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Varsovie et Gdańsk vus par de futurs historiens
Table des matières
Introduction Le plus grand chantier de l’histoire contemporaine ? Un voyage à la découverte des nouveaux lieux publics consacrés à l’histoire de la Pologne, 25 ans après la chute du communisme par Pieter LAGROU_______________________________________________________________ 7
Varsovie Le Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW) par Juliette PARIZEL & Anne-Sophie VANHOUDENHOVE______________________________ 13 Juifs et Polonais se retrouvent dans un musée par Floriane DECHÈVRE & Laetitia SWYSEN_________________________________________ 23 Le Musée National de Varsovie (Muzeum Narodowe w Warszawie, MNW) par Antoine D’HAESE_____________________________________________________________ 31 Visite de l’Institut de la Mémoire Nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN) par Loïc BORGIES & Bastien DAVID________________________________________________ 39 Le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN) par Tiphaine DUPUY & Yoanna ALEXIOU____________________________________________ 43 Le Musée d’Histoire de Pologne (Muzeum Historii Polski, MHP) par Sébastien CHARLIER & Tarquin STORME_________________________________________ 49 Le Neon Museum par Loriane YERRO & Alexandra MICCICHE__________________________________________ 53 La Vieille Ville (Stare Miasto) de Varsovie par Carlotta DA SILVA & Céline SITARSKI___________________________________________ 59 Varsovie – trois quartiers incontournables par Émilie JEANRAY & Aurélie PICOT_______________________________________________ 69 Les monuments controversés de Varsovie par Angélique VERSET et & Elodie MAZY____________________________________________ 75 Le mouvement et le monde associatif LGBT en Pologne : rencontre avec Yga Kostrzewa, porte-parole de l’association Lambda Warszawa par Jonas VAN ACKER & Julie LÉPINOIS____________________________________________ 89
Gdańsk Le Musée d’Histoire de la Ville de Gdańsk (Muzeum Historyczne Miasta Gdańska, MHMG) par Hanae ASSBAYHI & Iris LEOTARD______________________________________________ 103 Rencontre avec Piotr Majewski et les responsables du Musée de la Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny Światowej) par Bilal CHOUIHDI & Kevin BURGISSER___________________________________________ 111
La Westerplatte et l’exposition « A spa – a bastion – a symbol » par Galia DE BACKER & Hélène JACQUES___________________________________________ 117 Le Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) par Aurélie COENEN & Alicia LÉONIS_______________________________________________ 123 Les chantiers navals de Gdańsk. D’hier à demain. par Virginien HORGE & Valentine DEWULF__________________________________________ 131 Les monuments controversés de Gdańsk par Maxime JOTTRAND & Nicolas BARLA___________________________________________ 141 Gdańsk, ville reconstruite par Elodie TALLIER & Nicolas LADRIÈRE___________________________________________ 151 Sopot, la « Deauville polonaise » par Geoffrey DEBAISIEUX & Alexis MOISSE_________________________________________ 159
Pologne Le bar à lait (bar mleczny) dans la culture actuelle par Céline JACQUEMART, Eline WYNS & Frédéric BEETENS___________________________ 167 Muséographie par Eloïse MOUTQUIN____________________________________________________________ 175
Introduction
Le plus grand chantier de l’histoire contemporaine ? Un voyage à la découverte des nouveaux lieux publics consacrés à l’histoire de la Pologne, 25 ans après la chute du communisme.
Pieter LAGROU professeur d’histoire contemporaine à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) titulaire du cours « L’historien et la demande sociale : entre expertise et vulgarisation »
L’
histoire se porte très bien, merci. Nos sociétés contemporaines sont traversées par une demande d’histoire toujours croissante, semble-t-il. Les commémorations mobilisent plus que jamais les gouvernements, les médias, le secteur touristique et éditorial. Les expositions temporaires, les ambitieux nouveaux musées permanents consacrés à tel ou tel événement historique, les romans et films historiques, les documentaires et bandes dessinées, les controverses et même les lois à portée historique : l’histoire nous envahit de toutes parts. De quoi combler donc les étudiants d’histoire inscrits dans nos universités, dont les compétences sont sollicitées et qui, une fois leur diplôme en poche, ont l’embarras du choix face aux nombreuses offres d’emplois ? Ou sont-ils plutôt en train de rater la vague, produits d’une formation traditionnelle qui privilégie l’archive à l’image, les notes de bas de page aux supports multimédias, le purisme académique à la capacité d’engager d’autres publics ? Les historiens seraient-ils les premières victimes de la popularité de l’histoire, marginalisés par les muséographes, romanciers, cinéastes et entrepreneurs d’histoire de tous genre ? Mais de quelle histoire s’agit-il, au juste, celle qui passionne les publics des musées et des films et celle que l’on enseigne à l’université ? Offre-t-elle plus qu’une évasion vers des époques lointaines et, si possible, exotiques, ou éclaire-t-elle notre présent ? Est-ce une histoire épouvantail, une sorte de chambre des horreurs dont on sort soulagé et réconforté
dans ses certitudes d’aujourd’hui ? Est-elle toujours avant tout une histoire nationale, ou aussi européenne et globale ? Et si elle est européenne, de quelle Europe s’agit-il ? Aussi de celle qui résulte des changements de 1989, il y a 25 ans à peine ? La fin de la Guerre Froide et de la partition de l’Europe qu’elle imposait a-t-elle déjà trouvé sa place dans nos chronologies et nos géographies mentales ?
Le reportage collectif qui suit est le produit d’un voyage d’études à Varsovie et Gdańsk entrepris par 45 étudiants de la dernière année de Master en histoire à l’ULB, qui eut lieu du 29 septembre au 3 octobre 2014. Le voyage fut une forme alternative du cours intitulé « L’historien et la demande sociale : entre expertise et vulgarisation », un cours qui regroupe tous les étudiants, quelle que soit la période de leur spécialisation – de Pericles à la Perestroïka. Le point de départ de cet enseignement est d’explorer les mille-et-une façons de représenter l’histoire autres que la monographie scientifique ou l’enseignement scolaire. Une exploration qui doit donc aussi passer par les lieux où l’on expérimente ces nouvelles façons de mettre l’histoire en récit. Or, si on cherche aujourd’hui un laboratoire où ces expériences ont lieu à très grande échelle, on ne peut trouver de cas d’étude plus interpellant que la Pologne. L’histoire polonaise a toujours été âprement controversée. Royaume médiéval, puis unie à la Lituanie dans la République des Deux-Nations du XVIe au XVIIIe siècle, la Pologne est un des États les plus puissants d’Europe et le polonais s’installe durablement comme une langue de culture rayonnant dans toute l’Europe centrale. La République périclite pourtant à la fin du XVIIIe siècle et se trouve partagée entre le royaume de Prusse, l’empire d’Autriche et surtout l’empire de Russie. La Pologne indépendante renaît en 1918, mais elle est à nouveau partagée entre l’Allemagne et l’Union Soviétique en 1939 et reste dans le giron soviétique de 1945 à 1989. Aucun autre pays européen ne subit autant de changements de ses frontières, ni ne connut autant de partages et occupations. Si la langue polonaise et la religion catholique semblent aujourd’hui donner une unité forte à la Pologne, son histoire est aussi celle de minorités qui ont historiquement représenté plus du tiers de sa population, souvent bien plus encore en milieu urbain. La disparition des Juifs, Allemands, Ukrainiens et Lituaniens de Pologne au cours du XXe siècle fait partie d’une histoire douloureuse et sanglante. Quelle est alors l’histoire que la Pologne peut revendiquer aujourd’hui, maintenant qu’elle a retrouvé sa place en Europe ? Celle d’une Pologne martyre donc, au cœur des « Terres de Sang » et toujours aux premières loges des conflits fomentés par son grand voisin à l’Est ? Un pays balloté par l’histoire et donc sans responsabilité propre ? Les Polonais s’indignent à juste titre quand on désigne de « camps polonais » les centres d’extermination installés par l’Allemagne nazie sur son territoire, mais cette indignation ne suffit pas pour évacuer la question des responsabilités polonaises dans les discriminations, 8
violences et massacres commis contre les juifs, Allemands et Ukrainiens de Pologne. 45 ans de communisme ne peuvent, de la même façon, être réduits à une occupation étrangère, comme si une partie importante de la population polonaise ne s’y est jamais reconnue, n’a jamais contribué à la construction d’une société socialiste plus juste et plus tolérante que les régimes précédents. Depuis 1989, la société polonaise se déchire sur la représentation de son passé et beaucoup de Polonais sentent aussi une frustration face à l’incompréhension ou l’indifférence de beaucoup d’Européens de l’Ouest face à son histoire si contrastée. L’histoire récente polonaise est donc riche en controverses – sur son passé communiste, sur son rapport avec ses voisins allemand, russe et ukrainien, sur son antisémitisme historique et sa participation dans le génocide des juifs, sur ses insurrections, en 1943, en 1944, en 1981, sur le rôle de l’Eglise catholique, sur Katyń, sur Jedwabne, sur des monuments, des bâtiments publics, la gestion des archives, la construction de musées. Plus que n’importe quel autre pays postcommuniste, la Pologne a investi dans la création de nouveaux lieux et nouvelles institutions pour représenter son passé. Le Centre Européen Solidarité Voir (Europejskie Centrum Solidarności, ECS), musée consacré à l’histoire du syndicat p. 123 libre Solidarność, a été inauguré le 30 août 2014 à Gdańsk. Le Musée de l'Histoire des Voir Juifs polonais (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHŻP, aussi appelé « Musée p. 23 POLIN »), après de longues controverses, a inauguré son exposition permanente le 28 octobre 2014, même si le bâtiment et les expositions temporaires étaient ouverts au Voir public depuis 2012. Le Musée de la Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny p. 111 Światowej), aussi à Gdańsk, était censé ouvrir ses portes en 2014 aussi, mais le chantier a pris du retard, même si l’exposition, réalisée par l’agence bruxelloise Tempora, est Voir prête. Le chantier du Musée d’Histoire de Pologne (Muzeum Historii Polski, MHP) à p. 49 Varsovie, dont la création fut décidée en 2006, attend encore son démarrage, mais le musée est déjà actif dans l’organisation d’événements et d’expositions temporaires. 25 ans après la chute du communisme, la Pologne est bien décidée de mettre son histoire fermement sur la carte historique de l’Europe, dans ses propres termes, conflictuels et concurrents. Déjà en 2009, à l’occasion du 20e anniversaire de la chute du communisme en Pologne, l’Institut de la Mémoire Nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN), institution elle Voir p. 39 aussi controversée dans son combat anticommuniste affiché, publiait un ouvrage programmatique It all began in Poland – la Deuxième Guerre mondiale, en septembre 1939, mais aussi la chute du communisme en 1989, dont la grève de Solidarność en 1981 fut incontestablement un prologue. Pour la création de nouveaux lieux publics – musées, monuments, institutions d’archives et de recherche – de l’histoire du XXe siècle dans les pays ex-communistes aussi, la Pologne fait aujourd’hui figure de pionnier par l’envergure et la diversité des initiatives développées. Parallèlement à ces initiatives phares, initiées par le 9
gouvernement polonais, bénéficiant d’investissements publics considérables, d’aides européennes suite à son adhésion à l’Union européenne en 2004, de prestigieux concours internationaux d’architecture et de scénographie, les initiatives non officielles pullulent aussi, des musées et tours guidés inspirés par une certaine nostalgie de l’époque communiste, rafraichissants ou kitch, des histoires minoritaires et à contre-courant qui demandent tout autant à être découverts. En Pologne, l’histoire controversée n’est pas cantonnée au musée, elle s’inscrit dans l’espace public. Varsovie, ville pratiquement entièrement rasée par l’armée allemande à la fin de 1944, l’incarne dans le contraste Voir entre la reconstruction à l’identique du centre de la Vieille Ville (Stare Miasto), et les p. 59 grands chantiers d’une reconstruction à la soviétique – grands ensembles de logements Voir sociaux, le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN), p. 43 cadeau de Staline et copie conforme des sept gratte-ciels de Moscou. Gdańsk n’interpelle pas moins son visiteur – ville emblématique des luttes polonaises, mais qui n’a gardé presque aucune trace de sa population allemande, qui représentait plus de 95% des habitants dans le recensement de 1923. L’idée de ce voyage fut donc d’aller à la rencontre de cette Pologne en ébullition. Certaines visites et rencontres nous semblaient incontournables : le ECS à Gdańsk, le musée POLIN, le MPW, l’IPN et sa gestion des archives de l’époque communiste, des initiatives originales comme le History Meeting House à Varsovie, la Westerplatte, presqu’île où éclata la Deuxième Guerre mondiale. Quelles sont les controverses sur le sort des juifs de Pologne ? Quel a été le combat politique autour des archives communistes et quelle a été leur gestion, en Pologne, par l’IPN (comparé, par exemple, à l’ancienne RDA) ? Comment se fait-il qu’une boîte de muséographie bruxelloise soit en charge de la scénographie du futur musée de la Deuxième Guerre mondiale à Gdańsk ? Comment comprendre la place si centrale de l’insurrection suicidaire de la résistance à Varsovie à la fin de l’été 1944 ? Notre Voir p. 167 exploration ne pouvait évidemment se limiter à des visites de musées et à des tours guidés. Les cantines de l’époque communiste, littéralement « bars à lait » (bary Voir p. 131 mleczne), les grands ensembles de logements sociaux, les ateliers d’artistes dans les bâtiments des chantiers navals, la plage de Sopot, les ruelles de Gdańsk, Varsovie Voir détruite et reconstruite, le Palais de la Culture et de la Culture offert par Staline, les p. 159 monuments contestés, déplacés, souillés, l’arc-en-ciel incendié et les bars gays fermés Voir par le gouvernement Kaczyński, soulèvent autant de questions fascinantes. La question p. 89 du logement social fut le talon d’Achille des régimes communistes : à la fois une priorité absolue et un échec relatif. La pénurie des logements, leur piètre qualité, le gigantisme des barres d’immeubles sont caractéristiques des sociétés socialistes, des types de sociabilité engendrés, de l’aliénation pour certains, de la solidarité pour d’autres. Gdańsk comporte l’une des barres d’immeubles les plus longues du monde (falowiec). A Varsovie, 10
des associations se mobilisent pour la réhabilitation des ensembles de logements sociaux et leur vie sociale, dénonçant l’aliénation des « gated communities » qui ont pris leur place, pour les élites postcommunistes. Autre exemple, la pénurie alimentaire, mais aussi les cantines sociales, qui existent toujours et connaissent même un certain succès teinté de nostalgie. Que nous disent-ils sur les mémoires du communisme et du postcommunisme, de la question de l’alimentation et de la consommation ? Des expositions consacrées à la Voir transformation du paysage urbain (Neon Museum) ou des initiatives, voire des boup. 53 tiques, qui tentent d’exploiter commercialement un certain kitch communiste sont aussi l’occasion de ce phénomène que l’on appelle en Allemagne « l’Ostalgie ». Une tournée des « bars à shots » nous a amenés à nous poser la question si vraiment, « le communisme est soluble dans l’alcool », selon le titre d’un petit ouvrage de 1970. La lutte contre l’alcoolisme fut le troisième cheval de bataille de Mikhaïl Gorbatchov, avec la Glasnosť et la Perestroïka. La Pologne s’est-elle européanisée depuis la chute du mur en troquant la vodka pour la bière ? Sur un tout autre plan, quelles traces garde Gdańsk de la Danzig du Blechtrommel de Günter Grass ? Et comment peut-on comprendre la reconstruction ex nihilo du centre-ville médiéval de Varsovie, après 1945, un peu à l’image d’Ypres après 1918, mais alors dans un pays exsangue et par un régime tout tourné vers la modernité ?
C’est donc un reportage collectif qui suit, produit par les étudiants, suite à un voyage qu’ils avaient aussi en grande partie géré eux-mêmes, préparant par petites équipes les différentes visites, avec des dossiers documentaires et des prises de contact avec des responsables sur place. Chaque équipe a rendu un texte personnel sur un sujet particulier. Au lecteur de juger si la formule d’un reportage coproduit par tous les étudiants qui ont participé au voyage est la bonne. Il y a sans doute des auteurs plus experts et légitimes, des questionnements plus aboutis. A tout le moins, ce dossier permet de rendre compte d’une expérience originale et des effets qu’elle produit chez ceux qui y ont participé. Les étudiants y décrivent leur visite mais également leur ressenti, en tant qu’étudiants, en tant qu’historiens, en tant que jeunes adultes ou encore en tant que Belges. Le rôle du professeur a été de les aiguiller et de les soutenir dans l’expression de leur esprit critique. Il y a différentes façons de faire le bilan. Un premier bilan est logistique. Cette initiative a permis à 45 étudiants de découvrir Varsovie et Gdańsk pendant 5 jours (4 nuits) pour un prix de 100€ par personne, tout compris. La disponibilité de vols très économiques, le faible coût des auberges de jeunesse, une subvention accordée par la Faculté de Philosophie et Lettres de l’ULB, mais surtout l’aide logistique et financière fournie par l’Institut Polonais – Service Culturel de l’Ambassade de Pologne à Bruxelles ont fait en sorte que le prix du voyage ait été à la portée de tous les étudiants. Natalia Mosor, directrice de l’Institut Polonais et, grâce à son soutien, le ministère polonais des Affaires étrangères, a mis à notre 11
disposition un bus pendant 5 jours et des guides professionnels à Varsovie et Gdańsk ; l’Institut a pris en charge une partie des repas et organisé dans ses locaux une rencontre avec Sławomir Czarlewski, l’ancien ambassadeur de la République de Pologne à Bruxelles. Plus que tout, pourtant, c’est la mise à notre disposition pendant toute la durée du voyage de Jeremy Lambert, collaborateur de l’Institut, qui nous a permis de découvrir la Pologne dans les meilleures conditions. Un deuxième bilan est plus subjectif. Chaque participant au voyage retiendra ses propres souvenirs, mais tous ont découvert une Pologne à laquelle ils ne s’attendaient pas. Voici un grand pays – comptant à lui seul plus d’habitants que l’ensemble des autres pays qui rentraient dans l’Union européenne en 2004 – un pays moderne aussi qui a su se donner les moyens de ses ambitions en matière de politiques publiques de mise en scène de son histoire récente. Aucun autre pays européen n’a réussi l’exploit d’ouvrir deux musées d’histoire avec des budgets de près de cent millions d’euros en moins de trois mois, grands projets qui viennent de s’ajouter à d’autres et qui seront bientôt rejoints par d’autres encore. La narration qu’offrent ces grands musées est très loin d’être uniforme et toute une série d’autres initiatives associatives et privées vient compléter le dispositif. On peut être surpris par les moyens inédits inventés par l’IPN pour enseigner l’histoire de la période communiste ou déboussolé par le récit offert par le MPW, mais on ne peut nier la vitalité des débats que mène la Pologne sur son histoire, ni sa volonté de les transmettre à un public international. La Pologne que nous avons découverte ne se réduit pas à une série de stéréotypes faciles. Elle est moderne, multiforme et à la pointe de l’expérimentation de formes nouvelles de représentation de l’histoire. Les historiens ont beaucoup écrit sur la construction de l’Etat-Nation au XIXe siècle et sur la mise en place des institutions culturelles et pédagogiques qui lui donnaient forme : musées nationaux, monuments, livres scolaires. La Pologne est une nation qui a décidé de profondément renouveler cette infrastructure, de réinventer les formes et les narrations de l’inscription de son passé dans son espace publique. C’est un gigantesque chantier, un laboratoire à ciel ouvert, une période charnière dans laquelle prend forme un paysage de lieux de mémoires dont les contours, coulés dans le béton de grands bâtiments, dans les structures de grandes institutions, archives et récits, constitueront les cadres symboliques de la nation polonaise pour les décennies à venir.
Avis aux amateurs.
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Le Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW)
Juliette PARIZEL & Anne-Sophie VANHOUDENHOVE
C’
est au cœur de la capitale polonaise que se situe le Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW), dédié aux sanglants épisodes qui se déroulèrent dans la ville d’août à octobre 1944 et qui opposèrent les Varsoviens à l’armée nazie d’Hitler. Avant de nous intéresser à l’exposition proprement dite, il nous semble indispensable de revenir sur l’insurrection et son déroulement. En effet, une connaissance préalable des évènements apparaît nécessaire afin de profiter au mieux de la visite du musée. Il est également important de rappeler que l’insurrection de Varsovie se distingue bien de l’insurrection du ghetto de Varsovie, menée en 1943 par la population juive contre les forces occupantes.
1. Août-octobre 1944 : la « bataille » des Varsoviens
En septembre 1939, Hitler envahit la Pologne et Varsovie se retrouva en quelques semaines sous l’emprise de l’armée nazie. Commencèrent alors les années les plus noires de toute l’histoire de la ville : ses dirigeants furent déportés ou emprisonnés, ses lieux d’enseignement fermés et, dès 1940, la population juive fut transférée dans le ghetto, soumise à un régime de répression et de famine.
Lorsqu’au début de l’été 1944, l’armée d’Hitler commença à reculer face à l’avancée des troupes russes, la résistance polonaise, regroupant tous les courants politiques (sauf les communistes et l’extrême droite), organisa la levée d’une insurrection afin d’accélérer la libération de Varsovie. L’insurrection fut lancée le 1er août à 17h par l’Armée Intérieure (Armia Krajowa, AK). obéissant aux ordres du gouvernement polonais en exil à Londres, au Commandement des forces armées polonaises et au Commandement militaire des Alliés occidentaux. De nombreux Varsoviens s’improvisèrent ainsi combattants. Pendant 63 jours, jusqu’au 2 octobre, les combats de rue rythmèrent la vie des habitants de la capitale. Cette initiative de résistance héroïque tourna au drame. D’une part, l’AK – malgré sa détermination – attaquait un adversaire beaucoup mieux armé, qui ne manquera ni de renforts supplémentaires, ni de matériel de guerre. D’autre part, les résistants comptèrent sur le secours des alliés soviétiques, mais ceux-ci, stationnés dans le quartier de Praga, de l’autre côté de la Vistule, se contentent d’observer sans intervenir et attendirent la fin des combats pour faire leur entrée dans le champ de ruines qu’était alors devenue Varsovie. En effet, sentant que la défaite le talonnait et voulant se venger pour les pertes que lui infligeait la résistance polonaise, Hitler poussa le massacre à son comble en ordonnant la destruction systématique de la capitale. Ainsi, ce furent 18 000 insurgés et 150 000 à 200 000 civils qui trouvèrent la mort. A la fin de la guerre, 850 000 Varsoviens, soit les deux tiers de la population, furent déclarés morts ou portés disparus. En cendres, Varsovie n’était plus rien d’autre qu’un point géographique sur la carte de l’Europe. Abandonnés par leurs alliés soviétiques, les insurgés de Varsovie entrèrent dans la légende, la mémoire, et la conscience de la Pologne. Notons que cet évènement scella le destin du pays pour quelques décennies. En effet, le gouvernement polonais ne réussit à reprendre le pouvoir dans la capitale afin de sauver l’indépendance de la Pologne face aux velléités politiques de l’URSS. Avec le retour de l’Armée Rouge à Varsovie après la fin des combats, le pays se vit imposer un pouvoir dépendant de celui de l’Union Soviétique, avec un système idéologique, politique et économique totalitaire et répressif : le communisme. Par ailleurs, ce pouvoir donna lieu à plus d’un demi-siècle de désinformation volontaire. Après la défaite de la ville, les Allemands, puis les Soviétiques s’emparèrent des bandes vidéos et des archives de l’AK, qui furent rapidement enterrées. Cet évènement historique fut donc écarté de la mémoire officielle pendant la période communiste, mais resta présent dans la mémoire vive de la population. C’est seulement à partir de 1989 – et la chute du régime communiste – que la commémoration publique de l’insurrection devint une question politique qui suscita beaucoup d’émotion. Ceci valut notamment pour le 50e anniversaire de l’insurrection en 1994, à l’occasion duquel les premières grandes commémorations furent organisées. Débuta 14
alors un mouvement de mémoire et commencèrent à fleurir en Pologne les initiatives visant à mettre en scène cette partie de l’histoire polonaise, afin de ne jamais oublier ceux qui tombèrent pour la liberté. Le Musée de l’Insurrection de Varsovie, situé au cœur de Varsovie, en témoigne.
2. Origine et situation du Musée
Le Musée de l’Insurrection de Varsovie, inauguré lors du 60e anniversaire de l’insurrection, en 2004, se veut un hommage des habitants de la ville à ceux qui combattirent et moururent pour la Pologne indépendante. Lors des élections de 2005, une politique historique forte amèna une vague de commémorations. Les derniers témoins des événements disparurent, amenant ainsi un regain d’intérêt pour la Deuxième Guerre mondiale. Le projet du Musée de l’Insurrection de Varsovie, destiné à rendre hommage à ceux qui moururent lors des combats de rue, fut porté par le maire de Varsovie et futur président, Lech Kaczyński. L’implication du monde politique dans la culture reste très marquée. Le musée est situé dans l'arrondissement de Wola, à l'angle des rues Przyokopowa et Grzybowska. Sa particularité est qu’il a été aménagé dans le bâtiment en briques – entièrement restauré – d’une ancienne centrale électrique du tramway. Ce bâtiment a été construit entre 1904 et 1908, et est représentatif de l'archi-tecture industrielle du début du e XX siècle, ce que ne manque pas de rappeler le guide présent sur place. Il s’explique : Varsovie fut victime de tant de destructions que les Polonais, ou à tout le moins les habitants de Varsovie, sont très fiers des bâtiments qui ont plus de 50 ans. Vue du MPW © Portail officiel du tourisme de la ville de Varsovie
Par ailleurs, le musée ne contient pas que des objets classiques, il possède également une liste des tués de l’insurrection qui reprend les noms des jeunes garçons et filles fauchés au nom de la liberté. Ce mur est situé dans le Parc de la Liberté (Park wolności) aux abords du musée. S’y trouve également une tour de 32 mètres qui offre une vue panoramique sur Varsovie et sur la ligne de front lors de l’insurrection. 15
Mur sur lequel est gravée la liste des tués lors de l’insurrection. © A.-S.Vanhoudenhove
3. Quelle muséographie pour retracer l’insurrection ?
L’exposition retrace jour par jour le sanglant épisode de l’insurrection de Varsovie du 1 août au 2 octobre 1944 et met l’accent, non seulement sur la lutte armée, mais également sur la vie quotidienne des civils. Il glorifie les héros nationaux de l’insurrection qui ont vainement tenté de libérer leur ville des troupes nazies. er
Nous le verrons, la scénographie est moderne et cherche à recréer émotionnellement la noirceur de la période (projections de films, présentation d’environ 1 500 photographies et 800 pièces d’exposition, reconstitution d’ambiances sonores avec bruits de chars par exemple). Le musée a en effet pour objectif de conserver l’ensemble des archives, documents, informations historiques sur le soulèvement et le témoignage des insurgés survivants. Le concept qui sous-tend le musée est interactif et fort coloré de patriotisme et de sentimentalisme. Il permet de comprendre le rapport des Polonais contemporains à l’histoire, la nation et la religion. Par ailleurs, les expositions sont accessibles en anglais et une documentation détaillée est mise gratuitement à la disposition du public à chaque étape de la visite.
Documentation mise a disposition des visiteurs. © A.-S. Vanhoudenhove
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Les visiteurs sont interpellés dès leur entrée dans le hall du bâtiment – et avant même la première salle – par le sigle de la résistance et de l’AK : le P et le W entrelacés et formant une ancre, symbole de cette Pologne combattante (Polska Walcząca)
Sigle de la resistance et de l’ak dans le hall d’entree du musee. © A.-S. Vanhoudenhove
Sigle de l’AK encore represente aujourd’hui sur les murs de la ville. © P. Lagrou
Le musée a pour vocation première de dire la vérité, longuement occultée par le gouvernement communiste en place jusqu’en 1989. Le but est donc clairement énoncé : raconter, de la façon la plus exacte possible, le déroulement des évènements de 1944 tout en rendant hommage aux milliers de morts qui sont tombés lors de l’insurrection. Au-dessus de la porte qui mène à l’intérieur du musée, les visiteurs peuvent lire une phrase en polonais dont la traduction est la suivante : « Nous voulions être libres et redevables de cette liberté à nous -mêmes. » (Jan Stanisław Jankowski). Passé la porte du hall, le visiteur est immédiatement plongé dans une ambiance tout à fait particulière. Les lumières tamisées et les murs sombres, ainsi que le fond sonore, sont une immersion voulue dans l’atmosphère des rues de Reconstitution d’une rue de Varsovie. © A.-S. Vanhoudenhove Varsovie. Un mur chronologique retrace les évènements qui précèdent l’insurrection de la capitale en 1944 et met en avant la période qui précède le soulèvement, dès l'invasion de la Pologne le 1er septembre 1939 par les troupes hitlériennes jusqu'à l'heure « W » de l'insurrection.
Urne invitant les visiteurs a faire des dons en faveur des « insurgés ». © A.-S. Vanhoudenhove
Une urne – déjà bien remplie – invite les visiteurs du musée à faire un don en faveur des insurgés de 1944 ; une façon, encore plus efficace que les bruits de char et de bombe, de participer à cette histoire-mémoire. Un moyen aussi de montrer aux jeunes étudiants et enfants polonais ce que leurs 17
ainés ont fait pour la Pologne. Le musée regroupe un nombre impressionnant d’objets de toutes sortes : il y en a partout, à tel point qu’on ne sait plus où poser son regard. Passé cette ruelle reconstituée, le visiteur pénètre dans une grande salle. Des débris du Château Royal (Zamek Królewski) sont exposés dans un coin, rappelant que la ville a été presqu’entièrement détruite puis reconstruite en 1950. Les murs sont chargés de vidéos, de photos, d’armes, d’objets présentés selon une muséologie très interactive.
Murs charges d’affiches. © A.-S. Vanhoudenhove
Muséologie très interactive. Ici des orifices dans le mur permettant d’observer des photographies de l’époque. © A.-S. Vanhoudenhove
Parmi les nombreux objets présentés, une moto. © A. Picot
Vitrines remplies d’armes. © A.-S. Vanhoudenhove
Murs chargés de photographies. © A.-S. Vanhoudenhove
Les informations disponibles pour le public sont présentes soit exclusivement en polonais, soit avec une traduction anglaise. Un pan de mur assez restreint revient sur l’histoire des Juifs et de l’insurrection du ghetto. Toutefois, ce dispositif peut sembler pour le visiteur très, voire trop restreint. En effet, la Pologne a toujours eu une grande partie de sa population de confession juive. Comme l’a dit l’historienne Anna Radziwill, « décrire le passé de la Pologne sans la présence des Juifs revient à décrire le passé d’un pays complètement différent »1. Mais peut-être est-ce un choix 1 — RADZIWILL A., « The teaching of the délibéré de la part de l’équipe qui a conçu le musée, afin de ne History of the Jews in Secondary schools in the Polish People’s Republic », in Polin, vol. 4, Studies in Polish Jewry, pas confondre dans l’esprit du visiteur ces deux évènements 1990, p.422.
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consécutifs que sont l’insurrection du ghetto de Varsovie et l’insurrection de Varsovie. Nous laissons le futur visiteur juger de cela. La suite de la visite se poursuit dans une ambiance très patriotique, voire nationaliste. Le musée retrace le fonctionnement de l’Etat polonais clandestin (Polskie Państwo Podziemne). Une imprimerie clandestine de l’AK est reconstituée. Il faut savoir que, pendant les combats, le Bureau d’Information et de Propagande du Commandement Général de l’AK a joué un rôle important d’information (fabrication de la presse, avis, affiches, etc.). Il constitua de la sorte un élément de la lutte et de la survie. Les correspondants de guerre de l’AK ont même filmé l’insurrection de Varsovie. En outre, une pièce très ludique et didactique est réservée à l’usage des enfants pour leur apprendre le déroulement des évènements grâce à des jeux et des animations.
Salle pédagogique pour les enfants. © A.-S. Vanhoudenhove
Reconstitution d’une imprimerie de l’AK. © A.-S. Vanhoudenhove
Les pièces fourmillent d’objets et de détails qui semblent s’enchevêtrer. Une horloge reste symboliquement bloquée sur 17h, heure du début du soulèvement ; la cage de l’ascenseur est entièrement recouverte des brassards utilisés par les insurgés pour se distinguer des soldats allemands pendant le soulèvement ; un cinéma projette des bulletins d’actualité de l’époque, réalisés par le Bureau de l’Information et de la Propagande de l’AK. Des égouts
Cage d’ascenseur recouverte de brassards. © A.-S. Vanhoudenhove
Horloge « bloquée » sur 17h, heure du soulèvement. © A.-S. Vanhoudenhove
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Reconstitution d’égouts. © E. Moutquin
Reconstitution d’égouts. © A. Picot
sont également reconstitués afin de permettre aux visiteurs de s’identifier aux insurgés et à leur sort. En pénétrant dans la deuxième partie du musée – faiblement éclairée – c’est une réplique grandeur nature de l’avion B-24J Liberator qui surprend le visiteur. L’activité des forces
Vaste salle contenant la réplique du B-24J Liberator. © A.-S. Vanhoudenhove
Espace pouvant accueillir des expositions temporaires. © A.-S. Vanhoudenhove
alliées y est ainsi racontée. En outre, ce vaste espace vide offre la possibilité d’organiser d’éventuelles expositions temporaires et conférences. Nous terminerons en soulignant que l’utilisation constante du nous par le guide et la documentation mise à disposition, ainsi que la terminologie martyre employée mettent le visiteur étranger légèrement mal à l’aise. Lorsqu’on ne vient pas d’un ancien pays du « bloc de l’Est », il est difficile de comprendre que l’histoire reste si présente et si sentimentaliste dans un musée national. 4. Conclusion
La Pologne est un pays dont on peut réciter, que l’on soit polonais ou pas, la litanie des malheurs dont il fut victime au cours des siècles. L’histoire récente du pays reste cependant bien présente au cœur des Polonais ; une version doloriste, qui rattrape vite le 20
visiteur étranger. Les succès du pays sont évidemment des sources de fierté inépuisables, mais malheureusement la liste des traumatismes est sensiblement plus longue. Pays déchiré entre les puissances voisines à la fin du XVIIIe siècle, puis soumis successivement à l’Allemagne Nazie puis à l’URSS, la Pologne est un territoire d’histoire tragique. Dès la chute du régime communiste, les médias évoquèrent les taches blanches de l’histoire ; à savoir les évènements censurés durant cette période (l’insurrection de Varsovie, mais également le massacre de Katyń, etc.). Ainsi, plus que n’importe quel autre pays postcommuniste, la Pologne investit massivement dans la construction de nouveaux musées pour représenter son histoire. L’insurrection de Varsovie, décidée par le commandement de l’AK et écrasée par les troupes nazies pendant que Staline attendait de l’autre côté de la Vistule, est l’un des épisodes les plus présents au cœur des Polonais, et surtout des habitants de Varsovie. Le récit national est largement irrigué de patriotisme populaire, tant au niveau des habitants que des historiens et archivistes de la ville. Nous avons pu le constater à travers la présentation de la muséographie, le Musée de l’Insurrection de Varsovie se veut être une institution d’une grande modernité, qui allie pédagogie, vulgarisation et un grand respect du témoignage direct. Néanmoins, pour des historiens, le musée peut être déroutant en termes de chronologie et de synthèse des événements tant il fourmille de détails. Les guides sur la Pologne conseillent d’ailleurs de lire des ouvrages sur l’insurrection de Varsovie avant de visiter l’exposition permanente. Par ailleurs, le but de la scénographie ne semble pas être la neutralité absolue vis-à-vis des évènements, contrairement à d’autres musées varsoviens, par exemple le Musée de l'Histoire des Juifs polonais (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHŻP, aussi appelé Voir « Musée POLIN »), où le sentiment patriotique transparaît nettement moins. Mais c’est p. 23 un choix conscient qui a pour but de replacer le musée au cœur d’une mémoire en mal de reconnaissance. Choix qu’il convient de respecter. Pour terminer, laissons la parole à l’historien Jan Jozef Lipski : L’amour de tout ce qui est polonais, tel est la formule préférée de tout ce qui est notre bêtise nationale et patriotique [...]. Une fausse appréciation du passé, la propagation de mythes collectifs moralement indéfendables3, les silences autour des taches sombres de notre histoire, qui nourrit la mégalomanie nationale, sont certes des fautes moindres que de mal agir envers son prochain.4
2 — LIPSKI J. J., « Examen de conscience », in Esprit, 63, mars 1982, p. 17. 3 — En effet, la décision du soulèvement de Varsovie reste contestée même à l’heure actuelle, et est résumée par le guide notamment par cette phrase : « Nous avons voulu nous libérer par nous-mêmes. Cependant, nous avons été assujettis par les ibérateurs. Nous avons gagné la guerre mais perdu la paix ».
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Juifs et Polonais se retrouvent dans un musée : Le Musée de l'Histoire des Juifs polonais (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHŻP)
Floriane DECHÈVRE & Laetitia SWYSEN
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a Pologne renoue avec son passé juif à l’occasion de l’inauguration, à Varsovie, de l’exposition permanente du Musée de l'Histoire des Juifs polonais (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHŻP).
Construit sur le site de l’ancien ghetto juif, le musée a ouvert ses portes au public le 19 avril 2013. Une date hautement symbolique puisqu’elle commémorait le 70e anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Il a toutefois fallu attendre le 28 octobre dernier pour l’inauguration officielle du musée. Jusqu’à cette date, les visiteurs ne pouvaient accéder qu’à l’architecture intérieure du musée et à des expositions temporaires qui se sont succédées entre avril 2013 et septembre 2014. 1. L’Holocauste, mais pas seulement
Tous les principaux musées juifs dans le monde sont des musées de l’Holocauste, alors que l’idée véhiculée par le musée polonais est de montrer la vie. Bien entendu, l’Holocauste a sa place au sein de l’exposition, mais ce n’est ni le début de l’histoire des Juifs en Pologne, ni la fin. L’exposition permanente est composée de sept galeries, réparties sur une superficie d’environ 4 000 m², présentant le patrimoine et la culture des Juifs de Pologne. On y dépeint les phases successives de l’histoire des Juifs polonais, à commencer par les
légendes de l’arrivée, les débuts de l’implantation des Juifs en Pologne et le développement de la culture juive. L’exposition montre également la diversité sociale, religieuse et politique des Juifs polonais, en soulignant les événements dramatiques du passé. La dernière partie couvre la période de 1945 à nos jours. Près de 70 années où sont présentées les activités culturelles et éducatives de l’Association socio-culturelle des Juifs de Pologne et des réalisations des écrivains et artistes qui se sont identifiés à la culture juive et polonaise. On y trouve également des témoignages et souvenirs de l’émigration juive hors de Pologne faisant suite à la campagne antisémite de mars 1968, ainsi que des projets culturels et des publications historiques ayant trait à la culture et à l’histoire juive depuis 1989. Ce ne sont pas moins de mille ans de coexistence judéo- polonaise qui sont ainsi présentés dans ce musée. La présente exposition a été développée par une équipe de chercheurs et de conservateurs, tant polonais qu’étrangers, sous la direction du Professeur Barbara Kirshenblatt-Gimblett. L’exposition permanente s’articule comme un récit narratif : les visiteurs déambulent dans cette histoire racontée étape par étape, au fil des objets, peintures, enregistrements sonores, installations interactives, reconstitutions et projections vidéo. Dans la galerie Paradisus ludaeorum, les visiteurs peuvent, par exemple, parcourir une bibliothèque virtuelle contenant des œuvres religieuses, philosophiques et traditionnelles, de vrais chefs-d’œuvre de la littérature hébraïque et yiddish en format numérique. Autre exemple : une équipe d’experts et de volontaires ont recréé une réplique du plafond de la synagogue en bois de Gwoździec à l’aide de matériaux, d’outils et de techniques traditionnelles, afin de reconstituer symboliquement l’espace d’une synagogue.1 Pour apprendre à connaître l’histoire des Partages (Rozbiory) de la Pologne au XVIIIe siècle, par l’empire d’Autriche, l’empire de Russie et le royaume de Prusse, et ses conséquences pour les Juifs de Pologne, les visiteurs sont invités à s’asseoir autour d’une table interactive entourée par trois trônes qui représentent respectivement la Prusse, l’Autriche et la Russie qui ont procédé partage du territoire polonais. À chaque étape, il est possible d’écouter le témoignage d’un personnage juif, présenté comme un contemporain de l’époque traitée. On entend ainsi le récit d’un marchand, d’un rabbin, d’une femme au foyer, d’un politicien, etc. En les laissant s’exprimer, les concepteurs de l’exposition restent proches de l’idéologie du musée qui est de montrer la vie, mais utilisent aussi un procédé scénographique qui capte l’attention des visiteurs, particulièrement des plus jeunes. Le visiteur peut choisir de parcourir l’exposition avec ou sans audioguide. Un bon plan pour ceux qui ne maîtrisent pas l’anglais, ni le polonais, car les panneaux explicatifs et les apports technologiques utilisent 1 — L’absence de photos illustrant l’exposition permanente s’explique par exclusivement ces deux langues. Il y a aussi la possibilité de l’interdiction qui nous a été stipulée 24
par la guide lors de notre visite.
visiter l’exposition avec un guide. Que les visiteurs individuels se rassurent, la visite guidée jouit également des apports technologiques : chaque membre du groupe est doté d’un petit boîtier et d’une paire d’écouteurs qui permettent d’entendre les explications du guide sans que celui-ci soit obligé d’élever la voix. Ce dispositif apporte un « confort » aux visiteurs individuels qui n’évoluent plus dans le brouhaha généré par le groupe, surtout lorsqu’il s’agit d’un groupe scolaire. Parcourir l’exposition avec ce dispositif tend à réduire la tentation de communiquer avec ses voisins et évite donc au guide ou aux accompagnateurs de devoir s’époumoner. La seule inconnue reste l’organisation des accompagnateurs et du guide pour garantir l’accès aux apports technologiques des groupes scolaires. Si des élèves découvrent individuellement les installations, les autres visiteurs risquent de se retrouver dans une Voir situation semblable à celles des visiteurs du Musée de l’Insurrection de Varsovie p. 13 (Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW) et du Centre Européen Solidarité Voir (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) à Gdańsk, à savoir face à des enfants assez p. 123 remuants, peu soucieux du respect d’autrui. La scénographie du Musée de l'Histoire des Juifs polonais est suffisamment claire et développée pour permettre à des personnes ne possédant aucune connaissance du sujet de comprendre et d’apprécier l’exposition (contrairement à celle du Centre Européen Solidarité qui exige des connaissances préalables et dont les explications ne sont pas toujours très claires). L’exposition permanente compte cependant très peu, voire même trop peu d’artéfacts. Pour les sept galeries, on peut citer un livre de prières de 1272 dans lequel est inscrite la première phrase complète en yiddish et quelques pièces de monnaie dont une comporte des lettres hébraïques sur l’une de ses faces. En parcourant l’exposition, on a la nette impression que l’équipe chargée de sa mise en place a préféré les apports technologiques à la valorisation d’artéfacts issus du patrimoine juif polonais. Ce choix est compréhensible puisque l’objectif est d’éveiller les Polonais, en particulier les jeunes, à la place des Juifs dans l'histoire du pays. Dès lors, privilégier les apports technologiques semble indispensable pour sensibiliser des jeunes Polonais nés à l’ère numérique. Dans les années à venir, l’équipe de chercheurs et de conservateurs du musée devra faire face à deux défis majeurs : maintenir, d’une part, les apports technologiques qui singularisent l’exposition et peuvent assurer son succès auprès des jeunes et valoriser, d’autre part, de manière plus importante le patrimoine culturel, traditionnel et historique juif. Rassembler, conserver et mettre à disposition du public des artéfacts fait en effet partie des missions incombant à un musée. À côté de l’exposition permanente, d’autres, temporaires, sont également présentées. Cela a été le cas, entre le 14 août et le 29 septembre, de cette exposition sur la Charte de Kalisz 25
(Statut kaliski), un privilège ducal, datant de 1264, qui garantissait aux Juifs la liberté de religion, la protection contre les fausses accusations et le droit de commercer. L’aide polonaise aux Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale a été le sujet d’une exposition temporaire entre les 7 mars et 17 avril 2014. À noter que le bâtiment mérite le détour par son audace architecturale. Conçu par Entrée principale du MHŻP. Détail de la façade vue de © L. Swysen les Finlandais Rainer Mahlamaeki et l’intérieur du Musée. © A.-S. Vanhoudenhove Ilmar Lahdelma, cet espace rectangulaire, couvert de panneaux de verre, respecte la hauteur des immeubles de style années 1950 du quartier de Muranów dans lequel s’élève sa s’ouvre en forme d’arche. Bien que les deux architectes aient laissé les visiteurs libres de leurs métaphores, on ne peut s’empêcher d’y voir un pont symbolique entre les deux cultures. A l’intérieur une fracture divise en deux le bâtiment, évoquant la perte irréparable des 3,3 millions de Juifs polonais que le pays comptait en 1939. 2. Des partenariats public-privé
Le bâtiment a été financé conjointement par la Ville de Varsovie et le ministère polonais de la Culture et du Patrimoine national, à hauteur de 42,5 millions d’euros. Tandis que l’exposition permanente a été financée par l’Association de l’Institut historique juif de Pologne. Celle-ci a fait appel à des donateurs privés, Juifs issus de la diaspora et Polonais, qui ont réuni quelque 33 millions d’euros. Aujourd’hui, le budget de fonctionnement du musée est partagé entre le ministère polonais de la Culture et du Patrimoine national et l’Association de l’Institut historique juif. Durant la construction du bâtiment et le développement de l’exposition permanente, c’est-àdire entre 2007 et 2012, le Musée a mis en place deux projets : le portail Shtetl Virtuel (2007) et la base de données en ligne Judaica (2011), qui visent à rassembler des objets et des documents sur l’histoire et la culture juive de Pologne. En 2012, le musée s’est également vu confier la diffusion du projet The Polish Righteous – Recalling Forgotten History développé entre 2008 et 2011 par l’Association de l’Institut historique juif. Ces projets résultent de collaborations entre des institutions publiques et des donateurs privés. •
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Le portail du Virtual Shtetl est consacré à l’histoire des Juifs polonais qui s’est surtout développée dans les villes. Sur ce portail, on peut trouver de l’information sur le passé, mais aussi le présent, ainsi que sur les petites et grandes villes. L’histoire des Juifs
polonais est présentée au travers de photographies, de documents d’archives, de papiers personnels, d’enregistrements, de cartes, etc. Ce portail est destiné tant aux Juifs polonais disséminés dans le monde qu’aux personnes qui s’intéressent à ce sujet. Le Shtetl est le fruit d’une collaboration entre le Musée et les particuliers qui ont contribué à l’alimenter. En fait, il s’agit d’un musée sans murs qui est la suite logique de l’initiative ayant donné naissance au musée. •
Judaica est une base de données en ligne qui rassemble des objets et documents, liés à la culture juive, dispersés à travers la Pologne et dans le monde entier. La base de données contient des descriptions ainsi que des photographies de plus de 3 000 objets et documents provenant des collections des musées polonais et étrangers ainsi que de collections privées. Ce catalogue en ligne est destiné à faciliter les recherches des enseignants, étudiants et chercheurs… mais aussi des conservateurs, en vue de la réalisation d’expositions.
