Process #18

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P # 18 avril MAi 18



Et voici, un Process particulièrement riche et dense avec ce numéro 18. Ca bouillonne, ca sent le printemps, la fraîcheur et la nouveauté. Il y a un paquet de choses dont on avait envie de vous parler et on a eu bien du mal à choisir entre tous les sujets, car, hélas, il faut bien tenir dans un espace forcément trop restreint. Petit tour d’horizon de ce qui vous attends ici, un numéro plutôt féminin, et ça nous plaît. On avait d’abord envie de vous parler d’une expo qui s’annonce plus que prometteuse au Cellier à Reims. Une expo sur des femmes photographes, toujours très minoritaires dans les expos de photos, alors qu’un œil de femme vaut bien celui d’un homme. C’est l’association « La Salle d’Attente » qui porte cette expo et qui donne une belle idée de qui sont ces photographes et de ce qu’est l’enjeu de leur travail. On vous parle aussi cinéma avec deux interviews de cinéastes, des femmes donc, Chantal Richard, qui montre son film « Ce dont mon cœur a besoin » à Charleville-Mézières et Reims, et Dominique Cabrera, qui montre son film « Folle embellie » au café Gem à Reims. Il sera également question de danse avec un focus sur Nacera Belaza, une chorégraphe, très subtile que vous devez absolument aller découvrir au Manège. La création est aussi celle des entrepreneurs, et nous avons choisi de vous faire découvrir un personnage à la fois connu comme le loup blanc et en retrait de l’établissement pour lequel il travaille (Les Crayères) : Hervé Fort, un pur entrepreneur au parcours incroyable. À mi-chemin entre la rubrique Gout et la rubrique Business on vous raconte l’histoire du Printemps des champagnes, un événement qui a permis de voire éclore les vignerons en tant qu’acteurs autonomes et proches du terroir. De champagne, il sera aussi question, avec notre sujet sur le travail que mène Taittinger avec l’ESAD de Reims autour de ses vins rosés. On vous raconte aussi le formidable   ÉDITEUR / Dir. de publication  Benoît Pelletier    RÉALISATION / design / diffusion  www.belleripe.fr    direction artistique   Benoît Pelletier  assisté de amélie luca

concours AUDI talent awards et la divine surprise d’une expo Pete Doherty à la Maison des Ailleurs de Charleville-Mézières. Il sera aussi question de musique et de serial killers, et, petite cerise sur le gâteau, nous vous emmenons à la découverte de Dorothée Richard, artiste feutrée, petite pépite, pour l’instant trop méconnue. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul vous trouverez inséré au centre de votre magazine un poster portant en étendard une citation du spectacle de Ferdinand Barbet « Narcisse » joué à la Comédie de Reims. Foisonnant, on vous dit.

Si vo u s souhaite z de ve nir d i ffu seu r, vo us abo nne r pour recevoi r le magazine c he z vou s, ou e n com mande r un ex empl ai re , contacte z n ous ici : h ello @proce ss -mag.com P OUR DEVENI R ANN ON C EU R, DIFFU SEUR OU PARTENAIRE : bp @proce ss -mag.com 06 80 6 5 89 72

Le magazine PROCESS es t édité par Belleripe SARL - 5 avenue vallio ud 69110 Sainte-f oy-lès-lyon . Tous droits réservés. Toute reproduction , même partielle es t interdite, sans autor isatio n . Le magazine PROCESS décline to ute responsabilité po ur les documents remis. Les textes, illus trations et photographies publiés en gagent l a seule responsabilité de leurs auteurs et leur présen ce dans le magazine impl ique leur libre public atio n . Le magazine PROCESS es t disponible gratuitement dans 170 point s de dépôt à Reims et 40 à c harleville-mézières. retrouvez toute l a lis te sur www.process-mag.co m Magazine à parution bimes trielle. COUV © Wilma Hurs kainen

www.p roce ss-mag.c om

Benoît Pelletier


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BENOÎT PELLETIER  éditeur  directeur créatif  & photographe

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HOP goût a u d i ta l e n t s awa r d s d o m i n i q u e c a b r e r a «  f o l l e e m b e l l i e  » l e s p r i n t r o s é  : w o r k s hop d e l ' e s a d av e c l e c h a m p a g n e t a i t i n g e r / nacera belaza / s o u s l e s f e u t r e s D e Do r o t h é e R i c h a r d / l e p r i n t e m p s d e s c h a m pag n e s / e x po s i t i o n p e t e d oh e r t y / l a pho t o g r a ph i e a u f é m i n i n p l u r i e l / ph i l i pp e l e g o f f  : D e l ’ i n u k t i t u t à C é s a r é / Gérard Liger-Belair / murder ballads / c h a n t a l r i c h a r d  : f i l m e r e n v i va n t / p a r c o u r s d ' u n e n t r e p r e n e u r  : h e r v é f o r t  d e b o r a h l a g i e r / figures

Anne-sophie velly  DA de Maison Vide art contemporain, musiques   & confettis

PLA

@ p r o c e s s m ag a z i n e p r o c e s s _ m ag a z i n e @ m ag a z i n e P r o c e s s

© Stéphane de Bourgie

JULES FÉVRIER  journaliste   & photographe

SYLVÈRE HIEULLE  OVNI (& accessoirement   photographe)

agathe cebe  rédactrice   & journaliste freelance

Jérôme Descamps  réalisateur   & montreur de films

arnaud lallement  chef ***

JUSTINE PHILIPPE  journaliste

contributeurs   CYRILLE PLANSON  redac-chef La Scène,   Le Piccolo, Théâtre(s) mag

NICOLAS DAMBRE  journaliste & auteur

françoise Lacan  spécialiste du spectacle vivant & fan de dancefloor

Retrouvez nous sur

www.proce ss-mag.c om


PLAYLIST la playlist ECRILLUSTRÉE D’ANNE-SOPHIE VELLY

1

Allez donc vous faire bronzer

Sacha   Distel

Écran total pour les blonds et les roux, huile de monoï pour les bruns et un cornet 2 boules vanille pour moi s’il vous plait. C’est le printemps, il fait 3 degrés, -3 ressentis, il pleut, mais l’heure d’été nous laisse présager un réchauffement climatique. Je prends donc le droit de rêver aux coups de soleil que je vais finir par avoir sur les plages de Stella Plage au mois d’août. Et Sacha Distel qui lui sera à Saint-Tropez, en chantonnant du Yeah Yeah qui résonnera dans mes oreilles comme la douce voix du vendeur de « chichis beignets chouchous ».

3

www.mixcloud.com/salsifi-velly/

2

Most anything

Sage

J’aime trouver « mes » morceaux toute seule, un peu comme une chasse aux trésors. C’est comme découvrir un nouveau continent sur lequel je pourrais inviter des amis et leur montrer à quel point on y est bien grâce à moi, oui, c’est très métallo finalement… Il arrive que je fasse des exceptions quand mes proches me conseillent de venir sur leur terre nouvelle… « tiens écoute ça, tu pourrais aimer ! » j’ai donc accepté de déroger à mes règles et ce morceau de Sage équivaut au nuage de lait qui adoucit un café trop fort. C’est doux et subtil comme un mélange de McCartney et Andy Shauf. Tiens, écoute, tu devrais aimer.

4

95 C

Sur le quai

Valérie   Lemercier

The Bewitched Hands

Double dose de Burgala dans cette playlist, 2 morceaux très différents et à 23 ans d’intervalle. Celui ci date de 1996, musique de Bertrand Burgala, textes et chants par Valérie Lemercier. Léger léger, indémodable de fantaisies comme son interprète. Qu’on goûte ses frites ou son 95 C dans son bungalow en prenant sa douche avec son cheval de savon, on ne peut être que séduit et amusé par ce morceau et cet album tout entier. Il faut bien le dire, le dire 95 C, j’en ai toujours rêvé…

5

ICARE

Yuksek &   BErtrand Burgalat Joli duo inattendu que celui ci. Inattendu mais pas improbable. Yuksek maître électro et Bertrand Burgalat gourou POP ont fait d’Icare un mythe simple & funky, solaire et efficace. Ce n’est pas le soleil qui va brûler les ailes d’Icare, mais les reflets de la boule à facettes qui sera son soleil de minuit pendant 3 minutes 42. Sur une piste de danse disco labyrinthique, on s’oublie entre les claps,et les claviers… C’est Party (fine).

uteurs 05

Sur le Quai c’est un morceau dans Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy mais c’est aussi la seule chanson en français de feu le groupe Bewitched Hands On The Top Of Our Heads. « Sur le quai » chanté en duo par Anthonin Ternant et Marianne Mérillon, maintenant membres des Black Bones, est un petit joyau musical. On attend avec eux ce train qui n’arrivera jamais sur ce quai désert qui se transforme en terrain de jeux « Et tu t'imagines à peu près tout ce que tu veux (…)   Mais est-ce que c’est mieux ? ». Alerte Grève SNCF.

Good Intentions Paving Company

6

Joanna Newsom

Pour être honnête je ne vous parlerai pas des paroles de ce morceau que je chante en yaourt a tue tête dans ma voiture… quand je suis seule, je précise. Des mélodies singulières, une voix toute aussi peu commune entre Kate Bush et le timbre de voix d’une enfant de 10 ans. Comment définir ce morceau ? Folk, baroque. De toute évidence, hors piste. Comme j’aime.


news cloud faut pas rater ça

de 15h à 16h

18/04

18h30

19/04

Atelier   cerf-volant

Vente aux   enchères

l'Escal /  Witry-lès-Reims

Palais du Tau / reims

Venez construire votre cerf-volant et l’emmener côtoyer les plus grands à l’occasion du festival du cerf-volant du 21 avril. Vous pourrez voir votre œuvre fendre la bise…

Nouvelle vente aux enchères organisée par Velours pour soutenir l’association 123 eXtra qui aide les enfants de la région rémoise, porteurs de trisomie21 ou autistes. Ce sont cette année des " maneki-neko ", chats porte-bonheur peints par des artistes qui seront mis en vente.

escal-witry.fr

JUSQU'AU

20/05

À l’occasion de son départ de la MEP, Jean-Luc Monterosso propose une grande exposition sur la photographie française de 1980 à nos jours, qui prend la forme d’un récit très personnel et subjectif. mep-fr

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© dr

Maison Européenne de la Photographie / paris

© raymond depardon, magnum photos

La photographie française existe… je l’ai rencontrée

velours-prod.com

JUSQU'AU

30/07

Kupka, pionier   de l'abstraction

à 14h30

26/04

Grand Palais / PARIS

Ciné-Goûter de printemps en balade : à chaque saison un programme pour les enfants à partir de 5 ans et toutes les familles pour découvrir des films courts, drôles, poétiques, rêveurs… Ce trimestre « Allo, la terre, Comment ça va ? ».

Une rétrospective exceptionnelle retraçant le parcours de František Kupka qui nous plonge dans un univers ulra coloré. grandpalais.f

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Médiathèque de la Ronde-Couture / Charleville-Mézière

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Ciné-Goûter

© T. hauswald

D’autres dates et lieux sur lapelliculeensorcelee.org

LES

12/05

Championnat   du monde WBF  AU MANÈGE DE REIMS (DANS LE CIRQUE)

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LE

18+19/04 rocco

AU MANÈGE DE REIMS (DANS LE CIRQUE)

« Je danse comme un papillon, je pique comme une abeille » disait Mohamed Ali. Entre boxe et danse, Le vénérable Cirque de Reims file la métaphore en deux rounds aux premiers jours du printemps ; comme un écho aux champions qui, à la suite de Marcel Thil, se sont succédés dans l’arène rémoise à partir des années 30. À main gauche, les 18 & 19 avril, le Ballet National de Marseille invite un quatuor de danseurs-boxeurs sur le ring… À main droite, le 12 mai, Anne-Sophie Da Costa s’apprête à disputer la défense de sa ceinture WBF des mi-mouche face à Halima Vunjabei. manege-reims.eu

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marché de la photo

ud

des nouvelles du duo des halles Le photographe Romuald Ducros mène depuis plusieurs semaines un projet au long cours qui se déroulera sur une année entière : il installe sur les marchés rémois un studio conçu spécialement et immortalise les chalands en compagnie de leurs achats, toujours avec la même lumière, toujours dans la même position. Nous suivons l’élaboration progressive du projet au fil du temps et vous livrons dans chaque numéro quelques unes des dernières images de la série en cours. Une première restitution des images est exposée aux Halles du Boulingrin depuis le 22 septembre.

Dans le cadre de la programmation " Arts visuels " de la ville de Reims avec le soutien de Veuve Clicquot, maison fondée en 1772. www.laproductionremoise.fr


HOP 17

À la réflexion…

Le Collectif 17 poursuit sa folle aventure sur le territoire rémois. De recherches créatrices en rencontres, la troupe, guidée par Ferdinand Barbet, auteur, comédien et metteur en scène, initie encore et encore son programme d’intégration dans une ville, un centre culturel, une scène, un public. Après le franc succès de sa création, « Les Bacchantes », le groupe travaille actuellement au deuxième volet du diptyque théâtral « Quelqu’un arrive et je ne me reconnais plus » avec « Narcisse ». Ferdinand Barbet a choisi, non pas de revisiter, mais de visiter tout court, le célèbre mythe d’Ovide. Narcisse n’est plus un jeune homme mais une lycéenne, qui ne tombe plus amoureuse de son reflet mais d’une inattendue. En travaillant, cette année, sur la question de l’intrus, le Collectif 17 a réfléchi à une déclinaison socio-politique, dans « Les Bacchantes », de l’arrivée d’autrui dans notre spectre de vie, tandis que « Narcisse » expose au public une sphère intime, celle de la jeunesse qui se perd dans ses propres reflets, jusqu’à en oublier la notion même de l’identité. Perdue entre le public et le privé, ego parmi les autres egos, Narcisse ne voit pas venir la fulgurance de la passion, si lointaine de l’idéal conformiste et confortable auquel elle s’attache. Et pourtant, si tout n’est que reflet, il convient de considérer chaque miroir autour de soi, chaque angle qu’il engage. Si « Narcisse » est encore en création, elle promet une dynamique fidèle à l’empreinte du collectif 17, comme une vaste illusion optique, musicale et cérébrale. « Narcisse » par le collectif 17 du 13 au 20 avril à l’Atelier de la Comédie de Reims Réservation : 03 26 48 49 10 et www.lacomediedereims.fr

noces félines #7 Tropico-cats, couleurs boréales

Quand le chat fait patte de velours, il se met bien. Il était temps que les chats se remettent bien, et que les Noces Félines reviennent griffer la nuit rémoise.

