E-mensuel de juin 2018

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JUIN 2018

LA POLITIQUE D’EMMANUEL MACRON À L’HEURE DU PREMIER BILAN


Les Éditions Regards 5, villa des Pyrénées, 75020 Paris 09-81-02-04-96 redaction@regards.fr Direction Clémentine Autain & Roger Martelli Directeur artistique Sébastien Bergerat - da@regards.fr Comité de rédaction Pablo Pillaud-Vivien, Pierre Jacquemain, Loïc Le Clerc, Guillaume Liégard, Roger Martelli, Gildas Le Dem, Catherine Tricot, Laura Raim, Marion Rousset, Jérôme Latta Administration et abonnements Karine Boulet - abonnement@regards.fr Publicité Comédiance - BP 229, 93523 Saint-Denis Cedex Scop Les Éditions Regards Directrice de la publication et gérante Catherine Tricot Photo de couverture CC

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SOMMAIRE

LA POLITIQUE D’EMMANUEL MACRON À L’HEURE DU PREMIER BILAN EDITO : LE CHOIX DE L’INDÉPENDANCE AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ? # «Miracle» à bord de l’Aquarius, mais toujours des morts en mer # Aquarius : une bulle d’humanité entre deux rives méditerranéennes peu accueil # Aquarius : le gouvernement et sa majorité font un concours de justifications indignes GAUCHE ÉTASUNIENNE RETROUVE SES COULEURS # Etats-Unis : l’après-Sanders sur de bons rails # Stanley Cavell ou la beauté de l’expérience américaine # Alexandria Ocasio-Cortez : du dégagisme à l’américaine ET PENDANT CE TEMPS-LÀ, DANS LA FRANCE D’EMMANUEL MACRON… # Loi ELAN : LREM s’en prend (encore) aux jeunes, aux pauvres et aux handicapés # Lycée Arago : 65 heures de cellule pour 40 minutes d’occupation # « Si Moussa Camara est renvoyé en Guinée, il risque des persécutions parce qu’homosexuel » # Quand Terra Nova aide LREM à savoir ce que pensent ses «marcheurs»

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REGARDS : LE CHOIX DE L’INDÉPENDANCE


Depuis un long moment, l’atmosphère dans la gauche de gauche n’est pas à la concorde et à l’esprit de compromis. Résultat : chacun est sommé de «choisir son camp», comme au plus fort de la guerre froide. À Regards, nous avons décidé de ne pas respecter cette injonction. Cela nous vaut souvent la haine des fanatiques. Tant pis : nous assumons. Il nous arrive d’égratigner la France insoumise ou tel ou tel de ses dirigeants. Du coup, nous voilà tenus pour le «bras armé» d’une «offensive concertée» visant à prôner «la vieille idée du rassemblement de la gauche». Nous prenons aussi parfois des distances avec les analyses et les choix du PCF. C’est bien sûr la marque d’un anticommunisme congénital et l’attaque «minable» d’un «petit truc confidentiel et hargneux». Du temps des guerres de religions, il n’était pas bien vu de ne pas choisir entre les catholiques et les protestants. Haro, aujourd’hui, sur ceux qui se refusent à l’esprit d’obédience ! Mais ne voit-on pas que c’est de cela que la gauche de gauche a bien failli crever ? Elle fut longtemps archi-dominée par le PCF, à l’époque de la centralité ouvrière et du mouvement ouvrier ascendant. Ce temps n’est plus : la critique

sociale demeure, et avec elle l’esprit de rupture et d’émancipation, mais les catégories populaires sont dispersées, le mouvement ouvrier est en recul et la gauche de gauche peine à se rassembler durablement. Autour de la candidature Jean-Luc Mélenchon, cette gauche de gauche a retrouvé des couleurs et donne le ton, dans une gauche globalement affaiblie. Et, sur cette base, la France insoumise est la force qui a – et de loin – le mieux tiré son épingle du jeu. Mais elle est loin d’avoir regroupé toutes les composantes de ce que l’on pourrait appeler le «parti de l’émancipation». Qu’y a-t-il d’absurde ou de scandaleux à penser cela, qui pousse à mesurer à la fois ce qui a été acquis et ce qui reste à gagner ? Nous pensons pour notre part que, si ce constat est juste, il n’y a rien de pire que l’esprit de suffisance, la conviction que chacun incarne à lui tout

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seul le mouvement tout entier. La réalité sociale dans son ensemble et le parti pris critique en particulier sont pétris de contradictions. Se les cacher n’est pas une arme pour agir positivement sur elles, pour mobiliser majoritairement, non pas contre une «caste» ou un «système», mais contre un ordre multiséculaire bien rodé, qui fonctionne à l’exploitation, à la domination, à l’aliénation des subalternes. Ne pas chercher à raboter les contours du rassemblement, repousser tout ce qui, peu ou prou, se ramène à la conviction que l’on se renforce en s’épurant : voilà ce qui constitue pour nous comme un fil rouge… Ce n’est pas parce que l’on vitupère la vieille «union de la gauche» qu’on est par nature vacciné contre les propensions, plus vieilles encore, à l’accommodement et à l’adaptation au capitalisme. En revanche, ce n’est pas parce que l’on pense que le clivage droite-gauche n’a pas perdu de son sens et de son utilité que l’on est condamné pour autant à reproduire des méthodes de rassemblement qui ont eu leurs vertus et qui sont désormais obsolètes. Ce n’est pas parce que l’on pense qu’il faut mener en longue durée le combat pour construire une union européenne viable, que l’on est un «eurobéat». Et ce n’est pas parce que l’on affirme que les peuples d’Europe doivent se sortir du carcan des traités actuels, que l’on refuse toute Union, tout traité européen et que l’on est, derechef, un «eurosceptique» dou-

blé d’un «populiste». On peut critiquer l’Europe telle qu’elle est et, en même temps, considérer que les plus grands destructeurs de l’Union sont ceux qui la gèrent aujourd’hui. «Eurobéats» contre «eurosceptiques» : pauvre Europe, si elle en est réduite à cette opposition meurtrière ! Le parti pris de Regards est celui de la diversité. Des courants qui traversent aujourd’hui le mouvement critique et la gauche politique, nous ne privilégions aucun, dès l’instant où chacun considère que les malheurs de la gauche ne tiennent pas aux deux années de gouvernement Valls, ni même aux cinq années de présidence Hollande, mais à plus de trois décennies de renoncements devant la percée de la concurrence et de la gouvernance. Dans cette gauche-là - où n’est pas pour l’instant le Parti socialiste «maintenu» – nous n’avons ni d’ennemi ni même d’adversaire. Nous n’avons pas à trancher entre la «vraie» et la «fausse» gauche, les «mous» et les «durs». Chacun, à Regards, pense ce qu’il veut et agit en pratique comme il l’entend. Mais notre base d’accord est notre esprit critique et notre indépendance. À notre humble avis, c’est en tenant ferme sur cette conviction que nous avons pu être utiles dans les combats de près de quinze années. C’est en toute indépendance que nous avons soutenu les cheminements du «courant antilibéral», participé à la belle campagne du «non» au projet de Traité constitutionnel euro-

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REGARDS : LE CHOIX DE L’INDÉPENDANCE

péen, accompagné le Front de gauche et mené, très tôt, les batailles présidentielles de 2012 et 2017. Nous n’avons jamais abdiqué notre liberté. Nous avons dit la folie que représentait la dispersion des antilibéraux en 2006-2007, souligné les limites d’un Front de gauche réduit à un tête à tête JLM-PCF, critiqué les atermoiements qui ont précédé la présidentielle de 2017. Nous avons la faiblesse de penser que si, au lieu d’être rejetés, nous avions été un peu plus écoutés, dans nos inquiétudes et interrogations, les choses se seraient mieux passées à la gauche de la gauche. Mais le passé est le passé… Aujourd’hui, nous continuons. Nous persistons à estimer que les querelles internes au parti de l’émancipation contredisent son ambition à être le cœur de la gauche et la force motrice de majorités à venir. Dès lors, nous approuvons ce qui nous paraît aller dans le bon sens et prenons nos distances avec ce qui nous inquiète. Mais d’accord ou pas d’accord, sereins ou inquiets, nous ne taisons aucune opinion, aucun parti pris. Nous faisons parler toutes les forces et sensibilités, tous les courants – il suffit de consulter le programme des «Midinales» depuis quelques mois. Notre liberté est notre marque de fabrique. Elle est notre fierté. Tant pis pour ceux qui s’imaginent que la flatterie est la seule manière de respecter une idée, un parti ou un individu.  roger martelli

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AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ?

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AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ?

