Mémoire de 1e année de Master Terre et Architecture Contemporaine Chansavang Quentin Directeur de mémoire: Hubert GUILLAUD, directeur scientifique de CRATerre-ENSAG, enseignant à l’ Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Je tiens à remercier Hubert Guillaud pour son suivi Vincent Rigassi et Adreas Krewet pour leur aide l’ensemble du studio pour leur soutient et l’aide qu’ils m’ont apportée © école nationale supérieure d’architecture de grenoble, mai 2008
Terre et Architecture Contemporaine Chansavang Quentin
sommaire
introduction I potentialités du matériau
1. omniprésence et disponibilité 2. simplicité et variété de mise en oeuvre 3. qualités d’ambiances 4. un potentiel écologique écologiques
II une architecture encore peu accessible
1. production du matériau 2. contraintes politiques et juridiques 3. la démarche de projet
III hypothèses d’amélioration et de développement de la « filière terre » 1. productions et mises en oeuvre 2. une valorisation politique 3. le positionnement de l’architecte 4. innovation: technologies terre 5. l’expérimentation démonstrative
conclusion bibliographie
introduction
Les problèmes d’accession au logement et d’écologie sont aujourd’hui deux des principaux thèmes que les architectes ont à appréhender. Une logement pour tous, qui répondrait à une dynamique de développement durable. Ce mémoire a pour but de se questionner sur le renouveau d’un matériau économique et écologique: la terre. Un matériau de construction ancestral pourtant très utilisé dans le passé, mais qui a été oublié au profit d’autres matériaux peu respectueux de l’environnement. Le questionnement repose sur la relance de la dynamique de construction en terre.
pas au goût du jour? On sait que le renouveau de la matière terre à été amorcée par le laboratoire CRATerre dans les années 70-80. Relancer la construction en terre dans un soucis de lutte contre la pauvreté. Un toit pour tous. C’est le même type de problématique que pose le studio Architecture et Cultures Constructives.
La terre est l’un des matériaux de construction les plus anciens de l’histoire. L’homme a appris avec le temps à utiliser le matériau qui constitue le sol qu’il foule. Il a ainsi développé une multitude de techniques constructives à travers le temps et les civilisations. Aujourd’hui, on considère que plus d’un tiers de la population planétaire se loge dans une habitation en terre. Qu’en est-il des pays occidentaux? On se rend compte qu’en France, la construction terre existe depuis longtemps, à travers la technique de la bauge en Bretagne, le pisé en Isère, ou encore les techniques de terre-gallet dans la Drôme. Les différentes propriétés de la terre en construction sont connues, mais le savoir-faire oublié. Les propriétés avantageuses de ce matériau sont nombreuses. Comment se fait-il qu’à une époque ou le réchauffement de la planète fait réaliser au monde que les questions d’écologie sont vitales, un matériau comme la terre ne soit
Il faut d’abord exposer les potentialités du matériau terre, de manière a mieux appréhender les problèmes qui concernent le matériau. Il faut savoir comment met-on en oeuvre la terre, et quelles possibilités offrent ses différentes utilisations pour l’architecture. La dynamique de la construction en terre tente de repartir, mais elle ne progresse pas aussi bien que l’a fait le bois dans les années 80. Il faut trouver les raisons de ce frein, quels types de contraintes empêchent un secteur de se développer? S’agitil de problèmes politiques, de production? Est-ce que les architectes ont leur mot à dire? Nous tenterons d’y répondre en définissant une manière d’agir pour l’architecte, ainsi que les ouvertures envisageables.
Peut-on imaginer une réponse possible à une demande sociale, soucieuse de qualité environnementale où les matériaux « naturels » peuvent se repositionner?
I . les potentialitĂŠs du matĂŠriau
1. Omniprésence et disponibilité
2. Variété et simplicité de mise en oeuvre
Une des qualités les plus importantes du matériau terre en matière de coût dans une démarche de conception-réalisation, est sa grande disponibilité (étant donné l’étendue de certaines villes aujourd’hui, on ne peut plus parler d’omniprésence). Peu de matériaux présentent cet avantage. D’autres matériaux naturels tels que la pierre et le bois sont faciles à trouvable dans la nature, mais la terre représente le sol que nous foulons, et sa disponibilité n’est pas comparable à ces autres matériaux.
De par ses propriétés géologiques, le matériau terre possède une grande variété et simplicité de mise en œuvre, qui s’associent à une grande variété de modes de construction. Ainsi, on peut trouver différentes techniques : le pisé, le banché coulé, le façonnage direct, l’adobe, les briques compressées, la terre projetée, la bauge (terrepaille), la terre armée, découpage de briques dans le sol ainsi que différentes techniques mixtes, mélangeant la terre à d’autres matériaux (torchis par exemple).
La terre est l’ un des plus anciens matériaux de construction de l’histoire de l’humanité. En effet, les civilisations Perses, Assyriennes, Egyptiennes et Babyloniennes s’en sont énormément servi. On peut aujourd’hui encore admirer les restes de réalisations monumentales de ces civilisations (Photo de Ctésiphon en Irak et ruines de Chan-Chan, fig.1 et 2).
Quelques précision sur la mise en œuvre des techniques les plus répandues en France : - Pisé : Il s’agit de terre crue compactée dans un coffrage. La terre est idéalement graveleuse et argileuse, mais on trouve des constructions en pisé réalisées avec des terres fines. La terre peut être amendée (ou stabilisée) à l’aide de chaux, de ciment, plus rarement d’autres produits. - Le torchis : c’est une technique de construction du type ossature-remplissage (pans de bois). La structure porteuse (en bois souvent) en remplie d’un clayonnage de bois, sur lequel est projeté un mélange de terre et de fibres végétales ou animales. - L’adobe : Il s’agit de briques de terre crue, séchées au soleil (voir céramique), et utilisées comme matériau de construction. Ces briques sont obtenues à partir d’un mélange d’argile, d’eau et éventuellement d’un liant utilisé en petite quantité : de la paille hachée par exemple.
Mais la quasi-omniprésence du matériau n’a pas seulement servi a des civilisations antiques de se développer et de se loger. Cette disponibilité a un sérieux impact sur son utilisation aujourd’hui d’un point de vue économique. Quelques maisons récentes profitent de l’économie que cela peut représenter, mais on est encore loin d’exploiter la pleine capacité de la construction.
