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Avec des constantes de la physique di érentes, la vie n’aurait pas pu émerger

Étienne Klein est physicien, directeur de recherches au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

Que peut dire la physique de l’apparition de la vie au sein de l’Univers ?

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Bien sûr, la physique n’a pas pour objet d’étudier la vie, mais, indirectement, elle apporte des contraintes sur ce qu’on peut ou non en dire. Par exemple, elle a établi que ce sont les étoiles qui fabriquent les atomes de carbone entrant dans la composition de toutes les molécules organiques , substrat de la matière vivante Nous devons donc considérer que l’apparition de la vie a été conditionnée par celle préalable des étoiles. D’une façon plus générale, les théories physiques et la description de l’Univers qu’elles rendent possible sont nécessairement compatibles avec le fait que la vie s'est déployée au minimum sur Terre et que l'être humain y est présent depuis quelques millions d’années C’est une simple affaire de cohérence

Des paramètres physiques avec des valeurs di érentes auraient-ils empêché l’apparition de la vie telle que nous la connaissons ? Par exemple, une masse di érente pour les nucléons, les constituants du noyau atomique ?

En effet On sait que la masse du neutron est un peu supérieure à celle du proton. Si la différence entre leurs masses avait été très légèrement plus grande, tous les neutrons se seraient rapidement transformés en protons Or, sans neutrons , les atomes autres que l’hydrogène sont incapables de se former, et sans atomes de carbone, pas de vie Si, au contraire, la masse du neutron avait été très légèrement inférieure , c’est l’inverse qui serait arrivé : les protons se seraient tous transformés en neutrons. Or, sans protons, pas d’atomes (pas même d’hydrogène) et, là encore, pas de vie possible.

En est-il de même pour d’autres constantes plus fondamentales, par exemple celle qui régit l’interaction nucléaire forte, qui lie protons et neutrons dans les noyaux ?

Dans ce cas-là aussi, il suffirait qu’elle soit légèrement plus intense (d’environ 1 %) pour que les étoiles ne durent pas plus de quelques secondes, au lieu des quelques milliards d’années que nous observons L’intensité de cette interaction se trouve donc avoir la valeur requise pour que , toutes choses égales par ailleurs , la vie devienne possible en certains endroits de l’Univers. De semblables conclusions s’obtiennent lorsqu’on s’amuse à faire varier, pour voir, la valeur d’autres constantes du monde physique, par exemple la vitesse de la lumière.

Quelles conclusions tirer de ce constat ?

Un certain nombre de physiciens, notant ces multiples « coïncidences », en tirent la conclusion que notre univers est bien plus complexe que la plupart de ceux qui posséderaient les mêmes lois physiques que lui, mais avec des constantes fondamentales ayant des valeurs différentes. Pour dire les choses autrement, les conditions nécessaires (mais pas forcément suffisantes) pour que la vie apparaisse sont réalisées dans notre univers grâce au fait qu’il est complexe, et s’il est complexe, c’est grâce aux valeurs très particulières de ses paramètres physiques.

Mais l’a ff aire ne s’arrête pas là , car une autre question surgit dans son prolongement : dans cet univers structuré de sorte qu’il a pu nous accueillir, sommes - nous seuls ? Ce que montrent l’exploration spatiale la plus récente au sein du Système solaire et l’astrophysique contemporaine au - delà du Système solaire , c’est qu’il y a une extraordinaire diversité de planètes et d’exoplanètes : toutes semblent singulières Pouvons - nous expliquer ce fait ? La Terre, pour ne parler que d’elle, a eu une évolution ponctuée de séquences très spécifiques advenant dans des contextes eux - mêmes pas banals : à chaque étape, la contingence a joué un rôle déterminant De sorte que même une exoplanète qui, vue de loin, ressemblerait à la Terre – même distance à l’étoile, même taille, même gravité, bref, une « exo-Terre », comme on dit –, apparaîtrait très différente d’elle si on l’examinait de près . En clair, la somme des conditions qui ont orienté l’évolution de la Terre et de la vie qu’elle abrite n’a possiblement jamais été réunie ailleurs , sauf à penser que l’Univers est infini… Bien sûr, il ne s’agit que d’un indice, non d’un théorème mathématique. Mais il est suffisant pour venir déranger l’idée que plus on découvre d’exoplanètes et plus la probabilité d’une vie ailleurs que sur Terre augmente en proportion.

