« QUE JE SOIS LE JOYAU DE BRATISLAVA », RÉPOND LA FILLE DU DANUBE, NOMMÉE FORÊT DE PEČNA.
Qixuan YANG Travail Personnel de Fin d’Études encadré par Florence Mercier 2015-2016
Mémoire du diplôme de Paysagiste DPLG Soutenu le 13 juillet 2016 À l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles
Membres du Jury : Florence Mercier Paysagiste DPLG, agence Florence Mercier Paysagiste, directrice d’études Bruno Tanant Paysagiste DPLG, agence TN+ Michal Bogár Architecte slovaque, agence BKU Maguelonne Déjeant-Pons Secrétaire exécutive de la Convention européenne du paysage au Conseil de l’Europe
LA PAGE DES MERCIS Un grand merci à Florence, pour son encadrement, ses conseils, son enthousiasme, sa passion du métier et la confiance qu’elle a toujours eue en moi. Merci à monsieur Bogár, pour son accueil à Bratislava et l’intérêt qu’il porté à mon travail. Merci à Bruno et madame Maguelonne Déjeant-Pons pour leur participation à ma soutenance. Merci aux professeurs de la faculté d’architecture et du paysage de Bratislava, madame Katarina Kristianova et monsieur Bohumil Kovac, pour leur aide et leurs conseils. Merci à tous les gens que j’ai rencontrés à Bratislava, toujours si accueillants et si chaleureux : Tomas, Ivana, L’ubica, Michaela, Patrik, Andrea, Erik, Katarina, Monika, Norbert, Štefan... Merci aux copains de la classe, Louise, Olivia, Clothilde, Raphaële, Camille, Andréa, Clémentine, Agnès pour cette dernière année en cordée. Merci à Kiara et Cyril, mes colocataires si indulgents et réconfortants. Merci à Gwenaëlle et Marie-Françoise pour les relectures. Merci aux ateliers de Versailles, merci au chat de l’école pour ces heures de travail nocturne. Merci à la pelouse du potager du roi, au café en bas de chez moi, à la BPI, au TSF JAZZ, à ma clarinette ... Et ainsi de suite.
SOMMAIRE INTRODUCTION 9 SAUTER EN PARACHUTE
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Du rideau de fer au corridor écologique
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Cette plaine du Danube entre Alpes et Carpates
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Les deux capitales les plus proches de l’Europe
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Espace frontalier, le « quatrième quadrant » de Bratislava
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VOIR EN DIPTYQUE La ville d’un jour et demi Une partie de pêche Le rêve d’Ivan
37 Une capitale carrefour
Au pied des Carpates, au bord du Danube
Le boum urbanistique
La question taboue
Banlieurisation de la campagne autrichienne
« La frontière a fait deux faux jumeaux » Tous ces verts que je ne sais voir
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Et le libéralisme économique vint
« Pardon, je suis Slovaque. »
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Espaces agricoles convoités
Abondance des espaces naturels
L’AILLEURS ET L’ICI
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Les trois capitales du Danube
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Les reliquats des forêts alluviales au cœur de Bratislava
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De devin au centre-ville : des berges naturels aux quais urbains
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Le quai, la forêt, les champs
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FORET DE PEČNA, SITE SYMPTOMATIQUE
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Cet étrange paradoxe
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Tant de choses autour et si peu de choses dedans
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Archéologie et prospective
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D’une île fluviale à un espace résiduel Un espace au regard du développement futur de la ville
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Une forêt traversée et contournée
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L’enclave et le débarras
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Les arbres, entre la mémoire de l’eau et les traces de l’homme
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QU’ELLE SOIT LE JOYAU DE BRATISLAVA
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Ces potentiels merveilleux
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Les quatre désirs
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Tester par scénarios extrêmes
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Spatialiser les intentions
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Les quatre zooms comme points d’acupuncture
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Le temps et les hommes
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BIBLIOGRAPHIE 127
INTRODUCTION
© Michal Bogár
Un après-midi du mois d’avril, à la faculté d’architecture de Bratislava. Accompagné par ma directrice d’études, Florence Mercier, j’ai pu présenter l’état de ma recherche devant les professeurs slovaques. Sur les écrans, le globe de Google Earth, le commencement de mon travail. La tache blanche sur la maquette de Bratislava au mur, le site de mon projet. Entre le globe terrestre et cette forêt de Pečna de 380 ha à Bratislava, la trajectoire de mon Travail Personnel de Fin d’Études (TPFE).
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La question d’un travail de paysagiste à l’étranger a souvent été soulevée pendant ces quatre années d’études à Versailles. Quelle légitimité si l’approche paysagiste est avant tout contextuelle ? « Faut-il être Slovaque pour faire des projets en Slovaquie ? » Et moi qui suis né en Chine, qui ai grandi en France et qui ai étudié dans trois pays d’Europe, quelle est ma Heimat dans laquelle j’ai la légitimité d’intervenir ? Le TPFE est un de ces rares moments où nous avons la joyeuse liberté — ou la tâche ingrate — de choisir nous-mêmes à la fois le sujet et le site du projet. En prenant délibérément un lieu où je n’avais jamais mis les pieds, j’ai voulu faire du temps de TPFE l’occasion d’expérimenter l’expérience de l’étranger comme démarche de projet. Le mot « étranger » est compris ici non pas comme une appartenance topographique (foreigner, ausländisch) mais comme ce qui nous est extérieur (stranger, fremd). En faisant appel aux travaux des philosophes Bernhard Waldenfels et François Jullien sur l’étranger et l’autre, je me suis interrogé sur les notions de l’extériorité, de l’écart et de l’altérité dans la démarche du projet. J’ai voulu montrer que le futur paysagiste que je suis, mon regard projectuel peut être un mode de connaissance d’un lieu inconnu. J’ai voulu voir les outils que je mettrais en place dans le processus du travail, comme un enfant laissé seul dans une pièce vide et qui cherche son coin. Qu’aije appris de ces quatre ans à Versailles et comment je fonctionne ? Et inversement, comment ce travail dans un pays qui n’est pas le mien peut être d’échanges fructueux et que puis-je apporter à Bratislava ? Mon positionnement d’extériorité m’a permis d’assumer l’approche phénoménologique et exploratrice dans mon travail, de mettre en tension mon regard, les désirs des habitants et les potentiels du site. Enfin, de prendre de la distance face aux contextes actuels pour mieux déceler les leviers de transformation. Comme un peintre qui recule devant son tableau et qui plisse les yeux pour mieux voir.
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Ce saut vers l’inconnu a été marqué par des étapes, de la recherche du site aux envies de projet. Cela a été une descente dans les échelles, dont cet écrit est structuré. *** Lorsque je disais autour de moi que j’allais faire mon diplôme sur Bratislava, beaucoup ont été étonnés d’un tel choix. La plupart ne savaient pas très bien où la situer sur la carte d’Europe, d’autres m’ont parlé de la bière pas chère et des jolies femmes à chaque coin de rue. Qu’est-ce donc cette ville dont la réputation se brode autour de belles femmes et de l’alcool bon marché ? Je ne sais pas ce qu’il y a de plus navrant, l’équivalence que l’on fait entre une femme et une pinte, ou le fait que Bratislava ne laisse pas d’autres souvenirs que ces deux choses là. Puis, beaucoup ont préféré me parler de Prague, de Vienne ou de Budapest qui leur ont laissé des souvenirs plus marquants. Bratislava, une petite capitale perdue dans le réseau des villes d’Europe centrale, la benjamine à l’ombre de ses aînées ? Durant mes premières recherches sur ce réseau métropolitain des capitales d’Europe centrale, j’ai trouvé beaucoup de documents parlant de l’évolution démographique, des réseaux de transport, du prix de l’immobilier avec une série de graphes et de chiffres. Et si l’on parlait du paysage ? Je suis un enfant de la ville, et mon envie d’être paysagiste est née de ma conviction que la qualité des espaces se dessine et se fabrique. Les dimanches au jardin du Luxembourg à Paris, les après-midis au canal de Hanovre, la traversée du parc tous les matins pour aller à l’école d’art d’Édimbourg… Les villes ne se ressemblent pas et offrent des modes de vie différents. Comment sera la physionomie de Bratislava et que peut-elle offrir demain ? *** Bordée par le Danube, en face du centre-ville, située le long de la frontière austro-slovaque (autrefois le rideau de fer), et espace de transition entre Bra-
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tislava et la campagne autrichienne, la forêt de Pečna est un site stratégique par sa situation. Elle est un cas complexe où se croisent et se superposent les différents enjeux, entre préservation environnementale, demande d’espaces récréatifs et pression urbaine. Les évolutions du passé et du futur de cette forêt sont intimement liées au développement de la ville. Dans l’ouvrage Bratislava, Metropolis, les auteurs ont mis en avant la place du vide — espace non bâti — dans la métropole naissante de Bratislava. Travailler sur la forêt de Pečna permettrait de redéfinir son statut dans l’espace urbain en expansion et la qualification de ce vide pourrait participer à la construction d’une nouvelle identité de la ville en mutation. Quelle place peut avoir cet espace naturel en ville ? Quels usages peut-il offrir aux habitants de Bratislava ? Quel rôle peut-il avoir dans les dynamiques transfrontalières entre la capitale slovaque et la campagne autrichienne ? Et quel récit peut-il raconter sur les métamorphoses du fleuve et de la ville ? Dans les pages qui suivent, il sera question de la géopolitique, de dynamiques transfrontalières, de la survivance des formes, du sens de la nature, de la mémoire et de « l’oubli de l’oubli », de flux écologiques et humains, de transition ville-territoire... La forêt de Pečna condense tant de choses et elle a été pour moi qui un site qui renvoie à des questions allant bien au-delà de son espace physique et qui me sont chères. Mes envie de projet sont né de l’écart, entre les potentiels que je décelais du site et la cruelle réalité de celui-ci. La forêt de Pečna, ce bout de nature aujourd’hui si peu approprié, et si l’on sortait de la nature pour aller vers le paysage ?
