, 2001-2002). Quatre-vingtdeux espèces de faune sont inscrites dans les catégories des espèces menacées (Caspary et al., 2001). Soixante espèces d’oiseaux sont menacées ou proches de la menace d’extinction (Collar et al., 1994). La perte du couvert forestier a eu pour conséquences également la baisse de la richesse en bois d’œuvre et la menace de disparition de certaines espèces comme l’acajou bassam (Khaya ivorensis), l’assamela (Pericopsis elata) ou le makoré (Tieghemella heckelii) qui ont fait la renommée du bois ivoirien dès l’époque coloniale. Ainsi, l’industrie du bois pourvoyeuse d’emplois et précurseur du développement local (encadré 1) connaît de plus en plus de difficultés d’approvisionnement en matière première.

Le développement actuel de l’extraction minière, en particulier l’exploitation à ciel ouvert ajoutée à l’exploitation artisanale et illicite, participe à la dégradation du couvert végétal mais aussi à la pollution des cours d’eau. Concernant l’urbanisation, les forêts situées aux alentours des villes font l’objet de convoitises diver ses. L’exemple fourni par la forêt classée de l’Anguédédou à la sortie de la ville d’Abidjan est suffisamment éloquent. Hormis ces menaces anthropiques, il existe des causes structurelles : la pauvreté, les perceptions limitées de l’importance des forêts, la faiblesse des capacités conceptuelles et opérationnelles. En effet, la période 1985-1995 s’est caractérisée par un accroissement rapide du niveau de pauvreté, avec un taux de pauvreté passant de 10 % à 36,8 %. Ensuite, de 1995 à 2008, ce taux s’est aggravé, allant jusqu’à 48,9 %. La très grande majorité des ménages en milieu rural prélèvent dans la nature des produits nécessaires à la satisfaction de leurs besoins (Ash et al, 2011). À cet égard, ils enfreignent les lois, voire les interdits traditionnels dans les cas extrêmes, car il s’agit de survie. Ainsi donc, à l’exception des valeurs cosmogoniques, la seule valeur accordée à la diversité biologique est celle de son existence. Ils

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En ce qui concerne la faune sauvage, le braconnage constitue un obstacle majeur à toute étude sérieuse de suivi des différentes populations animales. Ce fléau concerne les grands mammifères dans leur ensemble.

L’expérience ivoirienne de gestion durable des ressources forestières La volonté de préserver les écosystèmes forestiers date de l’époque coloniale avec les premiers classements de massifs forestiers au début du XXe siècle. Cette vision a été poursuivie après l’indépendance nationale avec la prise des décrets de création de la plupart des parcs nationaux et réserves entre 1968 et 1974. En plus des textes pris pour organiser la gestion, le pays a adhéré aux processus et conventions pertinents (Convention sur la diversité biologique, CITES,

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Forum des Nations Unies sur les forêts, Plan de convergence de la CEDEAO, etc.). Les actions sont réalisées à travers l’organisation, la définition de plans et programmes, la formulation de stratégie, la participation à des ateliers nationaux, régionaux et internationaux, etc.

tive, touristique, scientifique et environnementale ainsi que la propriété de l’arbre dans les écosystèmes ruraux.

Le cadre politique, institutionnel, législatif et réglementaire L’administration forestière, avec un redéploiement de son personnel sur toute l’étendue du territoire national, est l’une des plus anciennes du pays et existe en tant que service depuis le décret du 20 juillet 1900 qui a institué le Régime forestier. Mais son évolution faite de changements continuels de structures et de tutelles n’a pas toujours facilité la mise en œuvre cohérente des programmes et la continuité dans l’action. Actuellement deux ministères ont en partage la gestion du domaine forestier national : • le ministère des Eaux et Forêts (MINEF) pour les forêts du domaine rural et les forêts classées ; • le ministère de l’Environnement, de la Salubrité Urbaine et du Développement Durable (MINESUDD) pour les parcs nationaux et réserves naturelles. Chaque ministère dispose d’une structure sous tutelle chargée de conduire la gestion durable des massifs forestiers : la Société pour le développement des forêts (SODEFOR) pour les forêts classées et l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) pour les parcs nationaux et réserves naturelles. La Direction générale des eaux et forêts (DGEF) ainsi que les services déconcentrés du MINEF interviennent dans le domaine rural pour traiter des questions relevant des ressources forestières, de la faune et des ressources en eau, notamment en matière de gestion durable, de contrôle, d’encadrement des collectivités et des particuliers, de protection des ressources et de leurs habitats, de lutte contre les feux de brousse et le braconnage, etc. La DGEF et les services compétents du MINEF participent également à la supervision des activités de la SODEFOR ainsi qu’à l’adoption des lignes directrices des programmes d’aménagement et de gestion des massifs forestiers dont elle a la charge. Le pays dispose d’un ensemble de textes législatifs et réglementaires qui couvrent la plupar t des domaines du secteur forestier. Après l’indépendance et jusqu’en 2014, le secteur forestier ivoirien a été régi par la loi n° 65-425 du 20 décembre 1965 portant Code forestier. Depuis juillet 2014, le pays dispose d’un nouvel arsenal juridique et législatif pour la gestion du secteur forestier : la loi n° 2014-427 du 14 juillet 2014 portant Code forestier. Des innovations de ce nouveau code prennent en compte une définition de la forêt fondée sur des dimensions socio-économique, éduca-

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Un projet de Code de la faune est à l’étude actuellement et vise à concevoir une gestion plus dynamique adaptée au contexte actuel. Une politique d’aménagement du territoire est également en cours de préparation. Cela pourrait aider à identifier, dans le domaine rural, les zones à vocation forestière, afin d’y faciliter le reboisement et/ou préserver des aires encore suffisamment couvertes de forêts pour les améliorer et les gérer de façon durable. Le ministère de l’Agriculture a entrepris la mise en œuvre de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au foncier rural pour permettre d’accéder à des titres fonciers dans le domaine rural, base de la promotion des reboisements et de gestion forestière dans ce domaine. Un processus de décentralisation des administrations est en cours avec le transfert des compétences des ministères vers les collectivités décentralisées. L’implication des collectivités décentralisées sera fondamentale pour motiver et conduire à la participation effective des populations rurales dans les reboisements et la protection des forêts. Contrairement aux idées reçues, le développement durable de ce pays repose principalement sur le maintien d’une couverture forestière dense et de grande envergure pour permettre aux écosystèmes d’assurer leurs fonctions de régulation du cycle de l’eau, du carbone et d’autres éléments minéraux, ainsi que le maintien d’un microclimat favorable à l’épanouissement de la biodiversité (Pavé, 1993).

Les réponses techniques et logistiques Pour corriger la dégradation continue de la ressource, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’instruments de politique forestière en adoptant un plan directeur forestier (PDF) 1988-2015 dont les objectifs étaient de : (I) maintenir le potentiel

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exploitable de la forêt naturelle, (II) restaurer le couvert végétal, en priorité en zones préforestières et de savane, (III) reboiser et aménager le territoire des forêts classées, (IV) augmenter les rendements d’exploitation et (V) améliorer la transformation et la commercialisation des produits forestiers. À l’issue de la mise en œuvre du programme d’urgence issu de ce plan (pré-projet forestier de 1988 à 1990 et projet sectoriel forestier 1, PSF1, de 1991 à 1996), le bilan établi par le gouvernement a fait ressortir des progrès réels accomplis, mais insuffisants au regard des ambitions du PDF. En conséquence, le gouvernement a adopté une nouvelle orientation de politique forestière. Durant la mise en œuvre du PDF 1988-2015, des actes majeurs ont été adoptés et concernent : • l’extension en 1992 de la mission initiale de la SODEFOR, consacrée à la réalisation de reboisements intensifs en vue de constituer des ressources pour l’approvisionnement des industries du bois, à l’aménagement de l’ensemble des forêts classées du pays. Le total des surfaces des plantations existantes dans ces forêts classées est estimé à 180 000 ha : 40 % du teck ; 40 % du fraké et framiré et 20 % en plusieurs autres essences (Kadio, 2009) ; • la réforme de l’exploitation forestière mise en œuvre en 1994 qui fixe les modalités de gestion des forêts du domaine rural (encadré 3). Mais bien que cette réforme représente une avancée notable vers une meilleure gestion des forêts du domaine rural, l’absence de connaissance sur le potentiel des périmètres rend la fixation des quotas arbitraires et souvent bien au-delà des possibilités, entraînant de fait une surexploitation de ces périmètres. Pour encourager les industriels à aller vers une meilleure valorisation du produit bois d’œuvre, l’État a mis en place des mesures d’incitations fiscales pour une transformation plus poussée (Finifter, 2010).

Malheureusement, la mise en œuvre de la réorientation du plan d’action et du calendrier des mesures initiés par le gouvernement a été profondément perturbée par le contexte sociopolitique. Aujourd’hui, l’administration forestière a entrepris un processus appelé États généraux de la forêt, de la faune et des ressources en eau, qui vise à établir un état des lieux de la gestion des ressources, identifier les mécanismes en cause dans leur destruction et proposer de nouveaux outils à travers un plan de développement stratégique (PDS) pour les trente prochaines années. Ce plan ambitionne de prendre en compte les défis écologiques, économiques, de gouvernance forestière et d’intégrer la coopération sous-régionale et internationale. Ce processus bénéficie de l’appui des partenaires techniques et financiers, notamment du PNUD qui en a financé le pré-atelier ainsi que la FAO qui a commis des experts pour évaluer la mise en œuvre du PSF et accordé un financement aux ateliers du comité scientifique qui assure la préparation des travaux du forum.

Le partenariat international La Côte d’Ivoire justifie d’une longue expérience de coopération internationale, bilatérale et multilatérale, qui lui a permis de bénéficier d’appuis divers dans la reconstitution et l’aménagement des forêts. Les programmes de reboisement et d’aménagement des forêts naturelles conduits par la SODEFOR ont bénéficié de l’appui technique et financier de divers partenaires dont CDC, FAO, OIBT, GIZ, AFD, ACDI, KfW, Banque mondiale, Banque africaine de développement, etc. Ces soutiens ont contribué à la réalisation de nombreux acquis techniques ainsi qu’au perfectionnement des ressources humaines. Dans le souci de conserver sa part de marché sur l’espace commercial européen et lutter contre l’exploitation illégale de ses ressources naturelles, le pays s’est engagé dans le processus d’application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux (FLEGT) à l’instar des six pays qui ont signé un APV/FLEGT avec, comme objectif, de conclure ces négociations avec l’Union européenne en fin 2017. La Côte d’Ivoire a également adhéré au mécanisme REDD+ en 2010 dans l’optique de contribuer à la lutte mondiale contre les changements climatiques et surtout pour la restauration de son couvert forestier fortement dégradé. La contenance de cet espace forestier, en considérant le domaine forestier permanent de l’État (forêts classées et parcs nationaux et réserves), est estimée à 9 700 000 hectares, soit environ 30 % du territoire national. La Côte d’Ivoire a été admise en juin 2011 comme pays partenaire du programme ONU-REDD. Depuis cette date, l’État ivoirien, à travers le ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable (MINESUDD), ne cesse d’entreprendre des actions pour un démarrage rapide des activités de la REDD+.

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concernent l’adoption de mesures volontaires spécifiques de sauvegarde ou de compensation écologique pour celles dont l’activité génère des menaces importantes sur des forêts et la mobilisation de subsides pour la conservation. En dehors du réseau de parcs et réserves, un certain nombre de sites forestiers d’impor tance critique pour la conservation de la biodiversité existe : richesse en espèces prioritaires, fonctions sociales ou écologiques importantes pour le bien-être des populations. Ces sites prioritaires doivent bénéficier d’un statut juridique permettant leur protection sur la base de critères consensuels avec l’implication des populations dans leur gestion.

Les perspectives à moyen et long terme Au regard de la situation actuelle et des enjeux économiques, sociaux, culturels et environnementaux que présente la préservation des forêts, leur gestion efficace doit être inscrite au rang de priorité nationale et des actions doivent être engagées en vue d’une prise de conscience collective en faveur de la sauvegarde et de la reconstitution de celles-ci. Un cadre de concertation intersectorielle opérationnelle impliquant toutes les structures ayant en charge la gestion ou l’utilisation de ces ressources naturelles doit être mis en place pour définir ensemble les mesures qui permettront de tendre vers un aménagement durable. L’œuvre de sauvegarde des forêts et de la biodiversité commence par le relèvement du défi de la connaissance de leur valeur. Ainsi, pour inverser la tendance à la dégradation des forêts et de la diversité biologique, leur valeur pourra être prise en compte aisément dans les décisions et les activités subséquentes. Les ressources forestières seront alors intégrées dans les politiques sectorielles et transversales : mise à disposition d’outils, y compris les lignes directrices, permettant d’intégrer les coûts et les avantages des ressources forestières à un stade précoce d’élaboration des politiques publiques et des projets, la correction des distorsions des politiques actuelles, en particulier les prescriptions susceptibles d’entraver l’atteinte des objectifs de sauvegarde de la biodiversité et l’élimination des incitations néfastes pour la biodiversité. Ainsi par exemple, dans le cas de la construction de la voie côtière, si la formulation des politiques et objectifs avait pris en compte les questions écologiques, les dispositions pour réduire l’impact du projet sur les forêts auraient été arrêtées. Les exigences de sauvegarde des forêts restantes et de la biodiversité doivent être intégrées dans l’aménagement du territoire : expansion des agglomérations, création d’infrastructures de transport, agriculture et aménagements hydro-agricoles. Les incidences négatives sur la forêt pourraient être minimisées à travers leur prise en compte dès la planification et la conception de l’aménagement, notamment la garantie que les pertes inévitables sont compensées ou contrebalancées ailleurs au profit des ressources forestières. Le secteur privé doit être impliqué dans la sauvegarde de la biodiversité. Il représente aujourd’hui un acteur économique et social clé. Les axes préconisés

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La conduite d’inventaires périodiques doit permettre de disposer de statistiques fiables sur la ressource, l’étendue des surfaces forestières pour une bonne planification. Le manque de données à l’heure actuelle est à la base des chiffres parfois contradictoires qui sont annoncés. Les actions de l’État visant la sauvegarde de la diversité biologique ont permis de créer à partir de sites naturels un important réseau d’aires protégées à majorité forestières. La viabilité du dispositif devrait être grandement renforcée par l’inclusion de réserves créées par les communautés rurales sous la forme de réserves naturelles volontaires. Ce réseau pourrait ainsi inclure les 6 702 forêts sacrées totalisant 36 434 ha et dont le mode de conservation intègre les valeurs traditionnelles des populations locales.

Conclusion Un changement d’approche reste nécessaire pour sauver les forêts, notamment en ce qui concerne les relations avec les autres secteurs d’activité qui ont un impact direct sur les forêts. Cette gestion doit en définitive s’appuyer sur les connaissances scientifiques et techniques des écosystèmes forestiers et bénéficier du soutien des sciences sociales pour aider à promouvoir les bienfaits des forêts auprès des populations. La gestion forestière doit être inscrite au rang des priorités nationales. Pour ce faire, le gouvernement ivoirien souhaite promouvoir un plan de reboisement ambitieux. En effet : • si l’on veut espérer conserver une filière bois d’œuvre en Côte d’Ivoire, c’est un programme de plantation de 25 000 ha/an pendant 15 ans qu’il faut mener ; • si l’on décide de s’engager à restaurer un couver t forestier de 20 % avant la fin du siècle, c’est un programme de reforestation d’au moins 100 000 ha par an qu’il faut lancer ; • et si l’on veut régler la question de la filière bois-énergie, et éviter que ces futures plantations ne finissent en charbon de bois, c’est un stock de 500 000 ha de plantations de bois de feu qu’il nous faut constituer.

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Il s’agit aujourd’hui de promouvoir des projets de plantations qui puissent vraiment se multiplier dans l’espace des forêts classées. Le reboisement doit prendre également un tour très concret pour une majorité d’habitants par des reboisements et des aménagements de forêts de proximité. Il s’agit notamment avec l’appui des collectivités territoriales d’implanter des forêts service ou des forêts d’agrément qui vont améliorer la qualité de vie des communautés urbaines ou rurales. Des projets de création de forêts, surtout s’ils émanent d’entités publiques et sont porteurs de valeurs sociales, peuvent intéresser des acteurs économiques du monde occidental cherchant à acquérir des crédits carbone. La conférence de Paris sur le réchauffement climatique ouvrira peut-être la voie à une reprise de ce marché, ou à la mise en place de nouveaux mécanismes qui pourraient permettre de financer des projets de reforestation ambitieux.

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La gestion durable des forêts en Afrique : défi fiss, enjeux et bonnes pratiques Emma Ngouan-Anoh Représentante résidente adjointe au bureau du PNUD en Union des Comores

Luc-Joël Grégoire Directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction Le changement climatique est lié à l’émission des gaz à effet de serre (GES)1 provenant principalement des activités humaines. Ces émissions d’origine anthropiques sont dues pour plus des trois quarts au seul dioxyde de carbone2 (CO2). Si la consommation industrielle et domestique des énergies fossiles constitue le secteur le plus incriminé, la déforestation occupe la seconde place comme responsable de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. L’importance accordée aujourd’hui au changement climatique et la volonté de réduire les émissions de GES d’ici à 20503 conduisent à un regain d’intérêt pour les forêts tropicales qui jouent un rôle clé dans le cycle du carbone, et qui créent spontanément des puits de carbone4 captant le CO2 de l’atmosphère lorsque les arbres sont en phase de croissance tandis que leur dégradation en libère. Ainsi, les forêts tropicales sont de précieux atouts pour réguler le climat mondial. Cet atout doit être préservé et c’est pourquoi il est primordial de gérer durablement les forêts.

Contexte Les forêts tropicales5 désignent les forêts qui se développent dans les régions tropicales et subtropicales caractérisées par un climat chaud, une température moyenne de l’ordre de 23° et une photopériode proche de 12 heures avec une humidité variable qui va influer sur la variété de la végétation et favoriser un certain type de forêt.

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La forêt contribue au bien-être de plus d’un milliard de personnes et 350 millions en tirent des revenus significatifs. Cette proximité a modelé leur organisation sociale et r ythmé leurs activités. Selon la FAO 6 , l’Afrique centrale représente 37 % de la surface forestière mondiale et environ 10 % de cette surface est réper toriée comme forêt primaire 7. Le bassin du Congo abrite le second massif de forêt tropicale humide au monde. Ce massif présente encore de vastes superficies de forêts tropicales intactes et reste marqué par la pratique d’une agriculture traditionnelle. Les forêts tropicales abritent la plus grande diversité d’organismes sur Terre8 sans compter les nombreuses espèces restant à découvrir aujourd’hui. Bien qu’elles couvrent moins de 2 % de la surface mondiale de la Terre, elles abritent plus de la moitié de la vie de la planète. Cette richesse biologique conduit naturellement à une grande diversité d’usages et d’intérêts qui permet d’attribuer différentes fonctions à cet écosystème : • la production d’actifs économiques importants, longtemps consommés sur place, les bois tropicaux sont expor tés pour leur beauté et leurs caractéristiques techniques qui leur confèrent une grande valeur marchande ; • la fourniture d’un large éventail de biens recueillis depuis longtemps sous forme de chasse et de cueillette, tels que des aliments et des produits non ligneux9 ; • une réserve de terres agricoles permettant la culture itinérante sur brûlis. La pratique du pâturage et de l’élevage du bétail s’est également développée dans les forêts sèches et les savanes arborées ; • la production de services éco-systémiques permettant la régulation du climat ; • la réduction des effets de la pauvreté et le rôle culturel et symbolique10 des écosystèmes forestiers offrant un intérêt esthétique de nature à émerveiller, notamment les touristes. Oublier ces multiples aspects en n’évoquant que la matière première extraite laisse penser que l’arbre cacherait non seulement la forêt mais aussi ses propres fruits. La déforestation11 pourrait remettre en cause tous les bénéfices liés à ce magnifique écosystème. En fait, environ 13 millions d’hectares ont été coupés annuellement entre 2000 et 201012 selon la FAO, soit l’équivalent de la surface d’un terrain de football toutes les secondes13. Les causes de la déforestation sont multiples : urbanisation, développement tentaculaire de routes14 entraînant un morcellement en blocs forestiers précipitant leur grignotage progressif 15, extension des terres cultivées, cultures sur brûlis, exploitation du bois, monocultures forestières intensives et extensives, collecte artisanale de bois de feu.

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Les statistiques traduisent toutefois un ralentissement par rapport aux années 1990-2000 où la perte était estimée à 16 millions d’hectares par an. En Afrique, la pression anthropique en augmentation régulière se traduit par un développement urbain qui aggrave le processus de déforestation. Il y a un risque d’érosion et de disparition des arbres qui ont une grande valeur commerciale16. Une prospective menée sur la base de ces observations permet d’estimer qu’avant la fin du siècle, sans un mouvement puissant apportant un renversement de tendance, les reliquats de forêts tropicales seront constitués par des vestiges forestiers situés sur les aires protégées aujourd’hui. Ainsi, les dernières décennies ont vu disparaître ou se dégrader quelques centaines de millions d’hectares de forêts naturelles dans la zone intertropicale. Faut-il pour autant ériger ces forêts en sanctuaires inviolables et opposer systématiquement conservation intégrale et développement ? La déforestation ne constitue pas simplement la récolte du bois, c’est un changement d’affectation des terres qui peut s’avérer irréversible. La déforestation s’impose comme la tendance lourde de la disparition des écosystèmes forestiers. Aujourd’hui ces forêts sont soumises à des pressions croissantes qui pourraient à terme entraîner leur décrépitude. Dans les zones dégradées, les populations locales qui dépendent encore étroitement des ressources forestières se trouvent tout à la fois dépouillées de leurs ressources, de leur habitat et peuvent être conduites à la pauvreté et à l’errance qui conduit par réflexe de survie à l’exploitation sauvage et aux braconnages. La menace est connue et considérée avec réalisme, mais ces forêts sont d’abord sous la responsabilité de pays aux économies fragiles qui doivent gérer des attentes sociales fortes. Les gouvernements concernés ne peuvent ignorer que la sanctuarisation des forêts les conduit mécaniquement à renoncer à leur principale source de revenu. Lors des négociations sur le climat à Cancun, cette revendication d’une certaine « déforestation légitime » a été reconnue par la communauté internationale, qui recommande un ralentissement maîtrisé de la déforestation plutôt qu’un arrêt total. La nécessité de gérer plus vertueusement les ressources naturelles dans la durée s’est imposée au début des années 1990 avec l’idée d’élaborer des processus viables conciliant les aspects sociaux, économiques et écologique des activités humaines. Le concept de gestion durable des forêts (GDF) est un mode de gestion forestière qui, en complément des objectifs économiques, définit des critères, des indicateurs ainsi que des objectifs sociaux et environnementaux liés à un cadre juridique, politique et institutionnel cohérent. Par ailleurs, des processus de certification et des orientations ont été fixés pour guider, évaluer et mesurer l’effet des actions menées dans la logique de la gestion durable aux niveaux globaux, nationaux ou locaux.

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La GDF s’est peu à peu institutionnalisée dans les pays africains notamment sous l’influence de négociations et d’instances internationales. Elle fut publiquement consacrée lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, puis s’est imposée jusqu’à être utilisée aujourd’hui de manière systématique aux échelons locaux et internationaux. Ce concept s’articule autour de sept éléments thématiques : • l’étendue des ressources forestières ; • la diversité biologique des forêts ; • la santé et la vitalité des forêts ; • les fonctions productives remplies par les ressources forestières ; • les fonctions de protection assurées par les ressources forestières ; • les fonctions socio-économiques des forêts ; • le cadre juridique, politique et institutionnel de la gestion durable des forêts. Parallèlement à cette dynamique réglementaire, le concept de GDF a peu à peu été décliné en divers dispositifs de gestion. Ces dispositifs peuvent être classés selon trois grandes catégories en fonction des objectifs : I) améliorer l’exploitation forestière, II) valoriser le stockage du carbone et III) accroître l’implication des populations locales.

Les enjeux et les défis La GDF nécessite la conciliation de nombreux acteurs aux intérêts parfois divergents : • les enjeux locaux : pour les exploitants forestiers, le maintien d’une activité productrice marchande ; pour les populations, l’amélioration des conditions de vie grâce aux filières économiques traditionnelles ou informelles (bois de feu, viande de brousse, fruits, pharmacopée) ; • les enjeux nationaux : la valorisation des ressources forestières et des biens et services environnementaux, pour un développement diversifié de l’économie ; • les enjeux régionaux : la mise en cohérence des pratiques des exploitants et des politiques sectorielles nationales ; • les enjeux mondiaux : le maintien des équilibres climatiques, la préservation de la biodiversité, la connaissance de l’origine des produits (écocertification, traçabilité), le renforcement des capacités de négociation des pays concernés. Outre la différence de nature des enjeux, la problématique de la gestion durable réside également dans la nécessité de gérer des échelles de temps différentes : le temps long des écosystèmes avec les temps cour ts imposés par la rentabilité économique, l’action politique et les exigences quotidiennes des populations.

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Concilier ces enjeux par une bonne gouvernance nécessite de relever quatre défis principaux : • imposer la gestion forestière durable à l’ensemble des forêts tropicales de production ; • restaurer puis garantir l’intégrité des espaces forestiers dégradés des forêts protégées ; • maîtriser les problématiques de légalité dans le commerce du bois tropical ; • développer les investissements et le financement des externalités environnementales. Dans les forêts du bassin du Congo, au début des années 1990, l’aménagement forestier était encore expérimental, l’exploitation des forêts était de type « minier » sans préoccupation du renouvellement de la ressource. Le développement des plans d’aménagement forestier (PAF), associant exploitation forestière et impératifs de gestion durable, a permis de rompre avec les pratiques d’exploitation intensive incontrôlées en concluant des accords contractuels entre le concessionnaire et l’État. Aujourd’hui, sur 31 millions d’hectares (ha) de concessions attribués dans le bassin du Congo, presque 20 millions ha sont engagés dans l’aménagement dont 4,4 millions ha certifiés « gestion durable ». Un pas important a donc été franchi en vingt ans, même si le terme de « surfaces sous aménagement » recouvre des situations variables d’un projet à l’autre. Mais l’élan est donné ; depuis l’an 2000, les populations rurales sont progressivement et de plus en plus impliquées dans les projets. Les objectifs de gestion s’élargissent et ajoutent à la production de bois d’œuvre, celle des produits forestiers non ligneux (PFNL) tels que la viande de brousse, les plantes comestibles ou médicinales. La demande de certains PFNL est élevée et leur production devient alors une source de revenus importante pour les populations rurales. Plus récemment, la fourniture de services environnementaux par les forêts a été identifiée comme un nouvel objectif de gestion. Les nouvelles législations forestières inspirées par la GDF imposent l’aménagement forestier pour les forêts de production et elles expriment une volonté de décentraliser la gestion forestière par une ouverture aux communautés locales (forêts communautaires) et une ouverture aux communes (forêts communales). Avec l’objectif d’amener les petites entreprises à une exploitation respectueuse de la GDF. Le second défi consiste à restaurer les espaces protégés dégradés et à préserver l’intégrité des espaces forestiers conservés intacts. L’aire protégée constitue l’outil de prédilection en matière de conservation de la nature pour favoriser la résilience des écosystèmes et maintenir la biodiversité animale sauvage. Plusieurs conventions internationales et de nombreuses initiatives sous-régionales engagent les pays d’Afrique centrale dans une dynamique conjointe de conservation qui donne la priorité à la gestion et à l’aménagement des aires

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protégées, avec notamment une attention particulière au profit des aires protégées transfrontalières. Les législations forestières récentes fixent des objectifs de conservation du domaine forestier permanent, par exemple 11 % du domaine en RDC et 30 % au Cameroun doivent être constitués d’aires protégées. Les approches traditionnelles et autoritaires de conception des aires protégées qui tendaient à limiter toute présence humaine au sein des zones à protéger en mettant la nature sous cloche, dans une logique conservationniste déconnectée des besoins locaux, se révèlent incompatibles avec les impératifs de conservation. En effet, l’expérience a démontré : I)l’impossibilité de clôturer les aires protégées ; II) les moyens insuffisants de contrôle des personnels des réserves ; III) la réalité des frustrations générées par l’exclusion des populations locales riveraines ou non qui maintiennent des activités de braconnage, etc. Désormais, les projets de conservation de la biodiversité affichent cette dimension participative et impliquent les populations riveraines dans une démarche de gouvernance environnementale même si, parfois, la périphérie des zones protégées demeure fréquemment le théâtre de conflits pour accéder à l’espace. Une conception nouvelle reposant sur le paiement d’une contribution ou la promotion d’activités génératrices de revenus, en échange d’actions de conservation fait son chemin. Aujourd’hui, il apparaît que les efforts de restauration sont bien insuffisants pour satisfaire les engagements, 60 % des services écosystémiques mondiaux sont dégradés. Face à ce constat, la Convention de diversité biologique (CDB) a fixé un objectif de restauration de 15 % des écosystèmes dégradés d’ici 2020. Un beau défi. Le troisième défi consiste à combattre efficacement l’illégalité dans le commerce du bois dont l’exploitation illégale concernerait au moins un tiers du volume du bois tropical échangé chaque année et cette tendance serait même à la hausse. Bien que l’arsenal législatif ait été largement renforcé ces dix dernières années, les lois qui protègent les ressources forestières sont peu respectées dans de nombreuses régions tropicales (entre 30 et 50 % dans le bassin du Congo). Cette situation a provoqué la mise en place du plan d’action intergouvernemental FLEG puis le plan FLEGT et des accords de partenariat volontaire (APV) qui garantissaient juridiquement à l’opérateur d’être sûr de ne pas importer de bois illégal. Le quatrième défi est constitué par le financement insuffisant des budgets des États pour la gestion et l’aménagement des forêts alors même que le secteur de la conservation n’est quasiment pas financé sauf avec l’appui de certains partenaires (GIZ,WWF, PNUE). Une solution peut être apportée par le mécanisme de financement REDD+ car ce mécanisme présente de belles perspectives pour le financement des externalités environnementales et devrait permettre le financement d’une politique forestière ambitieuse, y compris et de reboisement.

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Les orientations de politiques et les bonnes pratiques De nouvelles politiques sont actuellement entreprises sur le continent et un certain nombre de bonnes pratiques méritent d’être valorisées et promues : • le développement du secteur des produits forestiers non ligneux (PFNL) qui reste l’un des plus importants secteurs en milieu rural ; • l’intensification des activités de boisement et de reboisement en savane et en forêt dense ; • l’amélioration de l’intégration des ressources forestières dans les plans de développement ruraux afin de contribuer à élever le niveau de vie des populations et de les faire participer à la conservation ; • la mise en valeur des ressources forestières en vue d’augmenter la part de la production forestière dans le produit intérieur brut tout en conservant le potentiel productif ; • l’amélioration des systèmes institutionnels de concertation efficace et plus inclusif en faisant participer tous les intervenants dans la gestion du secteur13(*) ; • le développement de l’écocertification d’après des images satellitaires ; • la diffusion des techniques améliorées de carbonisation ; • la transformation des groupes de chasseurs et pécheurs en vigiles des zones protégées ; • l’éducation et la sensibilisation pour une exploitation durable de la forêt par les communautés ; • le développement de l’écotourisme, la diversité écologique et culturelle des pays constituant un atout pour le tourisme.

Conclusion La conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers constituent un enjeu crucial pour le maintien des grands équilibres de notre planète, en dépit de nombreuses contraintes et de la diversité des intérêts contradictoires. L’implication participative des différents acteurs et parties prenantes et l’appui multiforme des bailleurs de fonds et de la communauté internationale devraient permettre de croire à l’atteinte de ces objectifs dans une Afrique devenue prospère. Une bonne gouvernance des forêts est une condition préalable à la réussite de la GDF. Le processus en cours conduira au succès si les actions nationales sont appuyées avec générosité et fermeté au niveau global par des actions de contrôle et de conseil qui respectent la souveraineté des nations. L’utilisation des nouvelles technologies peut ouvrir des perspectives intéressantes de nature à faciliter l’application des lois forestières, la transparence et

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une meilleure gouvernance des ressources et des écosystèmes. Un soutien politique, législatif et institutionnel est essentiel pour leur déploiement efficace. Les outils technologiques disponibles aujourd’hui comprennent la télédétection, la photographie numérique et la vidéographie, les radars, les technologies de communication comme internet et le téléphone portable, et les logiciels qui permettent l’intégration et l’analyse de grandes quantités de données. S’ils sont bien utilisés, ils peuvent faciliter la transparence, améliorer les délais d’intervention dans la lutte contre les contrevenants, réduire les coûts du suivi et démocratiser l’accès à l’information.

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NOTES 1. Les gaz à effet de serre (GES) sont des composants gazeux qui absorbent le rayonnement infrarouge émis par la surface de la Terre contribuant ainsi à augmenter l’effet de serre. 2. Principal GES. 3. Selon le GIEC, les taux d’émission de CO2 conduisent à un réchauffement qu’il faut limiter à 2°C. 4. Un puits de carbone est un élément qui absorbe plus de carbone qu’il n’en rejette, tandis qu’une source d’émission de carbone est un élément qui rejette plus de carbone qu’il n’en absorbe. 5. Il existe de fortes différences entre les différents types de forêts tropicales : forêts humides, forêts sèches, mangroves savanes … 6. L’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). 7. Est classée comme forêt primaire la superficie forestière composée d’espèces indigènes où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible et où les processus écologiques ne sont pas perturbés. 8. Près des 2/3 des 250 000 espèces de plantes et, pour les seules forêts tropicales humides, 80 % des insectes, 84 % des reptiles, 90 % des primates. 9. La promotion et le développement de produits forestiers non ligneux (PFNL) lancée en 1991 est l’un des domaines prioritaires du Département des forêts de la FAO. Il s’agit d’améliorer l’utilisation durable des PFNL en vue de contribuer à la gestion rationnelle des forêts de la planète, à conserver leur biodiversité, et d’améliorer la génération de revenus et la sécurité alimentaire. 10. La forêt, à la gentillesse et à la bienveillance illimitées, offre son ombre. Même aux bûcherons qui la détruisent (Gautama Bouddha). 11. Journellement, des milliers d’hectares de forêt disparaissent. 12. Selon la FAO. 13. Samuel Pépin, « La déforestation, un problème pris au sérieux par les Africains », 14. Les images satellite montrent que la progression annuelle des routes forestières en Afrique représente en moyenne 38 % de la longueur totale de toutes les voies de circulation. 15. À la source, la croissance démographique et la concurrence pour l’accès aux terres, alors que la régulation institutionnelle en ce domaine fait défaut. 16. Des espèces d’arbres comme l’afromosia, le doussié ou le moabi sont ainsi menacées de surexploitation.


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REDD+, un catalyseur pour le développement durable en Afrique Fabien Monteils Conseiller technique régional du programme ONU-REDD

Contexte : Les multiples interfaces entre forêt et climat Forêt et climat sont fortement connectés, et on souligne généralement trois relations directes. D’abord, une forêt préservée, jeune ou mature, absorbe et stocke le CO2 de l’atmosphère et contribue ainsi à atténuer le réchauffement climatique. 10 % des émissions mondiales de CO2 de la première moitié du XXIe siècle pourraient ainsi être absorbées. Ensuite, la déforestation et la dégradation forestière émettent du CO2 dans l’atmosphère et aggravent le réchauffement climatique. Aujourd’hui, la part de la déforestation et de la dégradation forestière dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre est estimée à 12 % des émissions mondiales. Enfin, en retour, les changements climatiques se manifestent par l’intensité et la fréquence des vagues de chaleur ou encore la réduction des pluies qui perturbent la croissance et la santé des forêts, et augmentent les risques de dégradation ou de déforestation naturelle, y compris par la sécheresse et le feu, ou encore par la prolifération et l’expansion des espèces invasives, des parasites et des maladies. Plus indirectement, à travers le bois qu’elle produit, la forêt est aussi une source renouvelable d’énergie qui offre une alternative aux énergies fossiles fortement émettrices de gaz à effet de serre. De plus, une forêt en bonne santé renforce la résilience des sociétés humaines qui en dépendent et réduit leur vulnérabilité face aux aléas climatiques comme les vagues de chaleur et de sécheresses, la perturbation des cycles de pluies, les inondations ou encore l’érosion accélérée des sols.

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L’émergence et l’élaboration du mécanisme international REDD+ La relation entre forêt et climat se trouve aujourd’hui dans un cercle vicieux. La réduction des espaces forestiers réduit la capacité des forêts à absorber le CO2 atmosphérique et émet au contraire toujours plus de gaz à effet de serre, qui augmentent le réchauffement climatique, et qui lui-même perturbe la croissance des forêts et accroît leur vulnérabilité. En revanche, une forêt naturelle gérée durablement présente un potentiel important pour atténuer les changements climatiques et renforcer l’adaptation des sociétés dépendantes à ses impacts. Ces interconnections expliquent pourquoi la communauté internationale s’est portée au chevet de la forêt dans l’idée de lutter contre le réchauffement climatique, et notamment de l’atténuer. À partir de 2005, un argumentaire économique et financier est venu appuyer les corrélations évoquées ci-dessus. Plusieurs études suggèrent alors que protéger la forêt présente le rapport coût-efficacité le plus attractif pour atténuer le réchauffement climatique comparé aux alternatives dans des secteurs comme l’énergie, les transports ou le bâtiment. En 2006, le rapport Stern estimait que 70 % de la déforestation pourrait ainsi être évitée à un coût annuel de 5 milliards de dollars, et en 2009 un rapport de Mc Kinsey suggérait que la déforestation pourrait être réduite de moitié pour moins de 2 dollars/tCO2. Ces arguments trouvèrent écho au niveau politique. Entre 2005 et 2007, les pays en développement militent pour un mécanisme international, qui compenserait les réductions d’émissions liées à la déforestation. La communauté internationale réunie à Bali pour la 13e Conférence des parties s’accorde pour que la « réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts » dans les pays en développement soit insérée dans sa feuille de route vers un nouveau système international pour le climat. REDD+ est né et va faire figure de fer de lance dans des négociations climatiques plutôt atones jusqu’à l’échec de la Conférence de Copenhague et la laborieuse émergence de nouvelles perspectives vers la Conférence de Paris en décembre 2015. Entre Copenhague en 2009 et la Conférence de Varsovie en 2013, une quinzaine de décisions complémentaires établissent progressivement les orientations, règles et modalités méthodologiques de REDD+. À Varsovie, sept décisions viennent compléter cette architecture en établissant ainsi le « cadre de Varsovie pour REDD+ ». La préoccupation en matière de préservation des forêts et la lutte contre la déforestation se sont renforcées progressivement au cours de la deuxième moitié du XX e siècle. À par tir des années 1990, et plus précisément après la Conférence de Montréal en 2005, c’est à travers le défi climatique que la lutte contre la déforestation va gagner le devant de la scène politique, économique et médiatique. Ainsi, à l’occasion du Sommet mondial sur le climat de septembre 2014, les chefs d’État et de gouvernement conjointement avec les leaders de la

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société civile et du secteur privé ont adopté la « Déclaration de New York pour les forêts » qui fixe pour la première fois des ambitions chiffrées et un calendrier pour diviser par deux la déforestation mondiale d’ici à 2020, et pour arrêter complètement la per te de forêts naturelles d’ici à 2030. Le mécanisme REDD+, issu des négociations climatiques, apparaît comme l’espoir et une solution majeure pour mobiliser les efforts et répondre aux ambitions ainsi fixées par les leaders mondiaux à New York.

La relation entre déforestation et développement en Afrique Le point de départ pour lutter contre la déforestation consiste naturellement à dresser un diagnostic complet des facteurs de déforestation, les causes directes et sous-jacentes, les dynamiques locales, nationales et globales, les facteurs passés et futurs. En accompagnant ainsi les pays REDD+ dans ce diagnostic, on s’aperçoit vite qu’en matière de déforestation, tous les chemins mènent… au développement. En Afrique, et en dépit des variations entre sous-régions, écosystèmes et pays, les principales causes de déforestation et de dégradation forestière sont la culture itinérante sur brûlis, la collecte de bois de chauffe et la production de charbon, l’expansion agricole pour les cultures de rente comme le cacao ou le palmier à huile, et dans une moindre mesure l’exploitation forestière, les mines et l’expansion des infrastructures. Ces causes directes sont généralement alimentées et exacerbées par la forte poussée démographique, la mauvaise gouvernance et les faibles capacités à gérer le territoire, à organiser les usages concurrents du sol et à sécuriser les communautés et autres acteurs en matière foncière. Le lien entre tous ces facteurs et la problématique du développement en Afrique est immédiat. Et les raccourcis faciles sont tentants… On entend souvent que la déforestation serait une condition du développement économique africain. Il faut bien que les populations mangent, se chauffent, s’abritent. La vente des bois et les cultures de rente font entrer des devises dont le pays a besoin… Mais a-t-on bien évalué la contribution réelle des forêts, monétaire et non monétaire, aux sociétés et aux économies nationales ? Est-on sûr de ne pas tuer la poule aux œufs d’or, cette machine complexe dont on ne comprend pas tous les mécanismes mais qui fournit durablement une multitude de services indispensables à notre développement et à notre bien-être ?

La déforestation, signal d’un modèle de développement défaillant Car la forêt a mieux à offrir pour le développement de l’Afrique qu’en étant rasée et convertie en champs, en routes et en zones urbaines.

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D’une part, la déforestation ne mène pas directement au développement. Il y a de multiples conditions et étapes entre les deux, et de nombreux dangers en chemin. Si la déforestation peut contribuer au développement d’un pays, elle n’en est d’abord pas le garant. La déforestation issue des pratiques de survie, telles que la culture sur brûlis des populations rurales est un indicateur de paupérisation, pas de développement. Le paysan exploite des sols fragiles avec des rendements trop faibles pour épargner. À chaque rotation, il devra aller chercher de la terre plus loin, passer plus de temps et d’énergie à des actions improductives, risquer des conflits avec ses voisins, sans jamais pouvoir sortir de cette spirale. De même, créer des richesses n’est pas créer du développement. La prédation des ressources et la captation financière par une élite minoritaire dans des contextes de faible gouvernance ne riment pas non plus avec développement. Ce dernier est conditionné au fait que l’utilisation du bois et de l’espace dégagé produise de la richesse, la partage, alimente l’épargne et l’investissement productif, contribue à la cohésion sociale, au développement des capacités humaines… On constate que dans de nombreux cas, la déforestation non seulement ne se traduit pas en développement, mais contribue au contraire à renforcer les structures corrompues et improductives qui gangrènent les pays les moins avancés et préviennent le développement. Heureusement, la déforestation n’est pas non plus une condition du développement. De nombreux pays à travers le de transformer les surfaces forestières en mines ou en agriculture industrielle.

durable des forêts, la conservation et l’augmentation des stocks de carbone forestier. La mise en œuvre du mécanisme repose sur des éléments et principes structurants, qui présentent un caractère innovant et ambitieux.

Au lieu de ce gaspillage, il convient de répéter qu’une forêt contribue davantage au développement d’un pays en étant debout, valorisée et préservée, plutôt qu’en étant rasée. La forêt offre des services multiples et renouvelables, dans l’atténuation du changement climatique et dans la résilience face à ses impacts, notamment l’intensification des catastrophes naturelles comme les sécheresses ou les inondations. La forêt préserve la fertilité des sols, prévient les érosions et glissements de terrain, entretient le cycle hydrique indispensable à l’agriculture et à la consommation humaine. Elle fournit des produits ligneux pour la construction, le chauffage, et des produits non ligneux pour l’alimentation, la santé, la vie traditionnelle et culturelle. De multiples études démontrent cette valeur souvent non calculée, non monétarisée, mais pas moins colossale pour les populations. En Ouganda, la valeur totale des services et produits fournis par la forêt a été évaluée à 1,3 Md$, soit environ 8 % du PIB. La forêt joue ainsi un rôle crucial au carrefour entre la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau et à l’énergie, le développement rural et l’émergence d’une économie verte.

Tout d’abord, REDD+ promeut une approche nationale. Les résultats en matière de réduction des émissions doivent être mesurés et rémunérés à l’échelle des pays. Cela ouvre des perspectives pour évaluer et rétribuer les résultats d’un pays de manière complète et cohérente, sur la base d’efforts réellement nationaux notamment à travers des politiques innovantes, et non pas seulement à travers des actions et investissements localisés sur le terrain de projets. Ensuite, REDD+ repose sur une logique de paiements aux résultats. Contrairement à l’aide publique au développement, il s’agit ici de rémunérer un service, une contribution à l’atténuation du réchauffement climatique. Il faut donc démontrer des résultats pour accéder aux paiements REDD+. Pour atteindre des résultats réels et à échelle nationale, les pays doivent donc construire leurs réponses sur une compréhension globale des causes de déforestation et de dégradation, et à travers des politiques, mesures et investissements coordonnés entre les secteurs. Enfin, les activités REDD+ sont encadrées par l’exigence d’excellence en matière sociale et environnementale, et doivent garantir le respect de standards élevés pour limiter et compenser les impacts négatifs tout en optimisant les bénéfices multiples.

Les nouvelles voies ouvertes par l’initiative REDD+ REDD+ est un mécanisme élaboré par la communauté internationale pour mobiliser et canaliser des financements internationaux afin de soutenir la lutte contre la déforestation au titre de sa contribution à l’atténuation du changement climatique. Les pays peuvent décider d’agir à travers cinq « activités » éligibles : la lutte contre la déforestation, contre la dégradation forestière, la gestion

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Les pays REDD+ face à trois défis majeurs de l’Afrique Pour les pays REDD+ d’Afrique, la préparation et le déploiement de REDD+ fait face à des contraintes et des écueils que l’on peut organiser en trois problématiques majeures : le financement, la fiabilité, et l’efficacité.

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Le premier défi concerne les financements. Si les premiers discours annonçaient une solution rapide et bon marché, force est de constater que la réalité de la préservation des forêts exige un investissement conséquent et soutenu dans le temps. Diviser les émissions par deux d’ici à 2020 suivant les objectifs fixés par la Déclaration de New York pour les forêts nécessiterait de l’ordre de 30 milliards de dollars par an, qui restent encore largement à trouver. Les fonds publics internationaux alimentés par les pays développés sont indispensables, mais demeureront probablement limités. Si les pays développés poussent justement pour un fort engagement du secteur privé, de multiples investissements nécessaires à la mise en œuvre de REDD+ concernent des conditions structurelles, qui se prêtent mal à des financements privés – gouvernance, sécurité foncière, aménagement du territoire, réformes fiscales, application de la loi… Sous réserve d’un accompagnement actif par des réformes publiques cadres, l’investissement privé pourrait toutefois s’avérer substantiel et potentiellement décisif dans le cadre de l’amélioration des chaînes d’approvisionnement et de valeur. Certains pays en développement à revenus intermédiaires tendent ainsi à mobiliser des ressources nationales pour cofinancer REDD+, et l’Afrique peut s’inspirer de plusieur s pays pionnier s en Amérique latine. Les prélèvements internationaux sur des marchés ou des commodités offrent une alternative à fort potentiel, mais qui requiert là encore des décisions politiques courageuses qui ne font pas consensus. La conversion des réductions d’émissions en crédits carbone échangeables sur les marchés se heurte aussi au besoin de régulation, à la nécessité de créer une demande et une visibilité, et à l’équité dans la distribution des financements du fait de pays aux niveaux de risques et aux potentiels divers.Très tôt, les marchés volontaires ont participé aux premiers financements de projets pilotes REDD+ sur le terrain. Ils se sont rapidement structurés grâce notamment à la crédibilité d’intermédiaires comme de grandes organisations non gouvernementales internationales, et à la certification volontaire des aspects carbone et aussi des impacts et bénéfices associés aux projets. S’ils ont joué un rôle pionnier indéniable, ils semblent néanmoins peu adaptés pour mobiliser des volumes de financement plus important et soutenir un changement d’échelle. La capacité de financement est estimée à environ 25 Mt de CO2 par an, bien en dessous de ce que les politiques et mesures REDD+ devraient produire dans les prochaines années. Une autre question épineuse concerne la propriété et les droits d’usage des réductions d’émissions ainsi générées et financées. Les pays africains souhaitent légitimement comptabiliser ces réductions d’émissions comme des contributions volontaires qu’ils annonceront sous la Convention Climat d’ici à la Conférence de Paris, alors que les acheteurs qu’ils soient privés ou publics souhaitent pouvoir aussi utiliser ces réductions d’émissions à des fins de relations publiques, et peut-être demain de conformité et de compensation, voire dans une logique commerciale. L’impossibilité de double comptage d’une réduction d’émission oblige néanmoins à arbitrer entre ces aspirations contradictoires. Le financement de REDD+ se discute ainsi dans le cadre plus large de la finance

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climat international, et notamment du Fonds vert pour le climat établi suite à l’Accord de Copenhague. Une chose est sûre, la solution sera multiforme et reste encore très largement à construire. La question de la fiabilité du mécanisme et de la confiance des acteurs est fortement liée au défi des financements, car le risque de payer de l’air chaud c’està-dire des réductions comptabilisées mais irréelles est un argument souvent brandi par les pays développés pour justifier la parcimonie des fonds publics. Cette confiance requiert des données techniquement robustes construites suivant des méthodes transparentes et vérifiables. Elle se construit à deux niveaux : d’une part dans la détermination du niveau de référence qui servira d’étalon à la mesure des résultats, et d’autre part dans la mesure des résultats c’est-à-dire des réductions d’émissions elles-mêmes. Or, le niveau de référence est une estimation de l’avenir qui induit par nature une par t d’inconnue. Et une fois le niveau de référence établi et reconnu par la communauté internationale, les pays forestiers doivent encore mesurer et établir le bilan carbone de leurs actions. Dans ce domaine, les pays africains disposent de capacités très hétérogènes et largement insuffisantes. Le troisième défi concerne la réduction effective des émissions, et la mise en œuvre de politiques et mesures démontrant de réels impacts à l’échelle nationale. Car si REDD+ promet des financements additionnels pour préserver les forêts, il n’est pas livré avec un mode d’emploi sur la manière de préserver efficacement cette forêt. Et l’expérience accumulée au cours des dernières décennies démontre que l’objectif est difficile à atteindre. L’approche projet a notamment démontré ses limites, et son incapacité à dégager des résultats probants à grande échelle en dépit d’expériences parfois positives à l’échelle locale. Avec REDD+, ces limites ont été exacerbées par les spécificités du mécanisme. Les projets REDD+ pionniers ont souvent eu des résultats mitigés, et une certaine désillusion s’est même emparée des développeurs. Les raisons sont multiples, à commencer par les coûts de mise en œuvre et de transaction élevés de projets, qui requièrent généralement d’appliquer et d’auditer des méthodologies complexes et contraignantes pour démontrer, certifier et mettre en marché les réductions d’émission. Les économies d’échelle restent difficiles pour amortir les coûts, d’autant plus que la fuite de la déforestation dans les zones autour de la zone projet doit aussi être calculée et décomptée du bilan du projet. De plus, la réduction effective des émissions est souvent compliquée car les projets apportent généralement des solutions ciblées sur des causes directes de déforestation, mais ne disposent pas de leviers pour agir sur les conditions plus structurelles, les causes indirectes. Ainsi de nombreux projets projettent d’améliorer les pratiques agricoles de populations dépendantes des forêts mais se heurtent au manque de capacités locales, à une forte corruption ou à des situations foncières éminemment complexes, conditionnant leur impact et pourtant au-delà de leur capacité d’action. De nombreux projets sont aussi l’objet de critiques par le manque d’équité dans la redistribution des revenus, cer tains acteurs locaux ou nationaux contribuant aux résultats étant exclus du partage des revenus du carbone souvent négocié bilatéralement entre les développeurs

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et les gouvernements. Enfin, les développeurs de projet se sont heurtés aux limites des marchés du carbone volontaire, et notamment à la faible demande et à l’effondrement des prix qui sont tombés à 5 dollars/tCO2 en 2013. Les projets, qui couvrent aujourd’hui moins de 1 % des forêts tropicales, se révèlent donc un laboratoire idéal pour la recherche et l’expérimentation en matière de préservation des forêts, voire pour des réponses ciblées et localisées, mais un défi essentiel de REDD+ consiste justement à compléter voire dépasser cette approche projet pour des approches plus structurelles, intersectorielles et à échelle nationale reposant fortement sur les leviers de politiques et les approches programmatiques intégrées. Pour une réduction effective et à grande échelle de la déforestation, il est donc nécessaire d’agir dans le cadre d’une approche globale et multisectorielle : réformer les politiques forestières, étendre les aires protégées, certes, mais aussi aligner les agendas agricoles et énergétiques, élaborer une approche de développement intégré des populations rurales, investir dans des secteurs économiques alternatifs, améliorer les conditions foncières, définir un schéma national d’aménagement du territoire, réformer la fiscalité, la comptabilité nationale… À ce niveau, REDD+ se heurte souvent à la faiblesse des États forestiers africains qui se manifeste de multiples manières : faible capacité à construire des solutions, mais aussi à les mettre en œuvre, à engager les parties prenantes… Les fonctions premières des États sont encore souvent en chantier : gouvernance, justice, police, éducation… Difficile de déployer REDD+ dans des pays qui n’ont qu’un contrôle parfois limité de leur territoire et de leur population. Au-delà des schémas théoriques souvent naïfs, la réalité de la politique économique des pays, le manque de volonté politique, les agendas privés, les déficiences structurelles rendent parfois illusoire l’ambition d’une réduction de la déforestation et d’une gestion durable des forêts. Un long et coûteux travail préparatoire d’information, de mobilisation, de dialogue est alors indispensable pour faire émerger la volonté et organiser les réseaux de soutien.

Les avancées africaines significatives en matière de REDD+ Depuis 2008, les pays africains se sont donc fortement mobilisés pour se préparer et déployer le mécanisme REDD+. Le programme ONU-REDD compte ainsi son plus large portefeuille régional en Afrique, avec 26 pays partenaires. Dans les faits, on distingue un petit nombre de pays pionniers qui transitent actuellement vers la phase d’investissement. La République démocratique du Congo et la Tanzanie ont finalisé leur stratégie nationale REDD+, et devraient être rejoints en 2015 par la Zambie, la République du Congo et le Ghana. D’autres pays avancent aussi à grand pas dans leurs travaux de préparation, notamment le Nigeria, la Côte d’Ivoire, l’Ouganda, le Kenya, Madagascar, l’Éthiopie… Une majorité de pays forestiers africains reste néanmoins encore à un stade préliminaire de préparation.

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En matière de préparation à REDD+, le cas de la République démocratique du Congo (RDC) fait figure de modèle en Afrique du fait de son approche complète. Depuis 2009, les différentes composantes du mécanisme ont ainsi été développées en parallèle et de manière relativement rapide considérant les défis et écarts associés à la situation de départ. Le pays a finalisé sa stratégie nationale et mis en ligne son premier système national de surveillance des forêts en 2012. Son fonds national REDD+ est opérationnel, et son système d’information sur les sauvegardes est en cours de finalisation. Des engagements de politiques ont été inscrits dans une stratégie REDD+ ambitieuse, à l’image de cinq objectifs REDD+ inscrits dans la matrice nationale de gouvernance économique, associés notamment à l’aménagement du territoire, la sécurisation foncière et la mise en œuvre des standards REDD+ dans le secteur minier. Il projette de présenter son niveau de référence national d’ici à la fin 2015, et devenir ainsi le premier pays africain à entrer pleinement dans le mécanisme REDD+ sous la Convention Climat. Le pays a été un laboratoire pour la préparation à REDD+ qui a inspiré d’autres pays en Afrique et dans le monde. Ainsi, la première Université REDD+ organisée à Kinshasa en 2010 a depuis été reproduite dans plusieurs pays et a inspiré le projet d’Académie REDD+, aujourd’hui déployée sur tous les continents. Le dialogue intersectoriel a aussi été approfondi dans le pays et a permis un dialogue de politique avancé avec les partenaires internationaux, qui s’est traduit notamment par le rôle leader du pays dans la signature de la déclaration d’intention pour REDD+ dans le Bassin du Congo signée à Durban en décembre 2011 par huit partenaires internationaux dont la Norvège, l’Union européenne, les États-Unis, la France et le Japon.

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En ce sens, les pays africains ont suivi des voies différentes pour assembler les composantes REDD+ et avancer vers la phase d’investissement. La Tanzanie a pu avancer dès 2009 grâce à la signature d’un accord bilatéral avec la Norvège, mais en se focalisant sur des investissements de terrain, largement relayés par des acteurs extra-étatiques comme les ONG internationales. Le niveau d’engagement politique doit toutefois être encore renforcé pour donner l’impulsion nécessaire à un déploiement de REDD+ à échelle internationale. En Côte d’Ivoire, le président de la République avec l’appui du secteur privé a annoncé que la filière cacao, dont le pays est le premier producteur mondial, serait exempte de toute déforestation à partir de 2020. Le recours à des mécanismes incitatifs à large échelle – comme les paiements pour services environnementaux – est à l’étude pour appuyer l’atteinte des objectifs. En Zambie, le processus REDD+ a permis d’alimenter un indaba, dialogue multipartenaires sur la délicate question du bois de chauffe et du charbon. Le Nigeria explore les modalités d’une coordination fédérale pour le déploiement de stratégies REDD+ élaborées à partir des États, sous le leadership de l’État de Cross River. En Ouganda, la REDD+ ouvre des perspectives pour la mise en œuvre effective d’un large plan national de reforestation, porté notamment par les propriétaires privés, visant à réduire drastiquement la forte déforestation actuelle et à ramener la superficie forestière de 15 % à 24 % du territoire national d’ici à 2040. En Éthiopie, le processus REDD+ concourt à l’institutionnalisation du ministère de l’Environnement et des Forêts créée en 2013, et s’inscrit dans la vision nationale pour une économie verte et résiliente en intégrant la valeur forêt dans la comptabilité nationale. À Madagascar, REDD+ s’est nourri des effor ts de conservation historiques et s’est traduit par une expérimentation avancée sur le terrain et en matière de transactions carbone, et par le renforcement des capacités nationales en matière de suivi des forêts. Le pays veille désormais, au bénéfice de la stabilisation politique, à coordonner l’ensemble des acquis autour d’une vision multisectorielle et transformationnelle de REDD+, qui replacerait ainsi la forêt au cœur du développement national. À l’échelle régionale, une plate-forme africaine de la société civile incluant les populations autochtones a aussi été établie en 2014 pour faciliter le partage d’expérience et le plaidoyer en faveur d’une REDD+ inclusive, par ticipative et transparente, améliorant les conditions de gouvernance dans la gestion nationale. Encadré 3, ci-contre. Au-delà des réalisations techniques, le processus REDD+ en Afrique a donc permis d’insuffler ou de renforcer des dynamiques essentielles pour répondre aux défis fondamentaux du développement durable dans les pays. Le succès de la lutte contre la déforestation en Afrique passe en effet par l’amélioration des conditions habilitantes, notamment en termes de gouvernance et d’efficacité publique, de capacité à mettre en œuvre les politiques et à appliquer les lois, d’environnement des affaires et des investissements, de dialogue inclusif qui mobilise le secteur privé autant que les communautés locales, la paysannerie, les minorités autochtones, les femmes et la jeunesse etc. Le déploiement de REDD+ à échelle nationale requiert aussi de s’attaquer de manière volontariste aux questions cruciales de sécurité foncière, d’aménagement du territoire, d’harmonisation des politiques et des plans sectoriels consommateurs d’espa-

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ces comme l’agriculture, les mines, l’énergie, les infrastructures et évidemment la forêt. Cela nécessite un fort engagement politique, généralement au plus haut sommet des États, afin de donner l’impulsion, et d’assurer le leadership national nécessaire à l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et mesures réellement transformationnelles. Cet engagement est lui-même souvent déterminé par différents facteurs comme la sensibilité et la qualité visionnaire des leaders, les jeux d’influence des groupes d’acteurs clés, les argumentaires sociaux, économiques et financiers, mais aussi les calculs politiques… Dans ce cadre, la crédibilité du plan de financement de la stratégie REDD+ est un exercice essentiel. À ce jour, la communauté internationale annonce avoir engagé environ 1,3 Md$ pour REDD+ en Afrique. dont une faible part a été exécutée. Avec l’entrée des premiers pays africains dans la phase d’investissement, il est attendu que l’accès et le déploiement des financements internationaux s’accélèrent. L’Afrique pourrait aussi s’inspirer de l’exemple insufflé par l’Amérique latine où le cofinancement national de REDD+ est fortement promu, et générer des effets de levier en insérant les objectifs REDD+ dans les politiques, plans et programmes sectoriels, par exemple agricole ou énergie. (Encadré page suivante.)

Conclusion et perspectives pour le développement durable Les liens entre forêt et climat sont nombreux et multiformes, et c’est finalement à travers la lutte contre le réchauffement climatique qu’à partir de 2005 la lutte contre la déforestation va devenir une priorité internationale. Cette priorité se manifeste de manière politique à l’image de la Déclaration de New York pour les forêts en septembre 2014, mais aussi financière, et se matérialise dans les pays forestiers en développement par la préparation et la mise en œuvre de REDD+. L’apport de REDD+ aux forêts tropicales est à ce jour davantage qualitatif que quantitatif. L’impact local et l’additionalité dans la réduction globale de la déforestation restent modestes, mais l’essentiel du mécanisme n’est pas là. Il a permis de renforcer les études et de mieux comprendre les facteurs et dynamiques de déforestation, de renforcer les inventaires forestiers et les capacités nationales à surveiller les forêts, etc. La dimension climatique n’induit pas d’activités et d’options véritablement nouvelles, mais plutôt une convergence et une mise à l’échelle de solutions déjà entrevues et expérimentées. L’agenda REDD+ a surtout permis à différents pays d’engager un dialogue multipartenaires sur la place de la forêt dans le développement national, d’établir et renforcer des réseaux d’alliés en faveur de la préservation de la forêt et de la reforestation, de faire émerger ou de renforcer des leaders volontaires pour explorer des leviers politiques audacieux, établir des ponts entre les secteurs et aligner les programmes divergents vers des objectifs et des standards communs, tendre la main aux minorités dépendantes des forêts pour élaborer des stratégies gagnantes…

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Les défis sont à la hauteur des ambitions et tiennent à la nature même de REDD+, qui par certaines caractéristiques – approche nationale, paiements aux résultats, fiabilité, excellence sociale et environnementale – exige une réponse systémique à l’échelle nationale et place donc la préservation des forêts dans une dimension nouvelle, à la croisée de problématiques d’aménagement du territoire, de droits fonciers, de sécurité alimentaire et d’accès à l’énergie, de développement agricole et minier, de gouvernance et de lutte contre la corruption, de renforcement des droits des peuples autochtones et des femmes, etc. REDD+ s’inscrit au cœur des dynamiques du système économique et politique et dépend de la capacité du système à évoluer vers un nouveau paradigme où la préservation de la forêt en Afrique devient une priorité aussi évidente que la construction de routes, d’hôpitaux ou d’écoles.

Les parcs nationaux et réserves naturelles de Côte d’Ivoire, un maillon essentiel du développement durable Adama Tondossama Ingénieur en chef des Eaux et Forêts, directeur général de l’Office ivoirien des parcs et réserves

Introduction Créé par le décret n° 2002-359 du 24 juillet 2002, l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) est un établissement public national de type particulier, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, mis en place pour assurer la gestion des aires protégées de Côte d’Ivoire. L’OIPR est né de la volonté de l’État ivoirien de mettre en place un cadre juridique et institutionnel, adapté et fonctionnel, dans le cadre de la réforme de la gestion des parcs nationaux et réserves engagée en 1995 et matérialisée par l’adoption de la loi n° 2002-102 du 11 février 2002 relative à la création, à la gestion et au financement des parcs nationaux et réserves naturelles (PNR). En effet, malgré les efforts conséquents déployés par l’État ivoirien et l’appui des partenaires au développement pour protéger et aménager ce patrimoine naturel, les résultats n’ont pas toujours été à la hauteur des attentes par manque d’action globale dans ce secteur et de moyens adéquats. Une réforme a été engagée en vue d’adapter le service public chargé de la gestion des PNR aux impératifs d’une gestion rationnelle et durable, par la mise en place d’un système de protection et de valorisation efficace des parcs nationaux et réserves, tout en élargissant leur réseau..

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À ce titre, certaines fonctions de l’administration centrale ont été décentralisées au profit de structures autonomes que sont l’OIPR et la Fondation pour les parcs et réserves pour la gestion technique et le financement pérenne des actions de conservation de la diversité biologique.

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Le déplacement de la boucle de cacao de l’est (qui a perdu la majeure partie de sa couverture forestière) vers le sud-ouest, marqué par la présence du Parc national de Taï, est le signe indubitable de l’importance économique des aires protégées. Il traduit dans les faits les liens étroits entre le niveau de déforestation, le rendement agricole et le revenu des populations rurales.

Ainsi, l’OIPR est chargé, sur l’ensemble des aires protégées, de la mise en œuvre de la politique ivoirienne de conservation. Cette politique se traduit par la mise en œuvre des actions de protection, d’aménagement, de valorisation des aires protégées et de développement de leurs zones périphériques. La mission ainsi assignée par l’État consiste à renforcer la protection du patrimoine des aires protégées, l’éveil de la conscience environnementale et une communication accrue à une gestion participative et inclusive plus poussée. La nouvelle approche pour la gestion des parcs nationaux et réserves naturelles consiste désormais à concilier le développement socio-économique de la population et la conservation de la diversité biologique, de sorte à rendre plus dynamique le pilier environnemental du développement durable.

Les parcs nationaux et réserves naturelles et le développement durable en Côte d’Ivoire Le réseau des parcs nationaux et réserves naturelles de la Côte d’Ivoire, constitué de huit parcs nationaux et de six réserves naturelles, couvre une superficie totale avoisinant 2,1 millions d’hectares, soit 6,5 % du territoire national. Il constitue le dernier refuge véritable de la faune sauvage et couvre toutes les zones phytogéographiques du pays, à l’exception des écosystèmes du SudEst appartenant à la zone d’endémisme Est du bloc forestier guinéen. En raison de l’écrémage des milieux naturels dans le domaine rural et les forêts classées, le capital de diversité biologique se retrouve actuellement concentré dans les parcs nationaux et réserves naturelles au point où ceux-ci hébergent près de 90 % des espèces de mammifères et d’oiseaux connues dans la région. Ce patrimoine naturel est d’une importance capitale pour le développement harmonieux de la Côte d’Ivoire en raison des enjeux majeurs qu’il présente. En effet, les aires protégées constituent, avec les forêts classées, la majeure par tie du couver t végétal naturel ivoirien et leur préservation conditionne l’équilibre écologique national et sous-régional. Les fonctions assurées par les parcs nationaux et réserves naturelles au plan environnemental, notamment de « poumon vert », de régulation des pluies, de lutte contre les gaz à effet de serre contribuent à l’atténuation des effets des changements climatiques dont les conséquences sont tout aussi préoccupantes pour la santé humaine que pour l’économie.

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En terme monétaire, au moins 3,2 % du PIB de la Côte d’Ivoire dépendrait du Parc national de Taï (PNT), tout comme près de 200 000 chefs d’exploitation agricole qui produisent un chiffre d’affaires de plus de 492 milliards FCFA, soit plus de 750 millions d’euros (production de cacao, café, hévéa, palmier à huile). Le PNT stocke un important volume de carbone et contribue ainsi à la régulation du climat global. La valeur de ce service est de l’ordre de 16 milliards FCFA par an, soit plus de 24 millions d’euros par an. Aussi, le PNT est-il le support d’une activité d’écotourisme, d’une valeur de 22,5 millions FCFA par an, ce qui constitue une ressource financière propre pour le PNT. Celle-ci pourrait naturellement décupler au cours des décennies à venir. Sur le plan culturel, les aires protégées constituent des sanctuaires qui abritent des sites sacrés, de sorte que leur valorisation par le tourisme permet une meilleure prise en compte des valeurs sociales des communautés. Sur le plan social, la gestion des parcs nationaux et réserves naturelles a permis de créer des plates-formes de concertation locale sur la question de la conservation et de la préservation de l’environnement dénommées « comités de gestion locale ». Ces comités qui réunissent les représentants des différentes entités sociales au niveau de chaque aire protégée ont contribué au renforcement de la cohésion sociale, de l’autorité des couches socioprofessionnelles ainsi que de l’implication des populations dans la prise de décision concernant les actions de conservation.

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La gestion participative ainsi entreprise au niveau local a permis d’impliquer les acteurs du secteur privé et les associations villageoises dans l’exécution des activités d’aménagement et de conservation. Des emplois verts ont été créés et des micro-projets sont de plus en plus développés, notamment au niveau des parcs nationaux de Taï et de la Comoé. Ces initiatives ont permis de rapprocher les objectifs de conservation des intérêts des populations, réaffirmant ainsi le caractère social de la conservation. Il en est de même pour le processus de concer tation développé avec les populations en vue de la signature de contrats de gestion des terroirs. Ce processus, déjà achevé au niveau du parc national de la Comoé et en bonne voie au niveau de Taï, constitue un exemple éloquent de la gestion participative en liaison avec le développement durable.

La problématique de la gestion des parcs nationaux et réserves naturelles En Côte d’Ivoire, la politique du gouvernement en matière de protection de la nature a consisté, dès l’indépendance, à asseoir sa stratégie de conservation et de sauvegarde de ses ressources naturelles biologiques autour d’un réseau d’espaces protégés représentatifs de la biodiversité nationale. La loi n° 65-425 du 20 décembre 1965 et le décret n° 66-433 du 15 septembre 1966 ont permis la constitution d’un patrimoine forestier de près de cinq millions d’hectares (16,5 % du territoire national,) dont près de deux millions d’hectares de parcs nationaux et réserves naturelles (6,5 % du territoire national). Malgré les efforts consentis, force est de constater que, du fait de l’expansion de l’agriculture, marquée très souvent avec des pratiques culturales néfastes, ce patrimoine forestier, essentiellement constitué par les forêts classées et les aires protégées, s’est fortement réduit au point que le niveau de dégradation des milieux naturels, d’une manière générale, est devenu des plus alarmants en Côte d’Ivoire. En l’espace d’un siècle (1900-2000), la couverture forestière est passée de 16 millions à moins de 2,5 millions d’hectares de forêts denses humides (FAO, 2000). Cette dégradation s’est traduite par une raréfaction de certaines espèces végétales et animales. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), parmi les espèces recensées dans les forêts ivoiriennes, 59 plantes sont menacées de disparition sur les 89 plantes endémiques et, par ailleurs, plus du dixième des 232 mammifères est classé rare. Cette dégradation de la diversité biologique est d’autant plus grave qu’elle s’avère irréversible dans la zone forestière alors que celle-ci abrite, justement, la plus grande richesse en espèces. Selon les conclusions des séminaires nationaux organisés sur la question, les difficultés rencontrées dans la gestion des parcs nationaux et réserves relèvent de plusieurs facteurs, à savoir :

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• des actions isolées révélant une insuffisance d’approche intégrée ; • des contraintes liées au cadre institutionnel, notamment une organisation trop centralisée entraînant une lourdeur dans les procédures ; • un manque d’actions d’information, éducation et communication (IEC), tant au niveau local que national ; • une absence de circulation de l’information, aggravée par un manque de relations voire de collaboration entre les institutions concernées ; • une insuffisance de la formation du personnel ; • des ressources humaines, matérielles et financières limitées ; • l’absence d’un cadre formel de participation des populations des zones périphériques à la gestion des aires protégées. Ces facteurs ont eu pour conséquences : (I) une maîtrise insuffisante des programmes et du suivi des actions, II) un manque d’adhésion de la population aux actions de conservation, III) une insuffisance d’infrastructures et d’équipements, IV) un manque d’application des lois et règlements, V) une faible conscience environnementale, notamment pour la protection de la nature, VI) une démotivation du personnel, et VII) une implication limitée des acteurs concernés. Il en est résulté également un appauvrissement inquiétant du patrimoine naturel national et de sa diversité biologique, qui s’est illustré par : • la dégradation des écosystèmes avec, comme corollaire, la destruction de certains habitats ; • la réduction du couvert végétal ; • l’appauvrissement de la flore ; • et la régression des populations de faune sauvage dont certaines espèces se trouvent au bord de l’extinction. L’analyse prospective de ces problèmes alors identifiés a montré que les pressions exercées sur les aires protégées allaient augmenter dans l’avenir et que la spirale de dégradation de la diversité biologique s’intensifierait si aucune réponse d’envergure n’est apportée. Face à cette situation et s’inscrivant dans la dynamique impulsée par le Sommet de la Terre, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’un Plan national d’action environnementale (PNAE), articulé autour de dix programmes, avec des objectifs stratégiques de gestion environnementale du pays. Le pays a également procédé, dans ce cadre, au renforcement du cadre juridique et institutionnel du développement durable en adoptant la loi por tant Code de l’environnement. Ce texte a permis la création d’une Commission nationale du développement durable (CNDD) qui, en son article 74, vise plusieurs intervenants contribuant au développement durable, dont le réseau de parcs nationaux et réserves naturelles gérés par l’Office ivoirien des parcs et

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réserves, conformément aux dispositions d’une loi spécifique (loi 2002-102 du 11 février 2002) relative aux parcs nationaux et réserves naturelles.

Les orientations de la réforme engagée Pour relever le défi de la conservation, le gouvernement a entrepris une réforme de ce secteur avec pour objectif global de « contribuer, de façon durable, à la préservation et à la valorisation, dans les parcs nationaux et réserves, d’un échantillon représentatif de la diversité biologique nationale ainsi qu’au maintien des processus écologiques ». La nouvelle stratégie, mise en exergue par le Programme-cadre de gestion des aires protégées (PCGAP), constitue une profonde réforme du système de gestion des PNR qui tient compte des acquis antérieurs et qui se base sur quatre principes directeurs, à savoir : • une volonté de concertation élargie à l’ensemble des acteurs (secteur privé, donateurs, administrations partenaires, société civile et populations riveraines) ; • une approche intégrée permettant de développer, dans un cadre stratégique global, une vision d’ensemble de la conservation, cerner les interactions et insérer toutes les interventions spécifiques dans un ensemble cohérent garantissant une valorisation optimale des acquis ; • un souci de pérennité des actions engagées, tout en se basant sur une réforme en profondeur concernant aussi bien les structures, les ressources humaines, les modes d’organisation que la formation des acteurs en vue de mettre en place les bases solides qui permettront à la Côte d’Ivoire d’asseoir sa nouvelle politique de conservation de la nature sur le long terme ; • et une réorientation du rôle de l’État sur ses missions essentielles et régaliennes permettant de tirer parti des compétences de chaque groupe d’acteurs ; cela, en fonction des avantages comparatifs des missions partageables ou transférables à des structures extérieures. Toutefois, du fait des crises successives que le pays a traversées, les acquis enregistrés n’ont pas été à la hauteur des résultats attendus. En dehors du Parc national de Taï qui présente un état de conservation exceptionnel du fait de l’assistance soutenue de la coopération allemande, les autres aires protégées du réseau ont souffert, pendant cette période de crise (2014-2015), de la persistance du braconnage, du commerce illicite du bois et de l’infiltration d’activités agricoles.

La mise en œuvre En application des directives de la réforme de la gestion des aires protégées, l’OIPR s’est engagé dans une démarche de mobilisation des partenaires, de ren-

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forcement de la communication, de développement des outils de gestion et de valorisation du patrimoine afin d’amener les populations à mieux percevoir les retombées de la conservation sur leur bien-être. À cet effet, l’OIPR s’est doté de diverses stratégies spécifiques, notamment la stratégie de valorisation touristique, de surveillance, de gestion des populations infiltrées et de suivi biologique des ressources naturelles. Sur le plan managérial, les lobbyings auprès des partenaires au développement ont permis d’engranger des résultats conséquents, à savoir une assistance de plus en plus marquée de la coopération internationale avec : • le financement, de 2010 à 2014, par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), du projet d’appui à la relance de la conservation des parcs et réserves (PARC-CI) au Parc national de la Comoé, d’un montant de 2,54 millions de dollars US ; • le financement par le FEM, en 2015, du projet de l’amélioration de la gestion des aires protégées de Côte d’Ivoire d’un montant de 4,24 millions de dollars US ; • le financement, pour la période 2013-2015, du projet de conservation des ressources naturelles de Côte d’Ivoire, d’une valeur de 3 000 millions de FCFA, dans le cadre du Contrat de désendettement et développement (C2D) avec l’Agence française de développement ; • le financement en 2010, par le Japon, du programme de préservation des forêts, d’une enveloppe de 750 millions de yens ¥, soit environ 3 500 millions de FCFA ; ce projet a permis l’équipement de l’ensemble des services de l’OIPR en matériel roulant, matériel technique et en matériel de génie civil ; • la signature en 2012, avec la coopération allemande, d’un accord de conversion de dettes de 19 millions d’euros avec la mise à disposition d’un montant de 9,5 millions d’euros pour le financement durable du Parc national de Taï ; • la signature, avec la coopération allemande, en 2013 d’un accord de réduction de dette extérieure de 20 millions d’euros avec la mise à disposition d’un montant de 10 millions d’euros pour le financement durable du Parc national de la Comoé ; • les deux dernières conversions de dettes avec la coopération allemande ont permis la mise en place de fonds d’amortissement de 400 millions de FCFA, et de 300 millions de FCFA par an respectivement au profit du Parc national de Taï et du Parc national de la Comoé, pour la période 20142018 ; • la préparation de projets de valorisation touristique du patrimoine, avec en priorité le Parc national du Banco et la réserve de Dahlia Fleur dans le cadre du partenariat public-privé ; • le développement de partenariat avec la presse, la mise en ligne des activités de conservation (www.oipr.ci) et la diffusion d’émissions éducatives.

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Conclusion et perspectives La nouvelle stratégie de gestion, par l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR), est en voie de faire des parcs nationaux et réserves un maillon essentiel de la stratégie de développement durable de la Côte d’Ivoire. Il convient donc de ne pas oublier que cette perspective heureuse ne sera possible que si, au niveau national, les piliers environnementaux et sociaux du développement durable sont traités sur un pied d’égalité au même titre que le pilier économique. Ceux-ci sont souvent les moteurs invisibles du développement durable, des forêts à l’eau douce (en passant par les espaces protégées qui en constituent l’assise), et devront bénéficier d’un traitement à poids égal, sinon supérieur, dans le développement et la planification économique. Si les programmes à mettre en œuvre pour la conservation de la diversité biologique affichent un coût qui ne leur permet certainement pas de s’inscrire dans les meilleurs schémas de rentabilité économique dans le cour t terme, avons-nous d’autres solutions à la préservation des ressources naturelles au regard de l’actualité sur les changements climatiques et les tendances économiques globales ? Les autorités ivoiriennes en sont pleinement conscientes et doivent continuer d’œuvrer à la protection et la valorisation du patrimoine écologique de la Côte d’Ivoire. L’absence d’investissement dans les écosystèmes naturels génère des coûts et des pertes qui, à terme, compromettent les bénéfices générés par les actions de développement et de réduction de la pauvreté. Il est donc impor tant de se mobiliser, à tous les échelons, afin de faciliter la conservation des parcs nationaux et réserves naturelles, notre patrimoine naturel commun.

BIBLIOGRAPHIE Biotope, 2015, Évaluation de la valeur du Parc national de Taï, 106 p. CRDD, 2012, Les essentiels du développement durable, ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, CGDD 2, Centre de ressources documentaires du développement durable, République française www.crdd.developpement-durable.gouv.fr, février 2012, Paris, France, 18 p. FAO, 2000, Les statistiques forestières mondiales. Lauginie, F., 2007, Conservation de la nature et aires protégées en Côte d’Ivoire, NEI/Hachette et Afrique Nature, 668 p. Loi n° 96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’environnement de la Côte d’Ivoire, disponible auprès de https://www.google.com/?gws_rd=ssl#q=Loi+n%C2%B0+96766+du+3+octobre+ 1996+portant+Code+de+l%27Environnement+, consulté le 10 août 2015.

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Agriculture durable et sécurité alimentaire MINEDD, 2011, Stratégie nationale de développement durable, ministère de l’Environnement et du Développement Durable, décembre 2011, Abidjan, Côte d’Ivoire, 77 p. MINEF, 2001, Programme-cadre de gestion des aires protégées : présentation du programme, CC-PCGAP, 118 p. OIPR, 2008, Gestion des parcs et réserves de Côte d’Ivoire, Office ivoirien des parcs et réserves, document de travail non publié, 2008, Abidjan, Côte d’Ivoire, 21 p. OIPR, 2009, État de conservation des parcs et réserves de Côte d’Ivoire, Office ivoirien des parcs et réserves, document de travail non publié, 2009, Abidjan, Côte d’Ivoire, 16 p. PNUE, 2011, Vers une économie verte : pour un développement durable et une éradication de la pauvreté. Synthèse à l’intention des décideurs, www.unep.org/greeneconomy. consulté le 14 août 2015.


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Retour d’expérience sur la gestion du périmètre des forêts classées de Côte d’Ivoire Mamadou Sangaré Directeur général de la SODEFOR

Introduction La richesse de la forêt ivoirienne, principalement son potentiel en bois d’œuvre, déjà admirée par les compagnies forestières et les administrateurs de l’époque coloniale (Meniaud, Antonetti et Larré, 1922) a été le premier moteur du développement économique en Côte d’Ivoire. Le résultat de son exploitation (malheureusement minière jusqu’à la fin de la décennie 1980) est considéré à l’unanimité des observateurs nationaux et internationaux comme désastreux. Alors que l’État s’efforce d’agir sur le cadre institutionnel, ses efforts sont chaque jour battus en brèche par les évolutions chaque jour plus critiques du contexte et de la problématique de gestion de cette ressource naturelle de haute valeur stratégique pour le pays. Au centre de la tragédie forestière en Côte d’Ivoire depuis un demi-siècle d’existence, la Société de développement des forêts (SODEFOR), engagée dans la gestion durable des forêts avec l’appui des partenaires techniques et financiers, livre son témoignage, un autodiagnostic sans complaisance et à la fois un plaidoyer pour un avenir meilleur du domaine forestier ivoirien et sa préservation pour le bien-être des générations futures. Comment sont nées les forêts classées et quelles sont leurs vocations ? Quelles expériences bilan peut-on faire de la gestion de ces espaces par la SODEFOR ? C’est à cette réflexion que nous invite, avec beaucoup de pertinence, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), au moment où les parties à la Conférence des Nations Unies se préparent activement au grand rendez-vous de Paris Climat 2015.

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C’est avec bonheur et à la fois sens de redevabilité qu’elle s’associe à l’exercice, qui lui permet d’esquisser les acquis et les difficultés de la gestion des forêts classées de Côte d’Ivoire. Elle propose de regarder, dans un premier temps, le modèle de gestion des forêts classées avant la loi de 1965 portant code forestier, puis comment ce modèle a assuré sa mue progressive, sous l’influence des paramètres, pas toujours très heureux, qui ont forgé l’expérience de la SODEFOR avec une inflexion clairement visible à compter de 1992, date emblématique s’il en est, suivie des évolutions institutionnelles qui ont abouti à la nouvelle loi de juillet 2014 portant code forestier.

Historique de la gestion des forêts classées en Côte d’Ivoire La création et la gestion ancienne du domaine forestier classé en Côte d’Ivoire Dès le XIXe siècle, la richesse des ressources forestières (bois précieux, défenses d’éléphants, etc.) a inspiré aux forestiers coloniaux la conscience de préservation et de protection des espaces forestiers. L’histoire nous enseigne que le service forestier de Côte d’Ivoire est créé en 1912. Les premiers actes établirent le principe de taxes sur les concessions et de contrôle des volumes de bois exploités. La nécessité de préserver la forêt ivoirienne est discutée pour la première fois en 1913, avec l’ambition d’établir une zone de forêt permanente représentant 20 à 25 % du territoire (soit 6 à 8 millions ha). Pour cela, l’Administration forestière pouvait s’appuyer sur un décret colonial du 15 octobre 1900 qui autorisait le gouverneur à décider, pour leur préservation, et ce jusqu’à nouvelle décision, de la mise en réserve de portions de forêt déjà exploitées. Les premières réserves forestières ou « forêts domaniales classées » apparaissent en 1925 (avec la réserve de faune du Haut-Sassandra) alors que la colonie enregistre la création de grandes plantations agricoles et l’ouverture d’importants chantiers d’exploitation forestière. Cette évolution a imposé des mesures d’accès contrôlé aux ressources forestières : les forêts domaniales classées sont minutieusement délimitées. À compter de 1944, on indique déjà des superficies pour 13 forêts domaniales totalisant 102 302 hectares dans les cercles d’Abidjan, Dimbokro, Man, Agboville. En 1945, l’on dénombrait 189 massifs forestiers classés sur l’ensemble du territoire. La protection des forêts a donc constitué, dès le départ, une préoccupation de l’Administration coloniale. À partir de 1960, l’Administration forestière ivoi-

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rienne a poursuivi la politique de classement des forêts pour atteindre l’objectif de constitution du domaine forestier permanent. Malheureusement, l’objectif de 20 % de couverture du territoire n’a pu être atteint, en raison de la concomitance des actes de classement avec ceux de déclassement. En effet, de 1960 à 1990, l’Administration a concédé, 28 % des superficies de forêts classées, par déclassement au profit de l’agriculture. En 1965, la loi n° 65-425 du 20 décembre portant code forestier donne une classification des forêts en son article 1er : « Le domaine forestier comprend : les forêts classées, les forêts protégées, les périmètres de protection et les reboisements. » Cette loi confirmait la plupart des dispositions du décret colonial de 1935 sur la gestion des ressources forestières, assortie d’une forte actualisation du cadre institutionnel de mise en œuvre avec trois décrets majeurs : décret portant procédure de classement et déclassement des forêts ; décret portant création de la SODEFOR et décret portant modalités de gestion du domaine forestier de l’État. Le décret n° 78-315 du 15 mars 1978 a entrepris de fixer les modalités de gestion du domaine forestier de l’État, en créant deux sous-domaines : un domaine forestier permanent de l’État et un domaine forestier rural de l’État. Il s’agissait de limiter les déclassements à des programmes développement agricole durable ayant une valeur ajoutée réelle sur l’économie régionale et reconnus et promus de ce fait par l’autorité administrative. Le code foncier rural qui est voté en 1998 et promulgué en 1999, l’une des rares lois adoptées à l’unanimité du Parlement ivoirien, a achevé de clarifier la distinction entre le domaine forestier classé et le domaine foncier rural. Contrairement au développement agricole, la préservation des forêts classées n’est pas clairement apparue aux acteurs du secteur comme relevant des priorités de l’État. Sans doute l’État escomptait-il des performances agricoles respectueuses de l’environnement en inscrivant à plusieurs reprises la forêt comme un sous-secteur de l’Agriculture. Les erreurs d’appréciation ? Le constat a posteriori est que jusqu’à présent l’extension des surfaces cultivées a plus déterminé le niveau des productions que ne l’ont fait les rendements agricoles. De façon plus spécifique, l’extension des surfaces cultivées s’est très largement opérée aux dépens de l’intégrité des forêts. Le front pionnier agricole s’est globalement déplacé d’est en ouest, écumant au passage les forêts classées. Parmi ces dernières, celles qui avaient fait l’objet de vastes reboisements par le passé se sont montrées plus résilientes.

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En dépit des hautes performances de production enregistrées, l’agriculture a évolué sans vision de gestion intégrée et durable des ressources foncières et forestières. Malgré toutes les dispositions législatives et réglementaires, les forêts classées sont devenues des espaces les plus convoités par les populations paysannes qui usent de procédures illégales pour les infiltrer. Pour Koffi (2005), elles sont infiltrées à hauteur de 24 % par des occupations agricoles gérées par des dizaines de milliers de chefs d’exploitation, faisant vivre au moins 229 804 personnes, dont 83 % vivent à l’intérieur même. La première vague de ces infiltrations a eu lieu majoritairement au cours des décennies 1970 et 1980, alors que depuis la fin des années 1970, l’État tente sans succès par la force d’évacuer les paysans infiltrés (Ibo, 2000). Il résulte de cet antagonisme persistant entre développement agricole et conservation de la forêt, un essoufflement inexorable de l’économie forestière. Cette évolution affecte l’économie du sous-secteur tout entier. Les indicateurs globaux sont en effet éminemment mauvais : • le pays compte à ce jour moins de 14 % de couver ture forestière contre 37 % en 1960 ; • les forêts classées sont infiltrées en moyenne sur plus de 50 % de leur superficie par les occupations agricoles ; • alors que la capacité installée cumulée des unités de première transformation du bois est de 3 000 000 m3, la production de grumes n’est plus que de 1 142 000 m3 en 2014. Seules 100 unités fonctionnent sur 146 implantées. Toutes les évaluations sont unanimes sur l’identification des facteurs de dégradation de la situation des ressources forestières : • la persistance du système archaïque de culture itinérante sur brûlis ; • des politiques foncière, agricole et d’immigration trop faibles pour juguler le désordre dans l’accès aux ressources foncières et forestières, et moderniser l’agriculture ; • la concentration du prélèvement industriel de bois sur une gamme d’essences réduite, réduisant le potentiel de régénération naturelle de ces espèces. Comme l’indique l’objectif global du Programme national d’investissement agricole (PNIA 2010-2015), la réhabilitation de la forêt et la relance de la filière bois résument bien les défis majeurs à relever dans le contexte actuel de redressement post-crise. Le cadre institutionnel, organisationnel et juridique de la SODEFOR L’État de Côte d’Ivoire s’est très tôt préoccupé des risques de disparition de son patrimoine forestier. La manifestation la plus emblématique de cette prise

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de conscience a été la création de la SODEFOR, en 1966, pour en faire le principal instrument de la mise en œuvre de sa politique forestière. La SODEFOR a initialement été créée comme société d’État par décret n° 66-422 du 15 septembre 1966, sous la dénomination de Société de développement des plantations forestières, avec pour mission : • d’assurer l’exécution des plans de développement de la production forestière et des industries connexes ; • de créer des plantations forestières dans 16 forêts classées et de compenser ainsi la dégradation rapide des formations ligneuses par le reboisement de 300 000 hectares, à raison de 10 000 hectares par an. Reclassée Établissement public national (EPN) de 1980 à 1992, le nombre de forêts à reboiser par la SODEFOR passe progressivement de 16 à 37 avant que le gouvernement ne lui confie la gestion de l’ensemble des forêts classées du domaine forestier permanent de l’État. Pour lui permettre de s’organiser adéquatement et participer à la mobilisation des ressources nécessaires à l’accomplissement des nouvelles charges qu’il lui a confiées, l’État dote à nouveau la SODEFOR d’un statut de société d’État en 1993, placée sous la double tutelle du ministère en charge des forêts et du ministère chargé du budget. En tant que société d’État, elle est régie par la loi n° 97-519 du 4 septembre 1997 portant définition et organisation des sociétés d’État. Ses missions statutaires sont les suivantes : • gérer et équiper les forêts et terres domaniales qui lui sont confiées par l’Administration aux termes de conventions générales et particulières ; • concevoir et mettre en œuvre les modèles de gestion aptes à permettre l’exécution du plan forestier puis, progressivement, son autofinancement et le financement d’actions de développement régional ; • exécuter ou faire exécuter tous travaux relatifs à l’entretien, l’équipement ou la restauration des domaines forestiers publics et privés ; • contribuer à l’organisation des zones rurales voisines des zones forestières qu’elle gère ; • valoriser son savoir-faire à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. Du point de vue organisationnel, la SODEFOR est dirigée par un conseil d’administration de sept membres qui mandate un directeur général pour sa gestion. La SODEFOR s’est dotée d’une gestion à la fois déconcentrée et décentralisée, avec neuf centres de gestion régionaux implantés à Abidjan, Abengourou, Agboville, Bouaké, Daloa, Gagnoa, Korhogo, Man et San Pedro.

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Les centres de gestion quadrillent l’ensemble du territoire ivoirien grâce à 57 unités de gestion forestières (UGF) placées sous leur responsabilité et qui constituent leurs équipes d’intervention de terrain. C ARTE D’ENSEMBLE DES FORÊTS CLASSÉES ET DES CENTRES DE GESTION SODEFOR

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L’évolution de la politique forestière post PDF 1988-2015 La volonté politique de réhabiliter la forêt ivoirienne transparaît de façon nette dans ce mot du président Félix Houphouët Boigny qui, préfaçant en 1987 le plan directeur forestier (PDF 1988-2015), déclarait : « Si une génération a utilisé la forêt pour assurer le développement économique et social de la Côte d’Ivoire, il appartient aux générations à venir de la reconstituer et la préserver. » La mise en œuvre du PDF 1988-2015 a démarré grâce au programme sectoriel forestier, son plan d’actions d’urgence sur cinq ans. Ce programme, fortement soutenu par les partenaires techniques et financiers (Banque mondiale, BAD, KFW/GTZ, ACDI, etc.), a été en grande partie exécuté par la SODEFOR. En 1992, dans le contexte de pression internationale émanant de la prise de conscience mondiale post-Rio de la nécessité de gérer les forêts de manière durable, le gouvernement, au vu des résultats prometteurs de la SODEFOR, confie à cette agence publique, la gestion de l’ensemble du domaine forestier classé, et la transforme à nouveau en société d’État en février 1993. En 1994, le plan national d’action environnementale (PNAE) estimait à 400 000 ha/an le rythme moyen de disparition de la forêt ombrophile de Côte d’Ivoire depuis l’Indépendance (1960), en raison de la progression du front pionnier agricole vers l’ouest.

Marquée par les effets de la crise sociopolitique qu’a traversée le pays (pillage de la ressource bois d’œuvre dans les forêts classées et leur invasion par des vagues entières de paysans clandestins), la SODEFOR doit faire face à sa mission avec des moyens limités : • des ressources humaines à reconstituer ; • des budgets réduits de moitié par rapport à la période du programme sectoriel forestier ; • des moyens techniques insuffisants : 194 véhicules (soit moins d’un véhicule par forêt), 195 motos (soit moins d’une moto par forêt), quelques engins de génie (2 chargeuses, 2 niveleuses, 2 bulldozers à chenille, 2 compacteurs, etc.).

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Au regard de cette déforestation massive observée et du niveau de dégradation très avancé des forêts résiduelles, le gouvernement a publié par arrêté interministériel au cours de l’année 1994, « la charte pour la réhabilitation du forestier permanent de l’État » qui fut la principale émanation du dialogue social instauré à travers la commission Paysans-Forêt. Cette charte fixe deux grands principes : le principe de non-défrichement des forêts classées et le principe de nondéclassement. • À l’exception de l’expérience funeste du déclassement intervenu en 2004 en forêt classée de l’Anguédédou (aux por tes d’Abidjan, commune de Yopougon), le principe de non-déclassement a finalement été bien tenu par l’Administration forestière, sous le regard vigilant de la SODEFOR. • Quant au principe de non-défrichement, il a été plus difficile d’application, car c’est à ce niveau que s’expriment les contraintes de gestion les plus fortes et pour lesquelles la SODEFOR a toujours remis sa stratégie sur la table et sollicite l’appui de l’État et des partenaires au développement. Nonobstant le niveau d’infiltration élevé des massifs forestiers classés par les défrichements agricoles (estimé aujourd’hui entre 40 et 90 % selon les cas), la quasi-totalité des implantations qui en résultent sont des situations de fait qui tombent sous le coup de la loi. Il s’agit là d’un acquis extrêmement important du point de vue juridique pour l’élaboration de la politique forestière et la

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construction des stratégies de protection des forêts classées mises en œuvre par la SODEFOR. En 1998, dans un contexte de fin du PSF, de réformes législatives et institutionnelles (code foncier rural, code de l’eau, refonte de la recherche agronomique pour former le Centre national de recherche agronomique (CNRA), etc.) et de crise sociopolitique larvée, le gouvernement a procédé à un bilan diagnostic, véritable revue à mi-parcours de la politique forestière. Cet exercice a révélé plusieurs faiblesses et surtout de graves menaces sur l’avenir de la forêt et des ressources forestières. En vue de circonscrire ces menaces et réinscrire le secteur forestier dans une perspective de développement durable avec la participation de toutes les parties prenantes, le gouvernement a émis cinq nouvelles orientations de politique forestière en septembre 1999 : • le transfert de la propriété de l’arbre naturel du domaine foncier rural aux populations paysannes ; • l’ouver ture de la gestion des forêts aux opérateurs privés via des conventions de partenariat ; • la gestion différenciatrice des forêts classées par rapport à leur niveau de dégradation et la mise en œuvre de la contractualisation des occupations agricoles ; • le développement et la valorisation de métiers environnementaux ; • la réorganisation du secteur. La SODEFOR s’est rapidement approprié ces orientations de politique pour proposer des stratégies d’intervention susceptibles de relancer la machine de la gestion durable des forêts. Les initiatives les plus fortes ont été celles relatives à l’instauration de conventions de partenariat pour ouvrir la gestion des forêts classées aux opérateurs privés et celle relative à la mise en œuvre de la contractualisation des occupations agricoles en forêt classée. En dépit des efforts de planification stratégique entrepris par la SODEFOR pour mettre en œuvre les nouvelles orientations de politique forestière relatives aux forêts classées, ces forêts ont payé un lourd tribut à la crise qui a persisté jusqu’en 2011 en raison de l’absence des équipes sur le terrain pendant plus de cinq ans et des vagues d’infiltrations par des populations d’agriculteurs clandestins. En situation post-crise, un vigoureux plan de redressement est mis en œuvre par la SODEFOR afin de réhabiliter les forêts classées qui constituent, avec les parcs nationaux et réserves, la seule perspective forestière viable à court et moyen termes pour la Côte d’Ivoire. Ces mesures de protection et de réhabilitation se poursuivent avec une implication croissante du secteur privé, de la société civile et bientôt des collectivités territoriales.

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À titre d’exemple, le décret n° 78-315 du 15 mars 1978, qui a été des années durant source permanente de conflits entre l’Administration forestière et les populations riveraines qui revendiquaient abusivement le droit de défricher librement les forêts du domaine forestier rural de l’État, a été amendé en 2014 sur proposition de la SODEFOR, mettant ainsi fin à un débat cacophonique dans lequel même l’unanimité des autorités administrative devant les cas pratiques à traiter n’était plus assurée. Aujourd’hui, la SODEFOR peut affirmer sans équivoque la contenance réelle du domaine forestier qui lui est confié en gestion. La SODEFOR met en œuvre une stratégie qui prend appui sur l’aménagement des forêts, moyen privilégié pour maîtriser le contexte biophysique et socio-économique des unités forestières, de discerner les fonctions pertinentes de la forêt et parvenir à la conciliation des intérêts en présence. (Koffi Konan, 1996). La longue crise sociopolitique qu’a traversée le pays de 1999 à 2011 a fortement pesé sur la progression des activités d’aménagement des forêts classées. La SODEFOR réaffûte ses stratégies et en appelle au soutien des partenaires techniques et financiers dans sa lutte pour garder le cap.

La gestion des forêts classées par la SODEFOR depuis la conférence de Rio 1992 La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED, 1992), tenue à Rio de Janeiro au Brésil a donné un relief particulier à la prise de conscience mondiale sur la situation des forêts. En Côte d’Ivoire, cette prise de conscience s’est manifestée par des effor ts d’adaptation des cadres institutionnel, organisationnel et juridique de la gestion des forêts classées. L’expérience de la SODEFOR en matière d’aménagement des forêts Pour la réalisation de sa mission qui s’inscrit résolument dans la mise en œuvre du PDF 1988-2015 de l’État de Côte d’Ivoire et ambitionne de se conformer aux meilleurs standards internationaux de gestion durable des forêts, les stratégies utilisées par la SODEFOR sont centrées sur la mise en œuvre de plans d’aménagement durable élaborés pour chacune des forêts ou groupe de forêts. Pages suivantes : Encadré I : Le bilan de l’aménagement des forêts classées Encadré II : Expériences de cogestion des forêts classées avec les communautés riveraines

Le bilan des commissions Paysans-Forêt établi par la SODEFOR a été un des principaux focus lors du bilan diagnostic de la politique forestière effectué par le gouvernement en 1998. Des principales conclusions et recommandations relati-

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ves à ce volet important de la gestion des forêts, il est ressorti, entre autres, la nécessité de favoriser une participation plus rapprochée des communautés riveraines aux actions de gestion concrète des forêts classées.

La réponse de la SODEFOR à cette recommandation forte a été : • de mettre en place, de façon participative, en accord avec les communautés riveraines, des organes de cogestion de proximité à l’échelle du village ; • d’initier un processus de développement communautaire pour animer ces organes de cogestion.

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Pour une meilleure structuration du milieu en vue de la par ticipation des communautés riveraines aux activités d’aménagement des forêts classées sur leur terroir, des commissions Forêt-Villageoises (CFV) et des comités villageois de surveillance (CVS) ont été mis en place dans chaque UGF. On dénombre à ce jour 89 CFV et 105 CVS installés.

Pour assurer un suivi et une animation efficaces de ce dispositif et parvenir aux résultats escomptés, la SODEFOR a initié, en 2012, un programme de développement communautaire autour des forêts classées.

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Les actions de partenariat avec des organes de cogestion sur le terrain ont permis à la SODEFOR : • d’entreprendre plusieurs actions en forêt pour rechercher et constater les actes délictueux et poursuivre les contrevenants conformément aux dispositions réglementaires ; • de mobiliser la main-d’œuvre nécessaire et organiser efficacement les campagnes annuelles de lutte contre les incendies de forêt ; • d’améliorer sa connaissance de l’environnement humain des forêts ; • de mieux cerner les besoins et préoccupations des communautés riveraines et ainsi de mieux planifier les actions de développement en leur faveur L’expérience d’ouverture de la gestion des forêts aux opérateurs privés du secteur forestier. Après vingt ans de gestion de l’ensemble du domaine forestier classé, la SODEFOR qui a doté plus d’une centaine de forêts de plans d’aménagement, les gère directement par ses centres de gestion et UGF ou sous convention de partenariat avec des opérateurs privés, conformément aux nouvelles orientations de politique forestière recommandées par le gouvernement en 1999. Dans le souci de favoriser les retombées économiques de la gestion forestière pour les populations rurales et les entreprises ivoiriennes, la SODEFOR a opté pour une stratégie de sous-traitance d’une grande par tie des travaux qu’elle exécutait en régie par le passé. En conséquence, et ce en accord avec son projet d’entreprise, elle a ajusté son personnel à la baisse, passant de 1 200 agents en 1992 à 540 agents en 2014. Ce per sonnel comprend 159 agents techniques forestiers de tous échelons. La contribution de la gestion durable des forêts classées à la lutte contre le changement climatique Les forêts et les arbres sont pour l’environnement comme pour la société, une source d’avantages nombreux, parmi lesquels : la conservation de la diversité biologique, le captage et le stockage du carbone, avec comme corollaire l’atténuation des changements climatiques à l’échelle planétaire ; la conservation des sols et de l’eau ; la création d’emplois et des loisirs ; l’amélioration des systèmes de production agricole ; l’amélioration des conditions de vie urbaine et périurbaine ; la protection des patrimoines naturels et culturels.

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20 % les émissions mondiales annuelles de carbone qui proviennent actuellement de la déforestation et de la dégradation des forêts. La feuille de route de Bali (2007) invite les parties à renforcer et soutenir davantage les efforts en cours pour réduire volontairement les émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts, à savoi : • renforcer leurs capacités à estimer, superviser et mesurer les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues à la déforestation et à la dégradation ; • développer la capacité nationale à mettre en place et appliquer des politiques et des mesures destinées à réduire les émissions de GES de nature forestière (stratégie nationale REDD). La nécessité de s’adapter aux effets des changements climatiques est devenue un impératif majeur des pays en voie de développement, qui, sans être les plus pollueurs, subiront cependant le plus les effets des changements climatiques, du fait de la pauvreté de leurs populations. La Côte d’Ivoire est engagée dans le processus des efforts devant conduire à terme à la régulation du climat. À travers la REDD+, ces efforts devraient être rétribués aux pays en voie de développement. Les acteurs de la déforestation sont soit directs, comme le remplacement d’une parcelle de forêt par un champ de culture de rente par exemple, soit indirects à travers l’ouverture d’une route publique ou d’exploitation forestière dans un massif forestier. La Banque mondiale indique que plus d’un milliard de personnes dépendent largement des forêts pour leur subsistance. En Côte d’Ivoire, ce sont plus de 10 millions de personnes qui dépendent ainsi des forêts. Aussi, la SODEFOR est-elle consciente de la nécessité de développer des politiques de sauvegarde, à la suite des partenaires techniques et financiers.

Conclusion La SODEFOR s’inscrit à fond dans la dynamique de préservation des ressources forestières, pour en assurer une gestion durable sous aménagement, en partenariat avec les parties prenantes mobilisées.

La Côte d’Ivoire a ratifié les trois conventions cadres issues de la Conférence de Rio (CNUED, 1992).

Consciente des opportunités financières qu’offre une telle gestion dans le cadre du processus REDD+, elle entend jouer sa partition en tant que maître d’œuvre pour toutes les actions portant sur les forêts classées et leurs périphéries immédiates.

Le rapport STERN (2006) et ses prévisions sur le changement climatique démontrent bien qu’il y a un lien entre forêt, environnement et climat et situe à

Elle plaide constamment pour le relèvement de la place accordée au secteur forestier dans les priorités de l’État ivoirien.

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Elle recherche l’autofinancement par une meilleure valorisation des ressources forestières et de son expertise à l’extérieur et par une rationalisation de son rapport mission/moyens. Elle se dote des moyens d’un système de gouvernance approprié pour mener à bien la tâche stratégique qui lui est confiée par l’État de mettre en œuvre la politique de gestion durable des forêts classées de la République de Côte d’Ivoire, en partenariat avec l’ensemble des acteurs du secteur. Il n’est pas imaginable de vouloir atteindre une gestion durable des forêts pour contribuer au maintien de conditions climatiques bénéfiques à l’homme sur la terre, sans assurer dans le même temps le bien-être des populations locales vivant dans les zones forestières.

La gestion durable des terres en Afrique : défi fiss, enjeux et bonnes pratiques Dr Joseph Ezoua, Spécialiste de programme et Chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire

Bernard Brou,

BIBLIOGRAPHIE Amani Yao C., 2011, « Logiques des infiltrations dans les forêts classées en Côte d’Ivoire », European Journal of Scientific Research, vol.66, n° 1, p. 143-152. Chevalier A., Normand D., 1946, Forêts vierges et bois coloniaux, coll. « Que sais-je ? », Presses universitaires, Paris, 127 p. Ettien Ane J.B., 2012, Projet de développement agricole. Ibo J.G., 1993, « La politique coloniale de protection de la nature en Côte d’Ivoire (19001958) », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 80, n° 298, p. 83-104. Koffi Konan J.C., 1996 (in Le Flamboyant n° 39) : « la gestion durable des forêts classées par la SODEFOR en zone de forêt dense humide forêts denses humides ». Koffi, K.J.M., 2005, Analyse économique de l’aménagement forestier dans une perspective de développement socialement durable en Côte d’Ivoire, thèse pour le doctorat en sciences économiques, Université de Montpellier I. MINESUDD, 2011, Le mécanisme REDD+ et ses enjeux pour la Côte d’Ivoire. Ministère de l’Agriculture et des Ressources animales (MINGRA), 1999, Document technique de travail, République de Côte d’Ivoire. Moloney A. 1887, Sketch of the Forestry of West Africa, Sampson Low, Marston, Searle & Rivinpton, Londres, 533 p. N’Guessan Kouakou Edouard, 2015, Retour d’expérience sur la gestion du périmètre des forêts classées de Côte d’Ivoire. Parren M.P.E., De Graaf N.R., 1995, The quest for natural forest management in Ghana, Côte d’Ivoire and Liberia, Tropenbos, Série 13, Wageningen, Pays-Bas, 199 p. SODEFOR, 2015, Projet de document CPRI dans le cadre du projet d’état des lieux de 90 FC au sud du 8e parallèle.

coordonnateur national du projet d’information environnementale pour le développement de la zone côtière au PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction Les terres, exposées à l’air, au soleil et traversées par l’eau, sont bien qualifiées de nourricières car elles apportent à l’humanité nourriture, matériaux, matières premières et énergies diverses. En permanence en interaction avec les cycles de l’air et de l’eau, elles influencent la nature et les effets de ces éléments, en régulant et filtrant l’eau et en absorbant une partie du carbone de l’atmosphère.

Contexte Au moment où la population mondiale va atteindre 9 milliards d’humains d’ici à 2050, nous devons gérer ces terres pour faire face à nos besoins grandissants en aliments, en énergie et en eau. La simple demande en produits agricoles est appelée à doubler au cours des prochaines décennies et l’on s’attend à ce que 80 % de la population mondiale se transforment en consommateurs d’ici à 2030. Ces chiffres impliquent une demande accrue pour satisfaire les besoins de 2 milliards de personnes en produits et services. Ces chiffres caractérisent l’ampleur de la pression anthropique qui va alors s’exercer sur les terres. La dégradation1 des terres et la désertification affectent près de la moitié de la surface de la planète. Ces phénomènes ont augmenté depuis une soixantaine d’années du fait de la croissance démographique, de pratiques d’exploitation

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des ressources naturelles inadaptées et d’irrégularités climatiques croissantes. La désertification est souvent associée à l’extension des déserts existants, alors qu’elle caractérise le processus de dégradation des terres due aux activités humaines en zones sèches. La dégradation des terres amenuise ou détruit la capacité des terres à produire ; elle a pour causes principales l’agriculture, la foresterie, le pastoralisme. Elle résulte d’activités humaines excessives ou inadaptées (surpâturage, mauvaise gestion des terres, prélèvement excessif de bois de feu) entraînant l’érosion, la perte de fertilité et la salinisation des sols. La baisse de la productivité des sols peut atteindre 50 % dans certaines régions. Les conséquences de la désertification sont multiples sur l’environnement et sur les populations (pauvreté, famine, migrations, conflits). La désertification des terres entraîne les populations rurales, notamment les petites cellules familiales de cultivateurs des pays en développement, dans des spirales de pauvreté : plus leurs besoins augmentent, plus ils surexploitent les ressources naturelles dont ils dépendent pour leurs revenus et leur alimentation, et plus celles-ci s’appauvrissent. La terre est la vraie richesse de l’Afrique subsaharienne (ASS). Ce continent est caractérisé par une très grande diversité d’écosystèmes naturels, qui hébergent des ressources telles que les sols, la végétation, l’eau et la diversité génétique. Ces éléments constituent la principale richesse naturelle de la région. Ils doivent être pérennisés afin que les populations africaines – qui en tirent leur nourriture, l’eau, le bois, les fibres, les produits industriels et les fonctions et services des écosystèmes – puissent continuer à y vivre. Dans le même temps, la terre fournit directement les moyens d’existence à 60 % des personnes, au travers de l’agriculture, de la pêche en eau douce, de la foresterie et d’autres ressources naturelles (FAO, 2004). Mais la surexploitation menace sérieusement les ressources en terre et en eau dans quelques régions, bien que la disponibilité de ces ressources y soit l’une des plus élevées sur terre. C’est la conséquence directe des besoins croissants d’une population en pleine expansion, conjuguée à des pratiques inappropriées de gestion des terres. Ainsi, d’une part, la population de l’Afrique croît de plus de 2 % par an (FAO, 2008), ce qui nécessitera un doublement de la production alimentaire d’ici à 2030 et, d’autre part, la productivité des ressources naturelles est généralement en déclin. De plus, le nombre de catastrophes naturelles a augmenté et les effets du changement climatique commencent à se faire sentir. Il est urgent de trouver un nouveau système de gestion et de gouvernance des terres qui soit en mesure de répondre de manière systématique et intégrée à ce défi crucial de développement. Dans les années à venir, le changement climatique pourrait accentuer l’exposition aux risques de dégradation des terres, d’inondation et de sécheresse à travers l’Afrique, et les agriculteurs auront plus de peine à opérer des changements

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structurels dans leurs systèmes d’exploitation. Un tiers des habitants du continent africain vit déjà dans des régions vulnérables à la sécheresse, ce qui les expose à de graves risques vis-à-vis de l’insécurité alimentaire et de la famine. Dans l’avenir, les épisodes de sécheresse seront plus fréquents, ce qui rendra encore plus aléatoire la production de denrées alimentaires dans les régions arides. D’ici à 2020, le rendement des cultures pourrait diminuer de 50 %. Les écosystèmes et la biodiversité seront menacés. Plus de 4 000 espèces végétales africaines perdront leur principal habitat, ce qui compromettra les modes de subsistance de nombreux Africains qui dépendent des ressources naturelles pour en tirer de la nourriture, du carburant, du fourrage et des médicaments. Une première définition de la gestion durable des terres a été proposée lors du Sommet de la planète des Nations Unies en 1992 : « Utilisation des ressources en terres, notamment des sols, de l’eau, des animaux et des plantes pour produire des biens et satisfaire les besoins humains sans cesse croissants, tout en préservant leur potentiel de production à long terme et leur fonction dans l’environnement. » On était donc bien dans l’idée de répondre aux exigences de la croissance démographique dans une optique de développement durable. Par la suite, en 2005,TerrAfrica a proposé une autre définition : « Adoption de systèmes d’utilisation des terres qui, à travers des pratiques de gestion appropriées, permettent à ses utilisateurs de maximiser les avantages procurés par les terres, tout en préservant ou en renforçant leurs fonctions de soutien écologique. » Ici aussi on retrouve deux des trois piliers du développement durable : l’économie (maximiser les avantages) et l’écologie. La gestion durable des terres (GDT) est basée sur quatre principes généraux : • Partir des besoins des utilisateurs des terres et adopter une approche participative ; • Intégrer l’utilisation des ressources naturelles aux niveaux des écosystèmes et des systèmes d’exploitation ; • Promouvoir un engagement multi-niveaux et multi-acteurs ; • Cibler les politiques et le soutien institutionnel et élaborer des mécanismes d’incitation pour l’adoption de la GDT et la génération de revenus au niveau local. La GDT englobe2 toutes les autres approches établies, comme la protection du sol et des eaux, la gestion des ressources naturelles, la gestion intégrée de l’écosystème. Elle suppose aussi une approche holistique pour parvenir à des écosystèmes productifs et sains, en intégrant les besoins et les valeurs sociaux, économiques, physiques et biologiques.

Enjeux et défis Les quatre principes généraux de la GDT induisent autant de défis : L’approche participative3 est un processus dynamique privilégié permettant l’association active et responsable des populations. Elle s’appuie sur la connais-

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sance et la perception qu’ont les populations de leur milieu et sur l’interaction des différents éléments qui entrent en jeu dans la gestion du terroir. Elle est née du constat d’échec des stratégies d’intervention préconisées par le passé, ainsi que de la volonté assez récente des responsables et gouvernements d’intégrer la dimension « participation des populations » aux politiques de développement rural. Elle vient en appui des actions menées en faveur de la décentralisation des services techniques, des efforts pour un désengagement de l’État et la privatisation des activités de production et de gestion. Basée sur l’instauration d’un dialogue actif entre services techniques et populations et fondée sur le concept de participation et de partenariat, la méthodologie d’approche participative est novatrice à plus d’un titre. Elle a pour objectif principal d’associer étroitement les populations dans la conception et la gestion de toutes les activités de développement de leur milieu et de leur terroir. L’utilisation des ressources naturelles aux niveaux des écosystèmes et des systèmes d’exploitation est satisfaite à condition de connaître les caractéristiques des ressources naturelles des écosystèmes individuels et leurs processus associés (climat, sols, eau, plantes, animaux). Cela suppose un appui technique par un organisme disposant d’une expertise suffisante et de la capacité de surveiller les milieux concernés, d’acquérir les informations et diffuser avec souplesse les savoirs aux acteurs locaux. La promotion d’un engagement multi-niveaux et multi-acteurs permet de privilégier un mode de fonctionnement multi-partenarial permettant de croiser les exper tises pour développer des solutions innovantes mais aussi robustes et durables. Toutefois la réussite d’un tel processus est basée sur la mise en place d’une cellule de coordination et de règles précises car la coopération multiniveaux ne s’autorégule pas, les acteurs n’étant naturellement pas tous sur un pied d’égalité. L’intégration de la GDT dans les processus budgétaire et de planification doit être réalisée à tous les échelons du gouvernement d’une manière qui cible les ressources et les inter ventions, tous secteurs confondus, sur des objectifs concertés de GDT. Ce soutien et le financement afférent seront d’autant plus aisés à concrétiser si la GTD est prise en compte en tant que priorité nationale, car la première source de financement est constituée par le budget national et les investissements nationaux. Toutefois, comme aucune source de financement ne peut suffire seule, il faut cibler une variété de ressources internes et externes, ce qui exige une bonne connaissance des possibilités offertes .par les nombreuses sources, instruments et mécanismes de financement aux niveaux national et international. Il existe maintenant en complément une opportunité à ne pas négliger pour générer des crédits carbone dans les secteurs de l’utilisation des terres, ruraux et agriculture.

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Orientations de politiques Il est capital de sensibiliser les décideurs et les populations aux enjeux de la lutte contre la dégradation des terres et la désertification. Dans cette perspective, l’intégration de la GDT à toutes les stratégies nationales et politiques sectorielles, ainsi qu’aux différents textes de loi, constitue un préalable impératif. Il faut éviter la dispersion des efforts en réagissant spontanément à court terme aux symptômes de la dégradation des terres et préférer une conception efficace de politiques multi-sectorielles privilégiant le long terme et donnant lieu à des politiques innovantes abordant les causes profondes de la dégradation des terres et aboutissant à des solutions gagnantes pour toutes les parties en présence. Un point clé de l’adoption et de la vulgarisation4 de la GDT est d’assurer une véritable collaboration entre les exploitants agricoles et des professionnels, à tous les stades de la mise en œuvre des innovations afin d’intégrer leurs points de vue et d’assurer leur engagement. Dans le même temps, certaines exigences liées à la mise en œuvre de bonnes pratiques GDT peuvent comporter des nuisances ou impliquer des demandes gracieuses, par exemple l’utilisation gratuite de l’eau pour l’irrigation. Mais ce sont ces occasions d’échanger de manière passionnée qui permettront l’élaboration de solutions gagnant-gagnant en amont comme en aval. Compte tenu du défi que pose l’ajustement des bonnes pratiques de GDT aux conditions locales, il est essentiel de fournir un support décisionnel aux utilisateurs locaux des terres et à leurs conseillers, ainsi qu’aux planificateurs et aux décideurs. Ces exigences requièrent des procédures saines qui s’inspirent des savoirs existants et évaluent les critères à tous les niveaux. Le paiement de services environnementaux (PSE) suscite un intérêt croissant, qui présente un fort potentiel pour des acheteurs et vendeurs tant publics que privés en Afrique subsaharienne. Toutefois, c’est une technique qui n’a pas encore été exploitée de façon significative. L’infrastructure internationale du financement carbone a toujours été mal adaptée aux besoins des pays les plus pauvres et les plus faibles du point de vue institutionnel. Certaines initiatives notables utilisant les PSE sont pourtant en cours en Afrique. L’expression d’« accaparement des terres » s’est popularisée en 2008 après la parution du rapport de l’ONG Grain Main basse sur les terres agricoles. Des estimations les plus récentes font état d’investissements internationaux dans l’agriculture des pays en développement à hauteur de 83 millions d’hectares de terres (entre 2000 et 2010), dont 70 % en Afrique5. Cette ruée vers les terres s’explique par quatre raisons : • une crise alimentaire6 ; • une crise financière7 ; • une crise pétrolière8 ; • une opportunité prometteuse du fait des promesses de retour sur investissement dans les pays en voie de développement.

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Pour des millions de petits paysans des pays d’Afrique de l’Ouest, la terre est administrée par le droit coutumier, et la vie rythmée par les traditions sous la houlette des chefs de terre et de village. C’est la taille de la famille qui va décider de la surface confiée au chef de famille dans la logique du droit coutumier. Cette surface correspond à la fois aux besoins en nourriture et à la capacité de la famille à l’exploiter. De ce fait, la terre n’est pas un moyen de spéculation : il est impossible de la vendre ou de la louer et l’accès est ouvert. Son usage est collectif, partagé entre l’agriculteur qui la cultive lors de la saison des pluies, des éleveurs qui y amènent ensuite leurs troupeaux manger les tiges et fumer le sol, et les femmes du village qui récoltent pendant la saison sèche les fruits des arbres. Le paysan fort de son droit qui lui a été dit, est démuni de titre de propriété et c’est bien le problème, car sans titre foncier de la terre qu’ils cultivent depuis des siècles, les paysans doivent purement et simplement évacuer les lieux, le plus souvent sans compensation ni relogement lorsque les investisseurs internationaux ou les hommes d’affaires des villes paient à l’État ou aux chefs coutumiers des baux emphytéotiques donnant droit d’exploiter des terres jusqu’alors villageoises pour mettre en place des cultures souvent destinées à l’exportation. Ces pratiques légales mais scandaleuses du point de vue du respect des droits de l’homme doivent faire l’objet de l’attention de la communauté internationale en portant une attention spéciale à trois catégories de population particulièrement fragiles : • les peuples autochtones ou indigènes qui ont perdu la maîtrise de leurs territoires au profit des États modernes qui les ont peu à peu investis ; • les paysans des pays en développement qui ne bénéficient d’aucune sécurité foncière sur la terre sur laquelle ils vivent de génération en génération ; • les femmes agricultrices qui, dans bien des pays, par ticulièrement en Afrique, cultivent la terre qui n’appartient qu’aux hommes. Les paysans pauvres sont pris en tenaille entre un droit foncier qui exploite les différences entre droit coutumier et droit dit moderne et qui ne sécurise pas l’occupation collective et traditionnelle de la terre, d’une part, et un droit des investissements qui fait la part belle aux investisseurs, d’autre part. C’est cette mâchoire qu’il faut débloquer. Nombreuses sont les pratiques de GDT qui, du fait des investissements à long terme, réclament l’existence d’un régime foncier plus robuste afin de garantir une large adoption. Les politiques foncières doivent parvenir à intégrer efficacement les régimes fonciers traditionnels dans la législation nationale, tandis qu’une capacité accrue des femmes à accéder à la propriété, au sein des systèmes officiels et coutumiers qui les privent souvent des droits nécessaires, leur permettrait de produire un impact notable sur la GDT.

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Dans de nombreux pays, l’enregistrement de titres fonciers a enregistré peu de progrès à cause de la faible capacité de réaliser des levés cadastraux, mais la délivrance officielle de titres de propriété n’est pas le seul moyen d’améliorer les systèmes fonciers. Il existe aujourd’hui de bons modèles de systèmes d’enregistrement foncier qui sont participatifs et très peu onéreux. Il faut trouver des moyens efficaces pour que les régimes de gestion des terres soient pourvus de systèmes de responsabilité et qu’ils protègent les droits fonciers des populations pauvres. À Madagascar, il a été imaginé un certificat foncier qui permet aux paysans d’avoir un titre de propriété peu onéreux sur la foi de photos aériennes. Ce modèle intéresse la Côte d’Ivoire et pourrait être étendu à d’autres pays.

Bonnes pratiques Selon la convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), les bonnes pratiques de GDT se définissent comme « les mesures, méthodes ou activités jugées efficaces au sens où elles permettent d’obtenir des résultats souhaités et les effets escomptés en matière de gestion durable des terres »9. Pour une agriculture durable, il faut de manière générale : encourager les pratiques durables déjà existantes ; développer une agriculture biologique par l’usage des engrais et pesticides naturels ; interdire l’utilisation des pesticides dangereux et à nuisance avérée ; renforcer les capacités des comités locaux de l’eau, des conseils villageois de développement, des organisations de producteurs dans la gestion des différentes ressources : eaux, sols, zones humides, flore et faune. Pour la gestion durable de la ressource eau : réaliser des digues de protection ainsi que des bandes enherbées entre les périmètres et les cours d’eau ; respecter et végétaliser la bande de servitude de 100 mètres de part et d’autre le long des berges ; réaliser des zones enherbées ou zones tampons qui permettent de piéger les pesticides et, dans une moindre mesure, certains polluants issus des engrais ; promouvoir l’intensification de l’agriculture pluviale ; développer et renforcer les mesures de conservation de la ressource eau, les comités de gestion de l’eau, la police de l’eau ; mettre en place un système d’évaluation de la qualité des eaux pour le suivi des eaux. Pour la gestion durable des terres : assurer un suivi et une optimisation de la fertilisation ; faire une sélection des variétés les mieux adaptées ; maintenir une occupation équilibrée de l’espace ; renforcer les pratiques de conservation des sols ; créer des relations de compensation entre l’agriculture et l’élevage : développer une politique de valorisation des résidus d’élevage dans l’agriculture et vice versa, par exemple la production de compost au niveau des abattoirs, etc. ;

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promouvoir les techniques d’assainissement écologique (ECOSAN)10 ; promouvoir l’utilisation de la fumure organique ; renforcer les capacités des producteurs à travers la mise en œuvre du SNVACA (Système national de vulgarisation et d’appui conseil agricole). Pour la protection de l’habitat naturel de la faune et de la flore : sensibiliser les agriculteurs et les différents usagers de ces ressources ; protéger les forêts, les berges des rivières par des zones tampons ainsi que les écosystèmes fragiles comme les terrains marécageux et les parcelles de forêts situées au sein des exploitations agricoles ; fixer définitivement les dunes vives du Sahel ; planter des arbres et herbes rupicoles le long des berges fragiles ou dégradées ; dégager de manière rotative des passages pour l’abreuvement des animaux ; renforcer la gestion des feux en milieu rural par le contrôle des brûlis et des feux coutumiers et une meilleure gestion précoce (sensibilisation des populations).

Conclusion et perspectives La pratique d’une gestion saine de la GDT n’est pas exempte de difficultés. En effet les pesanteurs locales se liguent aux freins de l’administration et à la force des habitudes pour décourager les meilleures bonnes volontés. Il apparaît bien que, si l’on veut permettre une multiplication de ces bonnes pratiques et transformer l’essai en réussissant à généraliser les meilleures réalisations, il faut réussir à assouplir certaines règles de gestion. Il n’y a pas de recette miracle, le choix des pratiques susceptibles de débloquer les situations sera dicté par les contextes locaux.

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NOTES 1. Le stade ultime du processus de dégradation est caractérisé par son caractère irréversible : les sols deviennent alors stériles. On parle de désertification lorsque cette dégradation a lieu dans un environnement climatique à faible pluviosité. Selon l’article 1 de la convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, celle-ci désigne « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». 2. TerrAfrica, Ressources en terre, 2011. 3. FAO, Approche participative, communication et gestion des ressources forestières, 1995. 4. Les services de vulgarisation doivent reposer sur un apprentissage et un renforcement des capacités appropriées. Ces activités doivent impliquer les exploitants agricoles et les communautés sur le terrain et non dépendre uniquement des agents gouvernementaux. L’accès aux crédits et aux projets de financement constitue une aide vitale pour les populations rurales qui prennent des initiatives nouvelles de GDT. Les institutions qui fournissent des conseils, des plans et un suppor t décisionnel aux exploitants agricoles doivent aussi être soutenues financièrement. Le suivi et l’évaluation des pratiques de GDT et de leurs impacts sont indispensables afin de tirer profit de la richesse des connaissances disponibles. Soutien décisionnel – transposition à grande échelle de la GDT. 5. Selon le Oakland Institute. 6. Les pays impor tateurs de denrées alimentaires ont compris l’impor tance de sécuriser leurs approvisionnements alimentaires et préfèrent exploiter eux-mêmes hors de leur territoire plutôt que de dépendre du commerce mondial. 7. Les fonds d’investissement et les banques d’affaires ont dû trouver de nouveaux placements après l’explosion de la bulle immobilière et les crises mondiales qui l’ont suivie. 8. Compte tenu des prix élevés et volatils et des incertitudes sur les marchés pétroliers, de nombreux gouvernements et entreprises ont fait la promotion des agro-carburants, qui consomment de grandes surfaces de terres. 9. Burkina Faso, Stratégie de communication pour la gestion durable des terres, juillet 2012. 10. ECOSAN : Ecological Sanitation.


