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Lily Rice
Renverser la donne
Depuis l’âge de 10 ans, LILY RICE utilise son fauteuil roulant pour remporter des championnats du monde, devenir la première Anglaise à réaliser un backflip, faire tomber les préjugés et inspirer les autres. Pour la jeune femme, il est question de bien plus que d’un fauteuil. C’est de sa liberté dont il s’agit.
À 17 ans à peine, Lily Rice est devenue la figure de proue du WCMX au Royaume-Uni, et participe activement à la promotion de ce sport dans le monde entier.
L
ily Rice se souvient s’être hissée au bord de la rampe verticale de 4 mètres de haut. Elle avait 15 ans, des cheveux roses coupés en brosse sous son casque intégral et un fauteuil roulant manuel vert fuo conçu pour résister aux chocs.
N’importe quel skateur ou BMXer vous dira que se jeter dans une vert (à la verticale, dans une rampe en forme de U) est l’une des choses les plus terrifantes que l’on puisse faire dans un skatepark. On est en chute libre avant que les roues touchent la transition incurvée et que l’élan pousse l’engin sur la pente de l’autre côté. En équilibre sur le plateau, on regarde vers le bas, et tout ce qu’on voit, c’est le coping métallique qui borde le haut de la rampe puis le fond plat quelques mètres plus bas. Faire de la vert en fauteuil roulant demande une dose supplémentaire de courage.
Lily Rice souffre de paraplégie spastique héréditaire, un trouble qui raidit et affaiblit les muscles de ses jambes tandis que le haut du corps reste musclé et souple. Au prix de grands efforts, elle peut monter l’escalier qui mène sur la rampe pendant que son père transporte son fauteuil. Les mains agrippées aux jantes qui font tourner les roues arrière de son fauteuil, il ne lui faut qu’une dernière poussée pour s’élancer dans le vide.
Mais ce jour-là, à 4 mètres de haut, le poids de Rice était mal positionné, trop en avant, et elle n’a rien pu faire pour rectifer. L’accident a été flmé: elle est tombée la tête la première, son fauteuil sur elle. Elle gémissait de douleur, ne bougeait plus. Sa meilleure amie, la skateuse Daisy da Gama Howells, était convaincue que Rice allait rester paralysée ou pire encore.
Rice et Da Gama Howells racontent cette histoire quelques années plus tard en riant nerveusement. Elles ont un goût prononcé pour l’humour noir. «C’est notre mécanisme de défense», justife Rice. Daisy se souvient de Lily alors qu’elle attendait l’ambulance: les dents cassées, des blessures au cou et les nerfs du visage endommagés au point qu’elle ne pouvait déglutir. Lily Rice se souvient du trajet en ambulance: «J’étais en train de… partir. Il y avait une lumière qui venait me chercher. Je m’efforçais de garder les yeux ouverts pour ne pas mourir.» Pendant deux semaines, son amie dormait à ses côtés pour s’assurer qu’elle passe la nuit. Un mois plus tard, elle était de retour au skatepark.
Traumatisé, le corps de Rice se fgeait dès qu’elle tentait de dévaler la moindre pente. Petit à petit, elle a repris confance en elle, s’exerçant à réaliser des fgures sur le plat, comme des grinds ou sauter des sets de marches. La «glisse» dans son fauteuil avait déjà transformé sa vie et dominait ses projets d’avenir. L’idée d’arrêter ne lui a pas traversé l’esprit.
Enfant, Rice était une adepte du plein air, se déplaçant à l’aide d’attelles et de béquilles. Encouragée par son père Mark, ambulancier et surfeur, elle grimpait aux arbres, faisait du vélo et passait du temps sur la plage près de sa ville natale de Tenby, au Pays de Galles. Avec le temps, sa maladie qui affecte la partie inférieure de son corps, s’est aggravée et à l’âge de 10 ans, elle utilisait un fauteuil roulant pour faciliter ses déplacements. Mais elle détestait ce que cet objet lui faisait ressentir et se débrouillait sans lui. Elle le cachait dans
«Je ne sais pas où je serais sans ce sport. C’est tellement bon pour ma santé mentale et physique.»
Rampe de lancement: Rice travaille avec USA Skateboarding pour que le WCMX soit inclus aux Jeux paralympiques.
Wheels of Steel: Rice et sa meilleure amie, Daisy da Gama Howells, photographiées au skatepark de Haverfordwest (Pays de Galles).
un coin de sa chambre, incapable de concilier l’idée d’être à plein temps en fauteuil roulant, avec une identité propre à elle. C’est à l’âge de 13 ans qu’elle découvre les clips d’Aaron «Wheelz» Fotheringham qui marqueront un tournant dans sa vie.
