Constance, 22 ans et Christ, 3 jours. Camerounais A la mort de sa mère, Constance décide de quitter le Cameroun pour pouvoir subvenir aux besoins de ses petits frères. Sur la route, elle rencontre Yannick qui devient son compagnon. Constance alors enceinte et Yannick poursuivent leur voyage vers la Libye. A peine arrivé, le couple est kidnappé puis séparé. Après trois mois de détention en Libye, Constance parviendra à s’échapper et à rejoindre les plages d’où partent les bateaux pour l’Europe. Le 11 juillet 2017, Constance a mis au monde son enfant sur une barque au large de la Libye. Elle avait embarqué la veille avec une centaine d’autres migrants espérant rejoindre l’Europe. Les contractions ont commencé en pleine nuit. « Personne ne m’a aidée à accoucher dans le bateau. Il y avait deux femmes syriennes mais elles ne pouvaient pas se déplacer pour venir. Quand c’est arrivé, c’est moi seule qui poussais. Quand la tête est sortie, j’ai moi même arrêté de pousser sur le ventre et j’ai tiré la tête. Les hommes autour regardaient, ils ne causaient pas français. Christ est sorti et il a pleuré. Ça a duré 45 minutes. Il faisait jour ». Aquarius, mer Méditerranée. Juillet 2017
RÉFUGIÉS OÙ EST LA GAUCHE ?
La gauche a-t-elle abandonné les migrants à leur sort ? Comme si le sujet était devenu trop risqué politiquement, un certain embarras l'emporte, quand ce n'est pas un abandon des valeurs. La question devrait pourtant être, plus que jamais, au cœur des luttes. photos bruno fert
Le projet refuge a été réalisé avec l’aide précieuse de Médecins Sans Frontière Je remercie tout particulièrement Aurelie Baumel et Mélanie Kerloc’h ainsi que les équipes qui travaillent auprès de réfugiés, ceux et celles ont accepté de poser pour ce projet. Pour soutenir la publication du livre REFUGE avec Médecins Sans Frontières contactez : aurelie.baumel@paris.msf.org
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À
À quelques exceptions près, les formations de gauche ne se font plus entendre sur l'immigration, qu'elles finissent par reconnaître comme un « problème » contre les causes duquel il faut lutter, laissant les gouvernements successifs mettre en œuvre des mesures restrictives et répressives (p. 45). Une vision obsessionnelle et faussée de la « crise migratoire » s'est imposée, dont la gestion aggrave les déséquilibres et les inégalités (p. 50). La controverse sur les termes « migrants » ou « réfugiés » masque elle-même les fondements de politiques qui substituent à l'asile le tri des personnes (p. 62). Dans ce débat, on oublie justement les êtres humains : le témoignage de Yara Al Hasbani, jeune réfugiée syrienne, redonne chair à cette expérience de l'exil (p. 66). Pour autant, faut-il entretenir l'utopie d'un monde sans frontières, ou bien interroger les fonctions qu'on leur attribue ? (p. 70). L'anthropologue Didier Fassin désigne pour sa part nos manières de réserver aux étrangers du Sud les traitements les plus indignes (p. 75). Un pas de côté, pour clore – provisoirement – ce dossier : parmi les exilés, des artistes dont l'accueil fait l'objet d'expériences enrichissantes dans le monde culturel (p. 81). 4 REGARDS PRINTEMPS 2018
SUR L'IMMIGRATION, LA GAUCHE N'A PLUS LES MOTS Luttant mollement contre la désignation des migrants comme boucs émissaires et la définition de l'immigration comme « problème », les partis de gauche semblent avoir renoncé à imposer un autre discours sur la question. Lors de la dernière manifestation du 21 février 2018 – la première unitaire depuis 2015 sur le sujet – seuls les associations et collectifs appelaient à se rassembler pour dénoncer le projet de loi « asile et immigration ». Parmi les participants, plusieurs centaines de personnes, avocats, agents de l'État du secteur de l'asile et associations d'aide aux migrants. Quelques élus, élus locaux ou députés communistes et insoumis, y ont participé mais leur présence est restée marginale. Parce que dans les faits, à part sur quelques plateaux de télés et de radios pour dénoncer mécaniquement « la politique du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb », il n’y a pas grand monde pour promouvoir une politique d’accueil ambitieuse et volontariste. LA BATAILLE CULTURELLE ABANDONNÉE
