JEAN F O N TA I N E
DES-HUMANO-FOLIE 04.11–24.12.2017
espace nicolas schilling et galerie faubourg de l’hôpital 11, 2000 neuchâtel du me au di, de 14h à 18h www.espace-schilling.ch info@espace-schilling.ch chou farçi, grès, 75 x 35 x 40 cm
Des-humano-folie Du désordre ordonné Décortiquer le travail de Jean Fontaine est en soi une entreprise antagoniste tant le sculpteur français cherche à brouiller les pistes, semer le doute dans l’esprit du visiteur et à se situer à la rupture de plusieurs traditions. Bien que très concret, l’art de Jean Fontaine invite celui qui le contemple à aller au-delà des catégories habituelles. Ainsi, remettre de l’ordre dans ce désordre voulu et organisé paraît contreproductif ; pourtant c’est à la lumière de cet éclairage que ses œuvres prennent encore plus de puissance et révèlent d’avantage de secrets. Une technique de l’illusion Ses créations revêtent une douceur métallique qui contraste étonnamment avec le caractère quelque peu brut des machines. On pense tout de suite à du fer. Grossière erreur : il s’agit de terre, à laquelle l’artiste a rajouté différents oxydes pour qu’elle prenne cette couleur illusionniste. En brouillant ainsi les pistes, Jean Fontaine nous habitue dès le premier regard à chercher à décomposer ce qui s’offre sous nos yeux et fait agir ses œuvres comme de véritables trompe-l’œil. Si dans certaines sculptures le verre, le bois, le papier ou même le bronze contrastent avec cette fausse ferraille, le matériau de base reste toujours la glaise, extraite des carrières de La Puisaye et qui est lavée, tamisée, désaérée et pressée. Cette glaise qui sera finalement recouverte d’oxyde de cuivre, de fer, de manganèse pour être recuite ; derrière ces pièces en bronze se cache toujours un original de terre. Un bestiaire fantastique Jean Fontaine ne joue pas seulement avec les matériaux, il prend également plaisir à mélanger des éléments n’ayant a priori rien en commun. De cette volonté est né le premier de ses trois cycles artistiques : « Zoofolie ». Véritable bestiaire fantastique puisant aussi bien dans la science-fiction que dans la mythologie ou le folklore, cette série s’est attachée à désanimaliser rhinocéros, gazelle, biche, oiseaux ou d’animaliser des courroies de moteur, des boulons, des roues motrices… ce qui fait que ces sculptures mi-bêtes, mi-mécanismes grimpent, rampent, galopent, volent à l’unisson. Et pour cause, une ligne directrice du travail de l’artiste français est le mouvement. Cette logique de dynamisme ne s’exprime jamais aussi bien que lorsque sont associés l’animal et la machine. Mais il ne s’agit pas d’un simple jeu formel, il faut là encore aller chercher plus loin que la simple suggestion de l’observation : du point de vue mécanique, l’animal est bien plus développé que la machine. Un complet renversement des codes ! Mécanique en folie Après « Zoofolie », Jean Fontaine poursuit sa réflexion autour de la mécanique et de la vie. « J’essaie de rendre compte […] de toute cette mécanique de plus en plus
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polluante et de moins en moins utile. » 1 Ce constat le conduit à explorer la frontière entre l’humain et la machine cette fois-ci. Silhouettes futuristes ou objets quasi-tentaculaires s’immiscent ici pour détourner la vie et faire communiquer l’art et la science. Il s’agit d’encore et toujours rapprocher les frontières : « ces machines que l’on dit inhumaines sont pourtant nos enfants, nos créations. » 2 Humour sans détour Une autre composante essentielle de son travail est visible à la fois directement sur les sculptures elles-mêmes et dans les titres. L’artiste s’amuse une nouvelle fois à manipuler les éléments et à les détourner, mais en appuyant très clairement cette foisci sur les ressorts comiques. Viole de gambettes, Luth pour la vie, Hippopotamère, Gazelle au gazoil ; autant de titres qui évoquent le détournement au travers de traits d’humour. Pour lui, l’humour est « le moyen le plus direct de communiquer d’homme à homme. » 3 Issu d’un imaginaire cybernétique, post-humaniste ou futuriste, l’univers de Jean Fontaine reprend des thèmes plus que jamais actuels : irruption de plus en plus totale dans notre vie de la mécanique et de la technique, déshumanisation des êtres ; ses sculptures sont des artefacts du XXIe siècle.
Quentin Perissinotto
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L’Express, vendredi 21 novembre 2014 Ibid. Ibid.
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