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Fig.1: Le Temple de Ctésiphon, Irak Fig. 2,3,4: La Cité de Chan Chan
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Ces différents modes de construction, requièrent un certain savoir-faire. Cependant, la malléabilité de la terre, et son utilisation à l’état brut, rend ce mode de construction peu compliqué. La mise en oeuvre de la terre ne nécessite pas de machines plus sophistiquées qu’un fouloir pneumatique (b) pour le pisé, ou une presse manuelle Terstaram (a) pour la fabrication de briques d’adobe.
a.
Le Tableau regroupe les différentes mises en œuvre selon l’état de matériau lors de son utilisation. (Extrait de Construire en terre du CRATerre : P.Doat, A Hays, H. Houben, S. Matuk et F. Vitoux) b.
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Fig.1
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3. Qualités d’ambiance a. les qualités thermiques Contrairement aux idées reçues, la terre n’est pas un matériau isolant. En revanche, elle possède une excellente inertie thermique. Ceci se traduit par une régulation des différences de températures intérieures (pour l’été : plus frais le jour car le mur se rafraîchit la nuit, rendant cette fraîcheur le jour). Voici quelques valeurs, pour une terre à 1500 kg/m³: Conductivité (en W/m.°C) = 0,75 Chaleur spécifique (en J/kg.°C) = 900 Capacité thermique (en kJ/m³.°C) = 1350 Effusivité thermique (en J/(racine carrée de la capacité thermique) .m².°C) = 1,00 Soit, pour du pisé à 2000 kg/m³, une capacité thermique de 1800 kJ/m³.°C.
Fig. 1: Murs en adobe Fig. 2 et 4 : Projets de Rick Joy en pisé Fig. 3 : Exemple de mur en torchis
Ainsi, les murs en terre – le plus souvent de type pisé ou adobe pour leur masse – Sont utilisés comme murs trombe dans les maisons bioclimatiques : ils sont placés derrière une verrière recevant le soleil, afin que l’inertie de la terre lui permette en hiver d’accumuler la chaleur le jour, et de la restituer la nuit, et en été la faible effusivité de la terre fait qu’elle transmet peu la chaleur (la serre est tout de même à protéger du soleil, pour éviter les surchauffes. Ceci concerne une « optimisation » de l’inertie thermique de la terre. Mais cette inertie fonctionne tout aussi bien sur les maisons traditionnelles en pisé par exemple, malgré un manque d’isolation.
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b. les qualités hygrométriques
c. les qualités acoustiques
La composition de la terre fait qu’elle possède des propriétés hygrométriques exceptionnelles. En effet, l’hygrométrie des maisons en terre est régulée par cette dernière. Une fois mise en œuvre, la terre est relativement humide (en fonction des différents types de mise en œuvre). L’humidité baisse petit à petit, puis se stabilise entre 45 et 55%. C’est sa perméabilité à la vapeur d’eau qui lui donne cette capacité. Elle peut donc être très utile dans les régions humides de la France.
Les murs en pisé ou en adobe profitent de leur masse (épaisseur conséquente), ainsi que de la porosité du matériau mis en œuvre, pour bénéficier d’une isolation acoustique. La terre est dite comme « bon » voire « très bon » en absorption acoustique et isolation phonique. Il est cependant difficile de trouver des valeurs numériques afin de comparer la terre à d’autres matériaux.
d. Les qualités esthétiques et plastiques Le réseau Ecobâtir a édifié des fiches monograLes constructions en terre permettent beaucoup phiques sur différents bâtiments « respectant l’envid’effets plastiques. Que ce soit le pisé, la bauge ou ronnement et les valeurs humaines » . L’une d’elles concerne une maison en adobe dans le sud-ouest encore l’adobe. de la France. Voici les différents commentaires au Quelques architectes sont connus pour leur utisujet de l’hygrométrie (fig. 5). lisation du pisé de manière quasi exclusive. Martin « Un faible ensoleillement (4 h par jour en hiver) et Rauch, entrepreneur autrichien spécialisé dans la beaucoup d’humidité (1000 à 1200 mm de pluie terre, a réalisé de nombreux projets en collabopar an, un ruisseau et des sources sous le terrain), ration avec plusieurs architectes du Vorarlberg. n’ont nullement empêché la réalisation d’une Ses projets n’utilisent pas seulement les caractémaison agréable à vivre et ouverte sur son envi- ristiques physiques et techniques de la terre, mais aussi la plasticité et l’esthétisme de ce matériau. A ronnement. La capacité de stockage hygrothermique des l’aide de poussière de briques et autres minéraux murs en terre permet quand à elle de réguler la naturels colorés, il crée des couches de couleurs température créant une très bonne impression de qu’il insère au moment du montage du mur. Une fois le mur monté, il achève son travail par une finiconfort. » tion manuelle (fig. 6).
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Rick Joy est un architecte américain exerçant à Tucson en Arizona, qui utilise la texture brute de la terre pour exprimer sa sensibilité aux paysages et à l’environnement désertique. Il a en effet réalisé plusieurs maisons dans des paysages désertiques, d’où le souci de l’insertion d’une architecture contemporaine dans ces paysages (fig. 7et 8) Enfin en France, la terre est aussi employée pour des éléments d’usages publics. Le parc de Gerland à Lyon est ainsi orné de murs en pisé réalisés par AKTerre. Ce parc est reconnu pour la qualité de ses ambiances (fig. 9).
