LoĂŻc Godart
L’oiseau chante comme le lui permet son bec
Akileos
©2014 Éditions AKILEOS 162 Cours du Maréchal Galliéni, 33400 Talence www.akileos.com Relecture : Dominique Gervais. Tous droits réservés. Aucune reproduction, totale ou partielle, n’est autorisée sans la permission écrite des détenteurs du copyright. ISBN: 978-2-35574-166-1 Le présent ouvrage a été imprimé en XXX 2014, par XXX, en XXX. Dépôt légal: août 2014. 10 9 8 7 6 5 4 3 2
Hé, toi là-bas !
Bon dieu...
Comment tu fais ton compte pour toujours te retrouver dans des Êtats pareils ?
6h20...
Le premier "1" arrive et déverse à guillotine sa cargaison de voyageurs... Ils vont petit à petit remplir le quartier, ils vont aller et venir, monter et descendre toute la journée, à rythme régulier. Un nouveau flot toutes les 15 minutes, toutes les 7 aux heures de pointe.
Certains flâneront, d’autres, pressés, bousculeront tout le monde. Dans le lot, y’en a forcément deux-trois qui se mettront sur la gueule...
Alors les flics feront leur ronde, cueilleront deuxtrois fumeurs de zelta... c’est comme ça tous les jours, ça s’passe tout le temps comme ça.
Moi, je me suis installé à ma place habituelle, sur la petite marche devant le café qui fait l’angle.
Avant, j’avais ma table. Mais maintenant, avec le nouveau dispositif, on peut plus y fumer. Donc, je me retrouve là. On peut dire sans exagérer que c’est le gouvernement qui m’a mis à la porte, finalement.
Tiens, le facteur a oublié ça hier, pendant sa tournée.
Si tu voulais bien ramener ça à la poste ou l’apporter à son propriétaire, c’est à deux rues d’ici. Enfin... tu fais comme tu veux.
Rhaaa, Moe...
Ouais, j’arrive !
Si Moe m’a confié cette responsabilité, c’est qu’il sait qu’il peut compter sur moi.
Je n’ai qu’une parole ...
Néanmoins, il sait aussi que là c’est jeudi, et que l’jeudi, c’est ma journée spéciale, c’est le jour où je vais rendre visite à Makémono.
Et que par conséquent, son type allait devoir attendre.
Ici, à Guillotine, Makémono c’est une institution, comme on dit. Elle en a vu des vertes et des pas mûres, des rabougries et des vérolées. Elle en connaît des petits secrets...
Elle garde ça pour elle, Makémono, mais faut pas la faire chier...
Et si guillotine c’est pas un coupe-gorge, c’est pas vraiment du fait des hommes en bleu, c’est parce qu’y a quelqu’un qui tient les comptes, si on peut dire. C’est Makémono qui tient la boutique. Et Makémono...
Sinon, ça pleurerait dans les chaumières, et y’aurait certaines réputations qui s’écrouleraient.
Monte, j’arrive.
...faut pas la faire chier.
Y’a pas idée, quand même...
Eh ben, mon petit...
Pour ce coup, ils t’ont pas raté.
Allez, assiedstoi...
Je vais rafistoler ta petite gueule de champion.
Voilà, fais voir ta frimousse ...
Ah, T’as vraiment un look de boxeur, maintenant !
Un peu gring’ peutêtre...
Tu sens le rat crevé. Même à l’armée du salut, ils voudraient pas de toi.
Eh bien, tu vas droit au but toi, aujourd’hui. Mais d’abord, à la douche mon petit père.
Allez, jette-toi là-dedans, mon coq au vin !
Tu sais ce qui me faudrait ? C’est un homme. ça me fait presque mal au coeur de dire ça, mais c’est la vérité.
Et moi je serais là, les doigts de pied en éventail, il m’apporterait un mojito, m’embrasserait sur le front...
Enfin bon, c’est pas tout ça, mais y’a Pipo qui va arriver... t’as un peu de ronds pour ta journée ?
Un homme, tu vois, qui m’emmènerait ailleurs, sur une île au soleil...
Et puis il s’assiérait à côté de moi. On se dirait rien, ou pas grand-chose. Et ce serait toujours comme ça.
Bah, je ne sais même pas pourquoi je te demande ça...
ouais, c’est ça, marretoi ! toi aussi, il te faudrait une petite poulette.
Tiens, prends ça... je t’ai mis des fringues propres sur le lit. à jeudi prochain.
Je m’demande des fois d’où c’est qu’ils viennent tous ces gens, où ils vont, qu’est-ce qui les pousse à tant de déplacements...
Pourquoi aller et venir ? pourquoi ils ne restent pas en place ?
Pourquoi cette agitation ? Pourquoi courir, partir et revenir sur ses pas ?
Qu’est-ce qu’ils cherchent ? Qu’est-ce qu’ils fuient ? C’est le "1", peut-être. C’est le "1" qui leur dit quand partir et quand arriver.
Mouais, c’est le "1", j’me dis des fois.
Oui ! Bravo, bravo !
Faut pas vous gêner, porc ! Ah, elle est belle la France !
Malgré son regard myope et ses lourdes montures, son message était limpide. Il me disait : "Vas-y, mec. Si je pouvais encore bouger un bras, crois bien que je le ferais moi-même...
Vas-y, mec, balance-moi du pont ou jette-moi sous le "1", merde. Je m’suis battu pour la République, j’étais sur tous les fronts. Tu me dois bien ça, putain, je me suis battu, moi."
Je le connaissais par cœur ce refrain sur la République...
Alors, malgré ma situation inconfortable, je lui ai dit qu’il se débrouille tout seul, qu’y avait des professionnels pour ce genre de jobs...
...qu’il me lâche avec sa République.
Chacun sa merde, en somme.
...Gamin, on me l’avait fait apprendre par cœur à grands coups d’Alain Decaux.
Pendant que la vieille crachait sa bile à propos de la mienne, j’étais attiré par le regard du vieux.
Mais moi je t’emmerde, sale truie !
Quoi ? Mais t’as vu comment tu m’parles, connard ?!
J’te parle comme j’te parle.
Ah, ouais ! Tu t’retrouverais bien comme une conne si j’me barrais... Mais t’as qu’à te casser si t’es pas content !
T’inquiète que j’te courrais pas après, trou du’c !
Fais gaffe ! Me pousse pas à bout !
C’est ça ! Et qu’estce que tu vas faire, couille molle ?
Fais gaffe, j’t’ai dit !
Tu crois qu’j’ai peur de toi ?
Mais qu’est-ce que tu...
Danke.
MAis... Aïe ! Putain d’enculé !!