La formation à distance dans le monde rural québécois

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La formation à distance dans le monde rural québécois PAR JOËL NADEAU, 11 FÉVRIER 2014

Ferme La Paysanne, Université rurale québécoise 2013, MRC du Haut-Saint-François en Estrie Crédit : Mes Sources, Sylvain Laroche

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TABLE DES MATIÈRES Introduction .................................................................................................................................... 4 1. L’état de la formation à distance ................................................................................................ 5

2.

3.

4.

1.1.

Bref historique................................................................................................................. 6

1.2.

Portrait actuel ................................................................................................................. 8

1.3.

L’impact des technologies sur l’apprentissage ............................................................. 13

1.4.

Cours en ligne ouverts massivement ............................................................................ 19

L’accès aux technologies ....................................................................................................... 25 2.1.

Fracture(s) numérique(s) et e-inclusion........................................................................ 26

2.2.

L’aspect économique .................................................................................................... 31

2.3.

À l’échelle internationale .............................................................................................. 32

2.4.

L’aspect générationnel .................................................................................................. 38

2.5.

La littératie .................................................................................................................... 42

2.6.

Dans la ruralité québécoise ........................................................................................... 46

2.7.

Les plans numériques .................................................................................................... 51

Formation et développement ............................................................................................... 55 3.1.

Définir le développement ............................................................................................. 56

3.2.

La formation comme outil de développement ............................................................. 61

Accroître l’offre de formation dans le monde rural .............................................................. 67 4.1.

Le cas de Saint-Camille .................................................................................................. 67

4.2.

L’offre de formation dans le monde rural..................................................................... 78

4.3.

Des pistes de réflexion .................................................................................................. 83

Conclusion ..................................................................................................................................... 91 Bibliographie ................................................................................................................................. 93

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LISTE DES ACRONYMES • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

ACED : Association canadienne pour l'éducation à distance CEFRIO : Centre francophone d'information des organisations CDÉC : Corporation de développement économique communautaire CIMR : Centre d’interprétation du milieu rural du P’tit bonheur de Saint-Camille CLIFAD : Comité de liaison interordres en formation à distance CMS : Content Management System CRISES : Centre de recherche sur les innovations sociales EER : Écoles éloignées en réseau ESS : Économie sociale et solidaire FECQ : Fédération étudiante collégiale du Québec FAD : Formation à distance FQM : Fédération des municipalités du Québec IRIS : Institut de recherche et d’informations socio-économiques LMS : Learning management system NMC : New Media Consortium MAMROT : Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire MELS : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport MOOC : Massive open online courses, ou CLOM en français, pour cours en ligne ouverts massivement MRC : Municipalité régionale de comté OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques SOFAD : Société de formation à distance des commissions scolaires du Québec TIC (ou ICT en anglais) : Technologies de l’information et des communications TREAQFP : Table des responsables de l'éducation des adultes et de la formation professionnelle des commissions scolaires du Québec PAJR : Place aux jeunes en région PNR : Politique nationale de la ruralité RCJEQ : Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec REL : Ressources éducatives libres R&D : Recherche et développement SAVIE : Société pour l'apprentissage à vie SRQ : Solidarité rurale du Québec TIESS : Territoires innovants en économie sociale et solidaire UMQ : Union des municipalités du Québec UNESCO : Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture URQ : Université rurale québécoise UQAC : Université du Québec à Chicoutimi UQAM : Université du Québec à Montréal UQAR : Université du Québec à Rimouski UQO : Université du Québec en Outaouais

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Introduction La formation continue, le transfert d’expertise et les réseaux de collaboration suscitent de plus en plus d’intérêt dans nos sociétés. Les universités et les entreprises y jouent certainement un rôle majeur, mais les groupes d’intérêt et les communautés territoriales développent aussi des projets leur permettant de raffiner leur connaissance des enjeux et de mettre au point de nouvelles approches créatives et innovantes. Ces préoccupations et cette idée de la « formation tout au long de la vie » ne sont pas nouvelles, mais elles sont aujourd’hui mises à l’avant-plan. Pourquoi? Certains y voient une nécessité face à la rapide transformation de nos réalités économiques, d’autres y voient une réponse logique à l’explosion des opportunités que nous apportent les technologies de l’information et des communications (TIC), et d’autres encore y voient le reflet d’un changement de paradigme induit par la fameuse « société du savoir ». On pourrait croire que c’est un heureux mélange de ces divers facteurs, et possiblement de bien d’autres… Pour le Conseil national du numérique, en France, les mutations sociales en cours et les défis qu’elles soulèvent nous amènent dans une « phase permanente d'apprentissage collectif et de remise en cause personnelle1 ». Ainsi, le monde de l’éducation est en pleine mutation et la formation à distance (FAD) est un secteur qui vit une période particulièrement fertile en expérimentations de toutes sortes. Dans le présent document, cette définition de la FAD proposée par le CLIFAD servira de référence : La formation à distance est une formation individualisée qui permet à un élève d'apprendre par lui-même, à son rythme, avec des contraintes minimales d'horaire et de déplacement, à l'aide de matériel didactique autosuffisant offert par différents moyens de communication et le soutien à distance de personnes-ressources. Les activités de formation sont le plus souvent asynchrones. La formation à distance peut être diffusée par différents médias : documents imprimés, cédéroms, cassettes audio et

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Accès, Littératie, Médiations, Pouvoird’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, Conseil national du numérique de France, novembre 2013, p. 3 - goo.gl/P8f3p7

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vidéo, acheminés par la poste, Internet, cours télévisés, ou une combinaison de ces moyens2. » Plusieurs perçoivent la FAD appuyée par les TIC comme une incroyable opportunité pour rendre la formation plus accessible, plus flexible et mieux adaptée aux besoins des apprenants. Ces espoirs sont sans doute fondés, mais ils sont accompagnés de nombreux défis sur les plans humain, organisationnel, pédagogique et technologique. Il est très stimulant de constater le bouillonnement dans ce domaine et de voir émerger une multitude d’expériences. Il y a certes des ratées, mais aussi beaucoup d’initiatives prometteuses, et on voit partout cette volonté de créer des occasions d’apprentissage et d’échanges enrichissants pour les individus et les communautés. Le monde rural québécois, qui vit aussi une période très dynamique sur le plan des idées et des projets, pourrait profiter davantage de ces nouvelles avenues. C’est l’idée que tente de défendre le présent document en traçant d’abord un bref portrait de la FAD et un état des lieux du développement rural au Québec. La question des défis liés à l’usage des technologies sera aussi abordée. Une seconde partie évoquera la possibilité de développer un centre de formation bimodal3 adapté à la réalité du monde rural. Ces premières réflexions sur un tel projet s’appuieront entre autres sur une expérience de formation vécue à Saint-Camille, en Estrie, nommée les « Ateliers des savoirs partagés ».

À noter que ce document a été rédigé dans le cadre des cours EDU6101 et EDU6102 de la maîtrise en Formation à distance de la TÉLUQ ainsi que dans l’objectif d’alimenter la réflexion sur les suites à donner au projet des « Ateliers des savoirs partagés ». Il s’agit d’une réflexion évolutive qui se poursuivra sur le 4 blogue .

MERCI À MICHEL RICHER POUR LA SUPERVISION ET LES CONSEILS AINSI QU'À MARIE-EVE BISSON POUR LA VÉRIFICATION LINGUISTIQUE

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Soixante ans de formation à distance au Québec, CLIFAD, 2007 - goo.gl/QeoiME Qui fait appel aux TIC et au présentiel. 4 Voir joelnadeau.net 3

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1. L’état de la formation à distance Cette première partie vise à tracer un bref portrait de la formation à distance puis s’attardera plus spécifiquement au contexte de la ruralité québécoise.

1.1.

Bref historique

La formation à distance (FAD) médiatisée à l’aide des technologies de l’information et des communications (TIC) est une formule relativement récente si on considère que le premier cours par correspondance a été lancé en 1840, à la suite de la réforme postale au RoyaumeUni5. L’utilisation de matériel imprimé envoyé par la poste et accompagné d’échanges par lettres a été une formule largement utilisée dans les décennies suivantes. Trente ans plus tard, une association de Boston, aux États-Unis, visant la formation des femmes à la maison a rejoint au fil des ans plus de 10 000 participantes6. Est-ce un projet précurseur des formations massives auxquelles on assiste aujourd’hui? Dans les années 1920, plus de trois cents écoles américaines rejoignent quatre fois plus d’étudiants que l’ensemble des autres établissements d’enseignement supérieur et de formation professionnelle7. De nombreux projets ont utilisé la radio et la télévision pour offrir des cours, une pratique qu’on retrouve encore aujourd’hui dans nombre de pays en voie de développement. Selon le CLIFAD, les premières expériences canadiennes remontent à la création de l’Université Queen’s, en Ontario, en 1889 et aux programmes offerts aux agriculteurs au début du 20e siècle par l’Université de Saskatchewan8. L’organisme rapporte que la FAD serait apparue au Québec en 1941 avec une série d’émissions créées par Radio-Canada, mais aurait fait son entrée officielle cinq ans plus tard avec la création de l’Office des cours par correspondance. En pleine période d’industrialisation qui engendre une forte demande pour les ouvriers spécialisés, les

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Le premier cours aurait été développé par Isaac Pitman; voir goo.gl/y79L1B MOOC, Révolution ou simple effet de mode?, Thierry Karsenti, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 2013 - goo.gl/7BVOuE 7 Le lourd passé de l’enseignement à distance, David F. Noble, Digital Diploma Mills, 2000 - goo.gl/sVxXad 8 Soixante ans de formation à distance au Québec, CLIFAD, 2007 - goo.gl/QeoiME 6

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besoins en formation se font sentir et stimulent le développement de la FAD, particulièrement dans le monde rural. « La population des régions éloignées des établissements de formation commence aussi à réclamer des cours.9 » La géographie et la démographie du territoire canadien ont possiblement créé un contexte propice au déploiement de la FAD et on peut penser que la situation reste la même aujourd’hui. « Dans un pays aussi vaste et divers que le Canada, il n'est pas surprenant que les communications aient joué un rôle aussi important dans notre histoire10 », selon L’ACED, qui y voit aussi un contexte ayant favorisé les alliances entre les institutions. C’est d’ailleurs par la volonté du gouvernement Lesage de démocratiser l’accès à l’éducation, particulièrement en région, que le projet TEVEC est créé au Saguenay‒Lac-St-Jean. De 1967 à 1969, le projet de télévision communautaire a rejoint 35 000 adultes avec des contenus d’ordre socioéconomique et culturel11. L’expansion de la FAD à travers le monde aurait été grandement stimulée par l’apparition des « universités ouvertes », des institutions motivées par cet idéal de démocratisation. L’Open University, en Angleterre, qui a été accueillie avec beaucoup de scepticisme en 1969 et qui a même été surnommée « l’université de la seconde chance », est devenue la plus grande université du pays et reste aujourd’hui réputée comme innovante au niveau pédagogique12. La TÉLUQ est créée au Québec en 1972 dans cette mouvance, avec cette même volonté « d'accroître l'accessibilité aux études universitaires pour des étudiants qui ne peuvent se déplacer vers les salles de classe ou qui préfèrent ou doivent conjuguer diverses formes d'apprentissage13 ». En 1991, le Collège de Rosemont lance le Centre collégial de formation à distance, qui changera d'appellation en 2002 pour devenir le Cégep@distance. D’autres universités québécoises sont actives dans la FAD, notamment l’Université Laval et l’Université de Montréal. Certaines de ces institutions offrent des formations initiales mais aussi de la formation continue ainsi que, dans certains cas, des formations sur mesure. 9

Soixante ans de formation à distance au Québec, CLIFAD, 2007 - goo.gl/QeoiME Innovant, osant, collaborant: Nous célébrons l'histoire de l'ACED et de l'éducation à distance, Journal of Distance Education, 1993. 11 Soixante ans de formation à distance au Québec, CLIFAD, 2007 - goo.gl/QeoiME 12 Ibid. 13 Page « Mission, vision et valeurs », sur le site Web de la TÉLUQ - goo.gl/KC4tAy 10

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1.2.

Portrait actuel

La FAD a connu une forte croissance ces dernières années et les modèles qui la sous-tendent sont en pleine transformation. Selon le CLIFAD, ce type de formation est par ailleurs devenu un champ de recherche spécifique, même si on peut déplorer le fait que « la diffusion des résultats des travaux dépasse rarement le réseau des spécialistes14 ». L’organisme Contact nord, dans sa vérification pancanadienne 2012, constate une volonté accrue dans les efforts « visant à accroître la qualité, la portée et les taux de réussite de l’apprentissage en ligne15 ». L’organisme croit toutefois que les investissements dans la recherche et le développement ainsi que dans le perfectionnement restent insuffisants et souligne l’importance de maintenir un niveau d’investissement élevé dans les études postsecondaires, et dans la formation à distance, pour faire face aux défis économiques et démographiques à venir ». Contact nord constate par ailleurs que les plus grands investissements à travers le Canada ont été faits en partenariat avec l’entreprise privée dans le cadre de programmes particuliers visant le perfectionnement des employés16. L’évolution de la FAD se remarque aussi dans le réseau public. Selon le CLIFAD, on a connu au Québec une augmentation des cours à distance de près de 400 % au niveau secondaire, depuis 1995-1996, pour atteindre le nombre de 54 000 inscriptions-cours en 2011-2012. Durant cette même période, cette augmentation a été de 75 % au niveau collégial, pour atteindre un total de plus de 27 000 inscriptions-cours, et de 138 % au niveau universitaire, avec près de 81 000 inscriptions17. À la grandeur du Canada, entre 875 000 et 950 000 étudiants suivent des cours postsecondaires exclusivement en ligne18. Aux États-Unis, le nombre d’étudiants du primaire et du secondaire suivant un cours à distance a augmenté de 6 600 % durant la dernière décennie19.

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La formation à distance : une voie essentielle pour faire du Québec une société du savoir pour toutes et tous, CLIFAD, février 2013, goo.gl/R7qtiZ 15 L’apprentissage en ligne au Canada, À l’aube d’un nouveau chapitre, Vérification pancanadienne 2012, Contact nord, 2012, p. 5 - goo.gl/HlvdVv 16 Ibid. p. 7 17 Portrait des inscriptions en formation à distance, Robert Saucier, CLIFAD, mars 2013 - goo.gl/a6CCm2 18 L’apprentissage en ligne au Canada, À l’aube d’un nouveau chapitre, Vérification pancanadienne 2012, Contact nord, 2012, p. 5 - goo.gl/HlvdVv 19 How (And Why) Digital Learning Is Growing, Katie Lepi, Edudemic, septembre 2013 - goo.gl/C4sS5P

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Malgré l’intérêt manifeste pour ce type de formation, certains facteurs sont susceptibles de ralentir cette croissance, notamment dans le réseau public, en raison notamment du climat d’austérité. Par ailleurs, parmi les principaux obstacles répertoriés par Contact nord, notons aussi la question de l’accessibilité aux réseaux de télécommunication, le manque de compétences dans les TIC autant de la part des étudiants que des enseignants et l’accroissement des inégalités entre les pauvres et les riches dans la dernière décennie ellesmêmes susceptibles d’accentuer les obstacles précédents. L’organisme mentionne aussi la qualité « médiocre » de certains cours qui menace la réputation de la FAD, le manque de vision stratégique des institutions ainsi que l’insuffisance des investissements dans la conception pédagogique20. Malgré ces défis, Contact nord estime que « [l]e Canada est vraiment à l’aube d’un nouveau chapitre et a le potentiel de devenir un chef de file mondial dans la conception, le développement, le déploiement et la prestation de l’apprentissage en ligne21 ». Il s’agit d’ailleurs d’une tendance forte à l’échelle mondiale, et plusieurs établissements canadiens souhaiteraient développer à court terme un rôle clé dans ce secteur.

UNE TRANSFORMATION DES PARCOURS ÉDUCATIFS Le développement rapide des TIC et les avancées en matière d’approche pédagogique sont des facteurs qui ont quant à eux stimulé la croissance de la FAD ces dernières années en ouvrant de nouvelles possibilités bien concrètes. La transformation des besoins en formation et des divers types de parcours joue aussi un rôle important dans cette situation. En effet, les changements de programme, les interruptions temporaires et les retours aux études deviennent plus fréquents. Les étudiants aux parcours non conventionnels deviennent majoritaires, et ce, partout dans le monde22. Ces apprenants s’attendent à davantage de flexibilité et recherchent des formations plus adaptées à des besoins spécifiques. Par ailleurs, comme le souligne le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), la formation continue est de plus en plus valorisée dans nos sociétés et elle répond à des besoins issus d’une transformation du monde professionnel,

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L’apprentissage en ligne au Canada, À l’aube d’un nouveau chapitre, Vérification pancanadienne 2012, Contact nord, 2012, p. 19 - goo.gl/HlvdVv 21 Ibid. p. 24 22 La montée des étudiants au parcours non traditionnel, Léo Charbonneau, Affaires universitaires, juillet 2013 - goo.gl/pNmQpF

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où les parcours non traditionnels sont là aussi légion. « La distinction traditionnelle entre jeune et adulte ou entre formation initiale et formation continue est devenue floue, voire désuète23. » Les exigences du marché du travail évoluent et des compétences comme la pensée critique, l’apprentissage autonome, la maîtrise des TIC et la collaboration sont de plus en plus recherchées. Selon Contact nord, « l’acquisition de telles compétences exige un apprentissage actif dans des environnements enrichis et complexes, avec beaucoup d’occasions de perfectionner, de pratiquer et d’appliquer de telles compétences24 », tel que la FAD. Pour le CSE, la transformation du monde de l’éducation découle aussi d’un élargissement des possibilités qui s’offrent aux individus, permettant ainsi des parcours plus individualisés. Le New Media Consortium prédit d’ailleurs que l’apprentissage informel et autodidacte prendra plus d’importance et qu’il sera de plus en plus hybride dans les prochaines années, les étudiants cherchant les meilleurs avantages dans les différentes approches, qu’elles soient offertes sur les campus ou en ligne25. Pour Steven Mintz, ceci amènera les universités à optimiser le temps passé en classe pour en préciser les réels avantages par rapport à la formation en ligne26. Ainsi, la FAD gagne du terrain pour les jeunes en formation initiale de même que chez les adultes, chez qui les enjeux liés à l’espace et au temps représentent un défi supplémentaire. Plusieurs raisons peuvent motiver les adultes à suivre une FAD, que ce soit un changement de parcours professionnel, une volonté de concilier la formation avec la vie professionnelle ou familiale, une situation qui amène un certain isolement social (immigrants en processus d’intégration, par exemple), etc. Il peut aussi s’agir d’une opportunité intéressante pour réduire les distances et faciliter la collaboration à l’échelle d’un vaste territoire tel que le monde rural québécois.

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Parce que les façons de réaliser un projet d’études universitaires ont changé…, Conseil supérieur de l’éducation, juin 2013, p. 12 - goo.gl/yGyGW1 24 Une nouvelle pédagogie émerge... et l’apprentissage en ligne en est un facteur contributif, sur le site Web de Contact nord - goo.gl/Bs1mDC 25 10 tendances technologiques pour les 5 prochaines années en éducation, Audrey Miller, Infobourg.com, octobre 2013 - goo.gl/sc7z15 26 The Future Is Now: 15 Innovations to Watch For - Commentary, Steven Mintz, The Chronicle of Higher Education, juillet 2013 - goo.gl/kuTQR

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La formation des adultes devrait tout de même être davantage répandue, selon l’OCDE27. Pour favoriser le développement de la formation continue, l’organisation croit qu’il serait pertinent de reconnaître de manière plus concrète les acquis qui en découlent, de concevoir de manière systémique l’ensemble du parcours éducatif à partir du primaire en incluant la formation continue, d’inculquer aux plus jeunes les compétences de base permettant l’apprentissage autonome et d’adapter les systèmes d’éducation pour que ceux-ci soient davantage « réactifs » et en phase avec l’évolution des nouveaux besoins28. L’accès même à l’information est simplifié et plus accessible en termes de coûts. Comme on le sait, et comme on le redécouvre sans cesse, Internet ouvre un vaste accès à de multiples sources d’information, si bien qu’il est aujourd’hui possible de développer une certaine autonomie dans notre apprentissage. Il est même possible, dans une certaine mesure, d’être autodidacte dans l’apprentissage d’un métier, comme la programmation Web, en autant qu’on connaisse les réseaux, qu’on développe une certaine discipline personnelle et qu’on soit prêt à y investir de l’énergie. Les ressources sont de plus en plus accessibles et mieux organisées, comme on peut le réaliser en suivant le MOOC ITyPA (Internet, tout y est pour apprendre), qui porte justement sur la question. Mais attention, face à la prolifération des informations, il ne faut pas confondre « s’informer » et « savoir », comme le souligne Philippe Meirieu, qui rappelle l’importance de bien « construire les situations d’apprentissage29 » pour tirer le plein potentiel éducatif des TIC. Puisque nous sommes plongés dans l’immédiateté et le sentiment d’urgence, Meirieu croit aussi qu’il est primordial de « donner à la pensée le temps d'émerger ». Aussi, certains acteurs insistent sur l’importance de la mise en contexte des informations transmises dans le cadre d’une formation et de leur adaptation à la réalité culturelle des individus auxquels elle s’adresse. En outre, la surabondance d’informations soulève aussi des questions relatives à la qualité, à la véracité et à l’actualité des contenus.

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L'éducation aujourd'hui : La perspective de l'OCDE, OCDE, 2009 - goo.gl/AWZdtd Ibid. p. 47 à 56 29 E-learning, les 5 alertes de Meirieu, Om El Khir Missaoui, Thot Cursus, octobre 2013, goo.gl/UGfSKs 28

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UNE QUESTION DE COÛTS Par ailleurs, plusieurs avancent que la FAD représente un moyen efficace de répondre rapidement et à moindre coûts aux besoins en éducation, notamment dans les pays défavorisés mais aussi dans les pays occidentaux30. Rappelons que notre système éducatif est largement appuyé par les institutions publiques et qu’il représente une charge non négligeable. Dans un contexte d’austérité, le fardeau est de plus en plus déplacé vers l’individu. Pour Contact nord, « [l]es coûts de fonctionnement augmentent plus rapidement que les subventions gouvernementales pour ce secteur d’activité, qui est obligé d’augmenter les frais de scolarité31 ». Cette logique est contestée par différents observateurs, qui estiment que le réseau est en réalité mal financé. C’est le cas d’Éric Martin et de Maxime Ouellet : « Plus on augmentera les frais, plus se creusera l’écart entre l’université de la connaissance, appauvrie, et la nouvelle université de la recherche, grassement subventionnée32. » Si effectivement la FAD peut diminuer les coûts sans réduire la qualité, il s’agit là d’une opportunité très intéressante. Le dilemme, qui s’applique au système d’éducation dans son ensemble, peut être illustré par un triangle dont les trois côtés représentent l’accessibilité, le coût et la qualité : en améliorant un aspect on court le risque de nuire aux autres. Pour John Daniel, à l’origine de cette formule du triangle ce sont les TIC qui permettent en bonne partie de résoudre ce dilemme de la « liaison insidieuse entre la qualité et l’exclusivité33 », en intervenant spécifiquement sur les coûts. La FAD reste initialement coûteuse. Le processus de conception d’un cours est complexe et il implique plusieurs acteurs. C’est en élargissant l’accès aux formations que les économies d’échelle sont possibles, puisque ultimement le coût par étudiant est abaissé. Comme le souligne Thomas Hülsmann, une augmentation des interactions, par ailleurs nécessaire pour assurer une certaine qualité, est susceptible d’augmenter les coûts et d’annuler cet avantage34. Il est donc nécessaire d’utiliser les équipements appropriés et de développer de nouvelles

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Le développement? Quel développement?, Danielle Paquette, TÉLUQ, 1994 L’apprentissage en ligne au Canada, À l’aube d’un nouveau chapitre, Vérification pancanadienne 2012, Contact nord, 2012, p. 7 - goo.gl/HlvdVv 32 Université Inc., Éric Martin et Maxime Ouellet, Lux éditeur, 2011, p.36 33 L’évolution de la technologie de l’éducation dans notre société, John Daniel, UNESCO, 2004 - goo.gl/qNo2Ho 34 Low Cost Distance Education Strategies: The use of appropriate information and communication technologies, Thomas Hülsmann, IRRODL, 2004 - goo.gl/M8vZde 31

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approches qui permettent notamment les communications asynchrones, le support ciblé et les tutorats par les pairs, des pratiques facilitées par les TIC. Hülsmann évoque aussi les économies possibles grâce à la réutilisation des structures et des outils d’une formation à l’autre ainsi que par la coopération. En effet, il n’est pas toujours nécessaire que l’ensemble des éléments composant une formation soient développés dans une même institution : « E-learning, in principle, not only allows easier sharing of resources, it also facilitates the process of co-operation at a distance35 ». À cet égard, ces expériences menées en zones éloignées dans les pays en développement pourraient inspirer d’autres régions du monde, selon l’auteur. John Daniel estime lui aussi que la collaboration contribue à réduire le coût de la FAD tout en dynamisant ce domaine d’activité, notamment grâce aux nouvelles perspectives offertes par les logiciels libres, par l’éducation ouverte et par les ressources éducatives libres36 : « It will make the sharing, adaptation and re-use of learning materials so much easier37. »

1.3.

