La princesse et la bergère - Complet

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Aline de PĂŠtigny

La princesse et la bergère et deux autres contes


L’auteure : « Aline de Pétigny est une

ses personnages pénètrent dans le

Davina Delor




La princesse et la bergère

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l était une fois, une très, très jolie princesse, qui s’appelait Eglantine. Elle vivait dans un très, très joli château, entourée de ses parents. doigts et de dire « je veux ceci ! » ou bien « je veux cela ! » pour qu’un serviteur accoure Le matin, elle pouvait partir se promener à pied, en voiture ou en patins à roulettes. Si elle le souhaitait, elle pouvait rester bien au chaud, sous sa couette, à ne rien faire. Elle pouvait même, quand elle le demandait, aller à l’école.

Pour être franc, la princesse Eglantine n’était pas heureuse, pas heureuse du tout. Elle avait pourtant, comme on dit souvent, tout pour être heureuse : la beauté, l’intelligence, la richesse. Il ne faisait pas de doute que, dans quelques années, elle se marierait avec un Mais en attendant, la princesse Eglantine n’était pas heureuse, pas heureuse du tout.

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n beau jour de printemps, alors qu’elle se promenait tranquillement à travers champs, elle rencontra une jeune bergère qui faisait paître ses moutons. Celle-ci, malgré son dur labeur et ses pauvres habits, chantait gaiement et semblait vraiment heureuse. - Donne-moi le secret de ton bonheur et je te couvrirai d’or, dit la princesse Eglantine en arrivant vers elle. - Bonjour ! dit en souriant la bergère. - Oui, oui, donne-moi le secret de ton bonheur et je te couvrirai d’or, répéta la princesse sans même répondre au sourire. - Assieds-toi et partage mon repas. Je n’ai pas grand chose mais c’est avec plaisir que... - Donne-moi le secret de ton bonheur et je te couvrirai d’or, dit la princesse en ne répondant même pas à la gentille invitation. - Je ne peux pas te le vendre, répondit la bergère. Il n’est pas à moi. - A personne, à tout le monde. Il est à toi aussi, si tu sais l’écouter. Veux-tu du pain et de l’eau ? proposa la bergère. - Ne m’embête pas sans cesse avec ton maigre repas. Je n’en veux pas. Les mets du château sont autrement meilleurs, répliqua Eglantine. Que dois-je écouter ? - Je te le dis : « Bonjour » dit en souriant la bergère. - Mais es-tu folle ? Ne sais-tu dire autre chose ? s’exclama la princesse Eglantine hors d’elle.

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ette pauvre bergère n’a vraiment pas beaucoup de conversation, pensa-t-elle en descendant la colline.

soudain elle eut honte, vraiment très honte d’elle-même. - Elle m’a dit d’écouter et je l’ai traitée de folle. Je ne suis vraiment pas une grande le lendemain matin. Quand Eglantine arriva près de la bergère le lendemain matin, celle-ci lui sourit et lui dit : - Bonjour. As-tu passé une bonne nuit ? trop chaude, les serviteurs n’arrêtaient pas d’aller et venir et je me demandais si j’allais prendre la voiture ou mes patins à roulettes. Et toi, as-tu passé une bonne nuit ?

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h oui ! Les étoiles étaient très belles et les trois moutons contre lesquels j’ai dormi m’ont tenu bien chaud. Eglantine se mordit la lèvre. Qu’elle était bête! Elle, la princesse avait tout pour passer déjeuner au réveil. De plus, s’il pleuvait, elle était bien à l’abri, et elle trouvait encore le - Veux-tu partager mon repas ? demanda la bergère. Eglantine allait répondre «Non ! J’ai un succulent repas qui m’attend au château», mais elle sourit et répondit : - Oui, avec plaisir. - Veux-tu m’apprendre à être heureuse ? demanda gentiment la princesse Eglantine. Je te promets d’être une bonne élève. hier. Alors, à demain ?

avait dit la bergère. Qu’avait-elle donc appris depuis la veille ? Après un long moment, elle sut ce qui avait changé en elle.

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ier matin, la bergère était une bergère, semblable à cent mille autres bergères. Mais ce matin, Eglantine avait fait attention à elle, lui avait dit bonjour, s’était inquiétée de sa nuit, avait partagé avec plaisir son repas, lui avait demandé, et non ordonné, de lui apprendre le bonheur. En un mot, elle l’avait respectée. Cette nuit-là, Eglantine dormit bien et, quand elle se leva, elle salua avec plaisir tous les serviteurs auxquels elle ne faisait jamais attention, leur demandant comment allaient leurs enfants, s’ils n’avaient pas mal aux dents, s’ils apprenaient bien à l’école. tout léger et qu’elle avait même envie de chanter. - Bonjour Bergère ! Comment vas-tu ce matin ? - Très bien. Et toi ? As-tu bien dormi ? - Oh oui. Les serviteurs du palais ont fait du bruit, la couette était trop chaude, mon lit palais et qu’ils préparaient mon petit déjeuner. Et, même si ma couette me tenait trop chaud, j’étais bien heureuse de l’avoir. Quant à mon lit, tant pis s’il est trop dur,

tranquillement.