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4. Un potentiel écologique a. l’énergie grise
Matériaux « conventionnels » :
L’énergie grise est la quantité d’énergie nécessaire à la production et la fabrication des matériaux ou des produits industriels. En théorie, un bilan d’énergie grise additionne l’énergie dépensée lors de : - la conception du produit ou du service - l’extraction et le transport des matières premières - la transformation des matières premières et la fabrication du produit ou lors de la préparation du service - la commercialisation du produit ou du service - l’usage ou la mise en œuvre du produit ou lors de la fourniture du service - le recyclage du produit
métaux Acier 60 000 Aluminium 190 000 murs porteurs - Béton 500 - Brique terre cuite pleine 1 200 - Béton armé 1 850 enduits - Enduit à la chaux 450 - Enduit plâtre 750 - Enduit ciment 1 100 - Enduit synthétique 3 300 la charpente - Bois d’oeuvre 180 - Bois lamellé-collé 2 200 les cloisons légères - Panneau de plâtre cartonné - Panneau fibre de bois (dur) 3 800 - Contre-plaqué 4 000 l’isolation thermique fibres de lin 30; fibres de chanvre 40; cellulose de bois 50 ; laine de mouton 55 ; laine de roche 150 ; laine de verre 250 ; argile expansé 300 ; panneau de liège 450 ; polystyrène expansé 450 ; polystyrène extrudé 850 ; panneau fibre de bois (tendre) 1 400. la couverture - Tuile béton 500 - Tuile terre cuite 1 400
Voici la situation de la terre parmi d’autres matériaux communs de la construction (énergie grise en kWh/m³) Terre : - Pisé (2000 kg / m³) : 100 - Enduit argile ou terre crue : 30 - Brique de terre comprimée à 20-40 bars - Stabilisée (8% de ciment) : 780 - Béton terre-paille 600kg/m3 (bauge) : 18 Les éléments de la construction terre sont nettement en dessous de la plupart des autres matériaux de construction « traditionnels », à usages similaires.
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b. la capacité de recyclage La terre n’ayant pas forcément besoin d’être mélangée à des éléments non-naturels, elle est infiniment recyclable et réutilisable lors de la déconstruction ou destruction d’édifices en terre. Cette illustration décrit le « cycle de vie » de la terre crue. A une époque où l’on parle de pacte écologique et de Grenelle de l’environnement, le matériau terre est certainement le matériau de construction le plus recyclable. Cette caractéristique fait de la terre un matériau à « haute qualité environnementale», théoriquement... c. durabilité Enfin, la terre crue a la capacité de résister au temps, à l’incendie, à l’humidité. Sa résistance au temps se démontre par les monuments antiques ayant traversé les générations, les mêmes vus en Partie I.1. . La capacité de la terre de régulation de l’hygrométrie lui permet de résister à l’humidité. Ce matériau est classé «incombustible, c’est à dire norme M0, ou Euroclasse A2. (normes incendie) Enfin, la dureté et la durabilité de la terre lui confère souvent un usage de rénovation, réparation, ce qui évite tout processus chimique, et une mise en oeuvre simple. Le cycle de vie de la terre crue
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II . Une architecture de terre encore peu accessible
1. La production du matériau Malgré les différentes qualités de ce matériau, son utilisation reste à quelques exceptions près, réservé à des privilégiés, ou à une minorité de personnes informées sur le sujet. De manière générale, le « matériau du pauvre » est aujourd’hui relativement inaccessible en France. La terre est employé par plus d’un tiers de la planète pour la « construction », et principalement dans les pays sous-développés, peu développés ou en voie de développement (Afrique, Asie, Amérique latine). Pourquoi cette architecture de terre est-elle inaccessible, alors qu’elle fut très utilisée en France (la bauge en Bretagne, le pisé en Nord-Isère)? Qu’est-ce qui la rend aussi peu accessible?
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a. l’économie de la production du matériau En matière de production du matériau terre, on peu distinguer trois types de production: l’autoproduction, la production artisanale, et la production semi-industrielle. - L’auto-production consiste simplement à profiter d’un des atouts majeurs de la construction en terre, à savoir, sa disponibilité In Situ. Lorsque la terre du site de construction est utilisable, elle permet à la maîtrise d’ouvrage de produire sa propre terre. Elle permet d’économiser l’achat du matériau chez un artisan ou une entreprise, ainsi que son transport. Mais cela n’assure pas une quantité de terre suffisante pour tout les projets. Elle nécessite de plus le déplacement de machines, de banches, etc.. Ce qui signifie un retour à vide des camions, donc une dépense d’énergie supplémentaire. La terre pour être mise en oeuvre nécessite d’être séchée, ce qui engendre un besoin de place supplémentaire sur le chantier. Ce mode de production de la terre nécessite donc quelques précautions, et d’anticiper l’énergie économisée ou gaspillée. C’est ainsi qu’a été réalisée la maison personnelle de Martin Rauch.
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Maison personnelle de Martin Rauch Le terrain ce situe dans la commune de Schlins dans le Vorarlberg, en Autriche. Il est en pente raide et est exposé plein sud. La maison telle qu’elle est positionnée réagit directement avec la topographie et son contexte paysager pur: un bâtiment monolithique sort du sol comme un bloc sculptural, une nature abstraite sortant littéralement du sol. De plus, la technique de construction de murs massifs en pisé réunit cette intention architecturale, avec la volonté précise de construire un bâtiment écologique, fait de matériaux exclusivement naturels. De plus la totalité de la terre utilisée provient du site et n’a pas eu besoin d’être modifiée.
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- En France, étant donné l’avancement du développement de la production de terre crue, production semi-industrielles et production artisanale sont assez similaire. Ce type de production présente certains d’avantages. Tout d’abord, Elle garantit une qualité de matière, puisque les terres sont puisées et carrière sur des lieux choisis. De plus, elle permet peut-être d’économiser quand à la planification économique du projet, la terre ayant un prix fixe, ainsi que les transports. Enfin, la production semi-industrielle de terre permet de ne pas travailler en flux tendu, en assurant un stock de matière prévu. Cependant, La semi-industrialisation de la terre est un peu en contradiction avec les potentialités même du matériau. Cette démarche provoque la création de carrières, et des flux de transports de matière. De plus, il existe très peu d’entreprises de ce type. Mais, si un entrepreneur est appelé à travailler loin de son siège et de manière locale, il sera compliqué pour lui de trouver un endroit proche du chantier avec de la bonne terre, ainsi qu’un artisan qui sache l’exploiter. Sur une longue distance, il aura mieux fait de se présenter sur un chantier avec son matériau et son savoir-faire. Le type de production de la terre crue peut engendrer à plusieurs niveaux des sur-dépenses. L’échelle, la situation et le type de projet définissent ces niveaux, et c’est pourquoi il faut laisser le temps à ces trois modes de se développer les uns à côté des autres.