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SAUTER EN PARACHUTE
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Un site sans attache ni souvenir. Bratislava m’était totalement étrangère, si ce n’est que j’ai toujours aimé la sonorité de ces quatre syllabes, ces sons « rocailleux, baignés d’eaux danubiennes et de songes slaves », comme disait François Nourissier. Que suis-je aller chercher et comment en suis-je arrivé là ? Pour choisir un site d’étude, je me suis baladé sur Google Earth —l’outil le plus impersonnel mais en même temps le plus accessible —, avec le postulat qu’il y a des sites qui parlent et qui nous parlent. À force de zooms et de dézooms, j’ai pris conscience de mes thèmes de prédilection qui ont guidé la recherche du site. Des choses qui m’interpellent et des situations qui m’intriguent. Le rideau de fer, le Danube, la métropole, les forêts, les champs... J’ai vu Bratislava.
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DU RIDEAU DE FER AU CORRIDOR ÉCOLOGIQUE
Une ligne de 13 000 km qui coupait l’Europe en deux. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant le rideau de fer et toute l’histoire qui allait avec, mais son impact sur le développement des territoires, et les conséquences et les nouvelles opportunités spatiales de sa disparition. L’écologie est dans l’air du temps, avec le programme de « ceinture verte européenne » sur l’ancien rideau de fer. Mais quel est le sens d’un tel corridor écologique pour les territoires qu’il traverse, et comment pourrait-il faire paysage ? La métamorphose des choses et la recomposition des territoires.
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CETTE PLAINE DU DANUBE ENTRE ALPES ET CARPATES
Carpates
En Europe centrale, dans la plaine de Pannonie, là où meurent les Alpes et où s’élèvent les Carpates, le Danube se fraya un chemin, ainsi que la frontière. Fleuve d’échange entre l’occident et l’orient. Rideau de fer infranchissable. Les hommes se rencontrent et se séparent.
Alpes
À la rencontre des deux lignes, l’exceptionnalité géographique conjuguée à la singularité de l’histoire.
1000 km
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LES DEUX CAPITALES LES PLUS PROCHES DE L’EUROPE
Plus près encore, le long du Danube, Vienne-Bratislava, distantes seulement de 60 km. AUTRICHE
Bratislava Vienne
SLOVAQUIE
Depuis l’entrée de la Slovaquie en Union européenne et dans l’espace Schengen, les dynamiques transfrontalières se sont intensifiées entre les deux capitales et plus généralement entre Vienne-Bratislava-Brno-Budapest.
HONGRIE 50 km
Territoire habité, naissance d’une métropole transfrontalière.
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ESPACE FRONTALIER, LE « QUATRIÈME QUADRANT » DE BRATISLAVA
Sa limite occidentale coïncidant avec celle du pays, Bratislava a la particularité d’être bordée par la campagne autrichienne à l’ouest, où s’observe de nos jours une certaine pression urbaine. Capitale slovaque, villages autrichiens, le Danube et ses forêts, cette frontière qui était le rideau de fer... les matières et les dynamiques spatiales ne manquent pas ici. Je voudrais travailler sur ce paysage encore à dessiner.
10 km
Du continent à la capitale, de la ville au territoire.
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5 km
Comment saisir un territoire en si peu de temps ? Que puis-je bien voir de mes propres yeux et que sont les choses qui m’échappent ? Pourtant, travailler à l’étranger n’est pas synonyme de voyage en solitaire. J’ai fait confiance à ma perception, mais aussi, j’ai voulu voir par la mémoire des autres, en faisant appel au vécu des habitants. Lors de mes visites de Bratislava, mon carnet de croquis et mon polaroid m’accompagnaient. Le dessin attire, interpelle et engage la conversation. Tandis que le polaroid offre une reproductibilité instantanée des clichés. Il me permettait d’avoir des clichés dans le carnet sur le champ, mais surtout, lorsque je photographiais une personne, je pouvais lui donner un exemplaire. La photographie comme outil de représentation et moyen de tisser des liens.
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Aller vers les gens qui vivent ce territoire. Leur écouter parler de leur vie, de leur ville et de leurs rêves dont les demains sont faits. J’ai pu rencontrer des habitants de différents horizons, aussi bien en Slovaquie qu’en Autriche. Ingénieur, ouvrier, agriculteur, informaticien artiste, architecte, professeur d’université, étudiant en paysage etc., chacun m’a offert son regard sur Bratislava, avec leurs souvenirs et leurs envies. La richesse des rencontres m’a permis de connaître plus vite ce territoire. Histoire et perspectives futures de la ville, régulation et aménagement du Danube, situation agricole, scène artistique, balade domaniale dans la forêt, virée en voiture dans la région… Mais surtout, le souvenir des ces visages me permet de ne pas oublier le sens social du projet.
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VOIR EN DIPTYQUE
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En explorant Bratislava, j’ai cherché à savoir comment les dynamiques transfrontalières ont influé concrètement sur ce territoire sous divers aspects. J’ai pris conscience que le degré de perméabilité des frontières (naturelles ou artificielles) a eu des incidences déterminantes sur l’évolution de la ville en général et sur la perception des habitants. Pour traduire cela, j’ai utilisé le principe du diptyque : page de gauche, les bribes des rencontres, page de droite, l’analyse cartographique. Chaque double-page fonctionne par thème : - Bratislava ville de passages et ville carrefour ; - l’assujettissement et l’affranchissement de la ville à son contexte géographique ; - l’expansion urbaine et l’appropriation de la rive droite du Danube ; - la situation économique et la transformation de la ville par les promoteurs ; - le rapport de Bratislava à la campagne autrichienne ; - l’agriculture et la pression urbaine ; - et enfin, la place des espaces naturels et la demande sociale de loisirs. Cette structure en diptyque permet de mettre en avant le paysage vécu et perçu, de faire ressortir les contradictions et les récurrences, les redites et les absences, entre le recto et le verso mais aussi entre les doubles pages. Le visage de Bratislava et plus spécifiquement sa portion frontalière se dévoilent, au fur et à mesure des pages.
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LA VILLE D’UN JOUR ET DEMI La guide de la « Free Tour » commence la visite par une petite piqûre de rappel : « S’il vous plaît, ne dites plus Tchécoslovaquie. Je sais que notre pays est petit et beaucoup d’entre vous ne sont pas férus d’histoire. C’était il y a plus de vingt ans, j’étais à peine née ! La Slovaquie a bien changé depuis. Et aussi, ne dites plus que nous sommes un pays de l’Est. Entre l’Est et l’Ouest, il y a une Europe centrale ! Il y a une culture, une histoire, et les années de guerre froide n’ont pas effacé tout ça. » En deux heures, nous faisons le tour du centre-ville. Les bâtiments historiques savamment restaurés, les musiciens et acrobates, les boutiques de souvenir, et ce rythme si typique des flux incessants de touristes. Mais j’ai surtout les yeux rivés au sol : toutes sortes de calepinages et un travail très fin de la topographie. L’attention portée au cœur de la capitale et la manifestation d’un savoir-faire. Durant la visite, la guide nous raconte çà et là des anecdotes sur la ville. Sur la place principale, elle nous montre les stigmates laissés par les canons de Napoléon. Elle désigne ensuite une statue d’un soldat napoléonien accoudé à un banc et raconte que ce dernier était tombé sous le charme d’une jeune Slovaque. Il resta à Bratislava et se mit à fabriquer du vin pétillant. Dire que Bratislava n’était au final pas si loin de la France et qu’un soldat napoléonien a su entretenir le romantisme français jusqu’à aujourd’hui m’a beaucoup amusé.
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Le soir à l’auberge, Philip le réceptionniste me parle un peu plus de la ville. «Il n’y a pas grand chose à visiter. Le centre est minuscule et le reste…bref tu verras. C’est une petite capitale, rien à voir avec Londres ou Vienne. Selon les statistiques, les touristes restent en moyenne un jour et demi à Bratislava, alors qu’à Vienne ou Budapest c’est plutôt trois à cinq jours. L’entrée de la Slovaquie dans l’UE a créé un boum du tourisme, et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Beaucoup de jeunes font un tour d’Europe avec l’Interrail. Il y a aussi des gens qui descendent le Danube en bateau, à vélo, à pied même... Alors, ça fait du passage tout ça. Et beaucoup ont soif ! Les Anglais, c’est ce qu’il y a de pire... Bratislava est un peu la première ville sur le Danube où tu trouves des bières aussi peu chères, alors tu imagines le dégât ? C’est bien pour notre économie, mais ça crée des tensions dans le centre-ville parfois entre les habitants et les touristes… »
EMPIRE DE SAMO IVe s. av. JC
Ve.s. 620
GRANDE MORAVIE 833
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ROYAUME DE HONGRIE 1101
TCHÉCOSLOVAQUIE 1241
40
1536 - 1784
1918
UNE CAPITALE CARREFOUR 367,59 km2 420 000 hab.
SLOVAQUIE
Capitale de la jeune Slovaquie, Bratislava est à la fois le centre administratif, économique et culturel du pays. Situé au croisement de deux axes — la route de l’ambre (nord-sud) et le Danube (ouest-est), la ville a longtemps été un carrefour d‘ échanges commerciaux et un lieu de brassage des cultures. Sa situation à l’extrémité ouest du pays, jouxtant l’Autriche et la Hongrie lui confère un atout transfrontalier indéniable. Depuis l’entrée de la Slovaquie dans l’Union européenne et dans l’espace Schengen, les dynamiques transfrontalières sont en plein essor.
AUTRICHE
HONGRIE
5 km
Château
Danube
Petites Carpates
Centre historique
Le centre-ville de Bratislava à la rive gauche du Danube
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SLOVAQUIE 1951
1951
1993
1989
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2004
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UNE PARTIE DE PÊCHE
En longeant le Danube côté autrichien, je fais connaissance d’Andrea, un monsieur autrichien venu pêcher. Assis près de lui sur une bande de galets, je sors mon sandwich pour le déjeuner tandis qu’il pique des verres de terre sur l’hameçon. — J’aime bien passer mes après-midis ici, surtout quand il fait beau comme ça, et maintenant que je suis retraité..... Je ne pêche que juste ce qu’il faut. C’est un loisir, pas un sport. Tu vois, ça me détend la pêche, tu ne penses plus à rien. Il avait un accent très fort et parlait beaucoup, fier de faire connaître sa région. Mon allemand est mis à rude épreuve. — Qu’est-ce qu’il y a comme poissons dans le Danube ? — Des perches, des anguilles, beaucoup de barbeaux... Écoute, un bateau arrive. J’aime bien quand les bateaux passent, avec le courant qu’ils créent, ça ramène les poissons vers les rives, et là, y a plus qu’à attendre. — Comment c’était ici quand il y avait encore le rideau de fer ? — C’était très surveillé. Tu vois le bâtiment en face ?