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The Polish Righteous – Recalling Forgotten History est un projet dédié aux personnes qui ont sauvé des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. Des enregistrements audio et vidéo, des documents et des photos ont été publiés sur le site. Une enquête a été réalisée auprès de l’Institut Yad Vashem de Jérusalem et de l’Institut historique des Juifs de Pologne pour garantir leur véracité.
3. Un musée pour combler le vide
Outre le Musée en tant que tel, quatre monuments occupent le site de l’ancien ghetto de Varsovie : l’ancien Monument des Révoltés du Ghetto (Pomnik Powstańców Getta), le Monument aux Héros du Ghetto (Pomnik Bohaterów Getta), les monuments à Żegota et à Willy Brandt. •
L’ancien Monument des Révoltés du Ghetto est le plus ancien monument commémoratif de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Il a été érigé le 16 avril 1946 à l’initiative du Comité central des Juifs polonais, sur l’emplacement du premier affrontement armé entre insurgés et nazis. L’inscription en trois langues, polonais, hébreu et yiddish, célèbre « ceux qui ont péri dans une lutte héroïque et sans précédent pour la dignité et la liberté de la nation juive, pour la Pologne libre, pour la libération de l’humanité ».
Détails murs ouest et est du Monument des Héros du Ghetto. © L. Swysen
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Le Monument aux Héros du Ghetto évoque la résistance de la population juive qui, pendant un mois, en avril 1943, et avec des moyens de fortune, a tenu en échec l’armée allemande chargée de liquider le ghetto. Le monument a été inauguré le 19 avril 1948 pour le 5e anniversaire du soulèvement du ghetto. Il est orné, sur chaque face, d’une sculpture : la sculpture en bronze du mur ouest évoque la résistance juive du ghetto et le bas-relief du mur est montre la persécution des Juifs polonais par les oppresseurs allemands nazis.
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Le monument à Żegota commémore les activités du Conseil de l’aide aux Juifs (Rada Pomocy Żydom) Żegota au cours de la période 1942-1945. L’inscription en trois langues (hébreu, anglais et polonais), décrit le rôle de Żegota dans le sauvetage des Juifs pendant la guerre. Le monument, un petit obélisque, a été dévoilé par Wladysław Bartoszewski, un des derniers membres encore en vie de l’organisation, le 27 septembre 1995. Le monument a été financé par la communauté d’émigrés polonais en Amérique.
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Enfin, le monument à Willy Brandt commémore l’événement du 7 décembre 1970, lors de la visite à Varsovie de celui qui était alors le chancelier allemand. Après avoir déposé une gerbe au Monument aux Héros du Ghetto, M. Brandt, de façon très surprenante, tomba à genoux et resta dans cette position pendant plusieurs secondes. Il était entouré par un nombre important de dignitaires et de journalistes. Ce monument, inauguré en décembre 2000, illustre la réconciliation entre les Etats allemand et polonais.2 Ces quatre monuments ne représentent pas un hommage rendu par la Ville de Varsovie ou par l’Etat polonais aux victimes juives de la Shoah. Il a donc fallu attendre avril 2013 et l’ouverture au public du Musée de l'Histoire des Juifs polonais pour que ce vide soit enfin comblé.
Néanmoins, les pouvoirs publics, tant locaux que nationaux, et l’Association de l’Institut historique des Juifs ont pris grand soin de ne pas mélanger histoire et Monument des Révoltés du Ghetto, Monument mémoire au sein du musée. La priorité est d’éveiller des Héros du Ghetto, Monument à Zegota et Monument à Willy Brandt. © L. Swysen les Polonais à la place des Juifs dans l’histoire du pays. Cela passe par un parcours retraçant le mode de vie des Juifs polonais, depuis leur arrivée en Pologne (vers 960 de notre ère), jusqu’à aujourd’hui. La mémoire de la Shoah est abordée dans le Monument aux Héros 2 — Le but de ce voyage était la ratification du Pacte de Varsovie dans du Ghetto qui reste le monument lequel les deux parties, à savoir la République Populaire Polonaise (Polska Rzeczpospolita Ludowa, PRL) et la République Fédérale d’Allemagne, se commémoratif utilisé lors des 28
sont engagées à la non-violence et ont accepté les frontières existantes : la ligne Oder-Neisse imposée à l’Allemagne par les Alliés.
cérémonies officielles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si lors de la mise en place de l’exposition permanente, l’équipe a choisi de placer la galerie de l’Holocauste juste en face de ce monument. Ensemble, ces deux monuments constituent donc un espace symbolique. 4. Les Juifs de Pologne à nouveau visibles
L’objectif principal du musée est de rebâtir la conscience, aussi bien en Pologne qu’à l’étranger, que les Juifs ont fait partie intégrante du paysage polonais pendant mille ans. Au cours des quarante années qu’a duré le régime communiste, le massacre des Juifs polonais était assimilé au martyre de la nation polonaise. En fait, le récit muséal mettait en avant le martyre des Polonais et les manuels scolaires uniques effaçaient la particularité du destin des Juifs. L’intitulé des chapitres résumait parfaitement l’intention : « La politique d’extermination des nazis contre la nation polonaise », « La situation de la nation polonaise après la perte d’indépendance », etc. Cette polonisation des victimes de la Shoah était accompagnée de thématiques secondaires plus ou moins douteuses. Par exemple, l’insurrection du ghetto de Varsovie était présentée comme un acte de libération nationale.3 Le discours communiste faisait l’impasse sur l’attitude générale de la population polonaise non juive face au génocide perpétré sous ses yeux par les Allemands. L’antisémitisme n’était guère évoqué et rien n’était dit sur les biens juifs accaparés ou les dénonciations. L’existence de maîtres-chanteurs (szmalcownictwo) et la participation de Polonais à des massacres n’étaient pas niées, mais elles étaient minimisées et attribuées à des marginaux d’ailleurs condamnés par la résistance polonaise et jugés après la guerre. Enfin, en se concentrant sur quelques cas, l’aide des Polonais aux Juifs était mise en avant ainsi que les risques pris par ceux-ci, à savoir la peine de mort.4 Tel fut le message sur la Shoah transmis aux deux générations d’après-guerre avec, il faut le reconnaître, un réel succès. Ainsi en 1995, seuls 8% des Polonais considéraient le camp d’Auschwitz comme un lieu d’extermination des Juifs. Pour 47% d’entre eux, c’était d’abord le lieu du martyre des Polonais. Cette éducation a profondément marqué la population et construit une mémoire collective largement partagée, au moins jusqu’au début des années 1990.5 Progressivement le discours communiste s’est effrité, menant à une prise de conscience plus large de la réalité de la culture juive et de la Shoah en Pologne. Au cours des années 1980 est apparu un personnage jusqu’ici occulté : le témoin. Non pas le rescapé qui témoigne ou le criminel qui reconnaît ses actes, mais le 3 — SZUCHTA R., « From Silence to Recognition. The Holocaust in Polish Education since 1989 », in: Making Holocaust Memory : in Polin, FINDER G. et al. (éd.), spectateur, celui ou celle The Littman Library of Jewish Civilization, vol. 20, Oxford, 2008, p. 304. 4 — POTEL J.-Y., « L’enseignement de l’histoire de la Shoah et de la culture juive en Pologne », qui a vu les exécutions, in : Revue d’Histoire de la Shoah, n 193, juillet-décembre 2010, pp. 586-587. o
5 — Ibid., p.587.
entendu les cris, senti la fumée des bûchers. Témoins passifs ou complices participant aux crimes ; témoins compatissants aidant les victimes au péril de leur vie. Autant de comportements des Polonais non juifs dont on ne parlait guère, que l’on avait oubliés, cachés, refoulés. Jan Blonski, un intellectuel catholique, publia en 1987 un article dans lequel il introduisit la notion de coresponsabilité morale des témoins. Il s’agit pour lui d’une coresponsabilité passive, faite principalement d’indifférence à l’égard du meurtre, mais non de coparticipation : « Nous avons perdu notre maison, et dans cette maison l’Occupant a commencé à tuer les Juifs. Les avons-nous aidés avec solidarité ? Combien d’entre nous n’ont-ils pas estimé que ce n’était pas leur affaire ! »6 En 2002, dans son livre Les voisins : 10 juillet 1941, un massacre de Juifs en Pologne, Jan Gross aborde, pour la première fois, le Détail de la façade du MHŻP. sujet de la culpabilité. Le meurtre des Juifs de Jedwabne écorne © L. Swysen l’image de la Pologne résistante, héroïque et martyre. Il pose également la question de notre savoir historique : comment comprendre qu’un tel fait ait été à ce point occulté par la recherche pendant soixante ans ? En cache-t-il d’autres ? Jusqu’à quel point remet-il en cause une perception, répandue en Pologne, que seuls ont été criminels ces maîtres-chanteurs (szmalcownictwo) qui dépouillaient les Juifs à la sortie du ghetto, des représentants des bas-fonds, dit-on, propres à chaque société ?7 Ces questions, mises à jour dans les cercles intellectuels catholiques ou laïcs de l’opposition démocratique avant 1989, ont d’abord été traitées prudemment. Puis, avec la redécouverte du passé juif de la Pologne et grâce à la démocratie, elles se sont installées telle une obsession identitaire au cœur des grands débats mémoriels des années 1990 à 2000. Lesquels ont débouché sur une série de prises de position officielle des autorités politiques et de l’Eglise catholique.
Le Musée de l'Histoire des Juifs polonais marque l’aboutissement de la démarche des autorités polonaises de rendre à nouveau visible le passé juif de la Pologne aux yeux des Polonais juifs et non-juifs d’aujourd’hui. Ce musée est également le fruit d’une collaboration étroite entre Polonais et Juifs. Même si ce projet a mis du temps à se concrétiser, le résultat est tel que le trop grand laps de temps écoulé est désormais relégué au rang de détail. 6 — SZUREK J.-C., « Pologne : la mémoire retrouvée », in : Le Nouvel Observateur, no 53, décembre 2003-janvier 2004, p. 74. 7 — GROSS J., Les voisins : 10 juillet 1941, un massacre de Juifs en Pologne, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2002.
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Le Musée National de Varsovie (Muzeum Narodowe w Warszawie, MNW)
Antoine D’HAESE
1. Avant d’entrer... a. Thématique et historique
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ors de notre voyage d'études à Varsovie à l'automne 2014, nous avons tenté d'examiner la représentation de l'histoire polonaise telle qu'on la voit présentée au cœur d'une institution d'une grande importance en ce qui concerne l'art traditionnel polonais et le développement culturel et artistique aux quatre coins de la Pologne : le Musée National de Varsovie (Muzeum Narodowe w Warszawie, MNW). En effet, ce Musée a été et est toujours – nous le verrons plus loin – le centre névralgique d'une politique culturelle menée
L'architecture moderniste du bâtiment, achevé en 1938, est l'œuvre de Tadeusz Tołwiński. © A. D'haese
depuis plus d'un siècle et contribuant à la construction, ou tout du moins à l'affermissement de certains pans d'une identité culturelle polonaise forte de par les œuvres emblématiques qui y reposent, habilement mises en valeur de façon à évoquer chez les plus sceptiques des sentiments patriotiques. Mais il s'agit également d'un bâtiment consacré à la science et à la recherche, ce qui lui assure une place de choix dans le monde académique et scientifique polonais. Fondée en 1862 par l’acte sur l’Éducation publique du Royaume de Pologne (qui réglait les questions d’éducation et de gestion des écoles durant l’occupation russe), l'institution portait à l’époque le nom de « Musée des Beaux-arts ». Celle-ci est de fait l’un des plus vieux musées du pays. Après l’indépendance polonaise en 1918, le Musée tint un rôle de premier plan dans la construction du nouvel Etat et de sa capitale, Varsovie. L’histoire du Musée est aussi complexe et chaotique que celle de la ville elleL'impressionnant hall d'entrée du Musée nous même. ouvre à différents parcours, de l'art antique au contemporain, en passant par quelques expositions temporaires. © A. D'haese
La loi qui le fonda le posait en étroite relation avec la Ecole Centrale (Szkoła Główna) à Varsovie et la Bibliothèque Centrale (Biblioteka Główna). L’objectif premier de l’institution était alors d’amasser des collections d’art qui serviraient au développement d’un art national polonais, c’est pourquoi le Musée s’empressa d’acquérir un grand nombre de pièces qui permettraient une étude approfondie et une reproduction méthodique. C’est ainsi que le Musée se dota d’œuvres telle que La Vierge à l’Enfant avec Saint-Jean-Baptiste de Pinturicchio, le Triptyque de la Lamentation de Jean Bellegambe, ou Encore La Sainte Famille avec saint Jean, ses parents et les anges de Jacob Jordaens. Le 31 décembre 1923, il fut décidé que l’on construirait un nouveau bâtiment pour le Musée sur les avenues Jerozolimskie, dont le design fut imaginé par l’architecte Tadeusz Tołwiński. La construction débuta en 1927 et la grande ouverture du musée eut lieu en 1938, après près de dix ans de travaux ; le musée fut alors organisé selon un programme professionnel et chaque collection eut droit à son expert. A ce moment, le Musée accueillit ses premières expositions. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le Musée dut non seulement se battre bec et ongles pour conserver intactes ses collections, mais également protéger celles du Château Royal (Zamek Królewski), qui, en tant que symbole de la nation polonaise, avait été prises pour cible par l’armée allemande dès le début de la guerre. Malgré d’importants dégâts, le bâtiment du Musée survécut à la guerre, mais nombreuses furent les œuvres pillées ou détruites, particulièrement lors de l’Insurrection de Varsovie, quand le Musée fut occupé par une garnison de soldats allemands. Le 7 mai 1945, à la 32
libération, un décret fit du Musée l’institution centrale en matière d’art et son financement commença dès le mois de juin de la même année. C’est ainsi que les plus grandes collections polonaises furent acquises, avec parmi elles des pièces centrales, telles que la Dame à l’Hermine de Léonard de Vinci ou les tapisseries des Jagellon du château de Wawel.
Le polyptyque de Grudziądź, réalisé en Poméranie vers 1390, est un des ensembles les plus majestueux des collections médiévales du Musée. © E. Moutquin
De nos jours, le Musée accueille près de 830 000 œuvres d’art de Pologne et d’ailleurs, des temps anciens jusqu’à présent. Les collections du Musée se composent de photographies, de peintures, de sculptures, de dessins, d’impressions, de pièces de monnaie, ainsi que d’objets utilitaires et de design.
b. Collections
On compte au Musée National de Varsovie d'impressionnantes collections. D'abord, la Galerie Faras, malheureusement en restauration à l'heure de cette rédaction, présente des fresques uniques et des éléments architecturaux d’une cathédrale chrétienne nubienne (au Soudan actuel). Une équipe polonaise fouilla le site de Faras, recouvert par les eaux du lac Nasser lors de la création du barrage d’Assouan, entre 1960 à 1964. Plus d’une centaine de remarquables fresques murales furent alors sauvées et plus d’une soixantaine rapportées en Pologne. Ces détails architecturaux splendides, datant du VIIIe au XIVe siècle, sont exposés dans des salles dédiées. Une galerie d’Art médiéval présente quant à elle des sculptures, retables et peintures en provenance de toute la Pologne. On pourra également apprécier certaines œuvres des écoles de peinture européenne dans les galeries de peinture : Botticelli, le Tintoret, Nattier, Watteau, Détail de la bataille de Grunwald Jordaens, etc. illumineront la visite de leur maîtrise. de Jan Matejko [1878], représentant le roi victorieux de Pologne, Władysław II Jagellon. Mais Il faut également noter l’impressionnant tableau © A. D'haese de Jan Matejko (1838-1893) dans la galerie de peinture polonaise, La Bataille de Grunwald, peint en 1878, évoquant la défaite – symboliquement puissante dans la construction de l’identité polonaise – des Chevaliers teutoniques face à l’armée polonaise. Les œuvres de Józef Mehoffer, aux nombreuses peintures sur verre, pourront également ravir les amateurs d’Art nouveau avant de découvrir les vitrines consacrées aux monnaies et les salles d'art contemporain polonais et européen. 33
2. Gardons à l'esprit pendant la visite...
Comme nous l'avons évoqué plus haut, le Musée a recueilli pendant des décennies des œuvres d'art, notamment grâce au travail remarquable de l’un de ses directeurs, Stanisław Lorentz (qui mit fin à ses activités lors de l'imposition de la loi martiale en Pologne à cause de son soutien à Solidarność). S'il dut en abandonner certaines à d'autres musées et au Château Royal reconstruit au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, il reste une institution de premier plan dans le domaine artistique. Mais il semble naïf de ne voir en ce Musée qu'un « Musée des Beaux-arts », rassemblant dans un but essentiellement scientifique et philanthropique cette pléthore de tableaux, de sculptures et de dessins. N'a-t-il pas été pensé dès le départ en tant qu'institution visant à développer un art purement polonais, comme l'avoue la directrice de l'établissement elle-même ? Agnieszka Morawińska, la directrice du Musée, déclare en effet sur le site de l'institution : Alors que le Musée était ouvert au public, son premier objectif était d'amasser les collections d'œuvres d'art qui serviraient au développement des artistes polonais. Comme l'éducation artistique académique demandait énormément d'étude minutieuse et de reproduction de formes artistiques issues des périodes passées, le Musée se devait de posséder des spécimens de peintures et dessins provenant d'une variété d'écoles artistiques en plus d'échantillons didactiques de sculptures et de canevas représentant l'apogée de l'histoire de l'art – des modèles que l'on allait travestir et copier.1
Si, dans un premier temps, les acquisitions du musée servaient essentiellement un but didactique, elles participaient tout de même également à la fondation d'une collection d'art national, qui visait à exposer au public la spécificité de la culture polonaise au travers d'œuvres d'art tout en clamant au monde environnant que la Pologne, elle aussi, possédait des artistes tout aussi doués et compétents que les représentants des plus grandes écoles européennes. La création d'une galerie d'art polonais est révélatrice de cette volonté d'affirmation d'existence présente dans le chef de la Pologne dès l'aube du XXe siècle et qui n'allait aller qu'en se renforçant par la suite. Ensuite, il apparaît que chaque pièce du Musée, sans que cela soit flagrant, recèle une organisation qui trahit la volonté implicite de mise en valeur de son caractère polonais. On notera, pour ne citer qu'elle, la carte de la grande Pologne qui marque l'entrée de la galerie d'art médiéval. Les représentations récentes dans l'art contemporain des portes d'Auschwitz et les références au drame de l'Holocauste sont nombreuses, comme un écho lointain adressé aux nouveaux musées de Pologne
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1 — Traduction de l'anglais par l'auteur de cet article. Voir : site du Musée [en ligne] http://www.mnw.art.pl/en/o-muzeum-en-history/ Consultation : 13.11.2014)
(tel le Musée de l’Insurrection de Varsovie [Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW]), très ancrés dans une dimension émotionnelle et dans une volonté de commémoration.
Voir p. 13
L'expérience traumatique de l'Holocauste est également représentée, avec un certain humour, dans les galeries d'art contemporain [gauche : Z. Libera, Lego concentration camp, 2001 ; droite : O. Dawicki, I underline! I have never made a work about holocaust, 2012]. © E. Moutquin
La galerie d'art médiéval revendique avec force, comme les autres galeries, son caractere polonais. © A. D'haese
La preuve la plus probante à nos yeux de cette volonté (bien dissimulée ou peut-être inconsciente) d'affirmation identitaire est indiscutablement la place accordée à l'immense tableau de Matejko, dont nous avons déjà parlé plus haut : la Bataille de Grunwald, immense tableau exaltant la résistance victorieuse des Polonais face aux Teutoniques, représentation évidente de l'Allemagne conquérante et impérialiste, se trouve accrochée sous les feux des projecteurs sur le mur le plus en vue d'une des plus grandes salles du Musée, au milieu des autres œuvres historiques de Matejko. Le peintre y est avancé comme un des grands fondateurs de l'identité nationale polonaise. Si la contribution du peintre à l'histoire de l'art polonais et à la formation d'un imaginaire national (fondé, certes, sur des faits historiques) est évidente, notons que sa mise en valeur 35
particulière relève certainement, comme nous l'avons évoqué à maintes reprises plus haut, d'une volonté plus ou moins voilée d'exaltation de la culture polonaise, comme le réaffirment d'une part les vidéos (présentées dans la salle même) retraçant la restauration des tableaux de Matejko, quelques années après la chute du communisme en Pologne. D'autre part, les importants subsides polonais accordés à la culture en général et à des installations de ce type en particulier sont un autre témoignage de l'importance accordée par les autorités à la mise en exergue du caractère profondément national de son patrimoine artistique. Ainsi, bien plus que n'importe quel autre pays de l'ex-« bloc de l’Est », la Pologne a investi dans la construction de nouveaux musées et centres de recherche pour représenter son Voir p. 119 histoire (le Musée de l’Insurrection de Varsovie, le Centre Européen Solidarité [Europejskie Centrum Solidarności, ECS], la mise en avant de la Westerplatte, etc.), Voir mais s'est aussi attachée à la restauration et à la dynamisation d'anciens musées, comme p. 117 le Musée National de Varsovie, qui, s'il se présente de prime comme un musée d'art « traditionnel » (dans la veine, toutes proportions gardées, d'un British Museum, d'un Musée du Louvre ou encore de nos Musées Royaux d'Art et d'Histoire belges), révèle quelques traces de l'action de ce mouvement de valorisation de la culture polonaise, hyperactif depuis la fin des communismes en Europe. Demandons-nous tout de même si un musée « national », d'où qu'il soit, n'a pas pour vocation la mise en avant de cette « histoire nationale » ? On notera que malgré une certaine tendance (logique dans un tel établissement, chargé d'une longue tradition historique) aux rappels patriotiques des moments forts de l'histoire polonaise, une certaine neutralité L'impressionnante Bataille de Grunwald [1878] scientifique semble avoir été adoptée et la attirera immanquablement l'œil dans une salle qui lui est presque entièrement consacrée. scénographie même du musée laisse à penser que ses © A. D'haese conservateurs, académiciens et chercheurs reconnus, ont défendu farouchement que l'on aille trop loin dans l'émotionnel quand il s'agissait de la mise en valeur de leurs collections.
3. Dispositifs de représentation
Le Musée National, au-delà de ses divisions en galeries bien délimitées par des portes automatiques et habillées d'une couleur différente en fonction de l'époque considérée, ne s'est doté que d'un dispositif de représentation très sobre : on regrettera pendant la visite une absence de dispositifs pédagogiques (panneaux, etc.) pouvant fournir la 36
contextualisation historique et évènementielle nécessaire à la compréhension de certaines œuvres par le non-initié. Du reste, le visiteur est souvent appelé à déambuler au gré de ses envies sans qu'un sens de visite lui soit imposé, ce qui a pour avantage de permettre à chacun de suivre son propre rythme mais qui perdra peut-être un visiteur lambda, d'autant que les visites guidées sont onéreuses. Au contraire des nouveaux musées ultramodernes tels le ECS de Gdańsk ou le Musée de l'Histoire des Juifs polonais (Muzeum Historii Voir Żydów Polskich, MHŻP, aussi appelé « Musée POLIN »), qui se signalent par p. 23 l'utilisation massive de technologies à usage ludique et didactique, le Musée National reste traditionnel dans la diffusion de ses collections, exception faite de la salle des expositions temporaires et de celle accordée aux tableaux de Matejko, préférant le simple panneau descriptif à une autre forme d'explication. Le visiteur non-polonophone devra, s'il désire en savoir plus, suivre le guide (payant) du musée car les gardiens ne feront pas toujours preuve de la meilleure des volontés pour lui répondre en anglais.
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Visite de l’Institut de la Mémoire Nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN)
Loïc BORGIES & Bastien DAVID
1. Contextualisation
L
’apparition de la démocratie en Pologne, suite à la chute du régime communiste dans les années 1980-1990 est un évènement clé dans l’Histoire de ce pays. Elle permit notamment, l’ouverture de nombreux dépôts d’archives jusqu’alors fermés aux citoyens. A partir de 1989-1990, des politiques de mises à disposition et de facilité d’accès aux archives pour le grand public se mettent en place. De ces politiques, soutenues par les gouvernements élus démocratiquement, naît l’Institut de la Mémoire Nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN) en 1998, dont la mission première est la gestion des archives issues des services de sécurité d’Etat communistes. L’IPN est considéré comme le plus grand centre polonais de recherches en histoire contemporaine. Son personnel est nombreux et composé de chercheurs spécialisés de formation universitaire. L’institution est consacrée à l’édification de l’histoire nationale et à la construction (ou reconstruction) de l’identité polonaise. Les enjeux mémoriels collectifs sont au cœur du projet de l’IPN Les activités de l’Institut se répartissent en quatre pôles principaux : •
la gestion des dépôts d’archives ;
•
le Bureau d’Education Publique (Biuro Edukacji Publicznej, BEP) veille à la diffusion
et à la valorisation d’outils pédagogiques sur l’histoire polonaise ; •
le Bureau en charge de la lustration (Biuro Lustracyjne) inspecte les antécédents des prétendants aux principales fonctions politiques et administratives de l’Etat ;
•
une Commission générale de Poursuite des Crimes perpétrés contre la Nation polonaise (Główna Komisja Ścigania Zbrodni Przeciwko Narodowi Polskiemu, GKŚKpNP) sous les régimes nazis et soviétiques.
2. Impressions personnelles
L’IPN occupe une position capitale dans l’horizon historiographique contemporain polonais. On peut, à juste titre, qualifier l’action de l’Institut au sein de la politique culturelle de l’Etat polonais d’omniprésente. En effet, à travers les villes visitées Voir (Varsovie, Gdańsk et Sopot), de nombreux projets et réalisations sont marqués du p. 101 sceau de l’Institut. Des musées et institutions à vocation culturelle, comme le Musée de Voir l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW), présentent p. 159 des archives dont l’Institut a la garde. Celles-ci comportent aussi bien des archives papiers, que des documents photographiques et cinématographiques ou des films de Voir p. 13 propagande. L’IPN détient aussi des enregistrements audio de témoins oculaires. Par exemple, on retrouve des enregistrements datant de la période soviétique, ainsi que des mises sur écoute orchestrées par les services de sécurité communistes. Les expositions temporaires, permanentes et de plein-air que nous avons visitées recourent abondamment aux archives iconographiques, lesquelles visent à répondre aux besoins d’un large public baignant de plus en plus dans une société de l’image. Voir p. 13
La présence de l’Institut ne se remarque pas seulement au sein des salles de musée et d’exposition. En effet, l’Institut investit également l’espace urbain. Les places et les rues sont jalonnées de panneaux didactiques concernant l’histoire du lieu dans lequel ils sont installés. Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de librairies vendent également les ouvrages publiés par l’Institut. Ce dernier se positionne d’ailleurs comme le premier éditeur d’ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Pologne. Ces ouvrages se revendiquent d’une haute qualité scientifique tout en restant abordables au quidam. Enfin, à l’occasion, l’IPN procure son œil d’expert pour qui étudie l’histoire contemporaine de la Pologne. L’IPN nous a fait l’honneur d’organiser une conférence en son sein afin de présenter ses divers pôles d’activité. L’intérêt de cette visite consistait surtout à découvrir, pour un public averti de futurs historiens, une institution qui ne trouve aucun homologue en Belgique. L’Institut a été créé au départ dans un but précis et, avec l’aide du gouvernement, a progressivement diversifié ses activités. L’IPN offre ainsi aux historiens polonais un 40
débouché professionnel exceptionnel, plus rémunérateur même qu’une place à l’Université. Malgré tous les bienfaits que représente cet Institut pour la Pologne, les étudiants sont restés à bon droit critiques à son égard. En effet, cet organisme chargé d’écrire ou de réécrire l’histoire nationale peut présenter des dangers. Premièrement, se profile à l’horizon le piège historiographique d’écrire un roman national, dans un contexte où le rôle de la Pologne dans la conflagration de 1939-1945 a été sous-évalué, négligé ou non reconnu. Les historiens polonais seraient ainsi tentés d’insister à outrance sur l’action polonaise durant la Deuxième Guerre mondiale, et de prendre une position émotionnelle de victime. Dans le livre sur l’histoire de la Pologne entre 1939 et 1989 que l’IPN nous a gracieusement offert, quelques prémices de ce danger historiographique se ressentent. Deuxièmement, vu l’ampleur des budgets dégagés et de l’intense dynamisme culturel de l’IPN, celui-ci doit se garder de se transformer Etudiants de l’ULB lors de la pause de la conférence donnée par l’IPN. en une entreprise mercantile de la © David et Borgies culture et de l’histoire. Enfin, l’étroite connexion existant entre les pouvoirs politique et judiciaire d’une part et l’écriture de l’histoire par l’IPN d’autre part place une forte responsabilité sur les épaules des historiens de l’IPN Ce qu’ils écrivent aura certainement des conséquences directes sur la société. Par ses activités, l’IPN montre remarquablement que l’historien a un rôle important à jouer dans la société et répond à des demandes sociales particulières : la recherche du passé sous le régime communiste, l’attribution des responsabilités dans les crimes de guerre qu’ils aient été commis par les nazis, par les communistes ou même par les Polonais, la transmission de l’histoire polonaise par des moyens didactiques. La rencontre avec les différents responsables de l’IPN a été chaleureuse et enrichissante. Ces historiens, provenant d’établissements universitaires de Pologne, communiquent la passion de leur profession. Le responsable du département IPN. 1939-1989. It all began in Poland. archivistique, Przemysław Gasztold-Sen, fut d’une grande aide dans nos démarches. Il est aisé de le contacter afin d’obtenir de plus amples informations. Il en est de même pour Łukasz Michalski, responsable du département éducatif. Son exposé clair et précis sur la politique de diffusion du passé de l’IPN a passionné l’auditoire. En effet, les conséquences du passé tumultueux de la Pologne, balloté par les tempêtes nazies 41
et soviétiques, s’exercent encore aujourd’hui sur tout un peuple. Il est ressorti des exposés des historiens de l’IPN qu’une prise de conscience par la population est essentielle et nécessaire. Elle s’opère par des rencontres, des expositions, des manuels scolaires, etc. D’autres moyens attractifs fournissent d’excellents supports de vulgarisation. Les sites internet comptent parmi leurs armes majeures. Plusieurs sites existent concernant différents épisodes contemporains, des thématiques précises ou encore des personnalités influentes. L’IPN a aussi eu l’ambition de créer plusieurs jeux de société accessibles aux plus jeunes. Parmi eux, un jeu de plateau baptisé Kolejka (La Queue) s’inspire en le prenant à contrepied du célèbre jeu capitaliste, le Monopoly. Ce jeu se veut représentatif du régime communiste passé. L’idée est astucieuse, car il est parfois plus facile d’expliquer une situation par le jeu, comme le système du marché planifié.
Bémol de la visite : le groupe d’étudiants, Jeu de société Kolejka © http://ipn.gov.pl/ comportant de futurs archivistes, aurait souhaité découvrir de visu la dimension archivistique de l’Institut, en plus de la présentation de quelques documents d’archives lors de la conférence. Bien qu’il aurait été quasi impossible d’emmener un groupe d’une quarantaine d’étudiants dans ces lieux (habituellement inaccessibles au public), une visite des dépôts, de la salle de consultation d’archives ainsi que de quelques documents-types, aurait à coup sûr été fructueuse. De plus, on aurait souhaité avoir une présentation des méthodes de classification d’archives. Pour finir sur une note plus légère, l’IPN déploya un buffet impressionnant témoignant non seulement de leur hospitalité, mais également des budgets que le gouvernement polonais (composé d’ailleurs de plusieurs historiens de formation) met à sa disposition pour mener à bien ses différentes tâches.
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Le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN)
Tiphaine DUPUY & Yoanna ALEXIOU Voir p. 82
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omment s’imprégner de l’ambiance de Varsovie sans passer par le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN) où communisme et architecture sont étroitement associés, pour le meilleur et pour le pire, dans ce véritable chef d’œuvre architectural des années 1950.
PKiN © Wikipedia Commons
PKiN, vue des pieds © T. Dupuy
1. Histoire
Varsovie fut détruite à 90% pendant la Deuxième Guerre mondiale. Dès 1949, une politique de reconstruction se met en place. Le parti communiste de Pologne édifiera, Voir par exemple, un plan de restauration du centre de la Vieille Ville (Stare Miasto) dans un p. 59 style qui se voulait conforme à ce qu’elle était au XIXe siècle. Les autorités de la ville, bien qu’influencées par les politiques de reconstruction en URSS, ont essayé d’en faire un quartier historique rappelant la Varsovie d’avant-guerre. Pourtant, l’édification du Palais au cœur de Varsovie, entre 1952 et 1955, s’est fait dans le plus pur style réaliste-socialiste et symbolise encore aujourd’hui l’influence communiste et la stalinisation de la Pologne. Ce bâtiment colossal fut érigé en tant que « don de la nation soviétique à la nation polonaise »1, cadeau de Staline lui-même qui ordonna, dès 1945, de construire « quelque chose » en l’honneur des Polonais. Pendant plusieurs années, les officiels des deux pays réfléchissent ensemble sur l’interprétation à donner à la volonté du dirigeant soviétique. Ils ont ainsi hésité entre la construction d’un métro et celle d’un palais, symbole du nouveau lien qui unissait la Pologne et l’URSS. En 1951, la décision est prise de construire un gratte-ciel. Lev Rudniev est chargé de le concevoir et l’acte de naissance est signé le 5 avril 1952. Contrairement à ce qui pourrait être pensé, sa construction n’a duré que trois ans. Il sera donc inauguré en 1955. Ce bâtiment colossal fait clairement écho aux gratte-ciels staliniens de Moscou, construits pour les 800 ans de la ville. Une des septs soeurs de Moscou © wikipédia Commons
Seuls sept bâtiments sont érigés dans la capitale moscovite, les « Sept Sœurs de Moscou », le PKIN étant considéré comme la huitième. 3 500 ouvriers ont travaillé à sa construction et 40 millions de briques furent utilisées. On a peine à croire aujourd’hui à l’organisation d’un tel chantier. Les ouvriers étaient tous, sans exception, russes, spécialement détachés à Varsovie pour l’occasion. Ils vivaient dans un quartier construit uniquement pour eux (devenu aujourd’hui un quartier étudiant au nord-ouest de la ville). Ils disposaient de leurs propres restaurants, bars, piscines, etc. Tout contact avec la 1 — LERAY C., « Palais de la culture et de la science », Vue du PKIN à la sortie du métro. © T. Dupuy in : http://www.cyberarchi.com/article/palais-de-lapopulation 44
culture-et-des-sciences-varsovie-23-04-2003-486 Consultation : 21.09.2014
polonaise leur était strictement interdit. Titulaire d’un « passeport » particulier, considéré comme laissez-passer, ces ouvriers étaient conduits sur le chantier dans des bus spéciaux et travaillaient jour et nuit, 24 heures sur 24. En outre, des usines furent spécialement construites en URSS pour produire les céramiques et les briques utilisées. Les matériaux furent importés de l’Oural et de Géorgie. Des ateliers se consacrèrent exclusivement à la création des statues qui ornent l’immeuble. Elles furent érigées en l’honneur de scientifiques soviétiques et polonais reconnus, mais aussi de l’architecte ayant imaginé ce projet d’envergure.
2. Courant architectural
Le PKIN est caractéristique du mouvement réaliste-socialiste, courant littéraire et artistique soviétique qui naît en 1934 et condamne les recherches formelles ainsi que l'attitude critique de l'écrivain ou de l'artiste à l'égard de la société. Il se positionne contre l’art moderne qui se mettait en place à l’époque et invite tout artiste à se consacrer désormais à ce nouveau style dépourvu de symbolique. Le réalisme socialiste est défini par Andreï Alexandrovitch Jdanov (1896-1948), à la tête de la politique culturelle stalinienne, chargé de traduire le marxisme en termes artistiques. Cette méthode de création artistique fut reconnue comme la seule officielle en Pologne lors du Congrès des Ecrivains polonais à Szczecin en 1949. Avec le réalisme-socialisme, l’art est épuré de toute conception symbolique et devient un moyen de faire comprendre et de faire accepter au peuple l’idéologie « socialiste ». Par ses conceptions simples, il permet d’être compris de tous, du paysan à l’intellectuel. Conçu pour exalter la supériorité du communisme, le Palais, au style éclectique, s'inspire du baroque russe, du gothique et des buildings américains des années 1930, pour donner un style qualifié parfois de « gothique stalinien ». Pour l'adapter au goût polonais, Rudniev, l’architecte, s'est inspiré de certains détails des palais médiévaux de Cracovie, l'ex-capitale de la Pologne. Si les particularités architecturales des bâtiments réalistes-socialistes varient, certaines caractéristiques restent pourtant constantes, telles leurs formes massives, la flèche élevée qui surmonte la tour la plus haute, les structures verticales marquées par les alignements des fenêtres et les tours étagées en hauteur. Le but d’une telle structure était de faire ressentir la puissance écrasante de l’Etat populaire et la pérennité de la masse.
La salle des congrès du PKIN. © lepetitjournal.fr
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3. L’architecture du Palais
Le bâtiment en lui-même mesure 230 mètres, sans compter l’antenne qui le surplombe du haut de ses 43 mètres. Le Palais abrite 3 288 pièces, accueille actuellement un théâtre, un cinéma, le Musée de la Technique, une salle de congrès pouvant accueillir 3 000 personnes, et au trentième étage, une terrasse qui offre une superbe vue panoramique sur la ville.
