PourGamberger Laetitia Pettini MĂŠlanie Fuentes
Roman
Je m’appelle Louison Casserole, j’ai dix ans, un prénom que je déteste et, surtout, je vis dans une famille de dingues ! Laissez-moi faire les présentations, vous ne serez pas déçus : mon père, François Casserole, est policier, mais il a une passion dévorante pour le monde de la mode. Résultat, il crée des robes et des bustiers pour tout le quartier pendant ses jours de congé. Il est marié à Leslie Lewis-Casserole, ma mère. Une Anglaise tombée sous le charme de la France, et surtout de mon père, lors d’une manifestation anti-OGM. François Casserole prêtait alors main-forte aux CRS pendant que Leslie Lewis lui lançait des grains de maïs de toutes les couleurs en
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criant : « Libérez les graines ! OGM à la poubelle ! » Entre deux slogans, elle a quand même réussi à se tordre la cheville sur un pavé et à se laisser tomber dans les bras de François. Ils ne se sont plus jamais lâchés. Elle continue ses combats pour l’avenir de la planète. Sa dernière lubie : la transformation des crottes de chien en combustibles de chauffage. Marie-Louise Casserole, ma grande sœur, a hérité comme moi d’un prénom complètement démodé. Pour se venger, elle s’habille tout en noir et élève des crapauds dans la baignoire. Mon père est furieux, pas à cause des crapauds, mais pour les vêtements. Du noir, du noir, toujours du noir, du soutien-gorge jusqu’au maquillage ! Quand on la voit arriver le matin au petit
vampires des années 1950. Pauvre papa ! Lui qui rêvait
raté.
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mère refuse catégoriquement que je l’appelle CaCa. Je trouvais pourtant ça drôle). De toute façon, les jumeaux sont inséparables et ont décidé à eux deux de ne faire plus qu’un. Impossible de les différencier, ils brouillent les pistes en permanence. Ils échangent leur lit, leurs vêtements, leur prénom et même leur place dans la classe ! Si bien que, petit à petit, ils sont devenus les CaCoCa. Vous imaginez bien qu’en réunissant tout ce petit monde dans la même pièce : François, Leslie, Marie-Louise et les CaCoCa, on obtient un cocktail explosif. Résultat, impossible d’inviter quelqu’un à la maison. À part mon meilleur copain Malik, aucun enfant n’a jamais franchi la porte de chez moi. Jusqu’à présent,
me pose un sacré problème. Et ce problème s’appelle Garance. Quel joli prénom ! Garance... Elle est belle, elle est drôle, elle est intelligente... Pourquoi tourner autour du pot : je suis amoureux. Amoureux avec un grand A, un A majuscule, pas un tout petit « a » riquiqui. Non, le vrai Amour. Celui qui donne des picotements
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dans
les
mains
et du rouge aux joues... et aussi celui
qui
rend
complètement idiot ! Que dis-je ! Pas seulement
idiot,
mais aussi muet comme
une
carpe la bouche ouverte. Si bien que je n’arrive pas à lui adresser la parole sauf pour ânonner : « Salut, Garance. Ça va ? » Et tous les matins, depuis le deuxième jour de la rentrée (le deuxième, parce que le premier, je ne connaissais pas encore son prénom), elle me répond : « Salut, Louison. Oui, ça va. » Je me suis très vite rendu compte que ce n’était pas avec ce genre de conversation qu’elle allait devenir
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à Malik. Il m’a convaincu que le seul moyen de la séduire, c’était de l’inviter à la maison. Et que pour faire
ce soit pour travailler. Faire un exposé, par exemple, lui semblait être une excellente idée. Le seul problème, c’est que je ne vois pas pourquoi elle accepterait de faire un exposé avec moi, Louison Casserole, plutôt qu’avec sa copine Lilou, première en tout ! Et c’est là que Malik a eu une idée de génie.
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1re partie du plan : Lundi matin, 8 h 20, juste avant d’entrer en classe. Malik : Salut, Lilou ! Lilou : Salut, Malik ! Malik : Il paraît que la maîtresse va nous proposer de faire des exposés cette année. Lilou : Génial ! Malik : Tu aimerais travailler sur quoi, toi ? Lilou : Je ne sais pas trop. J’aime bien les serpents... Alors, peut-être les serpents. Malik : Les serpents ?! Quelle coïncidence ! Moi aussi, j’adore les serpents. On pourrait peut-être faire l’exposé ensemble.