Les fiches sur les poissons du Danube offertes par Andrea
C’était le poste frontalier. Les bateaux devaient s’arrêter là et faire valider leur laisser-passer. Maintenant, c’est mieux. On peut voyager plus librement. Vous les jeunes, il faut voyager ! J’étais cheminot et j’en ai vu des coins jolis. Le Danube a été longtemps une frontière naturelle. Par exemple, l’Empire romaine s’arrêtait là où nous sommes. C’est les Romains qui ont apporté la culture de la vigne, c’est la région des vins ici, tu devrais goûter. C’est beau en face quand même, non ? Là-bas, derrière le château de Devin, c’est la Morava. Elle rejoint le Danube et à partir de là on est dans le Danube Moyen. J’habite un peu plus loin dans les terres, le paysage est très différent. Vous connaissez un peu le coin? C’est très plat, avec des éoliennes dans des champs à perte de vue, Ici en face, il y a un peu de relief, non ? Et puis assis comme ça entre le soleil et l’ombre, c’est quand même pas si mal… 42
AU PIED DES CARPATES, AU BORD DU DANUBE
1784 Morava
Devin Porta Hungarica
Franchissements du Danube
1930
1959
Barrage de Gabčíkovo 2015 5 km Différences de dénivelé : 130 m (Danube) - 514 m (Devínska Kobyla) Danube à Bratislava Longueur : 23,40 km Largeur moyenne : 292 m Profondeur moyenne : 5,6 m Altitude moyenne : 132 m
En amont de Bratislava, le Danube connaît un régime alpin : forte pente et important charriage de matériaux. Il change de caractéristiques morpho-dynamiques et hydrologiques à la Porta Hungarica — un col du massif des Petites Carpates formé au Pléistocène. C’est le début du Danube Moyen. Débute alors un fonctionnement de plaine : faible pente et important transfert de matières en suspension.
granodiorite granite pegmatite limons des plateaux
Terrasse alluviale basse alluvions anciennes (graviers, sables) 10 km
alluvions récentes (graviers, limons)
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Les Carpates ont longtemps déterminé l’orientation de Bratislava, avec une direction de développement nord-est—sud-ouest. Et le caractère imprévisible du Danube a longtemps limité la ville à sa rive gauche. Aux fil des ans, la régulation du Danube a fait disparaître les nombreux bras du fleuve. La plaine de la rive droite, longtemps perçue comme l’opposé sauvage de la colline construite, va alors commencer à être habitée.
LE RÊVE D’IVAN Ivan habite à Petržalka, ce quartier de grands ensembles près de la frontière autrichienne qui m’avait tant intrigué sur les vues aériennes. Lorsque je l’ai rencontré, je lui ai demandé s’il pouvait me faire visiter cette partie de Bratislava. « Visiter Petržalka ? Il y a des choses plus belles à voir ! — Tu sais, d’un point de vue architectural et urbanistique, c’est un cas très intéressant... »
part en miettes. Les commerces ne marchent pas, beaucoup trop de voitures, les espaces verts sont en friche… » — Pas moyen que les choses s’améliorent ? « Si tu savais comment ça se passe ici … La ville ne fait rien, les politiciens sont corrompus jusqu’à l’os. On préfère laisser faire les promoteurs construire toujours plus au lieu de faire quelque chose ici. Tu sais, je suis vraiment dégoûté de cette ville. À trente-cinq ans, je me dis que ce n’était vraiment pas la vie dont je rêvais. Mon envie, c’est de partir d’ici avec ma femme et mes enfants. J’ai une petite maison au centre de la Slovaquie, près des Tatras… »
Nous nous donnons rendez-vous le lendemain, au jardin Sad Janka Kráľa près du Danube. « Je te préviens, c’est un parcours de combattant. — Tu viens de temps en temps dans ce parc ? » — Oui, de temps en temps, mais on est coupés de ce jardin par l’autoroute, avec les poussettes, c’est pas ce qu’il y a de plus pratique. » Nous pénétrons dans ce vaste quartier par la coulée verte centrale, un ancien bras du Danube. « Il y a plusieurs types d’immeubles, on leur donne des surnoms. Le serpent, le cheval de fer, la tour… Tu vois quand je te disais, les routes sont dans un sale état,
Le soir en rentrant, j’ai pris l’artère principale. À mi-chemin, les gens sortent après l’arrivée d’un train à la gare de Petržalka et attendent le bus, l’unique transport en commun pour rejoindre l’autre rive en attendant l’arrivée du tram. Dieu sait pourquoi, je me suis assis sur un banc, et j’ai regardé. J’ai regardé les gens, regardé les lampadaires s’allumer à la tombée de la nuit. Et j’ai pris mon polaroïd, une pose longue de dix secondes pour tenter de saisir l’ambiance du moment. Hélas, je n’ai réussi ni à capter la lumière jaunâtre et indécise
tu prends des bosses et des creux toutes les deux minutes. Là c’est le lac, l’été on vient ici se baigner. Mais je me dis toujours que c’est un peu dangereux. Tu vois les fils électriques qui traversent le lac ? À chaque fois j’ai peur qu’ils tombent dans l’eau... »
des lampadaires, ni à enregistrer ce sentiment d’attente de tous ces gens. L’attente d’un bus. L’attente d’une vie meilleure.
Invité à boire un verre chez lui, il me montre son appartement, « similaire à tous les autres du quartier » et nous continuons la discussion sur son Petržalka. «Pendant la guerre froide, c’était vraiment le bout du monde. Dire qu’on était fiers de bâtir tout ça… Maintenant tout
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LE BOUM URBANISTIQUE
1930
1959
2015
Jusqu’aux années 1930, Bratislava était encore une petite tache sur la carte, avec son château et son centre-ville à la rive gauche. À partir des années 1960-1970, commence véritablement l’expansion de la ville avec l’édification de plusieurs quartiers de grands ensembles socialistes en panneaux de béton préfabriqués. La ville change alors radicalement de visage et surtout, elle s’empare définitivement de la rive droite du Danube avec le quartier de Petržalka. Construit à partir d’un axe central nord—sud/sud-ouest, Petržalka est une immense variation de géométrie, avec des bâtiments de quatre à douze étages. Il accueille aujourd’hui 25% de la population de la ville, ce qui fait de lui le quartier le plus peuplé de Bratislava, et aussi le plus grand quartier résidentiel d’Europe centrale. Aujourd’hui, il souffre d’une mauvaise connection avec le reste de la ville, enclavé à son nord par une autoroute.
Petržalka vu depuis l’appartement d’Ivan
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LA QUESTION TABOUE Lors de mon semestre d’échange à Hanovre, j’avais une voisine slovaque à mon cours d’allemand. Alexandra était très studieuse. Après ses études, elle a trouvé rapidement un travail dans une agence de publicité. Ravie de ma venue à Bratislava, elle me donne rendez-vous un soir au pied du château. « Mais pourquoi Bratislava pour ton projet ? Il n’y a rien. Tu aurais pu choisir n’importe où dans le monde ! — C’est peut-être une bonne raison de faire un projet, non ? — C’est vrai, il y a tellement de choses à faire … Oh, s’il te plaît, fais des aires de jeux pour les enfants ! » Devant les remparts du château, la rive droite du Danube s’offre à nous. « Oui, Petržalka... C’est une vraie jungle urbaine, je n’arrive jamais à m’orienter là-bas. Il y a encore quelques années ç’avait très mauvaise réputation, avec la drogue, la prostitution... maintenant ça va un peu mieux je crois. Le bâtiment neuf que tu vois près du Danube, c’est là où je travaille. Beaucoup d’entreprises étrangères se sont installées à Bratislava ces dernières années, la mienne est d’ailleurs slovaque-allemande. Juste à côté, c’est le centre commercial Aupark. J’aime bien faire les magasins mais les centres commerciaux il y en a vraiment trop pour une petite capitale comme Bratislava. Ils pourraient quand
même faire autre chose ... Là-bas ? Oui c’est la raffinerie pétrochimique Slovnaft. Les matières premières arrivent de l’Ukraine, quelque chose comme ça. Il y a l’usine de Volkswagen, derrière nous plus loin près de la Morava. Beaucoup de gens travaillent là-bas, mon oncle par exemple. Tu savais que nous produisons des voitures plus que n’importe quel autre pays ? » La discussion continue sur l’économie de Bratislava et son évolution vers le secteur tertiaire. À un moment, je lui ai demandé quel était son salaire. « Comment te dire... Tu sais, ici, l’argent est vraiment une question taboue. Même ma meilleure amie ne sait pas combien je gagne. — Peut-être un ordre de grandeur ? — Non vraiment, les différences de salaires sont parfois très grandes et j’ai eu beaucoup de chance... Bon, pour te dire, je gagne deux fois plus que ma mère alors qu’elle a travaillé pendant plus de trente ans ! Maintenant l’économie se porte bien mais il faut se donner les moyens. J’ai étudié comme une folle parce que je voulais avoir un bon travail. Comme je parle allemand, c’est vraiment un atout aujourd’hui. »
Parc de la culture (en démolition) Salles de concert, expositions, bals...
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Habitat
ET LE LIBÉRALISME ÉCONOMIQUE VINT
Secteur primaire : 0,9% Volkswagen
Secteur secondaire : 20,3% Secteur tertiaire : 78,8 %
IBM Aupark Slovnaft
La santé économique de la ville se traduit aussi par le boom du secteur immobilier. Souvent laissés aux mains des promoteurs privés, les projets se font sans concours et transforment petit à petit Bratislava malgré l’exaspération des habitants.