Varsovie depuis la terrasse panoramique. © T. Dupuy
Bien sûr, l'emplacement de ce gratte-ciel, au croisement des boulevards principaux, n’a pas été choisi de manière anodine. Il était destiné à structurer l'espace urbain. Puisque qu’il était presque impossible à l’époque de ne pas le voir dans un rayon de trois kilomètres, il servait par son emplacement à la propagande soviétique au sein de la capitale polonaise. Les éléments de décoration sculptés ou peints, sont à la gloire du peuple, dans la logique d’une propagande artistique valorisant la figure de Staline. A l’origine, ils étaient roses et composés d’une série d’éléments en Intérieur du Palais. © T. Dupuy céramique entourant une structure légère. Cela a rendu leur entretien très coûteux et difficile, ce qui explique la perte de couleur depuis sa création. Le fait que les sculptures et statues aient été conçues en rose rappelle le Palais de Moscou. Quand la construction toucha à sa fin, il fut finalement décidé que le Palais serait consacré à la science et la culture et son Figures à la gloire du peuple entourant le Palais © T. Dupuy
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image fut alors imprimée en Pologne sur tous les supports possibles et imaginables : timbres, boîtes d'allumettes, paquets de cigarettes, calendriers, etc. C’est d’ailleurs une référence picturale qui se retrouve toujours actuellement dans de nombreux souvenirs vendus aux touristes venus visiter la ville. Une petite anecdote, pouvant être entendue sur place, nous raconte que la terrasse panoramique ne comportait pas de grille Carte postale de Varsovie © lemensuel.ca de protection à la création du Palais. Mais un suicide lors de la première année d’ouverture, a poussé les autorités à en installer une en 1956. L’histoire ne nous dit pas si ce décès avait un lien quelconque avec une résistance à Staline ou au communisme imposé en Pologne.
4. Un bâtiment controversé : réception du Palais en Pologne
Si une partie de la population prit la tour en grippe dès le début, celle-ci fut pour d'autres la preuve que le progrès et la modernité avaient enfin atteint la Pologne. En 2001, une des plus hautes horloges au monde y a été ajoutée. En 1955, le Palais était encore la deuxième construction la plus haute en Europe, juste après la Tour Eiffel. Aujourd'hui, ce n’est plus que le sixième plus haut gratte-ciel d’Europe. Les Varsoviens ne sont pas fiers de ce « triste » édifice et disent avec humour que la plus belle vue sur Varsovie est celle qu’offre la terrasse du Palais, le seul endroit d’où il ne peut être vu. La controverse qui entoure le Palais est une question qui revient régulièrement dans la politique culturelle polonaise, d’autant plus que l'assassinat de deux mille soldats à Katyń et les brimades faites à la population par l'Union Soviétique entachent encore de L'horloge du PKIN. © T. Dupuy nos jours les rapports entre Moscou et Varsovie. Depuis la chute du communisme, des voix se sont élevées en Pologne pour réclamer la destruction de ce symbole de l'oppression soviétique, puisque celui qui en a fait « don au peuple polonais » a « les mains tachées de sang »2. En effet, 1989, parfois appelé le début de la « nouvelle ère » de la IIIe République de Pologne, est une période où tout ce qui a trait au communisme a tendance à être rasé au profit de nouveaux symboles à la gloire des héros polonais : places, monuments, bâtiments, nom de rues, etc. Malgré des années de 2 — TETE M., « Le Palais de la culture et de la science », in : http://www.lepetitjournal.com/varsovie/a-voir-a-faire/180392-visite-avec-varsovieaccueil-le-palais-de-la-culture-et-de-la-science Consultation : 21.09.2014
réflexion, les gouvernements polonais qui se sont succédés ont choisi de conserver ce bâtiment, œuvre dont l'architecture reste unique en Europe et qui, à lui seul, résume la géopolitique de l’époque. Il n'y a sans doute pas une seule autre tour au monde qui cristallise autant de contradictions et de paradoxes. Il inspire aux Polonais des sentiments ambivalents, un mélange de respect et de haine. Haï par les Varsoviens, au point que certains voulaient sa démolition, admiré par les touristes pour son originalité, au point qu'un milliardaire américain a voulu le racheter pour le transposer aux Etats-Unis, le Palais, qui domine la capitale polonaise, a fini, malgré les controverses, par être classé monument historique en 2011. « Qu'on l'aime ou non, il est là, explique à Libération Lech Isakiewicz, directeur du PKiN. Qu'on y voie un bâtard de Staline ou un don généreux du peuple russe, on n'y peut rien, telle fut notre histoire. »3 N’oublions pas non plus, qu’aujourd’hui, il faut payer très cher pour avoir une vue sur le bâtiment. Les agences immobilières l’ont bien compris et vendent à prix d’or les appartements qui entourent le Palais. Il est l’un des bâtiments qui attire le plus de touristes. Depuis son classement en tant que monument historique, plus personne ne peut y toucher sans l'aval des autorités. « C'est le symbole d'une époque qui mérite d'être préservée, même s'il suscite des souvenirs liés au régime soviétique, rétorque Stefan Kurylowicz, architecte favorable à la préservation de l'édifice. Ce sera aussi une forme de mise en garde contre des systèmes totalitaires. »4 De nombreux intellectuels soulignent que le mal fait à la ville est irréversible et citent, en guise d’exemple, le fait d’avoir construit le Palais, sur le quartier juif du centre de la ville. Jarosław Zieliński, historien spécialiste de la ville s’interroge : « Devons-nous détruire ce qui a détruit ? »5 Curiosité architecturale, le Palais rappelle un bout d’histoire politique encore brûlante dans la mémoire polonaise, en pleine reconstruction depuis l’explosion de l’URSS. Le nombre extravagant de salles rend presque impossible sa visite complète en moins de deux jours. Cependant, la terrasse vous accueillera été comme hiver et vous permettra d’admirer le Varsovie d’après-guerre. Une expérience qui laisse admiratif.
3 — LERAY C., « Palais de la culture et de la science », in : http://www.cyberarchi.com/article/palais-de-la-culture-et-des-sciences-varsovie23-04-2003-486 | Consultation : 21.09.2014 4 — ZOLTOWSKA M., « Le Palais de Varsovie : Histoire classée », in : http://www.liberation.fr/monde/2007/02/28/le-palais-de-varsovie-histoire-classee_86234 Consultation : 21.09.2014 5 — Idem.
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Compte-rendu de rencontre avec les responsables d’un musée en attente d’exposition permanente. Le Musée d’Histoire de Pologne (Muzeum Historii Polski, MHP)
Sébastien CHARLIER & Tarquin STORME
L
e Musée d'Histoire de Pologne (Muzeum Historii Polski, MHP) est un projet qui vit le jour officiellement le 2 mai 2006, sous l'impulsion du ministère polonais de la Culture et du Patrimoine national, dont il dépend exclusivement, tant au niveau
financier que structurel. Depuis l'origine, le projet s'est peu à peu affiné et, aujourd'hui, il est, selon l’équipe de Monika Matwiejczuk qui nous a reçus, tout à fait mûr pour être concrétisé en un véritable musée. C'est en 2011 que le concept de l'exposition permanente fut finalisé, une équipe polonaise remportant le concours. L'objectif de ce dernier sera d'offrir au public une panorama général de l'histoire politique de la Pologne. En effet, ces dernières années, les créations de musée traitant de différents aspects de l'histoire polonaise se sont multipliées, et particulièrement à Varsovie (Musée de l’Insurrection de Varsovie [Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW], financé par la ville, Musée de l'Histoire des Juifs polonais [Muzeum Historii Żydów Polskich, MHŻP, aussi appelé « Musée POLIN »], financé par des fonds publics et privés, etc.). Cependant, aucun d'entre eux, pas même le Musée National de Varsovie (Muzeum Narodowe w Warszawie, MNW), qui est plutôt un musée d'art, ne traite de l'histoire de Pologne dans son ensemble, toute époque confondue. C'est pour combler cette lacune que le concept du MHP. fut pensé. Concernant sa (future) exposition permanente, elle viserait à montrer une histoire de Pologne non pas cloisonnée à ses frontières, mais en relations avec celle des autres peuples et pays de la région. Elle se déploierait sur différents axes de réflexion. Tout d'abord, la cristalisation de la nation polonaise et la formation de son État ; ensuite, l'exposition serait axée sur le thème de la liberté. Ainsi, l'idée de base est d'exposer aux visiteurs comment les Polonais, au fil de leur histoire, se sont constitués en corps politique
aspirant, avant tout et contre toute domination étrangère, à l'obtention de leur propre État indépendant, libre et souverain. Plus pratiquement, l’exposition permanente se présentera comme un réseau de galeries où chaque espace pourrait communiquer des idées liées à des moments historiques spécifiques. Une zone médiévale, en plusieurs pièces étroites, sera succédée par une zone post-médiévale sous forme de grosse galerie. Ensuite, le visiteur découvrira un espace dédié à l’État et à la culture. Un autre ensemble sur les deux guerres mondiales sera bien évidemment mis en place. Enfin, un dernier espace concernera la période communiste. Une grande cour extérieure permettra l’organisation d’expositions ponctuelles plus importantes. L'intention des coordinateurs du projets est de proposer au public un récit très immersif dans les paysages visuels et sonores typiques des différentes époques abordées. Tout cela passera notamment par l'utilisation importante des dernières technologies multimédias. En effet, comme mentionné plus haut, la particularité du MHP. est sans doute d'être un musée sans musée, sans locaux d'exposition ni exposition permanente. En 2009 pourtant, un concours international d'architecture pour un site permanent fut organisé, aboutissant à la détermination d'un lieu (à Varsovie, non loin du château d'Ujazdowski) et d'un bâtiment (le projet architectural retenu devant faire environ 20 000 m2). Ce tout nouveau site sera entièrement consacré à l'histoire et la culture polonaise, depuis la fondation du royaume de Pologne au Xe siècle jusqu'à nos jours. Cependant, si aujourd'hui, la construction n'a toujours pas commencé, c'est essentiellement dû à un problème de financement au niveau décisionnel, c'est-à-dire au niveau du ministère de tutelle. Dès lors, le Musée, en attente d'une exposition permanente à gérer, se concentre, en tant qu'institution culturelle, sur la participation à l'organisation d'activités abordant des aspects divers et variés relatifs à l'histoire de Pologne. Il soutient notamment de nombreux événements culturels, tels que des expositions, des conférences, l'édition de livres, etc. Parmi ces activités, citons notamment : •
L’exposition sur la République des Deux-Nations et la diversité de ses peuples, présentée du 3 mai au 30 novembre 2012 au Château Royal (Zamek Królewski) de Varsovie. Elle reçut la récompense Sybilla 2012 de la « meilleure exposition historique ».
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l’exposition sur le football polonais en tant que ciment de la nation sous le régime communiste, présentée du 12 mai au 30 novembre 2012.
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Le jeu-exposition « Solidarité » et le chemin vers l’unité européenne, installé dans le Parc du Cinquantenaie de Bruxelles en octobre 2011, à l’occasion conjointe du 30e anniversaire de l'appel à la libération de tous les peuples d'Europe centrale et orientale du Premier Congrès national de Solidarność, suivie de l'instauration de la loi martiale, en décembre 1981, et de la Présidence polonaise du Conseil Européen. Cette exposition avait pour objectif de faire connaître aux Occidentaux la réalité de la vie à l'est du Rideau de fer.
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La participation active à l'exposition officielle sur Jan Karski et sa mission, en janvier 2013 au siège de l'O.N.U. à New-York.
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En effet, outre les relations, nombreuses, avec d'autres musées et institutions culturelles et à but historique (y compris avec le monde académique, plusieurs historiens faisant, par ailleurs, partie du conseil de direction) au sein-même de la Pologne, le Musée a développé des relations avec toute une série d'organisations étrangères aux pays, notamment en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Russie. Plus récemment encore, le musée fut l'organisateur d'une modeste exposition dans les locaux de la Nouvelle bibliothèque de l'Université de Varsovie sur l'émigration polonaise à Londres, du 28 septembre au 30 novembre 2014 (exposition que nous avons eu le loisir de découvrir au cours de notre voyage à Varsovie, le 1er octobre). Le MHP. travaille aussi, à l'instar de l'Institut de la Mémoire Nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN), à fournir un matériel éducatif et didactique, au moyen de jeux interactifs, ainsi que par l'organisation de compétitions pour écoliers. De plus, il cherche également à attirer le visiteur étranger pour le plonger dans l’histoire polonaise par la publication de catalogues d’exposition bilingues (polonais/anglais) ainsi que d’un rapport annuel décrivant leur action. Aspect peut-être moins évident aux yeux des Européens occidentaux, le musée promeut aussi une certaine forme de patriotisme, par exemple au sein du programme « Patriotism of tomorrow »1, qui entre dans le cadre de son objectif d'éducation du public en général, mais aussi des plus jeunes. Cependant, cet aspect de l'appel aux valeurs « patriotiques et citoyennes » n'est pas très présent, que ce soit dans leurs discours, leur site ou leur documentations, et est sans doute à replacer dans le contexte plus général d'un patriotisme toujours très prégnant en Europe orientale et centrale, par rapport à l'Europe occidentale. Si ce n'est, par ailleurs, pas sans rappeler les controverses dont ont pu (et peuvent encore) faire l'objet l'IPN., au cours de notre entrevue, les responsables que nous avons rencontrés nous ont bien assurés que le projet final du Musée n'était en aucun cas de présenter une version biaisée ou partielle de l'histoire du pays, mais d'en aborder tous les aspects – dans la limite du thème général, bien entendu – y compris les moins reluisants comme, par exemple, les pogroms ou la collaboration aux régimes nazi puis communiste. En dehors du cadre strict de ses événements (expositions ou autres), le Musée a su développer deux projets importants dans le domaine académique. Le premier est le projet BazHum, qui a pour volonté de fournir un accès gratuit à toute une série de publications académiques concernant les sciences humaines, et en particulier l'histoire2. Le second est le site internet www.polishhistory.pl, qui contient plusieurs bases de données destinées principalement aux scientifiques et renseigne sur les lieux et dates de différents événements culturels et/ou académiques en lien avec l'histoire de Pologne (organisation de conférences, d'expositions). Ce dernier site répond aussi de la volonté du MHP. de développer un matériau utilisable par les professeurs d'histoire de primaire et de secondaire. Ce dernier projet est, lui aussi, né en 2006, avant de se concrétiser un an plus tard, en juin-juillet 2007.
1 — Musée d’Histoire de Pologne (Muzeum Historii Polski, MHP). [En ligne] <http://en.muzhp.pl/> 2 — Le 29 mai 2013, le ministère des Sciences et de l'Enseignement supérieur accorda à BazHum une place dans la liste des banques de données de référence, utilisées pour l'évaluation des journaux académiques. [En ligne] <http://bazhum.pl/>
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Le Neon Museum
Loriane YERRO & Alexandra MICCICHE
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ingt-cinq ans après la chute du communisme, la mémoire du passé constitue plus que jamais un enjeu de taille dans les pays de l’ex-« bloc de l’Est ». En témoigne notamment une multiplication de projets culturels portant sur cette thématique : de Berlin à Riga, le communisme fait, en effet, sa grande entrée dans les musées. La capitale polonaise s’inscrit également dans cette « muséification » par l’éclosion de diverses initiatives telles que celle du Neon Museum, un projet des plus originaux et novateurs dont nous avons pu faire l’expérience au cours d’une visite le 1er octobre 2014.
Vue extérieure du Neon Museum. © A. Picot
Vue intérieure du Neon Museum. © E. Tallier
1. Présentation générale et objectifs du Neon Museum
Créé en 2012, le Neon Museum se consacre à la mise en valeur des néons ayant orné les façades de Varsovie durant la Guerre Froide. Celui-ci trouve son origine dans le projet de documentation photographique pensé par les propriétaires et directeurs David Hill et Ilona Karwińska en 2005 : le « Polish Neon ». Photographies contemporaines, plans originaux et cartes postales anciennes constituent ainsi la base de la collection du musée. Le Neon Museum compte par ailleurs en son sein une cinquantaine de néons d’époque. La conservation et la restauration de ces enseignes lumineuses dans un intérêt purement esthétique constituent les deux objectifs majeurs des créateurs du Neon Museum. A ceux-ci s’ajoute également une finalité qui se veut citoyenne : en effet, le musée lutte depuis sa fondation en faveur d’une réinsertion de ces néons dans l’espace public de Varsovie, une tâche qui fut dans certains cas couronnée de succès. En outre, l’initiative pose la question de la nostalgie du communisme (« l’ostalgie ») et constitue dès lors une problématique historienne particulièrement intéressante au vu des controverses que celle-ci pourrait soulever. Pour appréhender et comprendre pleinement ce phénomène, un bref retour sur l’histoire du néon dans la capitale polonaise nous semble nécessaire. Déjà présent au sein de l’espace public polonais avant la Deuxième Guerre mondiale, le néon en sera écarté après l’instauration du régime communiste en Pologne, celui-ci étant en désaccord avec l’idéologie de l’époque. Ce ne fut qu’après la mort de Staline en 1953 et la révolte de Poznań trois ans plus tard que le néon fera son grand retour dans l’architecture polonaise. Cette période suscita, en effet, un élan de liberté qui se traduisit également dans le paysage urbain. Inspirés des néons occidentaux, ils s’en distinguaient néanmoins par leurs utilisations : ne constituant pas un simple vecteur de publicité, ceux-ci faisaient partie intégrante de la ville et servaient à l’embellir ainsi qu’à l’égayer. De surcroît, les néons faisaient office de repères géographiques pour les habitants (ils leur permettaient notamment de se situer dans Varsovie) et se révélaient également être une alternative moins coûteuse à l’éclairage public classique. A la chute du communisme, ils tomberont petit à petit en désuétude d’une part parce qu’avec la mise en place du système capitaliste, le flot de publicité à l’occidentale inonde Varsovie et d’autre part parce qu’on voit naître à ce moment une certaine volonté de masquer ces néons, symboles de la période communiste. En découle aujourd’hui une Varsovie souffrant de « pollution publicitaire » ne laissant transparaître aucune structuration urbanistique.
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Dans ce cadre de déstructuration de la capitale, les propriétaires entendent, par leur initiative, sensibiliser la population à la question du néon ainsi qu’à sa réhabilitation : le néon doit, selon eux, être perçu comme un héritage certes controversé de l’histoire polonaise mais également (et surtout) comme un élément essentiel à préserver.
2. Approche critique du Neon Museum
Lors de notre venue au Neon Museum, le directeur nous fit l’honneur de nous présenter son projet au cours d’une visite guidée. Dès notre arrivée, le caractère esthétique de cette initiative transparaît clairement, en témoigne d’ailleurs son étonnement lorsque nous nous présentons comme étudiants en histoire et non en arts plastiques. Cet épisode peut paraître anecdotique, néanmoins, cette confusion fait sens : le Neon Museum se présente avant tout comme un musée d’art. Les néons, exposés comme des œuvres artistiques et des curiosités vintage – un phénomène de mode se caractérisant par un goût prononcé du rétro se développe, en effet, depuis quelques années en Pologne également – constituent, de fait, les pièces maîtresses du lieu. Pas du tout théâtralisée par l’usage de mise en scène ou d’effets de son et lumière, l’exposition se focalise exclusivement sur les enseignes lumineuses qui se suffisent à elles-mêmes. L’expérience s’annonce, par ailleurs, multi-sensorielle : en état de marche, les néons illuminent l’entrepôt de leurs mille couleurs ; notre guide nous encourage également à toucher les néons et à en percevoir le « bourdonnement » si particulier permettant ainsi de recréer l’ambiance des rues de Varsovie durant la Guerre Froide. Le résultat en est spectaculaire et l’exploitation du néon en tant qu’objet artistique est parfaitement atteinte.
Quelques exemples de néons (gauche : © C. Sitarski, centre © L. Yerro-Alcalde, droite : © C. Sitarski)
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Outre par la scénographie, cette mise en valeur transparaît également dans le discours du propriétaire, traduisant sa fascination pour le néon et son esthétisme. Car plus qu’une visite guidée classique, il s’agit d’une véritable immersion dans l’univers de celui-ci qui n’hésite pas à faire part de son parcours personnel pour justifier son initiative. Nous apprenons au demeurant que c’est à la suite d’un voyage à Varsovie, pendant lequel le couple de directeurs découvre l’état d’abandon des enseignes lumineuses, que celui-ci prend conscience de l’intérêt qu’elles représentent. Par ailleurs, la dimension artistique du projet s’observe également à travers l’emplacement du musée. Situé au cœur du quartier de Praga, dans un bâtiment rebaptisé « Soho Factory », l’endroit est, de fait, un espace d’avant-garde pour la culture : cette ancienne zone industrielle connaît aujourd’hui un renouveau grâce à l’implantation d’acteurs culturels en son sein et à l’organisation d’événements dans ce domaine (vernissages d’artistes reconnus et de jeunes designers prometteurs, festivals de danse, concerts, etc.). Les bâtiments, notamment reconvertis en galeries d’art, répondent pleinement aux besoins et aux exigences des artistes. L’objectif esthétique revendiqué par les directeurs du musée étant pleinement rempli, les amateurs d’art ressortiront, nous en sommes convaincus, pleinement satisfaits d’une visite au Neon Museum. Les aficionados d’histoire, quant à eux, le seront probablement moins, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ceux-ci pourraient déplorer la focalisation exclusive sur le néon en tant qu’objet artistique au détriment d’une réflexion historique. Si le but n’était pas de faire la propagande du régime communiste mais bien de faire connaître au public, polonais ou étranger, une facette de la Pologne socialiste, les amateurs d’histoire pourraient néanmoins s’attendre à un débat autour de la question de la mémoire. Pourtant, timidement abordé par le directeur, le sujet passe quelque peu à la trappe. Il faut noter que le Neon Museum ne fait pas figure d’exception puisqu’on observe la même tendance au sein d’autres initiatives en Europe de l’Est : pour exemple, le Musée de l’art socialiste à Sofia qui, sans exprimer de convictions politiques, tente de la même manière de trouver un nouveau point de vue esthétique sur une partie de l’héritage culturel bulgare, ou encore le parcours guidé organisé à Cracovie entendant faire découvrir le passé communiste sans aucun positionnement politique. Ensuite, on peut également noter le manque d’ancrage historique des panneaux explicatifs : hormis quelques informations sur l’emplacement originel des néons exposés ainsi que sur leur date de donation au musée, ceux-ci ne sont guère loquaces. Pancarte du néon Cepelia. © L. Yerro-Alcalde
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Enfin, on peut mettre en doute l’exactitude de certains propos énoncés par notre guide, notamment lorsque celui-ci affirme la corrélation entre une « néonisation » coûteuse et la faillite de la Pologne socialiste. Dans tous les cas, nous n’avons pu trouver aucune publication scientifique permettant de confirmer cette affirmation. De ces constats, il apparaît qu’un travail historique plus poussé serait encore à réaliser et ce même s’il convient, néanmoins, de féliciter le travail d’investigation mené dans les archives par les propriétaires. Ceux-ci ont, en effet, basés en grande partie leur musée sur des documents d’époque tels que des cartes postales, des plans, des photographies et parfois même les avis de commande des néons.
Plans d'époque. © L. Yerro-Alcalde
Plans d'époque. © A. Picot
A d’autres égards, dépolitiser le néon en s’attachant davantage à sa valeur culturelle explique certainement les réactions positives que Hill affirme avoir reçues, de la part aussi bien d’étrangers que de personnes ayant vécu l’ère communiste. De fait, en dépit de la controverse qu’aurait pu susciter ces reliques de l’époque socialiste, le directeur nous affirme ne pas avoir eu à faire face à de quelconques protestations, ce qu’il craignait pourtant fortement au vu du processus de décommunisation particulièrement sévère entamé en Pologne dès la chute du régime en 1989. Des solutions juridiques, politiques et mémorielles ont, en effet, été mises en place afin de faire table-rase du passé. Dès 1997, une loi portant sur la « lustration » est ainsi votée obligeant certains fonctionnaires de l’Etat à déclarer leur collaboration ou non avec le pouvoir soviétique. En cas de fausse-déclaration, ceux-ci pouvaient être évincés de la fonction publique pour une durée de dix ans. Une décennie plus tard, le Parlement souhaita même étendre cette lustration à d’autres catégories socioprofessionnelles ce qui fut finalement rejeté par la Cour constitutionnelle polonaise. L’éradication du communisme transparut également dans l’espace urbain entre 1990 et 1994 notamment à travers le changement des dénominations des rues, d’écoles ou encore d’usines, ainsi que par la démolition de certains monuments à la gloire du soviétisme. Pour exemple, on peut citer le monument mettant à l’honneur Felix Dzerjinski, le fondateur de la Tchéka, le futur KGB. D’autres édifices ont échappé à la destruction, mais ont par ailleurs 57
suscité la controverse ; le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN) érigé par Staline et inauguré en 1955 en est un bon exemple : dès le début de sa réalisation celui-ci s’avèrera contesté, les Polonais ayant été exclus du processus de décision tandis que ce bâtiment se voulait être un symbole de la coopération russopolonaise. La controverse refit surface à la chute du communisme en 1989, mais c’est de nos jours que celle-ci est la plus vive, le Palais ayant été classé monument historique. On assiste effectivement à une lutte acharnée entre les partisans de sa destruction et ceux de sa conservation en tant qu’héritage historique et culturel.
Voir p. 43
A l’instar du PKiN, les néons s’inscrivent dans cette volonté d’épuration de l’espace public puisque ceux-ci furent soustraits du paysage urbain et tombèrent petit à petit dans l’oubli après la chute du Mur. Cependant, ceux-ci ne semblent pas avoir connus le même destin controversé ce qui peut éventuellement s’expliquer par le fait qu’ils représentent un aspect moins dérangeant et plutôt positif de cette période. De fait, ils sont, comme l’a évoqué le directeur, le symbole d’une certaine liberté d’expression dans la Pologne poststalinienne et constituent de surcroît une particularité polonaise, aucun pays de l’Europe de l’Est n’ayant connu pareille « néonisation ». L’accueil positif réservé au Neon Museum pourrait donc également s’expliquer par ces éléments. Pour conclure, nous pouvons dire que le bilan de notre expérience au Neon Museum apparaît particulièrement positif : s’il est vrai que les férus d’histoire pourraient quelque peu rester sur leur faim à l’issue de leur visite au Neon Museum, l’originalité de l’initiative et son caractère hautement esthétique suffisent à ne laisser personne indifférent. Ces atouts font, à notre sens, du Neon Museum une halte incontournable de Varsovie !
La Vieille Ville (Stare miasto) de Varsovie
Carlotta DA SILVA & Céline SITARSKI
1. Histoire et controverse
Le Stare Miasto, littéralement « Vieille Ville », est certainement l’un des plus beaux ensembles architecturaux de Varsovie. Pourtant, cette appellation est assez paradoxale pour parler d’un quartier qui fut entièrement reconstruit dans la seconde moitié du XXe siècle. En effet, la ville fut systématiquement et méthodiquement rasée par les Allemands suite à l’Insurrection de Varsovie en août 1944, si bien que lorsque l’Armée Rouge conquit la rive gauche de la capitale le 17 janvier 1945, Varsovie était détruite à 85%. Les infrastructures (gares, centrales électriques) et les monuments historiques
(Château Royal, Grand Théâtre, etc.) avaient été particulièrement visés et l’ancien centre historique n’était plus qu’un champ de ruines. En détruisant la ville, les nazis entendaient réduire à néant l’héritage de la nation polonaise. Cependant, la population tout entière se mobilisa pour reconstruire son passé dans une volonté de montrer l’aptitude de la culture polonaise à surmonter les pires épreuves. Dès novembre 1944, les habitants de Varsovie répondirent à l’appel de la société des architectes et c’est ainsi que put débuter ce projet improbable de réhabilitation du centreville. La moindre pierre identifiée allait retrouver sa place d’origine et, grâce aux dons de la diaspora polonaise et à la main d’œuvre bénévole de la population, la Vieille Ville allait pouvoir renaître. A l’identique ? Malgré l’énergie incroyable déployée pour remettre sur pied le centre historique – les architectes allèrent même jusqu’à s’inspirer des toiles très détaillées du peintre italien Bernardo Belloto (XVIIIe siècle), surnommé Canaletto, qui avait séjourné dans la capitale, ainsi que des dessins d’avant-guerre d’étudiants en architecture – la Vieille Ville subit quelques modifications qui illustrent bien qu’aucune reconstruction à l’identique – aussi minutieuse soit-elle – ne l’est jamais vraiment. Certains de ces changements sont anodins, voire même comiques, comme des graffitis (des décorations murales très prisées durant la Renaissance) réalisés dans un style contemporain ; d’autres sont déplorés aujourd'hui comme la destruction de tous les immeubles Art nouveau ou Art déco qui avaient survécu aux bombardements mais que les architectes n’avaient pas considérés comme monuments historiques à l’époque, car ils étaient trop récents. Enfin, la reconstruction tardive du Château Royal en dit long sur la politique du nouveau régime politique en place. Si les communistes acceptèrent la réhabilitation de la Vieille Ville afin de se présenter comme les garants d’un retour à la normale dont les habitants avaient grandement besoin au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ils ne se montrèrent pas favorables à la réédification du Château Royal qui incarnait un passé qu’ils ne souhaitaient pas rappeler. Résidence royale puis présidentielle, l’édifice symbolisait le siège de la IIe République polonaise et de son personnage le plus emblématique, le maréchal Józef Piłsudski (1867-1935), qui était vu comme un adversaire du parti. Mais le peuple polonais ne se laissa pas décourager et après forte mobilisation obtint l’autorisation de reconstruire le Château Royal (Zamek Królewski) vers la fin des années 1970. La réhabilitation du centre historique de Varsovie peut donc être critiquée de bien des manières puisque les reconstructions à l’identique constituent des projets délicats : il faut toujours partir d’une période de référence et la tentation d’effacer certaines traces du passé est grande, comme le montre le cas de la reconstruction tardive du Château Royal. L’exemple de la reconstruction de la ville de Gdańsk, que vous aurez peut-être l’occasion de visiter, est également éloquent : lorsque le centre historique fut reconstruit dans sa forme 60
d’avant-guerre on omit délibérément de reproduire les influences germaniques – ce qui est compréhensible dans le contexte de l’après Deuxième Guerre mondiale, mais peut aujourd'hui être considéré comme un choix discutable d’un point de vue historique. Toutefois, le courage et la volonté tenace qu’il fallut aux habitants pour sauver leur patrimoine font aujourd'hui de Varsovie un cas unique de réhabilitation de ville après-guerre reconnu non seulement par l’UNESCO, qui classa la Vieille Ville au patrimoine mondial en 1980, mais aussi par ceux-là mêmes qui en furent la cause puisque les Allemands firent appel à l’expertise des Polonais pour reconstruire leurs quartiers historiques détruits en 1942-1945. Varsovie est souvent opposée à Cracovie pour le côté artificiel de son centre historique et la défiguration de nombreux quartiers reconstruits selon les canons architecturaux socialistes. Cette réputation de laideur de la Varsovie reconstruite traduit en réalité surtout un rejet du passé communiste de la capitale de la part des Polonais mais, aux yeux des touristes étrangers, la Vieille Ville de Varsovie est loin d’être dénuée de charme et c’est avec l’impression de replonger plusieurs siècles en arrière que l’on découvre ces monuments historiques. En cela, le pari fou que s’étaient lancé les Varsoviens au lendemain de la guerre est incontestablement remporté haut la main !
Carte du Stare Miasto de Varsovie avec le circuit touristique proposé, réalisé sur base des données cartographiques de Google Maps © 2014 et modifié sur le logiciel Gimp.
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Le Centre d’Interprétation du Monument (Centrum Interpretacji Zabytku) [1] retrace toute la reconstruction du centre de la Vieille Ville. C’est un point de départ intéressant pour commencer la visite du quartier et avoir une vision de l’étendue du projet de réhabilitation avant d’en découvrir le résultat par soi-même en se promenant dans les rues. La visite du centre s’effectue en polonais et en anglais. Le Centre est aussi le départ d’un itinéraire de visite des caves de la Vieille Ville. Une fois la visite du Centre d’interprétation du Monument terminée, vous pourrez rejoindre la Place du marché de la Vieille Ville en empruntant un escalier en pierre (Kamienne Schodki) [2] datant du XVe siècle. A l’origine, l’escalier était en bois, mais il fut reconstruit en pierre au XVIIIe siècle. Napoléon l’aurait emprunté par le passé lors d’une de ses visites à Varsovie.
Entrée du Centre d'interprétation de la Vieille Ville à Varsovie. © C. Sitarski
2. Place du marché de la Vieille Ville
Entourée d’une part à l’est par la Vistule et d’autre part à l’ouest par les remparts de la Vieille Ville, la place du marché (Rynek Starego Miasta) [3] est située au centre de la Vieille Ville. Les maisons y sont toutes colorées dans un style Renaissance et/ou baroque. Cette place était Place du marché de la Vielle Ville. © A. Picot un centre culturel, commercial et administratif jusqu’au XIXe siècle. Au centre de cette place se trouve la fontaine de la petite Sirène de Varsovie (Pomnik Syrenki) [4]. Il s’agit en réalité d’une copie – l’originale en zinc ayant été fondue en 1855. Elle aurait reposé autrefois dans la cour du Musée d’Histoire de la Ville de Varsovie (Muzeum Historyczne m.st. Warszawy, MHW) [6].
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La Sirène avec son bouclier et son épée est l’emblème de la ville de Varsovie, elle se retrouve sur ses armoiries sur un fond de gueule (rouge). Elle trouve son origine dans la légende de la fondation de la ville. Mais il en existe plusieurs versions, en voici un exemple. Deux sœurs sirènes vivaient sur le bord de la Mer Baltique. Mais un jour, elles se perdirent en nageant : la première échoua à un détroit danois, dans ce qui deviendra plus tard Copenhague. Il y a d’ailleurs dans le port de cette ville une statue en bronze d’une sirène qui inspira plus tard Hans Christian Andersen dans le conte de la Petite Sirène. La deuxième sirène s’aventura dans la Vistule et y Fontaine de la Petite Sirène de Varsovie rencontra deux amants : Wars et Sawa. Charmée par (Pomnik Syrenki). © C. Sitarski leur amour, la sirène leur demanda de fonder une ville qui porterait leurs deux noms. En échange, la sirène promit de protéger les habitants de cette nouvelle ville qui devient donc Warsawa, en français Varsovie. « Warszawa » signifierait en réalité « qui appartient à Warsz », un diminutif du prénom Warcisław. Varsovie aurait donc été à l’origine un village appartenant à un aristocrate du même nom dans les alentours des XIIe et XIIIe siècles. Ce village serait devenu une véritable ville à partir du XIVe siècle comme en attestent les premières mentions de celle-ci. Au sud de la place, un restaurant porte une enseigne représentant un basilic, d’où le nom de l’établissement, « Bazyliszek » [5]. Une légende parle de cette créature serpentine qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le basilic dans le deuxième volet des aventures de Harry Potter. Autrefois, dans les caves d’une maison de la place, située au coin de l’actuelle rue Świętojańska, se trouvait un basilic qui gardait un somptueux trésor. Il tuait quiconque qui s’en approchait en les transformant en pierre d’un simple regard. Un jour, un tailleur ambulant eut l’idée d’utiliser un miroir. Le Basilic se pétrifia lui-même. Il fut ainsi vaincu et ne représenta plus jamais une menace pour la population. De l’autre côté de la place du marché, vous Enseigne du restaurant Bazyliszek remarquerez sur une aile un joli ensemble de maisons sur la place du marché. © A. Picot reconstruites après la guerre. Il s’agit du Musée d’Histoire de la Ville de Varsovie [6] qui comporte un ensemble de onze bâtiments dont huit sont du côté du Marché de la Vieille Ville et les trois autres longent la rue Nowomiejska (il 63
comprend également le Centre d’interprétation du Monument et la visite des remparts). Le musée retrace l’histoire de la capitale depuis sa création jusqu’aux Temps modernes et expose divers objets, des peintures et documents iconographiques, des plans et des dessins. Le musée propose de visionner un documentaire sur Varsovie tourné dans les années 19391945 tous les midis du mardi au samedi en anglais (il est possible de le voir en français sur demande). Adresse du Bazyliszek : Rynek Starego Miasta 28/42 (Accès handicapés) Horaires : mardi > dimanche, 10h > 17h Prix : compter 10 zł
3. La Barbacane et l’enceinte de Varsovie
Au bout de la rue Nowomiejska se trouve la Barbacane (Barbakan) [7], un mastodonte de brique qui constituait auparavant une des entrées de la Vieille Ville. Ces remparts sont connus en Belgique par une des chansons de Jacques Brel, dont voici le premier vers : « Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie ». En Pologne, on les connaît tout autrement. Longeant l’actuelle rue Podwale, ces remparts, élevés Barbacane. © A. Picot e e au XVI siècle, furent démantelés au XIX siècle car ils étaient devenus inutiles à la ville. Après la Deuxième Guerre mondiale, les remparts ont été reconstruits en brique. On peut ici questionner la reconstruction de Varsovie dans les années 1950 puisqu’elle ne reprend pas exactement l’état dans lequel elle était avant sa destruction, mais au contraire un état passé qui n’aurait jamais existé comme tel. En continuant sur la rue Podwale, l’on peut observer les différentes tours que comporte l’enceinte de Varsovie [8]. Mais les tours ne sont pas toutes entières, pour certaines, on pourrait dire qu’on ne voit que les fondations ; comme si chaque tour représentait à elle seule une étape de construction des remparts et/ou de destruction selon le sens dans lequel on prend ladite rue Podwale. Toujours sur cette même rue, on croise le Monument du Petit Barbakan i Mury obronne : rue Nowomiejska (Accès handicapés) Horaires : mardi > dimanche, 10h > 20h Prix : 2 zł (réductions : 1 zł) 64
Insurgé (Pomnik Małego Powstańca) [9] qui représente un enfant avec un casque militaire d’adulte, trop grand pour lui. Il symbolise les jeunes habitants qui avaient participé au soulèvement de Varsovie en août 1944 contre l’occupant nazi.
Monument du Petit Insurgé. © A. Picot
4. Cathédrale Saint-Jean-Baptiste et Eglise Notre-Dame-de-Grâce
On tourne à la rue Piekarska au bout de laquelle se trouve la plaque commémorative de l’UNESCO pour la Vieille Ville de Varsovie [10], posée à même le sol. La Cathédrale Saint-Jean-Baptiste (Bazylika archikatedralna św. Jana Chrzciciela w Warszawie) [11] est le plus ancien et le principal lieu de culte de la ville. La cathédrale fut édifiée dans sa forme actuelle au début du XIVe siècle à la place d’une petite chapelle en bois. Sa crypte renferme les tombes de Polonais célèbres : celles des princes de Mazovie, des archevêques de Varsovie, du dernier roi de Pologne Stanisław August Poniatowski, du président de Pologne Gabriel Narutowicz ainsi que de l'écrivain Henryk Sienkiewicz, lauréat du prix Nobel de littérature en 1905. Construite au XVIIe siècle dans un style Renaissance tardif, l’Eglise Notre-Dame-de-Grâce est surtout connue pour la Statue de l’ours couché qui se trouve à côté [12]. Plusieurs Intérieur de la Cathédrale SaintJean-Baptiste. © C. Sitarski légendes existent à son sujet : certains disent qu’il s’agirait d’un duc de Mazovie (le duché auquel appartenait Varsovie avant le XVIe siècle) qui fut pétrifié en voyant la femme qu’il aimait sortir de l’église mariée à un autre ; d’autres racontent que c’est un Prince timide qui attend la femme dont l'amour pourrait lui rendre son apparence humaine. Bazylika Archikatedralna pw. Męczeństwa św. Jana Chrzciciela i Sanktuarium Matki Bożej Łaskawej Patronki Warszawy : rue Świętojańska 8-10 (Accès handicapés) Entrée libre 65
5. Place du château
Construit au XIVe siècle, lorsque la ville appartenait encore au duché de Mazovie, le Château Royal [13] fut agrandi et remanié dans un style baroque lorsqu’il devint une résidence royale au XVIe siècle, quand le roi Sigismond III Waza avait alors transféré la capitale de Cracovie à Varsovie. C’est là aussi que siégeait la Diète Place du chateau royal. Vue sur le château (Sejm), l’assemblée qui conseillait le roi. Dans la et la colonne de Sigismond III. © C. Sitarski Salle des Sénateurs, fut signée, en mai 1791, la première Constitution démocratique européenne, quelques mois avant la constitution française. Le château fut complètement détruit pendant la Deuxième Guerre mondiale et mit du temps à être reconstruit, les autorités communistes ne se montrant pas très favorables à sa réédification. Le chantier débuta finalement en 1971 pour ne s’achever que 17 ans plus tard. Si la structure est une réplique, une partie du mobilier et des peintures du château (parmi lesquelles deux tableaux de Rembrandt) furent mis à l’abri au début de la guerre et purent être sauvés. Aujourd'hui, le château est principalement un musée où l’on trouve notamment les toiles du peintre Bernardo Belloto qui aidèrent au projet de reconstruction de la Vieille Ville. Au milieu de la place, on peut voir la colonne du roi Sigismond III Waza (Kolumna króla Zygmunta III) [14] élevée en 1644 par son fils et qui fait 22m de hauteur. C’est le plus ancien monument séculier de la ville. La statue représente le roi qui fit de Varsovie la capitale de la Pologne au XVIe siècle. Sigismond III tient dans sa main droite un sabre qui symbolise la vaillance et dans sa main gauche une croix, symbole de la volonté éternelle de combattre le mal. D'après la légende, le sabre dirigé vers le bas annonce à la ville qu’un malheur approche. Pendant la Deuxième Guerre mondiale le monument se serait écroulé et sa colonne fracassée.