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Enjeux et défi fiss de la gestion durable des forêts en Côte d’Ivoire Inza Koné enseignant à l’UFR de biosciences de l’Université Félix-Houphouët-Boigny (UFHB) et chercheur associé au Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS)

Introduction À l’instar de bon nombre de pays de l’Afrique subsaharienne, la politique de la conser vation de la nature en Côte d’Ivoire remonte à l’époque coloniale. Depuis l’indépendance politique en 1960, le pays a adopté une série de lois, de décrets et a ratifié la plupar t des conventions internationales relatives à la conservation de la diversité biologique. Dans ce même lapse de temps et en parallèle plusieurs institutions étatiques ont été créées avec des missions spécifiques liées à la gestion d’un important réseau d’aires protégées. Cependant, malgré ces mesures, qui reflètent une cer taine volonté politique pour la conservation de la nature, plus de cinquante ans après l’indépendance du pays, la situation est alarmante. En effet, la Côte d’Ivoire est l’un des pays tropicaux qui a enregistré les taux de déforestation les plus élevés. Depuis 1960, le pays a perdu environ 67 % de son couvert forestier originel. Les effets de la déforestation et de la chasse illégale de la faune dans le pays sont dévastateurs. Les populations animales se raréfient dans la plupart des parcs nationaux et réserves forestières, avec de nombreuses espèces proches de l’extinction ou même extirpées de certaines régions. Si les énormes pressions humaines sur ses ressources naturelles sont liées à la croissance de la population et la pauvreté, la situation chaotique décrite plus haut révèle l’inefficacité des politiques de conservation dans le pays. Ainsi, une série d’ajustements de ces politiques est encouragée incluant notamment la responsabilisation et l’autonomisation des communautés locales pour la conservation de la nature. Le cas du projet de conser vation de la forêt des Marais Tanoé-Ehy (FMTE) est considéré comme étant une expérience pionnière prometteuse. La FMTE abrite un certain nombre d’espèces de primates rares, très

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menacées et se trouve être une forêt à haute valeur pour la conservation, qui n’a reçu d’attention qu’il y a peu de temps (Gonedélé Bi et al., 2008). L’habitat de la faune sauvage est menacé par des modes d’utilisation des terres de façon peu durables. Ceux-ci comprennent les vastes plantations de palmiers à huile, l’abattage des arbres à la tronçonneuse et le braconnage des singes pour leur viande par des communautés locales souvent sans alternatives.

Définition de la cause commune (région géographique, intérêt…), des ressources à mobiliser et des critères d’inclusion Le site du projet est situé dans l’angle sud-est de la Côte d’Ivoire et est englobé dans la par tie est du point chaud (hotspot) de la biodiversité de la Haute Guinée. Dans la zone du projet, le fleuve Tanoé représente une frontière naturelle entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. Les neuf villages de la zone du projet sont dans les sous-préfectures de Noé et Nouamou. En 2012-2013, des comités de gestion, baptisés associations villageoises pour la conservation et le développement (AVCD), ont été formés dans huit villages différents. Ces AVCD regroupent toutes les parties prenantes à l’échelle du village, à savoir les associations de jeunes, les associations des femmes, les cadres et la notabilité. Seul un village très enclavé est resté, pour l’instant, relativement en marge de ce processus. Dans chacun des deux districts, une association inter-villageoise pour la gestion (AIVG) regroupant les représentants des AVCD, a été créée. La dernière étape de l’organisation communautaire pyramidale consistera à établir une « association fédérale » regroupant les représentants des deux AIVG. Ces institutions locales reçoivent des soutiens techniques et financiers du CSRS et ses partenaires pour la planification et la mise en œuvre de leurs activités.

La mise en place de structures légitimes et reconnues En octobre 2009, une commission nationale de classement de la FMTE en réserve naturelle volontaire (RNV) a été créée par un arrêté du ministère en charge de l’environnement. Cette commission nationale présidée par le préfet de Tiapoum (chef-lieu) regroupe, outre le corps préfectoral, des représentants du ministère en charge de l’environnement, des représentants d’ONG de conservation actives dans la région, le CSRS, et enfin des représentants des villages concernés. La mission de ce comité est de rassembler tous les éléments constitutifs du dossier de demande de classement en stimulant et en supervisant les actions requises. Ainsi, un atelier a été organisé pour permettre aux communautés de définir le schéma organisationnel approprié et élaborer des règles de gestion des ressources de la FMTE. Ensuite, une délimitation participative provisoire de la forêt a été faite avec les représentants des villages riverains. Plus tard, une enquête de commodo et incommodo a permis de confirmer que les riverains, dans une large majorité, sont favorables ou, au moins, n’ont rien contre le projet de classement de la zone délimitée.

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Toutes les AVCD et les deux AIVG ont été créées en assemblées générales en respectant les exigences et les procédures de l’administration nationale. Leurs statuts et règlements intérieurs ont été enregistrés officiellement par les autorités gouvernementales compétentes. Les mêmes procédures seront suivies pour la mise en place de l ‘« association fédérale » qui deviendra, à terme, l’interlocuteur officiel du gouvernement.

Le développement de mécanismes institutionnels de prise de décision Les rôles et le fonctionnement des institutions locales de gestion établies ont été définis comme suit :

• les AVCD de chaque village constituent la base de la pyramide organisationnelle ; elles sont chargées de la mise en œuvre du plan d’action élaboré par les deux AIVG pour la gestion de la forêt ; elles identifient les activités de gestion à soumettre pour approbation à leur AIVG et sont également chargées de la conception et la mise en œuvre du plan de développement du village ; elles sont dirigées par un président élu pour trois ans qui est entouré par un bureau de huit personnes ; les décisions de routine sont prises par ce bureau tandis que les décisions exceptionnelles sont prises en assemblées générales ; • les deux AIVG coordonnent les programmes de travail des AVCD ; elles élaborent des lignes directrices pour la gestion de la forêt, consolident les plans de développement du village et sont également chargées de la collecte de fonds ; elles sont dirigées chacune par un président élu parmi les membres des bureaux des AVCD pour trois ans ; le président de chaque AIVG est lui-même entouré par un bureau de huit membres ; comme dans le cas des AVCD, les décisions de routine sont prises par ce bureau tandis que les décisions exceptionnelles sont prises en assemblées générales ;

• l’association fédérale sera le gestionnaire officiel de la FMTE au nom des villages de la zone du projet ; en tant que tel, elle élaborera des lignes directrices générales pour la conservation de la forêt ; elle mobilisera des fonds pour les AIVG, signera éventuellement des contrats avec un tiers pour une cogestion de la forêt ; elle supervisera, en outre, la conception et la mise en œuvre des plans de développement locaux et collaborera avec l’administration nationale, les ONG, etc.

La rétrocession de la responsabilité et des droits aux propriétaires terriens La base de la notion de conservation communautaire est la responsabilisation et l’autonomisation des communautés pour la gestion à long terme de leur

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patrimoine naturel. Ceci est en contraste avec les approches classiques de conservation, y compris des approches dites de gestion participative. Dans le cas de la gestion communautaire de la FMTE, les communautés ont déjà une légitimité reconnue et seront déclarées à terme comme propriétaires et gestionnaires officiels de la FMTE. Elles bénéficient de l’encadrement des experts du CSRS et du ministère en charge de l’environnement pour maîtriser les principaux aspects de la gestion d’une aire protégée : surveillance, sensibilisation, mobilisation et gestion des fonds, appui au développement local, suivi écologique, suivi et évaluation… Des visites d’échanges sont organisées avec des organisations communautaires basées au Ghana voisin et des actions conjointes de sensibilisation et de surveillance sont organisées notamment pour combattre les cas d’agressions transfrontalières de part et d’autre du fleuve Tanoé. Les plans d’opérations annuels sont élaborés par les AIVG et les AVCD.

Les dispositions pour la durabilité de l’action La conception du projet est basée sur la responsabilisation des communautés locales et la participation des agences gouvernementales et non-gouvernementales ainsi que le soutien de partenaires internationaux. Comme indiqué plus haut, le projet accorde une attention particulière à l’organisation des communautés. Ceci est accompagné par le renforcement des capacités pour la conservation de la forêt et les activités de développement dans un processus d’apprentissage mutuel, afin de rendre les communautés indépendantes dans la conception et la réalisation de ces activités. Le projet se concentre également sur la sensibilisation des communautés à comprendre clairement et adopter le concept de développement durable. Le financement futur du projet sera assuré par le renforcement du partenariat de plus en plus courant pour la conservation de la FMTE et l’exploration du potentiel des mécanismes de paiement des services écosystémiques. Un effort particulier sera fait pour que les partenaires traditionnels du projet maintiennent ou augmentent leur contribution annuelle et d’autres organismes nationaux et internationaux seront invités à rejoindre le partenariat pour la gestion intégrée de la FMTE. Des sources d’autofinancements (écotourisme notamment) pourraient être envisageables pour la durabilité du financement du projet.

Conclusion Le projet de gestion communautaire de la FMTE est de plus en plus reconnu comme un modèle du genre en Afrique subsaharienne. À l’initiative de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN/PAPACO), ce modèle a été largement présenté au cours du VIe Congrès mondial des parcs qui s’est tenu à Sydney en Australie du 12 au 19 novembre 2014 parmi 22 autres exemples de succès en matière de conservation en Afrique. Par ailleurs, il a fait l’objet d’une publication sur le site web de l’initiative Panorama de l’UICN (http://panorama.solutions/content/community-empowerment-conservationcritically-endangered-primates). Ce modèle qui constitue une expérience pion-

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nière en Côte d’Ivoire permet, entre autres, de réconcilier les exigences de la conservation avec celles du développement local. Son impact en matière de conservation de la diversité biologique est déjà remarquable et peut se résumer par I) la baisse de la pression du braconnage comme en témoigne la raréfaction constatée de la viande de gibier dans la zone du projet, II) la diminution de la fréquence des abattages illégaux d’arbres qui ne surviennent plus que dans des zones très éloignées de tout village ou campement ivoirien, III) la destruction évitée de 12 000 hectares de forêt en zone humide par les agro-industriels et les exploitants forestiers et IV) les indices de prospérité de la faune sauvage tels que la recolonisation des zones périphériques de la FMTE par des primates et des ongulés. La replicabilité du projet réside dans la simplicité de son approche basée sur le partage d’information et le renforcement des capacités dans un processus d’apprentissage mutuel. Les ingrédients du succès de cette initiative qui devraient favoriser sa duplication en Côte d’Ivoire et en Afrique sont les suivants :

• la recherche scientifique stimule l’action et vice-versa dans un processus itératif ; • les valeurs et connaissances traditionnelles sont prises en compte dans le choix des options stratégiques ; • le projet fait preuve de patience et de flexibilité dans la fixation des objectifs ; • le projet diversifie les sources de financement de sor te à garantir la mobilisation d’un minimum de fonds chaque année pour maintenir les activités de base ; • la législation ivoirienne, en particulier la loi de 2002 relative à la création, le financement et la gestion des aires protégées et le code forestier de 2014.

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VI Gestion et accès aux ressources en eau


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Enjeux et opportunités de la gestion intégrée des ressources en eaux pour un développement durable en Côte d’Ivoire Mathieu Babaud Darret Ministre des Eaux et Forêts de Côte d’Ivoire

Contexte Source de vie et de biodiversité, la ressource en eau est un bien mondial et sa préservation constitue l’un des principaux défis environnementaux du XXIe siècle, d’autant plus que cette ressource est déjà sous pression et particulièrement vulnérable au changement climatique (AFD, 2014). Dans un tel contexte, la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE1) apparaît comme une nécessité pour toute activité de développement économique et social mais aussi pour notre avenir (FME, 20152), car les défis auxquels est confronté un nombre croissant de pays du continent sont de plus en plus liés à l’eau et à son utilisation. La question de la gestion de l’eau a été réaffirmée en 2002, tout autant au Sommet mondial sur le développement durable qui s’est tenu à Johannesburg organisé par les Nations Unies, qu’en 2012, à la Conférence de Rio+20 sur le développement durable ou encore, dernièrement, en 2015, au 7e Forum mondial de l’eau à Daegu-Gyeongbuk, en Corée du Sud, sur l’eau pour notre avenir. Il est évident que le secteur de l’eau se retrouve au cœur des enjeux du développement durable et nous n’avons d’autre choix que d’apprendre à gérer plus durablement cette ressource (JME, 20153). Conformément aux objectifs mondiaux de développement durable, les gouvernements africains, les partenaires et acteurs du secteur de l’eau tels que le Par tenariat mondial de l’eau (GWP), le Par tenariat ouest-africain de l’eau (GWP/AO), le Conseil des ministres africains chargés de l’eau (AMCOW), le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le Water Integrity Network (WIN), l’UN-Water ou le Programme hydrologique international (PHI) de l’UNESCO se sont engagés à appuyer toutes les actions visant le

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développement intégré du continent, notamment la mise en œuvre d’une stratégie pour une meilleure gestion des ressources en eau en lien avec la sécurité alimentaire, la garantie d’une production hydroélectrique satisfaisante et l’adaptation aux changements climatiques, etc. La Conférence ouest-africaine sur la gestion intégrée des ressources en eau (COA-GIRE) qui s’est tenue, en 1998 à Ouagadougou (Burkina Faso), a marqué un tournant dans les approches de la gestion de l’eau au niveau régional (MINEF, 2003). À cette occasion, les pays membres de la CEDEAO ont pris l’engagement de conduire dans chaque pays un processus GIRE, devant permettre de disposer et de mettre en œuvre un Plan national d’action et de gestion intégrée des ressources en eau (PAGIRE). En Côte d’Ivoire, la réforme du secteur de l’eau a démarré en 1996 avec la création du Haut-Commissariat à l’hydraulique (HCH)4. Cette réforme s’est notamment engagée avec l’appui du Département des Nations Unies pour les affaires économiques et sociales (ONU/DAES) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), à travers le projet IVC/97/008 : Appui préliminaire à la GIRE. Ce projet a permis la promulgation et la diffusion de la loi n° 98-755 du 23 décembre 1998 portant Code de l’eau, puis l’élaboration d’un système d’information géographique sur les ressources en eau du fleuve Bandama en 1999, pour aboutir, enfin, à la validation des documents de politique et de stratégies en matière de GIRE et de promotion du programme national d’hydraulique. La Côte d’Ivoire a longtemps fait figure de pionnière en matière de GIRE en Afrique de l’Ouest, avec une réforme fondée sur la gestion intégrée et indépendante (non liée aux utilisations) des ressources en eau, afin de faire jouer à cette ressource, son rôle éminemment important dans le développement durable du pays (MINEF, 2003). Malheureusement, la dissolution du HCH en 2000, suite à la crise politico-militaire, n’a pas permis la mise en œuvre des réformes telle que souhaitée au départ. À la suite du HCH, c’est le ministère des Eaux et Forêts (MINEF) qui, de par ses attributions en matière de gestion et de protection des ressources en eau et conformément à la loi portant Code de l’eau, est devenu l’autorité chargée de l’eau en Côte d’Ivoire (MINEF, 2003). En 2006, pour assurer la promotion de la GIRE, le Partenariat national de l’eau de Côte d’Ivoire (PNECI) a été institué. Outre le PNECI, plusieurs institutions coopèrent dans la gestion de l’eau en Côte d’Ivoire, notamment le Conseil des ministres africains chargés de l’eau (AMCOW), le Water Integrity Network (WIN) ou le Programme hydrologique international (PHI) de l’UNESCO, etc. Le ministère que je dirige, non seulement poursuit les réformes relatives à la GIRE mais s’emploie aussi à mettre en place un environnement politique, législatif, réglementaire, financier propice ainsi que des outils de gestion participative et de gouvernance (observatoire des ressources en eau, création de portail

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web de l’eau) inclusifs pour une utilisation rationnelle des ressources en eau. Cette ambition est fondamentale en vue du développement agricole, industriel et socio-économique pour une Côte d’Ivoire émergente à l’horizon 2020 (MINEF, 2010, 2012 ; BNETD, 2014 a, b).

État des lieux des ressources en eau La Côte d’Ivoire est bien arrosée (1 000 à 2 500 mm/an) et dispose d’importantes réserves en eau de surface et souterraines favorisant de nombreuses zones humides. Le réseau hydrographique comprend quatre (4) principaux bassins versants (Cavally, Sassandra, Bandama et Comoé) et de petits bassins côtiers (Tabou, San-Pedro, Niouniourou, Boubo, Agnéby, Mé et Bia) ainsi que des affluents de grands cours d’eau transfrontaliers (Niger, Volta Noire) (Kouamé, 2011). Sept de ces bassins sont transfrontaliers et deux seulement disposent d’organismes de bassin spécialisés : ABN, Autorité du bassin du Niger et ABV, Autorité du bassin de la Volta (Goula, 2010). Les eaux souterraines, quant à elles, irradient l’ensemble du territoire, avec des conditions variables de stockage et d’accessibilité dans les principales formations géologiques que sont le socle granito-migmatitique et volcano-sédimentaire métamorphisé et le bassin sédimentaire couvrant respectivement 97,5 % et 2,5 % du territoire. La Côte d’Ivoire, comme la plupart des pays de la région, subit les conséquences des changements climatiques dont la première manifestation observable est la baisse de la pluviométrie amplifiée dans les écoulements de surface et dans la recharge des nappes. On a ainsi constaté dans certains bassins qu’une baisse de la pluviométrie de 10 % suffisait à provoquer une baisse des écoulements superficiels de 30 %, ce qui est considérable (Goula, 2006).

La problématique de la gestion intégrée des ressources en eau Les difficultés rencontrées dans le secteur de l’eau en Côte d’Ivoire sont d’ordre juridique institutionnel, financier, environnemental et social. Ces difficultés ont été exacerbées par la crise que le pays a connue dix années durant. Au plan juridique, la loi n° 98-755 du 23 décembre 1998 portant Code de l’eau constitue l’instrument juridique de référence pour assurer la gestion et la valorisation des ressources en eau. Ce code définit les mécanismes de gestion intégrée des ressources en eau, consacre la notion et la définition du domaine hydraulique, renforce la législation nationale sur l’environnement et le cadre institutionnel du domaine de l’eau, institue la gestion par bassin-versant hydrologique et met un accent particulier sur la planification et la coopération en matière de gestion des ressources en eau (JICA, 2001).

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Les organismes de gestion des bassins prévus par le cadre institutionnel n’ont toujours pas vu le jour et l’absence de ces institutions engendre une gestion par secteur d’activité pourtant contraire aux principes de gestion intégrée. Les politiques sectorielles mises en œuvre ont fait apparaître des difficultés de gestion et des conflits d’usages, à divers niveaux, dans le secteur de l’eau. En effet, les usages des ressources en eau relèvent d’activités différentes, qui obéissent chacune à leur logique et peuvent devenir conflictuelles sans une politique de l’eau adéquate (Coulibaly, 2011).

de difficulté de mobilisation des ressources financières et de leur allocation judicieuse, de l’utilisation anarchique des ressources en eau, de la maîtrise insuffisante de la pollution, de l’émergence de conflits entre usagers et de la dégradation continue des ressources en eau liées à des facteurs climatiques et anthropiques.

La prise de décrets d’application du Code de l’eau n’a pas encore connu d’avancée notable au niveau du gouvernement depuis leur validation en atelier en 2010. C’est donc dans la gouvernance du secteur de l’eau que résident les causes profondes de la crise de l’eau. À l’heure actuelle, la mauvaise gouvernance découle de l’insuffisance de la mise en œuvre du cadre institutionnel et cela nourrit les inégalités en matière d’accès au service et à la gestion de la ressource.

L’eau est un patrimoine national commun. La ressource en eau doit être préservée, protégée et exploitée de façon à satisfaire les besoins actuels, sans compromettre ceux des futures générations. Pour mieux encadrer la gestion de l’eau en Côte d’Ivoire, une vision nationale à l’horizon 2040 a été formulée comme suit : « une Côte d’Ivoire où les ressources en eau sont utilisées et gérées de manière équitable et viable pour le développement socio-économique et la coopération sous-régionale, dans un environnement de développement durable où chaque personne a accès à l’eau saine pour tous les usages et à un assainissement adéquat. »

La Côte d’Ivoire, comme la plupart des pays en développement, fait appel aux appuis extérieurs pour soutenir sa politique d’investissement dans le secteur de l’eau. Le poids élevé de la dette est resté pendant longtemps un handicap majeur pour la réalisation des investissements étatiques dans les infrastructures afin de suivre le rythme de croissance des besoins de la population et permettre aux couches défavorisées l’accès aux ser vices de base (MINEF, 2003). Aujourd’hui, le budget mis à la disposition du ministère des Eaux et Forêts pour poursuivre le processus GIRE demeure très faible et ne lui permet pas de remplir efficacement cette mission.

Les enjeux de la GIRE en Côte d’Ivoire

Le principal enjeu de la gestion de l’eau, c’est de conduire chaque secteur d’activité, chaque individu à s’engager résolument pour une mise en œuvre réussie de la GIRE, le pilier sur lequel repose la politique nationale de l’eau (MINEF, 2010). Cette politique s’articule autour de treize (13) axes stratégiques et s’appuie sur les enjeux du développement durable, à savoir l’équité sociale, l’efficience économique et la durabilité écologique.

L’équité sociale Sur le plan environnemental, les menaces qui pèsent sur les ressources en eau sont de natures diverses. Les rejets d’eaux usées domestiques et industrielles dans le milieu naturel sans traitement efficient et le transport des déchets solides par les réseaux de drainage dégradent la qualité des eaux. Les effets perceptibles sont l’eutrophisation des eaux de surface et la recrudescence des maladies liées à l’eau. Cette pollution rend onéreux le traitement de ces eaux pour la consommation. Le changement climatique et la modification des états de surface ainsi que l’érosion hydrique des sols entraînent un amenuisement de la recharge des aquifères et un faible niveau de stockage des retenues sur l’ensemble du pays (Goula et al., 2006 ; Kouamé, 2011). Sur le plan social, la participation effective des populations, surtout celles du monde rural, à l’exploitation des ouvrages et aménagements hydrauliques a été amoindrie à cause du contexte socio-économique difficile que le pays a connu sur la période 2004-2011 (Jourda, 2011).

Le droit à l’eau est un droit humain fondamental. Pour répondre aux aspirations légitimes de la population ivoirienne, l’un des impératifs est l’approvisionnement en eau en quantité suffisante et accessible à tous les usagers, selon des normes de qualité et de surcroît, à un coût abordable. Aussi, l’un des axes stratégiques de la politique nationale de l’eau vise à adopter et à appliquer les réformes juridiques et réglementaires de la GIRE (MINEF, 2010). Ceci passe par l’accélération de la mise en place d’un cadre de concertation de tous les acteurs (organisations non gouvernementales, partenaires techniques et financiers, collectivités) à tous les échelons, afin d’assurer la gestion, la protection, la restauration et la mise en valeur de cette ressource vitale, déterminante pour les populations et pour notre avenir commun. L’implication des usagers, des planificateurs, des décideurs en vue du développement des ressources en eau, de la valorisation de l’égalité et de l’équité, du genre ainsi que de la promotion des valeurs culturelles et spirituelles relatives à l’eau constitue l’un des grands défis de la GIRE en Côte d’Ivoire.

En somme, la problématique de la gestion durable de l’eau en Côte d’Ivoire se pose en termes de non-opérationnalisation du cadre institutionnel de la GIRE,

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L’efficience économique La ressource en eau est reconnue comme un bien économique. En effet, le développement de la plupart des secteurs d’activités socio-économiques (agriculture, pèche, hydroélectricité, etc.) est tributaire des ressources en eau. C’est pourquoi sa gestion exige une approche globale qui concilie le développement socio-économique et la protection des ressources naturelles (Gangbazo, 2004). À cet effet, le processus GIRE, qui implique une gestion consensuelle et participative des ressources en eau entre plusieurs parties prenantes, ayant des intérêts divergents, parfois concurrentiels (Coulibaly, 2011), doit contribuer à la durabilité de l’économie ivoirienne. Il faut alors mettre en place des mécanismes de financement innovants (Kouadio, 2011) tels que le Fonds de gestion des ressources en eau, des aménagements et ouvrages hydrauliques (article 105 de la loi n° 98-755 du 23 décembre 1998 portant Code de l’eau) et des outils de régulation de l’accès aux ressources (JICA, 2001 ; MINEF, 2012 b).

La durabilité écologique Le secteur de l’eau occupe une place impor tante dans le développement durable de la Côte d’Ivoire. La volonté de progrès reflétée dans le Programme national de développement (PND 2016-2020), pour l’émergence du pays à l’horizon 2020, nécessite de ne pas compromettre l’avenir. Pour ce faire, il faut garantir non seulement l’exploitation optimale des ressources en eau, mais aussi préserver les équilibres écologiques. Il importe alors de définir des objectifs de qualité et quantité pour chaque bassin hydrologique et de mettre en œuvre des stratégies d’assainissement et des mesures de protection des ressources. Les études en cours sur la lagune Aghien, par exemple, visent à définir des mécanismes de protection des ressources en eau (périmètres de protection, mesures écocitoyennes, interdictions de certaines activités dans les environs de la lagune, etc.) en application du décret n° 2013-440 du 13 juin 2013 déterminant le régime juridique des périmètres de protection des ressources en eau et des aménagements et ouvrages hydrauliques. De nombreux principes admis par la politique de l’eau en Côte d’Ivoire s’apparentent à ceux dits de précaution, de prévention, de correction, de participation, d’usager-payeur, de pollueur-payeur, de planification et de coopération et se doivent, par conséquent, d’être appliqués pour protéger les ressources et assurer la durabilité écologique.

Les opportunités et orientations de politiques Ces orientations sont fondamentales et le ministère que je dirige s’efforce de promouvoir une gestion rationnelle, mobilisatrice et équilibrée fondée sur l’adoption d’outils juridiques contraignants, des priorités de renforcement des capacités nationales et des mécanismes de financement innovants et durables.

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L’adoption d’outils juridiques contraignants au niveau sous-régional et international La mise en œuvre du processus GIRE en Côte d’Ivoire a commencé depuis plus d’une dizaine d’années par de nombreuses initiatives sous-régionales et internationales. Celles-ci ont été accompagnées par des engagements politiques forts et l’adoption d’outils juridiques contraignants : • les projets de directives sur la GIRE de la CEDEAO, en cours d’adoption, visent à atteindre les objectifs de gestion participative, à mettre en œuvre des mécanismes de financements innovants ; • la charte de l’eau de l’Autorité du bassin du Niger (ABN), en cours de ratification, oblige les neuf États membres signataires à une vision partagée dans le développement des ressources en eau en plus d’une coopération sous-régionale renforcée en matière de gestion de l’eau et de développement d’ouvrages structurants ; • la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) et le futur accord universel et contraignant pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique, impulsant/accélérant la transition vers des sociétés et économies résilientes, sobres en carbone.5

Le renforcement du cadre juridique et institutionnel Depuis 2012, de nombreuses initiatives d’État laissent entrevoir la construction d’un environnement juridico-institutionnel propice à une mise en œuvre opérationnelle de la GIRE. Cet axe d’intervention permet de renforcer les bases juridiques (encadré) des actions futures à mener, poursuivant l’adoption de tous les décrets d’application du Code de l’eau (encadré page suivante). Au niveau du cadre institutionnel, c’est la direction de la gestion et de la protection des ressources en eau, du ministère des Eaux et Forêts, qui est chargée de la mise en œuvre du Code de l’eau. Cependant, certains impératifs s’imposent à elle par la création, notamment, de l’Agence nationale de gestion intégrée des ressources en eau (ANAGIRE) et la mise en place graduelle de trois organismes de gestion des bassins suivants notamment : 1) l’agence de bassin Sassandra-Cavally ; 2) l’agence de bassin Bandama-Boubo ; et 3) l’agence de bassin Comoé-Bia-Tanoé. Grâce aux initiatives menées par la CEDEAO, le processus de création des organismes de gestion des bassins Comoé-Tanoé-Bia et Sassandra-Cavally est bien avancé et cela pourrait se concrétiser dans les années à venir. En plus de ces organes de concertation et d’exécution, des organes consultatifs devront être mis en place (Jourda, 2011). Il s’agit du : • Comité national de l’eau et de l’assainissement (CNEA), composé de représentants de tous les partenaires et constituant un organe consultatif

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du ministère des Eaux et Forêts, en ce qui concerne les orientations stratégiques et la mise en œuvre de la GIRE ; • Comité interministériel de l’eau et de l’assainissement (CIEA), composé des différents ministères exerçant des compétences dans le secteur de l’eau, qui devrait examiner les programmes ayant des implications multiples ; • Comité local de l’eau et de l’assainissement (CLEA), composé des représentants au niveau des sous-bassins (départements, sous-préfectures, communes, villages), qui devront participer activement à la planification des activités au niveau de ces sous bassins.

financières nécessaires à la mise en œuvre d’activités liées à la connaissance des ressources en eau, des aménagements et ouvrages hydrauliques, de la réalisation des infrastructures aux fins d’améliorer leur protection et leur gestion. En effet, par faute de moyens financiers, les ressources en eau n’ont pas été évaluées, protégées et gérées de manière durable. La création de ce fonds permettra d’assurer la rémunération des activités et conventions de prestations de service conclues avec les maîtres d’œuvre ou consultants pour la gestion intégrée des ressources en eau, le développement, l’entretien et l’exploitation des aménagements et ouvrages hydrauliques (Kouadio, 2011 ; BNETD, 2014 a, b). À travers les redevances, le fonds permettra à terme de mobiliser des ressources financières propres au domaine de l’eau, afin de développer efficacement et durablement le secteur. Il sera d’un appui essentiel à la politique de gestion intégrée des ressources en eau et renforcera l’autonomie financière des structures en charge de la mise en œuvre de cette politique, notamment l’Agence nationale de gestion intégrée des ressources en eau (ANAGIRE) de Côte d’Ivoire.

Le financement et la mise en œuvre du PLANGIRE Le financement du Plan d’actions GIRE (PLANGIRE) permettra de proposer des actions concrètes en vue de contribuer à mettre en œuvre les orientations stratégiques de la Politique nationale de l’eau, notamment en matière de gouvernance de l’eau dans les domaines de l’environnement (législatif, réglementaire, économique) favorable, de la réforme du cadre institutionnel et de la mise en place d’outils et d’instruments de gestion. En prélude au 6 e Forum mondial de l’eau tenu à Marseille en 2012, une consolidation des projets et programmes intersectoriels a permis d’évaluer les besoins en investissement à hauteur de 2,5 milliards de dollars US (MINEF, 2012 a).

La création du fonds de gestion des ressources en eau, aménagements et ouvrages hydrauliques Il convient de noter que si les appuis financiers extérieurs restent encore indispensables au développement du secteur de l’eau, ils ne doivent pas constituer la base du financement unique de ce secteur au point que celui-ci se trouve paralysé dès que ceux-ci font défaut. L’article 105 du Code de l’eau a créé le Fonds de gestion des ressources en eau, aménagements et ouvrages hydrauliques pour mobiliser les ressources

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Par la suite, le PLANGIRE (MINEF, 2012 b) a identifié 41 fiches d’action abordant les axes relatifs à l’environnement habilitant, au rôle institutionnel et aux instruments de gestion en matière de GIRE en Côte d’Ivoire. Au nombre de ces fiches figurent les fiches d’action 9.4 et 12.2 relatives aux changements climatiques (tableau page suivante). Fiches d’action Activités à mener

Conclusion Malgré les efforts engagés dans la mise en œuvre de l’approche GIRE en Côte d’Ivoire, beaucoup reste à faire. En effet, les structures issues de divers départements ministériels opérant dans le secteur de l’eau ont des missions sectorielles différentes et il impor te de renforcer les cadres de collaboration entre ces

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• la mise en place de l’Obser vatoire des ressources en eau de Côte d’Ivoire et d’un mécanisme de financement de la GIRE ; • le renforcement des capacités des techniciens en vue de développer des outils de gestion (SIG, modèles hydrologiques et d’allocation) pour l’ensemble des bassins du pays. La mise en œuvre de la GIRE en Côte d’Ivoire connaîtra des avancées majeures et tangibles avec l’application du nouveau cadre institutionnel prévu par le Code de l’eau notamment : (I) une autorité chargée de l’eau qui assure les fonctions régaliennes de l’État en matière de gestion des ressources en eau ; (II) des organismes d’exécution ; (III) des organes de concertation et de coordination ; (IV) un fonds national de gestion intégrée des ressources en eau. La politique de promotion des investissements et de développement des infrastructures s’attache résolument à améliorer les capacités nationales de gestion des équipements, à accroître les partenariats publics privés et à mobiliser des financements à la hauteur des ambitions du pays.

BIBLIOGRAPHIE

structures et les autres acteurs du système (structures gouvernementales, gestionnaires, opérateurs privés, société civile et usagers, etc.). C’est pourquoi le ministère des Eaux et Forêts travaille sans relâche pour : • l’adoption des décrets d’application du Code de l’eau et leur mise en œuvre en liaison avec les autres départements ministériels, notamment ceux en charge des infrastructures économiques, de l’environnement, de l’agriculture, de la santé, des ressources animales et halieutiques, de l’industrie et des mines ; • la mise en place d’un réseau national de collecte d’échange de données et d’informations sur les ressources en eau ; • l’inventaire des ressources en eau, des aménagements et ouvrages hydrauliques ;

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Développement durable en Afrique Kouamé K.F. (2011), Influences de la variabilité climatique et de la dégradation environnementale sur le fonctionnement de l’hydrosystème du N’zo dans la région guinéenne humide et semi-montagneuse de la Côte d’Ivoire, Contribution de la télédétection, des systèmes d’informations géographiques et du modèle hydrologique Hydrotel, thèse d’État ès sciences naturelles, université de Cocody, 381 p. Loi 98-755 du 23 décembre 1998 portant Code de l’eau. MINEF-Ministère des eaux et forêts (2003), Gestion intégrée des ressources en eau : bilan et perspectives, publication MINEF, Abidjan, 68 p. MINEF-Ministère des Eaux et Forêts (2010). Politique nationale de l’eau de Côte d’Ivoire, rapport final, mai 2010. MINEF-Ministère des Eaux et Forêts (2012 a), État des lieux des ressources en eau en Côte d’Ivoire et perspectives de gestion, rapport-pays pour le 6e Forum mondial de l’eau, Abidjan. MINEF-Ministère des Eaux et Forêts (2012 b), Plan d’action national de gestion intégrée des ressources en eau (PLANGIRE) de la Côte d’Ivoire, rapport final.

La professionnalisation de la gestion de l’eau potable en milieu rural Patrick Achi Ministre des Infrastructures économiques de la Côte d’Ivoire

NOTES 1.L’approche GIRE a été formulée pour la première fois, lors de la Conférence internationale sur l’eau et le développement à Dublin en 1992 (cf. Principes de Dublin). La GIRE est « un processus qui promeut la gestion et le développement coordonné de l’eau, du territoire et des ressources associées de manière à optimiser le bien-être économique et social en veillant à la satisfaction des besoins essentiels, d’une façon équitable, sans compromettre la durabilité des écosystèmes vitaux » (GWP, 2000). La mise en œuvre opérationnelle du processus GIRE constitue l’un des moteurs du développement durable et pourrait contribuer à réduire les inégalités en matière d’accès à la ressource en eau. Il est à souligner que le thème de la Journée mondiale de l’eau (JME), tenue le 22 mars 2015, était l’eau et le développement durable. Ce thème a permis de mettre en lumière le rôle des ressources en eau dans le programme de développement durable que les États sont en train de définir pour l’après- 2015. 2. FME (2015), De l’eau pour notre avenir, 7e Forum mondial de l’eau, 12 au 17 avril 2015, à Daegu-Gyeongbuk en Corée du Sud. 3. JME (2015). L’eau et le développement durable, tel était le thème de la Journée mondiale de l’eau (JME), tenue le 22 mars 2015. L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 22 décembre 1992 la résolution A/RES/47/193 qui déclara le 22 mars de chaque année Journée mondiale de l’eau, à compter de l’année 1993, conformément aux recommandations de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED). 4.Le HCH avait pour mission de : (I) élaborer un projet de loi portant Code de l’eau et des textes subséquents ; (II) concevoir et mettre en place des organes institutionnels de gestion intégrée des ressources en eau ; (III) élaborer un projet de politique financière du secteur de l’eau ; (IV) formuler un plan d’action à court, moyen et long terme en matière de gestion des ressources en eau. 5. http://www.cop21.gouv.fr/fr/cop21-cmp11/enjeux-de-la-cop21

Introduction Dans le cadre de la politique d’équipement des villages en eau potable, l’État de Côte d’Ivoire, à travers la Direction de l’hydraulique humaine, dont les attributions ont été transférées à l’Office national de l’eau potable (ONEP), a entrepris la construction de forages équipés de pompes à motricité humaine (PMH) dont l’ensemble constitue l’hydraulique villageoise (HV), ainsi que la réalisation de systèmes d’hydraulique villageoise améliorée (HVA). Ainsi, environ 23 000 points d’eau équipés de PMH et 272 systèmes HVA ont été réalisés. À la faveur du Programme de restructuration de l’hydraulique villageoise, un dispositif de maintenance et de gestion a été mis en place, basé sur le village et s’appuyant sur un réseau d’artisans réparateurs (AR) et de magasins de distribution de pièces de rechange. Au terme de ce vaste programme, la gestion de ces infrastructures hydrauliques a été finalement confiée aux villages à partir de 1989, avec de bons résultats enregistrés dans les premières années. La crise sociopolitique qui a vu la réduction substantielle du pouvoir d’achat des communautés villageoises a eu un impact négatif sur la gestion du patrimoine d’hydraulique rurale. L’une des conséquences a été une aggravation des difficultés d’accès à l’eau potable en milieu rural et la recrudescence des maladies hydriques (choléra, ulcère de Buruli, vers de Guinée). Avec l’avènement des collectivités territoriales (conseil régional et district), il est apparu nécessaire de procéder à une nouvelle orientation de la politique d’entretien et de maintenance de ces ouvrages. Après plusieurs concertations nationales (ateliers et états généraux de l’eau potable), il a été décidé de passer à une professionnalisation de l’exploitation et de la gestion des ouvrages d’hydraulique rurale. Cette politique nouvelle a constitué un axe prioritaire pour le développement humain durable en Côte d’Ivoire.

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L’Office national de l’eau potable : une structure opérationnelle de mise en œuvre Institué par décret n° 2006-274 du 23 août 2006, l’Office national de l’eau potable (ONEP) est une société d’État régie par la loi n° 97-519 du 4 septembre 1997, au capital de 150 millions de FCFA et soumis aux actes uniformes de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). L’ONEP a pour objet d’apporter à l’État et aux collectivités décentralisées son assistance en vue d’assurer l’accès à l’eau potable à l’ensemble de la population ainsi que la gestion du patrimoine public et privé de l’État dans le secteur de l’eau potable. L’ONEP est placé sous la tutelle administrative du ministère des Infrastructures économiques. Il est érigé en société d’État par décret n° 92-940 du 23 décembre 1992 et dès lors est régi par la loi n° 97-519 du 4 septembre 1997 portant définition et organisation des sociétés d’État.

Les défis et enjeux Le sous-secteur de l’hydraulique villageoise a toujours été une préoccupation majeure du gouvernement qui y a investi, depuis 1970, d’importants moyens financiers, de l’ordre de 120 milliards de FCFA pour l’amélioration des conditions de vie des populations en matière d’eau potable dans le milieu rural. Cependant, la mauvaise gestion des ouvrages par certaines populations et la non-mise en œuvre d’une politique pérenne de maintenance desdits ouvrages ont rendu insuffisantes et parfois inefficaces les importantes actions de l’État.

La nature des problèmes rencontrés Au niveau de l’hydraulique villageoise

L’ONEP a pour principales missions : 1. la planification de l’offre et de la demande en matière d’eau potable ; 2. la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’œuvre des investissements pour la réalisation, l’extension, le renforcement et le renouvellement des infrastructures d’alimentation en eau potable ; 3. la gestion des actifs et des immobilisations de l’État et des collectivités territoriales relatifs au patrimoine de l’hydraulique humaine, en assurant le suivi de l’utilisation par les gestionnaires délégués qui en disposent ; 4. la conception, l’établissement, le contrôle et le suivi des différents contrats de délégation des services ; 5. la gestion comptable et financière des investissements dans le secteur de l’eau potable ; 6. la gestion des loyers résultant de la location ou de la mise à disposition du patrimoine public ou privé de l’État dans le secteur, notamment par leur perception, leur comptabilisation et leur affectation ; 7. le contrôle, la protection et la surveillance des ressources en eau susceptibles de servir à la production d’eau potable ; 8. l’émission d’avis sur les concessions ou les autorisations d’exploitation et sur les textes réglementaires en matière d’eau ; 9. la soumission de toute proposition à l’État et aux collectivités territoriales pour recommandation, pour chaque opérateur du niveau de tarif qui garantisse l’équilibre financier du secteur ; 10. le suivi du respect de la réglementation et des conventions passées par les opérateurs du secteur de l’eau potable. L’ONEP est animé par des hommes et des femmes de très grande expérience dans le secteur de l’eau potable et de la gestion des services publics et s’attache à promouvoir une politique nationale ambitieuse.

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Les problèmes suivants ont été identifiés : • la vétusté de nombreuses pompes à motricité humaine entraînant des pannes récurrentes de celles-ci ; • le manque de mobilisation sociale (information-éducation-communication) dans la mise en œuvre de certains projets d’hydraulique rurale ; • le manque de suivi post-projet des ouvrages et des comités de gestion des points d’eau mis en place lors de l’exécution de certains projets d’hydraulique rurale ; • des comités de gestion des points d’eau non opérationnels dans certaines localités ; • l’utilisation récurrente des puits traditionnels et des marigots par certaines populations bénéficiaires d’ouvrages d’hydraulique rurale ; • l’existence de nombreuses localités non encore pourvues en ouvrages d’hydraulique rurale ; • le manque de financement dans le secteur de l’eau, surtout en milieu rural.. Au niveau de l’hydraulique villageoise améliorée : • la qualité technique non conforme au niveau de la réalisation de certains systèmes HVA (se départissent du contrôle de l’ONEP) ; • l’absence d’un mécanisme de financement et de promotion des systèmes HVA qui se traduit par : I) un recouvrement insuffisant des frais d’exploitation ; II) une tarification inadéquate de l’eau fournie par les systèmes HVA ; III) un manque de financement pour initier les études de faisabilité préalables à tout programme de financement extérieur ; IV) la non-implication des femmes dans le processus de réalisation et d’exploitation des systèmes HVA alors qu’elles assurent près de 90 % de la corvée d’eau.

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Les impacts de cette situation De façon générale, les conséquences qui découlent du manque d’eau potable sont les suivantes : – En termes de niveau de service d’eau potable, ce sont plus de 50 % des personnes vivant en milieu rural qui vont subir des perturbations sévères au niveau de l’approvisionnement en eau potable. Cette situation priverait d’eau potable près de 5,4 millions de personnes en milieu rural. – En termes de maladies liées à l’eau, le retour aux sources traditionnelles non protégées, donc insalubres (puits, marigots, mares, etc.), occasionnerait une situation catastrophique à travers la recrudescence des maladies mortelles liées à l’eau, notamment la diarrhée, le choléra, l’onchocercose, la bilharziose, le ver de Guinée, l’ulcère de Burili, etc. On peut citer comme exemple les récentes épidémies de choléra survenues en 2012 à Yopougon, à Adiaké et Aboisso puis, fin 2014 et début janvier 2015, dans la localité de Tabléguikou (zone de Divo) et certaines localités de Grand-Lahou.

Les orientations de politique

les PMH obsolètes dans les localités et de réaliser de nouveaux forages équipés de PMH dans les autres localités dépourvues de points d’eau potable. À cet effet, il faudrait : • Procéder à un diagnostic du sous-secteur hydraulique villageoise Un inventaire exhaustif de l’ensemble du patrimoine qui s’étendra à tout le milieu rural permettra d’inventorier le type et l’âge des équipements, d’enregistrer les points d’eau opérationnels, d’indiquer le nombre exact de pompes en panne et de prévoir le remplacement des pompes devenues obsolètes ainsi que les besoins actuels en nouveaux points d’eau. Le coût global de cette opération est estimé à environ trois cents millions (300 millions) de FCFA. • Redynamiser les artisans réparateurs et les CGPE À ce niveau les artisans réparateurs recevront des formations pour être plus performants afin d’effectuer des réparations durables. Ils seront aussi pourvus de caisses à outils complètes et de motos afin d’être suffisamment équipés pour la réparation de tout type de panne. Les CGPE quant à elles seront sensibilisées à la bonne gestion des ouvrages. Le coût global de cette opération est estimé 160 millions de FCFA. • Réhabiliter ou rénover toutes les pompes en panne

Face à ces difficultés, il nous est donc apparu judicieux de préconiser des solutions plus durables et inclusives. Plusieurs défis majeurs sont à relever afin de favoriser l’accès à l’eau potable des communautés en milieu rural pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Le premier défi est de promouvoir un cadre institutionnel cohérent et novateur. En effet, après trois (3) décennies de mise en œuvre du Programme national de l’hydraulique humaine (PNHH) lancé en 1973, les acquis dudit programme ont été remis en cause par les crises politiques successives ayant engendré un manque de suivi post-programme qui a accentué la détérioration des infrastructures d’eau potable. Des mesures importantes ont été prises en 2015 mais il apparaît nécessaire avant 2017 de mettre en place un cadre de concertation de tous les acteurs intervenant dans le secteur de l’hydraulique villageoise pour conduire les réformes nécessaires. Si ce premier défi n’est pas relevé, le secteur de l’hydraulique humaine, surtout en milieu rural, serait confronté à des conflits de compétence entre les principaux acteurs. Cette situation verrait le blocage du processus de décentralisation et la perte de confiance des partenaires au développement. Cette perte de confiance engendrerait la non-acquisition des facilités financières (facilité africaine de l’eau de la Banque africaine de développement et la facilité de l’eau de l’Union européenne) dont a bénéficié la Côte d’Ivoire depuis les indépendances. Par contre, si la Côte d’Ivoire relève ce premier défi en réussissant une promotion efficiente du nouveau cadre institutionnel, alors le second défi serait d’initier et de mettre en œuvre des programmes de remplacement de toutes

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Les ouvrages en panne seront soit réhabilités soit rénovés. La rénovation concernera les ouvrages en panne dont l’âge est supérieur à 25 ans ou les ouvrages dont le coût de réhabilitation est supérieur ou avoisine le coût de rénovation. Les autres types d’ouvrages en panne seront réhabilités. Le coût de cette opération est estimé à 1,5 milliard de FCFA. • Mettre en place un réseau de magasins de stockage de pièce de rechange Il s’agira de mettre à la disposition des DTH des magasins de pièces de rechange qui les vendront ensuite à bas prix aux artisans réparateurs. Les revenus de ces ventes permettront de renouveler les stocks. Le coût d’investissement est estimé à 250 millions de FCFA. En effet, malgré les acquis du PNHH, des insuffisances en infrastructures d’eau potable persistent encore dans presque toutes les régions de Côte d’Ivoire. Ce sont ainsi environ 5,4 millions de personnes de ces localités sur l’ensemble du territoire national qui sont dépourvues de systèmes d’alimentation en eau potable, notamment en hydraulique villageoise (HV). Environ 7 000 localités ou centres de peuplement de 100 à 1 000 habitants restent à équiper de forages et de pompes à motricité humaine. Le dernier et troisième défi, pour une durée de deux ans, serait de mettre en place une politique nationale d’entretien et de maintenance, de façon pérenne, des ouvrages d’hydraulique rurale afin d’assurer la continuité du service d’eau dans les différentes localités. Cette politique doit être fondée sur la professionnalisation de la gestion des points d’eau qui consiste à confier l’ensemble des points d’eau d’une zone géographique donnée à un opérateur éco-

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nomique, ou basée sur la redynamisation et le suivi périodique des comités de gestion des points d’eau de chaque localité. Cette dernière politique doit prendre en compte le renforcement des capacités des acteurs, notamment les artisans réparateurs. Par ailleurs, l’entretien et la maintenance des points d’eau devenant de plus en plus un souci qui retient l’attention de tous, on pourrait envisager d’instituer un Fonds de soutien à l’hydraulique rurale (FSHR), dans le but de circonscrire les cas de crises ou catastrophes naturelles : épidémie, incendie, inondation, etc. La normalisation de cette politique, le rétablissement et le maintien de la continuité de service d’eau potable contribueraient au redéploiement du personnel administratif et à réduire les tensions sociales dans les localités. Le principe de la prise en charge technique et financière des points d’eau par les bénéficiaires, en plus des dispositifs mis en place, est conditionné par un processus de transformation et de prise de conscience progressive des usagers à travers la formation et l’animation. L’ONEP en partenariat avec les conseils généraux, la cellule de coordination de la Coopération Côte d’Ivoire, l’Union européenne, l’UNICEF et des organisations non gouvernementales ont effectué des analyses et concertations sur la professionnalisation.

Quelques obstacles ou difficultés rencontrés Toutefois, dans la mise en œuvre de la politique professionnalisation de l’exploitation et de la gestion des ouvrages d’hydraulique rurale, l’ensemble des partenaires a noté : • la faible présence d’opérateurs économiques dans le secteur ; • un bon nombre d’opérateurs (AR) évoluent dans l’informel ; • la faible capacité des opérateurs à produire des offres de qualité ; • l’absence de textes juridiques régissant les autorités villageoises ; • le retard dans la phase d’information des communautés sur le contenu des contrats ; • les réserves de certaines collectivités territoriales à appliquer la politique dans leurs circonscriptions.

conclusions et perspectives Pour l’approvisionnement et la gestion en eau potable des communautés en milieu rural, l’État ivoirien a favorisé la mise en œuvre de plusieurs programmes d’équipement en infrastructures d’hydraulique humaine.

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Aujourd’hui, avec la professionnalisation, l’État vise la continuité du service d’eau pour une meilleure accessibilité des populations rurales à l’eau potable. Cependant, cette volonté du gouvernement ne peut se traduire en acte si des réformes structurelles ne sont pas engagées, notamment la mise en œuvre des stratégies et actions identifiées dans le Programme national de développement (PND). C’est pourquoi, l’implication de toutes les autorités aussi bien politiques qu’administratives pour cette mise en œuvre s’avère nécessaire. Aussi, faudrait-il envisager l’élaboration et l’adoption d’une stratégie nationale de maintenance et de gestion des ouvrages en milieu rural dont le coût de mise en œuvre s’élève en moyenne à 2,3 milliards de FCFA par an sur la période 2015-2020.


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Gestion durable de l’eau et partenariat national en Côte d’Ivoire N’Dri Koffi Président du Partenariat national de l’eau de Côte d’Ivoire (PNECI)

Introduction Les changements climatiques ont des effets majeurs sur l’environnement, plus particulièrement sur la qualité et la disponibilité des ressources hydriques. Leurs répercussions sont considérables. Au moment où tous les regards sont tournés vers Paris où se tiendra la COP 21 à la fin de cette année, il est bon qu’un point soit fait sur l’état des ressources en eau en Côte d’Ivoire, la gouvernance de l’eau et les réformes en vue dans ce secteur.

L’état des lieux des ressources en eau et de sa gestion L’état des lieux des ressources en eau en Côte d’Ivoire indique que le pays dispose d’un important potentiel en la matière. Cependant, à cause de sa forte demande pour les activités de tout genre, ce potentiel est au double niveau quantitatif et qualitatif. Un cadre de gestion a toujours été défini par les autorités du pays mais ce cadre est resté longtemps très sectoriel et non intégré. Ce qui rend difficile la protection efficace de la ressource qui a un caractère transversal. Aujourd’hui, une nouvelle vision est adoptée par les autorités ivoiriennes dans laquelle s’inscrit la politique nationale de l’eau et qui met l’accent sur la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Pour atteindre ses objectifs, la GIRE doit être soutenue par un cadre institutionnel et financier approprié et efficace.

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Les ressources en eaux de surface Le réseau hydrographique de la Côte d’Ivoire comprend quatre principaux bassins auxquels s’ajoutent de petits fleuves côtiers. Ces cours d’eau sont permanents mais les débits connaissent de fortes variations saisonnières liées au climat.

Les ressources souterraines Les eaux souterraines sont utilisées en priorité pour l’alimentation en eau des populations dans le cadre des programmes d’hydraulique urbaine, villageoise et villageoise améliorée. Les principaux ouvrages sont constitués par des forages à motricité humaine dans le milieu rural ou équipé de pompe immergée pour des besoins plus importants en milieux urbains et pour les industries.

Les problèmes liés à la gestion des ressources en eau

Trois (3) des quatre (4) principaux cours d’eau que compte la Côte d’Ivoire sont en partage avec les pays voisins (Comoé, Sassandra, Cavally). Il n’existe pas de lacs particulièrement remarquables en Côte d’Ivoire.Toutes les grandes surfaces de stockage des eaux à l’intérieur des terres sont des réservoirs créés artificiellement. Entre le continent et la mer se forme un ensemble de système lagunaire favorisé par les caractéristiques de la topographie de la Côte d’Ivoire qui possède un littoral d’environ 550 km de long. Les lagunes sont les éléments les plus caractéristiques du littoral ivoirien (certaines douces, la plupart saumâtres). La superficie totale des lagunes est approximativement de 1 200 km? avec plus de 1 500 km de rivage. L’eau est source de vie et facteur de croissance et de développement pour l’humanité. En effet, le développement de la quasi-totalité des secteurs de l’économie nationale est tributaire des ressources en eau. Cependant, les ressources en eau apparaissent comme étant victimes de leur trop grande utilité socioculturelle, économique, politique. Leur quantité et qualité sont sérieusement menacées par les activités anthropiques. Cela suppose logiquement que la vie humaine et le bien social sont de ce fait aussi menacés. C’est donc dans l’optique de la sauvegarde des ressources en eau que la Côte d’Ivoire, à l’image de nombreux pays, s’est dotée d’une politique nationale de l’eau. L’objectif étant de définir les grandes orientations à adopter par les acteurs pour une gestion intégrée et durable des ressources en eau en Côte d’Ivoire (GIRE).

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De nombreux problèmes liés à la gestion et à la protection des ressources en eau sont observés à tous les niveaux : politique, exploitation directe ou indirecte. Ainsi, on constate les faits suivants : • on note une insuffisance des ressources en eau pour la consommation. La saturation, la vétusté, l’inadéquation des ouvrages de production d’eau de consommation et de la qualité de l’eau, s’ajoutent au mauvais état des ouvrages d’approvisionnement et les problèmes d’extension de réseau par faute de mécanisme financier d’appui ; • les plans d’eau ont toujours constitué le réceptacle des déchets industriels et ménagers. Il s’ensuit une pollution de ces eaux et donc une destruction des ressources halieutiques, une baisse de la pêcherie et des risques sanitaires pour la population ; • on note un bouleversement du régime hydrologique naturel des cours d’eau, lié à la diminution des précipitations et aux changements climatiques. Ceci a un impact sur les patrimoines naturels et culturels (eau sacrée…) ; • le transport fluvial et lagunaire est fortement perturbé par la prolifération des végétaux aquatiques et les autres formes de pollution. Pour une ville telle qu’Abidjan, le transport lagunaire est un complément important du transport routier ; • la protection des ressources en eau est insuffisamment prise en compte dans les programmes d’éducation ; • la question de l’eau est insuffisamment prise en compte dans certaines politiques sectorielles, notamment dans l’industrie et le transport. Le caractère sectoriel et non intégré des solutions appliquées pour résoudre ces problèmes donne des résultats mitigés, souvent inefficaces quant à la protection globale des ressources en eau. Les activités socio-économiques en rapport avec l’eau ont été essentiellement orientées vers la satisfaction des besoins de manière sectorielle. C’est pour pallier ce problème que fut créé, en 1996, le Haut-Commissariat à l’hydraulique (HCH) avec pour mission de permettre à la Côte d’Ivoire de se doter d’outils institutionnels, réglementaires, financiers et techniques pour une

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gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Ainsi, avec l’appui des partenaires techniques et financiers tels que le Département des Nations Unies pour les affaires économiques et sociales (ONU/DAES) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) fut votée la loi n° 98-755 du 23 décembre 1998 portant Code de l’eau et élaboré le document de politique et de stratégies en matière de GIRE, le programme national hydraulique et, depuis mai 2010, la politique nationale de l’eau. L’élaboration du document de politique nationale de l’eau est l’aboutissement d’un long processus engagé depuis 2001 par le ministère des Eaux et Forêts, à travers la Direction des ressources en eau. Période pendant laquelle les résultats suivants ont été également obtenus : (1) la définition du plan directeur de GIRE et (2) du programme d’appui à la GIRE, (3) élaboration de 15 décrets d’application du Code de l’eau, et (4) la formulation d’une vision nationale de l’eau. Malgré tous ces efforts, il reste la question cruciale de la définition d’un mécanisme de financement durable de la GIRE.

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La gestion intégrée des ressources en eau est donc un processus systématique pour le développement durable, l’attribution et le suivi de l’utilisation des ressources en eau dans le contexte des objectifs sociaux, économiques et environnementaux. Elle diffère de l’approche sectorielle qui s’applique dans de nombreux pays. La politique de l’eau en Côte d’Ivoire est désormais basée sur les principes admis dans la gestion intégrée des ressources en eau inscrits dans la loi n° 98-755 du 23 décembre 1998 portant Code de l’eau. Elle s’inspire aussi des principes de gestion de l’eau développés au niveau international, notamment dans les textes de conventions signées ou ratifiées par la Côte d’Ivoire. Au total, dix (10) principes sont adoptés dans le cadre de la GIRE en Côte d’Ivoire.

Les perspectives d’une gestion durable des ressources en eau en Côte d’Ivoire Les priorités de la GIRE La gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est un processus participatif et coordonné qui consiste à concilier les différentes utilisations et fonctions physiologiques, sociales, culturelles, environnementales, économiques et spirituelles de l’eau pour assurer une gestion durable de la ressource disponible. Les nombreuses utilisations des ressources en eau sont interdépendantes. À titre d’exemple, de fortes demandes en irrigation et des flots de drainage fortement pollués signifient moins d’eau douce pour la boisson ou pour l’utilisation industrielle ; les eaux usées municipales et industrielles contaminées polluent les fleuves et menacent les écosystèmes ; si on doit laisser de l’eau dans un fleuve pour protéger la pêche et les écosystèmes, on pourra en prélever moins pour la production agricole. L’utilisation non régulée des ressources en eau rares est un gâchis et en soi non durable.

Les grandes orientations de la politique nationale de l’eau Sur la base des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) relatifs à l’eau et l’assainissement, la Côte d’Ivoire s’est fixé de grandes orientations pour sa politique nationale de l’eau. Ces orientations tiennent compte non seulement des insuffisances du système actuel de gestion des ressources en eau mais surtout des objectifs de réduction de la pauvreté. Elles s’appuient donc sur les principes essentiels régissant la répartition et l’exploitation de l’eau par des mesures réglementaires appropriées et appellent à un changement de mentalité et de comportement à tous les niveaux. Les autorités ivoiriennes se sont fixé treize (13) orientations stratégiques dans le cadre de la GIRE.

La GIRE signifie que toutes les différentes utilisations des ressources en eau sont prises en compte ensemble. Les attributions et les décisions de gestion de l’eau prennent en compte les effets de chaque utilisation sur les autres. Elles sont en mesure de tenir compte des objectifs sociaux et économiques globaux, y compris la réalisation du développement durable. En effet, différents groupes d’utilisateurs (paysans, communautés, écologistes…) peuvent influencer les stratégies de gestion et de mise en valeur des ressources en eau. Cela apporte des avantages additionnels, car les utilisateurs avisés appliquent une autorégulation locale par rapport aux questions telles que la conservation de l’eau et la protection des bassins bien plus efficacement qu’une réglementation et une surveillance centralisées.

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La mise en œuvre de la politique nationale de l’eau de Côte d’Ivoire nécessite de définir, pour chaque secteur, les objectifs et les stratégies sectorielles s’y afférant.

Le Partenariat national de l’eau de Côte d’Ivoire (PNECI) Le Partenariat national de l’eau de Côte d’Ivoire (PNECI) a joué et continue de tenir un rôle important dans le processus de développement des plans GIRE de la Côte d’Ivoire dans le cadre de l’accompagnement de l’État. Créé en janvier 2006, le PNECI a pour missions : • participer à la mise en œuvre des politiques et des stratégies sur les aspects transsectoriels de l’eau ; • mener des actions de sensibilisation sur la GIRE ; • développer des alliances entre différentes organisations (gouvernementales et non gouvernementales) pour la GIRE ; • appuyer les innovations sur les questions transsectorielles ; • capitaliser et vulgariser les bonnes pratiques ; • répertorier et rendre disponibles les différentes compétences du secteur de l’eau et de l’assainissement ; • faire des plaidoyers auprès des structures de l’État pour la prise en compte des opinions des différents acteurs de l’eau ; • offrir à tous les acteurs un espace de dialogue, de partage et de concertation sur les préoccupations majeures du secteur. De façon pratique le PNECI a eu à organiser : • des actions de plaidoyer, de lobbying et de recherche de financement auprès des ministères, des partenaires au développement, des ambassades, des représentations diplomatiques et des sociétés industrielles ; • des séminaires de formation des journalistes ivoiriens à la GIRE ; • des journées mondiales de l’eau de Côte d’Ivoire ; • un atelier de formation et de sensibilisation des gouverneurs de districts et présidents de conseils généraux de la Côte d’Ivoire ; • le démarrage du projet Dialogue national GIRE qui a permis la rédaction d’un document de synthèse GIRE ; • un atelier régional de formation sur l’approche transversale du genre dans la GIRE ;

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• des ateliers de formation et de sensibilisation des maires de la région des lagunes à la GIRE ; • la participation à l’atelier national de validation du projet de loi sur le développement durable en Côte d’Ivoire ; • la participation à l’atelier sur l’économie verte organisé par la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, le jeudi 2 mai 2013 à Abidjan ; • la participation à l’atelier de formation sur la pollution des baies lagunaires d’Abidjan. Il a conduit ses activités en collaboration avec les structures étatiques et plus particulièrement la Direction des ressources en eau. Guidé par la nouvelle vision du Partenariat mondial de l’eau via le Partenariat régional de l’eau de l’Afrique de l’Ouest (GWP/AO), le PNECI a construit son nouveau plan d’action 2015-2017 suivant les six thématiques principales suivantes : • sécurité alimentaire et en eau ; • énergie et sécurité en eau ; • écosystème et sécurité en eau ; • sécurité en eau transfrontière ; • urbanisation et sécurité en eau ; • adaptation aux changements climatiques et sécurité en eau. Tout cela pour la mise en œuvre de la vision du GWP qui est « Un monde où la sécurité en eau est assurée ».

Le financement du secteur de l’eau en Côte d’Ivoire La mise en œuvre des grandes orientations de la nouvelle politique nationale de l’eau nécessite d’importants moyens financiers mais surtout un mécanisme de financement durable du secteur. En effet, les investissements dans le secteur de l’eau (hydraulique humaine, hydraulique agricole, hydroélectricité…) et de l’assainissement étant généralement très élevés, la réussite de la mise en œuvre de la GIRE exigera un engagement fort de la part de tous les acteurs : pouvoirs publics, secteur privé, usagers et partenaires au développement pour le financement des activités du secteur de l’eau. Il convient de noter que, si les appuis financiers extérieurs restent encore indispensables au développement du secteur de l’eau, ils ne doivent pas constituer la base de financement dudit secteur au point que le secteur se trouve paralysé en cas de défaut. De même, au regard de l’importance primordiale de l’eau dans le développement durable du pays et en tenant compte des différents principes de la GIRE, une défaillance ou une faiblesse du système de financement des activités doit être absolument évitée.

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Quels sont les différents fonds existant dans le secteur de l’eau et comment la GIRE va-t-elle être financée pour assurer un développement durable des ressources en eau en Côte d’Ivoire ? Différents fonds du secteur de l’eau Les fonds existant dans le secteur de l’eau concernent les sous-secteurs suivants : • alimentation en eau potable : existence de deux (2) fonds, le Fonds national de l’eau (FNE) et le Fonds de développement de l’eau (FDE) ; • assainissement : Fonds de contribution au développement de l’assainissement (FCDA) ; • hydroélectricité : existence de quatre (4) fonds, le Fonds de l’électrification rurale (FER), le Fonds d’investissement (FI), le Fonds de stabilisation (FS) et le Fonds de développement du secteur électrique (FDSE) ; • environnement : le Fonds national de l’environnement (FNDE). Difficultés de recouvrement des taxes et redevances au niveau de l’État Les modes de paiement des taxes et redevances s’appuient le plus souvent sur des supports tels que les factures d’eau et d’électricité, voire sous forme d’impôt foncier. Ainsi, tout consommateur d’eau ou d’électricité, fût-il l’État, doit payer ses factures. Malheureusement, le mode de recouvrement des recettes de l’opérateur issues de l’État rencontre certaines difficultés. L’opérateur n’a pas suffisamment de pouvoir pour faire pression sur l’État et, le plus souvent, il retient les taxes et redevances à verser dans les fonds spécifiques en contre-partie des montants des factures. L’approche sectorielle appliquée à ces fonds explique cer tainement cette déperdition des recettes. En effet, créer des fonds pour chaque secteur de la GIRE apparaît inapproprié, étant donné le nombre important de secteurs couverts et le respect du principe d’intégration fondant la GIRE. Autres limites du système de financement du secteur de l’eau La politique financière du secteur de l’eau connaît une situation précaire en raison des limites évoquées plus haut. Cependant, de manière spécifique, on constate également les faits suivants : • les ressources financières engrangées par le Fonds de développement ne permettent pas de satisfaire tous les besoins. L’extension et le renouvellement des installations pour l’alimentation en eau de la ville d’Abidjan nécessitent de lourds investissements ; • plusieurs localités équipées d’un système d’adduction en eau potable ont un compte d’exploitation déficitaire. Cela s’explique par le trop bas prix de vente du m3 d’eau ;

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• la crise politico-militaire a aggravé la situation par la détérioration des installations de production qui sont en cours de réhabilitation et qui, pour certaines, devront être renouvelées ; • la prise en compte des besoins des plus pauvres rend l’accès à l’eau quasiment gratuit en milieu rural mais nécessite la mise en place de forages à motricité humaine dans les villages et donc des investissements importants ; • en milieu rural, il n’existe pas de mécanisme financier solide pour soutenir le sous-secteur. L’État est obligé d’intervenir dans les travaux d’équipement et de réparation ; • de même il n’existe pas de véritable politique de financement des investissements de l’agriculture irriguée.

La nécessité de la création du Fonds national (FNGIRE) Au regard de ce qui précède, la création du FNGIRE permettrait de combler les limites du système actuel de financement du secteur de l’eau. L’objectif est d’améliorer l’efficacité de l’allocation des finances publiques et d’alléger le poids du secteur de l’eau sur les finances publiques par un partage solidaire et réaliste des financements entre l’État, les collectivités territoriales et les usagers. Dans ce cadre, le FNGIRE constitue une ressource pour le développement des activités liées à la mise en œuvre de la GIRE. Ces trois groupes d’acteurs nationaux devraient intervenir schématiquement comme suit : • l’État appor tera des ressources propres à travers le budget général (personnel et charges de fonctionnement courant), des subventions (crédits particuliers) et éventuellement des prêts ; • les collectivités participeront aux financements des investissements ou à d’autres interventions dans le cadre de leurs activités dans le domaine de l’eau ; • les usagers et le privé vont contribuer au financement par le remboursement des prêts ou par la constitution de ressources propres en payant des taxes/redevances sur le prix de l’eau ou d’autres services (exhaure, distribution de l’eau, assainissement, gestion des ressources en eau). Les fonds issus des taxes ou redevances seront affectés selon les modalités et mécanismes institutionnels de collecte et d’allocation des fonds définis par la loi n° 98-755 du 23 décembre 1998 portant Code de l’eau avec, pour souci principal, d’augmenter progressivement les ressources propres du secteur de l’eau et d’améliorer la capacité de gestion nationale.

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Conclusion La Côte d’Ivoire dispose d’un important potentiel de ressources hydriques qu’il faut protéger et préserver par des réformes hardies déjà bien entamées mais qu’il faut accélérer avec les textes et la mise en place des structures appropriées. La volonté politique existe. La prise de conscience mondiale sur la question du changement climatique dont les incidences sur les ressources en eau sont très sensibles doit appeler une mobilisation au plan national afin d’apporter notre contribution à « Un monde où la sécurité en eau est assurée » pour un développement durable.

Enjeux et défi fiss de la gestion durable de l’eau en Afrique de l’Ouest Mogbante Dam Secrétaire exécutif du Partenariat régional de l’eau de l’Afrique de l’Ouest (GWP/AO)

Introduction Pour le Partenariat mondial de l’eau (GWP), l’accès à l’eau constitue l’élément central du développement durable et devrait bénéficier de toute l’attention nécessaire dans l’agenda politique à tous les niveaux. C’est le combat mené avec tous les acteurs du développement avisés qui conviennent aisément que l’eau est l’intrant principal des différents procédés de production aussi bien naturels qu’humains. La Vision ouest-africaine de l’eau à l’horizon 2025 doit être réalisée dans un contexte où la région subit les effets réels de ce qu’il convient d’appeler les « changements globaux » que sont, entre autres, les changements climatiques, la démographie, l’urbanisation galopante et les mouvements migratoires. Ces changements avec tous leurs corollaires influencent et affectent profondément les structures politiques, économiques et sociales des pays, ajoutant une dimension critique qui nécessite une plus grande prise de conscience devant se traduire par des actions appropriées à tous les niveaux. Dans le domaine des changements climatiques, l’Afrique est l’objet d’une préoccupation particulière en raison de la faiblesse notoire de ses capacités de réponse, liée notamment au niveau général de pauvreté et au manque d’infrastructures. Les deux tiers de la superficie de l’Afrique sont classés dans la zone désertique ou sèche avec la majeure partie concentrée dans la zone sahélienne ouest-africaine, la Corne de l’Afrique et le sud du Kalahari. L’Afrique de l’Ouest est donc l’une des zones les plus concernées par les effets néfastes de la sécheresse et de la désertification, des sérieux défis qui ralentissent le développement en Afrique avec des impacts négatifs sur la santé, la sécurité alimentaire, les activités économiques, les ressources naturelles et l’environnement.

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La prise de conscience de cette réalité a amené les décideurs de la sousrégion à adopter la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) comme approche de gestion inclusive et consensuelle. La première conférence ouestafricaine sur la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) s’est tenue à Ouagadougou du 3 au 5 mars 1998. Depuis lors, la CEDEAO et les États membres œuvrent pour faire avancer la cause de l’eau dans la planification générale du développement et la promotion de réformes dans le secteur qui, de notre point de vue, présente de grandes avancées.

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posaient de leur plan national GIRE (Bénin, Burkina Faso, Cap-Ver t, Côte d’Ivoire, Ghana, Liberia, Mali, Sénégal, et Togo) et quatre disposent d’une feuille de route pour la GIRE (Gambie, Guinée, Guinée Bissau, et Sierra-Leone). Par la suite le Niger a lancé son programme pour l’élaboration du plan d’action GIRE en 2014.

Parmi les jalons importants, on peut aussi retenir le développement, en 2000, de la Vision ouest-africaine de l’eau à l’horizon 2025, l’adoption du plan d’action sous-régional GIRE en Afrique de l’Ouest (PARGIRE) en 2000 et la mise en place du Cadre permanent de coordination et de suivi de la GIRE en Afrique de l’Ouest (CPCS) en 2001 avec pour mission d’aider les États de la CEDEAO à mettre en œuvre une gestion équitable et efficace de l’eau, tout en garantissant la durabilité de ses usages. Le principal rôle des organes du CPCS est d’orienter, coordonner et suivre les progrès de la GIRE dans la sous-région, et de contribuer ainsi – au niveau du secteur de l’eau – à la dynamique régionale d’intégration et de développement. La politique des ressources en eau de l’Afrique de l’Ouest (PREAO) a été adoptée en 2008 avec pour objectif affirmé de « contribuer à la réduction de la pauvreté et au développement durable en orientant la Communauté et ses États membres vers une gestion des ressources en eau conciliant développement économique, équité sociale et préservation de l’environnement » ; ce qui traduit encore une fois le lien intrinsèque entre la maîtrise de l’eau et le développement sous tous ses aspects. L’élaboration et la validation du plan de mise en œuvre de la PREAO en 2014 sous la coordination du Centre de coordination des ressources en eau (CCRE) renforcent la volonté politique des États de la CEDEAO. Tout cela représente pour le GWP, qui a contribué à chacune des étapes, une certaine avancée dans la mise en cohérence des actions et des politiques, mais on pourrait attendre davantage des autorités, et les acteurs de l’eau, réunis à l’occasion de l’assemblée des partenaires du GWP/AO à Cotonou les 7 et 8 mai 2015 ont lancé un appel à la CEDEAO pour plus de moyens et d’engagement (encadré ci-contre).

Il a aussi été observé, au cours de la décennie écoulée, un effort de prise en compte de la dimension transfrontalière des cours d’eau qui s’est traduit par la relance de l’Autorité du bassin du Niger (ABN) avec son plan de développement durable, et la création de l’Autorité du bassin de la Volta (ABV). Des efforts importants ont été consentis, même s’il faut reconnaître que la mise en œuvre des plans développés et des politiques adoptées n’est pas encore à la hauteur des attentes. Les acteurs de la sous-région ont convenu dans la PREAO de promouvoir une meilleure gouvernance des ressources en eau.

Construire ensemble le cadre mondial du développement durable Depuis le Sommet mondial sur le développement durable (SMDD) de Johannesburg en 2002, la GIRE a été établie comme l’élément clé pour la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) dans le secteur de l’eau. Des plans d’action nationaux GIRE et d’efficacité dans l’utilisation des ressources en eau ont été établis. Dès lors, il y a eu des avancées dans la plupar t des pays de la CEDEAO. Ainsi, en 2012, selon le rappor t sur l’état d’avancement de la GIRE établi par la CEDEAO, neuf pays de la sous-région dis-

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L’action commune recherchée à travers la mise en place de partenariats Déjà en 2000, la Déclaration de Ouagadougou avait mis en exergue un certain nombre de défis qu’il faudrait relever afin de réaliser la Vision ouest-africaine de l’eau à l’horizon 2025 et préconisé des mesures qui sont toujours d’actualité. Le Partenariat mondial de l‘eau pour sa part a contribué, depuis 1996 au niveau mondial et depuis 1999 en Afrique de l’Ouest, à apporter sa pierre pour un changement de comportements, de politiques et de pratiques au service du développement durable. Il a en outre mis en œuvre un réseau régional de partenaires qui œuvre à l’échelle régionale ou nationale à accompagner la CEDEAO et les États membres.

Le rôle des partenariats de l’eau dans la recherche de solutions La stratégie du GWP à l’horizon 2020 (Objectif 2020) a défini la vision du GWP qui est celle d’« Un monde où la sécurité en eau est assurée » et sa mission est de « Faire progresser la gouvernance et la gestion des ressources en eau en vue d’un développement durable et équitable ». Elle se propose de viser trois objectifs stratégiques (OS) : 1. Catalyser un changement de politiques et de pratiques : faire progresser une gouvernance efficace, fondée sur le partage d’informations, des procédures et partenariats solides, des institutions et politiques complètes qui se renforcent mutuellement ; 2. Produire et communiquer un savoir : développer la capacité des partenaires à partager et communiquer un savoir pour faire progresser la gestion et la gouvernance de l’eau ; 3. Renforcer les partenariats : améliorer la pérennité et l’efficacité du réseau du GWP en renforçant les partenariats et les organisations partenaires afin de catalyser le changement, d’améliorer l’apprentissage et la viabilité financière sur l’ensemble du réseau. L’impact régional défini par le GWP/AO est que : « Les gouvernements ouestafricains de concert avec la société civile et les partenaires au développement se sont engagés à consacrer plus de ressources afin de réussir la sécurité en eau et la résilience aux changements climatiques dans tous les pays. » Le GWP/AO opère à traver s le secrétariat exécutif régional basé à Ouagadougou, et repose sur treize par tenariats nationaux de l’eau (Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, et Togo), créant ainsi un vaste réseau en appui aux pays. Au niveau de l’Afrique de l’Ouest, la déclinaison de la stratégie se veut une contribution active et une mobilisation de l’ensemble des acteurs pour la mise en œuvre de la PREAO.

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Au niveau national, le rôle d’accompagnement de l’État par les partenariats nationaux de l’eau (PNE) a été incontestable, aussi bien dans le processus de développement des plans GIRE dans leurs pays respectifs que dans la mise en œuvre des actions sur le terrain. Il faut à cet effet noter à titre d’exemple la contribution du PNE-Bénin à la réhabilitation et la gestion concertée et durable de la retenue d’eau de l’Okpara à travers le plaidoyer auprès des acteurs de l’eau et l’organisation d’un dialogue national sur le barrage. Ce travail de catalyse du PNE-Bénin a abouti à la définition des actions à court, moyen et long terme à mener pour réhabiliter le barrage et assurer sa gestion durable, tout en le dotant d’un cadre de concertation multi-acteurs fonctionnel. Les décideurs sensibilisés, dont notamment les partenaires techniques et financiers ainsi que les collectivités locales, ont pris la mesure du défi et ont œuvré à la sauvegarde et à une gestion appropriée du barrage. Au Mali, l’organisation par le PNE de l’« atelier national d’information et de sensibilisation des décideurs politiques pour une meilleure prise en compte des changements climatiques dans la mise en œuvre du plan d’action national de gestion intégrée des ressources en eau (PAGIRE) » a permis de rapprocher, à l’échelle du pays, la communauté du climat et celle de l’eau pour plus de cohérence dans l’action. Les dix recommandations issues de cette rencontre de haut niveau ont influencé positivement la mise en œuvre du PAGIRE et des plans d’adaptation au climat dans le pays.

L’Afrique de l’Ouest face aux défis de l’après-2015 Depuis plusieurs années déjà les réflexions sont en cours pour mettre en place un cadre mondial de développement d’après 2015. Mais le plus important à saluer c’est que l’Afrique a fait entendre sa voix dans un document approuvé par les dirigeants du continent qui définit les priorités de développement de l’Afrique, autour de six piliers que sont : I) la transformation économique structurelle et la croissance inclusive ; II) la science, la technologie et l’innovation ; III) le développement axé sur l’être humain ; IV) la viabilité environnementale, la gestion des ressources naturelles et des risques de catastrophes naturelles ; V) la paix et la sécurité et VI) le financement et les partenariats. Le quatrième pilier (viabilité environnementale, gestion des ressources naturelles et des risques de catastrophes naturelles) prend en compte les défis majeurs dans notre domaine d’action auxquels nous sommes amenés à faire face pour les prochaines décennies.

La campagne pour un « Objectif eau » dans l’agenda du développement de l’après-2015 Le GWP est convaincu de la place centrale de l’eau dans le développement et, pour cela, en partenariat avec plusieurs autres organisations, dont UN-Water,

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a lancé une campagne mondiale afin que les Nations Unies prennent en compte l’eau comme un objectif à part entière dans les nouveaux Objectifs de développement durable (ODD). Plus nous aurons de la considération et des financements pour la mobilisation et la préservation des ressources en eau, plus nous pourrons contribuer au développement durable. Même si, à travers les consultations nationales menées dans quarante pays et des actions directes à l’endroit des autorités politiques, des dizaines de pays ont adopté l’idée d’un ODD eau, il convient à cet égard de maintenir le plaidoyer pour la promotion et la valorisation des secteurs de l’énergie, de l’agriculture, et de l’environnement.

Conclusion Indiscutablement le « modèle de promotion du partenariat », dans la dynamique du développement durable, est une forme efficiente d’opération pour l’action. L’assemblée des partenaires du GWP/AO a relevé que les réseaux/partenariats devaient avoir plus d’impact en vue : • d’alimenter et d’informer les débats globaux, compte tenu des implications des décisions aux niveaux globaux, régionaux, nationaux et locaux ; • de promouvoir la mobilisation du GWP et d’un certain nombre d’organisations dont UN-Water, dans les discussions autour des ODD et de leur suivi. Pour cela « les réseaux doivent être inclusifs dans leur constitution, divers dans le sens de l’ampleur des opinions et surtout capables, d’une part, de mobiliser les acteurs pour faciliter la réflexion et l’expression des priorités et, d’autre part, de sensibiliser les décideurs et personnes clés afin de relayer les messages dans les enceintes de décision du dialogue global ».

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BIBLIOGRAPHIE CCRE/CEDEAO, 2011, Lignes directrices pour le développement d’infrastructures hydrauliques durables en Afrique de l’Ouest. CEDEAO, décembre 2000, Plan d’action régional de GIRE de l’Afrique de l’Ouest (PARGIRE/AO). CEDEAO, décembre 2008, Politique des ressources en eau de l’Afrique de l’Ouest. CEDEAO-CCRE, 2007, Plan stratégique 2007-2015, 26 p. CEDEAO-CCRE, 2008, Synthèse régionale : état des lieux des ressources en eau en Afrique de l’Ouest et de leur cadre de gestion, 90 p. CEDEAO-CSAO/OCDE, 2005, Atlas régional des transports et des télécommunications dans la CEDEAO, 22 p. CEDEAO-CSAO/OCDE, 2008, Atlas on regional integration in West Africa. Environment series. Climate and Climate Change, 24 p. Côte d’Ivoire, mai 2007, Feuille de route GIRE. Côte d’Ivoire, juin 2012, Plan d’action national de GIRE (PANGIRE. GWP, 2014, Document de stratégie 2014-2019, à l’horizon 2020. OMD, 2013, Évaluation des progrès accomplis en Afrique dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement. Sécurité alimentaire en Afrique : enjeux, défis, enseignements OMD, 2014, Évaluation des progrès accomplis en Afrique dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement. Analyse de la position commune africaine sur le programme de développement pour l’après-2015. Union africaine, Document de position commune africaine sur le programme de développement pour l’après-2015. Sites Web CCRE/CEDEAO: http://www.wrcu-ecowas.int/ GWP : www.gwp.org GWP/AO: www.gwpao.org


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Les aires marines protégées : enjeux et priorités en Afrique de l'Ouest Georges Kouadio Directeur général de l’environnement du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire

Abou Bamba Point focal du Programme des Nations Unies pour l’environnement en Afrique de l’Ouest

Introduction Les zones côtières des mers ou des océans concentrent plus d’un tiers de la population mondiale alors qu’elles ne représentent que 4 % des terres de notre planète. Tous les milieux côtiers subissent d’importantes dégradations et pollutions d’origine anthropique. Dans les pays en développement où la ruralité et souvent l’économie de subsistance ou de petite production marchande sont encore de règle et reposent principalement sur l’exploitation des ressources naturelles, les pressions sur ces dernières sont considérables et leur exploitation est d’autant plus forte que la pression démographique s’accentue. Chacun s’accorde sur ce constat alarmant. La préservation des ressources naturelles et de la biodiversité dans le cadre d’un développement durable est donc au centre des débats de l’élaboration ou de la mise en œuvre des conventions internationales dont se sont dotés les États, et notamment ceux du continent africain. La lutte contre la pauvreté, la gestion intégrée de ces zones côtières et la création d’aires marines protégées sont autant d’objectifs qui tentent de remédier à cette situation. Les aires marines protégées (AMP) tirent leur naissance de la convention sur la diversité biologique. Elles correspondent à des zones géographiquement délimitées qui sont désignées ou réglementées, et gérées en vue d’atteindre des objectifs spécifiques de conservation. L’Union mondiale pour la nature a adopté, en 1994, une définition différente où une aire protégée constitue une portion de terre et/ou de mer vouée spécialement à la protection et au maintien de la diversité biologique, ainsi que des ressources naturelles et culturelles associées et gérées par des moyens efficaces, juridiques ou autres. Une AMP est définie, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), comme tout espace intertidal ou infratidal ainsi que ses eaux sous-jacentes, sa flore, sa faune et ses ressources historiques et culturelles que la loi ou d’autres moyens

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efficaces ont mis en réserve pour protéger en tout ou partie le milieu ainsi délimité. Cette définition concerne tant les AMP désignées officiellement et gérées comme telles que les aires protégées pouvant faire l’objet d’une autre désignation (parc national, réserve de faune, réserve naturelle…) mais comprenant à l’intérieur de leurs délimitations une partie marine bénéficiant des mesures de protection effectives. Au sein de la sous-région ouest africaine, la politique en matière de création d’aires protégées a connu des évolutions marquantes. Dans les années 1970, leur création se déroulait selon une procédure étatique unilatérale, motivée par un souci de conservation d’espèces, de spécimens ou de milieux spécifiques. Il s’agissait de soustraire une portion du territoire national des interactions sociales et économiques qui pouvaient auparavant s’y exercer. Les populations résidentes étaient déplacées et leurs droits d’usage sur les ressources naturelles du site supprimés1. Les populations non associées au processus de création et de gestion de ces aires protégées n’ont généralement pas compris l’intérêt de celles-ci, engendrant des conflits sur l’accès aux ressources naturelles et l’intensification de la pression démographique dans les zones limitrophes aux aires protégées. Ce manque de prise en compte de la population et des acteurs concernés a rendu la tâche difficile aux agents chargés de la conservation, de la surveillance et de l’application des mesures de police. Se sont alors mis en place des processus nationaux de sensibilisation, de concertation et de participation à la création et à la gestion des aires protégées2. Cette évolution semble répondre à un souci d’efficacité des projets de protection environnementale mais aussi aux recommandations internationales. La plupar t des AMP d’Afrique de l’Ouest relèvent de la catégorie 6 de l’UICN, « aires protégées gérées principalement à des fins d’utilisation durable des écosystèmes naturels » avec les caractéristiques de milieux naturels peu modifiés, gérés afin d’assurer le maintien de la biodiversité sur le long terme, tout en assurant la satisfaction des besoins des communautés résidentes, en produits comme en services.

Contexte Dans un contexte de préservation globale des écosystèmes et des milieux, les aires marines protégées (AMP) forment des outils remarquables au-delà de l’effet bénéfique qu’offrent les réserves. Les AMP permettent d’examiner plus profondément la structure génétique3 existant entre les populations. Les notions de dispersion et de connectivité4 sont impor tantes dans la compréhension du renouvellement du stock halieutique intra et inter-réserve. Les AMP sont issues d’une longue histoire de préservation qui débuta bien avant les indépendances, et qui se poursuivit et s’intensifièrent ensuite. Dans le contexte ouest-africain, l’étude comparée des cadres juridiques des AMP permet de faire ressortir deux problématiques principales :

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• une problématique relative aux cadres normatifs nationaux des AMP, caractérisés par leur diversité et l’adaptabilité dont ils doivent faire preuve face au dynamisme des initiatives mondiales et locales ; • une problématique relative aux cadres institutionnels comprenant à la fois des dispositions en matière de compétences ministérielles et des modes d’implication des populations dans les politiques de création et de gestion des aires protégées. Prenant en considération les conclusions du groupe d’experts sur les AMP du Forum global des océans selon lesquelles le rôle des réseaux d’AMP est finalement d’assurer la connectivité biologique et écologique et de renforcer la résilience des écosystèmes marins aux changements climatiques, le réseau régional des aires marines protégées (RAMPA) peut être considéré comme l’un des premiers réseaux opérationnels sur l’adaptation aux changements climatiques.

Défis et enjeux Les AMP ont pour objectif de protéger les zones côtières, de les protéger des menaces de dégradations, tant naturelles5 que liées à l’activité humaine6 et de mieux comprendre les interactions existant entre les différents écosystèmes. La première des préoccupations reste la protection du milieu marin et des zones côtières contre la pollution7. L’enjeu de la bonne gouvernance de ces AMP est de relever le défi8 de la gestion principalement à des fins d’utilisation durable des écosystèmes naturels, objectif d’une aire protégée de catégorie 6 d’après l’UICN.

La lutte contre la pollution A. La pollution par les navires9 La liste des catastrophes écologiques provoquées par des accidents de navires est bien longue et ne cesse de s’allonger. Ces catastrophes peuvent être accidentelles. Bordée par deux océans et une mer, l’Afrique est un continent insulaire dont toutes les façades constituent des voies de navigation maritime. Ses côtes sont par conséquent largement exposées aux pollutions marines, en particulier les hydrocarbures, ce d’autant plus que plusieurs pays africains sont désormais producteurs et exportateurs de pétrole. On dénombre, de 1975 à 1980, une dizaine10 de cas de pollution par les hydrocarbures dus aux accidents de la navigation sur les côtes africaines.

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La pollution résulte également des rejets opérationnels ou de déballastages. Elle est sans doute moins spectaculaire que la pollution accidentelle, et pourtant elle est la plus grave par son importance. Résultat de l’exploitation normale des navires, elle correspondrait « à la dose la plus élevée de pollution effectuée par des pétroliers » et représenterait 37 % de la pollution totale des mers contre 6 % seulement pour la forme accidentelle. Cela s’explique : 1 à 3 % du pétrole transporté reste accroché aux parois des citernes ; ce pétrole est par la suite rejeté en mer lors du nettoyage des citernes, de la vidange des ballasts, des soutes ou du nettoyage en cale sèche. Cette pratique de déballastage volontaire est surtout le fait de pétroliers de l’ancienne génération, encore affrétés en Afrique pour leur coût d’exploitation relativement moins élevé. Ainsi, c’est au moins 1 000 tonnes de pétrole qui sont rejetées à la mer, mélangées à des eaux de lavage de citernes pendant un seul voyage d’un pétrolier de 200 000 tonnes. S’ajoute à ces déballastages volontaires de pétroliers une autre forme courante de rejet opérationnel : le déversement sur le plan d’eau des huiles de vidange auquel se livrent quotidiennement les navires conventionnels, les chalutiers et les embarcations ou engins divers de ser vitude por tuaire. Cette forme de déversement constitue une source impor tante et permanente de pollution dans les ports et les rades. B. La pollution due aux opérations d’immersion Les cas célèbres11 de ce type de pollution ont eu lieu loin des côtes africaines. Désormais, cette pratique persiste le long des rives de ce continent. Les opérations d’immersion peuvent être effectuées aussi bien par des navires que par des aéronefs ainsi que le laissent entendre les intitulés des articles 6 des conventions d’Abidjan et de Nairobi. Afin de protéger l’environnement marin africain contre ce type de pollution, les États parties aux différentes conventions12 régionales s’engagent, à « prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire, combattre et maîtriser la pollution dans la zone d’application de la convention », et à assurer « l’application effective, dans ladite zone, des règles et normes généralement admises au niveau international » en la matière.

La situation est aggravée du fait que les déchets industriels ne sont pratiquement jamais traités dans les régions concernées, et par la survenance assez fréquente d’incidents17 générateurs de pollutions dans les ports. D. La pollution résultant d’activités relatives aux fonds marins La pollution marine18 due à la recherche et à l’exploitation pétrolière est relativement récente19. Ce type de pollution est appelé à s’accroître au regard de l’essor de l’exploitation pétrolière sous-marine20 et des espoirs que suscite ce pétrole off shore21. Les plates-formes des États voisins constituent parfois une menace pour d’autres pays22, vers lesquels ils exportent leurs pollutions à la faveur des courants marins côtiers. Ce type de pollution résulte également des accidents d’oléoducs collecteurs, des déversements associés à des événements naturels tels que les ouragans, des boues de forage ou de l’écoulement des eaux de plates-formes. L’Afrique connaît une progression inquiétante de ces formes de pollution. E. La pollution transmise par l’atmosphère L’atmosphère peut être considérée comme source de pollution ou simplement comme agent véhiculaire de pollutions originellement localisées sur la terre ferme. Les conventions d’Abidjan et de Nairobi consacrent des dispositions spécifiques23 à ce type de pollution.

La conservation de la biodiversité marine La conservation de la biodiversité marine africaine est régie par différentes conventions sur les mers régionales africaines, auxquelles s’ajoute d’ailleurs une convention peu connue portant sur la conservation des ressources biologiques de l’atlantique du Sud-Est. A. La convention relative à l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Convention d’Abidjan du 23 mars 1981)

C. La pollution d’origine tellurique La pollution d’origine tellurique13 est l’une des principales causes de dégradation de l’environnement dans les zones côtières. Cette pollution est combattue par les règles mentionnées dans les conventions sur les mers régionales et d’autres instruments juridiques internationaux. La plupart des voies14 d’eau continentales qui irriguent le continent se jettent dans les eaux maritimes qui bordent l’Afrique. Elles charrient vers les océans d’importantes quantités de substances polluantes15, ces déchets étant produits aussi bien par les États côtiers16 que les États sans littoral qui ne sont généralement pas parties aux conventions sur les mers régionales.

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Cette convention relative à la coopération en matière de protection et de mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région24 de l’Afrique de l’Ouest et du Centre consacre un régionalisme volontariste. La convention prévoit, en son article 1125, des « zones spécialement protégées ». B. La convention relative à l’Afrique orientale (Convention de Nairobi du 21 juin 1985) Par rappor t à la conservation de la diversité biologique, cette convention énonce, en son article 10, des mesures semblables à celles de l’article 11 précité de la Convention d’Abidjan.

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C. Le Protocole de Genève du 3 avril 1982 à la Convention de Barcelone de1976 sur la Méditerranée Bien que la Convention de Barcelone ne contienne pas de dispositions particulières sur les aires protégées de la Méditerranée, les parties à cette convention ont adopté un protocole relatif à ces aires. D’entrée de jeu, ce protocole fait obligation aux parties contractantes de prendre toutes les mesures appropriées en vue de protéger les aires marines importantes pour la sauvegarde des ressources naturelles et des sites naturels en Méditerranée (ar ticle 1er). Au terme de l’article 2, cette règle s’applique aux eaux territoriales et éventuellement aux eaux intérieures jusqu’à la limite des eaux douces, ainsi qu’aux zones humides ou aux zones côtières désignées par chacune des parties. Elle ne s’applique pas à la haute mer, au demeurant quasi inexistante en Méditerranée26. Le protocole exhorte les parties à créer, dans la mesure du possible, des aires protégées et à mener les actions nécessaires pour en assurer la protection et, le cas échéant, la restauration dans les plus brefs délais. En outre, il établit une liste très complète des activités dont les parties doivent assurer la réglementation afin qu’une zone protégée joue efficacement son rôle. Les mesures à prendre doivent tenir compte des objectifs de protection recherchés dans chaque cas ainsi que des caractéristiques de chaque aire protégée. Elles devront par ailleurs être conformes aux normes du droit international, notamment en ce qui concerne le passage des navires, telles que régies par les articles 17 et 19 de la convention du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer. L’article 21de cette convention donne cependant à l’État côtier une latitude importante pour réglementer la navigation dans les zones marines protégées, dans la mesure où il lui échoit d’édicter les règles relatives au passage inoffensif, por tant notamment sur la conservation des ressources biologiques de la mer, l’environnement côtier et la prévention, la réduction et la maîtrise de la pollution. À l’instar du protocole additionnel à la Convention de Nairobi de 1985, le Protocole de Genève prévoit un mécanisme de suivi de son application. Ce mécanisme consiste notamment en la tenue de réunions ordinaires des parties (tous les deux ans, en même temps que celles des parties à la Convention de Barcelone) ainsi que des réunions des autorités responsables des aires protégées (dénommées « structures focales »), au moins tous les deux ans pour examiner les questions d’intérêt commun et préparer des recommandations concernant les renseignements scientifiques, administratifs et juridiques ainsi que la normalisation et le traitement des données. D. La Convention de Djeddah du 14 février 1982 relative à la mer Rouge et au golfe d’Aden Elle ne contient pas de dispositions sur la conservation des écosystèmes ou des espèces.

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E. La Convention sur la conservation des ressources biologiques de l’Atlantique Sud-Est Cette convention, signée à Rome le 23 octobre 1969, est née du désir des parties contractantes de coopérer au maintien et à l’exploitation rationnelle de ressources biologiques de l’Atlantique Sud-Est. L’alinéa 2 de cet article I de la convention précise que la limite Est, située sur le quarantième méridien Est, sera revue si une convention s’appliquant à une zone immédiatement adjacente à cette limite devait être établie. La convention s’applique à toutes les ressources ichtyologiques et autres ressources biologiques de la zone, à l’exception des ressources qui peuvent être exclues en vertu d’arrangements ou d’accords conclus par la Commission27 internationale des pêches pour l’Atlantique Sud-Est instituée par les parties contractantes.

La protection des écosystèmes côtiers et la gestion écologiquement rationnelle des ressources marines Parallèlement au développement et à la diversification des utilisations de la mer, se manifestent de nouvelles formes de nuisances et de dégradation de l’environnement. Ces dégradations sont d’origines diverses. A. Les causes naturelles Les œuvres naturelles de l’érosion des côtes sont nombreuses et consistent généralement en des changements intervenus dans les conditions de sédimentation le long du rivage28. B. Les causes humaines Les causes humaines29 de la dégradation côtière sont directement liées à la très forte pression démographique dans les zones côtières et aux nombreuses activités que déploient ces populations. La protection contre ces diverses formes de dégradation côtière est affirmée dans les instruments juridiques régionaux qui prévoient par ailleurs la création de zones marines spécialement protégées. Bien que la dégradation des écosystèmes côtiers africains soit désormais patente, toutes les conventions sur les mers régionales ne lui ont pas porté une attention particulière. En dehors des conventions d’Abidjan et de Nairobi, on cherche vainement des dispositions à ce sujet dans la convention relative à la Méditerranée, mer dont on en connaît pourtant que trop la fragilité des côtes. Certes, la Charte maghrébine de l’environnement de 1992 conseille aux États membres de l’Union du Maghreb arabe (UMA) de prendre les mesures nécessaires, notamment juridiques, pour les protéger, mais cette charte est un document de caractère non contraignant.

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L’article 10 de la Convention d’Abidjan dispose à cet égard que les contractants « prennent toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire, combattre et maîtriser… l’érosion côtière due aux activités de l’homme, telle que la récupération des terres et les activités de génie civil sur la côte ». Dans une approche plus large, l’article 12 de la Convention de Nairobi prescrit aux parties contractantes de prendre « toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre les dommages causés à l’environnement, en particulier la destruction des écosystèmes marins et côtiers, par des activités de génie civil telles que l’endigage et le dragage ». À la différence de la Convention d’Abidjan qui se limite à l’érosion côtière, celle de Nairobi envisage donc la protection contre toutes les formes de dégradation des côtes et le caractère restrictif de l’article 12 qui semble ne viser que les « dommages causés à l’environnement par des activités de génie civil » ne devrait point abuser à cet égard. Au regard de ces conventions, les aires spécialement protégées apparaissent comme un moyen privilégié de la conservation des ressources et des écosystèmes côtiers. C. La gestion et la conservation des ressources marines Les zones côtières30, y compris le plateau continental, sont particulièrement importantes en ce qui concerne l’utilisation des ressources marines vivantes31. Partout les prélèvements des ressources32 de ces zones augmentent rapidement avec l’accroissement fulgurant des populations côtières. La diminution des ressources halieutiques a entraîné le développement de l’aquaculture et de la mariculture qui menace, dans certains pays ou dans certaines régions, les forêts de mangroves. Dans d’autres pays encore, l’exploitation du lit de la mer dans les zones côtières, soit sous forme d’extraction de sable et de gravier, soit sous forme d’exploitation pétrolière, porte atteinte aux récifs coralliens, et la pollution marine dont on a vu la diversité des sources détruit certaines espèces ainsi que leurs habitats.

Orientations de politiques La pollution par les navires est abordée de façon identique dans les conventions étudiées. Les articles 5 des conventions d’Abidjan et de Nairobi disposent à cet égard : « Les parties contractantes prennent toutes les mesures appropriées, conformément au droit international, pour prévenir, réduire, combattre et maîtriser dans la zone d’application de la convention la pollution causée par les rejets normaux ou accidentels des navires, et assurent l’application effective, dans ladite zone, des règles et normes généralement admises au niveau international en matière de lutte contre ce type de pollution. »

au droit international33, ce qui confère ainsi aux droits régionaux une fonction d’application du droit universel en la matière. La pollution d’origine tellurique, de par ses caractéristiques et ses causes, est régie par le droit régional. Les ar ticles 7 des conventions d’Abidjan et de Nairobi demandent aux par ties contractantes de prendre toutes mesures appropriées pour prévenir, réduire, combattre et maîtriser la pollution due aux déversements effectués à partir des côtes ou provenant des fleuves, des estuaires, des établissements côtiers, des installations de décharge ou émanant de toute autre source située sur leur territoire.

Bonnes pratiques A. La création de zones spécialement protégées La destruction des récifs coralliens et des mangroves des régions côtières africaines entraîne non seulement l’érosion prononcée du relief côtier, mais aussi et surtout la destruction d’espèces précieuses de la faune et de la flore marines. La protection de ces écosystèmes singuliers et fragiles ainsi que de leurs populations passe le plus souvent par leur soumission à un régime particulier se traduisant généralement par l’érection en zones spécialement protégées des espaces qui les abritent. L’article 10 de la Convention d’Abidjan exprime en ce sens l’engagement des États parties à prendre, « individuellement ou conjointement, selon le cas, toutes les mesures appropriées pour protéger et préserver les écosystèmes singuliers ou fragiles ainsi que l’habitat des espèces et autres formes de vie marine appauvries, menacées ou en voie de disparition ». À cet effet, les parties « s’efforcent d’établir des zones protégées, notamment des parcs et des réserves, et d’interdire ou de réglementer toute activité de nature à avoir des effets néfastes sur les espèces, les écosystèmes ou les processus biologiques de ces zones ». L’article 10 de la Convention de Nairobi reprend in extenso ces dispositions, tout en précisant judicieusement que les zones en question doivent être établies « dans les zones placées sous la juridiction nationale des États parties contractantes ni à ceux des États tiers », en particulier aux autres utilisations légitimes de la mer. En outre, il ajoute que les parties contractantes peuvent, en cas de besoin et sous réserve du droit international, réglementer ou interdire toute activité de nature à avoir des effets néfastes sur les espèces, les écosystèmes et les processus biologiques que ces zones sont censées protéger. B. Les moyens de protection On distingue trois types de protection : juridiques, institutionnels et financiers.

Il résulte de ces articles, d’une part, que les mesures à prendre sont laissées aux bons soins de chaque État puisqu’il lui est demandé de prendre « toutes les mesures appropriées », d’autre part, que ces mesures doivent être conformes

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Les moyens juridiques. Ils concernent l’ensemble des mesures d’ordre juridique édictées soit pour prévenir les atteintes à l’environnement, soit pour circon-

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venir les dommages écologiques et y remédier. Les mesures préventives34 sont nettement privilégiées dans les différentes conventions sur les mers régionales. L’évaluation de l’impact35 d’un projet sur l’environnement est un des principes fondamentaux du droit de l’environnement. Elle permet de prévenir les atteintes à la nature et, partant, d’éviter, ou à tout le moins de limiter, les dommages écologiques qui pourraient résulter de l’activité humaine. Cependant, elle n’est possible que si les connaissances scientifiques nécessaires pour apprécier les possibles effets néfastes sont disponibles. Les conventions sur les mers régionales africaines souscrivent à cette exigence puisqu’elles y consacrent toutes des dispositions. Les conventions d’Abidjan et de Nairobi par exemple en posent le principe en leurs articles 13 respectifs : dans le cadre de leurs politiques de gestion de l’environnement, les parties contractantes doivent élaborer des directives techniques et autres en vue de faciliter la planification de leurs projets de développement, de manière à réduire au maximum l’impact néfaste que ces projets pourraient avoir sur la zone d’application de ces conventions ; elles doivent s’efforcer de prévoir, dans le cadre de toute activité de planification entraînant l’exécution de projets sur leur territoire, notamment dans les zones côtières, une évaluation de l’impact potentiel de ces projets sur l’environnement qui peuvent entraîner une pollution importante ou provoquer des transformations considérables et néfastes ; elles doivent enfin mettre au point, en consultation avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), des procédures en vue de diffuser des renseignements sur l’évaluation des activités visées précédemment. L’étude d’impact, instrument privilégié de la gestion écologiquement rationnelle de l’environnement, assure en l’occurrence la protection des écosystèmes côtiers qu’accroît l’institution de zones spécialement protégées. L’étude d’impact incombe à chaque partie contractante qui, devant le mutisme des conventions régionales sur les procédures en la matière, ne peut la faire que suivant sa propre réglementation interne. La référence à l’État comme auteur de l’évaluation ne signifie nullement que les projets élaborés par les particuliers échappent à cette procédure. Ils y sont soumis, mais sous le contrôle de l’État territorialement compétent. La réalisation de l’évaluation de l’impact est cependant malaisée lorsque les effets potentiels d’un projet ou d’une activité sont susceptibles d’affecter des espèces ou des écosystèmes soumis à des juridictions étatiques différentes. L’obligation d’information. Il est admis en règle générale que l’obligation d’informer, ou plus précisément de notifier certaines informations, existe dans toute une série de situations, et ce même en l’absence d’une règle qui l’impose explicitement. Dans les conventions sur les mers régionales africaines, cette obligation est prévue aussi bien en ce qui concerne les projets susceptibles d’affecter l’environnement commun qu’en cas de situation critique. Les articles 13 alinéa 3 des conventions d’Abidjan et de Nairobi font à cet égard obligation aux États parties à ces conventions de diffuser des renseignements portant sur les effets possibles des activités envisagées sur l’environnement. On trouve des disposi-

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tions similaires dans les conventions de Djeddah (article 11 P 2) et de Koweït (article 11), mais aussi dans la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer (article 211 alinéa 6) qui dispose par ailleurs que doivent être notifiées, sans délai, à l’État du pavillon et à tout autre État intéressé, toutes les mesures prises à l’encontre de navires étrangers pour protéger et préserver le milieu marin, tant dans la mer territoriale que dans la zone économique exclusive (ar ticle 231) Le dernier alinéa de l’article 1er de l’accord du 27 octobre 1980 sur la protection du lac de Constance contre la pollution apparaît sur cette question comme un modèle du genre. Ce devoir d’information préalable sur les activités prévues se double d’une exigence d’informer en cas de situation critique. L’ar ticle 12 alinéa 2 de la Convention d’Abidjan précise à cet égard que « toute partie contractante ayant connaissance d’une situation critique génératrice de pollution dans la zone d’application de la convention informe sans délai l’organisation et, par l’intermédiaire de cette organisation ou directement, toute autre partie contractante qui risque d’être touchée par cette situation critique ». L’obligation de consultation et de concer tation. Au devoir d’information s’ajoute une obligation de consultation et de concer tation. La consultation consiste, pour l’État informé par un autre, à manifester une opinion avant une négociation, sans que celle-ci préjuge d’ailleurs d’une obligation à une solution négociée, comme l’a souligné la sentence arbitrale rendue en l’affaire du lac Lanoux. La concertation tient une place importante dans le droit des relations transfrontalières, et tout particulièrement dans le droit des pollutions. On comprend alors qu’elle soit préconisée par les instruments juridiques36 relatifs aux mers régionales. Les mesures curatives. La multiplication des accidents maritimes aux conséquences écologiques sévères, voire franchement catastrophiques, sur le milieu marin a constitué le point de dépar t de l’élaboration de règles spécifiques concernant les situations critiques . • Les plans d’intervention d’urgence38 (PIU) Selon l’article 1 alinéa 3 du protocole d’Abidjan, l’expression plan d’urgence en cas de situation critique pour le milieu marin désigne un plan élaboré sur une base nationale, bilatérale ou multilatérale, pour lutter contre la pollution et les autres atteintes au milieu marin et aux zones côtières, ou la menace de situations de ce genre, résultant d’incidents ou d’autres événements imprévus. La mise en œuvre d’un PIU est conditionnée par la survenance d’une situation critique pour le milieu marin dont on a vu quelle en est la définition juridique. Deux types d’opérations sont envisageables dans cette situation : le protocole d’Abidjan mentionne d’abord le nettoyage des nappes de pétrole. Il n’indique cependant pas suivant quelles techniques 39 une telle opération peut être menée.

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Deux principes consacrés en droit international de l’environnement et repris par les instruments juridiques régionaux doivent guider le comportement des États en cas de situation critique : l’obligation de donner l’alerte40 d’une part, et l’obligation de coopérer41 d’autre part. Les moyens institutionnels. Les instruments juridiques relatifs aux mers régionales africaines font fréquemment référence au PNUE comme un recours à travers lequel, ou en concertation avec lequel, certaines mesures doivent être prises. Le plan d’action d’Abidjan estime d’ailleurs qu’il lui revient de jouer le rôle de catalyseur pour aider les États en développement de la région à définir et à mettre en œuvre de manière coordonnée ce plan d’action. 1) Les institutions régionales On distingue les institutions directement liées aux conventions relatives aux mers régionales des autres institutions de gestion de l’environnement marin africain. – Les institutions42 liées aux conventions sur les mers régionales • Les instances politiques de décision : au terme des ar ticles 17 des conventions d’Abidjan et de Nairobi, elles se tiennent tous les deux ans pour les réunions ordinaires et chaque fois que les parties le jugent nécessaire pour les réunions extraordinaires. • Les organes de gestion : ils consistent en des unités de coordination régionale43 (UCR). – Les autres institutions régionales de gestion de l’environnement marin 44

• On en recense deux pour la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Le succès de ces institutions régionales dépend largement de l’existence, au sein des États, des institutions relais, au reste prévues par les conventions régionales et chargées de mettre en œuvre au niveau national les actions décidées en commun. 2) Les institutions nationales45 Leur importance dans la gestion de l’environnement a été mise en relief déjà par la conférence de Stockholm. La conférence de Rio leur a accordé également une place essentielle en insistant sur leur établissement et l’Agenda 21 y revient aussi de façon répétitive dans chacun de ses quarante chapitres. C. La gestion des zones côtières et la conservation des ressources marines Les zones côtières ne sont pas seulement confrontées au problème de pollution marine. Elles connaissent d’autres types de perturbations et subissent diverses formes d’atteinte à leurs écosystèmes qui sont tout à fait particulières. Aussi, la protection du littoral est-elle envisagée par de plus en plus de législations

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comme une approche pertinente de la protection de l’environnement marin. De fait, cela permet non seulement de s’attaquer à la pollution des plans d’eau des zones côtières, mais aussi de s’intéresser à l’état des rivages et surtout aux habitats et aux pollutions aquatiques. La gestion des ressources marines apparaît sous ce rapport comme un aspect important de la protection de l’environnement marin. La protection du littoral. Zone particulièrement sensible au plan écologique, le littoral fait désormais l’objet d’un régime juridique particulier, notamment dans la plupar t des pays industrialisés. À mesure que s’accroît la pression humaine sur cette zone et que se développe et se diversifie l’exploitation de la mer, apparaissent des formes nouvelles d’atteinte46 aux zones côtières et maritimes. Les problèmes juridiques que soulèvent ces formes nouvelles se complexifient et nécessitent alors une réglementation spécifique. Comme dans la plupart des États côtiers africains, la zone littorale constitue le principal centre économique du pays et concentre plus de 10 % de la population mondiale. La protection de la zone littorale dans ces pays n’a pu être envisagée que sous l’angle des politiques d’aménagement, la législation relative à la zone côtière étant quasi inexistante ou se résumant au Code de la marine marchande de 1962 et à la loi du 21 juillet 1983 réglementant la police à l’intérieur des domaines portuaires ainsi que son décret d’application du 26 septembre 1985.

Perspectives et recommandations Les instruments juridiques étudiés ne prévoient rien en ce qui concerne le contrôle de l’étude d’impact. Cette lacune s’ajoute à l’absence de règles de procédure au niveau sous-régional en la matière. Certes, les articles 13 alinéa 2 des conventions d’Abidjan et de Nairobi préconisent l’adoption des procédures de diffusion des renseignements sur l’évaluation des activités dans l’environnement marin et côtier. Mais cela ne concerne nullement les procédures d’évaluation de l’impact environnemental elles-mêmes qui demeurent fixées par chaque État. Quand on connaît les lacunes qu’accusent encore de nombreuses législations environnementales africaines dans ce domaine, il y a lieu de suggérer l’adoption de protocoles additionnels fixant de façon précise les procédures de prévention des atteintes à l’environnement marin, y compris d’évaluation de l’impact dans chacune des régions concernées. La responsabilité des acteurs des dommages causés à l’environnement marin est une question non résolue par les conventions sur les mers régionales africaines, pas plus que par celles relatives à d’autres régions d’ailleurs. On peut comprendre dès lors l’exhor tation faite par le plan d’action d’Abidjan aux États d’Afrique de l’Ouest et du Centre à ratifier et appliquer, notamment, la convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures comme une volonté de suppléer la carence de l’instrument juridique régional sur ce point.

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Les conventions pour les mers régionales proprement dites ne s’intéressent pas à la pêche. Elles n’offrent qu’indirectement les moyens juridiques qui réglementent cette activité. Il s’agit notamment de la possibilité que les articles 347 des conventions d’Abidjan et de Nairobi ouvrent aux parties contractantes de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux, y compris des accords régionaux ou sous-régionaux, en vue d’assurer la production et la gestion du milieu marin et des zones côtières. La pêche a toujours constitué une activité importante en beaucoup d’endroits des littoraux africains. Dans certaines régions, certains groupes de population s’y consacrent entièrement et, pour un grand nombre de groupements humains établis dans les zones côtières, elle est un élément essentiel de leur existence. Certes, l’importance de la pêche varie considérablement selon les pays : seules sont particulièrement poissonneuses les zones où a lieu la remontée d’eaux froides chargées d’éléments nutritifs pour le plancton, comme celles allant des côtes sénégalaises aux côtes libériennes (surtout en février-mars et juillet-août), du Gabon au Congo (en juillet-août et février-mars), du Ghana à la Côte d’Ivoire, de la région du cours du Congo sur une distance d’environ 450 km. Mais presque partout la surexploitation des ressources halieutiques est décriée, en particulier sur le littoral atlantique africain. La réglementation de la pêche maritime dans le sens de la conservation et de l’utilisation optimale des ressources halieutiques doit être renforcée. Si l’on se réfère à diverses conventions existant dans certaines régions autres que l’Afrique, on constate qu’il peut s’agir du contingentement des prises, de l’interdiction pure et simple de la capture de certaines espèces en voie de disparition 48, de la définition de la taille minimale des poissons à capturer 49, de la réglementation des dimensions des mailles des filets de pêche50 et, plus généralement, de la réglementation des équipements et techniques de pêche. La gestion rationnelle des ressources halieutiques peut se faire également par le biais de l’aquaculture marine qui permet l’élevage, tant d’animaux que de plantes, diminuant ce faisant la surexploitation des espèces naturelles menacées. Quelques pays51 africains se sont lancés dans cette activité. Pour les riverains de l’Atlantique, la Convention de Dakar de 1991 comporte un volet important sur la gestion des ressources halieutiques et notamment sur la pêche. La gestion écologiquement rationnelle de l’environnement, et en l’occurrence de l’environnement marin et donc des aires maritimes protégées, requiert à l’évidence d’impor tants moyens financiers 52 qui manquent cruellement aujourd’hui. Faute de moyens, les moyens techniques, le savoir-faire et les ressources humaines manquent. Il est indéniable qu’un effort de solidarité internationale est primordial pour que cette politique se développe et permette un développement harmonieux de l’Afrique, tout en respectant la richesse de la biosphère marine africaine.

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Le Fonds d’affectation spéciale53 (FAS) a pour but de financer une partie des dépenses communes de mise en œuvre des plans d’action, l’autre partie étant financée par les institutions internationales. Comme la plupart des institutions internationales africaines, ces fonds souffrent cependant des difficultés financières des parties contractantes. Certaines d’entre elles accusent des retards importants dans le versement de leurs contributions et transforment celles-ci en paiement partiel, d’autres accumulent des arriérés et d’autres, enfin, oublient purement et simplement leurs engagements à cet égard. Ce défaut de ressources paralyse ainsi ces institutions dont l’utilité est pourtant avérée, et les mesures spéciales visant à redresser la situation financière de certains de ces fonds, notamment celui de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, ne sont pas efficaces. La protection de l’environnement marin est traitée de façon inégale dans les législations africaines54. Cer tes, elle n’intéresse que les législations des États côtiers. Mais ceux-ci ne lui prêtent pas une attention égale sur le plan juridique. Les droits nationaux de quelques pays offrent un arsenal juridique important en la matière alors que ceux de beaucoup d’autres restent assez sommaires sur la question. On aurait pu espérer trouver dans les conventions de caractère universel, ainsi que dans les instruments juridiques régionaux, des ressources juridiques suffisantes pour combler ces lacunes ou ces inconsistances. La pollution marine se conçoit de façon générale comme une nuisance causant une perturbation du milieu marin ou de son écosystème. À la différence de nombreuses autres législations africaines, le Code de l’environnement de la Guinée en donne une définition qui appelle au reste une légère correction55. Cette définition souffre de ce qu’elle semble considérer l’homme comme l’unique source de la pollution marine alors que de nombreux cas de pollution de ce type sont d’origine accidentelle56. Les législations existantes interdisent les actes et activités susceptibles d’entraîner la pollution.Toutefois, il ne s’agit pas d’une interdiction générale et absolue. En effet, si les actes de pollution délibérés sont proscrits, la pollution marine n’en est pas moins tolérée, notamment dans certains cas de nécessité. Une évolution réglementaire est donc nécessaire. À l’instar de l’interdiction de pollution volontaire57, qui est un principe unanimement consacré58, la législation doit être renforcée dans les autres cas de pollution. De façon générale, on distingue, à côté du principe de l’interdiction de la pollution volontaire, des circonstances où la pollution marine peut être admise : le cas de « pollution autorisée » et le cas de « pollution accidentelle ». L’expression « pollution autorisée59 » ne figure dans aucune des législations étudiées. Mais, on ne peut désigner autrement « les opérations de déversement, d’immersion ou d’incinération en mer de substances et matériaux effectuées sur autorisation de l’autorité ministérielle compétente ». L’interdiction des opérations de déversement, d’immersion ou d’incinération de certaines substances

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dans les eaux sous juridiction nationale ne s’applique pas « aux déversements effectués en cas de force majeure lorsque la sécurité d’un navire ou de ses occupants est gravement menacée »60. La pollution accidentelle n’est envisagée que comme un fait incommodant auquel il doit être mis fin le plus rapidement possible61. Plusieurs problématiques pourraient faire l’objet de réflexions approfondies afin d’améliorer la gestion pratique des AMP et l’efficacité d’un cadre juridique adapté. Une question en particulier reste en suspens malgré l’importance économique et stratégique qu’elle peut revêtir pour la région ouest-africain : le rôle des AMP dans la gestion des pêcheries. En effet, si les AMP sont par définition orientées vers la protection ou la préservation des ressources naturelles marines et souvent des ressources halieutiques spécifiquement, elles ont une influence sur les activités de pêches via les mesures de restriction qu’elles mettent régulièrement en place (quota, interdiction de certains types de pêche, période de repos biologique…) et peuvent donc jouer un rôle important dans la gestion de cette activité.

Conclusion Les pays de l’Ouest africain, dont nous venons d’étudier le cadre juridique en matière d’aires protégées, se sont engagés, par des accords régionaux, vers une meilleure harmonisation des contextes juridiques et à un renforcement institutionnel des AMP dans la sous-région. Dans ce cadre, les recommandations internationales peuvent constituer une source d’inspiration majeure pour cette entreprise, rendant également plus cohérente la résolution des problématiques à caractère transfrontalier.

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7. Cinq formes de pollution : pollution par les navires, pollution due aux opérations d’immersion, pollution d’origine tellurique, pollution résultant d’activités relatives aux fonds marins et pollution transmise par l’atmosphère. 8. Épuisement ou surexploitation des stocks des trois quarts des espèces marines commercialisées au plan mondial. 9. Forme de pollution accidentelle (résultant d’une catastrophe maritime) ou délibérée (résultant de rejets opérationnels ou déballastages). 10. Mobil Refiner, le 17 décembre 1975 au large des côtes camerounaises à Douala, qui fut à l’origine du déversement de 45 tonnes de fuel, de l’Arzen, le 1er janvier 1977 sur la côte béninoise, de l’Universe Defiance, le 16 avril 1977 au large du Sénégal, de l’Uniluck, le 26 octobre 1977 échoué à 4 milles de Fouche Island au large du Nigeria, du Costathina, le 17 juillet 1979 à 1,25 mille au large des

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NOTES 1. Cas lors de la création des parcs nationaux du Niokolo-Koba au Sénégal, du Niumi en Gambie et du banc d’Arguin en Mauritanie. 2. Les populations et parties prenantes concernées deviennent alors de véritables acteurs et l’objectif était qu’elles s’approprient les enjeux de conservation sur un territoire qu’elles connaissent bien et instaurent de véritables processus communautaires de gestion. Les populations furent de plus en plus impliquées dans la gestion des parcs de première génération et l’on constate que les créations récentes d’aires protégées intègrent de plus en plus ces préoccupations. 3. Estimation indirecte du taux moyen d’échange d’individus et évaluation de la connectivité entre différentes zones d’une région. 4. Objectif principal du projet CAMP (2009-2011) : estimation de la connectivité effective entre les AMP par le biais de la génétique des populations. 5. Au Cameroun, les causes naturelles sont principalement la faible circulation des eaux dans la zone estuarienne, l’étroitesse du plateau continental et la différence de salinité entre les eaux douces et marines. 6. Les causes humaines consistent au Cameroun, pour l’essentiel, en des rejets directs résultant des activités portuaires à caractère industriel (eaux usées) et de l’utilisation du milieu marin pour l’évacuation de matières de vidange sanitaire.

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Développement durable en Afrique côtes sénégalaises, du Petro Bouscat, le 21 juin 1979, à 20 milles au large de Douala au Cameroun, de l’Inonnis Angeli Cousis, le 16 août 1979 au large des côtes sénégalaises, du Saleni, le 16 janvier 1980 au large de la Mauritanie, du Mycène, le 3 mars 1980 au large de la Côte d’Ivoire. S’y ajoute l’exemple plus récent de la marée noire provoquée par des explosions à bord du pétrolier iranien, le Khar Q5, le 19 décembre 1989 au large des côtes atlantiques du Maroc. 11. À la fin des années 1960, des investigations suggérées par le taux anormalement élevé d’arsenic dans la mer Baltique a révélé l’immersion, quarante ans plus tôt, de 7 000 tonnes de ce produit hautement toxique dans ces eaux.Toujours dans la mer Baltique, des pêcheurs danois furent brûlés après avoir consommé des poissons contaminés par de l’ypérite allemande enfouie dans les eaux par les Alliés après la Seconde Guerre mondiale. Vingt-six ans après l’immersion dans les eaux de Love Canal, en 1952, de 22 000 tonnes de déchets chimiques d’origine industrielle, on a constaté des taux anormalement élevés de cancers parmi les habitants de la localité du même nom. On se souvient également de l’immersion dans le golfe de Gascogne, en 1970, de 4 000 tonnes de déchets radioactifs provenant de Belgique, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne, de Suisse et d’Allemagne. 12. D’après le plan d’action d’Abidjan, ces normes sont en l’occurrence celles contenues dans la Convention de Londres du 29 décembre 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets. Ce plan d’action appelle à son paragraphe 22 les gouvernements de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre à procéder à la ratification de cette Convention de Londres en vue de son application dans l’espace régional. La Convention en question constate que les capacités de la mer d’assimiler les déchets et de les rendre inoffensifs ne sont pas illimitées (Préambule, alinéa 3). Elle engage par conséquent les signataires à prendre toutes les mesures possibles pour prévenir la pollution des mers par l’immersion de déchets et d’autres matières susceptibles de mettre en danger la santé de l’homme, de nuire aux ressources biologiques, à la faune et à la flore marines, de porter atteinte aux agréments ou de gêner toutes autres utilisations légitimes de la mer. 13. Pollution des zones maritimes due à des déversements par les cours d’eau, les établissements côtiers ou les émissaires, ou émanant de toute autre source située sur la terre ferme. Aux déversements directs en provenance des égouts et indirects en provenance des cours d’eau, s’ajoutent les immersions, au large, d’effluents à partir des barges affrétées à cet effet. 14. Fleuves Zaïre, Sénégal, Niger, Ogooué, Sanaga, Nil, Zambèze, etc. 15. Les matières flottantes (graisse et mousse) que contiennent généralement ces substances sont de nature à changer les caractéristiques aquatiques naturelles telles que le transfert d’oxygène et la pénétration lumineuse. Les solides décantables sont susceptibles de former des couches de boue qui se décomposent en produisant des gaz malodorants et des masses flottantes à la surface de l’eau : c’est le cas des eaux saumâtres des lagunes d’Abidjan et de Lagos. Non seulement cette pollution est particulièrement malodorante, mais encore elle est nocive pour les organismes vivant dans ces milieux aquatiques. De plus, elle présente un grand danger pour les eaux à usage récréatif et les eaux servant à l’approvisionnement du public. 16. Les principales industries des États côtiers africains sont concentrées le long des côtes. Elles déversent dans les océans leurs effluents et autres déchets ou substances polluantes. 17. On note, par exemple, qu’une enquête sur la pollution maritime par l’industrie portant sur 230 entreprises d’Abidjan en Côte d’Ivoire a évalué à environ 11 tonnes par jour la quantité de matières oxydables rejetées. La forte concentration démographique le long des côtes n’es pas pour améliorer ce tableau. Un exemple des plus frappants à cet égard est celui de Lagos au Nigeria et ses 8 millions d’habitants dont les conditions de vie constituent un grave danger pour la santé publique avec des plages et des lagunes qui servent de toilettes. De nombreuses stations-services sont dépourvues de collecteurs d’huiles et leurs vidanges d’huiles usées d’automobiles effectuées directement dans les caniveaux et les égouts des villes côtières affectent ainsi fortement les nappes d’eaux souterraines, les eaux de surface, les estuaires et, en bout de chaîne, les océans. 18. Explosion d’un puits de pétrole off shore le 17 juin 1980 au large des côtes nigérianes : 300 000 tonnes de pétrole rejetées causent d’importants dommages aux eaux et à l’écosystème côtier, aux paysans et aux pêcheurs du bassin du fleuve Niger, la fuite d’un flexible de 20 à 10 mètres au-dessous de la mer en août 1981, lors du chargement du M/S Breeze a provoqué l’épandage de plusieurs mètres cubes de pétrole brut au large des côtes camerounaises, le déballastage, un an plus tôt, du M/S Dione avait entraîné l’épandage de 5 000 m3 de liquide sale.

