Bohn Pauline mémoire HMONP 2016

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MEMOIRE HMONP 2015-2016 Pauline Bohn Mise en situation professionnelle Du 01 10 2015 au 30 04 2016 > Structure d’accueil Atelier du trait (Couhé 86) >Tuteur d’agence Guillaume Trocme >Tuteur d’étude Jean-Philippe Rouzaud

L’Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre,

Ou Un passeport pour la traversée du pays des idées à celui du concret


Pauline Bohn Mémoire HMONP juin 2016 > Structure d’accueil Atelier du trait (Couhé 86) >Tuteur d’agence Guillaume Trocme, architecte DPLG >Tuteur d’étude Jean-Philippe Rouzaud, architecte DPLG


L’Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre

Ou Un passeport pour la traversée du pays des idées à celui du concret


INTRODUCTION //

. p. 4

I. A la recherche du fil conducteur, influences et moments déterminants

. p. 6

Retour sur cinq années pour apprendre à penser en son nom propre

1.

. . . . . .

. p. 8

Un stage ouvrier en taille de pierre Une année d’échanges à Bangkok Des rencontres révélatrices Le monitorat Le diplôme d’Etat « Que faites-vous à l’école ? »

2. Un an d’errance à s’interroger sur une façon d’exercer

. p. 20

. Des choix, des convictions, de l’éthique . La volonté de construire

II. La mise en situation professionnelle, confirmer les premières intuitions 1.

La petite échelle comme conviction

. p. 24 . p. 26

. Le lieu d’exercice . La structure d’accueil . Le détail, un sujet 2. Le patrimoine ordinaire, une découverte qui mène à l’évidence

. p. 36

. L’existant comme point de départ d’une relation entre les différents acteurs du projet . L’existant comme support d’apprentissage . La matière

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III. Etre architecte ? Oui. A tout prix ? Non. 1.

Exercer à certaines conditions

. p. 48 . p. 50

. Accepter de ne jamais maîtriser l’oeuvre . Dessiner, croquer, esquisser . Laisser le temps au temps dans une société de l’urgence 2. S’associer à une structure existante, s’investir et poursuivre son apprentissage

. p. 60

. L’association en question . Complémentarité et remise en question . Apprendre au quotidien

CONCLUSION //

. p. 66

REMERCIEMENTS //

. p. 67

BIBLIOGRAPHIE //

. p. 68

ANNEXES //

. p. 70 . . . .

Bilan de la Mise en Situation Professionnelle Appréciation du directeur d’étude Appréciation du tuteur d’agence CV

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INTRODUCTION //

Chacun des choix que l’on fait relève d’une part de subjectivité. Par subjectivité nous pouvons considérer ici tout ce qui est antérieur à ces choix. La façon dont nous avons été éduqués, les villes traversées et les personnes que nous avons côtoyé, les odeurs, les images, toute la matière qui s’est immiscée dans notre être de façon à y constituer ce qui nous anime et nous pousse à agir de telle ou telle manière. Mais aussi ce qui constitue nos souvenirs et nous influence discrètement lors de la conception d’un projet, notre façon de prendre en photo une scène, d’incorporer telle donnée sensible d’un site plutôt que telle autre… La subjectivité est au cœur du métier d’architecte et constitue à mon sens une des données principales de notre posture d’architecte.

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J’ai ainsi été amenée à faire de nombreux choix, depuis mon souhait d’entreprendre des études d’architecture jusqu’à celui d’entamer cette formation à l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre. La plupart de ces choix ont été faits dans mon cas de manière très intuitive, la rédaction de ce mémoire est ainsi l’occasion de revenir sur ces choix et de m’interroger sur leur corrélation et le fil conducteur qui s’est peu à peu tissé pour me mener jusqu’ici et vers la suite. Lorsque je suis sortie de l’école, je voulais d’abord multiplier les expériences et travailler avant de me positionner sur la façon dont je souhaiterais exercer, l’habilitation à la maîtrise d’œuvre n’a donc pas été une priorité à ce moment là. C’est après une année de recherche d’emploi, la découverte d’une agence et plus particulièrement les architectes de cette structure, que la décision de formation HMONP est devenue plus logique, comme si elle dépendait de la structure d’accueil. En effet, je souhaitais être formée par une agence dont l’éthique et la façon d’exercer me correspondait. Une fois l’agence trouvée, j’ai envisagé cette formation comme une suite logique de mes études, avec réelle envie de me confronter à la matérialité, à l’acte de faire au-delà de celui de penser.

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I.

A LA RECHERCHE DU FIL CONDUCTEUR, Influences et moments déterminants

Il semblerait qu’il y ait toujours un fil conducteur qui guide notre façon d’exercer. Cette ligne directrice a certainement commencé à se dessiner dans mon enfance, et en grande partie pendant mes cinq années d’études à l’ENSAP de Bordeaux et une année d’échange à l’université de Kaasetsart, à Bangkok, en Thaïlande. Cette première partie du mémoire est donc une sélection - puisqu’il serait impossible et impertinent d’en présenter la globalité – de moments clés qui contribuent à façonner mes convictions naissantes et celles plus ancrées d’architecte en devenir.

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1. Retour sur cinq années pour apprendre à penser en son nom propre

Ces cinq années d’étude à l’école, interrompues par une année d’échanges à l’étranger, ont été riches d’enseignements, de rencontres mais aussi de remises en question, d’incompréhensions parfois. Il a tout d’abord fallu se défaire de tout ce qui nous semblait évident et convenu. Je ne connaissais pas grand-chose de l’architecture à l’époque, pour ne pas dire rien, mais j’avais l’intuition que ça promettait un métier dans lequel on ne fait jamais deux fois la même chose, dans lequel on travaille sur des disciplines très différentes et qui, au-delà d’être un art, est une forme de création pour répondre aux besoins de personnes du monde réel. Je pressentais que ce domaine complexe allait me plaire. On se met ainsi du jour au lendemain à dessiner des corps nus, faire de l’art plastique,

de

l’histoire

de

l’architecture,

de

la

sociologie,

de

la

« ville/territoire/paysage », de la construction. On apprend à faire pour défaire, analyser, justifier, recevoir la critique, travailler à plusieurs. Puis on fait des maquettes, on dessine des projets autour de thèmes nous laissant alors bien perplexes, l’espace, la lumière, le clos, le couvert ... C’est bien plus tard que l’on comprend l’intérêt de tout ces apprentissages, et on réalise alors qu’il n’est pas trop de cinq années pour apprivoiser l’architecture, « maîtriser » les différentes formes d’expression qui lui sont propres et trouver les siennes, se sentir à son aise avec la conception.

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Temples d’Angkor, Cambodge Photo prise pendant mon année d’échanges en Asie

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Un stage ouvrier en taille de pierre

Ma première expérience au pays du concret a été le stage ouvrier en première année à l’école. La question du rapport à la matière me travaillait déjà et l’attirance pour l’artisanat m’a poussé vers cette activité étroitement liée à la ville de Bordeaux que je découvrais à l’époque. Je me sentais privilégiée d’être au cœur de l’action - au sens propre, celui d’agir de faire - de partager avec ces hommes du bâtiment des connaissances et un savoir qui se transmet de génération en génération. J’ai réalisé qu’ils étaient fiers de participer à la construction de la ville. Je me souviens de leurs yeux qui pétillent à l’évocation des différents chantiers sur lesquels ils étaient intervenus et l’idée que le matériau soit imprégné de la main de l’homme qui l’a façonné a alors pris tout son sens. J’ai compris pourquoi il était question de la mémoire de la matière, de ce qu’elle renfermait. C’était ma première expérience de la matière ; et quelle matière ! Poreuse, vivante, expressive. Ils m’ont parlé des architectes qu’ils avaient côtoyés et j’ai compris à cet instant quelle architecte je souhaitais être. De ceux qui savent écouter, et gardent à l’esprit que chacun peut apporter quelque chose au bâtiment, à sa manière, avec ses connaissances respectives et en s’appuyant sur celles de l’autre. Je me suis rendue compte pendant ces quelques semaines de stage que nous avions beaucoup à apprendre de ces hommes du « faire ». C’était aussi le moment de réaliser qu’il existait un vocabulaire du bâtiment, vocabulaire qu’il allait falloir maîtriser pour pouvoir échanger dans la même langue, celle du construit. Quand je me perds dans les rues de Bordeaux, j’aime m’arrêter à chaque échafaudage que je croise et y lire parfois « Ponciano taille de pierre ». Lorsque c’est le cas, une étrange émotion m’envahit.

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Halle d’échanges sur l’aménagement des berges d’un lac en auto-construction Croquis réalisé dans le cadre d’un workshop à Sakon Nakhon,

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Une année d’échanges à Bangkok De cette année en Asie, qu’il est si difficile de résumer en quelques lignes, il me reste beaucoup de choses essentiellement impalpables et indescriptibles parce qu’elles sont de l’ordre du ressenti. C’était une année d’échange universitaire, et je n’ai paradoxalement pas eu la sensation d’apprendre à faire de l’architecture d’une autre manière mais plutôt d’assister à un cours de vie riche d’émotions, de rencontres, de voyages, de contradictions aussi. De l’enseignement local, j’ai choisis d’évoquer trois moments clés : * Nous avions un cours de projet intitulé « Sustainable Design ». Au-delà du contenu de l’enseignement, la forme était particulièrement étonnante et enrichissante pour nous qui débarquions de l’école de Bordeaux. L’enseignant est en quelque sorte un tuteur qui accompagne l’étudiant bien plus qu’un juge de projet. Dans les échanges, il m’a semblé qu’être architecte était souvent un enjeu social - au sens où la profession permet d’entrer dans l’élite de la société et témoigne une forme de réussite - plus qu’une passion (ce n’est évidemment pas une généralité). Le mode de conception du projet est très particulier, il repose sur des graphiques, des pourcentages et une analyse très mathématique d’un site donné sur lequel on ne se rend pas forcément. Les étudiants sont extrêmement doués pour la réalisation de maquettes ou le dessin manuel mais ces qualités semblent précéder la question même de conception et de pensée. Le débat si cher à notre façon de concevoir en groupe en France n’est pas recherché voir exclu d’une phase de conception à plusieurs. Il y avait de quoi être complètement dérouté. * C’était le début, les premières impressions, et comme à chaque fois le temps est nécessaire pour évaluer les choses de manière plus objective. En effet, après cette expérience assez déroutante du projet d’architecture, nous avons eu l’opportunité de participer à un cours optionnel intitulé

« Aesthetics of vernacular architecture and

landscape ». C’était aux antipodes de ce qui précédait. Les cours étaient des présentations de façons de faire locales dans différents pays d’Asie, tant au niveau de la réalisation d’objets, d’habitations, le récit de coutumes, d’activités, de cultures. Nous nous sommes éloignés de l’agitation de la ville de Bangkok pour aller visiter un village de pêcheurs au cœur de la Thaïlande. C’était une expérience hors du temps. Ainsi, « à l’inverse de la modernité, le vernaculaire est un produit de l’espace et non du temps. Il

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est lié aux lieux comme la patelle à son rocher ; il fait corps avec des matières, un climat, une énergie disponible ; (…) Il implique l’amateur comme le spécialiste, l’habitant comme l’artisan. Il prône l’économie de la ressource, la parcimonie des gestes, l’autonomie du collectif, la frugalité, la modestie. »1 * Enfin, la dernière expérience que je tenais à évoquer est un workshop effectué dans la région de Sakon Nakhon, au nord-est de la Thaïlande. Il s’agissait d’un partenariat entre l’école d’architecture de Bordeaux et l’université de Kaasetsart de Bangkok. Pour la première et unique fois en 6 ans d’études, nous avons travaillé ensemble entre paysagistes et architectes, français et thaïlandais puisque des étudiants paysagistes et architectes de Bordeaux sont venus formés des équipes avec des étudiants paysagistes et architectes de Bangkok. Nous avions deux semaines pour proposer un aménagement pour les bords d’un lac en régulant une algue néfaste et une nouvelle gestion de l’eau pour perpétuer l’activité liée aux rizières entourant ce lac. Toutes les propositions avaient pour objectif d’être facile à réaliser, en autoconstruction, par les populations locales. Cette collaboration était euphorisante et productive. Chacun amenait des points de vue différents de part sa culture, son expérience ou sa discipline dans 3 langues différentes et dans une volonté commune de proposer quelque chose de pertinent. Je retiendrais également un paradoxe, celui de l’attirance pour l’architecture occidentale et le fait de nous regarder, nous européens, comme des modèles à suivre quand leur pays regorge de tant de singularités. La prise de conscience des richesses locales apparaît progressivement, loin de contrebalancer la rapidité avec laquelle les énormes « shopping mall » et « condominium » sortent de terre pour enfuir d’ici quelques dizaines d’années, la ville de Bangkok sous les eaux. La Thaïlande pourrait se résumer ainsi : lieu de paradoxes où les contraires vivent ensemble dans une étrange harmonie chaotique.

