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Émilie Chariot crée Un sentiment de vie au TNS
by Poly
Écrire dit-elle
En choisissant l’époustouflante Valérie Dréville pour interpréter Un Sentiment de vie de Claudine Galea, Émilie Chariot signe l’une des créations les plus attendues de ce début d’année. Interview.
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Par Thomas Flagel Portrait de Claudine Galea par Jean-Louis Fernandez
En 2021, vous montiez ce texte, en allemand, à l’invitation du Theater Basel. Pour cette nouvelle création, en français, vous choisissez Valérie Dréville, son jeu tellurique et sa profondeur rare. Changer de comédienne, est-ce totalement changer la pièce ?
Effectivement, ce ne sera pas du tout le même spectacle, même si, avec mes plateaux nus, il n’y a que l’actrice et son texte sur scène. Je ne maîtrise pas la langue allemande, je n’ai donc pas travaillé aussi finement à Bâle que je le fais aujourd’hui. J’ai rêvé cette pièce en français et Valérie a un bagage et des outils très forts, qui font qu’elle élève les textes dont elle s’empare.
Il y a du Duras chez Galea, dans sa manière de parler, sans cesse, de l’acte d’écrire. Elle possède la même impudeur, qui est un cadeau magnifique…
Duras est centrale, elle est avec nous tous les jours dans le travail au plateau. Claudine Galea l’aime beaucoup d’ailleurs. Le texte en est très emprunté, même si je ne m’en suis rendu compte qu’il y a peu. Il ne parle que de l’acte d’écrire, au-delà de ce qui se joue sur son père militaire, le colonialisme et la mort. Tout converge vers l’écriture, ce besoin impérieux de dire.
La dernière partie du texte est émaillée de références à un panthéon artistique au destin tragique : Paul Celan, Marina Tsvetaeva, Robert Musil, Sarah Kane… et Lenz de Büchner.
Elle cite des gens allant jusqu’au suicide, comme Lenz qui traverse tout son texte, quelqu’un de perdu, qui erre dans la plus grande difficulté en écrivant, un peu comme Celan trouvant la force de le faire après la Seconde Guerre mondiale. La grande histoire contamine la petite. Ce sont autant de guides pour elle, Lenz en étant le chef-d’œuvre.
Elle revient sur son histoire familiale, son père colon algérien et militaire fier, quittant l’armée pour ne pas se battre en Algérie. De cette guerre d’indépendance elle dit dans son style dénué de ponctuation : « Le sale laisse des traces avec ça qu’on écrit avec ce qui est sale et n’est jamais classé » puis « Tout se transmet dans l’inconscient coups et viscères »…
La France a mis 70 ans à demander pardon pour ses exactions là-bas ! Nous vivons avec cet héritage, dont on ne veut pas mais qui est là. Galea parle de ce que l’on cache : le tabou de la guerre et la situation des pieds-noirs. Elle regarde l’histoire en face, comme les contradictions de chacun.
Sa mère, anticolonialiste et anti-militariste ayant épousé un soldat, est la grande absente. Mais son ombre plane autour, en creux…
C’est le bon mot : sa mère est en creux, absente. Claudine Galea avoue avoir fait le tour de la question de sa mère dans d’autres livres*. Ici elle fait une déclaration d’amour à son père, post-mortem. Elle lui dit ce qu’elle n’a pas su lui dire de son vivant. Entre elle et lui, il y a un conflit de génération : il était pour l’Algérie française, elle pour l’indépendance, ce qui n’empêche pas l’amour, mais demande du courage. Elle touche au sublime en s’emparant du pouvoir suprême de l’écriture : dialoguer avec ceux qui ne sont plus.
Au Théâtre national de Strasbourg du 17 au 27 janvier tns.fr
Au Théâtre Vidy-Lausanne du 1er au 11 février vidy.ch
De la planche aux planches
Thomas Ress met en scène La Tristesse de l’éléphant, retraçant la vie du petit Louis, entre traversée de l’enfance et questionnements sur la différence.
