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Poupées vivantes Les apprenties geishas de Kyoto

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Genève

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POUPÉES VIVANTES

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Les apprenties geishas de Kyoto Au crépuscule, dans un lacis de ruelles bordées de maisonnettes au bois patiné, passent les silhouettes furtives des Maikos. Dernières apprenties geishas, elles se pressent à petits pas vers leur premier rendez-vous. Juchées sur leurs hautes socques, parées de kimonos éclatants, le visage peint de blanc, elles arborent une chevelure relevée en coques, parsemée de noeuds rouges et de breloques... Ordre millénaire aux règles informelles, elles perpétuent la tradition d’un Japon secret et anachronique.

© MLASSEUR

Devenir apprentie geisha à quinze ans est une entrée en religion, dans un ordre informel, mais millénaire, à la règle non dite, aussi stricte qu’implacable.

Au crépuscule, le «gaijin» (l’étranger) qui fait le voyage de Kyoto se doit d’arpenter les ruelles des quartiers de Pontocho ou de Gion. C’est l’heure à laquelle on aperçoit les silhouettes fugaces des apprenties geishas, les maikos, qui sortent des maisons de thé. Symboles de la tradition et de l’art du Japon, ces poupées vivantes au visage crayeux sont parées de kimonos éclatants. Elles se pressent à petits pas vers leur premier rendez-vous, juchées en équilibre sur leurs hautes socques à clochettes. La chevelure relevée en coques est parsemée de noeuds rouges et de breloques en forme de bouquets, glycines, saules, ou papillons... ai o signifie fille de la danse»: devenir apprentie geisha à quinze ans est une entrée en religion, dans un ordre informel, mais millénaire, à la règle non dite, aussi stricte qu’implacable. stème anachronique la finalité et l’éthique ambiguës, poliment fermé aux étrangers! La façade bicentenaire de la maison de thé Komaya s’orne d’un bac à bambous verts et de l’obligatoire lanterne de papier. ne très eune fille man uvre la grille aux barreaux de bois. Fumi Shizu, seize ans, est en «yucata» (peignoir) à trois heures de l’après-midi. Elle va se préparer pour des réceptions programmées longtemps à l’avance: trois heures sont nécessaires pour la mise en scène! Fumishizu, allure enfantine et minauderies innocentes, vit à l’ochaya (maison de thé) avec trois compagnes, deux par chambre, sans fenêtre: Kimimaru, petite boulotte, présente quelques signes d’acné sur ses joues bien rondes, Toshiharu, maiko montée en graine avec des sourcils en forme de toit de pagode et la petite Mameshizu, poupée dont les joues se creusent joliment de fossettes quand elle sourit. Toutes ont seize ou dix-sept ans. Il faudra cinq années pour parvenir au statut de «geisha» ou plutôt «geigi» comme on dit à Kyoto. Elles dansent, chantent et distraient les invités redevenus enfants avec des jeux comme «pigeon vole» ou colin-maillard dans des «ryotei». La majorité des affaires japonaises se traitent dans ces restaurants luxueux où se perpé- •

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Kyoto, le Pavillon d’or.

tuent les repas des lettrés d’antan. A la mode de Kyoto, la maison oma a ait donc o fice de maison de thé et de maison de geisha. es demoiselles vont prendre leur bain très chaud et asan appelé aussi amisan, l’honorable patronne , ancienne geisha de ans, vient les frictionner.

Un après-midi en compagnie d’une maiko 1 h umishizu s’installe devant son miroir ovale pour procéder aux soins délicats du maquillage, sous le regard de son ic e avori, assise sur le tatami. lle applique une base de colle sur le visage, le cou, les épaules et le dos en priorité sur la nuque, endroit érotique pour les ippons . uis elle met un ond de teint blanc qui orme un masque sur le visage, tapote de la poudre en abondance, souligne les yeux de rouge, se noircit les cils et peint une bouche cramoisie sur des lèvres e acées avec du blanc. e ne peindrai la lèvre supérieure qu’après un an d’apprentissage . La maison est une vraie ruche. umishizu consulte son agenda un vrai programme de emme d’a aires eules les grandes compagnies peuvent s’o rir le luxe d’un d ner en compagnie de mai os l’heure en compagnie d’une seule mai o, sans compter le repas .