Statue du roi Sigismond III au sommet de la colonne Sigismond à Varsovie. © WikiCommon
Zamek Królewski : place Zamkowy 4 Visite du château : 2 mai > 30 septembre, lundi + mercredi + vendredi, 10h > 18h | jeudi, 10h > 20h | dimanche, 11h > 18h 1er octobre > 30 avril, mardi > samedi, 10h > 16h | dimanche, 11h > 16h Prix : 14 > 22 zł (gratuit le dimanche) www.zamek-krolewski.pl 66
6. Place Kanonia et la Colline du fumier
La place Kanonia [15-16] est une petite place de forme triangulaire située derrière la Cathédrale Saint-Jean-Baptiste dont on peut voir l’extérieur du chœur. Au XVIIIe siècle, cette partie de la Vieille Ville était habitée par les chanoines du chapitre de Varsovie, d’où le nom Kanonia. Au centre de cette petite place se trouve une grande cloche de bronze [15] La maison la plus étroite de Varsovie posée sur le sol. Elle daterait Passage Dawna. Vue depuis la colline (Place Kanonia). © C. Sitarski du Fumier. © C. Sitarski du XVIIe siècle et n’aurait jamais été suspendue. On raconte à propos de cette cloche que si on en fait trois fois le tour, cela porterait bonheur. Au fond de la place se trouve la plus étroite maison de la ville [16] : à peine 1m de largeur. Derrière cette façade étroite se cache une maison beaucoup plus large du côté de la Vistule. Il s’agit en réalité d’un stratagème du propriétaire. A l’époque de sa construction, l’impôt foncier dépendait de la largeur de la façade du bâtiment. À l’ouest de la place Kanonia, il existe un petit passage au début de la rue Jezuicka qui conduit à une terrasse de laquelle on peut admirer la Vistule. C’est la colline du fumier (Gnojna Góra) [17]. Son nom vient d'une décharge publique qui s'y trouvait du Moyen Age jusqu'à la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est à cet endroit que l’on amassait toutes les ordures de la ville et du château. Le dépotoir servait aussi de lieu de cure pour les personnes atteintes de la syphilis, qui se faisaient enterrer jusqu’au cou dans les immondices. Aujourd'hui c'est une belle terrasse panoramique aménagée et arborée, d'où s'étend une très belle vue sur le fleuve et la rive droite de la ville, le quartier de La colline du Fumier. Vue sur la terasse. © A. Picot Praga. Zamek Królewski : place Zamkowy 4 Visite du château : 2 mai > 30 septembre, lundi + mercredi + vendredi, 10h > 18h | jeudi, 10h > 20h | dimanche, 11h > 18h 1er octobre > 30 avril, mardi > samedi, 10h > 16h | dimanche, 11h > 16h Prix : 14 > 22 zł (gratuit le dimanche) www.zamek-krolewski.pl
Varsovie – trois quartiers incontournables
Émilie JEANRAY & Aurélie PICOT
V
arsovie est une ville chargée d’histoire. Capitale du duché de Mazovie, puis de la Pologne, elle passa à la Prusse après que la Pologne perdit son indépendance à la fin du XVIIIe siècle, elle fit partie de l’empire russe avant de redevenir capitale de la Pologne. Nous avons choisi, ici, de nous focaliser sur l’histoire et l’ambiance de trois quartiers emblématiques, mais pourtant complètement différents, qui illustrent la vie de cette capitale. Toutefois, pour parler d’atmosphère, il nous faut d’abord expliquer et éclairer un point concernant les habitudes polonaises.
1. « Saoul comme un Polonais »
C’est à Napoléon qu’on doit cette expression. Il existe plusieurs versions sur l’événement historique précis qui s’y rapporte. Nous ne relaierons donc que les éléments communs à toutes : la veille d’une grande bataille, Napoléon aurait laissé quartier libre à ses troupes, composées de régiments français et polonais. Le lendemain, les soldats polonais menèrent le combat avec brio et acquirent la victoire, tandis que les Français faisaient petite mine. Napoléon les sermonna donc en les invitant à se saouler comme les Polonais, c’est-àdire à mieux supporter l’alcool.
L’alcoolisme polonais est donc proverbial. Il est vrai que durant l’époque communiste, les Polonais s’enivraient, essentiellement à la vodka : celle-ci était monopole d’état et vendue au même prix que l’eau. On estime que dans les années 1980 environ cinq millions de Polonais souffraient d’alcoolisme. Toutefois, de nos jours, la consommation d’alcool en Pologne a fortement diminué et rentre dans les standards européens.1 La boisson la plus consommée est la bière, suivie par les alcools forts, puis seulement par le vin. Ainsi dans les quartiers que nous évoquerons, la boisson la plus vendue reste la bière et essentiellement la plus connue, la Żywiec.
Carte de Varsovie. © Geoatlas.com 2011
70
1 — Notamment grâce aux mesures prises par le gouvernement pour inciter les gens à diminuer leur consommation. Par exemple : l’alcoolémie autorisée chez les conducteurs de véhicule se situe entre 0,02 et 0,04% ; il est interdit de consommer de l’alcool dans les lieux publics ; les délits sont punis plus sévèrement si le délinquant a plus de 0,05% d’alcool. Néanmoins, Le taux de mortalité lié à l’alcool reste supérieur au reste de l’Europe : de 5 à 9,9% des décès, selon the World Health Report.
2. Le quartier historique de la Vieille Ville
Suite à la destruction de la ville de Varsovie durant la Deuxième Guerre mondiale par les Allemands, puis par les Russes, ce quartier fut entièrement reconstruit dès les années 1950. Il a été rebâti à l’identique de ce qu’il était avant la destruction grâce aux peintures, photographies et plans qui avaient été conservés et il a été rehaussé de remparts rappelant la ville médiévale. Cette partie de la ville est sans doute la plus visitée en raison de son architecture dite « ancienne », bien que celle-ci soit récente, et son côté pittoresque. Pour plus de confort pour les visiteurs, elle est entièrement piétonne.
Vieille Ville. © A. Picot
En soirée, ce centre historique n’est toutefois pas très vivant : l’ensemble des bars et des restaurants ferme assez tôt (vers 22-23h). Il est important de noter que ce quartier est essentiellement habité par des personnes âgées ou des familles, ce qui explique pourquoi c’est un quartier calme. Il s’agit donc plus d’un quartier à découvrir en journée et en Voir début de soirée. La place principale de la Vieille Ville (Stare Miasto) est très réputée p. 59 pour les soirées romantiques ainsi que pour les séances-photos de mariage.
Place zamkowy. © A. Picot
Remparts de la Vieille Ville. © A. Picot
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3. Le quartier estudiantin et chic – la Voie Royale (Trakt Królewski)
Il s’agit d’une longue artère composée de l’avenue Krakowskie Przedmieście prolongée par la rue Nowy Świat. C’est un quartier à la fois universitaire et branché-chic. Cette longue artère est considérée comme les Champs-Elysées varsoviennes et correspond à la Voie Royale (Trakt Królewski) qui datait du XVIIIe siècle. Tout comme le centre historique, ses bâtiments ont été rasés pendant la guerre et rebâtis ensuite. On y trouve des boutiques, des cafés, des restaurants, etc. Si nous pouvons considérer cet endroit comme un quartier universitaire, c’est parce que l’université de Varsovie se trouve sur l’avenue Krakowskie Przedmieście. Elle fut fondée en 1818, mais fut fermée par le tsar en 1830 jusqu’en 1915. Elle a ensuite été à nouveau fermée par les nazis, qui fusillèrent bon nombre de professeurs et d’étudiants. Pendant cette période troublée furent mises en place des « universités volantes » (Uniwersytet Latający), clandestines, qui perdureront durant la période soviétique. Pour satisfaire la clientèle estudiantine, on y trouve des bars à lait (bary mleczne) où il est possible de bien manger pour un prix défiant toute concurrence. La plupart des cafés estudiantins sont également sur cette artère, en particulier les très populaires Pawilony (« pavillions »). Il s’agit d’un ensemble de petits bars alternatifs et de quelques magasins installés dans d’anciennes échoppes socialistes, situés entre le n° 22 et le n° 28 de cette rue. Ils sont reliés entre eux par un labyrinthe de cours et de passages décorés de street art. Si tous les pavillons ont la même structure, chacun a sa spécificité propre. Les Pawilony sont surtout fréquentés en semaine, en particulier le mercredi et le jeudi. Place Zamkowy. © A. Picot
Les Pawilony. © A. Picot
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L’interieur du Klaps, un des bars des Pawilony . © A. Picot
Dans cette longue artère commerciale se trouvent aussi de nombreux bars et restaurants assez chics. C’est aussi dans ce quartier que se réunissaient les personnalités du monde littéraire, artistique et politique polonais. On citera le plus vieux café de la ville, le café A. Blikle : ce café mondain, fondé en 1869 conserve sa décoration d’époque et accueillit Winston Churchill. Le Blikle est connu pour ses beignets à la confiture de rose (pączki).
Vue sur la Krakowskie Przedmieście © A. Picot
Café A. Blikle © http://www.tripadvisor.fr/
4. Praga
À l’origine, Praga était une ville indépendante de Varsovie, en raison de sa situation géographique sur la rive droite de la Vistule. Il ne fut incorporé à la capitale qu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est le seul quartier qui n’a pas été systématiquement détruit durant la Deuxième Guerre mondiale (l’Armée Rouge y fut stationnée lors de l’insurrection de la ville). Ainsi, tous ses bâtiments ont été conservés, ce qui en fait les plus anciens de Varsovie. Dans une des rues principales, rue Ząbkowska, se trouvent encore des bâtiments datant du XIXe siècle : la maison numéro 14 daterait de 1866 et celle du numéro 7 de 1880. En raison des nombreuses usines, ce quartier était essentiellement peuplé des classes les plus pauvres de la ville. C’est également là que se passait l’essentiel du marché noir, en particulier aux abords du stade. Avec sa réputation de quartier mal famé, les indésirables y étaient envoyé par le régime communiste. Progressivement, les loyers attractifs attirèrent les marginaux et les artistes, transformant ce quartier populaire en un quartier alternatif et artistique. Les bâtiments postindustriels ont été transformés en bars, clubs, ateliers, galeries et théâtres alternatifs. Citons notamment la Entrée du Koneser. © WikiCommons 73
Koneser, une ancienne fabrique de vodka où l’on trouve un théâtre et des galeries d’art, ainsi que la FabrikaTrzciny également devenue centre culturel. Nous avons en particulier visité la « Soho Factory », un ancien complexe d’usines d’armement réaffecté en musées (dont le Neon Museum), galeries, discothèques, café, etc. Ne ratez pas le Kofi Brand, où l’on sert des cafés et thés absolument divins !
Un des bâtiments de la « soho factory ». © A. Picot
Préparation du thé au Kofi Brand. © A. Picot
Voir p. 53
Les monuments controversés de Varsovie
Angélique VERSET et & Elodie MAZY
1. Introduction
crire sur les monuments controversés de Varsovie, c'est avant tout s'interroger sur les positions prises par les différents pouvoirs qui se sont succédé en Pologne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, mais également sur le ressenti des Polonais eux-mêmes par rapport à leur histoire, et à la mise en scène de celle-ci. On l'aura compris, il sera question ici des liens que l'histoire et la mémoire ont entretenus – et entretiennent encore. Pour ce faire, nous avons sélectionné quelques-uns des monuments dont les controverses ont été les plus emblématiques.
É
Les passionnés de controverses pourront admirer ces monuments au fil d'une promenade (compter au moins trois heures de marche). A toutes fins utiles, voici un plan annoté de la ville, qui situe ces édifices et propose l'itinéraire suivant : à partir de la Vieille Ville (au nord de Varsovie), s'étonner devant le Monument de l'Insurrection de Varsovie (Pomnik Powstania Warszawskiego) et contempler le Château Royal (Zamek Królewski), descendre vers le Sud, en passant tout d'abord par le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Voir Kultury i Nauki, PKiN), puis admirer la statue de Frédéric Chopin (Pomnik Fryderyka p. 43 Chopina) et enfin celle de Zygmunt Berling (Pomnik Zygmunta Berlinga) – à noter au passage que le Monument de la Fraternité d'Armes (Pomnik Braterstwa Broni) n'est pas visible pour l'instant.
Plan du centre de Varsovie (les annotations de lettres majuscules renvoient à l'organisation des monuments présentés plus bas). © www.maps.google.com
2. Le Monument de l'Insurrection de Varsovie (Pomnik Powstania Warszawskiego)
a. Présentation et historique
Pour comprendre les enjeux liés à ce monument et aux controverses qu'il a soulevées, il faut remonter aux premières heures de la période communiste de la Pologne. A cette époque, la propagande stalinienne tendait à diminuer le rôle de l'insurrection de Varsovie de 1944 et à occulter la décision de Staline de ne pas entrer, avec l'Armée Rouge, dans Varsovie alors bombardée par les Nazis. C'est dans ce contexte qu’échouèrent les divers projets de commémoration de l'insurrection, comme celui de 1956 qui avait pour but l'érection d'un monument aux héros de Varsovie. La position du gouvernement communiste changea dans les années 1980 : il adoucit sa politique relative au passé de la Pologne, 76
La place Krasinski. © http://www.panoramio.com/ photo/73463982
conséquence de la popularité croissante de l’opposition anticommuniste. Ainsi, le Monument du Petit Insurgé (Pomnik Małego Powstańca) est inaugurée en 1983 et un projet intitulé Musées et Archives de l'Insurrection de Varsovie est lancé – projet qui n'aboutira finalement pas. C'est également dans ce cadre qu'est prise la décision de construire un Monument de l'Insurrection de Varsovie. Le monument est constitué de deux parties : la première représente des insurgés sortant d'une pile supportant un pont, la deuxième figure les insurgés descendant dans les bouches d'égout.
b. Controverse
L'inauguration du monument par les autorités communistes, le 1er août 1989, à l'occasion du 45e anniversaire du début de l'insurrection, se fait dans un contexte politique agité. En effet, les élections législatives de juin, partiellement libres (car elles sont le résultat d'accords passés en avril entre le gouvernement communiste et Lech Wałęsa), ont attribué environ un tiers des sièges de la Chambre à des candidats soutenus par Solidarność. Pendant l'été, les tentatives du président (qui, conformément aux accords d'avril, devait être communiste) pour former un gouvernement échouent. Ce sera finalement le journaliste et militant de Solidarność Tadeusz Mazowiecki qui formera un gouvernement le 12 septembre.
Le Monument de l'Insurrection. © http://www.warsawtour.pl/fr/node/160920
Le Monument de l'Insurrection. Détail. © http://www.warsawtour.pl/fr/node/160920
Le monument peut donc être interprété comme une dernière tentative du gouvernement communiste de s'affirmer, tout en reconnaissant le passé polonais. Mais dès l'annonce de sa construction, le monument fut décrié par les Polonais, notamment par des parents d’insurgés qui accusèrent le pouvoir communiste de diviser la nation et de ne représenter que les échecs des insurgés. Des critiques furent également émises contre la forme même du 77
monument, qui aurait été inspiré du réalisme socialiste. Il se présente en effet comme une composition à grande échelle, faite d'éléments réalistes et abstraits. Il s'agit donc d'un tout autre contexte de création que celui du Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW), qui, inauguré en 2003, veut marquer un tournant idéologique clair. En effet, la propagande communiste, qui présentait cette insurrection comme un acte irresponsable et tendait à en diminuer l'importance, est une des explications de sa glorification après 1989. Ainsi, non seulement l'existence de ce musée est due à une volonté politique de réagir face à la propagande communiste, mais son contenu même est tourné dans ce but : il met en avant l'héroïsme et le patriotisme des insurgés tout en rejetant à l'arrière-plan les questions relatives à l'impulsivité des insurgés et à la responsabilité des leaders.
Voir p. 13
3. Le Château Royal (Zamek Królewski)
a. Présentation et historique
Le Château Royal est aujourd'hui un des emblèmes de la ville de Varsovie. Pourtant, son existence même – et son apparence – peuvent poser question. Construit, pour ses parties les plus anciennes, dès le XIVe siècle, avec l'érection de la grande tour centrale, le Château Royal subit, au cours des siècles, de nombreuses destructions, rénovations et reconstructions. Ainsi, aux XVIe et XVIIe siècles, sous le règne de Sigismond III Vasa, le bâtiment fut considérablement étendu et devint une résidence royale, le lieu de réunion du parlement (Sejm) et un centre culturel du pays. Détruit au milieu du XVIIe siècle, pendant la guerre polono-suédoise, il fut progressivement reconstruit et embelli, notamment dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, sous Stanislas Auguste qui emploie de nombreux artistes pour reconstruire les intérieurs. Après une période de partition du pays au XIXe siècle entre la Russie, la Prusse et l'Autriche, et la Première Guerre mondiale, la Pologne gagna finalement son indépendance en 1918.
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Les ruines du Château royal en 1945. © http://www.e-conservation.org
Le Château royal en 2014. © http://www.e-conservation.org
Ce fut à ce moment que les œuvres d'art des derniers rois polonais, dont la majorité s'était retrouvée en Russie, furent réinstallées dans le château. Mais celui-ci fut bombardé une première fois en 1939 par le régime nazi et fut démoli en 1944 par cette même armée. Durant les années 1945-1970, les autorités communistes s'interrogèrent sur la nécessité de le reconstruire. La décision fut prise en 1971, et les travaux furent entrepris grâce, notamment, à l'investissement de la communauté : une grande tirelire fut même installée devant le chantier, où chacun pouvait déposer de l'argent. L'ouverture au public eut lieu en 1984.
b. Controverse
Aujourd'hui, le Château Royal de Varsovie est devenu, aux yeux des Polonais, un symbole national. Pourtant, son authenticité, qui lui assure la crédibilité en tant que monument national, pose question. C'est toute la problématique liée à la reconstruction du château, qui s'est faite non pas à l'identique, comme les guides touristiques l'affirment la plupart du temps, mais fut le résultat de choix délibérés opérés dans le cadre de programmes politiques précis. Ainsi, Jan Zachwatowicz, le « père spirituel » des reconstructions de Varsovie, écrivait en 1946 : Varsovie ne peut pas être […] une ville sans passé. […] Varsovie n'est pas imaginable sans la silhouette du château et de la cathédrale, il n'y a pas d'autre issue que la reconstruction de nos monuments. […] Nous avons tellement d'éléments et de modèles pour la reconstruction que nous n'avons pas le droit de reculer. […] L'existence de ces fragments permet de reproduire et non de reconcevoir la signification symbolique et politique de cette reconstruction.1
Autrement dit, dès le départ, la reconstruction avait une légitimité politique très forte en tant qu'acte symbolique d'un peuple créant son passé : l'ingérence des restaurateurs était justifiée idéologiquement. Une certaine manipulation du passé était donc légitimée, puisqu'il en allait de l'identité nationale polonaise. Mais le problème de l'authenticité du Château Royal s'est de nouveau posé dans les années 1980, lors de l'inscription du centre historique de Varsovie sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. En effet, cette inscription requiert que les monuments passent le test de l'authenticité. Or, l'authenticité du Château Royal et du Voir centre historique (Stare miasto) semble compromise. C'est finalement grâce au p. 59 Conseil international des monuments et sites, qui a rendu un avis favorable à l'UNESCO, que le centre historique de la Varsovie a finalement été inscrit sur la liste du patrimoine mondial le 2 septembre 1980, considérant que « la documentation est excellente et que le centre de Varsovie est un 1 — Traduction de la citation de CAMERON C., « From Warsaw to Mostar : The World Heritage Committee and Authenticity », exemple exceptionnel de reconsin : Bulletin of the Association for Preservation Technology, no 39, 2008, pp. 20-21.
truction et a été érigé en symbole par le sentiment patriotique du peuple polonais »1. Ainsi, l'authenticité au sens de continuité matérielle ne semble pas (ou plus) être une caractéristique des monuments inscrits au patrimoine mondial. Ceci nous amène donc à nous interroger sur la notion même d'authenticité, qui est d'autant plus problématique qu'elle est essentielle à la définition de la culture matérielle et peut participer à la mise en doute de la valeur de symboles forts, tels que le Château Royal. Pour masquer ce manque d'authen-ticité matérielle, les guides ont ainsi mis en place dans leur discours différentes stratégies visant à convaincre les touristes de l'authenticité du monument. Ils insistent d'une part sur le fait que les techniques de reconstruction sont authentiques, et que cette dernière s'est faite à l'identique : ainsi en va-t-il, selon eux, des tours d'angle qui ont été détruites pendant la guerre. Certes, elles l'ont été, mais c'était pendant la guerre polono-russe aux XVI-XVIIe siècles, et non lors de la Deuxième Guerre mondiale, comme ils le suggèrent ; autrement dit, en 1939, elles n'existaient déjà plus. D'autre part, les guides présentent la reconstruction du centre historique en tant qu'événement historique, créant ainsi une confusion dans l'esprit des visiteurs entre le Château Royal d'avant et d'après la guerre. Ainsi, comme le conclut Ewa Klekot, qui a étudié les stratégies muséales au Château Royal, « la connaissance du passé acquise par le visiteur à sa sortie du musée est donc le produit de stratégies et de tactiques », tandis que sa réceptivité au discours muséal tient « au fait qu'elle s'inscrit dans une version idéologisée du passé qui légitime l'Etat national et constitue un élément de la culture générale des Polonais. […] La connaissance du passé est donc créée par tous ceux qui participent à la pratique sociale de la visite des monuments historiques »2, depuis les autorités gouvernementales jusqu'aux guides touristiques.
4. Le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN)
a. Présentation et historique
Voir p. 43
Le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN) est sans aucun doute le bâtiment le plus impressionnant de Varsovie (237 mètres, ce qui en fait le plus haut de la ville également). Selon certains, on le verrait à trente kilomètres environ. Sa construction a été réalisée en trois années seulement et il fut inauguré en 1955. Commandé par Staline à Lev Rudniev comme cadeau du peuple soviétique à la nation polonaise, ce projet se fit dans le cadre du plan de six ans de 2 — KLEKOT E., « La visite du reconstruction de Varsovie au lendemain de la Deuxième Guerre patrimoine national : entre politique et tourisme », mondiale. Il est le plus bel exemple de l'architecture dite du réalisme in : Ethnologie française, n 40, o
2010, pp. 280-281.
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socialisme. Plus de 5 000 travailleurs soviétiques ont été logés dans un village à l'ouest de Varsovie pour construire ce bâtiment. Servant principalement de siège au parti socialiste, il représente le symbole de l'hégémonie russe. Il contient 3 288 pièces réparties sur 42 étages et compte des cinémas, deux théâtres, des salles de réception, d'exposition et même une piscine.
b. Controverse
La première controverse date en effet de l'époque de sa construction qui, retenue par Staline et à l'initiative de Bolesław Bierut, le premier dirigeant communiste de Pologne, commença dès 1952. L'objectif premier était déjà symbolique à l'époque : mettre en place une coopération et une amitié entre Polonais et Soviétiques. La construction fut réalisée principalement grâce à des ingénieurs et ouvriers soviétiques alors que le projet de départ avait prévu une construction polono-russe. Au final, puisqu'il fut entièrement financé par l'URSS, les Soviétiques furent les seuls à prendre les décisions concernant la construction. Il en découla un rejet immédiat du bâtiment de la part des habitants et il ne fut donc pas bien accueilli. Les Polonais regrettaient en effet l'espace précédant le Palais, trop impressionnant et nouveau pour eux. De plus, ce sentiment malveillant venait aussi du fait que les Polonais tenaient rancune à Staline pour la destruction de Varsovie. Dès 1989 et la chute du communisme, beaucoup montrèrent la volonté de discuter de la place à donner au Palais, symbole de l'époque communiste. Certains envisagèrent de le détruire, car il rappelait cette douloureuse période, pendant laquelle beaucoup d'habitations aux alentours avaient dû être détruites pour la construction. D'autres initiatives avaient pour objectif de le rendre moins visible, que ce soit en le couvrant de lierre, en le rendant moins impressionnant par la présence d'autres gratte-ciel ou en construisant/le transformant en Musée du communisme. Cependant, la controverse la plus fulgurante fait surtout rage aujourd'hui. Classé monument historique en 2008, le Palais a suscité une véritable discussion sur l'héritage soviétique en Pologne, lancée par le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski. De cette controverse se détachent les partisans de la destruction du Palais, et leurs adversaires, favorables à sa conservation. Cette opposition pose des questions à la fois sur l'histoire de la Pologne, sur son héritage et sur la mémoire, avec des arguments de nature à la fois politicohistoriques, esthétiques, etc. Les partisans de sa destruction estiment pour leur part que le Palais n'a pas su rompre avec la période communiste, contrairement à l'Allemagne, qui a pu le faire avec la chute du mur de Berlin. Dans une protestation émanant des mondes politique, culturel et médiatique, des mots forts sont utilisés pour caractériser le bâtiment : « symbole de l'oppression de la Pologne », « signe d'humiliation du peuple polonais », 81
« architecture coloniale de l'URSS ». Ils prônent la décommunisation du pays, jugeant le communisme bel et bien fini, mais dont les symboles persistent toujours. La qualité esthétique est aussi remise en doute notamment dans une blague de l'époque communiste qui disait : « La plus belle vue de Varsovie est du haut du trentième étage du Palais. C'est le seul endroit de la ville d'où on ne voit pas le Palais ». Les adversaires de la destruction voient le monument comme un magnifique exemple de l'architecture du réalisme soviétique. C'est une véritable icône de Varsovie, monument le plus visité et celui repris sur les cartes postales, qui mérite clairement d'être préservé. Lech Isakiewicz, directeur du PKiN affirme ainsi : Qu'on l'aime ou non, il est là. Qu'on y voie un bâtard de Staline ou un don généreux du peuple russe, on n'y peut rien, telle fut notre histoire. […] De plus en plus de Varsoviens voient en lui une icône de leur ville. Les Français ont eu le même problème avec la tour Eiffel. Au début, ils la détestaient et, malgré tout, elle est devenue le symbole de Paris.3
De plus, étant donné qu'il avait fallu démolir tout un quartier pour pouvoir le construire, la question que se posa Jarosław Zieliński, un historien de la ville de Varsovie, était : « Devons-nous détruire à nouveau ce qui a détruit ? », rappelant qu'il y a peu de bâtiments de cette taille dans le monde. Un nouveau débat vit le jour avec ce point de vue sur le bâtiment, à savoir est-il un bâtiment à l'architecture remarquable ou plutôt un gadget touristique ? Mais ça, c'est une autre question… Beaucoup d'artistes et de personnalités se joignirent à ce mouvement. Malgré tous ces désaccords, nous remarquons que la volonté de préserver le passé est bien présente et pose problème. L'espace public varsovien est assurément marqué politiquement et historiquement, certains veulent le dépolitiser en s'attachant davantage à sa valeur culturelle.
5. La statue de Frédéric Chopin (Pomnik Fryderyka Chopina)
a. Présentation et historique
Frédéric Chopin (1810-1849) a, dès le XIXe siècle, été perçu comme une figure nationale polonaise, ainsi qu'en témoignent les diverses controverses liées à la récupération de son image. Dès la mort du compositeur, l'importance prise par la figure de Chopin se fait sentir. En effet, lorsque le compositeur meurt, à Paris, son corps est enterré au Père Lachaise, tandis que sa sœur ramène son cœur à Varsovie, où il est dans un premier temps conservé dans la maison familiale. Mais, très vite, l'évêque Jan Dekert, proche de la famille, œuvre pour le placer dans les catacombes de 3 — « Le Palais de la Culture et de la Science », in : Libération Monde l'église Sainte-Croix. En 1878, il est transféré [en ligne : http://www.lepetitjournal.com/varsovie/a-voir-adans la nef de l'église, afin de pouvoir être faire/180392-visite-avec-varsovie-accueil-le-palais-de-la-culture-etde-la-science, consulté le 14/11/2014].
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visible au public. Et cet intérêt pour Chopin est encore vivace aujourd'hui : en 2008, une équipe de chercheurs a tenté d'obtenir une autorisation pour autopsier le cœur du compositeur, afin de vérifier son hypothèse selon laquelle il aurait été atteint de mucoviscidose, mais le gouvernement polonais a refusé. Les controverses que la statue de Chopin a suscitées au cours du XXe siècle témoignent, elles aussi, de l'importance que peut avoir une figure jugée « nationale ».
b. Controverse
Tout comme le transfert du cœur de Chopin dans l'église Sainte-Croix, l'érection d'une statue à la mémoire de Chopin, une figure nationale polonaise, constituait un problème pour les autorités tsaristes au tout début du XXe siècle. Et même lorsque le tsar cède, des barrières demeurent : alors qu'un appel est lancé aux sculpteurs à travers l'Europe, les annonces publiques sont interdites en Pologne, elles ne seront levées qu'après la révolution du 1905 contre les autorités russes. Par la suite, les propositions sont soumises à la décision d'un comité, en 1909, qui retient finalement le projet de Wacław Szymanowski, un sculpteur polonais bien connu qui expose en Pologne et en France (notons au passage le symbole que cela représente, Chopin étant lui-même un Polonais ayant longtemps vécu en France). Mais la Première Guerre mondiale interrompt la réalisation de la sculpture. Ensuite, c'est dans un contexte tout autre qu'elle va être érigée : la Pologne est redevenue indépendante mais fait face à des difficultés financières et institutionnelles (en 1920, il n'y a toujours pas de gouvernement centralisé). Le 14 novembre 1926, la statue est inaugurée dans le parc et symbolise « la force de l'esprit national des Polonais ». C'est précisément cette force de symbole qui poussera les Allemands à la détruire, le 31 mai 1940, puis à en disperser les morceaux, et à interdire de jouer les œuvres de Chopin en public. Dès la fin de la guerre, l'idée de sa reconstruction prend la forme d'un engagement national, ainsi qu'en témoigne l'inscription déposée en 1946 sur le socle de la statue : « Statue de Frédéric Chopin, détruite et saisie par les Allemands le 31 mai 1940, reconstruite par la Nation ». Des plans sont entrepris pour reconstruire le monument et un nouveau concours est lancé. Mais aucun projet n'ayant été jugé acceptable, les autorités décident alors de reconstruire la statue originale, d'après une copie miniature de la statue et des fragments retrouvés dans les décombres de la ville. C'est finalement en 1958 que le monument est dévoilé. La statue de Chopin en septembre 2014. © E. Mazy
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5. La statue de Zygmunt Berling (Pomnik Zygmunta Berlinga)
a. Présentation et historique
Zygmunt Berling est connu à Varsovie pour avoir été le commandant de la première armée polonaise au sein de l'Armée Rouge durant la Deuxième Guerre mondiale. De ce fait, une statue en marbre blanc en son honneur a été élevée en ville en 1985. Conçue par Kazimierz Danilewicz, elle a vu le jour après une manifestation purement politique : en 1981, un pont fut construit et prit le nom de Stefan Rowecki (dit « Grot »), commandant en chef de l'Armée Intérieure (Armia Krajowa, AK), l'armée clandestine de résistance sous l'occupation allemande). Pour contrebalancer la situation, les Soviétiques décidèrent de faire de même, en donnant le nom de Berling au pont suivant. Jumelles en main, le regard de la statue observe le quartier que le commandant a voulu unir lors de Statue de Berling. © http://www.twoja-praga.pl/ l'insurrection de Varsovie avec l'aide de l'Armée Rouge.
b. Controverse
Cette statue symbolisant la période communiste a été sujette aux discussions, suite à la controverse du Monument de la Fraternité d'Armes (dont il sera question après). Beaucoup de Polonais n'apprécient guère le commandant Berling, qui commandait une unité, certes polonaise, des forces de Staline, mais qui était loin de n'être qu'un pantin de l'Armée Rouge. Cette statue, ainsi que celle de la Fraternité d’Armes, furent d'ailleurs vandalisées à la peinture rouge au lendemain du 69e anniversaire de l'insurrection de Varsovie. Cependant, les vandales ne furent pas poursuivis, le juge déclarant que « toutes les deux suscitent autant de controverses et d'émotions au sein du milieu des historiens que des habitants de Varsovie. Pour les uns elles sont le symbole du communisme, le témoignage de l'histoire pour les autres »4. L'annonce de ce verdict remit une couche au débat déjà vif qui, de ce fait, est encore loin d'aboutir à une solution.
4 — GLEBOCKI W., Warszawskie pomniki, Wydawnictwo PTTK, Varsovie, 1990, pp. 80
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6. Monument de la Fraternité d'Armes (Pomnik Braterstwa Broni)
a. Présentation et historique
Premier monument érigé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le Monument de la Fraternité d'Armes est le fruit d'une volonté de symboliser l'amitié polonorusse, amitié marquée surtout lors de la libération de la Pologne de l'occupant allemand par l'Armée Rouge. Sur le socle, une inscription en polonais et en russe y est gravée pour rappeler cela : « A la gloire des héros de l'Armée Rouge, les compagnons d'armes, qui donnèrent leur vie pour la liberté et l'indépendance de la nation polonaise. Les habitants de Varsovie érigèrent ce monument en 1945 ». Ce monument est composé d'un impressionnant piédestal, entouré de statues monumentales de soldats soviétiques et polonais. Quatre se tiennent debout autour du piédestal, têtes baissées, et semblent ainsi monter la garde. Trois autres sont représentés, eux, en position de bataille. C'est de cette position des différentes statues que vient le nom courant donné à cet ensemble statuaire, à savoir « Les quatre dormeurs, les trois combattants ».
Statue de Berling. © http://www.twoja-praga.pl/
Depuis début 2014, le monument n'est plus visible : il a en effet été enlevé pour faciliter la construction et l'aménagement d'une deuxième ligne de métro à proximité. Même si sa réinstallation était normalement prévue à la fin de ces travaux (aux dernières nouvelles, pour l'automne 2014), la polémique qui est née depuis son « démontage » ne semble pas présager une remise en place, que ce soit dans un futur proche ou lointain.
b. Controverse
De cette décision d'enlever le monument en début d'année s'ensuivit une importante controverse. Effectivement, une série de contestations émanant de partis de droite et de leurs sympathisants virent le jour. Certains souhaiteraient le déplacement du monument en périphérie. Premièrement, parce qu'ils y voient une volonté purement soviétique d'avoir érigé ce monument dans le but de symboliser l'amitié polono-russe, et non une volonté des habitants de Varsovie. Deuxièmement, parce qu'ils accusent les Soviétiques de l'avoir érigé dans le centre-ville, à la vue de tous, afin que les habitants ne les oublient pas. Pour sensibiliser tous les habitants à cette cause, des tracts furent 85
notamment distribués par l’Institut de la Mémoire Nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN), portant le titre Qu'observaient les quatre dormants ? Il est vrai qu'aux yeux de la plupart des Polonais, la période soviétique était synonyme d'oppression et ils accusent aujourd'hui l'Armée Rouge d'avoir volontairement retardé son offensive sur Varsovie (après le début de l'insurrection en août-septembre 1944), pour permettre son écrasement par les Allemands. Rappelons-le, cette armée a alors occupé la Pologne jusqu'à la fin du régime communiste de l'Union soviétique. En opposition à ce mouvement, les activistes du parti gauchiste et de la Fédération des jeunes socialistes contestent, protestant que ce monument symbolise le combat des soldats polonais et soviétiques contre l'occupant nazi et non le pouvoir stalinien sur la Pologne. Cette volonté de remettre le monument à sa place initiale laisse du coup supposer une certaine nostalgie de l'époque communiste (ce que l’on nomme « l’ostalgie »). En même temps, les historiens rappellent l'ambiguïté du monument qui peut donner une image falsifiée de l'histoire de Pologne : il représente la Pologne libérée de l'Allemagne nazie par l'Armée Rouge, mais aussi l'occupation soviétique qui l'a suivie. Le débat autour de ce monument pose certaines questions en ce qui concerne la mémoire et la politique historique : quelle politique historique doit-on adopter en Pologne ? Peut-on supprimer certains monuments historiques juste parce qu'on veut les oublier ? Une alternative au monument a été proposée, à savoir une statue de Witold Pilecki, dont on n'a pas encore déterminé l'emplacement précis. Ce personnage est connu pour s'être porté volontaire pendant l'occupation nazie en se faisant arrêter et emmener au camp d'Auschwitz afin de collecter des renseignements pour la résistance polonaise.
7. Conclusion
S'interroger sur les controverses liées à différents monuments de Varsovie permet de poser la question des motivations sous-jacentes au choix des édifices qui occupent l'espace public. Les exemples que nous avons relevés sont le témoin des choix opérés à des époques et par des régimes différents. Évidemment, ces choix ne sont jamais le fruit du hasard, ils sont le reflet d'une volonté précise des créateurs de ces monuments, que ce soit celle de mettre en avant une figure nationale dans le contexte d'un pays alors occupé (la statue de Chopin), d'occulter un passé discuté (le Monument de l'insurrection de Varsovie), de présenter aux touristes une vision idéalisée de l'histoire (le Château Royal), de promouvoir les idées d'un régime politique ou ses représentants (le Palais de la Culture et de la Science, la statue de Berling, le Monument de la Fraternité d'Armes).
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Les monuments examinés ici permettent également de poser la question de savoir quelle place ces monuments, qui ont été ou sont l'objet de controverses, peuvent et/ou doivent avoir dans l'espace public actuel. Il s'agit là d'une problématique qui est loin d'être résolue et qui, en Pologne, est plus que jamais vivace : en effet, au début du mois de novembre 2014, deux projets de loi ont été déposés à la Diète, l'un émanant du parti Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO) et l'autre de Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), visant la décommunisation de l'espace public. Pour le visiteur, il s'agit de pouvoir déconstruire ces couches de mise en scène de l'histoire pour comprendre les circonstances dans lesquelles ont été créés ces monuments, mais aussi les raisons d'être de leur existence à l'heure actuelle. Les cas que nous venons d'évoquer sont, à ce titre, particulièrement représentatifs du fait que l'histoire, telle qu'elle nous est montrée, n'est que le produit de lectures, immanquablement orientées, du passé.
Le mouvement et le monde associatif LGBT en Pologne : rencontre avec Yga Kostrzewa, porte-parole de l’association Lambda Warszawa Jonas VAN ACKER & Julie LÉPINOIS
1. Introduction
Un pays en perpétuelle transition, traversé par des visions, des identités et des idéaux différents. Un lieu qui sur bien des points reste pétri de contradictions ; voilà comment nous pouvons qualifier la Pologne aujourd’hui, pays qui, après de longues années d’occupation communiste, s’est vue ouvrir, avec d’autres pays de l’Est, les portes de l’Europe. Certes, son intégration au sein de l’espace européen semble acquise mais les Polonais ont toujours un regard porté vers leur passé, passé dont les traces persistent encore tant dans les esprits que dans l’atmosphère, et ce malgré une volonté de supprimer toute référence à l’ancien régime communiste. C’est dans ce climat que nous nous sommes intéressés au mouvement et au monde associatif LGBT (acronyme qui signifie respectivement Lesbienne, Gay, Bisexuel, Trans*) en Pologne. Profondément marqués par un ancrage belge très LGBT-friendly, nous voulions rentrer en contact avec un monde LGBT encore fortement marqué par une influence venue tant de l’Est (la Russie) que du Sud (l’Eglise catholique romaine) et dont les préoccupations étaient extrêmement différentes des nôtres en matière de droits pour les homosexuels. La fleur au bout du fusil, nous
Yga Kostrzewa, porte-parole de la Lambda Warzawa Institution. © PIENKOWSKA A., Gender Studies. [En ligne]. <http://genderstudies.pl/>
sommes partis avec une vision presque rétrograde des conditions de vie des minorités sexuelles, presque apeurés de ce que nous allions découvrir. Notre surprise fut de taille. En préambule du voyage, nous avons été amenés à prendre contact avec plusieurs associations LGBT de Varsovie. Ce fut un véritable parcours du combattant pour pouvoir décrocher une interview avec l’une d’entre elles. Yga Kostrzewa a toutefois gentiment accepté notre proposition. Nous avons eu l’opportunité de la rencontrer lors de notre première soirée à Varsovie, le lundi 29 septembre. Le rendez-vous fut fixé devant Le Madame, célèbre ancien bar gay connu pour avoir été un lieu d’activités contre-culturelles, artistiques et politiques à Varsovie. Militante ouvertement lesbienne et porte-parole actuelle de l’association LGBT Lambda Warzsawa, Yga Kostrzewa a suivi une formation en économie et en gestion pour ensuite suivre des Gender Studies à l’Université de Varsovie. Forte de son expérience de plusieurs années de militantisme dans le domaine associatif, nous avons pu évoquer avec elle la situation d’hier et d’aujourd’hui des personnes LGBT en Pologne.
2. L’histoire du mouvement et du monde associatif LGBT en Pologne
On aurait tort de penser que l’histoire du mouvement et du monde associatif LGBT est marquée par des étapes similaires à celles que connaît ce mouvement dans les pays occidentaux. Bien trop souvent, la chronologie anglo-saxonne a été appliquée comme modèle dans leur étude et leur analyse, alors que les réalités de l’Ouest étaient loin d’être applicables aux réalités des autres pays. Lorsque les mouvements homosexuels sont étudiés, ce sont très souvent les émeutes de Stonewall en 1969 qui viennent en premier à l’esprit. Symbole fort de la lutte pour les droits civiques des homosexuels au cours des années 1970, celles-ci ont eu un impact sur le plan de la libération sexuelle et de la visibilité des premières associations de lutte pour les homosexuels.
Les raids de police dans le bar homosexuel Stonewall Inn sont à l’origine des émeutes et des manifestations. © Wiki Commons
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Cependant, en Pologne comme dans bien d’autres Etats satellites de l’ancienne URSS, l’histoire des minorités sexuelles emprunte un tout autre chemin et répond à d’autres critères et exigences chronologiques ; c’est la chute du régime communiste en 1989 qui est prise comme référence. Véritable facteur de changement dans l’organisation de la société, non seulement en matière politique ou économique, mais aussi au niveau des valeurs morales, celle-ci a permis l’arrivée, certes très timide au départ, des premières associations homosexuelles en Pologne.
a. Avant 1989 : une existence limitée ?
