suivi de
Le chant des sauterelles
Editions
Maria-Aubaine Desroche
pour penser
à l'endroit
Nouvelles pour penser à l'endroit
L'enfant et la mouette
Nathalie Trouvé
Maria-Aubaine DESROCHE Auteur
Elle est passée par ici, elle repassera par là... Maria-Aubaine se définit comme une éternelle étudiante. L’apprentissage d’un savoir l’enivre comme une belle histoire d’amour. Manier la plume ou la truelle sont pour elle des activités indissociables, physique et mental s’équilibrant mutuellement. Depuis toute petite, elle aime le mot. D’abord en le confiant à ses poupées, très bavardes, puis en se l’accaparant sur les scènes de théâtre, avec son passage au Conservatoire national d’art dramatique, histoire d’appréhender les grands textes. Un jour, qui devait arriver, elle osa franchir le pas pour devenir à son tour compositeur de partitions multiples : scénarios, contes, nouvelles... Et comme elle est désespérément optimiste, elle s’entête à croire au genre humain et même – ô outrecuidance ! – à l’aimer. Aïkido et Shiatsu sont pour elle des “arts précieux” , magnifiques pratiques de l’écoute et de l’harmonie. Elle adore accompagner les auteurs dans leur propre écriture et les aider à accoucher de leurs travaux. Car rien n’est plus émouvant que d’assister au déploiement d’un être...
A mes parents (sans qui rien n’aurait été possible), à tous mes amis (qui se reconnaîtront), ainsi qu’à Alain Goutal, Olivier Martin et toutes les personnes qui, à une certaine époque, m’ont encouragée à persévérer dans la BD et l’illustration. Et bien sûr à mon éditrice qui m’a fait confiance.
Nathalie.
L'enfant et la mouette
à Duncan, bien sûr... Maria-Aubaine
Petid’homme n’était pas plus haut que trois pommes et pensait déjà comme un grand. Il recelait dans sa tête l’énormité de l’univers. Il pouvait lire dans le ciel la constellation des étoiles et l’interactivité des planètes, il connaissait le fonctionnement du noyau terrestre et anticipait ses colères volcaniques ; il expliquait à qui voulait le rythme des marées et le monde extraordinaire des abysses sous-marins ; il avait appris que les humains étaient de passage sur terre, le temps d’une vie, et qu’ils étaient destinés à se consumer dans le Grand Sommeil. Il savait tant d’autres choses, Petid’homme ; il savait trop de choses. Et son menu crâne d’enfant souffrait d’avoir à contenir toutes ces pensées. 4
Elles avaient bien du mal à trouver une place, s’imbriquant l’une sur l’autre, prêtes à évincer la voisine pour gagner un peu plus d’espace. Chacune d’elles était déjà si volumineuse à son origine, elles avaient besoin de vide pour se développer et atteindre l’envergure à laquelle elles aspiraient. C’était pesant pour l’enfant et cela le rendait grave et sérieux. Petid’homme était à l’identique de ces volcans qui le fascinaient : à fleur de terre, à fleur de peau. Incandescent à l’intérieur et pourtant si calme à l’extérieur. Comme on reconnaît la prochaine éruption de ces montagnes de feu, on pouvait discerner la douleur poindre dans son petit être à l’expression de son regard tout à coup lointain, les pupilles assombries, plus veloutées, les yeux à peine embués. 5
Et cela arrivait souvent à Petid’homme ; en effet, il y avait une chose qu’il n’avait pas apprise – découverte trop tardivement, elle n’avait pu trouver place dans sa caboche saturée – : c’était le rire et la légèreté qui l’accompagne. Le rire de tout, le rire de soi. La cascade d’un rire vous rafraîchit l’âme, vous allège le cœur, vous évite les écueils du drame, vous réconforte car rien n’est vraiment grave, puisque tout vient, tout va et s’en va et revient et... Alors Petid’homme avait beau détenir un magnifique assortiment de connaissances, il lui manquait cruellement celle, fondamentale, qui lui aurait rendu toutes les autres supportables. 6
Il avait peu d’amis, Petid’homme. On disait de lui qu’il était rasant à toujours vouloir tout expliquer. Voyait-on une araignée fureter sur un mur ? Il dissertait sur les arachnides et leur rôle bénéfique au sein des habitations, interdisant de façon péremptoire à quiconque de leur faire le moindre mal. Voulait-on construire un château de sable ? Il fallait respecter l’architecture médiévale, installer le beffroi là puis la cour ici, ensuite seulement la basse-cour, sans oublier les cuisines extérieures, etc. Voulait-on jouer au foot ? Le terrain devait être très précisément délimité parce qu’il ne pourrait permettre une vraie partie s’il n’atteignait pas les dimensions requises.
