Souvenirs du futur

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Frédéric Jaccaud François Rosset Francis Valéry Vincent Verselle Michel Viegnes

Les quelques 100 000 objets qui constituent les collections de la Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires basé à Yverdon-les-Bains en Suisse, sont d’une richesse inégalée en Europe. Paradoxalement, ils n’ont été que peu présentés jusqu’à maintenant. Publié à l’occasion du vernissage de l’exposition permanente Souvenirs du Futur, cet ouvrage propose un point de vue inédit sur une culture à la fois répandue et méconnue : celle de la science-fiction et de ses origines.

Cet ouvrage sans équivalent intéressera tant les amateurs et les curieux, que les connaisseurs ou les novices.

Marc Atallah Frédéric Jaccaud Francis Valéry

Les miroirs de la Maison d’Ailleurs

Constitué de neuf textes et de neuf encarts thématiques, très richement illustré, ce recueil offre une succession de regards singuliers sur l’histoire de l’imaginaire conjectural. L’utopie, les voyages imaginaires, la vulgarisation, le merveilleux scientifique, les pulps, la bande dessinée ou le cinéma constituent autant de perspectives, qui, éclairées par une iconographie exceptionnelle, convient le lecteur à un voyage dans son propre imaginaire. Les genres conjecturaux ont en effet toujours proposé de réfléchir le présent par un détour vers l’ailleurs.

Sous la direction de :

Souvenirs du Futur

Marc Atallah Alain Boillat Pierre Bordage Danielle Chaperon Laurent Guido

Les miroirs de la Maison d’Ailleurs

Maison d’Ailleurs

ISBN 978-2-88074-999-6

Presses polytechniques et universitaires romandes

Presses polytechniques et universitaires romandes


Les miroirs de la Maison d’Ailleurs Sous la direction de Marc Atallah, Frédéric Jaccaud, Francis Valéry

Utopie, voyages imaginaires, merveilleux scientifique, pulps, bande dessinée, cinéma… une plongée au cœur de la science fiction et de ses origines

Disponible en librairie, ou via commande directe ici.


Souvenirs du Futur Les miroirs de la Maison d’Ailleurs

Sous la direction de:

Marc Atallah Frédéric Jaccaud Francis Valéry

Presses polytechniques et universitaires romandes

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Cet ouvrage est publié avec le soutien de la Maison d’Ailleurs et de la ville d’Yverdon-les-Bains que l’éditeur tient à remercier. Concept graphique et réalisation : Notter + Vigne, Lausanne Photolithographie : Sébastien Jaccard, Yverdon-les-Bains La Fondation des Presses polytechniques et universitaires romandes (PPUR) diffuse principalement les travaux d’enseignement et de recherche de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), des Universités et des Hautes Ecoles francophones. www.ppur.org Première édition ISBN 978-2-88074-999-6 © Presses polytechniques et universitaires romandes (CH-1015 Lausanne) & Maison d’Ailleurs (CH-1400 Yverdon-les-Bains), 2013, pour les textes © Maison d’Ailleurs (CH-1400 Yverdon-les-Bains), 2013, pour les images Tous droits réservés. Reproduction, même partielle, sous quelque forme ou sur quelque support que ce soit, interdite sans l’accord écrit de l’éditeur. Imprimé en Italie

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Table des matières

Avant-propos

Les Souvenirs du Futur de la Maison d’Ailleurs

8

Marc Atallah

Partie I

Prédire le monde : avant la science-fiction

14

Chapitre 1

Les Utopies, ces miroirs distanciés de la Modernité

20

Marc Atallah

Chapitre 2

Zoom Meilleur des mondes ou pire des mondes ?

37

Tempêtes opportunes et dragons véritables : les voyages imaginaires

40

François Rosset

Chapitre 3

Zoom De l’exaltation à la fin du monde

55

La science animée : vulgarisation et littérature de fiction

58

Danielle Chaperon

Chapitre 4

Zoom L’esprit conjectural dans les grands périodiques du XIXe siècle

75

Les inventeurs d’univers : l’émergence du merveilleux scientifique dans les années 1850–1900

78

Michel Viegnes Zoom H. G. Wells et les « scientific romances »

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93

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Partie II

Dire le monde : la science-fiction moderne, une lecture du réel

96

Chapitre 5

L’inéluctable apparition d’un genre littéraire : la science-fiction (1900–1950)

102

Frédéric Jaccaud

Chapitre 6

Zoom Les fascicules, supports d’une fiction mineure

119

L’univers des pulps

122

Francis Valéry Zoom Sept illustrateurs de pulps Chapitre 7

A la découverte d’autres mondes : voyage autour de la bande dessinée franco-belge de science-fiction

141

144

Alain Boillat Zoom L’imaginaire spatial dans la bande dessinée étasunienne des années 1950 Chapitre 8

Images du corps technologique dans le cinéma de science-fiction

161

164

Laurent Guido Zoom Famous Monsters Chapitre 9

Un discours venu d’ailleurs (ou presque)

181

184

Vincent Verselle Zoom Vivre en (science-)fiction : les jeux de rôle

Postface

Laboureur…

Pierre Bordage

Annexes

Biographies Remerciements et crédits L‘histoire de la science-fiction selon Ward Shelley

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205

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214 218 …

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Avant-propos

Marc Atallah, Directeur de la Maison d’Ailleurs

Les Souvenirs du Futur de la Maison d’Ailleurs

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L’histoire de la science-fiction a déjà été maintes fois contée : cette culture que l’on suppose a priori relever spécifiquement de notre époque se diluerait en fait dans les confins de l’imaginaire humain, ou remonterait à l’Antiquité, ou encore prendrait racine dans un XIXe siècle industriel et industrieux. Or, cette histoire ou plutôt ces histoires brillent toutes par leur volonté d’éclaircissement mais elles pèchent également toutes par une orientation méthodologique partiale et souvent peu questionnée : elles offrent en effet pour la plupart un point de vue singulier sur la généalogie présumée des thèmes – ces thèmes qui sont en général au cœur de l’expérience que nous avons faite ou que nous faisons des films ou des romans de science-fiction ; les robots et les cyborgs contemporains trouveraient leur origine dans le motif classique de l’automate ou, plus anciennement encore, dans celui des servantes dorées d’Héphaïstos ; le voyage vers des planètes éloignées proviendrait des voyages imaginaires du XVIII e siècle de Jonathan Swift ou de Daniel Defoe, voire du rêve viatique de Lucien de Samosate dans son célèbre Veræ Historiæ (II e siècle après Jésus-Christ). Pour quiconque se penche sur ces questions de chronologie, il est aisé d’observer deux tendances distinctes : une tendance macroscopique et une tendance microscopique. Alors que la première, conquérante, inscrit la science-fiction dans une tradition qui ne peut être datée tant elle est consubstantielle à la créativité humaine, la seconde, plus modeste, évite les généralités pour se restreindre aux nuances, aux particularismes. L’une et l’autre de ces tendances ont évidemment leurs avantages et leurs inconvénients : la science-fiction serait un des modes fondamentaux du rapport de l’homme au monde dans la tendance macro, une forme historique – et, partant, restreinte – de ce rapport dans la tendance micro. La Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction, de l’utopie et des voya­ ges extraordinaires à Yverdon-les-Bains, est un lieu habituellement perçu comme un espace d’expositions : des artistes du monde entier s’y succèdent, les visiteurs en contemplent les œuvres, les collections muséales viennent soutenir le propos muséographique et esthétique. Pourtant, une des activités souterraines du musée – souterraine, mais en aucun cas marginale – est de réfléchir en permanence à ce qui pourra, par la suite, être présenté aux explorateurs de ce lieu. Cette activité, de nature scientifique, interroge constamment, d’une part, la nature de la science-fiction,

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Les Souvenirs du Futur de la Maison d’Ailleurs

Marc Atallah

de l’utopie et des voyages extraordinaires, et, d’autre part, la porosité qui semble qualifier cette même nature. Pour répondre à ces interrogations, nous avons la chance de pouvoir compter sur plus de 100 000 documents constituant nos collections et qui, pour une bonne partie d’entre eux, ont été rassemblés, inventoriés, étudiés par le fondateur de la Maison d’Ailleurs et auteur de l’Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction (1972) : Pierre Versins. L’apport de cet infatigable érudit ne saurait être réduit à son rôle de premier directeur du musée yverdonnois (de 1976 à 1981), puisque le cœur de ses idées – son véritable héritage intellectuel – bat toujours entre les murs des bureaux de recherche. Il est l’un des intellectuels ayant le plus contribué à penser la science-fiction, en particulier grâce à l’invention d’un outil destiné à comprendre la nature des genres dont nous nous occupons au musée et la porosité de leurs interrelations : cet outil s’appelle la « conjecture romanesque rationnelle » et il se définit comme l’exercice mental consistant à extrapoler rationnellement un état de fait actuel vers un autre état de fait, virtuel celui-ci. Les œuvres conjecturales regroupent donc des fictions distanciées, miroirs déformés par l’action de la conjecture, qui offrent à leurs destinataires une image autre du monde, de leurs semblables et d’euxmêmes : l’Ailleurs n’est formé qu’en vue de l’Ici, la Fiction est un point de vue original sur le Réel. Une autre force de l’outil conceptualisé par Versins est de conduire à préciser la nature du genre en fonction du type de conjectures mises en scène : les utopies s’originent dans des extrapolations sociopolitiques ou socio-économiques ; les inventions de couleurs technoscientifiques délimitent quant à elles la science-fiction. Quant aux voyages imaginaires, non conjecturaux à proprement parler, ils forment le chaînon manquant entre les utopies et la science-fiction puisqu’ils intègrent la tradition séculaire des récits viatiques, mais en combinant cette dernière avec la nécessité moderne de justifier, rationnellement, le mode de déplacement dans l’espace : on ne s’envole plus sur la Lune ou sur Mars en rêve, mais sous l’égide de savoirs scientifiques nouveaux et à l’aide de dispositifs techniques ingénieux. Il est à ce stade aisé de comprendre comment, à partir de ces définitions a minima, les relations entre les genres peuvent être rendues plus intelligibles. Les œuvres de l’imaginaire humain reflètent en partie leur contexte historique, mais elles dialoguent également avec celles