Originaire de Las Vegas et aujourd’hui âgé de 29 ans, Fotheringham est né avec un spina-bifda, une maladie de la colonne vertébrale qui peut entraîner une paralysie des jambes. À l’âge de 8 ans, encouragé par un frère aîné qui faisait du BMX, il a décidé d’essayer de faire des fgures sur les rampes dans son fauteuil roulant et a commencé à participer à des compétitions de BMX en adaptant les bosses, les spins et les fgures d’équilibre des autres riders. Cela impliquait parfois l’aide d’une personne poussant le fauteuil afn d’augmenter l’accélération mais, comme Rice, Fotheringham a un buste et des bras puissants, et peut se propulser dans, autour et hors des bowls et des rampes avec élégance et rapidité. Très vite, il remporte des compétitions et attire l’attention du monde entier grâce à des cascades. En 2006, il fut le premier à réaliser un backfip en fauteuil roulant en prenant suffsamment de vitesse pour s’élever au-dessus d’une rampe et poser ses roues sur le plateau. Deux ans plus tard, il rejoint le collectif de sports d’action Nitro Circus qui présente un spectacle de cascades itinérant. En 2012, en Californie, il se jetait dans une «méga rampe» vert de 8 mètres et a fait un saut de 21 mètres.
C’est Fotheringham qui a inventé l’expression «wheelchair motocross» ou WCMX, un mélange de «fauteuil roulant» et de «BMX», pour décrire ce qu’il fait. En 2015, l’Alliance Skatepark de Grand Prairie, au Texas, a accueilli les tout premiers championnats du monde de WCMX qui comprenaient également du skateboard et du BMX adaptés par des athlètes présentant des situations différentes de handicap et des défciences visuelles. Fotheringham a remporté la médaille d’or du WCMX masculin cette année-là et, depuis, lors de chaque championnat du monde.
Rice avoue avoir été «renversée» lorsqu’elle a vu ces vidéos. Elles bouleversaient toutes ses idées préconçues sur sa situation en fauteuil. Son père a également été enthousiasmé par l’idée. Il savait que Daisy da Gama Howells, la flle de l’un de ses amis, venait de commencer à faire du skateboard et il les a donc mises en relation. Un autre de ses amis, Craig Brown, facteur, surfeur et skateur, a aussi joué un rôle clé dans la construction du plus grand skatepark du Pembrokeshire à Haverfordwest.
Rice et Da Gama Howells ont commencé à se retrouver dans ce skatepark pour apprendre les bases de la glisse sur les bancs et l’élaboration de lignes autour des bowls. Au début, les gens étaient surpris de voir un fauteuil roulant au skatepark, mais Lily Rice s’est vite sentie acceptée par la communauté. Au fur et à mesure qu’elles gagnaient en compétence et en confance, Daisy et elle ont commencé à se présenter aux sessions du mardi soir où tous les habitants du quartier se réunissent pour skater et rider.
C’est lors d’une de ces soirées, en juillet 2021, que Rice et Da Gama Howells évoquent des souvenirs. Parmi les dizaines d’adolescents et d’adultes se trouve Craig Brown qui dévale les bowls sur sa planche, plaisante avec les enfants qu’il considère comme sa famille, et encourage Rice alors qu’elle se jette dans un bowl et effectue des virages coupés lorsqu’elle atteint la partie la plus profonde. Lorsque sa sortie est terminée, le père de Rice saute dans la rampe, court derrière sa flle et prend suffsamment de vitesse pour la pousser vers le haut et la sortir. «L’inclusion ici, c’est quelque chose, raconte Brown plus tard, assis sur sa planche. Certains skateurs sont un peu perdus. Nous sommes des âmes sœurs. Tout le monde se soutient mutuellement. C’est comme ça que la vie devrait être.»
Rice est tombée amoureuse du WCMX. La première fois qu’elle s’est lancée dans une mini-rampe, «c’était pour moi», concède-t-elle. Fotheringham lui avait fait parvenir son vieux fauteuil WCMX abîmé après qu’elle lui ait envoyé un message sur Instagram. Elle l’a même rencontré en personne lorsque Nitro Circus est venu se produire au RoyaumeUni. «C’était fou de le rencontrer, je l’avais tellement vu en ligne. Le voir faire, en chair et en os, c’est époustou-
fant.» Depuis, ils sont restés en contact et ont participé à des compétitions aux États-Unis pendant quelques années. «C’était irréel de la voir progresser, c’est fou le chemin qu’elle a parcouru, exprime Fotheringham à propos de Rice. Elle a été un phare pour le WCMX, dans le monde entier.» Grâce à son père qui l’emmenait dans les skateparks et au soutien de skateurs locaux comme Brown, la technique de Rice s’est rapidement développée. Sept mois seulement après sa première chute dans une rampe, elle devenait la première athlète féminine en Europe à réaliser un backfip en fauteuil roulant. Il lui aura fallu six heures d’entraînement dans une fosse en mousse, puis à faire de nombreuses chutes sur une rampe «resi» souple mais elle a fnalement réussi la rotation, atterrissant sur ses roues et roulant hors de la rampe.