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L’exactitude du garçon lassait royalement ses jeunes amis qui se moquaient de lui. Et plus ils le raillaient, plus Petid’homme se butait et s’accrochait à ses connaissances, à ses vérités. Et la souffrance s’infiltrait un peu plus en son cœur, laissant loin derrière le rire qui aurait pu tant le rasséréner. Un jour, trop honteux de n’être jamais compris, trop fier de son malheur, il partit, droit devant lui, n’emportant rien d’autre qu’un morceau de pain, une tablette de chocolat, des dattes – excellent nutritif –, de l’eau – il avait souvent soif –, son dictionnaire, son livre sur les insectes, et une petite encyclopédie générale – au cas où... –, tout cela entassé dans son cartable d’écolier. 10
Ah ! J’oubliais, un stylo, une gomme et un crayon, des fois qu’il aurait des notes à prendre : en première année d’école élémentaire, il commençait à écrire, tirant la langue sur l’effort fourni. Il marcha toute la journée, sans penser à rien, uniquement habité par sa révolte. À la nuit tombée, il se blottit dans un lit de fougères avenantes pour repartir de plus belle au petit matin, encouragé par les chants des coqs avoisinants. Il marcha ainsi longtemps, longtemps, toujours en droite ligne et, un beau jour, déboucha sur un petit port, un tout petit port de Bretagne.
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Le chant des sauterelles
clin d’œil à Pascale et Cumba
Il était une région aux humeurs climatiques plutôt clémentes. Pas de grosses canicules, pas d’automnes tempétueux, pas d’hivers glacials, et des printemps frais et ensoleillés. La température générale s’était même radoucie depuis les dix dernières années, au grand bonheur des insectes et parasites qui, tranquillement enfouis sous terre, attendaient, endormis, la fin de l’hiver pour réinvestir arbres et champs. Les espèces se reproduisaient démesurément et se propageaient chaque année davantage. On frisait la surpopulation. La Vallée aux Sauterelles détenait tous les records en la matière ! Elle devait son nom à la présence encombrante de sauterelles blondes qui pullulaient dans les champs de blés dont elles grappillaient les épis, défiant la menace toujours imminente d’être pourchassées par les paysans en colère. Jusqu’au jour où... 26
Jusqu’au jour où, très loin de là, sur l’un des continents méridionaux de la planète, de grands vents se levèrent, on ne sait pourquoi – une conjoncture hasardeuse mais non moins météorologique avait réuni plusieurs puissants courants d’air au sommet du Mont Phorus. Ravis de se rencontrer, ils dévalèrent ensemble les pentes arides de la montagne, augmentant ainsi leur vitesse et leur force, se déployèrent dans le désert de Cépy où ils prirent la forme d’un colossal ouragan avant d’aboutir dans les plaines habitées et cultivées qu’ils décimèrent furieusement, détruisant les champs, déracinant les arbres, arrachant clôtures et toitures, abattant les murs des maisons, soulevant les voitures comme des feuilles tourbillonnantes. Un dernier élan sur les dunes de Wallao, et ils traversèrent sans peine les océans pour débarquer sur notre continent septentrional et y semer, là aussi, la terreur. 28
Mais la configuration des terrains nouvellement abordés était très différente, vallonnée, découpée en de multiples reliefs, si bien que la tempête s’en trouva formidablement affaiblie, s’étiolant petit à petit, pour finalement se désintégrer devant de souverains massifs montagneux aux pieds desquels elle expira piteusement son dernier souffle. La distance parcourue avait été considérable des terres du Sud aux terres du Nord. L’impressionnante bourrasque avait charrié sur son passage une profusion d’éléments – tôles, tuiles, briques, meubles, planches, branches –, les plus légers achevant brutalement leur course par des chutes vertigineuses dans la mer ; elle avait entraîné dans ses sillons irrépressibles une multitude d’oiseaux qui, surpris par les variations de température, périrent pour la plupart en cours de vol ; enfin, des myriades d’insectes furent transportées, colportées de-ci de-là. 29
Et c’est ainsi qu’une modeste colonie de sauterelles brunes atterrit dans la Vallée aux sauterelles... blondes. Il va sans dire que son débarquement, succédant à la panique occasionnée par le phénomène cyclonique, ne fut pas des mieux accepté. Fort heureusement la contrée n’avait pas été trop touchée, et les tiges des blés avaient su se tordre sous l’impact du vent sans se briser. Souveraines en leur fief, les sauterelles blondes imposèrent immédiatement leurs lois aux sauterelles brunes, leur interdisant toute tentative de s’alimenter avant qu’elles ne soient elles-mêmes rassasiées. Les sauterelles brunes, groggy par ce voyage accidentel, transplantées dans un environnement totalement inconnu, assurément inhospitalier, n’avaient nullement l’énergie de se défendre et, soulagées de n’être pas étripées, exprimèrent leur gratitude pour les restes que l’on voudrait bien leur concéder. 30