L’impact des technologies sur l’apprentissage

L’usage des technologies a toujours occupé une place importante dans l’évolution de la FAD. De la radio à l’Internet, en passant par le phonographe, le videodisque, la téléconférence et la communication par satellite, l’usage d’une nouvelle technologie apporte chaque fois d’importantes réflexions sur les aspects communicationnels, pédagogiques et organisationnels. Si les visées sont comparables en plusieurs points à la formation présentielle, ces approches impliquent l’instauration de nouvelles pratiques. Or, ces manières de faire ne sont pas toujours adaptées et l’histoire de la FAD comprend aussi son lot de résultats plus ou moins probants. C’est ce que rappelle David F. Noble lorsqu’il évoque les aléas des cours par correspondance, d’abord initiés par des établissements privés à but lucratif qui promettaient des approches 35

Low Cost Distance Education Strategies: The use of appropriate information and communication technologies, Thomas Hülsmann, IRRODL, 2004 - goo.gl/M8vZde 36 Les REL désignent un mouvement mondial lancé par des fondations, universités, enseignants et pédagogues visant à créer et distribuer via Internet des ressources éducatives (cours, manuels, logiciels éducatifs, etc.) libres et gratuites. Source : wikipedia (goo.gl/0v4a1w) 37 Commonwealth Cooperation in Distance Education : Potential Benefits for Small States, Allocution de Sir John Daniel, 2005 - goo.gl/4sbG7e

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personnalisées. « Dans toutes ces firmes, la priorité allait au recrutement de clients, et la majeure partie des efforts et des revenus était consacrée à la promotion, au détriment de l’instruction.38 » Aucune politique de remboursement n’existait et 90 % des étudiants n’amenaient pas leurs études à terme. Selon Noble, les résultats obtenus par ces universités n’étaient pas nécessairement meilleurs : les coûts plus élevés que prévu, dans un contexte de grande concurrence, ont affecté la qualité même des cours39. M. Noble, qui invite les institutions d’aujourd’hui à ne pas répéter les erreurs du passé, compare l’engouement des années 1920 à l’optimisme que reflètent aujourd’hui les discours entourant l’usage des TIC dans l’enseignement et leur révolution potentielle. La scène se déroule aujourd’hui dans un contexte non plus régional, mais planétaire : « Les éducateurs modernes […] affichent des ambitions d’envergure globale ─ et l’Organisation mondiale du commerce travaille activement à supprimer toutes les barrières au commerce international des marchandises éducatives40. » Robert Saucier, conseiller à la SOFAD, abonde dans le même sens, déclarant que le discours sur le renouvellement de l’éducation grâce aux outils de communication n’est pas nouveau41. Il compare l’épisode de la dérive des cours par correspondance à l’enthousiasme entourant aujourd’hui les MOOC (« Massive open online courses », dont il sera question dans la prochaine section), d’autant que les questionnements sur la qualité des cours refait surface et que le taux d’abandon est comparable. Pour lui, comme pour nombre d’autres observateurs, l’usage des technologies ne doit pas occulter l’importance de bien concevoir les approches pédagogiques. Il faut éviter de traiter la pédagogie et les moyens de communication « comme des vases clos », ajoute-t-il, alors qu’une approche transdisciplinaire est essentielle42.

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Le lourd passé de l’enseignement à distance, David F. Noble, avril 2000 - goo.gl/sVxXad Ibid. 40 Ibid. 41 La formation à distance Un paysage varié, des moyens diversifiés, présentation de Robert Saucier, 2013 - goo.gl/kD3ttp 42 Ibid. 39

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LES TIC EN CLASSE Dans l’actualité, nous entendons souvent parler ces jours-ci d’expériences positives en classe et d’autres qui laissent perplexe. Les tableaux blancs, par exemple, déjà perçus comme « une technologie de l’ancien temps » par certains jeunes, généreraient beaucoup de stress et demanderaient de la part des enseignants beaucoup d’adaptation et de formation complémentaire ─ et peu en utiliseraient le plein potentiel43. Autre exemple, les fameux manuels scolaires numériques seraient coûteux et pas toujours au point techniquement. De plus, ils engendreraient une certaine frustration chez les parents puisque le système de licence exige d’acheter une nouvelle version pour un deuxième enfant de la même famille et empêche l’achat d’une version usagée44. Ces manuels présentent tout de même un grand potentiel, notamment en devenant plus attractifs et en permettant l’intégration d’éléments multimédia et interactifs. Les réactions sont plus variées concernant les tablettes numériques. Certains estiment que l’utilisation du iPad amène de la distraction, alors que d’autres y voient un énorme potentiel, un outil qui stimule la motivation tout en permettant une approche plus individualisée. Différentes intégrations des TIC en classe se sont avérées de réels succès, comme les Écoles éloignées en réseau (EER). Le projet, initié en 2002, est destiné aux écoles rurales fragilisées et se base sur « l’hypothèse que la mise en réseau [peut] enrichir l’environnement éducatif de ces écoles45 ». Une étude du CEFRIO portant sur les EER démontre des résultats très intéressants, notamment sur la motivation des élèves ainsi que sur leurs compétences communicationnelles46. En outre, rappelle le chercheur Simon Collin, nous vivons une période de transition qui demande des adaptations, notamment au niveau pédagogique et en matière de gestion de

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Bilan noir pour le tableau blanc dans les écoles, Lisa-Marie Gervais, Le Devoir, août 2013 - goo.gl/CqcWRB Manuels scolaires électroniques : trop chers et peu fiables?, Louis-Philippe Ouimet, Radio-Canada, octobre 2013 - goo.gl/ib80JI 45 Présentation de l’initiative sur le site Web des Écoles en réseau - goo.gl/HtIdK3 46 L’École éloignée en réseau (ÉÉR), un modèle, CEFRIO, 2011 - goo.gl/2sPScY 44

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classe. Cela exigera aussi des formations chez les enseignants qui doivent développer des compétences transversales face à une technologie qui évolue rapidement47. S’il semble que l’usage des technologies dans l’enseignement soit à plusieurs niveaux un mariage prometteur, les effets positifs ne sont pas garantis. Les études portant sur l’intégration des technologies dans le contexte éducationnel démontrent d’ailleurs des résultats très variables48. Mais attention, ce ne sont pas les TIC en tant que tels qui favorisent la réussite, rappelle le chercheur Thierry Karsenti, mais bien l’usage qui en est fait49. Les technologies ouvrent de nouvelles voies pour mettre de l’avant des approches pédagogiques éprouvées ou pour en développer de nouvelles, mais les outils utilisés ne sont garants a priori d’aucun résultat. Sans une réflexion approfondie, une planification sérieuse et une évaluation constante, il serait naïf de croire que le simple recours à de nouveaux dispositifs révolutionnera la manière d’enseigner et d’apprendre. John Daniel nous encourage par ailleurs à « développer une vision bienveillante de l’utilisation de la technologie et à chercher l’équilibre dans ses applications50 ». En outre, l’usage de technologies implique de nouvelles réalités dont il faut être conscient, notamment au niveau organisationnel et quant à la capacité des acteurs à maîtriser et utiliser adéquatement ces outils. Comme il en sera question plus loin, l’utilisation de la technologie est confrontée à diverses limites, que ce soit au niveau des accès ou des compétences. Le recours aux TIC doit s’accompagner d’une réflexion à l’égard des différents types de fracture numérique qui constituent encore d’importants freins. S’il faudra toujours maintenir une attention particulière sur ces questions, on peut toutefois croire que la situation s’améliorera avec le temps. N’oublions pas que l’arrivée d’Internet, par exemple, est une réalité relativement récente dans l’histoire médiatique. Les appareils technologiques et les interfaces numériques continuent de s’améliorer et de devenir de plus en plus accessibles. Le fait que des enfants de trois ans soient aujourd’hui capables de comprendre de manière presque autonome le mode de fonctionnement de dispositifs complexes telles que les tablettes numériques en témoigne. Dans l’idéal, comme le soulève Pierre Gagné, les 47

L'usage du iPad dans les salles de classe, Le 6 à 9, Radio-Canada, août 2013 – goo.gl/HyYNt7 Transforming Education:The Power of ICT Policies, UNESCO, 2011 - goo.gl/DngQl4 49 MOOC, Révolution ou simple effet de mode?, Thierry Karsenti, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 2013, p. 15 - goo.gl/7BVOuE 50 L’évolution de la technologie de l’éducation dans notre société, John Daniel, UNESCO, 2004 - goo.gl/qNo2Ho 48

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apprenants ne devraient pas avoir à apprendre la technique utilisée dans le cadre d’une formation51. Les TIC devraient rester accessibles, sans constituer un filtre supplémentaire.

DE NOUVEAUX RAPPORTS À L’APPRENTISSAGE La pédagogie évolue en relation étroite avec les TIC, celles-ci créant de nouveaux environnements, apportant de nouvelles possibilités et mettant en scène de nouveaux défis. Pour Monique-Katherine De Sève, c’est notre rapport même à l’apprentissage qui se transforme, alors que l’apprenant n’est plus qu’un consommateur de savoirs, mais aussi un créateur de savoirs : « Le partage et la circulation d'information, le transfert de connaissances et la production d'écrits (travaux) favorisent une co-construction des enseignements dans lesquels l'apprenant et l'enseignant sont partie prenante de la démarche pédagogique52. » Si cette nouvelle dynamique peut être favorisée par les dispositifs de FAD, l’auteure ajoute que les apprenants n’ont pas toujours conscience de ce potentiel et que les formateurs ont un rôle important à jouer à ce niveau en tant qu’animateur et coach. Claire Bélisle croit elle aussi qu’une part importante des changements dans la formation provient de notre façon de concevoir l’acte d’apprentissage53. L’apprenant est de plus en plus au centre du processus. Une plus grande importance est accordée à l’apprentissage lui-même, l’attention étant portée sur les stratégies qui le facilitent. Pour Claire Bélisle, les TIC sont ici un prétexte pour mettre en scène cette approche. Les outils actuellement disponibles, s’ils sont exploités intelligemment à l’aide d’un réel processus de design pédagogique, permettent de créer des « expériences d’apprentissage actif » où l’apprenant est concrètement impliqué dans la formation; il s’agit là d’un des avantages clé de la FAD, selon John Daniel54. Pour Daphne Koller, chaque étudiant doit nécessairement s’investir activement dans son processus d’apprentissage, davantage qu’en classe où les étudiants n’ont pas toujours le temps de réfléchir, par exemple, aux questions

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Série télévisée « La FAD sous tous ses angles », Canal savoir, 2005 - goo.gl/NHwj15 Les attentes des apprenants dans un contexte de formation à distance en mutation sont-elles prises en compte? Regard sur quelques réponses actuelles, Monique-Katherine De Sève, 2013 - goo.gl/p2v7wY 53 FOAD et NTIC, Claire Belisle, Canal U, 2001 - goo.gl/dsQmGr 54 L’évolution de la technologie de l’éducation dans notre société, John Daniel, UNESCO, 2004 - goo.gl/qNo2Ho 52

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soulevées55. Pour la cofondatrice de Coursera, cette réalité ouvre la porte à des réseaux collaboratifs formés naturellement autour d’intérêts communs permettant des interactions plus poussées qu’en classe.

TENDANCES EN FAD Les tendances dans l’évolution des TIC sont par ailleurs difficiles à déceler et il est presque impensable de prévoir quel sera leur réel impact sur l’apprentissage. L’arrivée des MOOC est une surprise qui le démontre bien. Quels seront les impacts, par exemple, de la multiplication des appareils mobiles, de l’Internet des objets, de la gestion du big data et des technologies portatives? Certains y vont malgré tout de leurs prédictions, tel que le New Media Consortium (NMC). Parmi les dix technologies émergentes qui auront un impact sur le monde de l’éducation au cours des prochaines années, le NMC, dans son rapport de 2013, place les MOOC, l’apprentissage mobile et la « ludification », soit l’usage plus fréquent du jeu dans le cadre des formations56. Le consortium estime aussi que les contenus libres gagneront en importance : « Openness — concepts like open content, open data, and open resources, along with notions of transparency and easy access to data and information — is becoming a value57 ». Les sources d’informations ouvertes qui se multiplieront exigeront par ailleurs une curation58 plus efficace, ce qui deviendra possiblement un nouveau rôle pour les enseignants accompagnateurs. Steven Mintz croit quant à lui que les changements à prévoir se situent entre autres au niveau de l’émergence de l’apprentissage social, du développement de l’assistance en ligne, de la personnalisation des apprentissages et de l’apparition de nouvelles formes de crédits et de reconnaissances découlant des formations suivies59.

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Daphne Koller : Ce que nous apprenons de l'éducation en ligne, TED, 2012, goo.gl/aRLXt 10 tendances technologiques pour les 5 prochaines années en éducation, Audrey Miller, Infobourg.com, octobre 2013 - goo.gl/sc7z15 57 NMC Horizon Project Preview, 2013 K-12 Edition, New Media Consortium, 2013, p. 6 - goo.gl/s5aJCB 58 La curation de contenu est une pratique qui consiste à sélectionner, éditer et partager les contenus les plus pertinents du Web pour une requête ou un sujet donné. Source : wikipedia (goo.gl/kNu1q) 59 The Future Is Now: 15 Innovations to Watch For - Commentary, Steven Mintz, The Chronicle of Higher Education, juillet 2013 - goo.gl/kuTQR 56

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Pour Contact nord, les prochaines évolutions en enseignement se définiront par un « partage accru du pouvoir entre le personnel enseignant et les apprenants » ainsi que par un recours aux TIC plus important pour le soutien aux étudiants et pour développer de nouvelles formes d’évaluation60. L’organisme croit aussi que l’apprentissage gagnera en accessibilité et en flexibilité. Pour Loïc Le Meur, tenter de déceler les tendances est une opération périlleuse considérant la vitesse à laquelle évoluent ces domaines. D’ailleurs, si une tendance peut être évoquée avec certitude, c’est bien celle-là. « Si vous avez trouvé les 10 dernières années bouleversantes, les 10 prochaines le seront encore davantage. Internet a surtout bouleversé les communications jusqu'à maintenant. Maintenant que l'information est numérique, tout ce qui s'appuie sur l'information pour fonctionner sera potentiellement affecté61. »

1.4.

Cours en ligne ouverts massivement

La formation à distance, propulsée par les nouvelles technologies, vit ainsi une période fertile en expérimentations de toutes sortes. Plusieurs acteurs, universitaires, communautaires ou privés, cherchent de nouvelles formes et de nouvelles formules pédagogiques adaptées à des besoins diversifiés. Les MOOC, pour Massive Online Open Courses (ou CLOM en français, pour « cours en ligne ouverts massivement ») sont un phénomène récent qui témoigne de cette réalité en pleine mouvance et qui a fait couler beaucoup d’encre depuis 2008. Généralement conçus par des universités, ces cours sont offerts en ligne gratuitement et ont la particularité de regrouper un nombre impressionnant d’étudiants. Une des trois principales plateformes62, Udacity, a accueilli jusqu’à 300 000 étudiants dans un cours d’introduction à l’informatique. Près de 20 millions d’apprenants provenant de 200 pays ont déjà participé à l’une de ces

60

Une nouvelle pédagogie émerge... et l’apprentissage en ligne en est un facteur contributif, sur le site Web de Contact nord - goo.gl/Bs1mDC 61 Loïc Le Meur: «Les 10 prochaines années vont être encore plus incroyables», zeroseconde.com, décembre 2013, goo.gl/mAZFMq 62 Les trois plus grands acteurs des MOOC sont possiblement Coursera (coursera.org), edX (edx.com) et Udacity (udacity.com).

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formations et cette tendance reste forte63. Malgré le taux d’abandon élevé (près de 90 %, parfois davantage selon les sources), la quantité phénoménale de participants fait en sorte que le nombre d’apprenants qui terminent les cours reste impressionnant. Il existe depuis peu des MOOC en français s’adressant aux quelque 220 millions de francophones de la planète. Le MOOC ITyPA (Internet : Tout Y est Pour Apprendre), considéré comme le premier MOOC francophone, a été offert à l’automne 2013 pour une deuxième saison. On peut voir sur le portail OCEAN64, qui vise à constituer un répertoire des MOOC francophones, que l’offre s’accroît progressivement; HEC Montréal est récemment entré dans la danse65 et fort est à parier que d’autres universités québécoises emboîteront le pas. Certains y voient un vent de liberté, une formule flexible développant chez l’apprenant l’autonomie, la participation active et l’esprit critique face à la valeur de l’information66, de nouvelles façons d’apprendre permettant la construction de savoirs qui ne sont plus strictement dépendants des institutions67 ou encore une transformation de la dimension sociale de l’apprentissage. Pour Christine Vaufrey, « des milliers de participants peuvent s’appuyer les uns sur les autres et travailler ensemble non seulement pour satisfaire aux exigences de la certification, mais aussi pour apprendre beaucoup plus, autrement, ailleurs68 ». Le phénomène génère beaucoup d’enthousiasme et ravive les espoirs d’une éducation accessible à tous, à l’échelle planétaire, en plus d’être flexible et abordable. Il s’agit aussi d’une vitrine pour les grandes universités, qui mettent parfois de l’avant des professeurs-vedettes. C’est une offre de formation, mais aussi un coup de publicité, une manière de développer une image positive et une stratégie de recrutement. Thierry Karsenti ajoute que cette stratégie permet aux universités de tester des cursus et d’expérimenter diverses formes d’apprentissage69. Notons qu’au-delà de l’aspect gratuit, divers forfaits payants, crédits et certifications sont généralement offerts. Par ailleurs, un nombre aussi élevé 63

MOOC, Révolution ou simple effet de mode?, Thierry Karsenti, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 2013 - goo.gl/7BVOuE 64 Voir ocean-flots.org 65 HEC Montréal offre à son tour des cours en ligne gratuits, Julien Brault, Les affaires, novembre 2012 - goo.gl/qN0Rjy 66 Entrevue avec Jean-Marie Gilliot, Les Samedis du monde, Radio-Canada, mai 2013 - goo.gl/mY0wcA 67 Travailler en groupe ou en réseau ?, Christine Vaufrey, Thot Cursus, mai 2013 - goo.gl/9ckG7x 68 MOOC : du passé faisons table rase… ou pas, Christine Vaufrey, juillet 2013 - goo.gl/HWIjAQ 69 MOOC, Révolution ou simple effet de mode?, Thierry Karsenti, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 2013 - goo.gl/7BVOuE

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d’étudiants permettrait de collecter des données utiles pour analyser les processus d’apprentissage et, éventuellement, pour adapter des interfaces qui soutiendraient les apprenants de manière plus personnalisée70. Voici donc un vaste laboratoire pédagogique virtuel… pour les universités qui souhaitent y investir les ressources nécessaires, bien sûr. Thierry Karsenti rappelle qu’on ne retrouve pas des plateformes libres de droits et modulables, comme le logiciel Moodle par exemple, avec la flexibilité qui caractérise ces logiciels et la possibilité de maîtriser le développement de l’outil grâce à des équipes reliées à l’institution même. Des entreprises d’éducation, lucratives par ailleurs, sont derrière ces plateformes. La conception des cours et les ententes de services avec ces entreprises s’avèrent très coûteux pour les universités, deux à trois fois plus chers que les cours en ligne71, et la rentabilité réelle reste à démontrer. Selon Karsenti, « malgré la maturation rapide des MOOC, aucun modèle d’affaires réellement efficient ne semble clairement émerger72 ». Très critique, Dominique Boullier y voit « la plus récente manifestation de la financiarisation de l'enseignement supérieur73 ». Par ailleurs, avec l’avènement des MOOC, on voit plus que jamais à quel point le marché de l’éducation s’est mondialisé. La compétition se joue à l’échelle internationale puisque des étudiants de partout peuvent suivre un même cours; d’ailleurs, ceux qui composent avec une langue autre que leur langue maternelle ne sont pas rares. Et d’un autre côté, les pays qui souhaitent à leur tour créer leurs propres plateformes doivent chercher à se démarquer face aux géants américains. De manière générale, la qualité des MOOC reste variable : il n’existe aucun standard, il manquerait généralement de rigueur pédagogique et on n’y trouverait pas de réel renouvellement des pratiques74. Les méthodes pédagogiques traditionnelles sont souvent transposées sur ces plateformes, avec par exemple des captations vidéo de présentations magistrales, ce qui peut s’avérer inefficace dans ce type de contexte. Certains étudiants

70

Daphne Koller : Ce que nous apprenons de l'éducation en ligne, Conférence TED, 2012 - goo.gl/aRLXt Très chers MOOC..., Christine Vaufrey, Thot Cursus, juin 2013 - goo.gl/45pz2 72 MOOC, Révolution ou simple effet de mode?, Thierry Karsenti, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 2013, p. 6 - goo.gl/7BVOuE 73 Très chers MOOC..., Christine Vaufrey, Thot Cursus, juin 2013, goo.gl/45pz2 74 MOOC, Révolution ou simple effet de mode?, Thierry Karsenti, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 2013 - goo.gl/7BVOuE 71

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trouvent d’ailleurs les cours tout simplement ennuyeux et monotones75. Très peu d’interactions avec l’enseignant sont possibles étant donné le nombre de participants et les évaluations sont minimales, généralement composées de sondages en ligne, et sans retour personnalisé. Certains étudiants déclarent même qu’il est assez simple d’y tricher. Pour le chercheur Karsenti, il n’y a pas réellement d’innovation dans les MOOC, puisqu’on y retrouve au mieux des formules déjà largement exploitées dans les formations ouvertes à distance. La nouveauté réside dans l’ampleur des cohortes, une réalité qui offrirait de nouvelles occasions d’apprentissage social. Daphne Koller estime que les communautés qui se forment dans les MOOC sont bien vivantes. À titre d’exemple, sur la plateforme Coursera dont elle est cofondatrice, le délai moyen d’attente avant qu’une réponse soit proposée à un participant qui soulève une question sur un forum serait de 22 minutes, même la nuit76. Certains remettent en question cette affirmation, mais peu d’études existent sur le sujet et les grandes entreprises qui gèrent les plateformes ne dévoilent que très peu de données. Pour Thierry Karsenti, les rares études portant sur la question des interactions dans les MOOC démontrent que ces dernières sont quasi inexistantes et que la majorité des étudiants inscrits ne participent pas du tout aux forums77. Le manque de temps, le fait de ne pas être évalué sur ses participations et l’impression ne pas y obtenir de gain concret au niveau de l’apprentissage seraient des pistes expliquant ce faible degré d’interaction. Notons qu’un autre type de MOOC est en cours d’expérimentation, les MOOC connectivistes, qui favoriseraient davantage les interactions entre apprenants et qui proposeraient une approche pédagogique renouvelée. Certains les appellent les cMOOC, par comparaison avec les xMOOC qui s’approchent des méthodes traditionnelles de transmission des savoirs. Sebastian Thrun, cofondateur d’Udacity, a récemment déclaré qu’il abandonnait les MOOC parce qu’ayant un « problème moral » avec ce type ce cours qui ne remplirait pas ses promesses78. Selon lui, l’enseignement n’est pas de qualité et la petite proportion d’étudiants qui terminent les cours avaient préalablement développé l’autonomie et les compétences que 75

Quand le MOOC déçoit les étudiants, Alexandre Roberge, Thot Cursus, octobre 2013 - goo.gl/hNK1gB Daphne Koller : Ce que nous apprenons de l'éducation en ligne, Conférence TED, 2012 - goo.gl/aRLXt 77 MOOC, Révolution ou simple effet de mode?, Thierry Karsenti, Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 2013 - goo.gl/7BVOuE 78 Les MOOC sont-ils condamnés ?, Christine Vaufrey, décembre 2013 - goo.gl/w6Jcs3 76

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nécessite ce type de processus. Les MOOC ne seraient donc pas la solution miracle pour assurer un accès universel à la formation universitaire, pas même pour des types d’apprenants qui ne cadrent pas avec les profils généralement identifiés sur les campus. Tous ne partagent pas cet avis, mais cette déclaration dénote quand même un certain désillusionnement. Dans les universités, un certain scepticisme est aussi parfois exprimé. Dans son rapport annuel sur les tendances en éducation79, l’Open University britannique exprimait cette année des doutes sur la possibilité que les MOOC viennent déstabiliser les manières de faire des universités. Selon les auteurs, le réseau d’éducation formel est un système très stable et réputé pour sa résistance aux changements. « L'ajout d'une innovation majeure peut perturber le système et provoquer des changements inattendus, comme cela s'est produit avec les transactions automatisées dans le secteur de la finance. Mais plus probablement, l'innovation sera absorbée80 », écrivent-ils, prédisant que c’est possiblement ce qui se passera avec les MOOC. Si la formule ne porte pas toujours les fruits escomptés, l’intérêt pour les MOOC ne semble pas près de s’estomper. Le nombre de cours se multiplie et les universités sont toujours plus nombreuses à rejoindre le mouvement. D’ailleurs, l’augmentation attendue du nombre d’étudiants universitaires dans la prochaine décennie a récemment poussé la Commission européenne à inviter les universités à « adapter les méthodes d’apprentissage traditionnelles et [à] offrir un mélange de cours en présentiel et de possibilités d’apprentissage en ligne, tels que les MOOC, qui permettent d’accéder à des contenus éducatifs n’importe où, n’importe quand et à partir de n'importe quel équipement81 ». Nombre de pays européens sont d’ailleurs bien lancés déjà dans cette aventure (avec le projet Iversity en Allemagne, FutureLearn en Angleterre, MiriadaX en Espagne, etc.). L’idée même d’une formation accessible au plus grand nombre et l’approche favorisant l’apprentissage social sont en soi des pistes pertinentes à explorer. La formule idéale reste sûrement à trouver et, en réalité, il n’existe peut-être pas de recette unique et applicable à tous

79

Voir goo.gl/HFWIjV L'innovation pédagogique en 10 points, Christine Vaufrey, octobre 2013 - goo.gl/4FfBL2 81 La Commission lance le programme «Ouvrir l'éducation» pour stimuler l’innovation et les compétences numériques dans les écoles et les universités, Commission européenne, septembre 2013 - goo.gl/DngQl4 80

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les contextes. Certains évoquent aujourd’hui pour les MOOC la possibilité de développer des approches hybrides avec une partie en présentiel, de développer davantage la piste des approches pédagogiques de type connectiviste, de proposer des formules adaptées aux besoins des communautés ou des entreprises d’où la nécessité de développer des plateformes libres de droits et qui puissent faire l’objet d’une meilleure appropriation par les acteurs concernés, etc. Plusieurs expérimentations sont en cours et à prévoir. En outre, l’aventure des MOOC rappelle l’importance de garder un esprit critique face aux phénomènes de mode. Par ailleurs, il est très intéressant et inspirant de suivre ces explorations et ces avancées, dans les MOOC et dans la formation à distance en général. On y décèle des tendances et des éléments qui peuvent être très constructifs dans le développement d’un projet de formation en ligne.

