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Thomas Lebrun, en roi de la piste

Être soi, être un autre. Se donner en spectacle, se mettre en scène. Se laisser porter par la musique, puis devenir un « roi de la piste ». Le chorégraphe Thomas Lebrun s’est emparé de ce lieu de la culture populaire qu’est la piste de danse, celle de la discothèque, pour y étudier toutes les transgressions ou affirmations de soi que peut y susciter la nuit, la musique et l’exaltation du moment. Les Rois de la piste, c’est une galerie de portraits, une succession d’attitudes, qui traduisent toutes les dimensions sociales de la pratique du dancefloor, répandue dans toutes les couches de la population depuis les années 1970. Sur la piste de danse, la frontière entre l’expression d’une certaine norme sociale et celle d’une danse libre et transgressive est ténue. Et c’est là tout le talent de Thomas Lebrun de porter un regard aiguisé sur cette pratique de la danse. L’ ensemble est joyeux, rieur, drôle et l’on se plaît à se reconnaître dans tel ou tel de ces personnages. On ne pourra pas non plus s’empêcher de penser, en filigrane, au revers de la médaille, et à la solitude de celui ou celle qui ne participe pas à la fête et reste à l’écart. Et nous reviennent alors à l’esprit les quelques pages dans lesquelles Michel Houellebecq décrit la tristesse absolue qui se dégage de la piste de danse d’une discothèque bretonne dans son premier roman, Extension du domaine de la lutte (1994). Houellebecq y dépeint, avec un réalisme inquiétant ce qui deviendra un thème récurrent dans son œuvre : la misère sexuelle et affective du mâle occidental dans la compétition généralisée du libéralisme.

Lâcher prise

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Non sans y inscrire d’autres lectures, Thomas Lebrun, fête aussi le corps exultant, animé d’une pulsion de vie que peut-être seule la danse peut lui procurer, mais la solitude est palpable. L’objet est aussi réjouissant que satirique, au son des musiques funk, house et électro. La danse de Thomas Lebrun est ici une danse populaire, celle par laquelle l’individu se transforme - ou devient réellement lui-même - pour tenter de séduire. Une danse qui peut tout à la fois rendre le danseur attirant ou pathétique. Sans sombrer dans la moquerie trop facile, Thomas Lebrun nous place devant cette alternative, avec une réelle tendresse pour la quarantaine de « personnages » qui se succèdent sur la piste. De dix à quarante secondes séparent chaque « performance ». Les danseurs ne sont que cinq au plateau et s’attachent, une fois leur « numéro » fini, à rejoindre les coulisses pour enfiler un autre costume. Souvent extravagant. Pour parvenir à cette justesse, Thomas Lebrun travaille sur le fil du rasoir, avec un spectacle très écrit qui, pour autant, doit aussi permettre à ses interprètes un « lâcher prise » suffisamment important pour les rendre crédibles et touchants dans leur jeu. Tout le sel de ce spectacle est dans la « liberté d’interprétation » qui le nourrit. « C’est une pièce d’interprètes » aime à répéter son auteur, lui-même danseur sur Les Rois de la piste.

Théâtralité

Directeur du Centre chorégraphique national de Tours depuis 2012, Thomas Lebrun est un chorégraphe singulier qui ne cache pas l’intérêt qu’il porte aux cultures populaires (danses, musiques, chanson…) qui trouvent souventune place dans ses spectacles. Lui-même est originaire du Nord de la France et d’un milieu modeste au sein duquel ces représentations populaires de la culture ont un sens. Au Manège de Reims, il le partagera dans une pièce qui associe au jeu exubérant de ses interprètes la puissance et la théâtralité de sa danse.

Les Rois de la piste Chorégraphie de Thomas Lebrun Au manège de Reims

25 AVRIL À 20h30 / 26 AVRIL À 19h30 www.manege-reims.eu

texte Cyrille Planson

photographies frédéric iovino

en apéritif, une projection de « Femmes au bord de la crise de nerfs ».

Petit bonus intéressant, votre place pour ce spectacle vous donne accès à un tarif réduit pour une projection d’un film choisi par Thomas Lebrun au cinéma Opéraims. Son choix s’est porté sur Femmes au bord de la crise de nerfs de Pedro Almodovar (1989). La projection aura lieu la veille de la première, le 24 avril à 20h30.

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