1 Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014,p.25

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Des rencontres révélatrices Pendant ces quelques années à l’école, il y a aussi eu des rencontres, nombreuses et riches. Avec le temps, les souvenirs de certaines d’entre-elles sont devenus plus présents que les autres et les échanges liés à ces rencontres me sont restés en mémoire et me reviennent à chaque fois que je me lance dans un nouveau projet. Il y a eu les propos d’Yves Ballot, enseignant de projet en troisième année, qui m’a dit un jour, « n’aies pas peur d’être plus radicale ». Sur le moment je n’ai pas compris ce qu’il voulait me dire, et puis en me replongeant sur le projet, j’ai eu comme un déclic. Il avait visé juste, dire sans trop en dire, percevoir ce que nous n’avions pas encore vu. Depuis, à chaque fois que je suis en phase de conception, j’essaye de me concentrer pour enlever tout ce qui n’est pas absolument nécessaire et pourrait parasiter l’idée première, de façon à dégager les lignes de force du projet. Il y a également eu Jean-Philippe Rouzaud, lors d’un cours/conférence sur le traitement des espaces publics en Espagne. De cette intervention, je me souviendrai toujours de la nécessité de laisser respirer l’existant, de ne pas venir construire contre la matière présente mais de ménager un espace libre entre deux interventions, d’une manière ou d’une autre. C’était à propos du parvis d’une petite église, le pavage contemporain était légèrement espacé des murs de pierre d’origine. Cette image est ancrée dans ma mémoire et refait surface régulièrement. Pascale De Tourdonnet m’a poussé à chercher jusqu’à trouver la réponse juste à une situation donnée. C’était pendant notre diplôme, nous étions en binôme avec Boris Sauboy. Nous étions partis très vite sur quelque chose, bille en tête, avec la conviction que c’était LA solution. Et puis Pascale nous a dit : « Je ne suis pas convaincue, je ne sais pas vous dire pourquoi, mais ce n’est pas ça. » Les premiers moments sont un peu rudes, on n’a pas tout de suite envie de se remettre en question, on ne comprend pas. On finit par avoir un déclic et accepter de remettre en question nos certitudes éphémères. On cherche un sens, une histoire à raconter et on trouve. La séance suivante, le moment est joyeux et partagé, on a le sentiment d’avoir touché du doigt quelque chose et cette sensation est grisante. Ce quelque chose se rapproche pour moi d’une forme de vérité à laquelle on aurait accédé à travers le processus de conception : « Un bâtiment peut posséder des qualités artistiques quand ses divers contenus et formes se conjuguent pour créer une atmosphère apte à nous

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émouvoir. Cet art n’a rien à voir avec la recherche d’originalité ou de formes intéressantes. Il s’agit de discernement, de compréhension, et surtout de vérité. »2 Je me souviens aussi d’une anecdote de Pascale De Tourdonnet sur le fait qu’on avait souvent tendance à vouloir replacer telle ou telle idée dans un projet, comme une idée un peu fixe, une chose à laquelle on tient, qui nous suit souvent depuis nos études. Elle nous avait dit, « si ce n’est pas dans ce projet, ce sera dans un autre, vous ne pouvez pas tout y mettre ». Quand je conçois un projet, aujourd’hui, j’essaye de ne pas mettre une idée pour mon plaisir mais je m’interroge sur le sens qu’elle a et l’intérêt qu’elle apporte ou non au projet. Enfin, Laurence Chevallier, enseignante qui a encadré mon mémoire, m’a beaucoup appris sur moi-même. Elle m’a fait prendre conscience que j’avais des choses à dire et m’a poussé à aller au bout de mes intuitions. Après la soutenance de ce mémoire j’ai eu l’intime conviction que j’étais à ma place professionnellement. Ces moments sont précieux et me serviront, je l’espère, dans les moments délicats de ma vie d’architecte.

2 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.19.

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Le Monitorat J’ai eu l’occasion de faire du monitorat pendant ma deuxième année de master à l’école. C’était avec des étudiants de Pascale De Tourdonnet, de deuxième année, pour l’atelier de projet d’architecture. Ces après-midi étaient denses et riches, et je me souviens de l’épuisement qui me gagnait à la fin de ces rencontres où les idées fusent dans tous les sens. Il est assez exaltant de se retrouver de l’autre côté, et de ne plus avoir à se concentrer sur son propre travail mais d’être spectateur de l’émulation qui naît autour du travail des autres. C’était très formateur pour moi, paradoxalement, j’étais là pour « enseigner » à d’autres et je crois que j’apprenais autant qu’eux. C’est aussi le moment où je me suis rendue compte du chemin parcouru. Certaines choses que je prenais pour des évidences ne l’étaient visiblement pas pour eux et je me suis souvenue de l’état dans lequel j’étais entrée dans cette école, sans aucune connaissance à propos de l’architecture. J’ai réalisé alors, la rapidité avec laquelle nous acquérons des automatismes de conception et j’envie aujourd’hui la naïveté des premières années qui libère totalement le processus de création. Naïveté que l’école tente peut-être de prolonger le plus possible, pour nous en imprégner longtemps et nous permettre de nous en souvenir lorsqu’elle sera mise à mal dans notre vie professionnelle ?

Le diplôme d’Etat Le diplôme a fait émerger deux envies. La première d’entre-elles est le souhait de travailler à plusieurs. En effet nous avions choisi avec Boris Sauboy de passer notre diplôme ensemble. Nous avions déjà eu l’occasion de travailler en binôme précédemment et il nous a semblé assez évident de réitérer l’expérience. Nous étions complémentaires avec des sensibilités et des approches différentes, un parcours différent aussi. Travailler à deux ou à plusieurs en général, n’est pas de tout repos, les débats sont longs et chaque prise de décision nécessite d’être partagée et validée par les deux parties. Il est toujours plus facile de se convaincre soi-même que de convaincre les autres mais ne pas se contenter de sa seule satisfaction est une nécessité. A plusieurs on prend du recul, on remet en question, on fait douter l’autre sur ses certitudes et on avance de façon plus juste. On s’équilibre aussi, les faiblesses de l’un sont balancées par les points forts de l’autre et inversement. A plusieurs, on a plus de points de vue, plus de mémoire, plus d’histoire, plus de vécu, plus de références … on a plus. Et ici, « less is more » ne me semble pas approprié.

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La deuxième chose est le fait de faire de l’architecture avec le déjà là : « Dépourvu de ses codes, de ses classifications normatives, de ses prescriptions d’application, le déjà là invite à s’affranchir des fourches caudines dont l’architecture s’est lentement rendue prisonnière. »3 Notre sujet était la réhabilitation de l’ancienne halle aux farines de Bordeaux, rive droite (nouvellement réhabilitée en archives), en centre de secours. C’était la première fois depuis nos six ans à l’école que nous avions l’occasion de faire un projet de réhabilitation, c’était un risque assez important puisque nous ne maîtrisions absolument pas le sujet mais c’était une évidence aussi. Pour lui comme pour moi, le fait d’implanter un tel équipement dans une « ruine » de la ville avait un sens particulier. La halle aux farines est un bâtiment en pierres dont il ne restait que les quatre murs périphériques, marqués par les ouvertures régulières et imposantes de sa vie passée, liée au transport et stockage de marchandise via le chemin de fer. Le fait de ne pas y faire un musée qui a souvent tendance à figer la ruine était un choix aussi. En effet nous y avons implanté un centre de secours, lieu qui vit de jour comme de nuit, au rythme des urgences et des déplacements, lieu symbolique pour les habitants. Le sujet ici n’est pas tant le projet en lui même mais le fait que la première fois que nous ayons eu le choix sur le sujet et l’implantation de notre projet nous ayons spontanément choisi de faire de la réhabilitation. Sur le moment on ne se pose pas de questions, c’est une intuition, c’est comme ça que je fonctionne, j’y suis allée spontanément, tout comme pour le stage de taille de pierre ou la Thaïlande. Maintenant que j’essaye de trouver le fil conducteur d’une éventuelle pratique professionnelle, je me dis que chacun de ces choix avait un sens.

3 Commentaire d’Alexandre Labasse, directeur général du pavillon de l’arsenal, en introduction à l’ouvrage suivant : Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014,p.7

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« Que faites-vous à l’école ? » Cette question est revenue sans cesse pendant mes cinq années d’étude. C’est toujours un peu délicat de répondre à sa famille de façon cohérente sur le moment parce qu’on se demande nous-même ce qu’on y apprend, ils pensent que vous apprenez la technique, la résistance des matériaux, les calculs de structure … C’est quand vous sortez de l’école et que vous aimeriez finalement bien y retourner que vous comprenez que vous avez simplement appris à penser et concevoir en votre nom propre, et à exprimer vos idées avec des outils qui vous sont désormais personnels, pour les transmettre à autrui et demain à vos interlocuteurs, maîtres d’ouvrage, ou équipe de maîtrise d’œuvre de façon limpide, ou presque. Et le reste, tout le reste, nous avons une vie entière pour l’apprendre en nous imprégnant des méthodes de ceux que nous côtoyons dans notre vie professionnelle. Parce que s’il existe des méthodes et techniques pour apprendre à bâtir ou gérer une entreprise, il n’en existe aucune pour apprendre à créer.

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« Quelquefois, le temps est si clément qu'il y a presque une parenthèse qui s'ouvre

entre nous et le non-sens de ce monde. Je crois que c'est aussi entre parenthèses que le hasard nous parle le mieux, qu'il apporte ses précisions indispensables, son faisceau de recoupements qui amusent notre errance. Il faut juste une lecture attentive, ne pas sauter les lignes. »

Les Constellations du hasard, Valérie Boronad

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2. Un an d’errance à s’interroger sur une façon d’exercer

Au cœur de ce voyage en terre architecturale qui a débuté il y a 8 ans maintenant, entre le pays des idées et celui du concret, j’ai expérimenté une « longue » - elle m’a semblé interminable en toute subjectivité - traversée en milieu aride. La recherche d’emploi ou Pays de l’errance. Diplômée en juillet 2014, j’ai passé presque un an à chercher du travail en alternant petite mission en auto-entrepreneur et courts CDD. 253 candidatures, spontanées ou non, avec des retours parfois 3 mois plus-tard, pour vous dire que votre candidature était intéressante mais que parmi les 300 candidats, vous n’avez pas été retenu. A ce moment là, on se pose de sérieuses questions. Dans quel type de structure je souhaite travailler ? Sous quel statut ? Dans quel type de ville ? Avec quel public ou confrères ? A quel prix ? A quoi suis-je prête ou non à renoncer ? La liste est longue …

Des choix, des convictions, de l’éthique Après l’euphorie de la remise des diplômes, et la dernière saison de job d’été hors architecture, arrive très vite une dure réalité à laquelle nous n’avions pas franchement été préparés. Un peu naïvement en espérant que ce serait une entrée en matière pour un éventuel emploi plus stable, j’ai commencé un stage d’un mois en septembre puisque mon statut d’étudiant me le permettait encore. Ce fût une belle expérience au sein d’une agence dont l’échelle me correspondait assez bien mais elle fût aussi courte que belle puisqu’il n’était financièrement pas possible d’envisager un deuxième salarié pour cette petite structure. Ça m’aura permis de confirmer que la petite échelle d’agence et de projets qui permettent un niveau de détails assez poussé était ce que je recherchais. J’ai eu l’occasion de faire du logement pour la première fois de mon parcours et il m’est apparu comme un domaine d’expérimentation et de recherche riche et passionnant. En mars 2015, j’ai eu l’occasion de travailler en CDD puis en auto-entrepreneur pour une autre petite agence. C’était une période courte, intéressante parce qu’elle m’a permis de balayer d’autres types de projets, notamment du logement à plus grande échelle avec du petit collectif. J’étais là pour des missions précises et un besoin de renfort sur du court terme. Entre ces deux expériences, de petits projets

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d’aménagement ou de réagencement intérieur en auto-entrepreneur pour des connaissances m’ont permis de continuer à exploiter le champ de la conception. Rapidement j’ai fait le bilan des mes stages passés et des petites expériences professionnelles rencontrées pendant mes années d’études ou après. Et j’ai ressenti une forme de frustration mettant en avant trois choses que je ne souhaitais pas retrouver dans ma pratique professionnelle. Au sein de l’agence de Jean-Baptiste Lacoudre, à Paris, j’ai compris l’importance de la représentation du projet et de la communication de l’agence en fonction des interlocuteurs auxquels on s’adresse. J’ai assisté à la crise de l’architecture dans une période où l’agence était à court de projets et confrontée à la recherche de nouveaux marchés en essayant de mettre à profit le temps libre pour se remettre en question et repenser

les

moyens

de

communication

de

l’agence.