Par Julia Percheron – Photo de Vladimir Lutz
«J e suis rarement parti d’une matière non dédiée à la scène », analyse le directeur artistique de la compagnie des Rives de l’Ill, Thomas Ress. Adaptée du roman graphique signé Nicolas Antona et Nina Jacqmin « La Tristesse de l’éléphant est un pas de côté dans le parcours de notre compagnie. L’histoire de Louis, un jeune orphelin rejeté par ses compagnons, m’a profondément touché. On le suit depuis sa rencontre, enfant, avec Clara, dresseuse d’éléphants, jusqu’à l’adolescence, et peut-être même jusqu’au bout de leur vie. » Entre les thèmes de la maladie, de l’amour, de la bienveillance et du regard de l’autre, « on aborde toute une palette de l’existence humaine, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus dur. » Au vu de « l’esthétique de la BD », ajoute le metteur en scène, « l’univers de la marionnette et du théâtre de papier m’ont semblé un bon moyen de faire ressortir ce qui m’a bouleversé. »
Dépourvue d’artifices, la représentation se déroule sur une simple table en bois. Les deux marionnettistes Morgane Aimerie Robin et Stéphane Roblès se partagent une trentaine de personnages, dans quinze lieux différents. La dessinatrice du livre a également repris ses crayons afin d’adapter ses héros sous un nouvel angle. « Les comédiens deviennent en même temps les narrateurs de l’histoire », explique Thomas Ress. « Ils explorent ainsi plusieurs codes et différentes sémiologies. » Le duo du Cirque des Mirages s’occupe de la musique. « Dès que j’ai lu le roman graphique, j’ai pensé à Fred Parker et Yanovski : leurs œuvres à l’ambiance circassienne, magique et fantasmagorique, collent parfaitement à ce que j’avais en tête. » Un ensemble curieux mais abordant des sujets universels, « qui résonneront différemment selon l’expérience de chacun. À la fin d’une représentation, je me souviens d’un petit garçon me demandant de quel type de cancer un personnage souffrait. C’est assez inattendu, de la part d’un enfant », sourit-il. Du côté des adultes, ils seront peut-être plus sensibles à l’histoire d’amour entre les deux jeunes gens, qui se tisse tout au long des différentes étapes de leur vie.
À La Comédie de Colmar les 20 & 21 janvier comedie-colmar.com
Il était plusieurs fois
Avec Histoire(s) de France, Amine Adjina questionne la fabrique du récit national et poursuit son travail d’écriture à destination de la jeunesse.
Par Suzi Vieira – Photo de Géraldine Aresteanu
Ils sont trois : la belle rebelle Camille, flanquée d’Arthur et Ibrahim – deux collégiens dont l’amitié était mise à mal par le racisme et le repli identitaire de leurs familles dans le précédent spectacle d’Amine Adjina, en 2018. Ensemble, ils doivent se mettre d’accord et choisir, à la demande de leur professeure, un épisode marquant de l’Histoire de France pour le rejouer devant la classe. De la Préhistoire à la Coupe du monde 1998, en passant par la bataille d’Alésia et la Révolution, les comédiens, avec leurs mots d’ados – entre humour décalé et impertinence –, revisitent chacun à leur façon le grand roman national, se déchirent sur le récit fait du passé de leur pays. Quelle place pour les femmes quand il est écrit par des hommes, interroge Camille (jouée par Émilie Prévosteau), qui se propose d’incarner un Vercingétorix à forte poitrine et longue épée ? Comment intégrer les immigrés ou les Français issus de l’immigration dans une épopée narrée par les colonisateurs et instrumentalisée par l’extrême-droite pour brandir une soidisant pureté des origines ? En s’inventant un personnage de druide en djellaba qui psalmodie en arabe, Ibrahim se joue de l’image faussement uniforme de Gaulois agissant comme un seul peuple uni sur un territoire qui serait la France historique. « Parce que les Gaulois, c’est nous, les sauvages indisciplinés, les barbares », répond le jeune homme interprété par Mathias Bentahar à son enseignante quand elle lui fait remarquer les libertés prises avec la réalité. « Plus je découvre l’histoire des Gaulois, plus je découvre que c’est la nôtre », celle de « toutes les personnes qui ne sont pas dans la règle », qui « ne ressemblent pas à l’image d’un bon Français ».