Le régime communiste percevait l’homosexualité comme un phénomène dégradant issu de l’Ouest et qui ne s’adaptait pas à la moralité de l’Etat. Sous le régime communiste, comme pour de nombreux états dans le monde, l’homosexualité était perçue comme une maladie mentale. Comme l’explique le journaliste et militant polonais Krzysztof Tomasik, l’homosexualité ne fut jamais condamnée de manière directe. D’un point de vue juridique, elle n’était pas perçue comme un crime par les autorités communistes qui se référaient à la réforme du Code pénal polonais de 1932 (non-pénalisation de l’homosexualité, légalisation de l’âge de consentement entre les homosexuels et les hétérosexuels ainsi que l’autorisation de faire partie du corps de l’armée). Les seules lois prohibitives datent de la période où la Pologne était partagée entre trois nations qui l’avaient envahie entre 1772 et 1918. Dans les faits, la discrimination était bel et bien présente. Sous le régime de Staline, l’homosexualité fut considérée comme une déviance. Au cours des années 1960 et des années qui suivirent, les homosexuels furent surveillés par des organismes comme la Milice Citoyenne (Milicja Obywatelska) et le Service de Renseignement (Służba Bezpieczeństwa, SB) dépendant du ministère polonais de l’Intérieur. Les motivations des communistes restèrent néanmoins très floues envers la communauté homosexuelle. De même, les homosexuels furent l’objet d’actions répressives menées par l’Action Hyacinthe (Akcja Hiacynt) lancée entre 1985 et 1987. Ce fut une opération nationale menée par le ministre polonais de l’Intérieur de l’époque, Czesław Kiszcak : des milliers de personnes furent incarcérées et soumises à des interrogatoires parce qu’elles étaient homosexuelles. Le but de cette mobilisation était de répertorier les Polonais qui étaient homosexuels ou qui avaient du moins des liens avec ceux-ci. Dans l’ensemble, la situation des personnes homosexuelles reste largement ignorée, même si on peut Logo de la Warszawski Ruch Homoseskualny. © www.homopedia.pl observer des premiers signes de tolérance de la part de membres de Solidarność, comme Barbara Trzeciak-Pietkiewicz, qui prône une protection élémentaire pour tout le monde, y compris les homosexuels. Des signes de tolérance s’observent également au sein des autorités communistes même ; ainsi, une plus grande liberté émerge dans les domaines artistiques. Sous le régime communiste, le Mouvement homosexuel varsovie (Warszawski Ruch Homoseksualny) fut l’une des premières organisations homosexuelles à voir le jour, en 91
1987, pour s’éteindre un an après. L’association était composée d’un groupe de militants et était initialement adressée aux personnes gays. Ce mouvement fut créé en réaction à l’Akcja Hiacynt. Ce groupe était largement concentré sur la thématique du SIDA. Il tenta de se former en association légale, mais l’Eglise catholique, aidée par le ministre polonais de l’Intérieur, coupa court à leur projet. Le groupe continuera ses activités pendant un an.
b. Un mouvement dispersé (1989-1997) ?
La chute du communisme ne permet pas de mettre fin directement à la censure qui était entretenue par l’Etat. Néanmoins, cette période voit éclore des associations et des mouvements politiques parmi plusieurs minorités ethniques, religieuses ou sexuelles, bien souvent opprimées sous le régime communiste. La chute du régime permet de créer un environnement social plus propice (comme la création de cafés et de clubs). Cependant, l’homosexualité reste un énorme tabou au sein de la société. En effet, un régime de silence s’observe et les premiers discours ne se mettent en place qu’à travers les débats autour de la propagation de l’épidémie du SIDA en Pologne. Le début des années 1990 ne fut pas une période propice à l’expansion du mouvement des minorités sexuelles car l’Eglise catholique avait une influence importante au sein de la population : une majorité de la population polonaise reste de confession catholique. Ainsi, toute une série de mesures conservatrices furent prises sous son initiative, comme l’interdiction de l’avortement. Dans le mouvement LGBT, on observe au sein du réseau des associations une noncoordination, une faible densité ainsi qu’une volonté clairement apolitique d’éviter toute controverse au sein de l’espace public. Ainsi, les premières associations se font peu remarquer et travaillent extrêmement peu sur les thématiques LGBT. La première association importante qui voit le jour est la Lambda Warszawa, en 1997. Ce fut la seule organisation LGBT enregistrée jusqu’en 2001.
c. L’expansion du réseau (1998-2004) ?
Face aux revendications de l’Europe sur le plan de la lutte contre les discriminations, la Pologne faisait figure de mauvais élève. Comme pour tout pays souhaitant adhérer à l’Union européenne, la Pologne devait répondre à certaines exigences. Les premières associations homosexuelles se servirent des mesures en vigueur au niveau européen pour mener des revendications au niveau national. 92
Au sein du corpus associatif LGBT, celles-ci furent plus visibles, plus professionnelles dans leur organisation que par le passé ; leur audience fut plus large et ne se limitait pas qu’à une prévention contre le VIH. C’est dans ce contexte que fut établie la Kampania Przeciw Homofobii (KPH) en tant qu’ONG en 2001. Celle-ci entretenait des liens au niveau européen avec l’International Lesbian and Gay Association (ILGA). A la différence d’autres groupes, la KPH était plus institutionnalisée. Ses subventions permirent d’engager du personnel ainsi que d’augmenter son champ d’action. De même, la KPH écrivit toute une série d’articles au sujet de la situation des personnes LGBT en Pologne (notamment en pointant du doigt la rhétorique anti-gay qui y était menée). Cette période voit également la première Equality Parade en 2001 à Varsovie. Cette première parade ne connut pas un grand succès au départ, mais celui-ci ne fit que grandir au cours des années qui suivirent. De même, une autre campagne publique fut menée en 2003 : Let Them See Us. En mettant en scène plusieurs couples gays et lesbiens dans une galerie de Varsovie, elle permit de rendre visible l’homosexualité dans l’espace public, même si celle-ci fut qualifiée de dépravation et de déviation. Le réseau devint ainsi plus visible, plus politique et plus organisé. Mais celui-ci resta majoritairement basé dans la capitale de la Pologne : Varsovie.
d. Les frères Kaczyński : de nouveaux ennemis
Les partis majoritairement libéraux sont remplacés par de nouveaux partis de droite très eurosceptiques au cours des élections législatives de 2001 : le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) et la Ligue des Familles Polonaises (Liga Polskich Rodzin, LPR). Ceux-ci mènent une politique anti-gay. Le PiS est mené Les frères jumeaux Kaczynski qui menèrent une politique de répression à l’égard des homosexuels. par Lech Kaczyński, défenseur de l’identité © AFP, « Pologne, fin de l’ère des jumeaux Kaczynski », Le Figaro.fr, 2007. nationale polonaise. Il est notamment à l’origine du bannissement de l’Equality Parade à Varsovie en 2004 et 2005. Depuis, la manifestation a repris vie, mais sous un fort encadrement policier. Grâce à un grand sens de l’organisation et de la mobilisation, la LPR et le PiS ont connu tous deux un grand succès électoral. Lors des élections fédérales en 2005, Lech Kaczyński est élu président. Il mène avec son gouvernement catholique, nationaliste et conservateur une politique qui souhaite aboutir à l’interdiction de toute forme de propagande gay au sein de l’espace public. De plus, les membres de son gouvernement ne nient pas du tout leur homophobie : en octobre 2005, le Premier ministre aurait déclaré que l’homosexualité était « contre-nature » et que si des 93
personnes « tentaient d’en contaminer d’autres avec leur homosexualité, l’Etat devait intervenir contre cette violation de liberté »1 ; son ministre de l’Education nationale souhaite quant à lui filtrer toute information qui circule sur internet au sujet de l'homosexualité et créer un programme scolaire inspiré par des mœurs très chrétiennes. Malgré tout, le mouvement homosexuel reste plus fort que jamais. L’entrée de la Pologne au sein de l’Union européenne en 2004 altère également les structures politiques du pays. Malgré une forte opposition au sein du gouvernement polonais, la résolution européenne de lutte contre l’homophobie est tout de même acceptée en 2006.
e. Les années Tusk : les années libérales
Les élections législatives de 2007 permettent à Donald Tusk, du parti libéral Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO), d’entrer au gouvernement en tant que Premier ministre. Celui-ci instaure un régime plus libéral et plus indulgent envers les homosexuels après la chasse homophobique perpétrée par le gouvernement précédent. Bien qu’il veuille relancer les échanges avec l’Union européenne, le parti de Tusk reste très conservateur sur les questions sociétales. Ainsi, le rejet récent du pacte civil montre encore que la Pologne reste un pays profondément rétrograde sur certaines questions. Le parti Palikot, mené par le député Robert Biedron, ouvertement homosexuel, milite néanmoins pour une amélioration de la situation des homosexuels en Pologne. Et aujourd’hui ? Un climat individualiste s’est développé dans la société polonaise comme nous l’a affirmé la porte-parole de Lambda Warszawa. Certaines personnes sont nostalgiques de la période communiste (ce que l’on nomme « l’ostalgie »), mais se rappellent avant tout des avantages que procurait cette période. Par ailleurs, la diminution de l’activisme anti-gay a rendu les mouvements LGBT moins visibles sur la scène politique. 3. Les limites à la liberté ? Le mouvement gay dans l’espace public, l’exemple de la ville de Varsovie
Il est intéressant de se pencher désormais sur les traces visibles du mouvement LGBT dans l’espace public de la ville de Varsovie. En effet, l’espace public évolue avec ses habitants, mais les régimes politiques marquent également durablement celui-ci. Ainsi, les changements historiques et politiques peuvent s’y apercevoir. Nous traiterons ici de deux symboles phares du mouvement LGBT à Varsovie : d’une part le bar Le Madame, ensuite le monument arc-en-ciel de la place Zbawiciela. 1 — « Déclaration publique », Amnesty International, 9 juin 2006. [En ligne]. < http://www.amnesty.be/>. (Consulté le 8 novembre 2014).
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a. Le bar « Le Madame »
Ce bar, fondé en 2003 par Krystian Legierski, un activiste du mouvement LGBT, était le symbole de la contre-culture et le premier bar gay-friendly de Varsovie. S’y rassemblaient des artistes underground, avant-gardistes pour des performances en tous genres ; on y organisait des pièces de théâtre, des expositions d’art, de peintures, de photographies. Mais la Pologne connaitra une progression de l’homophobie durant le début des années 2000, ce qui provoquera la fermeture rapide du bar. L'image très discriminatoire des homosexuels polonais est basée sur des stéréotypes négatifs renforcés par les médias conservateurs, les politiciens de droite et l’influence forte de l’Eglise catholique qui considère l'homosexualité comme « contre-nature ». Comme indiqué plus haut, Lech Kaczyński devient président en décembre 2005. Son premier discours est profondément conservateur. Un personnage qui lui est attaché, le maire de Varsovie Mirosław Kochalski, décidera de la fermeture de ce bar le 31 mars 2006. La mairie a en effet décidé de racheter le bâtiment et d’en arrêter les activités. Porte d’entrée du bar « Le Madame », aujourd’hui fermé. © Wiki Commons
Lech Kaczyński avait déjà tenté plusieurs fois auparavant de faire fermer le bar Le Madame, prétextant entre autres des problèmes avec l’assurance, une peinture nocive ou encore qu’une exposition de photos qualifiées de pornographiques y été tenue. Mais la vraie raison de la fermeture de ce bar est que des activistes politiques, des féministes, des homosexuels, des critiques de la globalisation, des anarchistes, les partis opposés à l’extrême droite s’y rencontraient pour débattre ; des personnes que ce gouvernement d’extrême droite avait dans le viseur. Dans un esprit chauviniste et unitaire, le but était dès lors de supprimer les minorités et les oppositions. Une grande foule a manifesté contre la fermeture de ce bar et la police a dû intervenir sur place, afin d’évacuer ceux qui ne voulaient pas le quitter. Beaucoup de politiciens ont également affirmé leur soutien lors de la fermeture de ce bar, mais tout en restant dans l’ombre, car c’est une question sensible pour le monde politique ; un appui aux homosexuels serait dangereux du point de vue électoral, dans une Pologne qui, sous le pouvoir de Lech Kaczyński, suintait l’homophobie.
Krystian Legierski, patron du « Le Madame ». © Blog de Fanch Pitrel, 29 août 2006. [En ligne]. <http://fanch-hakak.overblog.com/ >
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b. Le monument arc-en-ciel
Le monument arc-en-ciel. © « Warschaus LGBT-Denkmal steht wieder », 1er mai 2014. [En ligne]. <http://www.queer.de/ >
Ce monument en forme d’arc-en-ciel est constitué de fleurs artificielles, fait vingt-six mètres de large pour neuf mètres de haut. Il se situe sur la place Zbawiciela, à Varsovie, devant l’église Saint-Rédempteur. Il a été créé par Julita Wójcik, une artiste polonaise. Il avait d’abord été mis en place à Bruxelles en septembre 2011, devant le Parlement européen, à l’occasion de la Présidence polonaise du Conseil européen. Il a ensuite été installé à Varsovie en juin 2012. A l’origine, ce monument devait être un symbole universel pour la tolérance et la diversité, il ne comportait aucun message politique particulier. Avec le temps, ce monument est toutefois devenu un symbole du mouvement pour les droits des homosexuels. L’arc-en-ciel a été brûlé et donc complètement détruit plusieurs fois. Il a par exemple été complètement brûlé le 11 novembre 2013, lors de la marche de la fête de l’indépendance de la Pologne, par des nationalistes polonais ; un rassemblement d’extrême-droite organisé par deux groupes d’extrême droite : le Camp national-radical (Obóz Narodowo-Radykalny, ONR), un mouvement nationaliste et extrémiste ayant tiré son logo et son nom d’un parti fasciste d’extrême droite d’avant-guerre, et la Jeunesse Panpolonaise (Młodzież Wszechpolska, MW), une organisation qui craint que l’homosexualité ne détruise la Pologne. Les réactions au sujet de la mise en place de ce monument diffèrent ; certains le désapprouvent, car ce monument est attaché aux droits homosexuels, d’autres n’y voient qu’un arc-en-ciel ou encore un symbole d’unité, de tolérance. La créatrice, Julita Wójcik, 96
voulait que chacun puisse interpréter ce monument à sa guise, mais qu’il dégage avant tout un sentiment de tolérance. Ce monument a créé l’effet contraire chez certains nationalistes et extrémistes polonais, même les plus haut placés. Ainsi, Stanisław Pięta, un membre du Parlement appartenant au parti Droit et Justice pense que la position de ce monument est un geste dégoûtant, qui offense les catholiques ; une vraie provocation. Malgré cela, un grand nombre de gens viendront déposer des fleurs sur le monument brûlé, preuve qu’une partie de la population l’avait bien adopté. Le monument arc-en-ciel a ensuite été à nouveau installé le 1er mai 2014 par la maire de Varsovie, Hanna Gronkiewicz-Waltz, pour fêter l’anniversaire de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne – qui fêtait ses dix ans en 2014 – sur la place Zbawiciela de Varsovie. Il s’y trouve encore aujourd’hui. Elle a proclamé qu’il serait reconstruit autant de fois que nécessaire.
Un Polonais dépose une fleur sur le monument arc-en-ciel brûlé. © [En ligne]. <http://www.economist.com/ >
Un nationaliste polonais devant le monument arc-en-ciel enflammé. © [En ligne]. http://www.vice.com
On constate donc que, même sous un gouvernement plus libéral qu’en 2005, la reconnaissance et l’affirmation des homosexuels dans l’espace public dérange. En 2010, selon un sondage du Centre d’Etude de la Vie Sociale (Centrum Badania Opinii Społecznej, CBOS), un institut de sondage polonais, près de deux tiers des polonais mettent encore en doute le droit des homosexuels d’afficher leur orientation en public.2 Au sein de la société polonaise, il y a donc ceux qui sont formellement opposés à l’homosexualité et ceux qui estiment qu’il n’est pas nécessaire d’afficher des préférences sexuelles d’une manière explicite. De ce fait, l’espace public est encore assez hermétique au mouvement LGBT.
4. Notre ressenti
Le bilan présenté ci-dessus est sans doute à charge contre la Pologne en matière d’absence de liberté pour la communauté LGBT. Pour autant, et après avoir discuté avec la porte-parole de la Lambda Warszawa 1 — « Société - La Pologne plus tolérante à l'égard des homosexuels », Institution, la situation n’est pas aussi in : Le petit journal.com, 9 juillet 2010. [En ligne]. <http://www.lepetitjournal.com/>. (Consulté le 9 novembre 2014).
horrifiante que nous le pensions. Malgré des années difficiles sous le gouvernement de Lech Kaczyński, la situation des personnes LGBT s’est promptement améliorée au sein d’une Pologne qui est aujourd’hui de plus en plus europhile, libérale et libertaire. Bien sûr, la lutte pour l’acquisition de nouveaux droits et d’une plus grande tolérance, comme le souhaitent les associations LGBT, n’est pas totalement acquise. Des résurgences conservatrices tant dans l’espace public que dans les esprits de la population subsistent. De même, la religion catholique reste profondément ancrée dans les mœurs et règle encore en partie l’agenda politique. Mais le chemin ne se fait-il pas en marchant ?
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5. Mots-clés
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Emeutes de Stonewall : le 27 juin 1969, des policiers font une descente dans un bar homosexuel de Manha an, le Stonewall Inn. Il s’agit d’un contrôle de rou"ne : il était interdit à New York dans les années 1960 de vendre de l’alcool aux personnes homosexuelles. Pour la première fois, les clients se rebellent ; les homosexuels new-yorkais se mobilisent et s’opposent durant plusieurs nuits à la police lors d’émeutes qui s’étendent de plus en plus. Cet évènement est très souvent considéré comme l’acte de naissance « officiel » du mouvement homosexuel et est chaque année commémoré dans le monde lors de la Gay Pride.
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Equality Parade (ou Parada Równości) : il s’agit de la Pride de la communauté LGBT. Celle-ci se déroule dans la capitale polonaise. Elle est décrite comme la première Pride tenue dans un ancien pays du « bloc de l’Est ». La première parade fut organisée en 2001. En 2004 et 2005, sous le gouvernement de Kaczyński, les autorités refusèrent la tenue de ce e parade, car ils y voyaient la promo"on du mode de vie homosexuel. Des contremanifesta"ons furent alors mises en place ; dans un mouvement de désobéissance civile, plusieurs associa"ons se mobilisèrent.
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ILGA : l’Interna onal Lesbian and Gay Associa on est une organisa"on interna"onale fondée en 1978 qui a pour volonté de rassembler les associa"ons lesbiennes, gays, bisexuelles, trans* du monde en"er. L’associa"on est présente dans de nombreux pays et est connue pour avoir par"cipé à des lu es majeures.
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Krzysztof Tomasik : journaliste et biographe, militant LGBT, il est membre de Krytyki Politycznej.
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Lech Kaczyński : né en 1949 et mort dans un tragique accident d’avion en 2010, Lech Kaczyński est un homme d’Etat polonais. Militant an"communiste, il s’engage auprès de Solidarność. En 2001, il créé son propre par" avec lequel il remporte les élec"ons pour devenir ensuite président de la Pologne en 2005. Son frère jumeau, Jarosław, joue actuellement un rôle important dans la vie poli"que polonaise.
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LGBT : Lesbiennes, gays, bisexuels, trans* est un terme u"lisé pour désigner toute personne ou toute organisa"on n’étant pas hétérosexuelle. Bien souvent, le terme « gay » est faussement employé pour faire référence à la communauté LGBT. La no"on de LGBT est bien souvent complétée par d’autres le res comme le Q pour queer, le I pour intersexué ou encore le A pour asexuel.
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Trans* : tout d’abord, l’astérisque est très souvent u"lisée pour désigner une variété d’iden"té. Ainsi, l’emploi du terme « trans » suivi d’un astérisque permet de désigner les personnes transgenres, transsexuelles, non-binaire, agenre… C’est donc une tenta"ve de grouper les diversités.
Gdańsk
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Le Musée d’Histoire de la Ville de Gdańsk (Muzeum Historyczne Miasta Gdańska, MHMG)
Hanae ASSBAYHI & Iris LEOTARD
1. Introduction
Nec Temere, nec timide1, l’adage que l’on croise assez souvent à Gdańsk témoigne d’un passé à la fois illustre et modéré de cette ville millénaire. Agréable à découvrir et visiter, même pour les aérodromophobes, les quelque deux heures d’avion depuis l’aéroport de Charleroi en valent véritablement la chandelle. Dotée d’une richesse patrimoniale sans conteste importante, Gdańsk habite en effet les reliques d’un passé prestigieux, reflet d’une Pologne glorieuse et encore loin du joug communiste qu’elle subira après la Deuxième Guerre mondiale. Construite sur la Baltique, cette ville portuaire gagnera en puissance économique et politique, notamment par le biais de ses riches marchands constituant l’essentiel des patriciens de Gdańsk. Bien que les guerres aient soufflé sur ses trésors patrimoniaux, une grande partie ayant été endommagée ou détruite par les bombardements et incendies en 1945, la volonté de restaurer et préserver une trace de cette page de l’histoire semble avoir été une priorité aux yeux des autorités. Cette priorité traduit probablement une volonté de l’exposer afin de préserver la mémoire parmi les habitants de Gdańsk ou d’en faire de futures attractions touristiques. Les balades ensoleillées ou nocturnes au sein de l’ancienne ville ont de quoi pouvoir rassasier les amoureux d’architecture ancienne avec le Long Marché (Długi Targ) au milieu duquel trône la fontaine de Neptune (Fontanna Neptuna) qui symbolise l’accès maritime de la ville. Les rues et ruelles mêlant différents styles 1 — Ni téméraire ni timide.
architecturaux, du gothique au style Renaissance, accueillent les passants par leurs nombreux cafés et restaurants où il est bon de se poser après les avoir admirées. N’oublions pas de citer la fameuse Voie Royale (Droga Królewska) qui constituait la plus longue allée de l’Europe médiévale, elle joit la Porte Haute (Brama Wyżynna) à la Porte Verte (Brama Zielona). Sur cette voie où avaient lieu les grandes festivités et parades ainsi que les entrées triomphantes des rois de Pologne se situe la rue la plus célèbre, mais aussi la plus représentative de Gdańsk, la Rue Longue (Ulica Długa). C’est sur ce site qu’une grande partie de notre activité s’est déroulée, à savoir celle consistant à visiter quelques-unes des différentes dépendances du Musée d’Histoire de la Ville de Gdańsk (Muzeum Historyczne Miasta Gdańska, MHMG). En effet, ce musée possède la particularité d’être composé de 9 sections situées un peu partout dans la ville : l’Hôtel de Ville (Ratusz Głównego Miasta), la Cour d’Artus (Dwór Artusa), la Maison d’Uphagen (Dom Uphagena), la Westerplatte, le Musée des Horloges de clocher (Muzeum Zegarów Wieżowych) dans l’église Sainte-Catherine, le Musée du Sport et du Tourisme (Muzeum Gdańskiego Sportu i Turystyki), le Musée de la Poste polonaise (Muzeum Poczty Polskiej w Gdańsku), le Musée de l’Ambre (Muzeum Bursztynu) et la forteresse Wisłoujście (Twierdza Wisłoujście) située sur l’estuaire de la Vistule. Nous avons choisi de traiter trois de ces sections : l’Hôtel de Ville, la Cour d’Artus et la Maison d’Uphagen, car elles sont proches Hôtel de Ville de Gdańsk. © I. Leotard l’une de l’autre.
2. l’Hôtel de Ville
Édifice de style gothique et Renaissance situé sur la Voie Royale, l’Hôtel de Ville de Gdańsk (Ratusz Głównego Miasta) constitue le siège principal du Musée d’Histoire de la Ville de Gdańsk. Construit au Bas Moyen Age, la Mairie avait pour but dès le XIVe siècle de rassembler les autorités de Gdańsk, considéré alors comme ville principale. Le lieu gagnera davantage en pouvoir après une visite royale en 1526 durant laquelle le roi de Pologne Sigismond II Auguste ajoute un troisième conseil au gouvernement local de la ville, obligeant ainsi des travaux d'élargissement. Suite à l'incendie de 1556, des travaux sont effectués, conférant au bâtiment un style Renaissance. C'est à ce moment que les marchands les plus aisés de Gdańsk, désireux de faire valoir leur ville, décident d'investir leurs richesses afin d'embellir l'immeuble. Ainsi, de prestigieuses salles sont crées, comme 104
notamment la Salle Rouge (Sala Czerwona) somptueusement décorée par des artistes flamands afin d'y accueillir le Conseil de la ville (Rada miejska). Condamné à être détruit suite à un incendie durant la Deuxième Guerre mondiale – les dégâts occasionnés représentant un réel danger – des travaux auront finalement lieu dès 1945 et la restauration de l’Hôtel de Ville sera terminée en 1970. C'est alors qu'on décide en 2 000 d'y accueillir le Musée d’Histoire de la Ville de Gdańsk. Avant de rentrer dans l’Hôtel de Ville, nous sommes accueillis par une reconstitution un peu kitch d’une bataille des troupes françaises venues en aide au roi Stanislas en 1734. En rentrant dans le bâtiment, la première pièce qui se présente à nous est la Salle Blanche (Sala Bataille des troupes française. © H. Assbayhi Biała), la décoration de cette salle a été totalement refaite lors de la reconstruction après la Deuxième Guerre mondiale. Cette nouvelle décoration illustre le passé polonais glorieux (portraits de rois). On continue par la Salle Rouge décrite ci-dessus. Les peintures originales du peintre hollandais Vredeman de Vries ont malheureusement été détruites en grande partie lors du bombardement de l’Hôtel de Ville en 1945 ; celles qu’on peut admirer aujourd’hui sont des reproductions. Par la suite s’enchaînent des salles thématiques (artillerie, argenterie, etc.), les pièces retracent l’histoire de la ville et son influence commerciale. La visite se clôture par une reconstitution vieillotte de la ville durant la Deuxième Guerre mondiale. Salle rouge. © I. Leotard
Dans l’ensemble, le musée de l’Hôtel de Ville est peu interactif et un peu daté.
3. La Cours d’Artus
La Cour d’Artus (Dwór Artusa) remonte au Moyen-âge, elle a été construite entre 1348 et 1350. Le nom « Artus » vient d’Arthur, le roi légendaire de la Table Ronde. Par cette référence à la chevalerie légendaire, les membres déclaraient leurs valeurs. Au début, la cour consistait en une confrérie de chevaliers appelée « Confrérie de Saint-Georges », 105
dont on connaît peu le fonctionnement. Par la suite, la cour rentrera dans le monde marchand en servant de lieu pour les transactions commerciales et de lieu d’informations pour les commerçants. La confrérie de Saint-Georges va alors y perdre son importance jusqu’à n’avoir plus qu’une place honorifique. Des guildes vont se créer en fonction des lieux d’origine des marchands. La Cour d’Artus va atteindre son apogée aux XVIe et XVIIe siècles pour ensuite décliner à cause des guerres et des épidémies. Seule la façade est encore d’origine, malheureusement elle est pour l’instant en rénovation. Le reste du bâtiment dut être reconstruit suite aux bombardements de la Deuxième Guerre mondiale. On entre directement dans la salle principale qui impressionne par sa taille, sa décoration et surtout ses maquettes de navires suspendus. Cette décoration est à 70% d’origine, car les peintures avaient été évacuées en 1943 et ont pu être ainsi préservées. La décoration est un programme iconographique représentant des exemples moraux, de courage, des vices et des vertus des citoyens tirés de la Bible, des mythologies anciennes ou d’évènements historiques. Maquette de navire suspendue. © H. Assbayhi
Dans cette salle, se trouve aussi la pièce maitresse du lieu : un poêle en faïence du XVIe siècle sur lequel sont représentés les souverains de l’époque tels que Charles-Quint, Isabelle du Portugal, etc. ainsi que des allégories. Les autres pièces, plus petites, présentent beaucoup moins d’intérêt. On retrouve dans la salle à l’étage une représentation du Moyen-âge inspiré du mythe arthurien de la Table Ronde. Cette reconstitution est semblable à celle de l’Hôtel de Ville dans sa qualité, plus folklorique qu’instructive.
Maquette de navire suspendue. © H. AssReprésentation du mythe arthurien. © H. Assbayhi
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Poêle. © I. Léotard
4. La Maison de Jan Uphagen
Jan Uphagen est un riche marchand et conseiller municipal du XVIIIe siècle passionné d'art. En 1775, il décide d'acheter une maison située sur la Voie Royale, afin d'en faire sa demeure dans laquelle il vivra jusqu'à la fin de sa vie. Il modernise et meuble l'intérieur de décorations magnifiques et à la mode de son temps, tout particulièrement les chinoiseries (objets importés, on s’en servait souvent comme service à thé).
Fronton de la porte. © I. Leotard
Chinoiserie. © H. Assbayhi
Avant de mourir, il demande par testament à ce que rien dans sa demeure ne soit déplacé après son décès. Cette volonté sera respectée par ses héritiers successifs. En 1911, la maison se transforme en Musée des Intérêts Bourgeois, donnant aux visiteurs l'occasion de découvrir la vie bourgeoise de la ville de Gdańsk au XVIIIe siècle. Néanmoins, le musée connaîtra en 1944 des perquisitions menées par les Allemands, puis sera détruit en 1945. Il faudra attendre dix ans après la guerre pour que la maison soit reconstruite, mais ce n'est que durant les années 1990 que le musée fut à nouveau accessible aux visiteurs. Une exposition permanente de photographies anciennes de la maison est installée dans le bureau du marchand. La Maison d’Uphagen devient alors l'une des rares maisons de marchand ouverte au public en Europe. La visite se déroule pièce par pièce, chaque pièce possédant son panneau explicatif. On est ainsi plongé dans l’univers bourgeois du XVIIIe siècle, allant des salles de séjour et de musique jusqu’aux cuisines. Plus qu'une histoire bourgeoise, le musée nous immerge aussi dans le cadre intime d'une vie. Sur place, il est plus facile de juger des goûts esthétiques de Jan Uphangen en admirant les riches décorations hautes en couleur qui peuplent chaque recoin de la maison. Le style rococo prédomine comme le veulent la mode et les tendances des classes aisées de l'époque. Il n'est néanmoins pas rare de croiser quelques éléments décoratifs évoquant des scènes et 107
paysages du Pays du Soleil Levant ou de l’Empire du Milieu, décors pour lesquels le maître de maison nourrissait une véritable passion de collectionneur.
Porte de la grande salle à manger. © I. Leotard | Escaliers. © H. Assbayhi | Cuisines. © I. Leotard La petite salle à manger. © I. Leotard | Salon de musique. © I. Leotard
5. Conclusion
Ces trois sections offrent une vision globale de l’histoire médiévale et moderne de Gdańsk. Cependant, quelques points sont à déplorer. Tout d’abord, l’absence d’interactivité : on visite le musée en silence comme on a coutume de la faire dans un musée traditionnel. Il n’y a pas de tablettes ou bandes-sons plongeant les visiteurs dans une ambiance, comme on peut le constater dans les musées plus récents Voir p. 123 (le Centre Européen Solidarité [Europejskie Centrum Solidarności, ECS], le Musée de l’Insurrection de Varsovie [Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW], etc.). On Voir p. 13 a droit à la place à des reconstitutions plutôt kitch et mythiques. Deuxièmement, il est regrettable qu’il n’y ait pas de visite guidée, le touriste doit se contenter d’un guide papier en version anglaise difficile à obtenir suite à des ruptures de stock. 108
Troisièmement, la grande présence de gardiens peut rendre la visite oppressante. Ils servent bien sûr à surveiller les salles, mais aussi à orienter le visiteur dans le dédale des salles (particulièrement dans la Maison d’Uphagen). Malheureusement, ceux-ci ne parlent que polonais et ne peuvent pas donc répondre aux questions des touristes étrangers. Enfin, on constate une grande différence entre la mise en valeur du patrimoine culturel ancien (Pologne glorieuse) et contemporain (Pologne martyre). Cette différence est sûrement due à l’investissement des pouvoirs publics dans les musées sur des faits plus proches de nous et dont la mémoire est plus vivante (ECS, MPW, etc.). Cette mémoire semble très importante aux yeux des Polonais qui paraissent encore pris dans leur passé communiste. On peut d’ailleurs voir dans ces musées récents que la transmission de cette mémoire a un rôle central, la muséologie est plus adaptée à un public jeune, plus ludique. Alors que les musées modernes apparaissent plus engagés dans la propagation de leur message, souvent à caractère fort et idéologique, il en va différemment des musées « anciens ». En effet, ces musées dits plus « traditionnels » et centrés sur l'histoire plus ancienne de la Pologne tels que le Musée d’Histoire de la Ville de Gdańsk se limitent essentiellement à la fonction première de tout musée, c'est-à-dire servir de lieu de valorisation du patrimoine. Néanmoins, les deux types de musées se rejoignent sur la forte empreinte nationaliste régnante que le visiteur étranger peut percevoir dans l'ambiance de ces lieux.
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Rencontre avec Piotr Majewski et les responsables du Musée de la Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny Światowej)
Bilal CHOUIHDI & Kevin BURGISSER
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’idée de créer cette institution qui présente la Deuxième Guerre mondiale tant du point de vue polonais et qu’européen vint de l’ancien Premier ministre Donald Tusk. Dans cette perspective, le 1er septembre 2008 le projet fut confié au professeur Paweł Machcewicz. L’idée se concrétisa le 26 novembre 2008 sous l’impulsion du ministre polonais de la Culture et de l’Héritage national Bogdan Zdrojewski. Cependant, le musée n’ouvrira ses portes au plus tôt que dans le courant de l’année 2015.
Maquette du musée
Gdańsk a été choisie, car elle est un lieu symbolique de la Deuxième Guerre mondiale parce que située à proximité de la Westerplatte, presqu’île où la guerre débuta en septembre 1939. Lors de la cérémonie de commémoration du 70e anniversaire du commencement de la Deuxième Guerre mondiale sur la Westerplatte, Donald Tusk signa l’acte de fondation du musée. Aujourd’hui le musée est dirigé par Pawel Machcewicz et ses représentants sont les professeurs Janusz Marszalec et Piotr Majewski. Le musée est financé par le ministère polonais de la Culture et de l’Héritage national. Le budget total s’élève à environ 6,5 millions d’euros. Le projet se veut international et réunit pour cela des collaborateurs internationaux : historiens, avocats, journalistes, vétérans polonais, britanniques, américains, français, allemands, russes, israéliens. Le site recouvrira une superficie d’environ 58 000 m2 répartis sur six niveaux souterrains et sept niveaux en surface. On y trouvera non seulement des salles d’expositions, des bureaux administratifs, mais aussi des salles de cours, de conférence, de cinéma, une bibliothèque, des archives, des entrepôts et même un restaurant avec vue panoramique sur Gdańsk. Le design particulier du bâtiment tient à sa tour triangulaire haute de 40m et construite de façon oblique. L’arrangement du site suit la volonté d’exprimer symboliquement le rapport qui existe entre le passé et le présent, c’est-à-dire la guerre qui est exposée au sous-sol et le présent qui se déroule en surface sur la place qui entoure le musée. Quand le musée ouvrira ses portes, il proposera une exposition permanente, des expositions temporaires et une exposition, délocalisée, sur la Westerplatte. Le but du musée n’est pas de présenter une histoire qui se veut militaire ou qui met en avant le martyre polonais, mais plutôt de se centrer sur l’expérience individuelle de la guerre en Pologne et dans d’autres pays engagés dans la guerre. L’exposition se veut narrative et centrée sur des personnages (civils et militaires) dans leur vie de tous les jours, sur la société et les nations pendant la guerre. L’exposition permanente sera gigantesque, car elle couvrira une surface d’environ 7 000 m2 où seront exposés environ 30 000 objets, des milliers de photographies et un contenu multimédia regroupant près de 400 films. Vu l’immensité de la collection exposée, il sera impossible pour le visiteur de tout voir en une seule visite. Pour ce faire, les autorités du musée préconisent plusieurs visites. Néanmoins, l’axe principal de l’exposition pourra être visité en deux heures. Des parcours adaptés aux enfants seront mis en place afin de leur épargner les parties les plus choquantes (vie dans les camps, …). Le musée sera interactif grâce à différentes technologies tels les guides audio en plusieurs langues ou des écrans tactiles. 112
L’exposition permanente servira à montrer d’une part le point de vue des Grandes Puissances Politiques de l’époque et d’autre part, point qui va être fortement développé, la guerre vue et vécue par la population polonaise et celles des autres nations impliquées dans le conflit. Pour ce faire les autorités du musée ont décidé de découper l’exposition en trois grandes parties : •
The road to war
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The horrors of war
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The war’s long shadow
Comme on peut le deviner, la première partie sera donc consacrée aux prémisses de la guerre. Y seront exposées les idéologies qui se sont soulevées contre l’ordre établi par le Traité de Versailles. On parle ici du nazisme, du fascisme italien, du communisme et de l’imperialisme japonais. On verra comment leurs politiques furent menées et comment elles ont formé, transformé, préparé le monde à la guerre. Le spectateur verra ainsi l’expansion territoriale des états pratiquant ces différents régimes, mais l’accent sera surtout mis sur les cas allemand et russe. On verra aussi ici comment les régimes totalitaires se sont entraidés pour mettre en œuvre leurs ambitions. Pour cela une partie sera consacrée à l’alliance entre fascistes et nazis lors de l’intervention germano-italienne dans la guerre civile en Espagne, et le pacte passé entre les forces de l’Axe (Rome-Berlin-Tokyo) et la Russie, mieux connu sous le nom de Pacte Ribbentrop-Molotov. Celui-ci est un pacte de non-agression réciproque, et un accord de partage des territoires situés entre la Russie et l’Allemagne. L’exposition insistera sur les conséquences de ce pacte pour le territoire polonais. Cette première partie se clôturera sur l’invasion menée en Pologne en septembre 1939 par les Soviétiques et les Nazis, ce qui marquera la transition vers la deuxième partie de l’exposition, The horrors of war. Cette partie va nous présenter ce que la guerre a été pour l’ensemble de la population, que ce soit pour le soldat, pour le forçat ou pour le simple citoyen. L’accent sera surtout mis sur le fait que l’occupation était le moyen pour les régimes totalitaires de mettre en œuvre leur programme d’anéantissement d’une population ou d’une nation. On va ainsi voir les crimes perpétrés par les nazis sur l’intelligentsia et les élites sociales polonaises ainsi que les abus commis par les soviétiques sur les officiers et policiers polonais en 1940 à Katyń. Bien évidemment l’Holocauste prendra aussi une place importante dans l’exposition. Le génocide sera présenté en plusieurs stades : les exécutions perpétrées par les Einsatzgruppen nazis à l’Est après l’attaque contre l’Union soviétique, puis de la mise en place des camps de concentration. Enfin on verra dans cette partie la vie quotidienne des Juifs placés dans les ghettos de Varsovie et de Łódź. 113
L’exposition sera enrichie par des collections uniques qui témoigneront du vécu des victimes de la guerre. Elles seront composées de toutes sortes d’objets de la vie quotidienne, que ce soit des vêtements, des jouets, ou encore des cartes de rationnement, qui aideront le visiteur à voir les multiples facettes de la vie quotidienne pendant la guerre. Certaines sections dans cette deuxième partie seront consacrées à la résistance polonaise et étrangère. On y découvrira ce qu’étaient la lutte pour l’information, le décodage, la mobilisation sociale et économique, la diplomatie et la compétition politique entre l’Union soviétique et les Alliés. On verra aussi dans cette section la dispute internationale menée par le gouvernement en exil à Londres sur le sort de la Pologne. On pourra également voir comment l’Etat polonais clandestin (Polskie Państwo Podziemne) s’organisait. La troisième partie de cette exposition, The war’s long shadow, va lier les évènements de la fin de la guerre aux conséquences de cette guerre. Bien que la guerre se soit terminée en 1945, l’exposition aura pour but de montrer les effets causés par celle-ci et ce bien après sa fin. Effets tels que les pertes humaines et matérielles, le changement de frontières des pays de l’Est, la division du continent européen en deux grands blocs, les migrations, le déplacement des Polonais vers les nouveaux territoires et donc l’expulsion des allemands qui occupaient ces territoires, et bien d’autres conséquences encore. Ces trois parties seront enrichies d’une collection très vaste. L’acquisition de ces objets est continue grâce à, d’une part les achats faits par le musée, et d’autre part les donations. Ceci est dû aux liens que le musée entretient avec les collectionneurs, les vétérans et de nombreuses institutions polonaises et étrangères. De nombreux objets seront à voir.
machine à crypter Enigma | landau d’enfant | uniforme britannique casquette de prisonnier d’un camp de concentration | boîte à cigarettes | chaussures d’enfant © Collections du Musée de la Deuxième Guerre mondiale
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Au vu des difficultés liées à la construction du bâtiment, aucune date d’ouverture ne peut encore être fournie. Vu l’immensité de la surface d’exposition et vu le nombre important d’objets exposés, il est évident qu’il est impossible de tout voir en une seule visite : le visiteur devra revenir pour voir la totalité du contenu du musée. Cette nécessité de revenir est problématique pour un touriste intéressé par un parcours historique en Pologne : d’un point du vue financier (payer plusieurs fois l’entrée pour le même musée) et au niveau du temps à accorder à d’autres activités. A notre avis le visiteur se contentera de l’axe principal de l’exposition qui est d’une durée de deux heures et donc délaissera le reste. C’est une très bonne chose que l’exposition sera adaptée à différents publics (famille, enfants, groupes scolaires, …). L’aspect totalisant du musée (trop de sujets abordés, trop de collections exposées) semble trop optimiste et pousse à poser la question suivante : après la visite du musée, que retenir face à cette quantité d’informations ? N’aurait-il pas été préférable que le musée se cantonne à un nombre de thématiques plus restreint ?