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Lilou : C’est gentil de me le proposer, mais je crois que je vais me mettre avec Garance. On a l’habitude de travailler toutes les deux, et puis, ne le prends pas mal,
Malik : Comme tu voudras, Lilou, c’était juste une idée.
À la récréation, Malik me raconte sa petite conversation avec Lilou. Son échec n’a pas l’air de le contrarier puisque, d’après lui, ce n’est que le commencement d’un gigantesque plan. Si tout fonctionne comme prévu, je vais pouvoir passer une après-midi avec Garance ! viter Garance à la maison, c’est le meilleur moyen pour qu’elle ne m’adresse plus jamais la parole. Je m’imagine déjà la scène : la belle Garance qui croise mon père dans le hall avec ses ciseaux dans une main et une robe de soirée en dentelle dans l’autre. Ou pire encore, la douce Garance qui s’évanouit devant ma sœur déguisée en morte-vivante avec un crapaud visqueux sur l’épaule.
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Elle ne peut pas venir chez moi, c’est trop risqué. Il faut donc absolument que ce soit elle qui m’invite ! Et comme Malik a décidé de m’aider, je ne peux plus me
2e partie du plan : Lundi matin, 11 h 35, bureau de la maîtresse. Malik : Maîtresse, j’ai une question à vous poser. La maîtresse : Oui, Malik, je t’écoute. Malik : Quand mes sœurs étaient dans votre classe, elles ont présenté des exposés. Est-ce qu’on peut en faire cette année ? Maîtresse : Bonne initiative, Malik. Je vais proposer ça aux élèves dès cette après-midi ! Malik : Vous pourriez même faire des équipes mixtes : un
Maîtresse : Bizarre que tu aies une idée comme cellelà... Tu ne veux pas te mettre avec Louison ? Vous vous êtes disputés ? Malik : Pas du tout, je trouvais que c’était plus original. J’ai remarqué que les garçons faisaient souvent des
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vaux. Mes sœurs n’arrêtent pas de me répéter que c’est
je me suis dit que ça pouvait bien commencer par un exposé en commun ! Maîtresse : Tu as de la chance d’avoir des grandes sœurs comme les tiennes. Tu sais qu’elles ont toutes les deux
d’exposé mixte... Allez, c’est l’heure d’aller à la cantine. Bon appétit, Malik ! Malik : Bon appétit, maîtresse !
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Malik me rejoue la scène entre le plat de haricots
déjà servi ! Elles passent leur temps à lui faire réviser les verbes du troisième groupe au présent de l’indicatif ! L’après-midi de classe passe très rapidement, et quand la maîtresse nous propose de préparer des exposés mixtes, je regarde Malik avec un grand sourire.
reste encore à faire : il faut convaincre Garance de travailler avec moi. Et là, c’est à moi de jouer...
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À la sortie de l’école, Lilou et Garance s’approchent de nous. Lilou avance d’un air résolu. Comme d’habitude, elle porte son gros cartable sur une seule épaule, ce qui lui donne des airs de Tour de Pise. Garance trottine derrière, elle semble virevolter comme un papillon
bleus, assortie à ses lunettes ! Ses cheveux lisses, coupés en un parfait carré, mettent en valeur son teint mat. Garance est née en Chine, ses yeux noirs s’étirent malicieusement quand elle rit. Elle est d’une beauté à cou-
tout d’accord avec moi. Nous n’avons pas les mêmes
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goûts, c’est tout. — On rentre à pied aujourd’hui. Vous faites un bout de trajet avec nous ? claironne Lilou. — Pourquoi pas, répond mon copain en se précipitant devant avec elle.