«Miracle» à bord de l’Aquarius, mais toujours des morts en mer Après avoir débarqué 70 migrants à Catane, l’Aquarius, bateau qui effectue des sauvetages en mer, patrouille au large de la Libye. La naissance de «Miracle» à son bord a été un événement marquant. Mais derrière, que se passe-t-il en Méditerranée ? Regards est à bord de l’Aquarius pour trois semaines et fera régulièrement le point sur la situation. Autour de l’Aquarius, qui navigue actuellement au large de la Libye, la mer Méditerranée est agitée. Des vagues, du vent, etc. « Les conditions ne sont pas favorables pour les départs des embarcations des migrants », explique Loïc Glavany, le commandant «recherche et sauvetage» de SOS Méditerranée sur l’Aquarius. Ce navire, affrété par SOS Méditerranée et opéré en partenariat avec Médecins sans

frontières (MSF) a pour but de sauver des vies humaines dans cette mer où, depuis le 1er janvier de cette année jusqu’au 29 mai, 655 migrants sont morts ou ont disparu d’après l’Organisation International des Migrations (OIM). La semaine dernière, plus de 1500 migrants ont été secourus en mer. L’Aquarius a contribué à ces sauvetages. Le 24 mai, 69 migrants avaient été transférés à bord de l’Aquarius ; ils sont passés à 70 le 26 mai. Ce samedi après-midi, à 15h45, est né un petit «Miracle» – c’est

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le prénom du petit bonhomme – sur les flots, dans la clinique de l’Aquarius. Sa mère, Joy, a donné naissance à ce bébé de 2,8kg, le 6ème né sur l’Aquarius, le 36ème né en pleine mer de parents migrants. Amoin Soulemane, la sage-femme qui a accompagné la naissance de Miracle, a expliqué que Joy l’avait prénommé ainsi parce qu’il avait été sauvé trois fois : « De la Libye, en mer, par un accouchement réussi ». Quand la naissance a été annoncée, à 16h05, des cris de joie ont retenti à bord de l’Aquarius. Puis des chants de fête. Comme si, d’un seul chœur, tous les migrants célébraient la naissance de ce petit Miracle dans les eaux internationales. PREMIER CONTACT EUROPÉEN : LA POLICE Le premier sol que l’enfant a connu est italien. Le 27 mai, à 9h, Miracle, Joy, et les 68 autres migrants ont été débarqués en Sicile. Le droit international impose de déposer les personnes secourues en mer dans un «port sûr». Le MRCC (Maritime Rescue Coordination Center, Centre de coordination de sauvetage maritime) a indiqué à l’Aquarius le port de Catane, situé à l’est de l’île italienne. Sur le port, des tentes blanches arborant le sigle de la police nationale les attendaient. Etaient aussi sur les quais la Croix-Rouge, les

Douanes, ou encore Frontex, l’agence européenne en charge des frontières. À peine avaient-ils passé la passerelle que tous les migrants ont été photographiés de face et de profil, un numéro à la main. En vertu des accords de Dublin, ces migrants ont été enregistrés et triés en Italie. Selon leurs nationalités, selon leurs histoires, ils y seront soit admis comme demandeurs d’asile, soit renvoyés dans leur pays d’origine. Car l’UE met tout en œuvre pour limiter les migrations vers ses Etats membres. Ainsi, le 16 mars 2016, Bruxelles a signé avec Ankara un accord délégant à la Turquie le contrôle des frontières et la sélection des migrants pouvant effectuer une demande d’asile. À peine un an plus tard, le 2 février 2017, l’Italie a signé avec la Libye un mémorandum. Elle coopère désormais avec les forces armées et les garde-frontières libyens « afin de juguler l’afflux de migrants illégaux ». Comme l’indique Amnesty International, elle « empêche ainsi les migrants – et les réfugiés – de gagner l’Europe. La stratégie italienne, s’intégrant dans une politique européenne plus globale, fut appuyée dès le lendemain par les dirigeants européens dans la Déclaration de Malte. » De son côté, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) dénonce, dans un avis du 23 mai, « l’externalisation

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AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ?

des frontières [qui] pose question, en ce qu’elle constitue un obstacle à l’accès au territoire de l’UE et donc au droit d’asile ». Sauter à l’eau par peur des garde-côtes L’Aquarius est un bon poste pour observer les effets de cette stratégie. Le gouvernement italien et l’Union européenne (UE) ont fourni aux garde-côtes libyens des bateaux, des formations et de l’aide pour patrouiller en Méditerranée et intercepter ceux qui tentent de traverser la Méditerranée. Ainsi, selon Amnesty International, « en 2017, environ 20.000 personnes ont été interceptées par les garde-côtes libyens et reconduites en Libye, dans des centres de détention ». Mais ces interceptions inquiètent. François Redon, logisticien de MSF à bord de l’Aquarius depuis le 27 février, en explique les raisons : « Des migrants se jettent dans l’eau tellement ils ont peur d’être reconduits en Libye ». Ce Breton que toute l’équipe surnomme «Fanch», poursuit : « Cet accord pose quelques problèmes. D’abord sur le plan du droit international qui impose de débarquer les personnes sauvées dans un port sûr : aucun des ports libyens n’est reconnu comme tel. Quant aux conditions de détention en Libye, elles sont effroyables. »

Tous les migrants rescapés confient en effet avoir vécu des tortures, avoir été exploités. Pour Fanch, l’UE doit arrêter de se mentir : « Quand les garde-côtes libyens interviennent, il ne s’agit donc pas de sauvetage ! Il est criminel de continuer à les soutenir. » À bord de l’Aquarius, certains migrants portaient sur leur visage des marques de tortures. D’autres ont montré les stigmates de violences subies. Tous avaient l’air épuisés, parfois dénutris. Dans ce contexte, les indications données par le MRCC aux ONG posent question. Un exemple avec l’Aquarius. « Sa particularité est d’être un gros bateau, très stable, qui peut rester en pleine mer quelles que soient les conditions météorologiques. Il a en outre une grande capacité d’accueil. Nous, SOS Méditerranée, essayons d’optimiser son temps de présence en mer, c’est le seul bateau qui reste sur zone tout au long de l’année », explique Sophie Beau, la Directrice Générale de SOS Méditerranée. Elle ajoute : « La coordination des moyens de sauvetage par le MRCC ces derniers jours pose question. Seefuchs [un autre navire affrété par une ONG, NDLR], par exemple, est en difficulté alors que l’Aquarius, bien plus important, a été envoyé en Sicile avec seulement 69 migrants à son bord. Et ce bien qu’il n’y

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ait pas assez de moyens de sauvetage dans la zone de sauvetage. » PLUTÔT DES MORTS EN MER QUE SUR LE SOL EUROPÉEN ? Avant de rentrer à Catane, l’Aquarius avait informé le MRCC Rome de sa disponibilité à rester dans le sauvetage. « La réponse a été : «Il y a assez de moyens de sauvetages dans la zone». Pour nous, il n’y en avait pas assez au regard de l’étendue de la zone à contrôler. La réponse nous a étonnés, mais comme à l’habitude, nous avons respecté les instructions du MRCC qui coordonne toutes les opérations de sauvetage sur zone ! » Pourquoi avoir demandé à l’Aquarius de retourner à Catane alors que les conditions météorologiques laissaient supposer que des migrants allaient embarquer ? La question est ouverte. Elle semble à tiroir. À bord du Seefuchs se trouvaient 138 personnes secourues ; le navire était alors en surcapacité d’environ 100 personnes du fait de sa taille (26 mètres). Pourtant, les gardes-côtes italiens ont dépêché une frégate de petite taille, ont embarqué les femmes, les enfants et les personnes blessés laissant environ 110 personnes à bord du Seefuchs. Les gardes-côtes italiens ont distribué 120 bouteilles d’eau, 10 litres de jus et 10 couvertures en laine pour les 110

migrants. Le trajet jusqu’à l’Italie dure au moins 20 heures ! De surcroît, le MRCC a orienté le Seefuchs vers un premier port de Sicile (Pozzalo), avant de lui indiquer un deuxième puis un troisième port, plus à l’Ouest, donc toujours plus loin de là où il se trouve. Comme s’il s’agissait là aussi d’écarter toujours plus et plus longtemps cette ONG de la zone de sauvetage comme d’autres auparavant. Ce qui revient à préférer des morts en mer à des migrants sur le sol européen.  fabien perrier

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AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ?

Aquarius : une bulle d’humanité entre deux rives méditerranéennes peu accueillantes L’Aquarius a débarqué à Pozzallo, en Sicile, 158 migrants le 1er juin. Le 3 juin, Matteo Salvini, le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur de la Ligue du Nord (parti d’extrême-droite), était attendu en Sicile. Regards est à bord de l’Aquarius pour trois semaines et fera régulièrement le point sur la situation. D’un côté, un départ de migrants éreintés... depuis les côtes de la Libye. De l’autre, une visite de ministre anti-immigration... dans un hot spot d’Italie. Entre les deux, un bateau en forme de bulle d’humanité qui navigue dans la mer Méditerranée. Ainsi pourraient être résumés les quatre jours du 31 mai au 4 juin à bord de l’Aquarius, le navire affrété par

SOS Méditerranée en partenariat avec Médecins sans frontières. Tout a commencé le 31 mai à 8h40. « Je venais de prendre mon quart quand j’ai vu un point blanc dans les jumelles... Mon cœur a fait un bond ! », explique Edouard Courcelle. À 36 ans, ce marin que tout le monde à bord surnomme «Doudou» a déjà passé plus de 20 semaines à bord du navire-hôpital quand il a «spoté», c’està-dire repéré dans le jargon maritime, une embarcation de fortune en caoutchouc

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depuis la passerelle d’où est piloté le navire. « J’ai perdu de vue le canot en prévenant le commandant. Il m’a fallu un peu de temps pour le repérer de nouveau et pour identifier ce point blanc, plat, avec des taches orange, flashy : celles des gilets de sauvetage », raconte-t-il. À 8h45, dans la cabine de l’Aquarius, les talkies-walkies crépitent : « SOS Team, get ready for a rescue » (« Equipe de SOS, préparez-vous pour un sauvetage »). Chacun abandonne son petitdéjeuner et fonce enfiler son casque, son gilet de sauvetage et sa combinaison. À 9h, deux canots de sauvetage sont mis à l’eau, le Easy 1 et le Easy 2. Sur le pont, le silence est de mise ; les seuls mots qui circulent sont ceux des chefs d’équipe, dont la mission est de diriger la mise à l’eau des canots puis le sauvetage. Doudou est prêt pour embarquer sur le Easy 2, descend par l’échelle, s’installe. Propulsés par leurs moteurs, Easy 1 et Easy 2 s’éloignent de l’Aquarius pour rejoindre « la cible ». Tout le monde se demande dans quel état seront les migrants sur le rafiot. Tout le monde sait qu’ils ont passé plusieurs heures sans boire ni manger, qu’ils sont souvent déshydratés. Le sauvetage s’est bien passé. À 11h, 158 migrants

originaires du Cameroun (11), de Guinée Conakry (32), de Côte d’Ivoire (46), du Mali (55), du Sénégal (6), du Soudan (5), du Maroc (1) ou du Bangladesh (2) sont sur le pont du navire humanitaire, déshydratés, parfois évanouis, mais tous rescapés d’une mer où ont péri 660 migrants depuis le début de l’année. LE SOULAGEMENT DES MIGRANTS Une fois sur l’Aquarius, tous les migrants se disent soulagés. Ce qui frappe d’emblée, c’est leur jeunesse. 44 d’entre eux avaient moins de 18 ans – dont 4 moins de 5 ans, et parmi ces mineurs, 36 étaient non-accompagnés, c’est-àdire circulant sans parent. Tous, majeurs comme mineurs, disent avoir été victimes de violences, voire de tortures, lors de la grande traversée entre leur pays natal et les côtes libyennes. Tous ont fui la guerre ou la misère. Ben, 15 ans et 2 mois, est assis sur des cordes, sur le pont, les yeux plongés dans le vide. « Je rêve de serrer ma mère dans mes bras », lâche-t-il. Il enchaîne dans un flux continu de paroles : « Je ne suis qu’un enfant en fait. Si vous saviez ce que j’ai vécu. » Sans même attendre un signe, il livre son récit qui mêle morts sur le trajet,