5 km
Sur le quai au pied de la colline du château (voir ci-dessous) par exemple, plusieurs projets voient le jour depuis les années 2010. Leurs dimensions et leurs programmes font souvent l’objet de critiques. Le complexe PKO, jadis haut lieu culturel de la ville, a commencé à être démoli en 2015, la métamorphose du quai continue.
Aupark, je ne savais plus très bien si j’étais à Bratislava ...
Riverpark t, hôtel, commercees, bureaux
Depuis les années 2000, suite à l’intégration de la Slovaquie dans l’Union européenne et aux réformes libérales, Bratislava connaît une forte croissance économique et attire de nombreux investisseurs étrangers, qui installent leurs sièges sociaux dans la capitale.
Zuckermandel Habitat, commerces, bureaux
Château
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« PARDON, JE SUIS SLOVAQUE. »
Hainburg an der Donau, dernier grand village autrichien sur le Danube avant la Slovaquie, sur la route de Vienne-Bratislava. Une zone commerciale intégrée au pied du mont avec intelligence. Beaucoup de retraités… mais où sont les jeunes ? J’en croise un au bureau de tabac et tente d’engager une conversation avec lui. « Pardon, je suis Slovaque. Je ne parle pas allemand », me répond-il en anglais. Patrik a récemment emménagé ici avec sa famille. Nous fumons une cigarette et parlons de sa nouvelle vie en Autriche. « Le prix de l’immobilier est beaucoup moins cher ici. Par exemple nous, on avait un petit appartement dans le centreville de Bratislava, mon père l’a vendu l’année dernière et on a acheté une maison ici. C’est un peu la banlieue de Bratislava. — Comment sont les Autrichiens avec vous ? — Je ne vis ici que depuis quelques mois alors je ne peux pas en dire beaucoup. Je ne connais pas grand monde. Je suis en train d’apprendre l’allemand mais ça ne vient pas tout de suite. Pour l’instant, ça se passe plutôt bien. Les Autrichiens commencent à être habitués, je crois. Il y a vraiment beaucoup de Slovaques, nos nouveaux voisins par exemple. Avant d’emménager ici, on venait déjà souvent en Autriche pour faire les courses comme beaucoup de gens de Bratislava. C’est moins cher. — Tu retournes souvent à Bratislava, je suppose ? — Oui bien sûr, j’y étudie encore. Tous mes amis sont là-bas, le reste de ma famille aussi. C’est très pratique avec les transports en commun. Il y a quelques jours j’ai appris qu’il y avait même jusqu’en 1945 une liaison de tram qui reliait Vienne à Bratislava ! D’ailleurs dans une heure je retourne en Slovaquie pour prendre des verres avec des amis, tu veux te joindre à nous ? Après on pourra rentrer vers minuit ou dormir chez mes amis. Nous allons à Slavin, c’est un mémorial soviétique sur la colline. Quand il fait beau, on peut voir très loin. Le coucher de soleil à Slavin est ce que j’aime le plus de Bratislava.... 48
BANLIEURISATION DE LA CAMPAGNE AUTRICHIENNE
Pourcentage de la population slovaques dans les villages périphériques de Bratislava
1 2
3
1
Hainburg an der Donau 35%
2
Wolfsthal 34%
3
Berg 30%
4
Kittsee 45%
4
Depuis l’intégration à l’espace Schengen de la Slovaquie, de nombreux Slovaques se sont installés dans la campagne autrichienne, attirés par un prix moindre des terrains et un meilleur cadre de vie. Aujourd’hui, on dénombrerait plus de 25 000 Slovaques installés en Autriche.
5 km
Wolfsthal
Le réseau des transports s’est depuis développé dans la région. La plupart des Slovaques continuent à travailler à Bratislava, ce qui implique des flux transfrontaliers au quotidien. La dynamique transfrontalière se traduit aussi dans l’évolution démographique des villages. À Wolfsthal par exemple, les nouveaux habitants Slovaques sont souvent des jeunes couples avec enfants. Une école est créée dans la commune grâce à leur arrivée, où les enfants apprennent le slovaque dès l’école primaire. 49
« LA FRONTIÈRE A FAIT DEUX FAUX JUMEAUX » Monsieur Schödinger, maire de Wolfsthal, premier village autrichien après la frontière slovaque, a eu l’amabilité de me recevoir pour un entretien. Très heureux qu’un français s’intéresse au futur de sa région, il m’accueille chaleureusement dans son bureau. Je lui fais part de ma fascination pour la différence de parcellaires agricoles entre l’Autriche et Bratislava et mon envie d’apprendre davantage sur l’agriculture dans la région. « C’est beau, n’est ce pas ? Les parcelles ont été divisées de génération en génération. Jusque dans les années 1970, elles étaient encore plus petites. Tandis qu’en Slovaquie, vous le savez sans doute, il y a eu le kolkhoze et aujourd’hui de la monoculture. Si vous regardez les photos aériennes anciennes, vous verrez que ce dessin parcellaire en lanières continuait à Bratislava. La frontière a donné naissance aux deux faux jumeaux. — Mais le sol devait être de même qualité, non ? — Oui, vous avez raison. C’est une terre très fertile, grâce au Danube. Mais sur la différence entre l’agriculture en Autriche et en Slovaquie, je dirais aussi qu’il s’agit d’une différence de mentalité. Chez nous, Les agriculteurs vivent de la terre, de génération en génération. J’ai mes terres, comme mon père, mon grand-père, mes ancêtres. Ce n’est pas le cas à Bratislava. Les agriculteurs ont souvent un autre emploi à côté, le travail de la terre est dévalué, déconsidéré alors que chez nous c’est une vraie tradition et une vraie économie. Je lui demande alors ce que le village cultivait. « On fait un peu de tout. Du blé, du seigle, du maïs, de la betterave, du soja… c’est assez diversifié. Il y a un seul agriculteur bio pour l’instant dans notre village. Mais je crois que c’est quelque chose dans l’air du temps. Plus au sud, il y en a plus. Un agriculteur s’est mis à produire du bio et les voisins se sont aperçus que ça pouvait être rentable aussi. Nous parlons ensuite des énergies renouvelables, du bois-énergie et de l’absence des éoliennes car « contrairement aux villages autour, le Wolfsthal est coincé entre le Danube et le mont Königswarte, les éoliennes seraient ici comme des éléphants dans un magasin de porcelaine. » « Comme votre village se trouve à la porte de Bratislava, il doit y avoir de la pression urbaine sur les terres agricoles ? — Et comment ! J’ai des demandes tous les jours, mais il n’y a presque plus de place. Nous avons fait le choix de densifier le centre dans les parcelles restantes pour limiter les étalements. Et pas de résidences secondaires. Wolfsthal était le bout du monde, tout le monde quittait la campagne. Depuis la fin du rideau de fer et surtout depuis les années 20002010, ça a été une vraie renaissance pour le village et toute la région. Je crois beaucoup à la coopération transfrontalière. J’ai mis en place la ligne de bus et j’en suis très fier. Puis, pour tout vous dire, ma femme est slovaque.
Champs de culture à Wolfsthal
À l’ouest de Petržalka, terres slovaques sous pression urbaine
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ESPACES AGRICOLES CONVOITÉS
Pressburg und seine Umgebung, 1800
5 km Superficie des parcelles
Autriche : 0,5-10 ha
Bratislava : 25-70 ha
Au 18e siècle, le château de Kittsee (appartenant alors au Royaume de Hongrie comme Bratislava) avait son avenue orientée en direction du château de Bratislava. Cet axe est encore visible aujourd’hui côté Autriche par l’orientation des champs, dessinant ainsi une ligne invisible entre la colline du château de Bratislava et les espaces agricoles de Kittsee.
1950-2015 : L’influence de la frontière sur les espaces agricoles.
Source : Historická ortofotomapa Slovenska
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TOUS CES VERTS QUE JE NE SAIS VOIR Monter aux Petites Carpates, le parc forestier de Bratislava. C’est le week-end, on y croise du monde. Dans une clairière sous les pins, je reprends mon souffle et fais la connaissance avec L’ubica, venue avec sa famille faire un barbecue. Autour du feu, la conversation s’installe avec naturel. « Nous venons de temps en temps ici. Il n’y a pas beaucoup de choses à Bratislava mais au moins on a un bout de Carpates dans la ville. Alors, il faut en profiter. » Par ses mots, L’ubica m’emmène plus loin dans les Carpates vers les Hauts Tatras, avec ses forêts, ses ours, ses villages d’un autre temps. « Les montagnes, c’est un peu notre identité nationale. Si tu lis des poèmes slovaques, la moitié parle de la montagne, des Tatras ... — Mais à Bratislava, il y a le Danube aussi non ? Avec ses forêts alluviales. Ça ne court pas les rues les forêts alluviales dans une capitale ... — C’est vrai. Bon, les bords du Danube ne sont pas aussi beaux qu’à Budapest. Mais ça donne un caractère différent avec les berges boisées. — Et tu vas dans ces forêts de temps en temps ? — Oui. Par exemple, la forêt de Pečna. C’est près du centre-ville et de Petržalka. Je vais courir là-bas après le
travail, je fais le tour de la forêt. Mais je ne m’y suis jamais vraiment aventuré dedans. Une fois. La discussion continue sur les pratiques des espaces naturels, du canoë à l’équitation. « Parfois nous allons aussi en Basse-Autriche faire de la randonnée. Ma mère s’émeut encore de voir sa ville natale depuis ce côté. Elle me dit toujours que j’ai la chance d’être née après la chute du mur. — Oui ce ne sont pas les espaces qui manquent à Bratislava, mais pour faire quelque chose il faut s’éloigner de la ville, ajoute le père de L’ubica tout en s’occupant du feu. Les touristes quand ils viennent, ne voient que le centreville, ou Devin au mieux. — Bien sûr que ça n’intéresse pas les touristes. Les forêts les fleuves, il y en a partout, répond L’ubica. Moi, j’ai envie qu’il se passe quelque chose près du centre. Qu’il y ait plus d’espaces verts, mais je suis trop utopiste. Ça se construit de partout et on ne fait rien pour les habitants. — Pas moyen que les choses changent ? Tu sais, je suis venu à Bratislava un peu pour ça… — Entre ce que nous avons envie et ce que la ville fait, il faut attendre des années et des années encore. Ça sonne comme les mots d’une vieille, mais parfois j’ai l’impression de ne plus reconnaître ma ville. »
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ABONDANCE DES ESPACES NATURELS
1 2
Petites Carpates Parc forestier de Bratislava
2
Devínska Kobyla Réserve naturelle
3
4
6 3
1
5
Hainburger Berge
4
Donau-Auen Parc nationale autrichienne
5
Schlossau Exploitation sylvicole (privée)
6
Île Sihot’ Captage des eaux potables (acceès interdit)
7
Forêt de Pečna Forêt domaniale (accès restreint)
8
Dunajské luhy Réserve naturelle
7
8 FORÊT SUR RELIEF
FORÊTS ALLUVIALES 5 km
Bratislava dispose d’importants espaces boisés, grâce à la pénétration des Petites Carpates et au passage du Danube dans la ville. Tandis que le parc forestier de Bratislava est le support de nombreuses pratiques récréatives, les forêts alluviales entre Devin et la colline du château semblent être plutôt fonctionnelles et peu investies d’usages sociales.