« L’Histoire, ce sont des visions qui s’affrontent. Ce n’est pas la succession objective de faits bruts et incontestables que certains voudraient nous faire croire. Voilà pourquoi son enseignement doit se décliner au pluriel », soutient Amine Adjina. « Ce qu’on nous apprend à l’école est un récit narré du point de vue du pouvoir (celui des empires, des rois, des conquêtes, etc.), mais quid du point de vue des femmes, des colonisés, des minorités, des ouvriers… ? », regrette l’auteur né de parents algériens. Et si, à y regarder de plus près, cette nation dont on entend tant parler était le fruit d’une lente et patiente construction, celle de peuples hétérogènes vivant les uns à côté des autres et qui, au fil des siècles, sont devenus une communauté ? Les retours de la part des scolaires et des enseignants venus assister aux représentations, eux, sont très positifs. « C’est comme si, avec la pièce, il y avait une permission qui était prise pour ouvrir le débat dans les classes. »
Au Théâtre de la Manufacture (Nancy) du 26 au 28 janvier (dès 10 ans) theatre-manufacture.fr
Objectif Lune
Les trois amis survoltés d’Hyphen Hyphen sortent C’est la vie, lumineux album d’électro pop racée, avec la volonté affichée d’attaquer les États-Unis.
Par Suzi Vieira – Photo de Kimdary
En 2015, les Niçois d’Hyphen Hyphen publiaient Times, premier disque où brille la voix soul puissante de la chanteuse Santa (Samanta Cotta). Truffé de morceaux à l’accrocheuse pop dansante, l’opus avait valu au groupe une Victoire de la musique dans la catégorie Révélation Scène. Car au-delà des mélodies ultra vitaminées aux refrains euphoriques, c’est par leurs prestations folles et dévergondées en concert que les énergumènes peinturlurés ont su conquérir le public de France et d’Europe. Après avoir transformé l’essai en 2018 avec le décomplexé HH, gorgé de basses et gonflé à l’electro, ils reviennent avec un troisième album né en pleine pandémie, pour lequel ils ont pris le temps de retourner aux sources, à ce qui a toujours fait l’âme du groupe : le live. Les douze pistes du bien nommé C’est La Vie ont ainsi toutes été enregistrées en direct entre les studios ICP de Bruxelles (où avait déjà été façonné le premier LP) et le home made studio agencé par le trio dans le 19e arrondissement de Paris lors des divers confinements. Des mélodies taillées dans l’air du temps, entre douce mélancolie, humour grinçant et hédonisme forcené, qui tantôt invitent au lâcher-prise (Own God) et à l’acceptation de nos failles (Cry Cry Cry), tantôt libèrent une jouissive et sauvage énergie prompte à conquérir n’importe quel dancefloor (Don’t Wait for Me ou Too Young, choisi comme hymne officiel de l’Euro de football féminin l’été dernier).
Bien décidés à perfectionner encore leur écriture, Santa, Line (basse) et Adam (guitare) se sont adjoint pour l’occasion les services du très prisé Glen Ballard, collaborateur d’Alanis Morissette et Katy Perry, dont le CV affiche au compteur plusieurs Grammy. « Il nous a beaucoup aidés à nous libérer pour aller vers plus de simplicité dans l’expression de nos émotions », confie la chanteuse. Objectif assumé : la conquête de l’Ouest ! « Pour cet album, on a eu envie d’aller vers une musique universelle, qu’on pourra ainsi défendre à l’étranger. C’est notre fonctionnement depuis le début : on essaye de s’approcher de notre rêve, marche après marche », concluent sans ambages les ambitieux Frenchies. La grande tournée 2023 prévoit ainsi quelques haltes outre-Atlantique à l’automne. « You can count on [them] ! »