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AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ?

viols sous ses yeux, tortures. « Plusieurs fois, j’ai crû que j’allais mourir. Même en montant dans le canot, j’ai compris que je n’arriverai jamais en Europe. Mais vous savez, je ne veux qu’une seule chose : un avenir. Dans le fond, je voudrais qu’il soit dans mon pays, auprès de ma famille... » Les larmes lui viennent aux yeux, sa gorge se noue. Mais il a « besoin de raconter. Je ne peux plus garder ça pour moi. » L’Aquarius arrive à Pozzalo, un port de Sicile. C’est le 1er juin, 20h : 158 vont être débarqués. À chaque fois qu’un des migrants passe sur la passerelle de débarquement, Craig Spencer, le médecin de MSF, glisse un sourire, une poignée de main chaleureuse, et un « bon courage » sincère. Encore un instant d’humanité avant d’être à quai. Sur le quai, la police et les gardes-côtes italiens, Frontex, l’agence européenne en charge des frontières, ou encore la CroixRouge italienne attendent les migrants pour les enregistrer avant de les envoyer dans un «hot spot», centre de tri créé par l’Union européenne. Là, ces 114 adultes et 44 mineurs (dont 36 non accompagnés, c’est-à-dire circulant sans un de leurs parents) seront triés entre demandeurs d’asile potentiels et migrants économiques, appelés à être renvoyés dans

leur pays d’origine. Mais avant, ils auront une visite : celle de Matteo Salvini, 45 ans, chef de la Ligue (extrême droite), vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur. À peine a-t-il prêté serment qu’il a annoncé, vendredi, un déplacement en Sicile pour voir sur place la situation. L’INQUIÉTUDE DES ONG L’homme multiplie depuis des années les déclarations les plus extrêmes contre les migrants. En 2017, il a promis un « nettoyage de masse contre les clandestins », affirmant même qu’il faudra aller les chercher « maison par maison, quartier par quartier, avec la manière forte si nécessaire ». Certes, les arrangements controversés de l’ancien gouvernement de centre gauche avec les autorités et des milices libyennes ont permis de faire chuter les arrivées de plus de 75% depuis l’été 2017, mais depuis le début de l’année, les autorités italiennes ont quand même enregistré plus de 13.500 arrivées. Mais la veille de son investiture, Matteo Salvini a tonné : « On va renvoyer les clandestins chez eux, c’est l’une de nos priorités ». Après la prestation de serment du gouvernement, il a réitéré en assurant qu’il demanderait aux experts de son ministère « comment réussir à réduire

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le nombre d’arrivées des migrants et augmenter celui des expulsions ». Lors d’une visite en Sicile, ce dimanche 3 juin, il a déclaré : « L’Italie et la Sicile ne peuvent être le camp de réfugiés de l’Europe ». Cette ligne, Matteo Salvini devrait la défendre mardi prochain à Luxembourg lors de la réunion des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne. La révision de l’accord de Dublin, qui oblige les migrants à déposer leur demande d’asile dans le premier pays européen où ils arrivent, est au programme des discussions. Or, cet accord pénalise fortement les pays frontaliers comme la Grèce ou l’Italie. La péninsule a d’ailleurs vu arriver plus de 700.000 migrants depuis 2013 et si, les premières années, la majorité poursuivaient quand même leur périple vers le nord, l’UE a imposé une procédure d’identification à l’arrivée en Italie et les pays frontaliers ont mis en place des contrôles systématiques. Autant de raisons pour lesquelles Matteo Salvini tempête : « La situation est calme maintenant mais seulement en raison de la mer agitée ». Et aussi, en raison du jeu trouble que semblent jouer les autorités italiennes. Car les ONG qui effectuent du sauvetage en mer sont dans le viseur d’un certain nombre de dirigeants de l’UE, ita-

liens en tête. Avec le gouvernement précédent, l’inquiétude était déjà de mise. Le 2 août 2017, le bateau Iuventa, affrété par l’ONG allemande Jugend Rettet («Sauver la jeunesse») a été saisi à proximité de l’île de Lampedusa. Le 18 mars 2018, c’est l’Open Arms de l’ONG Proactiva qui a été investi par les policiers et mis sous séquestre ; depuis, trois des responsables de l’ONG font l’objet d’une enquête «pour association de malfaiteurs en vue de favoriser l’immigration clandestine», dirigée par le parquet de Catane. « Il semble que la solidarité soit devenue un délit », avait alors dénoncé Oscar Camps, le fondateur de Proactiva. L’Aquarius est, depuis, le seul « gros bateau, très stable, qui peut rester en pleine mer quelles que soient les conditions météorologiques, doté d’une grande capacité d’accueil », selon les termes de Sophie Beau, la directrice de SOS Méditerranée, à patrouiller en mer. « Nous travaillerons aussi longtemps que nous serons capables de le faire, nous travaillons en ce moment, nous procédons à des sauvetages et nous le ferons à l’avenir, c’est certain », a assuré Loic Glavany, le commandant «recherche et sauvetage» de SOS Méditerranée sur l’Aquarius.  fabien perrier

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AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ?

Aquarius : le gouvernement et sa majorité font un concours de justifications indignes La France n’accueillera pas l’Aquarius et ses 629 personnes à bord. De la voix de plusieurs de ses membres, le gouvernement a dit niet. Avec des explications de texte toutes plus indignes les unes que les autres. Qui va donc «oser» venir en aide à l’Aquarius ? Ce bateau humanitaire est coincé depuis plusieurs jours au beau milieu de la Méditerranée avec à son bord 629 réfugiés dont 123 mineurs et sept femmes enceintes. Lundi 11 juin, l’Italie et Malte ont refusé de l’accueillir. L’Espagne s’est proposée, mais de l’avis de l’ONG SOS Méditerranée qui gère le navire, ses côtes sont trop éloignées. Alors, si les regards se sont tournés un temps vers la Grèce, la France, par la voix

de l’exécutif corse, a relancé l’idée d’un accueil. Sauf que, quand on demande à l’exécutif et aux membres de sa majorité ce qu’ils attendent pour lever le petit doigt, les réponses sont toutes plus fébriles les unes que les autres. La palme de l’ignominie revient sans hésiter au porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, lequel déclare ce mardi 12 juin sur CNews : « La France a pris sa part ».

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Pour le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, invité de Sud Radio ce mardi, la France « agit » et n’est « pas inerte ». Il ose même : « La France prend plus que sa part, au sens où elle est engagée sur le théâtre libyen pour stabiliser la situation, au sens où nous sommes engagés pour accueillir sur trois ans 10.000 personnes éligibles au droit d’asile [...] pour leur éviter cette traversée de la mort. » Il faudra donc que le secrétaire d’Etat se mette d’accord avec Benjamin Griveaux quant à savoir si la France a « pris sa part » ou bien si elle prend « plus que sa part ». LA LEÇON CORSE Finalement, c’est le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, qui a donné de quoi réfléchir aux «marcheurs». Il propose simplement d’accueillir l’Aquarius dans un port de l’île, assurant à Libération : « La compétence, je la prends ». Ce à quoi Jean-Baptiste Lemoyne rétorquera : « Que dit le droit international ? Il faut aller vers le port le plus sûr et le plus

proche. Et on voit bien que la Corse n’est pas le port le plus sûr et le plus proche. Vu la situation du bateau, c’est entre l’Italie et Malte. » De son côté, la ministre chargée des Affaires européennes Nathalie Loiseau a commenté sur LCP : « Nous n’avons pas été saisis d’une demande de la part de l’ONG SOS Méditerranée, pour une raison simple, c’est que pour se rendre en France c’est plusieurs jours de mer. [...] On n’est pas là pour faire la compétition des belles âmes, on est là pour essayer d’être les plus efficaces possibles parce que ces gens sont en danger. » Précisons que l’Espagne n’a pas attendu d’être «saisie» pour offrir son aide, bien que ses côtes soient à plusieurs jours de mer. Pour rappel, c’est à cette même Nathalie Loiseau que l’on doit l’expression « shopping de l’asile » pour parler des réfugiés. Faut-il alors s’étonner à chacune de ses sorties ? LA FRANCE APHONE Mais alors, que propose la France pour se sortir de cette situation dramatique ?

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AQUARIUS : QUE FAIT LA FRANCE, QUE FAIT L’EUROPE ?