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qui les ont précédées : les conjectures de la science-fiction, pour ne citer qu’elles, gagnent souvent en densité lorsqu’elles sont mises en parallèle, dans leurs effets ou leurs pertinences, avec celles des utopies classiques. Elles permettent en effet de rappeler – non par le discours théorique, mais par la mise en fiction – que derrière toute innovation technologique se cachent, le plus fréquemment, des espoirs utopiques qui, comme tout espoir de cette sorte, s’accompagnent des traits mis en lumière par… les utopies, justement ! Les fictions conjecturales, distanciées, viennent par conséquent exhiber, en s’appuyant sur une représentation d’univers alternatifs ou futurs, certaines des tendances esquissées par la réalité : elles sont les traces que notre actualité aurait laissées si elle s’était dirigée dans cette direction, elles évoquent les conséquences autant positives que négatives de nos projets et de nos progrès. Elles sont donc en quelque sorte des Souvenirs du Futur. L’objectif de cet ouvrage n’est pas de proposer une histoire de la sciencefiction ou d’étudier dans les détails les implications textuelles, filmiques, historiques de la conjecture de Versins. Il vise au contraire, par le biais d’une sélection iconographique rigoureuse, à mettre en valeur les collections de la Maison d’Ailleurs – leur diversité, leur richesse, leur beauté. Il allait cependant de soi que la réalisation d’un tel projet ne pouvait être menée à bien sans le choix d’un axe directeur, d’une logique ordonnatrice : la succession d’images peut être parlante, ici elle ne l’était pas. Pour donner du sens à ce silence, il était ainsi essentiel de proposer un discours général côtoyant les objets de nos collections – objets qui, dans un premier temps, furent regroupés par catégorie de supports (livres anciens, romans, bandes dessinées, films, etc.). L’établissement de ce discours a ensuite été confié à différents contributeurs qui devaient, chacun, proposer un point de vue historique et thématique singulier sur la sélection d’objets qui leur avait été attribuée : le talent des auteurs a produit de magnifiques essais, l’amitié et la stimulation qui ont irrigué la phase d’écriture leur ont permis d’accepter de « jouer le jeu » des multiples discussions que ces textes ont suscitées. Ces essais, le lecteur s’en apercevra tout de suite, sont de nature différente : certains sont plus ardus, d’autres plus universels, d’autres encore plus panoramiques. La raison de cette composition n’est pas à chercher dans une volonté d’obscurcissement, au contraire : il est parfois essentiel de passer par une abstraction minimale

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Les Souvenirs du Futur de la Maison d’Ailleurs

Marc Atallah

afin d’éviter les raccourcis trompeurs et les généralisations abusives. Au demeurant, il nous a semblé fondamental de présenter dans un seul ouvrage la palette de réflexions qu’il est possible d’amorcer aujourd’hui autour d’un imaginaire qui, sous bien des aspects, a souvent été traité avec condescendance. Le résultat, finalement, correspond en tout point à ce que nous attendions : les essais de cet ouvrage – suite d’instantanés, de plans de coupe dans le cheminement historique de l’imaginaire humain – permettent au lecteur de suivre un parcours original à travers les siècles et, par extension, de lui offrir les clés de compréhension des divers objets composant les collections de la Maison d’Ailleurs. Ce livre se veut plus concrètement le reflet des diverses voies narratives ou esthétiques préconisées par les écrivains, les réalisateurs et les artistes au cours des siècles. C’est au reste pour cela que nous avons opté pour une logique de « module », c’est-à-dire pour l’association d’un article thématique (en pages claires) et d’un « zoom » (en pages sombres) : le premier traite d’une partie spécifique de nos collections et le second, rédigé par l’équipe du musée (tout comme les deux introductions générales), vient compléter le propos de l’article principal par la mise en évidence d’un sujet inédit. C’est donc à un double niveau de dialogue que ce catalogue convie son lecteur : le dialogue entre un texte singulier et les documents qui en sont à l’origine ; le dialogue entre un « zoom » et l’article qu’il complète. Il y a neuf essais, neuf zooms et, partant, dix-huit perspectives différentes sur une culture protéiforme et impossible à embrasser dans son intégralité. Les histoires ne peuvent en effet jamais être exhaustives et la nôtre, pas plus que celles qui l’ont précédée, ne remettra cette règle en question. Par contre, l’histoire par étapes racontée au cours de cet ouvrage est celle à laquelle nous rêvions sans jamais oser l’espérer, car, tout comme la Maison d’Ailleurs, elle s’appuie sur les collections pour rayonner et elle met en scène des Souvenirs du Futur qui, invariablement, parlent de nos réalités et à nos réalités. Avant de souhaiter au lecteur un parcours fascinant, je tiens, à titre personnel, à remercier les personnes sans qui cette histoire serait restée un vœu pieux, un Futur sans Souvenirs. Mes remerciements chaleureux vont à Olivier pour avoir cru à ce projet dès le départ, à mes différents collègues universitaires – Danielle, François, Laurent, Alain, Michel, Vincent,

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Pierre – pour leur enthousiasme et leur engagement, à Julien et Sébastien pour leur acuité graphique, à Yves pour s’être enfermé pendant des heures à photographier les œuvres du musée, à Francis pour son habileté à faire surgir des débats incroyablement passionnants – et à Fred, sans qui, je le crois bien, rien de tout cela n’aurait pu être accompli. Et maintenant, place aux Souvenirs du Futur de la Maison d’Ailleurs…

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Partie

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I

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Prédire le monde : avant la science-fiction

Utopie, voyage extraordinaire, récits scientifiques ou imaginaires, sciencefiction… les termes ne manquent pas pour définir un mouvement qui englobe une masse d’œuvres que l’on résume, suivant les époques, à quelques éléments saillants, à quelques clichés, à quelques auteurs qui définissent finalement, plus des tendances périodiques qu’un phénomène de création absolu. De fait, ces fictions réunies sous une même étiquette sont pour le moins disparates, étalées dans le temps, dissemblables au niveau de leurs origines. Pourtant, il ne fait aucun doute qu’elles tissent entre elles des rapports soutenus et qu’elles cachent en leur sein une génétique commune. Héritier d’auteurs antiques employant la fiction comme un outil de démonstration philosophique, Thomas More compose son Utopia en 1516. Il initie, sans le vouloir, un type de récit – la fiction comme espace théorique – qui se perpétue sous plusieurs formes jusqu’à nos jours. L’utopie est un terme ambigu tout autant qu’il définit l’ambiguïté. De la sorte, l’utopie incarne aussi bien le non-lieu et le lieu du bien. L’île d’Utopia, le jardin de Rousseau, la Cité du Soleil de Campanella ou l’Abbaye de Thélème de Rabelais sont autant de lieux édéniques séparés du monde par la mer, les montagnes, le ciel ou des remparts ; mais l’utopie n’est pas le lieu du rêve, ce n’est pas une fantasmagorie. Elle existe en tant qu’idéal