tourner rue de la Liberté, si bien que je me retrouve seul à côté de Garance. Je ne sais pas trop quoi lui dire. C’est le moment idéal pour lui proposer de faire l’exposé ensemble, mais comme toujours, les mots restent collés au fond de ma gorge comme un caramel qui aurait
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fondu au soleil. — Tu n’as pas envie de parler ? me demande-t-elle. Justement si ! J’ai mille choses à lui raconter. J’aimerais lui dire que, depuis qu’elle est dans la classe, je me lève avec le sourire chaque matin, je me brosse les dents en respectant bien les trois minutes réglementaires, je demande à mon père de me coiffer avec son spray spécial Force 4 et je supplie ma mère de me déposer à l’heure à l’école. Et encore des millions d’autres petits détails. Juste parce que j’ai envie qu’elle me regarde, qu’elle me trouve beau... Mais comme c’est impossible de lui avouer tout cela d’un seul coup en rentrant de l’école, je réponds bêtement : — Pas trop, mais tu peux parler si tu veux, je t’écoute. — Non, laisse tomber, on peut marcher en silence... C’est bien aussi, le silence. Quel idiot ! Louison, tu n’es qu’un imbécile ! Vas-y ! Lance-toi ! C’est le moment ou jamais. — Et sinon, tu en penses quoi des exposés ? — C’est génial ! Par contre, je suis un peu déçue,
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j’avais vraiment envie de le faire avec Lilou. Quelle idée
— Tout à fait d’accord avec toi. C’est nul, ces équipes mixtes. — Je ne sais pas du tout sur quoi je veux travailler. Et toi ?
— Si tu veux... Tiens, on arrive chez moi. Allez, salut, Louison ! — Salut, Garance... Vous avez déjà vu un chat qui regarde un poisson rouge dans un aquarium ? C’est à peu près la tête que je dois avoir à ce moment-là. Garance remonte l’allée qui mène jusqu’à sa porte et se retourne une dernière
— Rendez-vous mercredi prochain à 14 heures ! — Chez toi ? — Impossible, plutôt chez toi ! Je devrais hurler : « NON ! Pas chez moi, mes frères ont des poux ! » ou alors « mon père est un tueur en série
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qui vient de s’échapper de prison... » Mais je réponds bêtement : — D’accord. Et voilà, je suis coincé. Elle va arriver en plein milieu de la famille Casserole ! Je ne peux même pas l’envisager une seule seconde, ce serait comme inviter un bébé panda à un pique-nique entre tigres. Il ne me reste plus qu’à trouver une idée brillante pour évacuer toutes les casseroles ce jour-là. Et pour les idées, une seule solution : demi-tour, direction la maison de Malik. Je vais encore une fois avoir besoin des éclairs de génie de mon copain pour résoudre mon problème.
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— C’est vraiment dégoûtant ! — Tu veux être tranquille mercredi, oui ou non ? — Franchement, je ne sais plus. Ça fait trois jours qu’on ramasse toutes les crottes de chien du quartier, je n’en peux plus. J’ai l’impression que l’odeur se colle à ma peau et que je sens la crotte molle 24 heures sur 24. Ma mère est furieuse, car je prends deux douches par jour. Elle dit que je vide les nappes phréatiques de la région ! — Tu es en train de l’énerver, tant mieux, c’était prévu ! Le plan avait naturellement germé dans la tête de
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Malik alors qu’il regardait le petit journal de la mairie. Depuis trois jours, devant la maison, on déposait les crottes de chien qu’on avait ramassées sur les trottoirs. Et depuis trois jours, ma mère pestait, agitait les bras au ciel et consultait ses notes. Il était parfaitement inadmissible de laisser ces déjections canines se désagréger devant
fermenter et de récupérer le gaz. Et avec ce précieux gaz, on pourrait ainsi chauffer les maisons, les écoles, les hôpitaux... Sept millions de chiens en France, ce sont des tonnes et des tonnes de crottes qui moisissent ! Quel gaspillage quand même ! Bizarrement, personne ne prenait l’idée de ma mère au sérieux. Personne n’avait
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envie de se chauffer au caca, allez savoir pourquoi... Mais comme elle n’abandonnait jamais, Malik était certain qu’elle mordrait à l’hameçon. Mercredi après-midi, il y avait une table ronde à la mairie avec M. le maire et le grand spécialiste des énergies renouvelables, Sylvain
pour qu’elle organise une grande manifestation devant la mairie ce jour-là ! — Voilà ma mère ! Malik, vite, mets le journal de la mairie dans la boîte aux lettres ! Je jette les crottes de chien sur le trottoir, en plein devant notre allée, et je me réfugie derrière la haie avec Leslie role
mon
copain.