Marc Fesneau, chef de file des députés MoDem, s’interroge ce mardi à L’Opinion : « Il y a une question européenne d’abord, on laisse les Italiens affronter cette question, on a eu un égoïsme européen […] Il y a une question qu’on se pose : «Quelle est la part que prend la France dans cette misère qui arrive ?» […] Il ne faut pas qu’on ouvre une porte, il ne faut pas qu’on dise le nouveau chemin, c’est la Corse. » Nous voilà bien avancés... Gabriel Attal, porte-parole du parti LREM, considère lui que « la ligne du gouvernement italien est à vomir », dit-il sur Public Sénat. Et la ligne du gouvernement français ? « Je n’imagine pas que la France ne participe pas à trouver une solution humanitaire pour ce bateau », dit-il. On y croit ! Pourtant, plusieurs députés LREM commencent à faire entendre leurs inquiétudes – la fameuse «aile gauche» – comme on peut le voir dans le tweet ci-dessous :

Mais le gouvernement renvoie toujours la balle dans le camp de l’Union européenne. Car rappelons-le, avec l’accord de Dublin, c’est le premier pays de l’UE où un «migrant» pose le pied qui doit le prendre en charge. Une fois n’est pas coutume, citons ce tweet de Jean Quatremer, qui rappelle une déclaration d’Emmanuel Macron le 23 juin 2017 à Bruxelles : « Nous devons accueillir des réfugiés, c’est notre devoir et notre honneur ». Qui a dit : « Nous devons accueillir des réfugiés, c’est notre devoir et notre honneur » ? Le Président @EmmanuelMacron, le 23 juin 2017 à Bruxelles. L’Aquarius montre ce que vaut la parole présidentielle...

Les députés LREM ont un message pour l’exécutif. #Aquarius pic.twitter.com/ LlICBvY27b

— Jean Quatremer (@quatremer) 12 juin 2018

— Ellen Salvi (@ellensalvi) 12 juin 2018

 Loïc Le Clerc

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LA GAUCHE ÉTASUNIENNE RETROUVE SES COULEURS


Etats-Unis : l’après-Sanders sur de bons rails

Plus d’un an après la défaite d’Hillary Clinton face à Donald Trump et alors que les primaires en vue des prochaines présidentielles sont déjà à l’ordre du jour, la gauche américaine pourrait se réinventer grâce à des femmes noires ou latinos issues des classes populaires. La «révolution politique» engagée par Bernie Sanders commence à porter ses fruits. Le sénateur socialiste et indépendant qui avait concouru contre Hillary Clinton lors des primaires démocrates pour la présidentielle américaine – et dont on avait, depuis, cent fois annoncé la disparition – se représentera à nouveau dans l’état du Vermont. C’est évidemment un premier pas vers une possible candidature à la primaire pour les prochaines présidentielles. Mais il y a plus : nombre de candidatures tout à fait inédites émergent à l’occasion des primaires du Parti démocrate pour

les élections intermédiaires de 2018. Ces candidatures contestent toutes l’establishment démocrate, et le leadership des Clinton sur le parti. Ce sont également, pour grande partie, des femmes, qui ont décidé de s’affranchir de toute autorisation : un nombre record pour cette année 2018, annonce même le New York Times. Et toutes, souvent activistes, portent les mêmes demandes : celles des travailleurs et des minorités raciales et de genre. Dans le sillage de Stacey Abrams, une femme noire qui a remporté la nomination du Parti démocrate pour le poste de gouverneur en

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Géorgie, ou de Lupe Valdez au Texas, toutes sont relativement jeunes et revendiquent avec fierté leur appartenance aux classes populaires, leur genre ou leur couleur de peau. Toutes aussi, ont soutenu ou sont aujourd’hui soutenues par Bernie Sanders. Il est vrai que, depuis l’élection de Donald Trump, on n’a guère vu l’establishment démocrate se mobiliser – et Hillary Clinton moins que tous. Pendant que Bernie Sanders se battait avec férocité contre les projets de Trump sur la sécurité sociale, que de nouveaux et jeunes activistes se mobilisaient sur le front de l’immigration, du féminisme, de l’usage des armes, que le mouvement Black Lives Matters perpétuait les luttes contre les violences policières et les assassinats des jeunes noirs, l’ancienne candidate à la présidentielle continuait, elle, d’égrener ses plaintes et ses regrets sur les ingérences russes, l’affaire des emails et la misogynie supposée des soutiens de Bernie Sanders. Bref, des luttes ont été menées et elles commencent à imprimer des traces dans le coeur même des institutions du Parti démocrate. L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DANS PARTI DÉMOCRATE AMÉRICAIN La candidature d’Alexandria Ocasio-Cortez à New-York est, à cet égard, emblé-

matique. La jeune femme, 28 ans, dispute au très établi Joe Crowley, la place de représentant au Congrès du 14ème district. Née, dans le Bronx, d’une mère portoricaine, elle se veut aussi issue de quartiers défavorisés et porte des revendications comme une sécurité sociale pour tous, une augmentation du salaire minimum, une éducation supérieure publique renforcée, etc. ; elle refuse, enfin, les fonds d’investisseurs privés pour financer sa campagne. Et, face à un candidat installé (qui dispose d’ores et déjà d’un butin de guerre d’1,5 million de dollar), elle n’a donc pour elle que son parcours d’éducatrice et son rôle d’organisatrice dans la campagne de Bernie Sanders. Et pourtant la jeune femme a fait sensation en publiant une vidéo, devenue virale sur les réseaux sociaux américains. Il faut dire que le clip de campagne, brut, frontal, sans fioritures – filmé à la manière des séries réalistes américaines – présente la jeune femme et les Newyorkais dans leur vie de tous les jours : une vie ordinaire, où il faut le matin pour une femme se maquiller à l’aube, et remplie de difficultés pour se déplacer, pour nourrir les enfants, pour leur assurer un accès à l’école, etc. Mais c’est surtout le ton engagé et les propos de la jeune femme qui ont retenu l’attention : « Je suis une éducatrice, une organisatrice, je suis une New-yorkaise qui appartient

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à la classe des travailleurs (« workingclass »). Ce combat est un combat du peuple contre l’argent. Ils ont l’argent, nous avons le peuple. Il est temps que nous fassions savoir que tous les démocrates ne sont pas les mêmes. Un démocrate qui reçoit des fonds privés, profite des monopoles, qui ne vit pas ici, qui n’envoie pas ses enfants dans nos écoles, ne boit pas de notre eau et ne respire pas le même air que nous, ne peut décidément pas nous représenter. Ce dont le Bronx et le Queens ont besoin, c’est d’une sécurité sociale pour tous, d’emplois fédéraux garantis, d’établissements d’études supérieures gratuits, d’une réforme de la justice criminelle. Un New-York pour le plus grand nombre (« for many ») est possible. Le temps est venu pour l’un d’entre nous (« one of us ») ». Comme l’a fait remarquer Corey Robin, professeur de sciences politiques au Brooklyn College, le propos est saisissant dans le contexte politique américain (et, à vrai dire, il dépareillerait, de même, aujourd’hui, dans le contexte français) : « A quand remonte le dernier moment où l’on a entendu un représentant politique se définir, de lui-même, comme issu de la classe des travailleurs ? ». Il incarne en effet à merveille cette «nouvelle virulence» des jeunes activistes issus des classes populaires, des minorités de couleur et de genre, prêts à reconquérir

et s’emparer des institutions politiques américaines, pour qu’enfin un changement réel advienne, au-delà du simple espoir. L’IRRUPTION DE L’INTERSECTIONNALITÉ EN POLITIQUE Il faut dire que le père d’Alexandria Ocasio-Cortez, comme elle ne manque pas de le rappeler, est décédé durant la crise financière de 2008 qui a frappé les États-Unis avant de souffler l’Europe ; et que sa mère dut, à cette occasion, retourner faire des ménages, conduire un bus... Bref, après le choc de 2008, plus ou moins différé dans les consciences, c’est toute une nouvelle gauche américaine qui, après un passage par l’activisme et le soutien à la candidature de Bernie Sanders, entend affronter la main mise des néo-libéraux sur le Parti démocrate, aux premiers rangs desquels, bien entendu, les Clinton. Corey Robin, visiblement enthousiaste – et il est difficile de ne pas partager cet enthousiasme – fait encore observer que la candidature d’Alexandria Ocasio-Cortez démontre, s’il le fallait encore, comment ce qu’on appelle « l’intersectionnalité fait avancer les choses ». Et, en effet, la théorie de l’intersectionnalité (élaborée par la juriste Kimberlé Crenshaw) vise moins, comme un rapprochement trop rapide avec l’idée de convergence

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des luttes pourrait le laisser penser, à installer une lutte dans une place centrale, principale, qu’à démarginaliser des luttes périphériques pour interroger l’articulation des luttes. Pour reprendre l’exemple canonique de Kimberlé Crenshaw, prendre le point de vue d’une lutte minorisée (par exemple celles des femmes noires) à l’intersection d’au moins deux autres luttes (celles des noirs d’une part, et des femmes d’autre part), c’est s’interroger sur ce qu’exigerait la prise en compte, pour la lutte anti-raciste comme la lutte féministe, de la voix de ces femmes qui ne sont pas moins noires que femmes. Ne pas questionner ces luttes du point de vue des femmes noires, c’est en effet prendre le risque de voir la lutte antiraciste exclusivement représentée par les hommes noirs, et la lutte féministe par des femmes blanches et par exemple aussi, bourgeoises, relativement âgées... ETRE FÉMINISTE... ET PRÉFÉRER BERNIE SANDERS À HILLARY CLINTON On comprend, en ce sens, que durant la campagne présidentielle, de jeunes féministes (dont, sans doute, Alexandria Ocasio-Cortez), souvent noires ou latinos, issues des classes populaires, aient contesté le titre de féministe à Hillary Clinton, et se soient plutôt reportées vers un soutien à Bernie Sanders