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Marc Atallah

Chapitre 1

Les Utopies, ces miroirs distanciés de la Modernité

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1516. Cette date correspond en fait à la publication chez Dirk Martens à Louvain (Flandres) de l’ouvrage édité par Erasme et rédigé par Thomas More, De Optimo Reipublicae Statu, deque Nova Insula Utopia (« L’île nouvelle d’Utopie ou le traité de la meilleure forme de gouvernement »). A en croire les rééditions qui se sont succédé au cours des XVI e et XVII e siècles dans le monde européen et les multiples traductions qui en ont été faites, ce petit texte connut un immense succès : l’Utopie intriguait par sa composition étonnante, mettait en scène de manière originale d’importantes problématiques soulevées par les humanistes de la Renaissance et créait un lieu – ou plutôt un « non-lieu » (u-topos, qui donnera le mot « utopie ») – fictionnel singulier. Il serait pourtant terriblement réducteur de limiter cette réussite éditoriale à la seule richesse du récit ou de ses thématiques ; la force de l’Utopie est aussi d’avoir creusé, involontairement, des filons dans lesquels l’imaginaire humain allait très rapidement pouvoir s’engouffrer. L’ouvrage de More fut en effet à l’origine de nombreuses vocations : on écrivit des utopies, beaucoup d’utopies – parfois proches de celle du chancelier d’Henri VIII, parfois fort éloignées –, mais aussi nombre de mini-utopies ou, plus précisément, d’enclaves utopiques placées au cœur de récits eux-mêmes non utopiques. C’est ce que l’on observe, pour ne citer que quelques exemples, dans le Gargantua de Rabelais (1534), Les Aventures de Télémaque de Fénelon (1699), les Voyages de Gulliver dans des contrées lointaines de Jonathan Swift (1726) ou encore Le Philosophe anglais ou Histoire de M. Cleveland, fils naturel de Cromwell de l’Abbé Prévost (1731–1739). Ce « petit travail de rien » qu’est l’Utopie, comme le qualifiait modestement son auteur, est par conséquent à la fois un texte singulier, irréductible à toute catégorie générique surplombante, et l’instigateur, bien malgré lui, d’une tradition discursive traversant les siècles : l’Utopie a d’ailleurs été propulsée parangon ultime du genre littéraire de l’utopie (voire, pour certains commentateurs, racine symbolique des voyages imaginaires, des voyages extraordinaires, des dystopies et des romans de science-fiction). Dès que l’on évoque ces ouvrages que sont, entre autres, le Reipublicae Christianopolitanae Descriptio d’Andreae Johann Valentin (1619), Les Avantures de Jacques Sadeur dans la découverte et le voiage de la Terre australe de Gabriel de Foigny (1676), Nouvelle relation du voyage du prince de Montberaud dans l’isle de

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Les Utopies, ces miroirs distanciés de la Modernité

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Naudely de Pierre de Lesconvel (1703) ou L’Isle de la raison, ou les petits hommes de Marivaux (1727), on ne peut en effet s’empêcher de revenir encore et toujours à Thomas More et d’étudier comment ces textes se situent face au « modèle » du genre, d’en mesurer la distance les séparant de l’utopie « pure ». Or, l’homonymie qui a été historiquement établie par la critique entre le titre du récit morien et celui de la famille discursive à laquelle il serait censé ressortir, est génératrice d’ambiguïtés parfois fâcheuses, puisque l’interprétation qui sera donnée au texte de 1516 interférera avec celle attribuée aux autres membres du genre : l’Utopie est-elle analysée au travers d’un prisme politique ? Toutes les utopies deviennent politiques. Est-elle perçue à travers un crible philosophique, psychanalytique ou chrétien ? Alors ce sont toutes ses congénères qui deviennent philosophiques, psychanalytiques ou chrétiennes… Cette malléabilité interprétative – induite sans doute par la versatilité de l’ouvrage écrit par Thomas More – a conduit à une profusion de jugements, ceux-là mêmes dont nous disposons aujourd’hui pour caractériser les utopies : elles seraient de simples rêves chimériques, des programmes politiques quasiment aboutis, des jeux intellectuels innocents, les prémices symboliques de l’idéologie communiste, des exercices de style, une satire de leur temps... Il paraît bien difficile de faire la part des choses, tant les jugements contradictoires foisonnent et, partant, continuent à justifier le fait de se poser la même question, encore et encore : comment donner du sens à cet ouvrage polysémique qu’est l’Utopie et à la tradition qu’il a contribué à engendrer ? L’enquête philologique menée par Roger-Michel Allemand (L’Utopie, 2005) permet d’apporter un premier élément de réponse : c’est parce qu’un glissement sémantique s’est produit au cours des siècles que la signification des utopies oscille perpétuellement. En effet, alors qu’au départ le néologisme inventé par le chanCyrano de Bergerac, celier d’Henri VIII référait exclusivement « Histoire comique des Etats au titre de son œuvre, le mot « utopie » reset Empires de la Lune » in surgit au XVIII e siècle, intègre les dictionLes Œuvres de Monsieur de naires français (celui de Trévoux en 1771, Cyrano Bergerac, Amsterdam, celui de l’Académie en 1798) et se dote de Jacques Desbordes, 1709.

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deux significations : l’utopiste est, littéralement, « celui qui écrit des utopies » et, de manière figurée, « celui qui croit aux utopies ». Puis, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier sous l’influence de Pierre-Joseph Proudhon et Friedrich Engels, le terme « utopie » devient symétriquement synonyme d’un « projet de société dont on envisage la concrétisation à plus ou moins brève échéance » ou de « fiction littéraire située dans le passé, le présent ou l’avenir ». Allemand est sévère, mais néanmoins lucide : ces fictions littéraires que sont les utopies ont été petit à petit récupérées par la sphère politique et, in extenso, par les sphères religieuse, économique ou philosophique. Ce premier élément de réponse ne doit toutefois pas nous aveugler, car le sens n’apparaît pas en pleine lumière sitôt ses dérives pointées. En revanche, il nous faut garder en mémoire ce que nous venons de suggérer : il y a apparemment quelque chose d’essentiel dans l’utopie, puisque de nombreux penseurs ont essayé de se l’accaparer.

Des miroirs originaux… Le second élément de réponse sera découvert en faisant passer les utopies par le filtre de l’herméneutique littéraire – sans pour autant que cette décision rende caduques les autres cribles interprétatifs. La démarche préconisée ici vise plutôt à mettre l’accent sur certaines des dimensions fondamentales de cette famille textuelle en vue de permettre une meilleure compréhension de ce qui a été initié par l’Utopie de Thomas More et perpétué par ses épigones : les récits utopiques révéleront alors certaines de leurs richesses. Or, s’il s’avère que l’analyse littéraire s’est très souvent emparée du genre utopique, c’était la plupart du temps pour se focaliser sur les thèmes communs aux différents ouvrages : l’insularité, l’imprescriptibilité de la loi, l’organisation rationnelle de la cité, l’égalité absolue, le renouveau de l’éducation ou des mœurs sexuelles... Cependant, aborder l’utopie par les motifs qu’elle convoque, nous confronte à un écueil redoutable : l’illusion générique. Autrement dit, c’est parce qu’on présuppose l’appartenance de textes singuliers à une catégorie générale forgée a posteriori, que l’on croit justifié d’accorder une importance particulière à la manière dont les thématiques évoluent au cours des siècles. Cette méthode est malheureusement problématique car, s’il y a bel et bien des utopies-îles, toutes les îles littéraires ne sont pas utopiques – il

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Louis-Sébastien Mercier, L’An 2440, rêve s’il en fût jamais, Londres, s.e., 1771. Thomas More, Idée d’une République heureuse ou l’Utopie, Amsterdam, Chez François L’Honoré, 1730.

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Emile Souvestre, Le Monde tel qu’il sera, Paris, W. Coquebert,  1 846. Albert Robida, « La guerre au vingtième siècle », in La Caricature, no 200, 27 octobre 1883. Comte Didier de Chousy, « Ignis », in La Science illustrée, 1896. Karel Capek, R.U.R. (Rossum’s Universal Robots), New York, Doubleday, Page & Co., 1923. Evgeni Zamiatine, Nous autres, Paris, Gallimard, NRF, 1929. Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes, Paris, Plon, Feux croisés, 1933. Georges Orwell, 1984, Paris, Le Livre de Poche, no 1210–1211, 1964.

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François Rosset

Chapitre 2

Tempêtes opportunes et dragons véritables : les voyages imaginaires

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Les trente-six volumes des Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques publiés par Charles-Georges-Thomas Garnier en 1787–1789 ne pouvaient pas manquer à la collection de la Maison d’Ailleurs. C’est à cause de cette publication que Pierre Versins voyait en l’année 1787, la date pivot d’une histoire des « Voyages imaginaires » où il y aurait à distinguer simplement deux volets : celui d’avant et celui d’après Garnier (Pierre Versins, Outrepart, 1971). Manière d’évoquer ces dates fatidiques autrement que pour désigner le grand tournant de l’histoire ? Manière de dire, en tout cas, qu’il y a des concordances souterraines entre les événements vécus par les hommes et les productions de leur imagination, de leur inventivité et de leur industrie.

Un genre proclamé, mais indéfini Car ces Voyages imaginaires mobilisent toutes les trois de ces facultés humaines. Garnier, il est vrai, n’y a rien donné de nouveau, mais il a collecté des romans inscrits dans une tradition vieille de deux millénaires pour les mettre en série ; il en a fait une série, comme il l’avait déjà fait en publiant avec Charles-Joseph de Mayer les quarante-et-un volumes du Cabinet des fées ou collection choisie des contes de fées et autres contes merveilleux (1785–1789), comme d’autres avant lui l’avaient fait pour donner à un public fidélisé les Amusements des Dames (1740– 1741), la Bibliothèque universelle des romans (1775–1789) ou encore, dans un registre voisin, L’Histoire générale des voyages (1745–1759). Autant d’entreprises de librairie, parmi tant d’autres, conçues pour gagner de l’argent en répondant à une demande identifiée avec plus ou moins de sagacité selon les cas. En ce sens, ces séries peuvent être perçues comme les révélateurs des goûts du public et des modèles attendus par lui. Ainsi, publier un recueil de « Voyages imaginaires » à la veille de la Révolution, c’est confirmer qu’est désormais reconnu un genre de récits particulier, désigné par une étiquette propre et repérable sur la carte des formes littéraires convenues. D’autres types de récits se distinguent à la même époque, du roman gothique au roman sentimental, du roman d’éducation au roman libertin. Mais s’ils se distinguent, c’est qu’on leur reconnaît des traits suffisamment... distinctifs. Comment se définissent alors les « Voyages imaginaires » ? Ce