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b. production et diffusion sur le marché Les autres matériaux de construction (béton, acier) sont encrés dans la culture du bâtiment en France, et c’est ainsi que la plupart des entreprises de maçonnerie ne jurent plus que par le béton. On trouve sur le marché des grands groupes industriels de béton (Vicat, Lafarge) et donc une concurrence qui permet d’avoisiner les 130-150 €/m³ (Chiffre approximatif pour des logements à Echirolles (38), Chabal Architectes) pour un matériau qui engendre des transformations chimiques conséquentes, et des dépenses d’énergie importantes. La filière terre est en plein renouveau, et par conséquent, la commercialisation des matériaux et composant pour la construction en terre reste faible. Seule la société Akterre a réussi à se hisser au niveau national, en passant à travers des revendeurs dans beaucoup de départements français. Par comparaison, il existe en Allemagne 4 ou 5 producteurs de l’échelle de Claytec, largement premier producteur européen. Le producteur Akterre n’a pas encore l’envergure de ces entreprises, qui s’exportent déjà au Luxembourg, en Belgique et aux Pays-Bas. Il existe certes des petits producteurs locaux, mais qui n’ont apparemment pas l’ambition de « lancer la machine » en France. Pour développer la filière, les producteurs français ont besoin de commande. Nous verrons le rôle que peuvent jouer les autres acteurs de la démarche de conception - réalisation.
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2. Contraintes politiques et juridiques Comme souvent dans le monde du bâtiment, des contraintes peuvent être de l’ordre de la réglementation, et même politique. Nous allons tenter de voir quelle influence ont les règlements et les décisions politiques sur le développement de l’architecture de terre. a. les effets de la réglementation En France, seuls les enduits en terre sont considérés par les règlements. En effet, mis à par ces enduits on ne peut trouver aucun DTU ou encore norme certifiée NF concernant la construction en terre. Cela ne présente pas de problème en soi, vis-à-vis de la sécurité et du bon fonctionnement des constructions en terre. Cependant, les architectes devant assurer une garantie décennale en France, les bureaux de contrôle ont du mal à valider un type de construction non certifié, vis-à-vis des assurances. Cette absence de réglementation ne gêne pas la possibilité de construire quelque chose, mais simplement une validation de la part des compagnies d’assurance et des bureaux d’études et de contrôle. Le France observe un retard ‘environ 10 à 15 ans matière de politique environnementale. On peut constater qu’en Allemagne, des règles professionnelles pour la construction en terre ont été rédigées il y a quelques années, par Christof Ziegert entre autres. Ceci a permis l’explosion du marché de la construction de terre en Allemagne.
La terre n’étant pas spécialement différente en Allemagne par rapport à la France, les acquis techniques de l’Allemagne pourraient servirent à la France afin de créer les même règles. Apparemment, la coordination européenne ne fonctionne pas encore pour tous les secteurs. Une autre réglementation française concerne elle plus ou moins directement la construction en terre. La réglementation thermique 2005, qui s’applique aux bâtiments neufs résidentiels et tertiaires et concerne les projets dont le dépôt de la demande de permis de construire est postérieur au 1er septembre 2006. Cette réglementation explique la nécessité de s’isoler par l’extérieur, ce qui limite la terre à un usage intérieur. Cette limite n’est pas gênante d’un point de vue fonctionnel, puisque les propriétés de la terre agissent principalement en intérieur. b. la non-prise en compte « HQE » Cette norme est très controversée, mais appréciée des promoteurs, élus, et usagers. Les qualités environnementales du matériau terre n’y sont pas assez prises en compte. Cette réglementation ne met pas assez l’accent sur la nature des matériaux à utiliser ainsi que sur les techniques de construction et de rénovation à privilégier. S’il y a des dispositions concernant l’isolation par exemple, aucun type de matériaux plus écologiques ou plus économiques n’y est privilégié.
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3. La démarche de projet Il n’y a aucune obligation de choisir tel ou tel matériel. Or, les chantiers de construction émettent beaucoup de gaz à effet, mais surtout la fabrication des matériaux puis, on l’oublie trop souvent, le recyclage du bâtiment en fin de vie. L’énergie grise n’est donc pas prise en compte par la norme.
Les matériaux nouveaux sont souvent mis en exergue à travers des projets phare. Depuis le Domaine de la terre créé dans les années quatre-vingt, les différentes raisons que nous venons d’énoncer n’ont pas permis la réalisation de tels projets en France. De l’esquisse au chantier, qu’en est-il de la division des compétences dans le jeu des acteurs Même si elles ne régissent pas le monde de l’ar- dans la démarche de conception-réalisation? Il chitecture de terre, les normes et les règlements faut poser la question des compétences profesont une certaine influence sur elle, ou pourraient sionnelles. en avoir une. a. la conception de projets Les projets « phare » de la construction en terre ne représentent encore pas assez l’aspect économique et écologique du matériau tels qu’ils pourraient le faire. En effet, le mode de construction de terre le plus représentatif est le pisé. Ainsi, les projets de Rick Joy comme la Mountain House ou la Catalina House, par exemple. Mais ce n’est pas ce genre de maison qui vont permettre de rendre ces maisons accessible, à moins d’une fiche détaillée qui indique un prix de 500€/m². En France, 10 projets qui pourraient être représentatifs ont été construits durant les années 80 sur un site de 1,6 hectare. Depuis, ce type d’opération expérimentale et démonstrative n’ont plus été réédité. D’un point de vue économique, la construction en pisé est un des plus chers types de construction en terre, et relativement plus cher que les autres
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4 maisons de 4P répartis en 2 maisons mitoyennes Murs en pisé, planchers bois et charpentes métalliques Jourda Perraudin Architectes, 1984 Maisons du « Village Terre » à Villefontaine (38)
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Mountain House, Rick Joy
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Catanlina House, Rick Joy
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matériaux de maçonnerie dits conventionnels, le pisé reste aussi assez au-dessus en matière de prix. D’un point de vue utilisation du matériau, Rick Joy s’en sert principalement pour ses qualités esthétiques et son inertie thermique, bien que très limitée par les grandes baies vitrées. Aujourd’hui, les architectes ne se « mouillent » pas réellement quand à l’utilisation de nouveaux matériaux écologiques tels que la terre cure. La garantie décennale et tout ce qu’elle implique peut expliquer cela. Mais rien ne lui interdit d’utiliser la terre crue. Il s’agit ici en simplifiant, de « bonne volonté ». La question de la formation se pose alors.