(un homme pourtant blanc, et plus âgé). C’est qu’elles ne considéraient pas que le féminisme blanc et élitiste de Clinton les représentaient ; qu’il fonctionnait même comme un repoussoir pour les classes populaires ; qu’elles estimaient, enfin, qu’Hillary Clinton était tout à fait incapable d’articuler ce féminisme à la question sociale et raciale, aux questions de classe et de couleur. Et de fait, celles d’entre elles qui s’étaient pourtant, à l’instar de Cynthia Nixon, résolues à soutenir Hillary Clinton, se retrouvent aujourd’hui, dans ces nouvelles primaires démocrates, combattues par l’establishment clintonien et, en définitive, soutenues par Bernie Sanders. Le vieux lion Bernie Sanders qui déclare d’ailleurs avec ardeur, depuis : « Ouvrez les portes du Parti démocrate. Bienvenue aux travailleurs, bienvenue à la jeunesse, bienvenue à l’idéalisme ». On comprend mieux aussi, que ce féminisme intersectionnel s’articule très bien à une stratégie et une rhétorique populistes comme celle du sénateur du Vermont ou, plus près de nous, Jeremy Corbin ou Jean-Luc Mélenchon. En posant la question du nombre et de l’appartenance, du plus grand nombre (« many ») et du nous (« us »), des candidatures comme celles d’Alexandria Ocasio-Cortez renouvellent la question de la représentativité réelle des élus. Et, en effet, comme le faisait à raison remarquer

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Hannah Arendt, le droit de vote, le choix entre des possibles et des programmes reste formel et fermé, tant que la question de l’égibilité – la possibilité égale, pour chacun, de se présenter et d’être élu – reste par ailleurs exclue de la vie et du débat publics. Et confisquée, au fond, par un petit nombre qui, quelles que soient les différences proclamées, s’attribue la propriété exclusive de la vie publique et politique. Comme disent les Espagnols : nous avons alors un vote, mais pas de voix. Et sans doute la jeune candidate newyorkaise ne se présente pas comme de gauche (« left »), mais plutôt comme issue de la base (« bottom »). Mais c’est sans doute que, comme en Europe aussi, la question de l’incarnation et des contenus réels est devenue si criante qu’il vaut peut-être la peine de de suspendre, un temps, l’usage du mot gauche, si c’est pour le remplir à nouveau de sens et de chair, le reformuler après tant et tant de trahisons (qu’elles soient celles du Parti démocrate ou, en Europe, des partis sociaux-démocrates). De fait, ces candidatures posent moins la question, si l’on y tient, de savoir ce qu’est la gauche, que de savoir qui est de gauche, et pour qui. Comme le dit encore Alexandria Ocasio-Cortez : « New York va sans doute mieux. Mais pour qui ? ».  Gildas Le Dem

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Stanley Cavell ou la beauté de l’expérience américaine Immense figure de la philosophie américaine s’il en est, Stanley Cavell, connu des uns pour ses livres sur le cinéma et des autres pour ses travaux sur le langage, est mort à l’âge de 91 ans. Le philosophe américain Stanley Cavell est mort. Sans doute son nom dira-t-il peu de choses au lecteur français. C’est que le public français et européen, même et surtout le plus cultivé, s’imagine souvent que la culture américaine ne saurait produire de grandes pensées. Et encore moins des pensées contestataires. Il faut dire, aussi, que les États-Unis – et en premier lieu leurs universités – ont souvent tout fait pour étouffer leur propre culture, et d’abord leur culture

la plus dissidente ; et que, longtemps, les élites américaines – par snobisme, méconnaissance de leur propre histoire – se sont référées aux canons de la culture et de la pensée européennes. Né en 1926 dans une famille juive à Atlanta (ville qui sera marquée, s’il en est, par la culture esclavagiste), Stanley Cavell s’engage, adolescent, dans des études musicologiques pour se tourner, jeune adulte, vers la philosophie. Et, au début des années 60,

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alors que le combat pour les droits civiques bat son plein et que point la lutte contre la guerre du Vietnam, Cavell fait une rencontre décisive en la personne d’un professeur à Harvard, John Langhaw Austin. Ce dernier est aujourd’hui connu pour sa théorie des speech acts, des actes de langage et notamment du performatif (un acte de langage qui, comme la promesse, permet, par la simple énonciation, de faire quelque chose). Mais ce qui retient alors l’attention du jeune Cavell, c’est ce qu’il appellera très vite le souci du « langage ordinaire » : le fait que les actes de langage soient toujours, en quelque sorte, des événements de parole, c’est-à-dire énoncés dans des situations de langage saturées par un contexte (que celui-ci soit affectif, social ou même politique). Bref, bien que les actes de langage ne décrivent pas quelque chose qui existe hors du langage et avant lui, ils se produisent et opèrent dans des situations qui, s’ils peuvent les transformer, ne sont pas des situations idéales de discours. Aussi Cavell sera-t-il amené, comme Austin avant lui, à soustraire

l’analyse du langage ordinaire à l’autorité des valeurs logiques de vérité et de rationalité, pour leur substituer les valeurs de force et d’authenticité. LE PERFORMATIVITÉ DU LANGAGE S’il est vrai que, toujours selon Austin, il faut s’en tenir aux situations d’énonciations parlées, alors la voix, et son ton, deviennent un élément central de l’analyse du langage ordinaire. C’est qu’une voix (claim) est d’abord clameur, réclamation, demande, exigence. Une voix est toujours déclarative : dès que s’élève une voix, s’exprime un droit à parler en son nom propre, à ne s’autoriser que de soi, à s’autoriser d’une forme de confiance en soi et de liberté pour chacun. C’est le modèle américain de la déclaration des droits : la liberté n’existe pas avant d’être déclarée, d’être publique, bien que – par situation – le contexte dans lequel une voix se produit exige encore d’être collectivement transformé. C’est ici, qu’après Austin, Cavell va convoquer deux figures longtemps effacées, sinon forcloses, de la pen-

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sée américaine : Emerson et Thoreau. Immenses prosateurs, artistes d’un langue américaine qui se cherche encore, tous deux s’engageront également avec fermeté dans la lutte contre l’esclavage et pour les droits des Indiens. Et, de fait, jetteront les bases de ce que nous appelons aujourd’hui désobéissance civile. C’est dire si ces premiers «éducateurs» américains furent aussi des dissidents. Mais c’est d’abord qu’Emerson et Thoreau n’ont cessé d’introduire un doute dans le langage, un scepticisme au sujet du langage lui-même. Comme dit quelque part Emerson : il est sans doute vrai de dire que « deux et deux font quatre ». Mais il est des manières de le dire qui nous en feraient douter, et si l’on parle bien encore de « deux » et de « quatre » quand on le dit ainsi. Le rapport entre ce qui est dit et ce qui est n’est pas seulement affaire de logique, de rationalité ; il est aussi affaire d’affect, de confiance et, en définitive, de vie. Aussi Cavell va-t-il retrouver, après Emerson et Thoreau, la tâche d’une critique de la raison. Mais non plus sur les bases d’une critique de la raison à la manière européenne, à partir d’une interrogation sur les formes

logiques et légitimes de la rationalité mais d’une interrogation sur les formes de langage et de vie ordinaires où les formes de langage rationnel, logique, légitime, ont des droits mais des droits limités. C’est en ce sens que, dans les années 80, Cavell s’opposera au très néoconservateur Allan Bloom, lorsque ce dernier déplorera le déclin d’une culture américaine canonique et élitiste, fondée sur les standards, indiscutés et indiscutables, de la grande littérature et de la pensée occidentales. Et qu’il affrontera, également, des penseurs libéraux comme Rawls ou Habermas qui placent au centre de leur analyse de la justice sociale, la nécessité de se situer dans des situations de discours idéalement rationnelles et consensuelles, en excluant les conflits et les affects. Cavell réintroduisait ainsi le dissent, la dissension et le dissentiment, au coeur de la pensée américaine. CAVELL ET LA COMÉDIE HOLLYWOODIENNE Mais Cavell n’était pas qu’homme de langage et de politique ; il était aussi, il était peut-être d’abord, homme de coeur et d’art. Il conjuguait tous ces aspects, et assumait d’ailleurs, en

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ce sens, une forme de «romantisme démocratique». Et, s’il est aujourd’hui partout célébré, c’est sans doute d’abord pour sa pensée du cinéma, un art populaire qu’il a largement contribué à réhabiliter comme une forme d’art à part entière. C’est, en effet, en s’attachant à relire la comédie hollywoodienne du remariage comme une reprise digne d’un conte d’amour de Shakespeare que, suspendant pour un temps l’analyse logique de l’image, se concentrant sur la mise en scène et ce qu’il appelait la « conversation ordinaire du couple démarié », Cavell découvrit dans les grandes comédies romantiques de Capra ou d’Hawks une forme de vie et de langage qui se reconquiert dans la répétition d’une différence. Centrée sur le nouveau statut de la femme et l’égalité des sexes, la comédie du remariage demande en effet que les protagonistes se retrouvent dans une forme d’écart, de dissension à soimême pour retrouver, dans l’autre, un autre soi-même. Et retrouver foi en soi, en l’autre et dans le monde. C’est dans cette reprise, ce réinvestissement de ce qui menace toujours de disparaître ou semble perdu – le couple, la confiance, la démocratie, la

justice sociale – que Stanley Cavell situait la beauté de l’expérience américaine.  Gildas Le Dem

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Alexandria OcasioCortez : du dégagisme à l’américaine Victoire surprise à New York dans une primaire du Parti démocrate : une ancienne barmaid latino de 28 ans née dans le Bronx, l’a emporté cette semaine face à un baron du parti. Espoirs intersectionnels et révolution politique de l’autre côté de l’Atlantique. She did it ! Elle l’a fait. Et pas qu’un peu. Alexandria Ocasio-Cortez a donc remporté l’investiture démocrate dans le 14ème district de New York contre Joe Crowley, avec le score – écrasant, saisissant – de 57, 5 % des voix, contre 42,5 % à son adversaire, représentant, s’il en est, de l’establishment démocrate. Les médias américains parlent déjà de « séisme politique ». Et Donald Trump lui-même s’est ému, sur son compte Twitter, de

voir disparaître un vieil adversaire de la scène politique new-yorkaise. On avait analysé, ici, quels étaient les ressorts d’une campagne qui pouvait n’apparaître, il y a quelques semaines encore, que comme une forme de défi tout au plus sympathique, quand elle ne prêtait pas à des commentaires empreints de scepticisme et de cynisme de la part de tous les acteurs de l’establishment. La jeune candidate se présentait certes comme une