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Tempêtes opportunes et dragons véritables : les voyages imaginaires

François Rosset

n’est pas une question de chronologie, puisque la série accueille aussi bien Lucien de Samosate (II e siècle) que des contemporains de Garnier ; ce n’est pas non plus une affaire de bassin culturel, puisque les textes réunis proviennent de France comme d’Angleterre, d’Espagne et du Portugal, d’Italie et d’Allemagne, sans parler de la Grèce de Lucien. A l’ouverture de sa collection, dans un « Avertissement de l’éditeur », Garnier s’efforce d’apporter quelques éléments à cette définition : « L’histoire nous peint les hommes tels qu’ils ont été ou tels qu’ils sont ; les romans nous les peignent tels qu’ils devraient être : le voyageur décrit les terres qu’il a parcourues, fait le récit de ses découvertes, et raconte ce qui lui est arrivé chez les peuples jusqu’alors inconnus et dont il nous transmet les mœurs et les usages : mais le philosophe a une autre manière de voyager ; sans autre guide que son imagination, il se transporte dans des mondes nouveaux, où il recueille des observations qui ne sont ni moins intéressantes, ni moins précieuses. Suivons-le dans ses courses et soyons assurés de rapporter autant de fruits de nos voyages que si nous avions fait le tour du monde » (Voyages imaginaires, tome 1). Les lecteurs sont donc avertis : ce ne sont pas des relations de voyageurs qui leur sont proposées, mais des élucubrations de philosophes. Ou encore, si l’on regarde le concret de la chose, ce ne sont pas des voyages vécus et accomplis qui sont relatés avec plus ou moins de fantaisie, mais des pérégrinations cérébrales de voyageurs en chambre. Il s’avère pourtant bientôt que cette seule distinction ne suffit pas. Garnier lui-même ne tarde pas, au fil de ses interventions d’éditeur dans les volumes successifs, à préciser sa position en différenciant les composantes de son recueil. C’est ainsi qu’il établit, dans sa propre collection, des catégories plus fines, au nombre de quatre. Il y a un premier groupe de textes, rangés dans les douze premiers volumes, qui relèvent des « voyages imaginaires romanesques ». Cela signifie que les éléments fictionnels Cyrano de Bergerac, « Voyages de Cyrano de Bergerac dans les avoués de ces récits obéissent à une exiEmpires de la Lune et du Soleil », gence de vraisemblance ; dans la plupart in Voyages imaginaires, songes, des cas, ce sont des voyages qui comvisions et romans cabalistiques, mencent dans le monde réel pour dériver Amsterdam – Paris, Rue et Hôtel Serpente, 1787, tome 13. à un certain point dans un espace autre,

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Camille Flammarion, La Fin du monde, Paris, Ernest Flammarion, 1894. Le Rire, 11 novembre 1899. Victor Forbin, « Le déluge de glace », in Journal des Voyages, no 268, 1902. Camille Flammarion, « La fin du monde », in Je Sais Tout, 15 février 1905. Max Mansout, « La mer sur les continents », in Je sais tout, juin 1906. Fin du monde – souvenir du 19 mai 1910, carte postale, France. Life, 18 décembre 1913.

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Danielle Chaperon

Chapitre 3

La science animée : vulgarisation et littérature de fiction

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« Je ne veux point qu’on me plaise ! », dit Micromégas pour interrompre le discours fleuri de son compagnon de voyage, le Secrétaire de l’Académie de Saturne (Fontenelle caricaturé par Voltaire). « Je veux qu’on m’instruise », ajoute-t-il immédiatement, en violentant ainsi le précepte classique selon lequel il faut à la fois « plaire et instruire ». Etrange violence qui se trouve à l’orée d’un conte philosophique dont Voltaire espère bien qu’il « plaira » à ses contemporains (Micromégas, 1752). Qu’on ne s’y trompe pas : les philosophes des Lumières veulent plaire autrement et surtout prétendent à des effets puissants et durables.

Emotions : le spectacle de la nature En diffusant les sciences de la nature, les philosophes – qu’ils soient matérialistes, déistes ou chrétiens – veulent susciter la surprise, l’étonnement et l’admiration, autant d’affects qui faciliteront le processus de « conversion ». La rhétorique classique qualifie ces perturbations de l’âme, suscitées par un discours efficace, de pathétiques. D’après l’abbé Batteux, nées au contact direct avec le spectacle de la nature, ces émotions furent à l’origine même de la parole lyrique : « Quand [ l’Homme ] ouvrit les yeux sur l’univers, qu’il sentit sa propre existence et les impressions agréables qu’il recevait par tous ses sens, il ne put s’empêcher d’élever la voix. Ce cri fut à la fois un cri de joie, d’admiration, d’étonnement, de reconnaissance, causé par une multitude d’idées aussi frappantes par elles-mêmes que par leur nouveauté » (Traité des Beaux arts réduits à un même principe, 1746). A une telle lignée lyrique appartiendront de fait maints vulgarisateurs tels Bernardin de Saint-Pierre, qui consacra son œuvre à l’éloge du monde ordonné, du cosmos (Etudes de la nature, 1784 ; Harmonies de la nature, 1796). On peut évoquer Jean-Henri Fabre, dont les Souvenirs entomologiques (dix séries publiées entre 1879 et 1907) lui valurent des millions de lecteurs passionnés parmi lesquels beaucoup d’écrivains ; Maurice Maeterlinck, poète et dramaturge, qui est l’auteur de plus de vingt essais consacrés aux insectes, à l’astronomie, à la géométrie ou à la métapsychique (entre 1896 et 1942) ; Camille Flammarion, dont les plus célèbres ouvrages (L’Astronomie populaire, 1880 ; Les Etoiles et les curiosités du ciel, 1881 ; Le Monde avant la création de l’Homme, 1886 ; L’Atmosphère, météorologie populaire, 1888) sont portés par une langue romantique inspirée par Victor Hugo. Aujourd’hui comme hier,

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La science animée : vulgarisation et littérature de fiction

Danielle Chaperon

les vulgarisateurs mettent leur énergie littéraire au service de la présentation de la variété et de l’unité de la nature (et, depuis peu, de sa fragilité). Jean-Claude Ameisen ne propose-t-il pas, depuis 2010, aux auditeurs de son émission radiophonique (Sur les épaules de Darwin – France Inter) de s’ouvrir avec lui à ce qu’il appelle les « splendeurs du monde vivant » ?

Incarnations : le corps des lecteurs Comme le poète, un vulgarisateur doit donc imposer une « vision », avant de risquer des explications, parfois des schémas, plus rarement des équations. Certains parmi eux ont été plus loin en donnant aussi à voir les effets émotionnels qu’ils voulaient produire sur leur public – effets souvent érotisés, manière ambiguë de les euphémiser. Ainsi, la Marquise des Entretiens sur la pluralité des mondes (Fontenelle, 1680) s’émerveille, s’exclame et tourmente « le Philosophe » de questions : « Ah, Madame, répondis-je bien vite, ce n’est pas un plaisir comme celui que vous auriez à une comédie de Molière ; c’en est un qui ne fait rire que l’esprit. Quoi donc, reprit-elle, croyez-vous qu’on soit incapable des plaisirs qui ne sont que dans la raison ? Je veux tout à l’heure vous faire voir le contraire. Apprenez-moi vos étoiles. Non, répliquai-je, il ne me sera point reproché que dans un bois, à dix heures du soir, j’aie parlé de philosophie à la plus aimable personne que je connaisse ». Lorsque la cosmologie de Descartes, chère à Fontenelle, sera passée de mode, Francesco Algarotti, ami de Voltaire, diffusera les modèles newtoniens en reprenant le même dispositif narratif. Parce que Descartes a aussi fait place à Locke et à sa philosophie des sciences fondée sur l’expérience sensible, les connotations érotiques du Newtonianisme pour les dames ou entretiens sur la lumière, sur les couleurs et sur l’attraction (1738 pour la traduction française) sont un peu plus appuyées. « Vous m’inspirez un violent désir d’être newtonienne », avoue la Marquise d’Algarotti ; le philosophe se plie à l’exercice alors que les attraits de la dame « invitaient à parler d’autre chose que de philosophie ». Le vulgarisateur ira jusqu’à proposer à la dame en question de l’accompagner à son bain afin de lui faire la démonstration des effets curieux de la Camille Flammarion, réfraction ou dans un petit cabinet sombre Uranie, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1889. pour lui expliquer les secrets de la camera

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Beoffroy de Reigny (dit le Cousin Jacques), La Constitution de la Lune, Paris, Schema – chez Froullé, 1793. Journal des Voyages et des Aventures de terre et de mer, Librairie Illustrée – Librairie M. Dreyfous, 1879, tome 5. La Science illustrée, no 204, 24 octobre, 1891. La Science illustrée, no 300, 26 août, 1893. Magasin d’éducation et de récréation, Paris, Hetzel, 1896, tomes 3 et 4. Le Globe Trotter, no 208, 1906. Journal des Voyages, no 894, 18 janvier, 1914.