Lewis-Cassedébouche
du
coin de la rue à fond sur sa trottinette (elle boude sa vieille Coccinelle depuis qu’elle a appris qu’elle rejette
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124 grammes de CO2 par kilomètre !). Son sac à dos sur l’épaule, elle sort de son cours de self-défense, sourire aux lèvres. Elle a encore dû déboîter l’épaule de Robert, grand costaud de 1,95 m un peu trop mollasson à son goût. Elle pile en voyant l’amoncellement de crottes devant l’allée. — Ce n’est plus possible ! J’en ai assez maintenant ! Mais quel gâchis, mais quel gâchis !! Elle continue à tempêter tout en ouvrant la boîte aux lettres. Malik a bien pris soin de plier le journal à la page de mercredi. Leslie agrippe férocement le fascicule, jette un coup d’œil sur la page et s’arrête net. Un sourire se dessine sur ses lèvres, tandis que l’idée chemine jusqu’à son cerveau écolo.
couche et c’est gagné. Et c’est là que j’entre en scène. — Hello, maman ! — Bonjour, mon chéri. Tout s’est bien passé à l’école ? — Super ! On va faire des exposés. Par contre, le thème est imposé.
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— Quelle idée ! Et tu dois travailler sur quoi ? — Le pétrole ! Il faut que j’explique comment le pétrole a changé la vie des gens au XXe siècle. — Quoi ? — Eh oui, on ne pourrait pas s’en passer, du pétrole, non ? Pour chauffer les maisons, par exemple, ou pour faire rouler les voitures. Sans pétrole, comment ferait-on ? Ma mère plisse les yeux, prend le ton le plus doux possible et, très lentement, un peu comme si elle parlait à un demeuré, me dit : — Louison, écoute-moi. Je n’ai sans doute pas été assez claire avec toi pendant toutes ces années. Je me bats chaque jour pour que l’on arrête avec les énergies fossiles ! Le pétrole, le charbon, le gaz de schiste...
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Ce sont des énergies extrêmement polluantes. Tu le sais bien, Louison, que le pétrole, c’est bien plus dégoûtant que toutes ces crottes de chien ! Le ton commence à monter, je vois bien qu’elle se met à bouillir. La Cocotte-Minute va exploser d’un moment à l’autre. — Et puis, cela ne sert à rien de t’expliquer pendant des heures ! Il faut que je te prouve que j’ai raison ! Je vais te montrer, moi, que l’on peut vivre sans pétrole ! Mercredi après-midi, grande manifestation devant la mairie ! Tu m’accompagneras ! Tu vas voir comment on change le monde ! — Désolé, maman, mais mercredi après-midi, c’est le seul jour disponible pour faire l’exposé avec Malik... — Tant pis, j’irai sans toi ! Et l’an prochain, le sujet de ton exposé, ce sera « La révolution est en marche ! Comment la crotte de chien a changé nos vies ! ». Et voilà ! C’est dans la poche. Une de moins ! Je suis débarrassé d’un membre de la famille Casserole. Il m’en reste quatre à faire disparaître en seulement cinq jours...
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Plan d’évacuation numéro deux : ma sœur !
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— Marie-Louise ? — Qu’est-ce que tu veux ? Ma sœur est couchée sur son lit. Que dis-je ! Ma sœur est vautrée sur son lit avec ses grosses bottes noires à lacet en train d’écouter un CD de Black Vertige. Elle porte
dentelles sur les manches, ce qui lui donne un charme un peu ancien. J’aurais bien jeté toutes ces fanfreluches noires dans la benne à ordures, mais je dois avouer qu’elle a du style, Marie-Louise ! Finalement, elle a plus de points communs avec papa qu’elle ne l’imagine... — J’ai un petit service à te demander...