Travaillant

presque

essentiellement dans la commande publique, j’ai pris conscience de la difficulté d’accéder à la commande. J’ai également participé à un concours en PPP (Partenariat Public-Privé) et constaté avec effroi, dans une équipe de maîtrise d’œuvre composée dans un premier temps d’architectes et urbanistes parisiens, la vitesse avec laquelle les intérêts de chaque structure se frayaient un chemin pour passer devant les intérêts du projet. J’y ai beaucoup appris et j’ai aussi réalisé que ce domaine d’exercice n’était pas le mien et que cette trop grande échelle de projet laissait entrer en jeu des paramètres qui allaient à l’encontre de mon éthique personnelle, souvent contre la volonté des architectes d’ailleurs qui essayaient tant bien que mal de résister aux considérations purement financières des promoteurs. Première frustration donc, travailler avec des partenaires qui ne partagent pas vos valeurs. La deuxième, je l’ai ressenti dans presque toutes les structures dans lesquelles je suis passée de façon plus ou moins forte en fonction des personnes rencontrées et de leur personnalité. Je me suis très vite aperçue, en tant que salariée, que le mode de fonctionnement auquel j’étais confrontée était celui de travailler pour avant de travailler avec. Ce passage est naturellement obligé et permet un apprentissage formateur et indispensable mais il soulève la question de l’exercice du métier d’architecte. Peu importe les expériences et les projets, j’ai toujours pris plus de plaisir à travailler dans l’échange que dans l’exécution d’une tâche. Et puisqu’il est normal de passer par un apprentissage, il me semblait plus pertinent qu’il s’effectue dans des conditions agréables et dans lesquelles le formé peut apporter sa pierre à l’édifice du formateur en proposant librement sa vision des choses. En parcourant des témoignages différents, il est ressorti deux types de fonctionnement d’agence. Un fonctionnement

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pyramidal avec une forte présence de la hiérarchie et des prises de décision qui reviennent toujours au chef d’agence, de projet. Le mot « chef » en lui-même souligne d’ailleurs à mon sens cette posture si particulière. Puis un fonctionnement horizontal, plus rare, mais tendant à se développer avec la nouvelle génération, où chaque décision est prise collégialement indépendamment du niveau d’expérience ou du statut professionnel des personnes. Mon souhait va donc spontanément vers la deuxième option que ce soit en tant que salariée aujourd’hui ou en tant qu’éventuelle associée par la suite. A la suite de ces différentes expériences, j’ai eu assez tôt la conviction que je ne souhaitais pas être salariée pendant toute ma vie professionnelle, même si ce statut présentait l’avantage certain d’une stabilité plus importante.

La certitude de la volonté de construire Si une chose m’a semblée évidente, c’est la volonté de me confronter à autre chose que ce dans quoi nous avions baigné depuis le début de nos études et ce pour quoi on nous sollicitait la plupart du temps en agence : la conception du projet. En effet, dans chacune des agences rencontrées, j’avais surtout participé aux missions Esquisse à PC, sans savoir à quoi ressemblaient les suivantes. C’est la troisième frustration. Ne trouvant au départ pas de travail, je me suis demandée ce que j’allais faire et me suis posée la question de savoir si ne proposer que de la conception sur de petits projets pourrait me convenir. La réponse a été non très vite, je n’avais pas les compétences pour suivre la réalisation de ce que j’aurais dessiné et je ne trouvais pas responsable de laisser un dessin dans les mains de maître d’ouvrage pour qu’un autre donne réalité à quelque chose qu’il n’aurait pas pensé, sans aucun suivi ou conseil. Cette période de recherche m’a permis d’explorer la question de la représentation du projet qui m’intéresse particulièrement, à laquelle j’avais pris goût à l’école et en agence. Le temps que j’avais me permettait d’essayer des techniques différentes, à la main, à l’informatique … Et j’ai un temps pensé que je pourrais peut-être me satisfaire de dessiner mais « quand le réalisme et la virtuosité graphique dans une représentation de l’architecture deviennent trop présents, quand il n’y a plus la moindre ouverture où nous puissions pénétrer avec notre imagination et laisser naître la curiosité pour la réalité de l’objet représenté, alors la représentation devient elle- même l’objet de notre attente. Le désir envers l’objet réel s’estompe. Il n’y a plus rien

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ou presque qui se réfère à la réalité imaginée, à ce qui se situe en dehors de la représentation. La représentation n’a plus de promesse à offrir.»4 Or, je ne voulais pas perdre de vue la réalité. La formation HMONP m’a donc semblé être une nécessité pour avoir l’opportunité de pratiquer le métier d’architecte dans toute sa complexité et sa richesse et non pas sous un seul aspect, le dessin, de manière tronquée. Je ressentais le besoin de concret, de matières, de chantier, de connaissances techniques et de dépasser mes notions constructives, de rencontres avec d’autres corps de métier. Si cette période m’a semblé interminable, elle m’a permis de faire le point sur mes attentes et de me poser quelques questions décisives pour la suite des évènements. A défaut de savoir ce que je souhaitais réellement, je commençais à avoir une vision assez nette de ce que je ne voulais pas. Facile à dire dans une période de crise où il est facile de renoncer à ses convictions pour trouver du travail. On se demande alors si on n’est pas trop exigeant. Probablement si. Mais avec le recul, je me dis que ça valait le coup de l’être, envers soi-même surtout et que pour respecter les autres - ce que j’espère faire dans mon travail - il fallait commencer par se respecter soi-même.

4 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.12-13.

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II.

LA MISE EN SITUATION PROFESSIONNELLE, Confirmation de premières intuitions

La mise en situation professionnelle dans le cadre de la formation HMONP est devenue évidente lorsque les conditions de travail dans lesquelles j’étais m’ont semblées êtres en accord avec la façon dont je souhaitais exercer. Cette année de formation a permis de confirmer certaines de mes intuitions par rapport à la façon dont je souhaitais exercer et de préciser le type de lieu, de structure et de projet qui me conviendraient.

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1. La petite échelle comme conviction Que ce soit en terme de projet, de lieu d’exercice, ou d’agence, la petite échelle a très rapidement été une volonté. En effet, m’installer dans une métropole, travailler dans une grande agence à fonctionnement pyramidal, dessiner des projets aux budgets exceptionnels, le tout pendant des horaires de travail très extensibles ne me correspondait tout simplement pas.

Le lieu d’exercice N’ayant pas de connaissances dans le milieu de l’architecture, il me semblait plus judicieux, dans la mesure où je ne souhaitais pas rester salariée toute ma vie, de ne pas travailler dans une ville surpeuplée d’architectes dans laquelle ceux qui sont déjà implantés ont du mal à accéder à la commande. Il m’a semblé que Bordeaux en faisait partie et par extension toutes les villes ayant une école d’architecture. Ainsi, quand beaucoup d’entre nous s’interrogent sur le choix d’un lieu d’exercice et reviennent souvent à leur premiers amours, ville natale, ville où s’est tissée un réseau de connaissances, famille, amis, je m’interroge sur l’existence d’une ville de cœur et suis forcée de constatée qu’il n’y en a pas qui se détache avec évidence. En effet, ayant déménagé tous les 3 à 4 ans depuis mon enfance, je n’ai pas de ville de référence. Cette année d’errance a donc été le moment de prendre conscience que je pouvais finalement exercer n’importe où, sans avoir d’appréhension à me confronter une nouvelle fois à l’inconnu. C’est ainsi que je suis arrivée à Couhé, 2000 habitants, petite ville de campagne au cœur de la Vienne, suite à une annonce passée sur le site de l’ordre des architectes, à laquelle j’ai répondu. L’annonce est restée en ligne une demi-journée, le hasard fait parfois bien les choses. A la campagne il y a la nature, inspirante, il y a un autre rapport au temps, un autre rapport aux gens. Il y a des métiers traditionnels et des savoirs faire qui tentent

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de se perpétuer. Il y a peut-être quelque chose de moins superficiel, de plus proche du vrai. La matière première est plus proche, la pierre, le bois, la terre. Il y a aussi une autre culture architecturale, plus éloignée de la nôtre marquée par la multiplicité des images disponibles et de la culture accessible. Comme nous le rappellent Julien Choppin et Nicola Delon, auteurs de l’ouvrage Matière grise, « Il y a 50000 ans, (…) une bonne vie c’était de belles aires de pêche, de chasse et de cueillette, des voisins sympathiques avec qui on échangeait conjoints, récits, dessins, cartes et outils. Il n’y avait pas de place pour l’accumulation matérielle (…) La vraie richesse c’était la connaissance (un savoir situé et éprouvé), la mémoire (des lieux et des êtres) et les gestes (pour savoir refaire les choses nécessaires). Aussi l’architecture était-elle un territoire à habiter avant d’être une collection d’objets. » 5 Sans parler de retourner 50000 ans en arrière, ce qui n’aurait pas beaucoup de sens à l’heure actuelle, s’interroger sur l’existence de quelque chose d’authentique et de traditionnel, à intégrer dans nos façons contemporaines de concevoir et de construire me semble être une piste de réflexion. Peter Zumthor nous éclaire sur le sujet et suggère un équilibre entre tradition et modernité : « Si un projet ne fait que puiser dans l’existant et dans le répertoire de la tradition, s’il répète ce que l’endroit lui fixe d’avance, il me manque le dialogue avec le monde, le rayonnement du contemporain. Si une œuvre architecturale n’est qu’une vision, qui ne parvient pas à faire raisonner le lieu, il me manque l’ancrage sensoriel dans le lieu, le poids spécifique de ce qui est local. »6 Ainsi, en exerçant en milieu rural, la tradition peut se trouver sur place et la culture contemporaine par le déplacement, virtuel ou réel, le voyage. Les besoins et usages sont différents dans les petits bourgs. Les budgets sont proportionnels à la taille des villes et donc moindres. Le défi est donc (à mon sens) plus important et plus excitant.

5 Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014, p.23 6 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.33.