Deux types d’espaces boisés, deux ambiances différentes : pente/plat, sec/humide, haut/bas. Forêt des Petites Carpates et forêt de Pečna
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L’AILLEURS ET L’ICI
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Le Danube et les Carpates ont longtemps conditionné le développement de Bratislava. Si l’on a su s’affranchir des contraintes naturelles par la régulation du Danube, le rideau de fer a ensuite freiné l’échange entre la capitale slovaque et son voisin autrichien, pourtant historiquement territoire d’échanges et de brassage des cultures. Aujourd’hui, c’est une nouvelle époque d’ouverture qui se dessine pour Bratislava, et les dynamiques en cours transforment petit à petit son espace frontalier. Au fur et à mesure de mes rencontres, une constante m’avait frappé : cette insatisfaction généralisée des habitants sur la ville. Les gens ne reconnaissent plus et ne se reconnaissent plus dans leur ville. Derrière la déception, s’esquisse l’écart entre les désirs que l’on porte sur un lieu et la cruelle réalité de celui-ci. Pourtant, je suis allé à Bratislava justement parce que je l’ai reconnue à l’échelle du continent. Parce que je voulais travailler sur le Danube, ce fameux Danube traversant une capitale. Parce que les dynamiques transfrontalières m’ont semblé gorgées de potentiels d’évolution spatiale. Quelle est la responsabilité du paysage dans la réappropriation de Bratislava ? Quelle est sa place dans l’intervalle entre la capitale slovaque et la campagne autrichienne ? Et quels sont les éléments matériels à saisir pour le projet ? Intuitivement, travailler sur le Danube dans la portion frontalière m’a semblé être une piste à poursuivre. Pour cela, j’ai continué l’approche comparative, cette fois-ci en confrontant les divers éléments spatiaux. Entre les trois capitales du Danube, entre les différentes portions de la ville-fleuve, et enfin, entre le fleuve, la ville et la forêt. Aller chercher l’ailleurs pour mieux saisir l’ici.
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LES TROIS CAPITALES DU DANUBE
LOINTAIN CALME
Le Danube n’existe pas à Bratislava
LARGE BLEU PAISIBLE BERGES BOISÉES CHÂTEAUX LENT GREC MÉANDREUX ORIENT-OCCIDENT VALSE PÉRIPLE
50 km
FASTUEUX ANTIQUE
SI JE DIS « DANUBE », TU DIS ... Quelques réponses de mes camarades de classe.
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De ce premier voyage en Europe centrale, j’en ai profité pour visiter Vienne et Budapest. Je voulais voir comment était le Danube dans ces deux autres capitales. À mon retour à Paris, j’ai eu la surprise de constater que je n’avais pas dessiné le Danube à Bratislava. Simple oubli ou pure flemmardise ? Ma directrice d’études en pensait davantage. « Quelque chose qui est là mais qu’on ne voit pas… ».
Vienne
En y réfléchissant, je crois que tout cela se résume à l’absence d’une émotion. L’émotion à Vienne devant ces ponts célébrant la rencontre des rives, l’émotion à Budapest où le fleuve donne à voir le faste impérial. Mais Bratislava n’est pas Vienne ni Budapest. Quel caractère pourrait alors offrir le Danube à la ville ?
Bratislava
Si les superficies administratives des trois capitales sont relativement semblables, la surface bâtie est beaucoup moindre dans la capitale slovaque. Mais surtout, contrairement à Vienne et à Budapest, Bratislava a la particularité d’avoir encore d’importants espaces boisés le long du Danube et près du centreville. N’y aurait-t-il pas une opportunité de travailler ces forêts alluviales qui, de concert avec l’espace urbain, forgeront une image de la capitale ? Budapest
25 km
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LES RELIQUATS DES FORÊTS ALLUVIALES AU CŒUR DE BRATISLAVA
DONAU-AUEN
[9] Petržalka JC – Juraj Čačaný, LD – Libor Dvořák, TC ana). Plocha: 2.4; TC+JC 20.4.2011. (Obr. 2) – Pieskovisko, 48.100725, 17.124476; 50– ročný(B), prechodný lužný les (Populus ×canescens dom., jka; dátum zberu. [5] Petržalka – Pečniansky 60 ostrov 48.128565, Fraxinus topoľa exelsior,naSwida alúvium Moravy, 48.184206, 16.977802; pás 17.086346; 15-ročný porast šľachteného stano-sanguinea, Sambucus nigra, Viforêt alluviale à bois dur Galium odoratum, Stachys sylvatica, Allizaplavovaného mäkkého lužného lesa (dom. višti Salici-Populetum typicumburnum var. so opulus, Swida sanguinea um ursinum, Parietaria officinalis). Absolútny vek stanoS. fragilis, vtrúsený Populus nigra, P. ×cana- na mieste bývalého Pečnianskeho ramena, ktoré zaniklo je podľa mbucus nigra, Aster lanceolatus agg., Urtica približne v 60. rokoch 20. stor.,višťa prietočné bolohistorických naposledy máp 230 rokov. Plocha: 0.03; TC+LD 15.6.2004, TC+JC 8.4.2011. us caesius). Plocha: 0.26; TC+LD 26.5.2003. koncom 19. storočia (PIŠÚT 2000) (Populus ×euroame[10] Petržalka – Starý háj, 48.107256, 17.132007; 50-ročSlovanský ostrov, 48.168340, 16.989592, ost- ricana, Swida sanguinea, Fraxinus excelsior, Solidago prechodnýagg., lužný les. V jarnom aspekte dominujú efený prechodným až tvrdým lužným lesom (Fra- gigantea, Rubus caesius, Aster ný lanceolatus Glechomérne geofytyamericana). Allium ursinum, Galanthus nivalis, Ficaria sior dom., Populus ×canescens dom., P. nigra, ma hederacea, Swida sanguinea, Fraxinus nsis, Negundo aceroides, Ulmus laevis, Sam- Plocha: 0.08; TC 20.4.2011. bulbifera, v letnom Rubus caesius, Urtica dioica, Stellaria media. Plocha: 0.56; TCm14.5.1992. (Obr. 3) , Swida sanguinea, Negundo aceroides, Urtica [6] Petržalka – Aušpic, 48.137792, 17.088915; asi 150 – Dolné Senokosy, 48.080065, 17.128478; us caesius, Aegopodium podagraria, Hedera široký pás prechodného lužného[11] lesa Jarovce v záplavovom území 60-ročný porast naSambumieste bývalého dunajského ramena hypodium sylvaticum). Plocha: 0.27; TC+LD Dunaja (Fraxinus excelsior, Populus ×canescens, forêt alluviale à bois tendre (Populus Fraxinus cus nigra, Cerasus avium). Plocha: 0.11; alba, TC máj 2001. excelsior, Ulmus laevis, v podrasSambucus nigra, Cerasus avium, Aegopodium podagraVes – Ostrov Sihoť, 48.146435, 17.034427, [7] Petržalka – Zrkadlový háj,te 48.105233, 17.119520; ria, Galium erogénnou lužnou vegetáciou (mäkký až tvrdý tvrdý lužný les (približne 60-ročný porast) aparine, východneRubus od caesius), abs. vek stanovišťa je vyšší ako 180 rokov. Plocha: 0.21; TC+JC 13.3.2011. opoľové lignikultúry, podrobnejšie pozri prácu štrkoviska Veľký Draždiak (Fraxinus excelsior dom., [12] Jarovce – Bažantnica, LŤAN (2001)). Plocha: 2.0; TC 2.4.2000. Acer pseudoplatanus, Sambucus nigra, Aegopodium po- 48.080251,17.091175; Prechodný až tvrdý lužný les. Plocha: 0.77; TC+JC 15.4.2001. ka – Pečniansky ostrov (A), 48.132571, dagraria dom.). Plocha: 0.09; TC+LD 15.6.2004, TC+JC [13] Rusovský park (štrkovisko), 48.059235, 17.149663; porast jaseňa s vtrúseným topoľom bielym 15.5.2011. 80-ročný porast tvrdého lužného lesa (Ulmo-Quercetum ant as. Fraxino-Populetum) na mieste bývalé- [8] Petržalka – Kutlíkova ulica, 48.112712, 17.117124; caricetosum-albae), absolútny vek stanovišťa je 220 roPečňa, ktorý zanikol koncom 19. stor. (Fraxi- 60-ročný fragment tvrdého lužného lesa subas. Ulmo-Frakov. Plocha: 0.03; TC+JC or, Populus alba, Robinia pseudoacacia, Acer xinetum hederetosum (Tilia cordata dom., Quercus robur 16.3.2011. Rusovský park (rameno), 48.053122, 17.153804; anus, Swida sanguinea, Acer campestre, Acer dom., Fraxinus excelsior, Acer[14] pseudoplatanus, Ulmus pobrežný pás bývalého dunajského ramena s mokraďovou anus, Allium ursinum, Ficaria bulbifera, Rubus laevis, Carpinus betulus, Cornus mas, Acer campestre, vegetáciou. Plocha: 0.17; gopodium podagraria, Brachypodium sylvati- Staphyllea pinnata, Hedera helix, Allium ursinum, Con-TC 8.4.1999. [15]Polygonatum Rusovský ostrov, 48.057397, 17.167331; zaplavovaný m aparine, Glechoma hederacea, Impatiens vallaria majalis, Galanthus nivalis, multiflo10 km tvrdý lužný les (Fraxinus excelsior, Populus alba, P. nigPolygonatum multiflorum, Viola reichenbachirum). Plocha: 0.11; TC 17.4.2000.