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candidate démocrate mais issue de la classe des travailleurs ; ce qui, aux États-Unis, fait encore trembler les coeurs même les plus progressistes. Elle s’appuyait sur une démarche intersectionelle, refusant de séparer les questions de race, de classe, de genre, de sexualité. Enfin, elle mettait en oeuvre une stratégie populiste et inclusive : constituer un nous politique, articuler des demandes populaires hétérogènes dans le sens de plus d’égalité et de justice sociale pour tous. UNE LUTTE INTERSECTIONNELLE VICTORIEUSE Tout semblait donc à vrai dire fou, irraisonné, excessif dans cette campagne de terrain qui, n’était le soutien de Bernie Sanders (Joe Crowley étant au contraire appuyé par les Clinton et l’establishment démocrate), ne s’appuyait, au départ, que sur la mobilisation des abstentionnistes et des populations délaissées par le parti démocrate. Comme toujours, pour l’establishment démocrate, il ne suffirait que de jouer sur la peur inspirée par le parti républicain et Donald Trump, pour rallier, par défaut, les voix des travailleurs, des femmes ou des populations d’origine immigrée

encore prêts à voter en dépit de tous les espoirs déçus. Et pour le reste, on maintiendrait, autour du soutien moral des classes moyennes, un statu quo raisonnable et une forme de consensus au centre, tout en cédant en pratique – en dépit de proclamations anti-racistes, féministes, etc. – toujours un peu plus de terrain à l’adversaire sur les questions de revenus, de santé, d’éducation ou d’immigration. Comme si les questions économiques et sociales n’affectaient pas, en premier lieu, les plus fragiles d’entre les travailleurs : les femmes, les noirs et les latinos ! Comme Alexandria Ocasio-Cortez l’a répété à plusieurs reprises durant la campagne, « il n’est pas de question économique et sociale qui n’ait de prolongement racial, comme il n’est pas de question raciale qui n’ait de prolongement économique et social ». On ne peut donc, sauf aveuglement volontaire, mettre une question au centre d’un agenda politique sans en reléguer une autre aux marges de l’action politique ce qui signifie, en fait, se refuser à traiter cette question dans ses prolongements et son ensemble. Il faut donc, au contraire, démarginaliser les questions de race, de genre, de sexualité pour, également, reformuler de manière effective la question


économique et sociale. Et c’est ainsi, en effet, que la jeune candidate latino a pu se présenter, face à son adversaire, comme la championne de la question des travailleurs new-yorkais, mettant fin, par sa victoire écrasante, à ce « cycle de cynisme et d’incurie » engagé, depuis les années 90, par le néolibéralisme des Clinton, et qui voulait non plus transformer l’Amérique mais uniquement se maintenir au pouvoir. En remettant à l’agenda des questions comme celle d’un revenu minimum, d’une éducation publique gratuite, d’emplois fédéraux garantis, d’une sécurité sociale pour tous, Alexandria Ocasio-Cortez ne craignait pas même d’en appeler – suite à la crise de 2008 et l’occasion manquée par Obama de faire plier la finance et de relancer l’investissement public – à un nouveau New Deal pour tous. Une nouvelle donne sociologique en politique La jeune femme est en effet âgée de 28 ans et issue des classes populaires du Bronx et du Queens. Elle était encore barmaid et éducatrice il y a quelques mois. Cumulant les emplois depuis son adolescence – son père est décédé durant la crise de 2008 –pour, avec sa mère d’origine portoricaine, faire subsister sa famille, elle avait pourtant déjà été l’une des

organisatrices de la campagne de Bernie Sanders pour l’investiture démocrate à la présidentielle américaine en 2016. Mais nul n’imaginait qu’elle puisse défier - et encore moins battre ! - un représentant du parti démocrate en place depuis 20 ans, et appelé à succéder à Nancy Pelosi au rôle de leader démocrate à la Chambre des Représentants. C’est dire, pour parler comme le New-York Times, que la base du Parti démocrate est en état d’insurrection politique et que désormais, elle risque bien de répudier un peu partout les candidats démocrates «modérés». La victoire de la jeune candidate new-yorkaise inaugure sans doute, en effet, une série de victoires de jeunes leaders démocrates radicaux. Il faut en effet également compter avec la victoire de Ben Jealous dans le Maryland, et celles, peutêtre à venir, d’Ayanna Pressley dans le Massachusetts, de Cori Bush dans le Missouri, ou encore de Chardo Richardson en Floride. Toutes et tous, sous la bannière de Bernie Sanders, entendent en effet conquérir le Parti démocrate pour en faire l’outil de ce que le sénateur du Vermont appelle une « révolution politique ». Bien plus, sous la pression de ces victoires, un verrou institutionnel décisif vient de sauter : Tom Perez, qui dirige le DNC,

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le comité national du Parti démocrate, s’est vu tenu de proposer une réduction du rôle des super-délégués dans la désignation des candidats (les dignitaires du Parti démocrate avaient, par exemple, clairement pesé dans le sens d’une désignation d’Hillary Clinton en 2016). Surtout, ces nouvelles candidatures entrent évidemment en résonance avec les mouvements d’activistes dont elles sont les plus souvent issues, et mettent à nu le cynisme du Parti démocrate. Un épisode portant sur la question de l’immigration, aura en effet marqué le débat Ocasio-Cortez/ Crowley. Joe Crowley s’était, comme à son habitude, répandu en indignation morale contre les dispositions de l’administration Trump à l’égard des migrants, les qualifiant avec bruit de « fasciste ». Mais de deux choses l’une : ou bien les dispositifs comme l’ICE (un agence de police frontalière dont le rôle aux États-Unis est l’équivalent, peu ou proue, de dispositifs comme FRONTEX pour l’Union européenne) sont des dispositifs d’état criminels (notamment lorsqu’ils séparent les enfants des parents). Et ils doivent par conséquent, comme l’a rappelé Ocasio-Cortez à son adversaire, être abolis. Ou bien il ne sert à rien de crier au fascisme (surtout lorsque l’on

a supporté des administrations démocrates qui, comme celle d’Obama, ont, plus que toutes, encouragées ces dispositifs, et ont livré clé en main des instruments de répression à l’autoritarisme de l’administration Trump). ON NE PERD QUE LES COMBATS QUE L’ON NE MÈNE PAS On disait, là encore, si l’on était cynique ou indifférent, que c’était peine perdue, que jamais les Américains ne se rallieraient à un combat en faveur des droits des migrants ; qu’il fallait donc protester pour la forme, s’en tenir à des positions morales bien faites pour se satisfaire de soi-même en conscience ; mais sans espoir et encore moins d’engagement à modifier politiquement, et effectivement, la donne. Et pourtant. Et pourtant les Américains (qui savent bien qu’ils ne sont rien d’autre, au fond, qu’une nation de migrants) se sont mobilisés, aux premiers rangs desquels les femmes activistes qui ont, à nouveau hier, après la grande marche féministe de cet automne, envahi les institutions de la capitale américaine, sous les saluts, enthousiastes, de la sénatrice Elisabeth Warren. On ne perd les combats que l’on ne mène pas. Et Bernie Sanders a raison, dans un tribune récente, de dire que


le combat ne peut être que global. Global au sens où, si les Démocrates et les forces de gauche veulent véritablement, et partout, vaincre l’autoritarisme montant des forces de l’argent et de l’oligarchie qui, de Poutine à Trump et Erdogan, en passant par les monarchies du Golfe, dominent actuellement la scène politique nationale et internationale, on ne peut désormais plus séparer les droits des travailleurs, des femmes, des migrants et des minorités raciales. Mais encore faut-il d’abord – là où des régimes autoritaires promeuvent la division et la haine –, pour encourager le sens de l’inclusion et de la justice sociale, vaincre l’apathie que des élites cyniques et indifférentes ont contribué à installer dans les têtes et dans les coeurs des électeurs. On parle souvent d’une haine des élites qui animerait cette nouvelle gauche. C’est faux. C’est qu’au fond, la maxime de ces nouvelles figures de la gauche pourrait être celle que Gramsci s’était faite, en déclarant ne rien tant haïr que l’indifférence, la sécheresse et la paresse de coeur. Et c’est bien celles-ci que le courage, l’enthousiasme, une certaine innocence aussi de celle qui est sans doute appelée à devenir une grande figure de la politique américaine vient de vaincre de manière fracassante.  Gildas Le Dem

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ET PENDANT CE TEMPS-LÀ, DANS LA FRANCE D’EMMANUEL MACRON…


Loi ELAN : LREM s’en prend (encore) aux jeunes, aux pauvres et aux handicapés Il n’aura fallu que quelques jours à la majorité et à l’exécutif pour mettre à mal la gestion des HLM ou encore l’accessibilité des logements aux handicapés. Un coup dur de plus d’une politique plus que jamais antisociale. Ces jours-ci, les parlementaires débattent, si l’on peut dire, du projet de loi ELAN (Evolution du logement et aménagement numérique). Une nouvelle réforme où la majorité LREM entend bien imposer sa vision du monde si particulière, malgré les appels à la raison de l’opposition. Vendredi 1er juin, l’Assemblée nationale a voté le passage de 100 à 10% de logements accessibles aux personnes handicapées dans les constructions neuves. Les 90% restants seront « évolutifs », peut-on lire dans le projet de loi ELAN. Trois jours plus tard, lundi 4 juin, le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, osait affirmer sur franceinfo :

« Il y a une confusion sur le mot «accessibilité». On devrait utiliser le mot «adaptable». […] Tous les logements qui seront construits en application de cette loi seront accessibles à des personnes en situation de handicap qui viendraient dans l’appartement, au salon, aux toilettes. » LREM N’A (AU)QU’UNE PAROLE Faut-il rappeler qu’en juin 2017, le handicap avait été élevé au rang de «priorité du quinquennat» ? Au-delà de la novlangue macroniste – qui est si subtile qu’il suffit presque toujours de comprendre l’in-