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eux-tu m’apprendre à être heureuse ? demanda gentiment la princesse Eglantine.

Alors, à demain ?

Le soir, après avoir pris un bain, elle se pelotonna sous sa couette et avant de s’endormir Hier matin, elle s’était plainte des serviteurs, de son lit, de sa couette, ne voulant pas même apercevoir la chance qu’elle avait. Ce matin, elle avait été heureuse d’avoir une En un mot, elle était heureuse de ce qu’elle avait, même si ce n’était pas parfait, et elle remerciait le ciel pour ces bienfaits. Cette nuit-là encore, Eglantine dormit bien.

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e matin, quand la princesse Eglantine se leva, après avoir parlé avec les serviteurs, après avoir savouré son petit déjeuner, elle monta tout en haut de la colline, chargée d’un énorme paquet tout mou. Arrivée en haut, elle posa l’énorme paquet tout mou près de la bergère. - Regarde ce que je t’apporte ! de plumes d’oiseaux très rares. - Merci pour ta couette, elle est belle. Veux-tu déjeuner avec moi aujourd’hui encore ? - Quoi ? s’écria Eglantine vexée. C’est tout ce que tu trouves à dire :

plumes pour le ventre et les plus belles plumes pour le haut de la couette.

d’oiseaux très rares. Et toi, Bergère, je t’en donne une et tu me dis juste merci !

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eux-tu déjeuner avec moi aujourd’hui encore ? Malgré son mécontentement, la princesse Eglantine accepta l’invitation. mais délicieux repas.

bergère. Je te promets d’être une bonne élève.

Qu’avait-elle donc bien pu apprendre depuis la veille ? elle tenait tant. Elle avait appris à donner, ce qu’elle ne faisait jamais. Mais le don qu’elle avait fait n’était pas complet. Elle comprit soudain que le don est complet que si on n’attend rien en retour. Pas même un merci. Alors, toute heureuse de sa découverte, elle remercia le ciel pour tous les bienfaits qu’il lui prodiguait et s’endormit tranquillement.

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e matin, quand la princesse Eglantine se leva, elle salua les serviteurs, parla avec eux de la pluie et du beau temps et leur offrit des gâteaux. Les serviteurs furent bien étonnés. Depuis quelques jours, la princesse Eglantine n’était plus tout à fait la même et voilà qu’aujourd’hui elle leur offrait, à eux, ses serviteurs, ces

Avant de partir sur la colline, elle salua tout le monde dans le palais, parla un peu avec Puis, elle monta tout en haut de la colline chargée de l’énorme paquet tout mou. Arrivée près de la bergère, elle posa le paquet et dit : - Regarde ce que je t’apporte !

et dit : - Merci pour ta couette, elle est belle. Veux-tu déjeuner avec moi ? - Oui, avec plaisir. pas de parler du lendemain et de la promenade qu’elle voulait faire, de la semaine suivante et de la visite de ses cousins, du mois prochain et de son grand bal. Le repas fut frugal, mais délicieux comme à l’habitude ; cependant Eglantine n’aurait pu dire ce qu’elle venait de manger.

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s-tu remarqué les jolis papillons qui se sont posés sur ta robe tout à l’heure ? demanda la bergère. Comment as-tu trouvé mon gâteau ? Eglantine s’arrêta soudain de parler et de penser à mille et une choses. Elle regarda les si le gâteau était au chocolat, aux pommes ou à l’abricot. Elle passa le reste de l’après-midi à regarder paître les moutons et voler les papillons. A la Une fois de plus, la princesse Eglantine demanda à la bergère : - Veux-tu m’apprendre à être heureuse ? Je te promets d’être une bonne élève. Et invariablement, la bergère repondit : - J’en suis sûre ! Tu as déjà appris beaucoup de chose depuis hier. A demain.

Qu’avait-elle donc appris depuis la veille ? lendemain, la semaine prochaine et le mois suivant, elle avait oublié de vivre l’instant présent, celui qui ne passe qu’une fois.