ra, Populus ×euroamericana, Sambucus nigra um podagraria, Parietaria officinalis, Urtica porastu 57 rokov. Plocha: 0.50; TC+JC 13.4.2 [16] Čuňovo – Ostrovné lúčky, 48.038487, rozpadajúci sa mäkký lužný les (Salix fragilis nigra, Urtica dioica, Galium aparine, Carex 30. rokov 20. stor. nezaplavovaný povrchovou DUNAJSKÉ LUHY porastu asi 50 rokov. Plocha: 0.09; TC+JC 13 [17] Čuňovo, 48.044563, 17.176514; mladý, rast jaseňa, pôda kompaktná, s minimom opad excelsior, Sambucus nigra, Acer pseudoplatan canadensis, Rubus caesius. Plocha: 0.28; TC 9 [18] Čuňovo, 48.044860, 17.178366; vyspe -ročný jaseňový porast s vtrúseným agátom excelsior, Acer pseudoplatanus, Robinia pse Cerasus avium, Aegopodium podagraria). P TC 9.6.2000. [19] Ružinov – Malý Dunaj, 48.126677, maloplošný, silne degradovaný a izolovaný les (Populus ×euroamericana, Sambucus nig ria officinalis, Solidago gigantea, Urtica dioi 0.03; TC+LD 16.6.2004. [20] Ružinov – Autobazár, 48.119033, 17.1607 ný degradovaný tvrdý lužný les, absolútny vek zistený na základe historických máp je vyše 3 Vegetácia: Fraxinus excelsior, Acer campestr data, Staphyllea pinnata, Crataegus monogy helix, Polygonatum odoratum, Mellica nutans vulgare. Plocha: 0.11; TC 6.5.2000.
Aspects d’une forêt alluviale de transition (ici forêt de Pečna) en été et au printemps : Frênaire-Peupleraie avec égopode podagraire et ail des ours an sol.
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ný aspekt prechodného lužného lesa (Fraxino-Populetum) (lokalita č. 4), v podraste dominuje hostcová (AeObr. kozonoha 3. Jarný aspekt prechodného lužného lesa (Fraxino-Populetum) (lokalita č. 10), v podraste dominuje cesnak me odagraria).
a, Aegopodidioica), vek 2011. 17.183085; s, Sambucus x riparia) od u vodou, vek 3.4.2011. 8-ročný podu, Fraxinus nus, Solidago 9.6.2000. elý, asi 80m (Fraxinus eudoacacia, Plocha: 0.26;
17.150710; tvrdý lužný gra, Parietaica). Plocha:
750; 80-ročk stanovišťa 350 rokov(!). re, Tilia coryna, Hedera s, Ligustrum
edvedí (Allium
Végétation pionnière
Forêt à bois tendre
Forêt à bois dur
Les forêts alluviales naissent et croissent avec l’eau. C’est la dynamique fluviale et des substrats, de l’érosion et de l’alluvionnement qui modèlent et remodèlent ces espaces changeants, de la végétation de steppe aux forêts impénétrables.
Hautes eaux
Bratislava côtoie deux vastes forêts alluviales à ses extrémités. En amont, le parc national autrichien Donau-Auen, où se trouve les plus grandes forêts alluviales de bois dur en Europe centrale (7100 ha). En aval, le site protégé Dunajské luhy le long de la frontière avec la Hongrie, immense forêt alluviale de bois tendre (12000 ha), avec en son sein la plus grande île fluviale d’Europe (Žitný ostrov).
Déplacement du chenal - départ une nouvelle séquence Dépôt récents d’alluvions
La portion du Danube entre Devin et le centre-ville est cet espace de transition entre le Danube Supérieur et Danube Moyen, entre les forêts à bois dur et les forêts à bois tendre. Dans cet espace de transition se trouvent trois reliques importantes de forêts alluviales. Deux de ces trois forêts se trouvent dans la capitale slovaque : l’île de Sihot’ et la forêt de Pečna.
Forêts à bois tendre
Végétation pionnière
Sédimentation Plusieurs
La place de ces forêts est importante dans la continuité écologique du Danube, entre le passage des deux types de forêts. Elles s’inscrivent aussi dans la ceinture verte européenne, le Danube étant ici la frontière entre la Slovaquie et l’Autriche.
décennies Érosion
Saulaie-peupleraie
Chênaie-frênaie-ormaie Plusieurs siècles
Charmaie-chênaie-pinède
Enfoncement du lit avec mise hors d’eau
Mais c’est aussi ici que débute la rencontre entre le Danube et Bratislava, quelle est la place et quel est le rôle de ces reliques face à la ville ? Doivent-elles être des bouts de nature que l’on tente de mettre sous cloche, ou avoir une vocation purement fonctionnelle de captage des eaux ? Que peut donner la ville à la forêt et comment la forêt peut-elle nourrir la ville ? Quelle image que Bratislava peut avoir par son rapport avec son fleuve et ses forêts ?
Frênaie-chênaie Forêts à bois dur
Source : PIÉGAY (2013)
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DE DEVIN AU CENTRE-VILLE : DES BERGES NATURELS AUX QUAIS URBAINS
5 km
62
23 août 2015 Vienne-Bratislava par bateau
Les Carpates. Le surgissement. Un cri du paysage. ... Devin. Porta Hungarica, là où le fleuve fait un coude. L’annonciation. ... Les monts rencontrent la plaine. L’eau comme union des deux mondes. ... Défilent les rideaux boisées. La ville se fait attendre. ... Cette dernière courbe sensuelle. Au loin, la rumeur de la Bratislava. ... Premier pont, où les hommes ont voulu traverser le fleuve. ... Le vis-à-vis. Le quai habité d’un côté, la berge boisée de l’autre. Dernière image de la virée.
5 km
63
5 km Forêt Devin Kobyla
Champs
1400 m
Grands ensembles Karlova Ves
910 m
49 m
2100 m
380 m
Réserve d’eau potable Sihot’
1060 m
Forêt privée Schlossau
325m
Colline du château de Bratislava
905 m
Forêt de Pečna
290 m
275 m
64
1775 m
Grands ensembles Petržalka
Centre historique
940 m
1060 m
Villag Wolfs
Caractère naturel Caractère urbain
ge sthal
225 m
Arrivée par le fleuve, ainsi était ma première impression de Bratislava : Le quai habité d’un côté, la berge boisée de l’autre, la rencontre des deux caractères. Forêt Königswarte
C’est aussi l’endroit où les Carpates s’avancent le plus vers le Danube, créant une pente escarpée, et où la plaine alluviale commence à prendre toutes ses ampleurs vers le sud.
225 m Champs
400 m
Derrière le rideau boisé de la rive droite, se cache la forêt de Pečna, l’une de ces forêts reliques du Danube. Encore un peu plus loin, commencent les champs. Une transversale avec le quai, la forêt, les champs.
2330 m
65
LE QUAI, LA FORÊT, LES CHAMPS Château de Bratislava
Petržalka Autriche
2 km
Le quai : Adossé à la colline de la ville, je cours le long du Danube. L’eau est la souplesse et moi l’inflexible. À mes pieds, le fleuve devient rectiligne. Quand il se déchaîne, je suis le rempart de la ville. J’apprivoise le fleuve, j’en redessine les contours.
La forêt : Apprivoiser est un bien grand mot. À cause de toi, les bras du Danube ont disparu et les arbres en souffrent. Autrefois, le Danube m’avait aussi enlacé dans ses flots. Mes arbres et moi sommes nés avec lui, par lui. J’étais cette île qui s’offrait aux hommes, je suis ce bout de nature contemplant la ville grandir. 66
Les champs : Un bout de nature oublié. Si tes arbres et toi existent encore, c’est que les hommes n’ont su trouver autre chose que l’enclave et l’oubli. Les tentacules de l’autoroute a depuis remplacé les bras envoûtants du Danube. Chez moi, il y a longtemps que le Danube ne m’effleure plus. Le fleuve, je le porte en moi. Ses sources latentes m’abreuvent, mes cultures dessinent encore ces courbes invisibles.
Le quai : Mais à part les oiseaux, qui les voit encore ? Un jour, tes lignes et tes courbes s’effaceront, sur toi s’élèveront les tours et les maisons. Les sinuosités du fleuve ne seront plus que des mythes que l’on osera à peine prononcer. C’est ainsi. Les choses changent, lentement, subitement. Jadis lieu préféré de promenades, aujourd’hui, les immeubles, les bureaux et les restaurants se sont installés sur moi. Et ce rideau boisé en face, la forêt si proche et si lointaine, semble être là depuis toujours, pour toujours. Les champs : Dire qu’hier à peine, on me fendait en deux par le rideau de fer. Tandis que d’un côté on a gardé mes lignes, de l’autre, mes champs se font fondus en de grandes étendues. Du lieu de passage j’étais devenu les confins des mondes. Tous les trois nous ne savons que trop bien les vicissitudes du temps.
La forêt : C’est vrai, on nous a faits, défaits et refaits. À cause de la frontière, les hommes s’éloignèrent de moi et je suis devenue maussade. Aujourd’hui, ils disent de me protéger. Mes arbres croissent dans l’étouffant silence. Les méandres, les vergers, les prés et les alignements plantés, rien n’y est plus. Que ferat-on de moi demain encore ?