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verse de ce qui est dit pour être dans le vrai – ce projet de loi illustre à nouveau ce que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, appelle les « droits de l’homme pauvre » : les droits fondamentaux ne sont pas pour tout le monde. Comme pour le projet de loi Alimentation et agriculture, le bon sens est mort au profit d’un lobbying qui ne dit pas son nom. Car le raisonnement est élémentaire : moins de contraintes de normes handicapés = plus de constructions. Mais comme le rappelle Marianne : « Le quota de logements accessibles, par définition, ne s’applique qu’aux habitations neuves, qui représentent... 1% du parc immobilier français ». LES HLM, C’EST POUR LES LOSERS Mais la future loi ELAN ne se contente pas de s’en prendre aux handicapés. Désormais, les organismes de HLM vont pouvoir vendre tous leurs logements, même ceux de Neuilly-sur-Seine où il n’y a déjà pas beaucoup de logements sociaux. Et ne penser pas que ce sont les locataires HLM qui vont en devenir propriétaires (c’est l’argument de la majorité), car, comme l’écrit Libération : « Un amendement porté notamment par la corapporteure du texte, Christelle Dubos, députée LREM de Gironde, va permettre à des fonds d’investissement ou des fonds de pension d’acheter en

«nue propriété» des immeubles HLM entiers ». Le gouvernement espère ainsi vendre 40.000 logements sociaux par an. De plus, l’exécutif entend regrouper les quelque 800 organismes HLM, histoire, là encore, de faire des économies. Les conditions d’attribution des logements sociaux pourraient aussi être révisées. Pour le député LFI Eric Coquerel, avec cette loi ELAN, la majorité va « change[r] la nature des bailleurs sociaux : vous les obligez à avoir comme optique la question de la rentabilité. Plus que jamais, vous êtes le gouvernement des très riches. » UN DERNIER COUP SUR LES ÉTUDIANTS POUR LA ROUTE Ils appellent ça le « bail mobilité ». Concrètement, il s’agit d’un nouveau contrat de location d’une durée de un à dix mois à destination des étudiants et des jeunes en contrat d’apprentissage, en formation professionnelle ou en stage. Problème : à la fin de ces dix mois, le bail n’est pas reconductible, donc ciao amigo ! Mais comme de toute façon, ces mêmes jeunes sont toujours dans l’attente de voir le couperet de Parcoursup leur tomber sur la nuque, le logement, ça n’est pas encore une question à l’ordre du jour.  Loïc Le Clerc

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ET PENDANT CE TEMPS-LÀ, DANS LA FRANCE D’EMMANUEL MACRON…

Lycée Arago : 65 heures de cellule pour 40 minutes d’occupation Marie-Christine Vergiat, députée européenne membre de la Gauche unie européenne, revient sur la situation des réfugiés en Europe et rétablit quelques éléments de vérité dans une tribune que Regards publie en exclusivité. Lucas est étudiant. « Inculpé du 22Mai », il est également membre du groupe «Jeunes révoltés». Regards. Pouvez-vous nous raconter cette journée du 22 mai ? Lucas [le nom a été modifié, NDLR]. C’était la fin de la manifestation du 22 mai. Il y a eu une décision générale de mener une tentative d’occupation pacifique du lycée Arago pour pouvoir y tenir une assemblée générale. On était une centaine. Malheureusement, très rapidement, les policiers et les CRS sont intervenus. On a été délogé au bout de 40 minutes. Les CRS étaient très nombreux. Ils sont montés jusque dans la salle où on s’était tous posés.

Ils ont demandé de nous asseoir, on a discuté rapidement avec ce qui semblait être le chef de la brigade, il nous a dit : «Soit vous vous rendez pacifiquement, on vous interpelle et vous êtes très vite libres. Soit les arrestations ne seront pas pacifiques.» Puisqu’on n’avait aucune envie de se faire taper dessus, et même d’avoir de réels problèmes par la suite, on s’est rendu pacifiquement. On a été fouillé à plusieurs reprises, on nous a notifié l’interpellation. Il est 19h30. Puis, on nous a parqués dans un car de CRS. On était une soixantaine dans un car qui, honnêtement, pouvait au maximum accueillir une quarantaine de personnes serrées. Il faisait très très chaud. On est resté approximativement une petite heure

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devant le lycée dans le car sans savoir ce qu’il se passait. Puis on nous a emmenés au dépôt rue de l’évangile. Là, on nous a laissés dans le camion, sur le parking, sans air, sans eau, sans information. Il y avait des personnes qui se sentaient très mal. Vers 1h du matin, les CRS ont fait sortir les filles, pour les parquer en extérieur, derrière un enclos de fortune. Une quinzaine de minutes plus tard, c’était notre tour. Après de longues négociations et des demandes répétées, on a enfin eu le droit d’accéder aux toilettes. Toujours rien à boire, aucune info sur ce qu’il allait se passer. « Quelqu’un avait décidé de se soulager donc la moitié de la cellule était condamnée. On était 25, dans peut-être même pas 9m². La majorité des personnes n’avait toujours pas eu à boire. » Au fur et à mesure, ils ont appelé les filles puis les garçons pour leur notifier leur garde à vue. Il était déjà 1h30. On nous a expliqué les chefs d’accusation, grosso modo «intrusion dans un établissement scolaire sans autorisation» et «participation à un groupement en vue de commettre des dégradations avec équipement pour échapper à la répression judiciaire». Ce qui semblait étrange, c’est que les OPJ (officiers de police judiciaire) n’avaient que très peu d’informations, quasiment pas plus que nous

en fait. Ils semblaient même convaincus que le lendemain, au maximum en fin d’après-midi, on serait sorti sans rien. Personnellement, ma garde à vue m’a été notifiée à 2h50, bien loin de quatre heures légales. On a ensuite été placé en cellule. Quelqu’un avait décidé de se soulager donc la moitié de la cellule était condamnée. On était 25, dans peut-être même pas 9m². La majorité des personnes n’avait toujours pas eu à boire. Vers 6h du matin, ils nous ont expliqué qu’on allait être déplacé vers nos commissariats respectifs. Là s’en est suivi un long moment, avec des policiers très tendus, assez agressifs. On m’a distribué une claque. Il y a eu des menaces à plusieurs reprises sur des jeunes qui avaient une quinzaine d’années. « Si j’additionne les heures de gardes à vue et de dépôt, j’en suis approximativement à 65 heures de cellule. » Vers 7h30, j’ai été déplacé avec une autre personne dans un commissariat du 92. On est arrivé en début de matinée, on a été mis en cellule. En vérité, personne ne savait qu’on nous prolongerait, même les OPJ pensaient qu’on ne resterait pas plus de 24h. Dans la journée, on a eu nos auditions, avec avocat. En toute honnêteté, il n’y a pas eu de problème dans ce commissariat. Cette fois-ci, on a eu accès à l’eau. Je sais que d’autres

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s’en sont moins bien sortis. Vers 19h30, on nous a notifié le prolongement de la garde à vue. On nous a expliqués qu’il y a un appel aux magistrats qui se ferait le lendemain. Effectivement, le jeudi, vers 15h30, il y a eu cet appel. On a été déféré vers 18h30-19h, emmené au dépôt. Après, ça a été retour en cellule jusqu’au lendemain matin. Je fais partie de ceux qui sont passés en comparution immédiate et qui ont obtenu le renvoi du procès. Si j’additionne les heures de gardes à vue et de dépôt, j’en suis approximativement à 65 heures de cellule. Quelle est la suite de la procédure judiciaire ? Actuellement, je suis sous contrôle judiciaire. J’ai interdiction de mettre les pieds dans Paris, sauf raison professionnelle. Je travaille à Paris. J’ai un procès le 15 juin à 13h30. Quelle peine risquez-vous ? Jusqu’à un an de prison ferme et 15.000 euros d’amende. Je sais que, de par mon profil, je ne suis pas un élément qui pourrait être jugé «dangereux». J’ai la chance d’être issu d’un milieu favorisé, d’être ce qu’ils appellent un «élément intégré à la société». Aux vues des procès des personnes du 1er-Mai, il y a peu de chances qu’on se retrouve avec du ferme.

Quel regard portez-vous sur cette répression à l’encontre des lycéens, des étudiants ? Je l’avais déjà aperçu pendant la loi Travail. On musèle les mobilisations sociales. On fixe au maximum l’attention des médias sur les quelques dégradations symboliques. Aujourd’hui, ça me surprend de voir qu’on a accéléré le pas. Il n’y a plus aucune hésitation à interpeller des jeunes, des lycéens, des étudiants, qui ont parfois entre 15 et 18 ans, mais aussi des journalistes, à les contrôler. Il faut museler la voix de la jeunesse.  Loïc Le Clerc

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« Si Moussa Camara est renvoyé en Guinée, il risque des persécutions parce qu’homosexuel » La France a entamé une procédure d’expulsion contre Moussa Camara, un jeune Guinéen homosexuel. En Guinée, l’homosexualité est punie de trois ans de prison. Adeline Toullier, directrice du plaidoyer de l’association AIDES, fait le point. Moussa Camara est un jeune homme, la vingtaine, artiste acrobate, né en Guinée. En 2015, il arrive en France, avec son compagnon, pour travailler dans une troupe de cirque. Il décide alors de rester en France, considérant qu’il pourra vivre son homosexualité sans les risques qu’il encoure dans son pays d’origine. Fin 2016, il dépose de luimême une demande d’asile auprès de l’OFPRA (Office français de protection

des réfugiés et apatrides). Il en a été débouté. Moussa Camara fait appel mais la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) confirme la décision de l’OFPRA, n’ayant pas la conviction qu’il avait des raisons sérieuses de craindre pour sa sécurité en Guinée. Moussa Camara habitait dans la région de Nîmes et de Montpellier. Il était très investi dans la communauté homosexuel, participant activement à l’organisation