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L’Atelier du Trait, SARL d’architecture 3 rue du commerce, Couhé

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La structure d’accueil : L’atelier du trait Lorsque je suis rentrée dans l’agence en tant qu’auto-entrepreneur, quatre mois plus tôt, je ne connaissais rien de l’agence, ni des architectes pour qui j’allais travailler, j’étais là pour une nouvelle et tant attendue expérience professionnelle de mon côté et pour soulager une charge importante de travail du leur. N’ayant pas de site internet, je ne savais pas non plus quel était le type de projets sur lesquels ils travaillaient et ce n’est pas en une heure d’entretien, que l’on se fait une réelle idée bien que mon intuition me criait très fort que j’allais m’y plaire. J’ai ainsi rencontré les trois associés de l’agence, d’une quarantaine d’années, Estelle Bemeri, Louis Albagnac et Guillaume Trocme mon tuteur ainsi que Laurence Clément, la secrétaire. C’était donc une petite structure, ce que je recherchais. L’agence, installée en SARL d’architecture, est issue de l’activité libérale charentaise de Louis Albagnac depuis 2002, à laquelle Guillaume Trocme est venu apporter son expérience parisienne et poitevine en 2006. Les deux architectes se sont rencontrés sur des chantiers d’été de restauration du patrimoine lorsqu’ils étaient étudiants, ce qui a influencé leur travail sur une pratique rurale et patrimoniale, gagnant ainsi peu à peu la confiance de maîtres d’ouvrage publics de la région. Estelle Bemeri, également dotée d’une expérience d’agence à Poitiers, est venue rejoindre le duo et s’associer en 2008 pour créer l’Atelier du trait. L’agence exerce dans les domaines de la réhabilitation, de la rénovation, et de la construction neuve tant en marché public qu’en marché privé. Le fonctionnement de l’agence est horizontal, les trois associés sont gérant à parts égales et conçoivent l’ensemble des projets à trois. Il y a un responsable pour chaque projet aux yeux du maître d’ouvrage mais les rendez-vous et réunions se font toujours par deux afin d’apporter le recul nécessaire à l’autre. Les trois architectes sont complémentaires et apportent chacun quelque chose de différent au projet. La ligne commune de conception et de réalisation n’est jamais revendiquée ou énoncée clairement. C’est aussi ce qui les caractérise, faire avec conviction plutôt que de parler de ce qu’on fait. Cependant je crois pouvoir dire qu’il y a une ligne directrice et qu’elle est très présente, la volonté de travailler le plus possible de façon locale, que ce soit avec les entreprises ou par les matériaux utilisés. Pour résumer et caractériser

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leur pratique, la question de la matière est inévitable. A propos des attitudes des architectes envers la matière, le collectif Encore Heureux évoquent les pratiques qui évitent l’abondance de matériaux sur mesure : « L’évolution historique traduit une évolution non seulement dans les matériaux disponibles, mais aussi dans la relation de l’homme aux matériaux, passant successivement du matériau de rencontre au matériau optimisé, puis à la compétition entre matériaux optimisés, et enfin à la construction de matériaux sur mesure »7. Les trois associés seraient plutôt de « ceux qui laissent s’altérer les matières naturellement : oxydation de bois imputrescibles ou de métaux avec cette magnificence des couleurs qui caractérise les matériaux lorsqu’on laisse la nature reprendre ses droits. Car c’est alors seulement qu’ils reprennent leurs échanges avec la lumière, source de vie, de tout être et de tout devenir, révélant au travers de cette magie propre des couleurs cette intime consubstantialité de la matière et de la lumière. »8 La petite structure présente l’avantage de pouvoir assister à toute la vie de l’agence sans filtre et de moins différencier les tâches. Chacun touche à tout et travaille sur plusieurs projets en même temps. Le lieu de travail de l’agence est une ancienne boulangerie qui a été réhabilitée par les trois associés. Il n’y a pas de cloisons séparatrices, nous travaillons tous ensemble dans un lieu unique. Les différents acteurs des équipes de maîtrise d’œuvre dont l’agence fait partie, sont reçus sur place, sur la mezzanine, si bien que tout est transparent et partagé avec l’ensemble de l’agence. De même, les artisans passent régulièrement pour affiner telle ou telle proposition dans le cadre de marchés privés et tout le monde profite de l’échange.

7 Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014, p.20 8 Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014, p.30

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« Pour les arêtes et les joints, là où les surfaces se recoupent et où se rejoignent les divers

matériaux, il faut rechercher des constructions et des formes judicieuses. (…) les détails doivent exprimer ce que demande l’idée fondatrice du projet à l’emplacement concerné de l’objet : appartenance ou séparation, tension ou légèreté, frottement, robustesse, fragilité…» « Les choses, les œuvres d’art qui nous touchent ont des strates multiples, des niveaux de

signification en nombre peut-être infini, qui se superposent, se croisent et se transforment (…) pour accéder à ce désir de vague, il faut une attention extrêmement soutenue, une précision tatillonne dans la composition de chaque image, dans la minutieuse définition des détails, dans le choix des objets, de l’éclairage, de l’atmosphère. (…) Le poète du vague ne peut être qu’un poète de la précision.»

Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.15 et 30

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Le détail, un sujet

J’ai toujours eu une attraction particulière pour le traitement du détail. J’ai découvert à l’agence, que cette mouche du détail avait également piqué Louis Albagnac, l’un des trois architectes associés de l’agence. Lorsque j’ai démarré la mise en situation professionnelle, j’ai été amenée à suivre des projets en cours en phase PRO. Jusque là habituée aux projets d’école, se rapprochant de la phase esquisse d’un projet d’agence, je ne savais pas réellement à quoi m’attendre quand au contenu de cette fameuse phase PRO. De quoi s’agissait-il ? J’ai découvert un monde entre la phase esquisse et la phase PRO, et un potentiel de définition du projet sans fin. Tout ce qu’on occultait à l’école, dans le but de se focaliser sur le concept, notamment la question de la matière, a été révélé avec la découverte de ces nouvelles phases de projet. Comme un déclic, le passage du pays des idées à celui du concret est devenu palpable. Tout ce qui se dessinait là avait vocation à préciser la manière dont le projet allait être réalisé. Cette phase est devenue fondamentale à mes yeux. Comment les matériaux s’assemblent entre eux, à quoi ressemblera le plafond mis en œuvre ou le sol choisi, quel calepinage, selon quelle trame ? Quelle position pour les points d’éclairage, accès ou non à la structure ? De quelle manière effectuer la jonction entre deux matériaux ? Comment dessiner les portes, en surépaisseur ou au même nu que la cloison ? Quelle limite entre le dessin de l’architecte et celui du menuisier ? Comment utiliser les contraintes règlementaires comme support de création, le dessin du garde-corps, de la main courante, le traitement des nez de marches… Tout est soudain devenu définissable et le piège du tout détaillé s’est lui aussi glissé dans l’euphorie de cette découverte. Il a alors fallu se rappeler qu’il était nécessaire de s’arrêter et qu’une étape de définition supplémentaire allait apparaître avec le chantier, notamment dans le cas où nous n’avons pas les études d’EXE. En effet, les choses évoluent et le projet n’est jamais figé. Les propositions des entreprises sur la façon de réaliser tel ou tel assemblage que nous aurions dessiné, démultiplient à nouveau le champ des possibles. Et dans cette abondance de solutions, il est nécessaire de ne pas oublier l’essence du projet, sa lecture globale. Les détails ne doivent pas nuire à la compréhension du tout mais y contribuer.

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2. Le patrimoine ordinaire, une découverte qui mène à l’évidence

« Tout pousserait à se défaire de la banalité, sauf à penser qu’elle mérite mieux : tout dépend du regard que l’on porte sur elle. Au delà de la question esthétique, c’est la réutilisation de l’existant qui constitue alors la base même de l’écriture du projet architectural. » 9 C’est ce terme de « banal », évoqué dans le chapitre « La reconquête du banal » de l’ouvrage, Un bâtiment, combien de vies ? dont il serait question ici (bien que le mot « banal » ait une connotation péjorative qui ne me convient pas tout à fait). Le terme de patrimoine ordinaire serait plus approprié. Il fait partie de la vie de l’agence à commencer par la structure, ancienne boulangerie. Patrimoine « Ordinaire » s’oppose ici à patrimoine « extraordinaire » dont la préservation semble évidente par l’aspect remarquable de l’édifice. Il est donc question de bâtiments dont l’intérêt est moins évident mais dont le potentiel est riche et ne demande qu’à être révélé. J’ai ainsi eu l’occasion de participer à plusieurs projets de réhabilitation, rénovation et de constructions neuve pendant cette mise en situation professionnelle, à des phases de projet différentes (graphique récapitulatif en annexe), parcourant ainsi des problématiques singulières à chaque étape du projet et rencontrant des personnalités très différentes, allant des élus de petites communes à des bureaux d’études techniques, économiste de la construction, artisans, maîtres d’ouvrage privés, assistant à maîtrise d’ouvrage public ... Par ailleurs, j’ai pu observer en comparant les deux approches, qu’il semblerait que les maîtres d’ouvrages privés ou publics, semblent d'avantages prêts à accepter l’apport du contemporain dans le patrimoine plutôt que du contemporain en construction neuve, ce qui les inciteraient peut-être plus facilement à s’orienter vers un architecte par choix plutôt que par devoir.

9F.Rambert,

M.Colombert, C.Carboni, Un bâtiment, combien de vies ? Cité de l’architecture et du patrimoine, février 2015, p.143

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J’ai choisi d’aborder la question de la réhabilitation puisqu’il s’agissait pour moi d’un domaine jusque là inconnu ou presque qui m’a donné envie d’en découvrir plus et m’a laissé entrevoir un potentiel de création insoupçonné. Renzo Piano, dans une conversation sur l’art de compléter la ville, confie sur le sujet : « L’histoire des villes est faites de strates, de stratifications les unes sur les autres. (…) Tu sens que la ville n’est rien d’autre que le miroir, le portrait de millions et de millions de vies vécues qui ont laissé des traces. Ces transformations font que la ville, les villes, les maisons, les bâtiments de la ville ont une sorte de vie organique puisqu’ils reflètent justement cette transformation. Et je trouve que cette idée de construire sur quelque chose qui existe déjà, au lieu de limiter la créativité, peut aider à rendre plus intense le travail créatif sur des directions précises. »10

10 Rambert, M.Colombert, C.Carboni, Un bâtiment, combien de vies ? Cité de l’architecture et du patrimoine, février 2015, p.293

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L’existant comme point de départ d’une relation entre les différents acteurs du projet Que ce soit pour un maître d’ouvrage, une équipe de maîtrise d’œuvre dont nous faisons partie ou un artisan, un projet de rénovation ou réhabilitation dispose d’un point de départ commun, l’existant. Il constitue une base de réflexion que chacun considère selon ses propres critères, liés à une culture professionnelle différente. Economiste, ingénieurs, artisans, maître d’ouvrage n’abordent pas les choses de la même manière. Quand il s’agit d’une construction neuve, le point de départ est divergeant. En effet, lorsque notre formation et notre culture nous pousse à considérer un déjà là, un site et ses alentours, son histoire, son paysage, sa mémoire … Les autres acteurs ont plutôt tendance à se focaliser sur un futur, ce qui est à venir, que ce soit d’un point de vue constructif pour les ingénieurs, financier pour l’économiste et le maître d’ouvrage, programmatique pour les usagers. Ainsi, le patrimoine, parce qu’il fait appel à notre mémoire, nos souvenirs et donc notre histoire personnelle, parle à tous et prime sur le reste, dans un premier temps. Pour l’ingénieur, il implique un diagnostic à effectuer, pour l’artisan, des méthodes de construction traditionnelles souvent appréciées, pour le maître d’ouvrage une volonté de faire avec l’existant et donc une considération pour cette existant. Nous avons tous ce patrimoine en commun et la volonté de travailler avec.