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FORET DE PEÄŒNA, SITE SYMPTOMATIQUE
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CET ÉTRANGE PARADOXE
9.12.2015, Place SNP, manifestation pour la sauvegarde de la forêt de Pečna
La forêt de Pečna, un espace qui cherche sa place dans la ville
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L’affaire de la forêt de Pečna a fait l’objet de nombreux articles dans la presse : http://www.lesy.sk/ showdoc.do?docid=4255 1
http://uzemia. enviroportal.sk/main/ detail/cislo/1206 2
http://www. petrzalskenoviny.sk/ Petržalka/07/2013/ pecniansky-les-ako-obetzlocinu/ 3
http://www.lesmedium. sk/o-com-sa-pise/mestochce-statne-lesy 4
http://spravy.pravda.sk/ regiony/clanok/391076vyruby-ohrozuju-aj-dalsielesy-pri-bratislave-varujuochranari/ 5
Lors de ma deuxième visite en décembre 2015 à Bratislava, une manifestation a eu lieu au centre-ville pour la protection de la forêt alluviale de Pečna à Bratislava. Depuis les années 2010, une affaire de corruption avec la vente des parcelles de cette forêt domaniale de 380 ha par l’entreprise forestière d’État (Lesy SR)1 suscite la colère des habitants2, espace pourtant inscrit en tant que site protégé depuis 20123. Suite aux mouvements citoyens, la vente a été invalidée par la Cour Suprême. En février 2016, le conseil municipal de Bratislava a demandé au maire de la ville de prendre en charge la gestion de la forêt domaniale, pour éviter qu’une situation similaire ne se reproduise dans le futur.4 En avril 2016, l’association de la région de Bratislava pour la conservation de la nature et du développement durable a exigé un plan de gestion des forêts de la capitale et de proposition d’offres de loisirs pour les vingt prochaines années à venir (2016-2025)5. Selon une enquête réalisée par la Commission européenne sur la qualité de vie des villes européennes, à la question « êtes-vous satisfaits des espaces verts de votre ville (parc, jardin, forêt, etc.) ? », la capitale slovaque se retrouve dans les derniers du classement. Le cas de la forêt de Pečna est symptomatique d’un paradoxe à Bratislava : la capitale slovaque dispose d’importants espaces naturels près des zones habitées mais pas toujours à la disposition des habitants. Des vides au statut incertain et soumis aux aléas politiques. Par sa situation stratégique — au bord du Danube, en face du centre-ville et le long de la frontière autrichienne — et l’actualité de ses enjeux, la forêt de Pečna m’a semblé être une bonne matière à saisir pour la réappropriation de la ville et la construction de la métropole. À quoi ressemble la forêt de Pečna ? Que fait-on dans la forêt et qui sont ses voisins ? Comment sont ses arbres et comment on s’y sent ? Par une série d’analyse, surgissent petit à petit les potentiels de cette forêt aujourd’hui si triste et pourtant pleines d’opportunités.
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TANT DE CHOSES AUTOUR ET SI PEU DE CHOSES DEDANS
BASSE-AUTRICHE
Entre le centre-ville, Petržalka, le Danube, la frontière et les champs, la forêt de Pečna a une situation stratégique. Son contexte est riche en pratiques sociales. Quant à l’intérieur de la forêt, elle offre actuellement peu d’usages. Le seul endroit investi est la digue/piste cyclable qui n’offrent aucune échappée vers le Danube ou vers le coeur de la forêt. À l’intérieur de la forêt, on ne croise pas grand monde.
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Jardin botanique Clubs d’aviron
Opérations immobilières sur le quai Château de Bratislava Cathédrale Saint-Martin
Digue/piste cyclable
FORÊT DE PEČNA
centre-ville
Pont SNP
Danube
Petržalka Complexe d’expositions Incheba
Parc public Sad Janka Kráľa centre commercial Aupark
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ARCHÉOLOGIE ET PROSPECTIVE D’UNE ÎLE FLUVIALE À UN ESPACE RÉSIDUEL La métamorphose de la forêt de Pečna témoigne de l’évolution du Danube, du développement de la ville, du degré de perméabilité de la frontière ainsi que des rapports que les hommes ont entretenus avec elle. Longtemps exploitée et cultivée, la naturalité de la forêt est toute relative.
1787 La forêt était une île. Le boisement s’y arrête dans la continuité de l’orientation de la ville. Le reste de l’île est cultivé (prés, vergers). À l’est de la forêt sur une île de plus petite taille, un des premiers parcs publics (Sad Janka Kráľa, 1776) d’Europe centrale est créé, offrant une vue sur le Danube et le centre-ville.
Château de Bratislava
1889 Les bras du Danube s’amenuisent, la forêt gagne de la place mais la sylviculture se développe comme en témoignent les allées forestières, toujours suivant une orientation sud-ouest — nord-est. À l’est, un premier hameau s’installe le long de la route menant à Vienne.
1938 Une ligne de fortification est créée dans la forêt près de la frontière autrichienne à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. La Tchécoslovaquie sera sous protectorat nazi et elle ne sera jamais utilisée. À l’est de la forêt, s’est installé le club d’aviron slovaque au bord du Danube. Enfin, le chenal qui entourait la forêt est devienu un bras mort.
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1970 Sous l’ère socialiste, la rive droite du Danube change radicalement de visage avec la création des grands ensembles de Petržalka. Le complexe d’expositions Incheba, est édifié entre Sad Janká Kraľa et la forêt de Pečna. Quant à cette dernière, elle commence à être désinvestie petit à petit avec le début de la disparition des allées forestières.
1990 Les deux autoroutes de Bratislava traversent désormais la forêt. Leur emplacement dans la forêt est dû à l’imperméabilité de la frontière pendant la guerre froide. La digue contre les crues du Danube passe aussi dans la forêt. Le bras mort a maintenant totalement disparu et la forêt n’est plus cultivée. Le quartier de Petržalka continue d’être construit.
2015 Aujourd’hui, entourée d’infrastructures, la forêt a gagné en surfaces mais est devenue un espace résiduel. Avec l’urbanisation du quai d’en face, l’intensification des flux entre l’Autriche et Bratislava et la volonté d’établir un corridor écologique sur le Danube, Comment sera la forêt de Pečna demain ?
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UN ESPACE AU REGARD DU DÉVELOPPEMENT FUTUR DE LA VILLE Loin d’être immuable, la forêt de Pečna s’est transformée au fil du temps. Face aux perspectives futures de la ville, elle changera encore de visage. Sur le plan de développement de la ville (2007), on prévoit un prolongement de l’urbanisation vers la frontière autrichienne. Les derniers champs slovaques le long de la frontière disparaîtraient et la forêt serait alors entourée totalement de surfaces bâties côté slovaque. Comment pourraient être ces nouveaux quartiers riverains de Pečna ? Et quelle est la pertinence d’un tel développement urbain ? Pour désengorger les trafics routiers des deux autoroutes de Bratislava, le projet d’une rocade à l’est de la capitale est en cours. Comment la forêt pourrait-elle évoluer et comment Petržalka pourrait-elle avoir un lien plus évident avec forêt et le bord du Danube, si l’on suppose un déclassement futur de ces autoroutes ? Actuellement, Bratislava est protégée du Danube par un système de digues et de barrières anti-crues. Afin de réguler plus intelligemment le fleuve, a vu le jour l’idée de la création d’un nouveau bras sur la rive droite de Bratislava. Cela permettrait aussi de créer une coulée verte dans la continuité de la ceinture verte européenne, en alimentant tout un réseau de petits bras du Danube en manque d’eau. En longeant la frontière, ces méandres créeraient une « zone de pression positive » et pourraient accueillir des usages de loisirs liés à l’eau et à la campagne. Le nouveau bras prenant sa source au niveau de la forêt de Pečna, n’y aurait-t-il pas là une opportunité de redessiner cette portion de la forêt, magnifiant l’entrée du nouveau Danube dans les terres ?
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UNE FORÊT TRAVERSÉE ET CONTOURNÉE
Lac de Constance
BRATISLAVA CENTRE
Prague
3 Mer noire
Autoroute D2
2
Košice Autoroute D1 Petržalka
1 Budapest
Bulgarie
Vienne 1 km
Accès cycliste/piéton
1
Gare de Petržalka
Danube et piste cycable Eurovelo 6
Accès piéton
2
Arrêt de bus Autriche-Bratislava
Autoroute Prague-Budapest-Košice Route Vienne-Bratislava
Accès voiture (services)
3
Arrêt de bus principal du centre-ville
Sentiers périphériques Route de services, anciennes allées
Piste cyclable du rideau de fer
Les accès se font aux extrémités de la forêt. La digue/ piste cyclable offre une traversée, mais les circulations au sein de Pečna ne permettent pas actuellement de la parcourir dans son épaisseur ni profiter de la berge. On fait le tour, on emprunte quelques anciennes allées. D’un autre côté, Pečna est à la confluence de tout un réseau de circulations à une plus grande échelle. Les autrichiens des villages voisins, les automobilistes de Prague, de Brno, ou de Budapest, les touristes alle-
mands en croisière sur le Danube ou les cyclistes norvégiens sur les traces du rideau de fer… tous croisent sur leur chemin à Bratislava la forêt de Pečna. Une imbrication des flux de différentes échelles, locale, métropolitaine et européenne. Si Pečna est enclavée et morcelée par les infrastructures, elle est aussi justement à la vue de tous. Quelle image pourrait offrir cette forêt de Bratislava à tous ces gens venus d’ailleurs ? 94
L’ENCLAVE ET LE DÉBARRAS
1 km
Site de captage des eaux potables, deux enceintes clôturées de la compagne des eaux se trouvent dans la partie nord de la forêt. La forêt est aussi traversée par une ligne électrique à haute tension (110 kV) qui alimente la rive droite de la ville dont le quartier de Petržalka. L’infrastructure dessine une tranchée de 30 m à l’ouest de la forêt.
slovaque d’aviron, aujourd’hui reconverti en restaurant. Construit dans les années 1930 par l’architecte slovaque Emil Belluš, il est le signe des pratiques récréatives du Danube dans cette partie de la ville auparavant. Enfin, les bunkers du système de fortification sont encore debout dans la forêt, un peu cachés, un peu muets, un peu oubliés. Quel récit pourrait raconte la forêt sur ces histoires, sur l’Histoire ?
