Assis sur un rocher (extrait)

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I

Un chemin au bord d’un lac. Sur ce chemin, une petite maison en pierre. Une porte en bois. Dessus, écrit à la craie : Elle s’arrête, la bouille au vent. Regarde sur sa gauche. La porte. Elle toque. Il ouvre. Il est barbu, pas tout à fait. Il la regarde. Silence. — Bonjour, il est où le gros animal ?

Un nuage passe. — C’est toi l’Ours ? — Il paraît. Autre chose ? — C’est quoi être libre ? Ça veut dire quoi sauvage ? Les grands, ils ont peur aussi ? — Demain, je serai à mon bureau. — Il est où ?

Il montre un gros rocher un peu plus loin, face au lac. — À demain, grognon plein de poils ! Silence. Le lac, grand bleu.

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II

Le lendemain, elle est à l’heure. Il est en avance. L ’enfant regarde droit devant elle : — Tu n’aimerais pas être un grand bateau à voiles ? — Tu prends les voiles ou tu restes à quai, l’important, c’est le mouvement. Tu vois le vent ? — Ben non. — Tant que tu ne vois pas le vent, ça ne sert à rien d’être un bateau. Silence. Brise légère et douce. — Et toi, gros ours, tu vois quelque chose bouger sur le lac ? — Non, pas pour l’instant. — Alors pourquoi tu restes devant ? Sourire. Ours regarde le lac, puis la petite. Il dit : — Moi, je voulais la mer. — La taille des vagues. — Toi, des fois, tu es étrange dans tes mots ! — Il paraît.

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III

D L’enfant, assise sur son rocher, bouge ses pieds qui ne touchent pas terre. — Moi, j’ai peur des fois le soir. Des fois même la journée. J’ai peur de me faire gronder. J’ai peur de ne pas y arriver. Des fois même, j’ai peur de je ne sais pas qui, de je ne sais pas quoi. Ours joue avec un caillou : facteurs, des petits postiers. Ils t’apportent un message. Un courrier. À toi de savoir si tu t’intéresses au facteur ou au courrier. À toi de sentir si c’est le bon moment pour ouvrir la matin, c’est la factrice. C’est comme moi au lycée, ce que je préférais dans les cours de mathématiques, c’était les jambes

— Tu ne t’intéressais pas vraiment au courrier, si j’ai bien compris ? — Un âge pour tout. Chacun son rythme.

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IV

Un autre jour. Le vent se lève. j’aime bien. — Je ne sais pas, je n’en mets jamais. — Et ta barbe, tu l’as tous les jours ? — Oui, mais des fois, elle est triste. — Tu ne pleures quand même pas de la barbe ? Sourire.

— C’est essayer de préserver le petit être insolent, candide, chaque jour d’en prendre soin. Le laisser sourire, s’indigner. Et agir. — L’important, c’est ce qu’il y a dessous.

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V

C L’enfant regarde en l’air, puis regarde Ours et lui demande : — Tu rêves, toi, des fois ? — Oui, tous les jours, puis je m’endors. — Ça sert à quoi de rêver, si c’est pour t’endormir ? — D’abord, une bonne roupille, ça te change la bête ! Ensuite, un rêve, gamine, c’est de l’intime. Moi, je frétille « boum boum » et je tremble des cuisses à l’idée d’une escapade nocturne dans

porter, transporter par les messages des songes, voire par les bousculer, voyager, raconter par nos étoiles intimes. Puis d’un coup, tu te retrouves debout et tu chantes.

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Silence, puis la petite laisse échapper : — Les rêves, c’est un peu comme tes réponses. — Ben, je ne les comprends pas, mais je les aime bien. Sourire. Un rêve passe.

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VI

Aujourd’hui, nouveau jour. Lac plat. — T’aimes bien les virgules, gros ours ? Ma tata, quand elle parle, elle n’en met pas. Elle ne met pas de point non plus. Elle parle d’un trait. Comme un train rapide. Elle parle comme elle pense. Des fois, elle pense pas, elle parle quand même. Silence. Au loin, un oiseau. Il plane. Lui : — On peut conjuguer les mots au temps urgence ou bien au temps patience. On peut parler au rythme poésie ou bien fantaisie. On peut se raconter la vie en ancien temps ou laisser jaillir un ailleurs. Mon père, quand il parlait, il avait la bouche dans le ciel. La musique de nos mots, le tempo de nos grognements, les paysages de nos phrases… Nos langages ont bien plus que quatre saisons.

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— Ça doit quand même être triste une journée sans virgule. Pire, une semaine sans point d’interrogation. L’horreur, une vie

t’invitent à jouer, à frétiller, à t’amuser, à inventer… Une ponctuation chatouille quoi ! Lui se tourne vers elle. Il la regarde. Elle, la bouche dans le ciel.

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VII

L Ours et Petite sont assis sur le rocher, contemplatifs. Ours : — Un caillou, c’est comme un secret. Petite, la tête en l’air : — Un caillou, ça murmure, ça te voyage mille et un langages, ça

bien avant ton passage. — Un nuage, ça invente des bizarres rigolos. Une tortue à

Ours sourit :

Petite regarde Ours :

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VIII

Ce matin, Ours a allumé un feu au bord du lac. Elle est hypnotisée. C’est orange, jaune, rouge.

La parole des ancêtres. Ours regarde danser ces enfants du Soleil. Il se remémore sa vie cheyenne. Le feu les accompagne, une présence sacrée qui crépite à l’oreille.

L’ours et l’enfant se rapprochent. Le sol est de braise. Le silence les enveloppe. Plus aucun bruissement. Juste la présence. Le feu, l’ours et la môme. Et le domaine des esprits… Incandescence.

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