Les entreprises ne sont pas les seuls acteurs potentiels du développement de la terre dans le milieu de la construction. Les différents acteurs de la démarche de projet ont un rôle à jouer. C’est ici que le problème de la formation se pose. Quand aux architectes, maîtres d’oeuvre, bureaux d’études et bureaux de contrôle, il est aussi nécessaire qu’ils reçoivent une formation, pour ne serait-ce qu’imagine de réaliser tel ou tel projet en terre crue. Seulement, la maçonnerie en France a tendance à favoriser le second oeuvre. La qualité de gros oeuvre est donc très moyenne par rapport aux autres pays d’Europe. Les bénéfices fait sur le second oeuvre ne poussent apparemment pas les b. les compétences professionnelles décideurs à créer des formations de bonne main d’oeuvre dur le gros oeuvre. On peut donc comPour se développer, le monde de l’architecture prendre que généraliser la formation d’un matéde terre nécessite un certain savoir-faire. En effet, riau comme la terre ne sera pas évident. la principale raison du coût élevé de la construction en terre, principalement le pisé, outre le prix c. l’architecte dans tout ça de la matière c’est la main d’oeuvre qui demande du temps et des ouvriers. Le procédé de mise en Pour que les maîtrises d’ouvrage (ERP, Logement oeuvre demande un travail principalement « ma- Social, privées) aient conscience et confiance nuel ». Un mur en béton ne nécessite que la pose en la terre, il leur faut une assurance psychologide banche, et un coulage de béton. Le temps de que, c’est à dire plusieurs références de bâtiments montage pour un mur en pisé équivalent en volu- construits en terre, pour lesquels le chantier s’est me est nettement supérieur, et demande plusieurs relativement bien passé, et pour lesquels les usahommes. gers sont satisfaits. Les maçons travaillant la brique de terre cuite Pour que les bureaux d’études, et les entreprises sont tout à fait capables de travailler la terre crue. commencent à travailler sur la terre crue, il faut leur Mais ce n’est pas eux qui choisissent le matériau à apporter des projets. Depuis les années 80, les difutiliser. L’intention doit venir de l’architecte. férentes raisons réglementaires et juridiques n’ont
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pas encouragé les architectes à innover dans la pratiques des matériaux. Enfin, les tendances architecturales sont pour beaucoup dans l’oubli de l’emploi de nouveaux matériaux. Certaines idéologies architecturales poussent de plus en plus les architectes à penser avant tout à créer des espaces et des formes, aussi saugrenues qu’elles peuvent l’être, sans penser aux matériaux. Cela pousse souvent à des prouesses technologiques surdimensionnées. Ces prouesses sont bien évidemment consommatrices de beaucoup d’énergie. Il ne s’agit pas d’être radicaliste écologiste, mais de prendre l’environnement d’un projet en compte, dans tous les sens du terme, à savoir, le rapport au site, l’insertion paysagère, mais aussi son écosystème. La progression du matériau terre dans un monde tel que le bâtiment, nécessite un investissement de la part de beaucoup de corps de métiers différents. Ces investissements ont besoin d’être lancé, canalisés et organisés. L’architecte a certainement un rôle important à jouer dans cette guerre des rôles.
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III . Hypothèses d’amélioration de l’économie globale de la conception-réalisation des Architectures de terre
1. Productions et mises en oeuvre La terre crue possède de nombreuses potentialités d’ordre écologiques et économiques, ce qui pourrait répondre à deux problématiques actuelles dans le domaine de l’architecture, à savoir la qualité environnementale, l’économie des énergies, ainsi que l’accession au logement. Pourtant, la terre ne se développe pas aussi bien que dans d’autres pays d’Europe tels que l’Allemagne, l’Autriche, ou encore le Portugal, pour différentes raisons citées précédemment. La construction de terre en France n’est pas encore connue du public, et peu sollicitée par les différents corps de métier du bâtiment. Dans quel domaine pouvons-nous intervenir et quelle marge de manoeuvre avons-nous pour développer la filière terre?
Il existe deux idéologies bien opposées au niveau du mode de production de la terre crue. La question est donc de savoir si la construction en terre « s’industrialise » ou si au contraire elle met en avant sa différence en proposant un mode de production « non industriel ». Les acteurs de la construction en terre ne sont pas forcément d’accord sur les stratégies à suivre, pour certains l’industrialisation de la construction en terre est le moyen de sa généralisation, pour d’autres au contraire il faut affirmer sa différence pour faire la démonstration que des modes de production différents, bien que peu encouragés dans le fonctionnement actuel, ont des « performances » tant environnementales, que sociales ou culturelles bien supérieures. N’étant pas encore « entré dans les débats », je ne prends partie pour aucune des deux idéologies, et tente continuer le développement à partir des informations que j’ai pu obtenir. Comme souvent, il n’y a pas de « règle » à suivre quant à la production du matériau. L’autoproduction permet souvent des économies lorsqu’elle est optimisée. Il faut pour cela lui associer un mode de construction en terre adaptée, ne nécessitant pas de surcoût dus au des transports et à l’utilisation d’engins de chantier superflus. Soit la terre doit être idéalement constituée pour la construction, soit le mode de construction ne doit pas être trop exigeant vis-à-vis de la composition de cette terre. Les fiches monographiques mises en ligne par le réseau Ecobâtir exposent plusieurs exemples pour
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LOTISSEMENT HLM DE 8 MAISONS EN PISE A Rommille près de Rennes lesquels, l’autoproduction (associée à l’auto-construction) a été bénéfique. On se rend compte que pour des projets de cette échelle, l’économie provient principalement de l’autoconstruction, ainsi que l’autoproduction. La production se fait avec les « moyens du bord » (transport de la matière par des engins agricoles locaux par exemple). La main d’oeuvre pour la construction en pisé coûte particulièrement chère, puisqu’elle demande du temps. L’utilisation du pisé peu donc être remise en cause d’un point de vue économique. On se rend compte que l’économie de ce type de projet repose principalement sur la bonne volonté et l’envie des auto-constructeurs qui permettent d’économiser une partie ou la totalité de la main d’oeuvre sur un projet de la sorte. Et c’est précisément cette main d’oeuvre que l’on ne pourra pas économiser sur un projet de plus grande envergure. L’architecture de terre ne doit particulièrement se distinguer par des projets pharaoniques, mais un des moyens de la rendre « populaire » auprès des architectes et des éventuelles maîtrises d’ouvrage, est certainement la réalisation de projets représentatif des capacités du matériau, et d’échelle supérieure à du logement individuel ou même semi-collectif. Ces projets devraient sans doute être réalisés dans des grandes villes, ou dans leurs alentours.