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Michel Viegnes

Chapitre 4

Les inventeurs d’univers : l’émergence du merveilleux scientifique dans les années 1850–1900

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Durant la seconde partie du XIXe siècle, le développement toujours plus rapide des sciences et des techniques a entraîné de profondes transformations, non seulement dans la pensée et les conditions de vie du monde occidental, mais aussi dans son imaginaire. Pour rappeler quelques jalons essentiels, la période s’ouvre, de 1856 à 1861, par des avancées historiques sur la compréhension des mécanismes biologiques, tels que les lois de Mendel sur l’hérédité, la théorie darwinienne et la mise en évidence de l’origine microbienne des maladies par Pasteur. Elle s’achève de 1895 à 1900 sur la découverte des rayons X par Röntgen, de la radio­ activité par Pierre et Marie Curie, et la définition des quanta par Max Planck, qui jette les bases de la plus grande révolution dans la physique au XXe siècle.

La science au cœur de la littérature Ces innovations ne touchent pas immédiatement le grand public, mais ce dernier a déjà pu mesurer l’impact de la modernité technique et industrielle lors des Expositions universelles, dont celle de Paris en 1855. A la fin du siècle, il voit l’électricité qui va bientôt illuminer les grandes villes, et les automobiles qui paraîtront déjà « anciennes » à Apollinaire en 1913. Le paradigme scientifique est à son apogée, avec le positivisme de Comte en France et de John Stuart Mill en Angleterre. Disciples de Comte, Renan et Marcelin Berthelot ne connaissent pratiquement aucune limite, dans leurs professions de foi rationaliste, aux possibilités de la science. Le même paradigme exerce son ascendant sur le roman avec Zola et ses émules jusqu’aux reniements des dernières années, et dans une certaine mesure sur la peinture avec les Impressionnistes, qui se réclament des apports récents de la physique. Face à un tel ascendant de la pensée scientifique, on assiste grosso modo à la naissance de trois courants : les enthousiastes, les réfractaires, et les visionnaires. Les premiers sont des positivistes qui se veulent hérauts d’une nouvelle ère : si Zola veut, en théorie du moins, faire du roman un instrument d’étude scientifique de l’homme et de la société, Sully Prudhomme compose des hymnes pompiers au Progrès, ce qui lui vaudra un Prix Nobel assez peu proportionné à son talent réel. Les réfractaires sont plus nombreux : les grands romantiques avaient déjà mis en garde contre les

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Michel Viegnes

Les inventeurs d’univers

risques d’une civilisation matérialiste induite par le culte des techniques et de l’industrie : Vigny y voyait un monde pressé d’où la rêverie, seuil de la vraie philosophie, était bannie, et Gautier jugeait incompatibles la beauté gratuite et l’obsession utilitaire du bourgeois rationaliste. Entre les deux, Victor Hugo s’inspire de l’aéroscaphe pour chanter les prouesses de l’homme conquérant de l’espace dans « Plein ciel », à la fin de la première Légende des siècles en 1859, mais le proscrit de Guernesey met en garde contre les tentations prométhéennes d’une science qui perdrait de vue l’intérêt immédiat du peuple : il désapprouve, tout en les imaginant dans quelques strophes visionnaires, les voyages intersidéraux. Dans ces années charnières du Second Empire, même les esprits rétifs entrevoient une nouvelle dimension ouverte par l’essor des sciences. Le public français découvre en 1856, traduites par un certain Charles Baudelaire, les Histoires extraordinaires de Poe, où quelques textes présentent une forme de merveilleux scientifique : si l’« Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaal » reprend la tradition fantaisiste du voyage dans la lune, « Une descente dans le Maelström » relève – avant les aventures d’Arthur Gordon Pym – des voyages extraordinaires, qui vont être l’un des grands vecteurs de l’imaginaire scientifique moderne, avec la collaboration Verne-Hetzel. Sous cette même impulsion, les auteurs écrivant pour le grand public – qui, pour certains, produisent des fictions de vulgarisation destinées à l’éducation des masses – s’approprient sans aucun complexe le matériau technologique et scientifique. Dès 1832, le Journal des Enfants publie plusieurs fictions qui entrent en résonance avec les thématiques romantiques tout en alliant le couple science et voyage ; ainsi Les Aventures amphibies de Robert-Robert de Louis Desnoyers (1834) ou Les Petitsneveux de Gulliver (1839) d’Emile Bouchery. Cette fusion annonce, dans une moindre mesure, l’apparition quelques années plus tard d’une littérature populaire ouverte à l’imaginaire scientifique. En 1856, Alfred Driou écrit Aventures d’un aéronaute parisien dans les mondes inconnus, un roman qui semble préfigurer, dans son titre et dans son contenu, une littérature Mary W. Shelley, Frankenstein, popularisée, plus tard, par Jules Verne. Londres, Colburn and Bentley, 1831. Le Magasin d’éducation et de récréation

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Partie

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II

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Dire le monde : la science-fiction moderne, une lecture du réel

Avant 1950, la science-fiction est, pour l’essentiel, un genre littéraire confiné aux périodiques spécialisés et qui, de ce fait, s’exprime sur le mode de la forme courte. Au cours des années cinquante, le genre entre en double mutation. La première mutation est insidieuse. La rapide émergence du livre de poche et l’inexorable déclin du marché des périodiques, incitent nombre d’écrivains à délaisser la forme courte pour l’écriture romanesque. Cette dernière s’avère nettement plus lucrative – les revues sont des supports éphémères, alors que les livres de poche sont maintenus disponibles par le jeu des réimpressions. Or, au fil des décennies, la forme courte, de la « short story » à la « novella », s’était avérée un support parfait pour accueillir et mettre en scène ces fulgurances qui jaillissent parfois sous la plume des meilleurs auteurs. La science-fiction des pulps – et plus encore celle des nouveaux venus comme Galaxy SF ou The Magazine of Fantasy and SF – est la littérature du « Que se passerait-il si… ? ». Elle examine les conséquences d’un changement – de point de vue, de perspective, d’habitude, de paradigme… C’est en cela qu’elle est souvent décrite comme une « littérature d’idées » bien que l’expression soit impropre (les récits s’appuient toujours sur des idées et c’est un parti pris de ne souhaiter voir qu’elles). La forme courte oblige l’écrivain à réduire son propos à l’essentiel, à utiliser des arguments

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Frédéric Jaccaud

Chapitre 5

L’inéluctable apparition d’un genre littéraire : la science-fiction ( 1900–1950)

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En Europe, le développement d’une littérature d’évasion et de vulgarisation pendant le XIXe siècle conduit à la constitution d’un corpus de romans dits « d’invention scientifique ». Il n’en résulte cependant aucune cristallisation d’un genre ou d’une école littéraire, aucune famille, aucun terme pour regrouper des œuvres écrites à l’aune d’une inspiration commune. En 1904, Jules Verne proclame, dans l’interview « Prophetics of romance, Jules Verne on scientific progress », que ses romans s’appuient sur des faits scientifiques qui ne peuvent se comparer à l’imagination « fantaisiste » de H. G. Wells. Dans les pays anglo-saxons, l’évolution d’une telle littérature s’accélère pendant la première moitié du XXe siècle. Le terme de « scientifiction », puis de « science fiction », apparaît aux Etats-Unis dès 1926. Dès lors, le genre en lui-même se déploie rapidement jusque dans les années 1950 – décade considérée comme l’âge d’or de ce type de fiction. Il fait une brutale apparition en France après la Seconde Guerre mondiale. Cette conquête soudaine ne fait-elle pas oublier la richesse d’une forme de culture plurielle et peu connue ?

L’imitation d’une œuvre Après la mort de Jules Verne en 1905, nombre d’auteurs populaires poursuivent ou imitent les fictions de l’auteur des « Voyages extraordinaires », en tout premier lieu Paul d’Ivoi. Avec sa série intitulée « Voyages excentriques », il produit des romans d’exploration populaires où les aspects scientifiques et technologiques sont employés comme des embrayeurs à l’aventure et aux frissons : Les Semeurs de glace (1903), La Course au radium (1909) ou L’Aéroplane fantôme (1910). Sur cette ligne instituée par Jules Verne et son éditeur Hetzel, les romanciers du début du XXe siècle perpétuent l’exploration des espaces exotiques ou inabordables ; comme Emile Chambe avec Droit au Pôle Sud (1900), Maurice Champagne dans La Vallée mystérieuse (1915), Léon Creux et Le Voyage de l’Isabella au centre de la terre (1922) ou Emilio Salgari avec Au Pôle Sud à Bicyclette (1924). Ce type de fiction se fonde principalement sur l’idée d’une fascination provoquée par le voyage et la découverte. La prépondérance de l’emploi des véhicules

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L’inéluctable apparition d’un genre littéraire : la science-fiction