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de Gay Pride. Fin 2017, il est devenu militant à AIDES. En Guinée, le fait de commettre des «actes impudiques» ou «contre natures», selon les termes de la loi guinéenne, est puni de trois ans de prison ferme et d’une amende d’un million de francs guinéens. Regards. Racontez-nous pourquoi Moussa Camara s’est retrouvé au tribunal cette semaine. Adeline Toullier. En avril dernier, Moussa Camara était à la gare de Nîmes et à la suite d’un contrôle d’identité il a été placé en rétention, puisqu’il était démuni d’autorisation de séjour. La rétention a duré 30 jours, prolongée de 15 jours après être passé devant le juge des libertés et de la détention. Il a fait l’objet d’une première mesure d’exécution de son expulsion à partir de l’aéroport de Nîmes. Mais le commandant de bord a refusé de l’embarquer, car il avait considéré que l’embarquement d’une personne menottée peut être assez oppressant pour les voyageurs. Moussa Camara a été replacé en rétention et quelques jours plus tard transféré en voiture en pleine nuit à l’aéroport de Lyon. Là, il s’est accroché à une rambarde et a refusé d’être expulsé. Le refus d’embarquer est sanctionné par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers. Donc ce n’est pas de son séjour irrégulier dont il est question, mais de l’infraction pénale qu’il a commise en refusant d’embarquer. Moussa a été immédiatement placé en garde à vue et fait l’objet d’une

comparution immédiate le lendemain. La juge a mis cette affaire en délibéré et a renvoyé au 12 juin le rendu de la peine. Mardi 12 juin, Moussa Camara a été condamné à deux mois de prison ferme et à deux ans d’interdiction de territoire français (ITF). Que vat-il se passer après ? Depuis début mai, Moussa était placé en détention préventive, donc il a déjà fait un mois et dix jours de prison. Il lui reste 15 jours-trois semaines de prison ferme à faire. Quant à l’ITF, le préfet, dès sa sortie de prison, pourra procéder à son éloignement. Moussa a fait appel immédiatement, notamment pour des raisons procédurales. Moussa parle le français de tous les jours et avait souhaité disposer d’un interprète lors de l’audience parce que le langage juridique n’est pas toujours aisé à comprendre, même quand on parle parfaitement le français. Il a eu une interprète, mais elle ne parlait pas la bonne langue... Donc le motif de l’appel repose sur ce vice de forme, car l’accusé n’est pas en mesure de pouvoir pleinement se défendre. « C’est difficile de fournir des preuves, de parler de son homosexualité, quand on s’est appliqué à la taire pendant des années. » Par rapport au refus de l’OFPRA de lui accorder l’asile, où en est la procédure ? On a assez peu d’éléments sur sa de-

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mande d’asile de 2016. On a l’impression que la demande avait été faite un peu rapidement, sans accompagnement. Une demande de réexamen de sa demande d’asile vient d’être déposée. L’OFPRA devrait se prononcer assez rapidement. On considère qu’il y a de nouveaux éléments, notamment des témoignages de l’équivalent de la Ligue des droits de l’Homme de Guinée, de sa famille. Il y a de fortes raisons de craindre des persécutions en cas de retour dans son pays. L’issue la plus favorable serait que l’OFPRA lui accorde le statut de réfugié, ce qui ne met pas fin automatiquement à l’ITF. Mais si l’Etat français lui donne une protection en tant que réfugié, le préfet doit délivrer une assignation à résidence, le seul acte juridique qui peut contrer l’ITF. Ce qui serait encore mieux, c’est que la procédure soit considérée comme nulle, pour vice de forme, et qu’il n’y ait ni ITF ni peine de prison. Notre priorité, c’est d’éviter qu’il soit expulsé. Il faut absolument qu’à sa sortie de prison, d’ici 15 jours, on puisse y voir un peu plus clair sur toutes ces procédures. Le fait que Moussa Camara soit homosexuel ne change rien dans la procédure d’expulsion vers un pays où c’est un crime ? On pense que l’OFPRA n’avait pas as-

sez d’éléments en 2016 pour considérer qu’il risquait quelque chose en Guinée. Mais c’est difficile de fournir des preuves, de parler de son homosexualité, quand on s’est appliqué à la taire pendant des années. On parle de l’intime face à une administration. De leur côté, les autorités guinéennes ont été attirées par les médias sur la situation de ce jeune gay qui se cache en France. On veut donc qu’il soit régularisé pour qu’il puisse vivre dignement en France. Lors de l’audience, la procureure a émis un doute sur l’homosexualité de Moussa Camara, s’appuyant sur des extraits de la procédure où il se dit « bisexuel » et assure avoir une « compagne enceinte »… Il y a eu, fin avril-début mai, un jeune homme qui a fait courir le bruit sur les réseaux sociaux comme quoi Moussa n’était pas gay. L’homosexualité de Moussa ne fait aucun doute. Il y a quelque chose de particulier, il a une femme et un jeune enfant en Guinée. C’est son apparence sociale. En France aussi, c’est fréquent d’avoir une vie sociale en apparence hétérosexuelle. De toute manière, sur une audience pénale pour un refus d’embarquer, la procureure n’a pas à se prononcer sur l’orientation sexuelle de Moussa.  Loïc Le Clerc

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Quand Terra Nova aide LREM à savoir ce que pensent ses «marcheurs» Le problème avec LREM, c’est que le mouvement est arrivé si promptement dans la vie politique que personne ne connaît les opinions des sympathisants. Sont-ils d’accord avec la politique d’Emmanuel Macron ? Voilà le but d’une étude de Terra Nova. Qu’y a-t-il dans la tête des «marcheurs» ? Quelles sont leurs opinions ? À vrai dire, personne ne saurait répondre à ces questions. Et pour cause, La République en marche (LREM), qui revendique 400.000 adhérents (personnes simplement inscrites en ligne, sans cotisation), n’a pas de réels fondements idéologiques, si ce n’est la royale parole d’Emmanuel Macron. L’évangile, c’est le programme du candidat Macron

à la présidentielle de 2017. Qui l’aime le suive. Sauf qu’un an s’est écoulé et maintenant LREM aimerait bien savoir qui compose son terreau électoral. Pour se faire, le parti peut compter sur le think tank «socialiste» Terra Nova. Il vient de mettre en place une étude, intitulée «La République En Marche : Anatomie d’un mouvement», envoyée aux adhérents LREM afin de les sonder, comme l’a révélé le

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site «Le bon sens». L’étude commence par ce petit message d’accueil où l’on sent bien le désir de comprendre l’inconnu : « La création d’En Marche est une aventure inédite dans la vie politique française portée par les milliers de citoyens qui se sont rassemblés autour d’Emmanuel Macron. L’institut de réflexion Terra Nova réalise une étude pour mieux comprendre la mobilisation des marcheuses et marcheurs qui composent La République En Marche ! […] Nous vous remercions par avance de votre participation qui contribuera à faire connaître les raisons de notre engagement au plus grand nombre. » Jusqu’ici, rien d’extraordinaire. « Ces questions sont (qu’on le veuille ou non) des «classiques» de ce type de sondages, déjà posées par Terra Nova pour d’autres partis, comme le PS », tweetait à ce propos le rédacteur en chef de Buzzfeed France. LES MARCHEURS SONT-ILS DE DROITE OU D’EXTRÊME DROITE ? Mais ce n’est pas la forme qui interpelle, mais le fond. Outre les traditionnelles

questions sur les habitudes politiques, les engagements passés et le fonctionnement de LREM au quotidien comme lors des campagnes, il y a le volet «opinions» qui détonne. Voyez plutôt les questions qui sont posées aux marcheurs, dignes d’un tract de Les Républicains. « Etes-vous d’accord ou en désaccord avec les propositions suivantes ?  L’islam est une menace pour l’occident.  On ne se sent pas chez soi comme avant.  Il faut préserver les traditions.  Il y a trop d’immigrés en France.  Les chômeurs peuvent trouver du travail s’ils le veulent vraiment. » À croire que LREM, qui se veut un parti « ni de gauche, ni de droite », aimerait avoir confirmation de jusqu’où à droite de l’échiquier politique se situe son électorat. JUPITÉRIEN OU BONAPARTISTE ? Emmanuel Macron, dont la campagne présidentielle laissait entendre qu’il allait valoriser une démocratie plus horizontale, incarne depuis son élection le pouvoir de façon ultra-verticale, quasi auto-

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ritariste. La loi, c’est lui, les autres n’ont qu’à bien se tenir. Pour preuve, le seul député LREM ayant osé voter contre un projet de loi siège aujourd’hui avec les non inscrits. Mais les militants, ceux du terrain, de la «vraie vie», ils en pensent quoi de Macron 1er ? Ainsi doivent-ils dire s’ils sont d’accord ou non avec cette affirmation : « La France doit avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections. » Ce qui est bien avec LREM, c’est qu’on demande l’avis du petit peuple a posteriori. Enfin, le questionnaire se termine par ce message : « Les données recueillies sur ce formulaire sont traitées par LaREM dans le cadre d’une étude sur la sociologie des adhérents, des cadres et des élus du mouvement, ainsi que sur son organisation et ses pratiques militantes menée par Terra Nova […] À très bientôt ! L’équipe de La République En Marche ! » Puis l’internaute est automatiquement redirigé vers le site officiel de LREM. Mais les marcheurs, eux, préfèrent dire qu’il s’agit d’une étude de Terra Nova. Contacté par Regards, le parti LREM assure avoir été « sollicité par Terra

Nova pour la réalisation d’une étude de sociologie politique ». On nous précise : « On a signé une convention de recherche avec Terra Nova qui prévoit que LREM diffuse le questionnaire à ses adhérents ». LREM insiste sur le fait que l’étude est « indépendante » et « strictement autofinancée par Terra Nova ». Les résultats de l’étude devraient être connus à l’automne 2018.  Loïc Le Clerc

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