À quels événements « contingents » faites-vous allusion ?

Je ne puis tous les citer tant ils sont nombreux. La Terre se trouve à une distance du Soleil autorisant que de l’eau liquide se maintienne à sa surface, ce qui est essentiel à la vie Contrairement aux planètes voisines, elle est pourvue d’un champ magnétique très puissant qui, d’une part, fait bouclier contre les particules chargées issues de rayonnement solaire et, d’autre part, a favorisé l’installation d’une atmosphère Elle possède par ailleurs un satellite, la Lune, qui agit comme une sorte de « balance gravitationnelle » qui empêche notre planète de gigoter autour de son axe de rotation et donc stabilise en partie son climat De plus, elle profite de la présence de Jupiter, beaucoup plus massive qu’elle, qui la protège aussi en attirant à elle la majorité des petits corps célestes, ce qui nous évite ainsi d’être constamment bombardés Bref, il est assez clair que notre situation n’est pas ordinaire.

Est-il légitime de s’interroger sur le pourquoi d’un tel « hasard » ?

Disons qu’il est difficile de résister à la tentation ! D’autant qu’a été formulée il y a quelques décennies l’hypothèse du « multivers ». Elle tend à considérer qu’il existerait un univers gigogne, composé d’un très grand nombre d’univers « bulles », chacun ayant ses propres lois physiques Personne ne sait dire si elle est juste ou fausse, mais elle a le mérite d’interroger, par une sorte de pas de côté , les fondements de nos modèles cosmologiques. Notamment le rôle déterminant qu’y jouent les constantes universelles de la physique Il apparaît en effet, de façon cette fois nette, que si ces dernières avaient été différentes de ce qu’elles sont, la vie telle que nous la connaissons dans notre univers n’aurait pu émerger

Mais y a-t-il eu ajustement, autrement dit un « réglage fin » des constantes physiques, ou bien un heureux hasard ? Certains cosmologistes voient dans ces coïncidences favorables l’indice de l’existence d’une pluralité d’univers ayant des paramètres physiques différents : les dés auraient été jetés un très grand nombre de fois de sorte que tous les univers possibles seraient réalisés quelque part, et nous aurions eu la chance de tomber dans un univers localement vivable et plutôt hospitalier, du moins en certains lieux.

D’autres, jugeant l’hypothèse déraisonnable, préfèrent voir en amont de cet ajustement la main d’un être transcendant qui aurait fixé la valeur précise des paramètres de l’Univers pour que l’homme puisse ou doive y apparaître (on parle de « principe anthropique ») : Dieu, un sacré bricoleur… Mais un tel dieu ajusteur de constantes universelles ne serait qu’un demi-dieu, privé de beaucoup de son prestige et de sa gloire. Il faut en effet l’imaginer demandant à l’un de ses adjoints : « Eh, Paul, passe-moi le tournevis, tu veux bien ? Les étoiles déconnent sacrément Elles ne font pas de carbone Faut que j’augmente un chouïa la vitesse de la lumière »… D’autres encore considèrent que ces questions n’ont pas à être posées : les choses sont ce qu’elles sont et nous n’avons pas à justifier leur pourquoi Enfin, les plus prudents (dont je fais partie) jugent que toutes les réponses qu’on peut leur apporter sont prématurées, voire vaines, car nous ne savons pas encore à partir de quel cadre théorique nous pourrions les discuter correctement

Nous ne savons à peu près rien de la matière noire, hormis qu’elle est sensible à la gravitation. Une « vie sombre », fondée sur la matière noire, est-elle pensable ?

Par définition, on ne peut rien exclure en ce qui concerne l’inconnu ! Mais avant de penser trop fort à une éventuelle « vie sombre », commençons par prouver que la matière noire existe bel et bien et déterminons de quel type d’entités elle est constituée C’est déjà un bien vaste programme…

Propos recueillis par Olivier Voizeux

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