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2. L’accès aux technologies Le développement rapide des TIC ouvre indéniablement de nouvelles avenues pour la FAD, le partage des connaissances et la collaboration. Pour illustrer le potentiel qui nous est aujourd’hui offert, l’UNESCO évoque le fait que certains enfants dans les pays en développement ont aujourd’hui accès à des ordinateurs plus puissants que ceux auxquels avaient accès les astronautes lorsqu’ils ont visité la lune en 196982. Selon l’organisation, « les TIC permettent à une partie de la population beaucoup plus importante qu’à aucune autre époque de partager et d’élargir le champ des connaissances, et de contribuer à l’accroissement du savoir dans les différents domaines de l’activité humaine83 ». Elles nous permettent entre autres de nous rapprocher d’un idéal souvent exprimé, celui de l’éducation accessible pour tous et tout au long de sa vie. On peut rêver, comme Daphne Koller, de rendre accessible l’éducation « à ceux qui pourront générer les prochaines innovations84 ». Plusieurs voient dans l’élargissement de l’accès aux infrastructures technologiques une fabuleuse opportunité de développement économique et social pour les pays les plus défavorisés ainsi qu’un second souffle pour le développement des réseaux d’éducation. Selon l’UNESCO, les technologies permettent d’améliorer les performances des étudiants, d’augmenter l’accessibilité à l’école, d’accroître l’efficacité des systèmes tout en réduisant les frais, d’habiliter et d’encourager les apprenants à poursuivre leur apprentissage tout au long de leur vie et de développer une main-d’œuvre qualifiée qui contribue à la compétitivité de la nation. Mieux, « ICT holds the unique promise of providing equal and universal access to knowledge in support of sustainable development85 ». Cette vision est certes optimiste, mais il n’en demeure pas moins que les outils technologiques ont permis des changements notables dans certains pays et que cette vague se poursuit, quoique de manière très inéquitable. Nous devons considérer les différentes limitations liées aux technologies qui s’imposent dans de nombreuses situations et qui affecteront la mise en œuvre des projets ayant recours aux TIC, peu importe le niveau de développement du pays concerné. Les projets de formation, par

82

Transforming Education:The Power of ICT Policies, UNESCO, 2011 - goo.gl/DngQl4 Les technologies de l’information et de la communication, page web sur le site de l’UNESCO - goo.gl/m9Vs25 84 Daphne Koller : Ce que nous apprenons de l'éducation en ligne, Conférence TED, 2012 - goo.gl/aRLXt 85 Transforming Education:The Power of ICT Policies, UNESCO, 2011, p. 41 - goo.gl/DngQl4 83

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exemple, qui se déroulent en tout ou en partie à l’aide d’un environnement médiatisé impliquent que les participants aient un accès aux outils adéquats et qu’ils soient en mesure d’en utiliser le potentiel aux fins visées. Or on oublie trop facilement que les conditions de base ne sont pas réunies dans bon nombre de contextes. Nous devons prendre en considération ces limitations en adaptant les projets en conséquence ou en offrant le support nécessaire, voire en contribuant préalablement à améliorer l’accès et l’appropriation des technologies dans un milieu donné. La sensibilisation en lien avec ces enjeux ainsi que les initiatives pour les surmonter sont essentielles si on veut tirer pleinement profit des TIC dans un souci d’accessibilité et d’équité. Cette section cherche à tracer un survol des différents défis qui se posent. La question de la fracture numérique à l’échelle mondiale sera brièvement abordée et un regard particulier sera posé sur la situation dans le monde rural québécois. Outre les enjeux liés à l’accès, d’autres facteurs seront abordés tels les aspects socioéconomiques, les compétences numériques et la littératie, la question générationnelle et les enjeux socioculturels. Ce texte n’a pas la prétention de faire le tour des différents facteurs d’exclusion, qui sont nombreux. Notons aussi que ces facteurs entretiennent entre eux une relation parfois complexe à saisir.

2.1.

Fracture(s) numérique(s) et e-inclusion

Les débats à l’échelle internationale portant sur les inégalités en matière d’information et de communication auraient pris racine dans les années 1970 autour du « nouvel ordre mondial de l’information et de la communication86 ». En 1980, l’UNESCO met en évidence l’écart qui se creuse entre le Nord et le Sud ainsi que l’emprise qu’ont les médias occidentaux sur le contrôle des flux d’information87. Progressivement, l’information devient un enjeu socioéconomique de taille et on constate que les disparités à ce niveau sont bien réelles et susceptibles d’accroître les inégalités générales entre les pays. La généralisation de l’utilisation du réseau Internet vient accentuer cette situation préoccupante.

86

La « fracture numérique» en question, Éric George, Université d’Ottawa, 2004 - goo.gl/JGqmEo Voix multiples, un seul monde - Rapport de la Commission internationale d’études des problèmes de la communication, Sean McBride, UNESCO, 1980 - goo.gl/T0jOcL 87

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C’est en 2003 et en 2005 que la communauté internationale s’engage à déployer des efforts pour amoindrir la fracture numérique, dans le cadre du Sommet mondial de la société de l’information (SMSI), en se donnant l’objectif de stimuler le développement de la société de l’information tout en contribuant à réduire la fracture numérique. Nous sommes tout à fait conscients que les bienfaits de la révolution des technologies de l'information sont aujourd'hui inégalement répartis entre les pays développés et les pays en développement, ainsi qu'au sein des sociétés. Nous sommes pleinement résolus à faire de cette fracture numérique une occasion numérique pour tous, particulièrement pour ceux qui risquent d'être laissés pour compte et d'être davantage marginalisés.88 L’OCDE définit la fracture numérique comme les « disparités entre individus, foyers, entreprises et aires géographiques, en termes d’accès aux technologies et d’utilisation de l’Internet pour une large variété d’activités89 ». Plusieurs observateurs et organismes ont critiqué la manière de définir et de mesurer l’état de la fracture numérique, y voyant une approche trop hermétique qui exclut ou minimise certaines composantes. Il est vrai que la question est vaste, qu’elle comporte de multiples dimensions et que le phénomène reste difficile à cerner. Raouchen Methamem, qui a inventorié les divers indicateurs élaborés pour mesurer la fracture numérique, constate que ce champ de recherche nécessitera encore d’autres efforts méthodologiques90. Il observe que si les indicateurs actuels permettent de mieux saisir « l’aspect multidimensionnel » de la fracture numérique, des approches régionales devront entre autres être privilégiées. En outre, il estime que « les essais de classification des institutions internationales répondent davantage à leur propre agenda de travail qu’à une cohérence méthodologique particulière91 ». La dimension de l’appropriation des TIC est souvent ignorée dans les portraits. Éric George situe ces difficultés d’appropriation au niveau de la maîtrise des outils, des peurs et des zones 88

Déclaration de principes de Genève, Sommet mondial de la société de l’information, 2004 - goo.gl/ZruCLf Understanding the Digital Divide, OCDE, 2001 - goo.gl/plcN5r 90 Note critique sur les indicateurs de la fracture numérique, Raouchen Methamem, La Découverte – Réseaux, 2004 - goo.gl/1yQvIr 91 Ibid. p. 17 89

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d'inconfort, ce qui mène à une grande variation dans l’exploration des potentialités d’Internet92. Les facteurs socioculturels doivent s’ajouter aux aspects économiques pour nous permettre de tracer un portrait des différentes fractures numériques. « Il importe donc de parler plutôt de fractures numériques au pluriel en mettant l’accent sur la notion d’appropriation qui présente l’intérêt de ne pas considérer les usages du simple point de vue de la consommation.93 » Certains utilisent l’expression « seconde fracture numérique » pour faire cette distinction entre les problèmes d’accès au TIC d’une part et les compétences nécessaires pour les utiliser adéquatement d’autre part. Cette seconde fracture serait d’ailleurs à la base même des défis éducationnels dans plusieurs pays, selon Michael Trucano, et pourtant on continue trop souvent d’observer des situations où l’installation d’équipements précède toute réflexion stratégique sur les usages94. Est-ce que derrière les discours officiels liés à la fracture numérique se cachent des préoccupations de nature essentiellement économique? Selon Éric George, « nous sommes bien loin d’envisager le développement d’usages citoyens de l’Internet à des fins de participation à la vie politique95 ». Nous retrouvons souvent cette notion centrale de la croissance économique dans les discours gouvernementaux et institutionnels, comme dans la déclaration finale du SMSI qui proclame les TIC comme étant un « puissant outil, accroissant la productivité, stimulant la croissance économique, favorisant la création d'emplois et l'employabilité et améliorant la qualité de vie de tous » ou, plus près de nous, dans le rapport québécois Pour une société branchée mettant de l’avant les possibilités de « renforcer les avantages comparatifs sur lesquels l’économie québécoise peut déjà compter, et accélérer le virage en cours vers l’économie du savoir96 ». Ce ne sont pas les seuls éléments sur lesquels s’appuient les discours politiques, mais on peut quand même observer une nette prédominance de ces préoccupations, qui sont certes légitimes, mais qui risquent d’occulter d’autres aspects.

92

La « fracture numérique» en question, Éric George, Université d’Ottawa, 2004, p. 5 - goo.gl/JGqmEo Ibid. p. 6 - goo.gl/JGqmEo 94 The Second Digital Divide, Michael Trucano, EduTech, 2010 - goo.gl/5ZajQN 95 La « fracture numérique» en question, Éric George, Université d’Ottawa, 2004, p. 8 - goo.gl/JGqmEo 96 Pour une société branchée. Favoriser l’utilisation d’Internet et le développement du commerce électronique, Gouvernement du Québec, 2000 - goo.gl/U9eX4h 93

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Plus critique, Éric Guichard croit que la fracture numérique, qui reste floue et mal définie, est « l’expression d’une idéologie, celle du libéralisme97 ». Pour l’auteur, les débats sur cette question serviraient volontairement à faire oublier les autres problèmes socioéconomiques plus criants et permettraient de rendre acceptable cette idée de devoir constamment utiliser les toutes dernières technologies. De ce point de vue, nous sommes tous, dans une certaine mesure, plongés dans la fracture numérique, constamment en retard sur les nouvelles technologies propulsées par une industrie lucrative. S’il est vrai que l’approche des gouvernements et des institutions face au fossé numérique peut être critiquée sous divers angles, il reste que les technologies sont aujourd’hui bien présentes dans nos sociétés, que cette situation a un impact majeur sur nos vies et que ce mouvement est irréversible. Nous sommes confrontés à divers enjeux majeurs découlant de ce contexte en constante évolution, et l’enjeu qui est probablement le plus flagrant est celui des inégalités entre les sociétés et au sein même des nations. Une meilleure compréhension de ces inégalités et le déploiement de stratégies visant à instaurer une utilisation judicieuse des TIC peuvent certainement contribuer au développement économique, mais représentent aussi un potentiel énorme à l’échelle des individus et des groupes, et ce, sur plusieurs plans. Ces considérations rejoignent le débat plus large sur l’inclusion de tous les citoyens. On peut même affirmer que la maîtrise des TIC devient de plus en plus une condition même de cette inclusion, voire une manière de combattre l’exclusion. C’est l’angle d’approche adopté dans un récent avis du Conseil national du numérique, en France. Dans les sociétés qui ont déjà vécu l’introduction massive des TIC, les enjeux se sont transformés. Les populations font maintenant face à un défi permanent d’adaptation alors les technologies font partie des rouages mêmes de la société. « Si nous pensons que le numérique n’est pas qu’un enjeu technique et économique mais participe de la construction d’un projet de société, nous devons faire en sorte que chacun dispose des conditions matérielles et culturelles pour en être non pas un simple utilisateur ou consommateur, mais un citoyen à part entière98 », peut-on lire dans l’avis.

97

Le mythe de la fracture numérique, Éric Guichard, ENSSIB, 2009 - goo.gl/HetgYU Accès, Littératie, Médiations, Pouvoird’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, Conseil national du numérique de France, novembre 2013, p. 3 - goo.gl/P8f3p7 98

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Le Conseil propose d’éviter de catégoriser de manière trop rigide les groupes potentiellement en marge, estimant que les enjeux d’inclusion touchent en réalité l’ensemble de la population et que « nous sommes face à une cible mouvante99 ». Nous devons individuellement acquérir des compétences diversifiées et transversales, puisque la maîtrise des technologies dans un contexte quelconque ne signifie pas nécessairement que nous pourrons aisément nous débrouiller dans une autre situation. Ceci exige un processus d’apprentissage permanent, mais aussi une vision politique et citoyenne qui favorise l’inclusion numérique. Le Conseil va jusqu’à penser que si les efforts investis pour le développement des infrastructures sont encore pertinents, cette question a tendance à détourner l’attention des dirigeants politiques des réels enjeux, soit ceux de l’e-inclusion. Les auteurs définissent l’e-inclusion comme « l'inclusion sociale dans une société et une économie où le numérique joue un rôle essentiel […] et la capacité à fonctionner comme un citoyen actif et autonome dans la société telle qu'elle est100 ». Ici, l’inclusion et l’e-inclusion sont deux concepts qui se confondent. Le Conseil national du numérique de France nous invite donc à changer de perspective et à concevoir des politiques et projets en conséquence. Les actions visant à favoriser l’appropriation des TIC devraient dépasser l’enjeu de l’usage, il s’agit maintenant d’habiliter les individus à exercer pleinement leur rôle citoyen et à viser l’émancipation. « De très nombreuses expériences et actions ne se contentent plus 'inviter leurs destinataires à franchir le "fossé numérique" : elles mobilisent le numérique pour reconquérir l’estime de soi, sortir de l’exclusion, retrouver des sociabilités, stimuler des comportements créatifs, inventer des actions solidaires et des reconfigurations démocratiques, outiller des projets personnels ou collectifs, recréer de la proximité et du lien humain sur les territoires101. » Alors que les TIC sont susceptibles de creuser les inégalités, les auteurs proposent de nous appuyer davantage sur elles pour favoriser l’inclusion et la cohésion sociale. Il s’agit de réfléchir intelligemment aux stratégies à déployer dans cette optique et de contribuer ainsi à construire

99

Accès, Littératie, Médiations, Pouvoird’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, Conseil national du numérique de France, novembre 2013, p. 3 - goo.gl/P8f3p7 100 Ibid. p. 15 101 Ibid. p. 16

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une société plus équitable, solidaire et participative. C’est un défi qui se présente aux gouvernements, mais aussi aux communautés locales. Observons maintenant quelques-uns des facteurs d’e-exclusion.

2.2. L’aspect économique Comme on s’en doute, dans un même pays, les capacités financières des familles ont une influence bien réelle sur l’accès aux équipements et réseaux. De plus, on sait que la condition économique fait souvent partie d’un amalgame d’autres facteurs pouvant influencer l’inclusion sociale en général, ce qui nous rappelle l’importance de combattre la pauvreté prioritairement. Comme le rappelle Communautique, les inégalités numériques sont d’abord issues d’inégalités sociales102. Statistique Canada soutient qu’en 2010, 94 % des personnes composant les ménages dont le revenu est de 85 000 $ ou plus utilisaient Internet, comparativement à seulement 56 % des ménages ayant un revenu de 30 000 $ ou moins103. Les coûts d’acquisition du matériel et les frais d’accès aux réseaux peuvent représenter des freins importants pour tous les types de TIC, et ceci est encore plus vrai pour les technologies plus évoluées104. Malgré tout, les statistiques démontrent présentement une croissance plus rapide auprès des populations défavorisées. Cette situation est souvent observée dans les modèles de pénétration des technologies. Comme le rappelle George Sciadas, une croissance rapide s’observe généralement auprès des groupes plus favorisés économiquement dans un premier temps, alors qu’ensuite l’appropriation s’effectue auprès des autres groupes105. Le prix des appareils informatiques a diminué et cette tendance se maintient, ce qui contribue à leur accessibilité. Par ailleurs, certains croient que l’expansion rapide des technologies mobiles peut aussi être bénéfique pour réduire les disparités dans la population. Il reste que tous les secteurs ne sont pas couverts par les ondes cellulaires, même dans les pays occidentaux, et que

102

L’apprentissage au coeur des TIC : un portrait de l’inclusion numérique, Communautique, 2012 - goo.gl/Uj3zn4 Enquête canadienne sur l'utilisation d'Internet, Statistiques Canada, 2010 - goo.gl/uJHwz 104 The Digital Divide in Canada, George Sciadas, 2002, Statistics Canada, p. 6 - goo.gl/eyj0vS 105 The Digital Divide in Canada, George Sciadas, 2002, Statistics Canada, p. 6 - goo.gl/eyj0vS 103

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le coût des téléphones mobiles, des tablettes numériques et éventuellement des technologies portatives peut continuer de représenter un frein pour plusieurs. Par ailleurs, les frais d’accès aux réseaux restent relativement élevés dans certaines régions du monde, mais aussi dans les pays industrialisés dont le Canada. Parmi les pays de l’OCDE, le Canada est celui où les frais de transfert de données en itinérance sont les plus chers, selon Contact nord, qui estime par ailleurs que cette situation « nuira à la vitesse avec laquelle l’apprentissage mobile s’accroît au Canada106 ». Plusieurs pensent que cette situation est en partie due au manque de concurrence et aux politiques gouvernementales qui ne favorisent pas les petits joueurs107. Mentionnons aussi que selon le CEFRIO, l’utilisation des appareils mobiles est moins répandue chez les aînés et que ceux-ci ont en général moins tendance à utiliser des technologies avec lesquelles ils ne sont pas déjà familiers108.

2.3. À l’échelle internationale C’est probablement là où les fractures numériques sont plus visibles : les fortes disparités de développement socioéconomique entre les pays entraînent une iniquité frappante et préoccupante dans l’usage des technologies. « La fracture numérique s’impose comme la plus récente forme de gouffre séparant les pays sur les plans du développement et du niveau de vie109 », avertit l’UNESCO.

106

L’apprentissage en ligne au Canada, À l’aube d’un nouveau chapitre, Vérification pancanadienne 2012, Contact nord, 2012 - goo.gl/HlvdVv 107 Assurer le virage numérique des territoires ruraux : il y a urgence !, Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, 2011 - goo.gl/N3rGqP 108 Génération @ - DES AÎNÉS BRANCHÉS ET DE PLUS EN PLUS COMPÉTENTS AVEC LES TIC, CEFRIO, 2011 - goo.gl/eE3ktj 109 De la fracture numérique aux perspectives numériques : l'observatoire de la fracture numérique au service du développement, Orbicom – UNESCO, 2005, p. 17 - goo.gl/1P0lKJ

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Carte composite du monde assemblée à partir de données acquises par le satellite Suomi NPP en avril et octobre 2012. Crédit : NASA Earth Observatory / NOAA NGDC

Dans un rapport qui trace le portait le plus complet de la situation, l’UNESCO déclare que « les pays nantis et démunis se trouvent aux antipodes, et séparés par des décennies de développement110 ». Le rapport fait état de progrès observables partout entre 1995 et 2003, tout en mettant en lumière l’accroissement continu des écarts. Des évaluations plus précises au sein même des pays seront importantes, selon l’UNESCO et plusieurs observateurs, qui estiment que des politiques ciblées sont nécessaires, mais la démarche est plus complexe et les données sont parfois difficiles à trouver. La comparaison dans ce rapport s’effectue essentiellement entre les pays à partir d’une multitude de données concernant autant les infrastructures que les compétences. Un indice composite a été développé, avec l’aide de la chaire montréalaise Orbicom, nommé « l’info-état ». Notons que les TIC regroupent ici l’ensemble des médiums de communication dont l’Internet qui « s’est non seulement révélé être une nouvelle technologie révolutionnaire, mais aussi une des causes majeures de la fracture numérique111 ». Comme les auteurs le soulèvent, ceux qui pourraient le

110

De la fracture numérique aux perspectives numériques : l'observatoire de la fracture numérique au service du développement, Orbicom – UNESCO, 2005, p. 8 - goo.gl/1P0lKJ 111 Ibid. p. 37

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plus profiter des TIC sur les plans économiques et sociaux sont ironiquement ceux qui sont les plus affectés par le fossé112. Les résultats démontrent qu’à la fin de 2003, le taux de pénétration d’Internet était encore huit fois plus élevé dans les pays développés que dans les pays en développement et que moins de 15 % de la population mondiale avait accès à large bande113. Encore aujourd’hui, dans plusieurs pays africains, c’est moins de 5 % de la population qui a accès à Internet114. Les pays les plus touchés restent essentiellement sur le continent africain et un certain nombre en Asie, un reflet en quelque sorte des développements inégaux entre les pays. Si une forte corrélation a été trouvée entre l’info-état et le PIB, le rapport mentionne que les facteurs géopolitiques, macroéconomiques et de gouvernance sont aussi en cause et que la modernisation des lois sur les télécommunications s’avère cruciale. Les TIC stimulent l’économie mais il semblerait, selon les auteurs, qu’un seuil critique de développement soit préalablement nécessaire pour favoriser l’expansion des infrastructures. Les larges zones où l’électricité n’est pas accessible ou instable en est une belle illustration. Dans un contexte où l’extrême pauvreté touche encore beaucoup de personnes, certains se demandent en quoi il est pertinent, voire légitime, d’entreprendre des démarches visant à favoriser l’introduction des TIC. Quand l’accès à l’eau potable, à l’électricité et aux services de base est encore trop souvent déficient, il peut en effet paraître qu’il y a des enjeux plus urgents que le développement d’infrastructures de hautes technologies. Des organismes qui œuvrent sur le terrain comme Humanitarian Techno Pole répondent que, parallèlement aux actions humanitaires les plus urgentes, l’apport d’Internet pour les communautés défavorisées est un atout majeur, et ce, à plusieurs niveaux : il s’agit d’un vecteur de développement, d’un outil qui favorise l’empowerment des communautés locales, d’opportunités pour donner un accès à moindres coûts aux savoirs, d’un canal de prévention sur les thèmes vitaux de l’hygiène et de la santé115, et la liste continue. L’accès aux informations et les capacités de communication

112

De la fracture numérique aux perspectives numériques : l'observatoire de la fracture numérique au service du développement, Orbicom – UNESCO, 2005, p. 212 - goo.gl/1P0lKJ 113 De la fracture numérique aux perspectives numériques : l'observatoire de la fracture numérique au service du développement, Orbicom – UNESCO, 2005, p. 27 - goo.gl/1P0lKJ 114 Afrique - état des lieux, Laurent Piolanti & Sophie De Herdt, Humanitarian Techno Pole, 2011 - goo.gl/x3oQHz 115 Ibid.