Frédéric Jaccaud

et de la technologie est un autre élément majeur qui relie ces romanciers à Jules Verne. La conquête des airs continue de fasciner ; Henry de Graffigny écrit des Récits d’un Aéronaute (1903), Louis Boussenard Les Aventuriers de l’air (1907). L’exploration aérienne s’émancipe de la réalité sous la double influence de Jules Verne et de H. G. Wells, et quitte l’atmosphère pour se lancer dans l’espace : Arnould Galopin avec Le Docteur Oméga. Aventures fantastiques de trois Français dans la planète Mars (1906), H. Gayar avec Les Robinsons de la planète Mars (1909), Gustave Le Rouge avec Le Prisonnier de la planète Mars (1908) ou dans le diptyque écrit par Octave Joncquel et Théo Varlet, l’Epopée martienne (1921–1922). Les thématiques prépondérantes d’une littérature puisant aux sources de l’imaginaire se dégagent d’un corpus quelque peu épars : la fin du monde ou les maladies fantastiques dans Le Grand cataclysme (1922) d’Henri Allorge ou le Napus, fléau de l’an 2227 (1927) de Léon Daudet ; le héros disposant de pouvoirs surhumains, comme le Nyctalope de Jean de la Hire qui peut voir dans la nuit dans Nyctalope contre Lucifer (1922) ; ou l’apparition des premières soucoupes volantes, toujours chez Jean de la Hire, dans La Roue fulgurante (1929). Enfin, certains auteurs se lancent dans des récits d’anticipation guerrière : L’Allié mystérieux (1900) du Commandant Gaston Wailly, L’Invasion jaune (1905) du Capitaine Danrit ou La Guerre microbienne (1923) du Professeur X – qui mettent en exergue les peurs et haines intestines de l’Europe moderne et industrielle. A l’écart des canons littéraires mis en place par des lignes éditoriales à vocation populaire, certains auteurs font preuve d’indépendance de création en exploitant de manière personnelle des thématiques qui semblent dévolues au divertissement. Récit sur l’altération de la personnalité, Force ennemie de John-Antoine Nau (1903) – ouvrage lauréat du premier prix Goncourt – relate l’expérience aux frontières de la démence d’un homme dont l’esprit est contrôlé par un extraterrestre. André Couvreur avec Caresco surhomme ou le voyage en Eucrasie (1904) s’attaque frontalement à l’utoThe Boys of New York, pie en dévoyant les codes de celle-ci par A Paper for Young Americans, Vol. XVII, 5 mars 1892. l’intermédiaire d’un docteur fou perpétrant

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Gustave le Rouge, Le Prisonnier de la planète Mars, Paris, Albert Méricant, Le Roman d’aventures, 1908. Jean de la Hire, Les Grandes aventures d’un boy-scout, Paris, Ferenczi & Fils, 1926. Maurice Limat, Les Fiancés de la planète Mars, Paris, Ferenczi & Fils, Voyages et Aventures, 1936. R. M. de Nizerolles, Les Aventuriers du Ciel, Paris, Ferenczi & Fils, 1950. Leo Gestelys, Le Satellite inconnu, Paris, Ferenczi, Mon roman d’Aventures, 1958. Cyrius, Les Robinsons de la planète Mars, Paris, Tallandier, Bibliothèque des Grandes Aventures, 1927. Ange Arbos, Le Robot fantôme, Bruxelles, Ed. Socodei, Police, sd.

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Francis Valéry

Chapitre 6

L’univers des pulps

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Au début des années 1880, une presse populaire émerge aux Etats-Unis. De nouvelles techniques d’impression, la possibilité d’une distribution de masse, l’apport financier de la publicité, conduisent à une baisse des coûts de production et à une très forte augmentation des tirages : jusqu’à 500 000 exemplaires pour les titres les plus populaires. En 1882, la Frank A. Munsey Corp. lance The Golden Argosy, un magazine généraliste proposant articles et reportages, mais aussi de la poésie, des nouvelles, des feuilletons... une formule qui a fait ses preuves en Europe avec The Strand britannique ou le Journal des Voyages français. Fin 1888, l’éditeur rebaptise la revue The Argosy et y publie désormais uniquement des textes de fiction. Ainsi naît le premier véritable « pulp magazine » – un terme générique faisant référence au papier utilisé, très bon marché car fabriqué à partir de pulpe de bois mais qui, avec le temps, brunit et devient cassant. Le même éditeur lance The All-Story en 1905 puis The Cavalier en 1908, à l’origine simple cahier consacré à la fiction inséré dans The Scrap Book. Ces pulps publient à l’occasion des « scientific romances », récits faisant la part belle à la spéculation scientifique, mais de manière plus ou moins fantaisiste. De nouveaux noms s’illustrent dans ce qui n’est pas encore tout à fait un genre littéraire : George Griffith, Francis Stevens, Garrett P. Serviss (The Second Deluge, 1911–1912). En 1912, Edgar Rice Burroughs crée deux fameux personnages : John Carter et Tarzan. En 1919, Murray Leinster fait ses débuts avec The Runaway Skyscraper, tandis que Ray Cummings publie The Girl in the Golden Atom. En 1920, Argosy et All-Story fusionnent et de nouveaux auteurs continuent d’apparaître comme Otis Adelbert Kline ou Ralph Milne Farley.

Naissance d’un genre littéraire : Hugo Gernsback et la scientifiction En 1908, un certain Hugo Gernsbacher quitte son Luxembourg natal pour les Etats-Unis. Naturalisé et son patronyme américanisé en Gernsback, ce pionnier de la radio fonde Telimco, premier magasin au monde spécialisé en fournitures et composants électroniques, et commercialise dès 1906 le premier récepteur radio à bon marché. Deux ans plus tard, son catalogue de vente par correspondance se transforme en véritable magazine : Modern Electrics, qui deviendra Electrical Experimenter (1913) pour Science and Invention (1920). Gernsback y publie des nouvelles et feuilletons relevant de ce qu’il appelle la « scientific fiction ». Lui-même

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donne le ton avec Ralph 124C 41 + (1911–1912), ode à la technologie merveilleuse du XXVII e siècle, suivie d’une série de pastiches scientifiques des Aventures du Baron de Münchhausen (1915–1917). Suite à la parution et au succès d’un numéro de Science and Invention « Special Scientific Fiction », daté d’août 1923, une souscription est lan­ cée concernant un futur magazine titré Scientifiction – il verra le jour début 1926, sous le titre Amazing Stories. D’emblée, Gernsback se revendique héritier de Jules Verne. Surmontés d’un bandeau représentant le mausolée de l’auteur, à Amiens, ses éditoriaux insistent sur l’aspect prédictif et la valeur éducative de cette littérature qui emprunte à la fois à l’aventure et à l’anticipation : la « scientifiction ». Dans la pratique, c’est l’acte de naissance d’un nouveau genre littéraire nommé et identifié sur le plan esthétique – en particulier via les couvertures et les centaines d’illustrations de Frank R. Paul. Ce genre est par ailleurs clairement positionné sur le plan idéologique : la « scientifiction » est avant tout un outil de prédiction, l’expression d’un militantisme en faveur de l’avènement d’un Grandiose Avenir. Pour Gernsback, l’efficacité de cet outil passe par une autonomie éditoriale qu’il va sans tarder s’employer à renforcer. Dans la foulée, il lance Amazing Stories Annual (1927) puis Amazing Stories Quarterly (1928). En 1929, Gernsback perd le contrôle de sa société, la Experimenter Publishing Co. Il fonde aussitôt la Stellar Pub. Corp. pour éditer trois nouveaux magazines : Science Wonder Stories, Air Wonder Stories et Science Wonder Quarterly. En 1930, les deux premiers fusionnent et deviennent Wonder Stories – la même année, Gernsback crée encore une société, la Techni-Craft Pub. Co., pour éditer Scientific Detective Monthly rapidement rebaptisé Amazing Detective Tales avant de disparaître faute d’avoir trouvé son lectorat. Entre-temps, Gernsback a abandonné le mot « scientifiction » au profit de celui de « science fiction » sous lequel le genre sera désormais connu et reconnu. Cet homme hors du commun aura, par ailleurs, déposé quatrevingts brevets, créé la station radio WRNY (1925), diffusé les premières émissions de télévision (1927) et édité plus de cinquante magazines dans Amazing Stories, d’autres domaines (de la radio à la sexo­ Vol. 1 no 1, logie en passant par la bande dessinée !). avril 1926.

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Francis Valéry

L’Univers des pulps

L’après-guerre voit un marché stabilisé autour de six magazines. Après avoir brièvement testé le très grand format cher à Hugo Gernsback, puis en définitive être passé au format « digest » fin 1943, Astounding SF domine le marché, dirigé de main de maître par John W. Campbell Jr., Ray Palmer a su, quant à lui, fédérer un public populaire et hétéroclite autour de Amazing Stories et Fantastic Adventures – dans la plus totale confusion entre science-fiction et ésotérisme de comptoir, on y célèbre la venue sur Terre de visiteurs spatiaux, ce depuis des temps immémoriaux ! Planet Stories poursuit son exploration de mondes lointains et exotiques. Revendus par Better Publications à Standard Magazines, Thrilling Wonder Stories et Startling Stories ont vu leur niveau littéraire augmenter, en particulier Startling Stories qui, sous la direction de Sam Merwin, est alors le seul vrai rival d’Astounding SF. Un septième magazine, enfin, Famous Fantastic Mysteries, se consacre aux rééditions de textes perçus comme des classiques : la science-fiction possède désormais sa propre histoire littéraire. A la fin des années quarante, le marché de la science-fiction entre à nouveau dans une phase inflationniste. Cette surproduction va durer tout au long de la nouvelle décennie. Plusieurs titres qui avaient sombré en 1942–1943 réapparaissent : Fantastic Novels en 1948, Super Science Stories en 1949, SF Quarterly en 1951. Par ailleurs, l’arrivée d’un nouveau lectorat à la recherche des textes qui ont fait l’histoire du genre a deux conséquences : le lancement de plusieurs titres dédiés aux rééditions et l’apparition des « specialty publishers », maisons d’éditions spécialisées permettant la conservation sous forme durable de textes précédemment publiés en périodiques, et leur diffusion en librairie. Au registre des nouveaux magazines, on citera Arkham Sampler (1948), à la fois revue et catalogue de Arkham House, premier et plus important « specialty publisher », ou Avon Fantasy Reader (1947), dirigé par Donald A. Wollheim et largement dédié à la reprise de textes parus à l’origine dans Weird Tales. Pour nombre de fans de science-fiction, c’est une véritable découverte que ce pulp mythique qui révéla H. P. Lovecraft et Clark Ashton Smith, et des artistes comme Margaret Brundage ou Virgil Finlay. Remarquons que tant Arkham Sampler que Avon Fantasy Reader optent pour un format plus petit que celui traditionnel des pulps, désormais un peu « daté ». Lancé en 1949, Air Wonder Stories, Vol. 1 no  1, juillet 1929. A. Merritt’s Fantasy Magazine est un vrai

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Frank R. Paul: Amazing Stories, Vol. 3 no 11, février 1929.

