Chapitre I
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Tavernier ! Sers-nous ta meilleure piquette !
ET presse-toi ! Ah, ah !
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Encore des provinciaux venus rejoindre l’ost royal. Il aura fière allure cet ost, avec des chevaliers puant la pisse et le crottin.
Merci. Du bel ouvrage, le copiste. Comme toujours.
Tiens.
Plus c’est proche du fumier et plus ça pète au-dessus de son cul.
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Bref, à nous.
Foi de Raoul ! Tu es à mon goût, mignonne ! Ah, ah !
Personne ne me touche, Messire. J’appartiens au Triste Sire.
Ah ! Et où est-il ce Triste Sire, que je le rosse ? Ah, ah !
Ici.
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Amen.
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P
aris, le dernier jour de janvier 1194.
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U
ne semaine plus tĂ´t, le soir du 24 janvier.
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Ah, qu’il est bon de rentrer chez soi !
Voilà qui va me réchauffer par cette froide soirée d’hiver.
Qu’y a-t-il ?
Parle ! Pourquoi cette mine ?
Je... je suis désolée, sire.
Tout est allé très vite...
Je suis désolée, je n’ai rien pu faire.
et je...
Sybille !
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Elle a quitté sa chambre... et...
Je suis désolée...
je n’aurais jamais dû sortir... Je voulais juste parler un peu...
Ce père meurtri était mon plus fidèle ami.
Non, c’est ma faute... J’aurais dû être présent…
J
e le connaissais depuis près de trois ans et il était devenu ma seule famille.
Je lui devais beaucoup.
Je t’aime.
ou laisser des hommes pour te protéger…
Ma vie, mais pas seulement. Il me nourrissait, m’habillait et me logeait.
Dans un bordel, certes… Mais après tout, nous étions des hommes de peu de foi…
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J
e lui avais déjà dit que sa fille ne devrait pas vivre avec nous. Ce n’était pas une place pour elle.
C
ependant, il souhaitait l’avoir près de lui. Pour la protéger…
J
’avais fini par me taire. Je préférais ne pas le mettre en colère.
Il était capable du pire comme du meilleur. Et ses colères étaient légendaires.
Comment va-t-elle ?
Saïf...
Cependant, en trois ans, je n’avais jamais vu une telle rage en lui.
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trouve-le. Vite.
Le 26 janvier.
L
’imposant Martin était un marchand renommé. Il alimentait de ses denrées nos tripots et nos bordels.
Boissons, viandes, légumes, mais aussi vêtements et orfèvrerie.
C
’était une relation d’affaires qui durait, basée sur la confiance et le respect mutuel.
P
as ce jour-là.
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Il ne savait pas…. On pensait… On croyait que ce n’était qu’une fille….comme... comme les autres….
Guilhem...
P
our fêter un nouvel accord, Martin avait invité ses associés dans l’un de nos bordels. Le plus prestigieux.
L’alcool et l’arrogance aidant, la soirée s’était très mal terminée.
Guilhem Poudevignes… Il vient d’Aquitaine… C’est un marchand de vin…Jacob me l’a présenté. Il le connaît bien. D’Aquitaine ? Intéressant…
Je suis désolé… désolé...
Tu peux l’être. Je reviendrai te parler de nos accords. Des renégociations s’imposent.
Martin allait payer le prix fort. Et sans se plaindre. Il savait où était sa place.
Pour le dérangement.
Q
uant à Guilhem Poudevignes, il allait l’apprendre bientôt.
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Ce même jour...
Poudevignes, Poudevignes… Voyons…
Jacob, dit l’Hébreux, nous régalait de ses facéties habituelles.
Il feignait la surprise et l’ignorance. En réalité, son savoir était sa richesse. Et Jacob était immensément riche.
Il connaissait par cœur les confidences qu’il souhaitait nous vendre.
Ah, le voilà...
L
es évènements du bordel n’étaient pas encore terminés que Jacob savait déjà tout sur la vie de Guilhem Poudevignes.