Pour cette septième édition, Velours ne déroge pas aux habitudes qui font le plaisir de ce rendez-vous. Les 20 et 21 avril, le Palais du Tau abritera encore le rendez-vous de culture à la fois populaire et urbaine, en patrimoine fidèle. Et pour cause, les Noces Félines ont pris leurs aises à travers un certain nombre de principes indétrônables. Le carton d’invitation dirige toujours vers un lieu classé monument historique au cœur duquel s’installe une scène éclectique, inspirante, planante et mouvante. L’ensemble se sublime par une création visuelle particulièrement soignée et innovante, souvent participative, jamais réellement vue ailleurs auparavant. Et enfin, il y a les chats. Les Noces Félines se masquent de couleurs, non pas comme une cachette identitaire, mais plus comme une reconnaissance communautaire. Les masques de chats, devenus emblématiques, rejoignent le visuel artistique décliné, à chaque session, par un artiste différent. Le 7e à s’y coller, c’est KitKlein, qui s’inspire du symbolique Maneki Neko japonais, le chat qui salue perpétuellement. Le Palais du Tau, fulgurant d’Histoire, vibrera au son de deux soirées musicales différentes. Le vendredi 20 avril, la programmation investit les musiques du monde, à la fois afro-punk et blues antillais. Quatre artistes se succèdent : Delgrès, Supergombo, Albinoid et Nathan Zahef, pour un tour du monde percussif et tropical. Le lendemain, c’est « Hypnose boréale », avec le charme envoutant de Molecule, Dorian Concept, Crayon et Clap 42, chacun, par ordre d’apparition, et jamais de préférence, techno, electro, pop-trip-hop et house. En satellite, les Noces Félines s’amusent et s’engagent, avec la complicité de partenaires créatifs comme Posca ou 3D Morphoz : le Flippaper prend vie, les Totem félins se colorent, et se vendent aussi aux enchères, au profit de 123eXtra, association rémoise. Les nuits de noce, chaque fois, se ressemblent et se distinguent tout autant, comme des vœux renouvelés chaque année entre les gens qui s’aiment. Les Noces Félines #7 au Palais du Tau les 20 et 21 avril 2018 www.velours-prod.com pour le programme complet Mojito SkateShop (rue du Clou dans le fer) pour la billetterie

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© l’Epinatographe

collectif

© Marthe Lemelle

PAR AGATHE CEBE


« Circuit Court 2018 », jusqu’au 21 avril 2018, à la Réserve, 20 rue du Barbâtre, mer/jeu/ven/sam de 10h à 12h et de 14h à 19h, entrée libre.

© Crédit Hélène Micherolli, At Home le blog

Pas tout à fait boutique éphémère, ni totalement exposition, le Marché Super, soutenu par l’Hyperespace, propose un rendez-vous un peu hybride, du 24 au 27 mai 2018, au Pavillon CG. « Reims, ici Reims ! » est en réalité plutôt conçu comme une galerie d’art éphémère, où tout ce qui est exposé est à vendre. C’est plutôt classe… D’autant que ce musée miniature est entièrement dédié à la ville de Reims, comme son nom veut bien, ostensiblement, l’indiquer. Des photographies, des illustrations, mais aussi des objets artistiques, des objets pratiques, des goodies : tous ces univers différents se déclinent autour de ce seul thème, inspirant et attachant. Les artistes, rémois de souche et/ou de cœur, rendent au public des interprétations multiples de leur décor de vie quotidienne. À la fois mise en valeur et hommage, si ces créations s’exposent, elles s’emportent aussi volontiers chez les amateurs. Une façon de faire tourner le circuit collé-serré des artistes rémois qui créent sur leur territoire, pour leur territoire. Une façon aussi de lever le voile sur cet art contemporain qui respire tout près de nous : les visiteurs auront la possibilité de rencontrer les artistes, chaque jour. Enfin, une façon, de pousser la porte du Pavillon CG, prestigieux et chaleureux établissement rémois qui, en plus de cette galerie, laisse des murs disponibles pour Richard Carlier qui installera une exposition issue d’une chasse aux lettres, sur Instagram, avec le désormais célèbre #reimsfonts.

La Réserve, qui encadre et expose, lance une série de rendez-vous qui initient la rencontre directe entre les artistes et les amateurs d’art. « Circuit court » premier du nom, propose une exploration d’œuvres récentes, certes, mais d’œuvres expérimentales, surtout. Le travail des artistes est ouvert au public, comme le serait, de façon tout à fait intime et aléatoire, leurs ateliers. Entre expériences et recherches, la création y est ainsi dévoilée à travers le trou de la serrure, fragile et authentique. Pour cette première édition, Eglantine Dargent, galeriste, a invité deux artistes locaux, Pauline de Cabarrus et Philippe Dargent, deux univers singuliers, pourtant entremêlés sur les murs de la Réserve. Pauline de Cabarrus propose sa série « Sacres », focalisée sur la cathédrale de Reims, entre photographie, collage et peinture. Ces techniques liées l’une à l’autre laissent la part belle à l’accident de création, accident toujours heureux et bienvenu. Philippe Dargent, quant à lui, s’illustre dans l’art si sensible de l’aquarelle. Ses paysages, touchant parfois à l’abstraction, se déclinent sur plusieurs formats, dont certains monumentaux, donnant à cette pratique artistique la dimension magistrale d’une prouesse technique. La Réserve, une fois par an, permet ce sentier balisé, pour les amateurs de grands chemins, vers la création secrète courtcircuitée.

L’homme multiple On ne sait qui de Reims ou de Léonard Foujita a adopté l’autre. L’artiste japonais des années folles a su prouver à son père qu’il avait le talent d’être peintre, puis a quitté son pays natal pour s’installer à Paris, et y incarner un personnage à la fois discret et sulfureux, nocturne et mystérieux. Installé

« Reims, ici Reims ! », on est chauvins ou on ne l’est pas. du 24 au 27 mai au Pavillon CG, 7 rue de Noël. Entrée libre.

à Montparnasse, ami avec les grands, sa plus belle productivité se situe entre 1913 et 1931. C’est cette période que retrace le Musée Maillol à Paris, jusqu’au 15 juillet 2018. Une centaine d’œuvres majeures jalonnent ces années de recherche et d’expression sans limite, d’un peintre qui avait tout à expérimenter. Riche de ses rencontres

En suspension

et autres partages d’ateliers, Léonard Foujita de l’art ancestral japonais, et le classicisme

d’autres qui pensent. Le CMJ – Conseil Municipal des Jeunes – est

occidental d’adoption. C’est ainsi qu’il a réso-

constitué de collégiens rémois qui participent à la vie locale. C’est

lument nourri « L’école de Paris », ce mouve-

plutôt chouette, des cerveaux qui pensent. D’autant que, rapide-

ment d’artistes en ébullition permanente.

ment, leurs idées deviennent actions, et ces jeunes incarnent une

Pour Reims, cette exposition persiste et signe l’attache-

force créatrice pure. Une de leur initiative va faire parler d’eux, et

ment sentimental qui lie la ville au travail de l’artiste. En

faire des heureux, à partir du 4 avril. La « Baguette Suspendue »

1964, quatre ans seulement avant sa mort, le peintre avait

s’instaure dans une dizaine de boulangeries rémoises, dans une

entrepris la construction d’une chapelle, qu’il a ornée de

dynamique purement solidaire. Le rouage est simple : acheter une

son illustre trait graphique, sûr et infaillible, et de ses pein-

baguette pour soi, et une deuxième, qui, en suspension, attendra

tures qui touchent à la transparence. Cet homme singulier,

d’être retirée par les Restos du Cœur.

au processus créateur attentif, réside pour toujours à Reims,

Créer des belles initiatives, mobiliser les partenaires et séduire le

en cette chapelle, qui s’érige comme une de ses plus belles

bon-cœur des gens, ce n’est pas inné. Et comme nous

œuvres. Foujita, il y a cent ans, de Paris à Reims, mais aussi

sommes sensibles au processus créateur de toute

Reims, réfléchie en sa jumelle Nagoya : c’est un entrelacs qui

forme d’entreprise, nous voulions encourager cette

orne nos histoires humaines, plus proches que lointaines.

démarche. Points de suspension.

« La Baguette Suspendue » à partir du 4 avril. Liste des boulangeries partenaires sur www.reims.fr

Foujita au Musée Maillol à Paris, jusqu’au 15 juillet 2018 / 61 rue de Grenelle dans le septième • Chapelle Foujita, à Reims, 33 rue du Champ de Mars 03 26 40 06 96

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se distingue par sa double culture : le respect En ces temps où l’on demande aux jeunes de réfléchir, il y en a

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Voyage intra muros

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HOP

De vous à eux


G

goût

par

Arnaud Lallement

Ris de veau 4 belles pommes de ris de veau | 50 g de jus de veau Blanchir les ris. Poêler au beurre pendant 8 mIn. Saler et poivrer. Glacer au jus de veau juste avant de servir. Jus de veau 1 kg d’os de veau | 100 g de carotte | 75 g de poireaux | 50 g d'oignons | 1 gousse d'ail | 50 g de céleri branche | 3 queues   de persil | 1 bouquet garni | 50 g de beurre | eau ou fond blanc Éplucher les carottes et les oignons. Tailler en mirepoix avec les poireaux. Faire revenir et colorer les os de veau au beurre. Débarrasser. Garder les sucs pour faire colorer les légumes. Débarrasser. Dégraisser. Mélanger os et légumes. Mouiller d’eau ou de fond blanc à hauteur. Cuire pendant 2h en écumant régulièrement. Passer au chinois. Dégraisser et réduire à 100 g. Navets ronds 500 g de navets | 250 g de fond blanc | 125 g de beurre | 5 g   de curry vert | 3,5 g de curry | 5 g de sel Éplucher les navets. Couper en tranches de 3 mm d’épaisseur puis en ronds de 3 et 4 cm. Blanchir. Faire chauffer le fond blanc avec les deux currys et le sel. Monter au beurre.   Réchauffer les navets dans ce glaçage juste avant de servir Purée de navet 125 g de navet | 85 g de crème | sel | poivre Éplucher les navets. Couper en dés de 1 cm, blanchir. Cuire   les parures avec la crème à hauteur. Cuire pendant 15 min. Assaisonner de sel et de poivre. Mixer. Passer au chinois. 30 feuilles de capucines taillées en ronds de 2, 3, 4 cm. Dressage Disposer trois touches de purée de navet. Ajouter trois ronds de navet de 4 cm sur chaque, puis trois ronds de 3 cm, trois dés de céleri et trois capucines de différentes tailles. Poser   le ris de veau glacé. Servir le jus de veau à table.

«

Le ris de veau est l'un de mes abats préférés. Peu de saison passe où il n'est pas à la carte. S'il peut paraître fade, il recèle une riche palette de textures et de saveurs. Affaire de qualité et de soin. Je choisis des pommes entières. Parées, elles font environ cent cinquante grammes chacune. Cuisson rôtie bien évidement. Puis j'enrobe la croûte d'un glaçage de veau. Cette touche brillante apporte caractère et personnalité.

»

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© matthieu cellard

Ris de veau   de lait Maison Metzger, navet, curry

GOÛ


GOÛT focus

charleville-mézières Le

saucisson sec c’est si bon !

© dr

Qu’est-ce-qu’on fait le samedi matin à Charleville-Mézières ? On fait la queue au marché, juste au-dessus de la Place Ducale. La queue chez Joël ou chez Monsieur Charles, selon le degré de connivence que l’on a avec le patron. Ne cherchez pas dedans, il est dehors. Une camionnette juste en face du petit bar. Joël Charles est là uniquement le samedi, la semaine il est dans ses boutiques à Monthermé ou à Hargnies. Aïe, tous les vegan ont tourné la page. Pourtant on peut bien vivre avec et sans viande, c’est le goût qui prime, non ? Sous l’auvent, les conversations passent de l’un à l’autre, la file est concentrée, tapageuse, rieuse, c’est selon. On maudit le monsieur trop lent, la dame qui prend de tout un peu, le couple indécis. Mais au fond, ce n’est pas si mal de prendre ce temps-là, on arrête les aiguilles, on rêve à son menu, on imagine les copains et on se navre du taux de cholestérol. Une vitrine en forme de cauchemar pour les végétariens ! Le suicide par le gras pour tout bon gourmet ! Vous voilà dans un drôle d’état et la faconde du Joël additionnée aux joviales répliques de Maryse, vous oblige à affronter ce qu’il y a de pire en vous : faire un choix. Pâté de campagne avec gelée de cuisson, boudin blanc aux oignons de Hargnies, Boudin noir frais, luisant bien assaisonné, bœuf vinaigrette puissant et moelleux, rillettes de pigeons (mince, c’était seulement pour les fêtes de fin d’année) et pourquoi pas de jolies tranches de ce jambon blanc, pas celui sous-vide et bien compact, non, celui-là est d'un rose très pâle, il se détache et fond dans la bouche avec un petit goût de bouillon. Ou bien, non, mettez-moi cette tranche de lard de jambon pour l’omelette de midi (ça y est la dame qui chipotte c’est moi). Tout, tout et tout. Mais une petite voix me dit que l’ivresse vous viendra par le saucisson. Celui de sanglier au poivre, aux noix et au fenouil. Attention, c’est du brutal. Il faut le prendre sec voire bien sec, Joël vous guidera. La chair est d’un magnifique rouge Bordeaux, c’est un saucisson formidablement dosé entre gras et maigre. Il faut le détailler en très fines tranches, l’ostie du saucisson. Vous débouchez un Pic Saint Loup et hop, le tour est joué, vous êtes bon pour retourner au marché de Charleville-Mézières samedi prochain ! Charcuterie Joël Charles 08170 Hargnies - 03 24 41 75 76

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cafés

oce

Quelle est cette odeur ? Selon le vent et la hauteur du ciel, elle envahi le quartier du marché couvert de Charleville-Mézières. Ce matin elle court dans toute la rue Noël. Vous fouillez dans votre mémoire, cette odeur appétissante, cette odeur enveloppante vous la connaissez, même si cela fait bien longtemps qu’elle n’est pas venue vous chatouiller les narines, car elle vous chatouille cette odeur et vous donne une envie irrésistible de vous asseoir en famille ou avec les copains pour déguster… un café. L’odeur de la torréfaction vous attire et vous franchissez la porte de cette brûlerie comme on n’en croise plus beaucoup. À l’intérieur, le plaisir s’accroit rien qu’à la lecture des affichettes sur les seaux de grains de café, tous différents, classés des légers aux corsés, tous révélant des arômes incomparables : Moka de Harrar, Café cerise Bio du Pérou, Blue mountain de Jamaïque, Moka Sidamo d’Éthiopie, Altura du Mexique, Arabica du Brésil et même des cafés de la côte Malabar en Inde ou du Vietnam. Une autre carte du monde se dessine, des voyages à peu de frais. La machine tourne et pendant que l’on vous sert, le vendeur et la vendeuse contrôlent la cuisson, prêts à aérer le café dès qu’il sera bien torréfié. Et si le matin, vous préférez démarrer plus en douceur la carte des thés est tout aussi fournie, il y a même de quoi fabriquer des eaux de fruits portant des noms rêveurs : Toujours là, Rose en sucre, Ma bonne étoile et même Si t’es sage. Comble de tout, le service est aimable et érudit, si vous n’y connaissez rien tous les renseignements vous seront donnés ainsi que la bonne mouture de vos précieux grains en fonction de votre cafetière favorite. © dr

jérôme descamps

Cafés OCE 6 rue Noël 08000 Charleville-Mézières - 03 24 33 38 96 - www.cafe-oce.fr

La galette au scucre, au sucure, au suc, au chuc, à sucre… Voyage gourmand dans les Ardennes n’est rien sans goûter une tarte au sucre ou galette à suc’ ou tarte à suc’ ou… Toutes les désignations sont exactes, mais attention ce n’est pas la galette au sucre du Nord, © les mains dans la farine

ni celle de Belgique. C’est la nôtre, celle du sud des

Ardennes ou de la vallée. C’est la galette du dimanche, celle que tous les enfants et les invités attendent, celle qui vient après le dessert. Car toutes galettes au sucre se dégustent avec un cafè au “ lé ” ou un cafè sans “ lé ”, comme vous voulez. La base ? Prenez une pâte levée à la levure de boulanger bien jaune de beurre et d’œufs, enfournez-là avec re-beurre et sucre et vous voilà au Nirvana. Mais, rien n’est simple. Vous êtes dans les Ardennes, tout est affaire de dosage et, de toute façon, rien ne remplacera celle que mémé cuisinait. Partant de là, c’est pas gagné. Pour la recette, il ne vous reste que des questions : Combien d’œufs pour combien de farine ? Du sucre dans la pâte ou non ? Il faut beaucoup aérer la pâte ou non ? Vous la faites monter deux fois ou non ? Vous parsemez de miettes de beurre puis le sucre ? Vous battez un peu de crème fraîche avec du sucre que vous versez sur la pâte ? Sucre blanc ou sucre roux ? C’est une guerre de l’infinitésimal. On n’y comprend rien, sauf que dans le cafè, c’est drôlement bon. Rémoises, Rémois, Châlonnaises, Châlonnais, Parisiennes, Parisiens, Troyennes, Troyens, Marseillaises, Marseillais, rien ne vaut la galette de chez nous, venez-y voir. Chiche ? Pâtisserie Laurent Mathieu 11 av Gambetta 08300 Rethel Boulangerie-Pâtisserie du Mont Olympe 7 rue du moulin 08000 Charleville-Mézières Boulangerie-Pâtisserie Ludovic Billard 4 rue de l’église 08000 Charleville-Mézières Boulangerie-Pâtisserie Au Péché Mignon 49 av Saint Julien 08000 Charleville-Mézières Pour vous essayer à la recette : livres de cuisine d’Ardennes, de Champagne et d’ailleurs de Lise Bésème-Pia.