Aujourd’hui, c’est la France insoumise qui donne le la, à gauche. Et lorsqu’on observe les grandes campagnes nationales retenues par ses militants pour l’année 2018, aucune parmi les trois choisies ne concerne les droits des étrangers. Et pourtant, alors que la « crise migratoire » s’intensifie en Europe et que l’année 2018 – notamment par l’agenda politique engagé par Emmanuel Macron et cette loi « asile et immigration » – va sans doute marquer un tournant sans précédent de la politique d’accueil en France, une mobilisation politique, intellectuelle, syndicale, de l’ensemble de la gauche aurait été nécessaire. Comme si la gauche avait abandonné la bataille culturelle. La bataille des idées. Celle des convictions. De la pédagogie, à travers de larges campagnes. Ne seraitce que pour contrer à l’échelle nationale le discours
ambiant qui, de l’actuelle majorité en passant par la droite de Laurent Wauquiez et l’extrême droite de Marine Le Pen, ne cesse de répandre des préjugés les plus nauséabonds. Ainsi, comme le relevait Héloïse Mary, présidente du BAAM (Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants) dans La Midinale du 21 février dernier : « La gauche a perdu une grande partie de son influence sur les questions migratoires par peur du Front national et de sa faiblesse idéologique (…). Elle est prise au piège de l’opinion publique ». L’opinion publique. Sans doute a-t-elle été un élément déterminant dans l’évolution de la réflexion, à gauche. À commencer par celle de Jean-Luc Mélenchon, dont le discours a évolué au cours de ces quelques dernières années. Ou plutôt depuis la campagne électorale de 2012. Lors de son discours très remarqué à Marseille, devant près de 100 000 personnes sur la plage du Prado, le héros de la gauche avait alors tenu un discours qui faisait honneur à la tradition humaniste, celles des droits et de l’accueil, en France. Ainsi avait-on vanté son « ode à la Méditerranée et au métissage » : « Marseille est la plus française des villes de notre République. Ici, il y a 2 600 ans, une femme a fait le choix de prendre pour époux l’immigré qui descendait d’un bateau, c’était un Grec et de ce couple est née Marseille (…). Les peuples du Maghreb sont nos frères et nos sœurs. Il n’y a pas d’avenir pour la France sans les Arabes et les Berbères du Maghreb ». Or, quelques jours après avoir tenu ce discours, les sondages pointaient un recul net de deux à trois points du candidat de feu le Front de gauche. Rien ne dit que la coïncidence du discours et de l’évolution sondagière recelait un lien de cause à effet. Mais
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En 2012, alors que dans le programme du Front de gauche « l’immigration n’est pas un problème », il convient aujourd’hui, selon celui de L’Avenir en commun, de « lutter contre les causes des migrations. » c’est ainsi qu’elle a été – bien imprudemment – interprétée. Et si, depuis, le quatrième homme de la présidentielle de 2018 n’a pas véritablement changé de discours sur le fond – les propositions politiques sont sensiblement les mêmes entre la présidentielle de 2012 et celle de 2018 –, sur la forme, la démonstration qu’en fait désormais Jean-Luc Mélenchon, a largement évolué. En 2012, alors que dans le programme du Front de gauche « l’immigration n’est pas un problème », il convient aujourd’hui, selon celui de L’Avenir en commun, de « lutter contre les causes des migrations. » CHANGEMENT DE DISCOURS
Une évolution sémantique qui n’est pas insignifiante, si l’on en croit l’historien Benoît Bréville qui, dans un article de 2017 paru dans Le Monde diplomatique, relevait cet embarras de la gauche sur l’immigration1. « Lors de la précédente élection présidentielle, sans aller jusqu’à défendre explicitement la liberté d’installation, Mélenchon s’était présenté avec une liste de mesures d’ouverture : rétablissement de la carte unique de dix ans, abrogation 1. Le Monde diplomatique, « Embarras de la gauche sur l’immigration », par Benoît Bréville, avril 2017.