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Gestion et accès aux ressources en eaux 19. La jurisprudence américaine fait état de dommages causés par l’explosion d’un puits sous-marin dès 1928, mais la première véritable marée noire due à un puits off shore date de 1964. 20. Angola, Bénin, Cameroun, Congo, Gabon, Ghana, Côte d’Ivoire, Nigeria, Sénégal, RDC. 21. Celui-ci représentait 16 % de la production mondiale totale en 1968 et 20 % dix ans plus tard. Un nombre impressionnant de plates-formes mobiles et immobiles sont en opération au large de plus de 80 pays, sondant le sous-sol marin ou extrayant l’or noir. 22. Le Congo a été victime de cette situation lors de l’explosion, en 1981, de la plate-forme en exploitation 45-2X au Cabonda, située à 6,5 km de la frontière maritime entre l’Angola et le Congo. 23. Les articles 9 de ces deux conventions demandent aux parties de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre ce type de pollution dans leurs zones d’application respectives. 24. La région concernée couvre la quasi-totalité de la façade atlantique de l’Afrique, de la Mauritanie à la Namibie, soit au total près de 7 000 km. 25. Elle dispose, en des termes inspirés de l’article 194 alinéa 5 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer, que les parties contractantes doivent prendre « individuellement ou conjointement, selon le cas, toutes les mesures appropriées et préserver les écosystèmes singuliers ou fragiles ainsi que l’habitat des espèces et autres formes de vie marine appauvries, menacées ou en voie de disparition ». 26. Celle-ci apparaît comme une mer fermée, où la proximité des côtes des différentes rives a rendu impossible l’établissement des zones économiques exclusives. 27. Institution principale de la convention : son rôle est de remplir les différentes fonctions prévues dans la convention. Elle peut notamment formuler des recommandations sur la réglementation des engins de pêche et la taille limite des poissons qui peuvent être gardés à bord d’un bateau de pêche, débarqués, exposés ou mis en vente ; l’établissement des périodes d’autorisation ou d’interdiction de la pêche et de zones où la pêche est interdite ou autorisée ; l’amélioration et l’accroissement des ressources biologiques, notamment par culture marine, transplantation et acclimatation d’organismes, transplantation de jeunes espèces et lutte contre les prédateurs ; la réglementation du volume total des prises par espèces ou, éventuellement, par régions, tout autre type de mesure directement liée à la conservation de toutes les ressources ichtyologiques et autres ressources biologiques de la zone de la convention (article VIII). 28. Remontée des fonds marins, changement de niveau de la mer qui ont tendance à éroder nombre de plaines côtières africaines à l’instar de la côte bénino-togolaise, la morphologie côtière : certaines par ticularités telle que la largeur du plateau continental, l’apparition de promontoires, la présence d’embouchures de marée. 29. Construction et développement des ports qui soulèvent divers problèmes d’aménagement du milieu dont l’érosion des côtes, l’exploitation des minerais et l’extraction des sables et graviers, le dragage au large ou le nettoyage d’un chenal d’accès, la construction de barrages sur les rivières qui peut affecter les quantités de sédiments atteignant la côte, l’urbanisation et le tourisme qui, certes, n’ont pas encore atteint le niveau des côtes européennes mais connaissent un essor certain avec la densification du tissu urbain et la concentration du parc industriel. On note au Maghreb, par exemple, la dégradation des sites littoraux avec une hypertrophie de certaines villes due à l’accroissement rapide des taux d’urbanisation. La rapidité de cet accroissement dans certains pays, comme l’Algérie, pourrait provoquer de grands chocs. 30. Ceux des États côtiers qui ont pris conscience de cette menace ont édicté des législations conséquentes dans ce domaine. On ne peut cependant dire que la prise de conscience soit à cet égard générale parmi les pays africains. En effet, si quelques pays insulaire pour la plupart, tels que l’île Maurice, Madagascar mais aussi le Togo, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc, etc. disposent de réglementations spécifiques en la matière, on ne peut en dire autant du Cameroun par exemple. Ce pays dispose pourtant d’une importante forêt de mangroves de plus en plus menacée et ses seules eaux poissonneuses au large de la péninsule de Bakassi ne font l’objet d’aucune protection particulière alors que ce réservoir de poissons dont dépendent largement aussi bien les populations côtières camerounaises que celles du Nigeria voisin se situe en pleine zone pétrolifère. Au Togo, en revanche, le Code de l’environnement dispose que les travaux, ouvrages et aménagements effectués dans le lit des cours d’eau et des lagunes seront conçus de façon à mainte-

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Développement durable en Afrique nir un débit ou un volume minimal garantissant la vie, la circulation et la reproduction des espèces qui peuplent les eaux au moment de la réalisation des travaux, ouvrages ou aménagements. Ceux-ci devront être pourvus, le cas échéant, de dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d’amenée et de fuite ou permettant la continuation des cycles migratoires (article 55). 31. Il y a moins d’une dizaine d’années encore, jusqu’à 97,5 % des prises totales de poissons y avaient lieu selon la FAO. 32. Les prélèvements des ressources de ces zones augmentent rapidement avec l’accroissement fulgurant des populations côtières, en particulier dans les pays en développement. La pêche artisanale pour les besoins strictement domestiques s’est transformée presque partout en pêche commerciale, à laquelle s’ajoute la pêche industrielle. 33. Convention internationale du 12 mai 1954 pour la prévention de la pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures et ses amendements et la Convention de Londres du 2 novembre 1973 pour la prévention de la pollution par les navires ,modifiée par le protocole de 1978. 34. Hormis les mesures tendant à réglementer l’accès à certaines ressources ainsi que leur prélèvement, ces mesures consistent, d’une part, en l’obligation d’évaluer les effets potentiels des activités humaines sur l’environnement marin et, d’autre part, en l’obligation d’information, de consultation et de concertation préalables au démarrage d’une activité susceptible de porter atteinte à cet environnement. 35. L’acquisition des données scientifiques sur l’environnement de la zone concernée est un préalable. Le constat de carence en ce domaine est posé par les États parties de la Convention d’Abidjan dès le paragraphe 5 du préambule de cette convention où il est affirmé « la nécessité d’adopter, du fait du manque de renseignements scientifiques sur la pollution des mers dans la région, un programme de recherche, de surveillance et d’évaluation soigneusement qualifié ». On n’en relève pas un constat similaire dans les autres conventions relatives aux mers régionales africaines. Elles n’en consacrent pas moins des dispositions spécifiques à la coopération scientifique. L’évaluation de l’impact sur l’environnement marin est la mesure préventive par excellence. Elle implique que, avant d’entreprendre toute activité susceptible d’avoir des effets d’une certaine ampleur sur l’environnement, une évaluation de ces incidences doit être effectuée. 36. Les protocoles de Genève (article 6 alinéas 2 et 4) et de Nairobi (article 13 alinéas 2 et 3) relatifs aux zones protégées prévoient notamment la mise en œuvre de cette procédure dans les hypothèses où les parties contractantes envisagent de créer des zones protégées contiguës à la frontière ou aux limites de la juridiction d’État non partie à ces protocoles. De façon laconique, la Convention d’Abidjan prévoit simplement l’adoption conjointe de mesures pour protéger et préserver les écosystèmes singuliers ou fragiles (article 11). 37. L’expression situation critique pour le milieu marin désigne, au terme de l’article 1er alinéa 2 du protocole d’Abidjan du 23 mars 1981 relatif à la coopération en matière de lutte contre la pollution en cas de situation critique, tout incident, événement ou situation, quelle qu’en soit la cause, ayant pour conséquence une pollution importante ou une menace imminente de pollution importante du milieu marin et des zones côtières par des hydrocarbures ou d’autres substances nuisibles, et en particulier des collisions, échouements et autres incidents survenant à des navires, y compris les naviresciternes, les éruptions sur les sites de production pétrolière et la présence d’hydrocarbures ou d’autres substances nuisibles due à des défaillances d’installations industrielles. Une fois l’accident survenu, s’impose la nécessité de prendre des mesures d’urgence pour circonscrire ses conséquences dommageables, et donc prévenir l’expansion de ses effets. 38. Des efforts ont été faits pour doter de PIU les États de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Il faut dire que, dès sa toute première réunion en juillet 1981, le comité directeur de l’environnement marin pour cette région avait considéré l’élaboration et la coordination de ces mécanismes de lutte anti-pollution comme le premier des quatre projets prioritaires pour la région. En ce qui concerne les PIU nationaux, une aide a été fournie aux États de la zone concernée en vue de l’élaboration de dix plans d’intervention en cas de situation d’urgence due notamment à la pollution : deux de ces plans ont été adoptés au Congo et en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, des principes directeurs pour la mise au point de plans d’intervention en cas de situation critique due à des accidents industriels et pour l’analyse des risques industriels ont été préparés, et des informations sur le degré de préparation ainsi que sur la capacité d’intervention des pays en cas d’accidents industriels ras-

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Gestion et accès aux ressources en eaux semblées. De même, une évaluation régionale des risques industriels a été réalisée pour les secteurs industriels principaux des cinq zones géographiques qui constituent la région. 39. Ces techniques vont du confinement au système de succion, en passant par l’écrémage, l’absorption, la gélification, la précipitation, l’émulsion et le brûlage. Le protocole d’Abidjan préconise ensuite une seconde catégorie d’opérations comprenant la récupération et le sauvetage de colis, de containers, de citernes mobiles, de camions citernes, ou wagons-citernes dont l’intérêt pour la lutte contre la dégradation du milieu marin est patent au regard de la nocivité des produits chimiques contenus dans les emballages cités. 40. Principe directeur du droit international de l’environnement en ce qu’il s’est dégagé d’une pratique assez précise. Il diffère en cela des « principes inspirateurs » qui, loin de formuler des obligations concrètes, définissent plutôt un état d’esprit, une orientation du comportement des États. Cette obligation figure dans toutes les conventions relatives aux mers régionales, y compris naturellement celles qui intéressent l’Afrique. L’alerte doit être prompte et immédiate. L’article 7 du protocole d’Abidjan fournit toutes les précisions nécessaires sur ce point.Trois catégories de personnes constituent les sonneurs d’alerte : ce sont les capitaines de navires battant pavillon des États parties, les pilotes d’aéronefs immatriculés sur leur territoire, et toutes les personnes responsables d’ouvrages opérant au large des côtes soumises à la juridiction des États contractants. Les États contractants sont les destinataires de l’alerte. Ils s’engagent à demander, à ceux des sonneurs d’alerte qui ont avec eux les liens juridiques de rattachement requis, d’utiliser les voies les plus rapides et les plus appropriées pour signaler à toute autre partie contractante tous les accidents causant ou susceptibles de causer une pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures ou d’autres substances nuisibles. 41. Meilleur moyen à la fois de prévention et de lutte contre les atteintes effectives à l’environnement, un des principes les mieux établis en droit international de l’environnement. Tous les instruments juridiques régionaux considérés ainsi que la plupart des protocoles y relatifs affirment cette obligation dont on mesure toute l’impor tance pour les États aux moyens limités comme ceux d’Afrique. L’article 4 du protocole d’Abidjan dispose à cet égard que les parties contractantes s’engagent à coopérer pour toutes les questions relatives à l’adoption des mesures nécessaires et efficaces de protection de leurs côtes respectives et des intérêts connexes contre les dangers et les effets de la pollution résultant des situations critiques en milieu marin. Si le protocole II de la Convention de Nairobi est muet à ce sujet, le protocole I vise la coopération technique dans son article 19 et l’article 11 de cette convention est entièrement et explicitement consacré à la coopération en matière de lutte contre la pollution en cas de situation critique. 42. Instances politiques de décision et organes de suivi et de gestion. 43. Dans le cadre de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, l’UCR est fondée sur les paragraphes 25 du plan d’action d’Abidjan et 2 de la résolution sur les dispositions institutionnelles. 44. Le comité régional des pêches du golfe de Guinée, créé le 21 juin 1984 à Libreville, qui regroupe le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, São Tomé-et-Principe et le Zaïre, la conférence ministérielle des États de l’Afrique de l’Ouest et du Centre sur les transports maritimes dont l’une des émanations, l’Association pour la gestion des ports de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (AGPAOC), contribue, comme l’a du reste préconisé le plan d’action d’Abidjan, à la réduction de la pollution dans les ports. 45. Ces institutions nationales que les conventions sur les mers régionales appellent « autorités nationales » (cf. articles 16 des conventions d’Abidjan et de Nairobi) sont chargées de la coordination des efforts nationaux de mise en œuvre de ces conventions ainsi que des protocoles y relatifs. Il leur revient également de coordonner au niveau national les activités des programmes interdisciplinaires confiés aux UCR. L’autorité nationale sert d’organe de liaison entre la partie contractante et le PNUE. 46. Les atteintes aux zones côtières ont des causes à la fois naturelles et humaines. L’importance des unes et des autres de ces causes varie selon les pays et, notamment, selon la configuration de leurs côtes et la densité des pollutions dans leur zone littorale. 47. Plusieurs États parties à la Convention d’Abidjan ont signé, sans doute sur la base de l’article 3 de cette convention, une convention sur le développement régionale des pêches dans le golfe de Guinée. Cette convention, signée à Libreville le 21 juin 1984, vise à assurer la conservation et le développement des stocks de poissons se trouvant dans la zone économique exclusive des États parties.

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Développement durable en Afrique 48. Article 2 de la convention du 2 mars 1982 relative à la conservation du saumon dans l’Atlantique Nord. 49. Article 5 accord du 7 juillet 1959 relatif à la pêche dans la mer Noire. 50. Article 7 de la convention du 24 janvier 1959 sur les pêcheries de l’Atlantique du Nord-Est. 51. Le Nigeria a entrepris l’élevage de mulets gris et de poissons-chats dans les eaux saumâtres du delta du Niger, l’Angola, l’élevage de moules. L’aquaculture lagunaire se développe en Côte d’Ivoire et le Ghana emprunte la même voie. 52. Dans le cadre de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, ces questions financières font l’objet d’une résolution spéciale adoptée lors de la conférence plénipotentiaire d’Abidjan tenue du 16 au 23 mars 1981, en dehors des quelques phrases que leur consacre le plan d’action d’Abidjan. 53. Dans la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, les ressources du FAS proviennent des contributions proportionnelles de tous les États situés dans le champ d’application de la Convention d’Abidjan, suivant un montant initial fixé par la résolution sur les dispositions financières susvisées, et accepté par les intéressés. Dans la région de l’Afrique orientale, le FAS est financé, en plus des contributions des États, par une contribution de l’Union européenne. 54. Les législations existantes dans ce domaine sont tournées principalement vers la protection du milieu marin, notamment la lutte contre la pollution marine. Seules quelques-unes d’entre elles s’intéressent à la gestion de la zone côtière et des ressources marines. 55. L’article 32 dudit code entend par pollution marine « l’introduction directe ou indirecte par l’homme de substances ou d’énergie dans le milieu marin lorsqu’elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques, à la faune et à la flore marines et aux valeurs d’agrément, provoquer des risques pour la santé de l’homme ou constituer une entrave aux activités maritimes, y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer, ou une altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation ». 56. Marées noires qui constituent le type de pollution marine le plus connu. 57.Toutes les législations qui traitent de la pollution marine s’accordent sur ce principe et prévoient des sanctions en cas d’infraction à ce principe. 58. Afin d’assurer la protection qualitative des eaux de la mer, diverses législations africaines fixent un cadre juridique des activités maritimes qui, au-delà du contrôle et de la prévention des diverses formes de pollution, met l’accent sur l’interdiction de tout rejet ou déversement en mer. 59. L’article 52 de la loi algérienne de 1983 prévoit de telles opérations qui portent sur les substances et matériaux non visés dans la liste prévue à l’article 48, et précise que l’autorisation ministérielle est assortie, en tant que de besoin, « des prescriptions relatives à la réalisation de l’opération projetée ». Dans le Code de l’environnement de la Guinée, l’interdiction de déversement, d’immersion et d’incinération dans les eaux maritimes sous juridiction guinéenne prévue à l’article 3 n’est pas applicable « aux substances déversées en mer dans le cadre d’opérations de lutte contre la pollution marine par les hydrocarbures menées par les autorités guinéennes compétentes ou par toute personne habilitée par ces dernières (articles 4 et 1). De même, elle ne s’applique pas aux substances ou matériaux non visés dans la liste prévue en application dudit article 33 : les opérations de déversement, d’immersion ou d’incinération de ces substances ou matériaux peuvent être effectuées après obtention d’une autorisation délivrée par le service de l’environnement précisant le lieu et les modalités techniques de l’opération. On ne trouve pas de telles précisions dans d’autres législations abordant les questions de pollution marine telles que celles du Sénégal, du Togo, de l’île Maurice, du Cameroun, et d’autres. 60. Ar ticle 34 alinéa 2 du Code de l’environnement de la Guinée et ar ticle 44 alinéa 3 de l’Environnement Protection Act de 1991 de l’île Maurice. 61. L’article 53 de la loi algérienne de 1983 et l’article 36 du Code de l’environnement de la Guinée disposent, dans des termes quasi identiques, qu’en cas d’avaries ou d’accidents survenus « en mer territoriale » (Algérie), « dans les eaux sous juridiction guinéenne » (Guinée), à tout navire, aéronef, engin ou plate-forme transportant ou ayant à son bord des hydrocarbures ou des substances nocives ou dangereuses, et pouvant créer des dangers graves et imminents susceptibles de por ter atteinte au milieu marin ou aux intérêts connexes, le propriétaire dudit navire, aéronef ou engin peut être mis en demeure de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à ces dangers.

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Priorités et orientations nationales en faveur d’une énergie durable pour tous en Côte d’Ivoire Adama Toungara, Ministre du Pétrole et de l’Énergie en Côte d’Ivoire

Introduction L’énergie est au centre de presque tous les défis majeurs, mais aussi des perspectives prometteuses, qui se présentent au monde aujourd’hui et notamment à l’Afrique. Qu’il s’agisse d’emploi, de sécurité, de production, de nourriture ou d’accroissement des revenus de l’adaptation au changement climatique, l’accès de tous à l’énergie est essentiel. Un cinquième de la population mondiale, soit 1,3 milliard de personnes, n’a toujours pas accès à l’électricité dont près de 30 % en Afrique. Environ 2,7 milliards de personnes, dépendent du bois, du charbon ou des déchets animaux pour la cuisson et le chauffage. Dans le contexte économique actuel, cette situation inéquitable est un obstacle majeur à l’élimination de la pauvreté. Dans les pays industrialisés, le problème énergétique provient du gaspillage et de la pollution, pas de la pénurie. Dans le monde entier, l’utilisation inefficace de l’énergie nuit à la productivité économique et les émissions liées à l’énergie contribuent pour une large part, au phénomène dangereux du réchauffement planétaire. Les changements climatiques mettent tous les humains en danger, mais ce sont les pauvres qui sont les premiers touchés et qui en subissent les conséquences les plus graves. L’énergie durable, autrement dit une énergie accessible, abordable, plus propre et plus efficace, est essentielle au développement durable. Elle permet aux entreprises de croître, de générer des emplois et de créer de nouveaux marchés. Des millions d’enfants peuvent étudier après la tombée de la nuit et les hôpitaux et les cliniques peuvent fonctionner correctement. Les pays peuvent bâtir des économies plus résilientes et plus concurrentielles. L’énergie durable permet aux pays de surmonter les limites des systèmes énergétiques du passé et de promouvoir une économie de l’avenir, fondée sur des énergies propres.

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En septembre 2011, afin de placer la question de l’énergie au cœur des préoccupations, le secrétaire général des Nations Unies a lancé l’initiative Énergie durable pour tous (SE4All), qui fixe à l’horizon 2030 trois objectifs : • assurer un accès universel aux services énergétiques modernes ; • doubler le taux général d’amélioration de l’efficacité énergétique ; • doubler la par t des énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial. Ces objectifs sont complémentaires. Les progrès enregistrés dans la réalisation de l’un d’entre eux sont susceptibles de profiter aux autres. L’accès généralisé à l’énergie durable permettrait de stimuler la croissance économique, d’améliorer l’équité et de protéger l’environnement. En Afrique, les défis sont immenses mais les opportunités, aussi. La Côte d’Ivoire souhaite jouer sa partition et s’efforce de mettre en place un programme d’action national au titre de l’énergie durable pour tous.

Figure 1 : Approvisionnement en énergie primaire de la Côte d’Ivoire en 2012 Source : SIE-Côte d’Ivoire 2012

La transformation d’énergie En 2014, le parc de production d’énergie électrique était équipé, par une puissance totale installée de 1 632 MW. Dont 1 028 MW de centrale thermique à gaz (soit 63 %) et 604 MW de centrale hydroélectrique (soit 37 %).

Le potentiel et les enjeux en matière énergétique Quatre grandes formes d’énergies constituent l’essentiel des approvisionnements en énergies primaires de la Côte d’Ivoire. En 2012, l’approvisionnement était de l’ordre de 12,14 millions de tonnes équivalent pétrole (tep). Cette quantité est en hausse de 12,7 % par rapport à l’année 2011. Les énergies renouvelables combustibles et déchets englobent le bois, les produits de défrichement agricole et les résidus de produits agricoles (bagasse, rafle, coque, fibre de coco, cabosse de cacao). Elles représentent 58,7 % des approvisionnements primaires. En 2012, la Côte d’Ivoire a produit 17,8 millions de tonnes de bois et 84,3 milliers de tonnes de résidus (il s’agit de quantités valorisées en tonne équivalent bois). En 2012, le pétrole brut constituait 28,3 % des approvisionnements primaires. La production se situait à 10,77 millions de barils de pétrole, soit environ 1,46 million de tonnes métriques (TM). Cette production était en baisse de 13,1 % par rapport à l’année précédente. L’approvisionnement total de la Côte d’Ivoire en pétrole brut était de 3,44 millions de TM. En 2012, les champs Lion, Panthère, Espoir, Foxtrot et Baobab ont permis d’approvisionner la Côte d’Ivoire à hauteur de 59,4 milliards de pieds cubes de gaz soit 1,682 milliard de mètres cubes (m3). De cette production, 91,3 % ont servi à la génération d’électricité. La part de l’hydroélectricité, avec 1 788,59 GWh en 2012 dans les approvisionnements primaires, est faible : 1,3 %.

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L’énergie électrique produite à partir de ces capacités installées s’élevait à 8 201,7 GWh et se décomposait comme suit : 23 % provenant de l’hydroélectricité et 77 % du thermique utilisant comme combustibles le gaz naturel, le HVO ou le DDO. Un effort est fait par l’État pour une plus grande efficacité énergétique de ces installations avec l’inauguration en juillet 2015 du cycle combiné à la centrale d’AZITO, il en sera de même très prochainement avec la mise en service du cycle combiné de CIPREL. Cette nouvelle technologie contribuera à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le potentiel hydroélectrique national est évalué à 2 500 MW, avec seulement 25 % en exploitation à ce jour. Ainsi, une stratégie de mise en valeur a-t-elle été

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adoptée en vue de permettre à terme de réduire la part des combustibles fossiles dans le mix énergétique. Le réseau interconnecté de la Côte d’Ivoire a permis au pays d’avoir, en fin 2014, un taux d’accès à l’énergie (nombre de personnes vivant dans les localités électrifiées divisé par la population totale multiplié par cent) d’environ 78 % et un taux de couverture (nombre de localités électrifiées sur le nombre total de localités multiplié par cent) de 43 %. Au regard du rendement global du réseau électrique de l’ordre de 79 % et de l’utilisation qui est faite des services énergétiques dans les différents secteurs d’activités, il est aisé de conclure que la Côte d’Ivoire dispose encore d’un gisement important d’économie d’énergie dont la valorisation va susciter la mise en œuvre de grands projets sur l’efficacité énergétique. Pour satisfaire le besoin énergétique de toute la population, la biomasse est l’énergie la plus utilisée. En effet la plupart des ménages ont recours à cette énergie (bois de chauffe ou charbon de bois) qui représente 70 % de leur besoin en énergie. Sur 7,12 millions1 de tep consommées en 2012, la biomasse représente la première forme d’énergie consommée avec une part prépondérante de 69,6 %, suivie des produits pétroliers (21,1 %), de l’électricité (5,3 %) et du gaz naturel (1,7 %). Cette consommation est en forte croissance de 15,2 % par rapport à l’année 2011. La consommation d’énergie par habitant s’élevait à 0,31 tep pour une population estimée à 23,064 millions. L’analyse sectorielle des consommations de 2012 donne une part importante accordée au secteur des ménages avec 67,5 % suivi de très loin des services (9,4 %), des transports (16 %) et de l’industrie (4,8 %). L’agriculture vient en dernière position avec moins de 1 % de la consommation d’énergie. Les utilisations non énergétiques représentent 2,3 %.

Figure 2 : Consommations finales d’énergie par secteur en 2012 Source : SIE-Côte d’Ivoire 2012

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Les défis pour l’énergie durable en Côte d’Ivoire Pour une production et une consommation durables plusieurs défis restent à relever notamment : • recourir aux sources d’énergies nouvelles et renouvelables ; • utiliser des technologies efficientes énergétiquement aussi bien pour la production que pour la consommation d’énergie ; • utiliser des technologies faiblement émettrices de carbone, y compris les techniques moins polluantes d’exploitation des combustibles fossiles ; • exploiter de manière rationnelle les sources traditionnelles d’énergie. Les États de la région, réunis au sein de la Communauté économique des États de l‘Afrique de l‘Ouest (CEDEAO) ont pris toute la mesure du problème énergétique. Ainsi, en janvier 2006, les chefs d’État et de gouvernement ont approuvé le livre blanc sur l’accès aux services énergétiques des populations rurales et périurbaines pour la réduction de la pauvreté et l’atteinte des Objectifs du millénaire pour un développement durable qui comportait des objectifs ambitieux pour l’accès à l’énergie à l’horizon 2030. Dans ce cadre, les chefs d’États de la CEDEAO ont adopté en 2012 les politiques régionales d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelables, qui ont commencé à être mises en œuvre sous l’impulsion du Centre des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique de la CEDEAO (CEREEC). L’énergie consommée est produite à partir de combustibles fossiles et de la biomasse, qui détruisent nos ressources naturelles (pétrole, gaz, charbon de bois et le bois de cuisson), surtout quand elle est consommée de façon inefficiente. Au niveau de la qualité du service électrique, les pertes et le temps moyen de coupure demeurent encore élevés sur le réseau électrique. Comment produire et consommer de façon durable l’énergie dont nous avons besoin ? L’État a entrepris le remplacement gratuit des ampoules incandescentes par des lampes basse consommation (LBC) en milieu résidentiel et des audits énergétiques dans les bâtiments administratifs afin de réaliser des économies d’énergies dans lesdits secteurs. La direction générale de l’énergie a en son sein une direction de la maîtrise de l’énergie et des énergies renouvelables, dont la mission est de, entre autres, contribuer à l’élaboration et suivre la mise en œuvre des politiques et des projets en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. Il en est de même pour le suivi des programmes d’amélioration des moyens de cuisson, de réduction de l’émission de gaz à effet de serre et des actions à mener dans le transport, l’industrie et les bâtiments en vue de capter le potentiel d’économie d’énergie et avoir une consommation durable. Les capacités de ces structures seront renforcées pour permettre une plus grande efficacité dans l’exercice de leurs missions.

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Le déséquilibre entre l’offre et la demande en énergie moderne sur l’ensemble du territoire national pousse certaines localités rurales défavorisées à utiliser la biomasse pour satisfaire les besoins de cuisson. En Côte d’Ivoire, il existe un potentiel de flux solaire moyen d’environ 5 à 6 kWh/m2/jour pendant six heures, de plus le potentiel éolien existe mais reste assez mal connu en l’absence d’études (atlas éolien) permettant d’identifier les vents dominants ainsi que leur force et leur régularité. La Côte d’Ivoire dispose d’un potentiel important de sites susceptibles d’accueillir l’aménagement de centrales hydroélectriques de grande ou petite capacité. La biomasse est une ressource disponible en grande quantité, mais utilisée de façon non durable. Malgré tous ces atouts la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique est estimée à moins de 1,3 % en Côte d’Ivoire si on ne prend en compte que la petite hydroélectricité (< 10 MW). Où en sommes-nous par rapport au SE4ALL ? D’importantes actions sont en cours dans les domaines de l’efficacité énergétique, des énergies renouvelables et de l’accès à l’électricité.

Ainsi, plusieurs actions sont en cours dont entre autres : • le processus de sélection de promoteurs pour la construction et l’exploitation d’une centrale solaire photovoltaïque de 20 MW-crête ; d’une centrale à biomasse de 2 x 20 MW, d’une petite centrale hydroélectrique de 8 MW, toutes trois connectées au réseau électrique national et de mini réseaux alimentés par des sources d’énergies renouvelables pour l’électrification décentralisée ; • le projet BIOKALA de construction d’une centrale biomasse de 2 x 20 MW. Au niveau de l’accès à l’électricité, on citera entre autres : • le programme Électricité pour tous (PEPT) qui vise à faciliter le raccordement des ménages par le paiement initial de 1 000 francs CFA et le remboursement du coût de branchement sur une période de dix ans, avec pour ambition de raccorder près de 200 000 ménages par an ; • le programme national d’électrification rurale (PRONER) qui vise à électrifier toutes les localités de plus de 500 habitants à l’horizon 2016 et toutes les localités de Côte d’Ivoire à l’horizon 2020.

Ainsi, au niveau de l’efficacité énergétique : – un programme de distribution de cinq millions de lampes fluo-compactes est en cours de déploiement en vue de contribuer à la maîtrise de la demande nationale d’électricité ; – des audits sont en cours dans les bâtiments administratifs énergivores ; – le nouveau code de l’électricité qui a été adopté : • rend obligatoires et périodiques les audits énergétiques notamment dans les industries et les grands bâtiments du tertiaire, • introduit des normes et exigences d’efficacité énergétique pour les grands bâtiments neufs et les équipements électroménagers, • instaure un système d’étiquetage énergétique des appareils électroménagers, • exige la prise en compte de l’efficacité énergétique dans la production de l’électricité. – l’installation et l’inauguration de la nouvelle centrale à cycle combiné d’AZITO, de même que la mise en service prochaine de celle de CIPREL. Toutes ces actions devraient contribuer à une meilleure maîtrise de la production et de la consommation d’énergie. Au niveau des énergies renouvelables, la Côte d’Ivoire ambitionne d’accroître la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique en la faisant passer à 16 % en 2030.

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Solutions envisagées L’atteinte de l’objectif d’une énergie durable pour tous avant 2030 va nécessiter de développer et mettre en œuvre des approches intégrées et une synergie entre différents projets et mesures. Les solutions envisagées vont porter sur le cadre institutionnel et réglementaire, puis la disponibilité de fonds pour le financement des actions, et par la suite l’accès aux services énergétiques propres et aux technologies moins polluantes et enfin promouvoir des énergies nouvelles et renouvelables. 1. Cadre institutionnel et réglementaire Le projet SE4ALL étant coordonné par le ministère du Pétrole et de l’Énergie, avec l’appui de la CEDEAO, des plans d’actions d’énergies renouvelables (PANER), d’efficacité énergétique (PANEE) et d’Agenda d’action SE4ALL sont en cours d’élaboration. Un atelier de validation du rapport de base de ces plans d’actions regroupant toutes les parties prenantes nationales s’est tenu le 20 juillet 2015 à Abidjan. Des comités de suivi de ces plans d’actions ont été proposés afin de créer un cadre de concer tation multisectoriel permanent sur les questions d’accès à l’énergie durable. L’atelier national a recommandé la mise en place de ces comités par arrêté interministériel.

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Par ailleurs, ces plans d’actions qui cadrent parfaitement avec les objectifs du S4ALL, intégreront le programme national d’investissement pour l’accès aux services énergétiques en Côte d’Ivoire (PNIASE-CI) qui s’achève en 2015 ainsi que tous les autres plans existants en relation avec cette thématique. Le gouvernement s’attache à l’harmonisation d’harmoniser les textes réglementaires existants afin d’intégrer tous les aspects du développement durable ainsi que les objectifs de l’énergie durable pour tous. 2. Le fonds pour l’énergie durable Le plan national de développement a estimé les coûts pour la mise en œuvre des réformes et des projets du secteur de l’énergie en Côte d’Ivoire. Pour financer tous ces projets, il serait utile de réfléchir à des mécanismes innovants de mobilisation de ressources. 3. L’accès à l’énergie Pour les besoins de cuisson, La Côte d’Ivoire s’attache à promouvoir le biogaz à partir de déchets agricoles et à rendre accessible les foyers améliorés dans le monde rural. Il faut aussi généraliser l’accès au GPL surtout en milieu rural et périurbain. L’accès à l’électricité doit se faire par des branchements subventionnés dans le cadre du PEPT à travers un fonds revolving destiné aux quar tiers précaires, périurbains et au monde rural. Il a également été retenu de renforcer l’électrification rurale décentralisée par système solaire, et pour les besoins d’éclairage, d’utiliser les lampes solaires surtout pour les habitations mal aérées.

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Pour ce faire, sont engagées des actions pour un meilleur cadre légal et réglementaire (en cours avec le code de l’électricité et ses textes d’application) et une sensibilisation accrue des populations pour l’usage des technologies efficaces et l’adoption de comportements nouveaux en matière d’usage de l’énergie. 5. Énergies renouvelables dans le mix énergétique Les énergies renouvelables sont économiquement compétitives pour les zones isolées et éloignées des réseaux électriques, il est ainsi prévu dans le cadre du PRONER de favoriser l’électrification rurale décentralisée par des sources d’énergies renouvelables pour les localités éloignées du réseau électrique interconnecté. Pour attirer les investissements dans le domaine des énergies renouvelables et permettre l’atteinte des objectifs fixés par le gouvernement de faire passer à 16 % en 2030 la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, un cadre réglementaire attractif est institué.

La coordination et le suivi Le renforcement des capacités de la direction générale de l’énergie contribue à une meilleure coordination de toutes les actions liées à l’initiative énergie durable pour tous. Afin de permettre un suivi des actions du SE4ALL, certains indicateurs pertinents ont été proposés. Les indicateurs nationaux proposés sont liés au suivi-évaluation des objectifs fixés par les Nations Unies à l’horizon 2030 pour l’atteinte de l’énergie durable pour tous.

Le gouvernement veille à trouver une adéquation entre les villages programmés, l’installation des usines, les fonds disponibles au niveau du secteur de l’électricité et les entreprises de montage électrique afin de disposer d’une bonne planification dans le secteur énergétique. 4. L’efficacité énergétique Dans ce domaine, la Côte d’Ivoire s’efforce de prendre en compte dans le programme national d’efficacité énergétique les axes suivants figurant dans la politique régionale d’efficacité énergétique : • l’éclairage efficace ; • la cuisson durable ; • la distribution électrique performante ; • les normes d’efficacité énergétique et l’étiquetage portant sur les bâtiments et les appareils électroménagers.

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conclusion et recommandations La Côte d’Ivoire est engagée dans une perspective ambitieuse, inclusive et rationnelle de gestion de l’énergie pour tous. Nos modes de production et de consommation se traduisent par une exploitation excessive et croissante des ressources naturelles. Ils affectent le climat, la diversité biologique, les équilibres naturels, voire la stabilité de nos populations. Aussi, notre pays s’attache à préserver nos ressources, conformément à notre engagement INDC (Intended Nationally Determined Contributions) tout en valorisant nos potentialités au bénéfice des populations. Ainsi, nous veillons à :

fin nancière Innovation technique et fi pour la cuisson au charbon de bois en Afrique : le cas de Soutra Fourneau Fabrice Lesache

• sensibiliser et faire une communication de masse auprès de la population pour une utilisation rationnelle de l’énergie ;

Président d’Ecosur Afrique

• faire en sorte que de par la volonté politique du pays nous passions de 0 % à au moins 10 % de l’énergie renouvelable dans le mix énergétique ;

Directrice des opérations d’Ecosur Afrique

• prendre un décret de création de l’agence de maîtrise d’énergie pour mettre en œuvre l’initiative Énergie pour tous ; • inciter les industriels, les complexes hôteliers et les bâtiments publics à faire des audits énergétiques périodiques.

Aurélie Lepage Cédric A. Lombardo Directeur associé de BeDevelopment

BIBLIOGRAPHIE MEMPD, février 2012, Plan national de développement (PND). BAD/OCDE 2008, Perspectives économiques en Afrique. Ministère des Mines et de l’Énergie – Ministère de l’Économie et des Finances, janvier 2009, Lettre de politique de développement du secteur de l’électricité. MMPE, juin 2011, Plan stratégique de développement du secteur de l’électricité et des énergies nouvelles et renouvelables. Programme national d’investissement pour l’accès aux services énergétiques en Côte d’Ivoire (PNIASE-CI), rapport final décembre 2012. Système d’information énergétique (SIE), rapport 2012, DGE. Compte rendu technique annuel, rapport 2012, CIE.

NOTE 1. L’écart entre l’approvisionnement en énergie primaire (12,14 Mtep) et la consommation finale (7,12 Mtep) est lié au fait qu’avant toute consommation par les différents acteurs économiques, l’énergie primaire est transformée en partie ou en totalité. Ainsi : – une partie du bois est transformée en charbon de bois avec un rendement de 17 % ; – le pétrole brut est transformé en produits pétroliers avec un rendement de 95 % ; – une partie du gaz naturel (90 %) est transformé en électricité avec un rendement de 33 %. Les produits résultants de ces transformations sont transportés et distribués avec des pertes avant de se retrouver chez le consommateur final. En plus, une partie est consommée par les usines de production d’énergie et l’autre partie est exportée (électricité et produits pétrolier à 70 %).

Introduction Le bois et les produits de la biomasse lignocellulosique constituent les premières sources d’énergie domestique à travers le monde. En Afrique, ils constituent la première source d’énergie avec 47 % du total contre 24,8 % pour le pétrole, 16,5 % pour le charbon, 10,4 % pour le gaz et 1,3 % pour les autres sources d’énergie renouvelables – barrages hydroélectriques, énergie solaire et énergie géothermique (AIE, 2002)1. En Côte d’Ivoire, on estime à près de 90 % les ménages qui utilisent le bois de chauffage et le charbon pour leurs besoins en énergie de cuisson (Djezou, 2009) ; la biomasse quant à elle (essentiellement le bois de chauffage) représente 74 % de l’énergie primaire totale consommée dans le pays2. Les Ivoiriens dépendent donc majoritairement de combustibles solides à usage domestique et commercial, et cela a été le modèle au fil des années3. En effet, les besoins en matière de bois énergie sont très importants et s’accroissent au rythme de la population tandis que l’offre n’évolue pas au même rythme. Au contraire, elle tend à décroître comparée au dynamisme démographique ce qui entraîne un déséquilibre du marché de bois énergie avec pour conséquences des retombées négatives sur l’environnement, le bien-être social et la sécurité alimentaire durable des populations.

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Dans le souci de concilier bien-être social, lutte contre la précarité énergétique et le changement climatique, le programme de foyers améliorés « soutra fourneaux » a été initié. Il vise aussi à diminuer la pression sur les ressources ligneuses et à limiter les émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique.

Les enjeux de l’amélioration de l’efficacité énergétique des systèmes de cuisson La déforestation et le changement climatique La demande de bois de chauffe et en charbon de bois pour les usages domestiques est l’une des principales causes de la déforestation en Afrique avec pour conséquence la perte de la biodiversité. Même si à ce sujet, de nombreuses incertitudes scientifiques demeurent sur la vitesse de déforestation dans certaines régions et sur la capacité de stockage du carbone par les différents types de forêts, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirme que la vitesse de la déforestation s’établit, par continent, à : 0,8 (0,4 à 1,1) GtC/an en Asie ; 0,7 (0,4 à 0,9) GtC/an en Amérique ; 0,3 (0,2 à 0,4) GtC/an Afrique. Malgré ces chiffres qui sont parfois trompeurs, le taux de déforestation en Afrique progresse plus rapidement que dans cer taines par ties du monde4. Chaque année, le continent perd près de quatre millions d’hectares de forêts5. Les forêts, par la séquestration naturelle du carbone dans les sols et dans la biomasse forestière, participent activement à la lutte contre le changement climatique (stabilisation de la quantité de carbone dans l’air). À l’inverse, leur destruction dans les grands bassins forestiers tropicaux (Amazonie, Congo, Indonésie) contribue à l’augmentation de la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre. Les interactions entre les forêts et le changement climatique sont donc très étroites. En effet, la déforestation libère le carbone naturellement stocké dans les forêts mais réduit également la capacité d’absorption globale de la biosphère, si bien qu’une tonne de carbone émise par déforestation contribue plus à l’augmentation de la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone que l’émission d’une tonne de carbone fossile. Par ailleurs, les émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation (essentiellement dans les régions tropicales) pendant les années 1990 ont été estimées à 1,6 GtC/an soit environ 20-25 % des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre ou 80 % des émissions de dioxyde de carbone.

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La sécurité énergétique Dans la région de l’Afrique de l’Ouest, le bois et le charbon de bois constitue une par t immense de la demande locale en énergie pour la cuisson. Cette source d’énergie permet de répondre, principalement, aux besoins de consommation des ménages. Donc sans bois énergie, une grande partie des ménages n’aura pas accès à l’énergie pour les besoins domestiques, ce qui entraîne des risques d’insécurité énergétique. Pour ce faire, les populations ont recours à des quantités de plus en plus élevées de bois énergie. Le recours incontrôlé aux déchets de cultures comme source d’énergie peut également conduire à un appauvrissement des sols. Enfin, le bois de feu et le charbon étant cher, il devient de plus en plus inaccessible à une majorité de la population, ce qui entraîne une insécurité énergétique. Les enjeux économiques et sociaux Actuellement, la majorité des ménages ivoiriens utilisent, pour faire la cuisine, des foyers traditionnels à charbon acheté environ 5 000 francs CFA, d’une efficacité inférieure à 20 %, d’une durée de vie de six mois à deux ans maximum et qui produisent des fumées nocives pour la santé. Le gaz, réservé aux ménages les plus aisés, n’est pas toujours disponible et certains plats ne peuvent être cuisinés qu’avec du charbon de bois. Les dépenses des ménages pour acheter le charbon représentent environ 20 % du budget mensuel des familles (AIE, 2002). L’utilisation du charbon de bois est une habitude pour beaucoup de ménages ivoiriens. Pour les plats longs à cuisiner, le coût de la cuisson est généralement moins élevé avec le charbon. Toutes les Ivoiriennes utilisant régulièrement le charbon de bois, pour un usage familial ou professionnel (restaurants, cantines), sont des utilisatrices potentielles du Soutra Fourneau car le charbon de bois est utilisé aussi bien en zone rurale qu’urbaine et périurbaine. Même chez les ménages les plus aisés qui utilisent souvent le gaz, la femme qui cuisine utilise aussi régulièrement un foyer traditionnel pour préparer à l’extérieur certains plats comme les « braisés » ; elle apprécie alors le Soutra Fourneau car il lui permet de cuisiner à l’intérieur en laissant l’endroit propre et sans avoir trop chaud. Le gaz n’est donc pas un concurrent. L’efficacité énergétique, la santé et la sécurité des utilisateurs Avec l’intensification de la déforestation et la faible efficacité des systèmes de cuissons traditionnelles, la promotion et la diffusion de fourneaux améliorés abordables (ICS - Improved Cook Stove) pour les ménages ivoiriens s’avèrent une nécessité. Les campagnes de sensibilisation aideront les ménages ivoiriens à remplacer les fourneaux de cuisson à faible efficacité énergétique réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre.

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Dans un fourneau traditionnel, le charbon incandescent est en contact direct avec le métal ce qui augmente les risques de brûlures et réduit drastiquement sa durée de vie. L’usage des fourneaux traditionnels a d’autres conséquences négatives : la dispersion des cendres, des émanations de fumée, un fort dégagement de chaleur dans les pièces de vie. Cette pollution intérieure des habitations liée à l’utilisation de fourneau traditionnel est responsable de maladies pulmonaires (voire de l’apparition de cancers) qui représentent l’une des premières causes de mortalité en Afrique subsaharienne. En Afrique de l’Ouest, on constate 400 à 610 décès par million d’habitants chaque année et en Côte d’Ivoire, environ 22 millions d’hab. x 400 soit minimum 8 800 décès par an.

L’approche développée par Soutra Fourneau Grâce aux activités de conseil et aux prises de participations au capital de PMEs en Afrique subsaharienne, Ecosur Afrique a constaté que des foyers améliorés sont produits de façon artisanale au Ghana et au Togo depuis des années et que plusieurs sociétés ont récemment installé des sites de production au Nigeria, au Kenya et en Tanzanie (principalement des sites d’assemblage de composants fabriqués en Chine). En Côte d’Ivoire, ils sont totalement absents alors que plus de 80 % des 22 millions d’Ivoiriens utilisent du charbon pour cuisiner, que la déforestation progresse chaque année, que le pouvoir d’achat des ménages est en baisse et que les conséquences de l’utilisation des foyers traditionnels sur la santé des femmes sont très néfastes. Ecosur Afrique a d’abord importé les premiers fourneaux depuis son site de fabrication au Ghana et a lancé la marque Soutra Fourneau. Face au succès (plus de 20 000 fans Facebook), la mise en place d’une production artisanale locale a débuté en formant des jeunes au travail de l’argile et du métal. L’objectif est de rendre accessible au plus grand nombre un produit de grande qualité pour limiter la déforestation, réduire les émissions de CO2 mais aussi améliorer le pouvoir d’achat et la santé de la population ivoirienne et en particulier celles des femmes.

Le fourneau est fabriqué à partir d’argiles provenant des environs d’Abidjan qui sont mélangées et préparées pour leur donner la forme de l’inser t qui compose le « cœur » du fourneau. Parallèlement, des tôles de métal (souvent de récupération) sont découpées et travaillées pour former la base du foyer amélioré. Après séchage puis cuisson pendant plusieurs heures dans un four artisanal, l’insert est assemblé avec la structure métallique qui est ensuite peinte en noir. Le logo et un numéro d’identification sont posés manuellement sur le fourneau. Le Soutra Fourneau permet d’économiser jusqu’à 10 % du budget mensuel des ménages qui peuvent être alloués à d’autres postes de dépenses comme la santé et l’éducation. Pour les femmes qui tiennent des restaurants, le Soutra Fourneau est un investissement qui permet d’augmenter rapidement et significativement les bénéfices. Le gain de temps dans la cuisson permet la réalisation d’autres activités éventuellement génératrices de revenus. Les faibles émissions de fumées contribuent à faire baisser les dépenses de santé et une dizaine d’emplois directs ont été créés. Ecosur Afrique souhaite à l’avenir tendre vers la parité homme/femme. Adaptée au contexte africain, cette technologie de cuisson améliore les conditions sanitaires, soutient le développement économique et permet de diminuer la précarité énergétique dans des zones isolées. Afin de rendre les foyers améliorés accessibles au plus grand nombre et dans la perspective de mieux quantifier leur impact en matière de développement durable et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la diffusion de ce type de technologie s’inscrit généralement dans le cadre d’un programme labellisé Gold Standard en vue de l’obtention de crédits carbone. Le second objectif du Soutra Fourneau est de résoudre les problèmes sanitaires et environnementaux liés à l’utilisation des énergies de source non renouvelable. En effet, le Soutra Fourneau préserve la ressource en consommant moins d’énergie qu’un fourneau traditionnel lors de la préparation d’un repas. L’innovation technique

La description et les objectifs du Soutra Fourneau Le Soutra Fourneau, de type Jiko, est un modèle éprouvé depuis de nombreuses années notamment au Kenya, puis au Ghana, au Togo, au Mali. Il est composé d’un insert céramique qui a la propriété de conserver la chaleur et d’une arrivée d’air contrôlée ce qui lui confère une efficacité élevée d’environ 30 %. Il dégage moins de chaleur dans la pièce, émet moins de fumées nocives et ne laisse pas les cendres se disperser dans la maison, protège le carrelage des fissures dues à la chaleur. À titre d’illustration, l’utilisation d’une trentaine de fourneaux à Abidjan permet de préserver un hectare de forêts en Côte d’Ivoire, le pouvoir d’achat des ménages est amélioré et la santé des femmes et des enfants est préservée.

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La technologie du Soutra Fourneau revêt plusieurs avantages. C’est une véritable source d’innovation technique et sociale. Le premier caractère innovant concerne ses caractéristiques thermodynamiques. Soutra Fourneau est un fourneau dont l’intérieur en céramique retient la chaleur des braises, ce qui fait que la cuisson peut même continuer quelque temps après l’extinction des braises dans le fourneau. La conception de ce fourneau a été pensée pour minimiser la consommation de charbon de bois en limitant les déperditions de chaleur. L’utilisateur adopte la même posture pour cuisiner avec ce fourneau qu’avec un fourneau traditionnel.

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En outre, il y a moins de dégagements de chaleur autour du fourneau, idéal pour cuisiner pendant la saison des pluies. La durée de vie du Soutra Fourneau est plus longue au moins cinq ans comparativement aux fourneaux traditionnels, dont la durée de vie est autour de deux ans. Le fourneau pèse environ 7 kg, il est suffisamment lourd pour être stable mais peut être déplacé d’une pièce à une autre. Le Soutra Fourneau permet une bonne gestion de la ressource naturelle par conséquent il préserve les forêts. En effet, avec Soutra Fourneau, une petite quantité de charbon de bois est suffisante pour cuire les plats les plus longs. À titre d’exemple, pour une dépense de 500 francs CFA de charbon de bois avec un fourneau traditionnel, une dépense de 200 à 250 francs CFA permettra de cuire le même plat avec le Soutra Fourneau.

À ce jour, plus de 9 000 projets bénéficient du système des crédits carbone dans le monde depuis 2005. Chaque tonne d’émission CO2 évitée ouvre droit à un crédit de carbone. 1 milliard de dollars américains de crédits carbone ont été échangés en 2014. Il existe trois certifications principales : La quasi-totalité des projets de crédits carbone est certifiée auprès d’un des trois standards listés ci-dessous. Chaque label dispose de ses procédures et organes de supervision et comporte des spécificités. L’enregistrement d’un projet sous deux standards permet, le cas échéant, d’arbitrer entre les différents marchés en fonction des niveaux de prix. Plus de 90 % des projets de réduction d’émissions CO2 utilisent l’une des trois certifications : Mécanisme de développement propre (MDP),Verified Carbone Standard (VCS) ou Gold Standard (GS).

Au niveau social, le fait de rendre ces foyers améliorés largement accessibles aux populations peut avoir beaucoup d’avantages sur le plan sanitaire, social et économique. Par exemple, les familles peuvent consacrer plus de temps à d’autres activités en consacrant moins de temps à l’achat de combustible et à la préparation des repas. Les entreprises locales peuvent émerger à travers la mise en place des nouvelles industries de fabrication de foyers améliorés (ICS6) tout en améliorant les conditions de vies des populations. En outre, la préparation des repas est plus agréable et plus sûre car elle se fait dans de meilleures conditions : les risques de brûlures sont réduits, il y a moins de fumées nocives pour la santé et moins de dégagements de chaleur. L’innovation financière Le système des crédits carbone s’applique dans les pays en développement pour toute activité réduisant les émissions de gaz à effet de serre : énergies renouvelables, substitution de combustibles fossiles, efficacité énergétique, traitement des déchets, etc. Les crédits carbone constituent un revenu complémentaire perçu en phase d’exploitation des projets. Ils sont principalement vendus aux gouvernements et entreprises des pays industrialisés. Les transactions sont structurées au comptant ou à terme, de gré à gré ou sur des Bourses réglementées. L’intérêt du système est donc double : I) promouvoir le transfert de technologies propres dans les pays en développement ; II) diminuer la charge financière induite par l’adaptation des pays industrialisés à la lutte contre le réchauffement planétaire. L’obtention de crédits carbone est également motivée par la recherche d’une certification tierce permettant de mesurer de façon objective et impartiale l’impact d’un projet dans la lutte contre le changement climatique.

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Les crédits carbone s’échangent sur les marchés réglementés et volontaires. Les crédits carbone émis sur le marché réglementé (MDP) peuvent être utilisés par des entreprises/États pour respecter leurs obligations légales de réduction d’émissions CO2. Les crédits carbone émis sur le marché volontaire (VCS, Gold Standard) sont utilisés par des entreprises/collectivités (communication) ou citoyens pour compenser volontairement leurs émissions de CO2. Les frontières entre les deux marchés sont parfois poreuses : certains systèmes d’échanges d’émissions reconnaissent le recours aux crédits volontaires. Ecosur Afrique a initié un programme de diffusion des foyers améliorés en Côte d’Ivoire dans le cadre de la cer tification volontaire labellisée Gold Standard (Programme d’activités n° 2506, enregistré en juillet 2015). La valorisation des crédits carbone aura pour objectif de permettre aux ménages ivoiriens d’acquérir des foyers améliorés à un prix abordable.

Conclusion & perspectives Le Soutra Fourneau permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre, car l’utilisation du charbon pour la cuisson des aliments demeure l’une des principales sources de déforestation et d’émissions de CO2 en Afrique de l’Ouest. Les crédits carbone, aussi appelés réductions d’émissions, peuvent être produits grâce à la dissémination de foyers de cuisson efficaces en Côte d’Ivoire car elle contribue à la réduction de la déforestation et donc à la baisse des émissions de

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dioxyde de carbone issues de la combustion de combustibles solides non renouvelables. Il s’agit d’un équipement basique mais aussi d’une technologie de cuisson qui pourrait s’avérer révolutionnaire si son utilisation était généralisée.

BIBLIOGRAPHIE Politique économique et développement analyse de la consommation d’énergie et gestion durable en Côte d’Ivoire. World Energy Outlook, 2008. Agence internationale de l’énergie (AIE), 2002. Ballet J., avril 2009, « La soutenabilité des ressources forestières en Afrique subsaharienne francophone : quels enjeux pour la gestion participative ? », Monde en développement, n° 148, p. 31-46. Centre d’actualités de l’ONU, 31 mars 2006, L’Afrique au deuxième rang mondial de la déforestation. Rapport Banque mondiale, 2005.

La contribution des entreprises énergétiques au développement durable en Côte d’Ivoire Jean Kacou Diagou, Président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire

NOTES 1.World Energy Outlook, 2002. 2. Agence internationale de l’énergie (AIE), 2008. 3. Politique économique et développement, analyse de la consommation d’énergie et gestion durable en Côte d’Ivoire. 4. Ballet, Jérôme. « La soutenabilité des ressources forestières en Afrique subsaharienne francophone : quels enjeux pour la gestion participative ? », Monde en développement, n° 148, avril 2009, p. 31-46. 5. Centre d’actualités de l’ONU. L’Afrique au deuxième rang mondial de la déforestation, 31 mars 2006, [En ligne], http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=12... (page consultée le 7 septembre 2012). 6. Improved Cook Stove.

Contexte Il est largement reconnu que le secteur privé joue un rôle de plus en plus actif dans le développement de toute nation ; sa capacité à générer une croissance inclusive et durable dans les pays en développement n’est plus à démontrer. L’entreprise constitue aujourd’hui un puissant acteur du développement durable si la Côte d’Ivoire ambitionne être un pays émergent à l’horizon 2020. En dépit de cette réalité, la contribution des entreprises au développement durable est très souvent jonchée de contraintes de diverses natures qui demandent une certaine attention. Le présent document a pour finalité de présenter la perception qu’ont les entreprises du secteur privé ivoirien du développement durable en Côte d’Ivoire. Il s’agira de faire l’état des lieux du développement durable dans le secteur privé ivoirien, puis de proposer des recommandations concrètes susceptibles de favoriser une meilleure prise en compte des principes du développement durable par le monde des entreprises en Côte d’Ivoire. Ce chapitre traite à la fois des défis et enjeux du développement durable, selon le secteur privé ivoirien (état des lieux) et des attentes et recommandations qu’il émet en vue de contribuer à l’ambition légitime de l’émergence de la Côte d’Ivoire.

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L’état des lieux du développement durable en Côte d’Ivoire Depuis quelques années, on assiste en Côte d’Ivoire à une véritable prise de conscience par le monde des entreprises des véritables enjeux du développement durable. En effet, de nombreuses entreprises, notamment les multinationales et les grandes entreprises, se dotent de plus en plus de directions en charge des questions de développement durable et de responsabilité sociétale. Ce vaste mouvement de prise de conscience n’est pas le fruit du hasard. Il sied d’indiquer que, dès le début des années 1980, le concept du développement durable a progressivement pris une importante place dans les affaires, et cela sous la pression des organisations internationales de lutte pour la protection de l’environnement, des ONG et des organismes de financement. Les affaires Enron aux États-Unis ou les catastrophes écologiques provoquées par des entités économiques (Bhopal, 1984 ; marée noire du delta du Niger, 2010, etc.) ont ravivé le débat sur la question d’une éthique des affaires. En Côte d’Ivoire, les catastrophes écologiques telles que l’affaire du Probo Koala survenue en 2006, causant la mort et l’intoxication de dizaines de milliers de personnes (déversement de produits toxiques dans une dizaine d’endroits de la ville d’Abidjan), ainsi que la catastrophe de Jacqueville (déversement accidentel d’une quantité importante de pétrole brut dans la mer) sont deux faits majeurs qui ont amplifié la prise de conscience au plan national des enjeux environnementaux et sociaux de l’activité économique. Progressivement, les autorités étatiques, sur la base d’accords ratifiés en faveur de la protection de l’environnement, se sont approprié la question avec la mise en place d’un ministère de l’Environnement depuis 1981, qui est devenu ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable depuis 2011. Par ailleurs, le cadre institutionnel et réglementaire connaît une avancée notable avec l’adoption de nombreux textes faisant la promotion du développement durable auprès du secteur privé. Ce sont entre autres : • la loi n° 88-651 de juillet 1988 portant protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets des déchets toxiques et nucléaires et des substances nocives, dont la spécificité réside en l’approche régionale des problèmes environnementaux ; • le Code de l’environnement de 1996 ; • le décret relatif aux études d’impact environnemental et social, 1997 ; • le Code de l’eau, 1998 ; • le décret « pollueur-payeur », 2012 ; • le décret du 25 juillet 2013 portant création du ministère de l’Environ-

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nement, de la Salubr ité urbaine et du Développement dur able (MINESUDD) ; • le décret n° 2013-327 du 22 mai 2013 portant interdiction de la production, de la commercialisation, de l’importation, de l’utilisation et de la détention des sachets plastiques ; • la loi n° 2014-427 du 14 juillet 2014 portant Code de l’électricité ; • la loi n° 2014-390 du 20 juin 2014 d’orientation sur le développement durable, etc. Ces différents règlements affichent clairement la volonté de l’État ivoirien de faire du développement durable, particulièrement de la protection de l’environnement et l’amélioration du cadre de vie, une réalité dans le contexte économique national. Par ailleurs, il revient de noter que le secteur privé et son organe de représentation qui est la CGECI ne sont pas restés en marge des initiatives locales entreprises en faveur du développement durable. En effet, la CGECI, par l’entremise de ses commissions Gouvernance RSE (GRSE) et Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement (QHSE), a entrepris depuis quelques années un important programme de sensibilisation de ses membres adhérents aux enjeux du développement durable pour l’activité économique ; aucun secteur d’activité n’échappe à ce programme (banques, assurances, Bâtiment, Agriculture,Télécoms, etc.). L’événement majeur qui marque le lancement de ce programme a été le 1er forum sur les enjeux de la responsabilité sociétale de l’entreprise en Côte d’Ivoire (2012). À sa suite, d’importantes conférences en collaboration avec certains partenaires au développement (AFD, PNUD, BAD, FAO, PNUE, etc.) ont été réalisées dans le seul but d’apporter aux entreprises de nouvelles solutions plus durables pour leurs activités respectives dans un contexte économique en pleine mutation. Plus de 1 500 entreprises ont été sensibilisées sur la problématique du développement durable. La tendance aujourd’hui consiste pour le patronat ivoirien à accompagner ses membres adhérents dans des démarches de responsabilité sociale. Cependant, en dépit de l’engouement que suscite la thématique du développement durable en Côte d’Ivoire, de nombreux freins inhibent encore son essor. La plus importante de ces contraintes est vraisemblablement le déficit d’implication des acteurs nationaux dans un partenariat gagnant-gagnant. En effet, il est récurrent de constater que les premiers acteurs de l’économie nationale, à savoir les entreprises, ne sont pas toujours associés dès le départ à l’élaboration des textes de loi et/ou réflexions, ceux-là mêmes qui sont les protagonistes les plus importants dans l’application des résolutions nationales en faveur du développement durable. Par conséquent, cela aboutit dans la majeure partie des cas à des difficultés d’application des textes concernés, ne favorisant pas ainsi leur appropriation par l’ensemble des entreprises. Pourtant, l’une des valeurs sacro-saintes du développement durable est l’implication de tous les acteurs (parties prenantes) au processus de prise de décision.

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Aussi, d’autres défis importants sont à étudier pour favoriser l’ascension du développement durable dans le secteur privé ivoirien. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut les résumer dans les points suivants.

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loppement (suppression des barrières tarifaires sur certains matériaux d’importation ou au commerce de services énergétiques dans le secteur privé, etc.). b. Les activités économiques, l’environnement et le changement climatique

a. L’accès à l’électricité et le développement des énergies alternatives Le développement d’un pays ne peut se faire sans l’énergie. L’État, dans le cadre de la mise en œuvre de son plan de développement énergétique, a entrepris d’importantes actions en vue de favoriser une fourniture d’énergie électrique, en quantité mais aussi en qualité, aux ménages ainsi qu’aux entreprises. Aussi, en vue de soutenir la croissance du secteur industriel qui prévaut en ce moment, ces efforts de l’État sont à poursuivre. En 2014, on a assisté à l’adoption d’une loi portant le nouveau Code de l’électricité. La particularité de cette loi est qu’elle entend positionner la Côte d’Ivoire comme leader du marché des énergies en : • développant l’énergie électrique et favorisant l’accès à cette énergie ; • promouvant le développement des énergies nouvelles et renouvelables (faire passer la consommation des énergies renouvelables dans le mix énergétique de 3 % à 20 % d’ici 2030) ; • favorisant la maîtrise de l’énergie (efficacité énergétique, encouragement au progrès technologique) et réduisant l’impact du système électrique sur l’environnement (contribution au développement durable). En réalité, celle-ci offre d’importantes opportunités car les activités de production, de transport, de distribution, d’importation, d’exportation et de commercialisation de l’énergie électrique ne constituent pas un monopole de l’État. Bien qu’elle ait été saluée par l’ensemble du secteur privé ivoirien, cette mesure va nécessiter un délai de mise en œuvre sur le terrain lié à l’évolution des technologies et de son coût d’accès. En effet, les énergies alternatives telles que : • l’énergie hydraulique dont le potentiel sous-exploité est estimé environ 10 TWh ; • l’énergie solaire est encore inaccessible (le coût d’accès à l’énergie solaire reste très élevé) ; • la biomasse énergie est considérée comme la source d’énergie la plus utilisée en Côte d’Ivoire (charbon de bois). Cependant, la production d’électricité reste encore faible ; • l’énergie issue des déchets industriels et domestique reste peu développée. Le développement des énergies alternatives demande, au-delà du simple cadre réglementaire, d’importants moyens financiers pour favoriser leur déve-

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On a enregistré ces dernières années en Côte d’Ivoire de nombreux cas d’entreprises sinistrées du fait de la variabilité climatique, notamment dans le secteur agricole. Ce secteur, comparativement aux autres secteurs d’activité, a enregistré entre 2013 et 2014 d’importantes pertes, dues essentiellement aux inondations causées par les pluies diluviennes qui se sont abattues sur le territoire durant cette période (les entreprises du secteur en ont payé le prix fort) ou des incendies (ex. Gestoci en zone portuaire, zone industrielle). La variabilité climatique est bien réelle et ses conséquences pour l’activité économique le sont davantage. À l’échelle internationale, plusieurs initiatives sont entreprises par la communauté internationale pour lutter contre le changement climatique et contre ses effets pervers pour l’activité économique (plan d’adaptation, stratégie de lutte contre le changement climatique, etc.). En Côte d’Ivoire, même si l’on assiste ces deux dernières années à une prise de conscience des enjeux de ce phénomène (ateliers, conférences-débats, etc.), des actions concrètes émanant des pouvoirs publics font encore défaut. Pour preuve, il n’existe à ce jour aucune disposition prévue par les autorités pour assister les entreprises victimes des effets pervers du changement climatique ou du moins pour assurer la résilience de l’activité économique face au changement climatique (exemple du secteur agricole). À côté de ces faits relatifs au changement climatique et à ses effets sur l’activité économique, on peut noter également les problèmes d’assainissement et de sécurité que connaissent les zones industrielles et por tuaires en Côte d’Ivoire. En effet, les rejets des structures industrielles et/ou installations classées sont encore évacués dans le milieu naturel parce que les plates-formes ne disposent pas de dispositif de collecte type station. Les champs captant de l’eau brute sont envahis par les populations et leurs habitations (non-respect de la réglementation). Ainsi, la nappe phréatique d’Abidjan menacée risque de poser de gros problèmes environnementaux. Au niveau de la gestion des déchets industriels et domestiques, bien que des dispositions aient été prises au niveau de la salubrité, on note que le tri des déchets n’est pas systématique à tous les niveaux comme dans certains pays. Lorsque le tri est réalisé par cer taines entreprises, les déchets sont remis ensemble parce que les zones de stockage (intermédiaire, définitif) ne sont pas

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organisées pour les recevoir. Enfin, il n’existe pas en Côte d’Ivoire toutes les structures modernes indispensables pour traiter l’ensemble des déchets. Dans le même ordre d’idées, le mode de transport des biens et des marchandises n’a pas connu d’évolution ; nous en sommes toujours au mode de transport individuel (voitures, camions, bus, etc.). Pourtant, concernant la seule lutte contre les changements climatiques, ce secteur est responsable d’une majeure partie des émissions brutes de gaz à effet de serre en Côte d’Ivoire (environ 25 % des émissions). Il constitue aujourd’hui une des causes du dérèglement climatique. En effet, le mode de transport collectif de grande masse (type train, tramway à base de l’électricité) est à développer à Abidjan et entre les villes importantes. Avec l’évolution des technologies nous voyons apparaître de nouveaux modes de transport comme les véhicules hybrides et électriques. Ne convient-il pas de mener une réflexion pour se préparer à prendre en compte et accompagner cette technologie ? c. La fiscalité environnementale et la clarification des rôles des agences nationales de protection de l’environnement Dans l’optique de faire respecter la réglementation environnementale, l’État a mis en place des agences nationales de protection de l’environnement ainsi qu’un système fiscal environnemental pour prévenir, voire compenser, les dommages causés à l’environnement. Concernant la fiscalité environnementale, une récente étude du ministère de l’Environnement et du Développement durable (2015) révèle l’existence d’environ dix-neuf (19) prélèvements fiscaux en faveur du financement de la protection environnementale en Côte d’Ivoire. Toutefois, il faut noter que ces taxes sont, dans la plupart des cas, prélevées à tort. En effet, il est important de faire remarquer que, dans certains cas, ces taxes ne se sont pas toujours utilisées pour le motif pour lequel elles sont prélevées (taxe reversée au budget de l’État mais non redistribuée). Une situation malheureuse qui conduit les autorités en charge de la protection de l’environnement à rechercher tous azimuts des fonds pour le financement de leurs activités. Conséquence : ce sont les entreprises qui sont talonnées (ex. : taxe initiée par le Centre ivoirien antipollution-CIAPOL pour la destruction des déchets solides, loi de finances 2015 ou frais de prestations de l’Agence nationale de l’environnement (ANDE) en matière d’évaluations environnementales, 2014-2015). Concernant les agences nationales de l’environnement, il est important de faire remarquer qu’en Côte d’Ivoire il existe plusieurs agences nationales de protection de l’environnement dont les missions en interface mériteraient que soient apportées des clarifications (exemple du CIAPOL et de l’ANDE pour les études d’impact environnemental et social-EIES et les audits environnemen-

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taux). Par ailleurs, le secteur privé n’est pas partie prenante dans la gouvernance de ces entités. Ce sont là des faits qui sont rédhibitoires pour le développement de l’activité économique. Aussi, avant de clore ce chapitre, il convient d’indiquer que la fiscalité environnementale en Côte d’Ivoire, à l’opposé de celle de cer tains pays du Nord (France, Danemark, Suède, etc.), a une visée purement dissuasive. Or, l’un des principes phares de la fiscalité environnementale qui est le principe bonus-malus recommande ce qui suit : « Toute action à l’encontre de l’environnement doit être dissuadée ; a contrario, une action visant à faire la promotion de l’environnement doit être encouragée, voire récompensée. » Ce dernier aspect de la fiscalité environnementale est quasi inexistant dans le système fiscal environnemental ivoirien. En effet, sur le terrain, de nombreuses entreprises lancent des actions dans le but de réduire significativement l’impact de leurs activités sur l’environnement (plan de gestion environnementale, système de management environnemental, démarche RSE, etc.) Pis, ces entreprises qui sont a priori de bons élèves en matière environnementale reçoivent le même traitement que celles qui polluent en toute conscience l’environnement. Une pareille situation ne saurait favoriser une meilleure prise en compte des principes du développement durable par la communauté des entreprises. d. L’absence d’un cadre financier et réglementaire incitatif pour la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et l’économie verte L’année 2014 a vu l’apparition d’une loi d’orientation du développement durable. D’après les dispositions de cette loi, toutes les organisations en Côte d’Ivoire, publiques ou privées, sont invitées à s’inscrire dans une démarche de responsabilité sociétale (RS). Par conséquent, elles devront produire périodiquement un rapport annuel extra-financier qui présente leurs actions en faveur du développement durable. Cette loi précise également qu’il est prévu une taxe dont l’objectif sera d’alimenter un fonds mis en place pour le développement durable. Au regard de ce qui précède, on est tenté de voir en cette loi une nouvelle stratégie de l’État d’imposer la RSE, qui relève par essence d’une décision volontariste de l’entreprise, mais aussi d’asseoir une nouvelle taxe en faveur de l’environnement et du développement durable. Aussi, à la surprise générale, cette loi ne prévoit aucune mesure d’accompagnement pour les entreprises faisant leurs premiers pas dans le développement durable (mise en place d’une démarche RSE, rédaction de rapports extra-financiers, etc.). Aussi, elle ne prévoit pas de mesures d’encouragement (crédit d’impôt environnemental, dégrèvements fiscaux, primes spécifiques remboursables, etc.) à l’attention des entreprises faisant montre de leurs qualités en matière de développement durable (production responsable, utilisation de technologies propres de production, activités vertes telles que la collecte, le traitement et la valorisation des déchets, activités liées aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique, etc.).

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Dans le même ordre d’idée, le décret relatif aux études d’impact environnemental de 1996 ne prévoit nulle part dans ses dispositions des incitations pour les entreprises mettant en place des plans de gestion environnementale pour corriger les impacts potentiels de leurs activités sur l’environnement révélés par l’EIES. Ces dernières (grandes entreprises et PME) devront s’acquitter des frais impor tants pour les prestations de l’Agence nationale de l’environnement (ANDE) en matière d’évaluations environnementales (rédaction des termes de référence pour la réalisation de l’EIES, validation du rapport d’EIES, etc.). e. La normalisation et la compétitivité des entreprises La question de la normalisation est un sujet d’une haute importance pour la compétitivité des entreprises nationales dans la compétition mondiale. Il apparaît déterminant de bien positionner les acteurs nationaux (publics et privés) au regard des enjeux en matière de normalisation et d’élaborer à cette fin une stratégie nationale de normalisation. En Côte d’Ivoire, la loi 2013-866 du 23 décembre 2013 relative à la normalisation, à la promotion de la qualité et à l’évaluation de la conformité pose un cadre réglementaire qui définit les principes essentiels de la politique de normalisation et le rôle des différents acteurs. En dépit du fait qu’elle soit salutaire, cette loi ne prévoit pas de mesures d’accompagnement pour les entreprises manifestant l’intérêt de se lancer dans des démarches de qualité et de certification. Cette situation s’avère plus que compromettante pour les entreprises nationales confrontées à une rude concurrence du marché. Au regard de ces nombreux défis, quelques recommandations concrètes s’imposent.

Les attentes du secteur privé en matière de développement durable Pour permettre une réelle contribution du secteur privé au développement durable en Côte d’Ivoire, les recommandations thématiques ci-après méritent une certaine attention. a. L’accès à l’électricité et le développement des énergies alternatives L’objectif de l’État est d’assurer à moyen terme l’équilibre de l’offre et de la demande en électricité en facilitant l’accès à l’électricité bon marché. L’accès à l’énergie conventionnelle, facteur de toute croissance, représente un important défi pour l’entreprise en Côte d’Ivoire. Les efforts de l’État dans ce domaine sont certes louables mais doivent être intensifiés. À ce propos, il est recommandé de :

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• promouvoir les cycles combinés et le potentiel hydraulique ; • d’améliorer voire de densifier le réseau de transport et de distribution de l’énergie pour permettre une fourniture d’énergie moins chère, de bonne qualité et en quantité suffisante ; • promouvoir les économies d’énergie en travaillant sur l’efficacité énergétique au niveau du secteur privé et de l’État. Aussi, le recours aux programmes smart grid, qui sont des réseaux électriques intelligents, est plus que nécessaire pour améliorer la fourniture et la consommation de l’énergie et faire du consommateur un acteur. Par ailleurs, si la Côte d’Ivoire veut durablement soutenir la production des entreprises présentes sur le territoire, il est primordial de promouvoir, à côté de l’énergie conventionnelle, les énergies renouvelables, en augmentant leur part dans le mix énergétique. De toutes les sources d’énergies alternatives qui existent, l’énergie hydraulique semble être plus accessible. À ce titre, il sied d’indiquer que l’État de Côte d’Ivoire a entamé d’importants projets comme le barrage de Soubré (production annuelle de 1 100 GWh). D’autres projets vont démarrer dans les prochaines années. Ils permettront d’améliorer les coûts de facture électrique car le coût du kWh de l’énergie hydraulique est bon marché. Cette stratégie devrait permettre de positionner à un bon niveau le secteur privé ivoirien face à la concurrence. L’énergie solaire constitue une richesse encore sous-exploitée. En effet, contrairement aux régions du monde, la région ouest-africaine représente un potentiel d’environ 5 à 6 kWh/m2/jour, contre 3 kWh/m2/jour en zone tempérée européenne. S’il est vrai que l’exploitation de la plupart des systèmes solaires ne nécessite pas de frais impor tants en dehors des quelques charges d’entretien, il n’en demeure pas moins que son investissement initial reste encore très élevé par rapport aux solutions traditionnelles. Il convient donc de suivre les évolutions des différentes technologies en n’oubliant pas le stockage (batterie). b. Les activités économiques et les enjeux en matière de gestion environnementale et de changement climatique La Côte d’Ivoire, pays en voie de développement dont l’économie dépend en grande partie de l’agriculture, n’échappe pas aux effets du changement climatique. Les périodes de sécheresse et d’inondation sont le quotidien du monde agricole affectant, d’une part, les conditions de vie des populations en majorité agricole et plombant, d’autre part, le développement socio-économique (près de 1 300 ha, représentant environ 22 % des superficies des cultures de bananes, partis en fumée du fait des pluies diluviennes en 2014).

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Devant une telle situation, les recommandations suivantes peuvent être prises en considération afin d’assurer efficacement la résilience de l’activité économique aux défis climatiques : • la mise en place d’un système d’alerte agricole ; • la vulgarisation des stratégies d’adaptation déjà expérimentées, au plan national et ailleurs dans le monde, auprès des entreprises nationales ; • la création d’un fonds national pour financer les mesures d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique sur le secteur agricole ; • la promotion de la gestion durable des terres en tant qu’outil d’adaptation au changement climatique ; • le renforcement des compétences des institutions nationales issues des secteurs exposés aux impacts du changement climatique ; • l’implication des exper ts des structures techniques et de recherche (Sodexam, BNETD CNRA…) dans les actions des ministères et des entreprises sur les changements climatiques ; • la sensibilisation des populations rurales aux techniques de préservation des écosystèmes et des terres agricoles ; • la création d’un Observatoire national de lutte contre le changement climatique.

(mission de dissuasion), la fiscalité environnementale peut jouer un rôle d’incitation à des comportements plus vertueux dans le monde des entreprises.

Par ailleurs, en dehors de la question climatique, il est recommandé d’un point de vue environnemental et de salubrité : • d’impliquer le secteur privé dans la gouvernance des instances mises en place par l’État de Côte d’Ivoire ; • de mettre en conformité les zones industrielles et portuaires (gestion des déchets solides, liquides et rejets, assainissement, etc.) ; • de renforcer la gestion des déchets et des rejets ; • de développer toutes les filières permettant de traiter l’ensemble des déchets et rejets de toute nature ; • de préserver les nappes phréatiques, les parcs nationaux et forêts classés pour protéger la biodiversité ; • de travailler sur la substitution et l’élimination des produits dangereux ; • de développer le transport collectif. La mise en œuvre des recommandations ne peut être possible que si un travail est réalisé sur les concepts de l’environnement et du développement durable , à tous les niveaux du système éducatif en Côte d’Ivoire et de la sensibilisation des populations.

Un crédit d’impôt est une somme soustraite du montant d’impôt qu’une entreprise doit payer. Le crédit d’impôt environnemental vise les dépenses effectivement supportées par une entreprise, ou une personne physique, pour l’amélioration de la qualité de l’environnement. En France tout comme au Canada par exemple, les dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt sont les économies d’énergie, l’isolation thermique, les équipements de production d’énergie utilisant une source d’énergie renouvelable.

c. La fiscalité environnementale et la protection de l’environnement La fiscalité environnementale est un moyen de promotion du développement durable. Contrairement à l’image que l’on entend lui donner sous nos tropiques

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Ainsi, pour un système fiscal environnemental efficace, à même de garantir la prise en compte des principes du développement durable par l’entreprise, les recommandations suivantes méritent une certaine attention : • L’exonération fiscale en matière environnementale Les exonérations fiscales constituent des instruments de nature proche, en théorie, des taxes qui ont un impact positif, incitant à l’achat de bien ou de service profitable à l’environnement (ex. : acquisition de véhicules de transport neufs, achat de technologies favorables aux énergies renouvelables telles que les plaques solaires, ou production de sacs réutilisables,, activité de collecte, de traitement et de valorisation des déchets, etc.). • Les réductions d’impôts en faveur de l’environnement Cela consiste à réduire le taux de la TVA, par exemple pour l’acquisition de matériels destinés à protéger l’environnement. Aussi, cela reviendrait également à baisser les coûts des études d’impact environnemental et social pour inciter les entreprises à des comportements plus vertueux de l’environnement. • Le crédit d’impôt environnemental

• Les dégrèvements fiscaux et primes spécifiques non remboursables Il s’agit d’incitations fiscales accordées par des organismes environnementaux dans le but de protéger l’environnement. Ces incitations peuvent prendre la forme soit d’exonérations fiscales soit de dégrèvements. Elles ont également pour but de promouvoir le développement des filières vertes (économie verte). • La restructuration des taxes existantes Il s’agit de s’assurer que les taxes perçues par les pouvoirs publics en faveur de l’environnement sont utilisées ou affectées de manière efficace (ex. : procéder à la suppression des taxes perçues en matière environnementale qui ne sont pas utilisées à juste titre). Concernant la clarification des rôles des agences nationales de protection de l’environnement, il convient de noter qu’une telle initiative sera bénéfique pour l’ensemble des entreprises du secteur privé.

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En réalité, il arrive, dans bien des situations, de voir certaines agences nationales de l’environnement réclamer leur responsabilité pour une même problématique (ex. : cas de l’ANDE et du CIAPOL). d. La nécessité d’un cadre financier et réglementaire incitatif pour la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et l’économie verte À côté des différentes recommandations définies précédemment (fiscalité environnementale, etc.), il est nécessaire qu’un cadre financier national en faveur du développement durable soit très vite en place. Comme l’a indiqué le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, lors de la réunion spéciale de haut niveau du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) (2015), un cadre de financement cohérent et holistique pour le développement durable est primordial. Un cadre financier national incitatif au développement durable devra, en plus des recommandations fiscales développées dans le précédent paragraphe, aborder la question du financement des initiatives privées en faveur du développement durable. À ce titre, les pouvoirs publics sont invités à coopérer avec les banques et établissements financiers nationaux de sor te à promouvoir un financement pérenne des activités en faveur du développement durable (lignes de crédit environnementales, réduction de taux d’intérêt des emprunts contractés pour des activités en faveur du développement durable,etc.). e. Les enjeux de la normalisation et la compétitivité des entreprises ivoiriennes Les enjeux de la normalisation dans une économie sont connus de tous. L’existence d’un cadre réglementaire national en faveur de la normalisation, de la promotion de la qualité et de l’évaluation de la conformité est certes appréciable mais reste encore insuffisant pour faire des normes un levier de développement des entreprises nationales (normes sociales, normes environnementales, normes produits, etc.). De véritables politiques d’accompagnement sont nécessaires afin d’aider les entreprises du secteur privé ivoirien, notamment les PME, à s’engager dans des démarches qualité, environnementales ou RSE. Par ailleurs, l’évaluation de conformité des produits devra permettre, avec les laboratoires de référence (accrédités), de s’assurer que les produits fabriqués en Côte d’Ivoire et ceux entrant sur notre marché sont de bonne qualité. Aussi, en vue de protéger la santé et la sécurité des consommateurs, les normes d’application obligatoires devront être appliquées et devront bien évidemment respecter les clauses relatives au commerce (libre-échange).

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Conclusion La prise en compte des questions liées à l’environnement et au développement durable dans le prochain Plan national de développement (PND 2016-2020) affiche clairement la volonté de l’État de promouvoir un développement bas carbone à l’horizon 2020. Toutefois, la réalisation d’un projet si ambitieux demande la prise en compte des recommandations du secteur privé contenues dans le présent document. Aussi, pour permettre une mise en œuvre réussie de ces différentes recommandations, une implication du secteur privé aussi bien dans les organes de décision que dans les prises de décision est capitale dans un rapport gagnant-gagnant. C’est seulement, en effet, à travers une démarche plus participative que la Côte d’Ivoire arrivera à se hisser au rang des ténors du développement durable en Afrique et être un pays émergent à l’horizon 2020.


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Les agrocarburants et le développement durable en Afrique de l’Ouest Cédric A. Lombardo Directeur associé de BeDevelopment

Introduction Parmi les différences notables entre la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique de Copenhague en 2009 (COP 15) et celle de Paris en 2015 (COP 21) figurent le contexte du secteur pétrolier et la prise en compte des agrocarburants. En 2009, le monde avait vu le prix moyen du baril de pétrole1 augmenter de 18,52 dollars US en décembre 2001 à 132,55 dollars US en juillet 2008 pour redescendre, sous l’effet de la crise des subprimes, à 77,56 dollars US en novembre 2009, à quelques jours de la COP 15. Le marché tablait alors sur un retour du prix du baril autour de l’axe de 100 dollars US. Les dérives de la filière agrocarburant figuraient parmi les préoccupations des parties prenantes présentes à la COP. En effet des éléments de langage étaient arrêtés depuis la Conférence de haut niveau de la FAO sur la sécurité alimentaire et les biocarburants de Rome fin 2008, et des voix s’élevaient pour qualifier les biocarburants de crime contre l’humanité2. Un mythe des agrocarburants fleurissait, avec plusieurs projets de plantations de jatropha ou de sorgho à sucre en Afrique de l’Ouest. Presque sept ans plus tard, en août 2015, à quelques mois de la COP 21, le prix moyen du baril était de 45,72 dollars US, au terme d’une baisse régulière initiée depuis juin 2014 où le baril s’échangeait en moyenne à 108,37 dollars US. Pendant plus d’un an, plusieurs facteurs ont suscité cette baisse, aux premiers rangs desquels l’abaissement de la demande chinoise et la hausse spectaculaire de la production des États-Unis. En 2014, grâce à sa production non conventionnelle de « pétrole de schiste », les États-Unis sont redevenus le premier producteur du monde avec 11,644 millions de barils/jours de pétrole (brut et liquides de gaz naturel) devant l’Arabie saoudite (11,505 millions de barils/jours) et la Russie (10,838 millions de barils/jours)3. Dans un tel contexte, l’engouement pour les agrocarburants est retombé et, avec lui, les questions essentielles sur le

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développement de cette filière à la croisée des enjeux énergétiques, alimentaires et environnementaux. Pourtant l’Agence internationale de l’énergie (AIE) appelait, en octobre 2015, au développement significatif des agrocarburants pour la diversification et la décarbonisation des transports à long terme4. Elle indiquait plusieurs outils de planification disponibles pour y parvenir : l’imposition de niveaux de mélange carburant/agrocarburant, des incitations fiscales et le développement des chaînes de production/approvisionnement locales respectueuses de la sécurité alimentaire. Elle estime que les agrocarburants représenteraient plus de 4 % de la demande des transports routiers en 2020, du fait I) des politiques de soutien renforcées dans des marchés clés tels que le Brésil, l'Inde, l'Indonésie et la Malaisie, II) des politiques de mélange dans plusieurs pays de l’OCDE et du G20, et III) du développement de la seconde génération d’agrocarburants moins gourmands de ressources alimentaires. Les agrocarburants ont un rôle à jouer dans l’élaboration des mix énergétiques nationaux. Les dérives observées ont vite donné lieu à des mesures d’encadrement5. L’Afrique aussi a connu la vague d’engouement et d’alerte qui a marqué le développement des agrocarburants de première génération. Les projets lancés dans la période 2005-2010 en Afrique de l’Ouest ont rencontré des difficultés techniques, économiques et sociales. Fort de ces expériences, quelle serait la nécessité d’y produire des agrocarburants et quelles recommandations formuler pour développer des projets raisonnés ?

Les agrocarburants, un mal nécessaire ?

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L’empreinte environnementale des agrocarburants doit aussi prendre en compte les besoins de ressources en eau qui peuvent être importants même pour le jatropha, et des ressources en terres avec des impacts sociaux possibles lorsque des projets industriels nécessitent de larges surfaces agricoles7. Les agrocarburants, réponse au pic pétrolier ? Les agrocarburants seraient aussi une réponse au déclin du pétrole. La production mondiale de pétrole augmente, toutes sources confondues, mais « il faudrait (…) l'équivalent de quatre Arabie saoudite ou de dix mer du Nord dans les dix prochaines années rien que pour maintenir l'offre (de pétrole) à son niveau actuel, avant même toute croissance de la demande » selon une analyse du PDG de Shell fin 20118. Ce défi était déjà souligné par l’AIE en 2009 dans une analyse sur 800 champs de pétrole conventionnel, représentant 75 % de la production mondiale. Elle indiquait que le taux moyen de déclin annuel était supérieur à 6 %, malgré la découverte de nouveaux champs et le maintien d’un plateau de production mondiale jusqu’en 2035. Fin 2014, l’Agence maintenait ses inquiétudes à long terme, d’autant que la baisse des prix du baril réduit les investissements indispensables pour repousser le pic pétrolier. À compter de 2020, la production américaine devrait de nouveau baisser, à l’instar de celle du Canada ou du Brésil, tandis qu’aucune réplique significative d’un boom du pétrole « de schiste » similaire à celui des États-Unis n’est pronostiquée9. Les agrocarburants, alternative au pétrole cher ?

Trois principaux facteurs sont mis en avant pour justifier la production des agrocarburants : l’empreinte environnementale du pétrole, le déclin de la production de pétrole conventionnel et le prix du baril. Les agrocarburants pour réduire l’empreinte environnementale du pétrole ? Le rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en 2014 estime que le secteur du transpor t représentait 14,1 % des émissions de gaz à effet de serre. Les agrocarburants sont alors présentés comme des stratégies d’atténuation du changement climatique. Toutefois, des bilans réalisés en 2011 et en 2013 pour la Commission européenne montrent des résultats mitigés. Analysées sur l’ensemble de la chaîne de valeur production/distribution des agrocarburants, certaines filières auraient un bilan d’émission de gaz à effet de serre supérieure au pétrole conventionnel (huile de palme, soja, colza) ; d’autres pourraient contribuer à la décarbonisation (tournesol, blé, maïs, betterave à sucre et sucre de canne).Toutes filières confondues, leur empreinte carbone est bien inférieure à celle du pétrole non conventionnel telles que les sables bitumeux ou le pétrole « de schiste »6.

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Les agrocarburants devaient être une alternative au pétrole cher, à partir d’un baril supérieur à 100 dollars US, seuil de référence des investisseurs pour s’engager dans l’application commerciale de ces filières encore innovantes. Alors que le FMI estimait, en mai 2012, que le prix du pétrole doublerait en une décennie pour atteindre un prix supérieur à 150 dollars US10, ses prévisions faites en juillet 2015 à la lumière de la situation économique mondiale font part d’un prix moyen de 69 dollars US pour l’année 202011. L’économie mondiale peine toujours à retrouver la voie d’une croissance stable depuis la crise de 200912. Dans un tel contexte de prix, la filière rencontrera des difficultés à se développer. Cependant, le prix des hydrocarbures ne reflète pas la réalité : une autre étude du FMI, en mai 2015, estime le montant total, international, des subventions à l’industrie des combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon) à 5,3 trillions de dollars US en 2015. Ce calcul inclut les subventions directes et le non-paiement de dommages environnementaux (pollution atmosphérique et émission de carbone). Le FMI insiste sur la robustesse de son modèle et la nécessité de réduire ces subventions pour encourager l’efficacité énergétique et réduire les distorsions des marchés entre énergies fossiles et énergies renouvelables.

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Les agrocarburants apparaissent comme une innovation nécessaire. Les exemples de développements déraisonnés ont, très tôt, levé des réserves qui ont entraîné la vigilance des consommateurs et la régulation des législateurs. Les bénéfices économiques et/ou environnementaux attendus ont été revus. Ils sont mieux perceptibles et restent globalement positifs si le projet suit des normes de performance durable. Le développement de la seconde génération des agrocarburants doit réduire l’utilisation de produits alimentaires, qui ne représente qu’une partie des questions à résoudre. Il reste à déterminer l’adéquation de la filière dans un contexte africain et les recommandations pouvant contribuer à une stratégie de développement intégrée et raisonnée.

Les agrocarburants, quelle pertinence en Afrique de l’Ouest ? En 2012, 16 principaux pays africains sont considérés comme exportateurs de pétrole sur 54 : Algérie, Angola, Cameroun, Congo (Brazzaville), Côte d’Ivoire, Égypte, Gabon, Guinée équatoriale, Libye, Mauritanie, Nigeria, Soudan, Soudan du Sud, République démocratique du Congo,Tchad et Tunisie. Les réserves prouvées du continent représentaient 124 milliards de barils, auxquels s’ajouteraient 100 milliards de barils de réserves estimées offshore. À l’échelle mondiale, le continent représente plus de 8 % des réserves prouvées et près de 12 % de la production. En Afrique subsaharienne, l’Afrique de l’Ouest comptait près de 90 % des extractions de pétrole, essentiellement dans le golfe de Guinée13. Avec de tels chiffres, la question des agrocarburants pourrait paraître vaine, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Ses réserves et ses capacités de production sont au-dessus de ses capacités de consommation. Mais elles sont « modestes », hors Nigeria et Angola : le champ Jubilee découvert en 2007 au Ghana, estimé jusqu’à 1,8 milliard de barils, représente moins d’un mois de consommation mondiale. Hors Angola, les grands producteurs ne connaissent pas de hausse significative de production depuis 2004. En août 2011, dans son discours de l'état de la Nation, le président du Congo, 4e producteur pétrolier d’Afrique subsaharienne, annonçait que la production de son pays déclinerait à court terme. Celle du Gabon affiche son dernier pic de production en 1997. Le Ghana, la Côte d’Ivoire et la Liberia ont annoncé plusieurs découvertes en 2012 et 2014, mais la production en eau profonde est coûteuse. D’une manière générale l’Afrique de l’Ouest importe et subventionne. Sa facture pétrolière est élevée. Ses capacités de raffinage sont limitées : en 2010, pour 1 dollar US de produit pétrolier d’origine Afrique de l’Ouest échangé dans la région, 5 étaient importés14. Le Nigeria, 1er producteur d’Afrique subsaharienne, aurait subventionné ses importations de pétrole raffiné à hauteur de 23 milliards de dollars de 2006 à 201115. Dans un autre domaine, celui de la

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production thermique d’électricité, le FMI a recommandé que la Côte d’Ivoire réduise ses subventions au gaz. Pour tous les pays d’Afrique de l’Ouest, la baisse des cours du brut depuis 2014 induit une baisse des subventions ; pour les pays producteurs elle ne compense pas les pertes de revenus. Mais sur le long terme, il y a peu de probabilité de voir les prix du pétrole rester sur une tendance baissière. Et quel que soit le terme, les prix actuels freinent déjà l’accès des populations à des services énergétiques pétroliers à des coûts socialement inclusifs. L’approche énergétique des agrocarburants ne se limite pas à la substitution du pétrole ou à la décarbonisation du transport. En Afrique, la question de l’accès à une énergie conditionne l’accès au transport, à l’éclairage, à l’agriculture mécanisée, etc. Des capacités de production, de distribution et de consommation d’agrocarburants à des échelles nationales et locales peuvent être l’opportunité d’activités locales génératrices de revenus. Particulièrement en milieu rural et agricole.

Quelle filière pour le monde rural ? Chaque filière d’agrocarburant doit identifier au minimum les besoins énergétiques auxquels elle répond, ses marchés pertinents, les matériaux végétaux et les ressources utilisées (terres cultivables, eau, intrants, etc.), les risques de compétition alimentaire, les technologies de production et de consommation, leurs circuits de distribution, etc. Tenant compte des enjeux sociaux et des impacts environnementaux, leur développement doit être guidé par un cadre régulateur incitatif. Ce cadre doit pouvoir s’adapter aux différents contextes technologiques et agricoles et aux multiples réalités locales. Malgré la vague d’intérêt et de projets agrocarburants que l’Afrique de l’Ouest a connue entre 2005 et 2010, les régulations mises en place dans certains pays, les recommandations formulées à l’échelle de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) entreprises, peu de projets se sont réellement développés. 2005-2015, quel retour d’expérience ? Dans la dernière décennie, l’Union européenne (UE) était la principale cible de marché des premiers opérateurs ouest-africains engagés dans des projets commerciaux. Son objectif de substituer 10 % d’agrocarburants aux combustibles de transport en 2020 suscitait de nombreux intérêts. Dès 2006, la crise de la tortilla au Mexique a montré l’impact du prélèvement de l’éthanol sur le maïs, créant une alerte internationale sur les agrocarburants. À partir de 2007, les objectifs européens ont intégré des critères de durabilité dans sa chaîne d’ap-

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provisionnement, l’Europe a étudié l’impact potentiel de ses politiques agrocarburants sur ses partenaires ACP. Dès 2010, le développement de projets commerciaux de première génération en Afrique de l’Ouest à l’exportation s’est avéré complexe. En 2015, les projets économiques les plus résilients sont ceux orientés vers les besoins des communautés locales16. Les grands projets export ont levé des doutes économiques : leur impact sur le prix des denrées alimentaires, la solidité des modèles fonciers appelant de grandes surfaces, la robustesse des modèles techniques, l’évolution du prix du baril et celle du prix du carbone. Plusieurs impacts environnementaux ont contrebalancé les bénéfices climatiques attendus : dégradation des sols, déforestation, consommation en eau, perte de biodiversité, etc. Sur le plan social, les risques d’accaparement des terres et d’atteinte à la sécurité alimentaire ont freiné l’appropriation locale. Les projets à petite échelle pour l'accès à l'énergie locale ont validé l’adhésion des communautés. Ils sont opérationnels, mais les technologies restent rudimentaires et les coûts de production élevés. En l’état, les modèles économiques valident la faisabilité de l’accès à l’énergie, mais ils peinent à contribuer à une sécurité énergétique locale et à attirer des investisseurs pour développer un marché intérieur. Dans l’UEMOA et au Ghana, ces projets ont tous la particularité de reposer sur du jatropha, technologie la plus accessible en milieu rural et connue des populations depuis son introduction au XVIIIe siècle par les Portugais. Les deux familles de projets ont montré que la formulation d’une réglementation, lorsqu’elle existe (Ghana, National Bioenergy Policy, 2005 ; Sénégal, Stratégie nationale biocarburants, 2007 ; Mali, Stratégie nationale de développement des biocarburants, 2009), ne suffit pas à développer une filière. Même lorsque des objectifs de mélange sont formulés, comme au Nigeria (Biofuels Policy and Incentives, 2007 et 2010) avec des objectifs de mélange d’éthanol (E20) et de biodiesel (B20) pour la consommation nationale. Ces mesures ont besoin d’être soutenues par un appui international pour renforcer les cadres politiques et opérationnels et soutenir le développement de filières appropriées. L’huile végétale pure, le biodiesel ou l’éthanol ? La production d’agrocarburants pour une amélioration de l’accès à l’énergie peut être orientée vers quatre principaux marchés : I) les véhicules à motorisation diesel ou essence, II) la production d’électricité à partir de gazole et de distillate diesel oil, III ) le transpor t par rail 17 et IV ) le pétrole lampant pour l’éclairage. Le transport routier est l’usage dominant. Trois familles d’agrocarburants de première génération peuvent être envisagées, selon les types de moteurs sur le marché cible : huiles végétales pures (HVP), esters d’huiles végétales (biodiesel) et bioéthanol : • les HVP sont plus appropriées pour les moteurs diesel à injection indirecte. Moins utilisé que les moteurs à injection directe, un kit de bicarbura-

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tion peut envisager un mélange HVP/gazole inférieur à 50 %. Au-delà de ce mélange, des modifications du moteur sont nécessaires ; • les biodiesels sont utilisables purs ou en mélanges, dans des moteurs diesel à injection directe ou indirecte. Le parc diesel et les volumes de production guideront les mélanges biodiesel/gazole adéquats au lancement de la filière : 2 %, 5 %, 10 %, etc. ; • le bioéthanol est obtenu par fermentation du sucre des plantes sucrières ou par hydrolyse de l’amidon des céréales. Il est utilisé dans les moteurs à essence, en mélanges allant de 5 % à 85 %. Au-delà de 10 %, des modifications des moteurs sont nécessaires. Dans l’espace UEMOA, les moteurs diesel dominent, reflétant le transport et la production d’électricité. Le parc automobile est vieillissant avec une moyenne d’âge supérieure à dix ans et un faible taux de renouvellement. Le taux de couverture électrique laisse de nombreuses localités non connectées au réseau national, pouvant s’alimenter par des petites centrales thermiques. Ces indicateurs techniques semblent privilégier la production d’huiles végétales pures ou estérisées à celle de bioéthanols, pour des volumes et des mélanges conformes aux parcs de moteurs. Quelles spéculations agricoles ? Les matériaux végétaux doivent être identifiés au regard des ratios de productivité réelle à l’hectare et des ressources à mobiliser : disponibilités foncières, facteurs agropédoclimatiques, ressources en eau, préservation de l’environnement, etc. Cette analyse doit aussi encadrer les risques de compétition alimentaire par détournement des terres ou des récoltes. Si l’Afrique de l’Ouest dispose de larges surfaces cultivables non cultivées, la pression agricole sur son foncier rural se manifeste déjà par des conflits agropastoraux et intercommunautaires, une dégradation des forêts classées, etc. La valorisation de ces terres est aussi assujettie à d’autres contraintes : la qualité des infrastructures, l’aménagement des terres, le morcellement foncier, etc. Les premières stratégies nationales formulées en Afrique de l’Ouest ont essentiellement ciblé le jatropha (filière diesel) ou la canne à sucre et le sorgho à sucre (filière essence). L’huile de palme, principal corps gras de l’alimentation de la CEDEAO dont le déficit atteindrait 1,5 million de tonnes en 202518, n’est pas mentionnée. La production régionale de canne à sucre fait déjà l’objet de soutien des partenaires économiques et financiers, pour des perspectives non énergétiques. Les projets jatropha (Mali, Sénégal, Ghana) et sorgho à sucre (Nigeria) ont dominé le devant de la scène. Ils ont montré des synergies et des compromis de production et de développement respectueux de la sécurité alimentaire. Mais ces deux filières ont besoin d’améliorer les matériaux végétaux optimisés, les itinéraires techniques et les modèles économiques.

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Quelle organisation des productions ? La mise en place de nouvelles filières agricoles nécessite de structurer des réseaux forts de producteurs et de formateurs, d’encadrer le financement des plantations, la diffusion des matériaux et des pratiques agricoles. La garantie d’approvisionnement des opérateurs auprès de plantations villageoises et industrielles est indispensable à la viabilité des plans d’affaires. La garantie d’engagement des opérateurs économiques est indispensable pour les débouchés des petits producteurs, surtout lorsque la culture retenue se valorise principalement dans une filière agrocarburants. Deux cycles industriels ont été envisagés. Un cycle court privilégiant l’acquisition de valeur ajoutée en milieu rural, orienté vers la production d’huiles végétales purifiées. Un cycle long, à for te valeur ajoutée, pour la production et la distribution de biodiesel et d’éthanol. La filière biodiesel a montré l’avantage de pouvoir être développée plus aisément ; le premier porte sur un cycle pour le développement des HVP en milieu rural, jusqu’à ce que des indicateurs (volumes, compétitivité, pénétration de marché...) permettent d’acquérir des actifs agro-industriels pour entrer dans le cycle long biodiesel. La filière bioéthanol, par sa complexité industrielle, se réalise sur un cycle long. Les cycles courts, destinés à favoriser l’accès local à l’énergie, peuvent s’appuyer sur des tailles variables de plantations villageoises, qui se développent au fur et à mesure de l’engagement des populations. Le modèle économique est essentiellement celui de PME fournissant des services énergétiques en milieu rural, au développement pragmatique. Les cycles longs appellent des surfaces importantes et un approvisionnement régulier. Leur intensité capitalistique encourage des sociétés pouvant à la fois acquérir des actifs industriels et des plantations industrielles propriétaires, et engager des accords de long terme avec des planteurs villageois (contrats fermiers, financement des intrants, réseau de collecte, etc.) Si la libéralisation du secteur agricole a soutenu le développement de certaines filières (hévéa, palmier à huile), d’autres ont révélé des insuffisances organisationnelles, avec des coûts de production et de commercialisation élevés. Quel que soit le cycle industriel, les planteurs villageois, fragmentés sur de petites surfaces, devront bénéficier d’encadrement pour maîtriser les itinéraires agricoles. Des organisations professionnelles agricoles professionnalisées auront un rôle à jouer dans l’accompagnement des planteurs. Les grands projets agrocarburants ont aussi montré l’importance de résoudre les questions foncières et environnementales, d’un développement transparent et respectueux des droits des communautés locales, du rôle des gouvernants locaux complétant la régulation du gouvernement central.

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Chaque choix aura une empreinte environnementale variant selon les modèles économiques. Des études d’impacts sociaux et environnementaux identifieront en amont les bénéfices réels de chaque modèle.

Quel cadre régulateur ? Le développement des agrocarburants, par sa complexité et ses incertitudes, requiert un cadre régulateur fort et suffisamment lisible pour orienter les positions des opérateurs économiques. Il doit résulter d’une volonté de l’État, à même de garantir un équilibre entre les intérêts énergétiques, alimentaires, environnementaux et sociaux. Ce cadre est tout d’abord institutionnel. Il nécessiterait, sur le plan national, une coordination réunissant au moins les ministères en charge du Plan, de l’Énergie, de l’Agriculture et de l’Environnement ; un organe de régulation de la filière peut être envisagé à l’instar du Mali ou du Nigeria. Les institutions de l’UEMOA ont très tôt plaidé pour une harmonisation des choix agro-industriels, réglementaires et économiques à l’échelle régionale19. Plusieurs pays offrent un retour d’expérience, identifiant des dispositions régulatrices pouvant encourager un développement raisonné : • la cartographie et l’encadrement de l’accès aux terres cultivables ; • l’identification des espèces végétales et l’organisation de la diffusion des pratiques et matériaux agricoles ; • l’optimisation des ressources environnementales consommées et des rejets agro-industriels ; • la normalisation technique des produits agricoles, des agrocarburants et des mélanges commercialisés ; • la définition d’un objectif de pourcentage d’agrocarburants consommés sur le volume national de carburant ; • l’identification des modalités logistiques de transport/stockage/distribution du réseau de commercialisation ; • l’organisation géographique de zones productives, diminuant aussi l’énergie consommée sur l’énergie produite ; • la définition de mécanismes d’agrément et de concession de services publics énergétiques adaptés aux modèles économiques : production de combustible, transport et distribution d’électricité en réseau local, etc. ; • la proposition de mécanismes financiers et fiscaux incitatifs, s’inspirant des exonérations du Code des investissements, de la fiscalité des produits pétroliers, etc., encourageant in fine la fixation de prix compétitifs.

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Conclusions et perspectives L’engouement observé pour les agrocarburants n’a pas donné lieu à de productions significatives. La plupart des grands projets annoncés en Afrique de l’Ouest se sont avérés spéculatifs, la crise financière 2008-2009 et la variation du prix du pétrole n’ayant pas soutenu l’intérêt des investisseurs. Leurs études d’impact ont permis d’identifier les risques potentiels : économiques (prix des denrées alimentaires, systèmes fonciers, robustesse des modèles), environnementaux (dégradation des sols, déforestation, gestion des ressources en eau, émissions de gaz à effet de serre) et sociaux (détournement des terres et des stocks alimentaires, faiblesse des transferts de technologie, etc.). Les petits projets destinés à accroître l'accès de l'énergie locale se sont avérés plus résilients, avec des chaînes de production/consommation intégrées et une réelle adoption des communautés locales. Ils ont montré un potentiel de contribution au développement local et de création d'emplois, des intérêts environnementaux, des synergies potentielles entre production agricole et production énergétique. Mais leur développement confidentiel, non optimisé, sur le plan technique et économique, n’a pas permis de confirmer les bénéfices à grande échelle. Plusieurs États d’Afrique de l’Ouest et les institutions de l’UEMOA ont fait preuve d’anticipation, en agissant très tôt pour la mise en œuvre d’un cadre réglementaire. Mais les objectifs et les mandats mis en œuvre n’ont pas eu les résultats escomptés. Un renforcement des capacités reste nécessaire, il pourra s’appuyer sur les expériences développées sur le continent durant la dernière décennie. Les agrocarburants ont un rôle à jouer en milieu rural : faciliter l’accès à l’énergie, créer des activés génératrices de revenus agricoles et énergétiques, rendre possibles d’autres services essentiels au développement des communautés locales. Les petits projets ont démontré la faisabilité technique et sociale des chaînes de valeur locales, intégrant des capacités de production et de consommation. Si le prix du baril de pétrole évolue dans des perspectives conformes aux prévisions réalisées par le FMI et la Banque mondiale en juillet 2015, de nombreux États pourront réduire leurs subventions aux énergies fossiles. Ce répit peut être mis à profit pour préparer le développement opérationnel des filières locales et les rendre plus performantes avant que le baril ne retrouve des prix élevés, socialement exclusifs.

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NOTES 1. Average Petroleum Spot Price (APSP) : moyenne simple des prix spots Brent-West TexasIntermediate Dubaï Fateh. 2. « Jean Ziegler qualifie le recours aux biocarburants de 'crime contre l'humanité’ », Service d’information de l’ONU, 26 octobre 2007. 3. BP Statistical Review of World Energy 2015 , 64e édition, BP, juin 2015. 4. Renewable Energy Medium-Term market Report 2015, Agence internationale de l’énergie, octobre 2015. 5. Biofuel Demand Pushes Up Food Prices, Département de recherche du Fonds monétaire international, octobre 2007 + Biofuels : the promise and the risks , Banque mondiale, juillet 2007. 6. Assessing the Land Use Change Consequence of European Biofuel Policies, octobre 2011, International Food Policy Institute (IFPRI) pour la Commission européenne. 7. Assessing the impact of biofuels production on developing countries from the point of view of Policy Coherence for Development, février 2013, AETS APAV E pour la Commission européenne. 8. “Shell chief warns of era of energy volatility”, Financial Times, 21 septembre 2011. 9. World Energy Outlook 2014, Agence internationale de l’énergie. 10. «The Future of Oil : Geology versus Technology», Fonds monétaire internationnal, mai 2012. 11. IMF Commodity Price Forecasts, juillet 2015, Average Petroleum Spot Price (APSP), valeur exprimée en dollars 2015. 12. World Economic Outlook (WEO) Update, Fonds monétaire international, octobre 2015. 13. OIl & Gaz in Africa, Africa’s reserves, potential and prospects, KMPG, 2013. 14. Côte d’Ivoire Oil Industry, IAS Group, avril 2010. 15. « Nigeria, la suppression des subventions déclenche des manifestations », Afrique Renouveau, avril 2012. 16. Presidency conclusions, ref : 7224/1/07 REV 1, Brussels European Council, 8/9 March 2007. 17. En Inde, la société India Railway poursuit son projet de mélange de jatropha à hauteur de 5 % de sa consommation de diesel. 18. Association interprofessionnelle de la filière palmier à huile, AIPH, avril 2010. 19. Document de vision et de stratégie régionale de valorisation énergétique de la biomasse, UEMOA, 2006 et Rapport provisoire pour un cadre juridique et réglementaire pour le développement des biocarburants dans l’espace de l’UEMOA, UEMOA, 2009.


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L’initiative Énergie durable pour tous en Afrique Dr Kandeh K. Yumkella Représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies à SE4All, directeur exécutif de l’équipe mondiale de facilitation de l’initiative Énergie pour tous

Les défis et enjeux en matière d’accès à l’énergie durable Assurer un accès abordable, fiable et durable à l’énergie demeure l’un des défis essentiels du XXIe siècle. Alors que l’ensemble de la communauté internationale se mobilise en faveur d’un accès universel, la pauvreté énergétique continue d’affecter 1,1 milliard de personnes dans le monde selon le second rapport de suivi de l’initiative SE4All publié en mai 2015. Plus de 600 millions d’entre elles résident en Afrique, soit plus de la moitié de la population du continent. Ces personnes n’ont pas accès à des services énergétiques modernes capables de leur fournir l’éclairage, le carburant et de l’énergie fiable, et dépendent principalement de la biomasse traditionnelle pour la cuisine et le chauffage. De nombreux pays de l’Afrique subsaharienne sont régulièrement confrontés à des pénuries en électricité. La capacité énergétique combinée des 40 principaux pays consommateurs du continent est inférieure à celle des 20 millions d’habitants de New York. Les coûts de l’énergie sont extrêmement élevés et ses sources souvent très polluantes sur le continent, le kilowatt-heure coûtant 40 à 50 centimes, contre 4 à 17 ailleurs. Le déficit énergétique du continent a considérablement freiné son industrialisation, alors que le potentiel en ressources énergétiques classiques et renouvelables reste largement inexploité. L’accès à une énergie durable est pour l’Afrique une priorité et une condition nécessaire à la réalisation d’objectifs plus larges que ceux du secteur de l’énergie, à savoir l’éradication de la pauvreté, l’augmentation de la productivité agri-

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cole et des revenus du monde rural, l’amélioration de l’accès à l’eau potable, à une éducation et des soins de santé de qualité et la création d’opportunités économiques. L’énergie est donc à la base du développement humain. De la création d’opportunités d’emplois à la compétitivité économique, en passant par le renforcement de la sécurité et l’autonomisation des femmes, l’énergie constitue le grand secteur intégrateur de la dynamique de développement et d’émergence de l’Afrique. L’énergie concerne tous les secteurs et est au cœur des intérêts fondamentaux de toutes les nations qui doivent veiller à ce que les bienfaits de l’énergie moderne soient universellement accessibles et que l’énergie soit produite aussi proprement et aussi rationnellement que possible. Une transition vers une économie verte est nécessaire pour assurer un développement durable de l’humanité. Cependant, ce changement ne peut se faire au détriment des priorités de développement des pays en développement, et toute définition d’une économie verte devra inclure diverses opportunités pour promouvoir le développement économique et réduire la pauvreté.

L’initiative Énergie durable pour tous (SE4All) L’initiative SE4All (Sustainable Energy for All) du Secrétaire général de l’ONU, lancée en septembre 2011 en reconnaissance de l’impor tance de l’énergie pour le développement, est un cadre de partenariat composé de multiples parties prenantes auquel participent les États, le secteur privé et la société civile. Elle fixe trois objectifs principaux à atteindre à l’horizon 2030 : • garantir un accès universel à des services énergétiques modernes ; • doubler le taux mondial d’amélioration de l’efficacité énergétique • doubler la part des énergies renouvelables dans la panoplie énergétique mondiale. Ces trois objectifs sont complémentaires. De plus en plus abordables, les techniques d’exploitation des énergies renouvelables appor tent les services énergétiques dans des zones rurales qu’il serait excessivement coûteux et peu pratique d’alimenter par des réseaux électriques classiques. L’efficacité accrue des dispositifs utilisés pour l’éclairage et d’autres applications entraîne une diminution de l’énergie consommée et permet donc de réduire la quantité d’électricité nécessaire au fonctionnement de ces systèmes. Les gains d’efficacité qu’enregistrent la production et l’utilisation de l’électricité diminuent la charge des réseaux électriques et permettent l’alimentation d’un plus grand nombre de foyers et d’entreprises. Par ailleurs, il convient de noter que l’expansion incontrôlée des systèmes énergétiques à par tir des combustibles fossiles, comme c’est le cas aujourd’hui, pourrait maintenir le monde sur une voie non viable pour le climat mondial.

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80 gouvernements dans le monde y ont officiellement adhéré, parmi lesquels on compte 43 pays africains. L’année 2012 a été proclamée Année internationale de l’énergie durable pour tous par les Nations Unies. Des par tenariats entre États, banques de développement, secteur privé, société civile et organisations onusiennes ont été renforcés lors du Sommet Rio+20 et les engagements de financement pris ont été significatifs en termes de montants et de variété de contributeurs. Plusieurs entreprises et des investisseurs ont pris l’engagement de consacrer plus de 50 milliards de dollars US en vue de contribuer à la mise en place de systèmes énergétiques abordables, fiables et durables. Le partenariat a mobilisé aussi le secteur privé et la société civile en faveur d’initiatives à fort impact, telles que l’éclairage hors réseau, l’amélioration des rendements énergétiques, l’énergie et la santé des femmes, et la fourniture d’énergie renouvelable. Dans le cadre de cette initiative, des efforts sont déployés pour assurer la promotion des programmes d’utilisation de fourneaux et de combustibles propres pour la cuisson des aliments en Afrique, en Asie du Sud, en Asie de l’Est et en Amérique centrale. Il s’agit de mettre en place des dispositifs d’atténuation des risques liés aux investissements dans les énergies propres et d’aider au développement de l’électricité géothermique. Une assistance est aussi apportée aux collectivités locales pour améliorer la maîtrise de l’énergie et aux pays, pour cartographier leurs sources d’énergies renouvelables. Une aide spécifique est accordée aux petits États insulaires en développement pour investir dans les énergies propres. Des appuis sont en outre apportés à certains pays pour étendre les programmes d’amélioration de l’accès à l’électricité tout en développant les possibilités d’éclairage hors réseau. Malgré les progrès accomplis dans le monde pour réaliser les trois grands objectifs de SE4All, des efforts doivent être davantage consentis pour combler les déficits observés, notamment en Afrique. Pour y parvenir, les parties prenantes doivent accroître leurs investissements dans le secteur. Selon le rapport de suivi, les investissements annuels mondiaux en énergie doivent tripler pour atteindre jusqu’à 1 250 milliards de dollars, et entre 40 et 100 milliards mobilisés, chaque année, pour garantir une électrification universelle. En revanche, l’accès universel à des combustibles de cuisine modernes ne demande que 4,3 milliards de dollars par an. Pour ce faire, les pays dont la capacité est la plus faible devront avoir accès aux meilleures technologies vertes et aux connaissances qui s’y rapportent. Pour les gouvernements ne disposant pas de telles ressources, seuls les partenariats public-privé peuvent permettre de générer de tels flux. Pour atteindre les objectifs d’énergie durable, il est essentiel de comprendre les liens qui existent entre l’énergie et d’autres secteurs comme l’eau, l’agriculture, le genre et la santé1.

La priorité centrale de SE4All est d’apporter un soutien politique de haut niveau en faveur de l’accès pour tous à l’énergie. Depuis son lancement, plus de

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La plate-forme africaine de l’initiative SE4All : missions, organisation et instruments d’appui L’Afrique est au premier plan de la mise en œuvre de l’initiative SE4All. Une plate-forme africaine a été mise en place depuis mai 2013 en partenariat avec la Banque africaine de développement (BAD), la Commission de l’Union africaine, l’Agence de planification et de coordination du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Production et consommation durable d’énergie

En œuvrant pour atteindre les trois objectifs de SE4All, la plate-forme africaine de l’initiative participe également à l’effort de réduction des gaz à effet de serre en encourageant la transition énergétique de chaque pays. L’initiative SE4All permet à cet égard de définir un cadre général d’action et de fédérer les projets d’accès à l’énergie durable, d’efficacité énergétique ainsi que de développement des énergies renouvelables.

Conclusion : les initiatives africaines et les projets énergétiques propres en cours

La plate-forme africaine de SE4All vise à promouvoir auprès des gouvernements africains les investissements dans ce secteur en vue d’assurer la croissance économique des pays et de promouvoir l’émergence tant attendue. Elle a pour mission de coordonner et de faciliter la mise en œuvre de l’initiative sur le continent africain. Elle en favorise l’appropriation par l’Afrique, ainsi qu’une approche exhaustive et inclusive de sa mise en œuvre. En 2014, la Décennie de l’énergie renouvelable pour tous a été officiellement lancée en partenariat avec la BAD, en vue de promouvoir l’utilisation de toutes les sources d’énergie et de mobiliser les gouvernements, le secteur privé, les partenaires au développement et la société civile sur des questions énergétiques centrales pour le développement durable et l’élaboration des programmes de développement après 2015.

Avec l’avènement du Fonds africain des énergies renouvelables (AREF) mis en place en 2013, deux programmes d’investissement ont été réalisés, l’un en Éthiopie (projet géothermique de Corbetti de 20 MW) et l’autre en Ouganda (projet hydraulique d’Achwa de 41 MW). En termes de développement d’énergies renouvelables, le Kenya est un bon exemple de pays africain résolument engagé dans la diversification de ses ressources. L’énergie éolienne, le solaire et la géothermie viennent peu à peu compléter ses ressources hydrauliques déjà existantes. Pour développer ses capacités géothermiques, le Kenya a créé la Société d’exploitation géothermique qui réalise l’exploration de champs géothermiques ainsi que les forages. Il a ensuite développé les projets et gère leur exploitation, comme à Menengai par exemple.

La plate-forme fait partie de la structure mondiale de mise en œuvre de l’initiative SE4All et collabore étroitement avec l’équipe mondiale de facilitation de l’initiative. Elle compte deux unités : un comité de surveillance et des opérations, et un secrétariat. Le comité de surveillance et des opérations fournit les orientations stratégiques pour les opérations du secrétariat de la plate-forme et réunit les représentants de la Commission de l’Union Africaine, de l’Agence du NEPAD, de la BAD, du PNUD et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le secrétariat est responsable de l’exécution des activités de la plate-forme et de son programme de travail.

L’Afrique du Sud, qui encore récemment dépendait presque entièrement du charbon, a réussi sa transition vers les énergies renouvelables grâce à son Programme d’accélération et de soutien des investissements privés dans le secteur des énergies renouvelables (Renewable Energy Independent Power Producer Procurement Program, ou REIPPPP). Aujourd’hui, plus de 60 projets ont été attribués au secteur privé et les premières réalisations sont déjà livrées. Les engagements du secteur privé atteignent 14 milliards de dollars, et permettront de générer environ 4 000 MW d’énergies renouvelables.

Le Fonds des énergies durables pour l’Afrique (SEFA)2 et le Centre pilote des technologies et financements climatiques en Afrique3 sont les deux instruments d’appui de SE4All qui travaillent en étroite collaboration avec la plateforme africaine. Depuis son lancement en 2013, la majorité des 43 pays africains adhérents à l’initiative ont déjà effectué une évaluation de leur situation énergétique par rapport aux trois objectifs de SE4All. Plus d’une vingtaine d’entre eux développent actuellement leur programme énergétique national via un agenda d’actions qui constitue la feuille de route énergétique pays. Celle-ci est fondée sur une planification à moyen et long terme. Certains pays comme le Kenya, la Tanzanie, le Ghana et le Rwanda exécutent l’initiative, sur le plan national, en collaboration étroite avec le Centre pilote

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Selon les statistiques de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), si l’on considère l’ensemble des énergies renouvelables, l’Égypte est le pays avec la plus grande capacité de production installée issue des énergies durables, suivie par l’Afrique du Sud et la République démocratique du Congo. Ces trois pays ont une production hydraulique importante. Concernant le solaire, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Maroc et l’Égypte sont en tête ; pour l’éolien, ce sont l’Égypte, le Maroc et l’Éthiopie. Enfin, le Kenya est le leader pour la géothermie. L’ensemble de ces pays possède des cadres institutionnels et réglementaires favorables au développement des énergies renouvelables. Le Kenya, le Maroc et l’Afrique du Sud ont jeté les bases de programmes de transformation à grande échelle, avec des réformes publiques permettant de diminuer les risques liés à des projets d’énergies renouvelables. Aussi, d’autres pays africains ont fait des progrès considérables dans la création d’un environnement propice pour les investissements énergétiques renouvelables.

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NOTES 1. Progress Toward Sustainable Energy: Global Tracking Framework 2015, une publication qui fait le point sur les progrès accomplis dans le monde pour réaliser les trois grands objectifs de l’initiative Énergie durable pour tous (SE4All) : assurer un accès universel à des services énergétiques modernes, multiplier par deux le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique, et doubler la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique mondial. Ce rapport de suivi révèle aussi le travail qui reste à faire pour atteindre ces objectifs. 2. Le SEFA a été créé en 2011 à la Banque africaine de développement, avec un appui de 56 millions de dollars US provenant du Danemark, afin de permettre à la Banque de promouvoir ses engagements en matière de petits à moyens projets d’énergies renouvelables et d’efficacité énergique. En 2013, SEFA a été converti en un fonds multi-bailleurs, avec une contribution initiale de 5 millions de dollars des États-Unis qui est le premier volet de l’engagement pluriannuel américain, par le biais de l’initiative Power Africa du président Obama. Le fonds appuie des projets d’énergies renouvelables de petite et moyenne taille et d’efficacité énergétique en Afrique. Il est opérationnel depuis janvier 2012 et a approuvé depuis une quinzaine de projets pour un montant total de 11,4 millions de dollars. Fin 2014, le gouvernement britannique a également rejoint le fonds en s’engageant sur un montant d’environ 15 millions de dollars pour promouvoir les mini-réseaux d’énergies renouvelables en Afrique en collaboration avec la plate-forme. 3. Le Centre est destiné à faciliter le développement et le transfert des technologies climatiques dans les pays africains, afin d’aider à réduire les émissions de gaz à effet de serre et la vulnérabilité au changement climatique. Ce projet étalé sur trois ans doit mener à la mise en place d’une plateforme de diffusion des connaissances et rassembler des acteurs clés. L’objectif est de développer des mécanismes de financement innovants en faveur du transfert de technologies relatives à l‘atténuation et à l’adaptation en matière de changement climatique sur le continent.

Bonnes pratiques de développement des énergies propres et de l’effi ficcacité énergétique en Afrique Madiana Pognon Azoumé Expert Énergie

Benoit Lebot Chef au Partenariat international pour la coopération sur l’efficacité énergétique

Le continent africain à l’horizon 2050 : des enjeux énergétiques majeurs En 2050, plus d’un homme sur quatre vivra en Afrique. D’ici à 2100, la population de ce continent quadruplera, passant de 1 à près de 4 milliards. Ces milliards d’habitants nouveaux, il faudra les nourrir, les déplacer, les soigner. Les besoins sont énormes et ce d’autant qu’une classe moyenne émerge fortement, exigeante et aspirant au confor t moderne. C’est ainsi que, d’après Global Construction 2025, le secteur de la construction africain connaîtra la deuxième plus forte croissance mondiale dans les années à venir. Le continent devra aussi accélérer son développement agro-industriel et moderniser son secteur des transpor ts pour faire face à la demande. Confrontée à ces enjeux majeurs, l’Afrique, si elle veut se donner les moyens de son essor économique, social et politique, doit pouvoir compter sur une énergie fiable, économiquement abordable et disponible. Le défi est de taille. Aujourd’hui, l’Afrique est un continent où l’accès à l’énergie demeure extrêmement sommaire. Une personne sur quatre a accès à l’énergie en Afrique subsaharienne. En milieu rural, on parle d’une personne sur dix. En Côte d’Ivoire par exemple, où seules 2 800 localités sur les 8 500 du pays sont électrifiées, le taux d’électrification n’est que de 65 %. Dans d’autres pays, tels que le Niger, la République Centrafricaine ou le Malawi, le taux d’électrification demeure inférieur à 40 % en 2014-2015.

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Depuis une vingtaine d’années, la plupart des pays du continent sont en proie à une crise énergétique récurrente alors même qu’un potentiel remarquable existe.

Pétro dépendance et crises, 20 ans d’enlisement Les fluctuations du prix du baril du pétrole dans un contexte de forte dépendance à cette énergie fossile (les pays africains ont, d’après l’IRENA1, importé l’or noir à hauteur de 18 milliards de dollars, somme qui dépasse celle reçue en aide étrangère), les coûts d’investissement rendus nécessaires pour remplacer des équipements de production de plus en plus vétustes, la mauvaise évaluation de la demande en hausse exponentielle, les pertes sur les réseaux et les fraudes n’ont cessé d’installer la plupart des pays dans une crise énergétique puis alimentaire endémique depuis la fin des années 2000. Ceci a eu pour conséquences des délestages de plus en plus fréquents et de plus en plus longs, l’augmentation des prix de base, du prix de l’électricité et la nécessité pour les États de débourser de lourdes subventions pour soutenir le sous-secteur de l’électricité (pour l’année 2010, et pour le seul continent africain, le montant des subventions du secteur pétrolier est estimé à 50 milliards de dollars, IRENA, 2013). Dans le même temps, le continent africain subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique (encadré ci-contre) et les conséquences de l’épuisement du stock des énergies fossiles, dont personne ne mesure encore l’ampleur de l’impact sur le marché de l’énergie de demain. Le constat est simple. La population africaine ne pourra pas continuer à subir la forte précarité énergétique tout en payant l’énergie, les soins de santé et le transport les plus chers au monde. La planète ne pourra pas absorber l’impact et le coût environnemental du développement d’un continent de plusieurs milliards d’habitants dont les besoins croissent de façon exponentielle. Si le monde occidental, et les grands pays émergeant comme la Chine, l’Inde, le Brésil, etc., ont fondé leur essor sur l’énergie fossile, l’Afrique devra et peut faire autrement. Pour cela, il convient de changer notre regard sur l’énergie. En commençant par partir des besoins et donner priorité à la diversification des ressources, notamment locales. Se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement en énergie que les énergies conventionnelles peut plus que jamais contribuer à relever le défi de son émergence économique.

Miser sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables pour sortir durablement de la crise Avec une moyenne quotidienne d’ensoleillement comprise entre 5,25 et 7 kWh/m 2/jour, un potentiel hydroélectrique exceptionnel et une des plus

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importantes biomasses d’Afrique (estimée en moyenne à 15 millions T/an**) la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo comme le Gabon détiennent de très importants gisements d’énergies renouvelables. La solution énergétique pour sortir de la situation récurrente de crise énergétique observée dans nombre de pays passe parfois par la tentation de mettre en place des centrales thermiques de source non renouvelable telle que le charbon. En effet, selon les promoteurs de centrales à charbon, il s’agit d’un combustible encore abondamment disponible dans le sous-sol terrestre (réser ves estimées à 150 ans), peu onéreux et donc adapté aux économies des pays en

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développement. À ce jour, les réserves mondiales de charbon sont nettement plus importantes que celles de pétrole et du gaz naturel et donc le coût du charbon est inférieur, la raréfaction déjà engagée du pétrole accentuera dans les esprits le recours au charbon (puisque les industries se repor teront vers le combustible charbon pour l’utiliser soit directement, soit pour le transformer en pétrole lorsque le pétrole sera trop cher). La concurrence accrue pour accéder aux mines de charbon bon marché finira donc par renchérir son prix. Par ailleurs, le choix de l’alternative charbon envisagée par certains pays du continent ne va pas dans le sens de la sécurisation des besoins énergétiques. Des pays comme la Côte d’Ivoire, non productrice du minerai charbon et qui a maintenu jusqu’à récemment une relative indépendance énergétique grâce à ses ressources hydraulique, pétrolière et gazière, pourrait se retrouver dépendante des expor tations pour son approvisionnement en combustible si une telle option était choisie. Et ce sur une forte proportion de son parc de production. Notons qu’en novembre 2010, une vague de froid touchant la Chine entraîna subitement une demande plus forte de ce pays en charbon qui se répercuta en une hausse de 3 % du prix d’exportation du charbon en Afrique du Sud qui détient 90 % du charbon africain2. Il s’agissait de la neuvième hausse consécutive de ce prix, qui atteignait ainsi son record depuis 2008. Alors, le passage au charbon pourrait certes apporter un soulagement immédiat à la crise énergétique qui touche certains pays mais l’accalmie pourrait être de courte durée, car ces pays pourraient tomber dans une spirale d’augmentation des prix du combustible, qui les forcerait alors à trouver une solution vraiment durable à leur problème énergétique. Du point de vue environnemental, le passage au charbon est une mauvaise nouvelle – bien que ces technologies en développement ouvrent de nouvelles perspectives moins polluantes –, ce minerai étant de loin la source d’énergie fossile la plus émettrice de gaz à effet de serre, sans parler des autres impacts environnementaux. Aux États-Unis, les efforts de lutte contre le changement climatique remettent en cause de nombreux projets de nouvelles installations de centrales au charbon. Les centrales à charbon pourraient entraîner une augmentation considérable des émissions de gaz à effet de serre dans un pays où les changements climatiques menacent déjà de manière extrêmement préoccupante certains milieux naturels et populations. (Encadré page suivante.) Pour tant une alternative existe, propre et durable, pour garantir l’approvisionnement énergétique du pays en protégeant l’environnement, et qui pourrait être déployée à un coût probablement comparable aux investissements nécessaires. Le premier volet de l’alternative consiste à développer massivement les énergies renouvelables disponibles sur le territoire, à travers des projets d’envergure (et non des micro-projets comme actuellement), constituant un mix énergétique basé essentiellement sur le solaire photovoltaïque aujourd’hui quasi inexistant, l’énergie hydraulique et la biomasse. Et ce d’autant plus que certains

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pays africains sont riches de ces ressources renouvelables. Et ne possèdent pas de charbon. L’autre volet de la solution est de coupler cette production essentiellement d’origine renouvelable à une maîtrise systématique de la demande énergétique au niveau des consommateurs. En effet, aujourd’hui, malgré sa rareté, l’énergie est utilisée dans les villes africaines de façon irrationnelle, générant un grand gaspillage. Réformer les modes de construction pour les adapter au climat, éduquer les professionnels du bâtiment, les industriels et les consommateurs, promouvoir les bonnes pratiques de maîtrise énergétique feront assurément baisser la demande énergétique globale et, dans le même temps, permettra de réduire les investissements nécessaires pour accroître les capacités de production d’énergie. Cette solution audacieuse « Énergies renouvelables + Maîtrise énergétique » est loin d’être irréaliste dès lors que les gouvernements et tous les acteurs du secteur prennent les mesures qui s’imposent.