_Galerie-Audi-talents-Topiques, l'eau, l'air, la lumière et a ville

_Galerie-Audi-talents

A

arts visuels

 

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TEXTE agathe cebe


audi talents awards  : La jeune création artistique en a sous le capot

_Galerie-Audi-talents

Depuis 2007, la marque automobile Audi met à profit, pour de lauréate 2016 en art contemporain, qui expose actuellement à La jeunes artistes, son goût à la fois affûté et sensible pour les beaux Friche La Belle de Mai, à Marseille, comme un tremplin après une projets. Le programme de soutien à la création Audi Talents année de projet tutoré multiforme. Ce résultat, « Learning from Award apporte aide et lumière à des jeunes cerveaux créatifs New Jersey », conjugue installation et film, et rend compte d’une émergents. Comme la piste de décollage d’un projet artistique est étude approfondie et passionnée des paysages en mutation. Pour _Lauréats Audi-talents 2017 souvent jalonné d’embûches, les Audi Talents Awards proposent elle, le soutien des Audi Talents Awards fut une propulsion. des moyens, qu’ils soient financiers, humains ou artistiques, pour une réalisation Les arts visuels sont multiples et peuplent de plus en plus notre siècle artistique. sereine et, surtout, pérenne. Si les Audi Talents Awards focalisent leurs expertises sur eux, qu’ils soient en Pour sa douzième édition, Audi Talents ne déroge pas à cette règle simple, d’un design et arts appliqués, en arts numériques, en musiques et images, ou en prosoutien bienveillant, comme ont pu en bénéficier jusqu’à quarante projets ces ductions audiovisuelles, les projets lauréats ont la possibilité de voyager, géodernières années. Quand l’idée se réalise, puis s’expose, c’est une réussite de graphiquement et numériquement. Aussi, pour promouvoir un rayonnement concert, mutualisée par les efforts et l’attention de chacun, car le groupe Audi est favorable à un beau spectre de lumière pour les artistes, des expositions sont grand et l’énergie multiple. organisées dans des lieux culturels divers, et les lauréats 2017 savent déjà qu’ils En ligne directrice, les Audi Talents Awards aiment travailler avec l’audace, pourront investir le Palais de Tokyo à Paris et, comme Théodora, la Friche Belle l’avant-garde. Pour mieux se projeter vers l’avenir, les lauréats, chacun dans de mai à Marseille. Mais les concessions Audi n’en oublient pas non plus leur rôle leurs domaines, doivent voir loin, et séduire par leurs visions singulières d’un identitaire dans cette sélection attentive. À Reims, par exemple, il n’est pas exclu futur à portée de main. Chaque année, un jury avisé tient lieu d’anges gardiens de faire venir un artiste émergent de ce programme, comme pour participer, à créateurs, et cette année, ce sont quatre grandes personnalités qui vont travailson niveau, à la grande épopée culturelle de la marque, en projetant des œuvres, ler, avisées et consciencieuses, sur les projets des lauréats : Christophe Chassol, notamment. Et ce ne serait d’ailleurs pas une ineptie puisque Audi Reims a déjà compositeur et réalisateur, Vittoria Mattarese, responsable de projets spéciaux su prouver son attachement aux artistes locaux, en exposant, entre autres, Arau Palais de Tokyo, Felipe Ribon, designer, et Paula Aisemberg, directrice de La melle Blary fin 2016. Ils invitent d’ailleurs vivement les élèves de l’ESAD à partiMaison Rouge, fondation artistique. ciper, comme un parrainage chaleureux. À la fois pluridisciplinaire et multiculturel, ce jury offre aux lauréats un miroir w w w. a u d i ta l e n t s . f r dans lequel refléter leurs projets. Cette scène artistique et entrepreneuriale franconcession audi à reims çaise possède, certes, l’expertise, mais aussi et surtout la sensibilité quant à la La Cité de l'Automobile création. Ils savent que chacun doit commencer un jour, que les difficultés sont Z AC C r o i x B l a n d i n nombreuses, mais que chaque lauréat possède en lui le potentiel, la dynamique, 03 26 79 83 33 w w w. a u d i - r e i m s . f r presque instinctive, d’aller au-delà de ses limites. À l’instar de Théodora Barat,

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J’aime le cinéma, et vous ? la cin é aste D ominiqu e C abrera au c afé G E M à reims La réalisatrice Dominique Cabrera était de passage à Reims en mars dernier pour une projection de son film « Folle embellie » (2004) organisée par le CaféGEM à la médiathèque Falala. Elle nous a confié ce texte, témoin de sa visite.

« Sur les vitres, on a dessiné en couleur des visages et des paysages. J'entre. " C'est la cinéaste ". On me dit bonjour. Quelques-uns ont déjà vu mon film Folle embellie pour préparer la projection " Ah oui ! " ils ne le commentent pas. Ce sera pour tout à l'heure peut-être. On me fait visiter, c'est grand, sans cloison, ouvert, clair, c'est joli, des néons colorés, de beaux objets singuliers, il y a des canapés, des livres, des images et une cuisine. Une cuisine au centre du local ou le local autour de la cuisine ? J'aime les cuisines. Je suis honorée de l'invitation et curieuse de ce qu'on va manger. On s'affaire autour des fourneaux, des frigos, de la grande table à dresser. On prépare. Une cuisine familiale dit quelqu'un. On n'est pas en famille mais ça y ressemble un peu. Il y a de l'intimité et de la distance. Tant mieux. Quand vient l'heure du repas, les plats circulent, les paroles aussi, ça se tisse, ça se répond. On se présente, tout haut pour tout le monde, d'un bout à l'autre de la table, les regards se croisent, s'apprivoisent. De la gourmandise et de la faim, il y en a et il y en a des plats, de quoi se nourrir et se rassasier. Mes voisins apprécient. Ça les intéresse plus que le cinéma ce qu'il y a dans l'assiette. Mais l'invitée, celle qui vient d'ailleurs ils vont l'inclure. Elle mange avec eux. Ils mangent avec elle. Et ça commence à circuler. Des bribes, des confidences, des avis, des sourires directs ou par en dessous, l'atelier d'écriture, l'édition, les artistes invités, les dessins, les photos, la vie, les avis, des mots, des souvenirs et surtout des regards. Ça devient plus fluide soudain. On est ensemble tranquillement, c'est l'heure du dessert. Quelqu'un demande s'il peut quitter la table et aller dormir sur le canapé. Il s'allonge comme un gros chat à l'aise. J'ai un peu sommeil moi aussi mais je n'ose pas m'allonger. Je change de place, je vais à l'autre bout de la table pour parler avec les autres. C'est une autre ambiance. On rigole. On se connait un tout petit peu mieux quand vient le café. À bientôt, j'espère. »

Nouvelle rubrique dans Process, un questionnaire pour en savoir un peu plus sur les cinéastes et sur leur façon d’envisager leur métier. Un questionnaire comme une déclaration d’amour à partager sans modération avec tout un chacun.

C

cinéma

Pourquoi filmez-vous ?

Dans le tissage de la vie, je me suis trouvée à faire ce choix-là plutôt que d’autres tant et si bien que c’est devenu mon outil, art, activité. Pour les autres et pour moi-même, je suis devenue cinéaste, réalisatrice, des mots magnifiques ou cinéma et réel se conjuguent. Même si j’ai toujours le désir de le faire mieux c’est ce que je sais le mieux faire. Quand je regarde mes films, il y a des instants et parfois des mouvements entiers où j’ai le sentiment que du vrai, du vivant a été capté et organisé, orchestré. Voir cela, savoir cela me procure une intense joie, me console même parfois des moments de disgrâce. Espérer produire la prochaine fois un morceau d’espacetemps plus complexe, plus fort, plus vivant que j'orchestre et qui m'échappe est un puissant moteur. Dans l’activité elle-même, écriture, développement, production, préparation, tournage, montage… il y a des moments ingrats, du vide, des luttes, du brouillard, des déceptions, des regrets, des conflits mais il y a aussi des moments pleins, partage, inspiration, invention, exécution, improvisation, des surprises. Dans la grande concentration où l’on brasse avec d’autres les matériaux du cinéma, on s’oublie, on se dépasse, on est porté et chamboulé. La personne limitée, entravée est comme agrandie, on s’ouvre. C’est peut-être pour vivre encore et encore l’intensité de cette connexion avec le grand tout et ses singuliers détails que je me relance toujours dans la course. Pour qui filmez-vous ?

N’importe qui et les génies. Monsieur et madame tout le monde et les grandes figures, les fantômes des auteurs de films et de livres qui ont ouvert des mondes à l’enfant, à l’adolescente que j’étais. Écrire en mouvement, que diriez-vous de cette traduction du mot Cinématographe dans votre travail ?

Oui écrire en mouvement mais surtout écrire avec le vivant, et même plutôt sculpter, modeler du vivant, du temps et de l’espace. Premier souvenir de cinéma ?

Charlot patine projeté sur le mur de l’appartement de mon enfance. Je me souviens de cet émerveillement. Bouche bée. Dernières découvertes cinématographiques ?

In another country de Hong sang soo et Takara la nuit ou j’ai nagé de Damien Manivel et Kohei Igarashi. Ces deux films très différents ont en commun l’économie de moyens et la grâce, les interprètes médium du monde. J’ai été les voir parce que j’avais aimé les films précédents des cinéastes, je cherchais à continuer le dialogue, à me nourrir de leur travail. Et aussi, L'académie des muses de José Luis Guerin. Un parcours de réalisateur-trice qui vous importe ?

Beaucoup, tous peut-être : Fritz Lang, Jean Renoir, Roberto Rossellini, Kenji Mizoguchi, Maurice Pialat, Ingmar Bergman, Alain Resnais, Agnès Varda, Chris Marker, Ross Mac Elwee, Alain Cavalier… Lire des biographies, des souvenirs de techniciens, cinéastes, de réalisatrices me passionne. Je regarde comment ils, elles ont fait ce choix là ou un autre, ont eu ce parcours, se sont trouvés à cette croisée des chemins. Elles et ils se sont débrouillés avec leur époque, avec leurs qualités et leurs défauts pour passer. Elles ou ils sont tombés, se sont relevés, se sont faufilés… Je m’identifie à eux traversant grandeurs et petitesses de ce monde

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Le CaféGEM La rue passe-demoiselles est une rue joueuse qui serpente entre plusieurs quartiers. Dans la partie près de la Comédie de Reims, au numéro 12, tout un pan de rue hurle de couleurs et d’énergie. Un visage étoile, un jeune homme à casquette et yeux fermés, des visages tracés à la gouache qui tous évoquent l’art brut tant chéri par Jean Dubuffet. Vous êtes au CaféGEM, entrez c’est ouvert. Le large rez-de-chaussée offre plusieurs espaces, un bar sans alcool, des étagères de livres et un salon, une cuisine avec un plan de travail à faire rêver, des tables de travail décorées. Au mur des dessins et des peintures. GEM, c’est pour Groupement d’Entraide Mutuel. Autant dire qu’ici chacun trouvera de © dr

l’écoute et de la sérénité. Ce café associatif est une réponse concrète aux souffrances psychiques. Ici on ne parle pas de maladie, on passe du temps à l’abri des heurts de la vie. Chacun va à son rythme, un livre à lire, un dessin à faire, une conversation à mener, un café à siroter, tout est possible sous le regard « d’adhévoles » qui proposent aussi des temps d’activités pour ceux qui le souhaitent. © l. bastin

La réussite de ce lieu unique est

flottant, je les lis comme si j'écoutais des frères et des sœurs et que je cherchais mon chemin dans leur parcours.

dans les vases communiquant entre les êtres pour rassurer, briser l’isolement, rabouter de la confiance en

soi. Car ici, deux mots règnent, convivialité et création artistique. Les

Deux ou trois films qui vous réconfortent toujours et encore ?

œuvres de la vitrine sont dues à l’osmose des adhérents et de l’artiste

Beaucoup, c’est le cinéma qui me réconforte… ce qui me vient à l’esprit aujourd’hui : M le maudit, Le fantôme de Mrs Muir, Cris et chuchotements, La règle du jeu, Le rayon vert, Cléo de cinq à sept, Peau d’âne…

Ksy Boomkies, en résidence en mars sur le thème « du portrait à l’autoportrait ». Se sentir exister par l’acte créatif, quoi de plus structurant ? Il y a aussi du beau et du bon avec le repas gourmand du samedi, des rencontres « GEM’Philosopher » avec le philosophe Didier Martz, du

Un film de colère ?

SLAM où on peut mettre sa vie en mots et en scansion. Au beaux jours,

La porte du paradis de Michaël Cimino.

un PotaGEM de 2000 m2 juste un peu plus loin, du côté Courlancy, permet de « Cultiver son jardin » pour gratter la terre, cueillir les fruits

Un film d’espoir

de la vie, être avec le temps qui passe, écouler des jours heureux…

Un ange à ma table de Jane Campion.

Et si vous alliez vous promenez du côté de la rue passe-demoiselles ?

Le plaisir du cinéma c’est : L e C a f é G EM

S'abandonner à un contact intime avec l’inconscient d’un cinéaste, d'une époque à travers une forme singulière, simple et mystérieuse qui se nourrit de rêves, de mots et de chair humaine.