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H. W. Wesso: Astounding Stories, Vol. 6 no 1, avril 1931. Margaret Brundage: Weird Tales, Vol. 28 no 1, juillet 1936. Virgil Finlay: Science-Fiction plus, Vol. 1 no 6, octobre 1953. Hannes Bok : Stirring Science Stories, Vol. 2 no 1, mars 1942. Earle K. Bergey: Startling Stories, Vol. 12 no 1, printemps 1945. Frank Kelly Freas: Planet Stories, Vol. 6 no 11, été 1955.

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Alain Boillat

Chapitre 7

A la découverte d’autres mondes : voyage autour de la bande dessinée franco-belge de science-fiction

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Alors que s’amorce au cours des années 1960–1970 ce que l’on peut appeler « l’âge adulte » de la bande dessinée (en référence autant à l’ambition de certains auteurs qu’au public visé), plusieurs auteurs et éditeurs vont, dans l’esprit de la contre-culture, brandir la bannière de la sciencefiction. Deux événements sont symptomatiques de ce mouvement. Tout d’abord, la création du « Club des Bandes dessinées » en 1962, acte clé en termes de constitution de la bédéphilie et d’une conception patrimoniale de ce moyen d’expression. En effet, ce club doit sa naissance aux réactions enthousiastes suscitées par la parution d’un article sur la bande dessinée du Genevois Pierre Strinati dans Fiction, publication consacrée à la science-fiction. Ensuite, véritable consécration de la revendication du genre, le lancement de Métal Hurlant en 1975, revue spécifiquement ancrée à ses débuts dans la science-fiction dont relèvent les œuvres majeures de trois de ses quatre fondateurs devenus auteurs : Philippe Druillet, célèbre pour ses mondes aux proportions graphiques démesurées qu’il déploie notamment dans les 6 Voyages de Lone Sloane (1970) à travers une plongée vertigineuse dans les espaces cosmiques ; Moebius (pseudonyme utilisé par Jean Giraud pour l’avatar science-fictionnel de son style réaliste), dont l’influence du dessin épuré et géométrique, qui s’affirme dans le récit muet d’Arzach (1976) puis dans la série l’Incal débutée en 1980, fut considérable sur la bande dessinée d’anticipation et sur le manga en général ; enfin Jean-Pierre Dionnet, érudit dans les domaines de la série B et de la science-fiction, qui assuma longtemps le rôle de rédacteur en chef de Métal Hurlant et scénarisera notamment en 1976 l’album Exterminateur 17 pour Enki Bilal. Parallèlement à l’émergence de ce type de productions, d’autres séries de science-fiction créées à la même époque pour alimenter les périodiques s’inscrivent dans la filiation d’un style classique destiné à un plus jeune public : en janvier 1967, Luc Orient d’Eddy Paap et Greg commence à paraître dans Tintin ; dix mois plus tard, Valérian de Christin et Mézières est lancé dans Pilote ; Yoko Tsuno de Roger Leloup débute dans Spirou en 1970. La série des Aventures de Valérian et Laureline exploite en particulier le potentiel figuratif de la multiplication des mondes : l’activité des « agents spatiotemporels » est prétexte à la découverte infinie d’univers

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Alain Boillat

A la découverte d’autres mondes

bigarrés, que cela soit par le voyage dans l’espace – le récit du sixième tome, L’Ambassadeur des ombres (1975), rassemble dans une base spatiale un melting-pot extraterrestre des plus insolites –, dans le temps ou dans des mondes alternatifs. La sensibilité de gauche et la dimension sociologisante qui imprègnent cette série caractérisée par un pouvoir affabulateur débordant en font le précieux témoin d’un temps où la littérature de genre faisait office de bouffée d’air pour certains intellectuels français socialement éloignés des tenants de la culture légitimée. Le scénariste Pierre Christin nous a récemment exposé ce contexte au cours d’un entretien : « Les quelques amateurs de SF étaient précisément des gars issus d’un milieu modeste, entrés comme moi à la Faculté de sciences politiques par effraction. [ … ] La librairie du Terrain Vague d’Eric Losfeld était devenue une sorte de point de rendez-vous de jeunes gens passionnés de SF, et plus généralement de genres que les universitaires considéraient, lorsqu’ils étaient polis, comme de la ‹ paralittérature ›, et, quand ils étaient francs, comme de la ‹ sous-littérature ›. Grâce aux rencontres chez Losfeld, mes lectures se sont infléchies vers la SF, qui a été une découverte, un éblouissement, et, grâce au spéculatif fictionnel, une ouverture sur un univers dont la France, marquée par la littérature d’anticipation à la Jules Verne, ignorait presque tout. » Losfeld, dont la librairie parisienne fut l’un des points de ralliement des amateurs de science-fiction, édita en 1966 l’album des aventures interplanétaires saupoudrées d’érotisme de Barbarella, jalon d’une bande dessinée décomplexée. Son auteur, Jean-Claude Forest, collabora en tant que scénariste à la série Les Naufragés du temps (1964) dessinée par Paul Gillon. Dans cette saga, un couple projeté aux confins du système solaire est réveillé après mille ans pour permettre la survie de l’espèce humaine menacée par des spores toxiques venues de l’espace, et se voit pris dans une fuite en avant, à la découverte de nouveaux mondes aux conditions climatiques et géologiques fabuleuses. Plus tard, initiant le cycle de Nikopol avec La Foire aux immortels (1980), Enki Bilal proposera un style à la fois pictural et photographique pour figurer des mégalopoles futuristes Jean-Claude Forest, Barbarella, Eric Losfeld, 1966. en décrépitude habitées par une post-

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Laurent Guido

Chapitre 8

Images du corps technologique dans le cinéma de science-fiction

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Dans les premières années du XXI e siècle, l’imaginaire de la science-fiction occupe une place centrale sur les écrans du monde entier, par le biais de grandes productions hollywoodiennes qui diffusent les problématiques cruciales développées par ce genre spécifique. Plus que jamais, celui-ci questionne les implications de la science dans les conditions modernes de l’existence humaine. L’un des traits frappants, au sein de cette production conjuguant anticipation et grand spectacle, concerne le devenir du corps dans le contexte d’une hypothétique post-humanité. Que cette dernière soit extrapolée à partir de l’emprise manifeste des technologies sur la vie quotidienne ou qu’elle se fonde sur certaines avancées récentes, largement médiatisées, dans les domaines des biosciences ou de la robotique, elle inspire à l’évidence un cinéma de science-fiction qui tend, depuis quelques années, à offrir une vision plutôt positive des nouvelles formes de rapport au corps produites par les milieux technoscientifiques. Cette tendance insiste notamment sur la dimension régressive, presque animale, qui caractérise paradoxalement l’accession de l’humain à ces organismes artificiels. Dans Avatar (James Cameron, 2009), un soldat paraplégique choisit finalement d’abandonner son enveloppe charnelle au profit d’un corps de substitution généré synthétiquement, celui qui va lui permettre d’infiltrer une tribu de « bons sauvages » extraterrestres. Via ce protagoniste, le récit du film prône l’adhésion envers un mode de vie primitive et édénique, une fusion avec la nature qui contraste avec la brutalité des exactions commises par les représentants des intérêts militaires, capitalistes et industriels. Derrière cette stigmatisation apparente des excès technologiques se joue en fait le triomphe d’une certaine réalité scientifique. Les mécanismes permettant au héros d’Avatar de se projeter dans un nouveau corps, ainsi que la figuration des connexions magiques qui caractérisent la faune et la flore extraterrestres : tout cela évoque les techniques numériques de communication ou les recherches directes sur les données biologiques du vivant. Dans les termes du Manifesto for Cyborgs de Donna Haraway (1985), le modèle culturel diffus de l’être artificiel ne se borne plus à mettre en cause la délimitation traditionnelle qui existe entre l’organique et le mécanique, mais il s’attaque également aux frontières qui séparent le visible de l’invisible et l’humain de l’animal. Ces divers motifs contradictoires se retrouvent par exemple dans Rise of the Planet of the Apes (Rupert Wyatt, 2011). Le point de vue y glisse progressivement d’un