. Rénovation de la mairie de Chef-Boutonne : Une équipe de maîtrise d’œuvre au complet dès le commencement. L’agence a été retenue dans le cadre d’un marché à procédure adaptée pour le projet de rénovation de la mairie. Souvent, dans le cadre d’une construction neuve, l’architecte est le premier à intervenir sur le projet, comme en témoigne les répartitions d’honoraires, attribuant généralement un plus grand pourcentage à l’architecte en phase esquisse. Le principe constructif du bâtiment, mixte, bois/maçonnerie, a incité l’architecte à s’entourer de deux bureaux d’étude structure dont l’un spécialisé en construction bois. Le premier à intervenir a été l’ingénieur structure du bureau d’étude BA Bois, afin d’établir un diagnostic sur l’état de la charpente et des planchers bois. Cette analyse a mis en évidence la nécessité de reprendre les poteaux en bois inclus dans les murs de pierre qui soutiennent la toiture et de renforcer toutes les poutres de plancher pour la

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pérennité de l’ouvrage. Avant même de penser au projet, il a fallu comprendre les principes structurels du bâtiment et considérer l’existant. Les allers retours avec le bureau d’étude structure (maçonnerie) ont permis de choisir le type de sol à privilégier entre dallage sur terre plein ou plancher porté sur longrines pour ne pas toucher aux clefs de voûte des caves du bâtiment tout en préservant le niveau initial du rez-de-chaussée. Si l’une des deux options ne présentait, à priori, pas d’avantage financier sur l’autre, l’économie d’une chape supplémentaire (et de son épaisseur) dans le cadre du dallage sur terre plein a fait pencher la balance. Les échanges avec le bureau de contrôle ont permis de s’appuyer sur un arrêté relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées des ERP situés dans un cadre bâti existant, pour optimiser les transformations du bâtiment et privilégier les surfaces de bureaux plutôt que celles de circulation en réduisant celles-ci au minimum règlementaire. Un escalier imposant en bois, dans le hall du bâtiment existant, a également posé question. Au vu de son état de dégradation, il devenait dangereux pour les utilisateurs et nécessitait que l’on s’en préoccupe. L’architecte y voyait un élément patrimonial intéressant du bâtiment et souhaitait le refaire en respectant son caractère d’origine, ce qui allait à l’encontre des volontés de l’économiste qui voyait plutôt un escalier contemporain pour rester dans les coûts fixés. Plusieurs options ont été proposées pour compenser et trouver d’autres économies (budget serré de la maîtrise d’ouvrage) tout en préservant le caractère patrimonial de l’escalier, dont le fait de supprimer la volée d’escalier menant aux combles, inexploités dans le cadre du projet. Cette décision a fait l’objet d’un débat plus tard avec mon tuteur à l’agence. Je ne comprenais pas qu’on puisse prendre une telle décision, supprimer un pan entier d’un tel ouvrage pour une nécessité économique certes, mais qu’était-il de l’intégrité du bâtiment ? Comment pouvions-nous décider de détruire ou non telle ou telle partie de l’histoire du lieu, supprimer l’accès à cette magnifique charpente comme ça pour l’urgence de la situation sans réfléchir au futur ? Moi qui aurait auparavant pensé que le patrimoine n’avait pas vocation à être figé ou mis sous cloche mais à évoluer au grès des époques, je me retrouvais soudain confronté à un sursaut de prise de conscience sur l’impact d’un projet sur un objet qui existait avant nous et existerait certainement après nous. Qu’avions-nous le droit de faire, quelles sont les limites de destruction qu’il faut s’imposer, faut-il s’en imposer ? Après un long échange sur nos convictions respectives, j’ai compris que l’idée n’était pas de détruire l’existant qui

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présentait tant d’intérêts à mes yeux mais de réfléchir à plus grande échelle, non seulement sur des intuitions sensibles mais aussi avec des réalités très concrètes que sont par exemple les budgets de plus en plus serrés des petites communes et la nécessité de définir des priorités d’intervention pour la viabilité du bâtiment. J’ai compris que l’agence avait pour ligne de conduite de ne pas prendre de décision qui aurait pour impact de figer un usage en réduisant les possibilités existantes d’évolutivité du lieu. Dans le cas présent, condamner l’accès aux combles n’était pas irrévocable, la construction d’une nouvelle volée d’escalier sur les bases de celui qui serait conservé dans les étages inférieurs était tout à fait envisageable dans le futur. Le dernier argument qui a fini de me convaincre a été de dire que dans le cas d’un risque de ruine comme celui-ci, s’attacher à « bien » faire sur les parties sur lesquelles nous pouvions intervenir plutôt que de ne rien faire du tout était dans l’intérêt du bâtiment. Le projet naît ainsi de l’émulation de l’ensemble des acteurs de la maîtrise d’ouvrage et d’aller-retour permanents entre les membres de l’équipe. Chacun amène sa pierre à l’édifice et la réussite du projet dépend d’une équipe et de sa capacité à communiquer.

. Extension et restructuration d’une maison d’habitation : Relation de confiance entre maître d’ouvrage privé et maître d’œuvre. Lorsque j’ai commencé la formation à l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre, il a été convenu avec l’agence que j’aurai la « responsabilité » (dans la limite du possible) de quelques projets que je pourrai suivre de la phase esquisse au suivi de chantier. C’est le cas de ce projet d’extension et restructuration d’une maison d’habitation à Poitiers. C’est une maison du début XXe, construite à l’origine par un homme pour sa femme passionnée de pêche. Petit pavillon de représentation et de loisirs non adapté à la vie quotidienne, il a fait l’objet d’une première extension dans les années 80. Base carrée qui se développe sur quatre niveaux, le volume d’origine est implanté sur un terrain présentant une succession de jardins en terrasse. Le rez-dechaussée et premier étage sont en partie encastrés dans la roche. Ce projet a été l’objet de ma première rencontre avec un maître d’ouvrage. Le souhait du couple était de réaliser un agrandissement et de revoir le fonctionnement général de la maison d’un point de vue de l’usage. Mais la demande première était de ne pas dénaturer le lieu qu’ils aimaient particulièrement. Ils ont parlé d’être « discrets », d’éviter le côté

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« m’as-tu-vu » de certaines réalisations. Lorsqu’on leur a demandé de parler de leur maison et de ce qu’ils aimaient, ils ont parlé de l’extérieur, du terrain, de la situation géographique de la maison, installée dans un « écrin de verdure ». Suite à cette première rencontre, j’ai pris conscience de la responsabilité que nous avions en tant qu’architecte. Après ces quelques semaines de formation à l’école à nous rappeler sans cesse notre responsabilité, notamment sous un angle juridique, j’avais bien-sûr en tête cette notion. Mais devant ce couple, elle a pris une autre dimension. J’ai réalisé la confiance et l’espoir qu’ils mettaient en nous. La responsabilité a aussi été celle que l’on a vis-à-vis du lieu dans lequel on intervient et dans ce cas précis du paysage. Le fait est que de concevoir un projet d’école, sur papier, dans une sorte de scénario hypothétique, n’a aucune commune mesure avec celui de concevoir pour quelqu’un que l’on rencontre, dans un lieu que l’on visite, pour lequel on partage, dans le cadre de la rénovation, des considérations communes. La conception en situation « réelle » remet au cœur du projet l’intérêt de l’usager et du lieu avant celui du concepteur.

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L’existant comme support d’apprentissage « Dans la pratique, l’architecte a tout avantage à s’assurer de l’immense savoir et de l’expérience que renferme l’histoire de l’architecture. Je pense que si nous intégrons ces connaissances à notre travail, nous augmentons nos chances d’apporter une contribution personnelle. »11 Peter Zumthor, dans son approche de l’architecture, défend l’intérêt de connaître les forces des constructions passées et de s’en imprégner avant de penser aux constructions à venir. Le fait de travailler dans la rénovation ou réhabilitation m’a permis de me confronter à du construit avant d’envisager l’acte de bâtir. Et cette confrontation a mis en évidence la nécessité de comprendre comment fonctionnait ce que j’avais sous les yeux. Ainsi, les relevés de bâtiments existants, comme toute première étape du projet, ont été un véritable support d’apprentissage. J’ai fait le relevé de deux bâtiments très différents.

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Le premier relevé était celui d’un hangar des années 80, extension de

l’ancienne laiterie de Lezay, datant de 1888, transformée en lieu d’activité et de stockage pour une entreprise d’import/export de matériel de plomberie. L’agence avait déjà effectué une première phase de travaux pour la transformation des locaux, nous avons été recontactés pour un agrandissement de la zone de travail suite à l’achat d’un nouveau hangar. Le projet n’a rien d’architecturalement passionnant, il s’agit d’entrepôts de stockage laissés brut et d’une intervention à moindre coût. Cependant l’aspect technique de l’intervention était parfait pour initier un débutant, il a donc été décidé que je serai « responsable » du projet. Le relevé du sous-sol m’a permis de comprendre la structure du rez-de-chaussée. Les notions de réseaux, électricité et fluides, jusqu’alors incompréhensibles pour moi, sont devenues plus concrètes. Une fuite dans le bâtiment m’a permis de comprendre ce qu’était une étanchéité, la façon dont elle été posée et d’identifier la source de la fuite. L’avantage d’un tel bâtiment est qu’il ressemble plus à un squelette dont les éléments structurels sont facilement repérables et appréhendables, ce qui m’a permis d’identifier la trame structurelle et de comprendre ce qui pouvait ou non être démoli. J’ai réalisé en échangeant sur place avec les entreprises sollicitées pour le projet que la maîtrise des données constructives et très pratiques du bâtiment était indispensable pour pouvoir dialoguer.

11 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.23.

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« Avec ses ouvriers recrutés pour le chantier, le maître charpentier avait déjà assemblé au

sol les murs à colombages. (…) Il avait pris un soin tout particulier au choix des coulannes : de vieux pins maritimes, longtemps gemmés, abattus en hiver et par vent du nord, immergés dans l’eau après leur abattage et longtemps séchés. Pour les pièces maitresses, son choix s’était porté sur de beaux tronc de chênes pédonculés, le tauzin étant réputé porter malheur à la maison édifiée. Dans les deux sablières, ils avaient encastrés les coulannes, à tenons et mortaises. A plat terre, la façade principale avait été charpentée de la même façon (…). Une fois toutes les pièces chevillées, restait l’étape de la « lheba la maysoun » : phase cruciale où tous les bras de la maisonnée étaient sollicités pour assurer la levée des ouvrages en toute sécurité, solidement ancrés par des cordes tressées. Placés sur les dès de pierre, les quatre murs étaient assemblés entre eux par des poteaux corniers. La suite n’était pas moins délicate : il fallait poser les fermes pour maintenir le tout et résoudre le difficile assemblage des faîtages, en réservant l’emplacement pour la cheminée. Le maitre charpentier devait faire preuve de tout son art pour assurer la solidité et la pérennité de l’édifice : les entrées d’eau ne pardonnaient pas dans la région … Pour préparer les pans de bois à accueillir le torchis d’étanchéité, il fallait jouer de l’herminette et réaliser sur les coulannes des encoches où viendraient se loger horizontalement les esparrous. Il s’agissait de baguettes de noisetier entre lesquelles seraient entrelacées, comme tissées, les torches de paille de seigle que les anciens avaient préparé la veille (…). La place était enfin libre pour le maçon, en charge des finitions.(…) Une première couche de mortier, sable, chaux et argile ; puis une deuxième couche de sable et chaux seuls pour assurer l’étanchéité ; enfin un badigeon de lait de chaux pour lutter contre les insectes et les champignons. Si l’édification de la maison relevait du seul art du charpentier, la mise en place de la cheminée était un bel exercice de maçon. »

Duplantier Dominique, Maisons des Landes, Editions Cairn, 2014, p.80

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Le deuxième relevé a été celui de la maison d’habitation évoquée

précédemment. La maison a déjà fait l’objet d’une première extension dans les années 80, en partie encastrée dans de la roche.

Cette présence sur un même

bâtiment de deux époques de construction différentes est un nid de découvertes pour un débutant en matière de construction. L’échelle d’intervention est très différente de la précédente. Les murs de pierre de la construction d’origine s’opposent à ceux en parpaing de la deuxième. Les logiques d’isolation sont différentes. J’apprends à lire et à écouter parler un bâtiment, à comprendre que le sens de pose d’un parquet me donne des indications sur le sens de portée de la structure cachée par les faux plafonds. Le décalage constaté après relevé entre rez-de-chaussée et premier étage indique que le rez-de-chaussée est en partie sous la roche, ce qui donne une explication à la voute de la cuisine et à l’humidité présente sur le mur de façade. En tapant sur les murs, mon tuteur d’agence m’apprend à reconnaître une cloison brique, d’un revêtement placo, ou d’un mur porteur … Tout devient soudain plus clair. En dernière anecdote, je citerais ma découverte des subtilités de la menuiserie. J’ai eu à redessiner un projet à partir d’un relevé de géomètre, arrivé en cours d’APD suite au constat d’une erreur de relevé de plusieurs dizaines de centimètres. Au moment de dessiner les menuiseries extérieures, j’ai réalisé qu’il n’y en avait pas deux pareilles (en plan). Nous étions dans le cadre de la transformation d’un îlot de la ville d’Angoulême en école de cinéma et plateaux de productions d’un studio d’animation ; dans de l’existant donc. J’ai ainsi appris ce qu’était une pose de menuiserie en tunnel, en feuillure ou en applique. Inutile de préciser que je ne savais même pas que ces différences existaient. Au-delà de l’intérêt de l’existant pour commencer à comprendre comment s’articulent les différentes parties d’un bâtiment, certains bâtiments témoignent d’une intelligence tant dans la construction que dans l’implantation ou le choix des matériaux qu’il est utile de connaître et de comprendre. L’observation de ces bâtiments, notamment les vieilles fermes en milieu rural permet de prendre conscience que bâtir intelligemment résulte d’une longue observation et appréhension de ce qui nous entoure. (cf extraits ci-contre de l’ouvrage « Maisons des Landes », illustré par Dominique Duplantier.) Il y a des choses qui relèvent simplement du bon sens et dont les logiques n’ont rien à envier à celles des RT actuelles. L’étonnement de Peter Zumthor, me revient : « Pourquoi les architectures récentes montrent-elles si peu de confiance dans les choses essentiellement propres à l’architecture : le matériau, la

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construction, les charges et les appuis, la terre et le ciel (…) »12 Comme le suggère l’architecte à la jeune génération d’ignorants que nous sommes : « Pour donner à un bâtiment une structure claire et logique, il faut le concevoir selon des principes rationnels et objectifs. »13 Or, pour pouvoir concevoir selon des principes rationnels et objectifs, encore faut-il comprendre et connaître les bases d’une réalité construite. Force est de constater que j’ai tout à apprendre dans ce domaine et une vie d’architecte pour le faire. Ainsi, sans avoir besoin d’être un spécialiste dans chaque domaine, être un bon généraliste me semble être la clé d’une relation équilibrée entre maître d’œuvre, entrepreneurs et artisans.