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1 2 r u e pa s s e - d e m o i s e l l e s 03 2 6 47 9 6 3 1 lun. au ven. 16h à 19h - sam. 11h à 17h w w w. c a f e g e m . o r g

T o u t e l ’a c t u a l i t é d e l a r é a l i s at r i c e D o m i n i q u e C a b r e r a e t b i e n p l u s  :

Dominiquecabrera.uniterre.com

TEXTE jérôme descamps


14 février 2018. Matin clair au troisième étage de l’ESAD. Soleil horizontal qui fait étinceler 90 flutes de champagne bien rangées sur une longue table blanche. C’est l’ouverture d’un workshop sur le thème « Nature morte » pour aborder les notions de temps et de transformations. Une trentaine d’étudiants font cercle autour de Germain Bourré, designer culinaire, Vitalie Taittinger et Alexis Lyon, chef de projet marketing et communication. La dégustation va se focaliser sur trois crus Comtes de Champagne Rosé : le 2006, commercialisé et les 2008 et 2012 qui ne sont pas encore sortis de cave. Autant dire que l’instant est précieux. Vitalie Taittinger : « Le vin varie tout au long de sa vie, il est vivant comme un fruit. Le goût et la couleur de chaque vin sont encadrés par l’homme, mais il reste une part de mystère. Remarquez la couleur. Ici, nous avons un rose intense qui évoluera avec le temps vers le cuivre. Pour les Comtes de Champagne rosé, c’est la cuvée qui mérite de vieillir le plus longtemps, presque plus que les blancs de blancs parce que le vin développe toute sa puissance et sa finesse après au moins dix/douze ans de cave. L’engagement de la maison, c’est de mettre sur le marché les vins quand ils sont prêts. Ces cuvées d’exception sont diffusées dans des lieux où le goût est sacré. En gastronomie, elles tiennent tête à un plat, y compris une viande rouge comme un pigeon rosé pour que les finesses se marient. Elles sont une très belle épice pour un repas. » Les flutes en forme de goutte d’eau chantent rose. Les étudiants se rassemblent en petits groupes, ils notent, posent des questions, conciliabules. « Il faudrait trouver le Pantone de cette couleur sur Photoshop. » L’ambiance est studieuse. Vitalie Taittinger : « Pour les Comtes de Champagne rosé, comme pour les autres cuvées, nous intervenons peu au niveau de l’œnologie pour que le travail d’écriture des terroirs ressorte et garde toute son énergie, sans la maquiller. Nous devons garder toute la finesse des raisins dans le verre, comme un artiste avec différentes couleurs. Il faut exister avec une singularité, tout le monde peut avoir des couleurs et une palette mais ce qui fait qu’un artiste sort du lot, c’est sa capacité à porter un message qui lui est propre, ne pas être dans l’imitation, avoir des convictions profondes et les porter durablement. Le projet des Comtes de Champagne s’est construit autour de ces idées. » Germain Bourré attire l’attention des étudiants sur la patine du vin, le goût légèrement confit ou encore « on passe du citron vert à l’orange ». Ça glougloute un peu partout, les échanges se libèrent, le niveau sonore s’élève. Le jeu des comparaisons commence entre les cuvées, la couleur, la texture, le « corps ».

Vitalie Taittinger : « L’écriture de cette cuvée est basée sur 30% de Chardonnay et 70% de Pinot noir. Il faut souligner le rôle du chef de cave car les vins clairs* dégagent un registre très étoffé d’acidités, il doit donc se projeter pour imaginer le vin une fois terminé. Le métier, c’est reconnaître le socle d’un vin pour qu’il puisse vieillir sans problèmes. » Les étudiants scrutent les flutes, les yeux s’écarquillent, certains grignotent une tranche de pain. Ils échangent autour de l’odeur de fruits rouges, de fruits séchés et même de crustacés. Quelques éclats de rire. Germain Bourré synthétise les différentes idées échangées dans la matinée et donne la règle du jeu de ces journées de travail : « Avant de partir dans vos envies, l’enjeu est de trouver les mots clefs pour caractériser les différents millésimes et la signature de la maison. La notion du temps qui passe est intéressante à creuser plastiquement, douze années pour une cuvée c’est beaucoup. Vous devez faire le travail d’identification de la maison Taittinger, vous demander en quoi ces vins se caractérisent pour que vos évocations soient fidèles à ce que vous avez pu boire, écouter, lire de ces vins. Il faut que vous mêliez l’information verticale qui vient de vous être donnée et l’expérience personnelle que vous venez de vivre. » C’est parti pour un marathon de 48 heures de photos, d’images et d’expérimentations. 16 février 2018 : La salle Jadart, grand parallélépipède blanc, plancher de bois clair, rideaux blancs qui masquent la rue Henri Menu et l’esplanade du parking cathédrale. La présentation des travaux est dans moins d’une heure, les étudiants sont disséminés partout, l’ambiance est moins fébrile que concentrée. Ici, un téléviseur sur une colonne blanche. Deux étudiantes ajustent les images et les sons sur un ordinateur. Le film s’intitule « Décomposition ». Sur l’écran, des flutes de toutes tailles et formes sur fond blanc, de fines lignes verticales apparaissent, une main remplit les flutes, les lignes se courbent sous l’effet aquatique. Là-bas, deux jeunes filles accrochent une large tache rose éclatée sur une toile. Ici encore, un groupe fait des repères pour la projection d’un film sur une paroi. Là, deux étudiants assis au sol échangent tranquillement, ils semblent réfléchir à la mise en scène définitive de leur espace. Là, trois étudiants autour de deux téléviseurs accrochés verticalement. Deux images se répondent, conversent, s’opposent dans un « Jeux d’accords ». Aïe, le son est décalé, que faire ? Trouver une astuce technique ? Assumer le décalage ? Comment faire art de tout cela ?

_Workshop " nature morte " dégustation

Le sprint rosé “ Nat u re m o rte  ” u n wo rksho p de l’ E S A D avec le C hampagne Taittinger c ompte - rendu de travail

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Ici, le long de la baie vitrée, trois jeunes filles suspendent trois lais de papier, trois déclinaisons de rondelles fines d’agrumes et de roses, des transparences. En s’approchant, les nuances apparaissent avec d’autres matières, baies, poissons, viande. « Vitrail » est le nom de l’installation. Avec projecteur ou avec lumière du jour ? Un cartel pour le Comte de Champagne, cuvée 2008 (non disponible à la vente pour l’instant) : Agrumes : pureté Baies : volupté Grenades : éveil du goût Saumon : secret, irrégularité Bœuf : sacrifice Abricots : sexualité

D

design

Deux autres cartels pour les cuvées 2006 et 2012 avec des mots comme : passion, précision, fraicheur… Synthèse de trois jours de travail. Un groupe apportent une maquette, elle impose aux corps de drôles de formes pour qu’elle ne soit pas abimée. C’est fragile une maquette, ce sont des heures de travail, une idée devenue forme, l’expression d’un désir, ça ne tient qu’à un fil, ça tiendra le temps de la restitution.

l’installation forme une sorte de travelling temporel : les raisins sur les vignes, l’élaboration du vin et la dégustation. La visite continue, chaque groupe présente son travail, ses axes de recherches. « Erosion » évoque les traces des émotions et le savoir-faire humain. Un film montre des formes en glace sur lesquelles des taches de couleurs dégoulinent. Le tout fond progressivement. Pour « Vitrail », les étudiantes disent s’être intéressées à l’orfèvrerie du travail d’affinage des vins et à la transparence. La forme du vitrail comme pour éduquer aux accords mets et vins. « Jeux d’accords » évoquent les échos et les contradictions. Les étudiants ont corrélé images et sons. Des crépitements… sont-ce des bulles de champagne ? Deux images : une tranche de saumon qui se rétracte dans une poêle se confronte à un verre de rosé Comtes de champagne. Le son est de la même nature. Pour « Echo », les étudiants ont travaillé sur un triptyque consacré à la complexité du vin acquise par le vieillissement. Effets de reflets, miroirs, effet sablier, pertes de repères. Toutes les installations sont sujettes à contemplation, à analyse, à échanges.

« 20 minutes, c’est bon ? » Germain Bourré fait le tour des équipes. Quelques blagues fusent. Juste avant l’heure, ce n’est pas grand-chose, des éléments disparates qui vont faire sens à 17h30. Pour chaque minute qui restent, on jauge, on regarde, on se recule, on apprécie, on rectifie et, au dernier moment, l’irruption, la révélation, le détail qui fait sens. Jusqu’à la dernière seconde, tout le monde est au travail, à l’œuvre.

Vitalie Taittinger apprécie le travail des formes qui évoque un autre monde, celui des sciences, et aussi la sensualité du vin : « La différence de vos propositions est une richesse. Nous aimons interroger nos vins, vos travaux nous font avancer vers d’autres pistes, ils nous questionnent. On est là pour être picoté, pour être un peu brusqué. La portée symbolique que vous apportez ici concrètement est une base pour notre travail. »

17h20, trois étudiants arrivent pour accrocher trois tirages photographiques, elles forment « Echo » un univers de flutes sur fond bleu. Jeu de reflets, d’images miroirs, sculptures transparentes de couleur bleu et rose qui pourraient évoquer un nouveau mouvement cinétique. Les invités commencent eux aussi par arriver. Le directeur Raphaël Cuir, regarde, écoute, photographie.

Les invités sont partis, il faut tout démonter et ranger. Il flotte dans la pièce les questions en suspens, les désirs inaboutis, le goût du travail et de l’immersion. Il règne surtout la puissance de l’expérience, tous ces étudiants ont fabriqué ensemble ces projets comme bien d’autres avant et après. Des liens de travail se nouent, ils seront les bases de leurs vies professionnelles et créatives. Ce travail sur le temps du vin est aussi un temps de construction personnelle qui s’exprimera demain. Patience.

« Transparence de l’histoire » dit l’étudiante qui présente la maquette aux invités dont Vitalie Taittinger. Sur une table nappée de noir, plusieurs décors dont une nature morte composée de flacons, flutes, fruits, noisettes et marmelade, une petite loupe, une cloche où trône une photo de pince de tourteau. Les natures mortes flamandes du XVIIème siècle sont parmi nous. Notre marche autour de

* Un vin clair est un vin de Champagne qui a terminé sa fermentation alcoolique et qui est prêt à être assemblé avec d’autres vins avant d’être mis en bouteille où il redémarrera à nouveau sa fermentation pour la prise de mousse.

ESAD – E c o l e s u p é r i e u r e d ’ a r t e t d e D e s i g n d e R e i m s 1 2 r u e L i b e r g i e r - w w w. e s a d - r e i m s . f r C u v é e s C o m t e s d e C h a m pa g n e c h e z l e s m e i l l e u r s c av i s t e s . Flacon à prix précieux m e r c i a u S t u d i o P l a s ta c ( R o m a i n R i o u s s e , A d r i e n C u i n g n e t e t F a n n y M a r y ) q u i o n t é t é i n v i t é s p a r l ' ESAD p o u r a n i m e r e t c o n d u i r e l e w o r k s h o p av e c l e s é t u d i a n t s

_Workshop " nature morte " présentation publique

TEXTE jérôme descamps

_Erosion © Sophie Love et Aline Riehl


NACERA BELAZA UNE “ RECONCILIATION AVEC LE VIVANT ” R E T OU R à R E I M S D’ U N E C HO R E G R A P H E D E L’ E SPAC E

D

danse

_Le Cercle © Antonin Pons Braley

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Le Manège de Reims accueille une figure iconoclaste de la danse contemporaine qui a grandi à Reims après son arrivée d’Algérie à 5 ans. Nacera Belaza est une chorégraphe et danseuse « atypique » qui n’a pas suivi de cursus en danse, ce qui lui a permis de créer son propre langage. Pas de thématique de départ, juste le corps comme sculpteur du vide, avec une relation privilégiée à l’espace et au spectateur. Le lien avec le corps archaïque, accessible à tous par une forme de mémoire commune à l’humanité, permet de rentrer dans une expérience unique de communion, voire de catharsis. Frédérique Villemur, historienne des arts, m’a fait le plaisir d’échanger avec moi sur son livre « Nacera Bélaza, entre deux rives » dans lequel elle a ressenti le désir profond d’écrire sur la chorégraphe.

Nacera Belaza, entre deux rives aux éditions Acte Sud de Frédérique Villemur

se libérer du poids du monde. La répétition pour enlever tout ce qui est en trop dans nos existences, la répétition pour activer la mémoire, la dissoudre comme la révéler, la répétition pour noyer le temps et l'espace. Elle a commencé ici à Reims par Chacun sa Chimère, au Manège en 1994, avec Périr pour de bon, et en 2008, Le Cri la fait connaître avec le Prix de la Révélation chorégraphique. Nommée chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres en 2015, elle vient de recevoir en 2017 le Prix Chorégraphie de la SACD : que de chemin parcouru. C'est aussi le chemin à parcourir : Chimère, Périr, Cri. Et c'est cela qu'elle trouve en traversant : c'est au prix d'un dénuement, en allant toujours plus loin en soi tout en gardant les mêmes contraintes dans le geste dansé, qu'on accède à la réconciliation comme à la joie.

En tant que spécialiste de l'histoire des arts, qu'est-ce qui vous a amené à écrire

Artiste singulière de la scène contemporaine comment parleriez-vous de ses spec-

sur Nacera Belaza ?

tacles à des néophytes ou amateurs en danse ?

C'est avant tout une rencontre avec une danse qui vous plonge dans la conscience de la vie, de votre temps, et d'un temps autre, une danse qui ouvre des chemins de libération dans tous les degrés d'un acheminement vers soi, avec quelque chose de plus grand que vous et qui finit par traverser toutes les contraintes, toutes les barrières. Et qui change profondément votre lien aux autres. Quant à l'anecdote de notre rencontre à Montpellier Danse autour du Trait en 2012, alors que je faisais le bord de scène à l'issue du spectacle, l'échange avec Nacera Belaza et le public était d'une telle acuité que sa danse continuait à vibrer en nous. C'est cela que j'ai désiré interroger : pourquoi cette danse nous émeut et nous rassemble.

Il faut faire l'expérience d'une désaccoutumance, il faut se déshabituer de tous nos conditionnements, que l'on soit spectateur ou danseur. Au départ, on n'y voit rien, ou on croit voir, puis on s'aperçoit que ce n'est pas cela. On est troublé par la nuit du plateau nu, on perd ses repères, on ne voit plus le fond de scène ni son bord, tout est dissous, et l'amplitude de la danse dans la nuit vous étreint. Vous y êtes, vous pouvez voir, dans la lenteur des corps dénoués, dans le lumineux de la fulgurance, dans la répétition qui vous transporte hors de votre temps dans le temps des autres, dans tous les autres temps. Vous êtes pleinement à l'espace. La danse est venue vous chercher, et vous a trouvés.