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— Non. — Mais attends, tu ne sais pas encore ce que c’est. — Non, mais je sais que je n’ai pas vraiment envie de te rendre service... Sauf si tu t’occupes de mes crapauds pendant mon week-end à Londres chez Granny ! — Je déteste quand tu fais ça ! — De quoi tu parles ? — Du chantage ! Tu me fais du chantage ! — J’adore... — Tu es vraiment nulle comme sœur ! — Attention, Louison ! Si tu as un service à me demander, il va falloir que tu changes de ton. Qu’est-ce
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que tu veux ?
voir si on peut devenir ami avec Teddy Riner. — Le judoka ? — Évidemment. Tu connais quelqu’un d’autre qui a un prénom d’ours en peluche ? — Je n’ai pas du tout envie d’être amie avec Teddy Riner, moi. Pourquoi je ferais ça ? Je déteste le judo ! — Juste pour voir sa page. Allez, s’il te plaît, MarieLouise, fais-moi plaisir. Pense à tes crapauds chéris... Si tu regardes maintenant, je m’en occupe comme de gros bébés. Marie-Louise, touchée en plein cœur. Ses crapauds, elle en raffole : pas en persillade sautés à la poêle, mais dans la baignoire transformée Maman
fait
en
mare.
semblant -
nalement, ça l’arrange bien que les crapauds
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occupent la baignoire, papa ne peut plus prendre de bains. Et un bain de papa, c’est 200 litres d’eau qui partent dans les égouts ! À cause des crapauds visqueux, il se retrouve donc dans la douche avec un gros chronomètre au-dessus du pommeau. Au bout de 4 minutes, dring !!!!!!! L’alarme retentit, et ce sont seulement 50 litres d’eau de gaspillés ! Marie-Louise, à moitié convaincue, allume sa tablette et clique sur Facebook.
passe ! Bingo ! Dans la poche ! Je n’ai plus qu’à faire semblant de m’intéresser à Teddy Riner pendant quelques
En route pour la deuxième étape !
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Lundi matin, 8 h 20. Il ne me reste plus que deux jours pour évacuer le reste de ma famille sans éveiller les soupçons. Perdu dans mes sombres pensées, j’évite de
— Salut, Louison ! La voix cristalline de Garance traverse l’espace qui nous sépare pour faire frétiller mes oreilles. Quelle douceur dans chacun de ses mots... — Tu es dans la lune ce matin ? — Salut, Garance. Excuse-moi, je révise mentalement mes tables de multiplication. Quel lourdaud ! Réviser ses tables à 8 heures, n’im-
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porte quoi... Elle ne va jamais me croire ! — Tu es vraiment super sérieux. Je suis bien contente que nous puissions faire l’exposé ensemble. Au fait, c’est toujours bon pour mercredi ? Tu en as parlé à tes parents ? — Bien sûr, ils sont d’accord, pas de problème. — Comme sujet, j’avais pensé à « la cuisine du monde ». — Super bonne idée ! — Comme on vient d’arriver dans la région, ma mère n’ose pas me laisser partir toute seule chez un copain qu’elle ne connaît pas. Elle aimerait téléphoner à tes parents avant. Tu peux me passer ton numéro de téléphone ? NOOOOOOOOOOOOOOOON ! La poisse ! Si elle appelle ma mère, c’est foutu ! Tout mon plan est anéanti ! Ce n’est pas possible, il faut que je trouve une solution pour gagner du temps, vite, vite... — Pas de problème, Garance, je te l’écris sur un bout de papier en arrivant en classe et je te le passe à la
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récré. — Merci, Louison ! Ma mère sera rassurée. À tout à l’heure. Malik ! Au secours ! Où est-il passé encore, celui-là ? La cloche va sonner. Au bout de la rue, un petit brun à bouclettes arrive en sautillant. — Salut, Louison. Qu’est-ce qui t’arrive ? — Je t’attendais. J’ai un sérieux problème. — Quoi encore ? — La mère de Garance veut téléphoner chez moi
— C’est normal, non ? — Mais comment je vais faire ?! Si mes parents sont au courant, ils vont se débrouiller pour rentrer plus tôt ou pour me laisser Marie-Louise en chaperon. L’horreur ! Tu ne pourrais pas convaincre une de tes sœurs de jouer le rôle de ma mère ?