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’aurai beau déjeuner cent fois, mille fois encore avec la bergère, se dit-elle, jamais

Et elle se promit de toujours vivre l’instant présent, celui qui ne passe qu’une seule fois. Le matin, quand la princesse Eglantine se leva, elle salua les serviteurs, parla avec eux de la pluie et du beau temps, leur offrit des gâteaux et, au lieu de dire des tas de bêtises l’unique à laquelle elle avait droit. plus de ces succulents petits gâteaux car elle les avait offerts à tout le monde. Après avoir remercié ses serviteurs de lui avoir servi ce délicieux repas, elle passa par la cuisine pour remercier les cuisinières. Puis elle partit voir la bergère, comme les matins précédents. - Bonjour Bergère. As-tu bien dormi ?

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onjour. J’ai passé une excellente nuit et, grâce à ta couette, je n’ai pas eu froid. - J’en suis heureuse. J’ai eu une idée ce matin. Si tu venais vivre au palais ? Tu aurais une chambre et... - Mais j’aime dormir à la belle étoile. - Ah... eh bien tu dormirais dans les jardins. Tu serais protégée par les gardes et... - Ah... eh bien tu dormirais dans les jardins, sans les gardes. - Et mes moutons ? - Un berger viendrait te remplacer, répondit Eglantine en haussant les épaules. - Mais non, ce sont mes moutons. J’aime les garder et les regarder. d’être traitée comme une princesse et tu refuses ? - J’aime ce que je fais, expliqua la bergère. J’aime ma colline, mes moutons, les papillons, la pluie qui arrose les prés, le soleil qui les réchauffe. Ton château, tes belles robes, tes délicieux repas m’ennuieraient. Je te remercie car je sais que tu voulais me faire plaisir. Veux-tu déjeuner avec moi ?

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frugal mais délicieux repas. Une fois de plus, Eglantine demanda à la bergère de lui apprendre le bonheur. Et une fois de plus, la bergère accepta. elle donc appris depuis la veille ?

la chose la plus importante dans le bonheur, c’est d’être soi-même et de ne jamais faire une chose avec laquelle on n’est pas pleinement en accord. Le lendemain matin, elle se réveilla très tôt, s’habilla très vite, descendit à la cuisine et prépara son petit déjeuner elle-même. Bien sûr, les tartines étaient un peu brûlées, les gâteaux ratatinés, le jus d’orange trop sucré, le chocolat trop salé, mais tout ce déjeuner, c’était elle qui l’avait fait.

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ésormais, ce sera ainsi tous les matins, déclara-t-elle une fois dans la salle à manger. Je veux devenir une bonne cuisinière. - Mais Princesse, vous êtes princesse ! s’exclamèrent ses dames de compagnie. Après le plus mauvais de tous les petits déjeuners de sa vie, elle grimpa sur la colline, serrant bien fort contre elle un gros paquet et un petit paquet. - Bonjour Bergère. Comment vas-tu aujourd’hui ? As-tu passé une bonne nuit ? - Très bonne. Tu as l’air en pleine forme aujourd’hui, Princesse Eglantine. - Oui, et ce sera ainsi tous les jours de ma vie ! Tiens, voici un cadeau, dit Eglantine en tendant le plus gros paquet. La bergère ôta délicatement le papier et découvrit une tente transparente. - Tu pourras regarder les étoiles à l’abri de la pluie et du vent. - Et regarde, continua Eglantine, j’ai préparé moi-même notre repas. Veux-tu déjeuner avec moi ? frugal mais... très mauvais repas. - Maintenant que tu as appris le bonheur, tu devrais prendre des cours de cuisine !

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La robe invisible

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comme sa mamie. Elle avait des taches de rousseur partout, partout, comme sa mamie. Elle aimait beaucoup la musique, comme sa mamie. Et elle aimait sa mamie, autant que sa mamie l’aimait. Amandine était donc très heureuse entre son papa, sa maman, son grand frère Alban et sa mamie. Mais un jour, un mauvais jour tout gris, la mamie d’Amandine tomba malade. Ce n’était pas un rhume ou une petite bronchite de rien du tout. C’était un peu plus grave... c’était même beaucoup plus grave. Tous les jours à la sortie de l’école, Amandine allait à l’hôpital voir sa mamie et, tous les jours, elle en ressortait un peu plus triste. Sa mamie ne guérissait pas et, elle le savait, sa mamie ne guérirait pas. Et Amandine soupirait. A qui pouvait-elle bien en parler ? Tout le monde faisait comme sortir de l’hôpital, mais Amandine l’entendait soupirer de tristesse. Alban faisait semblant de Un lundi soir, Amandine arriva à l’hôpital, ouvrit tout doucement la porte de la chambre de sa mamie et s’approcha sans faire de bruit du grand lit.