La Westerplatte et l’exposition « A spa – a bastion – a symbol »
Galia DE BACKER & Hélène JACQUES
La visite de la Westerplatte était prévue pour le vendredi, dernier jour de notre voyage d’étude en Pologne. Le bus nous a amené de Gdańsk jusqu’à la presqu’île sous un soleil radieux. « Not to much wind. It’s very rare », a déclaré notre guide, Jan Szkudlinski. La Westerplatte se trouve à l’entrée du canal qui mène au port de Gdańsk, elle est arborée et offre un point de vue panoramique sur la mer Baltique. Ce lieu est chargé d’histoire : il symbolise le courage polonais et rappelle la lutte d’une garnison nationale face aux soldats allemands aux premières heures de la Deuxième Guerre mondiale. Avant d’être un endroit indissociable de la Deuxième Guerre mondiale, la Westerplatte a été un lieu touristique assez important. Dans la Vue sur le port de Gdańsk depuis la Westerplatte. © A.-S. Vanhoudenhove deuxième moitié du XIXe siècle, le front de mer attire les touristes et les premières maisons de vacances sont construites. Dans les années 1880-1890, une nouvelle impulsion est donnée au tourisme sur la Westerplatte par la Vistula-Gdańsk Steamship Navigation and Seaside Resort Joint-Stock Company. Cette compagnie met en place de nombreuses infrastructures comme un port de plaisance, des thermes, des salles de jeux, etc. et fait de la presqu’île un haut lieu touristique de la mer Baltique attirant jusqu’à 140 000 visiteurs par an1. 1 — Voir le site du Musée de la Deuxième Guerre mondiale : http://www.muzeum1939.pl
La Première Guerre mondiale va mettre fin à l’essor touristique de la Westerplatte. Le nombre de touristes chute et la station de vacances disparait progressivement. Après la guerre, dans le cadre du Traité de Versailles, en 1920, la ville de Gdańsk est placée sous le mandat de la Société des Nations. En 1924, un avant-poste militaire polonais est créé sur la Westerplatte qui devient inaccessible au public. Une garnison d’environ 200 soldats est envoyée sur la presqu’île. Parallèlement à ces événements, le Parti national-socialiste fait son apparition dans la ville de Gdańsk et obtient, en octobre 1930, la deuxième place lors des élections. Depuis juillet 1927, le port de Gdańsk accueillait régulièrement des navires de guerre allemands. Ces « visites » donnaient lieu à des fêtes populaires dans la ville. En août 1939, le navire allemand Schleswig-Holstein se rendit à Gdańsk pour une visite de courtoisie2. Il fut accueilli par les autorités et la population de la ville. A l’aube du 1er septembre 1939, suivant les ordres venus de Berlin, le commandant du Schleswig-Holstein ouvrit le feu sur la Westerplatte, visant le dépôt d’armes gardé par une garnison polonaise. Cette attaque marque le début de la Deuxième Guerre mondiale. Malgré la disparité des effectifs et des moyens, les soldats polonais établis sur la Westerplatte ne capitulèrent que le 7 septembre 1939, alors que l’armée allemande se trouvait aux portes de Varsovie et que les premiers blessés étaient touchés par la gangrène. Le 21 septembre 1939, Adolf Hitler se rendit à Gdańsk et visita la Westerplatte où environ 50 soldats allemands avaient perdu la vie.
Le cimetière des défenseurs de Westerplatte. © Libération Route Europe
Dès juillet 1946, un cimetière fut fondé sur la Westerplatte. Une plaque commémorative portant les noms des soldats polonais morts pour la défense de Gdańsk et de la presqu’île y était visible. Mais le régime communiste qui arriva au pouvoir après la guerre ne voyait pas d’un si bon œil les manifestations de patriotisme polonais qui prenaient place à la Westerplatte. Les commémorations furent interdites, la presqu’île désertée.
2 — Fondation « Libération Route Europe ». [En ligne]. < http://liberationroute.fr/>.
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Après la mort de Staline, la politique du gouvernement à l’égard de la Westerplatte change : la presqu’île devient la « carte de visite » du pouvoir politique, l’endroit où ont lieu les cérémonies militaires officielles ainsi que l’accueil des délégations étrangères. Dans les années 1960, la croix du cimetière est remplacée par un tank T-34. En 1966, un Monument aux Défenseurs de la Westerplatte (Pomnik Obrońców Wybrzeża) de 25 mètres de haut est érigé sur la presqu’île. Dans les années 1980, le pape Jean-Paul II participe largement à rendre à la Westerplatte son rôle de symbole de la lutte polonaise en y organisant des rassemblements catholiques. Enfin, en 1989, le tank installé au sein du cimetière militaire est déplacé et une croix y est replacée. A ce jour, le souvenir de la Westerplatte est toujours très présent en Pologne comme le montre le film 1939 Les Héros de Westerplatte, sorti en 2013, qui retrace les sept jours durant lesquels soldats polonais et soldats allemands se sont opposés sur la presqu’île ou encore les cérémonies annuelles marquant l’anniversaire de la bataille. Les 70 ans de l’attaque allemande ont été commémorés le 1er septembre 2009, occasion pour laquelle la chancelière allemande Angela Merkel, le Monument aux défenseurs de la Westerplatte. © H. Jacques président russe Vladimir Poutine et le président polonais Lech Kaczyński se sont réunis sur la presqu’île. Toutefois, il est intéressant de noter que pour le 75e anniversaire de la bataille, seuls les présidents polonais et allemands se sont déplacés jusqu’à ce lieu hautement symbolique. Actuellement, la presqu’île est ouverte au public. On peut y visiter une exposition en plein air, inaugurée le 1er septembre 2009 sous la direction de l’équipe du futur Musée de la Voir Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny Światowej) de Gdańsk. Elle se p. 111 déroule en plusieurs étapes. Premièrement, la Westerplatte en tant que lieu touristique est présentée. La visite se poursuit avec des espaces dédiés à l’histoire du dépôt militaire polonais situé sur la presqu’île aussi bien avant que pendant la bataille de septembre 1939. Le parcours se termine sur le rôle de ce lieu dans la mémoire collective polonaise et son statut sous le régime communiste. Le visiteur se trouve alors au pied du tertre sur lequel se trouve le Monument aux Défenseurs de la Exposition extérieure sur la Westerplatte. Westerplatte (Pomnik Obrońców Wybrzeża). © Musée de la Deuxième Guerre mondiale 119
L’esthétique de cette exposition dénote singulièrement avec celle d’autres musées polonais comme le Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego, Voir p. 13 MPW). En effet, elle donne à voir des cartes, photos et textes dans de grands cadres noirs. Ceux-ci sont modernes et massifs, mais restent sobres. Aucun effet sonore ou jeu de lumière n’accompagne l’exposition. Seul le soleil détermine les heures de visite du parcours. Les textes apparaissent en polonais et en anglais. Ils sont clairs et systématiques. Ce constat est étonnant et inattendu si on le replace dans le contexte de cette Pologne en voie de construction de son histoire, qui érige musée après musée. Le simple fait que l’exposition ait lieu en plein air constitue une différence radicale avec le Musée de l’Insurrection de Varsovie, le Musée de l'Histoire des Juifs polonais (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHŻP) et le futur Musée de la Deuxième Guerre mondiale dans lesquels la visite a lieu sans aucune lumière naturelle, soit sous le niveau du sol, soit derrière des fenêtres murées. La comparaison la plus frappante avec un de ces musées est sans doute la comparaison avec le Musée de l’Insurrection de Varsovie, ouvert en juillet 2004. Une fois les portes de cette ancienne centrale électrique de tram franchies, le visiteur est assailli par les sons (les bombes sifflent à vos oreilles), les lumières (rouges et sombres attirent vos yeux écarquillés sur le panneau « terror » ou sur une carte parsemée de croix gammées), les espaces (entrecoupés et tortueux, fermés par des fenêtres rendues aveugles pour l’occasion). L’exposition s’adresse directement à l’affect du visiteur, comme pour lui faire vivre une part du trauma dont héritèrent les Polonais aux suites de la Seconde Guerre mondiale. Un deuxième élément de comparaison est l’exposition sur Solidarność au sein du Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS). Son esthétique se rapproche quelque peu des panneaux de la Westerplatte, riches en images, cartes et textes. Cependant, les espaces digitaux interactifs et les objets, vestiges de la lutte du syndicat, s’emmêlent aux autres informations au fil des salles, laissant le visiteur perdu au milieu du flot d’informations.
“Nigdy Wiecej Wojny”. © P. Lagrou
Voir p. 123
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Sur la Westerplatte, l’équipe du futur Musée de la Deuxième Guerre mondiale a élaboré une exposition claire et sobre, pari qui n’était pas gagné d’avance. Bien sûr, d’autre éléments sur la presqu’île font preuve de moins de sobriété, comme cet énorme écriteau : « Nigdy Wiecej Wojny » (Plus jamais la guerre) ou encore le fameux Monument aux Défenseurs de la Westerplatte (Pomnik Obrońców Wybrzeża), tous deux construits en 1966 par le gouvernement communiste. C’est à ces endroits que revient à la charge le furieux désir du pouvoir en place de faire de la Pologne une victime de l’histoire du XXe siècle avant toute chose.
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Le Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS)
Aurélie COENEN & Alicia LÉONIS
1. Avant la visite… a. Le projet de musée
Le tout nouveau Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) fut inauguré cet été à l’occasion du 25e anniversaire de l’indépendance de la Pologne et du 34e anniversaire de la fondation du syndicat Solidarność. Cependant le projet en luimême est relativement ancien. Il a mis du temps à se concrétiser. Le projet d’un musée de la solidarité nait en mars 1998. Plusieurs personnes sont à l’origine de l’initiative, dont le maire de la ville de Gdańsk, Pawel Adamowicz et l’historien George Kuklinski. Le projet est rapidement soutenu par d’autres personnalités de la ville ainsi que par des associations. Une fondation a été créée en 1999, ayant pour unique but la création d’un Centre européen de la Solidarité et présidé par Bogdan Lis, qui a participé à la création de Solidarność avec Lech Wałęsa. En 2007, un concours international est lancé afin de choisir un projet architectural. En parallèle, l’institution culturelle créée en novembre 2007 par la fondation commence ses activités dès 2008 dans un siège temporaire au chantier naval. Les travaux de construction débutent en 2011 après l’obtention de fonds par Pawel Adamowicz.
Bâtiment abritant le Centre Européen Solidarité. © A. Leonis
Le gigantesque bâtiment, dont la forme rappelle à dessein un bateau, fut financé pour une moitié par l’Union européenne et pour une autre moitié par la ville de Gdańsk pour un coût total d’environ 7 millions d’euros. Quant à l’exposition en elle-même, elle fut payée d’une part par le ministère polonais de la Culture et de l’Héritage national et d’autre part par les autorités locales, soit la ville de Gdańsk et la région de Poméranie. Le bâtiment occupe quelque 3 000 m² répartis sur cinq étages et centré sur un jardin d’hiver qui occupe le rez-de -chaussée. Le Centre n’est pas un simple musée. Ses activités sont très diversifiées. On compte notamment une bibliothèque, un centre de conférences, des espaces dédiés aux représentations théâtrales et aux projections de films ainsi qu’une série d’expositions temporaires. Les tout nouveaux locaux sont également occupés par des organisations non gouvernementales. Toutes ces activités ont en commun de traiter du même thème : la solidarité, l’entraide comme moteur de la liberté, voir de la libération. Le directeur actuel, Basil Kerski, définit l’ECS comme étant « une institution culturelle moderne qui perpétue la mémoire de notre grand succès sociétal – la victoire de la solidarité »1. Concrètement, l’exposition permanente occupe deux étages. Les salles suivent un schéma chronologique tout en étant thématiques. Dans l’ordre, on visite la naissance de Solidarność qui retrace la grève de 1980, Le Pouvoir et le Peuple, qui 1 — http://www.ecs.gda.pl/ title,ECS,pid,21.html. Traduction libre depuis le polonais.
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nous montre la vie quotidienne sous le régime communiste, La Guerre contre le peuple, qui évoque la loi martiale, En route vers la démocratie, qui s’arrête sur le rôle central du pape Jean-Paul II et la Table Ronde, et Le Triomphe de la liberté, qui parle de la chute du communisme dans l’ensemble du « bloc de l’Est ». Cette exposition n’est bien sûr pas identique au projet d’origine. Une vidéo nous montre le projet virtuel tel que conçu par les lauréats du concours. L’exposition n’est pas non plus figée à jamais sous cette forme. De l’aveu de Sławomir Czarlewski, ancien ambassadeur de la République de Pologne en Belgique, elle doit encore évoluer, peut-être vers plus de lisibilité pour les néophytes sur le sujet.
b. Un bref aperçu historique de Solidarność
Le mouvement Solidarność est un élément essentiel de l’histoire polonaise contemporaine. Son impact sur la chute du communisme en Pologne est primordial. Le syndicat libre Solidarność « naît » en août 1980 lors d’une série de grèves dans les chantiers navals de Gdańsk, conséquence de la crise économique ajoutée au licenciement d’Anna Walentynowicz. Il est cofondé puis dirigé par Lech Wałęsa pendant les années 1980. En 1980, on Voir veut d’abord organiser la grève sur le chantier naval afin p. 131 d’optimiser son efficacité puis, quand les grèves s’étendent à l’ensemble du pays, on veut fédérer l’ensemble des mouvements dissidents présents dans l’industrie et l’agriculture polonaise en un seul mouvement regroupant toutes les revendications. Ce syndicat devient parfaitement légal grâce à un accord passé entre Lech Wałęsa et le vicePremier ministre Mieczysław Jagielski (accords de Gdańsk, 31 août 1980). Le mouvement se solidifie et propose un programme en vingt-et-un points correspondant aux revendications les plus importantes et déjà informellement établis en août 1980. Solidarność invite les autres pays d’Europe de l’Est à suivre son initiative. Le groupe naissant assoit sa force en s’appuyant sur l’Eglise, seule institution indépendante tolérée en Pologne. Les activités du groupe s’accompagnaient de messes. En outre, le facteur religieux accentua l’unité du mouvement. Une des singularités de Solidarność est d’avoir uni, non sans difficultés, des groupes sociaux qui tardèrent à s’associer, tels que les travailleurs et les intellectuels. La période de 125
légalité fut très brève. Le syndicat se basait sur la non-violence et les grèves « à domicile » plutôt que les manifestations en rue. Ce qui n’empêcha pas le régime communiste de décréter l’état de siège en décembre 1981 en réponse aux libertés prises lors du grand congrès et au nombre croissant d’adhérents. Cela créa un effet de surprise qui prit de court le syndicat, empêchant celui-ci de transformer ses moyens de communication et sa structure, rendant faciles les arrestations et tous les autres types de répressions. Environ 10 000 arrestations auront lieu dans le cadre de cette répression. L’existence même de Solidarność représentait un danger pour l’URSS puisqu’il s’agissait d’un mouvement sans précédent qui remettait en cause, de manière implicite, le monopole du parti. La persévérance des Polonais, plus enclins aux mouvements dissidents que d’autre pays du Pacte de Varsovie, s’explique peut-être par une plus longue tradition de soulèvements et de grèves (1956, 1968, 1970, 1976). Le soutien de l’Eglise et du pape doivent également être pris en compte. L’élection d’un pape polonais en 1979 fut un événement très important, de même que sa visite sur le territoire polonais. Solidarność est condamné à la clandestinité. Le mouvement continuera cependant à avoir une activité conséquente notamment en termes de presse clandestine qui inonde alors le pays. L’état de siège dure jusqu’en 1983. Il fut levé à la suite des importantes contestations venant de l’Ouest et de la papauté, notamment. Cela ne signifie pas que les leaders du syndicat sont relâchés. Les procès se poursuivent jusqu’à la fin du régime communiste. Mais l’opposition sort de la clandestinité sans être pour autant légalisée. A la fin des années 1980, le syndicat est de nouveau si puissant qu’il peut s’opposer au pouvoir politique en place. Des grèves nationales sont organisées, notamment en 1988 en réponse à la « pacification » du chantier naval de Gdańsk. Le syndicat est à nouveau légalisé en 1989 et il se présentera, après les négociations de la Table Ronde, aux premières élections semi-libres qu’il remportera. Une fois l’ennemi commun vaincu, certaines oppositions apparaissent au sein du groupe et le mouvement se fracture en plusieurs morceaux.
2. Pendant la visite… a. Présentation générale
L’exposition permanente de l’ECS s’articule sur deux étages. Le visiteur découvre les lieux en s’immergeant dans le monde ouvrier des chantiers navals de Gdańsk. Casques, casiers, engins de chantier, les représentations matérielles y sont nombreuses et accompagnées de nombreux éléments interactifs donnant une vision vivante des 126
évènements – notamment par le biais de la carte interactive de la ville, retraçant les déplacements des ouvriers lors des grèves de Gdańsk ou encore par les combinés de téléphones, attendant seulement d’être décrochés pour révéler leurs conversations. C’est ensuite dans la vie quotidienne de la population polonaise que le visiteur est invité à entrer. Il y découvre l’ambiance pesante qui règne Plafond du 1er étage © A. Leonis en ce moment sur le pays, boucherie aux étals désespérément vides, salon familial où trône la télévision. L’ambiance sonore devient lourde, l’espace dans les couloirs se réduit. Ça y est, les grèves ont commencé, et avec elles, la répression. La couleur du musée change. Les oreilles du visiteur sont interpellées par les cris de la population qui manifeste, des bruitages d’explosions, des discours enflammés, tandis que son regard passe d’une veste trouée par des impacts de balle à la lumière aveuglante de la lampe d’une salle d’interrogatoire austère. Pour accompagner le visiteur, une ligne du temps reprend les dates principales du mouvement. Viennent ensuite les visages de ceux et celles qui sont morts au cours de ces évènements pour déboucher sur la création effective de Solidarność. Le deuxième étage du musée commence par une salle très Veste trouée par balle © A. Leonis sombre, illustrant la répression du mouvement. Le visiteur est ensuite invité à se diriger vers une pièce bien plus lumineuse, mise en scène de la Table Ronde de l’été 1989. Comme une transition entre ces deux salles, le visiteur en apprend plus sur le rôle joué par le pape Jean Paul II et son soutien apporté à Solidarność, mettant en avant la non-violence du mouvement. Enfin, la place est laissée à la parole du visiteur qui a la possibilité d’écrire quelques mots sur un des murs de la dernière salle, sous la forme du logo du syndicat.
Reconstitution de la Table Ronde de 1989 © A. Leonis
Notre visite s’est déroulée en trois temps. Nous avons d’abord été guidés par Katazyna Czaykowska, guide accrédité auprès de la Ville de Gdańsk, dont la volonté était que nous puissions nous faire notre propre idée du musée. Elle nous a 127
montré les différentes salles, nous laissant par la suite les découvrir nous-mêmes et se mettant à notre disposition pour répondre à nos questions. La deuxième partie de notre visite a été une libre déambulation dans les deux étages du musée. Enfin, Anna-Maria Mydlarska nous a accueillis pour nous exposer les différentes étapes de la construction de ce musée, son rôle dans celle-ci, la philosophie de l’exposition ainsi que les controverses dont il est l’objet.
b. Critique
C’est le bâtiment même qui fait l’objet de la plus grande critique. C’est une toute nouvelle construction qui a fait son apparition sur les chantiers navals et qui accueille le musée dédié à Solidarność. Or, de nombreux bâtiments déjà existant auraient peut-être pu, aux yeux de la population, accueillir ce musée et être également des témoins de cette histoire. Si la destruction de ces anciens bâtiments semble être une erreur pour Anna-Maria Mydlarska, elle met en avant le fait que ces constructions étaient trop petites pour accueillir une telle infrastructure, mais surtout que le coût de la rénovation aurait été bien plus élevé. Une autre critique, mise en avant par les étudiants, Anna-Maria Mydlarska et confirmée par Sławomir Czarlewski, est le manque d’informations, rendant l’exposition peu lisible pour les visiteurs étrangers – ou même pour les plus jeunes – qui n’ont pas de connaissances préalables sur Solidarność. Ce manque de contextualisation devrait être comblé lors des prochains remaniements que va connaitre l’exposition. Cette dernière n’est en effet pas encore totalement finie et certaines choses vont encore changer – notamment la mise à disposition d’audioguides en plusieurs langues, apportant un complément d’information dont nous ne disposions pas lors de notre visite.
Voici nos premières impressions, recueillies juste après la visite de ce musée. Le premier élément à revenir était le manque de neutralité, ou plutôt d’objectivité du musée. Sans avoir plus d’informations sur le syndicat Solidarność, nous nous étions sentis happés par l’ambiance du musée. Le visiteur ne peut s’empêcher de s’identifier à la population polonaise tout au long du parcours, avec un sentiment dominant de victimisation. Le cas de l’ECS est différent des autres musées que nous avons pu visiter en Pologne. En effet, nous n’avons pas été accompagnés par un guide pendant l’entièreté de notre visite comme ce fut le cas pour tous les autres musées. Ensuite, Katazyna Czaykowska avait bien insisté sur son objectif : que nous nous fassions notre propre idée et nos propres réflexions sur cette exposition. L’avantage de ce type d’introduction est que nous avons pu nous faire 128
notre propre opinion du musée. Le désavantage est que nous n’avions réellement aucune information complémentaire ou un point de vue différent pour nous permettre d’aborder le musée. La visite de plusieurs autres musées nous a prouvé, si besoin il y avait, que les relations entre les Polonais et leur histoire sont encore tendues. Solidarność est une fierté nationale, elle est mise en avant de manière ostentatoire. La politisation de la mémoire est évidemment une question importante et intervient dès l’élaboration d’un projet de musée ainsi que dans son financement. Ainsi, chaque parti politique souhaite intervenir dans la construction d’un musée pour y laisser son empreinte, son message. Pour l’ECS, le parti politique au pouvoir lors de son élaboration était le parti de centre-droite Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO), représenté par le maire de la ville, Paweł Adamowicz. Deux réflexions sont encore ressorties de nos discussions après la visite, ainsi que lors de notre rencontre avec Sławomir Czarlewski à l’Institut Polonais de Bruxelles. La première abordait la mise en avant ou non de personnalités au sein de cette exposition. Anna-Maria Mydlarska nous a expliqué que le but du musée n’était pas de mettre deux ou trois héros sous le feu des projecteurs, mais de bien de valoriser le mouvement dans son ensemble. Cependant, de nombreux étudiants ont eu l’impression inverse, notamment vis-à-vis des personnalités telles que Lech Wałęsa ou le pape Jean Paul II. Une salle entière lui avait initialement été réservée, les plans ont ensuite changé même si un espace lui reste évidemment consacré. La seconde réflexion était portée sur le message donné aux nouvelles générations par le musée. Sławomir Czarlewski a bien insisté sur le fait que c’était la non-violence qui devait être mise en avant – et proposée comme solution aux conflits actuels. Solidarność était un mouvement des plus hétérogènes, réunissant des personnalités aux idéologies très différentes autour d’un ras-le-bol généralisé de l’Etat communiste. Ils décidèrent de prendre leur courage à deux mains et de dire non aux mensonges. Et ce, en évitant la violence et en préférant les grèves et les revendications. C’est le choix du bon sens qui a été fait à l’époque et qu’il souhaite voir choisi par les générations futures. Reste pour nous une interrogation sur comment faire passer ce message aux futures générations sans les manipuler dans le sens de nos pensées ? Comment rester objectif quand on parle d’un sujet qui nous concerne ? Nous n’avons pas la prétention d’apporter une réponse à ces questions.
Les chantiers navals de Gdańsk. D’hier à demain.
Virginien HORGE & Valentine DEWULF
1. Introduction
En 1989, le monde célébrait, pleurait ou demeurait indifférent à la chute du communisme. Vingt-cinq années plus tard, l’Union européenne a intégré quelques anciens territoires communistes. Pour autant, quelques récents coups de sonde semblent attester d’une certaine nostalgie communiste (« l’ostalgie ») et il s’agirait dès lors de parler de pays en transition, où deux éventuelles mémoires, celle du communisme et celle de l’opposition au communisme, pourraient s’affronter ou s’opposer. A cet effet, les deux villes de Varsovie et Gdańsk offrent, comme le lecteur s’en sera rendu compte, une vision complémentaire de la possible diversité testimoniale du pays. Signalons cependant d’emblée que la chute du mur de Berlin s’est dans un premier temps accompagnée d’une élimination quasi systématique des symboles communistes, comme s’il s’agissait d’éradiquer presque un demisiècle d’histoire polonaise contemporaine. Cette dernière s’est en partie jouée dans les chantiers navals de Entrée n° 2 des chantiers navals © C. Sitarski Gdańsk dont la visite nous offre un beau
témoignage de l’évolution du pays depuis la fin de l’URSS, voire depuis le XIXe siècle. Le bus nous dépose à l’entrée n° 2 des chantiers. A quelques mètres, un monument aux morts. Devant nous, les grilles de l’entrée sur lesquelles des photos et des drapeaux ont été plaqués : à droite un portrait du pape Jean-Paul II et le drapeau du Vatican, à gauche le drapeau polonais et une affiche de Solidarność. Le ton est donné. Quelques symboles associés à la Pologne sont ici réunis : la religion, le syndicat Solidarność ou la lutte contre le communisme. Tant à Gdańsk qu’à Varsovie, ils sont omniprésents, par le biais de statues, d’affiches, de musées… et des chantiers. C’est à peu près le seul enseignement qui nous est donné par le site. En effet, aucun aménagement n’a été entrepris pour expliquer ce qui s’y est passé, ni afin de détailler l’usage d’une série de bâtiments maintenant inutilisés. Cela se conçoit tant par l’existence du Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Voir p. 123 Solidarności, ECS) qui est dévoué à ces missions que par le fait que des ouvriers y travaillent encore aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins que des visiteurs continuent d’arpenter les sentiers et les appontements des chantiers. Les sites touristiques recensent d’ailleurs des avis généralement positifs sur la « balade » dans les chantiers, où l’on est « heureusement surpris ». Celle-ci est très souvent combinée à un passage dans l’ECS, pour (tenter de) comprendre un pan de l’histoire polonaise. Il est vrai que les grues datant de l’époque communiste, maintenant inutilisées, offrent des photos particulièrement esthétiques en fin de journée, sous un ciel rose, au calme, quand les ouvriers ont achevé leur journée de travail. Mais, sans documentation personnelle préalable et sans l’accompagnement d’un guide local, elles ne nous renseignent pas vraiment sur l’histoire des chantiers qui, tout comme Rome, ne se sont pas faits en un jour. Attachons-nous dès lors à la parcourir brièvement.
2. Une longue histoire
On ne peut pas véritablement dater les premières constructions de bateaux à Gdańsk. Cependant, on peut facilement trouver l’origine de l’entreprise que l’on connaît actuellement. Ainsi, en 1844, la Prusse commença à acheter des terres aux alentours de Gdańsk, alors appelée « Danzig ». Son but : développer rapidement un chantier naval permettant la construction d’une marine prussienne forte. Débutant comme un ensemble d’entrepôts et une zone de réparation, le Königliche Werft Danzig (Chantier Royal de Danzig) s’attela ainsi dès 1853 à la construction de navires entiers. En 1871, après la victoire de la Prusse contre la France et la création de l’empire d’Allemagne, les chantiers furent renommés Kaiserlich Werft Danzig (Chantier Impérial de Danzig). L’Etat y augmenta alors ses investissements à un point tel qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, le 132
chantier employait 6 000 personnes. Parallèlement, en 1890, l’empereur Guillaume II fit appel à Ferdinand Schichau, un financier originaire de Elbing (actuellement Elbląg), afin de moderniser la flotte et de pouvoir se mesurer aux Britanniques. Au-delà de sa mission, Schichau développa également son propre projet de chantier : par suite d’achats de terrains autour de la zone appelée « Vistule Morte » (Marta Wisła) – la Vistule étant le fleuve polonais le plus important, passant par Gdańsk – et de nombreux travaux de drainages, il développa son propre chantier naval dont ses héritiers s’occuperont dès son décès en 1896. Les chantiers Schichau construisirent des bateaux militaires à proximité du chantier impérial, mais exerceront aussi d’autres activités plus commerciales avec des bateaux de passagers, des dragueurs et des tankers. Cependant, après la Grande Guerre, la chute de l’empire d’Allemagne endigua l’activité des chantiers : Danzig devint une ville libre et démilitarisée. Les investissements publics ne purent que diminuer, provoquant avec eux la chute du nombre d’emplois et de parts de marché des chantiers. Le chantier impérial fut liquidé et remplacé par l’International Ship Building and Engeneering Company une société fondée à l’aide de capitaux français, anglais et polonais ainsi que ceux de la ville de Danzig. Quant au chantier de Ferdinand Schichau, il subira de plein fouet la Grande Dépression et sera transformé en la société F. Schichau Gmbh par le gouvernement allemand. L’approche de la Deuxième Guerre mondiale verra une remilitarisation de la zone et la construction des fameux U-Boats par les deux chantiers. La fin de ce conflit fait entrer la Pologne et Danzig dans le giron soviétique. La ville devient effectivement polonaise et prendra désormais le nom de Gdańsk alors que le pays est désormais aux mains des dits socialistes, formant la République Populaire Polonaise (Polska Rzeczpospolita Ludowa, PRL). Les deux chantiers sont officiellement réunis en un seul en 1947 et seront désormais publics. C’est à cette époque que Gdańsk devient une terre de refuge pour de nombreux Polonais originaires de territoires cédés à d’autres pays suite au second conflit mondial, et pour lesquels il fallait trouver logis, couvert et travail. Les chantiers ont comblé cette dernière nécessité. Gdańsk employa ainsi plus de 17 000 ouvriers dans la construction de bateaux destinés à Les anciens bâtiments administratifs, du temps de la République de l’URSS. La source d’emplois Pologne © C. Sitarski 133
fut telle que des travailleurs de toute la Poméranie actaient dans les chantiers. Ceux-ci furent par ailleurs nommés Chantiers navals Lénine en 1967, explicitant l’alliance aux Soviétiques. Bien que la plupart des ouvriers gagnaient plus que le salaire moyen de l’époque dans la PRL, des manifestations éclatèrent dès 1956 et caractérisèrent les décennies suivantes, jusqu’à la fin du régime communiste. Et pour cause, l’économie fluctuante de l’Etat et la hausse des prix de denrées primaires qu’elle y a enjoint suscitèrent de vives protestations, notamment sous le gouvernement de Władysław Gomułka, en 1970. Les revendications économiques et sociales clamées se muèrent peu à peu au cours des années 1970 en revendications politiques, étant donné la posture répressive adoptée par les autorités publiques. Ainsi, en 1980, la baisse progressive des salaires, les conditions de vie déclinantes et surtout le licenciement d’Anna Walentynowicz, opératrice de grues sur les chantiers, mais très impliquée dans des associations ouvrières depuis le milieu des années 1970, finirent par faire éclater les frustrations et la colère des ouvriers. Des grèves explosèrent et Anna Walentynowicz fonda le mouvement Solidaność, avec Lech Wałęsa notamment. Alors que les tensions se poursuivent tout au long des années 1980, le mouvement devint le premier syndicat indépendant de la PRL suite aux accords trouvés lors de la Table Ronde de 1989, entre l’Etat, à la tête duquel se trouvait le général Wojciech Jaruzelski, et les représentants de Solidarność. Soutenu tant par les milieux ouvriers que par les élites intellectuelles, ce mouvement se caractérise d’une part par une grande hétérogénéité sociale, et d’autre part par certaines tensions, que les musées polonais consacrés au sujet tendent parfois d’éluder ou de minimiser. Les accords de 1989 concluent également à l’organisation d’élections, desquelles Lech Wałęsa sortira vainqueur, devenant ainsi le premier président polonais de l’ère postcommuniste. Cette nouvelle phase de l’histoire polonaise aura une influence sur le devenir des chantiers. C’est en effet durant les années 1990 qu’ils seront partiellement privatisés, suite à leur faillite publique en 1995. L’activité des chantiers, désormais réduite, sera déplacée sur l’île d’Ostrów en face de la Vistule Morte (Marta Wisła) et se concentreront notamment sur la production de bateaux de luxe tout en se diversifiant avec, par exemple, la construction de parties d’éoliennes offshore.
3. Un lieu mémoriel
On le voit, les chantiers de Gdańsk connaissent une longue histoire politique, mais aussi, corolairement, économique, fruit d’associations plus ou moins volontaires, de (dé)privatisations, et dont l’apogée se situe sans conteste dans les années 1950 sous l’égide 134
du régime communiste qui modela la Pologne durant quelques décennies. Pour autant, bien qu’ils aient de fait été le centre névralgique de Gdańsk, voire l’un des pôles économiques les plus considérables de la PRL, les chantiers acquirent leur seule renommée non pas pour leur production, mais bien évidemment, premièrement, pour les révoltes qui y éclatèrent dès 1970. Ce qui se passe dans les chantiers amorce un changement. La transition entre République Populaire et régime démocratique bouleverse le pays, comme tous les anciens pays communistes ont pu être déstabilisés par l’occidentalisation. Presque ironiquement, alors que les chantiers repaissent l’histoire de la Pologne, leur histoire sortira figée des évènements des années 1970 et 1980. Ils deviennent un lieu de mémoire, une immuabilité historique univoque, celle, laudatrice, du mouvement de Solidarność. « C’est là que tout a commencé ». Ceci est d’autant plus vrai que le ECS, consacré au célèbre syndicat, n’évoque les chantiers que pour les grèves ouvrières et les accords conclus entre Solidarność et les autorités publiques. Logique puisque l’institution est consacrée au syndicat. Mais le centre est situé à l’intérieur des chantiers. Un lien spatial se lie au lien historique, faisant fi de toute l’histoire préalable des chantiers, de son potentiel économique plus tôt dans le XXe siècle, qui aurait pourtant très probablement mieux éclairé la gestation et l’émergence du Vue des anciennes grues des chantiers navals de Gdańsk © C. Sitarski syndicat, à Gdańsk, avant qu’il ne gagne la Pologne entière. Ainsi transformés en un lieu mémoriel, les chantiers se trouvent orphelins de toute historicité. Leur histoire se résume à deux décennies s’étendant de 1970 à 1989. Outre le ECS, le choix même de conserver une partie des chantiers alors qu’elle est en arrêt depuis la fin du régime communiste atteste de velléités mémorielles. Des anciens bâtiments communistes existent toujours, sur les murs desquels on peut encore discerner des graffitis pro-Solidarność. De même, les anciennes grues, que certains ont même associées à une sorte de tour Eiffel polonaise1, s’élançant vers le ciel, rappellent la période communiste et surtout le décor dans lequel s’est joué un moment d’histoire. En plus du souvenir que pourrait inspirer ces espaces vétustes, ils représentent aussi la ville de Gdańsk. Avec la Westerplatte – et son monument commémorant les défenseurs de la côte de 1939 – les chantiers et ses symboliques grues 1 — Maya SZYMANOWSKA, « Les chantiers navals de Gdańsk, laboratoire de la Pologne moderne», in : http://www.rfi.fr/ [En ligne].
constituent les attractions mises en avant par les sites touristiques, y compris par celui de l’office du tourisme de la ville. Le maintien relatif des chantiers inutilisés – nous y reviendrons — peut donc s’expliquer à la fois par une volonté mémorielle, mais aussi parce que le site est l’une des principales images que l’imaginaire polonais, et européen de manière plus générale, peut associer à la ville. Ceci en fait une attraction touristique prisée. Des liens étroits se tissent ainsi, l’imaginaire actuel s’appuyant sur des évènements passés. Outre les grues, un autre édifice retient l’attention. A l’entrée n° 2 des chantiers, un monument commémore les grévistes tués en 1970. Le gouvernement d’alors, dont les décisions en politique économique s’avèrent infructueuses, causant un système de prix vacillant, impose une forte augmentation du prix des denrées alimentaires de base, à commencer par le pain, provoquant de fortes contestations au sein du milieu ouvrier dans le nord de la Pologne. Les manifestations et grèves seront cependant vite sapées par les autorités publiques. Des troupes armées tirent sur la foule de travailleurs mécontents, mais exhortés par certains cadres du parti à reprendre le chemin du travail. On comptera plusieurs centaines de blessés et 42 morts. Dès le début de l’année 1971, des représentants des travailleurs exigent l’érection d’un monument aux morts. Il faudra cependant attendre 9 ans, jusqu’aux accords conclus en 1980, avant que le parti communiste consente à l’érection du monument. Financé par les travailleurs eux-mêmes et des institutions sympathisantes à leur cause, il s’agit du premier monument célébrant des opposants au régime communiste – alors toujours en place – et dénonçant la responsabilité de ce dernier dans le massacre des ouvriers. Composé de trois croix auxquelles sont suspendues une ancre, des vers du poète polonais Czesław Miłosz, prix Nobel de Littérature en 1980, Le monument aux morts, érigé en 1980 © C. Sitarski agrémentent encore le monument. Enfin, toujours dans cette perspective mémorielle, on peut noter les activités de l’institut Wyspa, accessible via l’entrée n° 3 des chantiers. L’angle mémoriel se double ici à nouveau d’une intention artistique. L’institut Wyspa est une organisation non gouvernementale fondée en 2004 et dont le siège est sis à l’intérieur des chantiers. Il réunit un ensemble d’artistes. Son objectif est double : d’une part, engager un débat sur le rôle qu’ont pu jouer les chantiers (et Solidarność) dans l’histoire polonaise et d’autre part, inclure et donner vie à ce débat par l’art. Concrètement, ses initiatives ont notamment donné lieu à des expositions, mais également à un projet plus original : le Subjective Bus Line propose en effet, comme le 136
nom de la visite le suggère, de faire (re)découvrir les chantiers par une histoire du bas, à partir de ceux qui ont fait leur renommée, c’est-à-dire les ouvriers. Le vécu de ces derniers a ainsi été sondé et constitue le principal support audio du bus. Les guides accompagnateurs sont également anciens grévistes, qui poursuivent l’histoire « subjective » débutée dans les commentaires audio. Car si les chantiers font partie intégrante de la mémoire collective polonaise, ils appartiennent aussi à la mémoire individuelle de ces anciens manifestants. L’institut porte dès lors un regard vers le passé – par le sujet d’étude choisi – mais aussi vers l’avenir – par la promulgation de jeunes artistes. Il côtoie en outre d’autres institutions culturelles et/ou scientifiques, polonaises ou internationales. Son ambition est d’ailleurs de s’étendre en dehors des chantiers et de créer une nouvelle dynamique dans ce quartier de Gdańsk. Cette volonté de dynamiser le quartier des chantiers traduit une autre volonté de la société polonaise.
4. Un lieu à faire revivre ?
Une question anime en effet de plus en plus les investisseurs dans les chantiers, mais aussi la société polonaise : doit-on conserver dans sa forme actuelle l’entièreté des zones inutilisées ? Ainsi, suite à la faillite des chantiers et leur reprise partielle par des investisseurs privés étrangers, un plan a été établi pour construire la Young City sur une partie inoccupée (22 ha) des 70 ha des chantiers, laquelle est appelée à devenir un nouveau quartier moderne de Gdańsk. Pour allier la population à leur projet, les investisseurs étrangers ont fait appel à des artistes de la région – qui collaborent également avec l’institut Wyspa – pour conceptualiser la Young City, où seront concentrés des hôtels, des habitations comme des bureaux ou encore des espaces publics. Tous ces projets sont réfléchis en collaboration avec le ECS, en vue de conserver « l’esprit » (sic) qui anime ces chantiers. A cet effet, les fameuses grues seront ainsi incorporées dans le nouveau quartier. Il n’en demeure pas moins, malgré ces volontés coopératives affichées, que des démolitions sont entreprises depuis une décennie par des sociétés privées, en s’assurant le soutien d’une partie de la population de Gdańsk, notamment convaincue par les idées des artistes associés au projet. A l’opposé, des groupes se sont constitués, y compris sur les réseaux sociaux, pour œuvrer contre une remodulation d’une partie des chantiers. Les dirigeants de Gdańsk ne semblent pas avoir adopté de position claire, probablement impuissants face aux investisseurs étrangers… La distance ne fut pourtant pas toujours le mot d’ordre. En 2012, le maire de la ville de Gdańsk2 a tenté de rendre aux chantiers 2 — Le maire fait partie du parti Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO), pro-européen exerçant une politique de centre-droit.
leur forme originelle en restaurant la porte 2, détruite en 1981. Celle-ci contenait à l’époque une inscription dédiée à Lénine… que les autorités communales jugeaient nécessaire à une ascèse historique et éducative. Ce reliquat d’un temps si (mortellement) combattu par Solidarność a rapidement fait l’objet de controverses. Les anciens grévistes et autres sympathisants ont d’ailleurs recouvert le nom du célèbre communiste par l’inscription « Solidarność ». Par ailleurs, derrière cette action, on pourrait imaginer une « ambition touristique » des autorités en réhabilitant une partie du passé communiste.
5. En guise de conclusion...
Aujourd’hui, les chantiers forment toujours une entreprise en activité, notamment grâce à un certain nombre de subsides européens qui permirent l’adaptation de ces chantiers à la nouvelle donne économique. Pour autant, cette entreprise existe depuis bien longtemps et son visage a fréquemment muté : ce que l’on nomme aujourd’hui « chantiers navals de Gdańsk » était constitué de deux entreprises bien séparées, mais ne fusionnèrent justement qu’après 1945. De plus, les évènements de 1970 et de 1980 ont eu tendance à occulter cette histoire « présoviétique », celle d’une entreprise qui avait un poids important bien avant ces révoltes. Dans la Pologne actuelle, cette occultation n’est pas neutre. Cette ville polonaise, centre des révoltes et de la démocratisation du pays, n’a pas toujours été polonaise et ne fut « repolonisée » qu’après la Deuxième Guerre mondiale. Les grands chantiers de Gdańsk se bâtirent ainsi avec l’aide du pouvoir allemand bien avant d’être polonais. Par ailleurs, plus récemment, les chantiers sont devenus la principale bataille entre, d’un côté, ceux désirant faire table rase du passé, et de l’autre, ceux préférant la conservation de certains lieux de mémoire à titre « éducatif ». On ne peut donc faire abstraction du mouvement initié au début des années 2000, visant à transformer une partie des chantiers. Une population toujours plus grande soutient ces transformations, qui feront vivre une nouvelle zone – et procureront dès lors de l’emploi. Le souvenir, notamment vendu par le ECS, se heurte aux impératifs économiques. L’image du syndicat Solidarność n’est pas fissurée, malgré la personnalité controversée et facétieuse de Lech Wałęsa et malgré les dissensions internes qui ont existé au sein de l’association ouvrière. Selon certaines théories de la mémoire, il faudrait deux générations suivant un évènement pour qu’un travail de mémoire distancé et objectivable sur celui-ci puisse être entrepris. Il n’est dès lors pas étonnant qu’un travail de réflexion sur le devenir des chantiers soit désormais mis en œuvre. Mais il est certain que l’attitude critique amorcée à l’égard du communisme n’est pas encore homogène. Au-delà de Solidarność, une série de musées qui ont trait au passé communiste ont ainsi vu le jour. Leur mise à distance par rapport au sujet traité est parfois 138
contestée ou contestable (notamment le Musée de l’Insurrection de Varsovie Voir [Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW]). De plus, les nouvelles politiques en p. 13 muséologie tendent parfois à étouffer toute contextualisation. Cela favoriserait la distanciation (comme au Neon Museum de Varsovie). A côté de ces tentatives de réconciliation/explication, des pouvoirs politiques successifs ont combattu toute visibilité communiste. Bref, il ne faut pas s’attendre à une mise en œuvre de l’histoire des chantiers navals sur le site stricto sensu. Sa mise en œuvre réside justement par la non-intervention qui a prévalu jusque maintenant. Mais tout évolue. Il ne faut pas tarder à s’y promener, car d’une part ils constituent un lieu d’histoire polonaise largement relayé côté occidental (comme c’est illustré au ECS) et d’autre part parce qu’ils seront très probablement transformés dans les années à venir. On ignore jusqu’où les nouveaux investisseurs privés étendront la Young City. A l’heure où les Polonais oscillent toujours entre la (re)conservation/réconciliation au passé communiste et son abolition, le choix ne sera-t-il pas à terme imposé par les fonds privés ?