Parlez nous de sa façon de créer qui est spécifique dans le monde de la danse :

Nacera Belaza est venue à la danse en autodidacte. C'est ici à Reims, arrivée d'Algérie à l'âge de cinq ans, qu’elle a grandi, entre deux langues, avec les interdits de la famille, dans l'opposition entre l'intérieur et l'extérieur. Et avec la volonté de se libérer par la danse qu'elle a très vite pratiquée dans sa chambre, puis au collège, et à l'université, de manière secrète et enfin pleinement assumée. C'est dans la danse qu'elle s'est sentie exister par-delà l'exil, et c'est avec elle qu'elle est revenue en Algérie, avec le désir d'apporter son expérience à la jeunesse de ce pays. Je retiendrai un trait spécifique de son travail: la répétition du geste pour

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TEXTE françoise lacan

_Nacera Belaza © Isabelle Lévy-Lehmann

Le Cercle au Manège de Reims les 25 et 26 mai 2018 w w w. m a n e g e - r e i m s . e u + r e n c o n t r e e t d é d i c a c e av e c n a c e r a b e l a z a À LA MÉDIATHÈQUE CROIX - ROU G E 1 9 RUE J EAN - LOUIS DEBAR - REIMS l e 2 4 av r i l à 1 8 h 3 0

_Le Cri © Laurent Philippe


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Vie quotidienne et cinéma, sous les feutres D e D o r o th é e R ichard

Pour Dorothée Richard - née à Bruxelles en 1978, elle travaille à présent à Lyon - tout est sujet. Les piscines, les stations essence et les intérieurs de gare ont à ses yeux autant d’attraits qu’un paysage ou qu’une personne. Dans le monde auquel elle redonne vie sous ses feutres, tous les visages ne sont pas beaux, mais chaque détail est coloré, chaque vue est dessinée d’après un angle bien précis et l’on ne peut que ressentir le plaisir qu’éprouve Dorothée Richard à s’attarder sur ces ombres qui naissent dans une rue de nuit, sur la forme d’un nuage, sur la noirceur d’un ciel. Lors de notre entretien, c’est avec beaucoup de modestie et en prenant son temps que la dessinatrice a répondu à mes questions. Tous vos dessins sont réalisés au feutre : pourquoi ?

Avant, j’utilisais d’autres techniques – l’acrylique, la gouache, l’encre – mais depuis quelques temps, j’ai redécouvert le feutre et j’apprécie son immédiateté, le panel de couleurs qu’il offre et le fait qu’il n’y ait pas de temps de séchage . Lorsque je l’utilise, il m’est arrivé de retrouver des sensations de peintre… D’ailleurs, je n’exclus pas de revenir un jour à la peinture ! Dans votre série « Scènes de vie », on plonge parfois dans un monde plus fantastique que réaliste : était-ce ce que vous souhaitiez ?

Il est vrai que je ne suis pas à la recherche de l’hyper-réalisme. Je ne sais pas si mon travail tire vers le fantastique, mais j’aime montrer ce qu’il y a de poétique dans le quotidien. J’aime aussi dessiner des moments qui m’appartiennent sans pour autant chercher à raconter une histoire particulière.


Sur vos dessins, chaque détail a un fort impact visuel ! Quelle est

Votre inspiration est aussi venue d’autres films : lesquels ?

votre technique pour obtenir ce rendu ?

L’an dernier, au mois de mai, j’ai réalisé une cinquantaine de dessins sur plusieurs films qui m’avaient touchée : West Side Story, La Piscine, Into the Wild, Tout sur ma mère, Femmes au bord de la crise de nerf, Kika, In the mood for love… Beaucoup de personnes ont été sensibles à mon travail et mon galeriste m’a alors proposé de monter une exposition uniquement avec des dessins tirés d’In the mood for love. Et là, coïncidence : en juin, nous avons appris que le prix Lumière allait être décerné à Wong Kar-Wai pour l’ensemble de sa carrière. Nous nous sommes donc alignés sur sa venue pour débuter notre exposition.

Depuis un an, j’utilise des marqueurs composés d’huile. Ils me permettent de créer des aplats, ce qui, sur certains de mes dessins, contraste avec le feutre. C’est peut-être ce qui donne ce relief auquel vous avez été sensible. Comment est née la série « Paysages » ? Avez-vous vécu et dormi dans la caravane que vous dessinez à plusieurs reprises ?

Non, je n’ai pas dormi dans cette caravane, mais j’étais dans une autre, juste à côté. L’idée de cette série m’est venue grâce à un projet d’exposition, qui s’intitulait « La migration, l’exil ». Ces deux mots m’inspiraient. Finalement, l’expo n’a pas eu lieu, mais j’ai continué à travailler sur ce thème !

de votre part ?

Dessinez-vous toujours d’après la réalité ou parfois d’après photo ?

Non, c’était une influence complètement inconsciente ! Je n’y ai pensé qu’après avoir réalisé cette série.

Ça dépend ! Il m’arrive de faire des croquis en pleine nature et pour la série que j’ai intitulée « Intérieurs », j’étais chez moi et je dessinais directement ce que je voyais. D’autres dessins – et c’est le cas de certains dans ma série consacrée aux ateliers – ont parfois été réalisés d’après des photographies. J’ai vu que vous aviez réalisé des dessins à partir du film In the mood for love de

Dans la série « Baigneurs », j’ai ressenti l’influence de Gauguin : était-ce conscient

Quels autres artistes aimez-vous ? Et pourriez-vous nous dire pourquoi, en quelques mots ?

J’aime les lieux vides d’Edward Hopper, les piscines de David Hockney, l’amour des listes de Georges Perec et son envie d’écrire sur ce qui est banal, et j’aime aussi Notes de chevet de Sei Shōnagon !

Wong Kar-Wai : qu’est-ce qui, dans ce film, vous a poussée à dessiner ?

Mon objectif était de travailler sur les robes de l’actrice principale, de réinterpréter les nombreuses scènes où elle est présente. Je me suis aussi intéressée à la lumière, aux décors et aux mouvements des personnages. Dans ce film majestueux, chaque plan ressemble à un tableau.

w w w. d o r o t h e e r i c h a r d . f r

A

arts visuels

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TEXTE justine philippe


O

objetS

UN OBJET (remarquable) Ces affiches ont bientôt 50 ans. En soutien   aux événements insurrectionnels de mai 68,   les étudiants des Beaux-Arts de Paris, organisés   en « Atelier Populaire », s’affairent nuit et jour   pendant plusieurs semaines à la création et la diffusion d’affiches politiques. 35 de ces affiches seront présentées à la vente du samedi 21 avril. www.chativesle.fr Fb/Instagram : chativeslereims

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Provenance : Collection Vasco Gasquet, auteur de l’ouvrage « Les 500 affiches de Mai 68 ».

Est : de 20 à 400 euros.


En moins de dix ans, le Printemps des Champagnes s’est imposé comme un rendez-vous professionnel incontournable pour tout ce que le monde du vin compte d’ importateurs, restaurateurs, sommeliers, cavistes, journalistes ou blogueurs, français ou internationaux. Pendant quelques jours, tous se retrouvent à Reims et alentours pour un cycle de dégustation conçu et animé par les vignerons de Champagne. Fédérées autour de ce même projet, plusieurs associations organisent des événements. Elles se nomment Terres & Vins de Champagne, Les Artisans du Champagne, Les Mains du Terroir, Origines Champagne, Passion Chardonnay, Le Club Trésors, Champagne for You !… Mélanie Tarlant travaille en famille, avec son père et son frère à Oeuilly. Le Champagne Tarlant est membre de Terres & Vins de Champagne, l’un de ces groupements, celui des « inventeurs » du Printemps des Champagnes. Au moment de se souvenir des raisons qui ont conduit à la création de l’association, puis du Printemps des Champagnes, la réponse est simple : « Nous voulions faire entendre la voix du terroir. Faire connaître qu’en Champagne, il y a des vignerons qui travaillent leurs terres, que ces terroirs existent depuis plus de cent ans et qu’ils sont cultivés par des passionnés. Ces vignerons cultivent la terre, bien sûr, mais ils font aussi leur vin. Nous voulions que l’on revienne vers ces producteurs, vers ces villages ». Un discours finalement assez différencié de l’image de luxe, de fête, d’exception, que véhiculent plus volontiers les grandes marques. Pour la jeune viticultrice, il était temps de « dire qu’il n’y a pas de petit vigneron. Pourquoi petit, alors qu’il est souvent capable de produire de grands vins ? » Autre argument à faire valoir auprès des professionnels, « la résonnance du travail du vigneron avec la nature ». Le virage est pris. Il pose une nouvelle manière de communiquer sur le champagne, en prenant appui sur le terroir, les villages, les hommes et les femmes qui font le vin. Et c’est aussi une affaire générationnelle. « Voilà un peu plus d’un siècle que les vignerons ont commencé à faire leur vin en

Champagne, explique Mélanie Tarlant. La première génération a appris à cultiver la vigne, à produire son vin, souvent après la Première Guerre Mondiale. La seconde génération s’est attachée, en plus de cela, à le vendre. Je dirai que la troisième génération, la nôtre, est aussi celle qui communique ». Gilles Lancelot (Champagne Lancelot-Pienne, à Cramant) a fondé avec une quinzaine d’autres vignerons Les Artisans du Champagne, un groupement qui insiste lui aussi « sur la notion de terroir et sur le travail du vigneron, sur sa parcelle comme dans les différentes étapes de la vinification ». Lui souhaitait que les vignerons « prennent en main leur communication, qu’ils n’attendent plus que des campagnes soient lancées par les comités du tourisme ou d’autres organismes professionnels. Nous voulions être actifs, nous, avec nos mots, les valeurs que nous voulions diffuser ». L’idée germe alors de créer cet événement fédérateur pour faire circuler cette nouvelle manière de considérer le champagne comme son producteur. Les regards se portent sur la Bourgogne, même si le modèle n’est pas en tout point comparable. Les Grands Jours de Bourgogne, en mars, proposent des dégustations qui valorisent le vin et ceux qui le font. A l’origine de l’événement champenois, les vignerons de Terres et Vins de Champagne lancent en 2009 la première journée de dégustations de vins clairs et de Champagnes à Aÿ. Le Printemps des Champagnes affiche d’emblée quelques grands principes, très simples, toujours à l’œuvre aujourd’hui. « Nous attachons beaucoup de valeur à l’accueil et à la convivialité du moment, souligne Mélanie Tarlant. Chaque groupement organise les dégustations avec le sens d’un accueil soigné, mais dans l’esprit qu’il souhaite donner à ce moment. La proximité, la relation humaine, passent avant tout. Par contre, nous soignons certains détails collectivement comme la verrerie par exemple ». Après quelques années, le Printemps des Champagnes se joue très vite à guichets fermés. Importateurs, sommeliers et journalistes de France et de l’étranger - quarante pays sont représentés - s’y pressent

et s’y côtoient. Les grands restaurants comptent parmi les premiers partenaires chez lesquels l’image du champagne évolue. « Les deux tiers des établissements proposent essentiellement des grandes marques, mais à travers notre projet, en faisant connaître d’autres vins, ils sont aussi sensibles au fait que l’on remette en valeur le métier de sommelier. Ils inscrivent des champagnes de producteurs à leur carte. L’affirmation aussi de la dimension nature compte beaucoup ». À l’étranger également. C’est aussi le cas d’un restaurant comme le NoMa, à Copenhague (Danemark), dont les classements ont dit que c’était le meilleur au monde voici quelques années. Il a inscrit à sa carte plusieurs champagnes repérés à cette occasion. Actuellement en recherche d’un importateur aux Etats-Unis, Gilles Lancelot mesure de son côté combien son appartenance aux Artisans du Champagne, et sa participation au Printemps, change le regard que l’on porte sur sa production et celle de ses confrères. « Aux Etats-Unis, nous touchons avant tout des militants du vin, intéressés par la singularité des petites productions, précise Mélanie Tarlant. Un champagne nature, qui n’est pas dosé, comme celui que nous produisons par exemple. Au Japon, c’est le travail « fait main » qui a beaucoup de valeur et attire ». Pour elle, l’aventure du Printemps des Champagnes n’est qu’un début, le commencement d’une révolution lente qui conduira dans quelques années à ce que l’univers du champagne soit appréhendé de manière très différente. Les grandes marques non plus ne sont pas insensibles aux arguments ici développés et la notion de terroir commence à trouver place dans leurs campagnes de communication. « J’ai l’impression que nous ne sommes qu’au début de tout cela. Nous grattons la surface, juge Mélanie Tarlant, mais il y a encore beaucoup à faire ensemble pour atteindre la matière brute et la valoriser pleinement ».

E

événement

L e P r i n t e m p s d e s c h a m pag n e s Rendez-vous des professionnels du vin, sur inscription d u s a m . 1 4 a u m e r . 1 8 av r i l p r i n t e m p s - d e s - c h a m pag n e s . c o m

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TEXTE cyrille planson

photographie benoît pelletier


Mi-avril, le Printemps des Champagnes bouleverse désormais le regard que les professionnels portent sur la production champenoise.

Les Champagnes fleurissent au printemps Fédérés en divers groupements professionnels, les vignerons champenois transforment peu à peu l'image de leur production en revalorisant leur terroir.

25


A

arts visuels

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Pete Doherty, libertin des mots d’ordonnances désordonnées, expose certaines de ses œuvres à la Maison des Ailleurs, à Charleville, jusqu’au 20 mai 2018. Ce n’est pas la première fois. Il y a dix ans, déjà, Pete Doherty accrochait son exposition « Art of Albion » aux murs de la galerie Bankrobber à Londres, puis à la galerie Chappe à Paris. Ça vaut ce que ça vaut : la critique ne s’attend pas forcément à voir Doherty dans des musées. Connu pour ses scènes pop rock, ses excès et dérives, Pete Doherty, pourtant, respire comme un blessé du mal du siècle. Pas forcément notre siècle, d’ailleurs. Mais plutôt celui d’avant. A y regarder de plus près, Pete Doherty aurait pu naître en 1821, comme Charles Baudelaire. Ou même en 1854, comme Arthur Rimbaud. Comme eux, l’enfant Pete a connu la discipline paternelle militaire et millimétrée. Il a trouvé refuge dans la littérature et l’écriture poétique. Adolescent, il a commencé à écrire ses « Books of Albion » et a signé son appartenance au groupe des poètes rêveurs, à la fois maudits et sacralisés par leur époque

désuète. Albion, nom donné à une Angleterre poétique et fantasmée, devient son thème de prédilection : le refuge littéraire propose aussi une alternative géographique, une utopie à imaginer en plein milieu des rues de Londres, aux reflets de tabloïds. Il s’inspire du romantisme français, lui-même inspiré du romantisme allemand. De Goethe à Doherty, deux pirouettes seulement. Les souffrances du jeune Werther, c’est les siennes. L’accablement social de Des Esseintes, c’est le sien. Dans le miroir, il voit Huysmans, il voit Baudelaire, il voit Rimbaud. Et autour, Albion, et Arcadie, comme un décor de théâtre amovible. L’Arcadie se transforme en vaisseau fantôme dans l’imaginaire de Pete Doherty. De terre promise bucolique dans les anciennes pastorales, il en

fait un trait d’union entre le monde réel et l’utopique Angleterre de ses rêves. Un pont entre la réalité et sa zone de confort. Evidemment, les paradis artificiels aident au voyage. La drogue poudre directement ses poches crevées : son paletot aussi devient idéal. Et la bohème de Pete Doherty se convertit, d’aiguille en aiguille, en traits de couleur rouge. Pete Doherty peint avec son sang. Une scarification autorisée, légitimée par la création. Il peint des visages, des lignes qu’il ne sait arrêter. C’est de la pensée automatique, un langage avec les vieux fantômes. En exposant à Charleville, il veut entrer en résonance avec Rimbaud, prince des fugueurs et de l’errance. Celui qui a travaillé comme nettoyeur de tombes dans un cimetière, comme premier job étudiant, se targue de connaître la langue des morts. Si Rimbaud lui répond, ce sera dans sa tête, et personne n’en saura rien. Exposition des œuvres de Pete D o h e r t y, j u s q u ’ a u 2 0 m a i 2 0 1 8 à la Maison des Ailleurs 7 quai Arthur Rimbaud à Charleville - 03 24 32 44 65 w w w. c h a r l e v i l l e - m e z i e r e s . f r

« Le cœur fou robinsonne   à travers   les romans » exp o sitio n pete d o herty à la mais o n des aille u rs à c ha r l ev i l l e - m é z i è r e s

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TEXTE agathe cebe


1_

1_ La photographe plasticienne Delphine Balley construit son œuvre de fiction autour de faits divers réels tirés notamment des archives de la presse tabloïd. « Margaret Platt, 79 ans, coupa la natte de 78 pieds de long de sa fille Ursula, 43 ans, par une belle après-midi d'été ». News of the World, Dimanche 14 mars 1872. 2_ Corps et Paysage. Wilma Hurskainen se joue des paysages principalement finlandais qui ont bercé son enfance dans lesquels elle aime à se fondre jusqu’à la confusion. Elle fait la couverture de notre numéro.