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Dans des pays où l’électricité serait principalement issue des énergies renouvelables : • le combustible nécessaire à la production d’électricité ne serait plus jamais un problème puisque les ressources nécessaires (soleil, hydraulique, biomasse, etc.) sont disponibles gratuitement ou à très faible coût et en quantité illimitée, et cela pour une durée éternelle puisqu’il s’agit de sources renouvelables (contrairement au charbon minéral ou au fioul utilisé dans les centrales actuelles) ; • la combinaison raisonnée des différentes sources d’énergies renouvelables, appuyée par un recours modeste à certaines formes d’énergies fossiles, doit permettre de gérer le caractère intermittent de l’électricité d’origine solaire ou éventuellement éolienne ; • la production d’une électricité fiable, continue et générée par des producteurs domestiques répartis dans le pays, donc indépendante de toute importation étrangère, garantira la sécurité énergétique totale de ces pays ; • chaque bâtiment, terrain ou point d’eau pourrait être utilisé pour générer de l’électricité ; • les dégradations environnementales collatérales à l’exploitation des énergies fossiles (contamination des eaux, dégradation des terres, pollution de l’air, etc.) seront réduites ; • les économies nationales seraient fortement dynamisées par le développement du secteur des énergies renouvelables, en particulier des industries domestiques réduisant la dépendance aux importations et créant davantage d’emplois ; • certains pays pourraient devenir des modèles en matière de développement durable et de lutte contre les changements climatiques en Afrique et dans le monde, augmentant la confiance des investisseurs étrangers. Cependant, le déploiement massif des énergies renouvelables permettant le remplacement progressif des centrales aux énergies fossiles existantes ne pourra se produire qu’en réformant en profondeur la réglementation actuelle pour poser les bases d’un cadre encourageant et soutenant pleinement la production durable d’énergie propre et la maîtrise de la demande d’énergie. Notamment en privilégiant une politique basée sur un prix d’achat garanti.

Booster la production d’énergies renouvelables avec un prix d’achat garanti Au cours des vingt dernières années, d’innombrables mécanismes d’incitation aux énergies renouvelables ont été expérimentés dans le monde avec plus ou moins de succès. La plupart des pays ayant adopté une politique visant à augmenter rapidement la production d’énergies renouvelables de manière simple, efficace et durable ont cependant fini par adopter le même mécanisme, qui a effectivement permis un déploiement des énergies renouvelables à une échelle

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bien supérieure et à un coût bien plus faible que toute autre stratégie alternative connue. Cette stratégie est celle du prix d’achat garanti, ou Feed-in Tariff (FiT), déjà adoptée par 57 pays dans le monde, y compris 20 pays sur 27 dans l’Union européenne et 28 pays en développement, dont 6 en Afrique (Afrique du Sud, Algérie, Île Maurice, Kenya,Tanzanie, Ouganda). La supériorité de cette stratégie en termes d’efficacité et de réduction des coûts engagés par rapport aux autres types d’incitations aux énergies renouvelables a été confirmée unanimement par les plus éminents spécialistes du secteur3. Le FiT repose sur l’obligation pour le ou les opérateurs d’un réseau électrique d’acheter à un prix fixé et sur une longue durée (15-20 ans) l’électricité produite par un particulier ou une entreprise à partir d’énergie renouvelable. Avec ce système, une famille ou une entreprise ivoirienne pourrait par exemple investir dans des panneaux solaires et les raccorder au réseau, puis être rémunérée pour chaque kWh produit et injecté sur le réseau. En d’autres termes, le courant électrique circule dans le sens inverse du sens conventionnel, c’est-à-dire du consommateur (devenu producteur indépendant) au distributeur historique d’électricité (devenu acheteur du courant produit). Le profil des opérateurs pouvant bénéficier d’une politique nationale et transparente sur les Feed-in Tariff est très diversifié : les autoproducteurs industriels déjà présents (qui, actuellement, ne revendent pas leur excès d’électricité sur le réseau), des opérateurs publics ou privés se positionnant comme gestionnaires de futurs parcs d'éoliennes, de centrales solaires, hydrauliques ou utilisant la biomasse, mais également les innombrables particuliers qui aujourd’hui mettent en route leur générateur au moindre délestage. En effet, ces derniers accepteraient probablement d’investir dans des panneaux solaires sur le toit de leur domicile si les bases juridiques, techniques et financières étaient établies. En échange du rachat d’électricité par l’entreprise nationale qu’ils ne consommeront pas sur place, leur production soulagerait une partie des tensions sur le réseau, contribuant ainsi à réduire le recours au délestage. On pourrait imaginer un dispositif doublé d’un engagement contractuel pour que le particulier s’équipant de panneaux solaires ne subisse plus jamais de délestage. Juste retour des choses en effet, les consommateurs ayant les moyens de recourir à un générateur sont d’une part, ceux qui auraient les moyens d’investir dans les panneaux photovoltaïques et d’autre part, ceux qui souhaitent se garantir un accès à l’électricité 24 heures par jour. Par ailleurs, il est à noter que l’instrument que constituent les Feed-in Tarif s’applique également à la production d’électricité issue de la cogénération. La Côte d’Ivoire, par exemple, possède l’un des tissus industriels les plus développés d’Afrique subsaharienne. Les industriels pourraient par des FiT être encouragés à investir dans des systèmes de cogénération s’ils ont l’assurance de pouvoir revendre sur le réseau national les éventuels excès de production d’électricité obtenus.

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Nous espérons que ce plaidoyer ouvrira les portes d’un véritable dialogue et permettra aux dirigeants africains de comprendre qu’une voie est possible pour sortir de l’impasse et des délestages à répétition en misant fortement sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.

Le système des prix d’achat garanti (FiT) Le mode d’emploi du système FiT est d’un intérêt manifeste. Comment fixer le tarif ? Tout d’abord, le tarif d’achat du kWh injecté par un producteur indépendant d’électricité sur le réseau doit être fixé, de telle sorte qu’il soit à hauteur suffisante pour stimuler les investissements et garantir un amor tissement à long terme des équipements sans pour autant devenir excessif, ce qui rendrait le système trop coûteux ou économiquement irrationnel. Le choix d’un tarif adéquat est une opération délicate, mais de grands principes sont désormais identifiés pour le déterminer, ainsi que des méthodes pratiques pour calculer plus facilement le tarif optimal4. La plupart des pays ayant mis en œuvre une politique de FiT ont, dans un premier temps, eu recours à un calcul simplifié du tarif avant de le complexifier progressivement en fonction des expériences acquises et grâce à une révision périodique des mesures adoptées. La Côte d’Ivoire pourra suivre cette approche en décidant par exemple d’une révision annuelle du tarif de rachat pour l’adapter rapidement aux éventuelles évolutions, ce changement ne s’appliquant qu’aux nouveaux inscrits et non à ceux s’étant précédemment engagés et dont le tarif est garanti par la loi soutenant le FiT sur toute la durée de l’engagement. Le principe fondamental du calcul du tarif est qu’il reflète les coûts réels de l’équipement acquis pour la production d’énergies renouvelables en permettant un bon retour sur investissement, ce qui implique en particulier qu’il varie en fonction de la technologie. Ainsi, de l’électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques, plus coûteux à l’achat, sera rémunérée plus généreusement que l’électricité produite à partir d’autres sources moins coûteuses (éoliennes, biomasse). Les coûts d’échelle, qui rendent une installation plus impor tante comparativement moins chère qu’un petit équipement, peuvent aussi être facilement reflétés par un tarif variant en fonction de la taille de l’installation. En fonction du contexte, d’autres paramètres comme l’inflation ou une indexation dégressive d’évolution technologique peuvent être pris en compte pour que les tarifs reflètent avec encore plus de précision les coûts réels des technologies engagées. Des méthodes économétriques existent pour définir la grille de tarif de rachat garanti qui soit à la fois optimum pour l’ensemble des consommateurs et suffisamment attractif pour attirer les opérateurs5.

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Pour quelle durée ? La durée du paiement versé grâce à la politique de FiT doit être suffisante pour que le producteur indépendant obtienne un retour sur investissement sur le long terme. Cette condition est indispensable pour réduire le risque et donc stimuler les investissements, en permettant aux banques d’accorder des prêts aux conditions avantageuses pour leurs clients. Cette durée doit donc être liée au montant du tarif : plus la durée de paiement est courte, plus le montant du tarif doit être élevé pour amortir rapidement l’achat. La durée qui s’est imposée dans les pays ayant un FiT est de 15-20 ans, ce qui correspond à la durée de vie de la plupart des équipements d’énergies renouvelables. Avec quelles contraintes ? Outre la garantie à long terme du paiement de l’électricité, une autre condition essentielle d’un FiT est l’obligation, pour le distributeur d’électricité, d’acheter toute l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, quelle que soit la demande des consommateurs raccordés au réseau. Cette condition est tout aussi nécessaire à la diminution des risques liés à l’investissement dans les énergies renouvelables, puisqu’elle garantit au producteur indépendant un revenu effectivement proportionnel à la quantité d’électricité injectée sur le réseau, sans risque de produire une électricité qui ne sera pas rachetée. Grâce à cette mesure, les énergies renouvelables prennent véritablement le pas sur les énergies fossiles reléguées au rang d’énergies secondaires utilisées uniquement pour combler la demande résiduelle non satisfaite par les énergies renouvelables sur le réseau. Progressivement, le développement des énergies renouvelables, notamment issu de la gestion durable de la biomasse, réduira cette demande résiduelle jusqu’à l’éliminer lorsque les énergies renouvelables permettront de satisfaire entièrement la demande. Il deviendra alors même possible d’exporter l’électricité supplémentaire pour la vendre aux pays voisins. Le principe d’obligation d’achat est par exemple en vigueur depuis plusieurs années déjà dans de nombreux pays européens, où le distributeur doit acheter immédiatement et sans condition l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, au tarif fixé par le FiT.

NOTES 1. L’IRENA : L’agence internationale pour les énergies renouvelables, organisation intergouvernementale fondée en 2009, dont la mission est la promotion des énergies renouvelables à l'échelle mondiale. 2. http://gulfnews.com/business/features/south-africa-s-coal-prices-rise-on-strong-demand-1.717991 3.The Stern Review:The Economics of Climate Change (Stern, 2006). 4. et 5. Voir, par exemple, la méthode de l’”indice de profitabilité” développée par B. Chabot pour le tarif français(http://www.wind-works.org/PricingWorksheets/BackgroundontheCostofGeneration andtheChabotPIMethod.html).


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Enjeux et défi fiss des énergies propres et de l’effi ficcacité énergétique en Afrique Pr Georges Kouadio Directeur général de l’environnement au ministère de l’Environnement et du Développement durable de la Côte d’Ivoire

Luc-Joël Grégoire Directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire

Dr Joseph Ezoua Spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction Le système énergétique africain, dépend excessivement des énergies fossiles, du charbon, du pétrole et du gaz naturel entrant pour 85 % dans le bilan de la consommation mondiale. Par ailleurs, cet accès aux ser vices énergétiques modernes est particulièrement inégal puisque près de 820 millions de personnes, soit 80 % de la population du continent, dépendent encore de la biomasse 1 énergie pour répondre à leurs besoins de cuisson, de chauffage, voire d’éclairage. Alors que l’Afrique est une formidable réserve2 d’énergies3 renouvelables pour elle-même et même pour les autres continents, la part de l’énergie propre reste insignifiante dans son mix énergétique. L’énergie durable4 est une composante essentielle de l’économie verte5. Elle représente un droit universel aux services énergétiques de base et, en tant que tel, doit interroger nos modes de consommation et de production énergétique notamment en utilisant des outils de réglementation locaux, nationaux et internationaux.

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Alors que l’accès à l’énergie est inégal et limité dans un contexte de raréfaction des ressources et de changement climatique, les énergies propres combinées à une politique d’amélioration de l’efficacité énergétique sont la solution pour améliorer la situation de l’accès à l’énergie des populations africaines. En effet, l’accès à l’énergie est l’une des conditions essentielles du développement car elle conditionne la satisfaction des besoins sociaux de base (eau, nourriture, santé, éducation, etc.). Le continent africain reste à la traîne en matière d’accès à l’énergie, tant dans les zones rurales (où les taux d’électrification sont extrêmement faibles) que dans les zones urbaines, touchées par des problèmes de sécurité de l’approvisionnement. L’Afrique, qui compte 15 % de la population mondiale, ne représente que 5 % de la consommation finale d’électricité6, et une consommation d’énergie par habitant deux fois inférieure à la moyenne mondiale. Alors que la lutte contre la pauvreté demeure la priorité absolue pour le continent, celui-ci souffre d’un déficit d’investissement, notamment technologique, qui le condamne bien souvent à l’utilisation des énergies conventionnelles, de la biomasse traditionnelle aux énergies fossiles. La transition vers les énergies renouvelables n’est pas un choix idéologique mais une nécessité face à l’épuisement programmé des énergies fossiles et face au défi immense que représente le changement climatique.

Les défis et enjeux La flexibilité et la liberté que procure la maîtrise de l’énergie sont des atouts maîtres pour l’émergence des pays en développement qui sont pour la plupart en phase de conception et de développement de leurs infrastructures énergétiques. Cela est particulièrement vrai pour l’Afrique où les taux d’accès aux services énergétiques modernes sont parmi les plus bas au monde. Pour faire face au double défi de l’accès à l’énergie et de la lutte contre le changement climatique, le développement des énergies renouvelables en Afrique sera confronté à trois enjeux majeurs : • l’enjeu économique et financier : malgré d’importants développements technologiques, les technologies d’énergie propre demeurent relativement plus coûteuses que les techniques conventionnelles, notamment fossiles7. Face à la priorité donnée aux enjeux de développement, et malgré les nombreux avantages dont sont dotées les énergies renouvelables - EnR (emplois locaux, prix orientés à la baisse, réduction de la dépendance aux énergies fossiles), les États et les populations africains continuent aujourd’hui à donner la priorité aux énergies fossiles, faute de moyens financiers. Pourtant, en cas de prix élevé du diesel et du gaz, le photovoltaïque est très rapidement compétitif. L’un des enjeux principaux est donc le financement de la transition énergétique africaine, pour permettre aux États comme aux communautés de mettre en place des politiques publi-

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ques soutenant le développement des EnR. Cela doit donc être une des composantes essentielles du Fonds vert pour le climat adopté à Cancun, et qui prévoit 100 milliards de dollars US de financements pour la lutte contre le changement climatique à l’horizon 2020 ; • l’enjeu technologique : le développement des technologies renouvelables implique des savoir-faire nouveaux, aussi bien pour les communautés que pour les entreprises assurant les services énergétiques que dans le domaine de la recherche. Aujourd’hui, les technologies renouvelables sont principalement concentrées entre les mains de quelques acteurs, dans les pays industrialisés et les pays émergents, malgré les expérimentations développées par les acteurs de terrain dans le cadre de projets de développement. La mise en place de mécanismes de transferts de technologies8 ainsi que le déploiement de stratégies de recherche sur le territoire africain sont donc les conditions sine qua none de l’accès des communautés aux services énergétiques renouvelables ; • l’enjeu gouvernance : l’accès de tous aux énergies renouvelables implique une redéfinition de la gouvernance des politiques énergétiques dans les pays africains. Les ONG et les communautés, qui développent depuis plus d’un demi-siècle des projets innovants dans ces domaines, sont en effet les mieux à même de participer à la définition des technologies à mettre en place, dans la mesure où elles connaissent parfaitement les besoins des populations. Aujourd’hui, la gouvernance énergétique reste malheureusement concentrée dans les mains des acteurs institutionnels et n’encourage pas la mise en place de politiques publiques adaptées, prenant en compte les réalités du terrain. Par ailleurs, les problèmes suivants doivent être pris en compte : • les économies de l’Afrique de l’Ouest sont confrontées au défi de la restructuration de la demande dans le secteur informel de l’énergie, qui est actuellement dominé par le bois de chauffe et à celui de devoir créer de nouveaux marchés pour les biocarburants à destination des transports et de l’industrie. Ces changements sont essentiels au développement des systèmes de production et de distribution, à la création de nouvelles entreprises, à la mobilisation des investissements et à l’augmentation des revenus des pauvres dans les zones rurales et dans les zones urbaines. Les politiques publiques doivent promouvoir la suppression progressive de la production et de l’utilisation du charbon de bois, encourager fortement la production et la commercialisation de nouveaux carburants et des réchauds plus verts, établir des mandats de mélange de carburants pour les transports et assurer l’approvisionnement en nouvelles sources d’énergies renouvelables dans les zones rurales et urbaines. Créer un marché durable de la bioénergie dépend d’objectifs bien définis et de cibles spécifiques et délimitées dans le temps ;

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• la planification foncière est un élément capital. Les gouvernements peuvent choisir d’assigner des terres directement à des producteurs locaux ou à des producteurs étrangers dans des conditions de systèmes fonciers spécifiques. Ils peuvent donc garantir le contrôle à long terme. Une telle approche a été considérée dans plusieurs pays, bien qu’elle doive encore être évaluée afin d’obtenir des résultats concluants. Quoi qu’il en soit, renforcer la propriété foncière de façon à protéger les petits exploitants et les producteurs industriels doit faire partie des cadres d’action.

Les orientations de politiques Comme les autres secteurs économiques, l’énergie occupe une place importante dans les politiques gouvernementales. L’engagement politique pour ce secteur est marqué par l’adoption d’un cadre institutionnel, législatif et réglementaire. Les principes du développement durable ont été appliqués à toutes les formes d’énergie. Le continent africain possède un potentiel considérable pour le développement des énergies renouvelables mais ne dispose pas de politique énergétique forte, clairement définie et dotée de moyens financiers importants, pour la promotion de celles-ci. Ainsi, le sous-secteur de l’énergie solaire9 a commencé à occuper une place de choix dans les préoccupations des pouvoirs publics en 1995, avec des produits développés, notamment dans les utilisations ponctuelles telles que le pompage solaire, les télécommunications, le chauffage, la réfrigération, l’éclairage, etc. Dans le cadre de l’amélioration de la situation, l’Union économique et monétaire Ouest-Afrique (UEMOA10) s’est alliée au Hub rural pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Centre, et a commandité un rappor t réalisé par la Fondation pour les Nations Unies (FNU), le Centre international pour le commerce et le développement durable (ICTSD) et l’Energy and Security Group (ESG). Le but de ce rapport11 était d’évaluer le potentiel du secteur agricole en matière de production des bioénergies et d’identifier les obstacles dans les pays membres de l’UEMOA, en tenant compte du besoin vital de sécurité alimentaire de la région. Plusieurs approches pour couvrir les coûts différentiels des politiques d’énergie renouvelable et de la bioénergie sont possibles. Elles comprennent la plupart du temps : • l’ajout d’une très petite surcharge sur les factures d’électricité des consommateurs. Cette surcharge peut être réinvestie dans un fonds public consacré au soutien à la bioénergie et aux énergies renouvelables. Ceci peut comprendre le soutien aux programmes de prêts, aux activités de recherche et de développement et aux programmes de formation. Aux États-Unis, par exemple, 17 États ont créé des fonds d’allocations publiques pour le développement de la bioénergie et des énergies renouvelables, qui devraient rappor ter 6.8 milliards de dollars américains d’ici à 2017 pour soutenir financièrement ces technologies ;

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• l’imposition d’une taxe carbone sur les carburants fossiles ; • la mise en place d’un fonds dédié, directement financé par le gouvernement ou soutenu par des bailleurs de fonds. La politique en matière d’énergies renouvelables de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest - CEDEAO (PERC) a été édictée par les chefs d’État et de gouvernement de pays membres de la CEDEAO en juillet 2013. Son objectif premier était de « s’assurer que de plus en plus des sources d’énergies renouvelables comme les énergies solaire et éolienne, les petites centrales hydrauliques et les bioénergies alimentent le réseau électrique et assurent l’accès aux services énergétiques dans les zones rurales ». Par ailleurs, la CEDEAO a adopté en octobre 2012, la stratégie12 régionale d’éclairage efficace. Cette initiative phare du Conseil de coopération économique du Pacifique (PEEC) vise l’élimination progressive de lampes à incandescence grâce à l’application d’une approche de politique intégrée comportant les deux étapes suivantes : • promotion de l’éducation, de l’institutionnalisation et de la réglementation ; • adoption, d’ici à 2016, des politiques permettant l’élimination progressive des lampes à incandescence d’ici à 2020. En avril 2011, pour gérer la crise énergétique en Afrique de l’Ouest, les gouvernements des pays membres de l’Union économique et monétaire pour l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) ont adopté une stratégie énergétique commune, soit l’initiative régionale pour l’énergie durable (IRED). L’objectif premier de l’IRED est d’offrir à tous les habitants de l’UEMOA d’ici à 2030 un accès à une source d’énergie propre à bas prix au sein d’un large marché ouest-africain d’énergie propre. Pour atteindre cet objectif, l’IRED vise plus particulièrement la promotion de l’efficacité énergétique et de l’énergie renouvelable. Dans le cadre de l’IRED, un réseau d’organismes nationaux a été mis sur pied pour favoriser la mise en œuvre de l’initiative dans chaque pays membre. L’instigateur de l’IRED est le département de l’énergie, des télécommunications et des technologies de l’information. Les objectifs stratégiques précis de l’IRED sont de : • assurer un accès universel à l’électricité en faisant passer le taux d’électrification dans l’UEMOA de 30 % (en 2008) à 80 % d’ici à 2020 et à 100 % d’ici à 2030 ; • réduire le prix de l’électricité pour renforcer la compétitivité et la croissance économique des pays de l’UEMOA. L’objectif est de diminuer le prix moyen de l’électricité dans l’UEMOA de 0,06 USD/kWh d’ici à 2020 ; • développer une énergie propre en exploitant de façon optimale le potentiel de l’UEMOA dans l’hydroélectricité, l’énergie solaire et la bio-

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masse, permettant ainsi aux membres de tirer le meilleur parti des mécanismes pour un développement propre et des fonds disponibles sur le marché du carbone. L’efficacité énergétique est une composante essentielle de l’IRED, comme le démontre clairement le deuxième axe stratégique : « Élaborer un plan régional de maîtrise de la consommation d’électricité ». Le plan d’action inclus dans l’IRED se divise en trois phases (2010 à 2012, 2013 à 2020 et 2021 à 2030). Lors de la phase I (2010 à 2012), le Programme régional d’économie d’énergie (PREE) devrait être mis en place. Doté d’un budget d’environ 30 millions de dollars américains (15 milliards XOF), le PREE vise les quatre éléments suivants : • le soutien institutionnel pour la création d’organismes d’efficacité énergétique dans les États membres ; • la distribution de lampes écoénergétiques dans les États membres ; • l’ajout d’étiquettes de performance énergétique sur les appareils électroménagers dans l’UEMOA ; • l’ajout d’exigences en matière d’efficacité énergétique aux codes du bâtiment des États membres. Le programme de normalisation et d’étiquetage prévoit de : • mener des évaluations sur la possible réduction des pointes de consommation d’électricité grâce à l’utilisation de lampes écoénergétiques ; • utiliser des dispositifs d’éclairage écoénergétiques et des ensembles solaires pour l’éclairage des voies publiques ; • acheter des dispositifs d’éclairage écoénergétiques et les distribuer aux ménages ; • trouver des partenaires et construire une usine de fabrication de lampes écoénergétiques dans l’UEMOA.

Les bonnes pratiques C’est dans un contexte difficile que la banque africaine de développement, les agences des Nations Unies et les communautés économiques régionales mettent en place et en œuvre des programmes ambitieux de maîtrise de l’énergie. On pense notamment : • au cadre d’investissement dans l’énergie propre pour l’Afrique du groupe de la Banque africaine de développement (BAD) ; • au cadre d’investissement pour l’énergie propre et le développement du groupe de la Banque mondiale ; • aux directives efficacités énergétiques et plan global efficacité énergétique de l’Union européenne ; • au programme énergie pour le développement durable du PNUD ; • à l’initiative régionale pour l’énergie durable de l’Union économique et

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monétaire pour l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et à son programme régional d’efficacité énergétique ; • la création de l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA) et de l’ECREEE participe à la même dynamique. Un cadre réglementaire et institutionnel régional pour la bioénergie existe, et est fondé sur le livre blanc CEDEAO-UEMOA de 2006, qui offre une structure appropriée pour l’intégration de la bioénergie au sein des objectifs d’accès à l’énergie établis dans la région de la CEDEAO. Les cadres réglementaires et institutionnels auront besoin de refléter les différences de capital naturel, de structure des secteurs forestier et agricole, des options pour le développement de la bioénergie et de structure des processus décisionnels politiques des différents pays : • au Mali, le cadre de réglementation pour la bioénergie est défini dans les politiques nationales d’énergie, la stratégie nationale pour l’énergie renouvelable et la stratégie nationale pour le développement de biocarburants. Toutes ces initiatives seront mises en place par l’Agence nationale de bioénergie (BIOCARMA) ; • au Bénin, une commission nationale pour le développement de la bioénergie est actuellement mise en place. La présence de tous les protagonistes (institutionnels, publics et privés) au sein de la commission sera nécessaire pour pouvoir coordonner les politiques à travers les différents secteurs impliqués dans le développement de la bioénergie ; • au Sénégal, le ministère des Biocarburants et des Énergies renouvelables joue un rôle central dans le gouvernement national, même dans les cas où les décisions liées aux biocarburants sont sous la responsabilité d’autres ministères, tels que l’Énergie ou l’Agriculture, ou leurs organismes affiliés ; • au Niger, le secteur de la bioénergie est géré par le ministère de l’Énergie, le ministère de l’Écologie et le ministère de l’Agriculture. Un comité multisectoriel national de l’énergie a été établi en 2005 et une structure interministérielle pour la coordination a été créée en 2006. Un cadre national pour une consultation sur l’énergie domestique et alternative doit être créé. Il sera coordonné par le Conseil national de l’environnement pour un développement durable (CNEDD), les représentants des structures responsables de l’énergie, l’agriculture et l’environnement, et d’autres ministères techniques concernés. Un plan directeur dans le domaine de la bioénergie pour la période de 2009 à 2011 a été développé dans le cadre du rapport commandé par l’UEMOA. Les activités principales sont organisées en cinq catégories essentielles : • le développement des ressources13 ; • les politiques publiques14 ; • le financement15 ; • le développement de marché16 ; • le transfert de technologie et la recherche et le développement (R&D)17.

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Les perspectives et recommandations : Dans le cadre de la généralisation des initiatives, force est de constater qu’il est nécessaire d’adopter une stratégie de bouquet de technologies adaptées aux enjeux de développement, afin de faciliter l’accès de tous aux énergies renouvelables. Plusieurs domaines méritent d’être poussés, comme : • la géothermie : les sources d’énergie géothermique les plus abondantes se rencontrent dans les régions de tectonique intense, dont l’Islande est l’exemple le plus connu où la géothermie est par ticulièrement bien exploitée, mais parmi lesquelles il ne faut pas oublier les Antilles ou La Réunion. Le développement de la géothermie peut aussi être envisagé en Afrique en recherchant des roches ignées chaudes à grande profondeur dans des fossés tectoniques. Cette perspective appelle d’importants travaux de recherche : exploration géologique, étude mécanique et hydrologique des roches, modélisation afin d’évaluer les incidences du procédé sur les aquifères situés dans les couches supérieures et sur les terrains superficiels ; • l’éolien18 qui présente un fort potentiel dans les pays les moins avancés. Sous des conditions de vent adaptées, il se situe déjà dans la zone de compétitivité des énergies renouvelables. Si les principaux modèles sont adaptés à l’approvisionnement d’un réseau électrique, il existe aussi des formes d’éoliennes19 adaptées à l’électrification rurale. Couplé à d’autres sources d’énergies pour remédier aux intermittences, l’éolien présente un fort potentiel pour l’Afrique. Cette technologie a cependant des coûts d’investissement plus élevés que les énergies fossiles, et nécessite une main-d’œuvre qualifiée, ce qui la rend parfaitement éligible aux différents mécanismes de transfert de technologie ; • la méthanisation20 des déchets : la production de biogaz, obtenue par la fermentation des déchets organiques, représente une forme d’énergie renouvelable adaptée aux besoins des zones rurales et isolées, et sans impact sur l’environnement. La méthanisation permise par les biodigesteurs permet d’accroître l’accès à l’énergie propre pour l’éclairage et la cuisson des aliments et réduit les dépenses des ménages ruraux et périurbains en bois de chauffe, en charbon et en pétrole. L’effluent ou résidu de bouse (sans le méthane qui s’est échappé sous forme de gaz) est un engrais organique de meilleure qualité que le fumier et le compost ordinairement produits. Il permet ainsi d’accroître la production agricole et de réduire la charge de travail des femmes. Les résultats scolaires sont améliorés grâce à l’éclairage. Les conditions sanitaires sont améliorées car les maladies liées à la fumée et aux odeurs sont diminuées. La productivité animale est améliorée grâce à la stabulation et par une meilleure prise en charge alimentaire et sanitaire du bétail. Enfin, l’implantation des biodigesteurs est une opportunité de création d’emploi dans la zone d’activité ;

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• le solaire21 photovoltaïque22 (PV) : le solaire photovoltaïque est une des énergies renouvelables au plus fort potentiel en Afrique avec l’hydroélectricité23. En parc au sol, elle est parfaitement adaptée au réseau électrique, mais peut aussi, en complément d’énergies techniques (ou installée avec des batteries), s’imposer comme une solution d’électrification rurale. Son principal défaut demeure son coût de production encore plus élevé que les solutions thermiques (gaz, pétrole, charbon), mais ceux-ci sont orientés à la baisse, et le solaire PV devrait être compétitif avec les énergies fossiles d’ici à dix ans. En outre, l’Afrique ne compte pas d’unité de production de panneaux importante, ce qui la rend dépendante des importations. Le transfert de technologies, aussi bien de production que de mises en œuvre et de maintenance, est donc fondamental pour réussir la transition énergétique en Afrique. Malheureusement, cer tains obstacles freinent le développement de ces solutions : – l’absence ou faiblesse du cadre politique, juridique et réglementaire pour que celui-ci soit plus attractif que les investissements dans les énergies renouvelables ; – le manque de prise en compte des énergies renouvelables dans la planification du développement au niveau local ; – le développement des filières commerciales et artisanales et des compétences dans les différents domaines des énergies renouvelables devra être une priorité ; – l’absence d’instruments financiers adaptés aux investissements dans les énergies renouvelables, notamment les unités décentralisées ; – les banques et autres institutions financières sont insuffisamment mobilisées et formées pour le financement des énergies renouvelables. Le solaire thermique sous la forme d’énergie solaire concentrée souffre évidemment de l’intermittence due au manque d’ensoleillement durant la nuit. Afin de pallier cette carence, il est envisagé de stocker l’énergie au moyen d’une transformation de phase : emmagasiner l’énergie en faisant fondre une masse de sel (chlorure de sodium), la chaleur latente pouvant ensuite être récupérée durant sept heures à travers des échangeurs pour actionner la turbine et l’alternateur. • l’hydrolien24 maritime et fluvial : avec son contour maritime, ses grands fleuves, l’Afrique peut tout à fait produire une grande partie de son électricité et de manière continue à partir de la force des courants marins et fluviaux. Cette technologie émergente forme un véritable défi, susceptible d’accroître les partenariats durables entre vieilles économies et économies naissantes, comme en font partie la plupart des pays africains ; • les barrages hydroélectriques : basés sur une technologie similaire à ce qui a été décrit précédemment, ces barrages existent dans le monde

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depuis les années 1920, mais leur taille n’a cessé de croître jusqu’à atteindre en Chine des dimensions qui posent de graves problèmes écologiques. Ces barrages ont également comme fonction d’être un formidable élément de stockage hydraulique, permettant d’utiliser en tant que de besoin la ressource. Semblable au stockage « météorologique », la mise en œuvre du stockage d’énergie sous forme d’énergie potentielle de gravité d’une masse d’eau est une pratique courante dans les usines marémotrices et dans les centrales hydroélectriques associées à des barrages : lorsque l’énergie est excédentaire et donc peu chère, on pompe de l’eau de l’aval vers l’amont pour augmenter la hauteur de retenue dans le bassin de l’usine ou dans le barrage ; • la biomasse : par la photosynthèse, l’énergie solaire se trouve emmagasinée dans la biomasse stockée obtenue à partir du dioxyde de carbone et de l’eau. La biomasse est ainsi une ressource renouvelable puisqu’elle procède à la capture du dioxyde de carbone, lequel est ensuite libéré lors de son utilisation. Cette énergie renouvelable est la plus anciennement exploitée par l’homme, sous forme de combustible de chauffe. Les applications actuelles concernent la production de carburants de substitution destinés essentiellement aux transports et aux engins : le choix s’est porté sur le bioéthanol et sur le biodiésel. La culture intensive de biomasse destinée à la production de biocarburants peut porter atteinte à la biodiversité, par exemple en conduisant à des déforestations. Le développement des EnR passe aussi de la suppression progressive des subventions à la production des énergies fossiles : les EnR souffrent aujourd’hui d’un coût bien souvent supérieur aux énergies conventionnelles, qui sont lourdement subventionnées pour la plupart. Les financements publics dédiés au niveau international aux énergies fossiles sont estimés à 500 millions de dollars par an, dont plus de 100 milliards consacrés à la production. Ces subventions, en faussant les règles du jeu économique, freinent la transition énergétique dans les pays les moins avancés. Il est donc souhaitable de mettre fin aux subventions à la production d’énergie fossile, pour réorienter ces masses financières afin de soutenir les énergies renouvelables. Les subventions à la consommation ont quant à elle bien souvent une vocation sociale et permettent aux populations les plus vulnérables d’accéder à quelques services de base énergétique. Cependant, orientée vers les énergies fossiles, elles contribuent à perpétrer un modèle qui inscrit les pays les moins avancés dans une vulnérabilité forte en renforçant la dépendance des citoyens et des entreprises aux sources fossiles. Pour rendre attractif et possible l’utilisation des EnR, il est indispensable de mettre en place un cadre normatif et réglementaire solide et efficace.

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Chaque fois que cela est économiquement rentable, il est indispensable que les pays les moins avancés (PMA) donnent la priorité aux énergies renouvelables en les mettant au cœur de leur politique énergétique. Certaines énergies renouvelables sont compétitives face aux sources fossiles, et notamment au diesel, très utilisé en zone rurale. Pour cela, la priorité doit revenir aux sources locales d’énergies, qui doivent être porteuses de sécurité d’approvisionnement énergétique. Dans le cadre des appels d’offres et des politiques d’électrification, les énergies renouvelables peuvent par exemple être soutenues par l’introduction de critères environnementaux, mais aussi par le développement d’outils économiques comme les tarifs d’achats. Les projets énergétiques étant généralement soutenus dans le cadre des politiques de financement26, le rôle des banques de développement et des bailleurs de fonds doit être de s’assurer que les surcoûts engendrés par ces projets, dans les zones où les énergies renouvelables ne sont pas compétitives par rapport aux énergies fossiles, ne viennent pas compromettre les objectifs d’accès à l’énergie. À ce niveau, les financements innovants pour le climat doivent jouer un rôle important dans l’accompagnement des stratégies nationales de développement sobre en GES. Pour adapter le processus de transformation, aux besoins et suivre les politiques et les technologies énergétiques, il est indispensable de créer des centres de recherche et de suivi. La plupart des énergies renouvelables reposent sur des technologies importées des pays industrialisés ou émergents. Face au défi que représentent l’accès à l’énergie et l’électrification en Afrique, il est indispensable de développer des pôles d’excellence industrielle dans ces différents secteurs, afin que le continent bénéficie de l’ensemble des avantages des EnR, aussi bien en termes de réduction des externalités environnementales que de création d’emplois et d’activités économiques. La perspective décrite ci-dessus des défis énergétiques pour les prochaines décennies appelle évidemment la question des moyens nécessaires à la prise de décisions pertinentes et à leur mise en œuvre. Il apparaît d’abord que, tout en respectant les spécificités locales, tant en ce qui concerne les ressources que les besoins, l’engagement doit se situer au niveau international. Sans qu’il soit nécessaire d’invoquer l’éthique ou la vertu, la simple réalité économique impose ce niveau de coopération pour l’harmonie et la régularité des échanges en raison de l’impor tance des tâches en jeu et de leur coût. Il s’agit d’un engagement international pour la recherche, d’un engagement international pour l’évaluation indépendante des décisions possibles, d’un engagement international pour la construction de démonstrateurs, de prototypes et d’installations pilotes, et d’un engagement international pour la formation de compétences. Enfin, depuis un an, l’approche cleantech vise à développer des technologies propres et de nouveaux usages en consommant plus intelligemment les res-

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sources et en réduisant la pollution. Le concept de « négawatt » met en avant l’objectif d’économie d’énergie de cette démarche, par un changement de technologie et d’infrastructure via : • l’efficacité énergétique (ex : bâtiments, véhicules, systèmes de chauffage moins consommateurs d’énergie) ; • la sobriété énergétique, grâce à une évolution des comportements (ex : des mesures coercitives, comme la taxe intérieure sur les produits pétroliers ayant eu une incidence sur les choix de voitures et les habitudes de conduite). Les cleantech ne recouvrent pas un secteur industriel en particulier, puisqu’il s’agit d’une démarche transversale à respecter depuis la conception des nouveaux produits, services et processus, jusqu’à leur scénario d’usage final.

BIBLIOGRAPHIE ADEME, 2013, Défis et perspectives pour des villes durables, performantes : climat, énergie, environnement. Agence française de développement et Banque africaine de développement, 2009, L’énergie en Afrique à l’horizon 2050. Bal J.L., Bauquis P.R., Brézin É., Jouzel J., Legrand J.L., Proglio H., Trelin J, 2012, Les enjeux énergétiques : développement humain, urgence écologique, urgence démocratique. Bourarach E.H., BAALI E.H., 2014, De la production agricole au commerce agro-alimentaire : les défis énergétiques. CEDEAO-ECOWAS, 2013, Évaluation institutionnelle et cadre du programme de normes et étiquetage des appareils de la CEDEAO. Favennec J.P., 2009, L’énergie en Afrique à l’horizon 2050. Ferrenbach D.V., 2012, Les énergies renouvelables en Afrique de l’Ouest : État, expériences, tendances. GEREEC, 2013, La CEDEAO s’engage à soutenir l’initiative énergie durable pour tous en Afrique de l’Ouest, n° 6. Harelimana J.B, 2014, Sommet États-Unis/Afrique : financer les infrastructures énergétiques en Afrique pour soutenir l’émergence africaine. Ministère du Développement durable, 2011, Le contexte énergétique mondial et européen. Ngaido M. 2012, Le cadre juridique et institutionnel des études d’impact environnemental et social d’un projet minier au Sénégal : le cas du projet Zircon de la Grande Côte. ONU, 2004, Conférence des ministres africains de l’Énergie, les enjeux des technologies d’énergie renouvelable dans la lutte contre la désertification. Organisation internationale de la francophonie, 2011, Séminaire d’information et de sensibilisation : « La maîtrise de l’énergie au cœur de la nouvelle donne énergétique : enjeux et perspectives ». ONU, 2013, Vingt-neuvième session du Comité intergouvernemental d’experts de l’Afrique centrale.

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Production et consommation durable d’énergie Randriamiarina D., 2008, Les grandes tendances des politiques d’aide dans le secteur de l’électrification dans les PED, en particulier en Afrique. Réseau Climat et Développement, 2014, Lutter contre la pauvreté et les changements climatiques : le rôle clé des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique en Afrique. Réseau Climat et Développement, 2014, Renforcer les capacités de la société civile francophone sur l’accès aux énergies renouvelables et l’efficacité énergétique contre la pauvreté et les changements climatiques en Afrique. Schneider Electric France, 2011, Le livre blanc de l’efficacité énergétique. Tissot-Colle C., Jouzel J., 2013, La transition énergétique 2020-2050 : un avenir à bâtir, une voie à tracer.

NOTES 1. La biomasse contenue dans de vastes étendues de forêts reste une source potentielle d’énergie. Mais les pouvoirs publics ne subventionnent pas les énergies issues de la biomasse. En République démocratique du Congo, par exemple, avec un territoire de plus de 2 millions de kmÇ, les opportunités de « green business » sont nombreuses. Selon la Banque mondiale (2012), près de 170 projets d’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables et d’agrocarburants y ont été identifiés dont 23 dans la valorisation des déchets agricoles, 27 dans les industries forestières, 31 dans la production « propre » de charbon et 68 projets pour la production d’agrocarburants à base de jatropha. Ils permettraient la réduction de 697 millions de tonnes de CO2. Pour un prix spot d’environ 13,50 œ la tonne, le pays pourrait dégager environ 9,4 milliards d’euros sur le marché du carbone. 2. Le continent africain offre un potentiel d’énergies renouvelables conséquent, et le développement de ces sources d’énergie permettrait : • une autonomisation des énergies fossiles dont le prix va croître régulièrement au cours du XXI e siècle ; • le développement d’activités économiques offrant des voies de sortie de la pauvreté, car les énergies renouvelables (EnR) offrent un potentiel d’emploi local important ; • une contribution essentielle aux efforts d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre dans la perspective d’une division par 2 ou 3 des émissions mondiales d’ici à 2050. 3. L’énergie constitue une part essentielle du développement d’un pays. Les pays qui ont accès à de nombreuses sources d’énergie abondantes et bon marché ont un produit intérieur brut (PIB) par habitant sensiblement plus élevé que les pays qui n’y ont pas accès, des niveaux de revenus par habitant plus élevés, une espérance de vie plus longue et des niveaux d’études supérieurs. Sans électricité et autres services énergétiques, il sera impossible d’augmenter la productivité rurale, de réduire la pauvreté et d’atteindre les Objectifs du développement durable (ODD). 4. Écosystèmique (provenant de l’écosystème (éolien, hydraulique)), biologique (biomasse, biocarburant). 5. La filière « biomasse » entre dans une filière plus large de transformations des produits agricoles ou agro-forestiers. Des cultures oléagineuses (colza, tournesol), après écrasement et raffinage, est produit de l’huile végétale qui par transestérification devient de l’ester de méthyle (biodiésel). De la même manière, des plantes à sucre et à amidon (betterave à sucre, céréales, etc.) après extraction/hydrolyse, est extrait le sucre qui par fermentation se transforme en éthanol qui entre dans la composition de l’ETBE. La biomasse solide, par pyrolyse se transforme en huile pyrolytique, par gazéification en gaz combustible. La biomasse humide (déchets organiques, fumier), par fermentation anaérobie, se transforme en biogaz. 6. L’électricité constitue seulement 3,6 % de la consommation totale d’énergie en Afrique de l’Ouest. La région n’a pas les infrastructures nécessaires pour produire, distribuer et stocker l’électricité. Les moyens existants pour générer de l’électricité sont inadéquats et inefficaces. Les taux de pauvreté font qu’il n’y a qu’une petite base de consommateurs qui ont les moyens de se procurer de l’électricité.

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Développement durable en Afrique La production d’électricité dans les pays de la CEDEAO est principalement assurée par des centrales thermiques. L’énergie hydroélectrique est également utilisée dans plusieurs États membres, mais c’est seulement au Ghana que les centrales hydroélectriques constituent la principale source d’approvisionnement en électricité du pays. En outre, le Cap-Vert est le seul pays membre dans lequel une partie significative de la production d’électricité est fournie par l’énergie éolienne et l’énergie solaire. Il convient également de noter que la plupart des pays membres de la CEDEAO n’ont pas assez de capacités de production d’électricité pour répondre aux besoins de leurs populations respectives. 7. L’exportation des hydrocarbures domine l’économie de la sous-région suivie de près par l’activité forestière et les industries minières extractives. Les réserves pétrolières en Afrique centrale sont estimées à 31,3 millions de barils, soit 28 % des réserves totales du continent. Cinq des dix premières réserves pétrolières en Afrique sont en Afrique centrale (Gabon, Congo, Guinée équatoriale, Tchad, Angola). Contrairement à l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale ne compte que cinq petites raffineries (Cameroun, Gabon, Congo, Angola, Tchad) anciennes, de faible capacité et produisant trop de fioul pour être économiques (la production journalière est au plus de 50 000 barils). On note en ce qui concerne le gaz un faible niveau de développement des marchés locaux et un manque d’infrastructures dans la quasi-totalité des pays. La production, bien qu’abondante, est pour l’essentiel réinjectée dans les gisements pour maintenir la pression et améliorer la récupération du pétrole. Une unité de gaz naturel liquéfié (GNL) est fonctionnelle en Guinée équatoriale et une autre en projet en Angola, ce qui limite l’utilisation du gaz naturel et pousse la plupart des États à torcher (purifier) une bonne partie de leur production. À titre d’exemple, le Gabon produit 2,6 milliards de mètres cubes dont 1,8 milliard de mètres cubes ont été torchés et 9,6 milliards de mètres cubes réinjectés. Au Cameroun, la production brute entière de 2,1 milliards de mètres cubes est torchée. En Guinée équatoriale, 0,9 sur les 1,1 milliard de mètres cubes ont été également torchés. On en conclut à l’inefficacité productive du secteur des hydrocarbures. 8. La transformation structurelle des économies de l’Afrique centrale nécessite un bond technologique dans les secteurs clés que sont l’énergie, l’agriculture et l’industrie. L’Afrique centrale a une bonne capacité de diversification de son économie à partir de ses multiples sources potentielles d’énergie. La diversification des sources d’énergie ou « mix énergétique » dépend elle aussi du degré d’innovation technologique. L’introduction des technologies vertes en Afrique centrale nécessite la réunion d’un certain nombre de conditions parmi lesquelles celle de transfert accru de technologie entre les pays par tenaires développés ou émergents et les pays africains (INU, 2012, Rapport sur le développement économique en Afrique). Cela suppose une diminution de la part des investissements dans les combustibles fossiles et des mesures incitatives en faveur des entreprises pour la production et la consommation des énergies renouvelables. De plus, l’accroissement des capacités d’absorption locale est une base nationale plus forte pour la science et la technologie. La substitution d’investissements dans des sources d’énergies à fort taux d’émission de carbone par des investissements dans l’énergie propre triplerait quasiment le taux de pénétration des énergies renouvelables dans la production d’électricité (de 16 à 45 % d’ici à 2050). Il découle de ce qui précède que l’Afrique centrale avec son énorme potentiel en ressources naturelles dispose d’atouts importants pour développer une économie verte. Ses forêts, son réseau hydrographique, ses ressources minières, sa population jeune constitue une réserve qui devrait être mise à contribution dans des programmes divers financés par la communauté internationale dans le cadre du plan d’action de Bali et du Fonds vert de Cancun. 9. L’énergie solaire va connaître un véritable développement en Côte d’Ivoire, si le projet ATERSA venait voir le jour. 10. Les huit pays membres de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) possèdent de nombreuses ressources. Celles-ci peuvent être renforcées en combinant de bonnes politiques et de bonnes pratiques pour pouvoir développer la production et l’accès à la nourriture, à l’énergie et aux fibres textiles. Entreprendre cette stratégie pour améliorer la productivité agricole et forestière, protéger les ressources en eau et produire de la bioénergie devrait aussi renforcer leur capacité d’adaptation aux changements climatiques. 11. Les trois objectifs de ce rapport furent : • de déterminer une stratégie pour l’agriculture durable et des politiques de l’énergie qui permettront aux pays d’améliorer leurs politiques publiques actuelles et futures en matière de bioé-

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Production et consommation durable d’énergie nergie sur le plan national, régional et local et de les intégrer dans des programmes de développement plus larges, en mettant l’accent sur l’économie rurale. Le défi ici est de gérer les ressources disponibles de manière durable et productive ; • d’établir une base d’analyse pour alimenter l’élaboration de politiques publiques en matière de bioénergie, tout en prenant en compte les conditions sociales, économiques et écologiques des pays membres de l’UEMOA ; • de renforcer la capacité des institutions publiques et privées à faciliter la mise en œuvre de politiques et de réglementations pragmatiques cohérentes pour promouvoir les bioénergies. 12. La stratégie a été lancée par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) dans le cadre de son initiative mondiale en.lighten et le CEREEC en assure la gestion. De nombreux autres par tenaires par ticipent aussi aux projets, dont le Global Off Grid Lighting Association (GOGLA), le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ) de l’Allemagne et des entreprises privées, telles que Philips et Osram, qui offrent tous du soutien technique pour l’élaboration de la stratégie régionale. L’élimination progressive des lampes à incandescence dans la région permettrait d’économiser 220 millions de dollars américains par année en coûts énergétiques, une économie suffisante pour alimenter plus d’1,2 million de foyers. Il faut compter entre 0,7 et 4 millions de dollars américains (0,5 et 3 millions EUR) approximativement par pays pour l’exploitation des programmes, et environ 125 millions d’euros pour les lampes, une somme qui sera payée par les consommateurs et la finance du carbone. Puisque la stratégie est fondée sur une approche de politique intégrée, elle inclura des NMPE, des politiques de soutien, des efforts de surveillance, de vérification et d’application, et une gestion écologiquement rationnelle. À l’heure actuelle, des groupes de travail thématiques (un pour chaque pilier de la politique intégrée) ont été créés, et un atelier régional s’est déroulé les 2 et 3 juillet 2013 à Dakar, au Sénégal. Au cours de l’événement, les représentants gouvernementaux de la CEDEAO se sont entendus sur un cadre coordonné à l’échelle régionale pour l’élimination progressive des lampes à incandescence ainsi que sur les mesures techniques à prendre. 13. Pour que les marchés de bioénergie puissent se développer et prendre de l’envergure, le développement des ressources est nécessaire dans tous les domaines relatifs à la construction, la mise en œuvre, le déploiement et le fonctionnement des projets. Ceci implique un engagement à long terme, avec des activités centrées sur les individus, les institutions et les systèmes et ciblant les organisations publiques, privées et non-gouvernementales. Les activités concernant le développement des ressources incluent de : • former les décideurs politiques aux cadres d’action et aux programmes afin d’accélérer l’adoption de la bioénergie par les petits propriétaires terriens ; • intégrer la bioénergie dans les stratégies nationales de développement de l’agriculture, la conservation de la forêt et sa gestion durable, la réduction de la pauvreté, l’énergie et l’électrification rurale ; • renforcer les entreprises pour mettre en place, intégrer, installer, faire fonctionner, maintenir et entretenir des systèmes de bioénergie, fournir des services de formation professionnelle et un soutien au développement d’entreprises ; • former les secteurs financiers et bancaires (direction générale et chargés de compte) aux risques et avantages du financement de projets en bioénergie, par des projets pilotes et des programmes qui minimisent les risques d’investissement au départ ; • apporter de la formation et de l’assistance technique dans le cadre des critères du développement durable de la bioénergie, en s’appuyant sur les efforts internationaux en ce domaine (ex. L’Union européenne, le partenariat mondial pour les bioénergies (GBEP) et la table ronde sur les biocarburants durables (Roundtable on Sustainable Biofuels), parmi d’autres ; • former les gouvernements et le secteur privé au MDP et aux marchés du carbone ; • faire des campagnes de communication et diffuser des informations sur les avantages et les défis de la bioénergie, en incluant des campagnes de sensibilisation des consommateurs. 14. Le soutien gouvernemental, sous forme de politiques, de réglementations et d’incitations, a été la clé du développement du marché de la bioénergie dans le monde. Les principaux cadres d’actions sont : • l’identification et le développement d’instruments pragmatiques des cadres d’action, fondés sur l’expérience de l’UEMOA et d’autres pays et régions. Ceux-ci doivent encourager la valeur ajoutée locale, le développement rural, l’égalité entre les sexes, la gestion des forêts au niveau de la

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Développement durable en Afrique communauté, l’agriculture durable, etc. • l’établissement d’objectifs nationaux et régionaux et de calendriers d’activités pour le développement de la bioénergie qui prennent en compte la question des petits producteurs ; • l’aide à établir des cadres de réglementation au niveau national pour accélérer le développement de la bioénergie ; • le travail avec les décideurs politiques pour que les priorités énergétiques et agricoles soient reliées ; • l’établissement d’une organisation directrice au sein de chaque gouvernement national pour coordonner les activités touchant à la bioénergie dans les ministères concernés (ex. agriculture, énergie, développement rural, finances, commerce/métier et environnement) ; • l’accroissement de la coordination et de la coopération en Afrique (ex : Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD)) ; • la mise en place de principes directeurs pour l’aménagement foncier ; • la promotion d’un marché régional pour la bioénergie durable et l’inclusion dans le commerce transfrontalier ; • l’engagement du secteur privé dans le développement de politiques et de réglementations, y compris les organisations de producteurs, les PME et les coopératives, etc. • le contrôle et l’évaluation de l’impact et la performance des activités de bioénergie aux niveaux nationaux et régionaux ; • l’utilisation de l’outil d’évaluation de la bioénergie pour l’évaluation de différentes politiques en matière de bioénergie aux niveaux national et régional. 15. Le financement et les investissements sont essentiels pour la croissance et le développement de la bioénergie dans les pays membres de l’UEMOA. Au fur et à mesure que l’industrie se développe, le champ et l’étendue des ressources et des instruments financiers régionaux et internationaux doivent s’accroître à la fois localement et internationalement. Davantage de recours au levier financier des ressources des secteurs privé et public sera nécessaire pour satisfaire les demandes de financement du secteur des bioénergies. 16. Un certain nombre de possibilités de projets et de programmes existent en ce qui concerne le développement de la bioénergie dans les pays membres de l’UEMOA et doivent être étudiés plus en détail. Toutefois, poursuivre ces efforts nécessitera l’évaluation des questions techniques, institutionnelles, financières, écologiques, sociales et économiques, autant qu’une étude de l’expérience d’autres pays. 17. Il est nécessaire de soutenir tous les aspects de la recherche technologique, le développement, les test-pilotes, le déploiement, le marketing, le financement, le fonctionnement et la maintenance. D’autant plus que continuer à mettre l’accent sur l’accélération de la recherche et du développement des énergies renouvelables est capital pour réduire les coûts, améliorer les performances et accroître la compétitivité avec les sources d’énergie fossiles. 18. Comme l’énergie hydrolienne prend la suite des moulins à eau et des moulins à marée, l’énergie éolienne s’inspire des moulins à vent et des pompes éoliennes d’autrefois pour extraire et transformer une partie de l’énergie cinétique du courant fluide qui traverse le rotor de l’engin utilisé. 19. Le Tchad, le Nord Cameroun et la République centrafricaine disposent d’un meilleur potentiel en énergie éolienne et solaire. 20. Exemple du programme gouvernemental de promotion des biodigesteurs au Burkina Faso : Le Programme national de biodigesteur (PNB) subventionne la construction des biodigesteurs mais la subvention est trop limitée pour bénéficier au plus grand nombre. En effet, l’acquisition du biodigesteur coûte cher et exige en outre de disposer de la matière première nécessaire à la biodigestion (quelques animaux ou alors une toilette). Women Environmental Programme Burkina est en train d’établir un partenariat avec le PNB pour la mise en œuvre de ce projet. Elle envisage d’accroître la subvention de manière à alléger la contrepartie ou l’apport des bénéficiaires. 21. L’utilisation de l’énergie solaire se présente essentiellement sous deux formes : l’utilisation du rayonnement solaire pour la production d’électricité photovoltaïque d’une part et pour la production d’énergie thermique d’autre part. Cas d’électrification solaire en Mauritanie (Tanmyia) :Tanmyia travaille avec les communautés rurales de la Mauritanie pour développer l’accès à l’électricité en construisant des plateformes solaires dans les localités rurales. Ces plateformes fourniront de l’électricité permettant aux populations de conserver des produits alimentaires (viande et poisson) grâce à la réfrigération, de recourir à la mécanique électrique pour souder les métaux, et moudre le grain,

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Production et consommation durable d’énergie de recharger les batteries pour l’éclairage et d’améliorer l’accès à la communication (télévision, téléphone, internet). L’électrification permettra à ces communautés de ne plus effectuer des dizaines de kilomètres pour trouver ses services en ville. En plus, elle améliore substantiellement les conditions de vie en termes d’économie de temps, d’allègement du travail physique pour les femmes et permet de réduire la pression sur les ressources ligneuses. 22. Le solaire photovoltaïque est actuellement le plus populaire médiatiquement et l’on voit des panneaux solaires photovoltaïques sur les toits ou les façades de bâtiments publics ou commerciaux, ou des logements individuels, voisinant parfois avec des installations de chauffage solaire de l’eau sanitaire, dans toutes les parties du monde. 23. L’Afrique centrale possède 60 % du potentiel hydroélectrique du continent. Certes, certains pays comme le Cameroun, la République démocratique du Congo envisagent de réduire le déficit énergétique en construisant davantage de barrages hydroélectriques. Au regard de ce potentiel hydroélectrique, il est urgent de diversifier les sources d’énergie et de diminuer la part des investissements dans les énergies fossiles. 24. L’énergie hydraulique est sans doute la plus familière et encore la moins controversée des énergies renouvelables. Faisant suite aux moulins à eau, les centrales au fil de l’eau produisent de l’énergie électrique qui est habituellement utilisée pour répondre à la demande de base. Ce sont les barrages qui, sans contexte, apportent la majeure contribution à ce type d’énergie renouvelable. Il est généralement admis qu’un tiers des sites potentiels sont actuellement équipés de barrages et de centrales électriques. 25. L’énergie marémotrice est un autre potentiel non encore exploité. Son avantage est d’être totalement prédictible, même si elle est intermittente. 26. Intéresser les institutions financières locales et les agences de microcrédit à la bioénergie ; mener des ateliers de formation pour les professionnels du secteur bancaire (gérants et des directeurs d’établissement) afin d’améliorer leur niveau de connaissances des risques et des bénéfices de la bioénergie ; établir des programmes de réduction de risque pour encourager le financement local des projets EnR, surtout ceux à petite échelle : • encourager le développement de portefeuilles de projets rentables dans le domaine des EnR, fournir une assistance aux entrepreneurs dans des domaines tels que la recherche et le développement, les fonds de capitaux de démarrage, la préfaisabilité et l’assistance en termes de faisabilité, les subventions remboursables, etc. ; • développer un fonds régional pour la bioénergie pour soutenir l’investissement, en coordination avec la banque d’investissement de la CEDEAO ; • mener des tables rondes de coordination des bailleurs de fonds pour les informer des activités de bioénergie de l’UEMOA et assurer leur participation ; • explorer les opportunités de financement carbone à des niveaux nationaux et régionaux ; • éveiller l’intérêt du secteur privé pour le développement de projets et la compréhension des problèmes et des conditions de financement des projets dans les pays membres de l’UEMOA.


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L’exploitation minière durable : enjeux et défi fiss pour la Côte d’Ivoire Jean-Claude Brou Ministre de l’Industrie et des Mines de Côte d’Ivoire

Introduction L’exploitation minière se définit selon la loi n° 2014-138 du 24 mars 2014 portant Code minier comme étant « l’opération qui consiste à extraire d’un gîte naturel des substances minérales pour en disposer à des fins utilitaires et comprenant, à la fois, les travaux préparatoires, l’exploitation proprement dite et éventuellement l’installation et l’utilisation des facilités destinées à l’écoulement de la production ». Indispensables au développement durable d’une économie moderne, ces substances minérales sont des matières premières fondamentales, essentielles et stratégiques pour la production d’un large éventail de produits industriels et de biens de consommation, d’éléments d’infrastructure, d’intrants pour l’amélioration des sols cultivés ainsi que pour les transports, l’énergie, les communications et d’innombrables autres services. À l’ère de la surconsommation, et pour soutenir les besoins en ressources naturelles des pays émergents, telles la Chine et l’Inde, l’exploitation de ces ressources ne s’effectue pas, dans bien des cas, de façon responsable et ce, à divers niveaux : social, environnemental et économique. La Côte d’Ivoire qui a longtemps fondé son économie sur l’agriculture ambitionne, à travers la vision du gouvernement, de porter la contribution du secteur minier de moins de 1 % à 6 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici à l’horizon des années 2020, avec une vision globale de développement durable du secteur des mines. Le développement économique, le développement social et la protection de l’environnement sont considérés comme les trois « composantes, interdépen-

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dantes et synergiques » du développement durable (Nations Unies). Or, l’exploitation minière a des incidences importantes sur ces trois composantes.

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Ziemougoula et Bondoukou). La production minière a régulièrement augmenté de 2011 à 2014 comme le montre le tableau ci-après.

Problématique La Côte d’Ivoire dispose d’un important potentiel minier encore non exploré. Toutefois, parler de développement durable dans le secteur spécifique qu’est le secteur minier – exploitation d’une ressource épuisable impliquant des investissements lourds et un accès aux gisements – revient à prendre en compte les éléments suivants : • trouver et extraire des minéraux et des métaux, fabriquer des biens, augmenter la valeur de ces biens, utiliser, réutiliser et recycler ces biens et, au besoin, les éliminer de la manière la plus efficiente, la plus concurrentielle et la plus écologique possible et en utilisant les meilleures méthodes ;

Selon les rapports de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) et le document de revue du Plan National de Développement, le secteur des mines a participé au budget de l’État à hauteur de 45 milliards de FCFA en moyenne sur la période 2012-2014.

• respecter les besoins et les valeurs de tous les utilisateurs de la ressource, et intégrer ces besoins et ces valeurs au processus décisionnel du gouvernement ;

En 2014, la contribution effective du secteur minier dans le PIB national est estimée à 1 %. La même année, 64 sociétés d’exploration détenaient au total 141 permis de recherche en Côte d’Ivoire. Ce secteur minier formel offrait au total 6 640 emplois directs permanents et temporaires.

• maintenir ou améliorer la qualité de vie et l’environnement au profit des générations actuelles et futures ; • s’assurer que les intervenants, les individus et les collectivités contribuent et participent à la prise des décisions. C’est donc avec intérêt que le gouvernement ivoirien, dans sa politique industrielle et minière pour l’émergence de la Côte d’Ivoire (10 juillet 2014), a réitéré sa volonté de mettre en œuvre des stratégies de développement durable dans le secteur des ressources minérales, pour participer dans une certaine mesure à la contribution de la réduction des effets sur le climat.

Les enjeux et défis d’une exploitation minière durable L’exploitation minière durable suppose une activité minière à la fois économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement tolérable. L’équilibre social doit donc être un objectif majeur, l’économie un moyen et l’environnement une condition. Cette approche d’intérêt général vise à assurer la pérennité de notre société, de notre environnement et de notre économie. Les enjeux Le secteur minier doit occuper une place importante dans l’économie ivoirienne. Les perspectives de développement de ce secteur d’activité sont considérables et constituent une véritable opportunité. La Côte d’Ivoire dispose à ce jour de quatre mines d’or (Ity, Bonikro,Tongon, et Agbaou) et de trois mines de manganèse en exploitation (Lauzoua,

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Les perspectives de développement et de diversification de la production minière en Côte d’Ivoire sont réelles. Les ressources minières sont diverses et énormes (or, fer, nickel, manganèse, tantalite, diamant, phosphate, etc.) et les travaux de recherche sont en cours pour plusieurs projets. – Ainsi, on note comme projets miniers en phase de développement : • le projet de réouverture de la mine d’or d’Afema, conduit par Taurus Gold, avec des ressources estimées à environ 2,4 millions d’onces ; • le projet de production d’or de Sissingué, conduit par Perseus Mining, avec des ressources estimées à près de 1,37 million d’onces. Des permis d’exploitation ont déjà été octroyés pour ces deux projets suite au dépôt des études de faisabilité. – Au nombre des projets d’exploration avancée on peut citer entre autres : • les grands projets de fer des monts Gao et Klahoyo avec des ressources estimées respectivement à 2 milliards de tonnes à 33 % fer et 1,2 milliard de tonnes à 40 % fer ; • les projets de nickel cuivre de Samapleu et de nickel cobalt de Biankouma et Touba avec respectivement des ressources évaluées à ce jour à 70 millions de tonnes (0,27 % nickel et 0,27 % cuivre) et 258 millions de tonnes (1,48 % nickel et 0,11 % cobalt) ; • Le projet d’or d’Angovia à Bouaflé, avec des ressources estimées à 6,8 millions d’onces.

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– Au titre des autres projets miniers d’intérêt on peut citer par exemple : • les projets de diamant de Séguéla et Tortiya ; • le projet de phosphate d’Eboinda et Adiaké ; • le projet de fer de Monogaga, etc. L’attrait pour l’or est net. En effet, l’or concentre à lui seul la majeure partie des permis octroyés. Cela s’explique par la hausse des cours de l’or de ces dernières années et, en partie, par le fait que le pays dispose de plus de 35 % des formations birrimiennes de l’Afrique de l’Ouest. Ces formations géologiques ont un potentiel en minéralisation d’or très élevé. Ainsi, pour le court terme, la production d’or va certainement augmenter en 2016-2017 avec le démarrage de la phase de production des deux mines d’or en construction : Sissingué, (Perseus mining) et Afema-Aboisso (Taurus Gold). Pour le moyen terme (trois à cinq ans), le gisement d’or Angovia (Amara mining) et les gisements de nickel-cuivre de Samapleu (Sama Ressources) et nickel-cobalt (Glencore Xtrata) devraient entrer en d’exploitation. Il est envisagé pour le long terme (d’ici dix ans environ), l’exploitation des gros dépôts de fer de l’Ouest de la Côte d’Ivoire (mont Gao et mont Klahoyo) avec des cadences de production annuelles prévisionnelles supérieures à 20 millions de tonnes. Par ailleurs, la politique de vulgarisation de l’exploitation minière artisanale légale, dont un pan est le programme de rationalisation de l’activité d’orpaillage, permettra de capter la production artisanale d’or et de diamant en priorité. Au vu de ces prévisions de production, les dispositions fiscales du nouveau Code minier ivoirien permettront de capter des taxes conséquentes sous forme de royalties et d’impôts sur les bénéfices. Pour l’or, ces dispositions sont évolutives et fonction des cours sur le marché international. Cette nouvelle disposition permet de profiter au mieux des périodes d’embellies des cours. En outre, l’instauration de la convention minière (articles 12 et 13 du Code minier), qui stabilise notamment le régime fiscal et douanier sur la durée de vie des exploitations, donne de la visibilité aux partenaires privés, sans oublier les exonérations fiscales qui leur sont accordées pendant la phase d’exploration. Le développement de ces différents projets exigera de gros investissements et permettra de créer des milliers d’emplois en plus des taxes que l’État va percevoir. a) La dimension développement local et social Les projets miniers nécessitent l’aménagement, et l’occupation parfois, de vastes superficies qui englobent souvent des terres agricoles. Ainsi l’idée selon laquelle les sociétés minières viennent détruire, polluer l’environnement et extraire une ressource non renouvelable perdure en général, surtout au niveau des populations locales. Ce qui justifie souvent les revendications qui débouchent sur des manifestations parfois violentes conduisant quelquefois à l’arrêt

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des opérations sur certaines mines. Par ailleurs, certaines exploitations nécessitent de surcroît le déplacement de villages comme ce fut le cas à Bonikro et à Ity. Toutefois, il convient de reconnaître que les exploitations minières contribuent au développement des régions d’accueil de plusieurs façons. En effet, les mines en exploitation participent au financement et à la réalisation de projets communautaires. Ces actions constituent un premier niveau de partage des ressources générées par les mines. Elles contribuent aussi à maintenir une cohésion sociale autour des mines, condition essentielle pour une conduite plus sereine des activités de production. Pour exemple, le montant annuel de l’aide de la mine d’or d’Ity à la région de Danané pour les projets sociaux, qui était de 50 millions FCFA, entre 1998 et 2006, a évolué régulièrement pour atteindre un montant global de 200 millions FCFA en 2014. Comme autres actions sociales, la mine d’Ity offre des soins de santé gratuits aux populations les plus proches de la mine. On note aussi la construction d’écoles, de logements d’enseignants, l’électrification de plusieurs villages et le reprofilage régulier des pistes reliant les villages les plus proches à la ville de Zouan-Hounien. Ces mêmes actions sociales avec des proportions encore plus importantes sont notées à Korhogo et à Hiré, villes à proximité desquelles sont exploitées les mines d’or de Tongon, Bonikro et Agbaou. Pour ce qui concerne Tongon, l’extension du réseau électrique national sur plusieurs dizaines de kilomètres jusqu’à la mine a permis l’électrification de plusieurs villages de la région de Korhogo. Comme innovation, la mine de Tongon a mis en place un mécanisme de microfinance pour promouvoir l’entrepreneuriat et permettre aux populations riveraines de réaliser des activités génératrices de revenus. Pour renforcer ces actions à l’endroit des communautés, le nouveau Code minier a pris des dispositions en son article 124 pour faire obligation à toutes les sociétés d’exploitation d’élaborer un plan de développement communautaire en concertation avec les communautés riveraines et les autorités administratives territoriales et locales avec des objectifs précis et un plan d’investissement. L’ordonnance n° 2014-148 du 26 mars 2014, encadrant la fiscalité minière en Côte d’Ivoire, précise en son article 07 que l’exploitant est tenu de constituer un fonds, alimenté annuellement par 0,5 % du chiffre d’affaires de l’exploitation. Ce fonds est destiné à financer les actions de développement socio-économique pour les communautés locales. Pour ce qui concerne l’emploi, priorité est toujours donnée aux jeunes riverains des différentes exploitations pour les postes n’exigeant pas de qualification spécifique. Par exemple, en ce qui concerne la mine de manganèse de Lauzoua, un comité de gestion des emplois temporaires a été constitué par les responsables des associations de jeunesse des villages riverains. Une fois qu’une demande est exprimée par la mine, le comité se charge du recrutement. Les ouvriers temporaires sont donc régulièrement permutés pour donner une chance à un maximum de personnes.

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Un autre aspect, et non des moindres, de la contribution des projets miniers au développement local est la possibilité qui est offerte aux petites PME, proches des exploitations minières, de fournir au plan local des biens et services pour les besoins de la mine. Le nouveau Code minier encourage cela en ses articles 131 et 166. En effet, sur demande, des agréments de sous-traitant permettent aux sociétés sous-traitantes de bénéficier des exonérations accordées aux titulaires de titres miniers. b) La dimension environnementale Les impacts négatifs des exploitations minières sur l’environnement sont nombreux et parfois imprévisibles. Ces impacts varient suivant les phases des projets miniers. Les éléments du milieu naturel (flore, faune, air, eau, sols, relief, etc.) sont souvent dégradés de façon irréversible. D’où la nécessité d’adopter une démarche de préservation des ressources naturelles, de protection de la biodiversité et des écosystèmes fragiles, et de réduction des émissions des gaz à effet de serre. En somme, il importe de promouvoir une gestion rigoureuse des impacts de l’industrie minière. L’article 141 du Code minier impose comme préalable à tout demandeur d’un permis d’exploitation, ou d’une autorisation d’exploitation industrielle ou semi-industrielle, la réalisation d’une étude d’impact environnemental et social (EIES). Cette disposition qui existe depuis a jusque-là permis de canaliser les impacts négatifs des différentes exploitations. Cette étude prévoit des mesures correctives pour la réhabilitation des sites d’exploitation. À titre d’exemple d’action corrective d’envergure, nous citons une fois encore la mine d’or d’Ity, où les premières fosses d’extraction ont été remblayées et certains sites reboisés. L’article 144 du chapitre VII du code traitant des conditions de réhabilitation et fermeture de toute exploitation industrielle prévoit l’ouverture, dès le début de chaque exploitation, d’un compte séquestre de réhabilitation de l’environnement domicilié dans un établissement financier de premier rang en Côte d’Ivoire. Cette disposition constitue une garantie en soi pour la réalisation des travaux de réhabilitation. En outre, les EIES doivent affiner leurs estimations afin de préciser les effets des grands projets miniers sur le changement climatique. Ainsi, par exemple, les per tes d’absorption de CO2 à travers la destruction du couver t végétal et l’émission de CO2 par les engins miniers utilisés pour la production doivent être estimées et des compensations exigées. Nous citons comme cas de bonne pratique la constitution de la réserve botanique de Dépka en application au principe de compensation écologie. Ce projet qui couvre actuellement 8 hectares et qui vise à terme 65 hectares, si les conditions le permettent, est le fruit de la collaboration entre les responsables de la mine d’or d’Agbaou et une équipe de chercheurs de l’UFR Biosciences de l’université Félix Houphouët-Boigny. Ce projet vise prioritairement à préserver la biodiversité du site de la mine.

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Les défis d’une industrie minière durable Les défis à relever pour impulser le développement d’une industrie minière durable en Côte d’Ivoire sont nombreux et de plusieurs ordres. Nous notons principalement le défi de la bonne gouvernance, celui lié au manque de certaines infrastructures de base et le défi de la transformation, sur le plan local, des produits miniers avant exportation. a) Les défis de bonne gouvernance Pour asseoir un secteur minier prospère et durable, l’État ivoirien doit relever le défi de la bonne gouvernance. L’objectif est de créer un climat de confiance et de sérénité pour attirer les investisseurs privés. b) Des dispositions institutionnelles et réglementaires L’administration ivoirienne de façon générale doit adopter des procédures simples et équitables pour l’établissement et le traitement des dossiers. Ainsi, pour relever le défi de la bonne gouvernance, l’État ivoirien a réalisé d’importantes et profondes réformes depuis 2012. Un nouveau Code minier a été adopté en 2014. Ce code, élaboré en concertation avec les associations professionnelles des mines, les bailleurs de fonds, des représentants de la société civile, des ONG, est consensuel et en harmonie avec les exigences environnementales et sociales internationales. Il garantit les intérêts de toutes les par ties prenantes. Ce nouveau code établi clairement les conditions d’attribution des titres miniers, tout en optimisant les procédures et les délais de traitement des dossiers. Des principes de bonne gouvernance comme l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), le processus de Kimberley (PK), et les Principes de l’Équateur, etc. ont été adoptés et intégrés au nouveau code en ses articles 100 ; 117 ; 118 et 119. • Renforcement de capacité : La bonne gouvernance dans le secteur minier exige, au niveau de l’administration minière, des agents bien outillés aux plans technique, juridique, économique et fiscal. C’est ainsi qu’en son article 135, la mise en place du Fonds de formation minier, alimenté par les sociétés minières, est considérée comme une avancée. Ce fonds permet de renforcer les capacités des agents de l’administration des mines et d’améliorer la formation initiale des géologues, ingénieurs et techniciens ivoiriens. • Reconnaissance des organisations internationales : Les efforts pour établir un climat de confiance commencent à porter des fruits. En effet, en plus de l’afflux des compagnies d’exploration en Côte d’Ivoire depuis 2012, le pays a atteint deux objectifs essentiels au niveau du secteur des

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mines. La transparence dans la gestion du secteur minier a permis à la Côte d’Ivoire d’être reconnue en 2013 comme pays conforme pour l’ITIE. Suite à l’application des dispositions du processus de Kimberley, l’embargo a été levé sur la commercialisation du diamant brut ivoirien en 2014. Ces résultats encourageants doivent nous permettre de redoubler d’efforts et parvenir à une gestion plus collaborative des projets miniers afin de prendre en compte les attentes de toutes les parties prenantes à toutes les phases des projets. c) Les défis des infrastructures de base La Côte d’Ivoire n’échappe pas à la faiblesse des infrastructures propre aux pays de l’Afrique subsaharienne qui impacte négativement le développement de l’industrie minière. Ainsi, pour asseoir une industrie minière prospère et durable, l’État ivoirien met à niveau et réalise un certain nombre d’infrastructures dans l’optique de faciliter et accélérer le développement des projets miniers. • Les infrastructures géologiques de base doivent être renforcées et mises à la disposition des opérateurs miniers. Pour ce faire, un programme visant la couverture aérogéophysique moderne du territoire et la cartographie des grands bassins miniers et des ceintures de roches ver tes à grande échelle est prévu. • En ce qui concerne les infrastructures de transport, des routes, des chemins de fer, des quais minéraliers sont nécessaires pour soutenir la dynamique de développement du secteur minier en Côte d’Ivoire. Comme illustration concrète, il convient de rappeler que les grands gisements de fer de l’Ouest de la Côte d’Ivoire n’ont pas encore été exploités principalement à cause de l’absence d’infrastructures de transport adéquates. La faisabilité de ces projets nécessite la construction d’un chemin de fer entre San-Pédro et les sites miniers, et des infrastructures portuaires pour l’expédition des produits. Face à ce défi, un volet très important du plan national de développement (PND) 2012-2015 a été consacré aux infrastructures. Ainsi, depuis 2012, le programme de réhabilitation des routes, du chemin de fer historique AbidjanOuagadougou, du quai minéralier du por t autonome d’Abidjan (PAA), de construction de ponts, etc. est en cours sur tout le territoire ivoirien. En outre, une gestion intégrée a été adoptée pour les grands projets miniers de l’Ouest de la Côte d’Ivoire sous le vocable de projet de développement minier intégré de l’Ouest (PDMIO). Ce projet mutualise les efforts et augmente ainsi les chances de réalisation des infrastructures de transport. L’adoption de partenariats public-privé (PPP) permettra également de financer plus aisément ces infrastructures. • Des efforts doivent aussi être entrepris au niveau des infrastructures de production et de distribution d’énergie électrique. En effet, en Côte

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d’Ivoire, le coût de l’énergie électrique reste encore élevé et elle n’est pas accessible par tout. Pour relever ce défi majeur, une planification des actions visant la réduction progressive du déficit entre l’offre et la demande d’énergie en Côte d’Ivoire a été adoptée. Ce plan qui est à sa phase d’application tient compte des besoins prévisionnels des différents projets miniers. d) Les défis de la transformation des matières premières Pour tirer un meilleur profit des ressources minières, une politique de transformation des produits miniers avant exportation doit être développée. Pour stimuler cette industrie, des dispositions du Code minier encouragent la transformation locale des produits miniers, à travers notamment la mise en place d’une fiscalité incitative selon le niveau de transformation des produits miniers. Cette disposition doit être renforcée afin d’encourager : • la transformation intermédiaire à travers notamment une unité de production d’éponge de fer et une unité de production de pellette de fer ; • la transformation avancée avec l’usine de ferromanganèse, une miniaciérie et une usine d’affinage d’or, etc.

Conclusion En somme, l’industrie minière ivoirienne, comparée à celle de pays comme le Ghana, la Guinée, la Mauritanie, amorce son plein essor. Ainsi l’occasion nous est-elle donnée de renforcer nos dispositifs réglementaires et de les appliquer mais aussi de nous doter de moyens de contrôle des opérateurs pour assurer un développement durable. Bien qu’à l’échelle nationale des dispositions soient prises dans le sens d’un développement équitable et durable lié au secteur des mines, il s’avère essentiel que les États de la sous-région travaillent également ensemble et fassent en sorte que les nouvelles initiatives stratégiques et ententes en matière d’environnement et de commerce ne soient pas nuisibles à l’industrie des minéraux et des métaux et que les décisions soient fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles. Il importe aussi d’assurer la diffusion des résultats de la recherche scientifique et des nouvelles technologies pour appuyer l’amélioration continue de la gestion de l’environnement, gage d’une meilleure maîtrise des effets néfastes observés sur les écosystèmes et le climat de la planète. À cet égard, et en terme de gouvernance inclusive, efficace et porteuse de projets, la Côte d’Ivoire poursuivra son ambition de transformation de ses structures productives et de gestion de ses ressources et écosystèmes pour l’émergence.

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BIBLIOGRAPHIE Campbell B., 2008, L’exploitation minière en Afrique : enjeux de responsabilité et d’imputabilité, rapport présenté à la conférence Exploitation minière et développement durable en Afrique, 9-13 juin 2008, Conakry. CNUCED, 2007, Rapport sur l’investissement dans le monde. Dossier de presse du gouvernement ivoirien, La politique industrielle et minière pour l’émergence de la Côte d’Ivoire. Environmental Law Alliance Worldwide (ELAW), 2010, Guide pour l’évaluation des EIE de projets miniers, « Généralités sur l’exploitation minière et ses impacts ». ITIE Côte d’Ivoire, 2014, Rapport de l’administrateur indépendant de l’ITIE pour les revenus de l’année 2012. Laouratou D, 2014, Industrie minière. Enjeux et perspectives de développement en Afrique subsaharienne : cas de la République de Guinée, thèse de doctorat en sciences économiques. Mazalto M., 2010, Gouvernance du secteur minier et enjeux de développement en République démocratique du Congo, thèse de doctorat en sociologie, université du Québec à Montréal. Ministère de l’Industrie et des Mines, Statistiques industrielles 2012. ONU, Objectifs du millénaire pour le développement, Rapport 2015,. Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 2011, Évolution du secteur minier en Afrique de l’Ouest, quel impact sur le secteur de la conservation ? Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), L’industrie minière et le développement durable, chaire de recherche et d’intervention en éco-conseil.

La prise en compte des orpailleurs dans le développement durable du secteur minier Guillaume Gnamien Directeur de cabinet du ministre de l’Industrie et des Mines

Kadjo Kouamé Directeur général de la SODEMI

Introduction La thématique liée à artisanat minier, plus particulièrement à l’orpaillage-artisanat minier en lien avec la production d’Or suscite de nombreux échanges et ateliers visant à trouver des solutions définitives et durables à cette activité qui n’est plus à négliger, quant à sa contribution à la production totale notamment africaine et mondiale. En effet, selon le rapport de l’International Institute for Environment and Development (IIED, 2013), on estime que la part de l’artisanat minier dans la production mondiale varie entre 15 et 20 %. Pour ce qui est de l’or en par ticulier, selon le rappor t sur l’Investissement dans le monde de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED, 2007) pour certains pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Ghana et le Mali classés respectivement 2e et 3e sur le plan Africain en termes de production d’or, selon les estimations faites par le Raw Materials Group, les productions ar tisanales d’or en tonnes s’élevaient à 6,9 et 2,9 comparées respectivement à la production totale de 65 et 49 tonnes, soit une par t de 10,6 % et 5,9 %. L’objectif principal de la plupart de ces échanges et ateliers de réflexions était d’informer les parties prenantes concernées par cette activité, sur les risques environnementaux et de santé publique posés par le secteur tel qu’il opère actuellement ainsi que les options technologiques et régulatrices pour transformer ce secteur en une activité durable contribuant pleinement aux exportations nationales.

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Plus spécifiquement il s’agissait entre autres, d’encourager les pays à développer des plans d’action nationaux pour atteindre une réduction notable des impacts négatifs du secteur tant sur l’Homme que son Environnement et aussi d’élaborer des projets d’assistance technique permettant de résoudre les problèmes identifiés. En effet, l’activité d’orpaillage mal maîtrisée, illicite et anarchique est symptomatique des régions pauvres, avec un sous-sol riche en or. Cette activité séculaire, autrefois traditionnelle et coutumière est très répandue dans certains pays de la sous-région ouest africaine, notamment au mali, au Burkina Faso et en Guinée. Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, l’orpaillage a toujours existé mais de façon très localisée avant les années 2000. L’encadrement de cette activité avait, par le passé, été confié à la Société pour le Développement Minier de Côte d’Ivoire (SODEMI) qui avait en son temps contribué à canaliser dans une cer taine mesure cette activité. Malheureusement, cette activité d’orpaillage, longtemps contenue, s’est répandue rapidement sur une grande partie du territoire ivoirien, conséquence des crises sociopolitiques successives qui ont marqué la vie économique et sociale de la nation de 2002 à 2011. En effet, cette situation de crise ayant occasionné le repli des autorités administratives de la moitié nord du pays, a eu pour majeure conséquence, une pratique anarchique, illicite et sans respect des règles de l’art minier artisanal, accentué par l’envolée des prix de l’or durant cette période comparée à l’évolution des prix des matières premières agricoles de rente tels que le cacao, le café, l’anacarde, le coton, etc. Le Gouvernement Ivoirien, dans sa vision de faire de la Côte d’Ivoire un Pays Émergent à l’horizon 2020, et conscient du Potentiel minier de son sous-sol, entend faire du secteur minier un levier de son économie par l’augmentation de sa part contributive au PIB de moins de 1 % à 6 % d’ici à 2020. Cela passe donc par la mise en œuvre de stratégies conduites par l’administration minière à travers le Ministère en charge des mines notamment, la Direction Générale des Mines et de la Géologie (DGMG) avec le soutien technique de SODEMI par la prise en compte de toutes des contributions de toutes les filières tant industrielles, semi-industrielles, qu’artisanales. Ainsi, le Gouvernement ivoirien a entrepris de nombreuses réformes dont l’élaboration de son nouveau Code Minier par l’adoption de la loi No. 2014-138 du 24 mars 2014 portant Code Minier. Par ailleurs, il a décidé de rationaliser le secteur de l’orpaillage par la mise en œuvre d’un Programme triennal (20142016) de rationalisation de l’orpaillage et ce en octobre 2013.

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La problématique L’artisanat minier longtemps considéré comme un fléau social sans réel impact économique apparaît aujourd’hui comme fondamental pour le développement local et régional malgré son corollaire de problèmes environnementaux et sociaux. Pour rappel, la loi No. 2014-138 du 24 mars 2014 portant Code Minier de la Côte d’Ivoire, définit l’exploitation artisanale comme étant l’exploitation dont les activités consistent à extraire et concentrer des substances minérales et a en récupérer les produits marchands en utilisant des méthodes et procédés manuels et traditionnels. Elle n’utilise ni produits chimiques, ni explosifs et n’est pas fondée sur la mise en évidence préalable d’un gîte ou d’un gisement. Variable dans sa définition selon les Codes Miniers initiés en Afrique, il est apparu une très grande similitude entre les pratiques de l’orpaillage dans les divers pays : i) extraction du minerai dans les puits (galeries) ; ii) broyage (concassage) du minerai à l’aide d’un broyeur ou dans des mortiers ; iii) lavage du minerai à travers un sluice ou à l’aide d’une calebasse ; iv) procédés d’amalgamation ou d’utilisation de cyanure ; v) chauffage de l’amalgame etc. Il se pose donc la véritable problématique de l’utilisation de produits chimiques principalement le Mercure, qui représente un danger réel tant pour les orpailleurs que pour l’environnement dans lequel il est utilisé. Comment parvenir à rationaliser cette activité pour qu’elle puisse participer à la prise en compte du triptyque du Développement Durable que sont l’Economie, l’Environnement et le Social. En d’autres termes, comment cette activité si elle est bien encadrée peut-elle participer à la réduction de l’effet de serre facteur principal influant le changement climatique de notre planète à tous.

Presentation générale de l’activité d’orpaillage L’orpaillage pratiqué dans de nombreux pays du continent pourrait se définir comme étant l’activité de production d’or de façon artisanale avec des moyens très souvent rudimentaires. Cette activité a fait l’objet de nombreux travaux empiriques visant à la décrire et à mettre en exergue tant les impacts positifs que négatifs générés par cette dernière. Généralement pratiquée de manière clandestine et sans respect véritable de la préservation de l’Environnement, cette activité fait vivre plusieurs millions de personnes sur le continent y compris des femmes et des enfants. Bien que contribuant dans une certaine mesure à la survie de ceux qui s’adonnent à cette activité, il est à noter qu’elle occasionne plus d’impacts négatifs que positifs que nous résumerons succinctement.

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Les impacts positifs L’orpaillage se présente comme une source de revenu saisonnier ou permanent pour ses acteurs en complément aux autres activités de subsistance dans les campagnes. Cette activité occupe de nombreux jeunes hommes et participe à la réduction de l’exode rural et au développement local dans une certaine mesure. Ces sites d’orpaillage constituent par ailleurs des indicateurs de présence de minéralisation aurifère pour les sociétés d’exploration. Malgré ses atouts, l’orpaillage anarchique et illégal tel que vécu actuellement est d’une nuisance extrême pour les pays avec des effets pervers graves sur l’environnement physique et socio-économique.

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En outre, l’utilisation non-maîtrisée de produits chimiques interdits, tels le cyanure, le mercure etc. ajoutée aux déchets anthropiques polluent inexorablement les sols, l’eau, l’air et menacent ainsi l’agriculture. En cas de présence de sulfures, le contact avec l’eau et l’air peut entraîner la formation d’acides qui pourrait polluer également les nappes aquifères et les cours d’eau. Le mercure reste le principal produit chimique utilisé et qui a fait l’objet de mise en place de mesures lors de la Conférence de Minamata, 2013 visant entre autres à instruire les États à prendre des mesures correctives de l’utilisation du mercure dans les activités minières artisanales EXTRACTION MINIÈRE ARTISANALE ET À PETITE ÉCHELLE / PLANS D’ACTION NATIONAUX

Les impacts négatifs Sur le plan social, la ruée vers les sites d’orpaillage illégaux crée dans les villages environnants de ces sites, de fortes densités de populations, pluriethniques et sans repères, ni barrières. Cette situation favorise le développement de problèmes sociaux tels que le banditisme, l’alcoolisme, la prostitution, la toxicomanie et leurs corollaires de maladies insoupçonnées. En outre, l’emploi des enfants sur les sites d’exploitation accroît le taux de déscolarisation, sans oublier les risques inhérents à cette situation. Viennent ensuite, les problèmes d’insécurité et de cohabitation, générés par un flux massif et non maîtrisé de populations en quête de gain facile par tous les moyens. Une fois au contact des orpailleurs, les populations rurales sont en partie prises en otage, dans un cercle vicieux, abandonnant ainsi leurs modes de vie pour s’adonner à l’orpaillage. Par ailleurs, la pratique clandestine de l’orpaillage engendre régulièrement des accidents aux conséquences dramatiques. Ces accidents sont dus aux éboulements de terrain provoqués souvent par le manque de mesures de sécurité et l’utilisation d’explosifs pour l’abattage des roches supposées minéralisées.

Situation de l’orpaillage en Côte d’Ivoire L’orpaillage est indéniablement une source potentielle de revenus pour les populations rurales. Cependant, les impacts de cette activité sur l’environnement, empirés par les mauvaises pratiques ont conduit à une prise de conscience des dangers potentiels de cette filière par le Gouvernement. Ainsi, le Gouvernement a initié un Programme de rationalisation de ce secteur à définir une politique générale visant à formaliser le secteur de l’orpaillage clandestin. L’élaboration d’une Politique générale claire et précise

Sur le plan Environnemental, on note la destruction du couvert végétal et la structure des sols, la modification de l’écoulement des cours d’eau, la pollution de l’eau et du sol etc.

L’objectif global étant l’intégration de l’artisanat minier dans le tissu productif formel. Cela permet une adéquation harmonieuse de cette activité avec l’exploitation minière industrielle et un suivi plus élaboré.

En effet, les chantiers abandonnés dits « orphelins » représentent, un réel danger pour la circulation des hommes et des animaux. Ces anciens sites, généralement abandonnés sans aucune protection, sont jalonnés de trous parfois très profonds (jusqu’à 50 ou 60 m) souvent camouflées par des eaux stagnantes ou la végétation secondaire.

Les efforts de formalisation ont débuté par la mise en place de textes de lois fixant les conditions et les règles claires pour toute la chaîne de valeur de l’activité l’orpaillage. Ensuite, l’identification des structures de contrôle, de suivi technique et d’encadrement dotées de véritables moyens d’action (financiers et matériels) a été entreprise afin de mettre en œuvre cette politique générale sur le long terme.

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La sensibilisation des Acteurs Après la mise en place du cadre réglementaire et fiscal, a été initiée la phase de sensibilisation de tous les acteurs. Cette étape prend en compte les spécificités du secteur sous toutes ses facettes. Cette sensibilisation vise fondamentalement à informer tous les acteurs de cette filière que l’activité d’orpaillage doit s’exercer dans la légalité selon les textes réglementaires en vigueur, et inciter donc les différents opérateurs de la chaîne de valeur de l’orpaillage et les autres artisans miniers à se conformer aux textes pour leurs activités. Cette action s’attache à insister sur la ferme interdiction du travail des enfants sur les sites d’orpaillages ainsi que la préservation de l’environnement et l’utilisation de produits dangereux tels que le mercure et le cyanure. Les ressources exploitables étant non renouvelables, il est important de faire comprendre aux orpailleurs, la nécessité d’exercer cette activité comme une activité complémentaire de revenus à injecter dans des activités durables de création de richesses. Les autorités ivoiriennes se sont attachées à faire l’état des lieux, et à réunir le maximum d’informations sur toute la chaîne de valeur de l’activité d’orpaillage (nombre d’acteurs, les différents sites, les méthodes et techniques d’exploitation, les produits utilisés, les circuits d’approvisionnement et de vente etc.). L’organisation et la valorisation de l’activité d’orpaillage

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toires sur les dispositions sécuritaires à observer dans la conduite de leur activité. Une approche pour la maîtrise technique doit être proposée avec de nouveaux équipements de traitement plus respectueux de l’environnement et plus efficace en termes de récupération. Cette démarche vise aussi à outiller les acteurs pour une meilleure gestion financière de cette filière. Cette action doit se poursuivre avec une assistance technique sur les sites de production et un appui à la constitution des dossiers techniques et financiers (dossiers de demande d’autorisation et de financement etc.). Le développement d’activités connexes de réinsertion sociale des orpailleurs L’or n’est pas une ressource renouvelable. Par conséquent, les sites d’orpaillage sont appelés à fermer après épuisement ou inaccessibilité des ressources en or. Des activités durables de subsistance de substitution ou complémentaires doivent être développées pour un meilleur équilibre social et financier des familles des orpailleurs. Pour ce faire, une politique de subvention des cultures vivrières et industrielles doit être adoptée dans les zones d’orpaillage pour créer un contrepoids. Les travaux de réhabilitation des sites d’orpaillage doivent orienter les orpailleurs vers d’autres activités, par exemple la pisciculture, la riziculture et l’apiculture etc.

Les orpailleurs et autres artisans miniers ont été invités à s’organiser en GVC ou en société coopératives pour adresser des demandes d’autorisation formelle d’orpaillage en collaboration avec les démembrements de l’administration minière locale.

Le suivi et le contrôle par l’administration minière ont été jugés essentiels. Ils consistent à prendre toutes les dispositions utiles après analyse des informations collectées de façon continue de sorte à anticiper tous les blocages et conflits pouvant surgir dans la gestion de cette filière.

Par ailleurs, l’administration minière a lancé des projets d’exploitation artisanale sur certains sites prédéfinis sous la supervision de personnes qualifiées avec une approche plus méthodique (exploration, exploitation, réhabilitation, et conversion, etc.). L’exemple de l’encadrement réalisé par la SODEMI à Issia (Babadougou) par le passé a constitué une référence historique.

Des Comités Techniques Locaux (CTL) ont été installés dans les différents départements des régions concernées. Les CTL sont composés par des agents de l’administration minière départementale ou régionale, les chefs de villages, les responsables de jeunesse et d’éléments des forces de sécurité etc.

L’administration minière a veillé à pour répondre avec célérité aux dossiers de demandes d’autorisation d’exploitation, d’achat ou de vente d’or. Les longues périodes de traitement des dossiers pouvant encourager la clandestinité. En plus de la structure d’encadrement ou d’assistance technique, les agents départementaux de l’administration minière ont mené des inspections régulières sur les sites de production autorisés et procédé à la fermeture immédiate des sites illégaux. Le renforcement des capacités des acteurs Le renforcement des capacités des acteurs de la filière orpaillage a constitué une priorité. Elle doit en effet se traduire par des séances de formations obliga-

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La phase de collecte d’information qui a ensuite suivi a permis l’identification de 248 sites d’orpaillage dans les zones Nord, Centre et Est, comme indiqués dans le tableau page suivante. Le gouvernement a pris la décision en Conseil des Ministres de fermer dans un premier temps tous les sites d’orpaillage déjà identifiés. L’application de cette décision a vu le déguerpissement de 258 sites avec la saisie et la destruction de nombreux équipements d’orpaillage. En outre, 39 orpailleurs clandestins ont été interpellés et douze (12) d’entre eux ont été traduits devant les tribunaux. Pour répondre aux besoins de financement de cette restitution, l’Administration Minière a saisi la chambre des mines de Côte d’Ivoire. Pour solliciter la contribution de toutes les sociétés minières détentrice de permis miniers au financement du projet de rationalisation de l’orpaillage.

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RÉPARTITION DES SITES D’ORPAILLAGE DANS LE NORD, CENTRE ET EST DE LA CÔTE D’IVOIRE

Recommandations La réussite – Voir Encadré 2 de l’exemple de réussite en Éthiopie ci-contre – des projets de formalisation et de gestion durable de l’orpaillage en Afrique impose une action multisectorielle coordonnée tant au plan national que sous régional car les réseaux d’orpaillage sont souvent transnationaux. Pour se faire, il convient de : • créer un cadre de concertation au plan sous-régional afin de partager les expériences et apprendre les uns des autres et surtout d’harmoniser les politiques de lutte contre l’orpaillage illicite ; • fixer des objectifs annuels clairs et chiffrés à toutes les parties prenantes (l’administration minière, les détenteurs d’autorisation, les encadreurs, les autres entités ministérielles etc.) ; • présenter au plan national, un bilan annuel des rapports d’activité de toutes les parties prenantes à travers une plateforme d’échange multisectoriel (secteur mine, agriculture, sécurité, éducation et formation professionnelle etc.). Cette approche vise à évaluer la portée des différentes actions et favoriser les échanges et partage d’informations pour une meilleure coordination des efforts des différents acteurs ; • sous-traiter l’encadrement technique à des structures para-étatiques ou privées pour des raisons d’intervention rapide ; • exiger un certificat de formation pour les mineurs ou orpailleurs (en particulier à l’utilisation de certains matériels, à la sécurité, à la gestion de l’eau et aux impératifs environnementaux). Chaque dossier de demande d’autorisation d’exploitation artisanale doit attester que l’un des opérateurs est titulaire de ce certificat. Cette formation doit être subventionnée par l’État et dispensée par une structure spécialisée ;

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• demander aux grandes sociétés qui exploitent les mines d’or de délimiter si possible des zones d’orpaillage sur leur permis pour les populations riveraines ; • Assurer effectivement le contrôle des produits interdits : mercure, cyanure et explosifs etc. ; • prédéfinir des couloirs exclusivement réservés à l’activité d’orpaillage pour mieux la canaliser. Pour nous résumer, le développement durable par la rationalisation de l’Orpaillage doit passer par une meilleure sensibilisation des acteurs à la prise en compte des spécificités du secteur de l’extraction des ressources épuisables et à l’exercice de pratiques visant à réduire considérablement les émissions de produits chimiques dans l’atmosphère et à réduire l’empreinte écologique de cette activité.

Mines et développement durable, rendre à la Terre et à ses hommes ce qu’elle nous a donné Chantal Guérin Directrice générale de la Fondation SEMAFO

Cédric Lombardo Directeur associé de BeDevelopment

BIBLIOGRAPHIE Rapport sur l’investissement dans le monde, (CNUCED, 2007) Rapport de l’International Institute for Environnent and Development (IIED, 2013) La politique industrielle et minière pour l’émergence de la Côte d’Ivoire – Dossier de Presse, juillet 2014 Atelier sous-regional d’information des pays de l’Afrique de l’Ouest francophone sur les réformes liées a l’orpaillage – Bamako, 8-10 Décembre 2009 Programme Ivoirien de rationalisation de l’orpaillage, Ministère de l’Industrie et des Mines, 2013 Convention de Minamata sur le mercure, 2013 Code Minier Ivoirien, Loi No. 2014-138 du 24 mars 2014 portant Code Minier

Introduction SEMAFO est une société minière de droit canadien, cotée sur les marchés financiers de Toronto et Helsinki, dont les activités de production et d’exploration aurifères sont situées en Afrique de l’Ouest. Elle exploite la mine de Mana au Burkina Faso, ainsi que ses gisements satellites de Sio et Fofina à haute teneur aurifère, et développe le gisement aurifère de Natougou. SEMAFO s’est engagée à agir avec une conscience éclairée par la mise en valeur responsable de son site de Mana. Sur ce site, elle applique des principes de développement durable : préservation de la ressource en eau et de la biodiversité, négociation d’une convention collective de travail avec les partenaires sociaux, développement des compétences des salariés locaux et formation aux règles de bonne gouvernance, mise en œuvre d’exigences élevées en matières de santé et de sécurité, etc. L’année 2014 a été particulièrement marquée par la mise en œuvre d’un plan d’action face à la menace du virus Ebola. En plus des activités de développement durable qu’elle conduit directement, la société SEMAFO a créé la Fondation SEMAFO pour soutenir son activité de responsabilité sociale d’entreprise auprès des communautés locales. La Fondation SEMAFO vient ainsi en aide aux populations riveraines des mines qu’elle opère, contribuant au développement d’activités locales et génératrices de revenus, s’assurant ainsi que ces communautés continueront à développer leur cadre de vie familiale même après l’arrêt des opérations minières. Elle concentre ses actions sur les besoins réels des communautés locales, ayant développé une expertise en matière humanitaire d’éducation, d’agriculture et de santé. La Fondation a ainsi organisé ses actions pour contribuer aux Objectifs du millénaire pour le développement, principalement les objectifs n° 2, 7 et 8 : mettre en œuvre une éducation primaire universelle, assurer la soutenabilité environnementale et développer un partenariat mondial pour le développement.

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La priorité de la Fondation SEMAFO est le développement d’activités pérennes et le renforcement des capacités des communautés locales. Elle investit de façon rationnelle et surtout en fonction des besoins et des actions exprimés par les bénéficiaires eux-mêmes. Chaque projet est conçu au bénéfice des générations actuelles et des générations futures : sa pérennité doit être assurée au terme de l’intervention de la Fondation. De janvier 2009 à juin 2014, elle a investi près de 3 milliards de francs CFA. Ce montant a permis aux habitants de la Boucle du Mouhoun au Burkina Faso et de la région de Tillabéry au Niger de générer des revenus de près de 2 milliards de francs CFA, ceci en plus de développer leur autonomie.

La Fondation SEMAFO, un soutien au développement local exprimé par les bénéficiaires La Fondation SEMAFO a été créée en 2008, en qualité d’organisme de bienfaisance, et s’investit dans les domaines de l’éducation et de la santé, de l’agriculture et d’autres activités génératrices de revenus, ainsi que le soutien à la population et à la production. Elle est accréditée par le Programmes des normes d’Imagine Canada, qui fait foi du respect de règles en matière de bonne gouvernance de son conseil d’administration, d’imputabilité, de transparence financière, de financement éthique, de gestion du personnel et de participation de bénévoles. Elle est née de la vision de M. Benoit La Salle, alors président et chef de la direction de la société SEMAFO. Jeune entrepreneur, il avait rejoint un organisme humanitaire du nom de Foster Parents Plan, ayant pour vocation d’aider les enfants à travers le monde. Impliqué dans les actions de cet organisme et lors de ses voyages d’affaires en Afrique de l’Ouest, il a développé une connaissance et une profonde affection pour cette région et ses populations. Confronté à la situation d’extrême pauvreté des communautés rurales avoisinant les sites miniers de SEMAFO, il fut convaincu que SEMAFO devait faire plus pour ces communautés. L’idée d’une fondation a germé dans son esprit, comme instrument de soutien pour un développement local. La Fondation SEMAFO ambitionne de devenir une fondation de référence dans les régions d’Afrique de l’Ouest. Sa mission est de soutenir le développement des communautés dans toutes les régions où SEMAFO, ou l’une de ses filiales, est présente. Pour ce faire, elle contribue à l’amélioration des conditions humaines de ces communautés à travers ses actions, ses investissements dans des projets de développement communautaires, la formation et la valorisation des populations. Son objectif principal est de soulager la pauvreté en aidant les communautés à subvenir à leurs propres besoins. Pour réaliser sa mission, elle a pris deux engagements. Tout d’abord, assurer un leadership collectif en soutenant les valeurs locales et en accompagnant la création de partenariats locaux pour satisfaire les besoins des individus puis des communautés. Ensuite, être un défenseur efficace,

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se faisant le porte-parole des communautés qui ont besoin d’aide pour assurer une bonne qualité de vie aujourd’hui et demain.

Le contexte des zones d’interventions, parmi les plus bas indices de développement humain Sa zone d’intervention principale est la région de la Boucle du Mouhoun, particulièrement dans les provinces des Balé et du Mouhoun, au Burkina Faso. Elle est aussi intervenue au Niger jusqu’en 2014, soutenant les habitants de la région de Tillabéry et ceux de la communauté urbaine de Niamey. Après le départ de SEMAFO du Niger, la Fondation a poursuivi ses activités de soutien aux populations, directement dans un premier temps, puis par l’intermédiaire d’une nouvelle organisation composée des anciens employés du Niger de la Fondation. Ainsi jusqu’au 30 juin 2014, la Fondation a soutenu 75 localités du Burkina Faso et à 44 localités du Niger. L’indice de développement humain (IDH) du Burkina Faso publié en 2014 est à 183 sur 187 et celui du Niger au dernier rang à 187. Dans ces deux pays, le niveau de pauvreté est tel que tous les besoins de base pour une bonne qualité de vie sont à satisfaire. La situation climatique de ces pays ne favorise pas l’agriculture pendant la sécheresse. Les gens souffrent de malnutrition, manquent d’eau potable, sont peu scolarisés et alphabétisés, doivent souvent mendier pour survivre. La situation des jeunes filles est encore plus vulnérable ; elles sont souvent forcées à se marier jeunes, n’ont pas accès à l’éducation et peuvent être soumises à l’excision. À tout cela s’ajoutent la fragilité politique, la corruption et les maladies. Les sites miniers de la Société SEMAFO se situent dans des régions particulièrement pauvres dans chacun de ces deux pays. On y retrouve des caractéristiques communes : • la population est majoritairement rurale ; • l’agriculture est l’activité dominante même si l’élevage est présent et pratiqué de façon extensive ; • les taux de pauvreté sont souvent supérieurs aux taux nationaux respectifs ; • les ressources naturelles (minières, biodiversité, forêts, hydrauliques) sont existantes mais sous-exploitées, la couverture énergétique reste très faible. On note également de très bas taux de scolarisation et d’alphabétisation, en deçà des moyennes nationales et une fécondité très élevée chez les femmes, qui explique essentiellement la structure d’âge très jeune des populations. Pour remédier à ces insuffisances, les premières actions de la Fondation ont consisté à rencontrer les populations pour leur faire des dons de fournitures

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scolaires, des vêtements, d’articles de maison, etc. Le but de ces rencontres était de connaître les besoins des populations de chaque village, pour établir ensuite des priorités d’action en fonction de ces indigences. Ainsi, les premières actions ont concerné l’éducation et la santé, car il ne peut y avoir de développement durable sans des résultats dans ces deux secteurs vitaux. Des écoles et des cases de santé ont été construites et aménagées, des cantines scolaires ont été mises en place, les femmes ont reçu une formation sur l’épargne, le crédit, la gestion, la bonne gouvernance, l’hygiène, l’allaitement, le VIH, etc. Des forages d’eau potable ont été creusés pour les villages et les écoles, des fournitures scolaires ont été distribuées dans une soixantaine d’écoles et les COGES (comité de gestion d’école) ont été formés afin de pérenniser les actions de la Fondation. Ensuite la Fondation a pu se concentrer sur la mise en œuvre d’activités génératrices de revenus impliquant la participation des populations riveraines des sites de SEMAFO.

L’autonomisation des femmes pour un développement durable, le projet Karité La mise en place d’un centre de production et de transformation de produits à base de karité a été fait afin de permettre à un groupement local de femmes de gagner progressivement son autonomie. Ce groupement de 88 femmes produit et commercialise des produits à base de beurre de karité garantissant des revenus à près d’une dizaine de milliers de personnes. Lors de ses visites, Chantal Guérin, directrice générale de la Fondation SEMAFO a rencontré une dame dans le village de Yona, au Burkina Faso, qui était la présidente d’un groupement de femmes du nom de Gnogondèmè, créé en 2002, lequel fabriquait de manière traditionnelle du savon à base de karité. Elle a sollicité le soutien de la Fondation qui s’est ainsi engagée à ses côtés pour l’accompagner dans le développement de cette activité. En juin 2010, la Fondation SEMAFO a créé un partenariat avec TFO Canada, pour proposer, aux femmes du groupement, une formation sur les exigences de l’exportation de leur produit. Une visite au Canada et aux États-Unis fut organisée pour trouver des distributeurs et connaître leurs procédures d’opération. Lors de ces voyages, le groupement a fait la connaissance d’une entreprise à Montréal, Karitex, intéressée par la vente du beurre de karité. Ensemble, ils ont évalué le modèle et les coûts de production du beurre et du savon de karité par Gnogondèmè. La Fondation a pris le relais financier en collaboration avec tout le village de Yona, en mettant sur pied un centre de production et de transformation incluant une savonnerie. Afin de s’assurer de la pérennité du projet, le village a pris en charge l’assemblage des agrégats, le choix des maçons, le ramassage des débris et le nettoyage du terrain, et bien d’autres taches. Les femmes furent aussi formées pour obtenir la cer tification Ecocer t et NOP (National Organic Program). La formation a également porté sur le développement du groupement : organisation des réunions et des votes, création de

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comités dédiés à des tâches précises, règles comptables et calcul des coûts de revient, etc. En appuyant la production d’un beurre de karité certifié biologique, pouvant être commercialisé à ce titre sur le marché national et international, la Fondation a permis aux femmes productrices de karité de générer des revenus tout en contribuant à la protection de l’environnement et la mise en valeur de l’arbre à karité. Afin de garantir l’accès aux matières premières de qualité (amandes de karité), la Fondation SEMAFO a organisé des rencontres avec d’autres femmes de villages voisins. Elles ont aussi reçu des formations afin d’apprendre des techniques de ramassage respectant les normes biologiques Ecocert. Aujourd’hui, les femmes du groupement Gnogonèmè font elles-mêmes la tournée et la formation des femmes des villages. Elles s’approvisionnent (40 tonnes d’amandes de karité biologique) auprès de 800 femmes réparties dans 13 villages, leur permettant d’obtenir des revenus supérieurs à la vente d’amandes conventionnelles. À ce jour, les 88 femmes du groupement fabriquent quatre types de savons différents, une pommade, un baume à lèvres et du beurre de karité qu’elles exportent ; elles ont également trouvé des acheteurs pour le tourteau et leur surplus d’amandes. Elles ont gagné le 1er prix de valorisation des produits agrosylvo-pastoraux à Dédougou lors des Journées économiques régionales sur les innovations et l’entrepreneuriat de la Boucle du Mouhoun.

L’agriculture et l’apiculture, encourager des activités génératrices de revenus D’autres projets ont été conçus dans cette perspective de pérennité des actions et de durabilité des populations riveraines des sites miniers de SEMAFO. Ils font également écho aux réalités de l’exploitation minière ou répondent aux besoins d’autres projets nés avec le soutien de la Fondation, contribuant au développement d’un tissu économique local. Projet Apiculture Le projet Apiculture a été commencé en 2012 en réponse à la présence, sur le site de Mana, de plusieurs nids d’abeille représentant un risque de sécurité pour les collaborateurs de la société SEMAFO en cas de piqûre, la race locale Apis mellifera adansonii Latreille étant considérée comme particulièrement agressive. Ce risque pouvait être transformé en opportunité économique, en proposant un encadrement pour la création d’une filière apicole. L’apiculture est une pratique séculaire au Burkina Faso, cependant, elle y rencontre des difficultés parmi lesquelles les mauvaises pratiques apicoles, l’effet des changements climatiques, les attaques parasitaires, les empoisonnements, les adultérations, les difficultés de commercialisation etc. Le projet fut ainsi élaboré pour développer des revenus supplémentaires, tout en assurant un apport thérapeutique et alimentaire aux familles des apiculteurs : miel, pollen, cire, etc.

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Soutenue par Fondation SEMAFO, l’Association des apiculteurs modernes de Dangouna au Burkina Faso s’est composée autour du regroupement de 10 apiculteurs. Les pratiques apicoles doivent éviter de détruire les abeilles, améliorer la productivité en qualité et quantité. Une formation de quatre semaines a permis aux apiculteurs d’acquérir un savoir-faire en techniques d’apiculture moderne. Pour moderniser l’exploitation et assurer des conditions de travail en toute sécurité, pour les hommes et pour les abeilles, du matériel fut mis à leur disposition : tenues de protection, gants, bottes et matériel de collecte. L’utilisation de 45 ruches kenyanes à barrettes a permis d’améliorer la production du rucher, tandis que l’usage d’enfumoirs a remplacé les pratiques d’enfumage au torchis de paille. Ce projet a permis la domestication des abeilles, réduisant les accidents de travail sur site liés aux piqûres, éliminant l’utilisation de produits pesticides et améliorant le cadre de vie des apiculteurs. Le Paprika et Les jardins maraîchers Deux projets, Paprika et Les jardins maraîchers communautaires, ont été développés au Niger afin de générer des revenus agricoles et de contribuer à l’autosuffisance alimentaire des habitants dans la zone d’inter vention de SEMAFO. Le projet Paprika vise à promouvoir une culture de rente, incluant les activités de transformation et de commercialisation, afin de développer les activités des femmes en milieu rural. Les jardins maraîchers offrent une activité en contre-saison du paprika, contribuant à lutter contre l’insécurité alimentaire des communautés locales. Le projet Paprika s’inscrit dans le cadre du programme Initiative 3N (Les Nigériens nourrissent les Nigériens) du Niger dans sa composante Développement de l’irrigation, qui prône l’amélioration des niveaux de vie et de revenus des populations riveraines de La Sirba, le développement de l’irrigation et la collecte des eaux de ruissellement. Ce projet a permis à plus de 534 producteurs, dont 376 femmes, de mettre en valeur 107 hectares de culture de paprika sur 11 sites, ceci après conduite d’une étude d’impact environnemental et social. Une formation et un accompagnement ont été mis en œuvre pour conduire les travaux d’élagage, de défrichage amélioré, de sous-solage et de planage et des installations de clôtures. Des canaux d’irrigation et 12 bassins ont été construits afin de retenir l’eau, dont 3 bassins en collaboration avec la Fondation Orange. Les producteurs ont reçu du matériel agricole, des semences, engrais et produits de traitements. Un comité de gestion a été mis en place pour être formé aux meilleures pratiques de la culture du paprika, encourager les pratiques d’agroécologie et assurer la réparation du matériel de base. Afin d’échanger sur les techniques de culture et de l’importance de la création de regroupements de producteurs, la Fondation a financé deux voyages d’études à Agadez et à Diffa. Depuis sa mise en œuvre, ce sont plus de 350 millions de francs CFA de revenus qui ont été créés par et pour les producteurs du projet Paprika.

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Le projet Les jardins maraîchers communautaires a été mis en œuvre afin de poursuivre l’activité agricole en contre-saison du paprika, pour la production de plusieurs produits comme la tomate, l’oignon, l’aubergine, le chou et la salade. À compter de 2011, ce sont 351 producteurs dans trois villages du Niger (Bossey Bangou, Garbey Kourou et Boulkagou) qui ont bénéficié du soutien de la Fondation, sur plus de 25 hectares de maraîchage. Toujours selon un modèle visant à favoriser le développement d’une activité génératrice de revenus, outre la satisfaction des besoins des agriculteurs, la production est destinée à la vente sur les marchés locaux. Les producteurs ont reçu de la part de la Fondation SEMAFO du matériel agricole et des intrants, ainsi qu’une formation encourageant les pratiques d’agroécologie. Pour l’année 2013-2014, ce sont plus de 652 tonnes de produits qui ont été récoltés. Sur la période 2011-2014, plus de 70 millions de francs CFA de revenus ont été générés par et pour les producteurs.

Conclusions et perspectives Les opérations minières de SEMAFO sont génératrices de valeurs partagées avec toutes les parties prenantes. SEMAFO contribue au développement local par le recours à des travailleurs nationaux, créant des emplois indirects en faisant travailler des entreprises locales intégrées à part entière dans sa chaîne de valeur. Sa performance financière lui permet d’accomplir une mission humanitaire et un engagement envers les communautés par le biais, notamment, de la Fondation SEMAFO. Les actions concrètes de la Fondation SEMAFO complètent le dispositif d’actions menées directement par SEMAFO pour contribuer au développement durable des régions où elle intervient. La fondation soutient tout d’abord ses actions en faveur des communautés locales, en étendant le cadre des relations avec les communautés et en concourant à la réalisation de projets communautaires. Cela complète également la vision de l’avenir du territoire local au terme d’une exploitation minière : le soutien à l’éducation et à la santé, la création d’activités pérennes et génératrices de revenus sont des conditions capacitantes pour assurer le développement local au-delà de la seule ressource minière. Le retour d’expérience de la Fondation SEMAFO témoigne également que pour entreprendre des actions de développement en faveur des communautés locales environnantes des sites d’exploitations miniers, il convient d’adopter une démarche participative qui pourrait se décliner aux actions suivantes : I) Partir des besoins exprimés par les populations ; II) S’assurer de la coopération des autorités administratives et coutumières ; III) S’assurer de la motivation des participants ; IV) Impliquer la population financièrement et physiquement dans les projets ; V) Accompagner la population de façon soutenue et se retirer progressivement ; VI) Prioriser les projets avec les femmes, mais ne pas oublier d’impliquer les hommes.


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L’exploitation minière durable : enjeux et défi fiss pour l’Afrique subsaharienne Joseph Ezoua spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au PNUD en Côte d’Ivoire

Luc-Joël Grégoire Directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction Les pays de l’Afrique subsaharienne disposent d’impor tantes ressources minières1. Depuis l’indépendance des pays et jusqu’au début des années 1980, le secteur était essentiellement exploité par des entreprises d’État. Sous l’effet de la mondialisation, l’industrie minière2 a subi de profondes mutations dont la libéralisation3 du secteur, le retrait des États dans la gestion des entreprises minières nationales et l’émergence de la société civile avec la montée en puissance dans le secteur minier des économies émergentes4. La résolution A/58/218 de l’Assemblée générale des Nations Unies donne mandat aux commissions régionales des Nations Unies, en collaboration avec la Commission des Nations Unies sur le développement durable (CSD), les gouvernements, les fonds et programmes des Nations Unies, d’autres organisations du système des Nations Unies, les institutions financières internationales et toutes les autres organisations internationales et régionales pertinentes pour organiser des réunions régionales d’application (RRA), auxquelles par ticipent plusieurs par ties prenantes et appor ter des contributions aux travaux de la commission sur le développement durable. À ce propos, la Commission économique pour l’Afrique (CEA) a organisé régulièrement, depuis 2003, des réunions régionales d’application, en collaboration avec des organisations partenaires. L’exploitation minière est par nature non durable, la durée de vie d’une mine étant limitée, et les ressources finissant par s’épuiser.Toutefois, on peut lui assurer une certaine durabilité, grâce aux liens (en amont, en aval et à partir des dérivés) qu’elle a avec d’autres secteurs de l’économie.

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Défis et enjeux L’Afrique, qui dispose d’une grande part des richesses minières mondiales, reste paradoxalement le continent le plus pauvre. L’impact attendu de l’exploitation minière sur les économies des pays africains et sur les populations locales est globalement peu perceptible. Le secteur minier représente un apport non négligeable au développement économique des pays africains. En moyenne, les recettes minières ont représenté 21,9 % des recettes globales des États au cours des dix dernières années. Cela est largement en deçà de la moyenne de 40 % qui était observée durant les années 1980 et au début de la décennie 1990. Par ailleurs, l’exploitation minière n’a actuellement rien de durable. Les méthodes d’extraction principalement utilisées entraînent : • la destruction certaine de vastes étendues de forêts ; • une perte de biodiversité 5 ; • la pollution des eaux6, des sols et de l’air7 ; • des nuisances sonores et olfactives ; • une inversion du paysage ; • la destruction de sources de rivières ; • la destruction de la structure des sols ; • le remplissage des lits des cours d’eau ; • des modifications majeures réduisant la présence végétale et microbienne, le système de captation du carbone et les systèmes de régulation climatique ceci accentuant les effets issus du changement climatique8. L’un des handicaps qui bloquent le développement communautaire des zones minières est l’absence, dans certains pays, d’une stratégie nationale qui intègre les besoins spécifiques et contraintes liées à l’activité minière. D’autres contraintes bloquent le développement communautaire :

• la caducité des codes qui ne correspondent plus aux normes et standards internationaux ; • la non institutionnalisation des commissions de négociation des conventions minières pétrolières ; • le non-respect des procédures d’attribution par l’interférence des autorités politiques à un haut niveau ; • la méconnaissance du potentiel minier et pétrolier qui rend faible la capacité des négociateurs à défendre les intérêts nationaux ; • l’insuffisance d’un personnel qualifié et motivé et la faible capacité des ressources humaines pour la gestion des cadastres miniers et des systèmes d’information géologiques et minières ; • la vétusté et l’insuffisance des équipements de gestion efficace des systèmes d’information géologiques et minières ; • la faible capacité des ressources humaines et le manque d’équipements des directions nationales des mines et de leurs démembrements pour un meilleur suivi et contrôle des opérations minières ; • le faible niveau de concertation entre les structures existantes impliquées dans le suivi et le contrôle des opérations minières. Les faiblesses dans le recouvrement, la gestion et l’allocation des recettes minières sont reflétées par : • l’inexistence de comités techniques pour l’analyse des coûts de production en vue de contrecarrer les transferts de prix pratiqués par certaines industries minières ; • la faible capacité des personnes-ressources des structures de l’administration chargées du contrôle fiscal des compagnies minières ; • la non-conformité des systèmes comptables utilisés par les entreprises minières avec le plan comptable de l’organisation pour l’harmonisation du droit des affaires ;

• la faible capacité de la gestion des ressources destinées à financer le développement des collectivités locales ;

• les faibles moyens dont dispose l’encadrement de l’exploitation artisanale9 ;

• la faible implication des organisations de la société civile dans les mécanismes de gestion des ressources locales ;

• la non application de certaines dispositions législatives ;

• le faible niveau de la concertation entre les compagnies minières et les communautés des zones d’extraction ; • la faible capacité en management des structures de gestion des collectivités. La faible prise en compte des intérêts de l’État dans les procédures d’accès et de gestion des titres miniers résulte de :

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• la faible capacité des ONG nationales à assurer les actions de promotion de la gouvernance du secteur minier. L’inexistence d’une politique de développement communautaire durable des zones minières se reflète par : • le niveau de caducité des plans d’aménagement et de développement régionaux ; • l’inexistence de stratégies nationales de développement durable ;

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• l’absence de plans de gestion environnementale et sociale des anciennes sociétés minières ; • la faible capacité des petites et moyennes entreprises (PME) locales dans les domaines liés à la gestion technique (gestion administrative, gestion financière des PME) ; • la faible capacité des sociétés minières à mettre en place une stratégie de promotion des PME locales.

Les orientations de politiques À partir des années 1990, il a été constaté que, malgré un potentiel important et les effor ts déployés pour sa réforme, le secteur minier de plusieurs pays, comme la Guinée par exemple, n’a pas répondu aux attentes en termes de contribution aux économies nationales. Ceci s’explique par plusieurs raisons dont la plus importante est le faible apport du secteur aux économies nationales. C’est pour ces raisons que la révision des politiques minières engagée en 2010-2015 en Afrique cherche à : • corriger ces défaillances ; • se conformer par rapport aux engagements internationaux aux pratiques internationales dans le secteur et aux stratégies nationales. Cette modification des politiques est importante et s’articule principalement autour des objectifs suivants : • la recherche de la conformité à la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté10 ; • la correction des insuffisances de la gestion du secteur minier ; • la stimulation de nouveaux investissements dans le secteur ; • l’accroissement de la valeur ajoutée. Les principales actions engagées sont axées sur : • la révision de la réglementation à travers la refonte des différents codes et des textes d’application ; • l’amélioration de la gestion du patrimoine en renforçant les capacités du cadastre minier ; • l’insertion du secteur aux économies nationales par l’utilisation des ressources minières dans le cadre de la lutte contre la pauvreté ; • le développement des infrastructures ; • la promotion de la recherche pétrolière et la réforme du cadre institutionnel des ministères des mines et de la géologie.

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Par ailleurs, un élargissement de l’espace national de décision implique de dépasser une approche sectorielle des enjeux miniers pour adopter une approche plus large et intégrée, qui tienne compte du rôle transformateur que le secteur pourrait jouer. Ceci implique de dépasser une perspective qui voit le secteur minier avant tout comme une source de revenus fiscaux, afin qu’il puisse servir de catalyseur en développant des liens intersectoriels, notamment en intégrant les activités minières dans les politiques industrielles. Afin que ceci puisse avoir lieu, il est important que les pays ne se départissent pas de leur espace de décision politique. Par exemple, dans le but de fournir des garanties supplémentaires aux investisseurs, beaucoup de pays en développement sont allés bien au-delà de s’ouvrir aux investissements étrangers dans le secteur extractif, en verrouillant la possibilité de changements éventuels, en s’engageant dans des clauses de stabilité financière, ainsi qu’un signant divers accords internationaux sur l’investissement (International Investment Agreements – Jas). Les plus importants accords internationaux sur l’investissement ont été les traités bilatéraux sur l’investissement portant sur la promotion et la protection de l’investissement étranger. La vision minière pour l’Afrique11 (VMA) a été adoptée par les chefs d’État et de gouvernement d’Afrique en février 2009. Cette vision constitue la réponse des ministres africains au paradoxe de vivre dans un continent où se côtoient d’immenses richesses en ressources naturelles, une pauvreté envahissante et de grandes disparités. La VMA propose un changement de paradigme qui abandonne le modèle d’exploitation des ressources extractives largement dépendant des marchés internationaux d’exportation. Ce modèle n’a jamais pu offrir à l’Afrique un développement socio-économique. La vision aborde ainsi le paradoxe qui oppose les ressources naturelles abondantes de l’Afrique et la pauvreté généralisée des populations africaines. Ainsi que le précisait Carlos Lopez, sous-secrétaire des Nations Unies et secrétaire exécutif à la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique. CENUA : « […] le modèle de développement par l’exploitation des ressources qui est en place ne réussit pas à créer plus d’équité, ni à enrichir le développement ». Le but principal de la VMA est donc de délaisser le modèle actuel de développement basé sur l’exploitation des ressources pour adopter un modèle qui favorise une transformation structurelle des économies d’Afrique. Les ressources minérales serviraient de catalyseur à une croissance multisectorielle inclusive et au développement des marchés des ressources en Afrique, ce qui permettrait une diversification et une industrialisation économiques à l’échelle continentale. Par des réformes en matière de politiques, la VMA vise à corriger les défauts structurels du présent modèle qui se caractérise par « un secteur minier enclavé, des approches mono sectorielles et non intégrées à des objectifs plus vastes de développement, des capacités institutionnelles affaiblies et des relations de négociation profondément asymétriques entre gouvernements et compagnies ».

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Le principal défi de la vision africaine consiste à poursuivre sur sa lancée afin de soutenir les institutions et les gouvernements africains dans leur détermination et leur capacité à promouvoir cette vision et à la mettre en œuvre de façon très concrète. Cela demande de changer les règles du jeu en matière de commerce et d’investissements et d’assurer la cohérence des politiques et la coordination tant au sein des États qu’entre eux.

Les bonnes pratiques dans le secteur minier en Afrique

Les perspectives et recommandations Les orientations de politiques et les cadres institutionnels de la gouvernance13 du secteur minier connaissent depuis 2010 des évolutions notables. Il s’agit encore pour certains pays de : • améliorer les capacités des États à mobiliser les ressources fiscales, nécessaires au développement et à la gestion environnementale des nouveaux gisements14 ; • améliorer la capacité de gestion des ressources tirées du secteur minier ;

L’Afrique a fait beaucoup de progrès dans la création d’un cadre favorable au développement durable. À titre d’illustration, la plupart des pays de la région sont signataires de conventions internationales sur l’environnement et des accords environnementaux multilatéraux (AEM). Des organismes comme le secrétariat conjoint de la Commission de l’Union africaine (CUA), la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et la Banque africaine de développement (BAD) ont joué un rôle prépondérant dans la mise sur pied et le lancement de grandes initiatives régionales pour faire avancer le programme de développement durable de l’Afrique, telle que l’initiative de la politique foncière du programme ClimDev-Afrique. L’agence du Nouveau Par tenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) a également adopté un certain nombre de grandes directives-cadres et des programmes qui intègrent les préoccupations environnementales dans le développement durable, à l’instar du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), le plan d’action environnemental (PAE), le plan d’action d’infrastructure à court terme (PACT), la directive-cadre Eau et Énergie, le cadre stratégique de développement des capacités (CSFC) et plus récemment le programme de développement rural. Aux niveaux régional et national, l’Afrique a appuyé et initié un grand nombre d’accords, de protocoles, des politiques et lois relatives à la protection et à la gestion de l’environnement. La conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE) est une plate-forme qui a joué un rôle déterminant par rapport à la position commune de la région en matière de changements environnementaux et climatiques et en mettant les stratégies de négociation et l’information à la disposition des négociateurs dirigeants.