Les monuments controversés de Gdańsk
Maxime JOTTRAND & Nicolas BARLA
Dans les années qui suivent la chute de la République Populaire Polonaise (Polska Rzeczpospolita Ludowa, PRL), l'installation d'une nouvelle société libérale et d'une économie de marché s'accompagne en Pologne d'un véritable tournant à l'égard du passé communiste. Cependant, depuis quelques années, cette première attitude adoptée par la population et les autorités polonaises s'estompe lentement et laisse également place à un mouvement inverse de reconsidération décomplexée de leur histoire, qui dévoile par moments un réel attachement vis-à-vis de certains aspects de l'héritage communiste1. Le regard polonais posé aujourd'hui sur le passé n’est donc plus complètement univoque : une dichotomie s’installe progressivement en Pologne dans la manière d’appréhender le passé. Résulte dès lors de cette nouvelle attitude paradoxale l'émergence de toute une série de controverses à l'égard de la politique à suivre en matière de gestion de la mémoire, et au cœur du débat s'inscrit évidemment la question du choix des monuments à ériger – ou entretenir – au sein de l'espace public polonais. A Gdańsk, cette tension est de plus en plus apparente : à côté de la vague de monuments anticommunistes érigés à la suite de la chute du régime, on constate le retour ponctuel de certains anciens symboles jusqu’ici refoulés. 1 — Voir à ce propos le mémoire d'Ewelina Oksiuta, A la recherche du passé : la nostalgie communiste dans l’espace public polonais, Mémoire de licence présenté à l'Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, 2014).
1. Un bref aperçu historique
L'histoire de Gdańsk est, à l'instar de celle de la Pologne, relativement complexe et pleine de bouleversements. A l'aube du XXe siècle, la ville fait partie de la Prusse, depuis son annexion en 1871. Mais tandis que la Pologne regagne son indépendance au terme de la Première Guerre mondiale, Gdańsk se voit accorder par le Traité de Versailles le statut de ville libre placée sous le contrôle de la Société des Nations et sous la supervision de la Pologne en matière de politique extérieure. Dans les années 1930, le parti nazi allemand s'appuie sur l'importante population germanophone résidant à Gdańsk pour réclamer la réincorporation de la ville au sein de l'Etat allemand. Utilisant notamment ce prétexte, l'Allemagne finit par déclarer la guerre à la Pologne en 1939 et l'invasion débute par le bombardement de la Westerplatte à Gdańsk où se trouve une garnison polonaise, qui résiste durant sept jours avant de succomber aux envahisseurs. La Communauté juive de Gdańsk ayant engagé un processus d'émigration efficace dès 1937, environ 80% de la population juive quitte la ville avant 1941, échappant de fait à l'Holocauste. L'issue de la guerre approchant, Gdańsk subit d'importants dommages suite aux bombardements russes et alliés, et la prise de la ville par l'armée soviétique en mars 1945 s'accompagne du massacre d'un grand nombre de réfugiés allemands en rapatriement vers l'Allemagne (voir 1, 2, 3). Suite aux décisions prises aux conférences de Yalta et de Potsdam, Gdańsk est intégrée dans la Pologne, qui devient en 1952 la République Populaire Polonaise, membre du Pacte de Varsovie dès 1955. Sous le régime communiste, de vastes travaux de reconstruction sont entrepris, et les investissements soviétiques font de Gdańsk le principal centre naval et industriel de la République. Une vague d'opposition au régime se soulève depuis Gdańsk et les autres villes du nord de la Baltique en décembre 1970, provoquant la chute du chef polonais du Parti communiste Władysław Gomułka, mais se soldant par la fusillade de plusieurs dizaines de contestataires (voir 6). Dix ans plus tard, en août 1980, une seconde vague d'opposition Voir initiée sur les chantiers navals de p. 131 Gdańsk mène à la création du mouvement syndical antirégime Solidarność, qui persiste dans la clandestinité jusqu'à la chute de l'URSS en 1989. L’un des fondateurs, Lech Wałęsa devient président de la Pologne Le char d'assaut soviétique (aleja Zwycięstwa) © N. Barla indépendante en 1990. 142
2. Une entrée en matière : la mémoire de la libération de Gdańsk
La commémoration dans l'espace public de la libération de Gdańsk par les forces soviétiques en 1945 nous offre une bonne entrée en matière, révélant une première polémique qui anime l'opinion publique. Sur l'Aleja Zwycięstwa (l'Avenue de la Victoire) se dresse un des chars d'assaut russes commandés par le Lieutenant Julian Miazga lors de l'arrivée à Gdańsk des forces soviétiques en mai 1945. L'exposition de ce char dans l'espace public s'inscrit explicitement dans une volonté de commémorer l'offensive soviétique ayant mené à la libération de la ville. Cependant, les aspects bénéfiques de la prise de Gdańsk par l'Armée Rouge demeurent à ce jour un sujet de débat. En effet, les crimes perpétrés par les soldats soviétiques à l'issue de la guerre sont souvent mis en évidence, bien qu'en Russie, les exactions de l'Armée Rouge restent un sujet encore largement tabou. Deux exemples de monuments viennent ici illustrer la tension qui caractérise le regard posé sur cet épisode de l'histoire polonaise.
La statue « clandestine » du viol d'une femme allemande par un soldat soviétique (aleja Zwycięstwa). © N. Barla
Le mémorial de l'incendie de l'église Sainte-Catherine (ulica Profesorska, 3). © N. Barla
Le premier exemple, très explicite, est une statue réalisée par le jeune artiste Jerzy Bohdan Szumczyk, érigée brièvement en 2013 juste à côté du char soviétique. La statue représentait de manière très explicite le viol d'une femme allemande enceinte par un soldat soviétique, portant le titre « Komm, Frau » (Viens, femme) – un hommage aux nombreuses Allemandes et Polonaises victimes de viol à l'arrivée des forces soviétiques durant les derniers mois de la guerre. Quelques heures à peine après sa mise en place clandestine par l'artiste, la statue est enlevée par les forces de l'ordre, mais sa brève exposition aurait pu valoir à son auteur une peine de deux ans de prison si les charges d’incitation à la haine avaient été retenues. 143
En outre, l'évènement aura soulevé une vaste controverse. La Russie exprime par le biais de son ambassadeur Alexander Alexeyev son outrage face à cet artiste « qui a insulté, avec son pseudo-art, la mémoire de 600 000 soldats soviétiques qui ont donné leur vie pour faire de la Pologne un pays libre et indépendant ».2 Le second exemple est un mémorial dressé à la fin de la guerre dans l'église SainteCatherine en hommage aux réfugiés qui y trouvèrent la mort. En effet, le 27 mars 1945, l'église est incendiée par l'armée soviétique tandis que de nombreux réfugiés allemands s'y trouvent encore. Enfin, le troisième exemple est le Monument aux Défenseurs de la Westerplatte (Pomnik Obrońców Wybrzeża) commémorant les soldats polonais tombés aux premières heures de la Deuxième Guerre mondiale. En septembre Le cimetière de la Westerplatte. © N. Barla 1939, la Westerplatte est en effet le théâtre des premiers affrontements entre les armées polonaise et allemande. Dès la fin de la guerre, en juillet 1946, un cimetière est érigé sur la presqu’île en hommage aux défenseurs tués au cours des sept jours de combats pour la défense du dépôt d’armes situé à proximité (dont il ne reste aujourd’hui que quelques traces). Progressivement, les célébrations disparaissent et les lieux sont dans un premier temps abandonnés. Néanmoins, dès les années 1960, le régime communiste restaure l’éminence de la Westerplatte en faisant de cette dernière un haut lieu de commémoration du pouvoir politique et militaire soviétique. A cet effet, les autorités décident de retirer la croix du cimetière pour la remplacer par un tank de l'Armée Rouge. Dans le même mouvement le monument aux défenseurs, qui se dresse aujourd'hui non loin du cimetière, est érigé en 1966. Toutefois, après avoir accueilli pendant une vingtaine d'années les emblèmes soviétiques, la Westerplatte fait l'objet d'un second remaniement dans les années 1980, tandis que Gdańsk s'érige comme centre d'opposition au régime. La croix catholique reprend ainsi sa place dans le cimetière et, dès la chute de la PRL, en 1989, le tank est retiré du lieu de commémoration. Une visite de la presque-île, où une exposition balise désormais la promenade touristique aménagée, permet de découvrir aujourd’hui le nouveau visage donné par la politique commémorative actuelle à la Westerplatte.
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2 — « Russia condemns polish artist over a statue of soviet soldier raping a woman », in : The Moscow Times, 17/10/2013, [En ligne] <http://www.themoscowtimes.com/>
3. Remarques intermédiaires
La Deuxième Guerre mondiale suscite ainsi l'érection de nombreux mémoriaux et monuments commémorant les victimes et les héros dont il convient de se souvenir. Mais comme nous venons de le voir, un bref parcours à travers les monuments de la ville amène le visiteur à se poser la question : « Qui sont les héros de l’Histoire polonaise ? » En effet, les indices présents dans l'espace public se montrent contradictoires : les symboles militaires de l'Armée Rouge sont balayés de la Westerplatte tandis qu'au même moment, un tank soviétique trône sur l'Aleja Zwyciestwa en révérence aux libérateurs russes, dont les victimes sont par ailleurs commémorées en plusieurs endroits. On le constate donc rapidement : différentes visions s'opposent et se confrontent, bien que la position antisoviétique prédomine encore largement, comme la suite de notre parcours nous permettra de le comprendre. Jetons ainsi un regard sur quelques-uns des nombreux monuments érigés à la gloire des opposants au régime communiste.
4. D'un côté : des monuments à la gloire des opposants au régime prolifèrent
Suite à la chute du régime communiste – et tout particulièrement durant ces quelques dernières années, comme nous l'avons évoqué –, plusieurs nouveaux monuments en hommage aux opposants du régime communiste voient le jour. Soulevons ici quatre exemples à titre d’illustration. Le premier exemple est cette double statue de métal, réalisée sur la base des fonds réunis par l'association Godność (« Dignité ») et inaugurée en 2012, représentant Jean-Paul II et Ronald Reagan marchant ensemble, aux pieds desquels on lit l'inscription « Wdzięczni za niepodległość Polacy » (Les Polonais reconnaissants pour l'indépendance). Les deux hommes représentent de Jean-Paul II et de Ronald Reagan (park aux yeux de la Pologne deux grandes figures de la La statue Prezydenta Ronalda Reagana). © N. Barla lutte contre le régime communiste, leurs actions et leurs paroles étant considérées comme ayant très largement contribué à la chute de ce dernier. En effet, Jean-Paul II, polonais d'origine, devient pape en 1978 et maintient, tout au long de règne, une influence considérable sur la population catholique polonaise. Il adopte une position ouvertement défavorable au régime communiste et sa visite à Gdańsk, en 1987, 145
donne un nouveau souffle de courage aux opposants. Ronald Reagan, président des EtatsUnis de 1981 à 1989, est particulièrement reconnu en Pologne pour son soutien moral apporté au peuple polonais, laissant notamment à la fenêtre de la maison blanche une bougie le soir de Noël 1981 suite à l'imposition de la loi martiale par les autorités soviétiques. Le second exemple est le mémorial érigé dans les chantiers navals en 1980 pour rendre hommage aux travailleurs tués durant la répression des contestataires en décembre 1970. Cette année-là, le régime de Władysław Gomułka annonce une augmentation brutale des prix des produits alimentaires essentiels, ce qui provoque une vague de mécontentement des travailleurs dans les villes côtières du nord de la Pologne, dont principalement Szczecin, Gdynia, Elbląg et Gdańsk. Les premières contestations sont réprimées sur ordre de Władysław Gomułka par des coups de feu tirés sur la foule des ouvriers qui pourtant se dirigent vers l'usine pour y reprendre le travail, provoquant un redoublement de l'élan d'opposition qui s'étend à d'autres villes sous forme de grèves et d'occupations. Mobilisant une part impressionnante des forces militaires et policières, le gouvernement intervient alors par la force, procédant dans le nord du pays à plus de 3 000 arrestations et occasionnant plus d'un millier de blessés ainsi qu'une quarantaine de morts, enterrés de nuit en cercle clos pour éviter les émeutes. L'épisode contraint Moscou à exiger la démission de Władysław Gomułka et de plusieurs autres chefs du Parti polonais. L'érection de ce mémorial à Gdańsk est l'une des principales réclamations du mouvement gréviste lancé en 1980, dans la foulée duquel est fondé le syndicat indépendant Solidarność. Le troisième exemple est la statue du père Jankowski (quoique cet exemple soit moins représentatif de notre thématique dans le sens où la première controverse dont il fait l'objet porte moins sur le symbole antirégime qu'il représente que sur le comportement du personnage). Cette statue de 3,7 mètres de haut est érigée en 2012, deux ans après la mort
Le mémorial des travailleurs du chantier naval (plac Solidarności). © N. Barla
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La statue du père Jankowski (plac Stolarska) . © N. Barla
du prêtre, sur la base de fonds réunis par ses admirateurs. Né en 1936, le père Henryk Jankowski officie pour l'Eglise catholique romaine à partir de 1958. En 1980, il apporte son soutien aux mouvements grévistes des chantiers navals qui mèneront à la création du syndicat indépendant Solidarność, dont il devient membre et prêcheur attitré. Après la chute de l'URSS, il se fait connaître pour sa critique virulente de l'Union européenne et ses propos antisémites, pour lesquels il est inquiété par le nouveau gouvernement polonais en 1997 et suspendu pour un an de son droit de prêtrise par l'Eglise. La fonction de prévôt de l’église Sainte-Brigitte (Bazylika św. Brygidy) lui est retirée en 2004 et, dans les années qui suivent, il est accusé d'abus de mineurs, sans pour autant jamais être inculpé. Il passe les dernières années de sa vie à utiliser son image à des fins commerciales, notamment à travers la marque de vin « Monsignore », un parfum à son nom et une chaine de cafés nationale. Il décède en 2010. Le quatrième exemple consiste en deux segments de mur que l'on retrouve à l’entrée de l’exposition Road to freedom. Le segment de gauche provient du mur de Berlin ; celui de droite du chantier naval où débutent les manifestations et les grèves de 1980. Le premier, véritable symbole de la Guerre Froide et de la division du monde entre deux idéologies, est régulièrement exposé dans de nombreux pays à travers le monde pour glorifier la fin du « rideau de fer » et l’introduction de l’humanité dans une nouvelle ère. A Gdańsk, nous le retrouvons élevé au côté d’un autre symbole de la chute du communisme, le mur sur lequel Lech Wałęsa grimpa illégalement le 14 août 1980 pour rejoindre les grévistes et s’ériger en leader du mouvement anticommuniste (amenant le général Wojciech Jaruzelski à instaurer la loi martiale). Cette mise en scène est sans nul doute le fruit d’une volonté de replacer Gdańsk au centre de l’histoire de la lutte contre les pouvoirs communistes. Comme il aime à le rappeler, l’ex-président polonais et leader de Solidarność tenait ces propos dans une interview accordée à un journal néerlandais : « Le premier mur qui tomba fut mis à bas en 1980 dans les chantiers navals de Gdańsk. Plus tard, d’autres murs symboliques tombèrent, et les Allemands, bien sûr, poussèrent LE mur, celui de Berlin. La chute du mur de Berlin fait de belles photos. Mais tout à commencer dans les chantiers navals. »3 Aujourd’hui, le mur du chantier a tout simplement disparu suite à un accident survenu la veille de notre visite (dans la nuit du 1 au 2 octobre 2014).
Les segments des murs de Berlin et du chantier naval (wały Piastowskie 24). © N. Barla
3 — http://vorige.nrc.nl/international/Features/article2408788.ece/ The_first_wall_to_fall_was_in_Poland%2C_says_Lech_Wałęsa (consulté le 22/09/2014).
5. D'un autre côté : certains symboles communistes persistent
Parallèlement à l'édification de nouveaux monuments en hommage aux opposants du régime, quelques anciens symboles communistes persistent, ou sont même restaurés par les autorités, provoquant de fait de violents débats. Les exemples sont aujourd’hui encore peu nombreux – la vision anticommuniste radicale étant toujours émotionnellement ancrée dans les esprits. C’est pourquoi nous ne relèverons ici qu’un seul exemple. Cet exemple, qui n'est pas un monument à proprement parler, est l'ancienne inscription restaurée au-dessus de la porte n°2 du chantier naval. En effet, jusqu'au 27 janvier 1990, le chantier porte le nom de Lénine. Néanmoins, suite L'inscription « Stocznia Gdańska im. Lenina » estaurée au chantier naval. © N. Barla à la chute du régime communiste, le site est renommé à l’initiative du syndicat Solidarność : l’inscription « im. Lenina » est enlevée de l’accès principal. Dans la foulée, les membres du syndicat profitent de l’occasion pour nettoyer le chantier et ses alentours des autres ornements et symboles communistes. Mais en 2012, à l’initiative du maire de Gdańsk Paweł Adamowicz, membre du parti de tendance libéral-conservateur et procatholique Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO), l'ancienne inscription est restaurée. Le maire soutient que cette initiative s'inscrirait dans un objectif éducatif, la restauration du nom de la grande figure communiste n’en provoque toutefois pas moins un large débat parmi la population. En signe de protestation, les membres de Solidarność superposent très rapidement à l'inscription l'emblème de leur syndicat, qui selon eux est le seul à devoir être commémoré dans l'enceinte des chantiers navals. Leurs protestations soutenues auront finalement raison de l’autorité municipale : aujourd’hui, le nom du leader soviétique ne figure plus sur l’insigne. A sa place se dresse la bannière du syndicat. Mais pour combien de temps ? 6. Conclusion
La problématique des monuments controversés renvoie directement aux questions relatives à la mémoire et à l’identité. La proclamation de la IIIe République en 1989 annonce en ce sens un renouveau pour le Pays et sa population. Cependant, quelle attitude adopter face à une histoire aussi complexe, houleuse et sujette à la polémique ? 148
L’appropriation de l’espace public par l'édification de monuments commémorant le passé vécu (ou fantasmé) traduit immanquablement une prise de position explicite de la part des autorités en place. Néanmoins, de telles initiatives suscitent des réactions populaires qui permettent de comprendre ce qui, dans l'opinion publique, est considéré digne d'hommage et ce qui ne l'est pas. À Gdańsk, on constate rapidement que les anciens symboles communistes ont pour la plupart été enlevés à l'issue de la Guerre Froide, selon une vision fermement défavorable au passé communiste et à son héritage. Dans la continuité de ce mouvement, toute une série de monuments commémorant les figures de l'opposition au régime ont vu le jour, et ce tout particulièrement au cours de ces dernières années4. Ces monuments sont tantôt érigés à l'initiative des autorités locales, tantôt financés par des associations privées, ce qui semble traduire une certaine correspondance entre la position adoptée par les dirigeants et la vision actuelle du peuple polonais. Toutefois, plusieurs constats viennent aujourd'hui mettre à mal l'idée d'une attitude polonaise univoque à l'égard de la mémoire. En effet, au cours de ces dernières années, plusieurs indices révèlent une nouvelle considération de la part des autorités locales pour les symboles du régime communiste. Le premier exemple, nous l'avons vu, est la réaction immédiate des autorités face à l'attaque de la mémoire des soldats soviétiques par le jeune artiste Jerzy Szumczyk. Le second exemple est bien entendu la restauration de l'ancienne inscription sur la porte des chantiers navals, dont les transformations répétées révèlent par ailleurs la force du débat qui anime aujourd'hui la population polonaise. En guise de conclusion, la problématique des monuments controversés pose avant tout la question fondamentale de l'ambiguïté qui existe entre les concepts de mémoire et d'Histoire. Sans ici considérer les visées politiques poursuivies, il est en effet pertinent de se demander ce qui justifie d'inscrire dans l'espace public une interprétation unique et forcément réductrice de l'Histoire, aux dépens d'une compréhension nuancée et de fait plus objective pour les générations à suivre. Il s'agit malheureusement d'une question extrêmement délicate à poser dans l'atmosphère chargée d'émotions des premières décennies qui suivent la fin du régime communiste.
4 — Il semble à cet égard pertinent de souligner que la plupart de ces monuments ont été mis en place peu avant l'ouverture de l'Euro 2012, hébergé conjointement par la Pologne et l'Ukraine (l’Aréna de Gdańsk accueillant quatre rencontres de la compétition). Il ne s'agit bien entendu peut-être que d'une simple coïncidence, bien qu'on ne puisse toutefois écarter sans considération l'hypothèse d'une volonté de la part du gouvernement polonais de montrer, en profitant ainsi du premier événement d'intérêt mondial tenu en Pologne depuis la chute du régime, que la page du communisme est définitivement tournée et que la Pologne est bel et bien intégrée dans le système libéral. Une telle hypothèse mérite néanmoins d'être soumise à de plus amples recherches avant d'être véritablement considérée.
Gdańsk, ville reconstruite
Elodie TALLIER & Nicolas LADRIÈRE
1. Introduction
L’histoire de la ville de Gdańsk1 est longue et complexe. Dans le cadre de ce travail, nous avons souhaité axer le débat sur le travail de reconstruction et d’identité culturelle de la ville. Pour ce faire, nous avons décidé, en premier lieu, de situer la ville dans son importance spatiotemporelle et d’en présenter les grandes lignes de l’histoire médiévale, moderne et contemporaine. Ensuite, nous nous pencherons sur la période de la Deuxième Guerre mondiale en mettant l’accent sur les destructions perpétrées dans la ville. Ensuite, la reconstruction sera abordée avec des questions comme : reconstruire de l’ancien ou du moderne ? Un mélange des deux peut-il être réalisé ? À partir de ces premiers questionnements, surviendront les questions liées à l’authenticité de la ville reconstruite. Sommes-nous confrontés à du faux ? Finalement, nous examinerons le « caractère allemand » de la ville avec ses désamours envers une culture allemande qui a perpétré des actions contre la culture polonaise.
1 — Pour une lecture plus agréable, nous allons utiliser tout au long du texte le nom polonais de la ville : Gdańsk. Cependant, il est important de rappeler que cette ville fut longtemps connue sous son nom allemand : Danzig.
2. Historique
Aujourd’hui, Gdańsk est la capitale de la province de la Poméranie. Avec Gdynia et Voir Sopot, elles forment une agglomération portuaire appelée la « Tricité » (Trójmiasto). p. 159 Située à l’embouchure de la Vistule, Gdańsk trouve ses origines au IXe siècle. La région était alors économiquement importante ; elle était le point de contact entre le commerce des terres et de la mer. Au XIIIe siècle, la ville est intégrée à la Pologne avant de passer sous le règne des Chevaliers teutoniques. Ceux-ci vont agrandir et fortifier la ville qui va bénéficier, dès lors, de nouveaux centres de commerce ainsi que de marchés d’artisanat qui augmentent sa puissance économique. C’est d’ailleurs à cette époque que les premiers marchands allemands, venant surtout de Lübeck, ville se situant sur la côte à côté du Danemark, commencent à commercer avec elle. Jusqu’à la moitié du XVe siècle, l’histoire de la ville oscille entre périodes de prospérité et de guerre. C’est durant cette période que se déroulent les guerres teutoniques ; les souverains changent fréquemment et la ville est, à nouveau, entièrement détruite. Cette phase noire se termine en 1466 lorsque la ville s’allie avec la Pologne. Gdańsk reçoit alors différents privilèges et grâce à ceux-ci, la ville et son port se développent de manière exceptionnelle. Au XVIe et XVIIe siècles, Gdańsk est trois fois plus grande que Varsovie et est la ville la plus riche de Pologne. Toute l’Europe la reconnaît comme un centre de sciences, d’art et de culture, mais ce qui fait surtout sa célébrité, c’est sa politique en matière de liberté religieuse. En effet, au XVIe siècle, Gdańsk devient une terre d’accueil pour les Hollandais, les Flamands, les Bourguignons, etc. qui fuient les persécutions religieuses. Ces différentes communautés se sont extrêmement bien intégrées : les Hollandais ont aidé la ville à assécher les marais tandis que les Écossais fourniront à la Pologne des mercenaires. La ville se veut cosmopolite. Un grand nombre de bâtiments de la rue principale ont d’ailleurs été construits par des architectes hollandais, ce qui provoque une certaine ressemblance avec les ports hollandais et leurs maisons à pignon2. Des influences françaises sont également présentes dans l’architecture du bâti.
Vue de la rue Długi. © E. Tallier 2 — Guide du routard Pologne 2014/2015, Hachette, Paris, 2014, pp. 315-316.
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Pendant l’époque napoléonienne, Gdańsk est une « ville libre » sous le protectorat de la Prusse et de la France. Elle est, finalement, rattachée à la Prusse et se développe encore. Ce n’est qu’avec le traité de Versailles de 1919 que la ville acquiert à nouveau le titre de « ville libre ». Le traité lui accorde également certains privilèges – comme une défense militaire mais ceux-ci furent progressivement réduits.
3. La guerre
La Deuxième Guerre mondiale commence à Gdańsk le 1er septembre 1939 lorsque les Allemands attaquent l’entrepôt militaire de la Westerplatte. Gdańsk défend ses positions jusqu’au 7 septembre 1939, jour où la ville est annexée au IIIe Reich allemand. Pendant la guerre, le potentiel industriel de la ville est utilisé par les Allemands pour la production militaire. Les alliés vont bombarder la ville pour cette raison, mais également à cause de la densité des voies de communication situées autour de la ville. En tout, six raids alliés (américains, anglais et soviétiques) sont lancés sur Gdańsk entre 1942 et 1945. Les bâtiments militaires ne sont pas les seuls à être détruits, des quartiers résidentiels et des monuments vont également subir des dégâts. Lorsque l’Armée Rouge atteint Gdańsk en mars 1945, Hitler décide de transformer la ville en forteresse et de la défendre à tout prix. Les dernières résistances tombent le 30 mars 1945, mais les troupes soviétiques continuent à détruire la ville. Le quartier principal va subir les plus grosses destructions ; près de 80% du quartier est détruit. Très peu de bâtiments sont encore debout après cette destruction. Ceux qui restent sont souvent dépouillés de leurs portes, vitres ou encore de leurs détails architecturaux.
4. Reconstruction : moderne ou ancien ?
Dès avril 1945, la question la plus importante est de dégager les rues. En effet, cellesci sont totalement encombrées par des gravats. Il est donc nécessaire, dans un premier temps, de déblayer afin de permettre le passage des véhicules et des piétons. L’enlèvement du tas de débris (plus de 3 millions de m3) va prendre environ 10 ans. Dans un second temps, ce sont tous les aménagements principaux de la ville qui vont être reconstruits : les réseaux hydrauliques et les systèmes d’égouts et de télécommunication. Immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, des projets de reconstruction sont lancés. Mais une question est posée : quel type de reconstruction faut-il proposer ? Faut-il 153
reconstruire à l'identique ou de manière plus moderne selon des conceptions urbanistiques nouvelles ? C'est sur le site des quartiers historiques que la question est la plus forte. En effet, la destruction des villes « historiques » est perçue aujourd’hui par les Polonais comme un acte de barbarisme nazi3 ou soviétique4, selon les textes. Dans ces mêmes textes, ce barbarisme dit « conscient » a pour but d’annihiler l'identité culturelle polonaise, or Gdańsk est alors Danzig, une ville allemande. Après la guerre, une nouvelle identité a été créée pour la ville, avec des souvenirs d’un passé polonais et non allemand ce qui peut expliquer les propos tenus dans les textes. Les débats sur la reconstruction sont menés par l'historien de l'art Michał Walicki. Il pose l'idée de la reconstruction comme une action qui rassemble tout le peuple polonais. Mais deux opinions se faisaient face : soit reconstruire le centre dans son historicité, soit le reconstruire de manière plus moderne.
Porte Dorée, entrée ouest de la rue Dluga, Gdańsk 1945. © Janusz Uklejewski (in: STACHURSKI A., Gdańsk ; a city revived, Wydawnictwo, Olsztyn, s.d., p. 11.)
Les partisans de la modernité étaient portés par la figure d’Henryk Tetzlaff. Ce dernier préconisait de transformer et d’élargir les ruelles et les rues avec des parcs et des jardins pour en faire un quartier d'habitat moderne. L'idée est de créer une ville balnéaire avec une zone résidentielle et une zone commerçante séparée. Mais cette position va vite s'essouffler. Une réunion nationale des restaurateurs va se tenir à Gdańsk et la majorité des participants vont voter en faveur d'une reconstruction historique. L'historique va donc gagner. Mais tout de suite après, la question du degré de réalisme de la reconstruction est posée. C'est ainsi qu'il va être décidé de reconstruire l'extérieur comme avant, mais de moderniser les intérieurs. Il y a donc une volonté de concilier des idées modernistes avec l'historique. Cette manière de penser va aboutir à un système hybride. C'est en 1949 que la reconstruction du paysage historique débute. Il y a eu tant de destructions que le but est alors de récupérer le plus possible : certaines maisons possèdent encore un perron d’époque, une porte ou une façade authentique (derrière laquelle, il va y avoir une reconstruction). Il est possible d’en observer les conséquences sur la Porte Verte (Brama Zielona) qui ouvre la Rue Longue (Ulica Długa) à l’est. En effet, les briques les plus anciennes (datant du XVe siècle) sont plus foncées que celles utilisées pour la reconstruction. De plus, cette porte a la particularité de ne presque pas avoir été détruite : au Moyen Age, du crin de cheval était ajouté au « ciment » ce qui a rendu le bâtiment beaucoup plus solide notamment, si nous le 3 — CZEPCZYŃSKI M., Cultural Landscapes of Post-socialist comparons aux maisons des XVIe et XVIIe siècles Cities : Representation of Powers and Needs, Ashgate, 2008. 4 — JACEK F., The Trouble with Modernity - Architectural Culdont il ne reste presque rien. ture in : Gdańsk, <http://www.buero-kopernikus.org/en/ article/31/7.html > [En ligne]
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Vue de la façade est de la Porte Verte. © E. Tallier
Façade Est de la Porte Verte 1945. © http://haveblogwilltravel.org/ww2-poland [En ligne]
En 1956, il est admis que la reconstruction du centre historique est finie. Les questions de budget et de dépenses mettent un terme au développement de la « cité historique ». En effet, il est plus coûteux de reconstruire de l'ancien que du moderne. Ce n'est que dans les années 1990 que le modernisme est remis en question. Mais tradition et modernisme continuent encore de se côtoyer de nos jours.
5. Débat : Sommes-nous en face d’un faux ?
Le quartier principal est reconstruit comme à son origine, mais une impression d’inauthenticité se dégage lorsque nous marchons dans ces rues. Devons-nous considérer ce quartier comme une reconstitution ou pouvons-nous dire que c’est comme si la guerre n’était jamais passée par là ? Prenons un exemple, la Maison Dorée (Złota Kamienica) se trouvant près de la fontaine de Neptune (Fontanna Neptuna) est un des monuments de la Rue Longue (Ulica Długa). Elle a été construite en 1609 dans un style Renaissance pour un riche marchand. Le sommet de la maison, qui comptait notamment quatre statues, a été détruit. La maison a été reconstruite et les statues remplacées. Cependant, le visage de la statue représentant la Justice ressemble beaucoup à un dirigeant soviétique des années 1920 dont la justice n’était pas le point fort. Cette « blague politique » symbolise le fait que la reconstruction du quartier, montre une nouvelle histoire de Gdańsk, ou en tout cas un autre visage. Avant sa destruction, la ville et son architecture démontraient le caractère cosmopolite de ce port (avec les maisons de style hollandais par exemple) et sa grandeur d’antan. Aujourd’hui, même si la reconstruction se veut à l’identique, celle-ci, à l’image des statues de la Maison Dorée (Złota Kamienica), raconte surtout l’histoire de la ville au XXe siècle, une ville détruite par la guerre et reconstruite sous l’autorité de l’URSS en « oubliant » le passé plus 155
lointain. Et ce, surtout si nous prenons en compte le fait que lors de la reconstruction de la ville, certains éléments ont été supprimés afin de manipuler la mémoire de la ville.
Statues sur la façade de la Maison Dorée, Gdańsk. © E. Tallier
6. Pourquoi reconstruire une ville allemande ?
L’Allemagne fait incontestablement partie de l’histoire de Gdańsk. Un discours nazi dit d’ailleurs « Danzig war deutsch, ist deutsch und bleibt deutsch » (Danzig était, est, et restera une ville allemande). A la fin de la guerre, après de grands mouvements de la population, la population de Gdańsk est presque entièrement renouvelée ; la grande majorité est polonaise, mais seulement une poignée trouve ses origines à Gdańsk. De plus, lors de la reconstruction du centre historique de la ville, les traces allemandes vont être éradiquées (monuments, stèles, inscriptions, etc.). En effet, la manipulation de la mémoire et de l’histoire était une pratique populaire dans la reconstruction historique des vieilles villes5. Le régime socialiste manipulait et censurait dans de nombreux domaines et notamment, en ce qui concerne l’héritage culturel allemand. A Gdańsk, toutes les traces de la tradition germanique ont été ignorées. Wrocław et Varsovie eurent droit au même traitement. La mémoire de la ville est donc modifiée pour créer un mémoire sans trace du passé allemand. Pourquoi reconstruire à l’identique le quartier historique de la ville alors qu’autant d’efforts ont été réalisés pour faire oublier le passé de la ville ? Selon la thèse principale, la reconstruction avait pour but de montrer la bonne volonté du parti. De plus, à la suite du débat sur la reconstruction moderne ou ancienne, le choix n’était plus possible. Il a donc été décidé de seulement « oublier » les détails de l’histoire allemande afin de recréer le « mythe d’une histoire polonaise continue »6.
5 — CZEPCZYŃSKI M., Op. cit. 6 — SERRIER T., « Nier ou intégrer l’héritage allemand ? À propos de l’appropriation culturelle de Danzig, Königsberg et Reval à Gdańsk, Kaliningrad et Tallinn », in : Revue germanique internationale [En ligne], 11 | 2010, mis en ligne le 24 juin 2013, consulté le 13 novembre 2014. URL : http://rgi.revues.org/313
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7. Conclusion
Nous avons vu, à travers cette modeste contribution, que la ville de Gdańsk possède un caractère cosmopolite fort en raison de son passé historique et marchand. Cette mixité et cette multiplicité des caractères régionaux des populations vivant dans la ville ont modelé celle-ci dans son architecture (influences hollandaises, françaises, germaniques, etc.). La Deuxième Guerre mondiale a été le théâtre de destructions importantes à Gdańsk et le nouveau gouvernement prosoviétique montrera sa bonne volonté en reconstruisant la ville. Cependant, si la reconstruction fut une hybridation entre une reconstruction ancienne et moderne, il est important de rappeler que celle-ci permit de créer une nouvelle identité à la ville en ôtant les références allemandes dans l’architecture, l’art, etc. A partir de cela, les débats actuels portent donc sur l’authenticité des reconstructions effectuées. La notion de faux architectural est posée.
Sopot, la « Deauville polonaise »
Geoffrey DEBAISIEUX & Alexis MOISSE
1. Introduction
S
opot, lieu incontournable de la côte nord polonaise, est une petite cité balnéaire d'environ 40 000 habitants et coincée entre les villes de Gdańsk et de Gdynia. A elles trois, ces villes forment la Tricité (Trójmiasto), une vaste agglomération portuaire de plus d'un million d'habitants constituant ainsi l'aire métropolitaine la plus importante du nord de la Pologne et l'un des centres majeurs de l'activité industrielle, scientifique et culturelle du pays. Chacune de ces villes propose une orientation économique différente. Gdańsk oriente principalement son offre touristique autour de son passé historique : son ancien port hanséatique, son histoire pendant la Deuxième Guerre mondiale pendant laquelle plus de 90% de ses bâtiments ont été détruits, ou encore ses chantiers navals, point de départ du syndicat Solidarność. A quelques kilomètres à nord -ouest de Gdańsk s’implante Gdynia, centre de la vie industrielle de la région. Enfin, à mi-distance entre ces deux villes s’érige Sopot. Celle-ci propose une troisième voie de développement économique. La mise en tourisme de cette station balnéaire, la plus huppée de Pologne, remonte La Tricité, composée de Gdańsk, Gdynia et Sopot déjà à plus de deux cents ans.
Nous veillerons ici à mettre en avant les spécificités de la ville de Sopot au travers de deux périodes. La première, allant du début du XIXe siècle jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale, et la seconde traitant de la période communiste jusqu’au XXIe siècle.
2. Sopot, station balnéaire du XVIIIe XXe siècles
Bien avant l’installation du premier sanatorium au XIXe siècle, Sopot était déjà reconnue au XVIe siècle comme un lieu de villégiature. En effet, les habitants les plus nobles et fortunés de sa voisine, Gdańsk1, s’y rendaient pour la qualité exceptionnelle de ses eaux naturelles. Ce n'est cependant qu'au XIXe siècle et grâce au travail de quelques hommes qu'elle put acquérir une telle renommée en Europe du Nord, jusqu'à devenir la « Deauville polonaise ». En 1806, le petit village de pêcheurs de Sopot fut vendu à un riche négociant de Gdańsk, Carl Christoph Wegner. Celui-ci essaya, tant bien que mal, de transformer sa nouvelle acquisition en une ville d'eau, mais son entreprise se solda par un cuisant échec financier. Pourtant, quelques années plus tard, en 1823, le docteur Jean Georg Haffner, un ancien chirurgien militaire français ayant participé à plusieurs campagnes napoléoniennes, tenta à son tour de transformer Sopot en cité balnéaire. Son entreprise connut plus de succès que celle de son prédécesseur. Dans les années qui suivirent son arrivée, il construisit un sanatorium, un parc, des vestiaires ainsi qu’une jetée en bois longue de 63 mètres. Cette dernière n'était, à l'époque, que temporaire et était démontée à chaque fin de saison estivale pour être reconstruite l'année suivante, lorsque les touristes réinvestissaient la ville. Cette jetée fut par la suite maintes fois agrandie durant les XIXe et XXe siècles, s'enfonçant toujours un peu plus loin dans la mer Baltique au fur et à mesure que la notoriété de la ville s'accroissait. Aujourd'hui, les habitants de Sopot peuvent se vanter de posséder la plus longue jetée en bois d'Europe avec ses 515 mètres de long. Après la mort du docteur Haffner en 1830, Ernst Adolf Böttcher, continua le projet de son beau-père en construisant un théâtre et un second sanatorium en 1842. Toutes ces nouvelles installations permirent ainsi à la petite cité de drainer près de 1 200 touristes par an alors qu'elle comptait, à l’époque, moins d'un millier d'habitants. Cet afflux crût tout au long du siècle et fut logiquement amplifié par la construction de la première ligne de chemin de fer passant par Sopot. Celle-ci reliait Gdańsk à Kolberg (l’actuel Kołobrzeg) et fut même prolongée jusque Berlin. Ces bonnes connexions accrurent la popularité de la région tant et si bien que d'autres commodités, en vue de diversifier l’offre touristique à destination de ses riches clients, virent le jour : des terrains de tennis, un nouveau sanatorium en 1881, une usine à gaz en 1885, mais aussi un des plus 1 — Par commodité, nous utiliserons le nom de la ville en polonais. 160
importants symboles de la ville, son hippodrome. A partir des années 1870, la zone située entre Sopot et Gdańsk, aussi connue sous le nom de Polna, fut initialement utilisée par les soldats polonais pour l'organisation de courses hippiques. Ces dernières étant devenues régulières en 1898, les autorités de la ville de Sopot décidèrent d’y construire un hippodrome, dont le bâtiment principal est encore conservé à l’identique aujourd’hui. Durant l'entre-deux-guerres, sa proximité avec la ville libre de Danzig lui permit d'acquérir une renommée internationale. Au début du XXe siècle, grâce à ses équipements et ses bonnes connexions avec les villes voisines, Sopot vit le nombre de ses touristes grimper jusqu'à 12 500 chaque année. Parmi eux, de nombreux membres de l'aristocratie polonaise et allemande, mais également l'empereur allemand Guillaume II. Son amour pour la cité balnéaire était tel qu’il lui accorda les droits de ville le 8 octobre 1901. Ce nouveau statut juridique conféra à Sopot une nouvelle dimension et lui permit de se développer encore plus vite qu'auparavant. D'autres bains et sanatoriums plus modernes furent construits ainsi qu'un opéra au sein même de la forêt qui bordait la cité. L'Opera Leśna, comme l'appellent ses habitants, est un amphithéâtre en plein air construit en 1909 pouvant accueillir 4 400 spectateurs. Reconnu pour ses qualités acoustiques et sonores, l’opéra accueille de nombreuses représentations et, depuis 1963, le Festival International de la chanson de Sopot. Le développement touristique atteint son apogée avec l’érection du Grand Hôtel en 1927, hôtel de luxe construit à la pointe des dernières innovations technologiques du moment. Il fut le point de chute de plusieurs célébrités de l’époque, telles que les hommes politiques Charles de Gaulle et Fidel Castro, ou encore l’actrice et chanteuse allemande Marlene Dietrich.