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— Tu es fou ! Elles vont m’étriper si je leur demande un truc pareil. — Même en leur faisant un peu de chantage... — Tu penses à quoi ?
square. Ils sont au courant, tes parents ? — Quel copain ? Elle a un copain ! Pas possible ! Elle cache bien son jeu ! Bon, ça peut marcher alors... Par contre, il faut que tu donnes le numéro de portable de ma sœur à Garance avec l’heure précise à laquelle elle va appeler. — Merci, Malik, tu me sauves la vie ! — Et au fait, Marie-Louise, tu t’en es débarrassé ? — C’est comme si c’était fait. Le matin même, Marie-Louise avait déboulé comme
Facebook qu’elle avait été tirée au sort par la maison de disque Noircœur. Elle avait gagné le privilège de passer un mercredi après-midi avec sa star préférée, Salomon Black, chanteur du groupe Black Vertige. Bien entendu,
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tout était bidon, complètement bidon ! J’avais réussi à pirater sa page Facebook grâce à son mot de passe et à créer ce faux tirage au sort ! Elle s’imaginait déjà descendre du train gare de Lyon et tomber dans les bras du ténébreux Salomon Black. Elle allait être déçue, la pauvre. Pourvu qu’elle ne devine jamais mon rôle dans cette
rondelles et de me donner à manger à ses crapauds pustuleux !
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Papa est un artiste. Un vrai de vrai. Malheureusement, il n’est ni artiste peintre ni musicien de génie. Sa spécialité, c’est la mode. Dessiner des robes, acheter du tissu, réaliser les patrons, coudre, coudre et recoudre. Voilà ce qui le met d’excellente humeur chaque jour de congé. Il pose son pistolet dans un coffre fermé à double tour et sort délicatement son dé à coudre d’un petit étui de soie. Les autres papas font du foot, du vélo ou de la moto, ils jouent à la pétanque et rigolent avec leurs amis. Mon père, il n’a pas vraiment de copains, plutôt des copines, qui viennent prendre des cours de couture ou se faire dessiner une robe de soirée. Il ne fait pas de
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sport, il dit que courir après les cambrioleurs, c’est déjà du sport. Je suis certain que ses collègues de travail se moquent un peu de lui. Même si c’est un bon policier, être passionné de mode, ça craint vraiment dans son milieu. En tout cas, à l’école, je n’en parle pas, j’ai un ment quand elles apprennent que la nouvelle tenue de leur mère a été imaginée par François Casserole. Mais heureusement, elles restent discrètes.
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Quoi qu’il en soit, pour attirer mon père hors de la mai-
faire appel à sa passion ! — Papa ! Papa ! — Qu’est-ce qui se passe, Louison ? Pourquoi tu cries comme ça ? — Tu peux m’accompagner au Skate Park, s’il te plaît
te montrer. — Tu sais bien que je n’y connais rien en skate. Qu’estce que c’est que ce Quick Machinchose...
le skate fait un tour sur lui-même, et j’atterris dessus, comme un champion ! Allez, viens.
Le chemin jusqu’au Skate Park n’est pas très long, mais il a l’énorme avantage de passer juste devant la Tannerie, une salle de concerts très tendance en ville. En fait, c’est la seule salle de concerts, mais elle a la classe ! Avant-gardiste, rock, écolo, tout pour plaire à la
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famille Casserole ! Et justement, elle est en vue...
les murs de la Tannerie ! On va voir. — Si tu veux, mais il faut que je sois rentré dans 25 minutes, je suis de service ce soir. — Juste 2 minutes, papa... J’espère que Malik, mon complice, a bien fait son boulot. La veille, il avait soudoyé sa grande sœur, étudiante en dessin, pour qu’elle nous donne un petit coup de pouce. Et là, franchement, la réalité dépasse mon imagination ! çade de la Tannerie. En gros titre :
Grand concours de stylisme organisé par l’École supérieure des arts du textile de Lyon. 1er prix : stage de 3 jours à Paris avec le couturier Phil
mercredi 6 octobre à 14 h, salle de la Tannerie. Présentez-vous devant la porte latérale. Attention : at-
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tente prévue (2 heures minimum). Venir avec son matériel de couture et un patron de « petite robe noire décolletée dans le dos ».
étoiles brillent dans ses yeux. Il se voit déjà faire virevolter la dentelle noire, étirer le Lycra, repasser la soie, vernir les boutons nacrés. Phil Bobinet, c’est le couturier qu’il admire le plus au monde. Il reste là, à rêver, les yeux ouverts... Et moi, je commence sérieusement à culpabiliser. Se -
au regard de Garance pour oublier tous mes doutes. Le jeu en vaut bien la chandelle, non ?
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