12 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.33. 13 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.19.

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La matière

A la fin de la rédaction de mon mémoire de master, j’ai compris que l’architecture prend un sens particulier lorsqu’elle tend à se rapprocher d’une forme de justesse (ou de vérité) par rapport à une situation donnée. Lorsqu’elle exprime autre chose qu’elle-même, l’architecture nous emmène ailleurs. Je réalise aujourd’hui qu’une donnée essentielle pour alimenter cette recherche de vérité est la matière. Et je l’ignorais simplement parce que je n’y avais été que très rarement confrontée dans le cadre de la conception. Dans le processus du projet, j’avais jusque-là été confrontée à mon écran d’ordinateur, à ma feuille blanche et à mon crayon. C’est à l’agence que j’ai commencé à associer la matière à la conception. Toucher la matière, les échantillons, voire la manière dont la lumière se reflète dessus, y associer des odeurs, des textures, des couleurs, des sensations et les faire parler dans un projet. Siegfried Giedion a écrit à propos de Franck Lloyd Wright : « Il s’intéressa aux éléments qui traînaient partout inaperçus, éléments issus de solutions purement utilitaires, et il découvrit dans ces matériaux bruts leur force d’expression cachée, (…). Il mit ces éléments en valeur, les modifia, ouvrit nos yeux, à leurs possibilités secrètes et à leur beauté intrinsèque, révélant leur puissance symbolique comme un poète nous révèle l’âme des arbres et des montagnes, des rivières et des lacs de son pays. »14 Certainement par analogie à la façon dont les architectes avec qui je travaille ont de considérer le matériau, mais surtout parce que cette manière d’aborder la matière me semble juste, mes convictions se dessinent sur une attitude à adopter face à la matière. On produit de plus en plus de matériaux sur mesure pour répondre aux modes et tendances, ainsi, « chaque saison de prêt-à-construire apporte son lot d’innovations et de variations sur catalogue, selon les évolutions normatives et techniques mais également selon les modes et les tendances. »15. La matière d’origine devient finalement invisible derrière toutes les transformations qui créent les matériaux composites. La pérennité d’une construction, sa durabilité au-delà des styles, propres à des époques définies, ne tient-elle pas à la façon dont on utilise la matière ? Ne peut-

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Giedion Siegfried, Espace, Temps, Architecture, Bruxelles, La Connaissance, 1968, p.241 Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014, p.20

15 Encore

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on pas considérer que moins la matière est affectée, plus elle exprime son potentiel ? « Longtemps la matière a été travaillée sans en modifier l’intégrité physique. Une multitude d’opérations de découpage, de calibrage, de cuisson, de façonnage donne lieu à une multitude de variantes à partir des ressources naturelles. » 16 La clé ne serait-elle pas de faire des projets sur mesure à partir de matières naturelles plutôt que de créer des matériaux sur mesure pour satisfaire des concepts éphémères ? On remarque par ailleurs que «les matériaux naturels font de belles ruines contrairement aux matériaux de synthèse dont on ne lit finalement que la cause finale pour laquelle ils ont été conçus.»17 Même si nous ne seront probablement plus là pour y assister, si nos constructions devenaient des ruines, ne préfèrerions-nous pas qu’elles soient expressives et que leur aspect racontent une histoire, celle du travail de la main de l’homme qui l’a façonné plutôt que celle de la machine qui a commencé à la détruire ? « Demandez à la brique, que veux-tu être ? Et la brique vous répondra : je veux être une arche » Cette citation connue de Louis Khan exprime une autre idée qui m’intéresse : celle d’utiliser la matière en respectant ses propriétés intrinsèques avec une forme de vérité constructive. Utiliser la pierre comme parement me pose question par exemple, tout comme le fait d’utiliser le métal pour exprimer l’idée de masse.

16 Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014, p.20 17 Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014, p.29

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III.

ÊTRE ARCHITECTE ? OUI. A tout prix ? Non.

Le titre de cette partie n’a pas été choisi au hasard, il me permet d’aborder dans un premier temps la question de la valeur du travail de l’architecte, notion qui m’avait relativement échappée jusqu’à présent, certainement parce que je n’avais pas été confrontée au fait de vendre mon travail. Ma première prise de conscience de ce qu’était réellement le prix d’une prestation d’architecte a été lorsque je me suis retrouvée en face du contrat que l’agence pour laquelle je travaille venait de signer avec un couple pour qui j’allais dessiner puis être « responsable » de l’extension et restructuration de leur maison d’habitation. Il m’a été demandé, à l’agence, d’analyser le contrat et l’annexe de celui-ci détaillant une rémunération au temps passé (mode de rémunération choisi par l’agence dans le cadre de marché privé pour des particuliers) ; non pas pour coller à la perfection aux heures indiquées - ce qui me semble tout à fait

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impossible - mais pour avoir conscience du travail vendu et du temps estimé à le réaliser. Mon premier reflexe a alors été de rapporter les honoraires affichés à un pourcentage du montant des travaux ; je me suis presque offusquée de constater qu’ils étaient largement au dessus des 10 ou 12 % que j’avais en tête. En échangeant avec les architectes de l’agence sur le fait que les honoraires me semblaient élevés, ils m’ont simplement répondu de regarder le temps indiqué en face de chaque phase et d’estimer à mon tour ce temps. J’ai bien sûr pu constater que j’aurais certainement indiqué un temps supérieur en toute honnêteté et que leurs honoraires traduisaient simplement la rémunération du temps passé à travailler, sans excès. Les clients n’ont d’ailleurs pas été scandalisés de payer un travail clairement détaillé. Je me suis alors demandée comment il était possible de se payer en répondant à 4 ou 5 % dans le cadre de marché public et comment les maîtres d’ouvrages eux-mêmes (du moins les sachant) pouvaient éthiquement contribuer à ce genre de pratique sans avoir la sensation de tuer notre profession. Après les séances très rationnelles de comptabilité et de simulation de proposition de rémunération dans le cadre de la formation à l’école, je me suis sentie prête à défendre l’idée de vivre décemment de mon métier et armée pour justifier le coût de mon travail. Et si la maîtrise d’ouvrage ne partageait pas cet avis, je ne travaillerais pas pour celle-ci.

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1. Exercer à certaines conditions Après cette parenthèse sur le « prix » de notre travail, la réponse « Non » à la question « architecte à tout prix ? » est aussi une façon de m’interroger sur le fait d’être capable de renoncer ou non à certaines choses dans le cadre de l’exercice de la profession. Certaines données m’ont ainsi semblées essentielles et non négligeables et m’ont permis de me fixer quelques règles à respecter dans la définition d’une future pratique professionnelle.

Accepter de ne jamais maîtriser l’œuvre En recherchant les synonymes du mot « maîtrise », j’ai trouvé quelques mots qui me confortaient dans l’idée que ce terme me posait question : «contrôle », « pouvoir », « possession ». Ce ne sont évidemment pas les seuls et j’ai volontairement choisi ceux qui impliquaient à mon sens quelque chose d’inapproprié. En effet, l’œuvre n’est pas toujours contrôlable, nous n’avons pas tout pouvoir sur elle et elle ne nous appartient pas. Nous contribuons à la définir mais nous ne sommes pas seuls à y travailler. En effet, de l’esquisse à la réalisation des travaux, nombreux sont les intervenants qui participent à l’évolution du projet, que ce soit l’équipe de maîtrise d’œuvre ou les artisans, le maître d’ouvrage ou encore les intervenants imprévus que l’on nommera « Aléas ». Travailler dans le cadre de l’existant m’a permis de constater la grande part d’aléas à laquelle nous sommes exposés. Nous pouvons supposer des choses mais la découverte de certaines données imprévisibles impliquent souvent une modification ou une évolution du projet et donc de l’œuvre. En nous rendant sur un chantier d’extension et rénovation de grange en maison d’habitation avec mon tuteur, nous avons reçu un appel paniqué du maçon qui venait de toucher une veine d’eau en creusant la future cave à vin du maître d’ouvrage. La cave à vin est rapidement devenue une piscine et le maçon nous demandait quoi faire ? D’autres synonymes de « maîtrise » me sont alors venus à l’esprit : « sang-froid », « savoir-faire ». Il a fallu réagir vite sans perdre son sang-froid, en faisant preuve de savoir-faire. La première réaction a été de demander de stopper l’intervention en attendant notre arrivée. Nous sommes arrivés sur les lieux, le niveau de l’eau s’était stabilisé entre temps et la

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Extension et rénovation d’une grange en maison d’habitation Démarrage du chantier / Nanclars (16)

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piscine ressemblait plutôt à une pataugeoire, ce qui était moins gênant mais ne convenait toujours pas pour une cave à vin. J’ai assisté à un échange sur le terrain entre l’architecte, le maître d’ouvrage et le maçon qui ont ensemble et avec les suggestions de chacun trouvé une solution pour conserver la cave à vin. Pour ne pas creuser plus profondément, la hauteur de la cave initialement prévue à 2,05 m a été revue à 1,85m sur accord du « petit » maître d’ouvrage (la chance est parfois de la partie). Un cuvelage étanche sera réalisé au sol (initialement prévu naturel) et jusqu’à 1,20 mètre de haut sur les murs puis des parpaings ajourés seront disposés entre 1,20m et 1,85m sur les murs périphériques de la cave de façons à permettre une hygrométrie et température satisfaisante. Le remblai autour de la cave sera ventilé grâce à une grille disposée au pied du mur de la grange afin que l’air circulant dans la cave soit sain. Un deuxième projet de réhabilitation de maison d’habitation a soulevé une question importante au moment des échanges sur le projet avec les maîtres d’ouvrage. En effet, la maison en partie encastrée dans la roche gardait quelques mystères. Il nous était pour l’instant impossible de dire si l’escalier que nous envisagions de démolir était construit sur un sol horizontal à même niveau que le reste de la maison ou si il était sur de la roche qui n’avait pu être creusée plus. Il a donc fallu expliquer aux clients que le mystère resterait entier jusqu’à démolition et que le cellier volontairement généreux serait peut-être en partie habité par un gros rocher. Dans le cas présent, l’analyse de mon tuteur a permis d’anticiper le problème dans la conception et de prévenir le couple de ce possible désagrément. Ce genre de nouvelle est toujours plus sympathique lorsqu’on s’y attend. Un dernier synonyme de maîtrise me vient alors : « habileté ». Mon tuteur a été assez habile pour amener le sujet avec ironie et suggérer qu’un rocher dans le cellier serait comme le trésor de la maison… Ce type de découverte n’impactera pas le budget mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas et je réalise qu’une petite marge « aléas » dans le chiffrage des travaux, notamment dans le cadre de l’existant, n’est pas sans intérêt. Une autre dimension que l’on ne maîtrise pas à propos de l’œuvre est l’usage qui en est fait. Et accepter de ne pas maîtriser celui-ci revient à laisser une part de liberté à ceux qui vont occuper les lieux et découvrir, parfois avec surprise que l’usage auquel vous auriez pensé n’est pas celui que les occupants vont privilégier. Le miroir d’eau de Bordeaux en est un bon exemple, initialement conçu comme miroir d’apparat pour refléter l’image de la place de la Bourse, il est aujourd’hui pratiqué par des milliers d’enfants ou plus grands pour un rafraîchissement estival.