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deviennentun outil qui fait une différence majeure. Et comme on l’a vu, l’inaction est susceptible d’accroître l’isolement de ces communautés. Au sein même des pays, l’écart entre les hommes et les femmes resterait très préoccupant. Le portrait de l’UNESCO, qui souligne au passage que des écarts sont encore présents dans nombre de pays nantis, mentionne que la discrimination basée sur le sexe nuit au développement économique. « Un investissement déficient dans l’éducation des femmes entraîne une réduction des extrants globaux d’un pays, alors qu’un relèvement de leurs niveaux d’instruction et de compétence a pour effet d’accroître la productivité, le revenu des ménages et la sécurité alimentaire tout en réduisant la pauvreté116. » Par ailleurs, il importe de rester vigilant face à cette situation puisque l’augmentation d’un info-état n’est pas systématiquement accompagnée d’une réduction de l’écart entre les hommes et les femmes117. Si l’éducation peut devenir un outil efficace pour surmonter une partie de ces inégalités, notamment en permettant aux femmes d’accroître leur autonomie des femmes et possiblement d’accéder à un emploi, les formations leur sont dans plusieurs cas difficilement accessibles et parfois même dévalorisées par leur entourage. Dans les situations où c’est possible, l’utilisation des TIC pourrait permettre de surmonter en partie ces défis d’accessibilité. Pour l’UNESCO, « l’enseignement à distance par les TIC fournit aux filles et aux femmes de réelles occasions de surmonter nombre d’obstacles en matière d’éducation118. » Les réseaux de fibre optique étant peu développés et la pénétration des lignes téléphoniques fixes étant souvent en stagnation ̶ ce qui limite le déploiement de solutions de type ADSL ̶, plusieurs pays sont directement passés aux réseaux mobiles. La concurrence gagne progressivement ce secteur, d’autant que le potentiel reste énorme, ce qui permet une relative diminution des prix119. La rapide croissance des réseaux sans fil ouvre effectivement de nouvelles voies pour faciliter l’accès à l’information. L’UNESCO voit d’ailleurs les technologies sans fil comme un « moyen plaisant et facile de préserver les acquis de l’alphabétisation et de

116

De la fracture numérique aux perspectives numériques : l'observatoire de la fracture numérique au service du développement, Orbicom – UNESCO, 2005, p. 151 - goo.gl/1P0lKJ 117 Ibid. p. 160 118 Ibid. p. 192 119 Afrique - état des lieux, Laurent Piolanti & Sophie De Herdt, Humanitarian Techno Pole, 2011 – goo.gl/x3oQHz

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bénéficier d’un accès constant à l’information120 ». Puisque des territoires plus vastes sont ainsi couverts et que les coûts des appareils sont plus abordables, la formation à distance pourrait être utile dans des contextes d’isolement géographique. Les réseaux filaires et mobiles sont tout de même limités par les limites de bandes passantes disponibles dans bien des cas. À cet égard, d’importants projets de déploiement de câbles sous-marins sont en cours de réalisation autour de l’Afrique. Il s’agit d’un marché potentiellement lucratif, du moins c’est ainsi que plusieurs entreprises le voient. Plus de 2,6 milliards de dollars ont déjà été investis ou le seront prochainement121. Ces projets sont presque exclusivement menés par des intérêts étrangers, alors que les réseaux nationaux sont généralement démantelés par la dérèglementation. Jean-Louis Fullsack, administrateur de l'ONG CoopérationSolidarité-Développement, estime que le déploiement de câbles le long des côtes suit une « logique de comptoir » dans laquelle les réseaux risquent de ne pas être également répartis sur Les projets de câbles Internet sur le continent africain. Source : Manypossibilities.net

le territoire. Selon lui, « les gouvernements, financièrement dépendants, ont peu de poids par rapport aux opérateurs122. »

PISTES DE SOLUTION Pour contrer le fossé, l’UNESCO identifie certaines pistes d’action, dont certaines font l’objet d’importants projets de la part notamment d’ONG : l’adoption de tarifs réduits pour les plus démunis et les groupes exclus, l’utilisation des logiciels libres, le développement de contenus adaptés aux réalités culturelles et aux besoins réels ainsi que l’adoption de politiques ciblées123.

120

L’élaboration du concept de la technologie de l’apprentissage mobile, site Web de l’UNESCO - goo.gl/xWV3sh Internet en Afrique : la fin du désert numérique ?, Laurent Checola, Le Monde, 2011 - goo.gl/5PWj3 122 Ibid. 123 De la fracture numérique aux perspectives numériques : l'observatoire de la fracture numérique au service du développement, Orbicom – UNESCO, 2005, p. 160 - goo.gl/1P0lKJ 121

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Certains ajouteront à cette liste la disponibilité de matériel électronique à prix modique124. D’autres mentionnent que la fragilité des appareils disponibles reste un grand défi à surmonter, considérant que les conditions sont parfois difficiles : décharges électriques dues aux violents orages, taux d’humidité très élevés ou, à l’inverse, présence de poussière et de sable, fréquentes coupures électriques125, etc. Peut-on espérer que le projet Internet.org, initié par Mark Zuckerberg et qui se veut un « partenariat mondial entre leaders […] qui collaborent pour offrir Internet aux deux tiers de la population mondiale qui n’y a pas accès126 », pourra apporter une solution durable à ce problème? Certains disent y croire fermement, dont les entreprises associées au projet (Facebook, Ericsson, MediaTek, Nokia, Opera, Qualcomm et Samsung), alors que d’autres y décèlent une stratégie commerciale visant à ouvrir de nouveaux marchés publicitaires et de nouvelles occasions d’affaires127. Trip Chowdhry, analyste de Global Equities Research, y voit de l’opportunisme et estime que l’électrification devrait être mise en priorité : « Beaucoup de régions pauvres n'ont accès à l'électricité que 3 à 4 heures par jour. Et vous pensez qu'ils vont en profiter pour aller sur Facebook?128 » Ce sera tout de même un projet à suivre.

FAD DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT Évidemment, l’état de la fracture numérique reste un frein énorme au déploiement de la FAD assistée par les TIC dans ces pays, surtout si cette dernière s’adresse à une forte population. Quant à l’usage des TIC en classe, il est confronté à des moyens financiers limités, des aides non récurrentes et à des frais élevés d’équipement et de connexion129. Néanmoins, les projets se multiplient et gagnent du terrain rapidement, comme en témoigne le projet Taxi Brousse Low Cost130, qui offre des formations à distance flexibles et destinées aux entreprises dans une quarantaine de pays africains. Les institutions dédiées à la formation en

124

L’Afrique manque surtout d’ordinateurs, Christophe Alix, Libération, 2008 - goo.gl/cnrIQl Afrique - état des lieux, Laurent Piolanti & Sophie De Herdt, Humanitarian Techno Pole, 2011 - goo.gl/x3oQHz 126 Voir internet.org/about 127 Face aux critiques, Mark Zuckerberg défend son projet Internet.org, Michel Beck, PCWord.fr, 2013 - goo.gl/wix89r 128 Pour Marc Zuckerberg, "connecter l'Afrique est une priorité", Pierre Mareczko, Jeune Afrique, 2013, goo.gl/ZcKQst 129 Fracture numérique africaine : où en sommes-nous ?, Tété Enyon Guemadji-Gbedemah, 2011 - goo.gl/i5XFHx 130 Voir 2ie-edu.org/taxibrousselowcost 125

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ligne se multiplient elles aussi, notamment en Turquie, en Indonésie, en Afrique du Sud, au Pakistan, en Inde, en Thaïlande, au Bangladesh et au Nigéria. Selon le directeur du projet, Ihiya Awi-Alher, ce type d’approche est populaire en raison des coûts relativement bas et puisque « les modèles d’enseignement classiques ne permettaient pas d’absorber le volume des besoins ni de résoudre cette simple équation : développer les compétences des professionnels tout en les maintenant en poste131 ». Il y aurait plus de 21 millions d’apprenants à distance au niveau universitaire dans les pays en développement, souvent par correspondance ou via les médias traditionnels132. Les médias de masse restent très utilisés pour les projets de formation à distance dans plusieurs pays, notamment en Afrique. Si ces médias sont parfois vus comme des outils de domination idéologique, ils revêtent généralement une certaine notoriété qui assure une crédibilité aux formations offertes en plus d’être accessibles, nous explique Danielle Paquette, professeure à la Téluq.133.

2.4. L’aspect générationnel L’aspect générationnel est souvent évoqué comme un facteur clé qui influence les compétences technologiques : les plus âgés, qui n’ont pas connu l’Internet pendant la première moitié de leur vie, auraient plus de difficulté à s’adapter que les natifs du Web, qui eux baignent dans les technologies et qui en font un usage quotidien. Mais cet usage chez les plus jeunes les prédispose-t-il vraiment à une meilleure maîtrise des outils mis en place dans le cadre de projets collaboratifs ou de formations à distance? Au sein de toutes les générations, les profils sont très hétérogènes et il serait périlleux de tenter de faire des généralisations basées sur l’âge. Simon Collin et Thierry Karsenti proposent de réfléchir à la fracture numérique en contexte éducatif en y intégrrant le facteur de « l’hétérogénéité des profils socioculturels des

131

Afrique de l'Ouest : une FAD aussi pratique qu'un taxi-brousse, Tété Enyon Guemadji-Gbedemah, Thot Cursus, 2013 - goo.gl/sCdk4U 132 Is there a future for distance education ?, Tony Bates, Contact Nord, 2013 - goo.gl/PWU0sZ 133 Le développement? Quel développement?, Danielle Paquette, TÉLUQ, 1994

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apprenants134. » Selon eux, il existe de grandes variabilités quant au rapport que les apprenants ont avec les TIC au sein d’une société, mais aussi au sein d’un groupe. Aussi, les chercheurs estiment que l’usage que nous faisons des TIC au quotidien a une influence limitée sur notre capacité à utiliser adéquatement les TIC dans un cadre d’apprentissage en classe ou en ligne. « Le transfert des usages et des compétences technologiques des jeunes apprenants entre le contexte socioculturel et le contexte éducatif ne serait pas systématique135 », selon les auteurs. Les outils utilisés au quotidien ne sont pas les mêmes qu’en classe et, lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas utilisés de la même manière. Pour le Réseau Éducation-Médias, « le simple fait de savoir utiliser un logiciel ou un moyen de communication électronique ne signifie pas nécessairement que l’utilisateur en saisit bien le contexte ou toutes les possibilités créatives136 ». Les chercheurs Collin et Karsenti mettent en garde contre les perceptions erronées que nous pouvons avoir des « natifs du Web ». Parmi les plus jeunes, on observe des usages technologiques très variés, des disparités qui s’expliqueraient par des variables technologiques (perception des compétences technologiques et accès) mais aussi par des variables socioculturelles (sociodémographiques, socioéconomiques et ethnoculturelles). La représentation de ses propres compétences technologiques jouerait un rôle particulièrement important137. « Peu justifiée, cette préconception [des natifs du Web] est également susceptible d’exacerber les inégalités technologiques entre apprenants si les enseignants présupposent que ceux-ci ont un niveau de compétence et des usages homogènes 138. » Il est tout de même vrai que certains groupes de jeunes ont une certaine facilité à s’approprier les technologies par rapport aux aînés, mais ces derniers sont aussi de plus en plus nombreux à utiliser les technologies. On peut penser que l’évolution des approches technopédagogiques et des interfaces technologiques couplée à un intérêt grandissant de la part de cette partie de la 134

Usages des technologies en éducation: analyse des enjeux socioculturels, Simon COLLIN et Thierry KARSENTI, ACELF – UQAM, printemps 2013 - goo.gl/g80HqA 135 Usages des technologies en éducation: analyse des enjeux socioculturels, Simon COLLIN et Thierry KARSENTI, ACELF – UQAM, printemps 2013 - goo.gl/g80HqA 136 La littératie numérique au Canada : de l’inclusion à la transformation, Réseau Éducation-Médias, 2010 - goo.gl/W7h0Hu 137 Usages des technologies en éducation: analyse des enjeux socioculturels, Simon COLLIN et Thierry KARSENTI, ACELF – UQAM, printemps 2013, p. 11 - goo.gl/g80HqA 138 Ibid. p. 15

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population contribueront à réduire les disparités. Mais il s’agit tout de même d’un autre visage de l’exclusion numérique dont il faut prendre conscience. Selon la Chaire Unesco-Bell, les TIC représentent un fort potentiel pour contrer l’isolement des aînés et favoriser leur participation dans la vie publique139. Parallèlement, le sentiment d’exclusion que plusieurs d’entre eux vivent peut être accentué par la généralisation des TIC dans notre société. Les difficultés d’accès aux services en ligne ou les limitations au niveau de la communication avec leur entourage et leur famille sont des réalités qui amènent certains aînés à se sentir « handicapés », tel que rapporté par la Chaire. Les auteurs de l’étude constatent eux aussi que ces générations constituent malgré tout un groupe très hétérogène dont les capacités d’adaptation sont très variées. L’Institut de la statistique du Québec met en lumière certaines des raisons de la faible utilisation des TIC par les aînés, dont les difficultés d’accès aux outils, les coûts engendrés, l’absence de besoins ou d’intérêt ainsi que le manque de temps. La Chaire Unesco-Bell identifie elle aussi la variable économique comme représentant un frein potentiel, les faibles revenus ayant un impact sur d’autres facteurs, tel l’accès aux outils, le manque de formation et d’accompagnement ainsi que l’absence de réseau de soutien dans la démarche d’appropriation140. Alexandre Roberge pointe quant à lui la mauvaise ergonomie des sites. Il rappelle que pour plusieurs aînés, le réseau Internet est un nouveau langage qui doit être maîtrisé et que la conception des interfaces ne prend pas suffisamment en considération cet aspect141. Des expérimentations effectuées par le CEFRIO tendent à confirmer la nécessité d’adapter les sites Web pour les utilisateurs plus âgés, notamment pour les services gouvernementaux en ligne142. Les compétences en littératie, dont il sera question plus loin, peuvent elles aussi avoir une influence sur les capacités des aînés à utiliser les technologies. Les enquêtes internationales sur la littératie n’ont pas intégré les personnes de plus de 65 ans, ce qui est par ailleurs critiqué par 139

De l’exclusion à l’inclusion numérique : le rôle des technologies de l’information et de la communication, Magda Fusaro, Chaire Unesco Bell, 2012 - goo.gl/1NPKkt 140 De l’exclusion à l’inclusion numérique : le rôle des technologies de l’information et de la communication, Magda Fusaro, Chaire Unesco Bell, 2012 - goo.gl/1NPKkt 141 Les aînés et les TIC, une question d’ergonomie, Alexandre Roberge, Thot cursus, 2011 - goo.gl/b3eePv 142 Génération @ - DES AÎNÉS BRANCHÉS ET DE PLUS EN PLUS COMPÉTENTS AVEC LES TIC, CEFRIO, 2011 - goo.gl/eE3ktj

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certains groupes comme le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec. Le Conseil supérieur de l’éducation fait part de données, compilées par l’Institut de la statistique du Québec, indiquant qu’au niveau de la compréhension de textes suivis, quelque 90 % de Québécois de 66 ans ou plus ne présenteraient pas un degré de compétence jugé suffisant143. Ces individus ont généralement pu se débrouiller aisément au cours de leur vie professionnelle dans une société moins exigeante sur le plan de la littératie, mais sont aujourd’hui susceptibles de se retrouver davantage isolés. Néanmoins, les aînés représentent le groupe dont la présence sur le Web est en plus forte croissance, ce qui, comme il était mentionné plus haut, est typique de l’évolution du taux de pénétration des technologies auprès des groupes initialement laissés pour compte. Cette information démontre quand même qu’un changement de situation s’opère. Selon le CEFRIO, entre 2009 et 2010, la proportion des 55-64 ans étant des utilisateurs réguliers d’Internet est passée de 63 % à 68 %144. Le temps moyen passé sur Internet dépasse 15 heures par semaine et le tiers des individus de cette tranche d’âge y passent plus de 20 heures. L’enquête démontre aussi que les fonctions communicationnelles et ludiques sont plus présentes, et que seulement 11 % des aînés disent profiter de la formation en ligne145. Le CEFRIO mentionne par ailleurs que les « seniornautes » ont davantage tendance à prendre goût à Internet une fois qu’ils y ont été préalablement initiés et qu’une aide peut régulièrement être utile, notamment pour l’utilisation des services gouvernementaux. On peut constater que les besoins en formation et en accompagnement sont importants et que des efforts supplémentaires méritent d’être consentis à cet égard. Peut-être qu’une forme de formation à distance adaptée aux besoins spécifiques de cette tranche d’âge pourrait être d’une aide précieuse, bien que les chercheurs aient constaté que les types d’accompagnement préférés par les aînés sont le dépannage (46 % des répondants) et le coaching (44 %)146. L’autoformation et les cours susciteraient l’intérêt du tiers des aînés. On

143

Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes, Conseil supérieur de l’éducation, septembre 2013 - goo.gl/CxerJD 144 Génération @ - DES AÎNÉS BRANCHÉS ET DE PLUS EN PLUS COMPÉTENTS AVEC LES TIC, CEFRIO, 2011 - goo.gl/eE3ktj 145 Ibid. 146 Ibid.

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peut penser qu’une offre de cours conçus spécifiquement pour répondre aux besoins des seniornautes pourrait éventuellement faire augmenter cet intérêt.

2.5. La littératie On l’a vu, la question de l’accès ne peut à elle seule donner un portrait réel des difficultés liées à l’usage des technologies. Les dimensions sociales et culturelles doivent être prises en considération. Ainsi, il peut être pertinent de rappeler qu’en 2006, l’Institut de la statistique du Québec estimait que 21 % des Québécois âgés de 15 à 64 ans n’avaient aucun diplôme147. C’est dans le monde rural qu’on retrouve les proportions les plus élevées, et les chiffres sont encore plus frappants dans les régions éloignées. Près du tiers de la population est sans diplôme en Abitibi-Témiscamingue, sur la Côte-Nord et en Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, alors que cette proportion grimpe à 45 % dans le Nord-du-Québec148. Bon nombre de ces personnes utilisent les TIC, mais on peut croire que plusieurs d’entre elles n’auront pas eu la chance de développer des compétences de base au niveau de leur maîtrise des technologies ou encore de la compréhension des flux d’information qui composent notre environnement. L’organisme Communautique voit un lien évident entre l’utilisation des TIC et les compétences en littératie, « l’acquisition de compétences relatives aux TIC nécessitant un certain niveau de performance dans les différents domaines de compétence de la littératie149 ». L'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes, une initiative de l’OCDE, a été menée en 2003 dans 24 pays en se basant sur une échelle comprenant 5 niveaux de littératie, le niveau 3 étant considéré comme le seuil souhaité dans notre société. Il s’agit d’évaluer les compétences jugées essentielles pour une participation sociale et économique. L’OCDE définit ici la littératie comme étant « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités ».

147

Institut de la statistique du Québec, à partir des données du Recensement canadien de 2006, voir goo.gl/iGE1yI Ibid. 149 L’apprentissage au coeur des TIC : un portrait de l’inclusion numérique, Communautique, 2012 - goo.gl/Uj3zn4 148

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Les résultats sur notre territoire sont préoccupants : c’est 49 % des Québécois âgés entre 16 et 65 ans qui n’atteignent pas le niveau 3 (contre 42 % pour l’ensemble du Canada), et 800 000 Québécois se classent au niveau 1 de l’échelle150. Les données préliminaires d’une nouvelle enquête menée en 2013, qui ont été dévoilées cet automne, indiquent qu’une légère détérioration de la situation a été observée au Canada151. Les données détaillées sont attendues dans les prochains mois. Selon Maryse Perreault, présidente de la Fondation pour l'alphabétisation, l'éducation n'est pas suffisamment valorisée au Québec. « C'est l'héritage d'une société basée sur l'extraction des matières premières. Mais l'économie est en profonde mutation et on ne peut pas parler d'analphabétisme comme on en parlait il y a 25 ans152. » En effet, les compétences nécessaires au quotidien en tant que travailleur, citoyen, parent et consommateur sont de plus en plus élevées et demandent une certaine capacité d’adaptation. «Ce n'est pas que les gens sont plus analphabètes qu'avant! C'est que, tout d'un coup, on arrive dans une société où l'environnement lettré est de plus en plus intensif153 », explique Paul Bélanger, ex-président du Conseil international de l'éducation des adultes. Dans ce contexte, la Fondation pour l'alphabétisation craint que le nombre d’analphabètes fonctionnels n’explose au Québec. Si le niveau 4 était estimé éventuellement comme le seuil souhaitable, c’est 85 % de la population active qui « se retrouverait marginalisée154 ». C’est ce que pense aussi le CSE, pour qui « les exigences relatives au traitement de l’information tendent à croître avec les développements technologiques155 ». Ces compétences sont importantes pour l’employabilité et pour assurer la compétitivité des nations, mais ont aussi des répercussions sur de multiples aspects tels les disparités

150

Miser sur nos compétences : Résultats canadiens de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes, Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2003 - goo.gl/muyjwX 151 Les compétences au Canada : Premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), Statistiques Canada, octobre 2013 - goo.gl/kHbGd3 152 L'analphabétisme au Québec - Un fléau pour toute la société, Hélène Roulot-Ganzmann, Le Devoir, 2011 - goo.gl/jTLUo 153 Québec s'attaque au drame de l'analphabétisme, Annie Mathieu, le Soleil, 2013 - goo.gl/dFUypm 154 L'analphabétisme au Québec - Un fléau pour toute la société, Hélène Roulot-Ganzmann, Le Devoir, 2011 - goo.gl/jTLUo 155 Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes, Conseil supérieur de l’éducation, septembre 2013, p. 45 - goo.gl/CxerJD

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économiques, la santé des individus, le niveau d’engagement politique, l’intégration sociale156, etc. Le CSE y voit aussi un lien clair avec la persévérance scolaire des enfants, qui serait influencée par le rapport que leurs parents entretiennent à la culture de l’écrit ainsi qu’à l’utilisation des TIC dans les différentes sphères de leur vie157. Un individu ayant un faible niveau de littératie pourrait avoir davantage de difficultés à suivre un programme de formation. De la même manière, l’utilisation des outils numériques dans le cadre d’une formation peut potentiellement représenter un défi plus important. Le Conseil estime que le passé scolaire d’un individu aura également un impact sur l’accès à la formation continue. « Plus le niveau de scolarité est élevé, plus grande est la probabilité de participation à une activité de formation formelle. L’expérience initiale de l’école conduirait de la sorte les adultes à considérer positivement leur participation à la formation158. » L’accroissement des compétences spécifiquement en littératie numérique est souvent identifié comme prioritaire, une étape à franchir pour tous les citoyens qui pourront, selon le Réseau Éducation-Médias, « se former, s’adapter aux changements, participer pleinement à la société numérique mondiale et profiter de nouvelles ouvertures en divers secteurs d’activité dont ceux de l’emploi, de l’innovation, de l’expression créative et de l’inclusion sociale159 ». Le développement de telles compétences et d’une culture du numérique passe entre autres par la sensibilisation et la formation. Comme le rappelle l’UNESCO, cette démarche s’inscrit aussi dans « un continuum qui inclut l’alphabétisation de base160 ». L’Observatoire des compétences-emplois sur la formation continue et le développement des compétences a analysé deux vastes études tentant de déterminer « les compétences du 21e siècle ». Il en dégage certaines compétences qui font consensus dont la collaboration, la

156

Les compétences au Canada : Premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), Statistiques Canada, octobre 2013, p. 5 - goo.gl/kHbGd3 157 Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes, Conseil supérieur de l’éducation, septembre 2013 - goo.gl/CxerJD 158 Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes, Conseil supérieur de l’éducation, septembre 2013, p. 21 - goo.gl/CxerJD 159 La littératie numérique au Canada : de l’inclusion à la transformation, Réseau Éducation-Médias, 2010, p. 4 - goo.gl/W7h0Hu 160 De la fracture numérique aux perspectives numériques : l'observatoire de la fracture numérique au service du développement, Orbicom – UNESCO, 2005, p. 169 - goo.gl/1P0lKJ

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communication, les habiletés sociales et culturelles ainsi que les compétences liées au TIC. Ces dernières, privilégiées parmi toutes, sont regroupées en trois catégories161 : •

information literacy, ou la capacité à accéder à l’information, à la comprendre et à l’utiliser;

ICT literacy, ou les compétences techniques liées à l’utilisation des TIC;

technological literacy, ou la capacité à utiliser les TIC pour régler des problèmes complexes ou pour créer des produits ou services.