• mettre en place une stratégie et un plan relatif à l’exploitation et au développement durable. Au niveau national : Comme l’indiquait en 2007 la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) : « C’est aux gouvernements des pays d’accueil qu’il revient de faire en sorte que les retombées de l’exploitation des ressources minérales contribuent à la réalisation des objectifs de développement. » Pour cela, il faut réviser les codes miniers et pétroliers des pays et élaborer des documents d’application y compris des conventions types et des décrets d’applications. Cette activité constituera une des bases fondamentales des nouvelles politiques minières et pétrolières. Pour ce faire, l’appui à l’institutionnalisation et au renforcement des capacités des membres des commissions de négociation des conventions minières et pétrolières est indispensable. Pour contrôler et s’assurer de la bonne gestion environnementale, les capacités des cadastres miniers et des systèmes d’information géologiques et minières doivent être renforcées. Pour cela, les capacités des ressources humaines et la fourniture d’équipements aux directions nationales des mines sont indispensables. Enfin, la mise en place de stratégies durables de développement minier est requise. Elles demandent des efforts, dans les domaines suivants : • l’appui à l’élaboration de plans régionaux16 ; • la révision des codes de l’environnement et de leurs textes d’application ;

Souvent indexées comme esclavagistes modernes et destructeurs d’écosystèmes, les grandes mines12 investissent de plus en plus dans le développement de l’économie locale en assurant la formation et la promotion de certains services publics tels que l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable, le transport ou l’accès à l’énergie… Pour cela, une consultation durable, associée aux considérations environnementales et sociales doit étayer toutes les étapes du développement des projets d’exploitation, car le développement africain à long terme dépendra de l’efficacité de l’utilisation des terrains et sols, de la sécurité de l’eau et de l’alimentation, ainsi que de la résistance aux changements climatiques.

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• le renforcement des capacités des ministères en charge de l’environnement par le recrutement et la formation d’inspecteur des mines et par l’achat d’outils adaptés aux contrôles ; • l’encouragement de certains investisseurs à adopter des pratiques17 de responsabilité sociale et environnementale18 fortes, ainsi que les meilleures pratiques internationales ; • la planification de l’extraction légale 19 et la collaboration entre les acteurs pour arrêter l’extraction et le commerce de ressources naturelles illégaux et non durables20 ;

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• la définition des priorités environnementales et sociales le plus en amont possible ; • la mise au point d’un dispositif réglementaire et institutionnel en matière d’exploitation minière ; • l’identification des possibilités de coordination entre les activités minières qui se développent dans les différents pays et la promotion des bonnes pratiques ; • l’appréciation des enjeux environnementaux pour les services collectifs liés aux ressources naturelles à la biodiversité, et aux activités rurales21 (chasse, pêche, agriculture) ; • l’anticipation sur les conséquences environnementales des projets miniers en zone forestière et des projets induits ; • le suivi de la mise en œuvre des programmes et projets ; • la création de synergies entre les différents acteurs du secteur minier d’une part et entre ces acteurs et les États d’autre part ; • la protection du capital environnemental tout en mettant en valeur le capital minéral : l’impact environnemental de l’activité minière est important sur les sites d’exploitation et dans leur périphérie, voire à longue distance lorsque des substances polluantes contaminent les cours d’eau (mercure et orpaillage) ou l’air (poussières). Au niveau des communautés économiques régionales : Une coopération régionale, sous l’égide des communautés économiques régionales (CER) est nécessaire pour diverses raisons : • la construction des espaces économiques régionaux implique un tarif extérieur commun, une convergence fiscale, une libre circulation des biens, des capitaux et des personnes, des normes communes qui s’appliquent aux industries minérales comme dans les autres secteurs ; • les produits minéraux exportés par les pays enclavés empruntent des infrastructures régionales ; • la sécurité énergétique des grands équipements industriels peut reposer sur des connexions régionales et des ouvrages hydroélectriques communs ; • les échanges transfrontaliers de produits à haute valeur, issus du secteur informel voire criminel, requièrent une coopération étroite des services de contrôle ; • rares sont les pays qui disposent des capacités de formation22 pour l’ensemble des compétences requises, aux différents niveaux de spécialisation : une coopération universitaire régionale23 permettrait d’y pallier ; • la consolidation des réseaux régionaux d’observation du secteur minier africain, sous l’égide des communautés économiques régionales (CET),

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permettrait des comparaisons stimulantes et des analyses sur les dynamiques de développement du secteur ou les meilleures pratiques. La contribution du secteur des ressources minérales au développement pourrait être analysée à plusieurs niveaux : • impact macroéconomique dans les grands agrégats du pays (balance commerciale, PIB, valeur ajoutée, comptes de l’État), • impact économique en termes de nombre d’emplois nationaux, de salaires distribués, d’effets sur le tissu local par les emplois induits, les infrastructures créées, la sous-traitance, etc., mais aussi de contribution à la vie sociale, • impact social au niveau des familles des employés du secteur des entreprises (revenus, protection sociale, accès à la santé, à l’éducation, aux services essentiels, eau, énergie, assainissement, et aux loisirs, promotion sociale, participation à la vie locale, syndicale, etc.), • impact environnemental des différentes phases de l’activité (exploration, exploitation, réhabilitation) sur le site et dans sa périphérie (concentration des populations, effluents). La mise en place d’un observatoire régional pourrait s’appuyer sur l’expérience acquise dans le cadre du projet SIGAfrique et les indicateurs de développement durable de l’industrie des mines (SDIMI : Sustainable Development Indicators in Mining Industry). En clair, une politique sectorielle régionale pour les ressources minérales nécessite trois piliers : • un ensemble de « directives » ; • un observatoire technique, économique et social du secteur ; • un programme de renforcement des compétences, par la mise en réseau des institutions nationales et la spécialisation de certaines d’entre elles. Au niveau international : La communauté internationale doit soutenir le développement d’une industrie minière porteuse de développement durable de diverses manières : • par l’instauration et l’application de règles internationales sur la qualité des produits, la transparence24 des flux de produits et des flux financiers (EITI et Kimberley25) ; • par le financement des investissements et la consolidation de la gouvernance au niveau national et régional (banques de développement, commission européenne) ; • par un soutien à des instances indépendantes de conseil et/ou d’arbi-

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trage auxquelles les pays pourraient avoir recours dans leur négociation avec les investisseurs.

Exploitation minière performante et responsable Mouvement mondial pour les forêts tropicales, 2014, L’industrie minière : impacts sur la société et l’environnement. ONU, 2002, Rapport du Sommet mondial pour le développement durable. ONU, 2009, Document final de la réunion régionale Africaine d’application en vue de la dixhuitième session de la commission du développement durable sur le transport, les produits chimiques, la gestion des déchets, l’exploitation minière et la consommation et la production durables. Performances Management Consulting, 2007, Le secteur minier en Afrique subsaharienne : problématiques, enjeux et perspectives. PNUE, 2006, AEO2, l’avenir de l’environnement en Afrique. PROPARCO, 2011, Le secteur minier, un levier de croissance pour l’Afrique, Secteur privé et développement, n° 8. Rapport Afrique de l’Ouest, 2008, Ressources du sous-sol. RichardsonI Temm G., 2013, En quête de durabilité, l’infrastructure écologique africaine, moteur de la transformation rurale en Afrique. Show T.M., 2015, La gouvernance des ressources naturelles après 2015 en Afrique : l’agence africaine et les initiatives transnationales pour faire progresser les États de développement. UNESCO, 2014, L’exploitation minière en Afrique. Union africaine, 2009, Vision du régime minier de l’Afrique. World Economic Forum, 2013, Gestion de la valeur dans le secteur minier : une vision pluridimensionnelle de la création de la valeur par le secteur minier. WWF, 2012, Afrique et Chine, coopération pour la durabilité : 40 actions qui feront la différence.

BIBLIOGRAPHIE Antil A., 2014, Le boom minier au Sahel, un développement durable ? Bar G., 2012, Contribution à l’initiative pour la transparence des industries extractives et à la gouvernance minière en Afrique. Campbell B., 2008, L’exploitation minière comme moteur du développement en Afrique : quelques enjeux soulevés par la révision des cadres réglementaires miniers. Campbell B., 2008, L’exploitation minière en Afrique, enjeux de responsabilité et d’imputabilité. CESMAT, 2008, Ressources minérales et développement en Afrique. Dato P.Z., 2010, Politiques de gestion durable des ressources naturelles non renouvelables au Bénin : cas de l’exploitation du gravier dans la commune de Dogbo. Diallo L., 2012, Industrie minière : enjeux et perspectives de développement en Afrique subsaharienne. Fenjour Njoya M.L., 2011, Exploitation minière et forêts, enjeux pour le développement durable au Cameroun. European Commission, 2012, Mettre les richesses minérales au service du développement durable, le point de vue de l’UE. Ministère de l’Industrie et des Mines de la République du Gabon, 2013, Potentiel transformateur du secteur minier pour l’économie.

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NOTES 1. À côté de l’Australie et du Canada, l’Afrique est l’une des régions au sous-sol richement fourni en ressources minières. L’exploitation des minerais y est une activité dominante et représente le premier poste d’exportation pour près de la moitié des pays africains. La richesse du sous-sol est estimée à 46 200 milliards de dollars américains. On y trouve une diversité importante de minerais. Pour ce qui est des réserves, selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), l’Afrique contiendrait environ 30 % des réserves mondiales en minéraux connues mondialement, incluant 40 % de l’or mondial, 60 % de cobalt et 90 % des réserves mondiales de minéraux du groupe platine (PGMs). 2. En Afrique subsaharienne, à l’exception de quelques pays comme l’Afrique du Sud, l’industrie minière est dominée par l’extraction des minerais et leur exportation à l’état brut. Bien que substantiels, les revenus apportés par l’extraction minière sont minimes, en comparaison de ce que pourrait rapporter le produit raffiné, autant sur le plan purement fiscal que sur le plan macroéconomique avec la création d’emplois, la création de richesses pour les populations locales et surtout le développement de compétences pointues dans le domaine. L’industrie minière africaine gagnerait à remonter dans la chaîne de valeur du secteur. 3. Longtemps placé sous le contrôle des sociétés d’État, le secteur minier africain s’est progressivement ouver t aux investisseurs étrangers, sous la pression implicite des institutions de Brettons Woods. Le Ghana fut l’un des premiers États africains à libéraliser son secteur minier pour le développer et en faire un levier de croissance au début des années 1980. 4. La montée en puissance des économies émergentes s’est confirmée par la prise de leadership de la Chine qui s’impose de plus en plus comme un acteur économique clé à l’échelle mondiale.

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Développement durable en Afrique Aujourd’hui, la majeure partie de l’investissement chinois notamment à l’étranger se fait en faveur du secteur minier. En pleine croissance, les besoins de la Chine en matières premières sont élevés. Ne disposant pas de cer taines de ces ressources, la Chine se tourne vers les marchés extérieurs, notamment l’Australie et l’Afrique, pour s’approvisionner en produits miniers. L’arrivée de la Chine a accentué la compétition et ouvert la voie à des négociations d’État à État plus équitables pour l’exploitation des ressources minières en Afrique. Le sous-sol africain est l’un des plus convoités dans le monde. De nombreux conflits dans les pays africains ont comme finalité la mainmise sur les richesses minières. Aujourd’hui, la nouvelle configuration de la carte géopolitique mondiale, avec la montée en puissance des nations émergentes, les luttes pour l’exploitation du sous-sol africain sont plus âpres. La compétition pour l’accès aux ressources porte aujourd’hui sur l’attractivité des offres de partenariats avec les pays miniers africains. À cette course, la Chine semble mieux positionnée même si les occidentaux (États-Unis, Europe) ont revu leur stratégie en Afrique. Avec l’arrivée de la Chine, les méthodes classiques d’accaparement des ressources à travers des conflits ou encore le positionnement, à la tête d’un État, d’un allié sont en train d’être abandonnés, au profit de négociations d’État à État plus transparentes, où les retombées pour la population et l’économie locale sont beaucoup plus probables. 5. L’exploitation minière a une incidence sur l’environnement et les biotopes associés par le biais de la suppression de la végétation ainsi que le sol de couverture, le déplacement de la faune, le dégagement de polluants et la génération de bruit. Les espèces de la faune vivent dans des communautés qui dépendent les unes des autres. La survie de ces espèces peut dépendre des conditions du sol, du climat local, de l’altitude et d’autres caractéristiques de l’habitat local. L’exploitation minière provoque des dommages directs et indirects sur la faune. Les impacts proviennent principalement de la perturbation, du déplacement et de la redistribution de la surface du sol. Certains impacts sont de court terme et sont limités au site de la mine, d’autres peuvent avoir des répercussions profondes et des effets de long terme. L’effet le plus direct sur la faune est la destruction ou le déplacement des espèces dans les zones d’excavation et d’accumulation des déchets miniers. Si les cours d’eau, les lacs, les étangs ou les marais sont drainés, les poissons, les invertébrés aquatiques et les amphibiens sont sévèrement touchés. L’approvisionnement en nourriture des prédateurs est réduit par la disparition de ces espèces terrestres et aquatiques. Le morcellement ou la fragmentation de l’habitat faunique entrave les routes migratoires naturelles et l’isolement peut conduire à un déclin des espèces locales. 6. Les activités minières présentent des impacts potentiels sur le bilan hydrique, le réseau hydrographique et la qualité des eaux. La perturbation du régime hydrologique et du fonctionnement des bassins versants est causée essentiellement par les activités minières suivantes : • le déboisement et le défrichement des terrains pour la mise en place des infrastructures minières (telle que la construction de routes d’accès, le forage exploratoire, l’enlèvement des morts-terrains ou la construction de parcs à résidus miniers) entraînent la perturbation des régimes hydrologiques. Il est estimé que l’extraction minière, jointe à la prospection du pétrole met en péril 38 % des dernières étendues de forêt primaire du monde. La modification de la topographie des terrains et la dénudation des sols influent sur les taux de ruissellement, d’infiltration et d’évapotranspiration de l’eau et accentuent les risques d’érosion hydrique et de décapage des sols ; • le drainage minier acide (DMA) et des contaminants de lixiviation est la plus importante source d’impacts sur la qualité de l’eau liés à l’extraction minière. Lorsque des matériaux minés (tels que les parois des mines à ciel ouvert et des mines souterraines, les résidus, les déchets rocheux et les matériaux lessivés déversés) sont excavés, exposés à l’eau et à l’oxygène, des acides peuvent se former si les minéraux sulfurés de fer (en particulier la pyrite, ou l’or des idiots) sont abondants et s’il y a une quantité insuffisante de matériaux neutralisants pour contrebalancer la formation d’acide. L’acide, à son tour, lessivera ou dissoudra les métaux et autres contaminants dans les matériaux minés et formera alors des lixiviats de pH aussi bas que 1 ou 2, à forte teneur en sulfate et riche en métaux lourds, comme le cadmium, le cuivre, le plomb, le zinc et l’arsenic. Le degré d’acidité et la présence de métaux toxiques, même en très petites quantités, ont un impact sur la vie aquatique qui peut aller de la mort immédiate des poissons à la léthargie, des impacts affectant la croissance, le comportement ou la capacité à se reproduire. Les métaux transportés dans l’eau, peuvent voyager loin, contaminant des cours d’eau et des eaux souterraines sur de grandes distances et pour de longues durées ;

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Exploitation minière performante et responsable • les prélèvements excessifs des eaux douces de surface pour les opérations de traitement des minerais et le détournement des cours d’eau naturels perturbent le régime hydrique notamment leur charge sédimentaire et leur débit ; • les déversements dans les cours d’eau de grandes quantités de terres issues du lavage ou du dépôt de mort-terrain peuvent également donner lieu à des obstructions partielles ou totales des chenaux d’écoulements (envasement, ensablement, delta artificiel) ; • le pompage d’eaux souterraines en vue de maintenir les galeries et les fosses à sec est responsable du rabattement de la nappe phréatique et le tarissement de certaines sources et résurgences d’eau utilisées comme eau de consommation par les populations locales. 7. Les plus importantes sources de pollution atmosphérique dans les opérations minières sont : • les sources mobiles : incluant les véhicules lourds utilisés dans les opérations d’excavation, les voitures qui transportent le personnel sur le site minier et les camions qui transportent les matériels miniers. Le niveau d’émissions de polluants provenant de ces sources dépend du carburant et de l’état de fonctionnement de l’équipement. Bien que les émissions individuelles puissent être relativement faibles, collectivement ces émissions peuvent constituer de réelles préoccupations. En outre, les sources mobiles sont une source importante de particules, de monoxyde de carbone et des composés organiques volatils qui contribuent considérablement à la formation d’ozone troposphérique dans des conditions propices (chaleur ensoleillement et absence de vent) ; • les sources fixes : les principales émissions gazeuses proviennent de combustion de carburants dans les installations de production électrique, des opérations de séchage, de grillage et de fusion. De nombreux producteurs de métaux précieux fondent le métal sur place avant de l’expédier vers les raffineries hors site. En général, l’or et l’argent sont produits dans les fours de fusion qui peuvent produire des niveaux élevés de mercure dans l’air, d’arsenic, de dioxyde de soufre et d’autres métaux. 8. Le changement climatique a une influence significative sur les perspectives de développement de l’Afrique, et laisse présager des défis socio-économiques et politiques énormes pour le continent. Pendant ce temps, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter plus rapidement que prévu, plus rapidement que les pires scénarios envisagés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport 2 de 2007 et par conséquent, le monde se réchauffe plus rapidement. 9. À côté de l’industrie minière, l’exploitation artisanale reste assez prépondérante en Afrique : l’exploitation artisanale est une réalité dans la plupart des pays miniers en Afrique subsaharienne. Au Burkina Faso, l’orpaillage (activité artisanale d’extraction d’or) mené sur plus de 200 sites procure des revenus à plus de 200 000 personnes vivant principalement en milieu rural. En Sierra Leone, le secteur minier informel ou « artisanal » du diamant emploi quelque 100 000 personnes dans le pays. Cette activité est fort heureusement souvent réglementée du point de vu législatif, mais l’application des législations est souvent laxiste, favorisant fortement la poursuite et le développement des exploitations minières informelles. Le travail d’inspection des exploitations artisanales est insuffisant de la part des autorités. Il n’existe en Afrique aucun cas de soutien fructueux de l’extraction artisanale. Cette activité occupe pourtant une frange importante de la population active. L’exploitation du diamant en Sierra Leone a généré jusqu’à 120 000 artisans miniers. Au Congo, le gouvernement estime le nombre d’artisans miniers à 700 000 personnes. En Angola, malgré l’expulsion récente de creuseurs illicites congolais, il pourrait y en rester encore 150 000. Cependant, les régions minières n’ont pas attiré que des jeunes hommes à la recherche de diamants. Elles ont aussi attiré des acheteurs sans scrupules, des blanchisseurs d’argent, des trafiquants d’armes et de drogue et des armées rebelles. Sans amélioration de la réglementation et du développement, ces menaces persistent. 10. L’industrie minière a le potentiel pour devenir un véritable levier de croissance économique et de lutte contre la pauvreté dans les pays africains : l’activité minière permet aux États africains de générer une masse substantielle de revenus, qui sont trop souvent mal réinvestis. En effet, grâce au revenu de la rente minière, il est possible de financer d’autres secteurs et de développer les infrastructures dans des pays qui en sont souvent dépourvus. La fiscalité représente pour les sociétés minières entre 40 et 60 % de leur investissement total. Ces investissements alimentent donc directement les caisses et le budget de fonctionnement de l’État. Bien réinvestis, ces fonds pourraient créer de la valeur. Le continent africain n’est pas sans atouts et n’est pas sans disposer de possibilités pour faire du secteur minier un véritable levier de croissance économique. Les projets miniers en Afrique

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Développement durable en Afrique sont jugés particulièrement rentables (entre 10 et 19 %), avec une qualité de minerai reconnu au plan mondial. D’autre part, à travers les projets miniers, les États peuvent développer des partenariats publics-privés et faire par exemple financer la construction d’infrastructures de transport (routes, rails) par les compagnies minières. À cela, s’ajoute le rôle moteur que les sociétés minières peuvent jouer dans les localités en contribuant à l’amélioration des conditions de vie des populations, à travers une participation plus active aux actions de développement, à la création d’emplois et de revenus. 11. Approche novatrice en ce qu’elle va au-delà de l’amélioration des régimes miniers nationaux pour déterminer comment l’exploitation minière peut contribuer véritablement au développement local, national et régional. À l’échelle locale, elle examine comment les travailleurs et les communautés peuvent tirer des bénéfices durables de l’exploitation minière tout en protégeant leur environnement. Au niveau national, elle étudie comment les pays peuvent mieux négocier les contrats avec les entreprises afin de générer des revenus équitables de l’extraction des ressources et soutenir l’approvisionnement local. Enfin, elle se penche sur l’intégration de l’exploitation minière aux politiques commerciales et industrielles régionales. 12. À la conférence ministérielle du Forum on China-Africa Cooperation (FOCAC) en 2009, la Chine a mobilisé 10 milliards de dollars américains sous forme de prêts préférentiels pour le développement d’infrastructures indispensables dans les pays africains. Le secteur financier est central dans la mise en application de ces engagements, car ce montant est acheminé vers les banques publiques chinoises et est ajouté aux autres investissements publics et privés dans des projets d’extraction. Ce sont des investissements à long terme qui influencent les opportunités de développement pour les générations futures. Un engagement pour la mise en œuvre des lignes directrices de prêt verts, délivrés par la commission chinoise de réglementation bancaire en février 2012 pour les investissements soutenus par la Chine en Afrique, permet de réduire de manière significative les risques financiers par la diminution des risques sociaux et environnementaux associés, tout en apportant des bénéfices à l’environnement et aux économies africaines. Sur la base de ces lignes directrices, les banques s’engageraient à adopter les meilleures pratiques internationales pour les projets à l’étranger, ainsi qu’à identifier, évaluer, surveiller, contrôler et atténuer de manière efficace les risques environnementaux et sociaux, et de divulguer les renseignements exigés par les lois et les règlements. 13. Pour améliorer l’impact économique et social du secteur minier en Afrique, le renforcement du cadre législatif et l’assainissement de la gouvernance constituent une priorité : la forte demande de produits miniers de ces dernières années a favorisé un rééquilibrage du pouvoir de négociation, entraînant de fait un mouvement de renégociation des contrats miniers (ralenti par la crise économique). Renégocier les contrats miniers, les rendre plus équitables, revoir la législation minière pour la rendre plus transparente et plus équilibrée sont les principaux défis pour les États africains dans les prochaines années. Le renforcement du cadre législatif permettra, entre autre, d’accroître les retombées pour les États et les populations. Il sera également possible d’atténuer l’impact environnemental et social tant décrié par les ONG. 14. Presque tous les jours, des annonces alimentent les titres des journaux sur de nouvelles découvertes de pétrole, de gaz naturel et des gisements de minéraux. Les dernières dépêches par exemple montrent que la Tanzanie et le Mozambique à eux seuls ont découvert environ 100 billions de m3 de gaz, presque assez pour satisfaire la demande mondiale pendant un an et avec la promesse de générer des milliards de dollars par an. 15. Les ressources minérales constituent des biens nationaux. La construction ou la consolidation de la gouvernance sectorielle et les investissements relèvent principalement d’actions au niveau des pays. 16. Activité transversale dont la réalisation relève des compétences des ministères en charge des plans. 17. La conformité aux lois nationales et aux conventions internationales, comme celles appartenant aux aires protégées, sont une évidence, mais là où la législation nationale est faible, les entreprises chinoises devraient se conformer au moins aux normes nationales chinoises. C’est dans l’intérêt de la Chine de fournir une assistance pour appuyer la durabilité de ces investissements, ainsi que promouvoir la Chine en tant qu’acteur international responsable. 18. Le secteur des ressources minérales ne concerne pas seulement de grandes entreprises et les

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Exploitation minière performante et responsable activités d’exportation. D’une part, un secteur local se développe généralement pour tous les matériaux liés à la construction. D’autre part, la sous-traitance et les services associés se développent dans le secteur minier, même si, souvent, en raison de la haute technicité requise, elle est le fait de compagnies internationales. Au travers de la gamme des instruments de financement qu’offre le groupe de l’Agence française de développement (AFD), la France peut soutenir le développement des entreprises locales dans le secteur minier et les services associés. 19. L’extraction légale peut elle-même mener à la surexploitation des ressources naturelles, de l’alimentation, des produits thérapeutiques, des écosystèmes marins et d’eau douce et causer une insécurité de l’approvisionnement et avoir des impacts négatifs. Le Forum on China-Africa Cooperation (FOCAC) offre l’opportunité de promouvoir un environnement dans lequel les investisseurs engagés dans le commerce de marchandises alimentaires et de fibres (par exemple le bois et le coton) depuis l’Afrique vers la Chine s’assurent que ces dernières sont recueillies et commercialisées de façon socialement et écologiquement responsable. Les mesures incitatives pour un commerce de marchandises certifiées et produites naturellement, conformes à des normes sociales, économiques et environnementales élevées, peuvent améliorer la responsabilité dans la fourniture, contribuer au développement des marchés de produits durables et enfin en faire bénéficier les communautés, les producteurs et les consommateurs. 20. En 2009, l’exploitation illégale aurait coûté aux gouvernements 7 milliards de pertes de recettes, l’équivalent du PIB du Zimbabwe. Pour la Tanzanie uniquement, les recettes fiscales perdues dues aux opérations d’exploitation de bois illégales en 2004 étaient estimés entre 24 et 58 millions de dollars américains. Ceci sans prendre en compte la perte de recettes des communautés et les dommages subis sur des bassins hydrologiques assurant des services critiques comme la rétention des sols, la filtration de l’eau et l’approvisionnement en eau pour boire, irriguer et fournir de l’hydroélectricité. Le poisson est également essentiel pour la subsistance locale, et le coût des opérations de pêche illégales pour les gouvernements en Afrique de l’Ouest a été estimé à 107 dollars américains depuis les années 1990. 21. La plupart des secteurs dont dépend le développement rural sont sensibles au climat, y compris l’agriculture, les ressources en eau et de l’énergie. Les modèles climatiques prédisent des impacts négatifs du changement climatique sur la production agricole et la sécurité alimentaire dans de nombreuses régions d’Afrique. 22. La formation des cadres africains est une nécessité de court terme pour des autorités nationales (enseignants, administratifs) et des entreprises confrontées à un développement rapide. L’action de coopération doit prendre en compte cette exigence immédiate et l’accompagner dans la durée. Comme dans tous les domaines techniques ou scientifiques, l’établissement de liens stables entre les institutions de formation africaines et les centres internationaux de référence est à la fois un moyen pour le renforcement des curricula actuels et un objectif à part entière de l’action de coopération. L’internationalisation de la recherche et de la formation est indispensable, notamment lorsque des technologies de pointe en évolution rapide sont mobilisées. De même, la coopération régionale apparaît nécessaire pour deux raisons de portée générale : une politique régionale de formation, par la spécialisation des cursus entre les établissements permet des économies d’échelle. 23. En raison de la taille de la population universitaire de chaque pays, l’ouverture régionale des filières offertes par les établissements nationaux et leur spécialisation avec un objectif de complémentarité régionale doit être encouragée. Cette politique d’appui aux centres d’excellence est déjà mise en œuvre par certains pays, y compris pour les filières des sciences de la terre à travers son appui à l’Institute of Petroleum Studies de Port Harcourt (avec Total et l’IFP) ou à l’EMIGde Niamey (avec AREVA). Des alliances universitaires régionales pour les ressources minérales en Afrique pourraient être établies. Dans le cadre de tels réseaux, des centres spécialisés reconnus et à vocation régionale peuvent être identifiés sur la base de leurs capacités actuelles et des secteurs d’activité de proximité, de manière à créer des liens avec les entreprises, à l’instar de l’institut spécialisé de l’eau et de l’environnement (I2E) de Ouagadougou. Par exemple, les filières de formation en géosciences du domaine pétrolier pourraient être situées dans des pays comme l’Angola et le Nigeria, les formations en géosciences du domaine minier plutôt dans les pays de l’ouest africain (Niger, Guinée, Mali), les filières traitant de l’environnement ou du droit des mines dans des pays disposant de pôles de compétences dans ces domaines. La mise en place d’un tel réseau, au niveau de l’Afrique de l’Ouest et du Centre devrait être élaborée par les établissements spécialisés en profitant, notamment, des évolu-

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Développement durable en Afrique tions de l’enseignement supérieur sur le continent (cursus licence, maîtrise, doctorat - LMD, ouverture de l’enseignement supérieur au secteur privé). 24. L’initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), initiée en 2002, vise à accroître la transparence dans les flux de revenus générés par l’exploitation des ressources minérales. Elle encourage en particulier à la publication par les entreprises de ce qu’elles versent aux pays, qui en retour déclarent ce qu’ils perçoivent. Un audit permet une réconciliation des déclarations de chacun. En février 2008, 27 pays ont adhéré à l’initiative. Vingt-deux pays ont le statut de candidats, dont 15 en Afrique subsaharienne. 25. Le processus de Kimberley engagé pour lutter contre le commerce illicite des diamants bruts qui alimentait les guerres civiles en Afrique centrale et occidentale est de l’avis général un succès : 44 pays producteurs couvrant l’essentiel du commerce de ces pierres en sont devenus membres. Depuis, les conflits financés par le commerce illicite de ces diamants se sont éteints. C’est l’exemple le plus abouti en matière de certification de ressources naturelles. Au-delà des aspects administratifs relatifs à la certification des pierres en circulation, le processus de Kimberley nécessite des actions à la source. En Afrique, la première source de diamants illicites est l’exploitation artisanale qui peut représenter la totalité de la production nationale (Guinée, RCA, Sierra Leone, Libéria) ou une fraction importante de celle-ci (RDC, Angola). Toute initiative d’encadrement et de développement durable du secteur artisanal améliorera les possibilités de contrôle des filières de production et d’échanges transfrontaliers de diamants.

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Recherche scientifi fiq que et formation professionnelle : enjeux et défi fiss pour le développement durable de l’Afrique subsaharienne Prof. Bassirou Bonfoh Directeur général

Gilbert Fokou Chercheur Centre suisse de recherche scientifique en Côte d’Ivoire

Contexte de la recherche scientifique et formation professionnelle en Afrique Dans un traité philosophique de 1637, René Descartes invitait les hommes à se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », par le progrès des arts et des techniques. Ainsi, l’ambition de la science depuis plusieurs siècles est de développer des savoirs et savoir-faire permettant de conquérir le monde et de l’apprivoiser. Si ce recentrement de la pensée scientifique a posé les bases intellectuelles de la révolution industrielle en Europe, le processus a été plus diffus en Afrique. En effet, mis à par t quelques centres de pensée de l’époque médiévale, c’est avec la colonisation que l’Afrique apprend à développer les arts modernes, en somme, l’apprentissage pour « lier le bois au bois, l’art de convaincre sans avoir raison ». À cette époque, la science et les techniques coloniales, essentiellement d’inspiration exogène, s‘organisent selon trois directions : l’inventaire (connaissance des milieux), la recherche spécialisée (exploitation des ressources) et la recherche à fonction de « service » (alimentation et santé). C’était donc une science transférée selon le critère de nécessité, d’utilité et de résolution des problèmes (Balandier, 1996). Avec un potentiel académico scientifique endogène extrêmement faible en 1960, l’Afrique a connu une phase de croissance institutionnelle remarquable (instituts de recherche et universités) au cours des années 1970 et 1980 accompagnée d’une explosion de la population universitaire et d’une croissance forte du nombre des chercheurs. Les efforts des États ont été soutenus par des

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appuis internationaux sous la forme de bourses de formation à la recherche, bourses de recherche pour les individus ou les institutions, soutiens à la création et à la maintenance institutionnelle, mise en place et renforcement des coopérations Nord/Sud pour la recherche (Gaillard et Waast, 1988 ; Gaillard, 2002). De nombreux chercheurs africains, dont la réputation internationale est relativement bien établie, se sont progressivement affirmés. Dans ce mouvement, de nouveaux champs de recherche et de formation ont émergé, tandis que d’autres ont été abandonnés sous l’effet des ajustements structurels de la décennie 1980. Sans être complètement négligés, les domaines de recherche telles que l’agriculture ou la santé, assez prégnants pendant la période coloniale, ont été progressivement rattrapés voire supplantés par d’autres domaines. La science et la formation professionnelle sont appelées à épouser l’air du temps, à changer de paradigme et à s’adapter à l’évolution du monde. Ainsi, dans un contexte de mondialisation néolibérale, les sociétés sont en mutation et donnent un sens nouveau aux investigations scientifiques. L’on parle de plus en plus de changements dans les relations interculturelles à l’échelle mondiale, de changements climatiques, de développement ver tigineux des villes, de révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC), de l’émergence de la société du savoir, d’évolution des relations de genre et des relations intergénérationnelles, d’évolution des spiritualités et celle du statut et de la place de la religion dans les sociétés modernes, d’émergence d’un monde multipolaire et du phénomène des pays émergents du Sud. Ainsi, les questions de recherche sont davantage centrées sur la conservation de la biodiversité, le développement raisonné de la biotechnologie, la protection et l’utilisation des connaissances africaines traditionnelles, le développement de ressources hydrauliques et énergétiques durables, la lutte contre la sécheresse et la désertification et la création d’entreprises capables de fabriquer et d’adapter des technologies pour répondre aux nouvelles demandes et préoccupations. Toutefois, les résultats des recherches en Afrique ne répondent que partiellement aux exigences du développement et ne sont guère à la mesure de l’angoisse que ressentent les États d’une marginalisation croissante au sein du système économique mondial. L’accumulation des ressources humaines et financières semble ne pas suffire pour la production des sciences et techniques au service du développement (Gaillard et Waast, 1988). Avec une contribution d’environ 2,3 % au produit intérieur brut au niveau mondial, l’Afrique subsaharienne consacre difficilement 0,4 % de son PIB à la recherche-développement. Avec une population estimée à 13,4 % des habitants de la terre, le continent africain ne fournit que 1,1 % des chercheurs scientifiques de la planète. Il compte environ un scientifique ou un ingénieur pour 10 000 habitants, alors que les pays industrialisés en comptent de 20 à 50 (Mutume, 2007), un bon indicateur du niveau économique. Dans le rapport de la Banque mondiale consacré à la recherche en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques en Afrique subsaharienne, il ressort

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qu’entre 2003 et 2012, la production de travaux de recherche dans le domaine des sciences, et technologie de l’ingénierie et mathématiques (STIM) émanant de chercheurs africains a plus que doublé. La majorité des travaux de recherche porte sur les domaines de l’agriculture et des sciences de la santé, le continent devant faire face à de terribles maladies telles que le VIH/SIDA, le paludisme, la tuberculose et plus récemment l’épidémie à virus hémorragique Ebola. Néanmoins, les sciences et technologies de l’ingénierie et mathématiques (STIM) sont les grandes absentes de cette équation, puisqu’elles ne représentent que 29 % des recherches scientifiques en Afrique subsaharienne. Cela ne serait pas de nature à encourager le développement des secteurs de l’énergie, des transports, des industries légères et extractives dans de nombreux pays. Or, il s’agit de secteurs clés susceptibles de transformer les économies africaines et de contribuer à la lutte contre la pauvreté (World Bank, 2014). En fait, ces performances de l’Afrique seraient encore inférieures à celles des pays comme la Malaisie ou le Vietnam qui ont des niveaux de financement comparables. Audelà des questions liées à la disponibilité des appareils de recherche et des ressources humaines et financières, de l’évaluation des indices de production, de visibilité et d’utilité, l’on pourrait s’interroger sur les facteurs institutionnels et organisationnels de la recherche scientifique et de la formation professionnelle en Afrique pour un développement durable. Ce rappel sur l’évolution de la recherche et la technique en Afrique nous donne à constater avec Balandier (1996) que le couple conceptuel science et développement peut se décliner en Afrique sous deux formulations différentes : sciences du développement (au pluriel) et science (au singulier) dans les pays en voie de développement. La première se rappor te à des complexes de connaissances qui contribuent à mieux appréhender les phénomènes accomplissant le développement, et qui peuvent aider à la solution des problèmes naissant de celui-ci. II s’agit de définir scientifiquement des moyens d’action appropriés. La seconde se rapporte à la production de connaissances, à leur accroissement qui multiplie les possibles, les possibilités d’intervention dans tous les domaines constitutifs du réel, naturel et humain (Balandier, 1996). Malgré le retard que l’Afrique accuse par rapport à d’autres régions, son économie est en pleine expansion et soutenue par la disponibilité de réservoirs importants de ressources naturelles. C’est aussi le continent ayant une croissance démographique élevée avec une population constituée à plus de 50 % de jeunes de moins de 25 ans, garantissant, si mieux formés, une main-d’œuvre de qualité pour le développement. Toutefois, pour que le continent bénéficie pleinement de cet atout ou dividende démographique, il faut que les jeunes soient formés pour contribuer au développement d’une agriculture de dernière génération respectueuse de l’environnement, participer aux avancés de la médecine, mais aussi aux besoins du marché des TIC. La question est de savoir comment développer les arts et la technique pour répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Autrement dit, quels types de développement les systèmes africains d’enseignement, de recherche et de formation professionnelle entreprennent-ils afin d’être

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capables de préparer l’Afrique à relever les défis auxquels elle devrait faire face dans les prochaines décennies ?

Les opportunités de la recherche scientifique et de la formation professionnelle pour le développement durable de l’Afrique subsaharienne De nos jours, l’environnement de la recherche et la formation professionnelle en Afrique offrent de nombreuses opportunités pour le développement durable. Déjà, des modules d’enseignement et de formation pour l’éducation au développement durable, la responsabilité sociétale des entreprises, etc. sont enseignés dans des universités et grandes écoles. Les structures, les contenus et les contextes d’enseignement offrent de nombreuses possibilités pour une plus grande contribution à la pérennisation des ressources pour le développement. Ces oppor tunités sont nombreuses mais nous nous attarderons ici sur la réforme des enseignements, les révisions des catégories organisationnelles de la connaissance scientifique et la gouvernance de la recherche. La réforme de l’enseignement supérieur L’enseignement supérieur joue un rôle incontournable dans le développement des nations. Il contribue, dans une large mesure, à l’intégration sociale des jeunes et des minorités. Par essence, l’enseignement supérieur est le lieu du savoir où se développent la recherche et la production de connaissances (UNESCO, 2005a). En Afrique, l’enseignement est à la croisée des chemins du fait de la mondialisation et de son faible rendement, tant interne qu’externe. Les pays africains ne peuvent pas rester en marge du phénomène d’internationalisation du système d’enseignement supérieur, caractérisé par l’harmonisation progressive des offres de formations, des diplômes et des cycles d’études. Ainsi, à l’effet de professionnaliser davantage l’enseignement dispensé dans les universités et les écoles de formation, les États africains ont revisité les programmes et méthodes d’enseignement pour les arrimer au système licence-master-doctorat (LMD). Ils se sont ainsi inscrits au processus de Bologne impliquant une refondation globale et profonde de tous les secteurs de l’enseignement supérieur. Les objectifs fondamentaux visés par le système d’enseignement LMD sont pour l’essentiel de répondre aux besoins de qualification supérieure, à l’amélioration de l’efficacité interne des niveaux de la formation, à la maîtrise de l’offre de formation et au développement de la formation tout au long de la vie. Il a également pour rôle d’amplifier le processus de professionnalisation des formations supérieures, d’accroître l’attractivité de l’offre de formation, de crédibiliser la qualité des prestations et d’asseoir l’autonomie et la responsabilité des institutions d’enseignement supérieur. Il s’agit clairement pour les pays africains de revoir les contenus des programmes afin qu’ils aient une orientation « professionnalisante » pour préparer les jeunes aux métiers en rapport avec des domaines précis.

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Si c’est vers la fin années 2000 que la majorité des pays d’Afrique francophone a emprunté le train du système LMD, l’idée de la convergence des systèmes d’enseignement pour le développement de l’Afrique n’est pas neuve. Déjà, en 1981, la convention d’Arusha demandait aux États africains d’harmoniser leurs systèmes d’enseignement supérieur. Les pays africains ont senti la nécessité de créer des ensembles économiques et politiques plus viables pouvant conduire à la création de systèmes d’enseignement supérieur intégrés plus performants dont la finalité est : I) l’employabilité des jeunes en vue de leur compétitivité sur le marché de l’emploi ; II) la réduction du taux de chômage ; III) une forte contribution au développement durable des pays. La Décennie des Nations Unies pour l’éducation en vue du développement durable (2005-2014) a contribué, sous les auspices de l’UNESCO, à cette réorientation stratégique en encourageant les pays à réétudier leur système éducatif dans l’optique d’un développement durable axé sur les trois éléments clés que sont la société, l’environnement et l’économie, avec la culture comme élément sous-jacent. L’enseignement du développement durable signifie l’éducation durable et permanente visant l’acquisition de valeurs, de connaissances et de compétences qui aident les individus à trouver des solutions aux problèmes aussi bien environnementaux que socio-économiques qui affectent leurs conditions de vie (UNESCO, 2005b). Le décloisonnement disciplinaire de la promotion de la transdisciplinarité Dans la société contemporaine dynamique et complexe, la production et la diffusion des savoirs scientifiques connaissent une accélération particulièrement marquée. Les savoirs s’entrecroisent en dépassant les frontières entre les disciplines que ce doit des sciences humaines et sociales ou des sciences naturelles, de la vie et des technologies. La recherche scientifique contemporaine ne peut plus se départir des concepts de pluridisciplinarité, d’interdisciplinarité et de transdisciplinarité qui sont des catégories organisationnelles de la connaissance scientifique se nourrissant de la complémentarité intrinsèque à plusieurs disciplines. Pour résoudre les problèmes complexes du monde, il faut ouvrir les disciplines et décloisonner les secteurs car « le monde a des problèmes et les universités ont des départements ». Il impor te désormais de mobiliser les compétences disciplinaires pour les fédérer et les intégrer dans un processus d’échange et de dialogue co-constructifs, afin de comprendre, d’analyser et de résoudre les problèmes complexes de notre temps. De nouvelles approches de recherche tentent de décrypter comment des concepts, des théories ou des méthodes, s’échangent, s’empruntent, se transfèrent et se transforment dans le passage d’une discipline à l’autre. Comment une analyse qui se situe au-delà des points de vue disciplinaires contribue-t-elle à une plus-value créative dans la production de connaissances nouvelles.

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Malgré les pesanteurs de nos universités, les programmes de recherche en Afrique sont heureusement de plus en plus inter et transdisciplinaires. Comme le reconnaît Bouvier (2004), en intégrant les concepts de disciplines voisines, l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité favorisent l’inventivité scientifique. Ils contribuent à explorer de nouveaux domaines scientifiques et techniques et à trouver des solutions à de nombreuses questions que se posent les peuples africains pour leur développement. Une parfaite illustration de cette dynamique est dans les collaborations disciplinaires dans le domaine de l’environnement de la santé à travers les approches Écosanté et One Health (Zinsstag et al, 2009 ; Charron, 2012 ; Bonfoh et al, 2014) qui sont maintenant bien ancrées dans les réflexions des chercheurs et des politiques. Ces approches, qui postulent que la santé de l’humain est très étroitement liée à la santé de l’écosystème (animalenvironnement), mettent en évidence la collaboration entre plusieurs disciplines des sciences naturelles, biomédicales et sociales, mais aussi et surtout l’implication des communautés locales et des décideurs politiques à travers leurs savoirs et vécus. Des initiatives telles que le réseau pour l’environnement et le développement durable en Afrique (REDDA), la communauté de pratique Écosanté de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (COPES-AOC), le consortium Afrique One (www.afriqueone.net) pour ne citer que ces quelques exemples montrent qu’au-delà des efforts des États, il existe déjà des réseaux d’universités, d’institutions de formation supérieure et de recherche, d’enseignants et de chercheurs, mais aussi des organisations de praticiens, qui s’investissent dans la formation, la recherche et l’assistance conseil en approche écosystémique et santé humaine. (Encadré page ci-contre.) Une gouvernance de la recherche qui se perfectionne Un autre enjeu de la recherche et de la formation professionnelle pour le développement concerne la gouvernance de la recherche en Afrique. Depuis quelques décennies et surtout après le plan d’action de Lagos, adopté par les dirigeants africains en 1980 et qui demandait aux pays du continent de consacrer 1 % au moins de leur produit intérieur brut à la recherche et au développement, la gouvernance de la recherche a pris une nouvelle dimension. Lors du sommet de l’Union africaine, de janvier 2007, les dirigeants africains ont réitéré leur engagement à consacrer davantage de ressources au développement de la science et de la technologie. Ce domaine vital pour le développement économique a pourtant longuement été négligé et mal financé dans de nombreux pays. Ces décisions ont valorisé les efforts des initiatives telles que celle du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) qui avait pour objet de développer un système africain de recherche et d’innovation technologiques afin de soutenir les programmes dans des domaines comme l’agriculture, l’environnement, les infrastructures, l’industrie et l’éducation. La plupart des pays africains n’ont toujours pas traduit leurs engagements politiques en programmes susceptibles d’impulser le développement par la science, mais des lueurs d’espoir existent. Les responsables politiques et les industries africaines commencent à comprendre la nécessité d’investir sur les

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ressources humaines locales pour la promotion du développement. Non seulement la question du développement de la science et de la technologie est régulièrement inscrite aux agendas des rencontres aux sommets des chefs d’États, mais les curricula d’enseignement et de recherche sont de plus en plus adaptés aux domaines de pointe. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), dans des pays comme l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Kenya ou le Zimbabwe, qui possèdent déjà une base scientifique et technologique relativement développée, il serait possible, avec un investissement supplémentaire relativement réduit, de mettre sur pied des établissements technologiques et scientifiques de haut niveau qui profiteraient à l’ensemble de la région africaine. Par ailleurs, plusieurs pays d’Afrique subsaharienne (l’Afrique du Sud, le Cameroun, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, Madagascar, le Nigeria, l’Ouganda, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Zimbabwe, etc.) ont déjà une Académie des sciences autour de l’Académie africaine des sciences. Cela constitue un socle sur lequel peuvent se développer la science et les technologies nouvelles pour le développement de l’Afrique. Le rôle de ces académies serait de partager de manière transparente et intègre la science avec le public

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dans un processus de prise de décision, libre de toute attache politique, financière ou religieuse. Au-delà des aspects purement organisationnels, de nombreux consortiums de chercheurs africains sont de plus en plus éligibles aux fonds compétitifs internationaux (Wellcome Trust, Bill et Melinda Gates, Union européenne, Fonds national suisse, NIH, etc.) qui sont les bases d’un renforcement des capacités de jeunes chercheurs et d’une amélioration des infrastructures (équipement des laboratoires ou des bibliothèques) pour une recherche de pointe et une bonne gouvernance de la recherche (ex. Afrique One financé par Wellcome Trust). Par ailleurs, des systèmes financiers nationaux comme COSTECH (Tanzanian Commission of Science and Technology) en Tanzanie, le FONRID (Fonds national de la recherche scientifique et de l’innovation pour le développement) au Burkina Faso ou le PASRES (programme d’appui stratégique à la recherche scientifique en Côte d’Ivoire), commencent à fleurir à travers l’Afrique.

Les défis de la recherche scientifique et de la formation professionnelle en Afrique De nombreux défis s’imposent encore à l’enseignement et la recherche africaine pour contribuer au développement durable. Des efforts ont été faits dans la gouvernance de la recherche mais elle reste à parfaire. Par ailleurs, l’enseignement et la recherche doivent encore s’adapter aux conditions sociales, économiques et environnementales des contextes de leur production tout en évitant l’enfermement dans un centrisme déformé et déformant.

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Une gouvernance de la recherche encore à parfaire Malgré l’embellie que font espérer l’intérêt croissant des politiques et des industries pour la recherche et la formation professionnelle en Afrique, les défis de la gouvernance de la recherche restent nombreux. Parmi les plus sérieux obstacles, on compte la diminution continue de leur financement, la fuite des cerveaux (le départ des personnels qualifiés pour d’autres pays), et le manque de femmes suivant une carrière scientifique. Par ailleurs, les résultats des recherches menées sont rarement valorisés. Dans l’enseignement, les universités n’ont pas encore réussi à relever les défis posés par la forte augmentation du nombre des étudiants et à réagir efficacement aux politiques qui ont dégradé les responsabilités de l’enseignement supérieur en matière de recherche. Malgré les effor ts des pouvoirs publics, les infrastructures, les équipements et les conditions de travail dans de nombreuses institutions ne se sont pas améliorés, bien au contraire. Par ailleurs, les fonds publics ne servent pour la plupart du temps qu’à payer les salaires dévalorisés des enseignants-chercheurs. Les ajustements structurels des années 1980 ont considérablement réduit l’appui à l’enseignement supérieur, ont entrainé sa privatisation partielle et le délaissement de la recherche scientifique. Les primes de recherches demeurent insignifiantes pour permettre une recherche de qualité. Il faut ajouter à cela la lourdeur des procédures administratives qui découragent plusieurs partenaires et bailleurs de fonds internationaux. Les instituts de recherche (ex. recherche agronomique, populations et développement), qui s’étaient habitués à bénéficier d’un financement fiable et régulier, ont eu du mal à s’adapter à un environnement où la concurrence pour obtenir des fonds les contraint à aligner leurs priorités sur les attentes et les objectifs des donateurs. La collaboration limitée entre les secteurs publics et privés pour le financement de la recherche accentue le retard et la dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Les chercheurs africains, dont la compétence internationale ne souffre plus de contestation, aspirent eux aussi à œuvrer dans plusieurs domaines à fort enjeu technologique (biotechnologies, nouveaux matériaux, technologies de l’information, etc.). Cependant, les difficultés à réformer les institutions scientifiques et mobiliser les fonds locaux neutralisent les efforts d’anticipation sur les questions émergentes (ex. épidémie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest). La motivation des chercheurs reste une épineuse question pour la promotion de la science et de la technologie. Les grèves récurrentes des enseignants et chercheurs dans les universités et centres de recherche montrent à suffisance que les conditions de travail restent à parfaire. De nombreux universitaires éminents se sont expatriés ou ont diversifié leurs activités. Ils ont intégré le marché international du travail scientifique, dans les pays industrialisés où les rémunérations sont plus élevées (Barro, 2010).

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Les défis liés à l’évolution sociale, politique, économique et environnementale en Afrique L’évolution de la science et de la technologie en Afrique est influencée par des phénomènes globaux tels que la mondialisation néolibérale, les changements dans les relations interculturelles à l’échelle mondiale, les changements climatiques, la révolution des TIC, l’évolution des relations de genre et intergénérationnelles, l’évolution des spiritualités, et le radicalisme, l’émergence du Sud. Ces questions et bien d’autres donnent une orientation décisive à la recherche actuelle en Afrique qui doit non seulement contribuer – encore – à assurer l’autosuffisance alimentaire et le bien-être des populations, mais en même temps participer aux secteurs des technologies de pointe tout en étant sensible aux questions environnementales. Plusieurs exemples illustrent la nécessité d’une recherche africaine nouvelle. L’histoire récente a permis de constater l’importance des nouvelles technologies dans le développement social, économique et politique du continent. Le téléphone portable est devenu un canal pour le commerce sur de longues distances. L’internet et notamment les médias sociaux jouent un rôle crucial dans les mouvements politiques et sociaux (ex. printemps arabe en Tunisie ou les derniers remous sociopolitiques au Burkina Faso). Le recours aux OGM présentés comme antidote à l’insécurité l’alimentaire ou comme l’aliénation des terres à grande échelle au profit d’entreprises multinationales produisant des cultures vivrières ou des biocarburants soulève d’importantes questions politiques, sanitaires et éthiques, rendant la question agraire encore plus complexe. La recherche et la formation en Afrique doivent se transformer dans leur contenu sous l’effet des changements qui interviennent dans la nature et dans les sociétés. Loin d’être neutres, la science et la technologie sont devenues des leviers clés, qui interviennent dans les systèmes productifs, le commerce, ainsi que dans la formulation des réponses aux changements climatiques. En clair, les modules d’enseignement et de formation doivent être promis au service des hommes et de l’environnement. Il y a non seulement la nécessité d’apporter des réponses aux questions et besoins qui s’imposent à l’Afrique dans un monde en profondes mutations. L’afro-radicalisme déformé ou la négation du développement L’autre défi majeur de la recherche et de la formation professionnelle en Afrique est de se défaire d’un afro-radicalisme et de toutes les formes d’intégrismes qui conduisent à l’immobilisme intellectuel. L’Afrique connaît la montée des nationalismes et l’affirmation de la diversité de ses identités culturelles avec pour conséquence la naissance du paradigme d’afrocentricité. Cette pensée afrocentriste s’exprime encore de manière forte dans ce qu’il convient d’appeler l’afroradicalisme qui veut faire porter la responsabilité de tous les maux de l’Afrique à l’Occident. Les tenants de cette façon de penser proposent de bâtir l’identité africaine uniquement par opposition à l’Occident (Mbembe, 2000). Le sous-

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développement de l’Afrique s’expliquerait surtout par le pillage dont a été l’objet le continent et la domination politique et économique dont elle est l’objet de la part des puissances étrangères. La forme contemporaine de l’afro-radicalisme s’exprime à travers les intégrismes religieux qui, dans de nombreuses régions d’Afrique, appellent au recentrement de la pensée et de la vie sociale autour d’une certaine foi ou idéologie. L’exemple le plus parlant s’exprime à travers le mouvement insurrectionnel Boko Haram qui sévit en Afrique de l’Ouest et du Centre et qui rejette fondamentalement l’éducation occidentale. L’idéologie du Boko Haram a beaucoup évolué et la guerre que ce groupe mène n’est pas aussi « sainte » qu’elle parait (Smith, 2015). Cependant, cette conception des choses et bien d’autres qui existent à travers l’Afrique entrent dans ce qu’il convient d’appeler de l’afro-radicalisme « déformé ». Déformé parce que les valeurs sur lesquelles il se fonde prescrivent le rejet de l’école, ce qui constitue une sérieuse entrave au développement durable de l’Afrique, qui passe par l’investissement dans les ressources humaines.

Conclusion Les enjeux et défis de la recherche scientifique et de la formation professionnelle sont fondamentaux pour le développement durable de l’Afrique subsaharienne. À cet égard il est essentiel de mieux coordonner et de renforcer les initiatives, stratégies et politiques d’enseignement et de recherche pour l’Afrique. Autrement dit, il convient de développer les ar ts et les techniques pour répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à faire face aux leurs. Il est aussi essentiel d’investir dans le capital humain afin de garantir l’accès équitable aux moyens d’existence tout en préservant les équilibres écologiques. Les décideurs des pays africains devraient mieux investir dans leurs systèmes nationaux de formation supérieure et de recherche et y consacrer les ressources nécessaires. Une capacité nationale de recherche renouvelée ne pourra se développer d’une façon durable en Afrique que si elle est soutenue par une volonté politique nationale se traduisant par des investissements propres adéquats sur la durée. Dans une économie fondée sur le savoir, l’enseignement supérieur peut aider les économies à rattraper d’autres sociétés plus avancées technologiquement et à promouvoir des modèles de développement plus inclusifs, mieux équilibrés et conformes au développement humain durable.

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Les enjeux et les opportunités de la mobilisation des NTIC pour le développement durable de la Côte d’Ivoire Bruno Koné Ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication de la Côte d’Ivoire

Introduction Dès les années 1960, l’idée d’un modèle de développement qui associerait croissance économique et préservation de l’environnement a commencé à germer dans l’esprit de nombreux spécialistes qui se sont penchés sur le concept de la perpétuelle croissance sur une planète aux ressources finies et non renouvelables. La formalisation de ce modèle est inter venue en 1987 par le rappor t Brundtland qui inscrit le développement durable à l’intersection des sphères environnementales, sociales, voire sociétales et économiques. Le développement durable, défini comme « un développement susceptible de satisfaire les besoins de la génération actuelle sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs », induit un changement de paradigme. Ainsi, le développement durable conditionne l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) qui, en tant que technologies de transformation à impact transversal, permettent d’accompagner les projets de développement durable par la mise en œuvre des systèmes de gestion et d’adaptation appropriés. La commission « large bande » de l’Union internationale des télécommunications (UIT), dans son rapport dénommé Solutions transformatrices pour 2015 et au-delà, montre, d’une part, comment le « large bande » et les TIC participent à changer positivement le monde et, d’autre part, présente les principales opportunités pour la transformation et l’amélioration des conditions de vie des populations à travers dix défis TIC pour le développement durable :

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• réduire l’extrême pauvreté et la famine ; • atteindre le développement durable au sein des frontières planétaires ; • assurer l’éducation pour tous ; • par venir à l’égalité des sexes, à l’inclusion sociale et aux droits de l’homme pour tous ; • assurer la santé et le bien-être à tout âge ; • améliorer les systèmes agricoles et augmenter la prospérité rurale ; • instaurer les villes inclusives et productives ; • lutter contre le changement climatique et garantir une énergie propre pour tous ; • assurer la protection de la biodiversité, une bonne gestion de l’eau et des ressources naturelles ; • transformer la gouvernance pour le développement durable. Les TIC répondent à chacun de ces défis via des solutions innovantes qui soutiennent la transition écologique. À titre d’exemples, citons deux évolutions majeures : • le monitoring environnemental via le satellite ; • le passage à une économie à faible émission de carbone grâce aux services dématérialisés. En somme, les TIC peuvent jouer un rôle déterminant dans l’élaboration de systèmes d’aide à la décision environnementale ainsi que dans la possibilité qu’elles offrent aux différents acteurs de moduler leur comportement en fonction d’une gestion et d’une utilisation durable des ressources naturelles. Toutefois, bien que pouvant favoriser l’adoption de comportements plus respectueux de l’environnement dans l’économie, il n’en demeure pas moins que les TIC sont à l’origine de la mise sur le marché de nombreux produits dont les conséquences négatives liées à leur production, à leur usage et à leur cycle de vie ne sont pas à négliger.

L’empreinte environnementale et la RSE des TIC Les TIC sont impliqués dans tous les secteurs de développement des sociétés humaines actuelles. Ce faisant, la demande croissante en TIC s’accompagne nécessairement par une plus grande utilisation de ressources naturelles. Ainsi, deux défis majeurs propres aux TIC sont à relever pour un développement durable : d’une part, la part croissante de l’électricité consommée par elles doit être maîtrisée, d’autre part, la pénurie en ressources naturelles pour assurer leur production doit être évitée. Il y va de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) de TIC, qui fait partie de la plupart des législations environnementales, donc des obligations des entreprises, pour la réalisation du développement durable.

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Les autoroutes de l’information s’appuient sur des infrastructures qui doivent être entretenues et alimentées en matériaux et en énergie (fibres optiques, câbles, émetteurs Wi-Fi, antennes-relais, data centers…). En outre, ces autoroutes sont très « fréquentées ». Deux raisons justifient en grande partie cette situation : • les innovations technologiques qui permettent d’offrir aux populations des services de plus en plus essentiels à l’amélioration de leur vie ; • les stratégies d’obsolescence programmées de nombreux équipementiers et opérateurs technologiques, qui augmentent les gaspillages et génèrent des usages peu responsabilisants. Citons, quelques chiffres pour illustrer cet état des lieux : • 1,5 milliard de personnes en ligne dans le monde entier, dont près de 10 % en Afrique ; • les infrastructures de télécommunication seules (les équipements réseaux) seraient responsables de 37 % des émissions de CO2 des TIC ; • l’empreinte énergétique du net est en croissance de plus de 10 % chaque année ; • Internet pèserait près de 300 millions de tonnes de CO2 par an ; • 20 à 50 millions de tonnes d’e-déchets générés à travers le monde et près de 2 milliards de PC utilisés à travers le monde. Comment promouvoir une croissance dématérialisée, inclusive et durable tout en réduisant l’empreinte carbone générée par l’usage des technologies ? Tel est le défi auquel doit faire face le monde, et par ticulièrement l’Afrique de l’Ouest dont les pays se sont résolument tournés vers l’émergence à l’horizon 2020-2030.

La politique de la CEDEAO en matière de TIC et les enjeux du développement durable Les TIC induisent actuellement des changements dynamiques des sociétés humaines, en y influençant tous les aspects de la vie. Le continent africain qui n’échappe pas à ces changements a pris conscience du fait que son développement durable passe nécessairement par la réduction de la fracture scientifique et numérique. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a affirmé la nécessité de mettre sur pied une stratégie régionale sur les TIC, afin de relever le défi de la fracture numérique et réaliser une croissance et un développement durable de sa région. Pour cela, plusieurs rencontres sous-régionales d’exper ts ont permis l’élaboration de documents de stratégie de mise en œuvre des projets prioritaires concernant les TIC dans l’espace CEDEAO,

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depuis 2010 (Yamoussoukro, Côte d’Ivoire). Ainsi, ont été élaborés les plans stratégiques des TIC de la CEDEAO de 2011-2015 et, plus récemment, celui de 2016-2020 examiné à la dernière réunion des experts tenue à Abuja au Nigeria, les 27 et 26 juillet 2015. D’une manière générale on note que les 15 États membres de CEDEAO, avec une superficie de 6,1 millions de km2 et une population de 280 millions, connaissent une croissance économique de plus de 7 % et une pénétration internet d’environ 21 %. La stratégie TIC de la CEDEAO vise deux principaux objectifs : • la mise en place d’un marché commun libéralisé des télécommunications en Afrique de l’Ouest qui facilite le déploiement de services de communication innovants, fiables, sécurisés et abordables pour les citoyens de la Communauté ; • l’utilisation des TIC comme outil pour la réalisation de la Vision 2020 des peuples de la CEDEAO, en particulier pour faciliter, entre autres, le développement du commerce, la libre circulation des personnes, des biens et des services. Comme action allant dans l’atteinte de ces objectifs, la CEDEAO a ainsi fixé un cadre réglementaire pour le développement du commerce électronique (ecommerce), décliné en cinq principaux points : • sensibiliser les États de la CEDEAO aux défis liés au développement de la société de l’information ; • mettre en place un cadre juridique harmonisé au niveau régional des TIC ; • tirer profit des TIC, notamment du commerce électronique pour la croissance économique des pays ; • créer un marché favorable aux échanges commerciaux y compris le ecommerce ; • créer un environnement favorable au niveau régional et international pour assurer : la sécurité des transactions électroniques et renforcer la confiance des consommateurs, maintenir l’économie en ligne fonctionnelle, et renforcer la sécurité des infrastructures TIC vitales. Par ailleurs, les autorités régionales souhaitent l’adoption d’actes régionaux et la mise en place de Computer Emergency Response Team (CERT). Ils souhaitent également l’élaboration et l’adoption actes communautaires additionnels au traité portant sur : I) la protection des données à caractère personnel dans l’espace CEDEAO, II) les transactions électroniques dans l’espace CEDEAO, III) la lutte contre la cybercriminalité dans l’espace CEDEAO. Au niveau de la mise en œuvre de ces actes, on note à ce jour que : • sept pays ont adopté l’Acte sur les transactions électroniques et six autres ont des projets de texte en cours ;

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• sept pays disposent de lois sur la protection des données à caractère personnel et sept ont élaboré des projets ; • quatre pays disposent de lois sur la lutte contre la cybercriminalité et six ont des projets ; • il existe un programme de renforcement des capacités depuis 2013, et une étude a été menée dans les États membres de la CEDEAO pour identifier les défis des pays à élaborer et à adopter une cyberlégislation appropriée. On peut donc noter que la CEDEAO s’est dotée d’un plan stratégique et de cadres réglementaires, notamment pour le développement des TIC.Toutefois, la durabilité d’un tel développement n’est pas explicite dans ces outils et mériterait donc d’être analysée au niveau de chaque pays membre, dont la Côte d’Ivoire.

La mobilisation des TIC pour le développement durable de la Côte d’Ivoire En Côte d’Ivoire, le secteur des TIC fait l’objet de préoccupations constantes du gouvernement. Afin de promouvoir son objectif d’émergence, le gouvernement ivoirien a initié un vaste programme d’amélioration rapide de la maturité numérique de notre pays, à travers cinq (5) axes principaux : • le premier axe est l’élaboration et la mise en œuvre d’un cadre législatif et réglementaire à la fois dynamisant pour les opérateurs et rassurant pour les utilisateurs ; • le deuxième axe est relatif au développement d’une large bande en adéquation avec les enjeux de l’émergence numérique ; • le troisième axe est la promotion de l’accessibilité et de l’usage des TIC, autrement dit le processus de vulgarisation des TIC ; • le quatrième axe est l’incitation à la production de contenus locaux, pour créer le besoin ou susciter l’intérêt pour les populations d’aller vers les TIC ; • enfin, le cinquième axe est le développement d’une expertise nationale en matière de TIC pour permettre d’avoir, en nombre et en qualification, les ressources humaines en mesure d’accompagner notre ambition en matière de TIC. Dans ce cadre stratégique, le ministère de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication (MPTIC), via ses deux (2) structures soustutelle que sont l’Agence nationale du service universel des télécommunications-TIC (ANSUT) et l’Autorité de régulation des télécommunications de Côte d’Ivoire (ARTCI), a lancé des programmes et projets qui s’inscrivent dans les trois sphères du développement durable. En effet, ces programmes permettent non seulement l’inclusion numérique et la diffusion ciblée d’informations

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per tinentes mais également la réduction de l’empreinte carbone des TIC (dématérialisation des échanges, des processus de gestion et de capitalisation). L’ANSUT : un outil formidable pour la réalisation du développement durable en Côte d’Ivoire L’Agence nationale du ser vice universel des télécommunications–TIC (ANSUT) est une société d’État, sous la tutelle technique du ministère de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication (MPTIC), créée par l’article 157 de l’ordonnance 2012-293 du 21 mars 2012. Elle a pour objectif de veiller à l’accès de toutes les populations aux outils et prestations essentielles de télécommunications/TIC sur l’ensemble du territoire national. Pour atteindre cet objectif, elle a organisé ces programmes en trois portefeuilles : • eAdministration ; • eServices ; • Accessibilité et infrastructures TIC. Chacun de ces portefeuilles abrite des projets durables et écoresponsables par nature. Le portefeuille eAdministration Les projets liés à ce portefeuille permettront non seulement de réduire considérablement l’empreinte carbone des administrations publiques ivoiriennes, mais aussi d’accroître l’efficacité, la collaboration et l’accessibilité des services entre les administrations d’une part, et, d’autre part, entre les administrations et les usagers.

Le portefeuille eServices L’État a le devoir de répondre aux préoccupations d’une société en constante recherche d’autonomie et d’égalité. Les eServices incarnent cette vision de la société qui garantit à tous l’accès à des services digitaux de qualité répondant aux préoccupations de la vie quotidienne. Plusieurs projets sectoriels ont été lancés : • le projet e-agriculture grâce auquel les paysans des zones les plus éloignées pourront accéder aux informations sur les prix et les conditions du marché. Ainsi ils gagneront en pouvoir de négociation, opéreront plus librement et amélioreront leurs méthodes de production ; • le projet e-éducation pour améliorer la qualité et l’accès à l’éducation tout en dématérialisant une partie des échanges. Ainsi de nombreux habitants défavorisés pourront recevoir, à moindre coût, un enseignement de qualité. L’égalité des chances se voit ainsi mise en œuvre via ce projet ; • le projet e-santé grâce auquel des systèmes plus efficaces de gestion médicale et d’accès aux soins sont mis en place. Les médecins des zones isolées peuvent ainsi affiner leurs diagnostics et traiter leurs patients plus vite et à moindre coût ; • la mise en œuvre d’un cadre législatif et réglementaire favorisant les initiatives en termes de développement durable. Le portefeuille Accessibilité et infrastructures des TIC La vulgarisation des TIC implique le déploiement d’infrastructures TIC sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Ce portefeuille répond à cette problématique de désenclavement technologique par la construction d’un véhicule qui transpor tera l’ensemble des projets eAdministration et eSer vices vers les citoyens vivant dans les régions les plus reculées de Côte d’Ivoire, mais encore offrira à chaque Ivoirien l’accès à un outil de promotion sociale et d’épanouissement personnel. Le projet « un citoyen, un ordinateur, une connexion internet » : il vise à améliorer les conditions d’accessibilité des populations à des services TIC de qualité, avec l’objectif de 500 000 familles équipées de kits micro-ordinateurs + accès internet avant fin 2017, accomplissant la dimension sociétale du développement durable qui est de renforcer l’accessibilité des services et des logiciels. Le projet de « construction de 5 000 cybercentres communautaires dans les zones rurales et péri-urbaines » : c’est un programme visant à créer 5 000 cybercentres communautaires dans les villages de plus de 500 habitants.

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Conclusion La Côte d’Ivoire s’attache à inscrire sa dynamique de développement humain et d’émergence dans la durabilité. Elle veille pour ce faire à promouvoir l’innovation, l’adaptation des technologies et la promotion du capital humain en investissant dans les TIC de manière durable. L’ensemble de ces projets sont pilotés par l’ANSUT, une structure dont l’objectif est de veiller à l’accès de toutes les populations aux outils et prestations essentielles de télécommunications/TIC sur l’ensemble du territoire national. Autant de projets qui, par leur impact positif sur l’empreinte carbone des TIC en Côte d’Ivoire (réduction des échanges et des déplacements physiques, réduction de la consommation papier, etc.) et leur impact sur l’amélioration de la qualité de vie du citoyen, constituent des actions notables en faveur du développement durable.

CLASSIFICATION DES PROGRAMMES DE L’ANSUT

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du développement durable dans la programmation de la recherche scientifi fiq que, le cas ivoirien Dr Abdourahamane Konaré Directeur de la programmation scientifique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique

Contexte et problématique La recherche scientifique constitue l’un des piliers fondamental pour le développement de toute société humaine. Historiquement, les sociétés savantes en Europe étaient étroitement impliquées dans la gestion des États, à travers leur rôle d’éclairage et de validation des théories et idées auprès de la royauté (Société royale de Londres, Académie française des sciences des arts et des lettres, etc.). Au XVIIIe siècle, elle a conduit à la révolution industrielle et au développement socio-économique de l’Occident. De nos jours, elle constitue le moteur du développement des économies industrialisées et émergentes. Elle a également contribué, directement ou indirectement, à une dégradation sans précédent de l’environnement à travers une certaine domestication de la nature et la course à une industrialisation tous azimuts. La recherche scientifique a également joué et joue toujours un rôle essentiel dans la prise de conscience des enjeux et des conditions du développement durable auquel toute société actuelle aspire. En effet, par l’acquisition des connaissances et l’analyse prospective qu’elle requiert, elle permet la clarification des enjeux, l’anticipation des problèmes et la proposition des solutions liées aux problèmes environnementaux. Elle fournit ainsi des éclairages indispensables aux décisions des acteurs sociaux et des décideurs politiques. Ces acteurs ont à cet égard la responsabilité de hiérarchiser les problèmes et d’orienter la recherche, tout en respectant sa mission, ses règles et sa logique propre. Par l’importance des enjeux sociaux qu’il porte et la complexité de ses interactions structurelles entre l’économie, la société et l’environnement, le développement durable constitue un véritable défi pour la recherche scientifique. En effet, comment aborder une problématique si pluri-

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disciplinaire et transsectorielle, par une recherche scientifique traditionnellement disciplinaire et sectorielle (spécificité scientifique) ? Comment fournir des solutions applicables à la demande pressante de la société, à partir d’une recherche scientifique essentiellement fondamentale ?

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La programmation de la recherche scientifique qui vise à l’orientation et à la planification des activités de recherches, selon les besoins de la société est essentielle. À cet effet, elle doit constituer un outil pour la prise en compte du développement durable dans les programmes nationaux et régionaux de recherche.

• la constitution d’une recherche efficace, pertinente et innovante dans les universités, instituts et centres de recherche ; • le recueil des besoins de recherche exprimés par les diverses composantes de la société (ministères, secteurs économiques, monde de l’art et de la culture, etc.), afin d’en dégager des axes prioritaires de recherche ; • l’identification des axes de recherche en tenant compte des priorités nationales exprimées ; • la constitution de pôles de compétences pour soutenir les projets de développement prioritaires de l’État ; • la mise en place d’une Commission nationale des programmes de recherche ; • l’identification des mécanismes de financement existants et des mécanismes innovants de financement pérenne de la recherche.

L’état des lieux de la programmation de la recherche scientifique en Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire, qui ambitionne devenir un pays émergent, s’efforce de placer la recherche scientifique au cœur de ses stratégies de développement et son Plan national de développement (PND) 2016-2020.

Ces questions sont d’autant plus importantes en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier que le développement y est basé essentiellement sur l’exploitation des ressources naturelles.

En Côte d’Ivoire, la programmation de la recherche scientifique est du ressort du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS). Les missions de ce ministère, dans le domaine de la recherche scientifique consistent à : • mettre en œuvre la politique de recherche ; • assurer la promotion, l’orientation, la valorisation de la recherche et des résultats ; • coordonner, mettre en œuvre et contrôler les opérations de recherche ; • gérer les instituts et centres de recherche ; • planifier la formation et la promotion des chercheurs ; • inciter à l’innovation technologique. Au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, la direction de la recherche scientifique et de l’innovation technologique (DRSIT) qui est responsable, entre autres, de la programmation de la recherche scientifique (PRS) a été instituée par le décret n° 2011-396 du 16 novembre 2011 portant organisation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Cette direction a pour objectif de I) mettre en œuvre la politique de recherche dans les instituts et centres de recherche et II) coordonner et contrôler l’exécution des activités de recherche menées par les instituts et centres de recherche. D’une manière générale, la programmation de la recherche scientifique actuelle, est issue de l’état des lieux effectué en 2011 au cours du séminaire sur les orientations stratégiques de la recherche scientifique et technologique en Côte d’Ivoire (rapport séminaire). Ce séminaire a proposé une nouvelle structuration de la recherche scientifique ar ticulée autour des points suivants :

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La prise en compte du développement durable par la recherche scientifique dans la mise en œuvre du PND Les nouvelles orientations stratégiques du secteur de la recherche et de l’innovation technologique ont préconisé la mise en place de pôles de compétences pour soutenir la recherche et la rendre plus efficace. Elles ont également préconisé la mise en place d’observatoires de recherche scientifique, en vue de mettre en commun des moyens de soutien à l’observation, à la recherche et à la formation supérieure. Ces observatoires se fondent sur la mise en commun d’équipements et de moyens humains en soutien aux programmes de recherche. Les pôles de compétences pour une recherche scientifique plus efficiente Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de la République de Côte d’Ivoire a initié une série de réformes en vue d’améliorer la performance de son dispositif de recherche. Dans cette optique, 8 pôles de compétences ont été créés : les pôles Agriculture, Civilisation, Environnement, Gouvernance, Mines et énergie, Santé, Substances naturelles,Technologie et programmes spéciaux (biocarburant, biotechnologies, changements climatiques et érosion côtière). II a été proposé d’organiser des ateliers fondateurs pour chacun des programmes nationaux de recherche, dont ceux sur l’environnement et les changements climatiques, qui sont au cœur des préoccupions liées au développement durable.

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En juillet 2015, a été organisé à l’Université Nangui Abrogoua (UNA), à Abidjan, un atelier fondateur du programme national de recherche (PNR) sur l’environnement.

La Quinzaine internationale de la science et de la technologie est : • un cadre de sensibilisation et d’éducation à la culture, à la science et à la technologie ; • un cadre pour magnifier la science et la technologie. C’est un événement organisé sur l’étendue du territoire national qui vise à promouvoir la science auprès du grand public. Il constitue une opportunité pour les jeunes de s’informer, de poser des questions et de se découvrir, pour certains, une vocation grâce à l’échange d’idées et d’expériences avec ceux qui pratiquent la science au quotidien. C’est également une manifestation d’envergure internationale, ouverte aux experts et chercheurs africains et du monde entier, aux universités, centres et instituts de recherche du continent, aux industries et aux entreprises multinationales. Deux éditions de la QIST ont eu lieu avec un très grand succès. La première qui a eu lieu en 2013, a porté sur la thématique de la biodiversité. La 2e édition qui s’est déroulée du 1er au 15 décembre 2014 avait pour thème : Future Earth : L’avenir de la terre.

Le musée de la Biodiversité comme outil de sensibilisation à la protection de la biodiversité Situé au campus de Bingerville de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody à Abidjan, le musée de la Biodiversité est matérialisé par une exposition intitulée « La richesse de l’Afrique » qui est également le fruit de la recherche scientifique menée dans le cadre du programme BIOTA. Cette exposition présente les contenus actuels de la recherche sur la biodiversité et visualise le rôle de la diversité biologique pour « l’écosystème Terre ».

La contribution de la recherche scientifique à la connaissance et à la sensibilisation au développement durable en Côte d’Ivoire La Quinzaine internationale de la science et des technologies (QIST) La QIST est organisée chaque année par la direction de la recherche scientifique et de l’innovation technologique du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Elle constitue une contribution à l’objectif n° 3 de la politique nationale de la recherche scientifique de la Côte d’Ivoire sur la promotion de la culture scientifique.

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Dans ce contexte et avec l’effort conjugué des scientifiques venant d’Afrique, d’Allemagne et d’autres pays européens, un réseau d’observation de la biodiversité a été créé sur le continent Africain avec plus de 350 collaborateurs de disciplines différentes qui ont exploré la diversité biologique et son importance pour l’homme. Les résultats de ces observations ont permis de monter toute une chaîne d’illustrations des enjeux de la conservation de la biodiversité, des causes de sa perte et des services liés à sa pérennisation afin de sensibiliser le grand public et surtout les jeunes générations qui devront être les acteurs et bénéficiaires d’une gestion durable de la biodiversité.

Conclusion La programmation de la recherche scientifique en Côte d’Ivoire a pour objectif principal d’accompagner le gouvernement dans la réalisation de l’objectif de

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l’émergence économique du pays en 2020. Depuis 2011, cette programmation a identifié pour cela des secteurs de la recherche dans lesquels la Côte d’Ivoire souhaite assurer un certain leadership en Afrique. Parmi ces secteurs prioritaires de recherche, figurent en bonne place l’agriculture et l’environnement (biodiversité et changement climatique). Les PNR et les observatoires de recherche sont les outils de mise en œuvre de cette politique de recherche qui se veut ancrée au niveau national, mais ouver te sur l’international. La programmation de la recherche scientifique fait donc une place de choix au développement durable.

BIBLIOGRAPHIE Ministère du Plan et du Développement de Côte d’Ivoire, 2012, Plan national de développement 2012-2013. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de Côte d’Ivoire, 2012, Rapport du séminaire sur les orientations stratégiques de la recherche scientifique et technologique en Côte d’Ivoire, 26-28 septembre 2012. UNESCO, 2013, Science et développement durable.

Les bonnes pratiques pour l’augmentation de la formation professionnelle pour le développement durable de l’Afrique subsaharienne Paul Ginies Président de Srat Conseil (Ex directeur gal de 2IE Burkina Faso)

Introduction L’adéquation formation-emploi est le véritable enjeu de l’économie actuelle de l’Afrique, confrontée à la coexistence d’un chômage de masse d’un côté et d’emplois qualifiés non pourvus de l’autre. À cela s’ajoute une évolution des compétences recherchées par les employeurs, non prises en compte par les dispositifs de formation initiale, d’enseignement supérieur et de formation continue. Ce paradoxe constitue un handicap majeur pour la performance économique, la croissance et l’innovation, auquel il faut remédier. Il est impératif de recentrer les formations sur les compétences exigées par le marché du travail. Ce sera l’objectif majeur du secteur pour les vingt-cinq prochaines années. Pour le relever, c’est un triple défi auquel il faudra répondre : • accroître l’efficience et diminuer le coût des dispositifs de formation ; • répondre aux besoins du plus grand nombre (massification) en tenant compte des tendances lourdes dans l’évolution des compétences ; • conjuguer cette nécessaire massification avec des dispositifs permettant des parcours personnalisés et individualisés.

L’emploi, la formation et la gestion du capital humain, un enjeu majeur Lors de l’événement Africa Rising, le FMI (Fonds monétaire international) saluait les performances économiques du continent, désormais considéré

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comme la « destination privilégiée des investissements directs étrangers » avec 5,4 % de croissance économique en 2015 et 5,3 % annoncés en 2016. Selon le McKinsey Global Institute, les « Lions » africains arrivent à l’aube d’une croissance pérenne. Décollage, éveil, essor… l’unanimité des discours est frappante. Mais les chiffres ne doivent pas masquer une réalité bien plus complexe, faite de disparités entre pays et de grande pauvreté persistante. Dans leur rappor t conjoint Perspectives économiques en Afrique, la Banque africaine de développement (BAD), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) soulignent les risques extérieurs – dépendances aux flux financiers et migratoires – et intérieurs – instabilité politique – que les économies africaines devront surmonter pour pérenniser la croissance et La formation des jeunes. Le chômage des jeunes, qui paradoxalement touche davantage les plus diplômés, crée des frustrations qui pourront éventuellement venir alimenter une révolte sociale, des contestations politiques, des conflits ethniques ou religieux, ou d’autres situations de tensions favorisées par le caractère désordonné de la croissance urbaine, déjà accusée de renforcer les inégalités et de déliter les solidarités traditionnelles. Cette explosion urbaine est pourtant source d’opportunités économiques. Mais les qualifications nécessaires pour soutenir une telle activité ne sont que partiellement disponibles. Dans ce contexte, la délivrance de formations adaptées aux besoins des économies africaines en pleine expansion est un défi majeur. Aujourd’hui, un habitant de la planète sur sept est africain. En 2040, la population africaine totalisera 1 milliard de personnes en âge de travailler, soit plus que la Chine et l’Inde réunies, ce qui en fera la première force de travail mondiale. Parmi eux, 400 millions de 15-25 ans. Or actuellement, 70 % des jeunes en âge de travailler sont sans emploi, avec un travail partiel ou relevant du secteur informel. D’ici à 2020, ce sont 122 millions de jeunes qui arriveront sur le marché du travail. C’est potentiellement plus de 85 millions de jeunes qui risquent de venir gonfler les rangs des chômeurs, alors même que le nombre d’emplois non pourvus ne cesse d’augmenter faute des qualifications requises. Deux explications à cela, outre le facteur structurel de l’explosion démographique : D’une part, le taux d’accès à l’enseignement supérieur est l’un des plus faibles au monde. En Afrique subsaharienne, il atteint difficilement les 5 %. Le manque d’infrastructures éducatives n’y est pas étranger. D’autre part, les formations délivrées ne correspondent pas aux besoins des employeurs. Ainsi, le problème de l’inadéquation de l’offre de formation à la demande de compétences est clairement identifié comme l’un des principaux freins à l’entrée de la jeunesse africaine sur le marché du travail. La formation et la gestion du capital humain en Afrique représentent donc un enjeu majeur aujourd’hui reconnu1 et mis en avant par l’ensemble des acteurs.

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Ceci d’autant plus que cette population, jeune, consciente de ses intérêts, exprime des attentes qui sont à rapprocher de la modernité citadine, qui induit de nouvelles formes de consommation et une plus grande sensibilité aux questions sociétales et environnementales. Dans les perspectives pour l’Afrique 2012, les experts pays estimaient que : « Le manque d’éducation et l’inadéquation des compétences sont les principaux obstacles que rencontrent les jeunes sur le marché du travail dans environ la moitié des pays de l’enquête. Un certain nombre de constats se dégagent de l’analyse concernant l’emploi des jeunes et l’éducation : I) la probabilité d’être salarié plutôt que d’avoir un emploi précaire est nettement plus élevée pour les jeunes plus instruits, et la rémunération est généralement meilleure, II) l’enseignement supérieur est corrélé à un taux de chômage plus fort parmi les jeunes, mais plus faible parmi les adultes, III) parmi les jeunes ayant suivi un enseignement supérieur, le taux de chômage dépend du diplôme, IV) les jeunes qui ont suivi des études sont davantage susceptibles d’être confrontés au chômage et d’être découragés dans les PRI (pays à revenu intermédiaire) que dans les PFR (pays à faible revenus). »

Les défis de l’emploi des jeunes et de la formation professionnelle en Afrique Actuellement, 70 % des jeunes en âge de travailler sont sans emploi ou avec un travail partiel. En Afrique du Sud, 600 000 diplômés des universités sont sans emploi alors même que l’on recense 800 000 offres d’emploi non pourvues. En Égypte, c’est 1,5 million pour 600 000 offres d’emploi non pourvues. Au Gabon, c’est plus de 110 000 diplômés pour 28 000 offres d’emploi non satisfaites. La Côte d’Ivoire compte, à fin 2013, 772 000 jeunes, âgés de 15 à 34 ans au chômage, dont la moitié est sans qualification. Ces constats laissent à penser que la majeure partie du chômage, et même du découragement, observés chez les jeunes ayant été scolarisés sont essentiellement des phénomènes transitoires, dus au fait que les mieux lotis attendent d’obtenir un poste intéressant. Néanmoins, la durée de cette transition, qui peut prendre des années, et le lien étroit entre la matière étudiée et le taux de chômage, suggèrent un décalage très marqué entre les compétences dont les jeunes disposent lorsqu’ils sortent du système scolaire. Au Cameroun, l’analyse du taux d’emploi selon le niveau d’instruction des membres d’une famille âgés de 15 ans ou plus conduit aux résultats suivants I) les taux d’emploi augmentent au fur et à mesure que le niveau d’instruction décroît. Les moins instruits ont paradoxalement les taux d’emploi les plus élevés et ce quel que soit le sexe, II) les personnes ayant suivi un enseignement général ont les taux d’emploi les plus faibles et ce quels que soient le sexe et le milieu de résidence. À l’inverse, les personnes ayant suivi l’enseignement technique ont des taux d’emploi plus élevés, III) le taux d’emploi est plus élevé dans la population des personnes ayant suivi une formation professionnelle.

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À l’échelle mondiale, l’impact de l’avènement de la société du savoir est en train de transformer l’enseignement supérieur. En Afrique, l’enseignement supérieur doit donc s’adapter très rapidement sous peine d’être marginalisé. Les institutions d’enseignement supérieur doivent pour rester compétitives souscrire aux principes de l’économie et de la compétition internationale et offrir une gamme de plus en plus diversifiée de compétences en réponse aux besoins de développement. Le principal défi à relever par les systèmes d’enseignement supérieur consiste donc à former les Africains en vue de la nouvelle économie naissante et à maintenir l’accès et la qualité des produits. Dans le domaine de la science et de la technologie, les disparités entre l’Afrique et les pays développés, en termes de capacités, sont énormes, et l’écart dans la croissance économique, du fait de différences dans la répartition, l’utilisation, l’adoption, l’adaptation et la production du savoir, ne cesse de s’agrandir. Dans le classement des meilleures universités africaines 2014, on trouve seulement trois universités d’Afrique subsaharienne francophones dans les 100 premières : 28e, Université Cheikh-Anta-Diop Sénégal ; 97e, National Université du Rwanda ; 98e Université de Ouagadougou (Burkina Faso). Dans le classement de l’enseignement supérieur du Times en 2014, qui porte sur 400 universités dans le monde, on trouve deux universités sud-africaines, l’université de Cape Town (première africaine) à la 124e place et l’université de WitWatersrand à la 275e place. Dans le classement de Shanghai 2014 (www.shangairanking.com), qui porte lui aussi sur 500 universités dans le monde, on trouve quatre universités sud-africaines : Cape Town à la 258e place, l’université de WitWatersrand à la 288e place, Stellenbosch, 443e et Kwa Zulu Natal à la 472e place. Le reste du continent est absent. Le paradoxe africain est que pendant que la plupart des pays asiatiques poursuivaient une politique active d’investissement dans la formation, avec une priorité à la science et la technologie, on observait une chute brutale des investissements des pouvoirs publics depuis les années 1990 dans les secteurs de l’éducation et tout particulièrement de l’enseignement supérieur. On estime que c’est la principale cause, qui a favorisé la fuite des cerveaux et inhibé les velléités de retour au pays. La natalité et la priorité donnée au primaire dans les années 1990 (Objectifs du millénaire/Éducation pour tous) ont produit mécaniquement un afflux dans le secondaire, puis dans le supérieur. Plus de 20 millions d’étudiants arrivent aujourd’hui dans les universités chaque année submergeant les dispositifs d’accueil. Malgré cela, le taux d’inscription dans les universités reste très faible et le nombre de diplômés pour 100 000 habitants, très inégal selon les pays. Il est de 429 en moyenne pour l’Afrique subsaharienne contre une moyenne mondiale de 2 283, soit cinq fois moins.

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Source : Calculs des auteurs, d'après les indicateurs du développement dans le monde 2011. http://dx.doi.org/10.1787/888932605884.

Le rôle des pouvoirs publics en termes de promotion d’une croissance tirée par la science et la technologie va donc être déterminant. Les gouvernements comprennent de plus en plus que l’écosystème éducatif est diversifié, ce qui rend nécessaire une collaboration accrue entre les universités publiques et privées, l’industrie et les partenariats public-privé. Car c’est bien l’accès à des services d’éducation adaptés et aux compétences recherchées sur le marché du travail qui pourra dynamiser le continent, en constituer la véritable valeur ajoutée et l’extraire d’un système de dépendances où le cours des matières premières et les flux de population (tourisme) ou de devises (transferts migratoires, aide au développement), sont autant de facteurs extérieurs et contingents, conditionnent l’augmentation – ou le ralentissement de la croissance. Une étude de la Banque mondiale consacrée à l’enseignement post-primaire en 2005 observait que les politiques qui envisagent une massification du premier cycle de l’enseignement secondaire alliée à la continuité du flux d’élèves aux niveaux supérieurs seraient globalement intenables. Une part inférieure à 20 % des ressources budgétaires affectées à l’éducation compromettrait la réalisation de l’éducation de base universelle ainsi qu’un rythme raisonnable de développement de l’enseignement post-primaire. Sur le segment de l’enseignement supérieur c’est environ 150 000 étudiants qui en Côte d’Ivoire se répartissent pour moitié entre le secteur public saturé et le secteur privé. On estime que d’ici à 2020 plus de 100 000 par an viendront s’ajouter. Il est matériellement impossible de construire des infrastructures et de former des professeurs pour accueillir ce flux.

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Au niveau de l’enseignement supérieur, comme le soulignait la BAD, les jeunes Africains sont en effet confrontés à un système universitaire focalisé depuis les indépendances sur l’éducation à destination de l’emploi dans le secteur public, sans se soucier beaucoup des besoins du secteur privé. Souvent, pour entrer dans la fonction publique, il est indispensable d’avoir un diplôme d’enseignement supérieur, mais le type spécifique de qualifications n’importe guère.

Aussi, pour rendre pertinentes les formations au regard des besoins de l’économie africaine il est indispensable que le secteur privé formel devienne un véritable par tenaire du monde éducatif, avec l’appui des pouvoirs publics, pour contribuer pleinement à concevoir des formations adaptées à leurs besoins et ainsi augmenter la capacité d’absorption du secteur privé. Des évolutions majeures sont en cours dans les besoins de compétences.

Mais, l’enseignement supérieur dans les domaines techniques tend à être nettement plus onéreux que dans les sciences sociales, si bien que les établissements d’enseignement publics sont plus réticents à procéder à l’expansion de ces pôles. Les logiques d’allocations budgétaires, qui couvent les charges salariales, des coûts minimums de fonctionnement mais en général pas l’investissement et qui sont sans considération du résultat, n’incitent pas au changement. Des prestataires privés pourraient combler cette lacune, les pouvoirs publics conservant la responsabilité du contrôle qualité et de la surveillance.

La lecture classique, enseignement secondaire, enseignement professionnel, enseignement supérieur est dépassée. Former pour l’emploi à tous les niveaux doit être un objectif central construit autour de trois piliers complémentaires et indissociables :

Le gouvernement ivoirien entend en effet aujourd’hui mettre en œuvre une politique éducative visant à changer le profil de la main-d’œuvre future à travers des réformes portant sur le passage progressif vers une logique de pilotage du système éducatif par la demande économique (action sur des flux de maind’œuvre en croissance rapide), tout en adressant également les défis urgents relatifs à l’inser tion des jeunes (action sur les stocks). L’accent est mis entre autres sur la formation technique et professionnelle axée sur les besoins de l’économie en utilisant le numérique avec des nouvelles technologies qui permettent d’ouvrir au plus grand nombre l’accès à des savoirs jusqu’ici réservés à une élite.

La formation pour l’emploi décent et durable Pour se développer, la formation et, a fortiori, la formation professionnelle qui souffre encore d’une image de cursus de second rang, a besoin d’un partenariat solide entre le monde éducatif et le monde professionnel. Un tel partenariat permet de prendre en compte les besoins en compétences des entreprises comme finalité de la formation et multiplie les opportunités d’acquérir de l’expérience terrain (stages, apprentissages, etc.). Or, la façon dont les marchés du travail sont structurés en Afrique ne favorise pas ce partenariat entre l’enseignement et l’univers professionnel. Sur le modèle de l’apprentissage tel que pratiqué par les artisans autrefois, le travail informel joue un rôle essentiel dans la formation des jeunes, sans que les compétences acquises de cette manière puissent être officiellement reconnues. L’emploi formel quant à lui est principalement public, non diversifié et croît à un rythme insuffisant pour absorber le grand nombre de nouveaux diplômés chaque année.

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• des compétences fondamentales : au niveau le plus élémentaire, elles englobent les compétences de base en lecture, écriture et calcul nécessaires à l’obtention d’un emploi qui rapporte assez pour couvrir les besoins quotidiens. Ces compétences sont aussi la condition préalable à la poursuite de l’éducation et de la formation, et à l’acquisition des compétences transférables et des compétences techniques et professionnelles qui améliorent les perspectives de trouver un emploi décent ; • des compétences transférables : elles comprennent la capacité à résoudre des problèmes, à communiquer efficacement des idées et des informations, à faire preuve de créativité, de leadership et de conscience professionnelle, ainsi que d’esprit d’entreprise. Elles permettent de s’adapter aux différents environnements de travail et d’améliorer ses chances de conserver un emploi rémunérateur ; • des compétences techniques et professionnelles : de la culture maraîchère à la confection, de la maçonnerie à l’informatique, de nombreux emplois exigent des savoir-faire techniques spécifiques.

La révolution numérique Pour valoriser pleinement son potentiel démographique et socio-économique et en révéler toute la richesse, l’Afrique devra innover, investir et passer directement dans une nouvelle ère, celle de la révolution numérique dans l’éducation. Si des freins culturels forts nous empêchent, dans les pays développés, de passer à la vitesse supérieure pour l’utilisation des nouvelles technologies dans la formation, il en va tout autrement en Afrique, où un outil est très vite adopté s’il apporte une réponse à un problème quotidien. En effet, la croissance démographique, les dynamiques en cours rendent impossible une réponse classique reposant uniquement sur la création de centres de formation, d’universités… Il est tout aussi impossible de former et de recruter des professeurs… mais dans le même temps les entreprises hésitent à se lancer dans un métier, qui n’est pas le leur, bien que la disponibilité en main-d’œuvre qualifiée conditionnera leur décision d’investir et leur rentabilité. Enfin, les MOOCs, vantés comme une panacée, ne constituent qu’une étape reposant encore sur une transmission passive du savoir dont le modèle économique et financier reste à construire.

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L’arrivée des téléphones por tables a radicalement changé la donne en Afrique. Cette technologie « nomade » répondant aux contraintes et correspondant aux nouveaux modes de vie est venue doubler d’un réseau virtuel le réseau physique des groupes répartis sur l’ensemble du territoire, et créer des connexions en temps réel. De nouvelles formes d’échanges et de commerce liées au mobile se sont immédiatement développées. Aujourd’hui 720 millions d’Africains possèdent un téléphone portable, 167 millions utilisent internet et 52 millions sont déjà sur Facebook. Cet essor doit être encore encouragé car l’accès à Internet reste encore très inégal, surtout en zone rurale. Il ouvre, avec l’arrivée des tablettes à bas prix des opportunités sans précédent pour le développement massif de nouvelles technologies de l’information, qui viendront suppléer aux limites des systèmes éducatifs traditionnels, à travers des investissements dans des solutions de type « Open University » et e-training.

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rentes formes, il évolue très rapidement tant sur le plan des principes pédagogiques (rapport à l’apprenant) que bien sûr des technologies.

L’éducation est identifiée comme le second secteur dans lequel Internet peut avoir un impact décisif en termes de productivité, après les services financiers. Grâce au le potentiel d’investissement et à la prédisposition à intégrer rapidement des innovations pertinentes, l’Afrique pourra ainsi réaliser ce saut technologique et construire « plus vite » une nouvelle économie du savoir basée sur les technologies numériques. Les modalités pédagogiques basées sur le e-learning jouent en effet un rôle considérable dans le développement durable, à plusieurs égards. Elles permettent au plus grand nombre d’avoir accès à la formation, et à des apprenants de tous niveaux et de tous âges de se former. Elles réduisent les frais de transport et de séjour encore très onéreux liés à la formation en présentiel ainsi que les investissements liés à l’infrastructure pédagogique dans les centres de formation. Les formations à distance s’inscrivent dans un contexte de mutation des normes et méthodes pédagogiques traditionnelles induit par l’avènement du numérique. Selon une étude récente de Mc Kinsey : « L’Afrique entre dans l’ère digitale. Plus de 720 millions d’Africains possèdent un téléphone portable, 167 millions utilisent déjà Internet, et 52 millions sont sur Facebook. Internet va générer une croissance économique et des transformations sociales [...] en particulier dans le secteur de l’éducation. Les étudiants commencent à apprendre via de nouveaux outils pédagogiques numériques. » 2 Le e-learning constitue un enjeu stratégique pour les établissements de formation : investir dans les contenus plutôt que dans les infrastructures. Le développement d’une offre e-learning devient incontournable pour les établissements de formation initiale et de formation continue. Elle permet bien sûr d’élargir l’accès à un plus grand nombre et donc d’améliorer l’impact social et les performances financières d’un établissement, mais aussi de responsabiliser les apprenants et de mieux individualiser et gérer leur parcours d’offrir aux enseignants de nouvelles perspectives en les amenant à devenir des producteurs et des gestionnaires de contenus. Le e-learning est en pleine expansion, sous diffé-

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Connaître, comprendre et maîtriser les principaux éléments et enjeux de ce nouvel écosystème est donc un préalable avant d’arrêter des objectifs ambitieux, d’investir et de se lancer dans le cadre d’un programme majeur, transformatif, et de long terme pour la digitalisation de son offre de formation. L’innovation technique consiste à inscrire les programmes de formation e-learning qui seront réalisés dans la dynamique des pédagogies expérientielles, encore appelées : approches par compétence. L’objectif de ces programmes est de mettre les apprenants en situation de résolution de problèmes, en partant de situations professionnelles réalistes numérisées. C’est à ce jour la dynamique pédagogique la plus efficiente parce qu’elle permet de rapprocher la formation et l’efficacité opérationnelle attendue par les employeurs. Ces modèles génériques sont déclinables à grande échelle, car ils permettent d’adresser tous types de formations métiers opérationnelles. L’innovation financière tient dans le fait que les modèles, comme la chaîne de production et les formations mises en lignes, seront rapidement amortis et trouveront leur propre rentabilité.

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Les formations à distance vont ainsi être la voie privilégiée et peu coûteuse pour améliorer rapidement la qualité des contenus pédagogiques. On estime que dans la formation technique professionnelle, les coûts de formation d’un apprenant qui sont élevés, peuvent être divisés par deux. C’est donc une solution potentielle à la prise en charge de la massification des effectifs et à l’accès de la formation professionnelle pour tous. C’est également une réponse au déficit de formateurs disponibles en présentiel permettant d’élargir l’accès aux compétences distinctives et diversifiées, notamment dans un contexte où la plupart des centres de formation sont confrontés aux limites de leurs capacités d’accueil. Le ministre ivoirien de l’Emploi, Moussa Dosso, a indiqué que la capacité d’accueil des structures de formation de l’enseignement technique et professionnel en Côte d’Ivoire était estimée à « 69 000 » places pour une demande de « 479 000 » places, au cours d’un colloque à Yamoussoukro en novembre 2014.

Conclusion et perspectives C’est bien avec les synergies entre les acteurs locaux, les acteurs économiques et des précurseurs innovants que pourront s’ouvrir de nouvelles perspectives pour la formation dans les pays émergents, initiées par la dynamique qui les caractérise. En Europe, les entreprises l’ont d’ores et déjà compris et se lancent dans la formation numérique de leurs collaborateurs. Depuis plusieurs années, par exemple, Suez Environnement, forme ainsi ses nouveaux employés grâce à Ambassador, un Serious Game ou jeu sérieux, conçu par KTM Advance, le leader européen du secteur. Accessible en ligne par tout dans le monde, Ambassador permet de former plus vite et plus efficacement les nouveaux arrivants, répondant ainsi aux impératifs de productivité de l’entreprise. Dans l’étude de Tooley (1999), « The Global Education Industry: Lessons from Private Education in Developing Countries », parrainée par la Société financière internationale, des possibilités d’investissement dans l’enseignement privé des pays en développement sont présentées. Cette étude, qui reste d’actualité, montrait les leçons tirées de douze pays et dix-huit institutions privées, notamment le profil d’institutions viables, tant au niveau de la rentabilité pour l’opérateur privé qu’au niveau des résultats sociaux. On retiendra que les opérateurs profitables sont ceux qui ont réussi à capitaliser sur leur image et à créer ainsi une marque de fabrique associée à la qualité. Les aspects de communication vers la société civile portant sur les résultats et l’insertion des diplômés sont très importants. Les opérateurs qui réussissent sont ceux qui parviennent en intégrant d’autres écoles et/ou d’autres niveaux éducatifs à atteindre une masse critique pour être rentable. Bien souvent, ces opérateur s ont commencé modestement pour ensuite capitaliser sur leurs expériences et accroître leur ambition. Ils ont cependant porté attention à : • la gestion attentive des risques de non-paiement de droits d’inscriptions ou des subventions promises par l’État et à une distribution claire des rôles de chacun des acteurs (privé/public) ;

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Recherche scientifique, formation et innovation

• l’utilisation d’innovations pédagogiques et technologiques, un des facteurs clés pour atteindre la rentabilité financière ; • l’efficacité éducative, l’utilisation de certifications reconnues et de fréquents contrôles de qualité afin de créer ou de maintenir l’image de marque de l’institution privée ; • l’équité et la justice sociale, avec l’utilisation de prêts étudiants ou de subventions croisées des plus riches vers les plus pauvres, pouvant être des solutions viables pour maintenir une certaine mixité sociale ; • la rigueur du management qui semble être finalement plus déterminant que des caractéristiques comme le caractère lucratif ou non. Ou encore, le fonctionnement avec des dons ou des prêts ne semble pas être déterminant pour expliquer le succès de certains instituts éducatifs privés. L’Afrique doit faire face aujourd’hui, comme de nombreux pays émergents, à un afflux d’étudiants dans l’enseignement secondaire et supérieur, qui dépasse les capacités d’accueil publiques et celles du secteur privé déjà mis à contribution aux deux niveaux sous contrat avec l’État. La croissance des effectifs se poursuit alors même que les capacités d’accueil sont déjà saturées et que la qualité des formations en réponse aux besoins de l’économie est en dégradation notamment dans trois axes clés d’émergence économique, I) la science, la technologie et les mathématiques (STEM), II) les formations économiques en lien avec l’entrepreneuriat, III) les formations techniques et professionnelles (TVET). Il importe donc de trouver des solutions qui à la fois : • engagent un processus qui pourra se pérenniser grâce d’une part à une diminution tangible du coût par élève et d’autre part à sa flexibilité pour absorber un accroissement durable des effectifs ; • construisent un véritable consensus autour d’un partenariat public-privé, qui joue pleinement son rôle dans la transmission des savoirs et l’acquisition des savoirs faire, tout en améliorant leur contribution au développement économique et social du pays ; • s’inscrivent dans le mouvement de décentralisation et de régionalisation, mais aussi d’internationalisation de l’enseignement secondaire et supérieur ; • valorisent les investissements dans l’économie numérique consentis aussi bien par la puissance publique que par le secteur privé et accroissent la compétitivité de l’économie du savoir. Le défi de la formation des jeunes en Afrique, une économie vive, attractive et inclusive et l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs ainsi que la paix sociale seront les résultats que l’on peut attendre si l’on sait mettre ensemble une jeunesse dynamique grâce au gigantesque potentiel de l’économie numérique. Des conditions favorables à l’essor du secteur privé au service d’une vision politique à long terme peuvent naturellement contribuer à l’innovation et à la formation professionnelle des acteurs clés du continent.

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NOTES 1. Gregoire L.J., Haidara D., Lensing Hebben, Édition Belin. 2. Lions go digital: the Internet’s transformative potential in Africa, McKinsey Global Institute, novembre 2013.

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Les enjeux et défi fiss d’une urbanisation durable pour la Côte d’Ivoire Mamadou Sanogo Ministre de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme de la Côte d’Ivoire

Introduction L’Afrique connaît un processus d’urbanisation rapide qui devrait se prolonger durant les prochaines décennies, nourrie par une croissance démographique élevée. Sa population devrait atteindre 2.4 milliards d’habitants d’ici à 2050, dont 1,34 milliard d’urbains (55 %) contre 455 millions à l’heure actuelle. Cette évolution démographique, exceptionnelle par son ampleur et sa rapidité, représente un vrai défi pour le développement économique et social du continent : défi alimentaire, défi en matière d’éducation et d’accès aux soins et défi en matière d’aménagement du territoire et naturellement d’urbanisme. Cette dynamique démographique s’accompagne de dynamiques spatiales nouvelles, tant en termes de migration de population que d’urbanisation. L’urbanisation est un mouvement de transformation des formes de la société lié à l’augmentation du nombre de ceux qui habitent en ville par rapport à l’ensemble de la population (exode rural). Celle-ci se déploie de préférence autour de villes existantes, généralement dans des territoires jugés attrayants, pour des raisons culturelles et historiques (capitales) ou religieuses, ou sur des zones commercialement, industriellement ou militairement stratégiques (ex : bases militaires). Certaines villes-champignons sont nées autour de ports et d’industries positionnés autour de ressources minérales, énergétiques ou humaines (main-d’œuvre bien formée, et/ou bon marché). L’Afrique a longtemps été le continent le plus faiblement urbanisé de la planète, c’est encore aujourd’hui le cas avec 43 % de citadins contre 80 % en Amérique latine. En revanche, la dynamique d’urbanisation est en marche avec des taux de croissance allant de 8-10 % jusqu’à 35 % par an. Comme l’a fait observer un responsable de la coopération française : « La démographie de ce continent ne sera un atout que si elle ne se traduit pas par des hordes de jeunes analphabètes campées dans des bidonvilles insalubres. »

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Par ailleurs, dans les villes, la pauvreté s’accroît, même si, parfois, l’intense circulation des biens et des hommes en atténue la rigueur. La ville favorise des processus d’individualisation propices à l’émergence de nouveaux rapports sociaux et, peut-être, à de nouveaux comportements économiques. Cet optimisme est par tagé par la présidente de la Commission de l’Union africaine, Madame Nkosazana Dlamini-Zuma, avec le reste du monde : « L’Afrique a l’avenir devant elle, parce qu’elle sera dans cinquante ans le continent le plus peuplé du monde, composé pour moitié de jeunes en âge de travailler et de plus en plus formés. » Le taux d’urbanisation de la Côte d’Ivoire est l’un des plus élevés en Afrique. En 1975, le taux d’urbanisation était de 32,1 %, en 1999 il atteignait 55,5 % en 2015, et les prévisions annoncent qu’il s’élèvera au moins à 65,5 % en 2020. Cette estimation ne prend pas en compte les mouvements de population durant la crise, la population d’Abidjan ayant doublé de 3 à près de 6 millions d’habitants entre 2001 et 2007. Ce développement urbain s’est malheureusement accompagné de nombreux problèmes environnementaux et sociaux dont les plus visibles et préoccupants ces dernières années sont : • la mauvaise gestion des déchets municipaux et médicaux ; • l’occupation anarchique des voies publiques ; • l’exploitation abusive et illicite des ouvrages d’assainissement ; • la pollution de l’air et de l’eau. Presque tous les plans d’urbanisme directeurs n’ont pas été appliqués et il n’existe paradoxalement aucun plan d’occupation des sols (POS) approuvé en Côte d’Ivoire. En plus de l’occupation des sols par les habitats non contrôlés, il convient de mentionner les 2 822 établissements industriels qui sont installés principalement (92,8 %) à Abidjan, de manière éparse. La non-existence de POS approuvé et le non-respect des règles d’urbanisme et de constructions résultent entre autres en une juxtaposition spatiale des habitations et des industries, une expansion rapide et inefficiente de la superficie urbaine (étalement urbain) et souvent aussi en une modification des systèmes de drainage provoquant des inondations et la pollution de l’environnement. Sur le plan politique, le ministère que je dirige en charge des questions urbaines s’efforce de donner des réponses à ces différentes préoccupations. Au niveau juridique, la loi impose aux collectivités territoriales, la mise en place de plans de gestion de l’environnement, en vue d’une meilleure maîtrise de l’occupation des espaces urbains. Ainsi, l’élaboration des profils environnementaux par l’ANDE (Agence nationale de l’environnement) participe de cette nécessité d’intégrer l’environnement au développement socio-économique des villes. En ce qui concerne l’assainissement, très peu de schémas directeurs d’assainissement, outils de planification dans ce secteur, existent. Des études sont présentement en cours en vue de doter, dans un premier temps, les chefs-lieux de région, de ces schémas directeurs d’assainissement ; ce qui par ticipe à la prise en compte de la dimension écologique du développement durable.

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Les impacts sociaux et environnementaux de l’urbanisation en Côte d’Ivoire La première conséquence de l’explosion démographique observée d’une manière générale sur le continent est de renverser le rapport entre le nombre d’actifs en âge de travailler et les personnes dépendantes (à la charge) de la société, soit parce qu’elles sont trop jeunes, soit parce qu’elles sont trop âgées. La demande africaine en produits alimentaires pour l’homme et le bétail ainsi qu’en biocarburants est à la hausse en raison de la croissance démographique, de l’urbanisation accélérée et de l’évolution des habitudes alimentaires, ce qui conduit à une expansion des terres agricoles. Les zones urbaines abritent près de la moitié de la population africaine, utilisent les deux tiers de l’énergie et produisent 70 % des émissions de CO2. L’urbanisation ne fera qu’augmenter la demande en énergie de l’Afrique et ses émissions. La plupart des politiques existantes ne s’inscrivent pas dans un cadre permettant de relever les défis complexes de la vulnérabilité humaine face aux changements climatiques. L’absence d’évaluation stratégique environnementale et de systèmes de responsabilisation et de transparence a conduit à l’extraction non durable des ressources et à la conversion des terres. Les lois, valeurs et intérêts contradictoires altèrent la capacité de développer des systèmes collaboratifs institutionnels essentiels pour gérer les écosystèmes et relever des défis communs tels que la sécheresse ou la dégradation des écosystèmes. La planification, qui considère l’environnement comme un ensemble de ressources distinctes plutôt que comme un système composite, compromet encore plus la gestion de l’environnement. Les réalités du phénomène d’urbanisation en Côte d’Ivoire Les principaux problèmes engendrés par la forte croissance urbaine depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale sont notamment la dégradation de l’environnement périurbain, l’insalubrité, l’insécurité grandissante, l’accroissement des bidonvilles, la paupérisation croissante, le manque et l’insuffisance des équipements et des services urbains, l’insuffisance des logements, l’inadaptation des outils de planification et des pratiques foncières. Cependant, pour les fins de l’analyse, un accent particulier sera mis sur les trois problèmes majeurs suivants : la non-maîtrise de la croissance de l’espace urbain ; la crise des services urbains de base et la paupérisation croissante de la population urbaine. La non-maîtrise de la croissance de l’espace urbain Face à la croissance accélérée et désordonnée des villes, les autorités nationales et urbaines se sont assignées comme objectifs de contenir l’expansion spatiale des cités et d’assurer une spécialisation des espaces urbains notamment au regard des principales fonctions d’une ville moderne. La mise en œuvre de cette vision sur le terrain s’est traduite par la dotation des entités urbaines les plus importantes de documents d’urbanisme directeurs et opérationnels. Ces docu-

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ments devenus caducs sont en actualisation depuis 2013 et la fin des études est prévue pour fin septembre 2015.

La Côte d’Ivoire est l’un des pays d’Afrique au sud du Sahara qui a une tradition de planification urbaine relativement ancienne. Différentes étapes ont marqué les études de planification urbaine d’Abidjan. Le premier plan d’Abidjan date de 1928. Ensuite, se sont succédé les plans de 1952, 1960, 1974, 1979, 1985 et le schéma d’urbanisme directeur du grand Abidjan approuvé en septembre 2000. Ce schéma directeur a été actualisé par l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) grâce à la coopération Côte d’Ivoire-Japon et est en cours d’approbation. Mais force est de constater que ces documents de planification n’ont pas pu permettre de maîtriser la croissance spatiale des villes ivoiriennes. Cet échec est inhérent aux insuffisances mêmes de la fonction de planification dans un contexte d’économie libérale et de croissance urbaine accélérée. Les principales insuffisances des documents d’urbanisme sont notamment : la faible appropriation des documents par les citadins résultant de leur implication insuffisante dans son élaboration (Encadré 2, pages suivante). La crise généralisée des services urbains de base D’une manière générale, les services urbains de base comprennent, l’approvisionnement des citadins en eau potable, la salubrité, l’habitat, les infrastructures de voirie, de drainage et d’assainissement ainsi que le système de collecte des ordures ménagères. Il s’agit des services nécessaires et vitaux non seulement pour le bien-être des citadins, mais également pour la bonne marche et l’efficacité de l’économie urbaine. C’est pourquoi ces derniers temps, l’électricité, les télécommunications, le transport public, la santé, les services de proximité (écoles primaires, dispensaires) et les équipements marchands (marchés, abattoirs, morgues, gares routières) sont ajoutés à la première liste. Aujourd’hui, la capacité d’attirer et de retenir les industries et services à même de fonctionner efficacement et être compétitifs tant sur le plan national qu’international est fonction de la qualité et de la façon dont les services urbains de base sont fournis régulièrement dans chaque ville. On assiste depuis deux décennies à une crise généralisée de l’accès aux services urbains de base. En milieu urbain, par exemple un ménage sur quatre n’a pas accès à l’eau potable (INS, ENV 2014), près d’un ménage sur cinq n’a pas accès à l’électricité. La situation est sensiblement identique aussi bien à Abidjan (16 %) qu’à Bouaké (17 %). De même, 58 % des ménages urbains ne bénéficient pas des services de ramassage des ordures ménagères. Cette proportion est de 30 % à Abidjan. Une telle situation relève principalement de l’absence d’un mode de financement approprié à ce type de prestation et aussi d’un manque de professionnalisme des entreprises du secteur. Dans la plupart des villes de l’intérieur, l’on note l’inexistence de schémas directeurs d’assainissement. En matière de transport, seule la ville d’Abidjan dispose d’un réseau de transport public avec une flotte vieillissante malgré l’effort récent de modernisation engagé en 2012-2015.

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La paupérisation croissante des populations urbaines L’intensité de la croissance de la population urbaine va de pair avec l’accroissement du nombre de pauvres dans les zones urbaines. Si par le passé, la pauvreté était un phénomène essentiellement rural, aujourd’hui les citadins pauvres constituent une proportion de plus en plus importante de la population urbaine vivant sous le seuil de pauvreté. Cette expansion de la pauvreté vers la ville, qualifiée de phénomène d’« urbanisation de la pauvreté », a commencé à prendre de l’ampleur à partir des années 1980, avec l’accentuation de la crise économique et la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel (PAS). En effet, certaines mesures des PAS telles que la suppression des subventions des principales denrées de consommation urbaine (riz, farine etc.), le décrochage des personnels de l’enseignement public, la suppression des indemnités de logement et des baux administratifs, les licenciements pour des motifs économiques et ceux consécutifs à la privatisation des entreprises d’État, ont contribué à l’érosion du pouvoir d’achat des citadins. Cette détérioration des conditions de vie des populations urbaines cumulée à la crise sociopolitique qu’a traversée le pays de 2002 à 2014 a aggravé la situation. En effet, le milieu urbain a enregistré une hausse de l’incidence de la pauvreté qui est passée de 5 % en 1985 à 23,4 % en 1998 pour s’établir à 24,5 % en 2002 (cf. rapport national sur les Objectifs du millénaire pour le développement - OMD). Ce niveau élevé de la pauvreté a eu une incidence sur la prolifération des quartiers précaires et des quar tiers lotis sous équipés. Plus de 10 % de la population abidjanaise vit aujourd’hui dans ces quartiers pauvres (encadré 3, page suivante). La paupérisation croissante des populations urbaines, les difficultés d’insertion économique des migrants et des jeunes, la montée du chômage, l’effritement des valeurs familiales ont entraîné le développement d’un certain nombre de maux, surtout dans les grandes villes du pays. Il s’agit notamment de la délinquance juvénile, de la prostitution, du banditisme et de l’insécurité avec la fréquence des vols à mains armées, les braquages de véhicules, des banques, des magasins de commerce, etc. Face à cette insécurité croissante, de nombreuses sociétés privées de gardiennage se sont développées mais manquent pour la plupart de professionnalisme et ne font pas l’objet d’un contrôle suffisant des forces de sécurité publiques. Des mesures ont été prises pour faire face à ces défis en 2014 et 2015 qui devront permettre l’amélioration de la sécurité urbaine.

Quelques orientations pour une urbanisation durable Pour une gestion urbaine durable, le gouvernement ivoirien a jugé impérieux et urgent de prendre les mesures suivantes. La promotion de la gouvernance urbaine Le concept de gouvernance implique qu’il existe un pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur de l’autorité formelle et des institutions officielles. Les principes poursuivis par l’ambition de bonne gouvernance sont, entre autres, l’équité, la durabi-

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La mise en œuvre de l’urbanisation durable Les villes sont à la pointe des changements économiques mondiaux. Mondialisation et démocratisation entrent pour une grande part dans le développement durable. La moitié de la population du continent vit aujourd’hui en zone urbaine, et l’autre, est de plus en plus tributaire de la ville pour son développement économique, social, culturel et politique. En ville, les politiques éducatives doivent s’adresser à des populations très diverses. Apporter à tous une éducation, en particulier aux filles, aux handicapés, aux migrants, aux pauvres et aux marginalisés, est une tâche complexe exigeant des services publics efficaces et la collaboration de nombreux partenaires. Apprendre à vivre ensemble durablement dans les villes est un des grands enjeux de notre époque. Il suppose : • de créer un environnement de qualité qui promeuve la durabilité ; • de développer la mixité urbaine par une plus grande proximité des services de base ; • de développer un transport durable adapté ; • de créer des infrastructures moins énergivores par l’amélioration de l’efficacité énergétique ; • d’apprendre à créer des sociétés inclusives dans des villes inclusives ; • de développer l’apprentissage et l’écocitoyenneté sous toutes ses formes. Le défi de la durabilité exige d’apprendre comment changer, et ce n’est nulle part plus urgent et important que dans les structures urbaines, de mieux anticiper et planifier.

Conclusion lité, la délégation de pouvoir, l’efficacité, la transparence, l’imputabilité, la participation, la responsabilité et la sécurité. Selon l’ONU HABITAT, la gouvernance urbaine, peut se définir comme « un ensemble d’institutions et de pratiques favorables à la liberté individuelle et collective, à la paix et au développement au niveau de la ville ». En Côte d’Ivoire, les orientations politiques ont successivement mis l’accent sur les notions d’administration municipale (1960-1980), de gestion urbaine (1980-2000), et de développement local (2000 à nos jours). Cette évolution a grandement influencé les actions et les pratiques des collectivités locales. En effet, ce n’est qu’au cours de la période dite de développement local qu’un intérêt par ticulier est por té aux questions de gouvernance. Aujourd’hui, les principales préoccupations liées à la gouvernance sont relatives aux trois indicateurs ci-dessous : la participation des citadins à la gestion et à l’amélioration de la cité ; la transparence dans la gestion des affaires municipales et l’accès à l’information pour un mieux-être urbain.

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Les défis restent nombreux à relever pour une urbanisation durable de l’Afrique et de la Côte d’Ivoire. En effet, pour se faire, il importe de maîtriser la croissance démographique et la croissance urbaine, de subvenir aux besoins alimentaires et sanitaires des populations, de surmonter l’instabilité politique et de progresser dans la voie de l’intégration régionale, etc. Le développement durable doit figurer au cœur des priorités des dirigeants et être mieux pris en considération pour assurer aux populations africaines un accès plus équitable aux revenus générés par les richesses et les potentialités du continent. Le processus de développement durable en Côte d’Ivoire a connu des avancées notables. En effet, le pays s’est doté d’un cadre politique, institutionnel et juridique destiné à accompagner ce processus afin d’y impliquer l’ensemble des acteurs de développement : l’État, le secteur privé, la société civile et naturellement la population.

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Une initiative pour la création d’un écoquartier est même en cours au niveau du district d’Abidjan, qui devra voir le jour en 2016. Ce projet pilote pourrait ainsi être amplifié par la suite si l’expérience s’avère concluante (Dircom District, 2015). Malgré les résultats encourageants, de nombreuses lacunes et insuffisances sont observées. Il s’agit, entre autres, de l’absence d’un mécanisme et d’un plan de financement des stratégies ; de la faible éducation/communication des acteurs pour le développement d’une conscience et d’un civisme écologique ; de l’ineffectivité de cer tains textes juridiques malgré les initiatives engagées en 2014 et 2015 ; de l’insuffisance d’instruments économiques incitatifs et de la faiblesse de l’implication de la recherche scientifique dans le développement durable. Ces axes stratégies constituent des défis pour les années à venir et sont en adéquation avec le nouveau plan de développement lancé par la Côte d’Ivoire en vue d’atteindre l’émergence économique à l’horizon 2020 (PND 2016-2020). Ils s’inscrivent pleinement dans la vision de la communauté internationale qui, vingt ans après la conférence de Rio, décide de mettre l’accent sur le rôle de l’économie verte dans le développement durable et la nécessité d’un renforcement du cadre institutionnel. Avec le lancement récent des Objectifs du millénaire pour le développement durable, l’espoir renaît pour une urbanisation durable de l’Afrique et de la Côte d’Ivoire, à condition que les dirigeants politiques s’approprient cette belle initiative et créent les conditions de sa mise en œuvre.

BIBLIOGRAPHIE United Nations Division for Sustainable Development, UNDESAA, 2012, Guidebook to the Green Economy. Issue 2: exploring green economy principles. Dircom District, www.abidjan.district.ci (21 juillet 2015). Ministère du Plan et du Développement, 2015, Plan national de développement 2016-2020 (PND). PNUD, 2014, Rapport diagnostic district d’Abidjan. Diagnostic et plan d’amélioration des quartiers précaires des 13 communes du district d’Abidjan.

Les défi fiss de l’urbanisation accélérée de l’Afrique et la prise en compte du dividende démographique Mbaye Babacar Cissé Représentant spécial adjoint du secrétaire général de l’ONU et coordonnateur des agences du SNU en Côte d’Ivoire

Introduction L’Afrique enregistre depuis le début des années 1960, une croissance démographique élevée et une transformation urbaine accélérée. Les grandes villes du continent voient leur nombre progresser sensiblement et leur espace urbain s’accroître de l’ordre de 8 % par an. Les centres secondaires enregistrent également une progression notable modifiant à la fois, les dynamiques spatiales et les enjeux de l’aménagement des territoires. L’urbanisation accélérée est un phénomène structurel majeur, notamment pour les pays africains. Les mégalopoles se sont multipliées du fait de l’importance du secteur tertiaire dans l’espace urbain, du meilleur accès aux services et d’une connexion plus facile avec le reste du monde. Ce phénomène, qui est accentué par l’exode rural et les déplacés internes découlant des conflits, pose des défis incommensurables sur les plans socio-économique et environnemental. Il se traduit par une extension des périphéries urbaines et l’intégration progressive de zones rurales aux villes. Cette urbanisation s’accompagne à la fois d’une paupérisation croissante des populations nouvellement arrivées et du développement d’une classe moyenne profitant de la croissance économique soutenue de ces dernières années. D’une manière générale, la ville doit répondre aux besoins croissants des populations en termes d’infrastructures (électricité, eau courante et potable, transport urbain, logements sociaux) et de services adaptés (éducation, traitement des déchets, réseau de téléphonie mobile et internet). Cette réponse est nécessaire pour contenir le développement des bidonvilles et des quartiers pré-

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caires, limiter les menaces sur la santé des populations et l’environnement et, favoriser le développement des activités socio-économiques. La présente contribution vise à analyser les défis posés par cette urbanisation galopante et les initiatives à mettre en place pour amorcer un développement durable tirant profit du dividende démographique. La contribution est composée de trois parties. La 1re fait un rapide survol des tendances de la démographie urbaine en Afrique ; la 2 e revient sur les défis que cette croissance démographique urbaine pose en termes de développement durable et ; la dernière partie propose des pistes de solutions pour promouvoir une dynamique de développement urbain, inclusive et plus durable, car tenant compte des perspectives du dividende démographique du continent.

Les tendances de la démographie urbaine en Afrique L’Afrique connaît une croissance démographique1 sans précédent dans l’histoire du monde du fait de la baisse significative de la mortalité résultant des progrès de la médecine, de l’hygiène, et de la persistance d’une fécondité élevée. L’Afrique n’a pas encore entamé sa transition démographique ; son taux de fécondité moyen et sa croissance démographique étant actuellement, deux fois plus élevés que la moyenne mondiale. Avec 43 % de sa population ayant moins de 15 ans, c’est le continent le plus jeune au monde. Sa population est passée de 230 millions d’habitants en 1950 à 808 millions en 2000 et 1,1 milliard d’habitants en 2015. Elle se situera à 2,4 milliards d’habitants en 20501 et 4,2 milliards en 2100, évolution qui fera de ce continent le premier « réservoir » démographique mondial. Plusieurs pays africains (Nigeria, République démocratique du Congo, Éthiopie,Tanzanie, etc.) franchiront ainsi le cap des 200 millions d’habitants.

troubles sociaux et dégradation de l’environnement. Par ailleurs, la croissance rapide de la main-d’œuvre urbaine ne deviendra un avantage que si elle est qualifiée et accompagnée de la création d’un nombre suffisant d’emplois à forte productivité. Or, pour l’instant l’urbanisation engendre principalement des emplois informels peu productifs, des revenus instables, une demande sociale insatisfaite et la prolifération de quartiers précaires.Tous ces éléments font partie des facteurs explicatifs des troubles sociaux enregistrés dans certains pays. Sur un autre plan et pour satisfaire la demande en habitat, il faudra construire d’ici à 2030 près de 600 millions de nouveaux logements – en plus des 400 millions qui font déjà défaut. Cela suppose de produire rapidement et en masse des logements abordables, en tenant compte de l’organisation de l’espace urbain.

Pour prendre en charge ce boom démographique, le continent dispose d’espaces agricoles, de matières premières importantes et des premières réserves mondiales d’énergie hydroélectrique. En outre, la croissance démographique lui offre des jeunes actifs urbains susceptibles d’engendrer l’émergence du continent. Cette croissance démographique s’accompagne d’une urbanisation accélérée. L’Afrique ne comptait aucune ville de plus d’un million d’habitants en 1950 ; elle en compte aujourd’hui 40. Cette tendance lourde va se poursuivre car le taux d’urbanisation, qui est actuellement de 36 % (contre 80 % en Amérique latine), progresse de plus de 3 % par an (cf. figure 1 ci-contre). D’ici à 2030, les projections estiment que la moitié de la population africaine sera urbanisée. Cette urbanisation transforme en profondeur les sociétés. Peu de comportements y échappent : relations familiales et sociales, pratiques alimentaires, culturelles et politiques. Elle pose aussi d’énormes défis sur les plans économique, social et politique : misère, insalubrité, maladies, violences, inégalités, insécurité,

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Dans ce contexte où la demande dépasse largement les ressources publiques, les États doivent changer d’approche en s’associant davantage avec le secteur privé pour développer une offre pérenne de logements abordables. Dans cette perspective, la question foncière, l’insécurité juridique des transactions et l’accès difficile aux financements découragent souvent les promoteurs privés. À cela s’ajoutent les obstacles réglementaires, la lenteur des procédures, le déficit de main-d’œuvre qualifiée et l’augmentation du coût de la construction. De plus, la demande solvable de logements demeure limitée en raison du faible niveau de développement du crédit hypothécaire.