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mandine regarda sa mamie. Elle avait encore changé depuis la veille. Elle se faisait plus petite. Ses taches de rousseur, celles qu’Amandine aimait tant, paraissaient lui mêmes que ceux d’Amandine, s’étendaient autour de son visage, presque comme une auréole.

- Il est temps qu’on parle toutes les deux, dit-elle. Assieds-toi.

tu le sais.

- Oui, je sais tu ne seras plus là, tu seras ... morte. - C’est vrai, je vais mourir, mais je serai encore là, près de toi. - Mes taches de rousseur, mes cheveux tout roux, mes doigts qui ont joué de la musique, tout mon corps sera au cimetière, c’est vrai. Mais tout mon amour pour toi, toutes mes envies de rire, de chanter, de danser, de te serrer dans mes bras seront là, près de toi, de ta maman, de ton papa, de ton grand frère. Je serai invisible mais présente.

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t si je te parle, tu m’entendras ? - Bien sûr mon amour. - Et si tu me parles, je t’entendrai ? - C’est possible. Certaines personnes entendent les Invisibles. - Tu me verras ? - Bien sûr mon amour. - Je te verrai ? - Alors, c’est un peu comme si tu changeais de robe. Tu vas mettre une robe qui te rend invisible, mais tu veilleras sur nous.

Elle savait que sa mamie veillerait sur elle comme elle avait toujours eu l’habitude de le faire. Quelques jours plus tard, la mamie d’Amandine changea de robe. Ce soir-là, Amandine pleura. Elle avait beau savoir que sa mamie était là, près d’elle, il fallait quand même qu’elle s’habitue à ne plus la voir, à ne plus l’entendre comme avant. elle sourit. - Bonne nuit Mamie chérie. A demain, dit-elle avant de s’endormir.

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Victor, le petit ours qui pensait à l’envers

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l était une fois un petit ours qui s’appelait Victor. Il habitait avec toute sa famille dans une jolie petite maison, entourée d’un joli petit jardin, tout au bout d’un joli petit chemin. Victor avait donc tout pour être heureux, mais seulement, il avait un petit problème. Il pensait mal. Il n’était ni bête, ni idiot. Au contraire, il était plutôt malin et futé, mais il pensait à l’envers. Quand il faisait un gâteau, il se disait : Et le gâteau était raté. Quand il jouait avec des copains, il pensait : - C’est sûr, je vais perdre ! Et c’est sûr, toujours il perdait. Quand il faisait du vélo, il murmurait : - Je vais tomber, comme d’habitude ! Et il tombait, comme d’habitude ! Et tout le monde disait : - Victor est un mignon petit ours, mais il n’a vraiment pas de chance ! Et Victor pensait : - Oui, je n’ai vraiment pas de chance !

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champs en pensant : Bien sûr, quelques minutes plus tard, Victor se retrouvait par terre, le pantalon déchiré, les - Pourquoi je n’ai jamais de chance ? dit-il tristement. Victor se retourna, regarda de tous les côtés. Mais il ne vit personne. Très intrigué, Victor répéta sa question. - Pourquoi je n’ai jamais de chance ? dit-il tout doucement.

souriant.

expliqua la toute petite coccinelle. - C’est tout ? demanda Victor. avant de s’envoler.

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V l’endroit : - Pense à l’endroit, tout ira mieux pour toi ! Je vais attraper un papillon. Et après deux ou trois tentatives, il attrapa un joli papillon bleu qu’il relâcha aussitôt.

Depuis ce jour là, quand Victor fait un gâteau il se dit : - Je vais le réussir ! Et le gâteau est réussi. Quand il joue avec des copains il pense : - Je vais gagner ! Et il gagne. Quand il fait du vélo, il murmure : - Tout va bien se passer ! Et tout se passe bien. Et tout le monde dit, - Victor est un mignon petit ours, et il a vraiment de la chance ! et Victor pense : - Oui, j’ai vraiment de la chance !

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Fin

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www.pourpenser.fr


La princesse et la bergère ou la simplicité volontaire expliquée à mes enfants. (ainsi qu’à mon mari, mes frères, mon père, ma mère et mes grands-parents...) Ce texte d’Aline de Pétigny, écrit en 1999, reste plus que jamais d’actualité. A travers l’histoire d’une rencontre, l’auteure propose au jeune lecteur une vie plus simple, et l’invite à prendre le temps d’observer autour de lui, à rester attentif à l’autre, à remercier et à donner. Ces valeurs universelles, pourtant ringardisées durant ces dernières décennies, trouvent aujourd’hui un nouvel écho auprès de toutes celles et ceux qui remettent en cause un système basé sur la consommation, sur «avoir» plutôt que «être». Les deux contes qui complètent ce livre abordent les thèmes de la mort et de la

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© Pourpenser Editions

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