Plusieurs associations, dont le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec, estiment que la lutte contre l’analphabétisme devrait devenir une réelle priorité nationale162. Le CSE prône l’élaboration d’une stratégie qui devrait notamment s’inscrire dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie. « La diversité des lieux et des modalités de formation et d’apprentissage devrait être affirmée et le recours à la formation formelle, non formelle et informelle, valorisé et facilité163. » Le gouvernement québécois s’est engagé à s’attaquer au défi de l’alphabétisme dans la politique d’éducation aux adultes, qui sera dévoilée à l’automne 2014164. Le CSE l’invite à inclure aussi des mesures visant à développer la littératie numérique165, tandis que le Réseau Éducation-Médias estime que nous devons élaborer un plan canadien de littératie numérique en plus d’offrir davantage de formations sur les TIC au primaire et au secondaire166. Les compétences en littératie doivent être prises en considération lors de l’élaboration d’un projet de formation car elles sont susceptibles de présenter un important frein à l’appropriation des technologies. Paradoxalement, c’est aussi par la formation, et possiblement par la

161

Les compétences du 21e siècle, Sylvie Ann Hart et Danielle Ouellet, Observatoire des compétences-emplois sur la formation continue et le développement des compétences, décembre 2013, goo.gl/JWe8eu 162 PEICA - Les résultats du PEICA confirment la nécessité pour le Québec de se doter d’une stratégie nationale de lutte contre l’analphabétisme, Mélissa Lessard, CDEACF, goo.gl/4OgEbR 163 Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes, Conseil supérieur de l’éducation, septembre 2013, p. 140 - goo.gl/CxerJD 164 Québec s'attaque au drame de l'analphabétisme, Annie Mathieu, le Soleil, 2013, goo.gl/dFUypm 165 Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes, Conseil supérieur de l’éducation, septembre 2013 - goo.gl/CxerJD 166 La littératie numérique au Canada : de l’inclusion à la transformation, Réseau Éducation-Médias, 2010 - goo.gl/W7h0Hu

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formation en ligne, qu’on peut espérer améliorer cette situation. Ici encore, la situation est liée à des enjeux plus vastes d’inclusion sociale et de pauvreté.

2.6. Dans la ruralité québécoise Portons maintenant notre attention sur la ruralité québécoise. On constate évidemment les mêmes facteurs d’exclusion, à savoir les facteurs économiques, socioculturels et générationnels, ce à quoi s’ajoute l’important défi de la couverture de l’ensemble du territoire au niveau de l’accès à Internet et en particulier de l’accès à large bande. Selon Solidarité rurale du Québec, l’avenir des régions dépend en partie des infrastructures en télécommunications et l’accès à Internet est devenu un service essentiel et indispensable, « notamment pour permettre l’équité d’un territoire à l’autre167 ».

Installation de la fibre optique dans le projet domiciliaire de la Coopérative du Rang 13, à Saint-Camille, en Estrie. Crédit : Mes Sources, Sylvain Laroche

167

Guide du passage à la proximité des services en milieu rural, Solidarité rurale du Québec, 2012 - goo.gl/2Ee39b

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ACCÈS À INTERNET On retrouve encore au Québec des territoires mal desservis, ce qui représente un frein à leur développement. L’étendue du territoire et la faible densité de population dans certaines zones exacerbent cette situation. De plus, l’accès coûte généralement plus cher dans le monde rural qu’en ville168. Selon la firme Léger Marketing, 46 % des foyers ruraux sont branchés à la haute vitesse ou à la vitesse intermédiaire, alors que cette proportion monte à 55 % dans les centres urbains169. Mentionnons qu’avec le programme provincial Communautés rurales branchées, le taux de couverture d’un accès d’une vitesse minimale de 1,5 Mbps serait passé de 66 % à près de 90 % entre 2009 et 2013170. S’il s’agit d’une avancée notable, cette vitesse de transfert est jugée insuffisante pour un grand nombre d’usages et les réseaux développés dans le cadre de ce programme sont souvent d’une qualité et d’une stabilité moindres que les réseaux filaires. Le Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, mis sur pied dans le cadre de la deuxième Politique nationale de la ruralité, estime même que cette situation cause une « réelle détresse » notamment dans les communautés dévitalisées et qu’« [o]n ne pourra parler d’occupation effective du territoire du Québec que lorsque toutes les collectivités québécoises, même les plus petites, occuperont pleinement l’espace numérique171 ». Selon les membres de ce groupe, les enjeux sont multiples et concernent autant le maintien des services de proximité, qui s’avère un élément crucial pour les petits milieux, que l’attractivité du territoire, la rétention des populations et la capacité à mettre en commun les connaissances et ressources locales. Des démarches ont été entreprises par les gouvernements fédéral et provinciaux et des gains sont observables bien qu’ils ne soient pas uniformément répandus sur le territoire et qu’il reste encore beaucoup à faire. Même des municipalités situées à moins de trente minutes de Montréal doivent encore aujourd’hui se contenter d’une connexion de relativement basse vitesse. L’organisme Contact nord estime que les efforts gouvernementaux « se sont

168

Assurer le virage numérique des territoires ruraux : il y a urgence !, Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, 2011 - goo.gl/N3rGqP 169 Enjeux des Nouvelles technologies, site web de Solidarité rurale du Québec - goo.gl/c2uUEI 170 Programme Communautés rurales branchées, Portrait et perspectives, Daniel Roberge, 2013 - goo.gl/UFsnNu 171 Assurer le virage numérique des territoires ruraux : il y a urgence !, Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, 2011, p. 12 - goo.gl/N3rGqP

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érodés172 », en donnant l’exemple de l’abandon du Programme fédéral d’accès communautaire qui ciblait particulièrement les régions rurales. Il n’est généralement pas rentable pour les entreprises privées de développer les réseaux filaires à l’extérieur des villages, où le nombre de clients potentiels par kilomètre de réseau sera moindre. Par ailleurs, la couverture du territoire par les signaux sans fil (cellulaire, wi-max, satellite) est elle aussi incomplète et généralement onéreuse pour les clients. Les réseaux wimax sont de moindre qualité, moins fiables, et souvent limités dans les régions vallonnées ou montagneuses. Devant cette situation, des groupes citoyens prennent parfois le relais, appuyés ou non par des subventions gouvernementales, pour développer des réseaux dans des secteurs précis. Des coopératives sont parfois formées pour gérer le réseau173 alors que des réseaux créés par des citoyens sont parfois cédés ensuite à une entreprise privée faute d’obtenir un nombre suffisant d’abonnés pour assurer la survie financière de la coopérative. Dans tous les cas, outre le financement, les groupes seront confrontés à des défis logistiques et organisationnels de taille pour développer de telles infrastructures. L’utilisation de l’Internet n’est pas seulement limitée par les infrastructures, elle peut aussi être conditionnée par une question de « culture du numérique » et de niveau d’éducation, souligne le Réseau Éducation-Médias174. Par ailleurs, l’économie numérique est moins présente en ruralité, ce qui pourrait constituer un autre frein. « Une infrastructure accrue ne saurait suffire à soutenir la littératie numérique en milieu rural car, contrairement aux zones urbaines, les technologies de l’information ne soutiennent pas systématiquement l’économie rurale175 ».

LIMITES POUR LA FORMATION On le voit, les difficultés d’accès représentent des défis pour les territoires ruraux sur plusieurs plans, et inversement l’élargissement de l’accès à large bande offre de nouvelles possibilités comme la formation à distance. Une étude de Pew Internet menée dans des communautés 172

L’apprentissage en ligne au Canada, À l’aube d’un nouveau chapitre, Vérification pancanadienne 2012, Contact nord, 2012, p. 5 - goo.gl/HlvdVv 173 Voir la Fédération des coopératives de câblodistribution et de télécommunication du Québec : fcctq.ca 174 La littératie numérique au Canada : de l’inclusion à la transformation, Réseau Éducation-Médias, 2010, p. 4 - goo.gl/W7h0Hu 175 Ibid. p. 20

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rurales américaines a démontré que l’accès à large bande est un facteur qui incite davantage d’individus à poursuivre leurs études176. La FAD peut par ailleurs avoir un effet boule de neige, selon le Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, puisque des nouvelles compétences peuvent être développées puis réinvesties dans le développement territorial177. La conception d’une formation à distance qui serait destinée spécifiquement au monde rural doit prendre en considération cette importante limitation. Si un cours est destiné aux leaders des communautés et aux personnes travaillant dans des organismes et institutions, la situation de l’accès est moins alarmante, considérant que ces gens travaillent souvent au centre des villages ou dans des villes plus densément peuplées et où la large bande est en général plus facilement disponible. Mais même encore, la situation au Québec n’est pas uniforme. Par ailleurs, il peut être pertinent d’espérer rejoindre ces mêmes personnes directement à leur domicile, et la situation est alors beaucoup plus variable. Par ailleurs, l’élaboration d’un cours qui serait destiné plus largement aux populations rurales et la mise sur pied d’outils collaboratifs visant à susciter une participation citoyenne seront rapidement confrontés à ces défis. Aussi, le développement d’outils Web qui seraient facilement accessibles via des connexions à plus faible débit doit encore aujourd’hui demeurer une préoccupation, alors que parallèlement l’adaptabilité de ces mêmes outils pour les appareils mobiles est devenue incontournable. Cette double préoccupation représente un défi pour les développeurs. Dans ce contexte et pour d’autres raisons qui seront abordées plus loin, les formations bimodales qui conjuguent formation à distance et rencontres en personne peuvent être pertinentes. Aussi, le développement de partenariats avec des organismes et entreprises locaux susceptibles d’offrir un accès aux outils nécessaires pour suivre des formations à distance représente une piste à explorer, pensons aux cafés Internet, écoles, bibliothèques, etc. Parmi les services de proximité qui restent fragiles dans nombre de communautés rurales, ceux touchant à l’éducation sont centraux : il s’agit de la capacité à former les citoyens ruraux, et

176

Home Broadband Adoption in Rural America, Pew Internet, John Horrigan et Katherine Murray, 2006 - goo.gl/eq5APh 177 Assurer le virage numérique des territoires ruraux : il y a urgence !, Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, 2011 - goo.gl/N3rGqP

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c’est aussi un enjeu d’attractivité et de rétention des populations. Les villages qui voient leur école primaire fermer sont susceptibles d’entrer plus profondément dans un engrenage de dévitalisation. Selon le CSE, l’accès à l’éducation en région, notamment dans les régions éloignées, est primordial et devient une responsabilité collective; le soutien de l’État est essentiel178. Le Conseil estime que l’accès réduit à l’éducation, en raison notamment de la dispersion géographique et de l’exode rural, fragilise la qualité du système dans les régions éloignées et menace leur développement. « Plus qu’ailleurs au Québec, l’offre de formation peut donc faire la différence entre un lent déclin et la capacité des régions de se prendre en main pour développer tout le potentiel des personnes et des communautés179 ». Malgré des avancées notables pour l’amélioration de la situation, l’organisme affirme que le réseau reste fragile. Il souligne finalement que les TIC représentent une voie prometteuse tant pour les apprenants que les enseignants et que des projets qui en exploiteraient pleinement le potentiel restent à développer180.

RÔLES ET RESPONSABILITÉS Pour favoriser l’élargissement de l’accès aux infrastructures et pour stimuler le développement des compétences favorisant l’appropriation des TIC, les rôles et responsabilités sont partagés entre les différents acteurs de la société. Par exemple, les entreprises privées ont un rôle de premier plan à jouer dans le développement des infrastructures. Cependant, comme on l’a vu, l’encadrement et éventuellement l’aide directe de l’État seront nécessaires pour assurer une plus grande couverture du réseau, notamment dans les zones moins densément peuplées. Par ailleurs, le CRTC continue d’occuper un rôle central en définissant le cadre règlementaire et en assurant un accès à des prix raisonnables. Au pays, l’aide gouvernementale est maintenant moins soutenue alors qu’il reste beaucoup à faire. Et enfin, les organismes communautaires et les groupes citoyens peuvent jouer un rôle important, notamment dans la formation des citoyens et la définition d’usages innovants.

178

L’Éducation en région éloignée, une responsabilité collective, Conseil supérieur de l’éducation, 2008 - goo.gl/JxLBgC 179 Ibid. p. 70 180 Ibid. p. 58

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L’équilibre entre un contrôle strict de l’État, voire l’instauration de monopoles publics, et une dérèglementation complète favorisant le libre marché n’est pas toujours évident à trouver. L’Afrique nous fournit des exemples éloquents de problèmes découlant d’un extrême ou de l’autre, ou même de problèmes générés par des transitions trop rapides ou peu coordonnées. Pour élargir l’accès à large bande de manière coordonnée, l’UNESCO est d’avis que les gouvernements doivent mettre en œuvre des plans nationaux sous peine de se retrouver pénalisés. L’organisation, qui y voit un « puissant levier » pour élargir l’accès à l’éducation, estime que « [l]e développement de projets isolés, une approche fragmentaire ou des réseaux faisant doublons serait non seulement inefficace mais retarderait la mise en place d’une infrastructure qui devient aussi cruciale pour notre monde moderne que les routes ou la fourniture d’énergie181 ». D’autres acteurs invitent les gouvernements à se doter de stratégies et de politiques pour favoriser le déploiement équitable et efficace des technologies ainsi qu’une utilisation judicieuse pour l’ensemble des secteurs de la société. Certains proposent de concevoir des plans numériques généraux pour un territoire donné alors que d’autres mettent l’accent sur l’importance de développer des politiques portant spécifiquement sur l’utilisation des technologies en éducation.

2.7.

Les plans numériques

Plusieurs croient que le Québec devrait suivre l’exemple d’une vingtaine de pays, dont les ÉtatsUnis et la France, ayant adopté des plans numériques. C’est le cas d’un groupe de citoyens à la base de l’Institut de gouvernance numérique182, qui estime que la province accuse un retard dans la gestion des données et que le gouvernement doit se doter d’une stratégie pour faire face aux mutations sociales en cours. Un tel plan devrait préciser les actions à entreprendre dans des sphères multiples. L’inclusion numérique, le partage des connaissances, la collaboration et l’innovation devraient devenir des objectifs, de même que la croissance 181

Le nouveau Rapport de la Commission sur la bande large milite pour la connexion à haut débit des communautés les plus pauvres, UNESCO, 2011, goo.gl/w5fJ0V 182 Voir ignumerique.org

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économique, qui occupe une place prédominante dans le discours du groupe. Jean-François Gauthier est d’avis qu’un plan numérique devrait entre autres viser à donner un rôle plus central aux citoyens, à développer une économie de proximité et à créer une gouvernance plus participative. Selon lui, « la souveraineté d'un peuple va passer par sa capacité à gérer l'information qui passe sur son territoire183 ». La composition même d’un tel plan reste vague pour l’instant, mais l’Institut de gouvernance numérique amorce une vaste consultation sur le sujet184. Le Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées estime quant à lui que des plans territoriaux à plus petite échelle doivent aussi être mis sur pied, des démarches davantage caractérisées par une volonté de développement endogène185. Dans un guide rédigé pour accompagner les communautés dans l’élaboration de tels plans, on soutient qu’il s’agit là d’un « outil incontournable » qui sert à « établir de quelle manière l’ensemble des acteurs du secteur public, du secteur privé et de la société civile d’un territoire devraient utiliser les outils du numérique pour relever les défis particuliers auxquels ce territoire fait face sur les plans économique, social et culturel, et ce, dans une perspective de développement durable186 ». Selon les auteurs du guide, les porteurs naturels d’une telle démarche sont les MRC, qui doivent élaborer une stratégie adaptée à leur réalité et évolutive. Trois MRC ont déjà adopté un tel plan au Québec.

183

Conférence Web prononcée par Jean-François Gauthier, via Québec municipal, décembre 2013 Voir goo.gl/PcqcRm 185 Guide de soutien à l’élaboration de plans numériques territoriaux – Le numérique, outil de développement des territoires du Québec, Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, 2011 - goo.gl/EYRhLY 186 Ibid. p. 4 184

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POLITIQUES SUR LES TIC DANS L’ÉDUCATION Un guide pour l’élaboration de politiques gouvernementales sur les TIC et l’éducation a été publié par l’UNESCO en 2011. Destiné aux pays les plus pauvres comme les plus riches, ce guide est susceptible de s’adapter à tous les contextes puisque « the potential of ICT to transform education is universal187 ». Dans ce document, l’UNESCO estime que de telles politiques sont nécessaires pour faire face aux transformations économiques. Elles doivent servir à mieux aligner le développement des TIC et de l’éducation sur le paradigme de la société du savoir. Elles devraient aussi être en mesure d’accroître les capacités des écoles à mieux soutenir la création des savoirs et la pensée critique, de personnaliser le support aux apprenants et de favoriser les interactions avec des communautés de savoir plus vastes. Bref, il s’agit d’élaborer une stratégie permettant de « s'étendre au-delà des limites de temps et d’espace188 ». De telles politiques devraient cibler autant la gestion même du réseau d’éducation que les approches pédagogiques, qui doivent s’adapter au contexte et à l’usage des TIC tout en tirant pleinement avantage des opportunités qui s’ouvrent. Négliger l’adaptation des pratiques pédagogiques peut avoir des effets néfastes, avancent les auteurs. Quatre approches, qu’on peut considérer comme des étapes se chevauchant, sont identifiées dans le guide quant à l’état d’avancement de l’élaboration d’un système d’éducation qui tire profit des TIC189 : 1. l’éducation de base, visant à doter davantage de gens de compétences nécessaires dans la vie quotidienne et sur le marché du travail; 2. l’acquisition des savoirs, selon un modèle traditionnel lié au paradigme de production de masse, visant à accroître la productivité des travailleurs; 3. l’approfondissement des connaissances (knowledge deepening), où un champ plus restreint de savoirs est davantage approfondi par chaque apprenant dans un cadre plus collaboratif faisant davantage appel aux TIC;

187

Transforming Education:The Power of ICT Policies, UNESCO, 2011, p. 8 - goo.gl/DngQl4 Ibid. p. 41 189 Ibid. p. 28 188

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4. la production des savoirs, approche plus transversale en continuité avec l’étape précédente, axée sur l'innovation, la créativité et la flexibilité et où l’apprentissage continu est grandement valorisé. Michael Trucano propose une liste de recommandations pour les concepteurs de telles politiques. Il rappelle notamment l’importance de conserver une approche holistique qui tienne compte de l’ensemble des éléments constituant le système d’éducation ainsi que des réalités dans les secteurs connexes. Il estime que l’approche « big bang » est à éviter, qu’une intégration progressive des technologies dans le système est à favoriser et qu’il faut essentiellement miser sur des approches complémentaires aux outils et méthodes déjà en place190. L’UNESCO insiste aussi sur l’importance de concevoir des politiques en fonction du contexte local où elles s’appliquent et de les aligner sur des objectifs globaux de développement socioéconomique. « The driving questions that frame ICT policy are: What is the nation’s vision of how education can support economic and social progress, and what are the potential roles of ICT in supporting educational transform aligned to these goals?191 » La question des orientations que les gouvernements et communautés souhaitent donner au développement national et local est en effet constamment sous-entendue dans l’élaboration de ces différentes politiques de même que dans tout projet visant à favoriser l’e-inclusion et à élargir l’accès à l’éducation. Il importe de se questionner collectivement sur le type de développement qui est souhaité et souhaitable. Ces aspirations conditionnent le type d’action qui sera entrepris. Autant les TIC que la formation peuvent devenir des outils permettant de se rapprocher de ces idéaux. Regardons de plus près ces liens possibles, justement, entre l’éducation et le développement.

190

Investing in digital teaching and learning resources: Ten recommendations for policymakers, Michael Trucano, avril 2013, goo.gl/wGoyGF 191 Transforming Education:The Power of ICT Policies, UNESCO, 2011, p. 10 - goo.gl/DngQl4

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3. Formation et développement Un État investit dans les services publics avec des intentions précises et selon des valeurs qui sont clairement définies, qu’elles soient déterminées par le gouvernement ou imposées par des forces extérieures. Les orientations données aux institutions seront nécessairement teintées par ces objectifs nationaux et orientations de développement. Ainsi, on observera des structures, des approches et des priorités différentes dépendant des conditions socioéconomiques d’un pays et des dynamiques politiques qu’on y retrouve. Selon Danielle Paquette, « il existe au moins un élément qui lie tous ces types de développement, c'est la place prépondérante qu'occupe l'éducation comme moyen fondamental de rejoindre les objectifs de développement des nations, quels que soient ces objectifs192. » Il est généralement admis que la formation contribue au développement d’une communauté ou d’une nation, que ce soit sur le plan économique ou social. Ce qui est moins clair, c’est dans quelle mesure ce lien de cause à effet se concrétise et comment nous pouvons réellement l’influencer. Par ailleurs, en parallèle d’un réseau d’éducation national, diverses initiatives locales coexistent et peuvent à leur tour appuyer ces orientations ou encore donner une autre couleur à la dynamique socioéconomique. Des regroupements tenteront même, dans certains cas, de carrément contrebalancer l’idéologie dominante avec des actions communautaires politiquement orientées, qui prennent par exemple la forme de projets d’éducation populaire. Ceci dit, les acteurs qui mettent sur pied des projets de formation n’ont pas toujours conscience de la manière dont ils peuvent influencer leur milieu, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’une communauté territoriale, mais ils sont toujours portés par des intentions précises. Malgré les enjeux locaux, les jeux de pouvoir en place et les dynamiques extraterritoriales, la formation peut devenir un important moteur permettant d’animer une communauté. Elle permet aussi d’habiliter les acteurs locaux à définir plus efficacement les orientations souhaitées pour le développement de leur territoire et à mettre en œuvre les stratégies qui soutiennent ces orientations. Couplée à des stratégies de mobilisation, de travail en réseau et d’enracinement identitaire, l’éducation en général peut devenir un important levier contribuant à l’autonomie territoriale. 192

Le développement? Quel développement?, Danielle Paquette, TÉLUQ, 1994

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La formation, et plus précisément l’instauration d’un processus de formation continue et de partage des savoirs, permet de prendre un recul sur l’action, d’acquérir de nouvelles compétences, de former un regard critique, de confronter les idées, de développer la créativité, de mettre en commun des ressources et de susciter l’innovation. Pour John Daniel, la formation développe le capital humain mais aussi le capital social, « ce qui veut dire la confiance en autrui, les réseaux de contacts, les regroupements de gens autour d’un but commun. C’est le capital social qui crée les communautés193. » L’apprentissage continu permet par ailleurs d’expérimenter de nouvelles manières de collaborer et de repenser les dynamiques de la vie collective. En outre, et c’est là un ingrédient essentiel pour le développement territorial, l’éducation en général permet de développer les compétences en littératie, de contribuer à la lutte contre l’exclusion et la pauvreté et ultimement d’accroître la participation citoyenne et la cohésion sociale. Il est pertinent de tenter de mieux cerner les relations potentielles entre le processus d’apprentissage et le développement territorial et de voir comment les formations peuvent contribuer à mettre en œuvre un projet collectif et conçu collectivement. Voici quelques pistes de réflexion en lien avec ces questions, ici encore en focalisant sur le monde rural, et en particulier le monde rural québécois.

3.1.

Définir le développement

Dans un premier temps, il peut être pertinent de définir ce qu’on entend par développement tant ce terme a été utilisé à toutes les sauces et qu’il dégage une forte connotation. Pour beaucoup de pays, le développement vise essentiellement la croissance économique et le progrès technique. Danielle Paquette rappelle que le développement devrait avant tout être « un processus davantage qu’une cible » et que les définitions vont nécessairement varier d’un contexte à l’autre194. L’UNESCO soutient que les gouvernements doivent investir dans l’éducation pour favoriser le développement, en se basant sur diverses études microéconomiques et macroéconomiques 193 194

L’évolution de la technologie de l’éducation dans notre société, John Daniel, UNESCO, 2004, p.3 - goo.gl/qNo2Ho Le développement? Quel développement?, Danielle Paquette, TÉLUQ, 1994

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démontrant des effets positifs sur les plans économique et social195. L’organisation allègue qu’il y a un lien clairement établi entre la qualité de l’éducation et le PIB d’un pays. Des efforts, variables mais bien réels, sont déployés dans les pays moins bien nantis pour stimuler l’éducation, généralement dans l’intention de favoriser la modernisation et de former la maind’œuvre qui l’appuiera. Dans plusieurs cas, un transfert de connaissances s’opère des pays riches vers les pays pauvres. Pour Danielle Paquette, si ce type de transfert peut effectivement contribuer positivement au développement social et économique, si notamment il est bien intégré, le plus souvent « ce transfert ressemble plutôt à une transplantation à caractère néocolonial196 ». L’auteure rappelle l’importance de concevoir les projets de formation avec les populations locales. Michel Trucano estime lui aussi que les projets de formation doivent s’ancrer dans la culture des communautés auxquelles ils s’adressent et que la mise en contexte avec la réalité locale est essentielle197. Il ajoute que les contenus doivent préalablement faire l’objet d’une appropriation par les enseignants. Ces réflexions sont par ailleurs pertinentes dans tous les types de contexte, y compris dans le cadre d’une offre de cours dans les pays industrialisés lorsqu’ils s’adressent à une communauté précise. Pour Danielle Paquette, qui s’appuie sur les propos de Robert Chambers198, il est possible de favoriser un développement endogène sur d’autres bases en s’inspirant de la culture d’un territoire et en mettant de l’avant une approche participative. L’idée est de « donner la primauté à l'action, [de] ne pas attendre que les problèmes soient résolus [et] les obstacles enlevés pour agir; des actions modestes peuvent être très utiles et en entraîner d'autres199 ». Ainsi, le développement d’un territoire donné peut devenir un processus s’appuyant sur des orientations qui reflètent les aspirations du milieu.