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La population urbaine africaine vivant dans des bidonvilles a continué de progresser au cours des vingt dernières années à un rythme élevé. Elle est passée de 102 millions d’habitants en 1990 à plus de 213 millions en 2012 (cf. figure 3 ci-après).

Pour accompagner les États membres, notamment les pays africains, à prendre en charge cette dimension, l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé en 2010, par sa résolution 65/234, l’examen de l’application du programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD). Une session extraordinaire de l’Assemblée générale a également été organisée en 2014 pour faire le point et examiner les mesures nécessaires pour sa poursuite. L’Union africaine et la Commission économique pour l’Afrique se sont également penchées sur cette question afin de mieux cerner les défis et enjeux de la croissance démographique pour le développement durable. Les enjeux pour l’Afrique et le monde appellent des politiques ambitieuses pour que la croissance démographique et l’urbanisation puissent être des leviers pour la transformation structurelle et le développement durable.

Enfin, en l’absence d’une planification urbaine de qualité, cette urbanisation galopante génère de nouveaux risques qui menacent le développement durable. C’est le cas de la pression foncière avec l’installation des populations dans des zones inconstructibles. C’est le cas aussi de l’accès aux autres biens publics et de la protection de l’environnement (eau potable, assainissement, mobilité urbaine, pollution de l’air, pression sur les écosystèmes, etc.) dont la faible qualité impacte négativement la santé des citadins. C’est le cas, enfin, de l’installation des populations vivant dans les zones côtières (60 % des populations africaines) où l’avancée de la mer due aux changements climatiques et à la pression du développement urbain constitue de plus en plus une menace pour les moyens d’existence durable de plusieurs millions de personnes. Cependant, cette urbanisation rapide peut conduire à un dividende démographique3 qui constituera une chance pour l’Afrique à condition de bien gérer le changement dans la structure d’âge de la population. Dans les pays à for te fécondité, le taux de dépendance (rapport du nombre de personnes âgées de moins de 15 ans et de plus de 65 ans à la population active) est élevé, en raison de la jeunesse de la population. La charge familiale diminue lorsque la fécondité commence à baisser ; elle remonte ensuite en raison de l’allongement de la durée de vie et du vieillissement des populations. Entre ces deux phases, il y a donc une période intermédiaire marquée par un faible taux de dépendance. C’est cette période qui représente la fenêtre d’opportunité dont un pays peut profiter pour épargner4 et investir dans le développement durable. Divers modèles sont utilisés pour appréhender le dividende démographique ; leurs résultats ont pour point commun l’impact positif de la baisse du taux de dépendance sur la croissance économique, le capital humain et l’emploi productif. Le dividende démographique, qui en résulte, pourrait initier un cycle vertueux dans lequel le progrès économique et le changement démographique s’auto-entretiennent. Les fruits du dividende démographique peuvent par conséquent être récoltés à terme si le processus est amorcé à temps.

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Les défis à relever Les pays de l’Afrique subsaharienne se trouvent à des phases différentes de leur processus de stabilisation démographique alors que la plupart des autres continents ont déjà connu une baisse simultanée de la mortalité et de la fécondité. La majorité des pays africains sont encore au début du processus de baisse de la fécondité. Ceux qui sont un peu plus avancés sont confrontés au défi de transformer la baisse du taux de dépendance en une augmentation de l’épargne et l’investissement. Ainsi, en Afrique du Nord et australe, la baisse de la fécondité, la transition des tranches d’âge et l’augmentation du niveau d’éducation ont ouvert la voie à un dividende démographique. Cependant, ces pays doivent mettre en place les politiques (économiques et de gouvernance) adaptées pour exploiter ce dividende démographique. En revanche, la plupart des pays d’Afrique orientale, centrale et de l’Ouest doivent œuvrer à baisser leur fécondité. L’Afrique reste ainsi la région du monde où de nombreux pays ont encore la possibilité de réaliser un dividende démographique. En plus de ses effets positifs communément mis en exergue, un dividende démographique maîtrisé et partagé, réduirait la montée des inégalités en Afrique. En effet, les couches sociales les plus aisées ont été les premières à limiter les naissances, les écarts de fécondité entre les riches et les pauvres dans plusieurs pays africains sont actuellement entre 2,5 et 3 enfants par femme. Or, la persistance de tels écarts risque d’accroître les inégalités économiques et sociales. Bien que chaque pays soit unique, le dividende démographique représente une opportunité d’accroître la croissance économique. Le moment est venu pour les pays africains de prendre les mesures idoines en faisant des investissements stratégiques dans quatre domaines clés : • le planning familial, la santé des enfants et l’éducation des filles pour assurer le rapide déclin de la fécondité 5 ;

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• la santé et la nutrition6 des populations pour accroître les chances de réussite des enfants à l’école et améliorer la productivité des travailleurs ; • l’éducation pour s’assurer que les jeunes terminent leur scolarité et disposent des compétences requises pour s’insérer dans un marché du travail en perpétuelle évolution ; • les réformes de politiques (gouvernance, environnement des affaires, infrastructures, commerce extérieur) pour faciliter l’investissement dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre. De manière générale, la réalisation du dividende démographique se heurte en Afrique au sud du Sahara à de nombreuses difficultés : • la majorité des pays ont des taux de fécondité supérieurs à 3 enfants par femme, et les couples souhaitent encore avoir une famille nombreuse ; • la fenêtre d’opportunité pour profiter du dividende démographique est de courte durée ; elle s’achèvera d’ici quinze à vingt ans pour la plupart des pays africains. Pour y arriver, les pays doivent mettre en œuvre des politiques de planification familiale et des investissements pour baisser la fécondité ; • la baisse de la mortalité infantile dans de nombreux pays a pris le pas sur le recul de la fécondité rajeunissant considérablement la pyramide des âges. Dans la plupart des pays, les femmes souhaitent différer leurs grossesses ou avoir moins d’enfants, mais beaucoup d’entre elles n’utilisent aucun moyen de contraception moderne7 ; • la forte croissance économique enregistrée ces dernières années dans de nombreux pays n’est pas inclusive ; elle n’a pas non plus permis aux personnes les plus défavorisées d’accéder aux services sociaux de base (santé, planification familiale, éducation, etc.) ou de bénéficier d’un emploi décent, éléments indispensables pour la matérialisation du dividende démographique et l’obtention de résultats équitables. En Afrique, l’urbanisation constitue à la fois des opportunités économiques réelles, mais aussi des défis colossaux en termes de planification, de réalisation des infrastructures de base, de création d’emplois et de protection sociale.

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Dans les grandes villes africaines, la plupart des ménages ne disposent pas d’un accès à un système d’assainissement collectif. Dans ce domaine, des changements radicaux ont été opérés. Des solutions endogènes et novatrices ont été testées, avec souvent des moyens limités, et en dépit d’obstacles multiples. Il n’en demeure pas moins que la recherche de solutions a besoin d’être soutenue pour accélérer leur mise à l’échelle et leur diffusion. En fonction de la structuration de la ville, on trouvera des systèmes d’assainissement de type réseau, des systèmes précaires de type puisards (rebouchés lorsqu’ils sont pleins) et des fosses septiques. Malgré cette diversité, l’assainissement autonome est utilisé par 90 à 95 % des familles. Il ressort des différentes analyses que les échecs constatés sur le terrain sont dus : au déphasage des systèmes par rappor t au mode d’urbanisation ; au manque d’organisation des acteurs qui se traduit par une inefficacité dans l’action ; à des modes de financement inappropriés. Une typologie des systèmes d’assainissement et des modes de vidange doit être proposée en fonction de l’habitat, avec différents niveaux d’intervention, en partant du centre-ville (souvent anciennement urbanisé avec des quartiers résidentiels et des populations disposant de revenus moyens) vers les périphéries (avec des habitats précaires et des populations disposant de très faibles revenus). Elle doit être complétée par une meilleure pratique de l’hygiène. En effet, le nettoyage et le lavage se font par intermittence ; ces pratiques nuisent à la gestion durable des écosystèmes urbains (déversement des eaux usées dans la rue ; remblais des « creux géologiques » par des déchets ; tas de déchets obstruant les rues ; caniveaux à ciel ouvert ; évacuation des déchets domestiques par les enfants, etc.). Du fait de l’urbanisation accélérée et du manque de structure de gestion des déchets liquides et solides, les espaces non occupés des villes deviennent des dépotoirs naturels. La rue est souvent considérée comme un espace semi vacant (et non comme un espace public ou municipal) sur lequel les habitations mitoyennes ont une sorte de droit d’usage naturel, notamment pour y stocker matériaux et déchets.

Quelques pistes de solutions Selon les projections des Nations Unies, l’année médiane d’entrée dans la fenêtre d’opportunité, c’est-à-dire la période où le taux de dépendance sera inférieur à 45 %, se situe aux environs des années 2020-2025. Il existe toutefois de grandes différences entre les pays. La date d’ouverture, la durée et la profondeur de cette fenêtre dépendront de la baisse de la fécondité et donc, des politiques engagées pour y arriver. Le dividende démographique est important, mais il n’est pas forcément suffisant pour aller vers l’émergence. Ce « coup de pouce démographique » a permis à quelques pays d’accélérer leur passage de pays à faible revenu au statut de

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pays à revenu intermédiaire Des pays tels que le Botswana, la Namibie ou l’Afrique du Sud pourraient voir leur PIB par habitant atteindre le niveau de 15 000 dollars d’ici à 2035, soit une progression de plus de 25 %, si, à l’instar de la Corée, leur croissance économique bénéficiait d’un dividende démographique au cours des dix prochaines années. Pour d’autres pays, le dividende démographique à lui seul ne permettra pas de franchir à moyen terme la barre de 10 000 dollars, mais il jouerait un rôle décisif en entreprenant un cycle vertueux. Enfin, les pays, qui ne baisseraient pas leur fécondité avant le vieillissement de leur population, manqueraient leur fenêtre d’opportunité. Ils pourraient ainsi s’enliser dans un cycle vicieux de faible croissance, d’investissement insuffisant et de persistance de la pauvreté. L’effor t de mobilisation autour du dividende démographique est entamé, comme en témoignent les rencontres de haut niveau organisées entre ministres ou parlementaires africains. Au niveau scientifique, des initiatives de recherches sont en cours auprès de quelques institutions internationales et de recherches sur le développement pour mieux estimer son impact en Afrique. Ces efforts doivent être poursuivis par des concertations au niveau régional et national. Dans le contexte de l’urbanisation rapide de l’Afrique, une simple mise en adéquation des infrastructures de première nécessité aux besoins ne suffira pas pour avoir une réponse appropriée aux préoccupations de l’heure. Aussi, pour atteindre l’objectif du développement durable, il est aussi nécessaire de réellement innover : • sur le plan technique pour accroître la diversification des systèmes de gestion de l’eau et de l’assainissement ; • sur le plan financier pour promouvoir de nouvelles formes de cofinancement (investissements et fonctionnement) et d’intermédiation financière (y compris le financement des ménages) en vue de créer un véritable marché de ces services collectifs ; • sur le plan social, il est essentiel d’établir de nouvelles formes de mobilisation des acteurs en situant l’usager au centre de ce processus mais aussi en valorisant la gestion partagée publique/privée et une planification stratégique, largement concertée. Pour que l’espace urbain soit un lieu propice au développement durable, il faut que la ville soit le symbole du renouveau de l’industrialisation en Afrique avec une politique qui s’appuie sur les avantages comparatifs et qui développe à terme des avantages compétitifs. Il s’agit dans ce cadre de veiller au renforcement de l’intégration intra/intersectorielle, notamment avec le milieu rural. Les systèmes de santé doivent être renforcés, en commençant par l’élargissement de la couverture des soins de santé primaires, y compris la vaccination. Il doit en être de même des soins de santé reproductive et de l’information et de l’éducation sur la sexualité et la planification familiale. À ce titre, les diverses méthodes de planification familiale doivent être rendues universellement accessibles pour améliorer la santé maternelle et infantile et réduire le nombre de

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grossesses non désirées. Les lois contre les mariages précoces doivent être promulguées et appliquées car elles affectent le développement de la femme et sa contribution économique. Ces investissements dans la santé doivent être accompagnés par la lutte contre la malnutrition, dont les effets négatifs sur la santé et la productivité future sont très importants. En effet, il est maintenant démontré que les pays où la nutrition s’est améliorée au cours des vingt dernières années ont connu une croissance forte et régulière. Pour lutter efficacement contre la malnutrition, il est fondamental d’impliquer les communautés (surveillance de la croissance des enfants en Tanzanie pour prévenir les retards de croissance) et de promouvoir les solutions locales (mise en place de réserves de céréales communautaires au Rwanda). Il faut aussi continuer à promouvoir l’allaitement maternel tout en renforçant les programmes de déparasitage et de supplémentation en vitamines et minéraux. La qualité de l’éducation doit être améliorée tout se basant sur l’égalité des chances entre les filles et les garçons. L’accès à l’enseignement secondaire, à l’enseignement supérieur et à la formation professionnelle a besoin d’être élargi et adaptés afin que les jeunes acquièrent les compétences requises pour trouver un emploi productif et décent.

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De politiques publiques appropriées doivent être mises en place pour favoriser l’accès à l’habitat, lever les obstacles à l’action des acteurs (ménages et organisations communautaires, institutions financières, entreprises du secteur de la construction, municipalités) et les inciter à collaborer. L’industrie du logement doit aussi pouvoir s’appuyer sur des politiques macroéconomiques visant à maîtriser l’inflation en vue de favoriser les financements à long terme et la réduction des taux d’intérêt. Il doit en être de même du développement des modèles de production de logements abordables de masse et du soutien des marchés hypothécaires. Les pouvoirs publics doivent libérer les réserves foncières et renforcer le système d’enregistrement des titres de propriété pour garantir les droits de chacun. Les municipalités et les autorités locales ont aussi un rôle à jouer, en tant que principaux acteurs de la mise en œuvre des plans d’urbanisation. Des choix pertinents concernant le découpage des zones, les réseaux de transport et la planification des infrastructures sont la clé d’une ville efficace. Dans cette perspective, il faudra aussi regarder les initiatives menées par les pays où les gouvernements ont fait le choix de réhabiliter les zones d’habitations informelles et d’accorder des titres officiels de propriété. Cela permet aux ménages d’utiliser les titres de propriété comme une garantie d’emprunt pour financer l’amélioration de leur logement ou l’éducation de leurs enfants.

Pour l’emploi des jeunes, en plus de réduire la durée du chômage, il faut améliorer la qualité de l’éducation, de la formation professionnelle et de la transition démographique. Les initiatives nationales devraient : • être adaptées au stade d’avancement du pays dans le processus d’obtention du dividende ; • avoir des effets multiples et synergiques sur plusieurs étapes de vie et la formation du capital humain ; • mesurer les effets des politiques publiques pour transformer les modes de production et de consommation ; • prendre en compte les défis du développement durable et du changement climatique ; • tirer parti des expériences réussies dans d’autres pays. Pour stimuler dans ce cadre l’offre d’emploi, résorber le niveau important de sous-emplois en milieu urbain et améliorer la productivité, il faudra dans le cadre d’une phase transitoire investir dans les secteurs à forte demande d’emplois peu qualifiés ; c’est le cas notamment de certains segments de l’agro-industrie et de l’industrie manufacturière. Cependant, l’accent devra être porté à terme sur la création d’emplois dans les secteurs à plus haute valeur ajoutée au fur et à mesure que le niveau d’éducation augmente dans le pays. Le marché du travail doit également être modernisé avec une souplesse accrue en matière d’embauche, de mobilité professionnelle et d’investissements par le secteur privé dans la formation. L’accès à l’emploi doit être égal pour les hommes et les femmes.

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Par ailleurs, les politiques publiques doivent porter sur tous les segments de la chaîne de valeur du logement. Des instruments, tels que les garanties, les subventions ou les avantages fiscaux, sont à développer pour encourager le financement de logements pour les plus défavorisés. Dans ce cadre, il faut aussi regarder les expériences visant à accompagner les ménages à revenus irréguliers ou du secteur informel dans l’accès au foncier et aux produits de la microfinance orientés vers la construction de logements. Concernant la production de logements, il faut de plus en plus s’orienter vers des solutions de marché compte tenu du gap important entre la demande et les ressources publiques. Il faut aussi tenir compte de l’autoconstruction avec des initiatives qui ont fait leurs preuves dans les pays du Maghreb et en Afrique australe (encadré ci-contre). Le secteur locatif peut aussi répondre aux besoins en logement de tous les segments de la population, tout en permettant de capter l’épargne domestique ou celle des migrants et de générer des revenus fiscaux pour les collectivités. L’adoption en Afrique du Sud d’une régulation spécifique sur le secteur locatif privé a favorisé l’émergence de nouveaux modèles rentables. À titre d’exemple, il faut souligner le succès de la société sud-africaine Affordable Housing Company qui acquiert des logements squattés dans le centre de Johannesburg pour les réhabiliter et les mettre en location. De toute évidence, une politique de l’habitat doit créer l’environnement favorable à l’initiative privée. Elle doit concentrer ses efforts sur la sécurisation des opérations et la mise en place d’incitations ciblées pour favoriser l’émergence d’un secteur pérenne et autonome.

Conclusion Selon un proverbe africain, « Le meilleur moment pour planter un arbre était il y a vingt ans. Le deuxième meilleur moment est maintenant ». C’est pourquoi, il est indispensable d’augmenter dès maintenant les investissements dans la santé, la planification familiale, la nutrition, l’éducation et la création d’emplois afin de pouvoir bénéficier d’un dividende démographique à l’avenir. Les pays en développement et les partenaires au développement doivent investir massivement et durablement dans ces domaines pour que l’Afrique réalise sa transition démographique et bénéficie du dividende démographique dans un délai raisonnable. Le dividende démographique ayant une fenêtre définie et n’étant pas automatique, le moment propice pour passer à l’action politique est critique. Le financement accru des programmes de santé, d’éducation et d’emploi doit également survenir très tôt dans la vie des individus. Des insuffisances dans la santé et la nutrition compromettent le bien-être et la productivité d’une génération.

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Améliorer l’accès à la planification familiale permet de réduire la mor talité maternelle et infantile et de ralentir la croissance du nombre des jeunes, personnes à charge, pour leur famille mais aussi, pour les systèmes de protection sociale, lorsqu’ils existent. Compte tenu de l’urbanisation galopante, le développement des villes doit constituer une priorité pour l’Afrique ; c’est un facteur clé pour une émergence réussie du continent. Cela suppose que le renforcement du capital humain des populations urbaines soit une priorité. La valorisation des meilleures pratiques et les enseignements tirés des processus inclusifs de gestion de la transformation urbaine seront essentiels aux décideurs et praticiens du développement. Face aux défis du logement, les États ont un rôle central à jouer dans la coordination des acteurs et l’accompagnement du secteur privé afin de permettre le développement de solutions urbaines socialement, écologiquement et culturellement durables. L’accès au logement n’est pas seulement un impératif moral. C’est aussi un moteur de croissance économique et d’emplois, et un vecteur de développement. Pour assurer un logement décent pour tous, une mobilisation sans précédent de tous les acteurs sera nécessaire.

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NOTES 1. En 2008, la population mondiale qui habitait en ville avait passé le seuil de 50 %. En 2015, elle atteint environ 54 %, selon les statistiques des Nations Unies sur la population mondiale. 2. Ce scénario prend en compte des hypothèses de transition démographique proches de celles observées dans les pays développés et émergents, avec un taux de fécondité passant de 5,5 enfants par femme actuellement à 2,1 en 2050. 3. Le dividende démographique est l’accélération de la croissance économique qui peut résulter d’une baisse de la fécondité d’un pays et de l’évolution ultérieure de la population par groupe d’âge. Si ses avantages peuvent être importants, les gains ne sont ni automatiques ni garantis. L’analyse des pays ayant pu bénéficier du dividende démographique montre l’importance de la baisse rapide du taux de fécondité pour réduire le taux de dépendance ; ce recul doit cependant s’accompagner du renforcement du capital humain, de l’utilisation de l’épargne réalisée pour faire des investissements judicieux et de la mise en œuvre des réformes économiques pour créer un nombre important d’emplois décents et productifs. Certains pays ont émergé grâce au concours de leur dividende démographique ; l’exemple le mieux connu est celui des pays asiatiques (Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour). Ainsi, entre un quart et un tiers de la croissance remarquable enregistrée par la Corée au cours des décennies 1970 et 1980 est attribué au dividende démographique. 4. Même avec une baisse de la fécondité, les pays africains continueront à voir un grand nombre de jeunes arriver sur le marché du travail chaque année (11 millions en moyenne sur la période 20152020). 5. En Afrique au sud du Sahara, environ 1 enfant sur 3 souffre d’un retard de croissance dû à la malnutrition. Ce retard de croissance, dont les effets sont irréversibles, laisse des séquelles graves telles que l’infirmité, la vulnérabilité aux maladies. Il impacte aussi négativement la capacité d’apprentissage des enfants, donc leur chance d’une future insertion réussie sur le marché du travail. 6. Alors que le besoin non satisfait de planification familiale a légèrement baissé à l’échelle mondiale (222 millions en 2014 contre 226 en 2008), il a augmenté en Afrique subsaharienne (38 millions en 2014 contre 31 millions en 2008) NOTES DE FIN DE DOCUMENT A. Jusque dans les années 1990, la plupart des études concluaient que les relations entre la croissance démographique et la croissance économique étaient peu robustes. Le rapport de l’Académie nationale américaine des sciences affirmait même en 1986 que le facteur population était neutre dans le processus de développement. Ces résultats, obtenus à partir de données anciennes, antérieures à la baisse rapide de la fécondité dans les pays émergents et à leur décollage économique, expliquent aussi en partie la faible mobilisation en Afrique des gouvernements et de leurs partenaires en faveur de politiques visant à réduire la fécondité.Toutefois, ces analyses ont ignoré une variable démographique fondamentale : la structure par âge, et ses modifications au cours du processus de transition démographique. Depuis une quinzaine d’années, de nombreux travaux ont mis en évidence l’importance des changements de structure par âge dans l’accélération de la croissance éco-

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Urbanisation et transport durable nomique des pays émergents. Une étude sur l’écart entre les taux de croissance de l’Afrique subsaharienne et un échantillon d’autres pays, a conclu en 2007 qu’il s’expliquait essentiellement par des facteurs démographiques.

B. Aujourd’hui, 43 % de la population africaine a moins de 15 ans, et alors que les jeunes peuvent être une grande force pour le changement économique et politique, il y a une idée commune fausse qui est de penser qu’une importante population de jeunes est en soi un indicateur d’un dividende démographique à venir. Avant de considérer les gains d’un dividende démographique attendu, les pays doivent d’abord connaître une transition démographique et se concentrer sur la réduction de la fécondité. Une stratégie clé pour atteindre cet objectif est de fournir aux femmes et aux hommes des informations sur le planning familial volontaire et des services contraceptifs. Une femme sur deux en âge de procréer en Afrique qui veut éviter de tomber enceinte, retarder ou espacer les naissances ne le fait pas en utilisant une méthode moderne de planning familial. D’autres facteurs, en particulier l’éducation des filles et la survie des enfants, contribuent également à une demande d’avoir de plus petites familles et à l’adoption du planning familial. Lorsque les femmes peuvent choisir la fréquence des grossesses et le calendrier de ces grossesses, elles sont plus susceptibles de vouloir moins d’enfants et sont mieux en mesure d’atteindre la taille désirée de la famille, ce qui ouvre la voie à un premier dividende démographique.


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Les quartiers précaires en Afrique et en Côte d’Ivoire : diagnostics et orientations stratégiques Agnès Gnammon Adiko Chargée de programme auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’habitat (UNHabitat)

Aissata De Directrice adjointe du PNUD en Côte d’Ivoire

Introduction La plus grande partie de l’humanité vit actuellement dans les villes et la tendance est à une augmentation irréversible de la population urbaine. Les Nations Unies estiment que les trente prochaines années seront marquées par des crises urbaines, parce que les citadins représenteront plus de la moitié de la population mondiale. L’on devra 95 % de cette croissance urbaine aux pays en développement, ceux-ci connaissant un exode rural et une croissance démographique considérables. Avec 41 % de la population urbaine, soit 410 millions d’habitants, l’Afrique a le plus fort taux d’urbanisation dans le monde. À l’horizon 2030, la population africaine deviendra à moitié urbaine : plus d’un Africain sur deux résidera en ville. L’Afrique de l’Ouest est la région du continent dont la population s’urbanise le plus rapidement après l’Afrique de l’Est, et elle connaît des taux d’expansion urbaine très élevés quoiqu’en cours de décélération 1 : passée de 38,5 % en 2000 à 47 % en 2015, la population ouest africaine est estimée à 50 % en 2020. Cette tendance influence indubitablement la dynamique du développement humain, « avec ce que cela comporte comme attentes en moyens de subsistance, de logements et de services2 ». Dans les zones urbaines où se concentre la population, les entreprises et les industries offrent un potentiel de développement et d’efficience économique. Cependant, lorsque les pouvoirs publics n’ont pas une capacité suffisante et adaptée pour répondre aux besoins d’une population urbaine en rapide augmentation, la durabilité du développement urbain peut être menacée. L’un des facteurs de risque est la prolifération et persistance des quartiers précaires. Dans les agglomérations du continent, une forte proportion des citadins est en

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effet établie dans les quartiers précaires : ce sont des milieux de vie présentant d’innombrables privations et risques. Face à l’urbanisation qui transforme, amplifie et dessine des besoins nouveaux obligeant à préparer les réponses pour demain, quelles sont celles qui s’adressent à la réalité des quartiers précaires en Afrique et en Côte d’Ivoire ? Quelle est la problématique des quartiers précaires en Afrique et en Côte d’Ivoire ?

Les quartiers précaires, un défi pour l’urbanisation et le développement durable La croissance rapide des villes du Sud représente un des défis majeurs auxquels l’humanité devra faire face au XXIe siècle, car elle a des effets majeurs sur l’équilibre social, économique et environnemental de la planète ainsi que sur la structure des États. Si la croissance des villes est un puissant facteur de développement, la croissance urbaine trop rapide est, elle, un facteur d’instabilité. Dans les pays en développement, et particulièrement en Afrique, les villes s’étendent plus vite que ne leur permettent leurs capacités d’accueil et l’État éprouve des difficultés à jouer son rôle en matière de planification urbaine. Le rythme de progression du fait urbain est tel qu’il finit par générer l’exclusion et des poches de pauvreté de plus en plus résistantes3. Ces poches de pauvreté sont confrontées à des pénuries de logements, d’eau, d’hygiène publique, de transport en commun, à l’insalubrité, l’exposition à la pollution de l’air et de l’eau ainsi qu’aux risques naturels et industriels. Or, selon l’Organisation des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat), le standard minimum de la qualité de vie, en particulier pour les citoyens vulnérables, intègre l’accès à un certain nombre de biens et services : l’éducation, l’emploi, la santé, la sécurité foncière, l’eau potable et l’assainissement, la sécurité des biens et des hommes, les infrastructures de base, le logement décent et les espaces de vie et de loisirs mais aussi l’information, la liberté et la démocratie. Le processus de ségrégation sociale et spatiale, lié aux croissances urbaines non contrôlées et maîtrisées, rend d’autant plus aigus les enjeux de lutte contre la pauvreté, l’organisation de l’espace et la préservation de l’environnement en Afrique4. L’accroissement des populations urbaines a entraîné le développement des villes ou quartiers satellites éloignés des centres urbains, mais également le développement de quartiers précaires ou bidonvilles. On estime qu’un milliard de personnes dans le monde vivent déjà dans des quartiers précaires ou des bidonvilles dépourvus des services urbains les plus essentiels. Ces populations défavorisées souffrent d’une précarité aux multiples dimensions et sont exposées à des risques divers, sources de tensions et d’insécurités.5

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En Côte d’Ivoire, les plans nationaux de développement et des études récentes rappellent que les quartiers précaires datent de longtemps car nés avec la construction des grandes villes et de leur évolution6. L’effectif des populations qu’ils abritent a progressé : il était de 53,4 % de la population totale urbaine en 1990, 55,3 % en 2000 et 57 % en 2009. Une baisse légère est observée en 2014 avec 56 % de la population urbaine7. Ces types d’habitats ont vu leurs problèmes aggravés avec les crises successives, mais depuis la crise militaro-politique des années 2000-2010, la pression foncière est sans pareil, dans les villes en général, et en particulier à Abidjan, la capitale. Il y est indiqué que le développement de quartiers sous-équipés, la prolifération de l’occupation sous la forme de quartiers précaires, la densification de ces espaces tant dans les zones urbaines centrales qu’à la périphérie des agglomérations urbaines, et l’occupation anarchique des espaces publics à des fins de logements ou non (rues, aires de jeux et espaces verts), sont liés à de multiples facteurs : • la croissance urbaine rapide exerçant une forte pression sur les terrains urbains ; • les insuffisances des politiques de l’État dans le domaine du logement ; • les limites des politiques publiques en matière d’urbanisme dont l’absence de révision des plans directeurs ; • la paupérisation des populations urbaines qui progresse, passant de 29,5 % en 2008 à 35, 9 % en 2015 ; • la rareté des terrains aménagés ; • l’insuffisance de financement urbain ; • le manque d’harmonisation des réalisations immobilières ; • la complexité et la méconnaissance des procédures d’obtention du permis de construire ; • l’afflux massif des populations déplacées vers les grandes villes au cours de la décennie de crise militaro-politique ; • le grand retard de l’investissement en faveur des infrastructures urbaines et de leur entretien. Selon le document de stratégie de réduction de la pauvreté et de relance du développement (DSRP) élaboré en 2009 par le ministère d’État, ministère du Plan et du Développement de la Côte d’Ivoire en prélude au plan national 2012-2015, « les populations dans leur majorité, ne bénéficient pas d’un habitat et d’un cadre de vie décent » et « en définitive, les ménages pauvres, généralement de grandes tailles, se rencontrent en grande partie dans l’habitat précaire ne disposant pas du minimum de commodités ». Le bilan des réalisations établi par le Plan national de développement montre qu’ « au plan de l’habitat, les populations habitent généralement dans des logements construits de façon artisanale, souvent insalubres et sans liaison avec les systèmes d’adduction d’eau potable, le réseau électrique ou l’hygiène/assainissement qui demeurent faible »8.

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Les définitions et les caractéristiques des quartiers précaires Les quartiers précaires sont des types d’habitat et espaces de vie importants dans l’architecture des villes et communes. Du fait de leur nombre, sites, étendue, histoire, diversité, effectif et des caractéristiques de leurs populations, ces quartiers posent, en permanence, des problèmes d’aménagement aux autorités en matière de gouvernance urbaine. Des mots et des réalités pour désigner les quartiers précaires

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La quantification et la qualification des quartiers précaires La quantification et la qualification des quartiers précaires sont particulièrement difficiles, du fait de la très faible production de données urbaines en Afrique. S’y investir pourtant constitue un enjeu important en vue de la connaissance de ces quar tiers précaires, de leur reconnaissance et de leur prise en charge. L’Organisation des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat)9 a contribué à réduire ce déficit de données fiables, en proposant une définition des bidonvilles, adoptée officiellement au Sommet des Nations Unies de 2002.

« Illégal », « irrégulier », « spontané », « non planifié » « informel », ou encore « précaire » sont quelques-uns des adjectifs utilisés pour caractériser des quartiers où les habitants ne sont, selon les contextes, pas « en règle » en matière d’aménagement, de foncier, d’équipement, de service, d’habitat ou de fiscalité. Au-delà de la fixation de leur marginalité, les mots employés rappellent l’histoire de ces quartiers et la stigmatisation que ces territoires et leurs habitants subissent. Ils témoignent de l’évolution du regard posé sur eux et des fluctuations des interventions publiques. Ce type d’habitat est présent dans la plupart des grandes villes du tiers-monde, tantôt appelé habitat précaire, tantôt désigné par les termes de bidonville ou de taudis. Les situations de ces quartiers, quel que soit l’angle d’observation, diffèrent entre régions et pays ou entre villes mais également au sein d’une ville voire au sein d’un même quartier. Que ce soit au niveau géographique, socio-économique, démographique, foncier, urbanistique, en matière d’habitat ou d’accès aux services et aux infrastructures, ces situations varient. Les quartiers précaires, loin d’être uniformes, sont au contraire diversité et complexité.

La définition de ONU-Habitat met l’accent sur des aspects physiques et spatiaux des bidonvilles et caractérise ces habitats à partir de leurs manques de légalité, de formalité, de régularité, de sécurité, de services, de planification, etc. Quatre des cinq privations du bidonville sont directement liées au logement et aux services urbains de base. Cela peut apparaître comme réducteur en référence à la complexité des bidonvilles mais toutes les dynamiques internes et externes, individuelles et collectives, sociales, économiques ou politiques, formelles ou informelles qui concourent à la spécificité des bidonvilles ainsi que les liens avec les politiques publiques, ne sont pas négligés mais bien prises en compte dans l’approche de la question des bidonvilles : ces réalités sont mises en exergue durant la réalisation des profils urbains qui font un focus sur les

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bidonvilles et leurs situations/contextes économique, politique, environnemental et de gouvernance10. Cette définition de ONU-Habitat fait aujourd’hui référence et a ouvert la voie à un important travail de définition d’indicateurs et de recueil de données qui permet de comparer les pays entre eux et de mesurer l’avancement de la cible des Objectifs du millénaire (OMD) : « Améliorer sensiblement la vie de 100 millions d’habitants des bidonvilles ». Selon ces critères, la situation s’est sensiblement améliorée. En Afrique, l’effectif des habitants vivant dans les taudis dans la population urbaine a diminué entre 1990 et 2010. Les progrès ont toutefois été très inégaux à travers le continent. L’Afrique du Nord dans son ensemble a réussi à faire reculer de 34 % à 13 % la part des habitants des taudis et bidonvilles dans sa population urbaine. En revanche au sud du Sahara, le nombre d’habitants des taudis et bidonvilles n’a baissé que de 8 % en vingt ans pour atteindre 62 % en 2010, avec de fortes disparités selon les pays. Dans cette région du monde, la population des bidonvilles a doublé depuis 1990, atteignant presque 200 millions de personnes en 2010. L’Afrique subsaharienne serait la région en développement ayant la plus importante prévalence de taudis urbains (24 % sur l’ensemble). Avec l’évolution urbaine, on assiste à une diversification des situations et à une fragmentation des quartiers au sein de la ville.

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• par l’absorption d’anciens noyaux de peuplement villageois dans la ville ; • par l’extension des zones résidentielles en périphérie ; • et par la multiplication des quar tiers informels dans les interstices urbains, le plus souvent dans des zones à risques. Sites et situations des quartiers précaires d’Abidjan Selon l’étude de référence réalisée par le PNUD, Abidjan compte 132 quartiers précaires. De 64 quartiers précaires en 1982, 72 en 1992, le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) rattaché à la Primature estimait qu’en 2002, le district autonome d’Abidjan (DAA) en comptait plus de 100. C’est dire qu’en dix ans, environ 30 nouveaux quartiers précaires ont pris place dans le paysage de la ville d’Abidjan. Ces 132 quar tiers précaires occupent près de 4 % de la superficie totale du district autonome d’Abidjan (Tableau 1). La densité dans ces zones est de 26 814 habitants au km2 tandis que celle d’Abidjan est d’environ 4 900 habitants au km2. Au plan de la distribution spatiale de l’habitat précaire, on note ceci : • 85 soit 65 % des quartiers précaires d’Abidjan sont répartis prioritairement dans 4 communes au nord de la ville, celles de Yopougon (27 quartiers), Abobo (16) et Attécoubé (14), Cocody (14) et une au sud, la commune de Port-Bouët (14) ; • à l’échelle de la commune, Koumassi (30 % du territoire communal), et dans une moindre mesure Adjamé, Port Bouët et Abobo (17 à 11 %) ont les superficies les plus vastes occupées par les quartiers précaires.

En Côte d’Ivoire, selon les chiffres de ONU-Habitat, la proportion de la population vivant dans les taudis a, à partir de 1990, progressé de 53,4 % de la population urbaine totale à 57 % en 2009 pour connaître une légère baisse en 2014 (56 %). Sur plus de 11 millions d’urbains, près de 6,5 millions sont en situation de précarité résidentielle. La Côte d’Ivoire a été, jusque récemment, le seul pays dans la région à connaître une augmentation des populations des quartiers précaires.

L’état des lieux des quartiers précaires d’Abidjan en Côte d’Ivoire11 Abidjan, la capitale économique du pays concentre plus de 70 % de l’activité industrielle et commerciale, ce qui lui assure une position dominante dans le réseau des villes ivoiriennes et même sous-régionales. La très forte croissance de la ville au cours des dernières années liée à sa localisation et à son poids économique, les modalités d’urbanisation (étalement plutôt que densification) et les difficultés du gouvernement à financer durablement l’entretien des infrastructures et l’élargissement des services publics de base dans certaines communautés périphériques d’Abidjan en rapide augmentation, ont favorisé la multiplication des quartiers précaires selon trois modalités12 : SOURCE : ÉTUDE SUR LES QUARTIERS PRÉCAIRES À ABIDJAN, PNUD

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Il importe d’ajouter aux chiffres de ces quartiers précaires recensés, bien délimités dans le paysage urbain et bénéficiant d’une « certaine légitimité »13, ceux des innombrables poches de précarité disséminées dans la ville, constituées d’îlots d’habitats insalubres et d’abris localisés dans les interstices de la ville. Ils sont situés au bas des immeubles, sur les terrains en attente de mise en valeur, le long des voies de circulation ou des berges, créés par les acteurs du secteur informel, à la fois marchés et espaces de vie familiaux. C’est chaque jour qu’il s’en crée, à la faveur également des opérations de déguerpissements réalisées par l’État, et qui souvent ont pour conséquence de favoriser l’implantation ou la densification de ces îlots. De sorte qu’à l’échelle d’une ville comme Abidjan, ces types de lieux de résidence et cette catégorie d’urbains influencent l’architecture de la ville14, au plan spatial et humain. Ainsi, à Abidjan, les quartiers précaires ou non planifiés « cohabitent » avec différents types d’habitats auxquels on les oppose : ce sont l’habitat évolutif ou cours communes, l’habitat économique et l’habitat résidentiel15. Les sites d’occupation ou de concentration des quartiers précaires sont très variés, influencés par les contraintes et opportunités physiques de la ville : les vallons, les cuvettes, les zones abritant les installations de haute tension, les interfluves sans réseau de drainage, les zones marécageuses, inondables et subissant l’érosion côtière accueillent les habitants des quartiers précaires ; un grand nombre de ces quartiers est installé sur des délaissés d’urbanismes, des zones non aedificandi ou classés impropres à l’implantation humaine ou encore sur des espaces réservés pour des projets d’envergure nationale. La répartition géographique présente une logique d’implantation des quartiers précaires liée aux grandes infrastructures et à la proximité du bassin de sécurité financière des ménages. L’architecture des quartiers est celle que l’on retrouve partout en Afrique, en termes de manques (trame irrégulière, espaces de vie non viabilisés, installations hors des îlots cadastraux, etc.) mais ici, 72 % des abris sont bâtis en dur et le reste est constitué de baraquements.

leurs familles élargies ; 49 % des habitants des quartiers précaires sont des hommes et 51 % sont des femmes. La répartition par âge montre la jeunesse de la population : la population a un âge moyen de 45 ans. 55 % des habitants ont entre 15 et 49 ans et 44 % se situent entre 0 et 18 ans. La petite enfance, soit les enfants de 0 à 6 ans, représente près de 17 % de l’effectif total de la population. En matière d’alphabétisation et de scolarisation, près de 50 % de la population est non scolarisée. L’inégalité de genre observée dans ce domaine partout en Côte d’Ivoire se confirme ici également. La situation socioprofessionnelle des habitants donne une idée de leurs conditions de vie : un quart de la population occupée est constitué d’élèves et d’étudiants (25 %). Les autres actifs sont les commerçants (16 %) et les artisans (9 %). Ces trois catégories représentent au total 50 % de la population. L’économie urbaine dans ces zones de marginalité demeure donc dominée par le secteur informel tandis qu’une forte population scolaire y trouve refuge, au regard des difficultés des parents, de l’insuffisance de l’offre des logements estudiantins et des conditions de sécurité des campus. La majorité des chefs de ménages sont occupés à des « petits métiers » mais 10 % environ sont sans emploi. À peine 3,5 % des actifs disposent d’un revenu mensuel supérieur à 100 000 francs CFA. Dans les quartiers précaires du district d’Abidjan, les chefs de ménages sont en majorité des hommes. Près de 70 % des chefs de ménages sont ivoiriens et le reste des ressor tissants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). On note par conséquent une « ivoirisation » importante de la population des quartiers précaires : dans les années 1980, la situation était inverse car les populations d’origine ouest africaines étaient dominantes d’environ 80 %17. La tendance s’est progressivement inversée, il semble, à partir des années 1990, les quartiers précaires étant devenus attractifs pour les Ivoiriens. Caractéristiques du logement et de l’occupation

Caractéristiques de la population des quartiers précaires d’Abidjan À l’échelle du district d’Abidjan, 20 % des populations vivent dans les quartiers précaires. Cela représente un effectif de près de 1 400 000 personnes, auquel il convient d’ajouter les habitants des sites épars dans la ville16. Plus de 65 % des populations d’Anyama et Port Bouët sont installées dans les quartiers précaires tandis que plus de 30 % de celles de Bingerville y résident. Les plus faibles taux, moins de 10 %, s’observent à Yopougon, Plateau et Marcory. Ces populations sont issues de migrations internes au district, les quartiers précaires étant alimentés par des mouvements provenant d’autres quartiers de la commune de résidence ou d’autres communes du district.

Une proportion de 21 % des chefs de ménages est propriétaire de terrain. Le coût moyen au m2 des propriétés foncières est de 1 900 francs CFA. Environ 22 % des chefs de ménages sont propriétaires de leur logement. Pour les locataires, le loyer mensuel est en moyenne de 15 000 francs CFA. 73 % des ménages vivent dans des logements en dur, avec des parpaings en ciment : les maisons en planche de bois et banco ont laissé la place à du matériau plus durable, et à un logement décent comprenant un minimum de commodités. Pour tout dire, il n’y a aucune gratuité dans ces espaces qui font l’objet de spéculation et où les locataires dominent. L’origine de la propriété est demeurée diverse, les fournisseurs étant les collectivités publiques, les chefs de quartiers et les réseaux, la municipalité, les autochtones Ébrié, les organismes publics18…

La composition de la population indique une taille moyenne de 5 personnes par ménage, les chefs de famille étant pour la plupart polygames et vivant avec

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Accès aux services sociaux et urbains En 2014-2015, la population a accès à l’eau potable et à l’électricité à 68 % et 64 %. Ces taux s’approchent ou dépassent les moyennes nationales19 mais ce sont des taux qui masquent le fait que seulement 17 et 26 % des consommateurs disposent d’un abonnement à la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (SODECI) et à la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE). Les branchements illégaux et anarchiques sont par conséquent très nombreux et justifiés par le coût élevé des abonnements et le faible pouvoir d’achat des habitants. Au niveau de l’assainissement et de la gestion des déchets, 70 % des habitants disposent de toilettes et 40 % utilisent les dépotoirs affectés. Il n’existe pratiquement pas de canalisation pour l’évacuation des eaux usées et pluviales (22,5 %) dans les quartiers précaires du district d’Abidjan. Cela expose les habitants aux inondations régulières. En somme, bien que les quartiers précaires soient caractérisés par leurs manques et privatisations, la réalité est qu’ils disposent d’un certain nombre d’équipements et services leur garantissant de meilleures conditions de vie. Celles-ci leur facilitent la vie quotidienne et les rapports avec les quartiers voisins. Organisation et régulation sociales des quartiers Les quartiers précaires ne sont pas des no man’s land mais des espaces dynamiques animés par des chefs et des structures satellites. Une organisation interne existe, intégrant toutes les communautés. Les quartiers présentent le même profil organisationnel basé sur une organisation centrale de quartier avec un chef de quartier reconnu par les municipalités, une organisation des jeunes et une association communale des femmes et des organisations féminines basées sur la communauté ethnique, la religion, la région, la nationalité ou l’intérêt économique (tontine, coopératives) le plus souvent informelles. Plusieurs autres organisations se déploient : religieuses (musulmanes, chrétiennes, etc.), ethniques (ivoiriennes ou de la CEDEAO), régionales (ressortissants de l’intérieur de la Côte d’Ivoire), nationales (le plus souvent ressortissants de la CEDEAO). Dans toutes les communes, la vie sociale dans les quartiers précaires se régule autour des chefs de ménage, des chefs communautaires et religieux et en dernier recours autour du chef de quartier ; les problèmes dans les quartiers précaires se règlent donc de manière communautaire. Le recours à la police, la gendarmerie ou la justice est rare et concerne les cas de délits graves ou de crimes dépassant les compétences de la communauté. Les questions de développement sont très souvent traitées par les organisations communautaires de quartier (chef de quartier, président des jeunes, présidente des femmes). Cependant, toutes les organisations à base communautaire des quartiers précaires d’Abidjan manquent de capacités organisationnelles et matérielles pour

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assurer leur vie associative (peu ou pas de réunions, cotisations et actions communautaires) du fait des conditions de précarité et de manque de compétences techniques et d’informations stratégiques pour les responsables. Une étude du Centre de recherche et d’action pour la paix en Côte d’Ivoire (CERAP) réalisée avec l’appui financier du PNUD fait état de l’existence d’une « sous-culture » dans ces quar tiers, au cœur de laquelle s’est construit un modèle social de la réussite facile qui nourrit l’imaginaire de certains jeunes. De ce fait, les oppor tunités d’employabilité ,qui peuvent leur être offer tes, leur paraissent bien souvent inadéquates par rapport à leurs attentes. En somme, l’étude conclut que ces espaces doivent être regardés dans leur globalité, leur complexité, faite d’une immense diversité sur le plan social et économique : ce ne sont pas des espaces exclusivement habités par des étrangers ou par les pauvres. Ce ne sont pas non plus des espaces uniquement vulnérables ; ils sont parfois des lieux tout autant disputés que les gares ou les écoles, car porteurs de ressources et d’opportunités économiques. De ce fait, les bidonvilles sont aussi convoités par des individus ou des groupes, dans leur logique de contrôle violent de l’espace. Il faut donc regarder les bidonvilles de manière holistique afin de pouvoir proposer des solutions adéquates et durables.

Les stratégies d’amélioration et de résorption des quartiers précaires Dans de nombreux pays en Afrique, la question des quartiers précaires est présente dans les axes stratégiques de développement. Les orientations intègrent désormais cette préoccupation demeurée longtemps le parent pauvre des politiques urbaines, des projets de développement urbain et des études sur la ville. Partout, les interventions et les intervenants se multiplient. À la diversification des situations territoriales vient s’ajouter celle des projets de quartiers, dont le nombre augmente progressivement avec la complexification du nombre d’acteurs (ONG, coopérations décentralisées, bailleurs bi et multilatéraux). C’est le cas en Côte d’Ivoire où le Plan national de développement 2012-2015 a envisagé un programme national en faveur de cet habitat. Les types d’interventions réalisées dans les quartiers précaires Trois grands types d’intervention à effet direct peuvent être distingués20 : a) Les actions d’amélioration de l’existant ou la réhabilitation On trouve dans cette catégorie des formes d’aménagement « douces » qui améliorent significativement le quotidien des habitants des quartiers, tout en les maintenant sur place et en transformant peu la structuration économique, sociale et urbanistique du quartier. Elles partent de l’idée d’un aménagement progressif qui se construit et se consolide dans le temps et la durée. Ces interventions peuvent être de deux ordres :

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• des interventions ponctuelles, comme l’installation de bornes-fontaines, la mise en place d’un marché ou le ramassage des ordures ménagères. Ces interventions sont relativement nombreuses mais peu visibles car elles ne s’intègrent pas forcément à des programmes d’actions ou à des politiques publiques. Elles améliorent les conditions de vie des habitants sans attendre les projets subventionnés par les partenaires au développement ; • des interventions qui s’inscrivent dans des projets de plus grande envergure décidés au niveau national. Ces opérations apportent l’essentiel des infrastructures, régularisent les situations foncières et encouragent l’autoconstruction. Elles modifient très peu le parcellaire existant. Elles ont un objectif explicite de limiter les déplacements de personnes sauf pour l’implantation d’équipements ou infrastructures publiques. Quand il y a des déplacements, ils sont négociés avec les principaux intéressés. Ces modalités d’intervention sont les moins traumatisantes pour les habitants. b) Les opérations de normalisation urbaine/restructuration Cette catégorie comprend des opérations qui appliquent à la lettre des normes urbanistiques et des standards d’équipement définis pour la ville formelle. L’application de ces normes se traduit par des inter ventions lourdes, avec comme objectif de réduire la densité d’habitation. Toutes les dimensions sont traitées : équipements, infrastructures, accès aux services et habitat. Le parcellaire est redécoupé sur la base d’un plan rationnel, et la régularisation foncière est prévue. Ces opérations entraînent une déstructuration restructuration complète du quar tier afin qu’il se rapproche d’une cer taine idée de la ville « moderne ». Ces opérations induisent de nombreux déplacements des habitants vers des sites extérieurs plus ou moins équipés. On emploie le terme « recasement » si les familles accèdent à un lot dans une parcelle à bâtir. On dit « relogement » si elles déménagent dans des logements embryonnaires ou finis. Malgré des coûts sociaux, financiers et urbains importants, ces opérations sont parfois plébiscitées par des habitants qui y voient une opportunité de changer enfin de conditions de vie et d’habitat, l’occasion d’un nouveau départ.

acteurs : réhabilitation, restructuration et résorption sont les termes couramment utilisés pour ces types d’interventions. En pratique, l’État de Côte d’Ivoire a expérimenté à travers divers projets ces trois modes d’interventions sur l’habitat précaire qui ont donné des résultats mitigés, comme le soulignent bien les enseignements tirés de l’étude du PNUDCities Alliance (tableau page suivante). Outre les actions de proximité, des actions de diverses natures ont un impact sur les quartiers précaires, tant au plan spatial qu’humain. Des interventions multi secteurs et pro-pauvres ayant une incidence sur les quartiers précaires En Côte d’Ivoire, de nombreuses actions dans le domaine du logement, des solutions durables, du foncier urbain, de l’assainissement, de la protection civile et autres services de base, ont eu des retombées dans les quartiers précaires. a) Le logement social Il est acquis que le nombre de logements n’a pas suivi le rythme de la croissance démographique. Cette situation a contribué à la prolifération d’habitats précaires et au sous-équipement des zones habitées. Le déficit de l’offre et les coûts prohibitifs des loyers avec leur corollaire de conditionnalités freinent l’accès à un logement décent. Les problèmes de logement sont bien réels. Pour faire face à cette situation, l’État a, comme par le passé, lancé en 2014 un programme de construction de 60 000 logements sociaux dont 48 000 dans le district autonome d’Abidjan et 12 000 à l’intérieur du pays21. À ce jour, près de 3 500 logements sont en finition tandis que 521 plateformes de lotissements modérés ont été réalisées à l’endroit des ménages à faibles revenus. Cette vaste opération de logements économiques et sociaux s’inscrit dans un programme appelé présidentiel. Les prix de vente vont de 4 à 10 millions de francs CFA pour les maisons les moins chères, de 35 à 50 m2 de superficie. Les promoteurs sont des privés à qui l’État fournit des facilités pour l’acquisition des terrains et les impôts. L’État garantit en outre l’épargne des acquéreurs.

c) Les opérations de mise en ordre urbain/résorption de quartiers L’objectif de ce type d’opération n’est jamais l’amélioration des conditions de vie des habitants dans le quartier d’origine. Les considérations sont avant tout techniques et politiques. Dans certains cas, ces opérations se traduisent par le déplacement des familles sur des sites dénués d’équipements, dans l’attente d’un recasement futur. Le quartier initial disparaît et laisse place à de nouveaux aménagements urbains. Dans d’autres cas, les opérations se concrétisent par des interventions de ghettoïsation destinées à cacher et à limiter la croissance du quartier, par l’implantation d’arbres ou la construction de murs d’enceinte. Ces formes peuvent avoir des dénominations différentes suivant la perception des

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Quelques questions, parmi d’autres pour les plus pauvres, émergent sur cette opération dont l’engouement réel s’est traduit au niveau des préinscriptions : • les sites de construction qui sont en général dans les quartiers dits périphériques (Songhon,Yopougon, route de Dabou, Anyama, Bingerville…) sont éloignés des bassins d’emplois et posent le problème du coût du transport pour les plus pauvres ; • la caution et le plan d’épargne constituent des difficultés, eu égard à leur capacité, réduite ou inexistante d’épargne et d’accès au crédit ; • l’acquittement des charges mensuelles devant augmenter inévitablement

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alors que dans les zones d’habitats précaires, le constat a été fait qu’environ 25 à 30 % seulement des habitants sont abonnés aux compagnies d’électricité, d’eau et au satellite mais près de 70 % y ont accès. Malgré cela, il importe de noter la volonté politique d’accroître l’offre de logements pour les plus pauvres. Impliquer le secteur privé est un choix stratégique à développer avec un certain nombre de garanties de l’État et des collectivités locales mais avec aussi avec la prise en compte d’une part des besoins différenciés des catégories sociales cohabitant dans les quartiers précaires et d’autre part du dynamisme associatif de ces quartiers. De plus, plusieurs mesures susceptibles de faciliter l’accès aux logement sont désormais en cours ou en instance d’application : il s’agit de la réforme du permis de construire qui réduit le nombre de procédure et les délais respectivement de 16 à 11 procédures et de 475 à 87 jours, la création d’un guichet unique du permis de construire (GUPC) et l’élaboration du projet de loi sur le bail à usage d’habitation. Des efforts ont été faits depuis des décennies par le gouvernement en vue d’offrir à chaque citoyen un toit, mais la demande reste forte et concentrée sur Abidjan qui abrite 21 % de la population totale22. b) Accès aux services sociaux de base L’accès à l’eau et à l’électricité s’est considérablement amélioré, de nombreux projets ayant permis d’accroître la production et la distribution. Si la disponibilité de ces ressources est un facteur positif, le coût est une préoccupation pour les habitants. Cette hausse est expliquée par la réduction des investissements, les pertes techniques sur les réseaux et le niveau élevé des fraudes. Là également, des opérations ponctuelles de réduction des coûts de branchement ont été bénéfiques aux foyers à ressources modérées. c) Assainissement : le plan d’organisation des secours (ORSEC) Les catastrophes représentent une menace pour les vies humaines, les moyens de subsistance des populations et les effor ts de développement. Intégrer la prévention des risques dans la planification et les pratiques de développement est une nécessité. Les quartiers précaires mais de nombreuses zones d’habitat sont en général des sites exposés aux éboulements et aux inondations ainsi qu’aux électrocutions et incendies. En vue de la réduction de la vulnérabilité des populations, l’État a mis en place un dispositif national de prévention et de gestion des situations d’urgence et une la plateforme nationale de réduction et de gestion des catastrophes (RCC) sous les auspices des Nations Unies. C’est dans ce cadre que sont réalisées chaque année des opérations de déguerpissement dans les centres urbains.

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Les intervenants : l’État et ses partenaires En Côte d’Ivoire, au nombre des partenaires, qui appuient constamment les initiatives d’amélioration des conditions de vie des quartiers précaires, figurent les organisations du Système des Nation Unies, la Banque mondiale, l’Union européenne, les missions et représentations diplomatiques, la société civile à travers les ONG nationales et internationales – appuyées par les partenaires au développement que sont le PNUD, la Banque mondiale et l’Union européenne – lesquels assistent les populations des quartiers précaires dans la gestion des conflits et des projets de développement local. Au plan opérationnel, cette assistance a souvent été por tée par des agences sectorielles telles l’Agence française de développement, le ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme (MCLAU), le Programme d’urgence d’infrastructures urbaines (PUIIR), l’Office national de l’eau potable (ONEP) et autres agences sectorielles. L’objectif in fine de ces appuis est de favoriser une dynamique d’intégration progressive des quartiers précaires dans le tissu urbain de la ville. Il demeure patent que des efforts sont consentis au niveau des États africains, en particulier en Côte d’Ivoire, pour relever les défis des quartiers précaires. Cependant, les leçons apprises engagent vers des stratégies d’inclusion, des démarches participatives et de financements durables pour améliorer les conditions de cette catégorie de citadins.

Les orientations stratégiques pour une approche de développement durable des quartiers précaires et les perspectives La question de l’occupation des sols qui se réalise dans une grande insécurité juridique dans les pays africains constitue un lourd handicap, tant pour la vie économique que pour la vie démocratique. La protection que confère le droit de propriété du sol ne bénéficie souvent qu’à une petite minorité de la population et la plupart des mutations foncières se réalisent en marge de la loi, aux risques et périls des par ties. Une for te demande de sécurisation des droits des occupants sur leurs terres s’exprime partout et une évolution du droit foncier avec la prise en compte des pratiques « coutumières » semble nécessaire pour assurer sécurité et transparence, dans un contexte où les concurrences pour la maîtrise des sols s’exacerbent. Les enjeux des quartiers précaires mobilisent les politiques, les partenaires au développement et la société civile. Ces enjeux doivent être inclus dans une approche différenciée et de durabilité, qui offre aux habitants un cadre social et économique intégrateur. À cet égard, il est nécessaire pour les États africains d’adopter des stratégies de gestion des habitats précaires basées sur les orientations spécifiques.

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En Côte d’Ivoire, la mesure de cette nécessité est prise, favorisée par les objectifs de la période post-crise de reconstruction nationale : les quartiers précaires font l’objet d’études, de réflexion et d’une batterie d’actions qui peuvent servir de base à un engagement plus poussé de l’État et de ses partenaires, et d’exemple à d’autres pays africains. Au-delà des nécessaires politiques globales de lutte contre la pauvreté urbaine, d’appui à l’accès aux services essentiels et à un habitat décent, d’adaptation des produits et les modes de financement en fonction des caractéristiques des différents segments de population, de promotion d’une gouvernance au service d’un développement urbain durable à travers l’amélioration de la participation des habitants et de la diversification des modalités de gestion de la question foncière, des actions spécifiques doivent s’adresser à l’habitat précaire. Appui aux politiques : Les orientations de politique sur lesquelles mettre l’accent concernent : • l’élaboration d’un plan national de résorption des quartiers précaires : celui-ci serait une composante essentielle des politiques et stratégies nationales urbaines. L’intérêt de cette vision plus élargie de la question des quartiers précaires est d’intégrer cet habitat dans la planification du développement urbain et dans les politiques d’encadrement du phénomène de l’urbanisation, afin de tendre vers des villes socialement et économiquement plus attractives et vivables ; • la disponibilité et la fiabilité des statistiques urbaine, constitution d’une base de données sur les quartiers précaires et intégration aux questions de recherche : il a été précédemment mentionné l’enjeu que constitue la production de données quantitatives et qualitatives sur les quartiers précaires. Dans cette démarche d’information qui doit être périodique et régulière, il s’agira de prendre en compte tous les aspects des quartiers précaires en lien avec l’environnement urbain global et les politiques de développement. Ces informations seront utiles d’une part pour renseigner et actualiser les indicateurs relatifs aux quartiers précaires, d’autre part elles contribueront à la réduction de la crise de l’information urbaine qui freine les actions concrètes. Ce sont des données statistiques municipales ou urbaines, fiables et actualisées, sans lesquelles aucune politique, ni action ne sont possibles, ni durables ; • l’extension du Programme participatif d’amélioration des bidonvilles : dans la mesure où ce programme développé dans près de 140 pays tire les leçons des initiatives nationales et internationales et met à disposition des outils de collecte, d’analyse et d’action dans les quartiers précaires, une meilleure appropriation nationale est plus qu’indiquée, l’objectif étant de le poursuivre à une plus grande échelle et de le capitaliser en vue de stratégie nationale plus adaptée aux contextes urbains en cours dans chaque pays. ONU-Habitat a une approche ou une vision large et prospective des quartiers précaires, celle-ci prenant en compte leur histoire, leur sociologie, leur économie, et leur topographie ;

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• l’actualisation du cadre institutionnel et réglementaire des politiques de restructuration en vue de tenir compte des nouveaux acteurs, comme les autorités municipales et le secteur privé, et accroître leur responsabilisation et engagement ; il s’agit de façon concrète de contribuer à la réduction des conflits de compétences entre le ministère en charge des quartiers précaires et les collectivités locales où sont établis ces quartiers et dont les responsabilités vis-à-vis de cette catégorie de citadins ont été renforcées par les récents textes relatifs à la décentralisation ; • le développement d’outils et le renforcement des capacités de tous les intervenants pour assurer la durabilité des interventions, notamment des opérations de restructuration (exemple du guide de restructuration des quartiers précaires conçu de façon participative). La formalisation de la démarche de conduite d’un processus de restructuration permet de s’accorder sur une méthodologie en vue de la restructuration des quartiers, en prenant en compte toutes les mesures appropriées ; • l’institution d’une plateforme de coordination en vue de l’organisation de l’action de l’ensemble des intervenants dans les quartiers précaires, sous la tutelle du ministère en charge de ces questions afin d’avoir une vision plus claire des besoins réels des institutionnels et des bénéficiaires finaux, et faciliter la création des conditions pour la planification et la réalisation des actions. L’oppor tunité d’échanges des acteurs per tinents (représentants des administrations municipales, des faîtières des communes, des ministères et des quartiers bénéficiaires) en vue d’encourager la collaboration et la concertation permanente sur les questions regardant les quartiers précaires. Appui aux actions de proximité : À cet égard, il s’agit de : • bien définir les groupes cible et clarifier les critères d’éligibilité dans les opérations de revitalisation des quartiers précaires. Compte tenu de la diversité des situations socio-économiques des quar tiers, des logiques spéculatives qui se nouent en toile de fond des opérations, il est nécessaire de bien préciser qui est la cible des opérations et de se donner les moyens de l’identifier précisément sur le terrain ; • instaurer des dispositifs multi acteurs et multi dimensionnels à accompagner dans la durée afin d’éviter la reconstitution de bidonvilles ; • Faciliter le renforcement ou le développement de la par ticipation citoyenne dans l’identification des problèmes et des priorités d’action. Le rôle des collectivités locales, notamment des autorités municipales, devrait être également plus marqué : elles ont la légitimité pour, des actions d’envergure, de mobiliser les ressources humaines et financières notamment locales et de la coopération internationale. Dans un cadre réglementaire où leur marge de manœuvre est bien définie et connue, les autorités peuvent constituer des puis-

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sants leviers dans l’assainissement de l’environnement, l’amélioration de la qualité de vie des populations pauvres et des logements. L’État gagnerait à moins de centralisation, lui qui est le seul ordonnateur de la restructuration des quartiers alors que les collectivités territoriales vivent au quotidien les problèmes des quartiers précaires. Le rôle des organisations internationales est également important, il s’agit ici d’envisager des synergies ou projets conjoints pour la mise en œuvre coordonnée des actions sur le terrain. Et ce pour maximiser les ressources et exper tises et avoir des résultats probants et visibles sur le terrain, dans un espace choisi de façon concertée plutôt que de disperser les efforts sur plusieurs chantiers à la fois.

BIBLIOGRAPHIE Interpeace, Indigo Côte d’Ivoire, 2015, Obstacles à la cohésion sociale et dynamiques de violence impliquant les jeunes dans l’espace urbain : les voix des populations des communes d’Abobo, Treichville et Yopougon dans le district d’Abidjan (Côte d’Ivoire), rapport de recherche participative, 113 p. Eau et Vie, 2015, Amélioration des conditions de vie des familles vivant dans les quartiers précaires grâce à l’accès durable à l’eau courante, à la lutte incendie, à l’assainissement et à la gestion des déchets, programme Côte d’Ivoire, 34 p. Centre de recherche et d’action pour la paix (CERAP- ASMU), 2014, recherche-action sur les conflits fonciers, les dynamiques communautaires et l’accès aux services sociaux de base à Abobo PK 18 dans les quartiers Bougounisso et Bois Sec-Résidentiel, 28 p. Action contre la faim - Côte d’Ivoire, 2012, rapport de l’enquête sur la vulnérabilité au choléra des ménages et quartiers précaires d’Abidjan, 122 p. Yapi Diahou A., Les politiques urbaines en Côte d’Ivoire et leurs impacts sur l’habitat non planifié précaire. L’exemple de l’agglomération d’Abidjan. Bebien A., mai 2013, Les défis de la démographie africaine : l’urbanisation (1/3), http://www.grotius.fr/les-defis-de la demographie-africaine-lurbanisation-13 Durand Lasserve A., 9 octobre 2012, La question foncière en Afrique à l’horizon 2050, iD4D. Tribillon J-F., 1993, Villes africaines, nouveau manuel d’aménagement foncier. Josse, Guillaume, Vauquelin Z., mai 2011, De la planification urbaine à la planification territoriale stratégique. Comment planifier les villes du Sud ? AFD, 24 p. Michel A., Denis E., Soares Goncalves R., 2011, « Dynamiques foncières dans les villes du Sud », Tiers-Monde n° 206, 235 p. ONU-Habitat, 2014, guide de mise en œuvre du Programme participatif d’amélioration des bidonvilles (PPAB 2), p. 5. ONU-Habitat, 2010, State of the world’s Cities 2010/2011- Cities for All: Bridging the urban Divide (available at http://www.unhabitat.org/pms/pmss/electronic_books/2917_alt.pdf). Nations Unies, département des affaires économiques et sociales, 2014, projections de l’urbanisation dans le monde.

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NOTES 1. ONU-Habitat, L’état des villes africaines 2014, p. 9. 2. ONU-Habitat, L’état des villes africaines 2010, résumé p. 1. 3. Le contexte urbain africain actuel et les défis pour les SADA (Système d’approvisionnement et de distribution alimentaire), http://www.fao.org/docrep/003/ab788f/ab788f06.htm. 4. Les difficultés de créer des milieux de vie équitables et durables – du fait des risques sérieux de nature sociale, économique et politique (instabilité et conflits) – sont exacerbées par les risques et pressions climatiques affectant particulièrement les agglomérations situées sur les franges côtières. 5. Le rapport sur l’état des villes africaines 2014, rappelant les conclusions de celui de 2010, indique que l’on doit « la prolifération et la persistance des taudis et bidonvilles à des politiques de gouvernance urbaine et des capacités institutionnelles inadaptées, à des inégalités socioéconomiques prononcées ainsi qu’aux possibilités limitées des plus pauvres parmi les Africains d’accéder au foncier urbain ». 6. Document de stratégie de réduction de la pauvreté, (DSRP) 2009 ; Plan national de développement 2012-2015 ; Plan national de développement de la Côte d’Ivoire 2016-2020, ministère d’État, ministère du Plan et du Développement. 7. Nations Unies, département des affaires économiques et sociales, World Urbanization Prospects, the 2014 Revision. ONU-Habitat, Côte d’Ivoire_Urban and slum stats_Global Urban Observatory 8. Plan national de développement 2016-2020, p. 31. 9. Au sein du Système des Nations Unies, ONU-Habitat tend à promouvoir des établissements humains socialement et écologiquement durables et la réalisation du droit à un logement convenable pour tous. Il est l’agence de file pour améliorer sensiblement la vie d’au moins 100 millions d’habitants des taudis ou bidonvilles, d’ici à 2020, selon l’objectif 7 des Objectifs du millénaire pour le développement, cible 11. Il développe ce mandat dans 34 pays d’Afrique (dont la Côte d’Ivoire), des Caraïbes et du Pacifique, à travers le Programme participatif d’amélioration des bidonvilles (PPAB), en amenant à l’avant plan les enjeux auxquels font face les habitants des bidonvilles et en engageant les gouvernements participants à reconnaitre et impliquer les communautés des bidonvilles dans la planification des interventions qui les concernent. 10. De nombreux profils urbains ont été réalisés depuis 2008 dans les pays de mise en œuvre du PPAB, avec une méthodologie et des outils qui permettent d’aller au-delà des aspects physiques des quartiers précaires.Voir notamment : Guide de mise en œuvre du Programme participatif d’amélioration des bidonvilles (PPAB 2), 2012 ; A pratical guide to designing; planning and executing citywide slum upgrading program, 2014. Des études du Centre de recherche et d’action pour la paix en Côte d’Ivoire (CERAP) et les diagnostics de sécurité du Programme d’appui à la sécurité urbaine en Côte d’Ivoire (PASU-PNUD) fournissent des informations sur les dynamiques communautaires, la cohésion sociale, les violences urbaines, la sécurité publique, les conflits fonciers et d’autres problèmes de la vie quotidienne des habitants des quartiers précaires en Côte d’Ivoire. 11. Cette section s’appuie essentiellement sur les résultats de la plus récente étude portant sur les quartiers précaires des 13 communes du district autonome d’Abidjan. Elle a été réalisée en 2014 à travers une démarche participative, par le PNUD sur un financement de Cities Alliance/Banque mondiale, avec l’appui du ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme (MCLAU), de l’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire (UVICOCI) et avec la contribution des 13 communes du district d’Abidjan (services techniques et populations). Treize diagnostics participatifs et 13 plans de restructuration des quartiers précaires, au plan communal et à l’échelle du district autonome d’Abidjan, sont disponibles. À cela s’ajoutent une revue documentaire sur la thématique des quartiers précaires, une étude du cadre institutionnel et règlementaire des politiques de restructuration des quartiers précaires et un guide de restructuration des quartiers précaires. 12. Projet d’aménagement des quartiers restructurés d’Abidjan (PAQRA), en cours à Abidjan sur un financement de l’Agence française de développement dans le cadre du contrat de désendettement et de développement de la Côte d’Ivoire.

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Urbanisation et transport durable 13. Reconnus et cartographiés, ces espaces denses font l’objet d’initiatives de développement ou d’administration, même insuffisants et sommaires tels l’accès à des services primaires, la réhabilitation, les recensements, les élections… 14. Aissata De, 23-24 février 2015, communication à l’atelier de consultation sur les dynamiques du marché du logement en Afrique, Dakar, Sénégal. 15. Yapi-Diahou Alphonse, 2000, Baraques et pouvoirs dans l’agglomération abidjanaise, Éd. L’Harmattan. 16. Voir note de bas de page 14. Cet habitat dispersé n’a pas été pris en compte par l’étude du PNUD-Cities Alliance. 17. Yapi Diahou, op. cité. 18. Yapi-Diahou , op. cité. 19. PND 2012-2015. 20. J-F.Tribillon, 1993, Villes africaines, nouveau manuel d’aménagement foncier. 21. PND 2016-2020. Les efforts conjugués de l’État (SICOGI, SOGEFIHA, SETU, FSH, etc.), des sociétés immobilières (ABRI 2000, SIPIM, SATCI…) et des initiatives privées dans la production des parcelles et la construction des logements règlementaires et les opérations de restructuration des quartiers précaires entre 1979 et 1992 avaient déjà contribué dans les années 2000 à améliorer l’habitat et le cadre de vie des populations d’Abidjan notamment. 22. Pour les actions et mesures antérieures de l’É


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Penser la ville autrement en Afrique : pour une urbanisation et un habitat durables Guillaume Koffi et Issa Diabaté Architectes, développeurs et fondateurs de l’agence Koffi & Diabaté

Introduction Les architectes, en Afrique comme ailleurs, souhaitent penser la ville autrement pour la rendre conviviale, ouverte, tolérante et intégratrice. Ce défi est complexe car il nécessite de prendre en compte des paramètres qui échappent parfois à toute rationalité et qui demandent capacité d’anticipation, de planification, de mobilisation politique et sociale.

Contexte Parce que nous constituons un maillon essentiel de la chaîne de construction, nous, architectes, avons un rôle central à jouer dans la conception et la mise en œuvre de projets répondant aux enjeux du développement durable en Côte d’Ivoire. Il nous appartient par conséquent de proposer, en partenariat avec l’ensemble des autres acteurs de la filière, des solutions créatives et innovantes intégrant les quatre piliers – culturel, social, environnemental et économique – d’un urbanisme et d’une architecture responsables et durables. Une telle approche s’inscrit dans une démarche où la conscience professionnelle ainsi enrichie se traduit en actions transparaissant dans chacun de nos projets individuels pour le bien-être de la Cité. Elle se fonde en effet sur la perspective d’un progrès collectif volontaire et négocié où chacun doit prendre sa part – par le dialogue, l’incitation, la diffusion et le partage des connaissances – tout en privilégiant l’innovation, la créativité et l’adéquation permanente des réponses apportées à cette nouvelle conscience éclairée.

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Elle implique également, pour nous, d’être à l’écoute de nos clients et des populations, de façon générale. Notre habileté à pouvoir allier notre technicité aux besoins de l’habitant et de l’environnement constituera la clé de notre action en faveur du développement durable dans ce pays. La Côte d’Ivoire, pays particulier de l’Afrique de l’Ouest, à l’image des autres grandes nations du reste du continent, regorge de grandes villes avec un taux de croissance démographique spectaculaire. Abidjan, sa capitale, reste un exemple unique de concentration de population, accentuée par un massif mouvement démographique engagé, lors des crises successives qu’a connues ce pays au cours de ces dernières décennies. Selon les résultats définitifs du 4e recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de Côte d’Ivoire, au 15 mai 2014, le nombre d’habitants est de 22 671 331 avec un taux d’accroissement annuel de 2,6 %. La population urbaine est de 11 370 347 habitants, soit 50,2 % de la population totale, pour 49,8 % de la population rurale, soit 11 300 984 habitants. Le constat est net, il y a autant de personnes vivant dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Se pose dès lors pour ces populations, la problématique du logement, de l’assainissement, et par conséquent de l’occupation des espaces et de leur interactivité avec l’environnement. Dans un tel contexte, comment mettre à leur service un système de gestion des villes respectueuses de l’environnement tout en leur offrant un cadre de vie adéquat. Il nous apparaît évident qu’il faut penser la ville autrement, avec cette même idée d’urbanisation et d’habitat durables. Le cas d’Abidjan est pris dans cet article comme un exemple de ville souhaitant appliquer les bonnes pratiques respectueuses de l’environnement en vue de réduire l’impact de la ville sur le climat.

Ville d’abidjan, une planification « durable » La planification urbaine est aujourd’hui l’un des enjeux majeurs des villes en développement. Estimée à plus de 22 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire a l’un des taux d’urbanisation les plus élevés d’Afrique de l’Ouest, avec une multiplication du nombre de centres urbains à l’intérieur du pays et une projection de croissance de 50 % à l’horizon 2020. Quant à la ville d’Abidjan, estimée à 4,4 millions d’habitants selon le RGPH 2014, elle comptera, à elle seule, 20 % de la population nationale en 2020. (ONU Habitat). Les enquêtes faites sur les commodités des logements des ménages lors du RGPH 2014 ont permis de calculer un certain nombre d’indicateurs relatifs aux conditions de vie des ménages à travers la disponibilité de certaines commodi-

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tés et biens durables. On peut retenir qu’au niveau national, sur 4 171 496 ménages ordinaires recensés : • 38 % des ménages disposent d’un lieu d’aisance adéquat ; • 61 % des ménages utilisent une eau de boisson potable ; • 62 % des ménages disposent de l’électricité ; • 78 % des ménages utilisent le bois et le charbon comme mode de cuisson alors qu’ils ne sont que 22 % à utiliser le gaz ; • 70 % des ménages rejettent leurs ordures dans la nature. Cependant, les charrettes de quartiers sont, en général, de plus en plus utilisées par les ménages (11 %). À Abidjan, elles sont plus utilisées que les camions de ramassage (39 % contre 37 %) ; • 80 % des ménages n’utilisent pas les fosses septiques et les réseaux d’égout comme mode d’évacuation des eaux usées ; • 3 % des ménages ont une connexion Internet ; • 44 % des ménages disposent d’au moins un poste téléviseur ; • 45 % des ménages disposent d’au moins un poste radio ; • 5 % des ménages disposent d’au moins un ordinateur ; • 2 % des ménages disposent d’au moins un téléphone fixe ; • 80 % des ménages disposent d’au moins un téléphone mobile. Cette enquête laisse entrevoir de sérieux problèmes liés à la croissance de la population et à la mise à niveau des commodités indispensables à leur bien-être et au respect des normes d’hygiène. Face à cette urbanisation croissante et non maîtrisée, due en partie au manque de planification, il nous faut aujourd’hui conjuguer défis démographiques, environnementaux, économiques et sociaux. De tels enjeux appellent à un nouveau modèle de ville, construit autour de quartiers durables. C’est un impératif au XXIe siècle. Cependant, il n’y a pas de recette universelle en matière d’urbanisme. Les réponses doivent être locales et adaptées à leur contexte. Chaque pays, usant de son génie particulier, doit chercher, au moyen de plans d’urbanisme, de schémas directeurs, de réformes des structures ou d’adaptation des institutions, le moyen de contrôler le phénomène de la croissance urbaine. Dans le cas des grandes métropoles africaines, à l‘image de la ville d’Abidjan, le schéma est relativement le même, le principal défi demeure celui de définir une véritable vision en termes d’organisation spatiale et sociale. Et pour favoriser un impact à long terme, notamment pour ce qui a trait au développement durable, cette vision doit impérativement être ancrée dans l’anticipation avec, à l’appui, une démarche cohérente en relation avec l’environnement, les prévisions démographiques et l’évolution du mode de vie des populations.

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Cette réflexion sur la durabilité et l’avenir de nos villes doit s’étendre à chacune de nos communes. Il faut faire des choix structurants, fixer un cap clair et partager sa vision du futur sur la base d’états des lieux réalisés par les experts afin de répondre aux enjeux de développement du territoire, avec comme champs d’action majeurs, l’étalement urbain (et la gestion de l’informel), la question de la mobilité et résoudre, notamment, le problème du foncier. Chacune de nos villes doit pouvoir offrir à nos concitoyens la possibilité d’un habitat adapté à ses besoins et à ses ressources. Il faut donc innover et réintroduire de la mixité sociale dans nos quartiers tout en prévoyant tous les services et commodités auxquels les citoyens ont droit. Pour cela, il faut une volonté politique et un choix affirmé en matière d’urbanisme. L’adoption d’une charte sur le développement durable contribuerait fortement à consolider les actions mises en œuvre ces dernières années, et plus encore, à mieux définir l’avenir. Développement durable et urbanisme responsable doivent désormais guider nos pas (encadré ci-contre).

Durabilité en architecture : vers de nouveaux concepts d’habitat Quelles nouvelles imaginer pour répondre aux besoins urbains et concilier densité et qualité de vie ? Comment inventer ensemble un habitat solidaire et durable ? Quelles nouvelles formes urbaines inventer pour loger le plus grand nombre ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles il faudrait trouver des réponses adéquates et durables. Trouver les réponses à ces interrogations suppose un bouleversement radical en s’appuyant sur l’architecture comme point de départ de l’expression de la forme urbaine. Il s’agit, en effet, de « réinventer notre façon d’habiter et de vivre ensemble ». À ce sujet, une diversité de positionnements se fait entendre sous des vocables aussi variés que « coopérative d’habitants », « habitat groupé », « autopromotion », « cohabitat », « habitat participatif ». De façon concrète, la conception d’une urbanisation et d’un habitat durables revient à la mise en œuvre de principes relativement simples. Aux quatre coins du monde, on découvre ou redécouvre des matériaux et des techniques qui permettent de construire bio et vert. Construire bio et vert, c’est faire le choix de matériaux de construction recyclables ou économes en énergie. L’adoption de la norme RESET recommandée par l’Union internationale des architectes - IUA (norme élaborée au Costa Rica établissant les conditions requises pour qu’une construction en milieu tropical soit reconnue comme responsable) offre, notamment, les bases du développement d’une démarche locale. Le bio-habitat applique notamment une logique simple : utiliser des matériaux fabriqués localement afin de limiter les moyens de transport. C’est autant d’éco-

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nomie d’énergie et de CO2 en moins dans l’atmosphère. Une bonne conception de son habitat (protection passive contre l’ensoleillement, expositions, formes de constr uction, choix des matériaux...) permet ainsi de faire des économies d’énergie et surtout de bâtir dans le respect de l’environnement. Pour ce qui concerne notre environnement local, nous préconisons l’adoption des principes suivants : L’intégration au territoire • Commencer la phase conception par l’étude des particularités du territoire : géographie, géologie, culture et traditions locales, architecture vernaculaire. • Prendre en compte la topographie, les vues et les caractéristiques climatiques : direction des vents dominants, angle maximal et minimal du soleil, éventuels masques produits par le relief et la végétation. • Prendre en compte les nuisances (présence d’une route bruyante, d’activités produisant des odeurs désagréables). • Analyser les ressources disponibles localement (forêts, carrières, production de briques, etc.) et privilégier ces produits pour limiter le transport des matériaux. • Adapter le bâti au terrain : implanter au plus juste dans la pente naturelle, limiter les terrassements et les murs de soutènement, protéger les sols qui ont un l’écosystème fragile. • Préserver autant que possible la végétation existante et préférer les végétaux locaux pour les nouvelles plantations. La maîtrise du cycle de l’eau • Choisir des installations sanitaires économes en eau. • Récupérer l’eau de pluie pour l’arrosage du jardin et éventuellement les chasses d’eau des toilettes. • Traiter naturellement les eaux grises (issues des cuisines et salles de bains) par des fosses septiques avec épandage pour les jardins filtrants. • Végétaliser les toitures de manière extensive avec terre végétale et plantation d’arbustes (pratique pas très développée en Côte d’Ivoire). Le choix raisonné des matériaux • Préférer les matériaux renouvelables (bois), recyclés, recyclables, ou dont la production demande peu d’énergie. • Utiliser des matériaux reconnus sans danger pour la santé (attention aux produits de traitement et de finition). • À qualité équivalente, choisir des matériaux produits localement pour limiter le transport, source de pollutions et favoriser l’économie locale.

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La réduction des déchets et la maîtrise de leur élimination • Concevoir et mettre en œuvre en tenant compte des dimensions de fabrication pour minimiser les chutes. • Préférer les filières sèches et les préfabrications en atelier. • Mettre en place un chantier vert avec tri sélectif des déchets et réduction des nuisances sur le voisinage. La maîtrise des besoins en énergie pour le confort thermique (ventilation, rafraîchissement, climatisation, eau chaude) • Mesures « passives »1 sur l’enveloppe de l’habitation, en général gratuites ou amorties en moins de cinq ans : - implantation en fonction des caractéristiques climatiques ; - forme du bâti compacte ; - conception de pièces traversantes ; - mettre l’enveloppe à l’abri des intempéries ; - ventilation naturelle des combles ; - dimensionnement des baies en fonction de l’ensoleillement ; - qualité des vitrages (double) ; - protection solaire verticale pour arrêter les rayons de soleil ; - choix des matériaux tenant compte de l’avantage apporté par la présence de quelques éléments à forte inertie thermique ; - isolation renforcée de l’enveloppe. • Mesures demandant un surcoût d’investissement généralement amorti en cinq ans : - capteurs solaires thermiques pour l’eau chaude sanitaire ; - appareils performants (classe A de l’étiquette énergie). La maîtrise des besoins en énergie pour le confort visuel (éclairage naturel et artificiel) • Mesures passives sur l’enveloppe, gratuite ou peu coûteuse : - orientation et dimensionnement judicieux des ouvertures ; - qualité des vitrages ; - protections solaires. • Mesures « actives » amor ties rapidement grâce à la baisse de la consommation : - choix d’appareils performants (classe A de l’étiquette énergie) ; - utilisation d’ampoules à basse consommation. Comme exemple pratique de ces mesures citées ci-dessus, chez Koffi & Diabaté Group, le processus d’expérimentation fait désormais partie intégrante de notre démarche. Leur réponse à la question de la durabilité, s’illustre notamment dans la conception de nos derniers projets (« Complexe Immobilier

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Green », un immeuble d’appar tements et un bâtiment de bureaux sur un même site à Cocody, et « Les Résidences Chocolat », un complexe immobilier de 32 logements à la Riviera Golf IV) où les principes de densité, d’économie d’énergie et de mixité sociale et fonctionnelle constituent la base du parti pris architectural. De même, les travaux entrepris dans la ville d’Assinie-Mafia – qui nous ont, par ailleurs, valu des publications dans de nombreux journaux et sites spécialisés – reflètent particulièrement bien le champ de possibilités qui se présentent. Là, avec l’environnement local comme ressource première – aussi bien pour les travaux de conception que pour le choix des matériaux – la solution durable se révèle, après près de dix ans de pratique, comme celle de l’évidence, et surtout d’un choix et d’une démarche affirmés.

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essentiels de notre histoire et de notre inconscient collectif, faisant de l’architecte, le « Gardien de la Cité ». Les architectes doivent donc s’assigner comme mission principale celle de veiller à tout instant aux exigences d’intégration du bâti sur leurs territoires et leurs paysages, tout en contribuant au développement économique et culturel à travers la valorisation des matériaux et des savoir-faire locaux. Ils se doivent ainsi de participer à l’épanouissement culturel des citoyens par la création d’ouvrages innovants répondant aux aspirations contemporaines, à l’évolution des styles de vie et des différentes formes d’organisation familiale. Dans ce même esprit, il leur incombe de veiller à l’intégration sociale de leurs projets. Cela se traduit par la recherche du bien-être et de la qualité d’usage, du « digne confort » et de l’accessibilité pour tous à travers la conception de projets fédérateurs et par une réflexion sur les pratiques sociales, les modes de travail, l’habitat et la mixité sociale et générationnelle. Leur engagement pour l’objectif Ville & architecture durables est, bien sûr, l’adoption des règles d’éco-efficience, de protection de l’environnement et de biodiversité (notamment pour les projets d’aménagement urbain). Ils auront pour principe de toujours rechercher l’éco-efficience dans leurs constructions de sorte à réduire les consommations de ressources naturelles, la production de déchets et de rejets polluants et tout autre impact dommageable à l’homme et à la nature. Cela implique également une prise en compte des impératifs de sécurité et des exigences écologiques et sanitaires pour chaque projet afin de limiter leurs risques pour les usagers et pour l’environnement. Enfin, la prescription de matériaux performants sur le plan environnemental et énergétique – pour lutter contre le réchauffement climatique – est devenue pour nous, la norme.

Il s’agit donc pour les architectes, de pousser l’innovation, en créant une filière expérimentale chargée de mettre au point et de tester des processus de construction innovants – associant outre la profession, les acteurs publics

Objectif ville & architectures durables : engagement des architectes Les architectes, longtemps ignorés dans la phase de conception des habitats, et l’ensemble des professionnels du cadre bâti sont au cœur du changement qui doit s’opérer dans la mise en œuvre de l’objectif Ville & architecture durables. L’engagement de ces derniers est en premier lieu celui de l’apport culturel et du développement local. Ils doivent considérer, en effet, que les formes architecturales et urbaines existantes, même les plus modestes, constituent des repères

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En termes d’économie et de performance collective, leur rôle en tant qu’architectes est également celui de concevoir le projet en termes de coût global – de la programmation à la construction – en intégrant la question de l’impact social. Pour ce faire, ils privilégieront les choix techniques réduisant les coûts d’exploitation et de maintenance et veilleront à prendre en compte les coûts et bénéfices pour les clients, la collectivité. La question de la concertation avec les pouvoirs publics et privés et celle de la pédagogie eu égard aux populations s’avèrent également essentielles à leur démarche. En tant qu’architectes, ils s’engageront à mettre leur savoir et leurs compétences à la disposition des responsables de l’aménagement du territoire et interviendront le plus possible en amont du projet en initiant des actions de concertation avec toutes les parties concernées. De même, dans une démarche de sensibilisation, ils développeront la pédagogie de l’architecture responsable et de l’acte architectural auprès de l’ensemble des usagers et acteurs participant à l’acte de bâtir et d’aménager.

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Parler d’architecture responsable revient également à parler de la question de la qualité des projets et de la transparence des comportements. En effet, au-delà des exigences réglementaires, en tant qu’architectes, les objectifs de protection sanitaire et de sécurité des usagers seront au centre de tous les projets. Et dans cet esprit, il est souhaitable de lutter contre toutes formes de corruption et d’encourager les initiatives permettant de faire évoluer la réglementation et les systèmes normatifs. La formation, la recherche et l’innovation sont également au cœur de cette démarche pour la durabilité. Les architectes sont tenus de travailler inlassablement à accroître, par la formation permanente et la recherche, leur capacité à répondre aux défis culturels, sociaux, environnementaux et économiques auxquels ils sont confrontés. Cela, en assurant la transversalité des savoirs, pratiques et techniques et en facilitant leur diffusion auprès de nos collaborateurs, partenaires et autres professionnels du secteur du cadre bâti.

Transport durable et sécurité alimentaire : l’expérience de Éolis en Côte d’Ivoire Lucien Delzechi Président-directeur général de Éolis

Cédric A. Lombardo Directeur associé de BeDevelopment

Conclusion En somme, l’engagement, en tant qu’acteurs de l’urbanisation et de l’habitat, doit reposer sur les capacités des architectes pour l’objectif Ville et habitat durables à définir une vision à long terme, dans le respect des générations futures. Pour cela, ils envisageront le devenir de tout ouvrage à court et à long terme, au regard de son utilité sociale. Cela implique, dès la phase de conception, de faire l’évaluation des capacités de flexibilité et de modification d’usage de tout ouvrage projeté, celle des risques naturels, technologiques et sociaux et enfin, l’évaluation des capacités d’adaptation aux exigences technico-économiques futures de la société.

NOTE 1. Le Bâtiment Passif®, souvent appelé « maison sans chauffage », repose sur un concept de construction très basse consommation, basé sur l’utilisation de l’apport de chaleur « passive » du soleil, sur une très forte isolation (des murs, des fenêtres, etc.), sur l’absence de ponts thermiques, sur une grande étanchéité à l’air ainsi que sur le contrôle de la ventilation.

Introduction La recherche de la sécurité et de l’autosuffisance alimentaire repose sur un triptyque : améliorer la productivité des exploitations agricoles, assurer la conservation et le transport des produits alimentaires jusqu’au marché et organiser des stratégies de distribution facilitant l’accès des populations à ces produits. Ceci au coût le plus raisonnable, qui rémunère tous les acteurs de la chaîne de production et de distribution, en assurant aux populations la possibilité d’acquérir les produits indispensables à leur alimentation. La maîtrise de la chaîne logistique, du producteur au consommateur, est alors incontournable pour réduire les pertes des produits alimentaires qui, en Afrique, représentent plus de 35 % en moyenne de la production. Les produits disparaissant du circuit alimentaire ne peuvent plus être mis à disposition des consommateurs, tandis que la perte économique pour le producteur se répercute sur le prix final au consommateur et sur la compétitivité du producteur. L’agriculture, qu’il s’agisse de production végétale ou animale, est le pilier du développement économique et social de la Côte d’Ivoire. Les conditions climatiques et la richesse de ses terres y contribuent favorablement. Son dynamisme démographique et la jeunesse de sa population sont de réels atouts de succès pour le secteur. La puissance agricole ivoirienne a fait naître également d’importantes infrastructures de transpor t. Hélas de nombreux exploitants ruraux demeurent confrontés à de nombreuses difficultés pour acheminer leurs productions sur les marchés, des systèmes de transport adaptés à leurs attentes faisant durement défaut.

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L’absence de chaîne logistique adéquate constitue pour eux un véritable handicap occasionnant une hausse des coûts lors de la commercialisation des fruits et légumes en raison des difficultés d’accès aux zones d’exploitation, de la qualité et de la flexibilité des services. Ces réalités ont conduit plusieurs acteurs de la filière fruits et légumes de Côte d’Ivoire à s’inscrire dans une démarche d’intégration verticale, organisée autour d’une stratégie de transport des produits alimentaires ivoiriens, associant plusieurs étapes de la chaîne de valeur logistique : de la production à la commercialisation en passant par la logistique (maîtrise des coûts, respect des délais, etc.). Ainsi est née l’idée d’une stratégie de gestion durable au sein du secteur des fruits et légumes, qui se traduira par la création de la société. Bien que ses métiers soient principalement orientés vers l’exportation de ces produits, son développement témoigne de stratégies de conditionnement, de transpor t et de distribution intérieure de produits alimentaires pouvant contribuer au développement durable, à la sécurité et à l’autosuffisance alimentaire en Côte d’Ivoire et en Afrique.

La création d’Éolis, une stratégie logistique pour réduire la perte de fruits et légumes Éolis SA fut créé en Côte d’Ivoire en 2007, réunissant plusieurs acteurs autour d’un même constat : la durée et la qualité des opérations de transit pour l’exportation de fruits et légumes se traduisaient par la difficulté d’acheminer des produits frais vers les sites de transport intérieur ou d’exportation, la perte ou la dégradation de la qualité de produits lors des opérations de manutention, les retards d’obtention des documents indispensables aux différentes phases de transport. Contrairement à d’autres denrées alimentaires telles que les fèves sèches de cacao, les fruits et légumes disposent d’une durée de vie courte qui exige une gestion diligente pour en assurer la qualité et la comestibilité à la livraison finale. À défaut ,ces produits sont déclarés périmés et non appropriés à la consommation, avec les conséquences décrites ci-avant pour les producteurs et les consommateurs. Pour réduire ces pertes, mieux prendre en compte les réalités des producteurs dans les phases de transport et améliorer leur performance économique, la Compagnie fruitière, sa filiale ivoirienne la SCB (Société de développement de la culture bananière) et des petits producteurs d’ananas et de bananes se sont accordés sur une stratégie commune : la création d’un réseau de transport terrestre et maritime à fort potentiel humain et logistique. Éolis est ainsi née pour offrir une solution crédible aux producteurs, œuvrant pour un développement durable de la filière prenant en compte tous les acteurs, grands et petits, leur intégrant dans le développement de cette filière. Pour y parvenir Éolis a soumissionné pour obtenir la gestion du quai fruitier auprès du Port autonome d’Abidjan. La présence de la Compagnie fruitière au capital d’Éolis a renforcé sa crédibilité auprès de l’État de Côte d’Ivoire et de ses partenaires au développement qui ont accompagné le développement du quai fruitier.

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Éolis a progressivement intégré plusieurs métiers pour assurer la prise en charge des fruits et légumes à partir de stations de conditionnement en milieu urbain ou rural, assurer la continuité de la chaîne du froid indispensable à la conservation des produits, améliorer la phase de manutention pour réduire les pertes, accélérer le processus de transit et de mise en cale des navires pour les produits exportés. Inversement, pour assurer que les transports terrestres ne se fassent pas à vide au départ du port et améliorer la conservation des produits importés, Éolis a intégré la phase de transport depuis le quai fruitier jusqu’aux sites de commercialisation en milieu urbain ou rural. Outre la réduction de la perte des produits, la maîtrise de ces opérations a permis d’en réduire le coût de revient et sa répercussion sur le prix final du produit auprès du consommateur, améliorant ainsi la compétitivité des exploitants agricoles sur le marché national et international. La première agence de Éolis fut créée en Côte d’Ivoire avant de s’étendre dans plusieurs villes d’Afrique : Dakar (Sénégal), Agadir et Tanger (Maroc),Tema (Ghana) et Douala (Cameroun). Progressivement d’autres agences ont été créées en Europe, toujours en zone portuaire pour assurer le plus loin possible la traçabilité des opérations et la maîtrise de la chaîne logistique : Anvers (Belgique) ; Marseille, Por t-Vendres (France) ; Vado (Italie), Douvres et Portsmouth (Angleterre).

Les objectifs d’un transport durable de produits alimentaires Les principaux métiers de Éolis pouvant contribuer au transport durable de produits alimentaires sont I) les opérations logistiques favorisant l’organisation multimodale de transport et la traçabilité des produits, II) des opérations de transit réalisées dans des délais compatibles avec la durée de vie des produits alimentaires frais, III) des opérations de transport terrestre qui complètent les opérations maritimes, la conservation des produits et la connexion des territoires locaux, IV) les opérations de manutention effectuées selon des procédures de qualité évitant les pertes et détériorations des produits alimentaires. D’autres opérations sont assurées, mais elles ne contribuent pas directement aux objectifs de soutien à la sécurité et à l’autosuffisance alimentaire abordés ici. Au-delà de la maîtrise technique de ces métiers, leur mise en œuvre doit s’effectuer selon des stratégies concourant au développement durable, en s’inscrivant dans des objectifs de performances globales : environnementales, sociales, sociétales et économiques. Un transport durable doit assurer le déplacement efficient des produits, en optimisant l’organisation des modes de transport et la consommation de ressources, en favorisant des emplois décents et sécurisés, pour répondre aux besoins des clients à des prix rémunérateurs et socialement inclusifs. La connexion des territoires doit favoriser l’acheminement des produits alimentaires vers les lieux de consommation. L’intégration des parties prenantes dans une

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chaîne des valeurs (producteurs, transpor teurs, distributeurs et consommateurs) facilite l’accès des producteurs à revenus modestes aux plates-formes de transport et de distribution, et l’accès des consommateurs à des produits alimentaires sains et traçables.

d’énergie consommée au kilogramme de produits alimentaires transpor tés. Cette intégration contribue également aux intérêts de la Compagnie fruitière, actionnaire de référence de Éolis, en améliorant ainsi ses capacités d’approvisionnement de fruits cultivés en Côte d’Ivoire.

Au regard du changement climatique, les émissions de gaz à effet de serre du secteur du transport, hors électricité, représentent 14,1 % des émissions de gaz à effets de serre1. Au-delà du seul transport, toute la chaîne logistique doit être prise en compte (emballages de transpor t, stockage, distribution, etc.) pour contribuer à l’atténuation des changements climatiques et à la préservation de l’environnement. L’organisation de services adaptés, sécurisés, économes en énergie, de même que le recours aux nouvelles technologies numériques peuvent y contribuer.

L’intégration des petits exploitants dans la chaîne de transport ainsi mise en œuvre se traduit par des opportunités économiques pour chacune des parties, y compris le consommateur final. L’accès au marché et l’amélioration de la compétitivité des petits exploitants induisent une baisse du prix aux consommateurs nationaux, lorsque les produits sont destinés au marché intérieur, et aux consommateurs internationaux pour les produits destinés au marché régional ou international.

La démarche de développement durable mise en œuvre par Éolis est pragmatique et empirique. Cinq principaux axes en ressortent : • Mieux intégrer les petits producteurs dans la chaîne de transport ; • Assurer la conservation et la qualité des produits alimentaires ; • Développer des stratégies de transpor t respectueuses de l’environnement ; • Contribuer à la traçabilité des produits du producteur au consommateur ; • Créer les conditions pour un travail décent et sécurisé.

Mieux intégrer les petits producteurs dans la chaîne de transport L’une des motivations de la création d’Éolis fut d’intégrer des petits producteurs d’ananas et de bananes dans la chaîne de transport, afin de faciliter leur accès au marché international et réduire la perte des produits entre la date de départ de la plantation et celle de la mise en cale du navire. Cette stratégie bénéficie à toutes les parties prenantes. Individuellement, les petits producteurs rencontrent souvent des difficultés d’accès au marché régional ou international, tout comme la gestion documentaire des procédures d’exportation peut s’avérer longue et complexe. En intégrant plusieurs étapes de la chaîne de transport, du site de production au quai fruitier, Éolis a réduit le nombre d’intermédiaires, le coût des prestations qui se répercutent sur le prix et la compétitivité des exploitants, ainsi que les risques de r upture de la chaîne pouvant altérer la qualité de leur s produits. Réciproquement, cette stratégie lui a permis de capitaliser sa présence auprès des petits exploitants agricoles en Côte d’Ivoire, et de développer un volume d’activité sur le marché du transpor t terrestre intérieur. Pour éviter que ses camions frigorifiés partent à vide vers les sites de ces exploitants, Éolis y achemine des produits alimentaires, réduisant à la fois le coût de transport proposé aux petits exploitants qui chargeront ensuite vers Abidjan, ainsi que la quantité

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L’intégration peut aller plus loin, pour mieux contribuer à la sécurité et à l’autosuffisance alimentaire au plan national et régional. Le développement de stations de conditionnement et de parcs réfrigérés permettrait de préparer les produits dans des conditions de transport qui assureront leur conservation et leur qualité, à chaque étape de manutention et le long de la chaîne de transport. Ces parcs réfrigérés sont aussi des points d’arrivée et de stockage, pour recevoir des produits alimentaires en milieu rural avant leur commercialisation. L’intégration bénéficie alors aux consommateurs locaux qui auront accès à d‘autres produits alimentaires complétant ceux localement et saisonnièrement disponibles.

Assurer la conservation et la qualité des produits alimentaires durant la phase de transport Les phases de transport de fruits et légumes doivent en garantir la qualité et l’intégrité. En moyenne, les palettes contenant des cartons de fruits et légumes transportés par Éolis connaîtront 25 manipulations. Aucune ne doit compromettre l’intégrité des produits transportés, au risque d’entraîner leur dégradation et leur perte, qui se répercutera sur le prix des produits restant disponibles. Dans cette même perspective, les processus doivent éviter la contamination et l’accélération du mûrissement des produits confiés. Le respect de la qualité et de la conservation, des produits frais ou surgelés, est primordial. Cette prise en compte commence à la phase de conditionnement pour le transport. Le produit lavé et mis en carton d’emballage, pourra être ensuite positionné en palette. Le processus de maturation de plusieurs des fruits et légumes produit de l’éthylène en quantité variable ; cette hormone végétale produira un gaz qui peut altérer la conservation de produits alimentaires à proximité. Les fruits et légumes sont classés en deux catégories, climactériques et non climactériques, selon qu’ils présentent ou non un pic de respiration et de synthèse d’éthylène au moment du mûrissement. La production d’éthylène par un produit climactérique peut accélérer le mûrissement d’un autre produit climactérique, tandis qu’un produit non climactérique évoluera vers un stade de

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sénescence qui entraînera sa perte. Les cartons d’emballage et la stratégie de conditionnement doivent alors assurer une ventilation pour éviter d’accélérer la maturation ou la perte du produit. La prise en compte des températures est également impérative pour assurer la durée de vie ou la qualité d’un produit : des enzymes présentes dans les fruits pour sa maturation deviendront moins actives à moins de 3 ou 4 °C. Quant aux produits alimentaires qui seront surgelés, le maintien de la chaîne du froid est encore plus rigoureux : la congélation détruit plus ou moins les cellules des produits et les bactéries présentes. Certaines bactéries y résistent, le froid arrête ou ralentit seulement leur croissance ; en cas de rupture de la chaîne du froid elles peuvent bénéficier de conditions favorables à leur prolifération. Si elles sont pathogènes, il y aura alors un risque d’intoxication alimentaire, donc de santé pour les consommateurs. Avant tout déchargement de marchandise en import, une inspection rigoureuse est faite par Éolis. Le service qualité, sécurité, hygiène et environnement, appuyé par le service acconage, inspecte la marchandise avant débarquement. Les marchandises sont stockées suivant leurs caractéristiques. Les produits réfrigérés sont conservés à température constante en conteneurs, ceux à conserver en température ambiante sont stockés dans des entrepôts appropriés. Que le marché visé soit à l’export ou à l’intérieur, qu’il s’agisse d’un navire de transport de produits frais ou d’un camion frigorifié, la contribution d‘un transport à la sécurité alimentaire devient une question de qualité de service et de rapidité du transport, de conditionnement des produits et de manutention. Il faut livrer, à tout moment, dans des délais relativement limités, sans rupture de charge et sans multiplication des opérations de manutention, de la station de conditionnement à la plate-forme de distribution.

Développer des stratégies de transport respectueuses de l’environnement Le rôle du transport dans la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre appelle plusieurs réflexions relatives à la préservation de l’environnement. Particulièrement pour la filière des fruits et légumes et les spécificités de ses chaînes logistiques agroalimentaires : la périssabilité et la saisonnalité des produits nécessitent un stockage et un transport frigorifique coûteux en énergie. Une stratégie de transport durable doit viser une consommation efficiente de ressources, qui passe par le choix des infrastructures logistiques, la sélection de matériaux d’emballage ou l’organisation des flux de transport. Des mesures ont été prises par Éolis, lorsque la société dispose de leviers d’action lui permettant de s’impliquer dans cette démarche.

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Un premier exemple porte sur la conception du hangar principal de stockage du quai fruitier, destiné aux fruits et légumes en transit pour l’importation ou l’exportation. Situé en bordure de lagune, il offre une superficie de stockage protégé de 15 000 mètres carrés, portée par des piliers, sans aucun dispositif mural. La toiture en son milieu comporte d’une légère surévaluation avec des ouvertures favorisant une ventilation naturelle. Cette installation maintient une température acceptable pour la conservation des produits, en recyclant l’air par évacuation de l’éthylène produit par les fruits entreposés. Cette ventilation naturelle repose d’abord sur un tirage éolien, elle utilise le vent venu de la lagune et les effets de dépression résultant de la forme de la toiture ; cette forme favorise aussi le tirage thermique qui résulte de la différence de température entre l’air intérieur sous la toiture et l’air extérieur. Le hangar bénéficie ainsi d’un vent latéral qui passe sous la toiture, tandis que l’ouverture de la toiture utilise l’action éolienne et thermique pour créer un courant d’air vertical s’échappant par cette ouverture. Cette double ventilation maintient les fruits et légumes dans des conditions propices à la conservation, sans consommation d’énergie. La ventilation est aussi importante durant les phases de transport maritime, pour évacuer l’éthylène produit par les fruits et légumes transportés. Dans le cadre de sa collaboration avec la compagnie AEL (Africa Express ligne), une société sœur filiale de la Compagnie fruitière, Éolis a accès à huit navires équipés d’une atmosphère contrôlée, adaptée au transpor t et à la conservation de fruits, légumes et autres denrées périssables. Son système d’aération et le stockage des palettes favorisent une circulation continue de l’air dans les cales où les marchandises sont entreposées, tout en réduisant la consommation énergétique. Ce système organise 90 cycles par heure pour récupérer de l’air frais dans le bateau et rejeter l’air chargé d’éthylène, de dioxygène libre (O2) et de dioxyde de carbone (CO2) issus de la respiration des fruits. L’organisation des flux de transport est enfin un élément majeur de la réduction de l’empreinte environnementale. Le transport maritime par conteneur est le mode de transport le moins polluant, surtout dans une solution logistique multimodale efficace ; pouvant aller jusqu’à une combinaison maritime/rail par exemple, difficile à mettre en œuvre en Côte d’Ivoire pour la filière fruits et légumes. Éolis utilise également la géolocalisation par satellite de ses camions de transport pour mieux organiser la collecte et le transport des produits, l’itinéraire de ses véhicules, réduisant sa consommation de carburant et son empreinte carbone. Ce géorepérage permet de contrôler la vitesse des véhicules et d’encourager les chauffeurs dans cette démarche.

Contribuer à la traçabilité des produits du producteur au consommateur Les exigences de l’industrie agroalimentaire internationale, le développement des réglementations, des préoccupations de santé publique et des attentes des

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consommateurs en faveur d’une agriculture durable ont entraîné des attentes de traçabilité des produits le long de la chaîne d’approvisionnement. Ces attentes se retrouvent jusque dans les pays producteurs tels que la Côte d’Ivoire, et se répercutent dans les grandes et petites exploitations. La traçabilité exige de pouvoir identifier rapidement et avec précision les produits, de déterminer leur origine, de les localiser au sein de la chaîne d’approvisionnement, d’en faire le rappel en tant que de besoin. Les producteurs s’engagent progressivement dans la traçabilité de leur production, appliquent des étiquetages et des codes-barres qui mentionnent le lot, sa nature, son origine. Éolis s’insère dans cette chaîne de traçabilité pour identifier la collecte des produits et le véhicule utilisé, suivre les étapes clés de stockage, d’embarquement, de transport et de débarquement et de stockage. Chaque opération fait l’objet d’une saisie du code-barres par des terminaux de saisie portable garantissant le monitoring des produits dès lors qu’ils entrent dans le périmètre de responsabilité de l’entreprise. Durant la phase maritime du transport et jusqu’à remise aux destinataires, la traçabilité se poursuit grâce à l’interopérabilité des techniques mises en œuvre. Le dispositif garanti une traçabilité du produit du producteur aux consommateurs, satisfaisant les exigences des distributeurs et des consommateurs soucieux de contribuer à une agriculture responsable, et facilitant la détection de tous les enjeux de santé publique ou de rappel de produits.

Créer les conditions pour un travail décent et sécurisé Le développement d’une stratégie de transport durable, sa contribution à la sécurité ou à l’autosuffisance alimentaire reposent avant tout sur les ressources humaines. Le bon suivi des procédures, une démarche rigoureuse de qualité, d’hygiène, de sécurité et d’environnement impliquent leur adoption réelle par les hommes chargés de les définir, les exécuter et les améliorer. Leur adhésion est une condition sine qua non pour éviter tout phénomène d’usure du bon respect des procédures dont la conséquence pourrait être un accident de travail lors de la manutention d’un container, la rupture de la chaîne du froid avec des risques de santé pour les consommateurs, l’altération ou la perte de produits alimentaires contraire aux objectifs de sécurité alimentaire. Une stratégie de transport durable doit intégrer la sécurité des biens et des personnes qui contribuent aux objectifs de développement durable que s’est assignée l’entreprise. Éolis s’est engagée à mettre en œuvre des conditions de travail décentes, respectueuses des hommes et de leur sécurité, pour lesquelles des formations sont indispensables. Ainsi, les 200 femmes et hommes salariés d’Éolis sont individuellement et collectivement engagés dans un processus volontaire de la prévention des risques et accidents. Ils participent aux différentes formations internes et externes destinées à les familiariser aux contingences

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de sûreté et sécurité. Ils sont aussi force de proposition pour une meilleure réduction de ces risques. Cette démarche est pilotée par un comité de sûreté et sécurité en liaison directe avec la direction ; elle est très largement inspirée des International Safety Management Procedures appliquées dans le domaine, notamment, du transport de passagers. Si les dispositions sont évidentes pour les salariés bénéficiant d’un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée, Éolis, agence maritime exerçant dans le domaine portuaire, a recours à des travailleurs journaliers : les dockers. Le volume de travail variant en fonction des dates estimées et réelles des navires, il en résulte des emplois temporaires pour conduire certaines opérations de manutention, chargement et déchargement des navires. La sophistication des infrastructures, l’utilisation plus répandue des containers et la modernisation des équipements utilisés nécessitent aussi des dockers plus qualifiés. Les charges transportées et le travail en équipes régulièrement renouvelées appellent une attention permanente aux risques de sécurité et de santé. Face aux enjeux de ces collaborateurs journaliers, Éolis a axé ses actions sur : I) leurs formations aux normes de sécurité mises en œuvre dans l’entreprise, de manipulation des containers, de conduite des engins de manutention portuaire ; II) leur sensibilisation à l’importance de la démarche qualité, de la prévention et de la réduction des risques ; et III) la réduction de la gravité d’éventuels accidents de travail, en fournissant aux dockers des équipements de protection individuelle.

Conclusion et perspectives La sécurité des produits alimentaires est une responsabilité partagée par tous les acteurs de la chaîne alimentaire : producteurs, transporteurs et distributeurs. Des bonnes pratiques doivent assurer, de bout en bout de cette chaîne, une qualité et une hygiène constantes, pour prévenir tout risque de contamination ou de perte des produits. Cette démarche doit s’assurer que les produits alimentaires qui entrent dans cette chaîne soient délivrés intègres et sains aux consommateurs. Elle doit contribuer de ce fait à la sécurité alimentaire des personnes et à l’autosuffisance alimentaire des États. L’exemple d’Éolis, les attentes et les collaborations mises en œuvre montrent que des actions sont réalisables, de l’exploitant en Côte d’Ivoire au distributeur en Europe. Des efforts considérables ont lieu en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays africains pour développer une agriculture durable. Il est important que plus d’acteurs du transport et de la distribution s’impliquent. Une plus grande collaboration, réunissant tous les acteurs de la chaîne alimentaire nationale (producteurs, transporteurs et consommateurs), permettra de mieux synchroniser les processus de collecte et distribution, de réduire les temps de transport et de stockage, de répondre en tout point à des standards internationaux de qualité. L’analyse du modèle d’Éolis, principalement orienté à l’export, montre la faisabilité technique en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays où elle est implantée.

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Éolis souhaite montrer sa faisabilité économique à l’échelle nationale, dans le cadre du projet Oceana en cours de développement. Oceana associe de petits producteurs maraîchers aux pratiques agricoles durables, dans un circuit de distribution nationale. Leurs produits bénéficieront d’un accès à une station mutualisée de conditionnement pour une préparation et un emballage des produits qui assureront leur intégrité. Les étapes de conservation seront améliorées par des espaces de stockage et des transports frigorifiés. La maîtrise des calendriers de production et l’anticipation des besoins de la distribution permettront de mutualiser et d’organiser les phases de transport et de logistique. Les producteurs impliqués bénéficieront d’un saut technologique, assurant la qualité et la traçabilité de leurs produits jusqu’à une plate-forme de distribution et, au-delà, jusqu’aux consommateurs. La maîtrise de la phase de transport et de la logistique sera un des facteurs de compétitivité de ces producteurs. Chacun des participants à ce projet intégré, collaboratif et participatif, a conscience de s’inscrire dans la recherche d’une performance globale – environnementale, sociale et économique – dans la perspective de contribuer à la sécurité et à l’autosuffisance alimentaire de la Côte d’Ivoire.

NOTE 1. Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2014.

XI La responsabilité sociétale des entreprises et les enjeux du développement durable


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La RSE, entre contingences et universalisme Dr Denis Gnanzou Directeur général du développement durable, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement de la Côte d’Ivoire

Introduction Émergée véritablement aux États-Unis avec la parution de l’ouvrage de Bowen en 1953 dans lequel l’auteur sensibilise les hommes d’affaires aux valeurs qui sont considérées comme désirables dans la société (Bowen, 1953), la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) suscite aujourd’hui un intérêt croissant à travers le monde et prend appui sur la problématique du développement durable, notamment en Afrique. S’intéressant à ce sujet depuis plusieurs années, les organisations internationales tentent maintenant de l’institutionnaliser au niveau mondial en définissant des normes et principes de RSE qui visent un discours universaliste sur le concept correspondant à la réalité d’une économie mondialisée. L’ONU a érigé le Global Compact, l’OCDE s’appuie sur les Principes directeurs et l’OIT s’adosse sur la Déclaration de principes tripartite. Ces normes et principes apparaissent comme les fondamentaux en matière de RSE et devraient guider, selon ces organisations internationales, toutes les entreprises à travers le monde, indépendamment des contextes nationaux. La RSE est ainsi présentée par ces organisations internationales comme une des réponses aux défis posés par la mondialisation dont les entreprises constituent des acteurs essentiels. Par le biais de la RSE, ces organisations tentent d’appréhender la mondialisation avec davantage de responsabilités. Dès lors se pose la question de l’appropriation et de la mise en œuvre effective de ces normes et principes fondamentaux qui sous-tendent le concept, au regard des contingen-

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Responsabilité sociétale des Entreprises

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ces locales, surtout dans les pays en développement, notamment africains sur lesquels porte cet article.

La RSE et les tentatives d’institutionnalisation au niveau mondial par les organisations internationales La RSE suscite aujourd’hui un intérêt croissant à travers le monde et prend appui sur la problématique du développement durable. Cet intérêt pour la RSE ne se limite plus aux cercles universitaires ou économiques et bénéficie désormais d’une audience médiatique croissante : quotidiens et magazines lui consacrent régulièrement articles, dossiers et débats. Cette reconnaissance s’inscrit dans un processus d’institutionnalisation notable dont la RSE fait l’objet à travers le monde (Le Bas et Dupuis, 2005 ; Cazal, 2005 ; Schmidt et Huault, 2004 ; Schmidt, 2004). Le relais des institutions est déterminant pour faire évoluer les pratiques par l’élaboration progressive d’un cadre qui impose des exigences sociales, environnementales et culturelles, et incite les entreprises à assumer des responsabilités nouvelles. Celles-ci doivent donc apprendre à paraître selon les critères convenus pour assurer leur légitimité, cette dernière étant « l’impression partagée que les actions sont désirables, convenables ou appropriées par rapport au système socialement construit des normes, de valeurs ou de croyances sociales » (Suchman, 1995). Selon Brodhag (2006), la RSE constitue aujourd’hui une notion dont les contours appartiennent de moins en moins aux théoriciens, mais de plus en plus aux instances de négociation nationales et internationales. Cette institutionnalisation conduit les entreprises à adopter une démarche de RSE, sans que soit tranchée la question de son efficience (Rubinstein, 2006). On relève ainsi, par exemple, que depuis quelques années, les organisations internationales – l’ONU, l’OCDE et l’OIT – tentent d’institutionnaliser la RSE au niveau mondial. Des normes et principes de comportement sont ainsi définis et visent un discours universaliste sur le concept correspondant à la réalité d’une économie devenue mondiale dont on cerne encore difficilement les concours, vu les profondes mutations qu’elle engendre sur tous les plans. Ces normes et principes apparaissent comme les fondamentaux en matière de RSE et devraient guider, selon ces organisations internationales, toutes les entreprises à travers le monde, indépendamment des contextes nationaux. L’ONU a développé le Global Compact 1 . L’OCDE a érigé les Principes directeurs 2 à l’usage des grandes entreprises. L’OIT s’appuie sur la Déclaration sur les multinationales et la politique sociale et aborde les questions de l’emploi, la formation, les conditions de travail et les relations professionnelles.

Les meilleures pratiques de RSE de portée universelle dans une économie devenue mondiale Une synthèse des normes et principes définis par les trois principales organisations internationales ci-dessus citées permet de mieux appréhender concrètement les meilleures pratiques de RSE reconnues au niveau mondial. Cette synthèse a conduit à l’identification des huit dimensions suivantes de la RSE qui montrent le caractère multidimensionnel du concept : code de conduite3 (ou charte éthique), gouvernance d’entreprise, normes fondamentales du travail, protection de l’environnement, comportement exemplaire sur le marché où l’entreprise exerce ses activités, engagement sociétal, droits fondamentaux de l’homme au travail et, enfin, la dimension sciences et technologies. Ainsi pouvons-nous définir qu’une entreprise « bon élève » en matière de RSE est une entreprise qui prend des engagements (ou des mesures) relativement à ces principales dimensions de la RSE et met en place un système de management qui incite au respect de ces engagements. Ces engagements sont illustrés par des actions concrètes à l’endroit de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, des preuves tangibles et devraient s’inscrire dans une perspective transversale (c’est-à-dire non cantonnés dans l’un ou l’autre dépar tement de l’entreprise) et longitudinale (c’est-à-dire s’étalent sur la durée et apportant une véritable valeur ajoutée à l’entreprise et à ses parties prenantes). Autrement dit, les questions de RSE devraient s’inscrire dans la stratégie globale de l’entreprise. Globalement, complétant, et devançant parfois, l’action de l’État, l’entreprise « bon élève en matière de RSE » essaie de contribuer par son action à la bonne marche de la société tout entière, sans oublier sa finalité économique. Elle doit aujourd’hui s’attacher à prendre en compte la dimension environnementale et écologique de ses actions. Le tableau de la page suivante présente la synthèse des différentes dimensions ainsi que le comportement attendu d’une entreprise « bon élève en matière de RSE » au niveau de chaque dimension du concept..

Enjeux d’une RSE universalisée Une revue de la littérature permet d’appréhender ces enjeux selon trois angles d’attaque : des enjeux sur les plans économique, politique et juridique. Les enjeux sur le plan juridique

Ces recommandations internationales n’ont pas encore de portée contraignante. Au-delà des bonnes intentions, la question demeure de concevoir les attributions et les modalités d’exercice du pouvoir qui permettront à des instances internationales de contrôler la mise en œuvre effective de ces principes.

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Un des effets négatifs de la mondialisation relevé dans la littérature managériale et économique est l’affaiblissement du pouvoir de régulation des Étatsnations face au pouvoir économique et financier de plus en plus prépondérant

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des entreprises. Le constat est aussi fait par l’opinion publique des carences ou de l’affaiblissement du droit international 4 et de la relative incapacité des États à réguler le comportement d’acteurs mondiaux (Persais, 2007). Ainsi sur le plan juridique, en devenant un cadre d’action pour les entreprises leur permettant d’être des vecteurs de progrès à la fois économique, social et environnemental, la RSE peut permettre de pallier l’affaiblissement du pouvoir de régulation des États-nations. Pour Trocmé, dans les efforts pour contrer les effets non maîtrisés de la mondialisation, la RSE peut sans doute être conçue comme une des réponses possibles aux carences du droit international (Trocmé, 2003). L’OIT précise qu’en devenant un cadre juridique international, surtout en matière de normes sociales et de travail, la RSE peut garantir offrir à chacun des conditions égales dans l’économie mondiale. Ce cadre aidera les gouvernements et les employeurs à ne pas céder à la tentation d’abaisser les normes du travail dans l’espoir de procurer un meilleur avantage comparatif dans les échanges internationaux. À long terme, de telles pratiques ne profitent à personne. L’abaissement des normes du travail peut encourager la croissance d’industries à faible niveau de compétence, à bas salaires et à rotation élevée de personnel et empêcher un pays de développer des emplois qualifiés plus stables. Par ailleurs, des pratiques de ce genre freinent la croissance économique des partenaires commerciaux. Parce que les normes internationales du travail sont des normes minimales adoptées par les gouvernements et les partenaires sociaux, il devrait être dans l’intérêt de chacun qu’elles soient appliquées par tous de façon à ce que ceux qui ne les appliquent pas ne compromettent pas les efforts de ceux qui le font selon l’OIT 5. Les enjeux sur le plan économique et du développement durable La mondialisation de l’économie a libéralisé l’investissement et a permis aux entreprises de développer leur production dans le monde entier. Cependant, elle a conduit à de nombreuses déviances au niveau du compor tement des entreprises, notamment la recherche d’une rentabilité à tout prix, quoi qu’il en coûte en négation de l’humain et en destruction de la nature. Les scandales tels que les trafics d’influence, les pratiques de corruption, les destructions environnementales ou les pollutions qui ont impliqué de grands groupes multinationaux ont terni l’image des entreprises et occasionné une perte de crédibilité des dirigeants. Ainsi s’accroît de plus en plus aujourd’hui une demande pour une moralisation des activités économiques et une pression sociétale sur les entreprises (Persais, 2007). En mondialisant la RSE, on cherche, sur le plan économique, à faire de la réputation des entreprises en matière de RSE un facteur déterminant de la concurrence mondiale. Persais précise quant à lui que la RSE peut constituer le facteur clé de la légitimité des entreprises dans ce contexte d’internationalisation de l’économie et de leur capacité à démontrer qu’elles inscrivent leurs actions dans le cadre d’une économie responsable (Persais, 2007).

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Les enjeux sur le plan politique Sur le plan politique, nous pouvons appréhender la mondialisation de la RSE comme une façon de promouvoir un nouveau modèle de société dans un contexte de prise de conscience générale qu’il est plus que jamais nécessaire d’humaniser la mondialisation ; de donner un visage humain à la mondialisation, comme le relève entre autres Bartoli (1999). Pour la Commission européenne, la RSE représente un aspect essentiel du modèle social européen et qu’elle constitue un moyen de défendre la solidarité, la cohésion et l’égalité des chances dans ce contexte de concurrence mondiale accrue6 (CE, Communication, 2006, RSE). Pour l’OIT, dans ce contexte de mondialisation aux avantages potentiels à optimiser et aux risques potentiels à réduire autant que possible, la clé du progrès est une adhésion commune à des valeurs universelles qui assurent aux femmes et aux hommes la possibilité d’accéder à un travail décent et productif dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité (OIT, 1977 et révision, 2000). Comme nous venons de le présenter, la mondialisation de la RSE comporte des enjeux importants. Cependant, cette mondialisation de RSE reste soumise à l’épreuve des contingences locales.

La RSE, à l’épreuve des contingences locales Aujourd’hui, les initiatives de promotion et de renforcement des normes et principes fondamentaux de RSE à travers le monde ne manquent pas. En Afrique, sur l’initiative conjointe du Bureau international de travail (BIT), de l’Office international de l’eau (OIE), de la Confédération panafricaine des employeurs (CPE) et de la Fédération des employeurs du Kenya (FKE), il y a eu une grande réunion panafricaine en mai 2003 à Nairobi (Kenya) sur la promotion du Global Compact de l’ONU. Le thème des échanges était « le rôle des organisations d’employeurs dans la promotion du Global Compact ». De son côté, l’OCDE organisait en juin 2005, une grande table ronde sur la RSE sur le thème « Les Principes directeurs de l’OCDE et le monde en développement : instaurer la confiance ». L’objectif de cette table ronde était d’aider à améliorer la promotion et la mise en œuvre des Principes directeurs de l’OCDE dans les pays en développement. Enfin, des événements remarquables dans la promotion et la diffusion de la RSE ont été organisés par le G8 et le G20 en faveur des normes et principes de RSE internationalement reconnus tels que les principes du Global Compact et les principes de l’OCDE. Ils invitent ainsi toutes les entreprises des pays du G8, des économies émergentes et des pays en développement à par ticiper activement à ces normes et principes et à soutenir leur diffusion à l’échelle mondiale. Malgré cet engouement en faveur de la promotion et du renforcement de la RSE, celle-ci reste soumise à l’épreuve des contingences locales qui peuvent

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constituer de véritables obstacles qui sont de nature à mettre à mal cet impératif de promotion et de renforcement la RSE ; des contingences sur lesquelles, malheureusement, la littérature managériale et académique sur la RSE n’insiste pas vraiment afin d’éclairer les décideurs et les acteurs engagés, un éclairage qui peut leur permettre de déployer des stratégies d’anticipation. Ces contingences locales sont entre autres d’ordre politique institutionnel, d’ordre culturel et sociologique, d’ordre économique et technologique. Les contingences d’ordre politique et institutionnel La mise en œuvre de la RSE requiert des institutions fortes de régulation, que ce soit dans le domaine économique comme dans le domaine social et environnemental, sur lesquelles elle peut prendre appui pour être efficace. Par exemple, « dans les pays développés et démocratiques, l’application des normes sociales et environnementales résulte d’un système juridique très complet avec des corpus de règles et des instances juridictionnelles pour les faire prévaloir » (Inspection générale des affaires sociales, 2004, p. 28). Malheureusement, beaucoup de pays en développement sont incapables de développer aujourd’hui de telles institutions (Utting, 2005). Dans une publication de l’OCDE en 2006, cette dernière démontre notamment que la plupart des pays en développement sont des zones à déficit de gouvernance où les autorités n’arrivent pas à assumer leurs responsabilités. Ces « manquements de la puissance publique » engendrent de profondes carences au niveau des institutions politiques, économiques et civiques qui, à leur tour, créent les conditions d’une corruption endémique, avec une absence même de punition, et bloquent le développement économique et social (OCDE, Outil de sensibilisation, 2006). Dans ce contexte, il est inévitable, par exemple, que la lutte contre la corruption sous toutes ses formes (la corruption publique et privée, ainsi que la corruption active et passive, y compris l’extorsion de fonds et les pots-de-vin), prônée par la RSE soit mise à rude épreuve. Les travaux de Transparency International 7, avec son indice de perception de la corruption (IPC) qu’elle publie chaque année, confirment que les pays en développement sont gangrenés par la corruption, même si certains pays développés sont montrés du doigt. Ils sont toujours au bas du classement de Transparency. Une preuve du cercle vicieux liant pauvreté, faillite des institutions, corruption et vulnérabilité face aux risques écologiques. Les contingences d’ordre culturel Les contingences d’ordre culturel ne peuvent pas être occultées lorsque l’on parle de mise en œuvre opérationnelle de la RSE. En effet, le comportement socialement responsable des entreprises devrait les conduire à adopter, par exemple, des politiques efficaces en matière d’égalité des chances, surtout, dans les sélections, les recrutements, les contrats et conditions de salaires, la formation, la parité hommes et femmes et la gestion des carrières, contribuant ainsi à la lutte contre les discriminations. Cette lutte contre la discrimination dans les

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relations de travail peut être étouffée par certaines pesanteurs socioculturelles, surtout dans de nombreux pays en développement comme en Afrique. Ces pesanteurs socioculturelles se traduisent dans les faits, notamment par un faible taux de scolarisation et d’alphabétisation des jeunes filles, une discrimination de la femme en matière d’emploi et de profession et même une faible implication des femmes dans les activités syndicales pour pouvoir défendre leurs droits spécifiques. La problématique de l’utilisation de la main-d’œuvre infantile est également fondamentale dans les débats sur les normes et principes de RSE. Dans sa parution de novembre 2001 dont l’intitulé est « Le travail des enfants en Afrique : problématique et défis », le Bulletin Findings 8 tire, par exemple, la conclusion que « le travail des enfants est une question complexe, imbriquée dans la culture et l’économie. Et qu’en Afrique, le travail des enfants reste un problème africain. Ainsi les stratégies efficaces et durables pour éradiquer ses formes nuisibles doivent être développées dans le cadre du contexte africain ». On voit qu’il peut apparaître difficile de trouver une solution vraiment universelle à une problématique telle que celle du « travail des enfants » alors qu’elle est au cœur même des recommandations en matière de RSE. Enfin, on peut aborder la question du développement du dialogue social 9 au sein de l’entreprise prônée par la RSE, un dialogue social de qualité qui favorise une démarche participative. La pratique du dialogue social dans l’entreprise est un gage de cohésion sociale face à l’idée largement répandue selon laquelle les relations sociales au sein de l’entreprise sont faites d’affrontements. Vécue de différentes manières selon la taille des entreprises, la pratique du dialogue social au sein de l’entreprise peut permettre d’aborder plusieurs sujets, notamment la gestion prévisionnelle de l’emploi, la sécurité, l’épargne salariale, etc. Toutefois, certains facteurs culturels peuvent constituer un obstacle à ce dialogue social au sein de l’entreprise. Dans son ouvrage intitulé Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne, Zadi fait par exemple la démonstration que certains facteurs culturels africains vont à l’encontre d’une gestion saine de l’entreprise moderne : il y a le « mythe du chef », le « grand-frérisme10 » ou « le respect de l’ancienneté ». Ceux-ci sont fortement ancrés dans les mœurs et troublent les relations hiérarchiques en introduisant une distance rigide entre la direction et les salariés, nuisant ainsi à une bonne communication dans les relations professionnelles (Zadi, 1998). Les contingences d’ordre sociologique La mise en œuvre opérationnelle de la RSE par les entreprises nécessite la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée, de compétences dans le domaine, notamment, des diplômés auditeurs sociaux ou environnementaux ou RSE, des analystes extra-financiers. Cette absence de base sociologique nécessaire peut constituer un gros handicap dans les pays en développement. Ces pays ne disposeraient pas encore de véritables programmes de formation pertinents dans le domaine de la RSE. D’ailleurs à l’heure actuelle, au niveau des pays dévelop-

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pés ou industrialisés, on ne relève que quelques formations spécialisées dans le domaine de la RSE 11. À cela, on peut ajouter dans cette catégorie le rôle de la société civile qui est très important pour faire évoluer les pratiques des entreprises vers des pratiques plus responsables. Utting relève malheureusement que cette société civile dans les pays en développement, représentée entre autres par les syndicats, les ONG, la presse, les associations de consommateurs, paraît trop passive, trop faible, pour jouer ce rôle de pionnier dans le domaine de la RSE et du développement durable (Utting, 2005). Par ailleurs, dans la plupart des pays africains notamment, la situation socio-économique est marquée par la pauvreté, le chômage et les inégalités. Ainsi, il apparaîtrait que les citoyens comme les salariés soient moins exigeants à l’égard des entreprises sur les normes et conditions de travail. Les contingences d’ordre économique et financier La RSE a inévitablement un coût : le coût des actions sociales et environnementales ; le prix des démarches de certification environnementale ISO 14001, qualité ISO 9001 ou les bonnes conditions de travail SA 8000. Ce coût est souvent considérable et les entreprises dans les pays en développement peuvent ne pas pouvoir le supporter. En effet, dans la plupart de ces pays, la situation économique et financière des entreprises est très généralement difficile. Ces entreprises manquent souvent de moyens financiers pour financer leurs propres activités. Nous avons donc ici un obstacle majeur auquel la mise en œuvre effective de la RSE peut se heurter, surtout, dans les pays du continent.