L’événement a fait l’objet d’une couverture médiatique nationale et, du jour au lendemain, Lily Rice est apparue dans des clips musicaux, a participé à ses premiers championnats du monde, a représenté des marques et remporté des prix. James McAvoy, l’acteur écossais qui joue le rôle du Professeur X dans les flms de la série des X-Men, a fait don de six mille euros à une collecte de fonds destinée à fnancer son fauteuil WCMX sur mesure. Par coïncidence, elle a ensuite croisé McAvoy à l’aéroport alors qu’elle s’envolait pour une compétition en Californie en famille. Il les a tous invités à la première et à l’afterparty du flm de la franchise X-Men de 2019, Dark Phoenix. Rice se souvient de sa surprise en croisant la chanteuse Katy Perry aux WC et de poser pour des selfes avec Jennifer Lawrence et Orlando Bloom.
Avec toute cette aventure et ce succès alors qu’elle était encore adolescente, on aurait pu pardonner à Rice de penser que le monde lui devait quelque chose et de ne se concentrer que sur elle-même. Mais tout en continuant rapidement à s’améliorer (elle remporte l’or dans la division féminine des Championnats du monde WCMX en 2019 malgré sa chute désastreuse plus tôt dans l’année), elle a réinjecté de l’énergie pour faire grandir la scène britannique et encourager une nouvelle génération de riders.
En mars 2019, Rice a organisé le premier WCMX Jam du RoyaumeUni afn de permettre aux adultes et aux enfants d’essayer ce sport et de rider ensemble. Pour Imogen AshwellLewis, 9 ans, qui utilise un fauteuil roulant en raison d’une infrmité motrice cérébrale, cela fut une expérience mémorable. Imogen pratique plusieurs autres sports comme l’équitation et le tennis, mais elle apprécie le fait que les skateparks n’obligent pas les personnes en fauteuil roulant à s’isoler dans un coin. Cela fait tomber les barrières et les idées reçues. Lorsqu’elle encaisse sérieusement et tombe de son fauteuil, «le plus souvent, quelques personnes accourent, l’air horrifé. Je leur réponds calmement: “Ce n’est pas grave. Vous pouvez m’aider à me remettre sur mon fauteuil? J’y retourne.”»
Lily Rice sait qu’elle est en mesure de changer la vie d’enfants comme Imogen, c’est pourquoi elle prend cette responsabilité au sérieux. Pour aider davantage de personnes à accéder au WCMX, Rice donne des conférences dans les écoles, collabore avec les skateparks sur l’accessibilité et travaille avec un fabricant de fauteuils roulants qui réalise des fauteuils conçus pour les rampes. Elle est passée du statut de seule pratiquante au Royaume-Uni à celui de créatrice d’une scène d’environ 50 personnes qui se sont toutes réunies lors d’un autre Jam qu’elle a mis en place à Manchester en août de cette année.
Rice a également travaillé avec USA Skateboarding pour que ce sport soit intégré aux Jeux paralympiques. Le skate et le BMX ont été ajoutés aux Jeux olympiques pour la première fois à Tokyo. Il est logique que des versions adaptées de ces disciplines puissent fonctionner tout aussi bien sur une scène mondiale. Des détails, tels que les critères de notation et de qualifcation doivent encore être défnis, mais Rice pense qu’il y a de fortes chances pour que le WCMX soit inclus aux Jeux de 2028 à L.A. – la Californie étant le berceau et le foyer spirituel du skateboard – et qu’une démonstration soit possible lors des Jeux paralympiques de Paris en 2024. Il ne faudra peut-être pas attendre longtemps avant de voir Rice, Ashwell-Lewis et d’autres membres de leur communauté grandissante représenter leur pays, sous le regard de milliards de personnes à travers le monde.
Aussi passionnant que cela puisse être, ce n’est pas seulement l’esprit de compétition ou la soif de reconnaissance qui animent Rice. Il y a une raison plus profonde qui fait qu’elle passe des heures dans son skatepark local, qu’elle se rend tous les week-ends dans les spots de skate du Royaume-Uni avec Da Gama Howells, qu’elle prend les airs vers des compétitions aux États-Unis et qu’elle risque de se blesser tous les jours. «Je ne sais pas où je serais sans [le WCMX], déclare Rice. Le sport en général est si bon pour la santé mentale et physique. Il a beaucoup amélioré la mienne.»
Le matin après sa session de skate à Haverfordwest, Rice passe une heure à faire des backfips dans une fosse en mousse pour The Red Bulletin, puis revient sur le sujet en détachant ses genouillères. «Ça me procure une sensation de liberté inégalable. Personne ne me dit ce que je dois faire dans un skatepark. Je m’y exprime par le mouvement, et tout le monde m’encourage à devenir la meilleure version de moi-même. J’y ai ma place.» Instagram: @lilyrice_wcmx