Lieu : Romillé, Ille et vilaine Techniques : Pisé Maîtrise d’ouvrage : OPAC d’Ille et vilaine Maîtrise d’oeuvre : Dominique Urien, Rennes Gros oeuvre : Entreprise Morino, Sens Analyse terre : INSA de Rennes Formation terre : CRATerre-EAG, Grenoble Date de la construction : 1991-92 Surface habitable : 710 m² Coût de la construction : 336 000 € Volume de terre : 139 m3 / 200 m3 brut Soit 475€/m² Ici, l’entreprise de vend pas le matériau et fourni seulement la main d’oeuvre. C’est ici que l’économie se réalise, en utilisant les matériaux locaux.
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MAISON D’HABITATION DANS LA CAMPAGNE TOULOUSAINE
Lieu :Lagardelle/Lèze (31) Techniques :terre-paille sur ossature bois, bétons de terre & isolation en matériaux végétaux bruts Conception :P. Charmeau, P. Besse et Alain Klein , Inventerre Consultants :Ivan Pujol , BEB Ecohabitat Autoconstructeurs :Pierre et Nicole Besse Assistance à la maîtrise d’oeuvre :Patrick Charmeau Surface totale de plancher :300 m² Dont habitable :170 m² Bois d’oeuvre :Scierie De Rossi, 31870 Lagardelle Poêle à bois :Martin Hiemstra , 81220 Prades Chauffe-eau solaire :Solartec, 31200 Toulouse Blocs de terre comprimée :Gérard Vivès, 32220 L’Islearné Coût de la construction :46000 € hors main d’oeuvre Main d’oeuvre totale :environ 4500 h
4 GITES RURAUX ET UNE MAISON D’HABITATION EN PISE DANS LE POITEVIN
Lieu : La Bussière, Vienne Technique : Pisé Auto-constructeur : Alain Bozier Conseil terre : CRATerre-EAG, Grenoble Les 4 gîtes: Maîtrise d’oeuvre : Yannis Vellis, Poitier Date de la construction : 1987-89 Surface habitable : 4 x 35 m2 Coût de la construction : 4 x 29 950 euros Volume de terre : 4 x 15 m3 Soit environ 855€/m² La maison d’habitation: Maîtrise d’oeuvre : Alain Bozier Date de la construction : 1990-91 Surface habitable : 120 m2 Coût de la construction : 48 850 euros Volume de terre : 33 m3 Soit environ 410€/m²
Soit 270€/m²
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MAISON D’HABITATION DANS LE SUD-OUEST CONSTRUITE EN BLOCS DE TERRE COMPRIMÉE SOUS UN BON CHAPEAU
Lieu : Sud Ouest Techniques : BTC et Terre/paille Auto-constructeurs : Pierre et Martine Architecte : Alain Klein, Inventerre SA Sem Angles, Albi Charpente métallique : Dejean Serviére, Caussade Menuiserie : Robinson Tilie, Vaour Vitres : Miroiterie Jany Frères, Albi Dalle chauffante : SA Sem Angles, Albi Durée de la construction : 1991 à 1998 en mi-temps Surface habitable : 169 m2 Coût de la construction hors main d’oeuvre des propriétaires : 70 000 € dont 18 000 € de hangar Volume de terre : 100 m3 Soit environ 415€/m²
MAISON ÉCOLOGIQUE PRÈS DE TOULOUSE
Lieu : Castanet (S E de Toulouse) Techniques : Colombage, torchis, BTC, adobes, bioclimatisme Auto-constructeurs : Patrick Charmeau Maîtrise d’oeuvre : Patrick Charmeau Durée de construction : de 1993 à 1999 habitable en 3,5ans Surface habitable : 220 m² - 160 m² chauffés Coût de la construction: 100 000 € main d’oeuvre des propriétaires : 15 000 h Volume de terre : 31 m3 de bois scié : 30 m3 de foin : 19 m3 de chanvre : 21 m3 de copeaux de bois : 15 m3 Soit environ 625€/m²
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Les projets de l’échelle du logement collectif urbain, ou des différents Etablissements Recevant du Public, ne seront jamais réalisés par leur propre maîtrise d’ouvrage. La généralisation de l’architecture de terre passe sans doute par une sorte d’ « industrialisation » de la construction en terre. Cette généralisation signifie une facilité de pouvoir construire en terre. Pour que n’importe qui en France puisse construire en terre, il faut des entreprises qui ont le savoir-faire, mais aussi de quoi construire. La démarche de recherche de site ou extraire la terre, extraction de la terre et séchage de la terre sur le chantier nécessite une grosse dépense d’énergie et d’argent à chaque chantier. La terre a sans doute besoin d’être « mis en sacs » Si l’on facilitait la généralisation de ce matériau, bien que la généralisation doive aussi passer par d’autres acteurs essentiels.
-rents modes de production de cette architecture de terre (autoproduction, industrielle ou artisanale) se doivent de progresser côte à côte, en se spécialisant dans les domaines où elles sont le plus bénéfiques.