Conclusion L’analyse ici présentée permet de comprendre les obstacles que peut rencontrer la RSE dans les pays en développement et sur lesquels il conviendrait d’agir si l’on veut parvenir à sa promotion efficace notamment en Afrique. À l’instar des travaux de Kenneth Arrow sur les fondements de l’économie de marché dans lesquels il avait tenté d’établir les bases mathématiques qui expliqueraient à quelles conditions les économies de marché pouvaient fonctionner (cité par Stiglitz, 2002)12, il serait judicieux pour les promoteurs de la RSE au niveau mondial de chercher à appréhender concrètement les facteurs significatifs qui favoriseraient l’appropriation ou l’enracinement de la RSE dans un contexte donné. À cet effet, des études empiriques approfondies au niveau de plusieurs pays en développement sont nécessaires. Le défi pour l’Afrique est de promouvoir la RSE, de valoriser les bonnes pratiques en la matière et d’accompagner les partenariats stratégiques qu’il conviendrait de soutenir. Cet enjeu est fondamental pour relever les réponses programmatiques et opérationnelles en faveur du développement durable et de l’adaptation au changement climatique.

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NOTES 1. Annoncé par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, lors du Forum économique mondial qui s’est tenu en janvier 1999 à Davos (Suisse), le Global Compact, ou Pacte mondial, invite les entreprises à adopter dix principes universels organisés autour de quatre rubriques que sont les droits de l’homme, les normes de travail, l’environnement et la lutte contre la corruption dans l’esprit d’un « développement responsable et durable ». Pour en savoir plus : www.unglobalcompact.org 2. Ces principes visent à inciter les entreprises à adopter un comportement responsable dans les domaines environnemental et social. Leur révision de 2000 a permis d’en préciser les contours et d’intégrer plus formellement la RSE. Ils couvrent désormais toutes les normes de l’OIT et de nouvelles recommandations ont été formulées concernant la transparence, les droits de l’homme, la lutte contre la corruption et la protection des consommateurs. 3. Pour l’OIE (Organisation internationale des employeurs, créée en 1920), le code de conduite constitue une déclaration opérationnelle de politique, de valeurs ou de principes qui orientent le comportement d’une entreprise en fonction du développement de ses ressources humaines, de la gestion de l’environnement et des interactions avec les consommateurs, les clients, les gouvernements et la communauté, là où elles opèrent. Quant à l’OCDE, elle définit le code de conduite comme un engagement souscrit volontairement par les entreprises, associations ou autres entités qui fixent des normes et des principes pour la conduite de leurs activités sur le marché (OCDE, Responsabilité des entreprises, 2001). 4. La Convention de Bâle (in extenso : Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination) est un traité international qui a été conçu afin de réduire la circulation des déchets dangereux entre les pays. Il s’agissait plus particulièrement d’éviter le transfert de déchets dangereux des pays développés vers les pays en développement (PVD). La Convention a été ouverte à la signature le 22 mars 1989 et est entrée en vigueur le 5 mai 1992. Mais les résultats aujourd’hui, en ce qui concerne le respect de cette convention, sont mitigés. L’affaire des déchets toxiques du Probo Koala en Côte d’Ivoire, le transfert des déchets électroniques en direction de l’Afrique en témoignent. 5. http://www.ilo.org/global/lang-fr/index.htm (Voir les bénéfices des normes de travail) et http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/-ed_norm/normes/documents/publication/wcms_108397.pdf 6.Voir aussi : http://europa.eu/legislation_summaries/external_trade/c00019_fr.htm 7. http://www.transparency.org/ :Transparency International (TI) est la principale organisation de la société civile qui se consacre à la lutte contre la corruption.TI sensibilise l’opinion publique aux effets dévastateurs de la corruption et travaille de concert avec les gouvernements, le secteur privé et la société civile afin de développer et mettre en œuvre des mesures visant à l’enrayer. Créée en 1993 par un ancien directeur de la Banque mondiale, l’Allemand Peter Eigen,TI est présidée depuis 2005 par la Canadienne Huguette Labelle, chancelière de l’université d’Ottawa et ancienne présidente de l’Agence canadienne de développement. L’Organisation publie chaque année un indice : indice de perception de la corruption (IPC). Comme son nom l’indique, l’IPC évalue la perception, par les milieux d’affaires internationaux, du niveau de corruption affectant les administrations publiques et la classe politique de 180 pays sur une échelle allant de 0 (haut degré de corruption perçu) à 10 (faible degré de corruption perçu). Bien évidemment, les pays peuvent voir leur image se dégrader. 8. Le Bulletin Findings est une publication de la Banque mondiale pour la région Afrique. http://www.worldbank.org/afr/findings/french/194.pdf 9. L’Organisation internationale du travail (OIT) définit le dialogue social comme incluant tous les types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs sur des questions présentant un intérêt commun relatives à la politique économique et sociale. Le dialogue social ne revêt pas un caractère juridique contrairement à la négociation collective. 10. Le « grand-frérisme » est une sorte d’obéissance aveugle à l’aîné, même quand il n’est pas dans

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Développement durable en Afrique le vrai. C’est une forme d’abus du droit d’aînesse. 11. Quelques formations disponibles : * L’université Laval, au Canada, a ouvert le MBA Responsabilité sociale et environnementale des organisations et considère que la RSE représente aujourd’hui un impératif stratégique pour assurer la légitimité sociale des organisations, réduire les coûts liés aux impacts écologiques et répondre à ces nouvelles attentes des consommateurs http://www5.fsa.ulaval.ca/sgc/formation/mbalaval/mbaresponsabilitesocialeenvironnementaleorganisations * L’université Paris 12-Créteil a ouvert le master professionnel (M2) Management de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), ancien DESS Audit social et sociétal. http://www.iae.univ-paris12.fr/formations/objectifs/6 * L’université de Toulouse I-Sciences sociales considère que les préoccupations de durabilité (DD) et de la responsabilité sociale de l‘entreprise (RSE) mènent à des nouvelles obligations et rendent nécessaire l’acquisition de compétences nouvelles pour ceux qui doivent désormais intervenir d’une manière professionnelle sur ces sujets. Ainsi, elle a ouvert le diplôme d’université (DU) Analyse et audit de la responsabilité sociale de l’entreprise ». http://www.iae-toulouse.fr/1-3335-DU-Concepts-Instruments-et-Audit-de-la-ResponsabiliteSociale-de-l-Entreprise.php 12. p. 294.

La RSE dans le secteur minier : l’expérience du Canada Chantal de Varennes Ambassadeur du Canada en Côte d’Ivoire

Introduction Le Canada est l’un des plus grands pays miniers au monde. L’industrie minière a façonné son histoire et son développement depuis le XIXe siècle. Il suffit, pour s’en convaincre, d’évoquer « la ruée vers l’or », qui a conduit plus de 100 000 prospecteurs vers le Klondike, dans la région du Yukon, entre 1896 et 1899, le nord de l’Ontario et ses gisements de nickel, la province de la Saskatchewan, qui détient les plus grandes réserves de potasse au monde, ou le Grand Nord canadien et ses diamants d’une rare qualité. Aujourd’hui, le Canada produit plus de 60 minéraux et métaux et se classe parmi les cinq principaux producteurs mondiaux de 11 importants minéraux et métaux1. L’industrie minière est présente dans toutes les provinces et territoires. Elle représente directement ou indirectement près du cinquième du PIB nominal du pays et 1,8 million d’emplois. Le Canada est également une place financière importante pour l’industrie minière mondiale. La Bourse de Toronto et la Bourse de croissance TSX comptent 57 % des sociétés minières publiques du monde. Ensemble, elles constituent 48 % des capitaux mobilisés à l’échelle internationale par les sociétés minières et représentaient 46 % des investissements en actions dans l’industrie minière mondiale en 2013. Les compagnies minières canadiennes opèrent dans 107 pays étrangers. En 2013, les investissements canadiens dans le secteur minier totalisaient au Canada, 80,7 milliards de dollars canadiens et près du double à l’étranger, soit 153,2 milliards de dollars canadiens. Si les Amériques (excluant le Canada) demeurent la première destination des investissements miniers canadiens à

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l’étranger pour un montant total de 103,9 milliards de dollars canadiens, l’Afrique arrive bon deuxième avec un montant total de 24,1 milliards de dollars canadiens. Compte tenu de cet héritage, le gouvernement canadien et les entreprises minières canadiennes ont très tôt pris conscience de l’impor tance, pour les compagnies minières, d’entretenir des relations harmonieuses avec les populations qui habitent près des zones d’exploitation minière, de préserver l’environnement de façon durable et de contribuer au développement économique des régions où elles opèrent. La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est devenue, au fil du temps, un impératif incontournable pour le gouvernement canadien et les entreprises minières canadiennes opérant au Canada comme à l’étranger.

La naissance de la RSE et la stratégie du gouvernement canadien Le concept de « responsabilité sociale des entreprises (RSE) » dans le secteur minier a véritablement pris naissance dans les années 1990. Lors de la rencontre fédérale-provinciale annuelle des ministres des Mines, à Whitehorse (Yukon), en 1992, l’association minière du Canada a déposé une proposition, qui prit le nom d’« Initiative de Whitehorse », visant à consolider les relations des sociétés minières avec les communautés riveraines, notamment les peuples autochtones2, à établir les engagements de l’industrie en matière d’environnement et à clarifier les questions de nature fiscale et réglementaire. L’initiative de Whitehorse recommandait, ainsi, d’améliorer le climat de placement pour les investisseurs ; de rationaliser et d’harmoniser les régimes de réglementation et de fiscalité ; de veiller à la par ticipation des peuples autochtones à tous les aspects de l’activité minière ; d’adopter des pratiques environnementales saines ; d’établir un système de zones protégées fondé sur l’écologie ; d’offrir aux travailleurs un milieu de travail sain et sécuritaire, et le maintien d’un niveau de vie élevé ; de reconnaître et respecter les droits conventionnels des autochtones ; de régler les revendications territoriales des autochtones ; de garantir la participation des intervenants lorsque les intérêts du public sont en cause ; et de créer un climat favorisant l’adaptation novatrice et efficace au changement. L’initiative de Whitehorse a profondément changé la dynamique entre les compagnies minières et les communautés autochtones. Des progrès considérables ont été réalisés à l’échelle de l’industrie en ce qui concerne la participation des autochtones dans le secteur minier. Depuis 1974, plus de 300 ententes, notamment des ententes sur les répercussions et les avantages, ont été conclues entre les entreprises et les communautés autochtones. Ces ententes prévoient la prise d’engagements en matière d’éducation, de formation, d’emploi, de développement économique et de soutien financier, pour garantir que les projets miniers génèrent des retombées à long terme pour les communautés.

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La RSE I - 2009 En raison de l’importance des investissements canadiens à l’étranger dans le secteur minier, le gouvernement du Canada a décidé de se doter d’une politique de RSE destinée aux entreprises canadiennes œuvrant à l’étranger. À cet effet, il a lancé, en 2005, des consultations publiques auprès d’un vaste éventail d’intervenants, y compris des représentants de l’industrie et de la société civile. Ces « tables rondes nationales » ont conduit à la publication, en 2009, de la première stratégie RSE du gouvernement du Canada intitulée « Renforcer l’avantage canadien : stratégie de responsabilité sociale des entreprises pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l’étranger ». Cette stratégie définit les attentes du gouvernement canadien envers les compagnies minières opérant à l’étranger en matière économique, sociale et environnementale. Elle énonce certains principes et fait ressortir les avantages de l’adoption d’un politique de RSE. Ces principes sont strictement volontaires. Parmi les points saillants de la stratégie, il faut citer : • La promotion de la RSE auprès des entreprises canadiennes opérant à l’étranger : le gouvernement canadien s’est engagé à faire une promotion active de la RSE auprès des entreprises minières canadiennes notamment à travers les activités conduites par le réseau des missions du Canada à l’étranger (ambassades et consulats) et le service des délégués commerciaux. • La promotion de la RSE à l’échelle internationale : le gouvernement canadien s’est engagé à promouvoir la RSE dans des forums internationaux, tels que l’OCDE, le G-7, le G-20, le Forum de coopération AsiePacifique (APEC), l’Organisation des États américains (OEA), la Francophonie et le Commonwealth. Il s’est aussi engagé à incorporer des dispositions d’application volontaire sur la RSE dans les accords de promotion et de protection des investissements (APIE/FIPA) et les accords de libre-échange. • La promotion des lignes directrices internationales en matière de RSE : le gouvernement canadien s’est aussi engagé à contribuer à l’élaboration et à la promotion d’un certain nombre de principes reconnus universellement, tels que les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multilatérales. • L’appui à la création du centre d’excellence de la RSE : établi au sein de l’Institut canadien des mines (CIM), le centre d’excellence conçoit et diffuse de l’information et des outils pratiques relatifs à la RSE. Il entretient un dialogue régulier avec les principaux acteurs de l’industrie extractive. • La création du poste de conseiller en RSE : rattaché au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, le conseiller RSE est chargé de faire la promotion de la RSE auprès des sociétés miniè-

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res canadiennes et de fournir des conseils sur les meilleures pratiques en la matière. La RSE II - 2014 En novembre 2014, le gouvernement du Canada a lancé une nouvelle version de sa stratégie RSE, qui reprend les grandes lignes de la stratégie de 2009 mais vient la renforcer et l’améliorer. Une stratégie concertée : La définition de cette nouvelle stratégie s’est appuyée sur une évaluation de celle adoptée en 2009 et a fait l’objet d’un vaste processus consultatif mené tout au long de l’année 2013. Le ministère des Ressources naturelles du Canada (NRCAN) et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD) ont piloté cet exercice de concert avec un large éventail de partenaires. Parmi les activités réalisées dans le cadre de cet exercice d’évaluation et de consultation, il faut souligner : la conduite d’une évaluation interne, la réalisation de sondages auprès des entreprises extractives visant à mesurer leurs connaissances de la RSE, une étude menée par NRCAN sur la place de la RSE dans les rappor ts soumis aux Bourses de valeurs mobilières par les compagnies minières, des consultations avec l’industrie et des représentants de société civile et une consultation en ligne auprès du grand public. • Des principes cohérents et renforcés : Les grands axes de la nouvelle stratégie améliorée se résument comme suit : - promouvoir et renforcer les principes de la RSE ; - favoriser l’établissement de réseaux et de partenariats ; - faciliter le dialogue en vue du règlement des différends ; - renforcer le cadre influant sur les pratiques commerciales responsables. • Le conseiller en RSE du secteur de l’industrie extractive : Un des éléments novateurs de la stratégie RSE du gouvernement du Canada est l’établissement d’un poste de conseiller chargé de la RSE. Ce poste a été établi en 2009 dans le cadre de la première stratégie RSE. Son mandat, qui ne s’applique qu’aux industries extractives canadiennes présentes à l’étranger, est double. Premièrement, il est chargé d’offrir à toutes les parties intéressées des avis et des conseils sur le respect des lignes directrices. Deuxièmement, il est chargé d’examiner les pratiques de RSE des entreprises canadiennes de l’industrie extractive qui œuvrent à l’étranger. Dans le cadre de la nouvelle stratégie RSE, le mandat du conseiller a été renforcé et recentré sur la prévention, la détection, et la résolution des différends à leurs premiers stades et sur la collaboration avec les entreprises canadiennes pour faire en sorte que les lignes directrices de la RSE soient intégrées à leur fonctionnement.

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Un cadre législatif rigoureux : Bien que la stratégie du gouvernement du Canada en matière de RSE repose sur des principes volontaires, les compagnies à l’étranger sont assujetties aux lois canadiennes qui contribuent à la lutte mondiale contre la corruption. Le dispositif législatif canadien à cet égard est particulièrement rigoureux : Le Canada s’est doté d’une « loi sur la corruption d’agents publics étrangers » pour se conformer à ses obligations en ver tu de la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). En vertu de cette loi, les personnes ou les entreprises qui cherchent à corrompre des agents publics étrangers dans le cadre d’activités commerciales à l’échelle internationale commettent une infraction criminelle au Canada. En outre, dans le but de respecter les engagements pris à la rencontre du G-8 en 2013, le gouvernement canadien a déposé au Parlement, le 23 octobre 2014, un « projet de loi sur les mesures de transparence dans les industries extractives ». En vertu de cette loi, les entreprises extractives assujetties aux lois canadiennes qui s’adonnent à l’exploitation commerciale de minéraux, de pétrole et de gaz naturel, devront faire un rapport public annuel sur les paiements de plus de 100 000 dollars canadiens versés à tout ordre au Canada ou à l’étranger. Ces exigences concordent avec les normes en vigueur aux États-Unis et au sein de l’Union européenne. Une complémentarité avec les programmes d’aide au développement : Bien que l’aide au développement ne soit pas une composante intrinsèque de la RSE, il existe une complémentarité évidente entre la RSE et les programmes d’aide au développement. Dans cette optique, le gouvernement canadien s’emploie, à travers ses programmes d’aide au développement, à renforcer, dans certains pays sélectionnés, la gouvernance des ressources et à contribuer au développement économique local. Le gouvernement canadien a également créé l’Institut canadien international des ressources et du développement (ICIRD), qui est géré par l’Université de la Colombie-Britannique en par tenariat avec l’Univer sité Simon Fraser (Vancouver) et l’École polytechnique de Montréal. Cet institut a pour mandat d’encourager la recherche, la formation et le développement des capacités de gouvernance des ressources des pays en développement. Une complémentarité avec la politique commerciale : Le gouvernement canadien fait également la promotion de la RSE à travers sa politique commerciale, en incorporant des dispositions d’application relatives à la RSE dans tous les accords de promotion et de protection des investissements étrangers (APIE) et de libre-échange signés depuis 2010. Ces dispositions invitent les pays signataires à encourager les entreprises actives sur leur territoire à tenir compte volontairement des normes internationales en matière de RSE. Cette volonté affichée de faire de la RSE un élément incontournable des accords de promo-

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tion et de protection des investissements étrangers est particulièrement pertinente en Afrique de l’Ouest, puisque le Canada a signé des APIE avec six États de la région : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Nigeria et le Sénégal.

et le développement durable. Il compte 49 pays membres en provenance d’Afrique, des Amériques, de l’Asie-Pacifique et de l’Europe. Il se réunit en marge de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (UNCTAD), à Genève, tous les ans. Le Canada assure le secrétariat du Forum.

Les initiatives internationales en matière de RSE

– Le Conseil international des mines et métaux (ICMM) : créé en 2001, l’ICMM est une organisation patronale, qui compte aujourd’hui dans ses rangs 22 compagnies minières et 33 organisations régionales ou professionnelles. L’association minière du Canada (AMC) et l’Association des prospecteurs et des développeurs du Canada (PDAC) en sont membres. L’ICCM est d’abord un forum de discussion, qui permet aux compagnies minières issues de tous les horizons d’échanger sur les enjeux et les priorités du secteur minier en matière de développement durable. L’ICCM a, par ailleurs, établi des principes auxquels ses membres se doivent d’adhérer et élaboré une série d’outils pratiques destinés à l’industrie. L’ICCM est dirigée, depuis 2008, par un Canadien, Dr Anthony Hodge. Détenteur d’un MA en génie géologique de l’Univer sité de la Colombie-Britannique et d’un PHD de l’Université McGill, le Dr. Hodge a travaillé, au cours de sa longue et fructueuse carrière, pour le secteur privé, le secteur public ainsi que des organisations de la société civile.

Le gouvernement du Canada a souscrit à de nombreuses initiatives internationales qui visent à promouvoir la transparence et le développement durable du secteur minier, tels que : • les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales ; • les principes directeurs des Nations Unies sur l’entreprise et les droits de l’homme ; • les principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme ; • les critères de performance de la Société financière internationale (SFI) sur la durabilité sociale et environnementale ; • le guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsable en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque ; • l’initiative mondiale sur les rapports de performance. Toutes ces normes figurent dans l’énoncé de la stratégie RSE du gouvernement canadien. Le Canada soutient également plusieurs initiatives internationales qui contribuent à renforcer la gouvernance du secteur extractif, dont : – l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) : mise sur pied en 2002, l’ITIE a pour objectif de contribuer à améliorer la gouvernance dans les pays riches en ressources et, ce, grâce à la vérification, à la conciliation et à la publication intégrale des paiements versés par les entreprises extractives aux gouvernements des pays hôtes et des recettes publiques correspondantes tirées du secteur pétrolier, gazier et minier. Le Canada soutient l’ITIE depuis 2007 et est membre de son conseil d’administration pour la période 2013-2015 ; – le processus de Kimberley : établi en 2003, le processus de Kimberley est un processus international de certification des diamants. Le Canada a joué un rôle déterminant dans la création du processus de Kimberley et poursuit son engagement en participant activement aux réunions de ses instances. En Afrique de l’Ouest, le Canada est membre du groupe des amis de la Côte d’Ivoire ; – le Forum intergouvernemental sur l’exploitation minière, les minéraux, les métaux et le développement durable : établi en 2002, à la suite du Sommet mondial sur le développement durable, le Forum est aujourd’hui la première instance intergouvernementale mondiale de discussion sur l’exploitation minière

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L’initiative « Vers le développement minier durable » : La RSE n’est pas que l’apanage du gouvernement du Canada. Les entreprises minières canadiennes, qui avaient déjà offer t leur propre vision de la RSE à travers l’initiative de Whitehorse, ont développé, par le biais de l’Association minière du Canada (AMC), un concept de RSE novateur, progressiste et pragmatique : l’initiative « Vers le développement minier durable (VDMD) ». Lancée en 2004, cette initiative a pour objectif d’encourager les compagnies minières canadiennes à agir de façon exemplaire dans les domaines suivants : • relations avec les collectivités ; • pratiques environnementales ; • efficacité énergétique. L’initiative comprend 23 indicateurs classés sous six protocoles : tableau page suivante. Le processus est simple et transparent. Les compagnies évaluent elles-mêmes leur rendement sur le lieu de l’activité minière. Pour chaque indicateur, elles s’attribuent une cote qui va du niveau C au niveau AAA (excellent). Ces résultats figurent dans le rapport d’étape de l’initiative vers le développement durable qui est publié annuellement par l’AMC. Tous les trois ans, un vérificateur externe effectue une évaluation critique des auto-évaluations des entreprises afin de déterminer si les notes rapportées sont soutenues par des preuves suffisantes. Par la suite, le chef de direction de l’entreprise soumet une lettre d’assurance confirmant que la vérification est conforme aux exigences de l’initiative VDMD. Enfin, chaque année, le Groupe consultatif des communautés d’intérêts3 sélectionne des entreprises et discute des résultats vérifiés. Ce groupe indépendant

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est composé, entre autres, de représentants des communautés autochtones, d’ONG de protection sociale, d’ONG à vocation sociale, incluant les organisations religieuses et des représentants œuvrant au développement économique et social.

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Iamgold : un levier de développement économique au Burkina Faso Iamgold est une compagnie aurifère canadienne, inscrite à la Bourse de Toronto, qui détient des actifs au Sénégal, au Mali et au Burkina Faso. Au Burkina Faso, elle exploite, depuis juillet 2010, la mine d’or d’Essakane, dont les actionnaires sont Iamgold (90 %) et l’État du Burkina Faso (10 %). Les retombées de cette mine sont impressionnantes. En premier lieu, il convient de signaler que l’exploitation de la mine d’or d’Essakane a permis à l’État du Burkina Faso de prélever 51,8 milliards de francs CFA à travers différentes taxes en 2013. Le tableau ci-dessous illustre la contribution totale de la mine d’Essakane aux ressources de l’État du Burkina Faso de 2011 à 2015.

Après dix ans d’existence, l’initiative affiche un bilan positif. À titre d’exemple, le nombre de compagnies affichant une cote de niveau A ou supérieur en ce qui a trait à la conservation de la biodiversité est passé de 33 % en 2012 à 60 % en 2013. 85 % des compagnies affichent une cote de niveau A ou supérieur en ce qui a trait à la consommation d’énergie et de l’émission de gaz à effet de serre (GES). 82 % des installations minières ont rapporté une cote de niveau A en ce qui a trait à leurs relations avec les communautés. À ce chapitre, le pourcentage des installations minières ayant atteint la cote de niveau AAA est passé de 13 % en 2006 à 42 % en 2012.

La RSE en action en Afrique de l’Ouest Les compagnies canadiennes qui œuvrent en Afrique de l’Ouest mettent en œuvre les principes de la RSE. Nous avons choisi, à titre illustratif, de vous présenter deux cas de figure, d’abord, celui d’Iamgold, qui exploite une mine d’or au Burkina Faso et, ensuite, celui de Sama Resources qui mène des activités d’exploration en Côte d’Ivoire.

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Outre les contributions directes aux ressources de l’État du Burkina Faso, Iamgold a développé un vaste programme de développement durable qui touche différents secteurs d’activité. • Appui à l’entreprenariat local : 57 % des achats d’Iamgold pour la mine d’Essakane sont faits au Burkina Faso. En 2013, ce sont 132,4 milliards de francs CFA qui ont été injectés dans l’économie burkinabé en contrats de fournitures de biens et de services. • Formation des jeunes : en partenariat avec Plan Canada et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement international (MAECD), Iamgold s’est engagé à augmenter les possibilités d’emploi et d’auto-emploi de plus de 6 000 jeunes en développant leurs capacités et en leur offrant des opportunités d’immersion professionnelle et de formation pratique et théorique. • Reforestation : l’étude d’impact environnemental et social du projet minier Essakane avait identifié potentiellement la coupe de plus de 100 000 arbres. Pour compenser cet impact, un programme de reboisement a été lancé en 2009 avec pour objectif d’avoir au minimum

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100 000 arbres vivants à la fin de la vie de la mine. Aujourd’hui, ce sont plus de 200 000 arbres qui ont été plantés et 92 hectares de plantations aménagées, protégées par du grillage de la prédation animale. • Eau : Iamgold a financé, entre autres, la réalisation de 50 forages dans plusieurs villages riverains de la mine, sept forages reliés à des AEPS (adduction d’eau potable simplifiée) et un réservoir de stockage. L’accès à l’eau potable dans la région est passé de 54,5 % en 2007 à 92,6 % en 2012. • Réinstallation des populations : dans le cadre du plan de réinstallation, 555 ménages, soit 3 208 personnes, ont été réinstallés ou ont bénéficié de compensations financières. Dans le cadre de ce plan, 87 bâtiments ont été construits et 198 parcelles créées ainsi que quatre forages, une école primaire et trois mosquées. • Santé : en plus d’une dotation en équipements au CSPS 4 de Falagountou, Goulgoutou et Essakane, Iamgold Essakane appuie deux programmes en santé communautaire : un programme de lutte contre la malaria et un programme de lutte contre le VIH/SIDA. Depuis 2010, la mine d’Essakane a reçu la certification internationale relative au système de management environnemental ISO 14 001 et, en 2013, Iamgold a remporté le prix « Vers un développement minier durable en engagement communautaire » de l’Association minière du Canada pour son programme de développement de l’entreprenariat local. Sama Resources : quand exploration rime avec développement local L’appui au développement local est-il uniquement l’apanage des compagnies minières qui sont en phase d’exploitation ? Certainement pas, comme en témoigne l’expérience de Sama Resources en Côte d’Ivoire. Sama Resources est une compagnie minière canadienne, inscrite à la Bourse de Vancouver (TSX-V), qui mène des activités d’exploration minière en Côte d’Ivoire et en Guinée. Opérant dans la région des Dix-Huit Montagnes, à l’ouest de la Côte d’Ivoire depuis 2010, Sama Resources a fait des découvertes importantes et prometteuses de métaux de base (nickel, cuivre, palladium et chromite). Alors qu’elle poursuit ses travaux d’exploration dans la zone de Yorodougou, en Côte d’Ivoire et, plus récemment, près de Lola en Guinée, Sama Resources a déjà mis en œuvre un nombre important d’initiatives qui témoignent de son attachement à la RSE : • approvisionnement local : le campement de Sama, à Yorodougou, a été construit entièrement avec des matériaux locaux et de la main-d’œuvre locale. À l’exception du matériel spécialisé (ex : foreuses, véhicules), Sama s’approvisionne localement notamment auprès du marché villageois de Yorodougou et des entrepreneur s de la grande région de Man, à Biankouma. Ces achats représentent plusieurs dizaines de milliers de dollars injectés mensuellement dans l’économie locale ;

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• relations avec les communautés villageoises : Sama entretient des relations harmonieuses avec les habitants du village de Yorodougou et des diverses communautés situées dans le périmètre d’exploration. Une équipe formée d’intervenants issus de la région est en relation permanente avec les chefs coutumiers, les notables et particulièrement avec les planteurs et les agriculteurs. Un de ses principaux rôles consiste à évaluer et déterminer les compensations versées aux populations en raison des travaux d’exploration. Cet exercice est conduit bien en amont du début des travaux et de concert avec les populations concernées. Les compensations sont toujours payées lors d’une cérémonie impliquant les chefs traditionnels et les chefs de village pour une plus grande transparence ; • Comité de santé et sécurité : Sama a mis sur pied un comité de santé et sécurité pour ses travailleurs. Ce comité est responsable de la formation et de l’application des normes de santé et de sécurité. Une rencontre de groupe obligatoire est organisée quatre fois par semaine en début de journée pour discuter de divers aspects de santé et de sécurité, incluant le VIH/SIDA et l’Ebola. L’accent est mis sur la prévention. • Soutien au développement local : Sama a financé la réhabilitation de l’école primaire du village de Samapleu ainsi que la réparation de pompes villageoises de nombreux villages avoisinant son campement. Sama a également fourni des tables bancs, fabriquées localement, ainsi que du matériel didactique aux écoles primaires des villages les plus reculés.

Conclusion : la RSE une stratégie gagnante pour l’Afrique de l’Ouest L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui une des régions du monde les plus attrayantes pour les investisseurs dans le secteur minier. Elle compte d’importantes réserves de métaux et de minerais de base. Les États ont, pour la plupart, révisé leurs codes miniers, pour les rendre plus compétitifs. En adoptant une solide politique de RSE et en veillant à ce que les compagnies minières, qui opèrent sur leur territoire y adhèrent, les États de l’Afrique de l’Ouest ont l’occasion de faire du secteur minier un vecteur de croissance durable et un moteur de leur développement économique. L’expérience du Canada démontre que l’adoption d’un politique de RSE offre de nombreux avantages et va au-delà des strictes considérations d’éthique. La RSE est profitable. Elle contribue à la réussite des entreprises ainsi qu’au développement économique des pays qui veillent à sa mise en œuvre.

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NOTES 1. Le Canada occupe le premier rang de la production de potasse ; le deuxième rang de la production d’uranium et de cobalt, le troisième rang de la production d’aluminium et de tungstène ; le quatrième rang de la production de métaux du groupe de platine, soufre et titane; le cinquième rang de la production de nickel et de diamants. 2. Le terme d’autochtones désigne collectivement les Amérindiens, les Inuits et les Métis. Loi constitutionnelle de 1982, Partie II - Droits des peuples autochtones du Canada. 3. Le Groupe consultatif des communautés d’intérêts (GCCI) est un groupe indépendant d’intervenants multiples qui compte entre 12 et 15 personnes issues de groupes autochtones, de communautés dans lesquelles l’industrie est active, d’ONG environnementales et sociales, de syndicats et d’institutions financières. Certains membres du conseil d’administration de l’AMC font également partie du groupe pour représenter l’industrie minière lors des discussions. Source : http://mining.ca/fr/linitiative-vdmd/le-groupe-consultatif-des-communaut%C3%A9sdint%C3%A9r%C3%AAts 4. Centre de santé et de promotion sociale (CSPS)

L’agriculture durable : démarche RSE dans le secteur agro-industriel ivoirien, l’expérience de la SCB Oliver Biberson Directeur général de la SCB

Introduction L’agriculture du XXIe siècle doit faire face à trois défis : • produire davantage de denrées alimentaires pour une population sans cesse croissante et de plus en plus urbanisée ; • structurer le milieu rural pour le rendre plus attractif de manière à limiter l’exode rural des populations, et notamment celui des jeunes, vers des zones urbaines déjà surpeuplées et l’émigration vers les pays du Nord ; • réduire son impact environnemental, et notamment participer à la lutte contre le réchauffement climatique. La culture de la banane répond à ces trois défis. Elle est peu utilisatrice de terres cultivables du fait des rendements élevés. À un moment où existe un mouvement fort contre l’accaparement des terres, un hectare de bananes permet de produire entre 150 et 550 quintaux de pulpe directement consommable, sans transformation. Rares sont les spéculations agricoles qui sont, en plein champ, aussi peu consommatrices de terres. La Société d’étude et de développement de la culture bananière (SCB) a été créée en 1959. La Côte d’Ivoire, par son climat et son terroir, est un pays favorable à la production fruitière. La qualité de ses fruits en fait sa réputation. Ceci fonde son engagement pour un développement durable. Les opérations de la SCB dépendent à la fois de l’évolution des facteurs environnementaux et sociaux : son modèle de développement intègre les par ties prenantes des zones de production, faisant de l’ancrage territorial une des composantes de sa performance. Entreprise de premier rang dans un pays en développement, la SCB s’est engagée depuis deux décennies dans une démarche de développement durable. Elle a commencé par une politique volontariste d’agriculture raisonnée fondée sur le déclenchement sur avertissement des traitements phytosanitaires, le

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pilotage raisonné de l’irrigation et la gestion des déchets. Elle a progressivement intégré les référentiels des standards internationaux en matière d’agriculture durable puis de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). L’approche responsable s’appuie sur le savoir-faire accumulé depuis plus d’un demi-siècle, en capitalisant les expériences développées au contact des hommes et de l’environnement de Côte d’Ivoire et en les confrontant aux meilleurs compor tements attendus d’une société internationale. La performance économique de la SCB repose à la fois sur ses performances techniques, sociales et environnementales. Son système de production doit assurer la durabilité économique de l’entreprise, seule à même de garantir la pérennité des valeurs partagées avec ses parties prenantes. Il doit être intégré dans la société en assurant un système d’échanges équitables. Enfin, il doit préserver les ressources naturelles et l’environnement. La SCB est ainsi convaincue qu’en adoptant des moyens de production et de consommation plus responsables et durables, elle peut contribuer à protéger l’environnement, créer plus de valeurs et les redistribuer plus équitablement. Maîtriser cette vision de production et de consommation, tout en garantissant l’efficacité des résultats opérationnels, l’a encouragée à développer un système de production économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement viable.

La SCB, cinquante-six ans d’histoire commune avec la Côte d’Ivoire La SCB, dont le siège social est à Abidjan, Indénié, est un acteur majeur de l’économie ivoirienne. Créée en 1959, elle exploite plus de 4 000 hectares en production de bananes et d’ananas, répartis en six sites sur le territoire national. Elle dispose à Abidjan de l’unique laboratoire de multiplication de vitroplants de bananes et d’ananas de l’Afrique de l’Ouest ; ces vitroplants garantis sans organismes génétiquement modifiés permettent la mise en culture de plants sains et de qualité dans toutes les plantations du groupe. Ces investissements et l’amélioration continue des itinéraires techniques agricoles ont régulièrement accru sa production, qui représente aujourd’hui près de 75 % du volume total de la filière fruit en Côte d’Ivoire. En 2014, elle a exporté plus de 225 000 tonnes de fruits vers l’Europe, le Sénégal et le Sahel. Premier employeur privé de Côte d’Ivoire, elle réalise ces performances, grâce au concours de 7 350 collaborateurs internes à l’entreprise. Elle est depuis 1997 une filiale de la Compagnie Fruitière, entreprise française créée en 1939 à Marseille où est son siège social. Aujourd’hui, la Compagnie Fruitière est le premier producteur de fruits de la zone Afrique-CaraïbesPacifique, avec des volumes annuels de plus de 500 000 tonnes de fruits et légumes produits en Afrique de l’Ouest, principalement des bananes, des ananas et des tomates cerise.

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Au cours de cinquante-six années d’histoire commune avec la Côte d’Ivoire, la SCB a été le témoin du développement de ce pays. Elle a assisté cependant à une évolution préoccupante des facteurs environnementaux sur l’ensemble du territoire, se traduisant par une hausse de la température moyenne, la variation et la variabilité de la pluviométrie, ou l’évolution du vent sableux de l’harmattan ; phénomènes climatiques ayant une incidence directe sur ses capacités de production et sur les conditions de vie de ses communautés riveraines. Au-delà d’une démarche humaine et environnementale qui a toujours accompagné son développement économique, l’évolution et l’impact des facteurs environnementaux l’ont conduit à renforcer la prise en compte du développement durable dans son intérêt et celui de ses collaborateurs et de ses parties prenantes.

La cartographie des enjeux RSE de la SCB Les activités de la SCB sont confrontées à plusieurs défis dans les domaines de la production et de la consommation durable, de la santé de ses collaborateurs et de ses communautés riveraines. La prise en compte de ces défis lui a permis d’organiser sa stratégie RSE en quatre axes majeurs, repartis en dix-huit enjeux prioritaires en adéquation avec les engagements de développement durable de sa maison mère. Son premier axe porte sur l’instauration d’un cadre de travail décent pour ses collaborateurs. Il est composé de sept principaux domaines d’actions : créer les conditions d’un travail productif, assurer un travail justement rémunéré, garantir la liberté d’expression des doléances, offrir une égalité des chances et de traitement pour tous, maintenir la sécurité sur le lieu de travail, proposer des perspectives de développement personnel et assurer la protection sociale des travailleurs et de leurs familles. Le second est lié au développement d’infrastructures et des services sociaux, dont les deux domaines d‘actions visent à favoriser l’accès aux soins et à des infrastructures sociales, au bénéfice de ses collaborateurs et des communautés riveraines de ses zones de production. Le troisième est dédié au développement des communautés locales. À cet égard la SCB promeut un dialogue continu avec l’ensemble des parties prenantes locales, soutient l’autonomisation et l’organisation des femmes, contribue à l’entretien des infrastructures routières, encourage la création d’activités génératrices de revenus et assure un appui au développement de la production vivrière locale. Enfin, son quatrième axe cherche à limiter les impacts environnementaux de ses activités. Il est décliné en quatre principaux domaines d’actions. Le premier vise la mise en œuvre de pratiques d’agriculture raisonnée, le second porte sur une gestion intégrée des ressources en eau incluant le traitement des effluents, le troisième sur une gestion durable des déchets, tandis que le dernier entend contribuer à l’adaptation et à l’atténuation des changements climatiques.

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L’organisation de la démarche RSE de la SCB Porter la volonté au plus haut niveau de l’entreprise Au-delà de l’évolution des facteurs sociaux et environnementaux ayant un impact sur ses capacités opérationnelles en Côte d’Ivoire, la SCB a très tôt souhaité se démarquer dans un secteur d’activité souvent décrié pour ses méthodes de production – usages irrationnels des pesticides, consommation importante d’eau, déforestation etc. – ou des conditions de travail indécentes. Elle a mis à profit l’évolution du contexte réglementaire en Côte d’Ivoire et en Europe, celle des exigences croissantes des professionnels de la distribution quant aux conditions de production, pour formaliser et renforcer la prise en compte du développement durable dans ses processus. Cette démarche est portée au plus haut niveau de la SCB, pour mieux s’inscrire dans la gouvernance et la culture de l’entreprise. Elle s’est matérialisée par l’élaboration de politiques et déclarations sur le respect de l’environnement, de principes en matière de droits humains et d’emploi, de prévention de la corruption, puis d’engagement dans la responsabilité sociale des entreprises. Ces démarches sont aussi encouragées par sa maison mère, la Compagnie Fruitière, qui soutient une gouvernance du développement durable profondément ancrée au sein de la SCB. Il en résulte une démarche construite sur un processus d’amélioration et de dialogue continus : les résultats atteints, comme les difficultés rencontrées sont des points de repère pour une performance sociétale toujours améliorée. S’organiser pour mieux répondre aux enjeux RSE La gouvernance du développement durable au sein de la SCB a donné lieu à la création, en 2008, d’un service de management intégré (SMI) ayant pour mission principale de piloter la mise en œuvre des référentiels Environnement, Hygiène, Sécurité dans toutes ses activités. En 2012, un département RSE comprenant le service SMI existant et un nouveau service RSE. Ce dernier service a pour mission de piloter le déploiement de la stratégie RSE, entre autres la sensibilisation des collaborateurs, l’accompagnement des différentes directions dans leur mise en œuvre, la veille et l’identification des outils de mesures des performances RSE. Le département RSE a ainsi pour mission de renforcer les synergies d’actions entre les services SMI et RSE, pour une meilleure performance de l’entreprise dans la conduite de ses axes majeurs de RSE. Il applique des outils de management, détaillés ci-dessous, pour diffuser et encadrer l’application de la stratégie sociétale adoptée par les organes supérieurs de gouvernance de la SCB. Utiliser des référentiels et standards de portée internationale La mise en œuvre de la stratégie RSE est facilitée par l’usage de référentiels de management pouvant faire l’objet de certification ou d’évaluation par des

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organismes tiers indépendants. Elle suit des référentiels d’engagement, par lesquels l’entreprise s’engage à progresser sur tout ou partie de la RSE, dont les mécanismes appellent des plans d’actions et des rappor ts de performance. Enfin, elle s’inspire des guides de mise en œuvre per tinents explicitant les démarches d’opérationnalisation de la RSE. L’utilisation de ces outils se diffuse progressivement à l’ensemble des processus métiers et supports de l’entreprise. Pour mieux gérer ses impacts environnementaux, la SCB s’est d’abord conformée à la norme ISO 14001. Ses plantations ont été les premières en Afrique de l’Ouest à obtenir cette certification en 2000. Cette démarche, nécessaire pour la prise en compte de ses impacts sur l’environnement, lui a également permis de se démarquer de ses compétiteurs sur les marchés de la distribution internationale. Plusieurs référentiels spécifiques à son cœur de métier ont été pris en compte, afin que ses activités de production et d’exportation soient en conformité avec les références des marchés où elle exerce. Parmi les certifications de ses bonnes pratiques, il convient de citer entre autres : • le « Global Par tnership for Good Agricultural Practice » (GLOBAL GAP), dont SCB est certifiée, depuis 2004, un partenariat international pour une agriculture fiable et durable ; • le label « Tesco Nurture », pour lequel la SCB est certifiée depuis 2007, qui assure notamment au consommateur la limitation des impacts environnementaux, l’adoption d’approches responsables dans le domaine de la santé et sécurité des employés sur le lieu de travail, la conservation de la biodiversité. Enfin, la SCB conduit sa démarche RSE selon un plan d’actions tenant compte à la fois des lignes directrices du Sedex, qui encourage les pratiques d’entreprises éthiques et responsables dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, et de la norme ISO 26000 adoptée par l’organisation ISO en 2010. Consolider les acquis pour mieux structurer les démarches RSE futures Le département RSE a également recours à des audits internes et des évaluations externes, orientant l’application de la RSE vers des engagements de résultats au sein de l’entreprise. Pour un contrôle et une amélioration interne continue, trois familles d’audit et de contrôles de son système de management sont mises sur pied : des audits de management qui visent la conformité aux règles HSE (hygiène, sécurité, environnement), des audits spécialisés portant sur des activités spécifiques comme l’usage des pesticides, des audits et des inspections de terrains s’assurant de la bonne conduite des itinéraires techniques de l’entreprise. Pour une évaluation et des recommandations externes sur sa responsabilité sociale, elle a sollicité un audit de ses pratiques en la matière, selon la méthodo-

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logie du groupe VIGEO (leader européen de la notation extra-financière). Cet audit conduit en 2010 a fait ressortir des points faibles, des points positifs et des points d’amélioration. Les résultats et recommandations ont servi de référence pour élaborer un plan d’actions, structuré avec des objectifs ciblés.

Des actions sociétales et environnementales pour une meilleure performance de la SCB Les actions RSE contribuent au développement d’une agriculture durable au sein de la SCB. L’ensemble des activités décrites ci-après est maintenant intrinsèque à son modèle économique et à son positionnement stratégique sur le marché. La SCB est respectivement certifiée GLOBAL GAP, Tesco Nurture, Field to Fork et Fair For Life, tout en étant conforme aux exigences de SEDEX (2008 et 2011) et code ETI (2014) ; lesquelles certifications ou évaluations font l’objet de renouvellements selon leurs durées de validité. Progressivement, les procédures de travail, les phases d’audit et d’évaluations de la démarche pour une agriculture durable inscrivent plus profondément le développement durable dans la culture d’entreprise. Les relations avec nos parties prenantes nous permettent aussi d’étendre cette culture dans notre sphère d’influence : les familles de nos collaborateurs, nos communautés locales, nos prestataires et fournisseurs, etc. Les actions RSE de la SCB sont détaillées dans le rapport annuel de développement durable. Nous focaliserons ici sur des actions environnementales et sociétales contribuant, matériellement ou immatériellement, à la performance et à la durabilité économique de la SCB.

La lutte phytosanitaire commence par l’usage d’un matériel végétal sain, destiné au renouvellement de parcelles assainies par des jachères. Ces plants, indemnes de parasites, les nématodes, permettent de retarder la lutte phytosanitaire de douze à dix-huit mois après leurs mises en terre. Préalablement, la valorisation des terres sous responsabilité de la SCB se fait par jachère et par fer tilisation raisonnée. La jachère améliorée est un choix opérationnel : elle assainit et restaure la qualité structurelle, organique et nutritive des sols. Des indicateurs tels que le rendement, l’état sanitaire sur sol et le niveau de drainage sont régulièrement suivis. La durée de vie des terres en est rallongée et les charges fertilisantes peuvent être réduites pendant l’exploitation. La fertilisation est aussi raisonnée, par l’évaluation préalable de la quantité effective d’amendement à apporter au sol. Les risques phytosanitaires sont également contenus en amont par des programmes de suivis contre les ennemis des cultures, par exemple, le charançon noir et la cercosporiose, avec des systèmes de piégeage pour le premier et l’élagage des feuilles infectées pour le second. Le recours aux produits phytosanitaires est alors limité aux dernières phases de la lutte contre les parasites avec des équipements adaptés pour un usage rationnel de ces produits. Ainsi, pour la première décennie le nombre de traitements nématicides, par hectare (ha) et par an, a été réduit de 5,6 fois, passant de 1,7 traitement par ha et par an en 2000 à 0,3 en 2010 (figure suivante). Cette réduction des traitements se traduit par des gains de consommation d’intrants agricoles, améliorant l’équilibre économique des dépenses engagées pour le développement d’une agriculture raisonnée. Enfin, seules les zones agricoles sont traitées et la SCB conduit des traitements aériens sans personne en plantation : la planification des traitements permet d’informer suffisamment en avance les collaborateurs et les communautés riveraines.

Développer une agriculture raisonnée pour une meilleure durabilité environnementale Le climat et le terroir de Côte d’Ivoire sont à l’origine de la création de la SCB. La protection de cet environnement est naturellement un enjeu central de notre stratégie de développement durable. Elle se décline ici en une stratégie d’agriculture raisonnée sur toutes nos exploitations, principalement par la réduction des produits phytosanitaires, la gestion durable des déchets et l’atténuation du changement climatique. a) Réduire l’usage des phytosanitaires et valoriser la qualité des terres b) Gérer durablement la ressource en eau La SCB est l’une des premières entreprises agricoles ivoiriennes à avoir utilisé des techniques agricoles issues de l’agriculture raisonnée pour réduire son empreinte environnementale. Ses itinéraires techniques ont réduit considérablement l’usage des pesticides et la dégradation des sols, tout en améliorant la performance de ses exploitations et la qualité de ses produits.

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La culture de la banane est très exigeante en eau, qui représente 67 à 70 % de son poids. Tributaire du climat, le manque d’eau peut entraîner la chute des rendements et la mauvaise qualité des produits. La ressource en eau est précieuse, l’irrigation est primordiale et doit être raisonnée. La SCB a installé des systèmes d’irrigation dans ses exploitations pour rationaliser l’apport en eau, tout en s’assurant de leurs efficacités énergétiques.

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Dans une stratégie d’irrigation intégrée, la qualité des terres améliorée par les techniques décrites prépare le substrat pour une meilleure diffusion et une meilleure rétention de l’eau. La première ressource en eau est d’abord la pluviométrie, le captage issu d’autres sources, notamment des eaux de surface, doit être limité. La SCB n’utilise jamais les ressources de la nappe phréatique mais toujours des ressources en eau renouvelable. Les pompages de la nappe phréatique ne se font que pour l’eau potable des villages. Des équipements de comptage volumétrique sont installés sur tous les sites et les programmes d’arrosage sont conduits en fonction des besoins réels de la plante en eau. L’expérience dans la pratique des systèmes d’irrigation existant à la SCB, à savoir, l’irrigation sur frondaison (90 % des surfaces en 2000), l’irrigation goutte à goutte et l’irrigation sous frondaison a conduit la SCB à s’orienter vers le système irrigation sous frondaison plus économique en termes de consommation d’eau, d’entretien, de durabilité, contrairement aux deux autres systèmes qui présentent des contraintes agronomiques liées à la culture de la banane plus fortes (éloignement des lignes de goutteurs des pieds de bananes avec le temps, pression parasitaire accrue sur les feuilles pour la sur frondaison). À fin 2014, les systèmes d’irrigation à la SCB se répartissent comme suit : 50 % des superficies en sous frondaison, 27 % en goutte à gouttes et 23 % en sur frondaison. Le besoin en eau est d’autant plus important pour la SCB qu’il intervient dans le conditionnement des fruits Le caractère environnemental de la ressource est doublé ici par un enjeu économique : le contrôle des coûts d‘exploitation. La SCB a donc décidé d’expérimenter un système de recirculation d’eau. Les résultats obtenus sur le site de Badéma lui ont permis de réduire de 51 % la consommation d’eau par rapport aux autres sites. Au vu des résultats satisfaisants, la prochaine étape est d’étendre la technique à toutes les stations de conditionnement. La SCB prend en compte tous ses impacts sur l’environnement, dont la gestion de ses déchets liquides et solides. Concernant la ressource en eau, il s’agit aussi de gérer au mieux ses effluents. Elle a mis en place des instructions de surveillance et d’optimisation des installations pour ce faire, équipant ses stations de conditionnement de systèmes d’épuration d’eau de lavage des fruits. Les plateformes de mélange de produits bénéficient quant à elles de la construction d‘un système de lagunage pour le traitement biologique des effluents.Toutes ces stations sont suivies au niveau des analyses par des laboratoires accrédités ISO 17025. c) Atténuer et s’adapter au changement climatique La lutte contre le changement climatique est un défi pour toutes les entreprises. Par ticulièrement pour une entreprise agro-industrielle comme la SCB, dépendante de ressources environnementales pour la performance de son système. Les techniques d’agriculture raisonnées décrites ci-avant sont déjà une première démarche d’adaptation aux variations climatiques. La prise en compte du changement climatique nous demande aussi de contribuer à son atténuation, quand bien même la SCB serait une entreprise ressortissante d’un pays à l’an-

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nexe B du protocole de Kyoto. Elle a engagé des actions qui contribuent à l’effort national (INDC- contribution intentionnelle déterminée au niveau national) présenté par la Côte d’Ivoire à la 21 e Conférence des Nations Unies sur le changement climatique, Paris 2015. Une première démarche vise la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par une amélioration de l’efficacité énergétique au sein de la SCB. Elle a donc opté pour le remplacement de tous les moteurs thermiques de pompage des eaux d’irrigation par des moteurs électriques. Il en a résulté deux autres bénéfices : élimination de la pollution des eaux par les huiles et graisses et réduction de la consommation d’énergie. Cette réflexion doit être poursuivie aux systèmes de transport et aux systèmes électriques de la SCB. La seconde démarche vise la préservation du stock de carbone forestier de la Côte d’Ivoire et des réserves de biodiversité qu’il constitue. À cet effet, la SCB a élaboré un plan de gestion intégré de la faune et la flore sur tous ses sites, par le reboisement de plus d’un million d’arbres sur les zones déclarées improductives. Auquel s’ajoute le projet de classement en réserve naturelle volontaire d’une zone de 38 ha de forêt dans la région de Tiassalé. Améliorer le cadre de vie de nos collaborateurs et de nos communautés locales La SCB est convaincue que l’amélioration du cadre de travail de ses collaborateurs et du cadre de vie de ses communautés locales est une clé de la durabilité et du succès d’une entreprise en Afrique. Les sites d’opération de la SCB sont placés en plusieurs points du territoire national. Les six plantations sont placées en dessous du 8e parallèle pour bénéficier du climat tropical humide de la Côte d’Ivoire, mais nos cadres d‘intervention vont jusqu’au nord de la savane ivoirienne. Les difficultés que nous avons pu rencontrer pour construire un cadre de travail décent pour nos collaborateurs et pour le fonctionnement optimisé de nos opérations sont aussi celles du cadre de vie de nos communautés locales : l’accès à l’éducation, à des infrastructures de santé et de transport, à l’électricité ou à l’eau potable. Ces services essentiels sont des conditions de base pour la performance de nos processus métiers, ils le sont tout autant pour le bien-être socio-économique des collaborateurs et des communautés locales qui participent à notre performance économique. Il en résulte trois axes majeurs dans le développement de notre stratégie RSE : assurer un cadre de travail sein et décent pour les collaborateurs, soutenir le développement des communautés locales, faciliter l’accès à des infrastructures et des services sociaux de base. a) Assurer du cadre de travail sain et décent à nos collaborateurs Cet axe majeur de la stratégie RSE est décliné en sept domaines d’actions précités car la SCB a recherché des actions pouvant avoir un impact important dans la vie de ses collaborateurs.

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Bien que l’activité fasse l’objet de variations saisonnières importantes en termes de charge de travail, la SCB cherche à créer des emplois permanents par la réduction des emplois temporaires. Au 31 décembre 2014, elle comptait 5 759 collaborateurs bénéficiant de contrats de longue durée (contrats à durée déterminée ou indéterminée) soit 78 % des emplois contractés pour l’exercice 2014. Assurer un travail justement rémunéré est aussi un domaine d’action stratégique pour attirer et conserver durablement les talents. La SCB a d’abord élaboré un seuil de salaire minimum supérieur à celui réglementairement fixé par l’État de Côte d’Ivoire, elle a ensuite organisé un traitement salarial cohérent, équitable et transparent, au travers d’une grille salariale connue de tous. Le développement des compétences de nos collaborateurs est aussi un domaine d’intervention indispensable à l’amélioration des performances de nos exploitations. À titre d’exemple, en 2013 et 2014, plus de 150 managers ont été évalués pour déterminer leurs potentiels, tandis que 4 479 agents ont reçu des formations techniques ou vu leurs compétences renforcées en matière de santé sécurité au travail ou de management et d’administration. Sur cette même période, plus de 100 managers ont été sensibilisés aux principes de la RSE pour accompagner la mise en œuvre du plan d’actions RSE sur l’ensemble des sites SCB. Un cadre de travail décent implique enfin la prise en compte de la sécurité de ses collaborateurs. La réduction des contacts aux produits phytosanitaires a été décrite. Un suivi strict des accidents permet de réduire/contenir les risques d’accidents, notamment lors des phases de coupe/récolte, de soin aux fruits et de transport. Les besoins en sensibilisation et en formation des collaborateurs, ainsi que les choix d’équipements de protection individuelle (EPI) sont déterminés en fonction. Au titre des exercices 2013 et 2014, la SCB a consacré plus de 299 millions de francs CFA (455 822,56 euros) d’investissement en équipement, sensibilisation et formation de ses collaborateurs, pour réduire les risques de sécurité dans ses processus métiers et supports.

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banquiers et les bailleurs de fonds. Il faut donc trouver des ressources adaptées qui ne peuvent être que des subventions ou des crédits de très longue durée à des taux d’intérêt extrêmement concessionnels. Fin 2014, le programme de santé de SCB comptabilisait 22 centres de santé, 5 maternités, 7 ambulances, bénéficiant de la collaboration de 5 médecins à plein temps, 22 infirmiers, 5 sages-femmes et 21 aides-soignants pour chaque année plus de 700 accouchements et près de 150 000 consultations, dont environ 45 000 concernent les populations riveraines. Ce programme est notamment complété par la fourniture en médicament des centres de santé via sa pharmacie centrale (122 millions de francs CFA, 185 987,80 euros), des actions de vaccination (6 109 doses de vaccins) et de lutte contre l’onchocercose (cécité des rivières) pour un bassin de population de plus de 35 000 personnes. En avril 2015, la SCB met à la disposition des populations et de ses travailleurs, une œuvre majeure, l’hôpital Saint Jean-Baptiste de Tiassalé. Inauguré le 16 avril 2015, cet hôpital a une capacité de 50 lits qui sera portée à 80-100 lits au fur et à mesure de sa montée en puissance avec un effectif de 126 personnes dont 13 médecins, un accès aux soins pour des plus démunis, une gestion privée à but non lucratif assurée par l’Ordre souverain de Malte. Coût du projet : 5,5 milliards de francs CFA, soit 8,4 millions d’euros. Les conditions de la santé des populations, comme leur développement socioéconomique, sont toujours améliorées grâce à l’accès à l’éducation et à l’eau potable. Pour la seconde, la SCB a réhabilité des châteaux d’eau et des réseaux de distribution et elle a réalisé des infrastructures hydrauliques, dont 40 forages, 36 châteaux d’eau et 73 bornes-fontaines pour l’accès à l’eau potable sur ses périmètres. Pour favoriser l’accès à l’éducation et renforcer le cadre de formation préscolaire, elle a construit 15 salles de classe maternelle et 6 salles de classe primaire ouvertes aux communautés locales. La SCB subventionne les frais de scolarité de certains pensionnaires, dont 322 enfants de la maternelle. c) Soutenir le développement des communautés locales

b) Développer les infrastructures sociales et l’accès aux services sociaux de base La formation, la sécurité et la santé de nos collaborateurs sont indispensables ; elles assurent que le capital humain de la SCB contribue au mieux à ses performances économiques. En étendant ces actions au cercle de la famille de nos collaborateurs et à nos communautés locales, la SCB étend progressivement sa prise en charge de services sociaux : accès aux soins, à l’éducation, à l’eau potable ou à l’électricité. En plusieurs cas, la SCB a développé des infrastructures sociales pour réaliser la mise en œuvre de ces services. Pour ce qui est des logements de ses travailleurs, il n’est plus possible aujourd’hui pour la SCB d’investir sur ses propres ressources, comme elle l’a fait dans le passé, dans les logements. En effet, les marges ne permettent plus de financer ce type d’investissements considérés comme non productifs par les

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L’ancrage territorial de la SCB autour de ses zones d’intervention et de ses actions de soutien au développement des communautés locales s’étend du sud au nord de la Côte d’Ivoire. Sa démarche est fondée sur l’accompagnement et le dialogue avec les communautés, le partage de bonnes pratiques sociales ou économiques entre les acteurs locaux. Les actions de développement s’articulent autour de la solidarité et du partage, de la création d’activités génératrices de revenus et du développement d’infrastructures de base. La SCB met en œuvre des actions de soutien aux communautés, telles la distribution de 30 tonnes de fruits ou un budget mécénat de 89 millions de francs CFA (135 679,63 euros) en 2014, des infrastructures comme le reprofilage annuel de 100 km de pistes villageoises d’accès aux plantations ou le raccordement progressif au réseau électrique des populations aux abords de nos sites. Mais, pour mieux contribuer au développement territorial de la Côte

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d’Ivoire, à la fixation sociale et économique des populations contre l’exode rural, la pérennité du développement de nos communautés locales passe par la création d’activités génératrices de revenus. Le succès de la Côte d’Ivoire repose toujours sur le développement d’une agriculture locale, performante sur toute sa chaîne de valeur, de la pépinière à la distribution. La durabilité des pratiques localement développées appelle une démarche d’agriculture raisonnée facilitant l’atténuation et l’adaptation aux changements environnementaux, comme elle nécessite l’intégration des systèmes de production dans des réseaux de distribution. Ces pratiques sont inhérentes au cœur de métier de la SCB qui peut mettre son expérience au service des chaînes de valeurs locales. Les investissements consacrés au développement des communautés locales sont alors cohérents du développement économique de la SCB. Des exemples sont présentés ci-après. Au nord de la Côte d’Ivoire, deux programmes intégrés, « La bananière du Bandama » et OCEANA, contribuent au développement d’une région qui a souffert d’investissements durant la crise sociopolitique ivoirienne 2002-2011 : le monde rural y a été désorganisé et ses revenus furent réduits de manière drastique. Le premier modèle, la bananière du Bandama, est construit sur une ferme industrielle pilote de 50 hectares, qui sera entourée à terme de 250 à 300 hectares de plantations bananières villageoises. Les producteurs seront regroupés en coopératives et encadrés dans une plateforme intégrée de la production à la commercialisation, incluant la logistique de conservation et de transport. L’objectif vise à moyen terme plus de 700 emplois directs et permanents et plus de 4 000 bénéficiaires indirects. Le second modèle, OCEANA, est construit dans une même logique d’intégration de la chaîne des valeurs, selon un modèle différent. Le choix est celui du développement de la culture maraîchère fondé sur un modèle villageois, dont la production est destinée au marché local. La production artisanale est tributaire de la pluviométrie, sa lutte phytosanitaire est affaiblie par les techniques et revenus des planteurs, l’accès au marché est fragilisé par les difficultés de conservation et de transport : lever ces obstacles contribue directement à l’amélioration de la sécurité alimentaire ivoirienne. Une ferme école pilote de 15 hectares est implantée pour dispenser des itinéraires techniques d’irrigation et d’agriculture raisonnée. Une chaîne du froid est intégrée dans les magasins de stockage au départ de la station de tri, durant le transport dans des conteneurs réfrigérés, à l’arrivée au centre de distribution d’Abidjan. Dans la région de Tiassalé (PK 130 sur l’autoroute du Nord) la SCB a lancé un projet pilote de création d’activités génératrices de revenus en contribuant à l’organisation des femmes du village de Grand Fleuve. Ce projet porte sur la sensibilisation et la sélection volontaire de 30 femmes réunies en une coopérative et organisées par groupe de 5 personnes. Une surface de 7 hectares issus du domaine Grand Fleuve de la SCB a été mise à disposition. La coopérative a établi un programme de plantation, principalement la culture du maïs et subsidiairement celles du soja, du haricot, du manioc et du vivrier en général. La formation et l’encadrement sont assurés avec l’Agence nationale pour le développement rural, pour former les femmes à la gestion de la coopérative,

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aux techniques de production, de gestion économique et financière. Les premiers clients de la coopérative sont les cantines des travailleurs du domaine Grand Fleuve et les écoles de la plantation. Le surplus est commercialisé sur les marchés locaux. Au sud de la Côte d’Ivoire, la SCB a commencé un projet pilote d’accompagnement de petits producteurs d’ananas. Leur organisation repose sur la création d’une structure de gestion de plantations villageoises, dans le cadre d’un programme national d’aide à la filière ananas. La particularité du modèle agricole est ici la création d’un agroécosystème utilisant l’agroforesterie dans un système de production villageois. Les bandes d’ananas sont bordées de lignes d’arbres multi-espèces, structurant le paysage pour une lutte efficace contre l’érosion à court terme, tout en facilitant la traçabilité des fruits. À long terme une amélioration des caractéristiques physico-chimiques des sols est attendue par la production de biomasse aérienne ligneuse et sa transformation en humus après broyage, une efficacité accrue des phases de jachère et le recours à des techniques de lutte phytosanitaire biologique grâce au développement de la biodiversité. Ces techniques d’agriculture raisonnée permettent de proposer ces fruits à l’exportation, en soumettant préalablement les plantations à une certification ISO 14001,Tesco nourriture, GLOBALGAP, ainsi qu’une évaluation sur la base des référentiels Sedex et ISO 26000.

Conclusion et perspective La SCB est engagée dans une stratégie d’agriculture durable, dont l’écosystème contribue à rendre l’entreprise économiquement viable, en améliorant sa production et la gestion efficience de ses coûts d’exploitation, éthiquement responsable par sa contribution au développement social, en harmonie avec ses environnements naturels et humains. L’investissement annuel consacré à sa stratégie de développement durable est, depuis 2012, d’environ deux milliards de francs. Il est réparti en six principaux postes : santé, éducation, accès à l’eau potable, infrastructures routières et électriques, préservation de la biodiversité et promotion des activités génératrices de revenus. Les actions conduites vont au-delà du cadre réglementaire national, pour se conformer au cadre volontaire international qui encourage le développement des meilleures pratiques en matière de développement durable. Ces pratiques exigent que la SCB innove dans plusieurs modèles. Ces innovations appellent toute une phase de conception et de développement, pour valider ou infirmer les choix d‘investissement et pour s’assurer de leurs pertinences avant tout déploiement futur. L’analyse de nos performances de développement durable, des bénéfices partagés avec nos parties prenantes, des retours matériels et immatériels sur les investissements consacrés encourage la SCB à aller plus loin dans sa démarche RSE. Ces analyses témoignent aussi que le potentiel d’engagement de la SCB dans le développement durable

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et, in fine, la performance de la contribution au développement durable de la Côte d’Ivoire, devraient être facilités par des mécanismes incitatifs. La transition vers le développement durable implique un investissement supplémentaire pour l’entreprise : en même temps qu’elle poursuit le modèle opérationnel qui sous-tend sa rentabilité, elle explore de nouvelles techniques et technologies, de nouveaux modèles organisationnels, de nouveaux modèles économiques. Aux coûts d’exploitation s’ajoutent ceux de recherche et développement, d’acquisition de technologies plus efficientes, d’investissement auprès des communautés locales. La capacité des entreprises à consacrer plus d’efforts à ces investissements appelle des mécanismes d’encouragement, pour les engager plus rapidement dans une économie verte. Le développement d’une réglementation verte, d’une fiscalité et d’une parafiscalité verte est indéniablement un facteur d’accélération de la transition ver te de l’économie ivoirienne : régime fiscal d’importation des technologies propres, charge fiscale appliquée sur la phase de transition technique, prise en compte des actions communautaires dans la fiscalité, réduction du coût des audits et des inspections, etc. Les opportunités sont à la hauteur du potentiel agricole de la Côte d’Ivoire, l’un des premiers producteurs agricoles du continent. Les défis le sont au regard des variations climatiques, mesurées sur le continent depuis plus d’un demi-siècle, et des projections démographiques. L’ouverture d’un cadre de concertation pour le développement et la planification d’une agriculture ivoirienne durable et résiliente aux changements climatiques accélérera, sans conteste, la mise en œuvre des innovations techniques, sociales, réglementaires et fiscales qui contribueront au développement durable de la Côte d’Ivoire.

La responsabilité sociétale des entreprises et les enjeux du développement durable Bruno Leclerc Directeur de l'Agence française de développement (AFD) en Côte d’Ivoire

Anne Françoise Dayon Directrice adjointe du CEFEB, responsable de la division Formation auprès de l'AFD Louise de la Forest Chargée de mission RSE auprès de l’AFD

Introduction Depuis plus de soixante-dix ans, l’Agence française de développement (AFD), et sa filiale Proparco dédiée aux investissements privés, met en œuvre la politique d’aide au développement définie par le gouvernement français. Sa mission est de favoriser un développement durable d’un point de vue économique, social et environnemental, ceci dans l’intérêt mutuel des pays du Sud et du Nord. Depuis son adhésion au Global Compact en 2005, l’AFD positionne la responsabilité sociétale au cœur de son action. Elle est devenue une démarche essentielle et structurante pour l’organisation. Pour conduire son action, l’AFD a élaboré un nouveau plan d’action de responsabilité sociétale pour la période allant de 2014 à 2016. Ce plan, qui s’inscrit dans le cadre du référentiel ISO 26000, répond à l’ambition de mieux informer, mesurer et agir. Six engagements traduisent les applications concrètes de cette politique de responsabilité sociétale : • développer la démarche de dialogue avec les parties prenantes en intégrant le devoir de redevabilité, le souci d’efficacité et la volonté de transparence ;

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• assurer et promouvoir un développement durable dans les interventions du groupe ; • mener l’ensemble des actions conformément à son engagement éthique et dans un souci d’exemplarité ; • assurer la gestion socialement responsable de l’ensemble des personnels ; • agir sur l’ensemble des impacts environnementaux liés à son fonctionnement ; • renforcer la gouvernance de la responsabilité sociétale et mieux responsabiliser.

La démarche de responsabilité sociétale constitue une réponse concrète à l’objectif de développement durable La responsabilité sociétale est devenue un enjeu d’élaboration de nouveaux modèles de développement et de promotion des droits fondamentaux, voire de certaines formes de démocratie. Les effets d’une pratique de responsabilité sociétale sont multiples : • en encourageant le respect de la législation locale sociale, environnementale, relative aux droits de l’homme et à la corruption, elle contribue à la réalisation de l’état de droit et à sa promotion de façon pragmatique ; • en promouvant le respect du droit international dans tous les champs de la responsabilité sociétale, elle aide à l’universalisation des valeurs démocratiques ; • par la construction de normes internationales universellement respectées dans le champ économique, elle incite l’ensemble des acteurs économiques mondiaux à respecter des règles communes réduisant les distorsions de concurrence ; • enfin, elle contribue à la production de biens et services contribuant au progrès économique, social et sociétal, en particulier des plus pauvres. Les bénéficiaires des financements du groupe AFD sont des vecteurs de développement durable et jouent un rôle de catalyseur des bonnes pratiques dans les pays du Sud. Le rôle des institutions financières de développement est d’accompagner et de favoriser ce mouvement, par la diffusion des meilleurs standards internationaux, et de renforcer les effets positifs des projets sur le développement. L’accompagnement d’un développement durable en Afrique subsaharienne est une des priorités de l’AFD. Il se traduit par le soutien à des modèles de croissance permettant la création d’emplois décents, l’accès du plus grand nombre aux biens et services essentiels, tout s’engageant pour la promotion d’économies sobres en carbone et respectueuses de l’environnement. En résumé il s’agit de concilier développement économique, réduction des déséquilibres sociaux et lutte contre le changement climatique.

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Assurer et promouvoir le développement durable dans les opérations financées Par sa démarche de responsabilité sociétale, qu’il applique dans son activité comme dans son fonctionnement interne, le groupe AFD cherche à questionner, prévenir, remédier et corriger les incidences que peut avoir son action. Dans cet objectif, un ensemble de politiques et bonnes pratiques sont déployées pour contribuer de manière positive au développement durable : maîtrise des impacts de son activité, dialogue et travail en partenariat, suivi et évaluation des résultats de son action, application de contrôles et prévention de la corruption et du détournement. Transparence et dialogue, un des piliers d’une démarche de responsabilité sociétale Dans la conduite de sa mission, le groupe AFD s’attache à prendre en compte les attentes des acteurs intéressés par son activité. Le dialogue avec ses « parties prenantes » constitue l’un des piliers de sa démarche de responsabilité sociétale, envisagée comme une responsabilité par tagée face aux impacts de son action. À cet égard, écouter et répondre aux préoccupations et plaintes des populations concernées par les projets financés est une des premières responsabilités d’un bailleur comme l’AFD. Ainsi, pour les projets présentant les risques environnementaux et sociaux (E&S) les plus importants et en cofinancement avec des bailleurs bilatéraux, la mise en place d’un mécanisme de gestion des plaintes (grievance mechanism) est demandée au maître d’ouvrage. Un dispositif de gestion des controverses E&S ouvert à des tiers externes au projet est également un outil essentiel à la construction d’un dialogue partie prenante. À l’instar des pratiques des autres bailleurs, un tel dispositif sera prochainement opérationnel au sein du groupe AFD.

L’efficacité de l’action de l’AFD et d’un bailleur en général passe par la capacité à travailler en réseau et en partenariat avec l’ensemble des acteurs du développement (autres bailleurs, Union européenne, entreprises, collectivités, organisations non gouvernementales…). Renforcer la transparence sur les activités est une de conditions pour construire une relation de confiance et un dialogue de qualité avec ces acteurs. L’AFD s’est ainsi engagée à rendre compte de ses activités, à travers la mise à disposition d’informations institutionnelles, stratégiques et opérationnelles sur son site internet. Les par ties prenantes sont ainsi invitées à adresser à tout

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moment à l’AFD des demandes d’informations, d’explications ou des observations sur les projets par l’intermédiaire de la boîte de messagerie transparence@afd.fr.

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Dans le cadre des projets les plus risqués, le maître d’ouvrage réalise, avec l’appui de consultants spécialisés, des études spécifiques, telles qu’une étude d’impact, un audit E&S, décrivant les risques et impacts E&S négatifs, et proposant les mesures d’atténuation à mettre en œuvre, généralement regroupées dans un plan de gestion environnementale et sociale (PGES). Dans le cas des entreprises et des institutions financières, le groupe AFD peut diligenter des études ou audits complémentaires, afin d’évaluer la conformité de leurs pratiques environnementales et sociales. À l’issue de ces démarches, des clauses E&S spécifiques et des plans d’action sont insérés dans la documentation contractuelle : conventions de crédit, de subvention ou de prise de participation. Leur mise en œuvre fait l’objet d’un suivi régulier.

Un autre exemple de transparence est la publication des évaluations ex-post réalisées par la division Évaluation de l’AFD. Ces évaluations, comme par exemple celle sur les financements accordés par le groupe de l’AFD à la conservation de la forêt du bassin du Congo, font des bilans des interventions passées et des recommandations pour les interventions futures dans les secteurs ou sur les thématiques concernés. Maîtriser les impacts environnementaux et sociaux des projets : renoncer, compenser ou accompagner De nombreuses opérations de développement comportent des risques vis-àvis de l’environnement et des populations concernées. L’évaluation de ces risques et de leurs impacts est capitale avant toute décision d’octroi d’un financement. Ainsi, l’AFD ne finance pas certains projets du fait de critères d’ordre éthique, environnemental et social. Ces critères sont inscrits dans une liste d’exclusion publiée sur le site internet de l’AFD.

L’accompagnement des bénéficiaires des financements dans la prise en compte des enjeux E&S est essentiel pour l’AFD. C’est par la capacité des bénéficiaires à assurer la prise en charge et le suivi des risques E&S que de réels progrès pourront se faire. Ainsi, certains projets font l’objet d’un accompagnement spécifique, d’un soutien technique ou financier en la matière. Par ailleurs, une attention est portée à la prise en compte par le bénéficiaire de la dimension E&S dans les appels d’offres afin de privilégier les entreprises responsables dans l’attribution des marchés de travaux, notamment ceux à fort impact. Un dossier type d’appel d’offres, avec des clauses E&S renforcées, est proposé aux maîtres d’ouvrage pour la réalisation des travaux à risques élevés.

La démarche empruntée par le groupe AFD consiste à : • évaluer les risques et impacts environnementaux et sociaux de chaque projet présenté aux instances décisionnelles ; • proposer les mesures appropriées visant à limiter l’exposition à ces risques, ou à en compenser les effets ; • suivre la mise en œuvre de ces mesures lors de la phase d’exécution de l’opération ; • gérer les imprévus ; • améliorer la qualité des projets et la performance environnementale et sociale des bénéficiaires de ses financements. À chaque secteur correspond une typologie de risques, à laquelle le groupe AFD répond de manière adaptée via sa démarche de maîtrise des risques environnementaux et sociaux.

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Maîtriser les risques de détournement de l’aide, de corruption, de fraude, de blanchiment et de financement du terrorisme En tant qu’établissement de crédit et acteur essentiel de l’aide publique au développement, l’AFD est vigilante à l’égard de la réputation et de la bonne gouvernance des sociétés à qui sont accordés des concours. Ces préoccupations sont indissociables de ses mandats et de sa mission fondamentale de lutter contre la pauvreté et de promouvoir la croissance dans les pays de sa zone d’intervention. La corruption, la fraude ainsi que toute forme de détournement de l’aide publique et privée, de participation à un mécanisme de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme portent durablement atteinte à ces missions. Afin de prévenir, détecter et surveiller tout risque d’infractions, une politique générale a été adoptée et est déclinée sous forme de procédures opérationnelles décrivant les contrôles à réaliser aux différents stades de la vie du projet. Les conventions de financement du groupe AFD comportent également un certain nombre de clauses qui imposent des engagements à la contrepartie en matière de lutte contre la corruption, d’ententes, de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. La révélation de pratiques irrégulières ou non conformes peut donner lieu à des décisions d’annulation ou de suspension de versements.

Mesurer la contribution au développement durable Évaluer les résultats et les impacts de l’activité Mesurer la qualité des interventions et apprécier leurs résultats est une exigence démocratique à l’égard des parties prenantes que sont les populations concernées par les projets, les autorités des pays bénéficiaires et les citoyens français. En amont et au cours du projet, des évaluations sont menées pour permettre de déterminer la viabilité et l’efficacité (économique, financière, environnementale, sociétale, etc.) des projets. La réalisation d’évaluations finales permet de s’assurer de leur bonne mise en œuvre. Par ailleurs, des indicateurs permettent de rendre compte des réalisations et des résultats de développement. La filiale Proparco mesure également les résultats des projets financés, en amont des choix de financement et également en suivi du portefeuille. Les effets en termes de recettes publiques, d’emploi, de transfert de savoir-faire, de gouvernance ou encore d’accessibilité des produits et services localement sont mesurés systématiquement. Mais afin de garantir « l’évaluabilité » des projets, renforcer la qualité des travaux et, plus globalement, leur utilité et leur utilisation, il convient de veiller à une formulation des objectifs et des indicateurs pertinents dès la conception des projets.

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Valoriser la contribution des projets au développement durable Tout au long du cycle d’instruction du projet, les équipes de l’AFD questionnent les impacts du projet (qu’ils soient positifs mais également négatifs) sur les différentes dimensions du développement durable : • développement économique ; • bien-être social et réduction des déséquilibres sociaux ; • égalité femmes-hommes ; • préservation de la biodiversité, gestion des milieux et des ressources naturelles ; • lutte contre le changement climatique et ses effets ; • pérennité des effets du projet et cadre de gouvernance. Cette analyse se traduit par l’émission d’un avis indépendant pour chaque projet présenté au financement de l’AFD qui permet de mesurer concrètement la contribution au développement durable et sa prise en compte dans les opérations. Par le déploiement de ces outils et dispositifs de maîtrise des impacts E&S, de transparence et de dialogue, de suivi et mesure des résultats, de prévention de la corruption et du détournement, la démarche de responsabilité sociétale montre qu’elle est une réponse concrète à l’objectif de développement durable et qu’elle est au cœur du métier de développement.

L’application de ces principes au cas de la Côte d’Ivoire L’application des principes généraux de la RSE au sein du groupe de l’AFD trouve évidemment sa déclinaison opérationnelle dans chaque pays, et donc en Côte d’Ivoire. Le groupe AFD déploie en Côte d’Ivoire plusieurs types d’interventions en lien avec différents instruments financiers : – des subventions de plusieurs sources : • C2D, mécanisme de conversion de la dette ivoirienne envers la France,

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par lequel la France reverse à la Côte d’Ivoire, sous forme de dons, les échéances de sa dette d’aide publique au développement. Ces montants font l’objet d’une signature de contrats de désendettement et de développement (1er C2D de 630 M Euros, soit 413 Md FCFA, de 2012 à 2015 et 2e C2D de 1 125 m Euros, soit 738 Md FCFA, de 2014 à 2020), qui prévoient le financement de projets et programmes dans six secteurs d’intervention : I ) éducation-formation-emploi, II ) santé (renforcement du système de santé et planification familiale), III) agriculture, développement rural et biodiversité, IV) infrastructures de transport, V) développement urbain et eau, et VI) justice ; • subventions aux ONG françaises ; • facilités microfinance ou mésofinance destinées aux institutions de microfinance ou à des fonds d’investissement ; • fonds d’études et de renforcement de capacités ; • subventions du Fonds français de l’environnement mondial (FFEM) pour des projets environnementaux ; – des prêts de Proparco, filiale de l’AFD dédiée au secteur privé, au bénéfice d’entreprises privées dans les secteurs des infrastructures, de l’agro-industrie et financier/bancaire ; – des prises de participation de Proparco pour soutenir les fonds propres des entreprises privées ; – des garanties de l’AFD aux banques (mécanisme de par tage de risque appelé ARIZ) pour favoriser l’accès des PME au crédit bancaire. Quelques exemples concrets peuvent illustrer la mise en œuvre en Côte d’Ivoire des principes de RSE évoquées aux chapitres précédents : Dialogue et transparence Le dialogue est quotidien avec l’ensemble des maîtres d’ouvrage des projets et programmes financés sur le C2D, avec les responsables des banques avec qui l’AFD travaille pour la mise en place des garanties ARIZ, avec les responsables des entreprises publiques ou privées bénéficiant ou recherchant des financements du groupe de l’AFD. Les aspects E&S sont une des composantes de ce dialogue. Par ailleurs, à la demande, l’AFD peut intervenir dans différentes enceintes pour expliquer la pratique de l’AFD en matière de RSE, comme cela a été le cas lors d’une réunion du Global Compact Côte d’Ivoire, lors de l’Economic African Forum organisé par la Fondation Zady Kessi ou encore lors d’un webinaire organisé par le bureau Bedevelopment pour des entreprises ivoiriennes sur les démarches de financement responsable. En termes de transparence, l’ensemble des interventions de l’AFD font l’objet de fiches projet disponibles sur le site internet de l’AFD en Côte d’Ivoire (http://www.afd.fr/home/pays/afrique/geo-afr/cote-d-ivoire). De même, les éva-

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luations ex-post réalisées par l’AFD sont disponibles sur le site, tout comme le seront les audits techniques et financiers qui seront réalisées dans le cadre du C2D. Maîtrise des risques environnementaux et sociaux dans les projets et programmes financés Lors de l’instruction des financements, les diligences environnementales et sociales sont examinées avec attention. Quelques exemples : • pour tout projet : diligences spécifiques en cas de déplacement de population (lié à un chantier par exemple) avec, en cas de fort impact social, la réalisation et la mise en œuvre d’un PGES (plan de gestion environnemental et social) ; • projet d’alimentation en eau potable : évaluation de l’impact sur la nappe phréatique ; • projets d’infrastructures : renforcement des normes RSE dans les dossiers d’appels d’offres et suivi des actions environnementales et sociales lors des supervisions de projets (sécurité des personnels de chantiers, respect du code du travail et protection sociale des employés, etc.) ; • projet justice : engagement de l’État sur l’amélioration des conditions de vie des détenus dans les prisons ; • projet banques : analyse du dispositif de gestion environnementale et sociale mis en place par la banque pour ses propres projets de financement, sur la base des Performance Standards définis par la SFI ; • projets agro-industriels : analyse des conditions de travail et des moyens de contrôle mis en place par la société sur les aspects sociaux (travail des enfants, sécurité des personnels…) ; analyse de l’impact sur l’environnement (déforestation…) et sur la répartition de valeur (par exemple certification des récoltes). À noter également la nomination d’un référent « genre » au sein de l’agence AFD afin d’accorder une attention particulière aux aspects équité homme/femme et prise en compte du genre lors de l’instruction des financements. Maîtriser les risques de détournement de l’aide, de corruption, de fraude, de blanchiment et de financement du terrorisme Les actions suivantes sont menées, comme dans tous les pays d’intervention du groupe de l’AFD : • diligences poussées sur l’ensemble des bénéficiaires du projet (personnes morales ou physiques), jusqu’au bénéficiaire effectif ; • obligation de la signature, par tout bénéficiaire d’un contrat sur financement AFD, d’une déclaration d’intégrité, dont le modèle est inclus dans les dossiers d’appel d’offres ;

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• demande aux institutions bancaires avec qui le groupe de l’AFD travaille de la mise en place des procédures et diligences anti-blanchiments et de lutte contre le terrorisme (diligences obligatoires avant tout engagement financier de l’AFD envers ces institutions) et suivi du respect de celles-ci au cours de la mise en œuvre du financement.

Conclusion Évaluer les résultats et les impacts constitue une dimension centrale de la RSE. Chaque projet du C2D dispose d’un cadre logique et d’une matrice de suivi d’indicateurs sectoriels. La définition et l’utilisation de ces outils font l’objet d’un appui de la division Évaluation du siège de l’AFD. Pour Proparco, une estimation ex-ante des impacts attendus des projets est systématiquement réalisée. Les procédures permettant un suivi systématique des impacts réellement obtenus ont été récemment mises en place et devraient bientôt produire des analyses détaillées sur les projets financés. La responsabilité sociétale des entreprises constitue pour l’AFD comme pour Proparco une réponse prioritaire, concrète et axée sur l’éthique et les principes de bonne gouvernance.

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les enjeux et opportunités du développement durable dans la stratégie économiques et fi fin nancières de la Côte d’Ivoire Nialé Kaba Ministre auprès du Premier ministre, chargé de l’économie et des finances en Côte d’Ivoire

Contexte et problématique Après deux décennies de crises multiformes (économique, sociale, politique et militaire) qui ont considérablement affecté son économie et mis à mal sa cohésion sociale, la Côte d’Ivoire a ouvert un nouveau chapitre de son histoire qu’elle veut empreint de prospérité, à la faveur du dénouement de la dernière crise postélectorale de mai 2011. Ses performances économiques des dernières années lui valent d’être dans le peloton de tête des pays à forte croissance dans le monde. Le rythme de croissance exceptionnelle du PIB de 10,7 % en 2012 a été maintenu à 9,2 % et 9 % respectivement en 2013 et 2014. Fruits de politiques économiques volontaristes et cohérentes, ces résultats sont une réponse vigoureuse de l’État Ivoirien aux graves conséquences liées à la parenthèse douloureuse qu’a connue le pays. À titre de rappel, le taux de pauvreté en Côte d’Ivoire était de 48,9 % en 2008 contre 10 % en 1985 (Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP), 2009). En outre, le fardeau de la dette a constitué une contrainte majeure à l’investissement aussi bien dans les secteurs productifs que sociaux. L’encours de la dette extérieure représentait 100 % du PIB en 2000 (Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 2015), compromettant ainsi les capacités de développement des générations présentes et futures. La dynamique de croissance que connaît la Côte d’Ivoire répond à l’ambition de ses autorités de la transformer en un pays émergent à l’horizon 2020. L’accomplissement de cet objectif nécessite la réalisation d’une croissance forte, soutenue et inclusive, qui elle-même appelle à une transformation structurelle de l’économie ivoirienne.

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Toutefois, cette transformation structurelle doit se faire dans le respect et la préservation du « capital environnement » du pays ; ce qui nécessite à la fois des politiques et mesures appropriées. Il est en effet constant d’observer que le développement économique engendre, pollution, déforestation, perte de la biodiversité, et, plus globalement, la dégradation des ressources naturelles. Les effets du changement climatique qui s’ensuivent deviennent à leur tour de sérieuses menaces pour l’existence même de l’humanité. Il y a donc urgence pour la Côte d’Ivoire comme pour l’ensemble des pays notamment africains, à rechercher et asseoir les bases d’un développement durable.

Les enjeux du développement durable dans les stratégies économiques et financières : intégrer les trois dimensions du développement durable Au regard du caractère transversal du développement durable, le principal défi pour la Côte d’Ivoire, comme pour le reste du monde, est d’assurer l’intégration judicieuse des trois dimensions, économique, sociale et environnementale. Cette nécessité a guidé tout le processus d’élaboration et de mise en œuvre du Plan national de développement (PND 2012-2015). Cet outil stratégique, cadre de référence des interventions publiques et privées, met en cohérence les trois piliers du développement durable à travers les principaux axes d’interventions que sont : a) la création accrue et soutenue de richesse dont les fruits doivent être repartis dans l’équité ; b) l’accès des populations, en particulier les femmes, les enfants et autres groupes vulnérables, aux services sociaux de qualité dans l’équité ; c) la garantie d’un environnement sain et d’un cadre de vie adéquat aux populations.

La croissance économique Depuis 2012, l’économie ivoirienne a amorcé une nouvelle phase de croissance. Cette dynamique se fonde sur un ambitieux programme d’investissement dans l’ensemble des secteurs d’activité, encadré par une gestion rationnelle des finances publiques et une surveillance plus accrue de l’endettement. En effet, le taux d’investissement a avoisiné 17 % du PIB sur la période 20122013 et s’est établi à 19,6 % en 2014, contre un taux moyen d’environ 10 % entre 2002 et 2011. Ces investissements publics, en particulier dans les infrastructures économiques et sociales, ont vocation à exercer un effet d’entraînement sur le secteur privé, moteur de toute croissance économique durable. Aussi, dans sa volonté de stimuler l’investissement privé, l’État Ivoirien fait du renforcement de la gouvernance, un levier essentiel d’accélération de la transformation structurelle nécessaire à la réalisation de l’objectif de croissance durable. Ainsi, de nombreuses mesures ont été prises dans le sens de l’amélioration du climat des affaires notamment.

À l’heure du bilan, l’on peut affirmer que les résultats obtenus de la mise en œuvre de ce programme, sont fort encourageants. Au-delà de la dynamique de croissance du PIB, l’indice de développement humain (IDH) de la Côte d’Ivoire a connu une évolution favorable, même si le pays demeure au sein du groupe des États à faible développement humain. Cet indice est passé de 0,393 en 2000 à 0,452 en 2013, soit une progression de plus d’un point (PNUD, 2014). Aussi, les études récentes (Banque mondiale et ministère d’État, ministère du Plan et du Développement) montrent-elles une inversion de la tendance de l’appauvrissement des populations ivoiriennes. En 2015, le taux de pauvreté est retombé à près de 46 % contre 48,9 en 2008. Les paragraphes ci-dessous présentent les actions menées dans l’optique de la conciliation des trois dimensions du développement durable.

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Ces dispositions, visant à rendre le secteur privé plus dynamique et pourvoyeur d’emplois, ont permis d’améliorer le rang de la Côte d’Ivoire dans les récents classements du « Doing Business » de la Banque mondiale. Du 177e rang en 2012, le pays a enregistré un gain de 30 places pour occuper le 147e rang en 2015. La Côte d’Ivoire figure parmi les 10 pays au monde qui ont fait le plus de progrès pour améliorer leur climat des affaires au cours des deux dernières années. Ces réformes ont eu pour résultat de stimuler la création d’entreprise. Le nombre d’entreprises créées est passé de 396 en 2012 à 2 775 en 2013. Quant aux investissements directs étrangers (IDE), ils ont atteint 407 milliards de francs FCA en 2013, soit plus du triple de leur niveau de 2012. Pour ce qui concerne les industries extractives, les réformes engagées ont permis à la Côte d’Ivoire d’être éligible et de maintenir son statut de pays conforme à l’initiative de la transparence des industries extractives (ITIE). Au nombre de ces réformes majeures, deux méritent d’être rappelées : I) l’adoption d’un nouveau code des hydrocarbures qui assure une plus grande transparence dans la gestion des ressources et la préservation de l’environnement ; II) l’examen en Conseil des ministres et la publication trimestrielle des flux physiques et financiers issus des industries extractives. Par ailleurs, le renforcement du secteur de l’électricité à travers le rétablissement de l’équilibre financier de celui-ci représente un sentier qui a retenu toute l’attention de l’État. L’importance des subventions d’électricité (104,5 milliards de francs CFA en 2011 et 137 milliards de francs CFA en 2012) appelle à des actions énergiques pour le rétablissement de l’équilibre financier de ce secteur. L’État a ainsi élaboré et mis en œuvre une stratégie à moyen terme pour le retour à l’équilibre financier du secteur électricité. Cette stratégie vise à assurer une offre d’électricité suffisante et à moindre coût pour soutenir les perspectives de croissance du pays. Dans le cadre de la mise en œuvre de ladite stratégie, l’État a, renégocié de façon plus équitable, le prix de cession du gaz naturel (moins 44 %), qui demeure la principale source de production (70 %) de l’électricité. D’importants investissements ont été réalisés dans l’objectif d’améliorer le dispositif de transport et de distribution. Ces travaux ont permis d’améliorer les rendements de deux points dans ce secteur. En outre, la maîtrise de la demande d’énergie constitue un facteur de rétablissement de l’équilibre financier du secteur. Afin de rationaliser la consommation d’énergie, le gouvernement a initié un programme national de distribution de lampes basses consommation, dont le gain en énergie, à terme, est évalué à 100 MW. Des actions ont également été menées en vue de réaliser des économies d’énergie dans les bâtiments publics. Au-delà de ces mesures, l’État entend améliorer ses capacités de production d’énergie hydroélectrique. À cet effet, le barrage de Soubré, d’une capacité de 275 MW, est en construction et devrait être opérationnel en 2017. Celui de

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Singrobo-Ahouaty, d’une capacité de 44 MW, est en phase de préparation.Toute chose qui contribuera à augmenter l’offre d’électricité nécessaire pour supporter la dynamique de croissance et conforter la Côte d’Ivoire en sa position de pays exportateur d’électricité. À la faveur de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), la Côte d’Ivoire a bénéficié d’une réduction substantielle de sa dette extérieure. Le fardeau de la dette publique est passé de 100 % du PIB en 2000 à 44,5 % en 2012 (OCDE, 2015). Les projections de la Banque mondiale situent ce ratio à 39,6 % en 2015. Au regard de ses ambitions qui impliquent une hausse considérable des besoins, l’un des défis auxquels est confrontée la Côte d’Ivoire est la mobilisation des ressources nécessaires au financement de son développement sans pour autant sombrer dans le surendettement. Pour relever ce défi, la Côte d’Ivoire a entrepris des réformes institutionnelles. Un Comité national de la dette publique (CNDP) a été créé par décret en novembre 2011. En outre, la direction en charge de la gestion de la dette publique a été réorganisée dans l’objectif de centraliser les opérations liées à l’endettement public afin d’assurer un lien entre I ) la politique et la stratégie d’endettement, II) la recherche de financement, les négociations et III) la maîtrise du portefeuille de la dette. Élaborée par le CNDP, la première stratégie de la dette à moyen terme (SDMT 2013-2017) a été adoptée par le gouvernement en 2013, en vue d’anticiper l’impact des nouveaux financements de l’État sur la viabilité de la dette. Cette stratégie a été confortée par une analyse de la viabilité de la dette (AVD, 2013) qui a mis en lumière un risque modéré d’endettement avec un ratio dette/PIB de 44,1 % à l’horizon 2017. Une seconde stratégie couvrant la période 2015-2019 est en cours d’élaboration et devrait permettre à l’État de renforcer la surveillance de l’impact des nouveaux financements sur la viabilité de la dette publique. Par ailleurs, conformément aux dispositions communautaires (directive n° 06/2009/CM/UEMOA portant loi des finances), la Côte d’Ivoire a entamé une migration progressive vers l’adoption du cadre des dépenses à moyen terme (CDMT). Cette approche de gestion des finances publiques permet de placer la gestion budgétaire dans une perspective pluriannuelle. À cet égard, elle vise à renforcer la pérennité des politiques publiques et l’efficacité des allocations intersectorielles des ressources. De même, elle améliore la performance opérationnelle des services publics. Entamée en 2010, au travers des ministères en charge des secteurs de l’éducation/formation et de la santé, 16 départements ministériels se sont soumis à l’élaboration des CDMT dans le cadre du Budget 20141. On y dénombre, outre les ministères des Secteurs sociaux, ceux en charge de l’agriculture, des eaux et forêts, de l’assainissement et de l’environnement. La prise en compte de l’ensemble des ministères sectoriels est programmée pour 2017 au plus tard.

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L’équité sociale L’équité sociale constitue une priorité nationale voulue par les plus hautes autorités du pays. a) L’amélioration des revenus des populations Le Plan national de développement (PND 2012-2015) vise notamment la réduction du taux de pauvreté de moitié. En conséquence, la redistribution équitable des fruits de la croissance économique est un objectif prioritaire du gouvernement de la Côte d’Ivoire. À cet égard, il a progressivement pris des mesures visant à accroître le revenu des populations. Ces mesures concernent la revalorisation du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), le déblocage des avancements indiciaires des fonctionnaires et la garantie d’un prix plus rémunérateur aux producteurs de café, de cacao, de coton et de l’anacarde. En effet, depuis janvier 2015, le SMIG a été réévalué à 60 000 francs CFA contre le montant initial de 36 607 francs CFA, soit une augmentation de plus de 60 %. Dans cette dynamique, le gouvernement a procédé au déblocage des avancements indiciaires des fonctionnaires. Cette mesure, entamée en janvier 2014, est pleinement effective depuis le mois de mai 2015. Elle concerne la totalité des plus de 160 000 fonctionnaires que compte la Côte d’Ivoire et vient ainsi mettre fin à une mesure d’austérité de plus de vingt-cinq ans. L’impact financier de l’initiative est estimé à 77,3 milliards de francs CFA pour les huit derniers mois de l’année 2015. Depuis février 2012, le gouvernement garantit un prix minimum de l’ordre de 60 % du prix CAF (coût, assurance, fret) aux producteurs de café et de cacao. Cette mesure est opérationnalisée grâce au programme de ventes anticipées à la moyenne (PVAM). Cette réforme, couplée à la bonne tenue des cours mondiaux, a permis d’accroître les revenus des paysans qui sont passés de 700 milliards de francs CFA en 2012 à 1 117 milliards de francs CFA en 2013, avant d’atteindre 1 400 milliards en 2014, soit le double du niveau de 2012. Fort de ces résultats, le gouvernement a révisé le mécanisme de fixation du prix de l’anacarde et du coton afin d’assurer, à l’image de la filière café et cacao, 60 % du prix CAF aux producteurs de coton et de l’anacarde dès la campagne agricole de 2014. Les revenus distribués aux producteurs de coton et d’anacarde ont ainsi connu une hausse de 8,7 % entre 2012 et 2013, passant de 93,2 milliards de francs CFA à 101,3 milliards de francs CFA. La réforme a ainsi été bénéfique pour les 2,5 millions de petits producteurs que comptent ces différentes filières. En outre, la promotion de l’emploi des jeunes et de l’autonomisation des femmes figure au nombre des priorités du gouvernement. Sur le plan institutionnel, un ministère rattaché au président de la République a été créé pour prendre en main la question de l’emploi de jeunes. Aussi, un important projet dénommé « projet emploi jeunes et développement des compétences (PEJEDEC) », bénéficiant du concours financier de la Banque mondiale, à hauteur de 25 milliards

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de francs CFA, est-il consacré aux jeunes hommes et femmes âgés de 18 à 30 ans non qualifiés, peu qualifiés, hautement diplômés sans emploi et non-inscrits dans aucun programme de formation formelle ou informelle. Quant à l’autonomisation des femmes, le Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI), d’un montant de 4 milliards de francs CFA, poursuit l’objectif de permettre aux femmes de Côte d’Ivoire d’accéder à des ressources financières à coût réduit en vue de créer ou de renforcer des activités génératrices de revenus, d’une part et former, de même que sensibiliser les femmes sur la gestion des activités génératrices de revenus, d’autre part. À ce jour, il a bénéficié à plus de 40 000 femmes. Par ailleurs, ces initiatives du gouvernement, visant à améliorer le pouvoir d’achat des populations, bénéficient d’un environnement d’inflation maîtrisée. En effet, le taux d’inflation est constamment maintenu sous le seuil communautaire de 3 %, notamment grâce à la maîtrise des indices des prix favorisée par un meilleur approvisionnement des marchés en produits vivriers. Un vaste programme d’entretien des pistes rurales a été déterminant dans la réalisation de cette performance. b) Renforcement de l’accès des populations aux services sociaux de base L’accès des populations aux services sociaux de base a été amélioré grâce à d’importants investissements notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé, et de l’eau potable. En matière d’éducation, le taux brut d’admission au CP1 est passé de 73,4 % en 2008 à 97,8 % en 2014. Quant au taux brut de scolarisation, il est passé de 76,2 % en 2008 à 94,7 % en 2014. Le taux net de scolarisation (proportion des enfants en âge officiel d’être à l’école primaire) s’est établi à 72,9 % en 2013, contre 56,1 % en 2008. En outre, le taux d’achèvement du primaire s’est amélioré, passant de 48,5 % en 2008 à 63,9 % en 2014. L’on doit ces résultats remarquables aux effor ts conjugués menés dans le cadre de la distribution de manuels et kits scolaires, la réhabilitation (3 943) et la construction (9 056) de salles de classe, la construction de cantines scolaires et le recrutement massif d’enseignants (24 422 instituteurs et de 7 966 professeurs de lycées et collèges) visant à réduire le déficit important. Aussi, le gouvernement vient-il de lancer l’opération « École gratuite » qui sera effective dès l’année scolaire 2015-2016. D’importants investissements sont en cours de mise en œuvre pour mener à bien cette initiative. Au niveau de l’enseignement supérieur particulièrement, la principale université (Félix Houphouët-Boigny) a été réhabilitée et équipée (notamment en technologies de l’information et de la communication - TIC). Les unités de recherche de l’enseignement supérieur (URES) de Korhogo et de Daloa ont bénéficié d’impor tants travaux et ont été transformées en universités

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autonomes. Ces actions se sont accompagnées du recrutement de 907 enseignants-chercheurs. Dans le domaine de la santé, l’État a engagé un vaste programme de réhabilitation et de construction de centres de santé, ainsi que la mise aux normes des plateaux techniques des structures sanitaires. Ainsi, les services d’urgences des centres hospitaliers universitaires (CHU) de Bouaké, Cocody, Treichville et Yopougon ont été réhabilités et équipés. De même, 46 hôpitaux généraux et 150 centres de santé ont été réhabilités, équipés et mis aux normes. De plus, 4 hôpitaux (Gagnoa, Adjamé, Angré et Saint Joseph Moscati de Yamoussoukro) et 52 établissements sanitaires de premier contact ont été construits et équipés. Par ailleurs, en réponse aux conséquences de la crise post-électorale, le gouvernement, dans le but de faciliter l’accessibilité financière aux services de santé, a mis en œuvre la politique de gratuité généralisée, puis celle de la gratuité ciblée qui prend en compte l’accouchement, les complications liées à l’accouchement y compris la césarienne, la prise en charge des maladies des enfants de 0 à 5 ans et la prise en charge du paludisme diagnostiqué. L’effort financier de l’État dans le cadre de la mise en œuvre de cette mesure s’élève à plus de 60 milliards de francs CFA. L’État a en outre initié la couverture maladie universelle (CMU) qui poursuit l’ambition d’appor ter une couver ture sociale à la grande majorité des populations vivant sur le sol ivoirien. Pour ce qui concerne l’accès des populations à l’eau potable, 77 quartiers périurbains d’Abidjan et 90 quartiers périurbains de 15 villes de l’intérieur ont été alimentés en eau potable. De plus, 14 forages à grand débit ont été réalisés, de même que la station de traitement et de réser voir de stockage de 10 000 m3 au sol pour la ville d’Abidjan, soit un doublement de capacité. En milieu rural, un important programme de réhabilitation et de réalisation de nouvelles pompes villageoises a été mis en œuvre. Aussi, 35 000 ménages pauvres ont-ils bénéficié de branchements subventionnés par le gouvernement sur la période 2012-2015. La durabilité environnementale Les deux principaux facteurs de dégradation de l’environnement sont la pauvreté et l’activité des entreprises. Le pauvre a tendance à s’orienter naturellement vers les biens et services environnementaux, qui sont quasiment gratuits et accessibles pour satisfaire ses besoins humains essentiels. En outre, l’accès du pauvre à l’éducation est fortement contrarié, alors même que celle-ci est un puissant levier de formation et de sensibilisation aux enjeux de la protection de l’environnement. Selon les études antérieures de la de la Commission économique pour l’Afrique et d’autres travaux plus récents, la réduction sensible du taux de pauvreté impose la réalisation, à moyen et long terme, d’un taux moyen de croissance du PIB de 7 % (Clarke, 2013 et ECA, 1999). Cette performance nécessite

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la réalisation d’investissements à hauteur de 25 % du PIB, voire plus. En s’attaquant de manière manifeste à la pauvreté, à travers notamment la promotion de l’investissement, l’État de Côte d’Ivoire concourt ainsi à mettre en place un fondement solide de la protection de son environnement. Quant à l’activité des entreprises, elle est appelée à s’intensifier au regard de l’ambition de la Côte d’Ivoire de devenir une économie émergente à l’horizon 2020. Cela ne va, sans doute, pas se faire sans une érosion de l’environnement. Conscient de cet état de fait, le gouvernement de Côte d’Ivoire s’est inscrit dans une dynamique d’encadrement des activités des entreprises dans le souci de préserver la qualité de l’environnement. Le secteur agricole, qui a toujours porté à bout de bras l’économie ivoirienne depuis l’Indépendance, demeure encore un maillon essentiel. Il a représenté 23,6 % du PIB et 66 % des recettes d’exportation en 2014. Ce secteur poursuit l’ambition d’un taux de croissance moyen de 9 % à l’horizon 2020. Pour y parvenir, des stratégies ont été définies dans le programme national d’investissement. En plus de viser la compétitivité des productions agricoles, l’amélioration de la gouvernance du secteur et la promotion de l’investissement privé, ces stratégies accordent une place de choix à la promotion du développement durable. À cet effet, une approche basée sur l’intensification des cultures et surtout la vulgarisation des techniques de production durable est mise en avant, avec la contribution de la recherche et développement. En outre, un point d’honneur est mis à la gestion rationnelle des ressources halieutiques et des ressources forestières. Singulièrement pour les ressources forestières, un nouveau code forestier a été adopté en 2015 et vise la reconstitution et la protection du couvert forestier, de même que la création des conditions d’une gestion durable des ressources forestières (faune, flore, produits forestiers non ligneux). Ces initiatives constituent une réplique à la forte dégradation du couvert forestier ivoirien qui est passé de 16 millions d’hectares en 1960 à globalement 2 millions d’hectares de nos jours. L’émergence de l’économie ivoirienne nécessite la transformation structurelle de celle-ci. C’est pourquoi, la nouvelle politique industrielle, qui se fonde sur le renforcement du lien production-transformation, se fixe pour objectif d’accroître la part du secteur industriel de 30 % en 2014 à 40 % en 2020. Cet objectif n’est pas hors de portée quand nous savons que le secteur industriel ivoirien a connu, en onze ans un accroissement de sa valeur ajoutée de 86 %. Toutefois, l’État est soucieux du fait que l’essor d’un secteur industriel performant se réalise dans un contexte de développement durable. À cet égard, un code d’investissement a été adopté qui fait obligation aux investisseurs de promouvoir des normes en matière de droits de la personne et du droit du travail conformes aux principes reconnus internationalement, notamment ceux de l’ISO 26000. En outre, il insiste sur la nécessité pour ceux-ci de se conformer à la législation nationale en matière d’environnement. Parallèlement à ce cadre légal, une loi d’orientation sur le développement durable a été prise par ordonnance en 2014. Une section importante de celle-ci est dédiée au secteur privé. Cette

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section fait obligation aux acteurs du secteur privé d’appliquer les principes et objectifs du développement durable (énoncés) dans le fonctionnement et dans la mise en œuvre de leurs actions. Une série d’activités a été énumérée dans ce sens. Il s’agit, entre autres, I) de l’adoption de modes et de méthodes d’approvisionnement, d’exploitation, de production et de gestion responsables, répondant aux exigences du développement durable ; II) d’évaluations environnementales et sociales en vue de vérifier l’impact de leurs activités sur l’environnement et III) de l’adoption d’une communication transparente sur leur gestion de l’environnement. Le secteur des mines est appelé à jouer un rôle de plus en plus prépondérant dans l’économie ivoirienne. L’ambition des autorités, pour ce secteur, est de faire évoluer sa contribution au PIB de 1 % à 6 % à l’horizon 2020, au regard du plan stratégique de développement des mines, du pétrole et de l’énergie. Des actions ont été identifiées et sont mises en œuvre en vue d’accroître la performance de ce secteur. Afin d’atténuer l’impact considérable de l’exploitation minière sur l’environnement, l’État a adopté un nouveau code minier propice à la modernisation de ce secteur tout en le soumettant aux principes et objectifs du développement durable. Il définit des règles claires et transparentes de protection environnementale et sociale. En plus d’exiger, une étude d’impact environnemental et social (EIES) pour toute exploitation minière, ce code exige la création d’un fonds séquestre destiné à la réhabilitation de l’environnement et au financement du plan de fermeture de la mine, élaboré en concertation avec l’administration et les communautés locales. Ce plan vise à préparer les populations locales à la cessation des activités minières et à mettre en place les mesures de reclassement ou de reconversion (des personnes et du site) permettant d’atténuer les effets sociaux et environnementaux.

Les opportunités du développement durable Le concept de développement durable a émergé avec d’importantes opportunités, favorables à un développement à tous les nouveaux des économies africaines, notamment de la Côte d’Ivoire. Ces opportunités vont de la mobilisation supplémentaire de ressources financières à la migration vers une économie verte avantageuse à plusieurs égards. La mobilisations de ressources supplémentaires La Côte d’Ivoire, à l’instar de la grande majorité des États africains, est soumise à la contrainte majeure des ressources financières dans la mise en œuvre d’actions de développement. Face à cette contrainte, une priorisation rigoureuse des interventions s’impose. Celle-ci apparaît le plus couramment défavorable au pilier environnemental du développement durable. À titre d’illustration, le budget d’investissement annuel moyen des ministères en charge de l’environnement, de la salubrité et des eaux et forêts sur la période 2012-2014 a avoisiné 4 558 millions de francs CFA contre un besoin moyen évalué (dans le

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PND 2012-2015) à 23 197 millions francs CFA sur la même période. Ainsi, moins de 20 % des objectifs de financement sont couverts sur ladite période. En outre, la part de l’investissement des ministères ci-dessus indiqués dans l’investissement global du pays a représenté 0,65 % ; 0,45 % et 0,65 % respectivement en 2012, 2013 et 2014. Au regard de ce tableau, la recherche de financements supplémentaires, surtout en faveur des actions environnementales et sociales, apparaît comme un impératif. La Banque mondiale estime à un milliard de dollars2 le montant quotidien des flux financiers internationaux alloués au climat. C’est dire que des opportunités innovantes existent et doivent être saisies par la Côte d’Ivoire et l’ensemble des pays africains. Aussi, convient-il de rappeler la mise en place du Fonds vert, pour lequel les pays développés se sont engagés à renforcer le financement climatique, à raison de 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2020, en faveur des pays en voie de développement. Le secteur privé n’est pas en marge des initiatives en rapport avec le financement du climat. En la matière, le marché des obligations ver tes est en plein essor. L’évolution de celui de la Banque mondiale en est une illustration. Lancé il y a sept ans, il a franchi la barre des 20 milliards de dollars en 2014. En Côte d’Ivoire, dans le cadre du projet « SUNREF 3 Africa » qui vise la promotion par le financement des investissements d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelable dans certains pays de la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la Société générale de banques en Côte d’Ivoire et l’Agence française de développement ont procédé, le mercredi 8 juillet 2015 à la signature d’une convention de crédit pour une enveloppe de 6 millions d’euros. À cette même occasion, cet établissement financier a octroyé son premier crédit vert à la société leader du carton ondulé en Côte d’Ivoire. Ce crédit à moyen terme d’un montant d’un milliard six cent cinquante millions (1 650 000 000) de francs CFA est destiné à l’acquisition d’un équipement lui permettant de réaliser près de 40 % d’économie d’énergie tout en améliorant sa capacité de production. La transition vers une économie verte Le Programme des Nations Unies pour l’environnement définit l’économie verte comme une économie qui aboutit à un meilleur bien-être, de même qu’à l’équité sociale, tout en réduisant considérablement les risques environnementaux et les pénuries écologiques. Au regard du fort potentiel de la Côte d’Ivoire, les opportunités d’une telle option peuvent être capitalisées dans divers secteurs de l’économie, notamment l’énergie, l’agriculture et les transpor ts. En outre, la transition vers une économie verte est susceptible, non seulement, de constituer un levier important pour le traitement de la question cruciale de l’emploi, mais également pour donner un coup d’accélérateur au développement local et communautaire grâce à l’essor de nouveaux concepts, tels que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

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a) La contribution au développement de l’économie Comme dans l’ensemble des pays africains, l’énergie constitue un pilier important du processus de développement de la Côte d’Ivoire. Dans ce domaine, le pays présente un déficit, quoique modéré, en infrastructures de production et de distribution énergétique nécessitant des investissements impor tants, au regard de ses besoins de croissance. Relativement aux potentialités de la Côte d’Ivoire, les énergies renouvelables telles que le vent, l’eau et le soleil représentent des opportunités pour combler ce déficit en énergie. Elles constituent également une garantie à la sécurité énergétique qui reste soumise à l’épuisement du pétrole et du gaz naturel. Dans le domaine de l’agriculture, la Fédération internationale des mouvements de l’agriculture biologique (IFOAM) estime à environ 50 millions de dollars le marché mondial des aliments et boissons biologiques. Ce chiffre a connu un accroissement de 10 à 20 % entre 2000 et 2007. Malheureusement, environ 97 % des revenus sont générés en Europe et en Amérique du Nord alors que plus de 80 % des producteurs se trouvent en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Par ailleurs, selon des études menées par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les prix à la ferme de l’ananas, du gingembre et de la vanille en 2006 étaient respectivement 300 %, 185 % et 150 % plus élevés que les produits conventionnels ; ce qui représente des primes de prix et des revenus élevés pour les fermiers. La transformation vers une économie verte dans le domaine de l’agriculture nécessite une réorientation vers une agriculture durable, notamment le développement de produits biologiques dont la Côte d’Ivoire pourrait ainsi tirer profit grâce à la hausse des recettes d’exportation et des revenus des agriculteurs. Pour ce qui concerne le secteur du transport, nul n’ignore l’impact important d’un système de transport efficace sur la croissance économique et le développement. En effet, la disponibilité d’un système de transport efficace permet aux agents économiques de se déplacer avec plus de facilité en vue de pratiquer des activités génératrices de revenus. Rappelons que le transport routier assure le déplacement d’environ 97 % et 94 % des voyageurs et de marchandises, respectivement. Des systèmes de transport public plus pratiques, plus accessibles et confortables pour la population active sont de nature à inverser la tendance selon laquelle de plus en plus de personnes à revenu intermédiaire s’efforcent à se doter de moyens de transport propres. À cet égard, il importe de déployer des efforts en faveur d’autres modes de transport efficaces, en particulier le développement des voies maritime et ferroviaire qui transpor tent une plus grande quantité de marchandises et de passagers avec moins de carburant. En la matière, la Côte d’Ivoire dispose d’un important potentiel et des projets dans ce domaine structurant.

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b) La création d’emplois verts La transition vers une économie ver te est accompagnée de nombreuses opportunités d’emplois. L’Organisation internationale du travail estime à 2,3 millions le nombre personnes qui ont trouvé du travail dans le seul secteur des énergies renouvelables en Afrique ces dernières années. Selon elle, les potentialités de création d’emplois demeurent considérables. Elle projette que le nombre de postes dans les énergies alternatives pourrait atteindre 2,1 millions dans l’éolien et 6,3 millions dans le solaire thermique d’ici à 2030. À titre de comparaison, des études démontrent que le développement de l’industrie photovoltaïque pourrait créer 50 % d’emplois de plus que la construction d’autoroutes tandis que les programmes éoliens pourraient créer 60 % emplois de plus que la réduction des impôts. La Côte d’Ivoire entend tirer profit de ces opportunités afin de juguler l’épineux problème de l’emploi, notamment celui des jeunes. À cet effet, elle initie depuis 2014, un programme d’insertion des ex-combattants dans l’économie verte, plus précisément dans le domaine du recyclage des déchets plastiques et celui de la production de l’énergie solaire. Dans ce cadre, elle bénéficie du concours financier de la Banque africaine de développement, à travers le programme d’appui au renforcement de l’inclusion et de la cohésion sociale, et de l’assistance technique du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). c) La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) La RSE peut se définir comme la démarche selon laquelle toute organisation intègre les préoccupations sociales, économiques et environnementales dans son activité et dans ses interactions avec toutes les parties prenantes à celle-ci. Au regard de l’énorme potentiel que représente la RSE pour le développement durable, la Côte d’Ivoire s’est approprié la dynamique internationale de promotion de cette approche. L’initiative menée dans le secteur minier est, à n’en point douter, l’une des meilleures illustrations. En effet, le nouveau code minier crée les conditions d’attractivité vis-à-vis des investisseurs et celles de protection de l’environnement. Particulièrement, il garantit le respect des droits des populations et des communautés et fixe les conditions de réalisation du développement communautaire dans les zones d’exploitation. Pour ce qui est de ce dernier volet, le code minier fait obligation à toute entreprise d’élaborer un plan de développement communautaire en concertation avec les communautés riveraines et les autorités administratives territoriales et locales. Ce plan est associé à des objectifs précis et assorti d’un programme d’investissement. Pour la réalisation des projets de développement socio-économiques issus du plan, l’entreprise est tenue de constituer un fonds séquestre qui est alimenté annuellement. Une ordonnance prise par le Président de la République, fixe cette contribution à 0,5 % du chiffre d’affaires 5.

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Conclusion et perspectives La récente évolution de l’économie ivoirienne a montré une intégration raisonnable des trois piliers du développement durable. Les ressources tirées de la dynamique de croissance économique ont permis d’améliorer les conditions de vie des populations. Ainsi, de nombreux investissements réalisés dans le secteur social contribuent à assurer un meilleur accès des populations aux services sociaux de base (éducation, santé, eau potable). Aussi, les mesures d’amélioration du revenu des travailleurs et des agriculteurs sont-elles de nature à accroître le pouvoir d’achat des populations. Par ailleurs, les différents dispositifs législatifs et réglementaires ont été révisés à l’effet notamment de mieux prendre en compte la dimension écologique et environnementale dans les activités économiques. Il s’agit, entre autres, du code minier, du code de l’investissement, du code pétrolier, du code forestier et de la loi d’orientation sur le développement durable. Cependant, l’économie ivoirienne reste pour une large part tributaire du secteur agricole. Malheureusement, les performances de l’agriculture restent, fortement vulnérables aux changements climatiques auquel est soumise notre planète. En Côte d’Ivoire, les conséquences de ce phénomène sont I) la baisse effective de la pluviométrie au cours des trois dernières décennies écoulées ; II) l’irrégularité des pluies (mauvaise répartition) ; III) le raccourcissement de la longueur des saisons pluvieuses (la saison culturale a baissé de vingt jours en moyenne) ; IV) la baisse de moitié des productions agricoles de « type pluvial » ces dix dernières années ; V) la hausse des températures ; VI) une persistance et rigueur des saisons sèches ; VII) des inondations et VIII) une érosion côtière de plus en plus forte. L’atténuation des effets du réchauffement climatique demeure donc une préoccupation majeure pour la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi, elle appelle la communauté internationale à prendre des engagements vigoureux aux fins d’une réduction considérable des gaz à effet de serre, à l’issue de la 21e Conférence des parties (Cop 21) de décembre 2015 à Paris. En la matière, la Côte d’Ivoire compte y prendre toute la place qui est la sienne. Notre pays, à l’instar des autres pays en développement, se doit de mettre en œuvre des mécanismes pertinents de résilience aux effets du changement climatique. Plus généralement, des nouvelles méthodes de production et consommation appropriées au développement durable sont appelées à s’imposer dans les habitudes. Cette transformation nécessitera un rôle plus accru de l’innovation et de la technologie. Un transfert soutenu de technologie des États industrialisés, voire des pays émergents, aux pays en développement est appelé de tous nos vœux.

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BIBLIOGRAPHIE Banque mondiale, 2015, Performance de l’économie ivoirienne depuis la fin de la crise post électorale. Banque mondiale (http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2014/09/05/climatefinance-is-flowing-but-not-enough-yet ), 2014, Le financement climatique abonde mais reste insuffisant. CNUCED, 2013, Le développement économique en Afrique, rapport 2012, Transformation structurelle et développement durable en Afrique. Commission de la CEDEAO, 2012, Rapport sur la revue du progrès vers le développement durable en Afrique de l’Ouest (dans la perspective de Rio +20). Commodafrica (http://www.commodafrica.com/09-07-2015-la-sgbci-se-lance-dans-lecredit-vert-en-cote-divoire ), 2015, SGBCI s’engage aux côtés de l’AFD pour l’accompagnement des investissements d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelable. Fonds monétaire international, 2014, Côte d’Ivoire, consultations de 2013 au titre de l’article iv et quatrième revue de l’accord au titre de la facilité élargie de crédit (rapport du FMI n° 13/367). Ministère auprès du Premier ministre, chargé du budget, 2014, Loi de finance portant budget de l’État pour l’année 2015, DPBEP 2015-2017. Ministère de l’Agriculture, 2010, Programme national d’investissement agricole (PNIA 2010-2015). Ministère auprès du Premier ministre, chargé de l’économie et des finances, 2012, 2013 et 2014, Rapport économique et financier 2012 à 2014. Ministère d’État, ministère du Plan et du Développement, 2012, Plan national de développement 2012-2015. Ministère de l’Environnement et du Développement durable, 2012, Rapport Pays national du développement durable dans la perspective de Rio+20. Ministère des Mines et de l’Industrie, 2014, La politique industrielle et minière pour l’émergence de la Côte d’Ivoire. Ministère d’État, ministère du Plan et du Développement, 2015, Revue du Plan national de développement 2012-2015. Ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, 2012, Rapport général du séminaire national sur l’énergie (SNE) 2012. OCDE, 2015, Examen multidimensionnel par pays, Côte d’Ivoire. Organisation internationale du travail, 2008, Emplois verts, faits et chiffres. PNUD, 2014 et 2015, Rapport sur le développement humain 2014. République de Côte d’Ivoire, 2009, Document stratégique de réduction de la pauvreté. République de Côte d’Ivoire, 2012, Ordonnance n° 2012-487 du 7 juin 2012 portant codes des investissements. République de Côte d’Ivoire, 2014, Loi n° 2014-138 du 24 mars 2014, portant code minier. République de Côte d’Ivoire, 2014, Ordonnance n° 2014-148 du 26 mars 2014 fixant les redevances superficiaires et les taxes proportionnelles relatives aux activités régies par le code minier.

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NOTES 1. MPMB, loi de finance portant budget de l’État pour l’année 2015, DPBEP 2015-2017. 2. Banque mondiale, Le financement climatique abonde mais reste insuffisant, 2014. 3. Le projet SUNREF UEMOA est financé par l’Union européenne et le Fonds français pour l’environnement mondial et concerne, pour sa phase pilote, la Côte d’Ivoire, le Burkina-Faso, le Sénégal, le Togo et le Benin. 4. Déduction faite des frais de transport, prix FOB (Free on Board), dans la mesure où ces frais n’ont pas été déduits du prix à payer et des frais d’affinage en ce qui concerne les métaux. Pour ce qui concerne l’eau minérale, les frais déductibles sont les frais d’emballage.

Le retour d’expérience sur les projets ivoiriens fi fin nancés par le Fonds mondial de l’environnement Alimata Koné Bakayoko Secrétaire permanent de la Commission nationale du Fonds pour l’environnement mondial (CNFEM), point focal opérationnel du FEM Côte d’Ivoire

Introduction La réalité du réchauffement du climat fait aujourd’hui l’objet d’un consensus tant sur le plan scientifique que sur le plan politique. Du Protocole de Kyoto en passant par le Sommet de Copenhague, le paquet climat de l’Europe, fixant des objectifs pour faire face à ce réchauffement climatique, en répondant aux besoins énergétiques, nécessite le développement de la notion d’une économie verte. Pour le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), l’économie ver te est une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources. Sous sa forme la plus simple, l’économie verte se caractérise par un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. Dans ce type d’économie, la croissance des revenus et de l’emploi doit provenir d’investissements publics et privés qui réduisent les émissions de carbone et la pollution, renforcent l’utilisation rationnelle des ressources et l’efficacité énergétique et empêchent la perte de biodiversité et de services environnementaux. La finance verte quant à elle, peut être définie comme l’ensemble des services offerts dans les marchés financiers pour investir dans des initiatives visant à réduire l’impact des activités humaines dans l’environnement ou à offrir des bénéfices pour l’environnement.

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Avec le développement de l’énergie qui est en augmentation constante, nous tendons vers la croissance verte qui tient compte de l’urgence climatique par une gestion optimale des ressources énergétiques (gaz, électricité) et en limitant leurs impacts sur l’environnement. C’est dans ce contexte qu’en 1991 est créé le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), principal mécanisme de financement de projets environnementaux, choisi également en 1992 comme le principal mécanisme de financement des principales conventions issues de Rio. Le FEM ser t aujourd’hui encore comme mécanisme de financement de la nouvelle convention de Minamata sur le mercure et cela depuis janvier 2013. Les ressources du FEM servent à financer, depuis sa création, une économie de plus en plus verte à travers le financement des projets environnementaux qui viennent en complément des financements déjà existants pour aider les pays en développement à atteindre les objectifs de préservation de l’environnement mondial recommandés par les conventions.