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Le Fou, Picasso, 1904

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Dessiner, croquer, esquisser Dans une période où le BIM tente de s’infiltrer dans nos modes de conception, le dessin de la main de l’homme reste un outil accessible à tous dont les propriétés ne seront jamais concurrencées par celles d’un dessin produit par ordinateur. Au début de mes études à l’école d’architecture, je cherchais souvent des livres pour trouver des influences de projets. Paradoxalement, les ouvrages présentant des projets d’architecture variés ne me parlaient pas à l’époque. Je n’avais aucune culture dans le domaine et le langage architectural (plan, coupe, vues 3D…) ne me transportait pas. A l’inverse, j’étais passionnée par les dessins ou croquis d’architectes et passais des heures à essayer d’imaginer des projets à partir de croquis, me projetant à des kilomètres du projet qu’ils étaient sensés représenter. Le dessin exprimait autre chose pour moi, quelque chose de sensible, de propre à celui qui l’avait réalisé. Celui qui dessine interprète ce qu’il voit en choisissant, consciemment ou non, de ce qu’il représente, ce qui rend le résultat unique. Plus tard, c’est en voyage que je me suis servie du dessin, pour garder en mémoire ce que j’avais sous les yeux. Dessiner implique d’entrer dans une sorte de bulle, de regarder longtemps, de porter une attention à des choses que l’on ne voit pas forcément au premier coup d’œil, de s’imprégner plus intensément du sujet et d’en profiter pleinement. Le dessin est parfois un moment un peu égoïste que l’on passe avec soi-même. Contrairement à une image de synthèse soumise aux styles de représentation, le croquis n’a pas d’âge. Il me semble qu’il exprime toujours la même force des années plus tard. Il n’y a pas de filtre entre le tracé du croquis et la pensée. Les traits sont les mots de la main, ils s’expriment librement, sans retenu et c’est souvent après coup que l’on essaye de les déchiffrer. Le croquis est souvent sale, taché, il est livré brut. Il ne craint pas d’être raturé, à moitié effacé, accolé à d’autres ou esquissé à côté d’une tâche de café. Il n’a pas de support de prédilection, il est spontané et se livre n’importe où. Le dessin est aussi un outil de compréhension des différents éléments qui tendent à faire basculer le projet du dessin à la réalisation. En effet, à partir d’un certain stade, le projet approche de sa concrétisation et le dessin oblige à s’interroger

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sur ce que les coupes et plans n’ont pas encore montré. La phase PRO est alors l’occasion de tout décortiquer sous forme de petites axonométries (à l’agence) et d’entrer dans le détail. C’est aussi souvent le moment de mettre en lumière certaines zones d’ombres du projet qu’il est nécessaire d’élucider. Le dessin est alors le moyen de donner forme aux assemblages et de comprendre comment le projet sera réalisé. Au-delà de son potentiel d’expression et de compréhension, le dessin est aussi un outil de communication. Dans un projet, lors des échanges avec le maître d’ouvrage, entre architectes lors de la conception, ou sur le chantier avec les entreprises, arrive souvent le moment de dire « je ne comprends pas ce que vous voulez dire », le dessin est alors un moyen rapide et efficace d’exprimer la même idée, autrement qu’avec des mots, de l’illustrer et de la rendre compréhensible plus facilement. J’ai découvert pendant la mise en situation professionnelle que le dessin était également un moyen de laisser de la place au maître d’ouvrage et de concevoir avec lui. A l’agence, les phases esquisses, (autres que les concours) sont toujours présentées au maître d’ouvrage sous formes de dessin (plan/coupe/perspective) à main levée. Lorsqu’on m’a confié le projet d’extension de maison des particuliers dont il était question plus haut, je ne m’attendais pas à leur présenter nos premières recherches de manière si informelle. J’avais l’impression que ce ne serait pas assez crédible, comme si l’idée de ne pas présenter un « rendu d’école » revenait à ne pas avoir travaillé assez. J‘ai pu échanger avec les architectes avec qui je travaillais pour essayer de comprendre ce qui motivait ce parti pris et leur faire part de mes appréhensions. J’ai compris que ce choix n’était pas gratuit et qu’il permettait de ne pas figer le projet afin que les clients puissent se l’approprier et travailler avec nous sur la définition de celui-ci. Ils m’ont expliqué qu’ils n’avaient pas toujours travaillé comme ça et qu’ils avaient remarqué que depuis ce changement, les maîtres d’ouvrage se concentraient sur le projet lui-même plutôt que de se focaliser sur un détail qui n’avait pas d’importance à ce stade du projet. J’ai compris l’intérêt de procéder par étape et de ne pas livrer tout de suite une version définitive de façon à laisser le choix, la possibilité de revenir en arrière ou de bifurquer vers les ouvertures permises par le dessin. J’ai d’ailleurs pu vérifier ces propos lors de la présentation de l’esquisse au couple pour qui je travaillais. Peter Zumthor aborde la question de l’esquisse avec cette idée de processus en cours : « Dans mon travail j’accorde beaucoup d’importance aux esquisses, qui se rapportent explicitement à une réalité encore à

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venir (…) Ainsi conçus, les dessins nous permettent un retour en arrière, un regard et l’apprentissage de la compréhension de ce qui n’est pas encore mais commence à exister.»18

Laisser le temps au temps dans une société de l’urgence

Le temps est en permanence réduit au minimum et il faudrait toujours avoir fini pour hier. Pourtant le temps est nécessaire et prendre le temps de faire, de répondre, de penser, d’organiser n’est pas du temps perdu, mais du temps gagné pour demain.

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Le temps dans le processus de projet : Dans le processus de projet, le maître d’ouvrage nous pousse à toujours

réduire les délais. Mais réduire passe par supprimer des choses, et la suppression impacte la qualité : « Construire c’est accumuler, économiser, mettre du temps (et de l’énergie) en réserve. En d’autres termes, et à l’inverse de l’acte de consommer, c’est donner de l’espace au temps ou du temps à l’espace, ralentir le processus entropique qui précipite les choses et les objets vers leur désintégration. »19 Il y a un temps facilement justifiable qui est celui du faire mais il y a aussi un autre temps incompressible, celui de la réflexion, autant pour le concepteur que pour le maître d’ouvrage ou l’entreprise. Le temps permet de prendre du recul, de sortir du projet pour y revenir plus tard avec un regard différent. Le temps laisse la place au doute et à la remise en question, il donne de la liberté et de la respiration au processus de projet, il permet d’être sûr de prendre la bonne décision. Lorsque nous avons présenté les différentes phases de projets et le temps alloué à chacune d’entre elles, le couple concerné par le contrat en question nous a tout de suite indiqué que l’on pouvait réduire les temps que nous avions appelé « réflexion maître d’ouvrage ». Nous leur avons expliqué que ce temps serait probablement nécessaire pour eux, et que nous en reparlerons. Quelques mois plustard, à la fin d’un rendez-vous de présentation de phase AVP, ils nous ont confié que

18 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.13. 19 Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014, p.107.

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« Le temps est une chose étrange.

Il domine notre vie comme nulle autre mesure. En fin de compte, tout tourne autour du temps : Celui que nous avons, celui que nous n’avons pas, celui qui nous reste. C’est le temps réel. Un jour, dix mois, cinq ans. Mais il y a aussi le temps ressenti, frère lunatique du temps réel. Celui qui transforme une heure d’attente en trente-six heures, celui qui nous fait brutalement passer d’une heure destinée à régler une affaire importante à huit pauvres minutes. Le temps court devant, il rampe derrière, et il N’existe qu’un moment précis où nous le dominons. Ce sont ces rares instants où, parfaitement en prise avec lui, nous ne le sentons plus s’écouler. Alors, nous immobilisons ses engrenages dentés et Traversons la vie sans effort, en roue libre. »

Nicolas Barreau, Tu me trouveras au bout du monde, Editions Héloïse D’Ormesson, 2015, p.240

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nous avions raison et que dans le tourbillon d’une vie quotidienne, il n’était pas toujours aisé de prendre ce temps de pose pour penser. Chacun a souvent tendance à penser à son propre temps, son rythme, mais il y a aussi le temps des autres ; Notamment celui des autres membres de l’équipe de maîtrise d’œuvre, le temps qu’on leur laisse pour travailler après nous sur le projet. On a souvent tendance à vouloir le compresser mais leur temps est à respecter au même titre que le nôtre. Il y a le temps propre au chantier, celui dont les matériaux ont besoin pour prendre ou sécher qu’il n’est pas judicieux de raccourcir, celui des échanges avec les entreprises. J’appréhendais par exemple de ne pas savoir répondre à une entreprise sur un chantier, de ne pas savoir tout court. En effet, les entreprises poussent souvent à une urgence de réponse. Les échanges avec les architectes de l’agence m’ont permis de comprendre qu’il fallait savoir résister pour le projet, se permettre de prendre en considération la question et de trouver la solution la plus appropriée ce qui peut parfois prendre du temps. Au fil de la discussion, mon angoisse reprend soudain le dessus « Et en cas d’urgence on fait quoi ? », ce à quoi il m’ont répondu : « en cas d’urgence rien n’empêche une solution provisoire pour se laisser le temps de réfléchir. »

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Le temps dans la gestion de l’agence : Le métier d’architecte ne se limite pas au processus de projet. Il y a une autre

dimension qui prend un temps considérable qui est celle de la gestion d’une entreprise. On pense tout d’abord au temps passé sur les tâches administratives en tout genre qui n’est pas facilement condensable d’autant plus qu’il ne dépend pas toujours de nous. Les coups de fil permanents pour relancer les entreprises, obtenir un devis, être payé grignotent le temps et il n’est pas rare qu’une journée soit passée sans avoir pu trouver une minute pour commencer à travailler sur le projet. A partir du moment où on exerce à plusieurs, on ne pense plus uniquement pour soi mais pour l’ensemble des membres de l’entreprise, et la recherche de nouveaux marchés est peut-être plus urgente lorsqu’on doit assurer la rémunération de ses salariés ou des autres associés que la sienne uniquement. Pourtant le temps de se constituer un réseau de connaissances, bureaux d’étude, entreprises, potentiels maîtres d’ouvrage avec lesquels s’instaure une confiance mutuelle, est long et se

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construit sur le long terme. Et lorsque ce réseau est constitué, il n’est jamais acquis et il faut prendre le temps de l’entretenir.

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Le temps que l’on garde à côté : J’aime le métier que j’ai choisi mais je l’aime la semaine et le jour seulement. Si

il y a une règle qui me semble indispensable c’est de respecter un temps pour soi, un temps pour décrocher, voyager, découvrir, rencontrer, prendre du plaisir, vivre ! Et plus ce temps est respecté plus le temps passé à travailler est agréable. De plus le temps pris en dehors de l’agence nourrit le travail et la réflexion. L’agence et la conception sont une sorte de bulle de laquelle il est nécessaire de sortir pour que les projets restent ancrés dans la réalité.

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2. S’associer à une structure existante, s’investir et poursuivre son apprentissage

Il y a un an, lorsque j’ai poussé les portes de l’agence, je n’aurais jamais pensé que les trois architectes associés allaient me proposer de rester pour devenir la quatrième architecte de l’Atelier du Trait. Je suis arrivée à l’agence sans aucun plan de carrière, avec simplement l’envie de découvrir ce métier et de le pratiquer. J’avais plutôt tendance à penser que ça allait beaucoup m’apporter mais j’étais loin d’imaginer que je pouvais, moi aussi, apporter quelque chose à l’agence. Après avoir réalisé l’ampleur de la proposition, toute une série de questions est soudain arrivée. S’associer à 25 ans, n’est-ce-pas trop tôt ? Ne faudrait-il pas multiplier les expériences pour voir d’autres façons d’exercer ? S’associer à une structure existante, est-ce choisir la facilité ? Est-ce-que je souhaite m’installer dans une région où je n’ai pas d’ancrage familial et peu de connaissances ? Quelle sera ma position vis-à-vis des trois autres associés ? Mon jeune âge et mon manque d’expérience ne vont-ils pas créer un déséquilibre de fait ? Avons-nous réellement la même façon de concevoir ? Qu’est ce que je peux leur apporter ? Après l’excitation de la proposition et l’angoisse des interrogations qu’elle soulevait, j’ai pris le temps de réfléchir et de tenter de répondre pas à pas à chacune d’entre elles pour me décider.