Le propre de la terre dans la construction est de s’adapter à toute situation. Alors certes la plupart des terres sont utilisables directement pour construire, mais si la production reste locale, et le savoir-faire une affaire de spécialistes qui se transmet de bouche à oreille, une progression du matériau telle que l’a connu le bois il y a quelques années, passe par une généralisation de la matière première. Ca ne veut pas dire que l’auto-construction est à oublié puisqu’elle conserve son côté économique pour certain projet. Mais il ne devrait pas s’agir ici d’une guerre d’idéologies. Les diffé-
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2. Une valorisation politique Le matériau terre ayant été utilisé par l’homme depuis l’antiquité, on peu d’ores et déjà dire que l’on est ici a la recherche d’un renouveau de l’architecture de terre. Avant la terre, le bois a déjà bénéficié en France de cet effet de réutilisation d’une culture constructive oubliée. Comment a-ton réussi à relancer un type de construction dont les savoir-faire avaient été oublié, et qui n’inspirait pas la sécurité? On se trouve dans la même situation aujourd’hui avec la terre, dont les savoirfaire ont été oublié, mais le problème n’est pas la confiance, mais plutôt l’image d’un matériau pour les pauvres, voir une ignorance totale de l’existence du matériau. C’est dans les années 70 que la sensibilisation aux problèmes énergétiques et écologiques ont eu lieu, suite au choc pétrolier de 1973 et à la première réunion de l’ ONU sur l’environnement en 1972. Ceci a engendré une série d’expositions, notamment « maisons de bois » en 1979 au Centre Georges Pompidou. Cette exposition a lancé simultanément six réalisations expérimentales bois qui à terme ont permis entre 1983 et 1986 la réalisation de 10000 logements sociaux à structure bois. Depuis 2004, le laboratoire CRATerre-ENSAG Organise le festival Grains d’Isère. Il s’agit là d’une exposition interactive qui a pour but de réunir tous les professionnels de la terre (architectes, entrepreneurs, artisans, ingénieurs, scientifiques, artistes) afin d’expliquer au grand public, les capacités et
le fonctionnement de cette matière. Elle reçoit plusieurs milliers de visiteurs chaque année. Mais apparemment, cela n’a pas la même portée que l’exposition « maisons bois ». La différence est que Grains d’Isère ne découle pas d’une initiative gouvernementale. La croissance rapide de l’architecture de bois a mené les architectes à défier les réglementation de l’époques, encore loin de ce qu’elles sont aujourd’hui en matière de construction bois. Ce sont les nombreux projets des architectes voulant démontrer les qualités du bois qui ont poussé la construction bois vers le haut. C’est à l’initiative de la Direction de la Construction, affiliée au Ministère de l’équipement que les différents corps de métier de la construction bois se sont développés. C’est pendant les années 80 que la filière bois est repartie en France, profitant de sa forte proportion de forêts. Peut-être devrions-nous profiter de la forte proportion de terre en France? En Allemagne, la mise en place de normes a permis l’explosion du marché de la construction en terre. Il est donc clair, que la bonne volonté des architectes, maîtrises d’ouvrage, artisans et entreprises est importante, mais déclenchement doit venir de plus haut. Deux sujets « politiques » sont au goût du jour: les problèmes environnementaux, et la constitution européenne. Pourquoi ne pas crée une Europe en commençant par mettre en commun nos connaissances pour la création de normes constructives?
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3. Le positionnement de l’architecte Même s’il ne peut dicter les lois ou prendre des décisions politiques, l’architecte a plus que son mot à dire. Si l’on revient sur le renouveau de la construction bois, l’initiative politique est venue de l’initiative des architectes, qui ont eu envie d’exploiter ce « nouveau » matériau. C’est donc le rôle des architectes, et le mien en tant que futur architecte de prendre en compte ce type situation. Malgré toutes les contraintes citées, il doit y avoir un moyen de rendre cette architecture de terre moins chère, populaire, et intelligente. On a vu les raisons du coût élevé de certaines architectures de terre. La chose est simple: utiliser la terre de manière économique. Il existe une multitude de façon d’utiliser la terre. Certains architectes, ou civilisations l’ont montré. Ces techniques peuvent encore être adapté à une façon contemporaine de penser l’architecture de terre. Prenons une technique de construction typique du nord Isère: Le pisé. Cette technique était employée par les paysans de la région pour bâtir leur grange. Il s’agissait d’un bâtiment de la forme d’une maison traditionnelle souvent, avec une couverture en bois. Les murs étaient épais de 40 ou 50cm, bâtis en auto-construction. Aujourd’hui nous savons que le pisé isole mal, que sa mise en oeuvre coûte cher, mais qu’il va réguler l’hygrométrie, et que sa masse thermique va lui permettre de réguler aussi la température. En conséquences, Pour un bon rapport qualité prix, il faudra un mur simple, en intérieur d’épaisseur conséquente pour
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qu’il puisse accumuler la chaleur, et réduire les Une maison bioclimatique coûts de matière (s’il y en a) et de mise en oeuvre. C’est ce type de réflexion qui a été appliquée à La manière de concevoir cette maison anticipe certaines maisons du « Village terre ». assez bien les stratégies hiver-été, pourtant réalisée en 1989, et conçue par Jean-Vincent Berlottier. Le mélange de la terre aux autres matériaux est un choix judicieux. Cette maison prouve que le savoir-faire, et la connaissance des systèmes de maison bioclimatiques étaient déjà bien connus. J’ai pu visiter une de ces maisons mitoyennes, et discuter avec son locataire. Cette discussion m’a permis de connaître le bon fonctionnement de cette maison. Originaire de la région, l’occupant avait grandit dans une maison en pisé. Il a donc je cite « sauté sur l’occasion » pour y vivre. Il a donc expliqué que le mur trombe en pisé fonctionnait bien mais que les budgets ayant été raccourcis, l’isolation latérale (puisqu’il est en pignon de bâtiment) n’était pas suffisante. Mais il a précisé quelques dysfonctionnements par rapport à la serre. En effet en hiver elle permet de réchauffer la maison passivement, mais l’été, une protection sur le vitres aurait été nécessaire pour éviter l’effet serre et la surchauffe, car la ventilation n’était pas suffisante. On peut se dire qu’aujourd’hui la domotique pourrait facilement remédier à cela, à l’aide de capteur de lumière et de température.
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4. Technologies terre a. Un mélange terre-acier Jusqu’à présent nous avons vu que le côté esthétique de la terre se restreignait à sa teinte chaleureuse pour un logement, et sa texture brute. Marcelo Cortes, Architecte chilien, à tenté de rendre cette architecture de terre plus « contemporaine » et non pas par la fonction ou la texture, mais par la forme. Jusqu’alors, les caractéristiques statiques et physique de la terre la limitaient à des formes du murs verticaux. Cet architecte tente de changer la donne en imaginant une nouvelle technique de construction de la terre, définitivement contemporaine. Sa technique consiste à tout simplement imiter le béton armé a partir de terre. Seulement, cette technique ne fonctionne pas en coulant de la terre. Il projette donc la terre directement sur le ferraillage, ce qui lui permet de concevoir des formes qui défient la gravité, pour de la construction en terre. Apparemment, les ferraillages ne rencontreraient aucun problème de corrosion, puisqu’une fois que la terre a stabilisé son hygrométrie, l’humidité n’a plus d’effet sur l’acier. On peut comparer cela au non pourrissement d’une ossature bois remplie à la terre. Bien sûr cette technique a ses limites, que l’on devine rapidement. La terre est le plus souvent autoproduite, mais elle nécessite un remaniement a fin de pouvoir être propulsée par la machine. Ceci implique de déplacer les machines et de dépenser de l’énergie pour les faire fonctionner.