Artiste avant tout oshiharu ne pense pas que sa vie soit contraignante, ni d’une autre époque on père est agent de police iroshima et elle a tou ours rêvé de danser vêtue d’un imono tra ne. La mère de la maison de thé asan onde de grands espoirs sur elle et surtout sur sa virginité, un capital d’au moins , lequel peut être cédé usqu’ ... trois ois hut, cela ait partie du plus pro ond secret des tatamis amisan veille sur ses protégées. ue reste t il donc de l’amour? La geisha n’est pas nécessairement amoureuse de son anna protecteur . ela ait partie des contraintes librement acceptées, mais elle attend en contrepartie, avec un

brin de cynisme, d’être l’objet de cadeaux et d’attention. Quant aux hommes, il est très mal vu de tomber amoureux d’une maiko, même après sa transformation en geisha... Fumishizu part en trottinant sur ses hautes socques à clochettes vers son premier rendez-vous de la soirée, au «ryotei» Yotsujo, restaurant japonais traditionnel très chic. «Je salue toujours la propriétaire avec déférence et je m’enquiers de qui sont les invités», explique Fumishizu. Aujourd’hui, il s’agit d’un groupe de cadres d’une célèbre banque japonaise. Les convives sont déjà assis quand maikos et geishas font leur entrée. Elles circulent parmi les dîneurs et repèrent les personnes assises aux moins bonnes places. «Ce sont généralement celles qui payent et de futurs clients en puissance». Les coupes de saké se vident, les baguettes s’agitent dans la joie des conversations décousues. Maikos et geishas ne grignotent pas le moindre morceau. Agenouillée, Fumishizu verse du saké dans les coupes, Kimimaru converse de sa voix haut perchée et Mameshizu joue du shamisen. Dans le monde des maisons de thé, le salaire versé à la mai o s’appelle une eur . «Okasan tient les comptes et me paie une ou deux fois par mois, mais je reçois aussi des cachets de danseuse ou de chanteuse perçus dans une enveloppe que je glisse dans l’échancrure de mon imono , confie umishizu avec son air de jolie poupée peinte. Une heure plus tard, la jeune maiko s’achemine vers son second rendez-vous de la soirée. Elle passe devant le théâtre Kaburenjo et marque un arrêt devant les paniers de saké (alcool de riz) entassés devant la façade.

Les danses de printemps La danse japonaise traditionnelle est la spécialité de Fumishizu: le lendemain elle participera avec ferveur au «Kita no Odori», danses du mois d’avril. Avec les premières eurs de cerisiers commence une longue série de fêtes et réjouissances qui vont durer trois semaines. Les maikos d’un même quartier se produisent dans leur théâtre. Les quatre amies ont un rôle important dans la anse du rintemps elles posent sur l’a fiche avec leurs costumes extraordinaires. Le spectacle sera aussi dans la salle avec les anciennes geishas revêtues de kimonos éblouissants. Les mères (patronnes) des maisons de thé, anciennes geishas, viennent tous les jours au théâtre pour aire travailler leurs filles et bavarder entre elles. Dans la cour aménagée en jardin japonais, les maikos se reposent. Ici on est loin de l’agitation de Gion et de ses hordes de touristes qui traquent les maikos, appareils photo en main. Dans ce petit théâtre de Kamishichiken, au nord-ouest de Kyoto, dans le quartier des tisserands de Nishijin, on les rencontre en avril et en octobre. Certaines bredouillent quelques mots d’anglais. A l’exception des bouteilles de coca, des montres et des appareils photos, tout ici vient du siècle passé. n Michèle Lasseur

Les habits d’une maiko Des tiroirs de l’armoire en paulownia bourrés de kimonos bien pliés, Fumishizu sort sa garde-robe. Les dessous de la maiko sont d’une grande simplicité: elles ne portent pas de culotte, mais enroulé autour de la taille le traditionnel koshimaki, pièce de tissu fin, en soie ou en nylon. «Satisfaire à des besoins naturels avec un kimono est déjà bien assez difficile sans avoir encore à compliquer l’opération!», soupire Kimimaru sans pudeur, qui enfile une chemisette en voile de coton croisée. Puis un sous-kimono en soie rouge, le juban. Et enfin, procédure fastidieuse, dix ceintures, puis le col qui soutient le kimono aux manches de damas rose pâle. Prêtée par Okasan (la mère de la maison de thé), cet accessoire essentiel et précieux tient… grâce à un «obi»* de brocart orné de glycines violettes, maintenu par une cordelette rouge au tressage serré. En tout 20 kg d’étoffe! Une paire de «tabi» de coton d’un blanc éclatant gantent les pieds. Avec les «pokkiri», socques de bois de 10 cm de hauteur munies d’un grelot à l’intérieur, la demoiselle sera parée. «Ce kimono n’est pas à moi, mais à Okasan. Il coûte 15 000 euros. Et la ceinture (obi) autant» soupire-t-elle dans un gazouillis.

Pratique Deux ans au Japon 1876-1878 de Louis Kreitmann Collège de France Institut des Hautes Etudes Japonaises, 2015 www.japan.travel/fr/fr/ *«Obi» : large ceinture.

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