Certaines, retrouvant plus rapidement leur vitalité, tentèrent de s’opposer à ce qu’elles ressentaient comme une profonde injustice. Avaient-elles demandé cette migration ? N’appartenaient-elles pas à la même famille, les blondes et les brunes, malgré leur différence de couleur ? C’était le soleil dur et torride du Sud qui avait caramélisé à l’extrême leur carapace. Sans doute les sauterelles blondes, au bout de centaines ou même seulement de dizaines de générations, seraient devenues brunes elles aussi ! « Pas savoir ! Pas savoir ! » Les sauterelles blondes restèrent implacables et allèrent jusqu’à éliminer les plus irréductibles, jugeant qu’elles représentaient un danger pour l’équilibre de leur écosystème ; quant aux rescapées, elles retenaient au fin fond de l’abdomen leur révolte pour au moins survivre, survivre, en attendant des jours plus favorables. 32
Estampillées par leur coloration distinctive, les sauterelles brunes ne pouvaient passer inaperçues. L’une d’elles s’immisçait-elle dans le domaine réservé aux blondes ? Immédiatement repérée, elle se faisait expulser sans ménagement et perdait durant la querelle soit une patte, un élytre, une aile, une mandibule ou une antenne dans le meilleur des cas, la vie au pire... La tension augmentait entre les deux clans. De plus, les sauterelles brunes se reproduisaient plus vite que les blondes ; pourtant elles ne se nourrissaient que de maigres résidus. L’état de crise qui s’ensuivit provoqua la scission de la colonie immigrée : d’un côté, celles qui voulaient rester dans les champs dans le but de préserver les traditions et de s’assurer coûte que coûte leur pérennité, préférant la sécurité de l’asservissement aux dangers de l’Inconnu ; de l’autre, celles qui estimaient impératif d’acquérir la connaissance de pppp 33
nouveaux espaces pour s’y faire une place décente, quitte à transformer leur mode de vie. Les plus hardies partirent en expédition, poussèrent leur quête jusqu’au cœur de broussailles menaçantes afin d’y expérimenter les subsistances dénichées, souvent peu engageantes, dont plusieurs se révélèrent vénéneuses, et même fatales pour de nombreuses femelles plus réceptives au poison. Les sauterelles blondes profitèrent des excursions de ces audacieuses pour les dissuader de revenir, limitant ainsi le nombre d’indésirables parmi elles : des sentinelles furent postées aux limites du territoire pour empêcher le retour intempestif des aventurières qui de toute façon n’insistèrent pas, considérant la liberté, même périlleuse, préférable à la servitude. Les sauterelles brunes restées dans les champs, craintives et inhibées, ne s’opposèrent pas au régime qu’elles avaient à endurer, trop soucieuses de ne pas être expulsées. 34
Ainsi s’organisa, cahin-caha, le quotidien de ces insectes, quand l’été se retira. Une fois de plus la douceur de l’hiver succéda à la douceur de l’automne. Et une fois de plus insectes et parasites bénéficièrent de l’indulgence du temps. Au printemps, la plaine nourricière accueillit de nouvelles semailles. Du maïs cette fois. Les sauterelles blondes grognassèrent, elles préféraient nettement le blé, mais bon, il fallait bien s’y faire. Les sauterelles brunes, un peu plus intégrées maintenant quoique toujours soumises aux règles imposées, se réjouissaient, elles, de pouvoir se nourrir, tout simplement. Mais cette année, les paysans, excédés de voir leurs récoltes éternellement endommagées par ces « foutues bestioles », avaient ramené des foires agricoles des graines de maïs très singulières. 35
Découvrez la suite de ce livre dans sa version papier éco-conçue et imprimée en France sur :
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Nathalie TROUVÉ Illustratrice
La légende voudrait que, sur son berceau, une bonne fée lui ait fait don d’un crayon HB, d’où sa passion pour le dessin. (On peut dire que c’est une personne qui a activement contribué à la déforestation amazonienne !) Après avoir décroché son diplôme d’architecture, elle est finalement devenue graphiste tout en continuant à dessiner, à participer à des festivals BD, et crée actuellement un fanzine fédérant de nombreux talents.
Toute reproduction même partielle de cet ouvrage est interdite sans autorisation de l’éditeur. Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse - Imprimé par BDM en Vendée (France)
...Une modeste colonie de sauterelles brunes atterrit dans la Vallée aux sauterelles... blondes. Il va sans dire que son débarquement ne fut pas des mieux accepté (...) Les sauterelles blondes imposèrent immédiatement leurs lois aux sauterelles brunes, leur interdisant toute tentative de s’alimenter avant qu’elles ne soient elles-mêmes rassasiées. (...) Certaines, retrouvant plus rapidement leur vitalité, tentèrent de s’opposer à ce qu’elles ressentaient comme une profonde injustice. Avaient-elles demandé cette migration ? N’appartenaient-elles pas à la même famille, les blondes et les brunes, malgré leur différence de couleur ?
à l’endroit
© Éditions Pour penser
13 rue Léon Pissot - 49300 Cholet - France Tél./Fax : 02 41 58 72 26 editions@pourpenser.com - http://www.pourpenser.com
ISBN : 978-2-915125-33-7 Dépôt légal : mars 2008
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Il savait tant d’autres choses, Petid’homme ; il savait trop de choses. Et son menu crâne d’enfant souffrait d’avoir à contenir toutes ces pensées. (...) C’était pesant pour l’enfant et cela le rendait grave et sérieux. (...) Il y avait une chose qu’il n’avait pas apprise – découverte trop tardivement, elle n’avait pu trouver place dans sa caboche saturée – : c’était le rire et la légèreté qui l’accompagne. Le rire de tout, le rire de soi.