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C’est un riche marchand de Bordeaux. Très influent. Il est membre du conseil de la cité, le Jurade, et on le dit proche de la Duchesse d’Aquitaine. Son vin aussi est très apprécié, notamment en Angleterre. Il est à Paris depuis moins d’une semaine, pour affaire.
Et où peut-on le trouver ?
Reprenez votre or. Cette fois-ci, j’aurais besoin d’un service.
Quel genre de service ?
Une promesse écrite de la part de votre maître. La promesse que le Roi de France ne me dépouillera plus jamais de mes biens.
Votre Triste Sire peutil obtenir cela ?
Il a l’oreille du Roi. Il l’obtiendra.
Bien. Voici son adresse. Pour le reste, je vous fais confiance.
Une dernière chose… Votre Guilhem Poudevignes a emprunté une très forte somme à certains de mes associés. Et il a également recruté des hommes pour… sa protection.
A
défaut d’une réelle confiance, Jacob savait pertinemment que personne n’oserait le duper. Ses confidences étaient chères, mais essentielles. Le trahir était bien trop dangereux.
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Alors… Agissez avec prudence.
Le 28 janvier.
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Alors tiens tes gueux, et brique tes bordels et tes tripots.
Rien ne doit perturber le séjour des émissaires de l’Empereur.
Tu connais les enjeux de cette visite.
Envoyés de l’Empereur ou non, ce sont avant tout des hommes.
Alors assure-toi de satisfaire leurs besoins primaires. Je me charge de la politique.
Bien, Sire.
Barthélémy ! à nous.
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Sire ?
Ah, une dernière chose !
Sire ?
Trois chevaliers, des pouilleux du Vexin, ont sollicité une entrevue. Ils ont un léger différent avec l’autorité royale.
L’audience se tiendra dans deux jours. À moins que d’ici là, ils n’aient fait une mauvaise rencontre dans les bas-fonds de ma bonne cité.
Hélas, sire, ces malheurs adviennent encore trop souvent. Malgré mes efforts, Paris reste une ville dangereuse, Majesté.
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L
e Grand Châtelet, premier jour de fÊvrier 1194.
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Je n’aime pas ça. Ce n’est pas logique.
C’est surtout dégoûtant.
Par mes burnes, veux-tu te concentrer sur notre affaire, s’il te plaît !
Oui… Oui… qu’est-ce qui te dérange ?
Le quartier… Un vrai coupe-gorge qui sent la tripaille et la merde de bétail...
Je confirme.
Alors pourquoi un bourgeois aussi prospère que notre marchand de vin s’installerait ici ?
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La Rumeur.
Invisible, insaisissable et surtout, silencieux comme la mort.
Ce garçon était
l’espion le plus efficace du Triste Sire.
Un problème ?
Ce sont des hommes de Glaber, le boucher.
Ce n’est pas un de nos alliés, lui ?
J
e ne l’appréciais pas vraiment...
M
ais il rendait des services inestimables.
Et merde...
Si.
Et le Triste Sire avait confiance en lui.
Et même l’un des plus dangereux…
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Comme tous les bouchers en Occident…
Elle sent mauvais cette affaire.
très mauvais…
Là ! Qui est-ce ?
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Et pourquoi on ne l’a pas vue entrer ?
Elle devait être là avant notre arrivée. Sa femme, peut-être ?
Non. Selon Jacob, il n’est pas marié.
Vous êtes prêts ?
Mon frère, j’ai des doutes. Quelque chose cloche chez cet homme. C’est normal, c’est un espion à la solde de la Duchesse d’Aquitaine. Et ces quelques lettres le prouveront aisément.
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Je ne parle pas de ça… Je ne le sens pas… Il
Tu n’as plus envie de lui faire payer ses actes ?
Si, si...
mais, ce sont des hommes de Glaber qui le protègent.
Alors on ne laisse aucun témoin.
Pour Sybille !
Mais, Glaber est un…
Pour Sybille.
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C
e soir-là, le Triste Sire avait fait taire sa prudence habituelle.
Il faut que nous soyons rapides. Le prévôt et ses hommes ne doivent pas avoir le temps de réagir.
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l n’avait plus que sa vengeance à l’esprit.
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Et elle serait notre perte.
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