195

Transforming Education:The Power of ICT Policies, UNESCO, 2011 - goo.gl/DngQl4 Le développement? Quel développement?, Danielle Paquette, TÉLUQ, 1994 197 A few myths and misconceptions about digital teaching and learning materials in Africa, Michel Trucano, Edutech, septembre 2013, goo.gl/PJp2gF 198 Développement rural. La pauvreté cachée, Robert Chambers, 1990, Karthala et CTA - goo.gl/xb4g2f 199 Le développement? Quel développement?, Danielle Paquette, TÉLUQ, 1994 196

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L’ÉCONOMIE DU SAVOIR Le discours dominant s’appuie sur le concept d’économie du savoir. Pour l’OCDE, la croissance économique d’un pays est de plus en plus liée à sa gestion des savoirs, de l’information et des TIC et à sa capacité de générer de l’innovation200. À noter qu’on entend ici l’expression « innovation » comme un processus visant à stimuler la performance économique : « ajouts ou améliorations apportés à des produits existants, application d’une technologie à de nouveaux marchés, ou encore utilisation de nouvelles technologies pour alimenter des marchés existants201 ». Ces approches s’insèrent dans ce que l’OCDE appelle des « systèmes nationaux d’innovation ». Pour Éric Martin, auteur de l’essai « Université Inc. », on assiste à un glissement qui détourne les finalités mêmes de l’éducation et qui se manifeste entre autres par l’intrusion des intérêts privés, par le transfert du fardeau financier sur l’individu, dans la définition du contenu des formations et par le déploiement de mécanismes d’évaluation. « Selon l’idéal démocratique moderne, l’éducation devait former des individus raisonnables en leur transmettant un patrimoine culturel et scientifique humain. Sa finalité était d’élever l’esprit des étudiant-e-s jusqu’à la pensée autonome. Cette mission est détruite lorsque la culture est expulsée de l’université par les laboratoires d’innovation technoscientifique, par des gouvernements qui ne voient en cette institution qu’un maillon du système scientifique et du système national de R&D202. » Ceci constitue un réel danger menaçant la mission fondamentale historique des universités et peut aussi représenter une influence majeure pour tous types de projets de formation élaborés en marge des institutions, ces derniers jouissant néanmoins d’une plus grande liberté et pouvant faire l’objet d’une plus grande appropriation par les groupes auxquels ils s’adressent. Ceci dit, il importe de prendre conscience du changement de paradigme vers une économie du savoir et d’en saisir les impacts et possibilités car il est vrai que notre société est transformée en profondeur, entre autres par l’intrusion des TIC, et que l’information y occupe une place plus

200

L’économie fondée sur le savoir, OCDE, 1996, goo.gl/sbndmn Ibid. p. 15 202 L’université québécoise toujours à vendre, Éric Martin, IRIS, août 2013, goo.gl/xNnUmG 201

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importante que jamais. La compréhension de ces dynamiques et une meilleure maîtrise de ces rouages deviennent des atouts majeurs pour les communautés qui souhaitent prendre en charge leur propre développement et mettre en branle des innovations et transformations sociales.

DÉFINIR LES ORIENTATIONS Quand vient le temps pour une communauté de définir les orientations précises sur lesquelles s’appuyer pour tout projet de développement, plusieurs influences entreront en jeu, dont les impératifs découlant des dynamiques extraterritoriales ainsi que la nécessité de répondre à des besoins territoriaux urgents. Aussi, la conciliation des différents intérêts se manifestant dans un milieu représentera un défi de taille. Jean‑Pierre Olivier de Sardan nous invite justement à sortir du débat sur le développement et la croissance et à considérer d’abord tout projet de développement comme un enjeu qui implique divers acteurs ayant des objectifs variés et des règles différentes, comme « un système de ressources et d'opportunités que chacun tente de s'approprier à sa manière203 ». Des groupes confrontent ainsi leurs visions, portés par des intérêts parfois difficilement compatibles ̶ ̶ du moins en apparence. « Le produit de cet affrontement plus ou moins feutré, de cette négociation plus ou moins informelle, ce n'est rien d'autre que ce que devient une opération de développement en pratique, c'est‑à‑dire quelque chose d'imprévisible204 ». Pour comprendre les jeux politiques qui se dessinent, il sera donc important de dégager les grandes approches idéologiques, mais aussi les « représentations sociales » des uns et des autres. Outre le défi de mobiliser les milieux se pose donc celui de concilier les différents intérêts et de faire cohabiter les différentes visions, ce qui peut se faire entre autres par des mécanismes d’animation et de médiation. L’idée est de contribuer à faire émerger ce que certains, dont Julien Mahoudeau, appellent l’intelligence territoriale, un « processus […] initié par des acteurs

203

Le développement comme champ politique local, Jean‑Pierre Olivier de Sardan, Bulletin de l'APAD, 1993 - goo.gl/HK7Yfi 204 Ibid.

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locaux physiquement présents et/ou distants qui s’approprient les ressources d’un espace en mobilisant puis en transformant l’énergie du système territorial en capacité de projet205 ». Pour Yann Bertacchini, l’émergence d’une intelligence territoriale, en tant que processus de communication qui contribue à constituer le « capital formel206 » d’un groupe donné, est une condition préalable à l’élaboration de toute politique de développement. Il s’agit de réunir les conditions permettant de mettre en commun les ressources d’un territoire, de favoriser le transfert des compétences et de miser sur « la formation et la participation des acteurs locaux par la création d’une richesse collective et le partage des savoirs207 ». L’intention ici est justement de favoriser la coopération d’acteurs ne partageant pas les mêmes objectifs. La formation joue alors un rôle de premier plan, en permettant de partager les mêmes codes et références, de surmonter les idées préconçues, et en fournissant des occasions de médiation et de collaboration. Parmi les conditions facilitant l’émergence d’une intelligence territoriale, Bertacchini souligne la volonté des acteurs de collaborer et de partager, le crédit accordé aux informations partagées, la capacité de s’approprier ces informations et la reconnaissance mutuelle208. Et nous pourrions ajouter la création d’une identité territoriale. L’usage des TIC est tout indiqué dans ce type de processus, car il permet de mettre en place des mécanismes de veille, de collaboration et d’échange et il facilite l’identification des réseaux et compétences sur le territoire. Par ailleurs, ces mêmes TIC sont susceptibles de bouleverser la conception même du territoire, en permettant de mieux saisir les différentes échelles territoriales et en facilitant les collaborations extraterritoriales basées sur des intérêts partagés. Pour Yann Bertacchini, les TIC brouillent aussi les territoires géographiques et permettent l’émergence de « territoires virtualisés209 ». Julien Mahoudeau ajoute que le territoire, en tant qu’espace réel, est complété par l’espace numérique qui le représente. Les communautés

205

La communication culturelle hypermédia comme composante de l’intelligence territoriale, Julien Mahoudeau, juin 2007 206 Soit l’ensemble de règles et procédures communes 207 Entre information et processus de communication : intelligence territoriale, Yann Bertacchini, 2004 208 Ibid. 209 Ibid.

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doivent « apprendre à devenir producteurs de leur(s) image(s)210 ». Ces dynamiques font partie intégrante de la définition même de l’intelligence territoriale.

3.2. La formation comme outil de développement Pour le CSE, la formation est « un puissant catalyseur qui permet aux populations des régions de consacrer leurs talents au développement social, économique et culturel de leurs communautés ». Elle peut être vue comme une occasion de réfléchir aux dynamiques présentes sur un territoire, voire de repenser les interrelations des individus entre eux et avec les organismes et institutions. En outre, la formation peut ouvrir des portes pour aider à définir une vision du développement et à l’actualiser, à entretenir une intelligence collective pour mettre en œuvre cette vision et outiller les acteurs pour faciliter la réalisation des projets. Au-delà des activités ponctuelles de formation sur des éléments spécifiques, c’est une culture d’ouverture, de remise en question et de partage des connaissances que les territoires ruraux auraient avantage à implanter. L’intégration du numérique dans nos sociétés nous pousse aussi à porter un regard sur la vie en société, la gouvernance et les relations de pouvoir. Pour le Conseil national du numérique, nous avons l’occasion aujourd’hui développer notre capacité d’agir ensemble et de « co-créer la société à venir211 », à condition que ce processus soit empreint d’une réelle inclusion sociale (et on pourrait ajouter de confiance et de reconnaissance mutuelles). Les outils à notre disposition nous permettent de « susciter un renouveau de la vie collective212 » grâce à leur capacité à nous faire changer aisément d’échelle, à créer des réseaux collaboratifs, à rendre disponibles des données ouvertes sur lesquelles il est possible d’intervenir, bref à prendre davantage de pouvoir en tant que citoyens. Selon le Conseil, il est réaliste aujourd’hui de mettre en place des programmes de co-design des politiques publiques, de « faire émerger des solutions inédites

210

La communication culturelle hypermédia comme composante de l’intelligence territoriale, Julien Mahoudeau, juin 2007 211 Accès, Littératie, Médiations, Pouvoird’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, Conseil national du numérique de France, novembre 2013, p. 24 - goo.gl/P8f3p7 212 Ibid. p.49

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issues du terrain213 », d’insuffler de la créativité et de multiplier les points de vue. Au final, ce sont les projets qui en découlent qui gagneront en pertinence et en efficacité en plus de s’assurer de l’adhésion des populations ayant participé à leur élaboration. C’est donc une dynamique nouvelle qu’il est possible d’intégrer dans le développement des communautés, insufflée par un idéal d’inclusion et de collaboration et appuyée par une appropriation intelligente des TIC et par la mise en place d’un processus continu d’apprentissage, de partage des connaissances et de création des savoirs. Pour qu’une telle vision se réalise, le plus grand nombre possible d’individus doivent être en mesure de participer. Dans le paradigme d’une économie de production de masse, seule une petite élite a besoin d’une formation plus élevée, ce qui n’est plus le cas dans celui de l’économie du savoir, tel que le souligne l’UNESCO : « When knowledge is the key productive factor and products and services must meet a variety of customized needs, a high level of education and a different set of skills are required of a much larger number of people who will be both sophisticated users of information and be engaged inthe process of knowledge creation214. » Cette logique s’appliquerait aussi à la participation démocratique des citoyens dans leur milieu, qui requiert de la même manière un plus haut niveau de connaissances.

DÉVELOPPEMENT DU MONDE RURAL QUÉBÉCOIS Les communautés rurales sont confrontées à de nombreux défis, dont l’évolution démographique, la lutte aux changements climatiques, la précarité des services de proximité, la transformation de l’économie, etc. Les 152 municipalités considérées comme dévitalisées au Québec215 font face à un ensemble de facteurs qui les plongent dans ce qu’on peut appeler un cercle de dévitalisation, affirme le Groupe de travail sur les communautés dévitalisées en citant les travaux de Bernard Vachon.

213

Accès, Littératie, Médiations, Pouvoird’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, Conseil national du numérique de France, novembre 2013, p. 49 - goo.gl/P8f3p7 214 Transforming Education:The Power of ICT Policies, UNESCO, 2011, p.26 - goo.gl/DngQl4 215 Des communautés à revitaliser, Rapport du groupe de travail sur les communautés dévitalisées, 2010 - goo.gl/AWJ0hL

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Spirale de dévitalisation des communautés rurales. Source : Groupe de travail sur les communautés dévitalisées, inspiré des travaux de Bernard Vachon

En 2010, Solidarité rurale du Québec (SRQ) déposait un avis sur les enjeux liés à « l’occupation dynamique et durable des territoires » dans lequel on trouve d’intéressantes pistes de réflexion susceptibles d’alimenter les démarches d’élaboration des projets de développement rural. SRQ met aussi de l’avant l’importance du développement endogène et de la prise en charge au niveau local de la définition des objectifs de développement. « Développer les territoires signifie privilégier une approche qui leur est propre, qui renforce les capacités des communautés à innover, à prendre en charge leur développement durable pour saisir les perspectives de l’économie verte et du savoir216. » Sans renier l’importance d’un développement économique traditionnel qui reste indéniablement une clé pour le monde rural québécois, Solidarité rurale propose la mise en œuvre d’une approche territoriale de développement qui consiste d’abord en une « vision sociétale » qui fasse l’objet de la plus large adhésion possible et qui porte « sur la modulation des interventions gouvernementales pour tenir compte des caractéristiques locales et

216

Avis sur l’occupation des territoires - Pour un Québec fort de ses communautés, Solidarité rurale du Québec, juin 2010 - goo.gl/eESc20

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régionales, sur l’accompagnement du développement des territoires et sur l’incitation à l’innovation et à la mise en valeur des complémentarités territoriales217 ». Dans la même lignée, le Groupe de travail sur les municipalités dévitalisées se disait dans son rapport de 2010 « convaincu que les communautés ont la capacité d’assurer leur plein développement et que les facteurs qui garantiront leur vitalité se trouvent avant tout en leur sein218 ». Pour y arriver, différentes recommandations sont formulées par les auteurs du rapport, qui mettent l’accent entre autres sur l’importance de mieux diffuser l’information sur les outils et ressources disponibles ainsi que sur le rôle central que joue la formation; étant donné que la revitalisation est intimement liée à la capacité des élus à assumer pleinement leur rôle de leadership, un processus de formation s’avère essentiel en plus de présenter des occasions d’échange d’idées avec les autres acteurs. À cet égard, le groupe conseille d’encourager et de faciliter la participation aux formations déjà offertes, notamment par les regroupements municipaux219. SRQ, qui propose des formations aux agents de développement rural, insiste aussi dans son avis sur l’importance des efforts devant être consacrés à la recherche et à la formation pour renforcer les compétences des acteurs des communautés et pour faire émerger la capacité des milieux à prendre en charge leur développement. Une des recommandations de l’avis suggère de soutenir la diffusion des connaissances sur les territoires pour favoriser « l’émulation, les interactions et les partenariats220 ». L’organisation estime par ailleurs que la formation à distance, qu’il renomme « formation à proximité », permet de surmonter l’important frein que représente la distance géographique221. Le gouvernement québécois a récemment procédé au renouvellement de la Politique nationale de la ruralité (PNR). Cette troisième édition de la politique fixe les orientations de l’action gouvernementale en matière de ruralité pour les dix prochaines années. Les deux premières éditions ont été saluées par les acteurs du monde rural et ont permis l’émergence de nombreux projets porteurs tout en laissant une grande liberté aux municipalités régionales de comté 217

Avis sur l’occupation des territoires - Pour un Québec fort de ses communautés, Solidarité rurale du Québec, juin 2010 - goo.gl/eESc20 218 Des communautés à revitaliser, Rapport du groupe de travail sur les communautés dévitalisées, 2010 - goo.gl/AWJ0hL 219 Ibid. 220 Avis sur l’occupation des territoires - Pour un Québec fort de ses communautés, Solidarité rurale du Québec, juin 2010 - goo.gl/eESc20 221 Guide du passage à la proximité des services en milieu rural, Solidarité rurale du Québec, 2012, goo.gl/2Ee39b

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(MRC) dans leur application. Les qualités de la politique ont aussi été reconnues par l’OCDE : « Dans l’ensemble, le cas du Québec peut constituer un exemple pour les décideurs confrontés à des problèmes tels que l’éloignement, la dépendance des collectivités à l’égard des ressources naturelles et le développement des capacités dans les zones rurales222. » Parmi les avis déposés pour aiguiller le gouvernement dans l’élaboration de cette politique, la plupart223 ont mis l’accent sur l’importance du transfert des connaissances et des expertises acquises dans les communautés rurales, notamment celles issues des laboratoires ruraux224. La Fédération québécoise des municipalités rappelle aussi les effets positifs de l’offre de formation sur l’attractivité d’un territoire ainsi que l’importance d’offrir des formations aux élus, aux directeurs généraux de même qu’aux agents ruraux pour les aider à faire face aux « énormes défis » auxquels ils sont confrontés. « La formation continue est essentielle pour rester proactif, être au fait des meilleures pratiques et outils pour bien accompagner les milieux dans leur démarche de développement. Un agent de développement rural a un profil de compétences particulier d’animateur pour stimuler les milieux et les mettre en action225. » Dans son avis, SRQ recommande de faciliter l’innovation, la démocratisation des savoirs et des formations « en soutien au développement de la ruralité » à tous les acteurs du monde rural226. Le groupe de travail sur la PNR3 affirme quant à lui que « le transfert et le partage des expertises sont essentiels pour que les milieux s’inspirent les uns des autres et se soutiennent mutuellement227 ». Le gouvernement a répondu à ces préoccupations dans la politique dévoilée en décembre 2013 en accordant une place importante au transfert d’expertise et à la formation. On peut y lire que le gouvernement souhaite élargir l’accès aux formations déjà offertes aux agents par SRQ, diffuser l’expertise issue des laboratoires ruraux « dont le Québec pourra s’inspirer encore 222

Examens de l'OCDE des politiques rurales: Québec, Canada, OCDE, 2010 - goo.gl/vzgmnx Unions des municipalités du Québec (avis : goo.gl/aQIjCO) , la Fédération québécoise des municipalités (avis : goo.gl/jXCYQk) , Solidarité rurale du Québec (avis : goo.gl/jdd4n1), Association des Centres locaux de développement (avis : goo.gl/jv4rSO) et le groupe de travail sur la PNR3. 224 Les laboratoires ruraux, financés par la Politique nationale de la ruralité, représentaient « 33 expériences approfondies de développement dans des champs d’activité peu étudiés et représentant des voies d’avenir pour les collectivités rurales ». Détails : goo.gl/S7jv0I 225 On voit loin pour notre monde, Fédération québécoise des municipalités, février 2013, p. 13 - goo.gl/jXCYQk 226 Ensemble, façonnons une nouvelle phase du développement de la ruralité, Solidarité rurale du Québec, mars 2013, p. 58 - goo.gl/jdd4n1 227 Rapport du groupe de travail sur la PNR3, Groupe de travail sur la PNR3, automne 2013, non disponible en ligne 223

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longtemps » et favoriser le développement de connaissances stratégiques afin de « veiller à ce que l’intervention du gouvernement, comme celle des milieux, soit bien en phase avec les possibilités qui émergent228 ». Dans le cadre de la PNR, le gouvernement souhaite par ailleurs développer une plateforme numérique pour répondre à ces ambitions, pour faciliter l’accès aux connaissances, pour diffuser des webinaires229 et pour permettre la mise en place de communautés de pratiques. L’objectif visé est « d’assurer le dynamisme de la Politique et d’encourager l’innovation par ceux qui entreprennent le développement230 ». De manière générale, cette Politique mise sur la décentralisation, la modulation et la prise en charge locale du développement territorial à l’échelle des municipalités régionales de comté (MRC). On le voit, la formation, le partage des connaissances et la co-création des savoirs peuvent jouer un rôle important dans le développement des communautés, que ce soit par le développement des compétences, la mise en commun des ressources ou la collaboration. Il s’agit d’outils essentiels pour habiliter les leaders, favoriser la participation citoyenne et permettre l’émergence d’idées innovantes. L’instauration de pratiques de formation continue dans les communautés rurales est susceptible de transformer les dynamiques sociales et les pratiques de gouvernance et de stimuler le dynamisme d’un milieu. Les liens avec les universités, dont il sera question plus tard dans le document, peuvent aussi jouer un rôle moteur majeur. Par ailleurs, on peut penser qu’une communauté qui mise sur l’apprentissage collaboratif et qui intègre cette approche dans sa culture devient un milieu plus attractif et présentant un meilleur potentiel de rétention. Plusieurs acteurs du monde rural reconnaissent l’importance de développer la formation et les projets de transfert d’expertise, une prise de conscience qui n’est pas nouvelle mais qui prend de l’ampleur. Cette volonté des acteurs sur le terrain, des universités et des organisations nationales, couplée aux possibilités offertes par les TIC et aux portes ouvertes par la PNR3, nous permet de croire que le domaine de la formation à distance connaîtra un bel essor dans le 228

Politique nationale de la ruralité 2014-2024, une approche intersectorielle pour agir ensemble au sein de la MRC, MAMROT, décembre 2013 - goo.gl/FdauWR 229 Webinaire est un néologisme associant les mots Web et séminaire, créé pour désigner toutes les formes de réunions interactives de type séminaire faite via Internet généralement dans un but de travail collaboratif ou d'enseignement à distance. Source : Wikipedia (goo.gl/2y94Uc) 230 Politique nationale de la ruralité 2014-2024, une approche intersectorielle pour agir ensemble au sein de la MRC, MAMROT, décembre 2013 - goo.gl/FdauWR

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monde rural au cours des prochaines années. Quand on connaît la convivialité, la créativité et le dynamisme de la ruralité québécoise, on peut penser qu’il s’agira d’un terreau fertile pour les expérimentations et les innovations dans ce domaine.

4. Accroître l’offre de formation dans le monde rural 4.1.

Le cas de Saint-Camille

Si les communautés rurales ont avantage à développer et entretenir une certaine culture de l’apprentissage et du partage des savoirs, certaines sont déjà actives sur ce point et font de l’apprentissage une valeur qui soutient leur développement. C’est le cas du village de SaintCamille, en Estrie. Saint-Camille est une petite communauté composée d’à peine 500 habitants. Depuis longtemps, ce milieu est reconnu pour son dynamisme communautaire et culturel. La population s’est mobilisée autour de divers enjeux, en particulier ceux posés par la décroissance démographique, une tendance lourde que les habitants ont su renverser. Au cœur du village, un ancien magasin général a été converti en centre communautaire et espace de diffusion artistique, le P’tit bonheur. Ce lieu est devenu un espace de rencontre et un incubateur de projets qui contribue fortement au dynamisme du territoire. Ces dernières années, un objectif d’accroissement démographique de 10 % en dix ans a été atteint et même dépassé, entre autres grâce à la mise sur pied d’un projet domiciliaire novateur sous forme de coopérative qui a permis l’établissement de vingt-quatre nouvelles familles sur le territoire. Pour Bernard Cassen, ce village mise avant tout sur son intelligence collective. « Si l’on voulait conceptualiser leurs idées-forces, on parlerait de cohésion sociale, territoriale et surtout intergénérationnelle; de développement durable; de relocalisation de l’économie; d’éducation

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populaire; de démocratie participative; de capacité permanente d’innovation et de créativité; de priorité à la culture; d’internationalisme...231 ».