A

arts visuels

TEXTE jules février

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Treize femmes photographes issues des quatre coins du monde pour une centaine La photographie au féminin pluriel d’œuvres qui embrassent tous les genres de la photographie.

exp o pho t o graphes au cellier

Treize femmes photographes issues des quatre coins du monde pour une centaine d’œuvres qui embrassent tous les genres de la photographie. L’association rémoise La Salle d’Attente met à l’honneur ces regards d’artistes contemporaines qui questionnent la filiation, l’intimité, l’identité, la guerre ou la migration… Un parcours singulier et sensible à découvrir au Cellier du 5 mai au 29 juillet 2018. Pendant 3 mois le cellier va devenir un lieu de rupture AVEC le regard masculin. Pendant trois mois, le Cellier va devenir un lieu de rupture d’avec le regard masculin qui trône habituellement derrière l’appareil photographique. Car paradoxalement, si les femmes fréquentent majoritairement les écoles d’art et de photographie, elles sont totalement sous-exposées sur la scène artistique. « Les femmes ne représentent que 15% des œuvres dans les collections publiques, constate Alain Collard qui préside La Salle d’Attente à l’origine de l’exposition. Même dans notre association, nous nous sommes aperçus qu’en 18 ans d’existence et 38 expositions, nous n’en avions consacré que 7 aux photographes femmes. » Le déclic est venu de l’exposition « Woman. The Feminist Avant-Garde Of The 1970s » qu’il a vu en 2014 à Bruxelles avec Marie-Noêlle Dumay, également membre de la Salle d’Attente. Quelque 450 photographies d’artistes militantes féministes des années 70 qui dénonçaient l’image de la femme comme produit des projections masculines. Une exposition qui révélait de manière provocante, radicale, poétique et ironique, le regard des femmes sur leurs propres corps et sur leur identité. « Des images époustouflantes et un vrai choc pour nous et qui nous a donné l’envie de monter cette exposition de femmes photographes. » Aucun militantisme revendiqué haut et fort au Cellier, seulement la volonté d‘exposer une photographie féminine trop souvent occultée. Pour Alain et MarieNoêlle, un index de femme a le même poids sur l’obturateur que celui d’un homme « La photographie n’a pas vraiment de genre, il y a juste des sensibilités différentes qui s’expriment. On retrouve le regard des femmes derrière tous les genres photographiques, de l’art conceptuel au reportage de guerre. Nous avons voulu, pour cette exposition, les rendre un peu plus visibles. »

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treize artistes emblématiques provenant d'horizons aussi différents que l'Iran, la France, le Maroc, l'Afrique du Sud, la Finlande ou encore les Etats-Unis. Le parcours muséographique a été conçu comme une balade dans un univers particulièrement éclectique dont Dorothy Lange ouvrira les portes avec ses images poignantes des victimes de la grande dépression américaine de l'entre-deuxguerres. « C’est la plus ancienne et la plus iconique des photographes exposées, une référence du photojournalisme dont les images sont universellement connues », explique Marie-Noêlle Dumay. Une déambulation qui conduira le public à la découverte du travail plus féministe de l’artiste finlandaise Elina Brotherus se mettant en scène comme modèle nu livré au regard des hommes, de l’objectif malicieux de Mélanie-Jane Frey sur les candidats aux Présidentielles, du drame syrien raconté par le reporter de guerre Laurence Geai, de la place des femmes dans la société iranienne sous l’œil de Shadi Guadirian ou encore de l’émouvante poésie de la Rémoise Hélène Virion dont les images sphériques nous transportent dans des cieux idéaux, tels des planètes-nuages. Point fort de l’exposition, la vidéo « Crossings » sur l’odyssée douloureuse des migrants réalisée par la photographe franco-marocaine Leila Alaoua tuée en janvier 2016 dans un attentat à Ouagadougou alors qu’elle travaillait pour Amnesty International. Le public a rendez-vous le 3 mai, avec huit des artistes exposées dont la Sud-africaine Jean Brundrit et l’Iranienne Azadeh Akhlaghi qui viendront parler de leur travail avant le vernissage prévu le 4 mai.

Déambulation éclectique

À partir du 4 mai, les caves de craie du Cellier vont accueillir une centaine d’œuvres photographiques et vidéographiques de ces

exposition au Cellier du 5 mai au 29 juillet 2018

2_

4 bis Rue de Mars, 51100 Reims 03 26 24 58 20


3_

3_ Laurence Geai a commencé par étudier la mode et le commerce avant de devenir à 25 ans photojournaliste. Rare femme photographe reporter de guerre, elle arpente pour l’agence SIPA les zones de conflits en Syrie, à Gaza ou en Centrafrique. 4_ Spécialisée dans la photographie d’archi-

5_ Leila Alaoui a perdu la vie dans un attentat

tecture, Camille Gharbi développe également

à Ouagadougou en 2016. Cette photographe

un travail personnel autour du logement des

franco-marocaine travaillait principalement sur

personnes réfugiées. Dans sa série sur l’habitat

les questions d’identité culturelle et d’immi-

des immigrés à Calais, la photographe retrouve

gration. La vidéo « Crossings » nous parle de la

l’origine de l’architecture en isolant les petits édi-

souffrance des migrants. À mi-chemin entre le

fices de leur contexte géographique.

documentaire et la photographie d’art.. 6_ Shadi Guadirian est née 1974 à Téhéran quelques années avant la révolution iranienne. Artiste et intellectuelle d’avant-garde, elle pose son regard sur la condition des femmes en Iran entre tradition et modernité, comme un clin d’œil aux autorités et à la société iranienne.


4_

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7_ Photojournaliste pendant près de 20 ans, Mélanie-Jane Frey a couvert les élections présidentielles de 2002, 2007, et 2012 se focalisant sur des portraits singuliers et humoristiques des personnalités politiques. Elle consacre maintenant tout son travail à des projets artistiques autour des procédés photographiques anciens. 8_ Jean Brundrit est une photographe sud-afri8_

caine qui travaille sur la condition lesbienne dans son pays. Elle a été la première artiste photographe exposée par La Salle d’Attente en 2000 à Reims. 9_ La photographe iranienne Azadeh Akhlaghi met en scène la mort violente de grandes figures de son pays. Des journalistes, politiciens ou intellectuels assassinés depuis la révolution constitutionnelle de 1905 jusqu'à la guerre Iran-Irak, mais que l’histoire officielle a occulté.

9_


10_


11_

10_ Les photographies d’Hélène Virion nous entraînent dans des univers oniriques où nos perceptions habituelles n’ont plus court. A fleur d’eau comme en plein ciel, elle se joue du réel, de ses reflets et de ses mirages pour constituer des mondes célestes flirtant avec des non-lieux. Hélène Virion est photographe plasticienne et chercheur en Arts dans l’équipe Art & Sciences de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 11_ Artiste finlandaise connue pour ses séries d’images se mettant en scène devant des paysages nordiques, Elina Brotherus questionne dans la série « Artist at work » le rôle du modèle féminin dans les représentations du corps. 12_ Dorothy Lange est une icône de la photographie

américaine

de

l’entre-deux-guerres.

Elle s’est fait connaître par ses clichés sur la 12_

pauvreté et la misère aux Etats Unis lors de la grande dépression comme ici le célèbre portrait de Florence Owens Thompson, mère migrante (Migrant Mother) prise en 1936. 13_ Artiste d’origine marocaine, Carolle Benitah mêle ses souvenirs d’enfance en mettant à jour les représentations culturelles conscientes ou

13_

inconscientes du rôle traditionnel de la femme et des schémas de la famille.


De l’inuktitut à Césaré philippe le g o ff directe u r de c é sar é

( centre natio nal de cr é atio n m u sicale )

R

rencontre

_Aurore dans le détroit d'hudson © Philippe Le Goff.

Le directeur du centre de création musicale de Reims est aussi un passionné du Groenland. Philippe Le Goff aurait voulu être marin, comme ses aïeux bretons ou comme le chanteur yéyé Antoine. Il est fasciné depuis toujours par deux choses : les expéditions et la musique. Philippe Le Goff a commencé par la musique. Une mère pianiste, « un père mélomane wagnérien aimant aussi le jazz », un frère qui écoute du rock et une sœur fan d’Adamo que le jeune Philippe imite alors parfaitement pour embêter sa frangine. Né dans la banlieue nord de Paris, il passe une partie de son enfance à Bruxelles. À 8 ans, on le met au piano. Au début des années 80, il est au conservatoire de Lyon au moment où doit ouvrir la première classe de musique électro-acoustique, après celle lancée à Paris par les pionniers de la musique concrète, Pierre Schaeffer et Pierre Henry. scratch & documentaires

Philippe Le Goff a les clefs du nouveau studio, il expérimente avec ses magnétophones et ses micros. « On scratchait avec nos magnétos à bande, on samplait, on remixait en direct… À partir de 1981, il y avait une dynamique incroyable, on se produisait partout avec deux autres musiciens. » se souvient celui qui sait aussi jouer du tabla indien. En 1986, il quitte Lyon et le monde de la musique contemporaine pour Paris et le milieu du documentaire de voyage. Il raconte : « J’avais été fasciné par le jeu vocal de femmes Inuits que j’avais entendu au conservatoire. Je suis parti tourner au Groenland. Jean Rouch m’a prêté une caméra et son équipe de montage m’a accompagné. Ce n’était pas un documentaire didactique pour la télévision mais quelque chose d’un peu poétique. » Philippe Le Goff travaille aux Langues O’ (l’Institut national des langues et civilisations orientales) et réalise régulièrement des expéditions en Arctique. Sur place, il fait le guide et parle l’inuktitut, la langue des Inuits. Il confie : « Le monde de la musique contempo-

raine est un secteur de grands maniaco-dépressifs un peu étouffant. Le Grand Nord a été pour moi une grande échappatoire. Mais le tourisme arctique est souvent tourné vers la nature et le changement climatique, rarement sur l’être humain. » Et qu’on ne lui parle pas, comme Jean-Louis Etienne, des Esquimaux : ils s’appellent des Inuits ! UN LABORATOIRe

Depuis 2011, Philippe Le Goff dirige le Centre national de création musicale Césaré, à Reims. Césaré pour Culture, Enjeux Sociaux, Art et Recherche. Plus concrètement ? « C’est un lieu de production, avec deux studios de travail et un studio d’enregistrement. Nous ne sommes pas très visibles car nous développons des projets. On nous identifie parfois à la musique contemporaine façon Pierre Boulez ou Stockhausen, nous en sommes bien loin : certains des 20 à 25 musiciens en résidence viennent du classique, du jazz ou du rock. » Lui-même a autant écouté Bob Dylan que John Cage et regrette « les chapelles entre ces musiques clivées et clivantes. » Ces laborantins du son ne restent pas enfermés, ils partent souvent à la rencontre de leurs voisins, par exemple en organisant des ateliers dans des maisons de retraite ou une chorale de chants polyphoniques dans des maisons de quartier. Césaré est aussi une caverne d’Ali Baba d’instruments analogiques anciens, tout comme d’instruments futuristes, qui sont expérimentés ici. À l’occasion de L’Avant-Garde de La Magnifique Society, les curieux pourront découvrir une basse interactive made in Reims, la lutherie de demain ou encore une performance batterie et vidéo. Peut-être de quoi susciter des vocations et recruter les futurs résidents de Césaré…

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TEXTE nicolas dambre


PHOTO ©CRAPAUD MADEMOISELLE WWW.BELLERIPE.FR CRÉATION / CONCEPTION

51 rue de Talleyrand - 51100 Reims

03 26 47 49 85

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De quoi la bulle de champagne est-elle le nom ? R

rencontre

Gérard Liger-Belair le physicien q u i fait des bu lles

De quoi la bulle de champagne est-elle le nom ? Nous pensions que l’effervescence du champagne était un gentil agrément visuel et sonore avant de porter la flûte aux lèvres, mais du point de vue de la physique c’est toute la complexité de la mécanique des fluides qui se révèle dans ces quelques centilitres de vin pétillant. Une odyssée de fines sphères chargées de dioxyde de carbone magnifiée par les images époustouflantes des cameras ultra rapides de Gérard Liger-Belair qui transfigure la science en un art graphique d’une rare grâce

On croirait contempler des photos de galaxies spirales ou de nébuleuses lointaines capturées par le télescope spatial Hubble ! Mais cet univers qui emprunte à la théorie du chaos tellement les paramètres en jeu sont multiples et complexes, est contenu dans une simple flûte que nous entrechoquons habituellement pour égayer nos soirées. Ce verre où le ballet de perles cristallines s’élève en colonnes avant d’exhaler en surface leurs saveurs acidulées, c’est le terrain de connaissance de Gérard Liger-Belair. À 46 ans, ce physicien à la tête de l’équipe « Effervescence, Champagne et Applications » rattachée à l’Université de Reims est le seul chercheur au monde spécialisé dans la bulle de champagne. Et cela fait prêt de quinze ans qu’il publie dans les plus prestigieuses revues scientifiques le résultat de ses recherches sur les processus physicochimiques en jeu de la naissance des bulles

jusqu’à leur éclatement en surface. Une jeunesse versaillaise, l’océanographie comme projet professionnel jusqu’à un accident de plongée qui l’oblige à rester en surface et réorienter sa carrière de scientifique. Et comme Gérard Liger-Belair est passionné de photographie, il commence à explorer par l’image la dynamique des bulles dans leur champ d‘écoulement, en l’occurrence faute de moyens : des verres de limonade ou encore de bière. « Pour ma thèse, j’ai contacté les deux producteurs majeurs de bulles : Coca-Cola et Moët et Chandon et c’est la maison de Champagne qui a répondu la première ! », explique-t-il. En 2001 il devient docteur de l’université de Reims Champagne-Ardenne avec les félicitations du jury pour sa thèse portant sur « Une première approche des processus physicochimiques liés à l’effervescence des vins de Champagne ». Depuis le champagne coule à flot dans son laboratoire, livré


TEXTE jules février

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photographies (sauf mention contraire) gérard liger-belair


Après ses premières publications, la filière champagne voyait ces expériences d’un œil un peu méfiant, craignant une démystification du champagne, « mais assez vite les professionnels ont compris l’intérêt de nos travaux et aussi de nos images qui rajoutaient du rêve au champagne », précise-t-il. À l’actif de l’équipe de Gérard Liger-Belair, la découverte de l’origine de la bulle. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas seulement les imperfections du verre qui créent la bulle, mais surtout les minuscules fibres de cellulose en suspension dans l’air ou bien laissées par le chiffon qui vont piéger le gaz carbonique dissout dans le vin et le libérer sous forme de bulles. Ainsi le nombre et la forme des bulles en disent beaucoup plus sur le contenant (forme et hauteur du verre) et sur les conditions extérieures comme la pression ou la température que sur la qualité du vin.