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b. la terre comme remplissage La terre peut aussi être employée simplement pour son inertie thermique. Ca a été le cas pour un projet de logements pour SDF commandé par le CCAS de la ville de Grenoble. Le projet est issu de la réflexion menée jusqu’à son projet de fin d’études de Xavier Porte, étudiant à l’ENSAGrenoble jusqu’à 2006. La réalisation du logement pour SDF découle d’une longue série de prototypes réalisés par le collectif d’architectes CJMX, aidés par des étudiants de l’ENSAGrenoble. Nommé « Architecture du lien », ce projet consiste en un empilement de chevrons de bois tenus entre eux par des sangles, et dénués de clous et de vis. La terre est donc coulée dans l’épaisseur (fig. 1, 2 et 3) du mur. Elle sert ici de masse thermique au bâtiment. L’expérience a ensuite été rééditée sur le site du CCAS accueillant les SDF en 2006. Avec le temps, la terre a fini par faire « gonfler » les murs, un effet qui n’avait pas été prévu au départ. Un autre prototype a alors été réalisé lors du Festival grains d’Isère en Juin 2007 dans le but de palier à ce problème (fig. 4et 5). La terre utilisée pour le chantier du CCAS était en fait de la terre de remblai obtenue gratuitement sur le chantier de la caserne de Bonne à Grenoble. Si cette manière d’utiliser la terre n’est pas encore complètement au point il s’agit là d’une nouvelle manière contemporaine d’utiliser la terre, même si elle n’implique pas une nouvelle technologie.
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c. ventilation et chauffage par le pisé Martin Rauch, déjà cité en parties I et II, a lui voulu allier esthétisme et fonctionnalité en utilisant le pisé. C’est ainsi qu’il a mis au point un système de ventilation par les murs, qui exploite les propriétés respirantes de la terre. C’est en 1998 qu’il a réalisé un projet d’imprimerie en Autriche, pour lequel il a appliqué ce système. Afin d’économiser de l’argent sur la mise en oeuvre, mais aussi dans le but d’assurer une meilleur finition de travail, il pré-construit les 160 blocs de pisé de 1,7x1,3x0,4m dans ses ateliers (fig.1). On peut voir qu’il réalise des percée dans le mur, par ou circulera l’air propre faisant respirer le bâtiment. Une fois pré-construits, les éléments de mur doivent sécher (fig. 2) puis ils sont acheminés sur le chantier, où ils sont montés les uns sur les autres (fig. 3), liés entre eux avec un joint de terre. La finition consiste simplement à poncer les joints, afin d’obtenir un mur uniforme (fig. 4). Martin Rauch exploite à travers tout ses projets toutes les capacités de la construction en terre, et n’hésite pas à innover en matière de « technologie ». C’est sans doutes ce genre d’attitude que doivent maintenant avoir les architectes en France vis-à-vis de la construction en terre.
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5. L’expérimentation démonstrative On a vu que le développement de la filière bois est passée par des expositions, ainsi que des expérimentations nécessaire pour connaître les qualités et les défauts du matériau mis en oeuvre. En 1982, débute le chantier du village terre à Villefontaine (39). Il s’agissait là de la réalisation d’une domaine expérimental et démonstratif, cherchant à étudier la réaction dans Le temps. Du matériau terre réactualisé. Seuls les spécialistes et certains architectes connaissent l’existence de ce village, qui n’a pas eu l’effet voulu. Ce village terre aurait pu être le déclencheur d’un mouvement tel que l’a connu le bois. Pourtant, les maisons ne semblent pas déplaire à leurs occupants. On se rend compte que la construction au niveau rural n’a peut-être pas autant d’impact que de l’expérimentation démonstrative urbaine. L’échelle des projets y est peut-être aussi pour quelque chose. On a vu que les décideurs politiques avaient un grand rôle à jouer quand au développement de la filière terre. La construction d’un « quartier expérimental », ou même la réalisation de logements collectifs ou semi-collectifs expérimentaux démonstratifs pourraient être envisagés, afin de toucher les personnes influentes, en exposant les qualités de ce matériau dans des zone où la population se concentre.
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conclusion
bibliographie
Ouvrages: - Desert Works, Rick Joy - Rammed Earth, Martin Rauch et Otto Kapfinger - Arquitectura de Terra em Portugal - Construire en terre, CRATerre-ENSAG - Pisé H20, Jean-Maire Le Tiec et Grégoire Paccoud
Mémoires: - Une approche de l’habitat économique, PFE, Christophe Wilke - Butterfly House, TPFE, Jean-Marie Le Tiec - Une ossature bois spécifique aux remplissages, DSA-Terre; Julien Chabanne
Internet: - www.craterre.archi.fr : Site du CRATerre-ENSAG - www.marcelocortes.cl : Site de Marcelo Cortes - www.lehmtonerde.at : Site de Martin Rauch - www.erden.at : Site qui met en commun les réalisation de terre en Autriche - http://terre.grenoble.archi.fr/grainsdisere : Site du festival grains d’Isère. - www.reseau-ecobatir.asso.fr : Site du réseau Ecobâtirt
© école nationale supérieure d’architecture de grenoble
Les problèmes d’accession au logement et d’écologie sont aujourd’hui deux des principaux thèmes que les architectes ont à appréhender. Une logement pour tous, qui répondrait à une dynamique de développement durable. Ce mémoire a pour but de se questionner sur le renouveau d’un matériau économique et écologique: la terre. Un matériau de construction ancestral pourtant très utilisé dans le passé, mais qui a été oublié au profit d’autres matériaux peu respectueux de l’environnement. Le questionnement repose sur la relance de la dynamique de construction en terre.