UNE CULTURE DE L’APPRENTISSAGE Pour la communauté de Saint-Camille, tout comme pour d’autres villages du Québec, la réflexion, la collaboration et le partage des connaissances ont toujours occupé une place centrale dans les démarches de développement territorial. La préservation de l’école primaire, une des premières à être devenue une École éloignée en réseau, est toujours restée au cœur de la mobilisation de la population. Un Centre d’interprétation du milieu rural (CIMR) a par ailleurs été créé dans l’objectif de faciliter la circulation des informations stratégiques, la gestion des savoirs et la formation continue. Cet extrait du livre « Saint-Camille, le pari de la convivialité », de Jocelyne Béique, illustre bien le contexte qui a mené à l’émergence de cette initiative : « C’est à la suite de différents événements, dont la crise des bureaux de poste, que commença à germer l’idée de mettre sur pied un centre où on pourrait réaliser des activités de recherche sur le développement local. Surmonter une crise est terriblement exigeant et angoissant. Avant d’en arriver là, il est de loin préférable de prévenir. Mais comment procéder? Par une bonne gestion des savoirs, des moyens de communication efficaces et l’accessibilité à de la formation continue232. » Un microprogramme universitaire en éthique appliquée destiné aux acteurs du milieu est offert au P’tit bonheur au début des années 2000. Divers projets structurants ont d’ailleurs été initiés lors de ce cours, dont un projet d’agriculture biologique de proximité, qui est encore actif aujourd’hui. Comme le souligne Caroline Dufresne, « cette formation a été identifiée par plusieurs comme une étincelle qui a ravivé la flamme, un des moments phares en matière de développement local à Saint-Camille233. » Selon l’auteure, au-delà des apprentissages théoriques, le projet a notamment ouvert un espace de discussion favorisant « la création du

231

UN VILLAGE-MONDE AU QUÉBEC - Longue vie à Saint-Camille !, Bernard Cassen, Le Monde diplomatique, août 2006 - goo.gl/QmKteI 232 Saint-Camille, le pari de la convivialité, Jocelyne Béique, Éditions Écosociété, 2011, p. 71 233 Une communauté apprenante, innovante et solidaire, Un modèle porteur de développement rural, Caroline Dufresne, mai 2012, p. 33 - goo.gl/gd4YUY

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langage commun permettant d’identifier, de nommer et de régler les conflits à l’interne de la communauté234 ». Outre cette formation plus officielle, la communauté se place dans un état d’apprentissage continu, par le biais de conférences et colloques thématiques qui se déroulent dans la municipalité et grâce à des veilles documentaires. Cette quête de savoirs est accompagnée d’une volonté de diffusion et de partage. Un projet visant l’accompagnement des villages estriens souhaitant stimuler leur croissance démographique, Inode Estrie, est issu des activités du CIMR. Cette initiative mise sur le réseautage, le transfert d’expertise et l’animation pour stimuler le développement des capacités organisationnelles des municipalités. En 2008, le conseil municipal adopte un plan stratégique de développement qui définit la municipalité comme étant « une communauté accueillante, apprenante, innovante et solidaire ». L’apprentissage y est donc vu comme un des piliers stratégiques du développement. Une des orientations mises de l’avant dans ce plan mentionne l’importance de « favoriser la mobilisation citoyenne pour le maintien et le développement de services, d’apprentissages et de formations continues contribuant ainsi à la revitalisation de la communauté235 ». Notons que ce plan de développement stratégique avait initialement été conçu dans le cadre du microprogramme d’éthique appliquée. En 2012, dans le cadre d’un « laboratoire rural », une initiative découlant de la Politique nationale de la ruralité, la communauté a été invitée à définir et diffuser le modèle de développement camillois. Plutôt que de retenir le concept de modèle, la communauté a préféré illustrer celui de développement par l’analogie à une recette, c’est-à-dire à un processus malléable qui peut varier selon les contextes et les enjeux. Ce laboratoire a donc été une occasion d’identifier et de définir les quatorze « ingrédients » du développement, dont trois se sont démarqués comme ayant une importance centrale : l’apprentissage, la solidarité et

234

Une communauté apprenante, innovante et solidaire, Un modèle porteur de développement rural, Caroline Dufresne, mai 2012, p. 33 - goo.gl/gd4YUY 235 PLAN STRATÉGIQUE POUR UN DÉVELOPPEMENT DURABLE À SAINT-CAMILLE, Municipalité du Canton de SaintCamille, 2008, p. 7 - goo.gl/g7Vt8m

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l’innovation236. Dans le document issu de cette démarche de réflexion, on résume ainsi l’importance de l’apprentissage : « On peut dire d’une communauté qu’elle apprend lorsqu’elle parvient à intégrer les leçons tirées d’expériences passées, qu’elles aient été des succès ou des échecs. Il semble également que les communautés apprenantes sont celles qui peuvent s’adapter à leur environnement, aux changements sociaux, économiques, environnementaux et technologiques, et qui réussissent à tirer leur épingle du jeu sans se dévitaliser. L’apprentissage est un processus, donc en mouvement constant, qui permet à l’innovation (sociale, économique, territoriale, etc.) de se manifester237. » L’apprentissage favoriserait donc l’échange, la mise en commun des idées et, comme le souligne Jocelyne Béique, il permet de « rester stimulés, d’évoluer vers demain ou parfaire des stratégies238. » Dans le bilan du laboratoire rural, Caroline Dufresne souligne aussi l’effet structurant de la capacité d’une communauté à travailler de concert vers des objectifs communs. Elle cite à cet égard Bernard Vachon : « Sans conteste, la formation joue un rôle des plus importants dans le processus de développement des collectivités en neutralisant la résistance au changement, à l'innovation. À cet égard, l'innovation la plus urgente est sans doute celle qui touche les actions de formation239. » Le document met l’accent sur certaines conditions préalables à l’apprentissage, dont la volonté de se donner du temps et la qualité du dialogue.

236

Les autres ingrédients sont le territoire, le leadership (individuel, partagé, collectif), la vision et la culture, le lieu de rencontre, la gouvernance, les réseaux, les technologies de l’information, le fait de prendre le temps ainsi que le volontariat et l’intelligence collective. 237 Une communauté apprenante, innovante et solidaire, Un modèle porteur de développement rural, Caroline Dufresne, mai 2012, p. 77 - goo.gl/gd4YUY 238 Saint-Camille, le pari de la convivialité, Jocelyne Béique, Éditions Écosociété, 2011, p. 81. 239 Le développement local intégré : une approche humaniste, économique et écologique du développement des communautés locales, discours prononcé par Bernard Vachon lors d’un dîner-conférence au Carrefour de relance de l’économie et de l’emploi du centre de Québec et de Vanier, 2001.

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LES ATELIERS DES SAVOIRS PARTAGÉS En 2013, la communauté de Saint-Camille, en collaboration avec le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), a mis sur pied un projet de formation appelé les Ateliers des savoirs partagés, « des occasions d’apprentissages, d’échanges et de discussions entre des chercheurs et des citoyens de Saint-Camille, qui sont également des acteurs terrain impliqués dans différents organismes de développement de la communauté240. » Le projet, financé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), vise à : « Consolider l’expérience de Saint-Camille par une appropriation, une systématisation et un élargissement de la réflexion sur cette expérience et sur les perspectives qui en découlent pour la communauté. Dès lors, il s’agit d’outiller les acteurs pour pérenniser et approfondir cette action amorcée il y a plus de 20 ans et créer les conditions pour qu’émergent de nouveaux animateurs et promoteurs locaux241. »

Capture d’écran du site des Ateliers des savoirs partagés, recitsrecettes.org/ateliers

240 241

Voir le site du projet : goo.gl/PSR6c Document de présentation du projet des Ateliers des savoirs partagés, août 2012, p. 1 - goo.gl/KW1mpb

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Durant la première année, cinq enjeux liés au développement territorial ont été abordés dans le cadre de rencontres ouvertes à la population242. Des captations vidéo de ces rencontres ainsi que des documents de référence sont disponibles en libre accès à partir d’un site Web243. Une visite du Centre Saint-Pierre à Montréal a été ajoutée au calendrier, permettant ainsi des discussions constructives à propos du développement d’une offre de formation. De plus, les échanges entre les chercheurs et les acteurs terrain ont mené à des collaborations dans le cadre de l’URQ 2013. Pour la deuxième année du projet ont été lancés quatre chantiers portant sur des thématiques récurrentes ayant émergé des premières rencontres : •

Développement des ressources naturelles intégré à l'économie territoriale

Gouvernance et leadership

Cohésion sociale et inclusion

Mémoire, reconnaissance et qualité de vie

Quatre ateliers, qui seront une fois de plus animés conjointement par des acteurs terrain et sept professeurs-chercheurs associés au CRISES, s’insèreront dans le calendrier de ces chantiers. Le projet se conclura à l’automne 2014 par un forum régional. Ce projet est original tant par sa forme et son contenu que par son approche pédagogique. Même s’il reste perfectible à divers égards, il peut constituer une base de réflexion intéressante pour de futurs projets de formation autant à Saint-Camille que dans d’autres villages. Le nom du projet illustre la volonté d’ouvrir des « espaces d’apprentissages mutuels244 » qui répondent autant à des objectifs d’échanges entre les participants ou entre les acteurs terrain et les chercheurs, qu’à des objectifs davantage liés aux intérêts mêmes des chercheurs. Ceux-ci souhaitent entre autres alimenter leurs réflexions à partir de contextes réels et renforcer le maillage entre la théorie et la pratique. Les objectifs des uns et des autres sont parfois difficiles 242

La mobilisation sociale et le développement territorial; La culture : sentiment d’appartenance, identité territoriale et apprentissage; Le leadership partagé et le développement d’une vision; La gouvernance, la cohésion sociale et la participation; Le développement intégré en milieu rural; Développement d’une communauté apprenante, formation et développement de la relève. 243 recitsrecettes.org/ateliers 244 Document de présentation du projet des Ateliers des savoirs partagés, août 2012, p. 4 - goo.gl/KW1mpb

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à concilier, et la première année du projet a donné lieu à diverses discussions visant à préciser les intentions des uns et des autres ainsi que les processus y menant. Les personnes impliquées dans l’organisation du projet se sont laissées une certaine marge de manœuvre permettant d’explorer différentes avenues quant à la forme et aux méthodes d’animation, ce qui a probablement permis de contribuer au climat de convivialité qui a caractérisé cette première année du projet. Le déroulement des rencontres et le type d’animation a varié d’un atelier à l’autre en fonction des personnes impliquées et des thématiques abordées. À titre d’exemple, la technique d’animation du « Word café » a été utilisée pour l’une des journées, ce qui a par ailleurs été apprécié des participants. D’une manière générale, beaucoup de place a été laissée aux participants, dont le nombre variait entre 15 et 30. Des présentations de projets et de cadres théoriques sont venues ponctuer et alimenter les rencontres. Des synthèses, réalisées à la fois par un chercheur et un participant, ont complété les rencontres. À noter qu’une mise en contexte dans laquelle des enfants de l’école primaire ont tenté de définir le sujet abordé a ouvert chacune des rencontres, ce qui a dû, encore ici, contribuer à l’instauration d’un climat de convivialité. Les professeurs ont davantage joué un rôle d’animation, se contentant par moments de recentrer le débat à l’aide de questions clés ou de mettre en évidence certains éléments par des observations sur les commentaires exprimés. Ce type d’approche pédagogique, inspiré du socioconstructiviste et centré sur les apprenants, a permis l’émergence de réflexions stimulantes et a créé un climat propice au partage des savoirs, rejoignant ainsi en bonne partie les intentions initiales. Les organisateurs ont parlé de leur côté d’une « pédagogie de la rencontre ».

RETOMBÉES DES ATELIERS Il reste que les retombées concrètes d’un tel projet, tant pour les acteurs locaux que pour les chercheurs, restent difficiles à identifier et à évaluer. À cet égard, rappelons que la deuxième année du projet s’articule en fonction des préoccupations exprimées lors de l’an un. Il sera sans doute plus pertinent d’évaluer les retombées du processus dans son ensemble. À ce stade-ci mentionnons tout de même que des acquis ont certes été réalisés chez les participants quant à

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leur capacité de mieux saisir la réalité du milieu et les projets qui s’y déroulent, ou encore pour mieux articuler un regard critique sur les stratégies d’action. Les échanges entre participants auront certainement permis de prendre une distance bénéfique face aux organismes du milieu et de réfléchir aux stratégies d’action. Au début de la saison, des échanges valorisant les efforts des dernières années ont possiblement contribué à resserrer les liens et à construire une image positive de la communauté, bien que certains participants aient manifesté un inconfort devant ce type de discussion, préférant concentrer les efforts sur les projets à venir, ce qui s’est d’ailleurs concrétisé dans les ateliers suivants. Seul l’avenir le dira, mais il ne serait pas étonnant de voir des projets porteurs et structurants émerger de cette démarche, ce qui constitue en soi une retombée considérable. Lors d’une rencontre-bilan qui s’est déroulée en juin 2013, les chercheurs ont mentionné que ces ateliers leur ont permis de mieux saisir la réalité de Saint-Camille et de réfléchir aux méthodes d’enseignement à privilégier dans ce type de contexte. Ils ont avoué avoir eu certaines difficultés à « se situer » dans le cadre de la démarche et regrettent d’être « restés en surface » pour certains sujets abordés. Les types de dynamique expérimentés ont été constructifs et propices à des échanges intéressants, davantage que si des présentations d’allure scolaire conventionnelles avaient été déployées mais, selon un des chercheurs, « la formule idéale pour transmettre la passion et l’expertise reste à trouver ». Tous s’entendent pour dire qu’il est difficile, surtout avec des groupes plus importants, d’éviter que les discussions ne s’éloignent du sujet abordé. L’animation dans ce type de rencontre représente un élément clé et il n’est pas toujours simple de trouver et de pratiquer les méthodes les plus efficaces. Ceci a tout de même créé des situations inattendues qui ont été riches et stimulantes. D’une manière générale, les chercheurs impliqués ont apprécié l’expérience, bien qu’ils estiment que leur expertise aurait pu être exploitée davantage et que l’articulation de liens entre la pratique et la théorie avant même le déroulement des ateliers aurait pu être bénéfique. Différents participants ont exprimé avoir apprécié ces rencontres d’abord parce qu’elles permettent de prendre un temps de réflexion. Les projets ont tendance à s’additionner et à s’enchaîner rapidement, disait l’un d’eux, et les occasions de prendre un recul sont rares. Ainsi,

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il devient difficile de remettre en contexte les projets et d’évaluer leurs évolutions, ce qu’ont toutefois permis les ateliers. Un des participants, lors d’une captation vidéo dans laquelle il était invité à tracer le bilan d’une activité, a affirmé que, selon lui, l’apprentissage continu permet d’analyser ce qui a été fait et d’acquérir « les outils nécessaires pour poursuivre ». Pour lui, la formation permet de « demeurer ouverts, de rester en avant et non à la remorque ». À cet effet, le regard extérieur des professeurs s’est révélé constructif pour plusieurs. Un autre participant mentionnait ne pas avoir l’impression d’avoir intégré de nouveaux éléments sur le plan des théories ou des idées, mais il estimait que ces rencontres ont permis de mettre en perspective des points de vue différents et d’élaborer des pistes d’action concrètes en lien avec certains enjeux. En outre, il estimait que le milieu ressortait plus fort et davantage en mesure d’entreprendre des actions concertées. Une telle remarque permet de mettre en évidence la valeur de l’apprentissage social et de la co-construction des savoirs : les acquis ne sont pas toujours théoriques au sens propre, mais ils viennent enrichir concrètement les perceptions et les capacités d’action collective.

UNE PARTICIPATION À ÉLARGIR Dans l’idéal, ce type de projet pourrait rejoindre encore davantage de personnes. Dans le cas de ces ateliers, un certain noyau de participants constitué d’individus activement impliqués dans la communauté a assisté à l’ensemble des ateliers. Il s’agit d’un groupe ayant une grande capacité d’influence sur l’avenir du milieu. Dans ce cas-ci, on peut dire que la formation rejoint une masse critique et qu’elle est ainsi susceptible d’avoir un réel impact positif. Mais il reste que d’autres gens ayant potentiellement une influence positive sur le milieu n’ont pu être présents, parfois par manque de temps ou par manque d’intérêt. En réalité, l’ensemble de la population gagnerait à développer une capacité de compréhension et d’analyse critique des enjeux et des capacités d’action. La formation n’est certes pas le seul moyen d’y parvenir, mais elle y contribue assurément. Une démarche élargie et continue d’apprentissage collectif au sein d’une population aurait un effet structurant sur les dynamiques sociales, les pratiques de

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gouvernance et le développement territorial. Ceci contribuerait aussi à surmonter un défi de taille, celui de la relève dans les organismes. Plusieurs défis se posent si on souhaite élargir une telle démarche d’apprentissage, et on peut penser en premier lieu à la culture et au type de langage qu’on retrouve dans ces ateliers. En effet, le seul titre des ateliers, par exemple « Le développement intégré en milieu rural », peut laisser entrevoir des notions complexes. Ceci peut-il représenter un frein, par exemple, pour une personne peu scolarisée? Comme on l’a vu plus haut, il est démontré que les individus qui n’ont pas terminé leur scolarité de base sont moins enclins à vouloir bénéficier de la formation continue. Une participante présente lors du premier atelier a d’ailleurs avoué avoir ressenti un certain malaise face au niveau de langage utilisé, qu’elle a qualifié d’universitaire. Elle s’est exprimée lors de cette rencontre et a eu l’impression de ne pas avoir été bien comprise. Elle en a conclu qu’elle n’était « pas à sa place » et préféré ne pas revenir aux ateliers suivants. S’il s’agit d’un cas isolé qui découle possiblement d’un malentendu, cette situation porte à réflexion. Adopter une démarche plus inclusive permettrait sans doute à un plus grand nombre d’adhérer aux projets de développements mis en place dans leur milieu et d’y contribuer activement. D’un autre côté, il serait dommage que ce type de préoccupation mène à un nivellement vers le bas du niveau général de discussion. Ceci met en évidence l’importance de développer des approches de formation multiples et visant divers groupes et divers objectifs, en déployant des méthodes et stratégies adaptées, dans le cadre d’un continuum cohérent au terme duquel les apprenants arrivent ultimement à participer à un dialogue élargi. Il s’agit là bien sûr d’une démarche complexe et de longue haleine, mais réaliste. Cette question mériterait une réflexion plus élaborée. Mais en ce qui concerne les Ateliers des savoirs partagée, il ne s’agissait pas là d’un objectif. Mentionnons par ailleurs que la présence d’une vingtaine de participants, dans le cadre d’activités de formation de ce type, s’avère en soit un défi énorme dans un village de 500 habitants, un défi qui a été relevé avec succès.

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VERS DES ACTIVITÉS DE TRANSFERT Notons qu’un des objectifs corollaires du projet était de permettre à la communauté de SaintCamille de poursuivre la démarche de « systématisation des expériences » du milieu, qui avait été initiée dans le cadre du laboratoire rural, et d’en tirer des apprentissages permettant d’orienter les actions à venir. L’intention est aussi d’en arriver à permettre un éventuel transfert ou partage de connaissances avec d’autres milieux ruraux, par des activités d’accompagnement inspirées du modèle d’Inode Estrie ou par la mise sur pied de projets plus vastes de formation. L’idée d’une « académie de la ruralité » a été évoquée par les initiateurs du projet et présentée comme « une occasion de monter un projet à plus long terme pour faire de Saint-Camille un centre de formation et d’accompagnement sur la revitalisation territoriale en milieu rural245 ». Notons que la Coopérative de solidarité du Rang 13, responsable du projet domiciliaire du même nom, travaille présentement à l’élaboration d’un projet de transfert d’expertise et conçoit à cet égard un plan de formation, qui pourrait éventuellement être partiellement dispensée en ligne. Certains disent ressentir un malaise face à l’idée que des acteurs de Saint-Camille puissent se présenter dans d’autres communautés en prétendant connaître une recette de développement qui puisse s’appliquer ailleurs. D’abord, disent-ils, les projets de Saint-Camille ne sont pas sans faille, certains restent fragiles, et le contexte socioéconomique et démographique exige une mobilisation continue ainsi qu’une capacité d’adaptation. De plus, ce serait faire preuve d’un optimisme exagéré que de croire qu’une recette qui fonctionne dans un contexte donné puisse s’appliquer telle quelle dans un contexte différent, ne serait-ce que du point de vue des dynamiques internes. Ceci dit, le projet évoque davantage une démarche d’animation visant à créer des contextes propices au partage des savoirs et à la co-construction des connaissances que l’exportation d’un modèle. L’intention derrière le forum régional, à titre d’exemple, est celle d’un appel au dialogue et à la collaboration bien plus que de la relation de l’expérience vécue. L’enthousiasme des acteurs de ce projet nous permet de croire qu’il s’agit là d’une piste prometteuse.

245

Document de présentation du projet des Ateliers des savoirs partagés, août 2012, p9 - goo.gl/KW1mpb

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4.2. L’offre de formation dans le monde rural L’offre adéquate de formation postsecondaire dans le monde rural reste un enjeu majeur ayant une influence directe sur le dynamisme social et économique des régions. Si des efforts importants ont été déployés à travers les années pour développer et maintenir cette offre, notamment via le réseau public, une action soutenue de la part de l’État reste nécessaire. Récemment, cinq importantes organisations se sont d’ailleurs mobilisées pour demander conjointement au gouvernement de mettre en place « des actions concrètes », en particulier dans le cadre de prochaine Politique québécoise de la jeunesse. Place aux jeunes en région (PAJR), la Fédération des cégeps, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), le Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec (RCJEQ) et Solidarité rurale du Québec (SRQ) rappellent que « la disponibilité, la diversité et la qualité de l’offre de formation postsecondaire doivent être prises en considération et sont des facteurs essentiels qui contribuent à l’occupation du territoire246 ». Le déclin du nombre de jeunes dans les régions et les défis liés à l’emploi ont motivé la constitution de cette coalition. Les cégeps et universités jouent évidemment un rôle majeur dans le développement des régions. L’Université du Québec à Rimouski a développé une expertise dans le développement régional, ce domaine devenant même « un des axes majeurs de recherche de l'UQAR247 ». L’Université du Québec à Chicoutimi, qui offre des programmes en développement régional, va dans le même sens et affirme que « l’UQAC arrime le développement régional à chacun des créneaux d’excellence, car il s’agit d’une priorité pour l’institution248 ». De son côté, l’Université du Québec en Outaouais (UQO) a mis sur pied l’Observatoire en économie sociale, en développement régional, en organisation communautaire et en développement international249. L’Université de

246

UNE MOBILISATION POUR L’OFFRE, LA DIVERSITÉ ET LA QUALITÉ DE LA FORMATION POSTSECONDAIRE EN RÉGION, communiqué de presse conjoint, 5 février 2014 - goo.gl/87nqUI 247 Voir le site de l’UQAR : goo.gl/JgGBDL 248 Voir le site de l’UQAC : goo.gl/g9k0D5 249 Voir le site de l’Observatoire : goo.gl/KcttRV

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Sherbrooke a créé le Collectif de recherche en développement des communautés qui regroupe dix-huit chercheurs250. Rappelons aussi l’implication sur le territoire d’universités qui ne sont pas nécessairement basées en région, que ce doit par le biais de leurs services offerts aux collectivités, comme l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ou encore grâce à l’offre de diverses formations universitaires en ligne, notamment la TÉLUQ, l’Université Laval et l’Université de Montréal. Le dynamisme des régions est aussi intimement lié à l’offre d’une formation continue qui permet aux individus d’accroître leurs connaissances et compétences tout au long de leur vie, et aux communautés de mieux appréhender les enjeux qui les concernent et de développer des stratégies innovantes pour favoriser leur développement et leur épanouissement. Ceci peut aussi avoir un impact positif sur l’activité économique, sur l’accroissement de l’attractivité du territoire et, on peut le supposer, sur la cohésion sociale. Plusieurs acteurs sont impliqués au niveau de la formation sur mesure et de la formation continue, destinées spécifiquement ou indirectement aux communautés rurales. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération des municipalités du Québec (FQM) offrent par exemple des formations à leurs membres, dont certaines disponibles en ligne. Ces cours, ateliers et conférences sont destinés aux élus, gestionnaires et employés des municipalités; ils sont parfois disponibles pour les nonmembres moyennant des frais d’inscription plus élevés. Les sujets sont généralement pointus et en lien direct avec les besoins des acteurs ciblés : fiscalité municipale, consultations publiques, gestion des eaux usées, etc. Pour l’UMQ, ce type de service vise à « offrir de la formation continue portant sur les grands enjeux de l'actualité municipale, et ce, afin d'assurer un support efficace et pertinent ainsi que le développement des organisations municipales et de leurs représentants251. »

250 251

Voir goo.gl/TksGh9 Voir le site de l’UMQ : goo.gl/4031ys

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SRQ offre de son côté des formations destinées aux acteurs du monde rural québécois, en particulier aux agents de développement rural. Une formation annuelle intensive de trois jours est offerte annuellement. L’organisme, qui a développé une communauté de pratique disponible via son site Web, souhaite développer progressivement une offre de formation en ligne. Un premier cours entièrement en ligne sera disponible dans les prochains mois. Les Centres d’éducation populaires sont aussi bien actifs sur le territoire québécois, avec une offre de cours diversifiée allant de l’alphabétisation au développement personnel et un soutien aux organismes communautaires. Le Centre Saint-Pierre252 offre par ailleurs des cours directement en lien avec le développement des communautés, dont une formation sur mesure en « développement de projets territoriaux concertés » en collaboration avec le Réseau québécois de revitalisation intégré et la CDEC de Québec253. Communagir est quant à lui un organisme « dédié à l’avancement et à la réussite des pratiques de mobilisation et de développement des collectivités au Québec254 » qui offre des formations et services d’accompagnement dans le domaine du développement des communautés. Si les formations sont généralement en présentiel, l’organisme offre aussi des webinaires de courte durée qui « favorisent le perfectionnement, l’exploration et l’échange entre les participants de toutes les régions et de tous les réseaux du Québec255. » Le Cégep de Victoriaville, en collaboration avec Communagir, propose une formation en ligne nommée « Mobilisation et développement des communautés locales » qui « permet l'acquisition de compétences et d'outils pour mieux concilier développement, démarche de changement, et pouvoir d'agir des communautés256 ».