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© gérard liger-belair, odile jacob, 2011.

© beaumont liger-belair polidori, odile jacob, 2011.

Les lacs de méthane et d’azote de Titan

Et comme ce sont les bulles dans leur migration très rapide vers la surface qui en explosant vont projeter vers nos narines et nos papilles des molécules aromatiques comme le ferait un brumisateur de parfum, il convient de verser lentement le champagne dans un verre penché pour préserver au maximum le CO2, donc l’effervescence, tout au long de la dégustation. La dernière publication médiatique de l’équipe du chercheur portait sur la mise en évidence d’un « nuage bleu » à l’ouverture de la bouteille à température ambiante. Le gaz sous une pression de près de 8 bars subit une décompression violente qui fait chuter sa température à -90°C. « Le nuage bleuté a pour origine la transformation du CO2 gazeux en de minuscules paillettes de neige carbonique qui diffusent alors la lumière ambiante. Ce nuage a la même origine physique que la couleur bleue du ciel », explique le physicien. Et parce que les lois physiques s’exercent partout de la même manière, le comportement d’un gaz ne diffère pas dans un verre de champagne, dans les océans, l’atmosphère terrestre ou dans celui d’autres planètes du système solaire. De part le monde de la recherche, les observations et les modèles mathématiques de l’équipe rémoise sont confrontés à d’autres problématiques comme le « pétillement » des océans et la production d’embruns qui participent de la chimie complexe de l’atmosphère et de l’équilibre climatique global, ou de l’origine des bulles à la surface des lacs de méthane et d’azote de Titan, satellite de Saturne, ou encore des perturbations observées dans le ciel jupitérien. Retour sur Terre avec une énigme champenoise que s’attelle encore à résoudre Gérard Liger-Belair : le phénomène de gerbage qui peut vider en quelques secondes la bouteille d’une bonne partie de son précieux breuvage. Une application concrète qui, on s’en doute, est attendue par l’ensemble de la filière champagne. © éric vanden

à l’analyse des spectromètres de masse à haute résolution et des caméras les plus sophistiquées qui capturent grâce à la tomographie laser la complexité de l’organisation tourbillonnaire des bulles. « Je ne pensais pas y passer autant d’années et c’est toujours la même passion et le même plaisir à explorer cet univers, notamment par la photographie. Je suis subjugué par les images que nous produisons et ces photos sont des outils pédagogiques extraordinaires. Les équations des modèles mathématiques du cycle des bulles sont bien évidemment essentielles, mais l’esthétique est un des fils conducteurs de mes recherches », confie le physicien.


Murder Ballads

© dr

Nick Cave and the bad seeds (featuring Kylie Minogue) - Where the wild roses grows Portée par son étrange beauté, mais sans doute aussi par la notoriété de Kylie Minogue, cette chanson de Nick Cave est devenue brièvement un tube. Cela faisait quelques années que Nick Cave rêvait d’un duo avec elle. Where the wild roses grows raconte en trois actes, sur trois journées distinctes, la rencontre d’un homme et d’une femme. Il l’approche et séduit cette femme « aux lèvres couleur de rose ». Elisa Day – c’est son nom – lui rend son sourire. Elle en est certaine, elle est conquise et cet homme sera le sien. Le second jour, il lui apporte une fleur et lui propose de lui faire découvrir l’endroit où poussent ces roses sauvages, au bord d’une rivière. Là, il l’embrasse, se baisse, ramasse une pierre et la tue en la frappant à la tête. Elle repose là, au milieu des rosiers sauvages. L’histoire est celle, imaginée, d’un psychopathe. Certains y ont vu des allusions plus ou moins directes avec tel ou tel fait divers mais, pour un anglo-saxon, la lecture peut être plus simple. Nick Cave développe dans ce titre une métaphore contemporaine du mythe d’Ophélie, popularisé par Shakespeare dans la littérature anglaise. Dans Hamlet, la jeune femme, fille de Polonius et amante délaissée, meurt en effet au bord d’une rivière – accident ou suicide, nul ne le sait – entourée de roses sauvages. Et devient ainsi le symbole

d’un amour exclusif aussi fort que mortifère. Le clip vidéo du titre Where the wild roses grows est encore plus éloquent dans sa référence à Ophélie. Le titre est séduisant par sa composition presque surannée aux violons languissants et le contraste entre la voix suave de Kylie Minogue et celle, chaude et profonde, de Nick Cave. Paru en 1995, il sera intégré à l’album Murder ballads (1996) entièrement dédié aux crimes passionnels. Dans la musique anglo-saxonne, les murders ballads sont un genre particulier, qui a donné naissance à des centaines de titres portés notamment par de grandes figures de la musique country américaine, Johnny Cash en tête. « On the last day I took her where the wild roses grow / And she lay on the bank, the wind light as a thief / And I kissed her goodbye, said, All beauty must die / And lent down and planted a rose between her teeth. » Sufjan Stevens - John Wayne Gacy, Jr Sur Illinois, Sujan Stevens a souhaité proposer une traversée de l’histoire de cet État du Nord-Est des EtatsUnis par petites touches, en référence à son histoire personnelle comme à quelques événements marquants de son histoire. Pour la plupart des ses fans européens, le nom de John Wayne Gacy Jr, titre de la chanson éponyme, n’évoque rien. Et pourrait même donner à voir ici un hommage au mythique cow-boy du cinéma américain des années 1940/50. En réalité, ce John Wayne est le sérial killer le plus connu des Etats-Unis. En à peine six années (1972-78), il a

violé et étranglé plus de trente adolescents. Le personnage de Gacy est resté dans toutes les mémoires, révoltant par sa duplicité. L’homme cachait les corps dans sa maison tout en continuant à mener une vie parfaitement « normale ». Ce bon père de famille, ancien gérant de trois restaurants de la marque Kentuckty Fried Chicken, était connu pour se rendre aux fêtes entre voisins habillé d'un costume de clown. Ce costume de « Pogo le clown » lui servait aussi pour collecter des fonds pour le parti démocrate ou aller à la rencontre des enfants malades, à leur chevet, à l'hôpital de Chicago. En prison, Gacy a commencé à peindre. Des portraits de clowns, de Bambi, de Blanche-Neige ou même des Sept nains qui seront ensuite exposés dans des galeries d'art ou vendus aux enchères aux enchères. Contre quelques dollars, vous pouviez alors faire passer une photo à son agent. Gacy réalisait alors votre portrait en clown tueur. Glaçant. C’est ce personnage de clown psychopathe qui aurait inspiré Stephen King pour son roman d’horreur, Ça, en 1986. Sufjan le militant souligne ici la fascination morbide des Etats-Unis pour les serial killers – une réalité – tandis que Sufjan le mystique questionne l’homme qui se cache derrière le monstre. « The neighbors they adored him / For his humor and his conversation / Look underneath the house there / Find the few living things, rotting fast, in their sleep / Oh, the dead. »

© dr

Les crimes, qu’ils soient passionnels ou en série, ont toujours été une source d’inspiration pour la littérature. Ils le sont aussi pour la chanson, au point d’avoir constitué un genre en soi dans la production anglo-saxonne. Petit tour d’horizon en quelques titres mettant en scène tueurs en série et autres psychotiques.


musique

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TEXTE cyrille planson

No one is innocent - Henry, serial killer Des riffs, il y en a aussi quelques-uns, mais c’est surtout le « gros son » de la basse et les décharges martiales des guitares qui caractérisent No one is innocent, « le » groupe de heavy métal made in France la fin des années 1990. Son titre Henry serial killer semble faire référence à un film culte, Henry, portrait d'un serial killer, de l’américain John McNaughton (1986). Le réalisateur s’inspire lui du serial-killer Henry Lee Lucas dont il dresse un portrait en pointillés, de ses meurtres impulsifs à ses instants de vie ordinaires partagés avec un ex-compagnon de cellule et sa sœur, pas forcément plus équilibrés que lui. Le morceau s’ouvre sur une basse ronflante et un texte dit en anglais avant que ne se déchaîne l’énergie puissante d’un groupe depuis disparu des radars. Ou presque. « No way. Henry was a psycho psycho killer he looked like a model guy. It's not a fucking American movie, the end is tragic. Always looking for

a new sensation, looking for a new sensation. And there's no exception. / And he's walking to ya in a very cool way. / Henry time has come for ya to deliver up your soul. For all the women who're still alive… Henry… Stop. » Lana del Rey, Slash et Talking heads Le titre Serial killer ne fait pas directement référence à un fait réel. Sur un rythme plus proche du hip-hop que de la pop, Lana del Rey se définit comme une sociopathe, une sérial killer qui « aime trop » et pourrait bien envoyer l’objet de son désir ad patres. Bien que non édité, le titre chanté souvent en concert deviendra culte. Même fascination pour les serial killers dans la chanson éponyme de Slash's Snakepit, regroupant plusieurs membre de Guns’n roses après le clash de 1994. Constitué autour du mythique guitariste solo du groupe (Slash), il emmène son auditeur dans les pensées troubles d’un serial killer potentiel, mêlant dans une même phrase déclaration d’amour passionnée et symptômes évidents d’une haine meurtrière. Un grand morceau du rock à riff néo-romantiques. Vingt ans plus tôt, les Talking heads qui chantaient Psycho killer (1977), plongée dans l’esprit d’un tueur en série. La chanson a été reprise par de très nombreux groupes.

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dans l’esprit de leurs meurtriers et de leurs contemporains. « For a child cries : Oh, find me… find me, nothing more / We are on a sullen misty moor / We may be dead and we may be gone / But we will be, we will be, we will be, right by your side / Until the day you die / This is no easy ride. »

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M

The Smiths - Suffer Little Children Les Moors Murders sont, en Grande Bretagne, aussi connus que l’affaire du Petit Grégory en France. Pendant deux ans, entre 1963 et 1965, les serial killers Ian Brady et Myra Hindley ont violé puis assassiné cinq enfants et adolescents âgés de 10 à 17 ans. Leurs corps étaient ensuite ensevelis par les criminels à Saddleworth Moor, une lande perdue du nord de l’Angleterre. Sans aucun remord, les deux tueurs ont toujours refusé de collaborer avec la police, ni de dévoiler le lieu de la sépulture. Certains corps seront retrouvés lors de fouilles, d’autres perdus à tout jamais. Les deux « diaboliques » restent à ce jour les criminels les plus détestés aux RoyaumeUni. Dans Surfer Little Children Brady est comparé à un monstre et Hindley à la terrible Méduse de la mythologie. Ce titre est porté comme toujours dans l’œuvre des Smiths par le lyrisme de Morissey et la guitare nerveuse de Johnny Marr, tous deux co-auteurs. Morissey et ses acolytes étaient tous originaires de Manchester, de cette Angleterre du Nord, sombre et industrieuse, dans laquelle se sont déroulés ces crimes atroces. Ils rendent hommage sur ce titre à des enfants à peine plus âgés qu’eux à la même époque. Le titre sort sur l’album The Smiths (1984), le premier, puis en single. Suffer little children, est le début d’un paragraphe de l’évangile selon Saint-Matthieu. Morissey y parle de ces enfants disparus, à la sépulture inconnue, qui ne cesseront de demeurer


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Rencontre avec Chantal Richard, réalisatrice, à propos de la tournée de son documentaire Ce dont mon cœur a besoin en Champagne-Ardenne filmer en vivant chantal richard, r é alisatrice

Eté 2015. Il est tôt lorsque Chantal Richard et moi-même partons de Dakar, vaine tentative de contrer la chaleur suffocante. En route vers Agnam-Lidoubé, village du Sahel Sénégalais, l’ami El Hadj est au volant. 750 km de « goudron » au travers des villages et surtout de paysages raidis par la sécheresse. Partout des carcasses d’animaux, des arbres séchés. C’est le troisième film de Chantal dans ce village, les attaches y sont profondes. D’abord un documentaire La vie en chantier puis une fiction Lili et le baobab (avec Romane Bohringer). Revenir, séjourner pour créer des traces concrètes des racines africaines qui se sont greffées en elle. Les habitants connaissent bien cette normande blonde ainsi que sa sœur jumelle, présidente de l’association Les amis d’Agnam qui accompagne la scolarité des jeunes du village de l’école primaire à l’université.

C

cinéma

Là, s’ouvre cinq semaines de tournage consacrées à un film documentaire Ce dont mon cœur a besoin. Cinq semaines avec des garçons d’une même « classe d’âge » pour écouter leurs rêves, leur façon de voir le monde et de vivre des vacances dans un village loin de tout. Le paysage singulier de cette immense plaine sahélienne imprime aux corps et aux âmes le goût du combat singulier avec les éléments, l’envie d’aventures et aussi un spleen comme si le plat de la terre était infini, sans possibilité d’un ailleurs. Fin d’après-midi d’hiver à Paris, retour sur ce projet :

Chantal Richard : Il y a 4 ou 5 ans, les portables arrivent au village. Facebook est sur les cartes à puces que les garçons achètent (il n’y a pas d’abonnement téléphonique). Je reçois une demande par SMS d’un des garçons qui va devenir l’un des personnages principaux du film, Ibrahim dit Ibra. Il est le premier à ouvrir un compte Facebook et je suis sa première « amie » car il ne connaît personne en dehors du village et que les autres ne sont pas encore connectés. Je reçois comme première publication la photo d’un camion arrêté sur le bord du goudron avec cinq à six jeunes de 18/20 ans, tous amis d’Ibra et une légende « Nous n’avons nulle part où aller… ». Je m’inquiète, Il me répond « maintenant, je peux envoyer des messages à travers le monde mais nous, nous ne pouvons pas bouger. »

Il poste une deuxième photo, celle d’une station de métro dessinée, il a inséré son portrait sur chaque panneau d’affichage. Je reçois plusieurs invitations Facebook du village et je constate que ce réseau devient immédiatement une bouteille à la mer remplie de messages qu’ils ne disent pas quand on se rencontre au village et qu’ils ne disent pas non plus à leurs parents. Leurs écrits et leurs images sont comme des journaux intimes qu’ils m’envoient et à eux-mêmes aussi. En les recevant, je visualise tous ces garçons pianotant côte à côte sur la même terrasse ou sur le goudron ou après avoir joué au foot ensemble. Comment se fait-il que ce film, à ce moment-là, prenne toute la place dans ton chemin de cinéaste ?