Sanatorium de Sopot, début XXe siècle | Vue sur la Baltique, début XXe siècle | Jetée en bois de Sopot, début XXe siècle
Le développement touristique de la Baltique et, dans le cas présent, de Sopot n’est pas un phénomène propre à la région. En effet, la pratique du balnéarisme vit le jour pendant la première moitié du XVIIIe siècle, en Angleterre. Initialement, les stations balnéaires axèrent leur fonds de commerce sur les soins thérapeutiques à base d’eau de mer. Toutefois, celles-ci durent progressivement adapter leurs infrastructures afin de répondre aux attentes d’une clientèle oisive, en quête de distractions. Dès lors, hôtels de luxe, casino, opéra, hippodrome et activités ludiques 161
côtoyèrent les sanatoriums. Contrairement à aujourd’hui, les stations balnéaires de l’époque connaissaient essentiellement un afflux considérable de touristes lors de la période hivernale. Aristocrates et nantis se retiraient le long des côtes en quête de quiétude, à la recherche d’un climat doux et tempéré ainsi que des propriétés curatives de l’eau mer. En règle générale, ces personnes se ressourçaient dans les différents sanatoriums mis à leur disposition, mais certaines d’entre elles allaient également s’immerger intégralement dans la mer. Toutefois, cette pratique des bains de mer ne connut pas immédiatement un franc succès. La mer, vaste espace inconnu, apeurait les gens de l’époque en raison des mystères qui l’entouraient. Par ailleurs, la grande majorité des touristes n’adoptaient pas un code vestimentaire adapté à la plage. Ils ne se dénudaient pas. Les gratifications du soleil n’étaient pas recherchées comme aujourd’hui. Bien qu’aujourd’hui le bronzage soit considéré de nos jours comme un facteur primordial de réussite des vacances, la peau bronzée était, auparavant, mal perçue car elle était associée aux personnes qui travaillaient en plein air. Dans le cas de Sopot, les baigneurs de sexe différent étaient tenus de ne pas se côtoyer sur la plage. Il existait donc une première zone réservée aux femmes et une seconde aux hommes, qui avaient l’habitude de se baigner nus, alors que les femmes se baignaient en longues chemises. Une exception était toutefois faite pour les couples mariés. Ceux-ci disposaient d'une zone familiale pour laquelle l’entrée était garantie par la possession d’un enfant. Il arrivait donc souvent qu’un couple non marié voulant se rendre ensemble à la plage loue un enfant à une famille locale. C’était bien sûr une pratique illégale et sévèrement réprimandée. À l’époque, les stations balnéaires les plus prestigieuses furent Brighton pour l’Angleterre, Nice et Hyères pour la Riviera française ou encore Deauville dans le Nord de la France. Ces pratiques balnéaires connurent une révolution importante au début des années 1920 lorsque les élites intellectuelles et culturelles américaines, telles que Scott et Elsa Fitzgerald, Cole Porter et bien d’autres, importèrent la saison estivale le long des côtes européennes. Leur arrivée marque le début des pratiques balnéaires telles que nous les connaissons aujourd’hui. Sopot adopta les nouvelles normes touristiques, mais la Deuxième Guerre mondiale marqua un coup d’arrêt pour la croissance de la ville.
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3. Sopot, de la période communiste au XXIe siècle
Sopot fut préservée, en grande partie, des affres de la Deuxième Guerre mondiale, au contraire de Gdańsk. En 1945, lors de la libération orchestrée par les troupes russes, Sopot fut partiellement incendiée et perdit 10% de son patrimoine architectural, dont le casino et plusieurs hôtels. Toutefois, bien que libérée de l’envahisseur allemand en 1945, la Pologne dut attendre le début des années 1990 pour enfin connaître le véritable goût de l’indépendance et de l’autonomie. Pendant près de cinquante ans, la Pologne vécut à l’heure du régime communiste instauré par l’URSS. Dès lors, quel sort fut réservé à la station balnéaire de Sopot, fleuron de l’économie du luxe polonais ? Selon nous, il est fort peu probable que la station balnéaire ait pu rayonner comme à la Belle époque, vu le contexte idéologique qui régnait à l’époque. Certaines personnes affirment que « la ville est devenue […] la cible du pouvoir, qui a voulu transformer ce “nid impérialiste” en cité-dortoir »2. Toutefois, il nous est difficile de dresser un état des lieux objectif, tant les sources francophones qu’anglophones consultées n’abordent pas, ou peu, cette partie de l’histoire de Sopot. Nous pouvons tout de même affirmer que Sopot retrouva petit à petit son dynamisme et de sa superbe au début des années 1960 en devenant un centre incontournable dans les domaines de la culture, de la musique et des arts. Au même moment, la Pologne misa sur le développement de l’activité touristique pour relancer son économie. Ce nouveau pôle économique fut associé aux deux secteurs porteurs depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale : l’industrialisation et l’urbanisation. Sopot s’inscrivit également dans cette lignée du renouveau économique polonais. Grâce au lancement de ce nouvel axe économique, la Pologne posséda, au début des années 1980, une capacité d’hébergement touristique de près d’un million de lits et pouvait se targuer d’avoir attiré pas moins de 125 millions de touristes lors des vingt dernières années. Depuis la chute du communisme, Sopot a bien rattrapé son retard et intégré les fondementaux de l’économie capitaliste. Les autorités politiques ont mis tous les moyens en œuvre pour rendre à Sopot son visage et son prestige d’avant-guerre.
2 — SZEMELOWSKA M., « Sopot, la Deauville de la Baltique renaît de ses cendres », in : L’Express. [En ligne]. <http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/sopot-ledeauville-de-la-baltique-renait-de-ses-cendres_1329774.html>
Pologne
Le bar à lait (bar mleczny) dans la culture actuelle
Céline JACQUEMART, Eline WYNS & Frédéric BEETENS
1. Introduction
L
e bar mleczny, ou littéralement « bar à lait », est un restaurant typique polonais. Lorsque nous parlerons de restaurant, il s’agit davantage d’une cantine, sans aucune connotation péjorative, où il est possible de manger de manière copieuse, pour une somme tout à fait dérisoire (les repas les plus chers sont aux alentours de 3€). Ce sont des plats simples et traditionnels préparés généralement par des femmes. Si auparavant la population qui fréquentait ces lieux était constituée d’ouvriers qui cherchaient là un endroit où manger complet pour une modique somme ; c’est aujourd’hui un endroit ouvert à tout un chacun, des étudiants jusqu’aux hommes pressés en passant inévitablement par les touristes. Les bars à lait sont souvent des établissements discrets et il faut parfois bien chercher pour trouver la porte de Intérieur du bar à lait Familijny à Varsovie. ces lieux tout à fait typiques. De manière identique, la © C. Jacquemart, E. Wyns & F. Beetens décoration reste souvent sobre : du carrelage au sol, des nappes en papier et une petite fleur sur la table. Au mur, le grand tableau reprenant les propositions de repas, en polonais uniquement, un réfrigérateur proposant quelques
boissons fraîches et surtout la présence d’une grande vitrine réfrigérée reprenant presque la totalité des plats proposés dans le bar mleczny, ce qui peut se révéler très utile si nous ne parlons pas la langue nationale. Car s’il est possible d’identifier les soupes, les viandes, les pâtes, etc. les préparations restent difficiles à déchiffrer pour les non-initiés. Après Soupe servie dans une miche de pain. © C. Jacquemart, E. Wyns & F. Beetens avoir commandé (ou désigné) son plat, il nous faut attendre que celui-ci soit prêt (nous en sommes avertis par l’appel de la cuisinière) et aller le récupérer au comptoir. Concernant les plats les plus populaires en Pologne et que nous pouvons naturellement trouver dans les bars à lait, il y a : le żurek, la soupe aigre avec des morceaux de viandes et d’œuf servie traditionnellement dans une miche de pain ; le barszcz, une soupe aux betteraves ; les pierogi, sorte de raviolis fourrés au fromage, champignons, viande, ou plus surprenant, aux fraises ou aux prunes.
Pierogis au fromage | Soupe aux champignons Escalope de porc panée | Table garnie dans un bar à lait © C. Jacquemart, E. Wyns & F. Beetens
Les plats sont souvent à base de produits laitiers et les portions de viande, maintenant normales, étaient jadis légères, car la viande était fréquemment rationnée durant la période communiste. S’il y a bien un plat à base de viande connu aujourd’hui, c’est simplement l’escalope de porc panée. Il y a également l’usage de céréales multiples pour pallier les fréquentes pénuries qu’il pouvait y avoir pendant le régime précédent. Nous pouvons encore trouver différents plats : des soupes en tout genre (champignons, choux, bouillons, etc.) des pâtes sucrées servies comme repas, des placki (sorte de galettes de pommes de terre servies avec diverses sauces), des naleśniki (crêpes fourrées salées) et des accompagnements divers et variés comme de la salade de choux, de pommes de terre, de carottes, etc. 168
Nous ne pouvons que recommander la visite d’un de ces bars à lait, présents partout dans les villes polonaises et garants d’une nourriture typique dans un esprit traditionnel. Ils sont à présent incontournables lors d’un voyage en Pologne pour voir tous les aspects de ce pays et constituent une visite intéressante à part entière.
2. Le rôle des bars à lait dans les crises polonaises
Nous allons ici développer le contexte qui fit naître et prospérer ces restaurants, leur rôle et par ce biais, tenter de comprendre leur place actuelle dans la culture polonaise. Bien que l'on associe les bars à lait à la période communiste, leur apparition s'avère antérieure. Le premier restaurant aurait été créé à la fin du XIXe siècle. Ce type de restauration ne connut cependant son premier développement important qu'après la Grande Guerre, un succès qui doit beaucoup à son rôle lors des crises qui suivirent dans une Pologne nouvellement indépendante, mais exsangue. Mais c'est finalement, sous le régime de la République Populaire de Pologne (Polska Rzeczpospolita Ludowa, PRL) que le système connut son apogée. La Pologne, bien qu'ayant jadis été un état indépendant, fut partagée à la fin du XIIIe siècle entre l'empire d’Autriche, l’empire de Russie et le royaume de Prusse1. La Pologne n'accéda à nouveau à son indépendance qu'en 1918 (le 3 juin, la conférence interalliée à Versailles déclare « la création de la Pologne réunie, indépendante ») profitant de la conjoncture politique qui vit l'effondrement de l’empire de Russie, celui de l'empire austro-hongrois et enfin de l’empire d’Allemagne. La lutte contre les Bolchéviques incita entre outre la France à soutenir la restauration de l'Etat polonais. Celui-ci se retrouve donc à peine né, acteur d'une guerre menée contre les Bolchéviques dès 1920-1921.
Situation politique aux environs de 1720.
Situation politique fin du XVIIIe siècle.
1 — Pour se renseigner sur la naissance, l'histoire médiévale et moderne de la Pologne : TYMOWSKI M., Une histoire de la Pologne, Editions noir sur blanc, Lausanne, 2003.
Après la Grande Guerre, l’économie nationale est fortement touchée. En ce qui concerne l'agriculture, un million et demi d'hectares sont devenus incultivables et deux millions et demi d'hectares de forêt disparurent. L'élevage est tout autant dévasté avec deux millions de bovins, un million de chevaux et un million et demi d'ovins perdus. Enfin le secteur de l'industrie est rudement touché surtout dans les régions de Varsovie et de Łódź et dans le bassin minier de Dąbrowa2. A cela s’ajoutent la crise en Allemagne, la révolution russe, la collectivisation soviétique, et la dépression résultant du krach de 1929. De plus, dans un pays où en 1921, près de 85% de la population était paysanne, les prix de l'alimentation connaissent une augmentation considérable suite à des mauvaises récoltes successives. C’est dans ce contexte difficile que furent créés les bars à lait. Répondant parfaitement aux besoins de la population grâce à des coûts peu élevés, ils se propagèrent fortement dans le courant des années 1920. La deuxième phase de développement du système se fera dans les années 1960 sous l'influence du régime communiste. La Pologne sort de la Deuxième Guerre mondiale profondément meurtrie. Les pertes matérielles sont estimées à 38% de la richesse nationale, 50% de l'agriculture et de l'industrie3. Certaines villes comme Gdańsk ou Varsovie ont été rasées aux trois quart, on compte six millions de morts. Ayant préalablement profité de l'intervention de l'Armée Rouge contre l'Allemagne nazie en Pologne pour renforcer les partis communistes (par la prise de contrôle de postes clés, la propagande et l'élimination des opposants), l'URSS bénéficie du soutien des Alliés lors de la conférence de Yalta dans l'orientation du destin de la Pologne. Ainsi ceux-ci refusent-ils de reconnaître le gouvernement polonais en exil et décident de la tenue d'élections démocratiques qui devaient permettre pour l'URSS, de placer au pouvoir le Parti Ouvrier Polonais (Polska Partia Robotnicza, PPR, créé en janvier 1942) à sa solde.
Situation politique en 1914 et 1945
Ces élections, massivement frauduleuses, tenues en 1947, mirent au pouvoir le PPR qui, par la terreur et la coercition, élimina les partis rivaux et absorba le Parti Socialiste Polonais (Polska Partia Socjalistyczna, PPS) pour finalement créer le Parti Ouvrier Unifié Polonais (Polska Zjednoczona 2 — Chiffres et informations extraites de La Pologne (sous la dir. de BAFOIL F.), Fayard, Paris, 2007, p.147. 3 — Ibid., p. 180.
170
Partia Robotnicza, PZPR) est cependant vu comme illégitime et tente d’améliorer sa situation en recourant à différentes mesures comme la redistribution des terres, l’élimination des opposants, les promesses d'égalité et d’amélioration du niveau de vie. Bien que cette redistribution lui vaille dans un premier temps, l'adhésion de la classe paysanne, elle créa une désorganisation des structures foncières sans compter que cette parcellisation à outrance conduisit à la formation de terrains d'exploitation non viables, car trop réduits. La volonté du pouvoir d'imposer une exploitation collective des terrains et l'usage d'outils et engins modernes entraina un désinvestissement des agriculteurs. Tous ces facteurs, conjugués à l'investissement disproportionné dans l'industrie au détriment de la consommation, créèrent les conditions d'une pénurie alimentaire persistante. En 1956, avec l’arrivée de Władysław Gomułka au pouvoir, l'industrie est réorientée vers les biens de consommation, la collectivisation des terres est abandonnée, l'importation de biens augmente permettant pour la première fois un équilibre de l'offre et de la demande. Malheureusement, cette brève amélioration ne dure pas. Dès 1959, la pénurie alimentaire se renforce et les prix ne font qu'augmenter (50% du budget d'une famille moyenne sont alloués à l'alimentation). Les files d’attente dans les magasins atteignent de telles proportions que certains en arrivent à payer quelqu'un pour attendre à leur place ! La population subit également des mesures restrictives telles que l’interdiction de vendre de la viande le lundi. Cette situation entraîne un sentiment d’angoisse, voire de révolte, chez les Polonais. Le système des restaurants déjà fortement développé vers 1920 est renforcé puis nationalisé par l’Etat communiste qui le subventionnera à partir des années 1960, afin de fournir « le couvert sur le lieu de travail des ouvriers des villes et des campagnes », selon la formule de la Constitution du régime4. Au cours du XXIe siècle, les bars deviendront rapidement incontournables et socialement utiles (on en dénombrera au maximum environ 40 000), permettant à la population de faire face aux différentes crises et de sustenter les plus démunis. Véritable institution de solidarité sociale, elle reste donc dans les mémoires comme un élément positif de l'époque communiste. Vers 1989, avec la transition vers une économie de marché, « le rôle des bars à lait perdra sa dimension de restaurant du peuple et des ouvriers »5 pour devenir un moyen d’aide aux laissés pour compte du nouveau système économique. Leur nombre a actuellement fortement diminué (estimé entre 140 et 1200). Certains ont gardé une finalité sociale tandis que d'autres se sont spécialisés en restaurants végétariens, traditionnels ou à des fins plus touristiques.
4 — Citation extraite de : ZBIGNIEW T., "Le bar à lait, objet de la nostalgie polonaise ?", in : nouvelle-europe.eu [En ligne] : <http://www.nouvelle-europe.eu/ le-bar-lait-objet-de-la-nostalgie-polonaise> 5 — Idem.
3. La nostalgie des produits communistes
L’occupation allemande puis communiste de la Pologne a plongé le pays dans une situation de chaos et de forte autorité. Subissant un gouvernement autoritaire, les Polonais attendaient de la démocratie un apport de liberté et d’ordre, ainsi que de la sécurité sur le plan social et identitaire. A l’époque communiste, de nombreux Polonais se percevaient comme une société fondamentalement européenne, arrachée à l’Europe par Staline et ses successeurs.6 La population polonaise avait une vision de l’Occident assez idéaliste, et le sentiment d’appartenance à la civilisation européenne était aussi perçu comme un facteur ordonnateur de l’identité et donc unificateur de la nation.7 Mais une fois libérée de l’autorité communiste, la population polonaise s’est trouvée déçue. Beaucoup ont pris conscience que la légitimité du système démocratique occidental s’appuyait davantage sur le respect de conditions formelles que sur des principes moraux ou des vérités proclamées.8 De plus, la liberté de la circulation des informations et des idées donnait une impression de confusion, très éloignée de l’image de « l’ordre européen »9. Les vices et les faiblesses du capitalisme, la crise économique et le manque d’amélioration par rapport aux espoirs formulés ont entrainé un sentiment de déception. De fait, en Pologne – comme dans d’autres pays anciennement membres de l’URSS – on retrouve un certain sentiment de nostalgie quant à l’époque communiste (« l’ostalgie »). De nombreuses personnes, tant dans la population que parmi les dirigeants, ont tendance à mettre de côté les atrocités et retiennent de bons aspects de « l’ancien régime ».
Chocolats Szerencsi, revenus au gout du jour. © C. Jacquemart, E. Wyns & F. Beetens
Comptoir de la cantine du bar à lait Familijny. © C. Jacquemart, E. Wyns & F. Beetens
6 — BEYLIN, M., « Pologne. Envie d’Europe, nostalgie d’unité », in : Critique internationale, n°2, 1999, p. 23. 7 — Idem. 8 — Idem.
172
9 — Idem.
C’est dans ces circonstances que l’on retrouve un attachement à certains objets et produits communistes, notamment dans le domaine de l’alimentation. Par exemple, d’anciennes marques de biscuits ou de friandises resurgissent, souvent avec leurs emballages typiques. Cette nostalgie est davantage présente chez les personnes âgées qui veulent retrouver le goût et la qualité des aliments communistes, si souvent critiqués après la chute du mur. Ces produits leur rappellent leur enfance, les renvoient à des souvenirs heureux. Sujet de nostalgie chez les plus vieux, ces produits communistes suscitent la curiosité des jeunes. L’intérêt manifesté actuellement pour les bars à lait s’insère parfaitement dans ce contexte. Anciennes « cantines » pour les personnes moins fortunées, on y croise à présent toutes les classes de la population. Ils attirent les individus en quête de nourriture traditionnelle et d’une culture plus populaire : les pierogi et autres kopytki semblent incarner l’incorruptible identité polonaise ayant survécu à toutes les crises.10 Ainsi, les bars à lait sont un véritable emblème de cette nostalgie pour la période communiste. Cela se traduit également dans le tourisme polonais. De nombreux visiteurs entrent chaque année dans les bars à lait. En effet, les guides recommandent d’essayer la nourriture des bars lors d’un voyage en Pologne. Les visiteurs sont certains d’y gouter une alimentation typiquement polonaise, souvent recherchée lors des séjours dans le pays, tout en étant dans un cadre singulier.
10 — ZBIGNIEW T., art. cit.
Muséographie
Eloïse MOUTQUIN
1. Avertissement
C
eci n’est pas une méthodologie. Ni un dossier exhaustif de tout ce qui constitue les musées. Notre intention est d’essayer de donner certaines clés, certains exemples, pour voir les musées autrement. Pas seulement pour le message qu’ils transmettent, mais bien plutôt pour observer comment ils le transmettent. Voir p. 13 Regarder de quelle manière l’architecture, les médias, l’agencement des parcours de visite influencent notre manière de vivre celle-ci. Quelles sont les contraintes Voir p. 23 techniques ? Quelles sont les conséquences de certains choix ? Nous n’avons pas la prétention de tout dire en ces quelques pages. Nous avons essayé de sélectionner des exemples découverts lors des visites de six musées : le Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego, MPW), le Musée de l'Histoire des Juifs polonais (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHŻP), le Musée National de Varsovie (Muzeum Narodowe w Warszawie, MNW), l’exposition du Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS), la partie du Musée d’Histoire de la Ville de Gdańsk (Muzeum Historyczne Miasta Gdańska, MHMG) qui correspond à l’hôtel de ville, et l’exposition « A spa, a blason, a symbol », organisé par le Musée de la Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny Światowej), prenant place sur la Westerplatte. Ces six expositions présentent une
Voir p. 31 Voir p. 123 Voir p. 103 Voir p. 111 Voir p. 117
variété de sujets, de localisations, de muséologies et d’époques qui nous semblait intéressante à analyser. Nous encourageons dès lors le lecteur à considérer cet article comme un complément aux reportages présentés ci-dessus. À travers diverses fiches de lecture nous allons présenter les sujets suivants : « L’institution », « Site, abords et architecture », « Parcours et répartition des thématiques », « Les moyens d’exposition », « Les “accessoires” de l’exposition », « La sensibilisation à la restauration et à la conservation ». A chaque fois, un tableau reprendra certains éléments découverts pour chaque musée ainsi qu’une analyse qui sera l’occasion de former des hypothèses quant à l’objectif de l’élément et ses conséquences.
2. L’institution
Musée de l’Insurrec6o n de Varsovie
Musée d’histoire des juifs de Pologne
Musée Na6onal de Varsovie
Centre européen Solidarité
Hôtel de ville de Gdansk
“A spa, a bas6on, a Symbol”
Subven6ons
/
Fonds publics et privés via des Fonda"ons.
L’Etat.
La ville de Gdansk et l’Union Européenne.
La ville de Gdansk.
Organisa6o n d’autres projets que l’exposi6on permanente
Conférences, ges"on d’un centre d’archives.
Rassemblemen t de témoignages, élabora"on de bases de données.
Aile dédiée aux exhibi"ons temporaires, centre de recherches.
Centre de recherche, projec"ons cinématographiques.
/
Le ministère de la culture et de l’héritage na"onal. /
Fig.1 : Tableau présentant des caractéristiques des musées en tant qu’institutions.
Connaître l’organisme qui subventionne le musée permet de se rendre compte des influences qui peuvent agir sur lui, ainsi que les buts poursuivis. L’Etat peut avoir besoin qu’on remette en avant ce qui construit la richesse de la culture nationale du pays. Ou au contraire, le financement par fond privé peut permettre de se démarquer de la culture nationaliste (particulièrement présente en Pologne). Le centre financé par l’Union européenne (UE) devrait s’ouvrir vers une vision comparative et une sensibilité aux valeurs portées par l’UE. Quant à la ville de Gdańsk, en finançant des musées, elle permet non seulement de se positionner comme incontournable sur le plan touristique, mais également de revitaliser certains sites, comme les chantiers navals. D’autre part, la diversité des actions parallèles à l’exposition peut être le signe d’objectifs sous-jacents. Ainsi Paul Williams affirme-t-il que la présence de centre d’archives et de témoignages et l’organisation d’évènements multiples en liens avec la thématique peuvent être des caractéristiques des Memorial Museums. Si cet objectif est clairement avoué par le 176
Musée de l’Insurrection de Varsovie, le Centre Européen Solidarité et le Musée de l'Histoire des Juifs polonais s’en défendent quant à eux. De plus, pour certains musées à thématique historique, l’organisation de tels projets permet de rester dans la dynamique contemporaine de la société, et de ne pas figer la connaissance à transmettre.
3. Site, abords et architecture
Musée de l’Insurrec6on de Varsovie
Musée d’histoire des juifs de Pologne
Musée Na6onal de Varsovie
Centre européen Solidarité
Hôtel de ville de Gdansk
“A spa, a bas6on, a Symbol”
Site
/
Ancien emplacement du ghe o juif.
Dans le centre de Varsovie.
La grandplace de Gdansk.
Abords
Intégra"on au site d’un jardin de la Liberté, dédié à la mémoire des insurgés.
En face du monument dédié aux héros de l’insurrec"on de ghe o de Varsovie.
/
Gdansk sur les chan"ers navals. Monument dédié aux grévistes. Grille derrière laquelle les grévistes a endaient.
Architecture
Réu"lisa"on d’un bâ"ment qui a survécu à la destruc"on de Varsovie, intégra"on d’une tour perme ant d’apercevoir la ville.
Sobre à l’extérieur, la forme générale fait écho au monument. A l’intérieur, une vague beaucoup plus expressive étonne le visiteur.
Architecture moderne monumental e, colonnade.
L’extérieur évoque un bateau (volume, matériel). L’intérieur semble futuriste.
Réu"lisa"on d’un bâ"ment historique, non seulement par sa fonc"on mais également par sa rénova"on.
La presqu’île de Westerpla e. Site naturel où restent encore certaines construc"on s de guerre tombant en ruine. Présence de deux monuments évoquant la guerre. En plein air, groupement de quatre « sta"ons » de différents panneaux, reliés par des chemins dans un espace naturel.
/
Fig. 2 : Tableau présentant les caractéristiques des sites, abords et de l’architecture des musées.
Dans la plupart des cas, les musées sont situés sur des emplacements hautement symboliques. Seuls les musées d’arts se placent au centre de la ville, sans lien avec un évènement historique. La mémoire est régulièrement évoquée par la présence de monuments mémoriels qui sont placés aux alentours. Certains musées considèrent que ce mémorial fait partie intégrante de l’exposition, d’autres se libèrent ainsi d’une demande de mémoire. Mais la proximité immédiate, bien qu’elle permette cette séparation entre histoire et mémoire, les lie ensemble également. Enfin, l’architecture des bâtiments n’est pas anodine : rénover un ancien bâtiment, c’est non seulement lui redonner vie, mais également 177
souligner les destructions qui l’ont menacé. A contrario, utiliser une architecture futuriste (présence de verre, de verdure, de moyens de déplacement technologiques), dans le Centre Européen Solidarité, c’est se tourner vers l’avenir, tout en respectant le passé (référence aux bateaux). Quant au Musée National de Varsovie, par sa forme autant que par la présence de colonnades, il cite les musées nationaux du XIXe siècle (British Museum, Louvre), comme s’il voulait affirmer son égale valeur par rapport aux occidentaux.
4. Parcours et répartition des thématiques
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Musée de l’Insurrec6on de Varsovie
Musée d’histoire des juifs de Pologne
Musée Na6onal de Varsovie
Centre européen Solidarité
Hôtel de ville de Gdansk
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Type de parcours
Libre, aucune indica"on pour le visiteur qui découvre les salles dans l’ordre qu’il désire.
Imposé : en s’engageant dans les pièces, on ne peut que suivre un seul chemin nous faisant parcourir l’en"èreté de l’exposi"on
Mixte : Plan proposé, avec des galeries regroupées par périodes historiques selon les étages.
Mixte : le musée invite à parcourir les salles selon un ordre pas forcément logique spa"alement
Mixte : I"néraire passant de pièce en pièce mais pas d’obliga"on d’aller jusqu’au bout de la visite pour sor"r du musée
Mixte : Un plan avec un ordre dans les sta"ons est proposé, mais la promenade au sein du site permet les découvrir dans le désordre
Distribu6ons des exposi6ons
Diversité des espaces. Chacun est dédié à un aspect de l’insurrec"on, sans qu’il y ait pour autant de théma"ques communes à ceux spa"alement proche.
Succession de galeries dédiées à une époque par"culière, avec des espaces aux théma"ques, aux couleurs et aux ambiances différentes.
Chaque étage de chaque aile du musée a sa probléma"que, Généralement une époque de l’histoire de l’art. Sépara"on des galeries par une porte voire un escalier.
Chaque salle à une théma"que, et en suivant le plan du site internet, on passerait d’une époque à une autre. L’ambiance homogénéise la salle par les couleurs, le bruit, les lumières.
Chaque pièce a une théma"que. Les escaliers perme ent de passer d’un étage à l’autre et d’un aspect à l’autre de l’histoire de la ville (ar"sanat, lien avec la France, début du siècle, …).
Structura"on spa"ale, chaque groupe équivaut à une théma"que.
Fléchage
Aucun fléchage, la découverte du musée se fait aléatoirement
Les galeries se succédant, il est difficile d’en rater une. Une indica"on sur la possibilité de monter au second étage manque cependant.
Pas de fléchage, la découverte se fait selon le plan reçu à l’entrée.
Pas de fléchage. Vu que nous n’avions pas reçu de plan, certains se sont perdus et n’ont pas découvert l’existence d’un deuxième étage.
Le passage se fait d’une salle à l’autre, mais se sont les gardiens qui indiquent aux visiteurs la suite de l’exposi"on dans les étages supérieurs.
Aucune indica"on sinon le plan exposé au départ.
Fig. 3 : Tableau présentant le parcours et la répartition des thématiques.
Plus le parcours est imposé, plus le visiteur est guidé à travers l’entièreté de l’exposition et accompagné dans sa démarche, afin qu’il ne rate aucun objectif de celle-ci. A contrario, plus le parcours est libre, plus il responsabilise le visiteur, qui doit s’approprier l’exposition et en être l’acteur. Mais la liberté d’une visite ne doit se faire qu’avec un minimum d’indications afin qu’il puisse être actif en toute connaissance de cause, et ne pas rater des parties de l’exposition. Un espace sans structure définie, comme au Musée de l’Insurrection de Varsovie, a pour conséquences que le visiteur est perdu au milieu d’une série d’expériences. Le manque de structure rationalisante peut le conduire à s’imprégner beaucoup plus des émotions ressenties dans son parcours. La liberté proposée sur le site naturel de la Westerplatte a également une autre conséquence : le visiteur se faisant promeneur, l’agrément de la visite en est augmenté.
Rue reconstituée dans le Musée d’histoire des juifs de Pologne. © auteur
Une « station » de l’exposition « A spa, a bastion, a symbol », Westerplatte. © auteur
5. Les moyens d’exposition
Les moyens interactifs sont importants dans les musées, particulièrement dans les muséographies récentes. Ils impliquent le visiteur dans le fonctionnement de l’exposition, ce n’est donc pas étonnant que le Musée de l’Insurrection de Varsovie ait opté pour ce système-là. Ils permettent d’agrémenter et de rendre plus « digeste » la matière transmise, ainsi que d’intéresser une catégorie particulière : les enfants. Mais le média doit être utilisé avec attention : au Centre Européen Solidarité, des photos particulièrement choquantes étaient cachées derrières des panneaux, à hauteur des plus jeunes, qui risquent de s’empresser de soulever ceux-ci. La photographie est un média qui permet au visiteur d’appréhender une série d’informations en un clin d’œil. Bien contextualisée, elle permet également à celui-ci de plonger dans la situation décrite. Certains musées l’utilisent agrandie, pour attirer le regard du visiteur et l’emmener vers la section, afin d’en découvrir d’autres, plus petites.
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Musée de l’Insurrec6on de Varsovie
Musée d’histoire des juifs de Pologne
Musée Na6onal de Varsovie
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Interac6on
Le musée est construit sur l’interac"on: lune es pour voir des photographies, bruit émanant des murs, passage dans des égouts.
Très présente, le visiteur est invité à imprimer son propre dessin, à effectuer une danse du début du siècle, à passer un test pour déterminer l’ancien par" juif qui correspondrait à ses idées.
Les enfants peuvent être ini"és à la découverte de l’art via des ac"vités, perme ant, notamment de bien observer les couleurs.
Du matériel est mis à disposi"on des visiteurs : ils peuvent s’assoir sur une machine de chan"er, à une table de négocia"on, dans un fourgon. Ils peuvent également laisser un mot sur le dernier mur.
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Photographie
Les photographies sont très présentes, témoignant ainsi des destruc"ons lors de l’insurrec"on
Elles apparaissent dans les dernières galeries. Pour les temps plus anciens, le musée fait appel aux enluminures et illustra"ons d’époque.
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Très présentent, elles peuvent servir de témoignages, certaines sont agrandies pour orner les cimaises, elles aZrent ainsi vers leur sec"on.
Présente à chaque palier de l’escalier, pour montrer Gdansk détruit après la guerre.
Elles cons"tuent l’essen"el des panneaux d’exposi"ons, en étant accompagnes de cita"ons et de pe"ts textes explica"fs
Technologie
Certains ordinateurs sont mis à disposi"on afin d’accéder à plus d’images, un documentaire est projeté.
Omniprésente : elle permet d’accéder à une bibliothèque en ligne de manuscrit et écrits anciens, de suivre une image projetée et animée, …
Pas de technologie visible autrement que pour une vidéo parlant de la restaura"on d’un tableau.
Très présente : des table es sont mises à disposi"on et perme ent au visiteur d’accéder à une banque de donnée d’images. Tableaux interac"fs en panne.
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Témoignage
Beaucoup via des objets, mais également par des images d’archives et des écrits.
Créa"on de personnages anciens qui témoignent, pour chaque époque évoquée.
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Ils sont très présents, par photographie, écriture, mais aussi oraux, via des téléphones.
/
Cita"ons de personnages historiques
Recons6tu6on
Elles sont nombreuses : égout, imprimerie clandes"ne, avion, ruines
Mul"ples : la synagogue, une rue du début du XXe siècle, une place de marché (ces deux dernière u"lise la technique de projec"on d’images)
/
Un appartement de l’époque communiste permet de se rendre compte de leur taille, une salle est ornée de casiers des ouvriers, …
Une recons"tu"on d’une scène de guerre avec des soldats français du XVIIIe dans la cour, au dernier étage une série d’espaces invoque la vie d’avant guerre.
/
Fig. 6 : Les moyens d’exposition des musées.
Le témoignage procède au même appareil didactique et ludique que la photographie et l’interaction : il est nettement moins fastidieux et plus rapide d’écouter que de lire, c’est pourquoi les témoignages oraux ou audio-visuels sont de plus en plus utilisés. Les objets utilisés comme témoignages (comme une veste trouée de balles) marquent les esprits. La problématique du témoignage, c’est qu’il implique la subjectivité du témoin. Or, il est assez difficile de sensibiliser le visiteur à avoir un esprit critique. Le Musée de l'Histoire des Juifs polonais suggère des solutions : vérifier les récits ou en créer, à partir de plusieurs extraits. Mais est-ce alors vraiment un témoignage ? Les reconstitutions sont en quelque sorte du même acabit : elles permettent au visiteur une découverte ludique mais doivent être remises en contexte et comporter un minimum d’explications pour que de visiteuse, la personne ne se retrouve pas enquêteuse. Si ces reconstitutions sont accessibles au public ou si au contraire elles sont derrière une vitre, comme c’est le cas à l’Hôtel de Ville de Gdańsk, la perception et donc l’objectif de ces montages sera atteint ou pas. La technologie est de plus en plus présente partout. D’une part, elle donne accès à des banques de données, permettant ainsi la conservation de certains objets trop fragiles mais également le retour à une muséologie d’accumulation. En effet, les musées ne peuvent exposer, pour la clarté du message et par manque de place, qu’une infime partie de leur collection. En utilisant des bases de données, elles donnent accès à ces stocks d’informations pour le visiteur un peu plus curieux. Ce qui n’est pas sans ramener un manque de clarté car le visiteur peut se perdre parmi toutes les informations proposées, parfois, avec peu de structures. D’autre part, la technologie permet la projection de documentaire, mais également d’images animées, de textes, etc. Ceci est aussi très didactique, mais entraîne une contrainte d’obscurité. Par contre, l’utilisation des ordinateurs et tablettes rend le musée dépendant de celle-ci. Le coût de l’entretien de ces médias est élevé, et l’évolution des techniques telle que l’exposition toute entière risque de se retrouver très vite dépassée.
6. Les « accessoires » de l’exposition
La lumière naturelle est généralement supprimée des expositions. Si cela permet certaines techniques comme la projection, cela entraîne également un certain cloisonnement de l’espace d’exposition, dans lequel le monde extérieur n’interfère plus. L’exposition « A spa, a bastion, a symbol », isolée sur la Westerplatte, a opté pour une exposition en plein air, la lumière y est donc naturelle, mais la qualité des visites peut donc dépendre donc de la luminosité. La lumière artificielle peut être utilisée sous forme de « spots » pour attirer le 181
Musée de l’Insurrec6on de Varsovie
Musée d’histoire des de Pologne
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Eclairage
Les fenêtres sont condamnées, un certain tamisage des lumières donne une atmosphère, et une obscurité presque totale règne dans la sale de projec"on.
L’exposi"on étant en soussol, il n’y a pas de lumière naturelle, ce qui permet de nombreuses projec"ons, et implique que chaque élément de lumière aZre le regard sur ce qu’il éclaire.
Des spots éclairent les œuvres, un fin espace audessus des cimaises permet à la lumière naturelle de percer, des murs blancs perme ent une diffusion op"male de la lumière.
Sépara"on symbolique entre les deux dernières pièces blanches et lumineuses et le reste de l’exposi"on, d’atmosphère plus sombre.
C’est la lumière naturelle qui éclaire le site, celui-ci étant au grand air.
Mobilier de repos
Peu de mobilier de repos, en dehors de la salle de projec"on.
Lorsqu’il y en a, c’est en face d’ac"vités, de lectures : même au repos, le visiteur reste ac"f.
Peu de mobilier de repos, perme ant d’observer les œuvres.
Les mobiliers de repos n’existent pas. Les seuls sièges disponibles sont consacrés aux ac"vités d’interac"on.
La lumière naturelle passe à travers les vitres de plusieurs pièces, aidée et supportée par certains spots, qui éclairent l’ensemble de la pièce, et non des objets en par"culiers. /
Accueil et guidance
L’accueil se fait dans l’entrée même du musée, un guide nous ayant accueilli, nous n’avons pas eu de plan. Par contre, dans certains espaces, des fiches de textes en anglais et polonais peuvent donner un mot d’explica"on
L’accueil s’effectue dans le hall du musée. Une guide nous a prise en charge, avec des audioguides ; les textes explica"fs, en anglais et polonais, sont nombreux, disposés sur les cimaises
Au rez-dechaussée, on est accueilli à la caisse, où nous recevons un plan du musée, en anglais ou polonais. En dehors des cartels, peu d’explica"on sont disponibles.
Les expériences, interac"vités, photographies, recons"tu"ons sont accompagnées d’un cartel, en polonais et en anglais (sous"tres en anglais des documents filmiques). Cependant aucune contextualisa" on ne permet de se retracer l’histoire du mouvement.
L’accueil se fait à la caisse, où nous avons reçu une brochure en allemand (plus de stock pour l’anglais), présentant le musée de la ville de Gdansk dans son ensemble.
Au centre des sta"ons, une structure sert de banc, mais de là, on ne peut lire tous les panneaux orientés différemment et recto-versos. Au début du cheminement, un plan indique les différentes sta"ons. Sur chaque panneau l’anglais et le polonais sont de mise.
Fig. 7 : Les « accessoires » d’exposition des musées.
regard, mettre en valeur des objets, mais également pour jouer sur l’atmosphère et sur la symbolique (comme pour les deux dernières pièces du Centre Européen Solidarité, signe de dénouement, d’espoir et d’avenir). Le mobilier de repos nous a semblé très peu présent. Pour certains des musées visités, cela peut être le signe qu’ils attendent du visiteur une grande activité. C’est pourquoi ils optent 182
pour des emplacements permettant de continuer sa visite, sans temps morts. Peut-être est-ce également dû au manque de place (comme pour l’Hôtel de Ville de Gdańsk). Seule l’exposition de la Westerplatte dispose d’une structure de repos, mais elle ne permet pas vraiment de lire les panneaux. Peut-être est-ce le moment où l’exposition invite à profiter du cadre ? Plus les textes sont peu nombreux, plus le musée propose au visiteur de chercher lui-même l’information, dans une démarche de pro-activité (en dehors des musées d’arts). Les langues des informations textuelles sont limitées : le polonais et l’anglais, de temps en temps l’allemand, le russe ou l’italien. Ce sont les Polonais qui sont principalement visés mais peut-être y a-t-il un manque d’ouverture aux autres pays proches, alors que la Pologne est maintenant dans l’Europe ? Ou bien tout simplement la multiplication des langues sous forme de textes rendrait-elle ceux-ci illisibles ? Par ailleurs, une nouveauté dans l’accueil de groupe tel que le nôtre fait son apparition dans le monde muséal : le guide parle dans un micro, les visiteurs l’entendent dans des oreillettes. Si ce dispositif permet au guide de ne pas s’époumoner, et au visiteur d’avoir plus d’indépendance dans sa visite, il a cependant deux inconvénients. D’une part, c’est faire dépendre la qualité de la visite guidée d’un instrument technique (la réception n’est pas toujours bonne), d’autre part, en individualisant ainsi le visiteur, le groupe perd peut-être de sa connexion (les Salle dédiée aux Old Masters, Musée Nationale de Varsovie. On peut y voir l’importance du dispositif d’éclairage et la mise en valeur des œuvres. © E. Moutquin échanges étant rendus difficiles par la dispersion des membres du groupe).
7. La sensibilisation à la restauration et à la conservation
Les musées possèdent peu d’objets ; il est donc normal que les questions de restauration et de conservation soient éludées. Cependant, ils peuvent insister sur les conséquences des destructions de guerre, ce qui sensibilise indirectement le visiteur à l’importance de la reconstruction de la ville. De manière plus directe, l’Hôtel de Ville de Gdańsk expose les restes d’un escalier qui a été reconstruit pour la restauration de la maison, et le Musée National de Varsovie, montre une vidéo détaillant les étapes de la restauration d’un chef-d’œuvre national. C’est autant de moyens de sensibiliser les visiteurs non seulement au travail accompli, mais également à l’argent investi par l’Etat dans la culture. 183
Musée de l’Insurrec6on de Varsovie
Musée d’histoire des juifs de Pologne
Musée Na6onal de Varsovie
Centre européen Solidarité
Hôtel de ville de Gdansk
“A spa, a bas6on, a Symbol”
Restaura6on
Photographi es de la ville détruite.
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Vidéo expliquant la restaura"on de La bataille de Grunwald.
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Conserva6on
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Appareil réglant la climatologie posé au centre d’une pièce. Passage dans certaines galeries via des portes d’isolement à ac"onner par interrupteur
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Photographie s de la ville détruite et présence des restes de l’escalier d’origine. /
Présence de gardien, de vitrines, de fils empêchant de s’assoir n’importe où, …
Fig. 9 : Sensibilisation des visiteurs aux problématiques de restauration et de conservation.
La conservation n’est évoquée que dans le cadre des musées d’art. Tous les deux, par la présence non dissimulée d’éléments protégeant les pièces, peuvent transmettre inconsciemment la notion de conservation du patrimoine et la fragilité de celui-ci.
8. Pour aller plus loin
Il est évident que le nombre de caractéristiques évoquées dans cet article est fort limité. Maintenant que vous avez eu un aperçu de ce type d’analyse, c’est à vous de jouer. Parcourez d’autres musées, selon d’autres éléments. Pourquoi ne pas chercher après les différents types de cimaises (couleur, matière, flexibilité, rôle), les cadres, les socles (présence ? quelle forme ? quel rôle ?), de qui sont constituées les équipes des musées ? Y a-t-il des tendances d’expographie ?
Š Ins"tut Polonais de Bruxelles et auteurs des textes. 2015 101