Le retour d’expérience sur les projets ivoiriens financés par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) Le cadre Institutionnel du FEM en Côte d’Ivoire a) La Commission nationale du FEM en Côte d’Ivoire Le FEM a recommandé la création d’une commission nationale, structure légère présidée par le point focal opérationnel qui laissait la latitude au pays de tenir compte de ses propres spécificités… La mise en place de cette commission était une condition préalable à l’approbation du projet d’organisation de l’atelier national de présélection des projets prioritaires de l’État. C’est ainsi que la Commission nationale du Fonds pour l’environnement mondial (CNFEM) de la Côte d’Ivoire a été créée par le gouvernement ivoirien par décret n° 2012-162 du 9 février 2012. Elle sert de cadre de concertation et de coordination des activités du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) en Côte d’Ivoire. Cette commission dispose pour son fonctionnement d’un comité technique et d’un secrétariat permanent. Les membres de la Commission nationale et du comité technique ont été installés officiellement le 25 février 2013. La Commission nationale du FEM est présidée par le ministre chargé de l’économie et des finances puisqu’il s’agit de la mobilisation des ressources pour le financement de projets dans les domaines de l’environnement. Quant au comité technique du FEM, il est présidé par le ministère en charge de l’environnement, bénéficiaire principal des financements du FEM. Il se réunit en session ordinaire une fois par trimestre soit au moins quatre fois par an.

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Le secrétariat permanent de la Commission nationale du Fonds pour l’environnement mondial (CNFEM) est le point focal opérationnel du FEM pour la Côte d’Ivoire. Il assure la gestion administrative. La CNFEM bénéficie du budget de l’État pour assurer son fonctionnement sous l’égide d’un contrôleur budgétaire et sous la gestion d’un agent comptable, tous détachés par arrêté de nomination. b) Le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et la Côte d’Ivoire La Côte d’Ivoire, pays membre donateur et bénéficiaire des ressources du FEM, a depuis son admission au FEM reçu de ce dernier des financements d’un montant total de 23 526 188 dollars, qui ont permis de mobiliser 75 110 610 dollars complémentaires, sous forme de cofinancements en faveur de 19 projets nationaux dont 6 projets sur la diversité biologique, 6 projets dans le domaine du changement climatique, 3 projets multisectoriels, 3 projets dans le domaine des polluants organiques persistants et 1 projet dans le domaine de la dégradation des sols. La Côte d’Ivoire a participé également à 34 projets régionaux et mondiaux, financés par le FEM à hauteur de 269 693 860 dollars, qui ont permis de mobiliser 512 259 195 dollars de cofinancement. Parmi ces projets, on dénombre 10 projets sur la diversité biologique, 8 sur les eaux internationales, 7 sur le changement climatique, 6 projets multisectoriels, 2 projets relatifs aux polluants organiques persistants et 1 projet dans le domaine de la dégradation des sols. Par ailleurs, dans le cadre du programme de micro financements, lancé en Côte d’Ivoire en 1993, des financements d’un montant de 5 277 956 dollars du FEM ont permis de mobiliser 2 946 430 dollars supplémentaires sous forme de cofinancement et 2 785 255 dollars de cofinancements en nature. Cette mobilisation des ressources du FEM a permis la mise en œuvre de 296 projets dont l’exécution a été confiée aux organisations de la société civile et organisation communautaire à la base. Pour la période du FEM-5, période couvrant de juillet 2010 à juin 2014, la Côte d’Ivoire a reçu une allocation indicative de 8 190 000 dollars des ressources du système transparent d’allocation des ressources (STAR) du FEM-5, pour l’élaboration et l’exécution de projets, dans les trois domaines retenus qui sont : la diversité biologique avec un montant de 3 250 000 dollars, les changements climatiques avec 2 millions de dollars et la dégradation des sols avec 2 940 000 dollars. Ces ressources ont permis de financer les projets environnementaux prioritaires du pays au cours de la cinquième phase du FEM. Des exemples d’activités et bonnes pratiques a) Le projet de développement du marché des entreprises de services éco-énergétiques (ESEs) en Côte d’Ivoire Ce projet, qui relève du domaine d’intervention des changements climatiques du FEM, a été mis en œuvre entre 1999 et 2004 par la Banque mondiale en sa

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qualité d’agence d’exécution du FEM et par l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la francophonie (IEPF) de l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF), avec le concours du gouvernement ivoirien. Sur le plan de l’environnement mondial, le projet avait pour objectif d’atténuer l’impact du secteur de l’énergie sur l’environnement local et mondial en favorisant : • une réduction des émissions de CO2 de 8 000 tonnes par an ; • des économies d’énergie de 40 000 MW par an. En effet, la Côte d’Ivoire, pays émergent, a vu ses besoins énergétiques augmenter rapidement. De plus, ces ressources hydroélectriques nationales, bien qu’accessibles dans le court terme du point de vue financier et technique, se sont vite révélées insuffisantes. C’est ainsi que des initiatives de grande ampleur axées sur les économies d’énergie ont été engagées dans tout le pays, et plus particulièrement dans les administrations publiques, les installations industrielles et le secteur des services. Depuis 1986, les programmes de maîtrise de l’énergie lancés par les pouvoirs publics ont permis de réduire la facture d’électricité globale de l’État d’environ 15 %, notamment grâce aux économies réalisées dans les bâtiments publics d’Abidjan à travers un projet régional, financé par le FEM dont la Côte d’Ivoire et le Sénégal étaient les bénéficiaires, dans le domaine de l’efficacité énergétique dans les bâtiments. Quant au projet des ESEs, il a contribué à l’élimination durable des obstacles au commerce des services énergétiques dans le secteur privé en favorisant l’émergence d’une offre de services crédibles, en sensibilisant les utilisateurs finaux de l’industrie et du secteur des services, et en encourageant le secteur financier privé à s’engager dans le cadre de contrats basés sur les résultats. À l’achèvement du projet, les économies d’énergie réalisées représentaient 15 957 MW par an, la réduction des émissions de CO2 avait atteint 8 000 tonnes par an, et deux entreprises de services écoénergétiques étaient opérationnelles. Dans l’ensemble, les résultats étaient en deçà des objectifs visés, mais les réalisations à l’actif du projet, bien que partielles, avaient déjà entraîné une très nette amélioration de la situation énergétique de la Côte d’Ivoire. Il est important de noter que le projet a permis de mettre en place un système de gestion des ressources sur la base d’un fonds rotatif dont les ressources empruntées étaient remboursées par les entreprises bénéficiaires. L’un des objectifs du projet était la vulgarisation de ce métier vert dans le pays avec la création d’emplois verts tout en préservant l’environnement. La Côte d’Ivoire qui bénéficie de cette expertise peut continuer sa vulgarisation à travers un bon modèle de pérennisation du projet dont les discussions sont en cours.

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b) Le projet d’appui à la relance de la conservation des parcs et réserves de Côte d’Ivoire (PARC-CI) Cet autre projet de grande envergure financé par le FEM, a été mis en œuvre dans le domaine de la diversité biologique avec, pour agence d’exécution du FEM, la Banque mondiale. Du point de vue de l’environnement mondial, le projet avait pour ambition d’améliorer la gestion durable de la faune et des habitats dans le parc national de la Comoé (PNC), le projet a pris fin en décembre 2014 et visait à : • renforcer les capacités de l’Office ivoirien des parcs et réserves à gérer les parcs nationaux ; • élaborer et mettre en œuvre un plan de gestion participative du PNC ; • améliorer l’éducation à l’environnement des communautés établies dans l’enceinte du parc afin de les amener à mieux comprendre les préoccupations liées à la diversité biologique et de leur permettre de participer à la mise en œuvre du plan de gestion. Le projet a été exécuté en deux endroits : Abidjan et dans le nord-est du pays, et plus particulièrement dans quatre des cinq secteurs situés à la périphérie du parc national de la Comoé. Il a été exécuté sur plus d’un million d’hectares (soit la superficie du parc), et près de 200 000 personnes résidant aux alentours du parc pourront en tirer directement ou indirectement avantage, pour la plupart par le biais de programmes radiophoniques de sensibilisation à l’environnement. Les populations établies à la lisière du parc ont bénéficié directement des avantages découlant du projet grâce aux programmes de création de moyens de subsistance et de formation qui ont été entrepris pour associer plus étroitement les populations à la gestion du parc. La participation des communautés locales et des pouvoirs publics à la planification et à la gestion des parcs nationaux est une condition essentielle du succès des projets sur les aires protégées. À cet égard, le programme PNUD/UNESCO sur l’homme et la biosphère mené dans les parcs nationaux de Tai et de la Comoé a déjà conduit à la mise en place d’un réseau local de zones protégées géré de manière interactive avec la population locale. Le gouvernement ivoirien a joué un rôle très important dans ce projet. Sortant d’un conflit, les financements du FEM en faveur du projet PARC-CI en Côte d’Ivoire, étaient limités. Les objectifs de préservation des ressources ne pouvaient être dissociés de ceux axés sur la réduction de la pauvreté et la promotion du développement local. Il importe de créer des sources de revenus de substitution et de mettre en œuvre d’autres activités de développement de dimension locale si l’on veut réduire les pressions pour que les communautés locales bénéficient des ressources naturelles et les inciter à s’associer à leur gestion durable.

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Le projet PARC-CI a donc mis à profit l’expérience tirée de projets du FEM achevés, comme le projet pilote de gestion communautaire des ressources naturelles et de la faune d’Afrique de l’Ouest (GEPRENAF) ou des opérations que mène actuellement la GIZ dans le parc national de Tai. Les enseignements qui se dégagent du GEPRENAF montrent que le projet a donné lieu à des interventions trop nombreuses (gestion des espèces sauvages, développement local, intensification de l’agriculture) pour avoir un réel impact dans chacun des domaines disponibles. Malgré la crise militaro-politique qui a prévalu dans le pays à un cer tain moment, on a pu observer une augmentation du nombre d’activités menées au titre du projet, ce projet vient d’être clôturé avec des acquis positifs dans le domaine de la gestion participative des aires protégées. Le projet a également un impact global positif sur la préservation et la valorisation de la diversité biologique nationale et surtout pour le maintien des processus écologiques dans les parcs et réserves naturelles. Le volet de la dimension participative constitue une contribution majeure pour l’amélioration du niveau et des conditions de vie des populations riveraines. La mise en œuvre du projet a permis de dérouler un processus de renforcement de capacités institutionnelles ainsi que des capacités de gestionnaires publiques et privés. Le projet a aussi permis le développement d’emploi dans les zones périphériques des parcs et des emplois touristiques. Tous ces faits montrent ainsi l’importance majeure du point de vue du portefeuille de projets sur la biodiversité que le FEM finance en Côte d’Ivoire. c) Le projet inversion des tendances à la dégradation des terres et eaux dans le bassin du Niger Il s’agit d’un projet régional développé dans le cadre de l’Autorité du Bassin du Niger (ABN) à l’endroit de neuf pays membres de l’ABN qui sont : le Benin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Tchad. Ce projet a été financé par le FEM pour un montant global de 13 millions de dollars, soit plus de 7 milliards de francs CFA pour une durée d’exécution de cinq ans. L’objectif du projet à long terme était d’obtenir des bénéfices environnementaux, de réduire et prévenir la dégradation des écosystèmes transfrontaliers liés à l’eau, de prévenir la dégradation des terres, de protéger la biodiversité au moyen d’une gestion intégrée durable et coopérative du bassin, tout en assurant une plus grande implication de la population dans les décisions du bassin. L’objectif de développement du projet consistait à fournir aux neuf pays cités la possibilité de définir un cadre transfrontalier pour le développement durable du bassin du Niger grâce au renforcement des capacités et à une meilleure compréhension des ressources foncières et hydrologiques du bassin.

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En marge du projet régional, un programme de microprojets a été développé dans les régions concernées par le bassin du fleuve Niger. Il s’agit des régions des Savanes, du Denguélé et de Tengréla en Côte d’Ivoire, qui correspondent aux départements de Boundiali,Tengréla, Odienné, Madinani et Minignan. Les objectifs des microprojets étaient de : • répondre aux priorités identifiées dans les questions transfrontalières de dégradation des terres et des eaux dans le bassin du fleuve Niger ; • apporter une assistance significative dans le renforcement des capacités institutionnelles et techniques, à l’échelle régionale, nationale et locale pour faire face aux problèmes de dégradation et de gestion des terres et des eaux ; • avoir un impact global sur l’environnement. Il convient de rappeler ici la parfaite collaboration du programme de micro financement du FEM de la Côte d’Ivoire, géré par le PNUD en qualité d’agence du FEM, qui a assuré la formation du coordonnateur des microprojets du projet régional de l’ABN. La Côte d’Ivoire a donc pu bénéficier de 16 microprojets au cours de la première phase de ce programme pour un coût total de 108 058 775 francs CFA. Ces projets ont été réalisés dans les cinq départements du nord de la Côte d’Ivoire. Outre l’exécution des microprojets, cet important projet d’inversion des tendances à la dégradation des terres et eaux dans le bassin du Niger a permis la mise en place d’un cadre institutionnel regroupant les organisations communautaires à la base dans chacun des pays du bassin. Un exemple de projet communautaire dans la zone du bassin en Côte d’Ivoire est le projet d’appui à la restauration et à la régénération des sols de culture dans le département de Boundiali. Ce projet a été lancé par une organisation non gouvernementale (ONG) pour restaurer et conserver les sols de culture dans trois villages affectés par la dégradation des sols de culture à cause de l’utilisation abusive des engrais chimiques dans les plantations cotonnières du département. Au terme du projet, les évaluateurs ont noté un engouement de la part des communautés villageoises car il a permis l’extension des plantations grâce au coût bas de l’engrais organique utilisé dans le projet. Le projet a également introduit des innovations techniques au sein de la communauté telles que la fabrication du compost, la rotation des cultures, la comptabilité simplifiée pour permettre une meilleure gestion financière des ressources des bénéficiaires. d) Le programme de micro financement du FEM en Côte d’Ivoire Dans le cadre de ses activités, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a mis en place un programme de micro financements des petits projets sous la

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supervision du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et sous la supervision technique et financière de l’UNOPS (United Nations Office for Project Services) pour les pays en développement, dont la Côte d’Ivoire qui bénéficie déjà de ces ressources depuis 1993. Ce programme est destiné aux organisations communautaires à la base et aux ONG ou encore à la société civile telle que défini par le FEM. Il a permis un financement croissant et régulier de microprojets, dans 128 pays par la mobilisation de plus de 460 millions de dollars et plus de 600 millions de cofinancement. L’offre étant inférieure à la demande, le FEM a demandé aux pays ayant bénéficié de ces ressources pendant huit années, de se retirer puisque devenus matures, afin que des nouveaux pays puissent aussi recevoir des financements de cet important programme. De 1993 à 2014, la Côte d’Ivoire a bénéficié du financement de 296 micros projets pour un montant de 5 277 956 dollars, soit 2 638 978 000 francs CFA. S’y rejoutent des cofinancements financier et en nature de 5 731 685 de dollars, soit 2 865 842 500 de francs CFA. Ce qui donne un total de 5 504 820 500 francs CFA. Le programme de micro financement du FEM pour la Côte d’Ivoire a connu des résultats positifs à travers le financement de plusieurs projets dans plusieurs domaines. Par exemple, la production de la biomasse à but énergétique a permis l’amélioration du processus de carbonisation par la plantation d’espèces à croissance rapide comme l’acacia mangium, qui est par la suite utilisé pour la fabrication de charbon de bois. Soit 80 mètres cubes de bois de chauffe obtenus par hectare pour la production de 40 à 50 tonnes de charbon par hectare. Avec les énergies renouvelables, le programme a pu financer dans le domaine des photovoltaïques l’électrification de plus de 4 000 habitations, 20 écoles primaires, 10 centres de santé villageois, 12 séchoirs communautaires dans le sudouest du pays, région productrice de cacao, pour le séchage des fèves de cacao d’une capacité de traitement de 200 kilogrammes de cacao tous les trois jours. Dans le domaine de la biodiversité, plus de 8 000 ruches pour l’apiculture ont été installées dans plusieurs reliques de forêts dans les régions sud, ouest, centre et nord du pays. L’apiculture a ainsi contribué à la protection des forêts et à l’amélioration des rendements agricoles par la pollinisation. Le programme de micro financement de la Côte d’Ivoire a également permis de sauver le cycle de production des tortues marines qui partent des côtes de l’Amérique latine, voyagent sur des milliers de kilomètres pour venir pondre sur les côtes ivoiriennes, où une habitude alimentaire permet la consommation de la chair de tortue et des œufs de tortue. En introduisant l’élevage des poulets, ces habitudes ont été changées par la sensibilisation des populations et le remplacement des œufs de tortues par celle des pondeuses.

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Le programme a aussi permis restauration des forets de mangrove, auparavant détruites par les populations villageoises pour le fumage des poissons. Ces forêts en voie de disparition ont été régénérées par la méthode de bouturage et de planting des membres de l’organisation communautaire et les populations villageoises. Les acacias mangium ont remplacé les bois de forêt de mangrove. Cette méthode a permis de reconstituer les forêts qui sont en réalité les habitats de la faune et de la flore aquatique, avec pour conséquence l’augmentation de la quantité de poissons qui était en voie de disparition, accroissant ainsi les revenus des pêcheurs. Cette mobilisation des ressources du FEM a donc permis la mise en œuvre de ces nombreux projets dont l’exécution, confiée aux organisations de la société civile et aux organisations communautaires, a permis la création de nombreux emplois verts, qui tout en améliorant les conditions de vie des populations protège l’environnement.

Conclusion Les changements climatiques constituent les défis majeurs des temps modernes. La planète est aujourd’hui confrontée à plusieurs problèmes urgents tels que l’acidification des océans, la pollution sous toutes ces formes, la disparition future de la banquise arctique, la dégradation continue des sols ou des catastrophes. À travers ces financements le FEM a permis la mise en œuvre de plusieurs projets d’envergure de préservation de l’environnement dans tous les pays en développement à travers le monde tout en améliorant les conditions de vie des populations. Le FEM ainsi que la communauté internationale soutient la promotion du développement durable et l’économie verte dans un contexte de la lutte contre la pauvreté. C’est ainsi qu’il a toujours trouvé des solutions pour le verdissement de l’économie. Les projets financés par le FEM montrent bien l’esprit d’innovation et de créativité de l’institution. Les projets du FEM favorisent également les transferts de technologie et viennent en appui pour jeter les bases d’un développement plus durable.

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BIBLIOGRAPHIE De Rio à Rio : vingt ans d’efforts pour une économie plus verte, FME. Le rôle du FEM : à l’heure ou s’imposent des changements porteurs, énoncé de la vision de Mme Dr Naoko ISHII, directrice générale et présidente du FEM. Quelques projets du programme de micro financement du FEM pour la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire et le FEM (FME). Projet régional : inversion des tendances à la dégradation des terres et des eaux internationales dans le bassin du fleuve Niger (FME). Projet de développement d’entreprises de services écoénergétiques (ESEs) en Côte d’Ivoire (FME). Projet d’appui à la relance de la conservation des parcs et réserves en Côte d’Ivoire (FME).

Développement et perspectives d’un marché carbone en Côte d’Ivoire : expérience tirée du mécanisme pour un développement propre Rachel Boti-Douayoua Coordonnateur du mécanisme pour un développement propre (MDP),, Agence nationale de l’environnement de Côte d’Ivoire

Introduction Le mécanisme pour un développement propre (MDP) a vu le jour au niveau de la Convention Cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) et précisément, sous le Protocole de Kyoto. Il s’affirme comme l’une des solutions pour réduire le réchauffement climatique occasionné par la présence en grande quantité dans l’atmosphère, de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique. À ce sujet, le 5e rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait non seulement la corrélation entre la production de gaz à effet de serre et l’augmentation de la température, mais donne également les tendances du changement de température à la surface du globe sur la période 2010-2100. En effet, quel que soit le scénario de concentration en gaz à effet de serre considéré sur la période 2010-2100, la tendance du changement de température est indéniablement à la hausse. C’est pourquoi des solutions doivent être trouvées pour inverser cette tendance et le MDP est, justement, un outil d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, la communauté internationale, par le biais de la Convention Cadre des Nations Unies sur le changement climatique s’accorde pour dire que les changements climatiques devraient trouver une solution locale, bien qu’ayant un impact global. Ainsi, de façon pratique, le secrétariat de la CCNUCC a invité chaque pays membre à désigner un point focal national MDP pour rendre effectif sur le terrain les actions de lutte contre le réchauffement climatique. La Côte

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d’Ivoire, à l’instar des autres pays à travers le monde, a mis en place une autorité nationale du MDP (AN-MDP) chargée de gérer ces questions ; elle sert d’interface entre les acteurs au plan local et la coordination au plan international. La solution MDP préconise une réduction des émissions de gaz à effet de serre uniquement par la mise en place de projets dans des secteurs identifiés à l’avance par le Protocole de Kyoto, comme sources potentielles d’émissions de GES. Ainsi, six grands secteurs ont été identifiés comme secteurs sources de pollution par les GES. Ce sont les secteurs de l’énergie, des déchets, du transport, de la foresterie, de l’agriculture et certains procédés industriels.

La Côte d’Ivoire s’est approprié le concept du mécanisme pour un développement propre (MDP) en 2002 peu après l’adoption du Protocole de Kyoto et le MDP a suscité plein d’espoir au niveau local non seulement en tant qu’outil devant permettre le changement de comportement de la population, des pouvoirs publics, du secteur privé, mais aussi, et sur tout, comme une source de revenus additionnels pour les porteurs de projets. La principale motivation à utiliser un tel outil réside dans la rémunération accordée à tous ceux qui contribuent à la lutte contre les changements climatiques, à travers le développement de leurs projets « propres » ou « moins polluants ». Cette rémunération se fait au prorata de la quantité de GES ou plus simplement de la quantité de carbone évitée ou réduite par le projet mis en place. De façon plus officielle, cette rémunération est appelée « crédits carbone ». Les financements des projets MDP devraient provenir des pays pollueurs (dits industrialisés) vers les pays en développement comme la Côte d’Ivoire, mais rien n’empêche un porteur de projet local de financer entièrement son projet sur fonds propre et réclamer ses crédits carbone par la suite. Malheureusement, le prix du crédit carbone, principal atout du MDP, a drastiquement chuté sur le marché international du fait de la crise européenne de ces dernières années, mettant le processus MDP dans une certaine léthargie. Aussi, pour éviter d’être dépendant des cours du prix du carbone à l’international, la mise en place d’un marché national du carbone doit être sérieusement envisagée. Cela permettra à double titre à la Côte d’Ivoire de mettre en œuvre et de

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façon durable sa vision de devenir un pays émergent à l’horizon 2020, mais aussi favorisera et encouragera les initiatives nationales de développement propre ou moins polluant.

La mise en œuvre du MDP en Côte d’Ivoire C’est en 2003 que la Côte d’Ivoire a commencé timidement son engagement en faveur du MDP avec la compréhension du concept et 2006 a connu une nette amélioration avec la soumission de trois projets MDP. En 2008, une dizaine de projets étaient inscrits dans le portefeuille de projets et l’enregistrement du premier projet MDP ivoirien s’est fait en 2009 par le secrétariat de la CCNUCC. Depuis 2010, une stagnation du nombre de projets à 20 est constatée et cela s’explique par plusieurs raisons : • la crise économique en Europe, premier acheteur de crédits carbone ; • la priorité accordée à certains secteurs au détriment des secteurs prioritaires à l’Afrique comme les secteurs de l’agriculture, de la foresterie et des transports ; • l’insuffisance de méthodologies de calculs dans certains secteurs clés ; • la faible capacité des acteurs ivoiriens ; • le manque de compétitivité des projets africains ; • le manque de cabinets locaux pour le développement des documents de projets MDP ; • les coûts de transaction ou coûts de développement de projets très élevés ; • l’incertitude sur le cadre réglementaire du MDP régi par le Protocole de Kyoto lui-même contesté. L’autorité nationale du mécanisme pour un développement propre, consciente de ces problèmes et blocages, a centré, depuis sa création, ses activités sur le renforcement des capacités des acteurs locaux. Pas moins d’une vingtaine d’ateliers ont été organisés sur des thématiques différentes et en direction de cibles diversifiées. Cela a contribué à l’établissement du portefeuille actuel de projets MDP qui en comprend 20 (tableau page suivante). Force est de reconnaître que malgré les efforts, les résultats sont mitigés. Sur les 20 projets, seuls 6 ont été enregistrés au plan international par le secrétariat de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques qui, en tant qu’organe de régulation, accrédite des cabinets internationaux appelés entités opérationnelles désignées chargées de valider les projets. Deux étapes sont donc nécessaires pour la validation et l’enregistrement d’un projet : une étape nationale gérée par l’AN-MDP qui approuve les projets selon les critères de développement durable du pays et une étape internationale

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gérée par le secrétariat de la convention qui enregistre ces projets. Ce n’est qu’après ces deux étapes que le projet MDP soumis peut passer à sa phase de mise en œuvre et prétendre à ses crédits carbone.

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le groupe africain des négociateurs sur les changements climatiques lutte pour maintenir le MDP dans le nouvel accord post-2020 sur les changements climatiques. L’argument majeur est qu’il serait préférable de considérer les acquis plutôt que d’introduire un nouveau mécanisme , qui conduirait à un recommencement et prendrait du temps pour le renforcement des capacités des acteurs. De plus, qu’adviendrait-il de tous les porteurs de projets déjà engagés dans le processus et qui attendent leurs crédits carbone ?

Franchir toutes ses étapes, avec son corollaire de cabinets à recruter pour l’assistance technique, peut prendre deux années si le promoteur est prompt, sinon cela peut aller au-delà. Cette situation a fortement contribué à ralentir le processus et a découragé bon nombre de promoteurs. De plus, la chute du prix du carbone a fini de convaincre les plus sceptiques de ne pas emprunter cette voie.

Défis et enjeux Malgré toutes les difficultés rencontrées, des perspectives intéressantes pourraient faire jour concernant le MDP. L’Union européenne s’accorde à dire que le MDP est le mécanisme qui a apporté des solutions concrètes, parce que basé sur des méthodes de calcul et de vérification fiables. Une chose est de pouvoir réduire d’une tonne la quantité de carbone, une autre est de confirmer que cette réduction est assurément effective, vérifiable et certifiée. En effet, le MDP à travers ces crédits Carbone (CERs), ou Certified Emission Reductions, certifie que les réductions ont été réelles. Cette certitude est nécessaire pour s’assurer que la planète entière va dans la bonne direction et que les efforts de lutte contre le réchauffement climatique sont quantifiables et effectifs. Par ailleurs, d’autres bénéfices autres que les CERs sont attribuables à la mise en place d’un projet MDP (Figure 3, page ci-contre). Le processus MDP, au départ fastidieux et compliqué, a été, au fil du temps, intégré par les pays africains et une expertise existe désormais en la matière pour accompagner les promoteurs de projets « dits propres ». C’est pourquoi,

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Selon les dernières statistiques de la CCNUCC en mars 2015 (Figure 4 page suivante), l’Afrique ne représente que 2,6 % des projets MDP enregistrés à travers le monde. Ce continent a été mis en marge des financements de projets, en général et en particulier pour ceux du climat. Les raisons sont de plusieurs ordres : elles peuvent être imputables au manque de confiance entre les bailleurs et les institutions de l’État qui sont, souvent à tort, accusées d’utiliser les ressources à d’autres fins. De plus, les partenaires au développement jugent la faible capacité des Africains à être compétitifs sur le marché et à pouvoir se conformer aux exigences des projets bancables. Les statistiques du MDP sont éloquentes, plus de 7 655 projets étaient enregistrés à travers le monde à la date du 31 juillet 2015 sur le site du secrétariat de CCNUCC, dont 2 590 ont permis de réduire 3 097 724 317 teqCO2. La Côte d’Ivoire, avec ses six projets enregistrés, espère réduire ses émissions de GES de 1 436 786 teqCO2, ce qui correspond à environ 718 393 000 francs

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CFA en considérant le prix de la tonne de carbone à 1 dollar US (hypothèse la plus pessimiste).

Conclusion et perceptives La Côte d’Ivoire s’est engagée à lutter contre les changements climatiques à une vision, celle de devenir un pays émergent d’ici à 2020. Cette volonté politique dite d’émergence ne peut se réaliser que s’il existe moins de dépendance financière vis-à-vis de l’extérieur en matière de lutte contre les changements climatiques. Une stratégie nationale pour un développement à faible intensité de carbone doit être mise en place avec des plans d’action et des ressources financières propres à l’État. En effet, l’élaboration d’une bonne stratégie nationale et sa mise en œuvre seraient la manifestation sans équivoque de l’implication et de la volonté réelle de l’État à lutter contre le réchauffement climatique. Dans ce cas, les financements extérieurs viendraient uniquement en complément. La mise en œuvre de cette stratégie de développement à faible intensité de carbone sur le plan national devra passer par un plan de fixation de prix au carbone. L’idée est de taxer la tonne de carbone émise par les entreprises, à un prix fixé par l’État de Côte d’Ivoire. Les entreprises polluantes seraient taxées aux fins d’alimenter un fonds national carbone, qui servirait à appuyer les entreprises engagées dans des technologies et procédés propres et moins polluants.

Conscients de tous les griefs cités contre le MDP, des solutions sont apportées depuis quelques années déjà, afin que tous les pays puissent y adhérer. Le secrétariat de la CCNUCC, par exemple, a à son niveau entamé des actions visant à faciliter les procédures de soumission des projets en allégeant les étapes (https://cdm.unfccc.int/EB/index.html). De même, il a introduit le concept des programmes d’activités, qui consiste à regrouper des projets de même type sous un programme. De ce fait, les procédures liées à l’approbation et à l’enregistrement des projets ne concernent désormais que le programme et non les projets individuels. Cela permet aux projets africains qui sont caractérisés très souvent par leurs petites tailles de ne pas subir les surcoûts des procédures d’approbation, de validation et d’enregistrement appelés « coûts de transaction ». Cela va permettre aux petits porteurs de projets locaux, souvent à faible capacité financière, de fédérer leurs efforts en s’associant pour monter un programme d’activités. Par ailleurs, un groupe de travail sur le MDP dénommé CDM Working Group a vu le jour en 2013 à la 19e Conférence des parties à Varsovie (Pologne) sous l’initiative de la Banque mondiale pour d’une part essayer de maintenir le MDP dans le prochain accord sur le climat, qui sera signé en décembre 2015 à Paris, et d’autre part participer aux négociations afin d’améliorer les modalités et procédures du MDP en vue de le rendre accessible à tous.

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Nul besoin de créer d’autres textes réglementaires à cet effet, mais plutôt de renforcer ceux déjà existants. Ainsi, le texte de loi sur le principe pollueur payeur par exemple pourrait voir établi un arrêté d’application relatif aux émissions de carbone. Ce fonds carbone, en plus des taxes collectées, pourrait également bénéficier d’une contribution annuelle du budget de l’État. Cela encouragerait les entreprises désireuses de produire « propre » à s’y engager et freinerait bien entendu celles qui polluent afin de ne pas être taxées. L’État pourrait être le premier acheteur de crédits carbone au travers du fonds mis en place. Cela créerait un marché carbone local, encouragerait l’initiative propre et serait un moyen pour l’État de comptabiliser ses réductions de gaz à effet de serre comme une partie des contributions nationales du pays en matière de lutte contre les changements climatiques. En effet, depuis la 19e Conférence des parties à Varsovie en 2013, tous les pays parties à la convention doivent faire le point de leurs contributions nationales volontaires à travers la préparation de leur INDCs, Intended Nationally Deter mined Contr ibution ou CPDN (Contributions prévues déterminées au plan national). Sur le plan social, la création d’un marché carbone local contribuerait à la création d’emplois verts pour les nouvelles entreprises car l’acquisition de technologies moins polluantes sera une oppor tunité pour former des jeunes en quête d’emplois à cet effet. De plus, la transition vers un développement à faible intensité de carbone va favoriser l’émergence d’une expertise locale en matière de calcul des réductions d’émissions avec l’émergence de cabinets locaux. L’implication des centres de recherches dans la conception et le développement de technologies locales pourrait être l’occasion de faire un appel à projets en direction de jeunes inventeurs.

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Il va s’entendre qu’avant d’arriver à ces actions, des dispositions devront être prises en amont pour verdir de façon systématique le Programme national de développement (PND). En effet, tous les projets du PND devront être ceux qui contribuent à la réduction des émissions de carbone. Il s’agira de privilégier en somme des alternatives moins polluantes. De même, l’État devra se préparer à investir dans cette nouvelle perspective car toute innovation mérite des investissements en amont. Cependant, cela n’implique pas forcément un accroissement de l’investissement par rapport à l’investissement actuel. En effet, faire une transition veut dire abandonner au fur et à mesure les pratiques courantes polluantes, cela implique de réduire les investissements d’exploitation au niveau des sources d’énergies fossiles polluantes. Par conséquent, l’économie faite à ce niveau pourrait servir à financer la transition vers un développement faible en carbone (Climate Policy Initiative, 2014). Enfin, il faudrait donner les moyens aux entreprises de faire leur mue en adoptant des technologies propres. À ce sujet, une politique de réduction des taxes à l’importation sur certains équipements devrait être envisagée. Toutes les subventions liées à la production de l’électricité à partir de combustibles fossiles devraient être stoppées pour laisser une chance aux producteurs d’énergie propre de compétir librement sur le marché local. Par contre, sur d’autres équipements moins respectueux de l’environnement, s’inspirer des dispositions déjà existantes pour procéder à leur taxation comme les taxes sur les véhicules à l’importation en fonction de l’âge du véhicule, du type de moteur, du type de carburant, etc. Il sera primordial de faire un état des lieux des technologies existantes, des alternatives moins polluantes dans chaque secteur d’activité en y incluant des technologies locales, en tant qu’outil d’aide pour l’État à la prise de dispositions fiscales dans ce sens. Une entité nationale désignée sur le transfert des technologies propres existe déjà, il s’agira de renforcer ses actions.

BIBLIOGRAPHIE Climate Policy Initiative, 2014, Moving to a Low-Carbon Economy : the financial impact of the Low-Carbon Transition IPCC, 2014, Climate Change 2014, Impacts, adaptation and vulnerability, summary for policy makers https://cdm.unfccc.int/Statistics/Public/CDMinsights/index.html https://cdm.unfccc.int/EB/index.html

Les possibilités de fi fin nancement des énergies renouvelables en Afrique1 Hela Cheikhrouhou directeur de département de l’énergie, de l’environnement et du changement climatique de la Banque africaine de développement (BAD)

Kurt Lonsway chef de division, du secteur de l’énergie de l’environnement et du changement climatique de la BAD

Florence Richard spécialiste avisé du changement climatique

Introduction La forte performance économique de l’Afrique au cours des deux dernières décennies ainsi que sa croissance économique en prévision entraînent une demande toujours croissante en énergie à travers le continent. Il est devenu impératif de prendre des mesures concrètes pour lutter contre l’insécurité énergétique et mettre l’Afrique sur la voie de l’énergie durable, en développant l’énorme potentiel d’énergie renouvelable de ses pays. L’Afrique a l’occasion de se lancer sur une voie d’énergie propre à faible émission de carbone, qui non seulement comble son déficit énergétique, mais attire aussi d’importants investissements privés dans le secteur de l’énergie en appui à la forte croissance, à la création d’emplois, et à la réduction de la pauvreté sur le continent. Les principaux défis auxquels fait face le secteur de l’énergie de l’Afrique sont des capacités de production inadéquats, l’électrification limitée, des services pas fiables, les coûts élevés, et un énorme déficit de financement. Ces défis appellent à un changement de paradigme dans le développement du secteur de l’énergie qui vise à utiliser les vastes ressources renouvelables du continent, y compris le potentiel hydraulique – à grande ou petite échelle –, l’énergie géothermique, éolienne et solaire. Certaines de ces sources d’énergie sont bien placées pour répondre aux besoins d’accès de la grande population rurale de

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l’Afrique, qui ne peut être couverte à moyen terme que par une combinaison de technologies de réseau, de mi-réseau, et d’hors réseau électrique. Elles peuvent également être développées à l’échelle nécessaire afin d’éviter de se fier aux systèmes énergétiques coûteux de petite envergure à base de combustibles fossiles. On estime que le financement adéquat du développement du secteur de l’énergie en Afrique subsaharienne nécessite la mobilisation de fonds de l’ordre de 41 milliards de dollars US par an, ce qui représente 6,4 % du produit intérieur brut (PIB). Un grand déficit de financement existe parce que la majeure par tie des dépenses en cours se focalise sur l’entretien et l’exploitation des infrastructures énergétiques déjà existantes, laissant peu de moyens pour réaliser des investissements à long terme essentiels pour combler le déficit d’accès à l’énergie. Compte tenu de l’important déficit de financement et des coûts relativement élevés des solutions d’énergies propres, un portefeuille de sources de financement devra être considéré et soutenu pour répondre à la demande actuelle et future. La combinaison des financements requis par le projet pourrait dépendre de la maturité de la technologie sous-jacente, avec des technologies plus inédites, par exemple l’énergie solaire concentrée nécessitant généralement plus de financements concessionnels par rapport aux technologies mieux établies comme l’hydroélectricité. Ce document ébauche les diverses sources qui peuvent être mobilisées pour financer des projets d’énergies renouvelables en Afrique. Il examine le rôle du secteur public national dans l’élaboration d’un cadre propice aux investissements dans les énergies renouvelables, les possibilités de financement des énergies renouvelables grâce à l’investissement privé, la contribution de l’APD de cofinancement de projets d’énergie propre et dans la mobilisation d’autres ressources et d’autres mécanismes de financement innovants destinés à lever des fonds supplémentaires.

Le rôle du secteur public national Les gouvernements africains devraient jouer un rôle majeur à la fois dans la fourniture et la mobilisation des ressources nécessaires au financement de projets d’énergies renouvelables sur le continent. Alors que les sources privées jouent un rôle de plus en plus impor tant dans le financement des projets d’énergie propre, le soutien provenant de sources publiques sera nécessaire pour veiller à ce que les rendements soient suffisants pour attirer les investisseurs du secteur privé. À plus long terme, la mobilisation des recettes intérieures, en particulier à travers de meilleures politiques fiscales et le renforcement de l’administration fiscale, est la base de financement la plus viable pour les dépenses de développement, y compris celles de l’énergie durable. Le rôle majeur du secteur public national réside dans la mise en place d’un cadre stratégique et réglementaire adéquat qui engendre les bons éléments de

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motivations pour des investissements d’énergies renouvelables à long terme. Outre les aspects de l’environnement d’ensemble favorable, tels que les niveaux élevés de stabilité politique, qui encouragent les investissements nationaux et étrangers en général, le secteur privé a maintes fois cité la mise en place d’objectifs nationaux clairs de production d’énergies renouvelables et l’introduction de tarifs subventionnés comme principaux moteurs d’implication du secteur privé. Les gouvernements nationaux peuvent faire la différence en élaborant un cadre propice à travers des règlements et des politiques appropriées qui permettront l’augmentation proportionnelle des investissements d’énergies renouvelables (ER).

Mobiliser le secteur privé Compte tenu de l’écart existant entre les investissements de capitaux nécessaires dans le secteur de l’énergie et la capacité de financement public, la participation du secteur privé est essentielle. Le secteur privé peut non seulement apporter le financement, mais aussi transférer des connaissances sur la plupart des technologies les plus récentes ainsi que des méthodes de travail plus efficaces. Alors que la majeure partie des infrastructures en Afrique, y compris l’énergie, a toujours été financée par le secteur public, il y a un intérêt croissant du secteur privé, en particulier dans la production d’énergie. La participation du secteur privé dans le secteur de l’énergie se présente sous diverses formes : les producteurs indépendants d’énergie (PIE) qui fournissent le réseau électrique, les producteurs commerciaux d’énergies qui ravitaillent les clients industriels, et même les investissements intégrés dans des industries à forte intensité énergétique tels que le ciment ou l’exploitation minière. Les producteurs indépendants d’énergies (PIE) pourraient être classés comme des partenariats public-privé (PPP), qui sont largement définis comme des contrats à long terme entre une partie privée et un organisme gouvernemental pour fournir un actif ou service public, dans lequel la partie privée supporte la lourde responsabilité de risque et de gestion. Les PIE correspondent à cette définition étant donné qu’ils concluent des accords d’achat d’énergie à long terme avec des entités publiques, comme les services publics ou les municipalités. Les deux autres types d’investissements sont purement des opérations du secteur privé, bien que les producteurs commerciaux d’énergie soient susceptibles de nécessiter l’accès au réseau électrique, qui est généralement une propriété publique. S’il est correctement utilisé, un PPP a le potentiel pour débloquer le financement provenant de sources privées. Pour que cela se produise, les interventions doivent maximiser l’utilité publique tout en minimisant les engagements budgétaires publics à long terme. Les gouvernements devraient investir des ressources pour renforcer les capacités transactionnelles au sein des organes officiels, afin qu’ils puissent négocier des accords contractuels qui reflètent une répartition et un partage appropriés des risques et des bénéfices entre les parties prenantes. Pour les énergies renouvelables, en particulier, la capacité technique est néces-

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saire pour facturer correctement et refléter la valeur économique et financière des ressources environnementales et naturelles. La documentation de projet bancable qui répartit convenablement les coûts et les risques aux parties concernées est essentielle pour renforcer la confiance de l’investisseur privé. Ceci peut être réalisé lorsque des concessions et accords pertinents sont négociés dans un cadre transparent régi par une autorité indépendante de régulation. L’Afrique du Sud, qui possède la plus grande capacité de production installée sur le continent, offre un exemple intéressant d’engagement du secteur privé dans l’investissement d’énergies renouvelables. Vu la grande pression pour faire face à la demande d’énergie au cours de la dernière décennie, le ministère de l’Énergie de l’Afrique du Sud a approuvé au début 2011 le Plan intégré des ressources, qui énonce les besoins énergétiques du pays jusqu’en 2030 et la contribution des énergies renouvelables à ces exigences. Le tableau ci-dessous présente les résultats du processus d’appel d’offres qui a catalysé la participation du secteur privé.

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Des institutions financières internationales et régionales, y compris la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque ouest africaine de développement, la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (pour l’Afrique du Nord seulement). Les banques multilatérales de développement ont l’expérience et la compétence pour catalyser des fonds publics et privés en faveur de l’énergie propre. En plus de leur mandat pour appuyer les processus de développement menés par les pays, les banques multilatérales de développement (BMD) ont le pouvoir de : • mobiliser des financements concessionnels et innovants supplémentaires ; • faciliter le développement et l’utilisation de mécanismes de financement fondés sur le marché ; • mobiliser des ressources du secteur privé ; • soutenir le déploiement de nouvelles technologies ; • et soutenir la recherche des politiques, les connaissances et le renforcement des capacités. Leur avantage comparatif est la possibilité d’utilisation d’un large éventail d’instruments pour soutenir simultanément le développement et le renforcement des capacités et des cadres institutionnels et réglementaires, ainsi que le financement pour les investissements. Ces institutions fournissent généralement une gamme de produits financiers taillés sur mesure pour l’énergie, notamment les énergies renouvelables, et en conséquence sont toutes impliquées dans le secteur des énergies renouvelables.

L’important intérêt d’acteurs nationaux et internationaux du secteur privé – englobant des entreprises énergétiques nationales et internationales, des investisseurs privés et des institutions dans les domaines financiers – pour le Programme des énergies renouvelables de l’Afrique du Sud montre l’impact d’un processus sélection bien défini entrepris dans le cadre des objectifs nationaux de l’énergie.

Mobiliser des financements publics multilatéraux et bilatéraux Le financement public multilatéral et bilatéral peut jouer un rôle important dans la lutte contre le déficit de financement pour les projets d’énergies renouvelables en Afrique et en agissant comme un catalyseur pour une implication plus forte du secteur privé. Du financement public multilatéral en Afrique, on peut distinguer trois types d’institutions multilatérales :

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Le système des Nations Unies et l’Union européenne offrent principalement des subventions pour cofinancer des projets d’énergies renouvelables. Cela permet de réduire les coûts d’investissement initiaux, contribuant ainsi à rendre bancable le projet et à réduire les tarifs pour l’utilisateur final. Ces subventions catalysent également les prêts. Les entités telles que la MIGA (Agence multilatérale de garantie des investissements) et l’African Trade Insurance Agency (l’Agence africaine d’assurance commerciale) fournissent une assurance contre les éléments de force majeure, tels que les grands incidents politiques ou commerciales. Bien que ces institutions ne fournissent pas de financement direct, ils catalysent l’investissement, car ils réduisent les risques d’investissement d’un projet ou d’une entreprise bénéficiant d’une telle couver ture. Ils fonctionnent comme une assurance, avec le souscripteur devant payer une prime pour accéder au service, si le projet et/ou la société sont admissibles. Aussi, comme moyen de stimulation d’investissements supplémentaires du secteur privé dans les pays à faible revenu, la BAD a introduit les garanties partielles de risque (GPR) à la liste des instruments financiers de la banque. Les GPR complètent les instruments existants à travers lesquels la BAD soutient le développement du secteur privé et les acteurs du financement privé pour le développement. En obtenant une GPR, les gouvernements peuvent rendre leur programme plus attrayant pour les investisseurs pri-

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vés et peuvent assurer les prêteurs privés contre les risques politiques imprévisibles liés à l’incapacité d’un gouvernement ou d’une entité gouvernementale d’honorer certains engagements spécifiques. Ces risques pourraient inclure les cas de force majeure politique, l’inconvertibilité de la monnaie, les risques de législation (changements défavorables dans la loi) et diverses formes de violation de contrat. La BAD estime qu’environ 80 % des GPR offertes au cours des cinq prochaines années iront au secteur de l’énergie. Il y a généralement deux types de partenaires bilatéraux. Le premier groupe est constitué des organismes standards de prêts bilatéraux, comme la KfW, l’Agence française de développement (AFD), United States Agency for International Development (USAID), the Depar tment for International Development (DFID), et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), etc. Ils sont régis par un seul pays actionnaire, ce qui permet une plus grande flexibilité en termes d’utilisation des instruments financiers. Les seconds sont les organismes de crédit à l’exportation (OCE), comme Hermès, COFACE, ECGD, et US EXIM, qui font la promotion des exportations en provenance du pays de prêt. Leurs mandats sont réglementés de manière à éviter le dumping entre les pays sur l’exportation du même genre de marchandises ou de matériaux. Quand un projet est accepté par un OCE, généralement une banque commerciale sera en mesure de prêter pour le projet et, en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêt deviendra un passif de l’OCE. Par exemple, il est fréquent de voir des OCE for tement impliqués dans le secteur de l’énergie éolienne, parce que peu de pays sont en mesure de fabriquer des turbines éoliennes. Cela crée des liens entre les pays (par exemple, l’Afrique du Sud et le Danemark). Les entités de prêts bilatéraux ont la capacité de prêter/accorder des subventions à un pays. Ils complètent bien le financement multilatéral dans le cofinancement des projets d’énergies renouvelables. Les OCE, pour leur part, offrent un excellent outil d’entrée dans de nouveaux territoires pour une entité en mesure d’utiliser leurs garanties. Cela profite à l’emprunteur final et au pays de prêt, à ce dernier par le biais de l’augmentation des exportations, mais aussi par l’attraction de services auxiliaires autour de ces exportations. Les banques multilatérales de développement et les agences bilatérales sont mobilisées à travers une combinaison d’études de projet en amont et d’identifications de projet en aval résultant d’un dialogue avec les développeurs/promoteurs de projets et/ou les autorités du pays. Ils peuvent financer la préparation de projets, (études de faisabilité, analyses coûts-bénéfices, etc.) et l’infrastructure elle-même. Dans la pratique, les projets (en particulier les grands projets renouvelables) sont généralement financés par une combinaison d’agences multilatérales et bilatérales. Certaines des entités multilatérales et bilatérales énumérées ci-dessus ont la capacité de contribuer directement au secteur privé par l’intermédiaire de filiales privilégiées, renforçant ainsi la coopération entre les deux types d’organismes de crédit. En outre, ces types d’institutions sont généralement sollicités pour le financement de programmes d’énergies renouvelables,

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non seulement en raison de leurs conditions de financement avantageuses, mais aussi parce que leur financement aide à faire affluer d’autres financements.

Le financement climatique et les autres sources novatrices de financement Une combinaison d’options de financement est nécessaire pour compenser le coût élevé de la production associé aux technologies d’énergie renouvelable, dont certaines sont encore nouvelles et non testées et pour s’assurer que des prix compétitifs sont fixés pour l’énergie. Un mélange de financements concessionnels et commerciaux peut jouer un rôle clé dans la subvention des coûts de production, qui seraient autrement trop élevés et rendraient les énergies renouvelables trop chères à acheter pour les preneurs. Les fonds d’investissement climatique Les fonds d’investissement climatique (FIC) visent à aider les pays en voie de développement à piloter un développement à faibles émissions et résilient au climat. Avec le soutien du FIC, 46 pays en développement opèrent des transformations dans les technologies propres, la gestion durable des forêts, l’accès accru à l’énergie grâce aux énergies renouvelables, et dans le développement résilient au climat. L’Afrique a été en mesure d’obtenir une grande part du financement du FIC, en particulier pour le Fonds pour les technologies propres (FTP) et l’élargissement du Programme d’augmentation des énergies renouvelables (PAER). Actuellement, 42 % du financement du FTP et 58 % du financement du PAER sont dépensés en Afrique. Les activités du FIC sont en cours dans 15 pays africains et une région (MENA [Middle East and North Africa, Moyen-Orient et Afrique du Nord]). Jusqu’à présent, le FTP a financé des projets au Maroc, en Égypte et en Afrique du Sud. Sur les sept pays pilotes bénéficiant du programme PAER, quatre sont en Afrique : l’Éthiopie, le Kenya, le Mali et la Tanzanie, et représentent un total de 190 millions de dollars US en financement du PAER consacrés aux énergies renouvelables (principalement sous forme de subventions et de très faibles prêts concessionnels). Le Liberia est le prochain pays pilote qui est en train d’intégrer le plan du PAER. En Éthiopie, au Kenya et au Mali, dont les plans d’investissement ont été approuvés, ces fonds devraient catalyser une grande quantité de financements supplémentaires auprès de banques multilatérales de développement (BMD), de promoteurs bilatéraux et privés, portant le total de l’investissement à un montant estimatif de 1,2 milliard de dollars. La valeur de ces programmes réside aussi dans la méthodologie qu’ils apportent pour élaborer des plans d’investissement aidant à mobiliser des financements supplémentaires auprès de diverses sources. Cet exemple peut être suivi par de nombreux pays en Afrique, avec l’appui des pays pilotes existants.

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Le Fonds pour l’environnement mondial Pour l’atténuation du changement climatique, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) fournit des subventions et des cofinancements concessionnels, qui sont supplémentaires à des projets de base dans les pays en développement et les économies en transition pour produire des avantages environnementaux mondiaux tout en contribuant à l’objectif global de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). L’atténuation des changements climatiques est l’un des six principaux domaines d’intervention pris en charge par la caisse du FEM. Dans le cadre du cycle de financement du FEM-5, couvrant la période 2010-2014, le domaine d’intervention de changement climatique est divisé en cinq objectifs stratégiques. Promouvoir l’investissement dans les technologies d’énergies renouvelables est l’un de ces objectifs et éléments clés de la stratégie du FEM sur le changement climatique. Sous cet objectif, le FEM va au-delà de la création d’un environnement politique et réglementaire par la promotion d’investissements dans les technologies d’énergies renouvelables. Il cherche des projets axés sur le déploiement et la diffusion de technologies d’énergies renouvelables fiables, moins coûteuses qui prennent en compte les dotations en ressources naturelles du pays. En ver tu de la répar tition par pays du FEM, connue sous le nom STAR (Système transparent d’allocation des ressources), l’allocation des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour atténuer le changement climatique est de 210 millions de dollars. En plus des allocations du STAR des pays, le FEM dispose de fonds de réserve, tels que des instruments de non-subventions pour le secteur privé. Dans ces fonds, un programme de 20 millions de dollars a été soumis par la BAD au conseil du FEM en juin 2012 et fut approuvé pour fournir un cofinancement de non-subvention à des projets d’énergies renouvelables du secteur privé. Les fonds consacrés aux énergies renouvelables en Afrique Divers instruments ont été développés pour soutenir l’augmentation des énergies renouvelables dirigée par le secteur privé dans les pays en développement par le financement de la manifestation de nouveaux concepts, la préparation de projets bancables, et en fournissant le capital-risque ou des fonds propres. Le Partenariat pour l’énergie et l’environnement (PEE) est un programme qui fait la promotion des énergies renouvelables (ER), de l’efficacité énergétique (EE), et des investissements dans les technologies propres, avec sa mise en œuvre en Afrique australe et orientale en cours depuis mars 2010, financée conjointement par les gouvernements de la Finlande, de l’Autriche et du Royaume-Uni. Le programme du PEE soutient des projets qui visent à fournir des services énergétiques durables aux pauvres tout en luttant contre le changement climatique. Pour bénéficier d’un soutien du PEE, les projets doivent aussi

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démontrer des niveaux élevés d’innovation dans la prestation de services énergétiques, faciliter le transfert de technologies, et encourager la coopération et la participation des acteurs locaux dans les projets. Le PEE fournit un financement de démarrage pour couvrir une partie des coûts du projet nécessaires pour lancer et développer une entreprise (comme les activités pilotes et de démonstration) ou qui peut assurer la valeur d’un investissement (comme des études de préfaisabilité et de faisabilité bancables). Le financement à ce stade aide les entreprises à se maintenir pour une période de développement jusqu’à ce qu’ils atteignent un état où ils sont capables de se procurer des investissements pour continuer à s’autofinancer. Hébergé par la BAD et mis en place en 2011 en partenariat avec le gouvernement du Danemark, le Fonds d’énergie durable pour l’Afrique (FEDA) est un ensemble défini d’instruments financiers qui visent à améliorer la viabilité commerciale, ainsi que l’aspect bancable, de plus petits projets dirigés par le secteur privé sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Cela devrait accroître la fourniture d’énergie productive, augmentant ainsi les emplois directs sur le site du projet et les emplois indirects/suscités par un accès accru des entreprises et des ménages à une énergie fiable, propre et abordable. Le FEDA offre des subventions pour la préparation de projets à moyenne échelle (dans la gamme de 30 000 à 75 000 000 dollars US) couvrant un large éventail d’activités jusqu’à la clôture financière. Ce soutien devrait permettre au projet de tirer parti du financement de la dette des acteurs tels que la BAD, d’autres institutions de financement du développement, et les banques commerciales locales. SEFA a aussi un éventail de fonds de démarrage/croissance du capital pour les petites entreprises émergentes (moins de 30 millions de dollars) dans la chaîne de valeur de l’énergie, pouvant être canalisée à travers au moins un circuit de capitaux privés. Contrairement à d’autres régions en développement, à savoir l’Amérique latine et l’Asie, le paysage africain des capitaux privés dans le secteur de l’exploitation de l’énergie renouvelable est encore à ses débuts, avec seulement quelques fonds provenant de capitaux privés actuellement opérationnels sur le continent. Il y a parmi ceux-ci Evolution One, investissant actuellement dans un portefeuille d’entreprises de technologies propres dans la région de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe). Il y en a un peu plus au niveau de la mobilisation de fonds, à savoir le DI Frontier Fund et Investia, les deux ayant une forte préférence pour des projets et des entreprises d’Afrique de l’Est. Les capitaux privés fournissent un moyen de renforcer le bilan du promoteur du projet, tout en améliorant la capacité de gestion et l’introduction de savoir-faire. En plus de l’apport des capitaux privés, il y a aussi des « fonds de fonds », qui regroupent et investissent dans plusieurs de ces plus récents fonds issus de capitaux privés. Le Fonds mondial pour l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables (FMEEER) en est un exemple, apportant le capital-risque par l’investissement privé dans l’efficacité énergétique et dans des projets d’énergies renouvelables dans les pays en développement et les économies en transition. Le FMEEER est à la fois un outil de développement durable et un outil qui appuie les efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique.

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La finance carbone Le déploiement des technologies d’énergies renouvelables peut offrir aux pays africains des opportunités de bénéficier de la finance carbone à travers les marchés internationaux du carbone. En tant que mécanisme (juridiquement applicable) basé sur le marché, il peut aider à générer des gains d’efficacité, améliorer le taux de rendement interne grâce à de nouveaux flux de revenus du carbone au cours de la période de créance et donc faire baisser le coût de l’énergie renouvelable. Les projets d’énergies renouvelables sont aptes à la génération de crédits carbone autant volontairement que par les marchés de conformité de carbone soutenus par le mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto. Cependant jusqu’à présent, l’Afrique a peu bénéficié de la finance carbone. Puisque depuis juin 2012, plus de 10 000 projets, dont 4 170 enregistrés, sont dans le viseur du mécanisme de développement propre (MDP). Seulement 2,9 % de tous les projets MDP proviennent du continent africain. Une des principales raisons est la complexité du processus du MDP et la pénurie de capacités techniques dans les pays africains. Afin de remédier à cette pénurie de compétences, de nombreux programmes d’assistance technique ont été mis en place, y compris le Programme africain d’appui du carbone initié par la BAD pour fournir un appui aux pays africains dans la préparation de projets, qui peuvent être enregistrés au titre du MDP ou dans le marché volontaire du carbone. D’autres contraintes qui empêchent l’Afrique de puiser davantage dans le MDP concernent les coûts de transaction élevés pour l’enregistrement d’un projet – un obstacle pour les projets d’énergies renouvelables qui ont déjà des coûts de transaction initiaux élevés – et de la volatilité des prix des crédits de carbone, qui ne garantit pas des revenus sécurisés pour les promoteurs de projets. Un accord a été conclu lors de la conférence de la CCNUCC à Durban (2011) sur une deuxième période d’engagement au titre du protocole de Kyoto. Dans le même temps, l’Union européenne a décidé que seuls les crédits de carbone du MDP des pays les moins avancés seront autorisés à être importés. Ces évolutions ainsi que les nouvellement mis en place programmes d’activités et lignes de base normalisés sont positives pour le développement de projets du MDP en Afrique. Cela devrait donner une impulsion à la génération de crédits carbone africains du MDP.

à la réalisation de l’objectif ultime de la CCNUCC, faisant ainsi la promotion d’un changement de paradigme vers de faibles émissions et des voies résilientes au climat en fournissant un appui aux pays en développement pour limiter ou réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Les actifs du FVC seront administrés par un gestionnaire, conformément aux décisions du conseil d’administration du FVC actuellement en place. Lors de la COP 17 à Durban, la COP a adopté un instrument régissant le FVC et un secrétariat provisoire a été créé. À Lima en 2014, lors de la COP 20, la dotation du fonds a atteint 10 milliards de dollars. En septembre 2015, ce fonds aura mobilisé près de 74 milliards de dollars. Dans ce contexte, les pays africains doivent se positionner pour profiter rapidement de ces flux financiers. Certains, tels que l’Éthiopie et le Mali, ont déjà pris des mesures importantes telles que la création de fonds de réserve et de financement dédiés au climat national. Les banques multilatérales de développement, dont la BAD, s’organisent pour fournir le soutien nécessaire aux pays africains pour accéder à ces fonds.

Conclusion Le financement du déploiement des énergies renouvelables en Afrique est coûteux, et une seule source ne peut combler totalement l’écart de financement. Une variété de sources, publiques et privées, bilatérales et multilatérales, y compris certaines formes innovantes, sera nécessaire pour générer suffisamment de fonds et maximiser les points forts de chacun, tout en compensant les faiblesses. Les besoins de financement ne devraient pas empêcher les pays africains de s’adonner à la promotion des énergies renouvelables. Considérant les défis auxquels l’Afrique est confrontée en termes de déficit d’infrastructures, de sécurité alimentaire, de gestion des ressources naturelles, des catastrophes naturelles et de changements climatiques, il est utile de mettre le continent sur une voie de croissance verte. Une telle voie peut créer de nouveaux emplois, assurer la sécurité énergétique, permettre un meilleur usage des ressources naturelles et assurer une croissance résiliente au climat du continent. Promouvoir les énergies renouvelables aidera cer tainement à atteindre cet objectif plus large de développement.

Vers le Fonds vert pour le climat (FVC) Dans les années à venir, le déploiement de l’énergie renouvelable en Afrique devrait bénéficier de la nouvelle génération de la finance internationale pour le climat. Au cours de la COP 16 à Cancun, une nouvelle entité d’exploitation, le Fonds vert pour le climat (FVC), a été créé pour servir de mécanisme financier à la CCNUCC. Ce fonds a pour objectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. Le FVC est prévu pour soutenir des projets, programmes, politiques et autres activités dans les pays en développement tout en travaillant

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BIBLIOGRAPHIE AFDB, 2010, Financing of Sustainable Energy Solutions, African Development Bank, Committee of Ten Policy Brief, n° 3, 2010. UNEP, 2012, Financing Renewable Energy in Developing Countries http://www.unepfi.org/fileadmin/documents/Financing_Renewable_Energy_in_subSahar an_Africa.pdf World Bank, 2012, Public Private Partnerships Reference Guide, World Bank Institute and PPIAF, Version 1.0. 2012. AFDB, 2010. UNFCCC, 2011, Report of the Conference of the Parties on its Seventeenth Session, United National Framework Convention on Climate Change (UNFCCC), Durban, South Africa, p. 58.

NOTE 1. Ce document a été rédigé par le département de l’énergie, de l’environnement et du changement climatique de la Banque africaine de développement. Il a été préparé sous la direction de Hela Cheikhrouhou, directeur, et Kurt Lonsway, chef de division, par Florence Richard, spécialiste avisée du changement climatique avec les contributions de Monojeet Pal, principal chargé des investissements ; Leandro Azevedo, expert du secteur privé ; Joao Cunha, socio-économiste avisé ; Bertrand Belben, spécialiste avisé de l’énergie ; Daniel Schroth, principal spécialiste de l’énergie ; Ignacio Tourino, spécialiste avisé de l’environnement ; Faouzi Senhaji, expert de la finance carbone ; Mafalda Duarte, spécialiste en chef du changement climatique, et Youssef Arfaoui, spécialiste en chef des énergies renouvelables.

L'engagement de l'Afrique pour le climat : les contributions prévues et déterminées au niveau national (INDC)


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La position africaine en faveur de l’adaptation au changement climatique et l’analyse comparée des INDC Luc-Joël Grégoire Directeur pays du PNUD en Côte d’Ivoire Marc Daubrey Coordonnateur national du projet INDC de la Côte d’Ivoire

Introduction Jusqu’à cette dernière décennie, le réchauffement planétaire et tout spécialement ses causes, anthropiques ou naturelles, n’emportait pas un total consensus dans la communauté scientifique internationale. Il a fait longtemps débat et couler beaucoup d’encre. En effet, jusque dans les années 1980, les modèles étaient peu performants, accordant notamment des degrés d’importance très disparates aux différentes composantes du système climatique tel que l’atmosphère, l’océan ou la végétation. Cependant, grâce à de grands programmes de recherche internationaux comme le programme international biosphère-géosphère ou le programme mondial de recherche sur le climat, qui ont permis de mieux structurer les recherches, des progrès très importants ont pu être réalisés notamment dans les observations et mesures réalisées comme dans l’étude des ères climatiques passées. L’acquisition de nombreuses données ainsi que le développement spectaculaire des moyens informatiques ont permis d’améliorer considérablement la performance des modèles climatiques. Depuis, la création, en 1988, du groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC), par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), la mesure des impacts du réchauffement climatique s’est focalisée sur de nombreux domaines : climat, écosystèmes, énergie, alimentation et santé.

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L’engagement pour le climat

Les pays signataires de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques se sont fixés pour objectif de contenir la hausse des températures à moins de 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Pour atteindre cet objectif, les émissions mondiales doivent être réduites de moitié d’ici à 2050, par rapport à celles de 1990. La réduction des risques liés au changement climatique passe par deux champs d’action complémentaires : d’une part, les efforts de réduction des émissions1 de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique et d’autre part, l’adaptation au changement climatique.

Dans ce contexte, les INDCs5 devraient représenter une opportunité pour les pays de partager leur expérience, de s’engager dans un dialogue pour identifier les domaines de coopération permettant d’accélérer leurs efforts et pour créer la confiance en fournissant des informations transparentes sur la mise en œuvre de leur effort volontariste et déterminé.

Ces deux domaines sont l’objet de politiques internationales, régionales et nationales permettant de réduire les émissions et de se préparer au mieux aux évolutions climatiques de l’avenir. En cette période de préparation de la COP 21, le processus des INDCs (Intended Nationally Determined Contributions)2 représente un changement fondamental par rapport aux approches passées de coopération internationale sur le climat. Notamment, sous le Protocole de Kyoto3, les engagements proposés par les parties donnaient lieu à une négociation, à un ajustement des engagements et à un processus « du haut vers le bas » établissant des règles précises et universelles pour ces engagements. À Copenhague, la situation fut tout à fait différente. Les engagements nationaux ont été pris dans un moment de pression politique intense, alors que la forme du régime en cours de négociation n’était pas claire, notamment sur des aspects essentiels tels que les objectifs, la différenciation et le cadre global de coopération.

La déforestation tropicale, notamment en Afrique, est responsable de 15 à 20 % de l’ensemble des émissions humaines de gaz à effet de serre. En décembre 2007, lors de la Conférence internationale de Bali, les Nations Unies ont reconnu qu’une solution viable au changement climatique devrait intégrer un mécanisme visant à limiter la déforestation et la dégradation des forêts6. À ce jour, les marchés du carbone constituent l’outil économique le plus communément utilisé pour réduire les émissions : les plafonds imposés aux émetteurs et la possibilité d’échange offerte entre émetteurs et détenteurs de crédits carbone contribuent à établir un signal de prix sur le carbone et à encourager le contrôle des émissions.

Il n’y avait pas non plus de règles communes pour la transparence des engagements, ni de cadre de recevabilité pour ces derniers. Aujourd’hui, la situation a changé. Avec le processus des INDCs, il s’agit de répondre à un objectif collectif – limiter le réchauffement en dessous des 2 °C – à travers des contributions nationales « par le bas ». Ces contributions sont proposées dans le cadre de règles de base communes et de mécanismes de recevabilité développés depuis Copenhague. Les parties ont également désormais une vision plus engagée et mieux intégrée dans le processus national de planification. Cette nouvelle perspective donne une vision renouvelée de ce qu’est un accord mondial sur le climat, avec la reconnaissance claire qu’une appropriation nationale de l’agenda climatique, combinée à un cadre de coopération dynamique et universel est fondamentale. Ceci devant permettre de relever le défi de la transition d’une manière plus souple, efficace et équitable, vers l’objectif commun des 2 °C. Ainsi, les INDCs ne doivent pas être considérées comme le dernier mot des pays. Elles constituent plutôt la première étape pour opérationnaliser un processus dynamique dans lequel les contributions constituent la base sur laquelle les parties doivent construire pour accroître le niveau d’ambition, et l’ajuster en collaboration avec la communauté internationale. Des cycles réguliers et des mécanismes de revue seront donc des éléments complémentaires clés pour évaluer clairement l’état global des mesures d’atténuation4 et d’adaptation, encourager les pays à élever l’ambition de leurs engagements et poursuivre ceux-ci dans le temps.

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Les défis et enjeux du processus INDC en Afrique

Conformément à la position des pays en développement, l’accord de Copenhague ainsi que l’accord de Cancun continuent à confirmer le principe des « responsabilités communes mais différenciées7 » comme principe de base d’un cadre climatique international après le protocole de Kyoto. Sur la base de ce principe, les négociations climatiques se centrent sur le partage équitable du fardeau de lutte contre les changements climatiques, notamment sur la participation des pays émergents dans les engagements globaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Actuellement, les pays en développement ne veulent pas mettre en péril leur croissance économique en acceptant des contraintes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon les estimations économiques, les politiques climatiques sont susceptibles d’induire des plus grandes pertes économiques dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. En outre, en raison du manque de ressources nécessaires, l’acceptation des engagements de réduction demande aux pays en développement de détourner des ressources consacrées à l’action de développement à la réduction des émissions, ce qui pourrait affaiblir leur capacité d’adaptation qui reste faible. Aussi, pour intégrer les pays en développement dans les objectifs de réduction des émissions, des mesures contraignantes ne seraient pas équitables sur le plan économique. De même, l’imposition d’une manière unilatérale de ces mesures aux pays en développement serait irréaliste et contraire au principe de souveraineté nationale du droit international. Dans ce contexte et sur la base des quatre approches principales convenues (l’atmosphère d’abord, l’équité d’abord, le développement d’abord et la technolo-

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gie d’abord), plusieurs propositions différentes visant à intégrer les pays en développement ont été présentées, y compris les propositions principales suivantes : • des allocations de quotas d’émission par habitant8 ; • des objectifs liés à l’intensité des émissions par rapport à la performance économique (GES/PIB)9 ; • le principe des « convergences communes mais différenciées » ; • les politiques et mesures de développement durable10 ; • des engagements volontaires de réduction des émissions aux pays en développement11 ; • l’approche « multistage » (ou multi-étapes)12 ; • l’approche sectorielle13. À l’heure du changement climatique et de la raréfaction des ressources énergétiques fossiles, les pouvoirs publics comme les investisseurs ont intérêt à déterminer quelles sources d’énergie seront les plus efficaces et les plus faibles émettrices pour soutenir la croissance à l’avenir. Alors que le continent dispose d’atouts non négligeables en matière d’énergies renouvelables, il n’exploite à l’heure actuelle qu’une très petite partie de ses ressources pour produire de l’électricité. L’Afrique n’utilise guère les mécanismes de financement carbone pour investir dans le secteur des énergies renouvelables. Si le MDP se révèle efficace pour catalyser l’investissement dans les économies émergentes (en Afrique du Sud, par exemple), l’Afrique dans son ensemble représente moins de 2 % des projets MDP enregistrés et à peu près 3 % des URCE en moyenne annuelle. Néanmoins, des progrès sont en cours. Plusieurs pays d’Afrique14 se lancent dans les projets de ce type. De nombreuses raisons expliquent pourquoi l’Afrique recourt encore relativement peu aux mécanismes de financement carbone. Les obstacles sont de deux ordres : • les obstacles liés aux capacités : capital humain insuffisant et manque de coordination régionale ; • les entraves ou contraintes financières : coûts de démarrage élevés, financements locaux insuffisants et perception aiguë des risques.

Les orientations de politiques en faveur de la contribution africaine Alors qu’il y a un besoin urgent d’accroître l’accès à l’énergie pour soutenir le développement économique et social en Afrique, il est tout aussi vital d’exploiter les sources renouvelables et de rendre les pratiques de production plus propres afin de conduire le secteur énergétique du continent sur une voie durable et de promouvoir un développement pauvre en carbone. Compte tenu de cette double exigence, et conformément aux objectifs de développement à

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long terme 2020-2040, les pays visent une croissance inclusive, durable et de plus en plus verte en Afrique, qui englobe les aspects suivants : • un secteur énergétique durable et plus propre qui garantit l’accès universel à des services énergétiques modernes, fiables et à coût abordable d’ici à 2030 ; • l’appui des efforts des pays et des communautés économiques régionales (CER) dans leurs efforts visant à atteindre et à maintenir l’accès à des services énergétiques de grande qualité pour tous. Pour atteindre les objectifs susmentionnés, la vision africaine et les engagements des pays promeuvent les principes suivants : • garantir la sécurité énergétique et élargir l’accès à tous : reconnaissance de la nécessité impérieuse de fournir de manière rentable l’énergie à l’activité économique du continent afin de renforcer sa compétitivité, qui enclenchera, à son tour, une croissance économique plus rapide et un développement social équitable. Les populations africaines doivent tirer pleinement parti des bénéfices des ressources naturelles dont regorge le continent ; • progresser vers des énergies plus propres : en raison de la nécessité urgente d’accroître l’accès à l’énergie pour tous, en Afrique, les politiques doivent privilégier la promotion des énergies dites propres, pauvres en émission de gaz à effets de serre. À cet égard, les pays africains et la Banque de développement africaine doivent aider à l’augmentation progressive de l’utilisation durable des sources d’énergie renouvelable là où le potentiel existe, soutenir l’efficacité énergétique et adopter des technologies plus propres ; • en fonction de la disponibilité des technologies de captage et de stockage du carbone (CCS), pleinement éprouvées et économiquement viables, les politiques des pays doivent encourager la mise en place de dispositifs de CCS, en particulier pour les centrales à charbon. Le développement d’une énergie plus propre peut entraîner des coûts supplémentaires tant pour les consommateurs que pour les producteurs. Une combinaison de financements concessionnels et commerciaux peut jouer un rôle essentiel dans l’appui requis pour la transition vers une économie plus propre et plus verte. Des politiques appropriées et des subventions ciblées peuvent aider à encourager les investissements dans ce domaine. Elles peuvent aussi concourir à mobiliser des ressources concessionnelles et apporter un appui à la production du savoir, qui guidera la formulation des politiques visant à stimuler la rentabilité des projets sobres en carbone, y compris des politiques de subventions, des mesures d’incitation fiscale ainsi que des politiques de tarification du carbone, le cas échéant. Pour une plus grande efficacité des mesures mises en œuvre, la gouvernance doit être renforcée au niveau national : si les réformes antérieures et actuelles ont donné des résultats encourageants, elles n’ont pas cependant débouché sur

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une amélioration sensible de l’accès à l’énergie. Les réformes des cadres réglementaires et de gouvernance doivent être accélérées, dans l’optique d’accroître l’efficacité et d’attirer l’investissement privé. Il est primordial de créer et de maintenir un environnement propice en encourageant l’application de politiques budgétaires et juridiques saines, l’amélioration de la performance du secteur public et l’obligation de rendre compte. Au niveau sectoriel, la formulation et la mise en œuvre de nouvelles orientations apparaissant comme essentielles à la contribution de l’Afrique et à sa préparation pour l’adaptation aux changements climatiques : • des politiques de gestion qui clarifient les rôles des principaux acteurs du secteur (décideurs, industries énergétiques, ministères, consommateurs, organismes supranationaux et autres parties prenantes), lesquelles politiques doivent cadrer avec les capacités nationales ; • des cadres réglementaires qui permettent aux prestataires de services d’obtenir un taux de rentabilité raisonnable, tout en offrant au consommateur un service de qualité au juste prix ; • des principes et des normes de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) ; • des politiques d’innovation en vue d’accroître les flux financiers dans le secteur de l’énergie car le secteur privé aura un rôle important à jouer dans l’accès aux services énergétiques modernes, en tant que principal acteur du développement de l’Afrique et moteur de la croissance économique ; • des principes d’efficacité de l’aide et de promotion des partenariats : dans le but d’accroître l’utilisation efficiente des ressources affectées au développement et à la réduction de l’impact économique de l’Afrique sur le changement climatique. Pour créer des synergies mutuellement bénéfiques, aligner les priorités stratégiques régionales et nationales et utiliser les systèmes nationaux chaque fois que cela est possible en renforçant la responsabilité mutuelle et l’accroissement de la valeur des interventions dans les secteurs identifiés. Afin d’assurer une mise en œuvre optimale des politiques définies, les gouvernements devront élaborer des stratégies à moyen terme ou les consolider. En vue d’élargir l’accès à des services énergétiques modernes et de favoriser l’investissement dans l’énergie propre, trois domaines clés d’actions sont mis en exergue dans la vision africaine : • favoriser l’intégration régionale ; • mobiliser les ressources ; • faciliter les partenariats public-privé. En vue de réaliser la préparation de stratégies solides et pérennes, il apparaît nécessaire de veiller à tirer profit des cadres pertinents existants, tels que le cadre d’investissement dans l’énergie propre en Afrique (CEIF) et la straté-

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gie de gestion du risque climatique et d’adaptation aux changements climatiques (CRMA). Il faut attirer l’attention sur le fait que le niveau d’accès à l’énergie varie considérablement d’une région à une autre et également d’un pays à un autre au sein d’une même région. À travers ses stratégies, il est nécessaire de s’atteler à adapter les solutions d’approvisionnement aux besoins spécifiques des pays et des segments de la population. Pour cela, il est nécessaire de s’engager dans un dialogue constructif avec les utilisateurs finaux dans le but de promouvoir une politique globale, pour une énergie pauvre en émissions de GES. Les directives15 afférentes aux sous-secteurs de l’énergie et les méthodes de mise en œuvre devront être préparées pour guider les opérations dans le secteur de l’énergie. Pour être couronnée de succès, la mise en œuvre de ces politiques nécessite de solides partenariats. En tant que bénéficiaires et acteurs clés, les pouvoirs publics et le secteur privé participent à l’identification, la formulation, le financement et l’exécution des projets et programmes énergétiques.

Les avancées du processus INDC et les bonnes pratiques en Afrique Avec l’effor t d’intégrer les pays émergents dans les objectifs globaux de réduction des émissions, l’accord de Copenhague permet des engagements à géométrie variable selon les pays. En théorie, cet accord permet d’intégrer les pays émergents et couvre une part des émissions mondiales (un peu plus de 75 %) beaucoup plus large que le protocole de Kyoto. Concrètement, a été retenue l’approche volontaire et ascendante qui permet à chaque pays développé d’établir ses propres engagements de réduction d’émissions et sa propre année de référence. Les pays en développement, pour leur part, doivent inscrire leurs actions d’atténuation nationalement appropriées (NAMAS). De nombreux pays africains ont pris en compte de manière remarquable la nécessité de contribuer et d’investir dans les technologies et les pratiques pauvres en carbone. Dans la déclaration des ministres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) sur la position commune à la 21e Conférence des parties (COP 21) sur les changements climatiques, les pays constituant la CEEAC : • soutiennent la signature d’un accord universel, juste, équitable et juridiquement contraignant, auquel toutes les par ties s’engagent, et qui est fondé sur les principes de la convention, en particulier celui de la responsabilité commune mais différenciée ; • encouragent la soumission par tous les États membres de leurs contributions nationales dans les délais requis ;

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• soutiennent d’une part, la position des Nations Unies sur la création d’une banque technologique en prévision de l’adoption de l’agenda du développement post-2015 et d’autre part, le transfert de technologies propres adaptées aux pays en développement en général et aux États membres de la CEEAC en particulier ; • soutiennent la mise en place et l’opérationnalisation de centres et réseaux des technologies climatiques aux niveaux national et sous-régional ; • appellent les pays développés ayant fait des annonces de contributions à honorer leurs engagements pour le Fonds vert climat ; • réaffirment l’orientation du comité des chefs d’État et de gouvernement africains sur les changements climatiques de désigner et rendre opérationnelles leurs entités nationales d’interaction avec ledit fonds ; • s’engagent à mettre en œuvre , avant la COP 21, la décision n° 27/CEEAC/CCEG/XVI/XV du 25 mai 2015 portant création du fonds pour l’économie verte en Afrique centrale destiné à être logé à la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) ; • s’engagent à mettre en place des mécanismes souples au niveau sousrégional pour mobiliser des financements dans le Fonds vert climat ; • invitent la communauté internationale à soutenir la mise en œuvre du plan de convergence de la COMIFAC pour appuyer les efforts des pays membres de la CEEAC en matière de conservation et de gestion durable des écosystèmes forestiers ; • s’engagent à opérationnaliser la décision n° 73/CEEAC/CCEG/XVI/XV du 25 mai 2015 portant création d’un fonds du développement du secteur électrique, notamment des énergies renouvelables en Afrique centrale ; • réaffirment l’engagement des États membres de la communauté économique des États de l’Afrique centrale à contribuer selon leurs capacités à l’effort mondial de limitation de la hausse de la température moyenne globale en deçà de 2 °C conformément aux récents travaux du GIEC ; • encouragent les États à élaborer leur plan climat, en cohérence avec leur stratégie de développement ; • s’engagent à adapter leurs modèles de développement en y intégrant la question des changements climatiques ; • soutiennent la nécessité de renforcer les capacités institutionnelles de mise en œuvre des plans d’adaptation ; • s’engagent particulièrement à accélérer le développement et la promotion des énergies renouvelables sous la coordination technique du pool énergétique d’Afrique centrale (PEAC) ; • affirment la nécessité de traiter de façon équilibrée l’atténuation et l’adaptation dans le futur accord ; • s’engagent à renforcer les mesures de prévention, de préparation et de réponse aux catastrophes ; • s’engagent à renforcer les capacités d’évaluation post-crise liée au climat ;

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• s’engagent à renforcer les mécanismes de relèvement et de reconstruction ex-post ; • réaffirment le rôle important des acteurs non étatiques, des élus locaux et des parlementaires dans la mobilisation des ressources, l’implication dans le processus décisionnel et surtout l’appropriation de la lutte contre les changements climatiques ; • impliquent la société civile, les communautés locales et les populations autochtones à tous les processus décisionnels et les mettent à contribution dans la définition, la mise en œuvre et le suivi des politiques de lutte contre les changements climatiques à l’échelle internationale, régionale, sous-régionale, nationale et locale ; • mettent à la disposition des parlementaires et des élus locaux les moyens nécessaires pour soutenir les initiatives de lutte contre les changements climatiques ; • encouragent la CEFDHAC et ses réseaux pertinents dans la gestion des écosystèmes des forêts du bassin du Congo et dans leurs initiatives à côté des États sur la lutte contre les changements climatiques ; • saluent la mobilisation du secteur privé en faveur de l’adoption d’un accord universel juridiquement contraignant ; • saluent l’engagement des organisations religieuses et soutiennent leurs actions aux côtés des États ; • saluent l’engagement des médias et communicateurs de la sous-région en faveur du développement de l’information sur l’environnement autour du RECEIAC ; • réaffirment l’engagement des États membres de la communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), avec la coordination technique de la commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), pour la mise en œuvre de la REDD+ comme outil de développement durable et pilier de l’économie verte. Cet engagement de l’Afrique centrale a été significatif pour l’impulsion de la dynamique en faveur des INDCs.

Les perspectives et recommandations Pour faire face à une forte croissance des émissions de GES des pays en développement, l’intégration16 de ces pays, et notamment ceux du continent africain, dans le régime climatique post-Kyoto, est cruciale. Il est apparu donc nécessaire d’adopter une nouvelle approche pour le principe des « responsabilités communes mais différenciées » et de sortir de l’interprétation dualiste de ce principe retenue dans le protocole de Kyoto à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

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Pour surmonter les risques de divergences entre les pays développés et les pays en développement, la seule façon de procéder est de renforcer le transfert de ressources financières et technologiques17 vers les pays en développement, ce qui leur permettra à la fois d’améliorer leur situation socio-économique et de réduire leur impact négatif sur l’environnement global. Dans ce sens, le mécanisme pour un développement propre18 (MDP) et la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD) constituent les mécanismes19 clés pour l’Afrique. Pour surmonter les obstacles liés aux capacités, il est impératif de : • développer les ressources humaines et l’expertise : pour beaucoup de pays d’Afrique, le financement carbone est encore une nouveauté, mais la nécessité croissante d’investir dans les énergies renouvelables et de tirer par ti des possibilités de financement comme le MDP suppose que les acteurs chargés de l’énergie et du changement climatique acquièrent de nouvelles compétences. Les pouvoirs publics doivent mettre en place des conditions générales propices à la formation de groupes d’exper ts et valoriser les expertises qui ont déjà travaillé sur des projets MDP. Ils doivent soutenir les institutions de recherche, comme les universités, et accorder des subventions à des stages et des séminaires axés sur l’acquisition de compétences dans le domaine du changement climatique et du financement carbone. Les programmes de formation professionnelle associés à des projets sur les énergies renouvelables sont une bonne manière d’accumuler durablement des compétences, en particulier si les programmes en question s’inscrivent dans la durée grâce au maintien des financements et des enseignants nécessaires ; • concevoir des politiques favorables au développement des énergies renouvelables : pour assurer le succès des projets d’énergie renouvelable, il est indispensable que les pouvoirs publics des pays d’Afrique conçoivent et mettre en œuvre des politiques appropriées ; • renforcer le rôle des autorités nationales désignées (AND) : les autorités nationales désignées (AND), c’est-à-dire les organismes qui supervisent l’approbation et l’enregistrement des projets MDP, méritent que les pouvoirs publics leur accordent une attention particulière, car elles sont au cœur de toutes les questions qui touchent au mécanisme ; • améliorer la coordination régionale : à mesure que les énergies renouvelables gagnent du terrain et que le débat sur le changement climatique prend de l’ampleur, les pouvoirs publics des pays d’Afrique doivent coordonner leur action en vue de définir des politiques et une vision commune pour l’avenir ; • encourager les transferts Sud-Sud : un transfert Sud-Sud de capacités encouragerait et favoriserait des transferts d’expertise et d’expérience entre les pays susceptibles de bénéficier le plus des mécanismes de financement carbone utilisables pour investir dans les énergies renouvelables. Les transferts de ce type peuvent s’opérer au niveau intergouvernemental par l’intermédiaire des AND ou à l’échelon régional ;

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• étendre les programmes multilatéraux pour accroître les capacités : les acteurs de la coopération au développement peuvent appor ter une contribution importante au renforcement des capacités dans les pays africains ; • contourner les obstacles financiers à l’investissement dans les énergies renouvelables. À cet égard : – des coûts de démarrage élevés des investissements sont observés : les projets d’énergies renouvelables en Afrique présentent des coûts de démarrage considérables et par ailleurs, des obstacles spécifiques à certaines zones, comme le caractère transfrontalier des ressources hydrauliques, peuvent aussi accroître le coût des investissements. Les équipements comme les panneaux photovoltaïques, les éoliennes et les organes de connexion sont tous onéreux. Au cours de la phase de planification, le promoteur doit habituellement payer : des permis (santé et sécurité) ; des autorisations environnementales ; des études de faisabilité technique ; des contrats de fourniture de technologies et d’énergie et des équipements nécessaires à la centrale électrique. Ces frais peuvent atteindre des centaines de milliers de dollars au cours de la phase de planification. Au stade de la construction, celle où les coûts sont plus élevés, un chantier d’ampleur relativement modeste peut représenter plusieurs millions de dollars. De plus, les institutions financières exigent que les projets soient soumis à des études de faisabilité (technique, environnementale et financière) avant d’envisager de les financer, ce qui ajoute encore aux difficultés financières auxquelles font face les promoteurs, – le retour sur investissement prend du temps : en général, le financement carbone n’est versé qu’une fois obtenue la réduction des émissions, de sorte que les investisseurs doivent engager des fonds importants au début du projet sans pouvoir en attendre la moindre rentabilité pendant un certain temps. Il est donc surtout utile d’améliorer le financement et la trésorerie une fois que les ouvrages sont opérationnels, – les sources de financement sont limitées : financer les grands projets d’infrastructures n’est pas chose aisée en Afrique, y compris dans les pays où les marchés financiers sont développés et ont fait leurs preuves. Cette tendance est marquée dans les secteurs qui ont besoin de nouvelles technologies ou en font usage. Le financement des projets d’énergies renouvelables est souvent insuffisant et le financement carbone n’apporte qu’une partie des fonds nécessaires, ce qui oblige les promoteurs à trouver d’autres sources de financement. Cette règle générale connaît bien entendu des exceptions, dans les cas où il existe des mécanismes financiers permettant le paiement anticipé des URCE qu’il est prévu d’obtenir. Quoi qu’il en soit, les ressources financières multilatérales supplémentaires et les ressources gouvernementales ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins d’investissements. Par conséquent, le déficit de financement doit être comblé moyennant d’autres formes d’investissements, autrement dit par l’entrée en jeu du secteur privé, – la perception aiguë des risques : à quelques exceptions près, le risque de crédit souverain des pays africains n’est pas noté, alors que ces évaluations sont

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importantes pour inspirer confiance aux investisseurs. Si l’investissement présente un risque élevé, les URCE peuvent être sous-évaluées et l’incitation financière peut être moindre pour l’investisseur. En réalité, il est aussi très probable que les permis nécessaires ne soient pas délivrés et que le projet ne puisse pas continuer. Parmi les politiques et les facteurs susceptibles de décourager l’investissement dans les énergies renouvelables au moyen du financement carbone figurent le niveau élevé de la fiscalité et des taux d’intérêt, le manque de soutien en faveur de l’investissement direct étranger et l’instabilité de la politique budgétaire. Pour surmonter les obstacles financiers à l’investissement dans les énergies renouvelables, les pouvoirs publics des pays d’Afrique doivent : • envisager des tarifs d’achat : les tarifs d’achat sont des tarifs obligatoires légaux qui s’appliquent aux énergies renouvelables. Ils sont déterminés de manière à couvrir les coûts de production et à assurer une marge bénéficiaire raisonnable, pour inciter les promoteurs à investir ; • promouvoir des incitations en faveur des nouvelles technologies : les gouvernements africains devraient prendre des mesures pour développer le secteur des technologies vertes et encourager le transfert et la diffusion des technologies en provenance d’autres régions du monde ; • renforcer les instruments d’atténuation des risques : pour apaiser les craintes que les risques inspirent aux investisseurs, il convient de renforcer les programmes existants d’atténuation et d’assurance. Les pays africains, dans leur ensemble, se sont remarquablement mobilisés en 2015 pour conduire des processus analytiques et de coordinations multisectorielles en faveur de l’initiative INDC. Ils se sont attachés, à établir, au niveau national, leurs lignes d’orientations pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Ainsi, 46 pays ont précisé leurs contributions volontaires déterminées à la réduction des GES. 18 pays ont présenté des taux de réductions des émissions inférieurs à 25 %, à l’horizon 2025-2030. 11 pays ont retenu des scénarios consacrant une réduction comprise entre 25 et 50 % et 5 pays, dont le Gabon et l’Éthiopie ont établi un niveau d’effort supérieur à 55 %. (Voir tableau 1 ciaprès présentant les contributions des États africains à la COP 21.)

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Les secteurs privilégiés par les pays du continent africain sont par ordre de préférence : • l’énergie ; • l’agriculture ; • les forets ; • les sols ; • les déchets ; • les transports ; • l’industrie ; • les infrastructures ; • les établissements humains. Enfin, 28 pays ont retenu l’option de l’accès marché carbone. D’une manière générale, plus de 35 pays du continent ont exprimé le souhait d’une assistance technique et d’un accompagnement de la part de la communauté internationale pour accéder à des technologies propres, bénéficier d’un renforcement de capacité en matière de développement durable et au financement international pour ce faire. (Voir tableau après les notes.)

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L’engagement pour le climat Heughebaert A., 2007, Étude comparative des programmes de compensation volontaire de CO2 en Europe. Jacquemin J., LabergeABERGE X.P., 2012, L’encadrement des émissions de gaz à effet de serre provenant de l’aviation civile internationale. Murphy D., Drexhage J., Wooders P., 2009, Les mécanismes internationaux du marché du carbone au sein d’un accord post-2012 sur les changements climatiques. ONU-REDD, 2008, En marche vers la REDD+. Trien Lam V., 2010, Les enjeux juridiques de l’intégration des pays en développement dans le régime climatique post-Kyoto. Tsafack-Nanfosso R., Mpon Tiek S.M., Minla Mfou’ou J., 2011, Projet de suivi de la gouvernance en Afrique de l’Ouest. UNCCD, 2013, Opportunités de financement lié au changement climatique pour la gestion durable des terres en Afrique : Leçons apprises et perspectives

NOTES 1. Les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine provoquent l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et entraînent un changement climatique. Le groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son 4e rapport publié en 2007 précise notamment que : • les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté considérablement depuis l’époque préindustrielle, rien qu’entre 1970 et 2004, elles ont augmenté de + 70 % ; • le réchauffement moyen constaté à la surface de la terre au cours du siècle passé s’élève à 0,74 °C ; • le réchauffement est dû à l’activité humaine avec au moins 90 % de certitude ; • les températures pourraient augmenter d’ici à 2100 de 1,1°C à 6,4 °C, suivant les différents scenarii ; • l’impact du réchauffement climatique se traduira dans de nombreux domaines : climat, écosystèmes, énergie, alimentation et santé. D’un point de vue économique, le rapport Stern de 2006 sur les enjeux économiques liés à la problématique du climat estime le coût de l’inaction entre 5 % et 20 % du PIB mondial, et celui de l’action à 1 % du PIB mondial. 2. Le contenu des contributions et des règles encadrant leur remise à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) reposent sur : • le périmètre : les contributions nationales se composeront, selon le choix de chaque pays, d’objectifs d’atténuation (réduction des émissions) et/ou d’objectifs d’adaptation ; • l’ambition : les contributions soumises devront aller au-delà des engagements actuels des parties à 2020 (qu’il s’agisse d’engagements nationaux ou définis au titre de la deuxième période du protocole de Kyoto, ou de NAMA souscrits au titre de l’accord de Copenhague et des accords de Cancun). Il s’agit d’impulser une dynamique vertueuse et « mieux disante », en évitant aux parties de revenir en arrière par rapport à leurs engagements actuels ; • le contenu : des lignes directrices précisent le contenu du volet atténuation d’une INDC, le volet adaptation étant volontaire. Il est notamment recommandé de préciser l’année de référence, la période d’engagement et/ou le calendrier de mise en œuvre, les méthodologies employées pour estimer et comptabiliser les émissions de GES et comment l’INDC est juste et ambitieuse et qu’elle contribue à l’objectif ultime de la CCNUCC ; • la différenciation : il n’est pas prévu de traitement spécifique visant les pays en développement par rapport aux pays développés, mais la contribution devra être jugée au regard des circonstances nationales propres à chaque pays. Cette approche atténue la division binaire entre parties à l’annexe I et parties hors annexe I, établie par la CCNUCC en 1992. Il est néanmoins reconnu que les pays les moins avancés et les petits États insulaires bénéficient d’une certaine flexibilité sur l’élaboration de leur INDC, prenant en compte leur capacité limitée ; • la transparence : le secrétariat de la CCNUCC est chargé de publier sur le site de celle-ci les contributions au fur et à mesure qu’elles sont communiquées et d’élaborer, d’ici le 1er novembre 2015, un rapport de synthèse sur l’impact agrégé de ces contributions, sur la base des INDC transmises avant le 1er octobre 2015.

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Développement durable en Afrique 3. En 1997, le protocole de Kyoto vient expliciter les objectifs et les moyens de la mise en œuvre de la CCNUCC en fixant des objectifs aux 40 pays les plus industrialisés (listés à l’annexe B du protocole), qui doivent collectivement réduire leurs émissions d’au moins 5 % sur la période 2008-2012 par rappor t à 1990. L’objectif est différencié par pays. Les émissions considérées comprennent 6 GES d’origine anthropique : CO2, CH4, N2O, HFC, PFC, SF6. Les pays hors annexe B n’ont pas d’engagements d’émissions. En vue de faciliter l’atteinte des engagements des pays industrialisés, trois mécanismes dits de flexibilité sont institués par le protocole de Kyoto : • un marché international de quotas carbone. Chaque pays reçoit autant d’unités de quantité attribuée (UQA) que son objectif d’émissions de GES fixé par le protocole. Les UQA sont échangeables entre États ; • le mécanisme pour un développement propre (MDP) et le mécanisme de mise en œuvre conjointe (MOC) permettent de financer des réductions d’émissions hors du territoire national contre l’octroi de crédits carbone échangeables. Le MDP est un projet de réduction d’émissions ayant lieu dans un pays qui n’a pas d’engagement au titre du protocole de Kyoto, la MOC dans un pays qui en a un. 4. L’atténuation regroupe les actions visant à réduire ou éviter les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines et d’augmenter le stockage des émissions en vue d’atténuer la contribution des émissions d’origine anthropique au changement climatique. 5. Afin que les INDC jouent efficacement ce rôle d’outil au service de la coopération internationale sur le climat, quatre éléments clés doivent être identifiés : • chaque INDC doit représenter un renforcement de l’ambition de l’action climatique de chaque pays. Une INDC doit constituer un signal aux investisseurs, au public, et aux autres pays concernant la trajectoire envisagée par le pays. Une fois que l’ensemble des INDC est identifié, il faut être en mesure d’évaluer si elles représentent bien une nouvelle dynamique et un changement de la trajectoire pour l’économie mondiale ; • dans un régime largement déterminé par une logique « du bas vers le haut », une compréhension uniquement agrégée des INDC n’est pas suffisante. Trois questions supplémentaires doivent être posées concernant l’ambition politique de la trajectoire résumée et quantifiée dans chaque INDC. Les INDC pourraient ne pas toutes porter en elles-mêmes les réponses à ces questions ; elles devront dès lors être analysées au sein d’une compréhension plus large des circonstances, des politiques et des ambitions de chaque pays. Le régime climatique devra d’ailleurs permettre de fournir des réponses à ces questions au fil du temps, à travers un dialogue politique élargi, sur la base d’une bonne transparence et d’une révision périodique des INDC ; • chaque INDC doit être interprétée à travers quatre questions : – l’INDC représente-t-elle un renforcement de l’ambition de l’action climatique dans le pays (par rapport aux politiques nationales, aux engagements antérieurs, etc.) ? – comment le pays envisage-t-il d’atteindre l’objectif de son INDC ? Le pays fournit-il des informations transparentes sur les politiques et mesures qu’il envisage ? Cette condition est importante pour créer la confiance, révéler des leviers potentiels pour une ambition ou une coopération accrue et pour dialoguer sur la mise en œuvre de ces politiques, – comment l’INDC fait-elle le lien avec les autres priorités politiques nationales ? Ce lien est en effet déterminant pour un engagement réel, global et durable sur une stratégie de développement faible en carbone et résiliente au changement climatique. Autrement dit, l’INDC fait-elle partie d’une stratégie de développement économique et sociale cohérente ? – quels sont les freins et leviers (au niveau national et international) pour des réductions d’émissions plus importantes ? Peut-on identifier dans l’INDC des types de politiques ou d’actions de coopération permettant d’augmenter progressivement l’ambition de cette contribution et des suivantes ? 6. Chaque année, les forêts matures et en pleine croissance stockent un quart des émissions anthropiques dans leurs bois et dans leurs sols. Cette contribution essentielle à la limitation du changement climatique a été exploitée par le protocole de Kyoto : il est déjà possible d’obtenir des crédits carbone en plantant des forêts.Toutefois, le protocole n’aborde pas le sujet de la déforestation, notamment dans les zones tropicales, qui est responsable d’environ un cinquième des émissions humaines sur le plan mondial. Il n’aborde pas non plus le problème de la dégradation des forêts, ce qui se produit généralement lorsque de vieilles forêts sont exploitées de manière sélective pour récolter leurs essences les plus rares. Cette équation a motivé l’approbation par les Nations Unies de la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD) comme moyen d’atténuation du changement climatique, lors de leur dernière Conférence internationale de Bali, en

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L’engagement pour le climat décembre 2007. Cette approbation a généré une nouvelle vague de recherches et de négociations, dont le but explicite est de conclure un accord sur un mécanisme détaillé d’ici à la fin 2009. 7. Le principe des « responsabilités communes mais différenciées » est un reflet de la notion d’équité et de justice dans le droit international public. Ce principe se compose de deux éléments. Le premier concerne la responsabilité commune qui demande à toutes les parties de participer aux mesures de protection de l’environnement. Le second concerne la responsabilité différenciée qui demande la prise en considération des situations spécifiques et des capacités différentes des pays dans la prévention, la réduction et le contrôle des problèmes environnementaux. Selon ce principe, l’égalité des États ne signifie pas que tous les États ont la même obligation. En revanche, en reconnaissant la responsabilité plus grande de certains pays par rapport aux autres pays, le principe des « responsabilités communes mais différenciées » a été créé pour répondre à deux exigences. En premier lieu, il vise à concilier les responsabilités dans la dégradation de l’environnement et les capacités financières et technologiques différentes des États pour y faire face. En second lieu, l’utilisation de ce principe peut encourager une participation plus large des pays en développement au regard d’un régime environnemental global. En fait, les pays en développement trouvent peu d’avantages à l’acceptation des obligations environnementales globales qui sont à la fois coûteuses et un obstacle à leur développement économique. Par contre, les pays en développement exigent que les obligations environnementales soient imposées aux pays développés qui, historiquement, ont causé le problème. Pourtant, dans le contexte de l’industrialisation rapide des pays en développement, les problèmes environnementaux globaux, en par ticulier les changements climatiques, continuent de s’aggraver. Donc, il est important que les pays en développement, notamment les pays émergents, soient encouragés à participer aux accords environnementaux internationaux aussi tôt que possible. Dans la pratique, le principe des « responsabilités communes mais différenciées » a été largement reconnu par la communauté internationale dans la protection de l’environnement en général et dans la lutte contre les changements climatiques en par ticulier. La déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement a confirmé la nécessité de mettre à disposition des pays en développement « une assistance internationale supplémentaire, aussi bien technique que financière », pour préserver et améliorer l’environnement. 8. L’approche fondée sur les émissions par habitant fait référence à un budget mondial d’émission réparti à égalité entre les pays suivant le nombre d’habitants. Ce budget mondial d’émissions reflète la quantité de gaz à effet de serre qui peut être sans risque émise dans l’atmosphère tout en répondant à l’objectif final de la CCNUCC. Les quotas d’émissions répartis sont échangeables. 9. Selon la proposition de l’intensité des émissions, les engagements peuvent être formulés sous forme de pourcentage de baisse de l’intensité des émissions de chaque pays, ce qui se traduit par des réductions d’émissions par rapport à la performance économique (GES/PIB). Cette proposition estime que l’approche de l’objectif fixe de réduction des émissions peut être excessivement rigide face aux situations économiques des pays en développement. En effet, dans les économies instables des pays en développement, les prévisions de la croissance économique et des émissions sont particulièrement difficiles. En raison de ces incertitudes, l’approche de l’objectif fixe de réduction des émissions peut avoir comme conséquence le risque d’« air chaud » dans le cas de la croissance économique plus faible que prévu ou des contraintes strictes sur le développement économique dans le cas de la croissance économique plus rapide que prévu. 10. Dans le cadre de l’approche fondée sur les politiques de développement durable, les pays en développement pourraient s’engager sur des objectifs de moyens plutôt que de résultats. Concrètement, les pays en développement définissent des politiques et mesures de développement plus durables et s’engagent à les mettre en œuvre avec un appui financier de la part des pays développés. Cette approche prend en compte le besoin du développement durable des pays en développement mais son incidence sur l’environnement est incertaine parce qu’elle dépend entièrement de l’efficacité des politiques et mesures élaborées. Pourtant, le problème dans les pays en développement n’est pas d’élaborer des politiques mais de les appliquer. 11. À la douzième conférence des parties à la CCNUCC à Nairobi en novembre 2006, la Russie a déposé une proposition visant à imposer des engagements volontaires de réduction des émissions aux États ne faisant pas partie de l’annexe I. En contrepartie, les pays qui acceptent ces engagements volontaires pourraient recevoir une assistance financière concernant le transfert des technologies. 12. L’approche « multi-stage », développée au début des années 2000, a retenu l’attention considérable de la communauté internationale. En reconnaissant la diversité des situations, des responsabilités et des capacités des pays dans la réduction d’émissions, l’approche « multi-stage » vise à associer

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Développement durable en Afrique les différents types d’engagements à différentes catégories de pays en fonction de leur niveau de développement et de leur niveau d’émissions. 13. L’approche sectorielle est fondée sur la position que la réduction effective des émissions globales qu’impliquent le développement, la diffusion et le transfert des technologies propres dans les secteurs les plus émetteurs au niveau mondial. Selon le rapport du GIEC en 2007, les secteurs les plus émetteurs en 2004 étaient l’électricité et la chaleur (26 % des émissions mondiales), l’industrie (19 %), les transports (13 %) et les bâtiments (8 %). Ces quatre secteurs représentent deux tiers des émissions mondiales. En outre, les émissions dans ces secteurs pourraient augmenter fortement, notamment dans les pays émergents. 14. Entre janvier 2008 et mars 2009, le Cameroun, l’Éthiopie, le Liberia, Madagascar, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Swaziland et la Zambie se sont joints au mouvement. 15. Compte-tenu du rôle important que le charbon, l’hydroélectricité et les biocarburants peuvent jouer dans l’amélioration de l’accès à l’énergie en Afrique, et surtout du fait que l’on demandera à l’Afrique de réduire sa part d’énergie fossile comme le charbon notamment, des risques sociaux et environnementaux y afférents, d’autre part, il sera porté une attention tout particulière aux phases de prise de décision, de préparation et d’exécution des projets dans les sous-secteurs en question. Des consultations élargies avec tous les acteurs y compris les PMR, la société civile, les banques multilatérales de développement (BMD) seront engagées dans le but d’élaborer des directives et des critères pour les activités relatives au charbon, à l’hydroélectricité et aux biocarburants liquides. 16. En général, une solution idéale sur les changements climatiques consisterait à élargir et approfondir les engagements de réduction d’émission pour tous les pays. Pourtant, en prenant en considération les contraintes juridiques, une large participation des pays en développement en général et des pays émergents en particulier dépend fortement de la profondeur des engagements des pays développés. Le renforcement des engagements des pays développés sur les objectifs d’émission et notamment sur les contributions financières. En fait, la seule façon pour surmonter les divergences entre les pays développés et les pays en développement est de renforcer le transfert de ressources financières et technologiques de la part des pays développés aux pays en développement, ce qui permettra aux pays en développement à la fois d’améliorer leur situation socio-économique et de réduire leur impact négatif sur l’environnement global. 17. Les transferts de technologies « bas carbone » sont cruciaux pour parvenir à modérer les émissions de gaz à effet de serre (GES), appelées à croître fortement, des pays en développement. Leur mise en œuvre conditionne la réussite d’un accord mondial sur le changement climatique en 2015 : c’est la mission du mécanisme technologique, créé en 2010. 18. Inclusion d’autres activités d’utilisation des terres, de changement d’affectation des terres et de la foresterie (boisement et reboisement (B/R), la réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts, la restauration des zones humides, la gestion durable des forêts et d’autres activités de gestion durable des terres, la gestion du carbone dans les sols agricoles, la remise en végétation, la gestion forestière et la gestion des terres cultivées et des terres de pâturage. Inclusion du piégeage et du stockage du dioxyde de carbone (PSC). Inclusion des activités nucléaires. Introduction de l’attribution sectorielle de quotas pour les réductions d’émissions au-dessous d’un objectif fixé au préalable (dit « objectif sans perte »). Introduction de l’attribution des quotas sur la base des mesures d’atténuation appropriées au niveau national. Encouragement au développement de scenarii de référence standardisés et multiprojets. Intégrité environnementale et évaluation de l’additionnalité à travers l’élaboration des listes positives ou négatives des types d’activités de projet. Différenciation de l’admissibilité des parties par l’utilisation d’indicateurs. Amélioration de l’accès de certains pays hôtes aux activités des projets du MDP. Promotion des avantages conjoints des projets du MDP à travers des moyens facilitateurs. Introduction des facteurs multiplicateurs pour accroître ou réduire les REC délivrées pour des types d’activités de projet spécifiques. Introduction des modalités de traitement des activités du projet du MDP au fur et à mesure du passage de pays hôtes à une autre catégorie de parties. Introduction des échanges de droits d’émissions basés sur des objectifs sectoriels et les NAMA. 19. Approche sectorielle liée au MDP. Inclusion des activités de captage et de stockage de carbone dans le MDP ainsi que les mécanismes de financement de la REDD (le marché du carbone ou le mécanisme de fonds).


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Les expĂŠriences africaines pour l'adaptation au changement climatique et le dĂŠveloppement durable


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Les coordonnateurs de l’ouvrage Rémi Allah-Koudio Ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la République de Côte d’Ivoire, depuis 2011, Docteur Remi AllahKouadio a été le chef d’orchestre de la mise en place de la loi d’orientation sur le développement durable en Côte d’Ivoire. Il a œuvré à la mise en place de la Commission nationale de développement durable de Côte d’Ivoire et a dirigé le processus INDC pour la contribution du pays à la Conférence mondiale sur le climat. Il a précédemment occupé les fonctions de ministre de la Santé et de l’Hygiène publique et de ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques. Il a également été président de la mutuelle des pharmaciens du nord et du centre de la Côte d’Ivoire. Il est chevalier dans l’Ordre de la santé publique, chevalier de l’Ordre du mérite National et commandeur de l’Ordre de la santé publique.

Delphin Abe Ochou Inspecteur général de l’environnement et du développement durable auprès du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de Côte d’Ivoire, le professeur Delphin A. Ochou est le « point focal national » pour la réduction des risques de catastrophes de la Côte d’Ivoire. Il a codirigé plusieurs cycles de négociations africaines sur le climat et joué un rôle clé dans la conduite des évaluations nationales et la mise en œuvre de programmes nationaux en faveur de la prévention et de la gestion des risques de catastrophes. Delphin A. Ochou est également maître de conférences en physique de l’atmosphère de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et auteur de nombreuses publications sur l’environnement et la gestion des crises et catastrophes en Afrique.

Bernard Brou Coordonnateur national du projet de mise en place du système d’information environnementale pour le développement de la zone côtière de Côte d’Ivoire, Bernard Brou est depuis 2014 en charge de la composante environnementale du bureau pays du PNUD à Abidjan. Il a travaillé à la représentation de la FAO en Guinée Bissau sur la formulation et la mise en œuvre du cadre de programmation des interventions du Système des Nations Unies. Il a également été expert national chargé de l’environnement et de la gestion des risques de catastrophe à la représentation de la FAO à Abidjan. En outre, il a contribué au ministère en charge de l’environnement de Côte d’Ivoire, à l’élaboration de la stratégie nationale de développement durable et à la mise en œuvre du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le par tage juste et équitable des avantages qui découlent de leur utilisation (Convention des Nations Unies sur la diversité biologique).

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Babacar Cissé Représentant spécial adjoint du secrétaire général, M’Baye Babacar Cissé est le représentant spécial adjoint pour l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Il est aussi coordonnateur résident des Nations Unies et coordonnateur de l’action humanitaire. M. Cissé travaille aux Nations Unies depuis 1980 et a précédemment occupé les fonctions de directeur régional adjoint du bureau régional pour l’Afrique du PNUD et celles de représentant résident et coordonnateur des activités opérationnelles du Système des Nations Unies au Burkina Faso. Il a été directeur du PNUD en République démocratique du Congo et a occupé plusieurs postes de direction au siège du PNUD à New York. Babacar Cissé est titulaire d’une maîtrise en finances et gestion financière et d’un diplôme en gestion et économie appliquée de l’Université de Paris- Dauphine, en France.

Joseph Ezoua Joseph Ezoua est spécialiste de programme et chef de l’unité Développement humain durable au bureau du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en Côte d’Ivoire. Il assure la gestion des programmes de coopération du PNUD avec le gouvernement en matière de réduction de la pauvreté, d’environnement et de développement durable. Il intervient actuellement dans la promotion de l’économie verte et les énergies renouvelables, le développement des capacités de gestion des ressources naturelles et la prévention des catastrophes. Il a supervisé les travaux d’assistance des Nations Unies à la contribution nationale « INDC » pour la COP 21. Fonctionnaire au PNUD depuis 2006, M. Ezoua est titulaire d’un doctorat en médecine et diplômé de l’Université de Californie Berkeley, aux États-Unis.

Luc-Joël Grégoire Directeur pays du Programme des Nations Unies pour le Développement, depuis 2013, Luc Joël Grégoire a occupé précédemment les fonctions d’économiste principal du PNUD. Il a exercé, par ailleurs, les fonctions de responsable de la zone Afrique à la division des risques d’une grande banque internationale et a dirigé de 1989 à 1992 les comités internationaux de renégociation de la dette du Club de Londres. Il a participé à l’organisation de plusieurs grandes conférences internationales sur le développement et a été co-rapporteur du Sommet du millénaire et de la conférence OMD+5 de New York. Il a également contribué aux travaux préparatoires du Sommet mondial sur le changement climatique. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages et d’une centaine d’articles sur l’économie, les finances internationales, et les questions environnementales et de lutte contre la pauvreté.

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Nasséré Kaba Directeur de cabinet du ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, depuis 2013, Nasséré Kaba est à l’origine du projet éditorial et de la valorisation des meilleures pratiques environnementales en Côte d’Ivoire et en Afrique. Chercheuse en chimie de l’environnement, elle a apporté une contribution majeure aux travaux de la Commission nationale sur le développement durable. Elle a été par ailleurs responsable par intérim de l’unité de coordination régionale de la Convention d’Abidjan et de son plan d’action pour la protection et le développement du milieu marin et des zones côtières de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Elle a occupé les fonctions de sous-directeur chargé de la protection et de la mise en valeur des milieux aquatiques, lagunaires et marins, de juillet 1999 à mai 2000, à la direction de l’environnement.

Georges Kouadio Kouamé Directeur général de l’environnement au sein du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de Côte d’Ivoire, Georges Kouadio Kouamé a conduit plusieurs actions majeures pour l’amélioration de la gouvernance environnementale, tant aux plans national, régional, qu’international et a œuvré à la mise en place de la commission nationale de développement durable de son pays. Il est maître de conférences en sciences environnementales et chercheur à l’École normale supérieure d’Abidjan. Il a participé en qualité d’expert à plusieurs commissions et projets sur la mise en œuvre des conventions internationales sur la gestion des produits chimiques et déchets.

Cédric Lombardo Président et fondateur de BeDevelopment, Cédric A. Lombardo a été conseiller spécial à la présidence de la République de Côte d’Ivoire dès 2008 sur les questions environnementales puis, secrétaire du groupe de travail « sur la « Position commune africaine sur le changement climatique », membre du groupe des négociateurs africains sur le climat et responsable du comité de la CEDEAO sur le changement climatique, de 2010 à 2012. Cédric Lombardo a occupé, de 1999 à 2009, les fonctions de conseiller juridique de Marta Marconi Space avant de rejoindre Thales Alenia Space où il exercera successivement les fonctions de négociateur en charge de la vente de systèmes spatiaux et de lanceurs, puis de directeur du développement. Diplômé de l’université de droit d’Aix-en-Provence et de l’École supérieure de commerce de Paris, il a été chargé de cours à l’École supérieure de commerce de Paris et à l’Institut français du pétrole et conférencier sur les thèmes du développement durable africain notamment auprès de la Radio-télévision ivoirienne.


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ACRONYMES ASM : Artisanal and Small-Scale Mining ACP : Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ADA : accord antidumping (anti-dumping agreement) ADEA : Association pour le développement de l’éducation en Afrique (Association for the Development of Education in Africa) ADPIC : Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce ou TRIPS (Trade Related Aspects of Intellectual Property) AGOA : African Growth and Opportunity Act AISS : Association internationale de sécurité sociale AMF : arrangement multifibre (ancien organe de supervision des textiles de l’OMC) AMI : accord multilatéral sur les investissements ou MAI (Multilatéral Agreement on Investment) AMNA : accès aux marchés pour les produits non agricoles AsA : accord sur l’agriculture (de l’Uruguay Round) BAD : Banque africaine de développement BCEAO : Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest BIT : Bureau international du travail BREDA : Bureau régional pour l’éducation en Afrique BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières CAMEI : Conférence des ministres africains de l’Intégration économique CCI : Centre du commerce international ou ITC (International Trade Center) CCIC : Comité consultatif international sur le coton ou ICAC (International Cotton Advisory Committee) CDB : Convention sur la diversité biologique CEA : Commission économique pour l’Afrique ou ECA (Economic Commission for Africa) CEDEAO : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ou ECOWAS (Economic Community of West African States) CEEAC : Communauté économique des États d’Afrique centrale ou ECCAS (Economic Community of Central African States) CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale CEN-SAD : Communauté des États sahélo-sahariens CER : Communauté économique régionale CGPE : comité de gestion des points d’eau CIE : Compagnie ivoirienne d’électricité CNDD : Commission nationale pour le développement durable CNPS : Caisse nationale de prévoyance sociale CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement ou UNCTAD (United Nations Conférence on Trade and Development) COMESA : Marché commun d’Afrique orientale et australe (Common Market for Eastern and Southern Africa) CSCRP : Cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté DGMG : Direction générale des mines et de la géologie

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DSRP : document de stratégie de réduction de la pauvreté DTH : Direction technique de gestion de l’hydraulique EAC : Communauté d’Afrique de l’Est (East African Community) EIES : étude d’impact environnemental et social EPT : Éducation pour tous ESA : Afrique orientale et australe (Eastern and Southern Africa) FAO : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization) FEM : Fonds mondial pour l’environnement FIDA : Fonds international de développement agricole ou IFAD (International Fund for Agricultural Development) FMI : Fonds monétaire international ou IFM (International Monetary Fund) FNUAP : Fonds des Nations Unies pour les activités de population GATT : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade) GES : gaz à effet de serre HCR : Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés IDE : investissement direct étranger IDH : indice de développement humain IFI : institutions financières internationales IFPRI : Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (International Food Policy Research Institute) IGAD : Autorité intergouvernementale pour le développement (Intergovernmental Authority on Development) IIEP : Institut international de planification de l’éducation (International Institute for Educational Planning) IPEC : Programme international pour l’abolition du travail des enfants (International Programme on the Elimination of Child Labor) ITIE : initiative de transparence dans les industries extractives LMR : limites maximales de résidus MIC : mesures concernant les investissements et liées au commerce ou TRIMS (Trade related Investment Measure) MRU : Union du fleuve Mano (Mano River Union) NEPAD : New Partnership for Africa Development (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) NPF : nation la plus favorisée OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques ou OECD (Organisation for Economic Co-operation and Development) OIM : Organisation internationale des migrations ou IOM (International Organization for Migration) OIT : Organisation internationale du travail ou ILO (International Labour Organization) OMC : Organisation mondiale du commerce ou WTO (World Trade Organization) OMPI : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ou WIPO (World Intellectual Property Organization) OMS : Organisation mondiale de la santé, ou WHO (World Health Organization) ONG : organisation non gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies ou UNO (United Nations Organization)

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ONUDI : Organisation des Nations Unies pour le développement industriel ou UNIDO (United Nations Industrial Development Organization) ONU-Habitat : Programme des Nations Unies pour les établissements humains ONUSIDA : Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida ou UNAIDS (joint United Nations Programme on HIV and AIDS ORD : organe de règlement des différends PAC : politique agricole commune PAM : Programme alimentaire mondial PIB : produit intérieur brut PMA : pays les moins avancés PND : Plan national de développement PNIA : Projet national d’investissement agricole PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement, ou UNDP (United Nations Development Programme) PNUE : Programme des Nations Unies pour l’environnement, ou UNEP (United Nations Environment Programme) PPP : partenariat public-privé PTF : partenaires techniques et financiers RSE : responsabilité sociétale des entreprises SACU : Union douanière d’Afrique australe (Southern African Custums Union) SADC : Communauté pour le développement de l’Afrique australe (Southern African Development Community) SGP : système généralisé de préférences SIE : système d’information énergétique SNU : Système des Nations Unies SODEMI : Société pour le développement minier de la Côte d’Ivoire TSA : tout sauf les armes TSD : traitement spécial et différencié UA : Union africaine UCW : Understanding Children’s Work UE : Union européenne UEMOA : Union économique et monétaire ouest africaine UMA : Union du Maghred arabe UNDAF : United Nations Development Assistance Framework (Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement) UNDG : United Nations Development Group (Groupe des Nations Unies pour le développement) UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) UNFPA : Fonds des Nations Unies pour la population (United Nations Population Fund) UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’enfance (United Nations of International Children’s Emergency Fund) UNIFEM : Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (United Nations Development Fund for Women) UNRISD : Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (United Nations Research Institute for Social Development) World Bank : Banque mondiale


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REMERCIEMENTS L’élaboration du présent ouvrage a bénéficié de la confiance et du soutien du président Alassane Ouattara qui a mis en exergue, dès l’origine du projet, les défis d’une réflexion stratégique et multidimensionnelle sur l’émergence de l’Afrique et les enjeux qui y sont liés. Nous tenons à lui témoigner toute notre reconnaissance et à souligner la pertinence de ses suggestions, notamment celles relatives à l’identification des innovations, des meilleures pratiques et des visions stratégiques pour l’Afrique. Nous souhaitons remercier tout particulièrement le Premier ministre de la République de Côte d’Ivoire, Daniel Kablan Duncan, et l’administrateur assistant et directeur du Bureau régional pour l’Afrique du PNUD, Abdoulaye Mar Dieye, pour la confiance qu’ils nous ont témoignée1. Leur engagement mutuel en faveur de l’émergence de l’Afrique et de la réalisation des Objectifs du développement durable (ODD), conformément aux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies tenue en septembre 2015, est fondamental. Les coordonnateurs de l’ouvrage remercient également les différents ministres qui ont soutenu ce projet, Fidele Sarassoro, chef de cabinet du président Alassane Dramane Ouattara et, tout particulièrement, le Docteur Rémi Allah-Kouadio, ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire pour sa détermination exemplaire et sa contribution remarquable. La réalisation du présent ouvrage a été rendue possible grâce à l’appui et aux contributions de nombreuses personnalités, membres d’institutions nationales et internationales et, notamment, du Système des Nations Unies. Il a ainsi bénéficié des analyses, des commentaires et des contributions spéciales de mesdames et messieurs : Aïchatou Mindaoudou, représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour la Côte d’Ivoire et chef de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) ; Mbaye Babacar Cissé, représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’ONU et coordonnateur des agences du SNU ; Ousmane Diagana, viceprésident de la Banque mondiale à Washington ; Kandeh K. Yumkella, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies à SE4All et directeur exécutif de l’équipe mondiale de facilitation de l’Initiative énergie pour tous ; Albert Toikeusse Mabri, ministre d’État, ministre du Plan et du Développement de la Côte d’Ivoire ; Jeannot Ahoussou, ministre d’État, auprès du président de la République, président de l’Assemblée des régions et des districts de la Côte d’Ivoire ; Anne-Désirée Ouloto, ministre

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de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant de la Côte d’Ivoire ; Sangafowa Coulibaly, ministre de l’Agriculture de Côte d’Ivoire ; Mathieu Babaud Darret, ministre des Eaux et Forêts de la Côte d’Ivoire ; Patrick Achi, ministre des Infrastructures économiques de la Côte d’Ivoire ; Adama Toungara, ministre du Pétrole et de l’Énergie en Côte d’Ivoire ; Jean-Claude Brou, ministre de l’Industrie et des Mines de la Côte d’Ivoire ; Mamadou Sanogo, ministre de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme en Côte d’Ivoire ; Nialé Kaba, ministre auprès du Premier ministre, chargé de l’Économie et des Finances en Côte d’Ivoire ; Gnamien Konan, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de Côte d’Ivoire ; Gaoussou Touré, ministre du Transport de Côte d’Ivoire ; Mogbante Dam, secrétaire exécutif du Partenariat régional de l’eau de l’Afrique de l’Ouest (GWP/AO) ; Georges Kouadio, directeur général de l’environnement du ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable de la Côte d’Ivoire ; Abou Bamba, point focal du Programme des Nations Unies pour l’environnement en Afrique de l’Ouest ; Chantal de Varennes, ambassadeur du Canada en Côte d’Ivoire ; Lacina Kouamé Kouakou, directeur de cabinet au ministère d’État, ministère du Plan et du Développement ; Famoussa Coulibaly, directeur de cabinet adjoint au ministère d’État, ministère du Plan et du Développement ; Lanciné Diaby, directeur général du plan et de la lutte contre la pauvreté au ministère d’État, ministère du Plan et du Développement ; Hela Cheikhrouhou, directeur du département de l’énergie, de l’environnement et du changement climatique de la Banque africaine de développement ; Gustave Aboua, membre du Conseil économique et social de Côte d’Ivoire ; Germain Dasylva, représentant de la FAO ; Dramane Haidara, directeur pays du BIT ; Adèle Khudr, représentante de l’UNICEF ; Suzanne Maiga Konaté, représentante de l’UNFPA ; Marie Goretti Nduwayo, représentante de l’ONU Femmes ; Mohamed Touré, représentant du HCR ; Dr Modibo Traoré, chef de bureau OCHA ; Yao Ydo, chef de bureau et représentant de l’UNESCO ; Agnès Gnamon-Adiko, chargée de programme UN Habitat ; Christian Do Rosario, directeur pays adjoint/Opérations du PNUD ; Aissata De, directrice adjointe du PNUD ; Idrissa Diagne, conseiller économique principal du PNUD ; Dr Yokouide Allarangar, représentant de l’OMS ; Marie Goreth Nizigama, chef de l’unité de coordination, bureau du coordonnateur résident ; Madeleine Oka Balima, responsable des programmes, Bureau de l’Organisation des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes) ; El Allassane Baguia, chargé de programme, spécialiste des objectifs de développement durable

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Développement durable en Afrique

au PNUD ; Marcel Yao, coordonnateur du projet national Changement climatique de la Côte d’Ivoire, ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable ; Jean-Yves Couloud, directeur de la Fondation mondiale du cacao (WCF) en Côte d’Ivoire ; Madiana Pognon Hazoumé, expert en énergie ; Benoît Lebot, chef au Partenariat international pour la coopération sur l’efficacité énergétique ; Denis Gnanzou, directeur général du développement durable au ministère de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable ; Marc Daubrey, coordonnateur national du projet INDC de la Côte d’Ivoire ; Alexandre Acka Yao, conseiller technique du Premier ministre ; Adama Coulibaly, directeur de cabinet du ministère auprès du Premier ministre en charge de l’Économie et des Finances ; Michel Kouassi, environnementaliste, spécialiste en évaluations environnementales ; Kais Marzouki, directeur général de Nestlé pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre ; Chantal Guérin, directrice générale de la Fondation SEMAFO ; Mahamadou Sylla, directeur général d’IPS (WA) ; Inza Kone, enseignant à l’UFR de Biosciences de l’université Félix Houphouët-Boigny (UFHB) et chercheur associé au Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS) ; Venkataramani Srivathsan, directeur général de OLAM Africa & Middle East Region ; Julie Greene, directrice de la responsabilité sociétale et du développement durable en Afrique, OLAM International LTD ; Koffi N’dri, président du Partenariat national de l’eau de Côte d’Ivoire (PNECI) ; Annick Tahiri, directrice de la vulgarisation et de l’innovation technologique ; Mideh Kanzli, coordonnatrice nationale de WASH-JNCI (réseau des journalistes et hommes de médias pour l’eau, l’hygiène et l’assainissement en Côte d’Ivoire) et représentante pays de l’Alliance panafricaine de médias pour le changement climatique ; Moussa Touré, directeur du développement des rédactions de Fraternité Matin ; Ferdinand Kouassi, conseiller du Premier ministre, ministre de l’Économie, des Finances et du Budget de Côte d’Ivoire. Les coordonnateurs de l’ouvrage remercient tout particulièrement les membres du comité scientifique de préparation de l’INDC de la Côte d’Ivoire et du présent ouvrage ainsi que les experts internationaux, notamment Cédric Lombardo, Jean-Luc Hau, Olivier Adiaffi et Estelle Prébolin pour leurs contributions remarquables à l’identification des bonnes pratiques et à la promotion des partenariats pour le développement durable et l’adaptation au changement climatique.

nistrative ; Youssouf Diarra, analyste en communication ; Clovis Nguetta N’Draman, Élisabeth Bazie-Petiemini, Kamaria Badirou, et Edgard-Brice Bieffo pour leur contribution à l’appui administratif du projet. Une mention toute particulière à Yasmine Touré Fougnigué pour sa collaboration exemplaire à la centralisation des travaux et au suivi éditorial et, naturellement, nos sincères remerciements à l’éditeur et à ses collaborateurs pour la qualité de l’édition de cet ouvrage de référence. Les informations statistiques communiquées dans le présent ouvrage proviennent des bases de données et des documents de la Banque africaine de développement (BAD), de la Banque mondiale (BM), du Bureau international du travail (BIT), de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Fonds international pour le développement agricole (FIDA), du Fonds monétaire international (FMI), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), du programme commun coparrainé par les Nations Unies sur le VIH et le Sida (ONUSIDA), de la division des statistiques et de la division de la population du Département de l’information économique et sociale et de l’analyse des politiques (ONU), du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), de l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes), du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Programme alimentaire mondial (PAM) et, bien sûr, du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

NOTE 1. Les analyses et les recommandations faites dans cet ouvrage ne reflètent pas nécessairement les vues du Programme des Nations Unies pour le développement, de son conseil exécutif ou de ses États membres. De même, les textes de cet ouvrage et les désignations territoriales utilisées n’engagent que leurs auteurs, et leur publication ne signifie pas que le PNUD ou les Nations Unies de manière générale souscrivent aux options qui y sont exprimées.

Les auteurs remercient enfin les collaborateurs du PNUD, notamment Christine Agbonon-Kra, assistante exécutive du coordonnateur résident du Système des Nations Unies ; Aminata Gnélé Coulibaly, responsable admi-

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DIRECTION ÉDITORIALE

C ATHERINE ET BERNARD DESJEUX ACHEVÉ D’IMPRIMER NOVEMBRE 2015 IMPRIMERIE JOUVE (MAYENNE, FRANCE, CEE)


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