C’est une question à laquelle j’ai souvent réfléchi et à laquelle je ne peux pas répondre. Je ne sais pas pourquoi, à un moment donné, les choses qu’on croise dans la vie prennent valeur potentielle de film et prennent effectivement toute la place dans la vie et dans le travail. Je ne sais pas pourquoi… Je crois qu’on est confronté à énormément de choses intéressantes autour de soi qui pourraient faire film mais on en croise très peu qui touchent un point chez soi qui met en branle le processus de création. Pour ce film-ci, ces grands adolescents, jeunes adultes, qui se servent d’un média pour un peu crier « au secours ! » ou pour raconter des choses sentimentales, doivent toucher très profondément la pensionnaire que j’étais et qui écrivait dans son lit avec une lampe de poche. Je crois que tant qu’il n’y a pas cette rencontre entre soi et les autres, extrêmement intime, ça ne déclenche pas, non seulement le désir de film, mais aussi les deux ou trois ans de sa vie qui vont avec. Comment définirais-tu la place de ce film dans ton travail sur l’Afrique ?

Ce film fait sens parce que c’est le troisième film que je fais dans ce village et parce que le garçon qui m’a envoyé ses posts a été filmé à 9 mois dans mon premier film, à 10 ans dans le second et aujourd’hui il a vingt ans. Mais si je prends ce jeune homme, Ibrahima, il lui est arrivé des tas de choses depuis toutes ces années qui auraient pu faire film. Or, ce sont ses publications qui m’ont décidé.


Ces garçons avaient un immense besoin d’être regardés, accompagnés et que, tout ne soit pas que virtuel dans ce désir du monde. Le film est beaucoup moins virtuel que Facebook, il existe, il circule, ils le montrent et, tout d’un coup, leurs rêves, leurs désirs, leurs visions du monde, leurs envies de contacts sont projetés. Pour moi, dans ce grand récit de leurs adolescences, il était absolument nécessaire que leurs pratiques avec Facebook soient évoquées. Pour sa création, chaque film génère-t-il ses propres outils ?

Pour ce film, j’ai laissé un peu traîner. Il s’est écoulé trois à quatre mois dans lesquels j’y pensais tous les jours mais je n’écrivais rien. Et puis tout d’un coup, je me suis assise devant l’ordinateur et en quinze jours, le dossier du film était écrit. Ce qui est étrange c’est qu’il a très peu bougé alors que les personnages ont changé sauf Ibrahima. Sont devenus personnages tous ceux sur qui j’arrivais à mettre un mot comme « le poète », « l’homme de développement », « le reporter », « le naïf »… Le dossier était rythmé par ces petits noms en tête de chapitre, j’y racontais un peu ce que je connaissais de leurs vies et ce que j’avais découvert sur Facebook avec très souvent un grand écart ; c’est-à-dire que, avant, je ne les identifiais pas du tout comme reporter, ni poète ou homme de développement, c’est sur Facebook que j’ai découvert cette dimension d’eux-mêmes. Ces mots ont fait que j’avais envie d’accompagner chacun dans la dimension la plus sensible et visible qu’il offrait. As-tu eu besoin de faire des repérages avant le tournage ?

Je suis allé une fois sur place avant de tourner. J’ai réuni toute la « classe d’âge », ils étaient une trentaine, j’ai parlé avec eux du projet, j’ai parlé de ce que je percevais d’eux sur Facebook et de ce que ça allait impliquer de faire un film. Filmer comporte un caractère intime dont il fallait qu’ils comprennent absolument la portée. Je les ai un peu filmés avec leurs téléphones. Ils ont une pratique collective, ils sont deux ou trois sur un matelas en train de se dire « tiens, je viens de mettre un poème, écoute-le ». Je pense que nous n’avons pas assez en tête la notion de cette intimé. C’est un paradoxe partagé avec les adolescents d’ici, ils postent des choses très intimes alors qu’ils le partagent à tout vent. Mais, au moment où ils partagent, ils n’ont pas la conscience que ça peut à ce point circuler. Depuis le début des projections, beaucoup de spectateurs m’ont dit avoir reconnu leurs enfants dans ces ados du Sahel.

Quel est ce moment où tu as décidé de tourner seule ?

L’année de mes 50 ans, j’ai eu envie d’un grand voyage initiatique sur un paquebot qui faisait La Réunion / Les îles Kerguelen en 50 jours avec un équipage de 50 hommes. Mais c’était impossible de monter le projet car le bateau était devenu militaire avec beaucoup de contraintes. Dans le même temps, j’ai appris l’existence des « îles éparses » dans l’Océan Indien sur lesquelles des détachements militaires de douze hommes séjournent parce qu’elles appartiennent à la France. Pour moi, il y avait la même chose que sur le paquebot, une espèce de huis clos, un rapport très fort avec la nature (la mer en particulier) et quelque chose du « Désert des Tartares », une raison profonde d’être enfermés là et une espèce d’illusion qu’il allait se passer quelque chose tout en sachant qu’il n’allait rien se passer. Dans ces petites îles, l’une s’appelle Europa. J’ai proposé d’accompagner seule avec un ami photographe, les douze militaires qui allaient prendre la garde sur l’île pendant 60 jours. C’est là que j’ai découvert que j’adorais filmer en vivant. Je me réveillais et je me couchais avec ma caméra à côté de moi. Je ne savais pas ce que j’allais faire de la journée, je pouvais tourner, faire une petite marche d’une heure, re-filmer, faire une sieste. Je filmais en vivant. Bien entendu, à la vision quotidienne des rushes, le film s’est écrit, des fils se sont tissés autour de gens, autour de situations, des choses se sont réfléchies, prévues, organisées. Mais il n’en reste pas moins que c’est filmer en vivant. C’est entré dans ma vie sans rien préméditer, sans plan de travail, sans rien du tout. « Ce dont mon cœur a besoin » tient du même processus puisqu’on vivait au village et qu’on faisait en même temps le film. L’écart entre la vie et le film est très infime, c’est surtout ça qui m’emmène du côté du documentaire. Où tes envies te portent-elles aujourd’hui ?

Si demain je refais une fiction, elle se passerait très différemment de mes autres fictions. Comme j’ai fait le cadre de mes derniers films, le rapport avec le chef opérateur sera fondamentalement différent. Bien que je n’aime pas ce mot, je pense qu’il y aura une partie non pas documentaire ou documentée, mais une façon libre de faire de la fiction. Il y a beaucoup de films, dont je sens que le tournage a été la mise en image d’un scénario. Je sais que ça m’est totalement impossible, il me manque une relation à la surprise. Si mon nouveau projet de fiction abouti, mon désir serait de le tourner comme on tourne ses premières fictions, avec moins de lourdeurs. J’aimerai quelque chose de léger.

Fiction ou documentaire, comment la question se pose-t-elle pour toi ?

J’ai l’impression qu’il y a eu des années où j’alternais quasi systématiquement, fiction, documentaire, d’abord des courts-métrages, puis des moyens puis un long-métrage. Ensuite, il y a eu un deuxième temps dans ma vie de cinéma où le documentaire a pris le pas sur la fiction. Ce n’est pas tant fiction/documentaire la question, c’est ce qu’il y a à vivre en faisant l’un et l’autre. Ce qui a changé la donne, c’est de tourner seule ou à deux. J’y ai pris un tel goût que tout projet qui suppose de retrouver de grandes équipes avec des contraintes, des plans de travail, de la dépendance aux autres, me fait de moins en moins envie.

Ce dont mon cœur a besoin En tournée e n p r é s e n c e d e C h a n ta l R i c h a r d 1 7 a v r i l  -  1 9 h  : M é d i a t h è q u e V o y e l l e s ( C h a r l e v i l l e - M é z i è r e s ) 1 8 a v r i l  -  2 0 h 3 0  : C i n é m a s O p é r a ( R e i m s ) 1 9 a v r i l  -  2 0 h 3 0  : L e M a n è g e ( G i v e t )

TEXTE jérôme descamps

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Pour découvrir (et/ou soutenir) Agnam-Lidoubé, un village pilote : Association pour le développement socioculturel d’Agnam Lidoubé (ADSCAL) : www.facebook.com/groups/824341924344813 Les amis d’Agnam-Lidoubé : www.lesamisdagnam.fr La construction d’un Ecomusée de la culture Peulh est prévu à Agnam Goly : www.facebook.com/ecomuseedespeuls Pour retrouver le goût du Sahel sénégalais, impossible de ne pas écouter les chansons de Baaba Maal dont « Hommage à Guélaye » où la voix et les sons du Sahel se mélangent. Les belles images du village faite par le camarade Emmanuel Rioufol, photographe aujourd’hui décédé : photographies.emmanuelrioufol.com/-/galleries/senegal Les films de Chantal Richard « Lili et le baobab » « Mes parents n'avaient pas d'appareil photo » « Un jour, je repartirai… » « La vie en chantier » « Au nom des trois couleurs » « Charles Peguy au lavomatic »


parcours d'un entrepreneur

L’homme qui portait bien son nom hervé fort

Au début, il y a le retour tonitruant de l’enfance. L’engrenage a démarré à la naissance de sa première fille, ce succès inattendu. Hervé Fort avait 18 ans, et on n’est pas censé être sérieux quand on a 18 ans. Or, pour lui, les années furent difficiles, et il fallait faire tous les métiers du monde par commodité et responsabilité. Avec le recul, ce fut plus un voyage qu’une course folle. Un joli voyage. Jalonné de rencontres. Pour le jeune Hervé, qui a reçu une éducation sportive, le mental est indispensable. Et c’est par ce mental qu’il a su provoquer les rencontres, séduire ses interlocuteurs. « J’ai eu la chance de croiser des hommes et des femmes qui ont cru en moi, à certains moments clés de ma vie. Ça a démarré comme ça. » Hervé Fort accorde volontiers le mérite de sa réussite à la richesse d’un parcours sans limite. « Il faut que je me sente vivre, dussé-je en mourir » cite-t-il volontiers, à travers Simone de Beauvoir. De petits jobs en petits jobs, Hervé rencontra des personnes qui étaient installées, exactement là où elles étaient, à la même place, depuis plus de vingt ans. Or, lui, voulait vivre plus vite que ça. Et la rencontre décisive se fit dans le domaine de l’automobile. Moins de quinze ans après, Hervé était président du dixième groupe français. « Ce qui est génial dans la vie, c’est que quand on a faim, quand on sait faire la part des choses, on avance. » Self Made Haka

Derrière, comme une ombre indélébile, toujours le sport collectif : faire des choix, renifler le piège, s’appuyer sur des équipiers. Hervé refuse de se mettre hors-jeu ou hors-limite. Il observe attentivement les personnes qui tournent autour, comme des satellites : « le sale coup, la triche, on n’oublie jamais. » Ces règles de vie, sportives et humaines, apprennent à grandir et Hervé s’inculque à lui-même, autant qu’à ses équipes, le respect des règles, du groupe, et des méthodes qui savent faire leurs preuves. Dans cet équilibre, rien ne change, jamais. Et Hervé Fort tra-

vaille immuablement comme ça. Au-delà des sports co’, il y a les sports mécaniques. Ce qui va vite, fort, sur circuit, sur l’eau, dans les airs. C’est une autre respiration, et surtout, après l’esprit d’équipe, une autre métaphore de vie. Hervé Fort a toujours voulu travailler dans des univers qui lui permettent de faire au gré de ses envies. Il ne s’est jamais privé de passer d’un domaine professionnel à un autre. Après son ascension dans le milieu automobile, Hervé rencontre la présidente de Bang & Olufsen, Elisabeth Sandager. « Elle croit en moi, et j’y vais pour elle, parce que je crois aussi en elle. » Toujours cette même ritournelle de la confiance partagée, de l’équipe, de la mêlée et du saut dans le vide étourdissant. Leur association dure six ans : repartir de zéro, adopter un défi, observer d’un regard neuf. Et encore cet envol, en fin de piste, pour une nouvelle évolution. Retour à la distribution automobile, pour une aventure étonnante de sept ans, complexe aussi : « j’y ai appris le travail transversal et le management responsable et engagé ». Autodidacte, Hervé Fort ? Si peu… Chacun de ses changements professionnels, nourris de défis et de challenges, ont forgé ses capacités. Le jeune homme de 18 ans qui assurait sa nouvelle vie de famille a bien grandi, et a su apprendre, d’adaptations en remises en question. Le management comme seconde peau, il a apprivoisé la vie de l’entreprise comme un voyage qui repose sur l’humain et qui le fait lever tous les matins. L’envol

Résolument fidèle à son indépendance, Hervé Fort décide de se mettre à son compte. Il crée un concept store sur les Champs Elysées. Il met à profit tout ce qu’il a appris, tout ce qu’il a dés-appris, tout ce qu’il a entrepris. Il fréquente le Paris de la réussite. Et c’est lors d’une soirée caritative qu’il rencontre la famille Gardinier. « On me parle des Crayères. De l’urgence du travail de refonte de l’entreprise. Je suis à la fois effondré

par l’organisation et en amour avec le lieu. » C’est cette ambivalence qui attire Hervé Fort. Il enclenche instantanément son cerveau sur le dossier, rend un constat sans complaisance, et commence à travailler avec les Gardinier qui ont trouvé en Hervé le salut du joyau rémois. Et pour cause : Hervé y voit désormais le plus bel espace d’expression culturelle de sa carrière. Héros romantique en mal d’époque, il tombe amoureux du château, des jardins : « Tout y est langage. Et il y a tant à dire, à faire, pour donner vie aux émotions », qu’elles soient gastronomiques, existentielles, ou culturelles. Le premier, et presque unique, pari d’Hervé Fort sera de désacraliser le lieu en l’ouvrant à nouveau aux Rémois. La création de la brasserie, l’ouverture à des évènements fédérateurs… Si, dans un premier temps, il ne travaille qu’en consultant, dès septembre 2009, ses actions prennent vie physiquement, dans les murs. « Il s’agissait de cohérence : profiter du lieu, le partager, dans l’esprit de la maison. » Et c’est un ravissement, car les clients de Reims et alentours montent au domaine, et en deviennent rapidement des ambassadeurs. Crayères et Babel

Le champagne est un langage universel. Les Crayères incarnent le code de cette langue nourricière. Au gré des envies et des inspirations, des développements sont encore prévus, pour multiplier les espaces d’expression. Comme puissant moteur pour ses idées, Hervé Fort compte aussi sur sa seconde mission, au Taillevent à Paris, qu’il a eu la fierté de redresser : « une boîte, c’est hyper fragile » et quand la magie du classicisme se heurte à une clientèle qui évolue très vite, il faut bien avoir l’audace de parler cet autre langage. « Quand je vois la cave du Taillevent, dans sa qualité et son volume, j’ai un choc émotionnel ! » s’amuse Hervé Fort. Mais de chocs émotionnels en plaisir de faire, Hervé Fort a su transformer son parcours professionnel en aventure romanesque.

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R

rencontre

TEXTE agathe cebe    portrait benoît pelletier


FigureS D eb o rah lagier NOM

Deborah Lagier. PROFESSION

Créatrice du site " by ronces ". ÂGE

32 ans. PLUS BEAU SOUVENIR

La naissance de mes enfants. un rêve

Acheter un pmu en Provence. une passion

La mode.

VOTRE VISION DE REIMS

Reims c'est comme ta famille tu ne l'as pas choisi. Alors parfois tu la détestes mais tu l'aimes inconditionnelement.

photographie Sylvère HIEULLE

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