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Images du corps technologique dans le cinéma de science-fiction

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savant à sa géniale créature, singe mutant dont l’identité proto-humaine résulte d’expérimentations génétiques (dont on montre par ailleurs tous les dangereux mésusages, immanquablement rapportés aux objectifs mercantiles et belliqueux qui gouvernent les élites économico-scientifiques). Maints exemples filmiques témoignent de la prégnance actuelle de tels débats sur le sort du corps humain à l’âge technologique. Mais ils ne font pas qu’exprimer des enjeux contemporains. En réalité, les tensions qui les traversent s’avèrent tout à fait caractéristiques du rapport singulier qui s’est établi entre la science-fiction et le médium cinématographique dès l’émergence de celui-ci, dans les dernières années du XIXe siècle. Pour comprendre cette relation, il ne faut pas envisager le cinéma uniquement comme le véhicule de figures narratives et de représentations sociales, mais, plus fondamentalement, comme un dispositif technique. Si un film comme Avatar célèbre l’avènement possible d’une post-humanité, il cristallise aussi certaines potentialités des médias audiovisuels contemporains. L’immersion des spectateurs dans le cinéma en 3D numérique fait effectivement écho à l’expérience vécue par le héros lorsqu’il se projette, semi-conscient, dans sa marionnette de synthèse. Partant, Avatar réactive une dimension fondatrice de la machinerie cinématographique, celle-ci ayant été à ses débuts pensée sous l’angle du développement prothétique du corps humain, au niveau de ses facultés perceptives comme de sa capacité à communiquer et à se déplacer dans le temps et l’espace.

Le film comme dispositif prothétique A la fin du XIXe siècle, l’émergence du cinéma procède largement du champ scientifique, étant donné l’emploi, chez les physiologistes du mouvement comme Etienne-Jules Marey, d’un procédé ayant directement conduit à l’apparition de cette nouvelle technique de vision, la chronophotographie. La relation intime qui s’est nouée d’emblée entre l’imaginaire de science-fiction et le film se fonde sur le fait que celui-ci a été rapidement considéré comme l’instrument emblématique des transformations engagées par la modernité scientifique. Il a été appréhendé non seulement comme un appareil de reproduction, de simulation ou de recréation du vivant (son Futureworld, Richard T. Heffron, 1976. aspect « frankensteinien », comme le définit

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Vincent Verselle

Chapitre 9

Un discours venu d’ailleurs (ou presque)

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Le propre de tout récit de fiction est entre autres qu’il articule (au moins) deux situations de communication. L’une est fictive et sert de cadre au processus même de la narration, dont l’origine est un narrateur – qui parfois s’exprime à travers un je, parfois reste discret et anonyme – et qui est orienté vers un narrataire (celui / ceux à qui le récit est destiné). L’autre situation est, bien entendu, celle tout à fait concrète qui unit l’auteur et son lecteur (du moins celui qui est visé durant le processus d’écriture). S’il importe de distinguer ces deux situations (en particulier parce que le narrateur n’est jamais l’auteur), on peut cependant établir que, dans un récit réaliste qui peint le monde « tel qu’il est », celles-ci trouvent leur assise dans un même univers de discours, c’est-à-dire qu’elles mettent notamment en jeu un ensemble de connaissances, de systèmes de valeurs ou encore de croyances culturelles qui leur sont communs. C’est (en partie) par ce biais que le monde fictionnel est rendu accessible au lecteur, car la narration se déploie en mobilisant des connaissances que, pour la plupart, celui-ci a déjà acquises. La science-fiction, elle, se singularise sur ce point. Dans la mesure où le monde qu’elle construit relève de la conjecture – c’est donc un monde qui, explicitement, « n’est pas » –, elle se doit d’établir un rapport entre les situations de communication fictive et concrète qui fait place à une certaine distance. Dans les récits situés aux origines de la science-fiction, il n’est pas rare de voir cette distance négociée au moyen d’un étagement temporel très serré, comme celui que met en œuvre Le Péril bleu. Ce roman de Maurice Renard, publié originalement en 1910, relate des événements censés se dérouler en 1912, et débute par ces mots : « Il y a six mois – c’était exactement le lundi 16 juin 1913 à neuf heures du matin – je vis entrer dans mon studio la jeune chambrière qui me servait alors. » Un tel étagement assume, on le voit, une double fonction. D’une part, il articule la dimension rétrospective d’un récit – qui est par essence une représentation d’événements « déjà » advenus – à la dimension conjecturale et parfois anticipative de la science-fiction, ce qui implique ici de situer le cadre fictif de la narration dans le « futur » par rapport au temps de la publication. D’autre part, il ménage néanmoins une forme de simultanéité (avec un léger différé de trois ans) avec la situation de communication concrète dans laquelle se trouvent l’auteur et son lecteur. Ainsi, grâce à ce dispositif, et malgré la distance particulière instaurée par

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Un discours venu d’ailleurs (ou presque)

Vincent Verselle

la conjecture, les deux situations de communication articulées par la fiction demeurent rattachées à un univers de discours relativement homogène ; de sorte que, à la manière de ce qui se produit pour un récit réaliste, le monde science-fictionnel semble là encore accessible pour le lecteur. Une des perspectives que l’on peut adopter sur l’évolution de la sciencefiction est de considérer que celle-ci procède de modifications dans la manière de négocier la relation entre situations de communication fictive et concrète. Cette caractéristique formelle est importante, car elle signale un cheminement vers une sorte de « maturité », où la narration semble se déployer avec une autonomie de plus en plus sensible, dont il importe de saisir les tenants et aboutissants.

Ailleurs, mais ici La quasi-simultanéité est ainsi délaissée au profit d’un éloignement souvent considérable entre les divers espaces-temps (fictif, concret) mis en jeu par le récit. Associé à la dimension conjecturale de la fiction, un tel écart a pour conséquence que le lecteur peut avoir l’impression d’être « déconnecté » de son univers de discours, auquel paraît se substituer celui qui est propre au cadre fictif de la narration. Toutefois, les textes gèrent différemment cette transposition ; deux tendances majeures se dessinent, chronologiquement ordonnées, pour lesquelles les années 1950 esquissent une ligne de partage. (Ces années ne délimitent pas pour autant des zones d’exclusion de l’une ou de l’autre de ces tendances ; de même, alors qu’on croisera dans les pages suivantes une source française illustrant la première et des sources américaines pour la seconde, il ne faudrait pas en conclure qu’elles se répartissent selon des aires culturelles précises.) « Derrière » l’univers de discours fictif, la présence de la situation concrète dans laquelle sont pris l’auteur et son lecteur peut se faire toujours ressentir, ce qui semble particulièrement le cas jusque vers la fin des années 1940. En témoignent Isaac Asimov, Fondation, Paris, certaines manières de construire le monde Hachette / Gallimard, Le Rayon Fantastique n o 44, 1957. fictionnel dans ses particularités futures :

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Redmond A. Simonsen, After the Holocaust, SPI, 1977. Steve Perrin et Greg Stafford, RuneQuest, Avalon Hill, 1984. François Nedelec, Empire Galactique, Le livre de poche, 1987. Douglas Kaufman et Peter Corless, Star Wars, Guerriers des Êtoiles, Descartes, 1989. Croc et Mathias Twardowski, Heavy Metal, Siroz, 1991. Mick Uhl et Richard Hamblen, Dune, Descartes, 1993. Jordan Weisman, Battletech, Descartes, 1993.

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Frédéric Jaccaud François Rosset Francis Valéry Vincent Verselle Michel Viegnes

Les quelques 100 000 objets qui constituent les collections de la Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires basé à Yverdon-les-Bains en Suisse, sont d’une richesse inégalée en Europe. Paradoxalement, ils n’ont été que peu présentés jusqu’à maintenant. Publié à l’occasion du vernissage de l’exposition permanente Souvenirs du Futur, cet ouvrage propose un point de vue inédit sur une culture à la fois répandue et méconnue : celle de la science-fiction et de ses origines.

Cet ouvrage sans équivalent intéressera tant les amateurs et les curieux, que les connaisseurs ou les novices.

Marc Atallah Frédéric Jaccaud Francis Valéry

Les miroirs de la Maison d’Ailleurs

Constitué de neuf textes et de neuf encarts thématiques, très richement illustré, ce recueil offre une succession de regards singuliers sur l’histoire de l’imaginaire conjectural. L’utopie, les voyages imaginaires, la vulgarisation, le merveilleux scientifique, les pulps, la bande dessinée ou le cinéma constituent autant de perspectives, qui, éclairées par une iconographie exceptionnelle, convient le lecteur à un voyage dans son propre imaginaire. Les genres conjecturaux ont en effet toujours proposé de réfléchir le présent par un détour vers l’ailleurs.

Sous la direction de :

Souvenirs du Futur

Marc Atallah Alain Boillat Pierre Bordage Danielle Chaperon Laurent Guido

Les miroirs de la Maison d’Ailleurs

Maison d’Ailleurs

ISBN 978-2-88074-999-6

Presses polytechniques et universitaires romandes

Presses polytechniques et universitaires romandes


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