Pečna comme support du fonctionnement de la ville actuelle, mais aussi porteur de traces des activités humaines du passé. Une série de bâtiments — pour la plupart abandonnés — prennent place à l’extrémité orientale de la forêt. S’y trouvait notamment le club 96
LES ARBRES, ENTRE LA MÉMOIRE DE L’EAU ET LES TRACES DE L’HOMME
1 km
Si l’eau n’effleure plus la partie orientale de la forêt, la topographie y porte encore la trace des anciennes divagations de l’eau.
La forêt est divisée en deux au niveau hydrologique par la digue de protection des crues.
Risques d’inondation HQ30 138 137 136 135 134 133
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Forêt à bois dur inondable Fraxinus angustifolia Vahl. Fraxinus excelsior, Ulmus minor, Aegopodium podagraria, Allium ursinum... Forêt à bois tendre inondable Salix alba, Salix fragilis, Populus alba, Populus nigra...
Ancienne forêt inondable Populus nigra , Poulus alba, Ulmus laevis, Acer platanoides, Acer pseudoplatanus, Ailanthus altissima... Succession naturelle sur les anciennes parcelles agricoles Sambucus nigra, Euonymus europaeus, Crataegus monogyna, Swida sanguinea, Rosa canina... Appel du ciel avec les frênes Plantations forestières non indigènes Populus x euroamericana, Populus x canescens, Pinus sylvestris... Prairie aux lisières de la forêt Orchis militaris, Leucojum aestivum, Cephalanthera damasonium... Pelouse de la digue et des autoroutes
Milieux humides sur l’ancien bras Restes d’alignements plantés Aesculus hippocastanum
Le sol mou, l’odeur enivrant des ails des ours, mais la forêt si dense avec si peu de clairières, si peu de repères. La balade peut vite devenir ennuyeuse. La composition végétale de la forêt reflète sa situation charnière sur le Danube, lieu de transition entre forêt à bois dur et à bois tendre. Elle montre aussi qu’elle n’est pas si « naturelle » que ça. La partie derrière la digue n’est plus vraiment une forêt alluviale. Mais surtout, se révèlent les traces des interventions humaines (anciennes ou actuelles ) sur cette forêt, entre les arbustes des anciennes parcelles agricoles, les anciennes allées de marronnier et les plantations d’essences non indigènes. Dans la gestion future de Pečna, est-ce vraiment pertinent de favoriser à tout prix la dynamique naturelle des forêts alluviales, comme s’il ne s’était rien passé pendant des siècles, comme si on l’avait jamais mis les pieds sur cette ancienne île du Danube ? 99
Odeur parfumé du sous-bois
Géométrie des peupliers plantés
QU’ELLE SOIT LE JOYAU DE BRATISLAVA
Hölderlin , Der Ister
Hier aber wollen wir bauen. Denn Ströme machen urbar Das Land. Wenn nemlich Kräuter wachsen Und an denselben gehn Im Sommer zu trinken die Thiere, So gehn auch Menschen daran.
Mais ici nous voulons habiter. Car les flots rendent cultivable le pays. Là où poussent des herbes Et que s’en approchent, En été les animaux pour boire, Alors viennent aussi les hommes.
CES POTENTIELS MERVEILLEUX
? BRATISLAVA
BRATISLAVA
1776
2016
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Enclavée, obscure et muette, la forêt de Pečna est une nature sans paysage. Ce vide dans cette ville au statut encore incertain. Pourtant, la forêt de Pečna possède tant de potentiels merveilleux à différentes échelles et temporalités. Elle est l’exemple parfait du phénomène du « à la fois ». Elle appartient au Danube grâce auquel elle est née, à la ville qui l’entoure et qui lui fait face, aux champs qui la borde,nt aux habitants de Bratislava et aux gens venus d’ailleurs. Elle peut être bien plus que ce qu’elle est aujourd’hui. Au 18e siècle, le parc public Sad Janka Kráľa est créé à Bratislava. Une île du Danube est devenue un lieu de promenade où la contemplation de la ville est rendue possible. Bien des années sont passées depuis, Bratislava a bien changé, et ses hommes aussi. La demande d’espaces de loisir est plus grande, la conscience écologique plus forte et la mobilité transfrontalière plus manifeste. La forêt de Pečna peut avoir sa place dans la construction de la métropole et peut participer à l’identité de celle-ci. Pour toutes ces petites et grandes raisons, je voudrais faire de ce bout de forêt une offrande à la ville, une ode aux passages, une célébration aux rencontres.
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LES QUATRE DÉSIRS
Composer une clef de voûte Conférer une qualité intrinsèque à la forêt entre l’espace urbain et l’espace rural, entre Bratislava et la campagne autrichienne.
Dessiner les flux Faire entrer les nouveaux méandres du Danube et faire venir les hommes, une forêt à la fois écologique et récréative.
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je ne vois pas le Danube caché dans la forêt
Sculpter la matière Créer de différentes ambiances et de milieux par la végétation. Donner une forme à la forêt.
Raconter une histoire Forêt comme miroir du temps qui passe, du rapport des hommes à la nature et des vicissitudes de l’Histoire.
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TESTER PAR SCÉNARIOS EXTRÊMES SANCTUAIRE ÉCOLOGIQUE Une graduation de la forêt jusqu’à un cœur impénétrable. Établir des vis-à-vis avec le quai d’en face et la quartier à l’est par la mise en place des prairies. Laisser la dynamique naturelle faire le travail dans la forêt en condamnant le reste des chemins forestiers.
valeur écologique
économique
sociale
UNE FORÊT À LOTIR Créer des différentes ambiances d’habitat : au bord de l’eau, dans le bois, en prolongement de la ville existante. Limiter la construction de nouvelles voiries en reprenant le réseau existant et disparu. Éviter l’échangeur : le boisement comme écran. Prévoir deux grands espaces publics près des ponts.
valeur écologique
économique
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sociale
PRODUCTION SYLVICOLE Prolonger la trame des anciennes les allées forestières Varier les tailles des parcelles et faire une mosaïque des différents stades et gestions forestières. Établir un lien visuel avec la rive gauche en éclaircissant la berge dans l’orientation de la ville
valeur écologique
économique
sociale
PARC DE LOISIR Densifier le réseau des chemins. Grand espace ouvert pour l’accueil des événements Créer des clairières : sur les chemins entre la piste cyclable et les berges, au coeur de la forêt, autour des deux bunkers à l’ouest. Mise en place d’un plan d’eau sur l’ancien bras du Danube pour accueillir des usages liés à l’eau.
valeur écologique
économique
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sociale
SPATIALISER LES INTENTIONS
Combiner écologie et pratiques récréatives
Structurer avec l’eau et les axes historiques
Poser des points forts d’usages
Créer des séquences dans la traversée autoroutière
Inscrire dans le contexte
Esquisses du plan d’ensemble
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Pourquoi les choses devraient être ceci ou cela ? Et si elles pouvaient être ceci et cela ? Le principe de projet est guidé par ce potentiel du « à la fois », où la restauration écologique côtoie une gestion sylvicole, où une structuration globale va de pair avec les interventions localisées, où de nouvelles pratiques urbaines offrent aussi de nouveaux rapports à la nature, où la mémoire n’est pas si antonyme de l’oubli.
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LES QUATRE ZOOMS COMME POINTS D’ACUPUNCTURE La place, où comment être à cheval entre la ville et la forêt.
Le port, annoncer la ville et le nouveau bras du Danube.
Entourée visuellements des monuments phares de la ville (le pont UFO, le château, Tour Incheba et Tour O2), elle joue ici un rôle de transition. L’entrée principale de la forêt est redessinée pour y faire un vrai lieu, mais aussi rétablir un lien avec le centre-ville d’en
La création d’un nouveau port à cet endroit permet de créer un pôle d’activités nautiques avec les clubs d’aviron de la rive opposée, d’acueillir les bateaux venus du Danube, mais aussi être le point de départ des excursions en bateau dans le nouveau bras. Le dessous du
face par une réappropriation de la berge, et mutualiser les arrières du complexe d’exposition Incheba pour les grands rassemblements.
pont d’autoroute est investi et les pratiques existantes telles que les graffitis sont encouragées.
La place
Le port 112
Être au milieu des bois et oublier la ville. Sculpter dans la végétation existante et créer un puits de lumière.
L’épaisseur du temps et de l’Histoire révélée par les nouveaux méandres du Danube.
Située au carrefour de plusieurs allées majeures, la création d’un espace ouvert ici permet de régler le désaxement des allées. La plantation d’un bosquet central joue un effet de surprise lorsque l’on découvre la
Sur l’ancien rideau de fer, une nouvelle île entoure l’un des bunkers encore en place. La gestion de l’île répond à un souci de renaturation des dynamiques fluviales par une stratification végétale de bois durs aux
clairière à la fin des allées. Par une gestion de déblais/ remblais, un étang existant est mis en valeur par une pente douce ondulée qu y mène.
bois tendres. Depuis le chemin de la rive autrichienne, l’axe de vision permet d’englober à la fois le bunker et le château de Bratislava, crée un raccourci mental dans le temps et l’espace.
La clairière
L’île 113
C’est ici qu’il aimait se retrouver avec ses amis. Où surgissaient les monuments de la ville. Il se sentait à Bratislava.
20 m
114
50 m
25 m
40 m
10 m
115
40 m
AttirÊ par les courbes de l’eau et les rires des enfants, il amarra son bateau au port.
116
20 m
30 m
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22 m
Au bout de l’allée, la lumière inonda la clairière. Le vaste ciel l’enivrât, elle s’assît sur l’herbe et oublia la ville.
3m
12 m
5m
8m
118
12 m
C
2m 3m
10 m
119
25 m
4m
38 m
28 m
39 m
120
15 m
Depuis quand le bunker était là, ils ne se souvenaient plus. Ils se plaisaient à imaginer qu’il s’était échoué sur l’île avec les sables d’un autre temps.
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LE TEMPS ET LES HOMMES
122
123
124
125
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