252

centrestpierre.org cdecdequebec.qc.ca 254 Voir le site de Communagir : goo.gl/MJrpSL 255 Voir le site de Communagir : goo.gl/vv3osC 256 Voir le site du Cégep de Victoriaville : goo.gl/kV3oqu 253

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D’autre acteurs encore sont actifs au niveau de l’animation de réseaux collaboratifs dans des secteurs précis (comme le Chantier de l’économie sociale257) ou sur un territoire donné (comme l’Observatoire estrien du développement des communautés258) et contribuent directement à la diffusion et à l’échange d’informations, que ce soit par leurs publications, des colloques ou des activités de réseautage. Sans faire de la formation continue leur mission première, ces organismes jouent un rôle essentiel dans le développement d’une culture de l’apprentissage et peuvent eux aussi contribuer à bonifier l’offre générale de formation dans le monde rural. Par ailleurs, notons la création récente d’un nouvel organisme de transfert et liaison, le TIESS (Territoires innovants en économie sociale et solidaire), dont la mission est « d’organiser le transfert des innovations émergeant de l’ESS en vue de favoriser le développement des territoires au Québec259 ». Le TIESS est composé de nombreuses organisations qui œuvrent dans ce domaine : centres de recherche et chaires, universités, cégeps, organisations de l’économie sociale, regroupements municipaux, etc. L’organisme souhaite éventuellement développer des outils de collaboration et de transfert, dont certains via Internet. Il faut au passage mentionner l’événement nommé Université rurale québécoise (URQ), qui se déroule une fois aux deux ans. L’URQ, créée par l’Université du Québec à Rimouski, se définit comme une « rencontre des chercheurs et des acteurs du développement rural qui savent que leurs connaissances comme leurs expériences ne peuvent s'enrichir que dans le dialogue des uns avec les autres, que théorie et pratique ne prennent vraiment sens que dans le croisement260 ». Concrètement, il s’agit d’une semaine intensive d’activités (découvertes de projets, conférences, rencontres informelles, etc) sur un territoire donné et réunissant plus de trois cents participants. La neuvième édition s’est déroulée en septembre 2013 dans trois MRC de l’Estrie261.

257

chantier.qc.ca oedc.qc.ca 259 Assemblée de fondation du TIESS, Chantier d’économie sociale, novembre 2013 - goo.gl/Td647i 260 Voir le site goo.gl/4lQteT 261 Voir le site : urq2013.ca 258

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Même s’il s’agit d’un événement ponctuel dont le lieu varie d’une édition à l’autre, la mobilisation autour de l’URQ dénote d’un bel intérêt pour les activités de partage de connaissances et constitue un riche réseau de collaborateurs. En parallèle, certaines organisations offrent des services de soutien technopédagogique pour accompagner les organismes dans le déploiement de formations à distance, c’est le cas de SAVIE (Société pour l'apprentissage à vie)262 et de SVI eSolutions263. Cette dernière propose notamment des services liés à une plateforme multimédia qu’elle a développée, nommée Via eLearning & eMeeting, qui permet entre autres l’ouverture de classes virtuelles. Ce bref portrait de l’offre de cours en milieu rural, que ce soit en présentiel, en ligne ou bimodal, et en lien plus ou moins direct avec le développement des communautés, ne se veut pas exhaustif, mais permet tout de même de démontrer que l’offre de formation est bel et bien présente sur le territoire. Elle ne répond cependant pas complètement à la demande. D’abord, ces cours ne sont pas toujours accessibles à l’ensemble de la population, étant réservés par exemple aux membres des associations, aux personnes qui occupent des emplois précis ou encore à ceux qui en ont les moyens. Des formations offertes dans le monde rural, qui auraient comme objectif de dynamiser les territoires ruraux et qui seraient accessibles à un plus grand nombre pourraient certainement répondre à un réel besoin. Ceci reste un objectif qui n’est pas simple à atteindre, notamment des points de vue organisationnel et financier. La FAD, en permettant de diminuer les coûts de production dans le cadre d’offres plus massives, s’avère une piste intéressante à explorer. La FAD permet par ailleurs de résoudre un problème lié à l’étendue du territoire en réduisant les distances et en élargissant les possibilités. Si des projets sont déjà amorcés en ce sens, ceux-ci ne répondent que partiellement à la demande et les solutions offertes sont parfois incomplètes. L’intérêt envers la formation continue et la FAD étant en croissance, l’écart entre l’offre et la demande est susceptible de s’accroître encore.

262 263

savie.qc.ca sviesolutions.com

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Ceci dit, entre la manifestation d’un intérêt, le développement de l’offre et la participation réelle d’une masse critique de participants, de nombreux défis se posent. La formation devra entre autres savoir piquer l’intérêt des participants, s’adapter à leurs besoins et être offerte par un organisme crédible. La participation d’enseignants et d’animateurs ayant une certaine notoriété dans le domaine peut aussi être prise en considération. Il ne faut pas oublier que les participants potentiels ont souvent des horaires chargés et qu’ils cherchent parfois à concilier plusieurs rôles, voire plusieurs occupations professionnelles. Dans ce contexte, une personne n’adhérera à une formation que si elle sent que cette activité peut avoir une certaine pertinence pour elle et pour son milieu. Or la FAD, en offrant une plus grande flexibilité à l’apprenant, s’avère ici aussi une piste intéressante à explorer. Il est possible de développer des formations plus personnalisées au niveau des contenus et des approches et qui permettent aux individus qui s’y inscrivent de suivre leur propre rythme.

4.3. Des pistes de réflexion Face à ces constats, on peut se demander s’il serait utile de développer une nouvelle « école de la ruralité », tel que proposé par exemple dans le cadre du projet des Ateliers des savoirs partagée, à partir de laquelle il serait possible de développer une nouvelle offre de formation destinée aux communautés rurales québécoises. Comme un certain nombre d’organismes impliqués sur le terrain offrent déjà des formations de toutes sortes, il faut cependant éviter de dédoubler les démarches ou de susciter des tensions entre les acteurs. Une telle école serait certainement pertinente, en autant que son champ d’action et que ses pratiques soient bien considérés et qu’une évaluation plus approfondie des réels besoins soit effectuée. Outre la formation conventionnelle, plusieurs pistes sont à explorer, comme il en sera question un peu plus loin. Par ailleurs, des démarches d’animation, de concertation et de soutien pédagogique et technopédagogique pourraient contribuer concrètement au déploiement de l’offre de formation et de divers projets visant le partage des connaissances et des expertises. Si les acteurs actuellement engagés dans cette démarche collaborent pour dynamiser l’offre, les résultats seraient sans doute très probants. Différentes collaborations existent déjà, que ce soit

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à travers des mobilisations visant à défendre des idées ou autour de projets structurants, mais ces collaborations pourraient certainement être bonifiées, en particulier dans le monde de la formation continue. La mise en commun des ressources et la mise en relation des divers réseaux deviendraient un avantage pour chacun des acteurs. À quelques exceptions près, ces organismes ne sont pas en compétition et ont des visées qui se rejoignent à différents niveaux.

DÉCLOISONNEMENT DES PRATIQUES Il existe de multiples manières de transmettre, d’échanger et de créer des savoirs et il faut souvent sortir du cadre conventionnel de la transmission académique pour trouver la forme la plus appropriée pour un contexte donné. Trouver la bonne formule et la bonne approche pédagogique implique entre autres une réflexion approfondie sur les besoins, les attentes et les profils de participants. Lorsqu’on parle des besoins dans le monde rural, on peut facilement évoquer la formation continue et la formation sur mesure pour répondre à des attentes précises, et déjà l’éventail des possibilités est vaste. On peut ajouter à ceci d’autres types de pratique qui mènent à des apprentissages concrets : les conférences, les colloques de tous genres, mais aussi les communautés de pratique, les laboratoires vivants, les activités de transfert d’expertise, les démarche d’accompagnement de milieu, le tutorat, et même les expériences novatrices en matière de gouvernance participative. En effet, dans tous les cas, on retrouve des dynamiques d’échange menant à l’acquisition et à la transformation des connaissances et, dans tous les cas, les participants sont susceptibles de développer leurs compétences et de dynamiser leur milieu. Ces pratiques ont plus souvent qu’autrement été envisagées de façon cloisonnée. Les différents outils pédagogiques et les possibilités offertes par les TIC nous amènent à réfléchir à un décloisonnement possible et souhaitable. L’élaboration de projets qui intègrent diverses pratiques, par des aller-retour entre formation et communauté de pratique, entre réseaux de tutorat et apprentissage social, entre accompagnement et laboratoire d’expérimentation par exemple, peuvent mener à de nouvelles formules d’apprentissage et de co-construction des connaissances. Il s’agit en réalité de mettre en place les conditions qui favorisent l’émergence d’une culture de l’apprentissage et la création de communautés apprenantes.

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Tout ceci sous-entend aussi la promotion d’une culture de la transparence et du libre partage des informations, une valeur qui gagne rapidement en popularité mais qui se heurte encore trop souvent à des méfiances qu’il faut aplanir. Une culture de la collaboration et de l’entraide est aussi essentielle, des valeurs qui sont déjà bien intégrées dans la vie rurale québécoise mais qui mériteraient qu’on y consacre encore quelques efforts dans certains secteurs. Nous pouvons croire que les frontières entre les pratiques deviendront de plus en plus fluides dans les années à venir, à l’image d’ailleurs des diverses autres sphères personnelles, sociales et professionnelles. Quand vient le temps de réfléchir à des projets qui stimuleraient l’offre de formation continue dans le monde rural, il faut aussi aborder cette question du décloisonnement, l’idée étant de trouver dans chaque situation un mélange d’approches qui soit pertinent en fonction du contexte. Il y a des avantages aux rencontres en personne et des situations où la collaboration en ligne est plus propice, et il faut savoir tirer le meilleur de chacun selon les besoins et circonstances. Ainsi, on voit émerger différents types de formation bimodale, dont les « classes inversées ». Il en va de même pour les différents types de pratique en formation et des différentes approches pédagogiques ou stratégies d’animation. Quand un atelier de formation deviendra une activité qui s’insère dans un continuum plus large incluant d’autres formes d’apprentissages, qu’ils soient autodidactes, dirigés ou sociaux, une réelle culture de l’apprentissage se développera et c’est possiblement dans cette optique qu’on peut réfléchir à la création d’une école de la ruralité. Les Ateliers des savoirs partagés nous montrent d’ailleurs comment un atelier de formation peut d’une part s’insérer dans une démarche collective plus vaste et, d’autre part, mener à un échange de connaissances et une co-construction de savoirs dans une perspective bien précise, dans ce cas-ci le développement territorial. La formation sert de prétexte au travail collaboratif et vice-versa. Cette dynamique est stimulée par le recours plus répandu aux TIC dans nos échanges. Gilbert Paquette croit que c’est l’ensemble du monde éducatif qui sera bousculé et transformé par les nouvelles pratiques qui émergent avec les TIC, incluant les formations en personne : « La classe en présence, branchée sur les réseaux, deviendra un mode particulier de téléapprentissage ou plutôt de l’apprentissage distribué, s’intégrant, souvent dans un même cours, à d’autres

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modèles de diffusion tels que l’autoformation sur le Web, l’enseignement en ligne, les communautés de pratique et les systèmes de soutien à la performance au travail264. » Ce type de réflexion s’applique bien au partage des savoirs en lien avec le développement territorial en général mais, de manière plus utopique peut-être, il pourrait possiblement s’appliquer à des projets de formation visant à accroître les compétences des adultes en littératie et en littératie numérique, ce qui s’avère à la fois un enjeu central pour le dynamisme des communautés rurales et une éventuelle porte d’entrée, pour une partie de la population, vers une participation plus active aux stratégies de développement territorial. La formation continue pour tous, peu importe le bagage scolaire initial, peut certainement devenir un important moteur stimulant la gouvernance participative et la cohésion sociale, ne serait-ce qu’en contribuant au dialogue et à la concertation dans un milieu donné.

VERS UNE MISE EN COMMUN DES RESSOURCES L’élaboration de formations à distance implique nécessairement des ressources importantes. Il s’agit de projets complexes qui comportent de multiples dimensions qui ne doivent pas être laissées au hasard. L’organisation logistique, le montage financier, l’élaboration du contenu, la conception du design pédagogique, les développements technologiques, la formation des formateurs, l’animation, les évaluations… Plusieurs opérations sont cruciales pour assurer une certaine qualité, demandant chacune des expertises particulières. À travers ces étapes, une démarche centrale reste ce qu’on appelle l’ingénierie pédagogique, ou : « [...] l’ensemble des principes, des procédures et des tâches qui permettent de définir le contenu d’une formation au moyen d’une identification structurelle des connaissances et des compétences visées, de réaliser une scénarisation pédagogique des activités d’un cours définissant le contexte d’utilisation et la structure des matériels

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INGENIERIE PEDAGOGIQUE POUR CONSTRUIRE L'APPRENTISSAGE EN RESEAU, Gilbert Paquette, Presses de l’Université du Québec, 2002, p. 10.

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d’apprentissage et, enfin, de définir les infrastructures, les ressources et les services nécessaires à la diffusion des cours et au maintien de leur qualité265. » Gilbert Paquette, qui propose cette définition, avance qu’il faut éviter de reproduire une technique souvent pratiquée en classe qui consiste à assembler des contenus sur du matériel de présentation. La FAD, dit-il, demande des efforts de coordination plus grands. Ceci a nécessairement un coût et, comme on l’a vu plus tôt, c’est lorsqu’elle atteint une certaine masse critique que la FAD permet d’abaisser les coûts. Mais est-il possible de réduire les coûts autrement, en développant des mécanismes d’élaboration de formations qui soient plus légers et qui impliquent moins de spécialistes? C’est sans doute possible, mais il reste toujours le danger de se retrouver avec une faiblesse au niveau d’une dimension précise, ce qui a un impact négatif sur la formation dans son ensemble. Un autre type d’économie possible se trouve au niveau de la réutilisation des outils, des gabarits de formation ou des objets d’apprentissage transférables d’un contexte à l’autre. Ceci demande une certains gymnastique, mais il s’agit d’une approche qui peut donner des résultats intéressants. Ce type de transfert, de réutilisation et de transformation peut se pratiquer à l’intérieur d’un même organisme ou d’une même institution, mais il est possible de le concevoir entre divers organismes partenaires. Ce type d’échange se pratique de plus en plus, même entre certaines universités, par exemple entre les universités francophones des pays en développement. Serait-il envisageable, pour le monde rural québécois, de développer une telle pratique d’échange et de mise en commun des ressources? Une piste à explorer serait la mise sur pied d’une plateforme technologique commune. Il est aujourd’hui envisageable de développer des outils Web de FAD qui soient efficaces, performants et flexibles à partir de logiciels libres tels que Moodle266. D’autres outils libres, comme Drupal267, permettent de développer des espaces collaboratifs modulables. Le développement d’une plateforme qui intègrerait les forces de ces deux familles de logiciels, les LMS (Learning management system) et CMS (Content

265

INGENIERIE PEDAGOGIQUE POUR CONSTRUIRE L'APPRENTISSAGE EN RESEAU, Gilbert Paquette, Presses de l’Université du Québec, 2002, p. 4. 266 moodle.org 267 drupal.org

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Management System), permettrait un vaste éventail de possibilités d’interactions et d’apprentissages en réseau. Chaque formation et communauté de pratique pourrait se voir allouer un espace réservé, personnalisé et adapté à des besoins spécifiques et les coûts globaux seraient diminués grâce au partage d’un outil commun soutenu par une même équipe technique. On voit d’ailleurs cette pratique dans l’offre de MOOC : différentes universités offrent des formations en passant par une même plateforme. Ce type d’outils se déploie dans ce cas-ci dans une logique marchande qui s’avère très rentable, mais des approches plus près de l’économie sociale sont envisageables. De la même manière, des ressources spécialisées dans différentes étapes de l’ingénierie pédagogique pourraient travailler de concert et intervenir avec différents partenaires. Évidemment, arriver à une telle solution demanderait préalablement un grand travail de concertation, mais un tel projet pourrait démarrer progressivement et s’élaborer à travers différentes phases. Une meilleure concertation permettrait aussi de développer une complémentarité et une meilleure cohérence entre les actions. En effet, il ne suffit pas que des formations de qualité soient accessibles en plus grand nombre pour que la population y adhère plus massivement. Telle est la réflexion de Denys Lamontagne, qui constate d’une part que l’offre de formations ouvertes s’est considérablement développée ces dernières années, mais que celles-ci ne sont pas pour autant aussi fréquentées qu’on pourrait l’espérer. Un individu seul arrive difficilement à s’y retrouver efficacement. À son avis, s’il faut continuer de bonifier l’offre, il faut en parallèle mettre sur pied des initiatives permettant de « qualifier toutes ces ressources, les organiser en des parcours cohérents, créer des communautés d’intérêt autour des sujets, assurer une orientation de base, offrir un système de support, créer un modèle de certification valable, gérer les qualifications et les « finissants »…268 ». Une meilleure concertation entre les acteurs contribuerait à rendre le tout plus cohérent tout en permettant d’identifier et de mettre en valeur ces ressources externes intéressantes et complémentaires qui se développent ici et là sur le Web. Ceci rejoint d’ailleurs une pratique qui

268

Apprendre par soi-même, mais pas tout seul et pas pour rien, Denys Lamontagne, Thot Cursus, novembre 2013 goo.gl/ZekZOt

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gagne en popularité sur le Web, nommée « curation de contenu », qui consiste justement à repérer dans la masse d’informations des éléments pertinents d’un point de vue donné. Il ne s’agit plus simplement d’agréger des contenus et de les accumuler, mais de les hiérarchiser, de les organiser et de leur donner un certain sens. Un travail collaboratif entre les organismes amènerait par ailleurs de meilleures prédispositions au travail en réseau et intersectoriel plutôt qu’en groupe restreint. Christine Vaufrey précise la distinction entre les deux approches, rappelant que les réseaux sont ouverts, décentralisés, non planifiés et qu’ils regroupent un nombre illimité de personnes. Dans divers contextes, les réseaux représenteraient des modes d’organisation et de communication plus efficaces que les groupes pour favoriser les apprentissages et le partage des connaissances. À partir d’une réflexion de Marcel Lebrun, elle avance que « toutes les compétences dont on nous rebat les oreilles : créativité, collaboration, capacité à apprendre tout au long de la vie... ne peuvent s'acquérir que dans un dispositif ouvert. Il faut donc que les établissements s'ouvrent au monde269 ». Les réseaux sociaux sont justement de plus en plus identifiés comme étant des outils ayant un certain potentiel pédagogique. La liste annuelle de Jane Hart présentant les cent outils technologiques les plus utilisés pour la formation, élaborée à partir d’un sondage réalisé auprès de 500 professionnels à travers 48 pays, place en 2013 Twitter en tête de liste270. Le réseau amène à penser les relations différemment, à accroître l’intelligence collective et à partager ouvertement les idées et les ressources. Anne Versailles écrit que l’apprentissage en réseau exige de « devenir fluide, de sortir des cases pré-établies, de s’inspirer des autres, de relier pour créer, de se diversifier, voire même de se disperser, et surtout d’être dans l’acceptation, la nuance et la relativité plutôt que dans le refus, la dichotomie et les certitudes271 ». Le développement d’une culture de l’apprentissage dans le monde rural québécois passera fort probablement par un décloisonnement des pratiques, une plus grande concertation, un partage

269

Travailler en groupe ou en réseau ?, Christine Vaufrey , Thot Cursus, mai 2013 - goo.gl/l6M30s Top 100 Tools for Learning 2013, Jane Hart, C4LPT resource, 2013 - goo.gl/4vuM1 271 Le réseau est l’outil idéal de la société de la connaissance, Anne Versailles, ITECO, date inconnue - goo.gl/Cjs4BC 270

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des ressources et des connaissances, un travail en réseau, beaucoup de créativité… et par une bonne dose de confiance et de convivialité.

90


Conclusion La FAD vit une rapide transformation depuis quelques années, stimulée entre autres par le renouvellement des pratiques pédagogiques, le recours plus systématique aux TIC ainsi qu’une redéfinition des besoins de la part des apprenants. Le contexte socioéconomique, les situations professionnelles et familiales ainsi qu’une plus grande valorisation de la formation continue et du partage des connaissances poussent de plus en plus d’individus à opter pour ce type d’apprentissage, que ce soit pour la formation initiale ou pour du perfectionnement. De nouvelles approches voient le jour et illustrent cette forte vitalité, comme en témoignent les MOOC, les projets de formation ouverte, les projets qui favorisent les dynamiques collaboratives. D’autres transformations sont à prévoir, alimentées notamment par l’apprentissage mobile, l’apprentissage social, les formations hybrides et les classes inversées. Il s’agit aujourd’hui de savoir tirer profit des divers modes d’apprentissage tout en conservant une flexibilité qui réponde aux attentes des apprenants et aux divers contextes. De nombreux défis persistent, dont les enjeux liés à l’inclusion numérique. De plus, le système d’éducation vit une période de transition susceptible de créer des tensions et de bousculer les dynamiques organisationnelles. Les questions relatives au financement restent elles aussi bien présentes. Par ailleurs, plus que jamais le « marché » de l’éducation s’est mondialisé, accentuant la compétition entre les institutions, mais laissant miroiter aussi de nouvelles perspectives de collaboration. Le monde rural québécois, avec les réalités géographiques, économiques et culturelles qui lui sont propres, pourrait profiter davantage des avenues offertes par la FAD, notamment pour élargir les compétences en littératie et en littératie numérique ainsi que pour stimuler le développement territorial. Une éventuelle école rurale bimodale, créée en partenariat avec les organismes déjà actif en formation dans le monde rural et qui déploierait des pratiques pédagogiques appropriées, pourrait contribuer au développement des compétences des leaders de la ruralité, faciliter la mobilisation des populations et aider à la formation de la relève. Par ailleurs, un tel projet pourrait créer de riches dynamiques de collaboration au sein des communautés et à l’échelle provinciale, voire dans la francophonie. Cela permettrait aussi de réfléchir à la manière dont les communautés rurales peuvent tirer profit des TIC, en instaurant

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par exemple des pratiques qui favorisent le partage des connaissances, la co-création des savoirs ainsi que l’émergence de nouvelles formes de gouvernance participative. À plusieurs égards, la formation peut constituer une fabuleuse porte d’entrée pour redéfinir les dynamiques territoriales. Comme le dit le CLIFAD, la FAD constitue « une source d'innovation dont la portée dépasse la sphère de l'éducation 272 ».

272

La formation à distance : une voie essentielle pour faire du Québec une société du savoir pour toutes et tous, CLIFAD, février 2013 - goo.gl/R7qtiZ

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Bibliographie TOUTES LES RÉFÉRENCES WEB ONT ÉTÉ VÉRIFIÉES EN JANVIER 2014 10 tendances technologiques pour les 5 prochaines années en éducation, Audrey Miller, Infobourg.com, octobre 2013 - goo.gl/sc7z15 A few myths and misconceptions about digital teaching and learning materials in Africa, Michel Trucano, Edutech, septembre 2013, goo.gl/PJp2gF Accès, Littératie, Médiations, Pouvoird’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, Conseil national du numérique de France, novembre 2013 goo.gl/P8f3p7 Afrique - état des lieux, Laurent Piolanti & Sophie De Herdt, Humanitarian Techno Pole, 2011 goo.gl/x3oQHz Afrique de l'Ouest : une FAD aussi pratique qu'un taxi-brousse, Tété Enyon Guemadji-Gbedemah, Thot Cursus, 2013 - goo.gl/sCdk4U Apprendre par soi-même, mais pas tout seul et pas pour rien, Denys Lamontagne, Thot Cursus, novembre 2013 - goo.gl/ZekZOt Assemblée de fondation du TIESS, Chantier d’économie sociale, novembre 2013 - goo.gl/Td647i Assurer le virage numérique des territoires ruraux : il y a urgence !, Groupe de travail sur les collectivités rurales branchées, 2011 - goo.gl/N3rGqP Avis sur l’occupation des territoires - Pour un Québec fort de ses communautés, Solidarité rurale du Québec, juin 2010 - goo.gl/eESc20 Bilan noir pour le tableau blanc dans les écoles, LisaMarie Gervais, Le Devoir, août 2013 - goo.gl/CqcWRB Commonwealth Cooperation in Distance Education : Potential Benefits for Small States, Allocution de Sir John Daniel, 2005 - goo.gl/4sbG7e Daphne Koller : Ce que nous apprenons de l'éducation en ligne, Conférence TED, 2012 goo.gl/aRLXt De l’exclusion à l’inclusion numérique : le rôle des technologies de l’information et de la communication, Magda Fusaro, Chaire Unesco Bell, 2012 - goo.gl/1NPKkt

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L’École éloignée en réseau (ÉÉR), un modèle, CEFRIO, 2011 - goo.gl/2sPScY L’économie fondée sur le savoir, OCDE, 1996, goo.gl/sbndmn L’Éducation en région éloignée, une responsabilité collective, Conseil supérieur de l’éducation, 2008 goo.gl/JxLBgC L’élaboration du concept de la technologie de l’apprentissage mobile, site Web de l’UNESCO goo.gl/xWV3sh L’évolution de la technologie de l’éducation dans notre société, John Daniel, UNESCO, 2004 goo.gl/qNo2Ho

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INGENIERIE PEDAGOGIQUE POUR CONSTRUIRE L'APPRENTISSAGE EN RESEAU, Gilbert Paquette, Presses de l’Université du Québec, 2002

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The Future Is Now: 15 Innovations to Watch For Commentary, Steven Mintz, The Chronicle of Higher Education, juillet 2013 - goo.gl/kuTQR The Second Digital Divide, Michael Trucano, EduTech, 2010 - goo.gl/5ZajQN Top 100 Tools for Learning 2013, Jane Hart, C4LPT resource, 2013 - goo.gl/4vuM1

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