L’association en question

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S’associer à 25 ans, n’est-ce-pas trop tôt ? Ne faudrait-il pas multiplier les

expériences pour voir d’autres façons d’exercer ? Après réflexion je me suis dit qu’être prêt à s’engager n’était pas une question d’âge mais de ressenti et d’envies. J’ai toujours beaucoup fonctionné à l’intuition et il est fort probable que la même proposition au sein d’une autre agence ne m’ait pas du tout inspiré les mêmes envies. Cette décision est entièrement liée à l’agence et aux personnes que j’ai rencontrées, avec qui je me sens bien. Je souhaite exercer par

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conviction et avec plaisir et non seulement pour vivre. Il sera sans doute plus évident de le faire au sein d’une agence pour laquelle je m’engage personnellement en envisageant cette association comme une aventure partagée avec des personnes dont les valeurs et l’éthique me correspondent. Concernant la multitude d’expériences, je me suis rendue compte que chaque nouvelle expérience m’apporterait sans doute quelque chose de riche et de différent mais que j’avais besoin de m’investir pleinement dans mon travail et que changer sans cesse de lieu ne ferait que retarder ce moment.

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S’associer à une structure existante, est-ce choisir la facilité ? Est-ce-que je

souhaite m’installer dans une région où je n’ai pas d’ancrage famillial et peu de connaissances ? Je me suis posée la première question assez tôt, la réponse plus difficile à la deuxième m’a permis de répondre à la première par non. Certes il y a de nombreux avantages à s’associer à une structure déjà existante notamment celle de ne pas partir de rien pour démarrer son activité professionnelle. En effet, un réseau professionnel est déjà constitué, des projets sont en cours, la gestion de l’agence est déjà pensée, l’expériences de mes ainés est rassurante … Mais l’idée de compléter une structure existante plutôt que de créer sa propre structure (peut-être par fierté de réussir seul ?) me semble être un défi intéressant. Au même titre que le déjà-là dans la rénovation, l’existant dans une société d’architecture implique de s’y intéresser, d’analyser un fonctionnement et de s’y adapter, d’y trouver un sens et de se l’approprier, de le questionner aussi. De plus, s’associer ne signifie pas de renoncer à faire évoluer une pratique, il s’agira de la faire évoluer à plusieurs, dans un but commun : celui de l’agence. La deuxième question a été la plus complexe à gérer. J’y ai finalement trouvé une réponse. Puisque le travail est le lieu sur lequel on passe les trois-quart de son temps, je souhaite m’installer dans une région où je pourrai exercer mon métier de la façon qui me correspond le mieux, le reste suivra, avec le temps. Concernant le quart du temps restant, la France est assez bien desservie et la Vienne est dans une position plutôt intéressante entre le sud-ouest et le nord-est …

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Quelle sera la forme juridique de cette association et quelles en seront les

contraintes, avantages et inconvénients ? Dans les faits, je suis salariée jusqu’au 30 septembre 2016, ce qui nous laisse quelques mois pour analyser les notions juridiques et les clauses détaillées de cette association autant pour les trois associés que pour moi. Un rendez-vous a été pris par l’agence, début avril, avec un avocat pour être conseillé et avoir une proposition de montage juridique avec ce que l’association impliquerait financièrement pour chacun. Un délai de deux mois a été donné par l’avocat pour faire sa proposition.

Complémentarité et remise en question

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Quelle sera ma position vis à vis des trois autres associés ? Mon jeune âge et mon

manque d’expérience ne vont-ils pas créer un déséquilibre de fait ? Avons-nous réellement la même façon de concevoir ? Qu’est-ce que je peux leur apporter ? Le fonctionnement horizontal de l’agence et la faculté des trois associés à être à l’écoute ont contribué à me laisser m’exprimer librement et à trouver ma place. Je suis parfaitement consciente de mon manque d’expérience mais il ne me l’ont jamais fait sentir, lorsque nous parlons d’un projet (puisque les séances de conception sont souvent collectives) je peux m’exprimer autant qu’eux et je n’ai pas la sensation que ce que je dis à moins d’importance. Si j’ai tendance à oublier les arguments financiers ou techniques de certaines propositions, ils sont simplement là pour me les rappeler. Ma position vis-à-vis des trois architectes sera finalement probablement la même qu’aujourd’hui. En pensant à leur façon de travailler, j’ai réalisé qu’aucun des trois associés n’abordait le projet de la même manière. Ils ont eu trois formations différentes, l’école de Strasbourg pour Guillaume, celle de Paris Belleville pour Estelle, Toulouse et Clermont Ferrand pour Louis. Ajouté à cela, leurs vécus différents, ils ont autant de façons de concevoir qu’ils sont d’architectes. Le fait d’être différent n’a jamais posé de problème à partir du moment où chacun respecte les différences de l’autre et où personne ne revendique la sienne. Leurs différences enrichissent les projets et rendent les trois architectes complémentaires. Je commence à comprendre que le fait que j’intègre le trio ne fait qu’enrichir à nouveau le fonctionnement. Une quatrième

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formation entre en jeu, celle de Bordeaux puis Bangkok, un nouveau vécu et surtout une nouvelle génération. Le fait qu’ils aient un mode de fonctionnement bien rodé que je découvre du tout au tout peut présenter l’avantage d’un regard neuf sur leur pratique. Découvrant tout, je pose sans cesse des questions sur des choses qui m’interpellent et qui leur semblent maintenant évidentes et le fait de les questionner les pousse à se remettre en question et à envisager d’autres manières de faire ou à expliquer leur choix puis à m’en convaincre. Le mélange des générations met en avant des préoccupations et questionnements différents, une culture différente de l’architecture. Leurs compétences équilibrent mon ignorance et ma naïveté questionne leurs certitudes.

Apprendre au quotidien Cette sous-partie ne fait pas l’objet d’une question puisque si il y a une chose dont je suis certaine c’est que cette association sera l’occasion de profiter quotidiennement de ce que m’apportent déjà chacun des trois associés, un savoirfaire, une expérience, du recul sur les choses et le plaisir de travailler dans la joie et la bonne humeur. Pendant cette mise en situation professionnelle, j’ai particulièrement aimé le fait d’être guidée sans avoir l’impression de devoir faire comme ou à la manière de. Je me suis sentie libre d’agir comme il me semblait juste ou pertinent de le faire tout en ayant la possibilité de demander de l’aide ou d’être conseillée. Les échanges avec les architectes me permettaient de comprendre comment chacun d’entre eux avait l’habitude de procéder aux différentes phases de projets (très différemment les uns des autres) et de trouver ma propre voie. Il semble qu’il n’y ait pas de raison que cela change avec un nouveau statut.

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CONCLUSION // Avec quelques mois de recul, ce qui n’est que très peu, je dirais que l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre représente pour moi un passeport pour passer du monde des idées à celui du concret. Et comme dans tout voyage en terre inconnue, l’apprentissage d’une nouvelle culture, d’un nouveau langage, de nouveaux codes… prend du temps et je n’aurais la prétention de penser pouvoir maîtriser l’œuvre en quelques mois. Comme en témoigne Peter Zumthor : « L’acte de construire représente (…) le cœur même de tout travail architectural. Là où les matériaux concrets sont assemblés et édifiés, l’architecture imaginée devient une part du monde réel. »20 . Ces mois de formation m’auront simplement donner l’envie de m’ancrer et de m’investir dans le monde réel, d’en découvrir plus encore et de ne surtout jamais m’arrêter d’apprendre. Cette mise en situation professionnelle m’aura également donné la conviction d’avoir choisi le bon métier, celui que j’aurai plaisir à exercer en ayant la certitude d’être bien entourée. Enfin, j’ai réalisé que si j’avais hâte d’entrer en pays du concret, je n’étais pour autant pas convaincue de vouloir définitivement quitter celui des idées. La richesse de ce métier n’est-elle pas justement d’avoir la possibilité d’avancer, un pied dans chacune de ces deux contrées ?

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Peter Zumthor, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p.10-11.

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REMERCIEMENTS //

Aux différentes personnes qui ont été présentes, de prés ou de loin pendant ces 6 années d’études et qui ont toutes contribué à leur manière à faire de moi ce que je suis aujourd’hui :

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L’entreprise Ponciano, première expérience du bâtiment,

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Les copains de l’Ensapbx avec qui j’ai partagé moments de joie, de

frustration, de simplicité, de colère, d’échanges, de rires, de vie !

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Les thaïlandais rencontrés pendant mon année d’échange à Bangkok.

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Pascale De Tourdonnet, Laurence Chevallier, Jean-Philippe Rouzaud,

enseignants bienveillants et motivants.

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L’Atelier du trait au complet, Estelle, Guilaume, Louis et Laurence de

m’avoir ouvert les portes de leur agence et de m’y avoir laissé prendre mes marques au point de m’y sentir un peu comme chez moi.

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Maïa et Nicolas, re-lecteurs attentifs et critiques,

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Ma famille qui m’a laissé aller au bout de mes intuitions sans me juger.

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BIBLIOGRAPHIE //

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Barreau Nicolas, Tu me trouveras au bout du monde, Editions Héloïse D’Ormesson, 2015

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Duplantier Dominique, Maisons des Landes, Editions Cairn, 2014

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Encore Heureux, Julien Choppin, Nicola Delon, Matière grise, Pavillon de l’Arsenal, Quart, 2014

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Giedion Siegfried, Espace, Temps, Architecture, Bruxelles, La Connaissance, 1968

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Rambert, M.Colombert, C.Carboni, Un bâtiment, combien de vies ? Cité de l’architecture et du patrimoine, février 2015

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Zumthor Peter, Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010

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ANNEXES //

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BiLAN DE LA MISE EN SITUATION PROFESSIONNELLE

Ces quelques mois de mise en situation professionnelle m’ont permis de travailler sur des projets variés à des phases différentes. Le mode de fonctionnement de l’agence m’a donné l’occasion de participer à de nombreux projets, balayant ainsi des problématiques différentes à chaque étape du processus de projet. En parallèle, il m’a été confié la « responsabilité » de quatre projets qui diffèrent par leurs usages, les connaissances qu’ils nécessitent et leur durée de réalisation. J’ai ainsi pu me confronter à l’ensemble des phases d’un même projet et rencontrer les différents acteurs de chaque projet : maîtres d’ouvrage, bureaux d’étude, économiste, entreprises … Il s’agit de l’extension et rénovation d’une maison d’habitation à Poitiers, de la restructuration d’un hangar désaffecté en lieu d’activités et de stockage d’une entreprise de plomberie, de la rénovation et mise au norme des sanitaires d’une salle culturelle, et enfin tout dernièrement, d’un concours pour la construction d’une maison de santé. Ces responsabilités, et la confiance que m’ont accordée les trois architectes de l’agence, m’ont permis de m’investir pleinement et de prendre beaucoup de plaisir dans cette année d’apprentissage. La formation m’a apporté bien plus que ce que j’en espérais, je souhaitais me confronter à la réalité du métier d’architecte et c’est chose faite. Cette confrontation a eu lieu dans l’échange et le partage. Je me suis posée beaucoup de questions et j’ai eu la chance de pouvoir en poser énormément et d’avoir en face de moi des architectes qui ont pris le temps d’y répondre en toute honnêteté. Je n’avais pas imaginé que je ferais de si belles rencontres. Si la mise en situation professionnelle m’a permis de lever le voile sur le pays du concret et de m’initier à l’exercice de la profession, elle m’a donné envie de prolonger ce voyage architectural et de m’y consacrer pleinement. La formation à l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre m’a donné les fondamentaux de la gestion d’une agence, le cadre juridique d’exercice de la profession, de nombreux conseils et les écueils à éviter et toutes les données qui permettront de se lancer dans cette aventure en pleine connaissance de cause et en toute responsabilité.

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