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de toutes les lois votées par la droite depuis 2002, régularisation des sans-papiers, fermeture des centres de rétention, décriminalisation du séjour irrégulier (…). En 2017, la ligne a changé. Il ne prône plus l’accueil des étrangers. » Benoît Bréville relève alors plusieurs des propos tenus par le candidat de la France insoumise au cours de la dernière campagne. « Émigrer est toujours une souffrance pour celui qui part, explique le 59e point de sa nouvelle plate-forme. (…) La première tâche est de permettre à chacun de vivre chez soi. » Et l’historien de conclure : « Ce changement de pied a divisé le camp progressiste, dont une frange défend l’ouverture des frontières, à laquelle M. Mélenchon s’oppose désormais. Figure du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), M. Olivier Besancenot dénonce cette “partie de la gauche radicale [qui] aime se conforter dans les idées du souverainisme, de la frontière, de la nation”, tandis que M. Julien Bayou, porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts, qui [a soutenu] le candidat socialiste Benoît Hamon, accuse le candidat de La France insoumise de “faire la course à l’échalote avec le Front national” ». Le discours du parti communiste français a lui aussi connu bien des évolutions par le passé. Il s’était déjà montré fort peu enthousiaste sur l’accueil des étrangers. Et c’est peu dire. En 1981, Georges Marchais, secrétaire général du PCF, lançait : « Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés ». L’extrême droite de l’époque n’avait pas fait la percée qu’elle connaît dans les années 1980, mais la tonalité générale du propos était dès lors si dangereuse qu’elle fut fort heureusement abandonnée par la suite. Près de trente ans plus tard, le discours du PCF a retrouvé des airs plus solidaires, assez proches de la position du NPA. Pierre Laurent, à la suite de sa visite du centre d'accueil d'urgence de La Chapelle à Paris, déclarait ainsi dans L'Humanité du 23 janvier : « Quand les migrants s'installent, ils deviennent des travailleurs et producteurs de richesses. Ce ne sont pas les migrants qui s'accaparent les richesses, mais les prédateurs de la finance,
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ceux des paradis fiscaux ou des multinationales, dont les profits explosent. Les mêmes profiteurs du système organisent le dumping social. C'est à cela qu'il faut mettre un terme pour permettre à tous, Français et migrants, un accès aux droits sociaux et à une vie digne ». Mais si le propos apparaît généreux, il n’en reste pas moins consensuel à gauche et peu contraignant. Loin par exemple des revendications d’un NPA qui propose à la fois de régulariser tous les sans-papiers, le droit de vote des immigrés à toutes les élections et l’application du droit du sol intégral pour la citoyenneté. REPENSER LA POLITIQUE MIGRATOIRE
Ainsi, du PCF à la France insoumise, en passant par les écologistes et même le dernier né Génération.S de Benoît Hamon, il est difficile d’y voir clair. Les bons sentiments empreints d’empathie sont, individuellement, souvent de sortie, mais l’on peine à trouver dans les discours et programmes de gauche ceux qui s’engagent – sans détour par la situation des pays de ceux qui les fuient –, à tout mettre en œuvre, en urgence, pour accueillir les réfugiés et migrants qui se retrouvent sur notre territoire aujourd’hui, tout en anticipant les besoins de demain en matière d’accueil et d’intégration. Par son absence de clarté – et de projet alternatif sans doute –, un véritable discours de gauche peine donc à s’imposer dans l’espace public. Parce que la gauche a cessé de mener campagne sur le terrain des idées. Pourquoi le Parti socialiste, alors qu’il s’y était engagé dans la campagne de François Hollande en 2012, n’at-il pas mené une grande campagne de fond, partout en France, pour (r)éveiller les consciences sur le droit de vote des étrangers ? Pourquoi aujourd’hui, personne à gauche ne prend-il à bras-le-corps ce qui ressemble fort à un impératif moral, dans le débat public, sur l’accueil des personnes étrangères – qu’elle soit ou non en situation régulière sur notre territoire ? Comment pourrait-on honnêtement justifier que la France et l’Europe n’en ont pas les moyens ? Enfin, pourquoi le discours d’une grande partie de la gauche a-t-il glissé au point de reprendre, parfois, les termes de la droite et de l’extrême droite : l’immi-
Par son absence de clarté – et de projet alternatif sans doute –, un véritable discours de gauche sur l'immigration peine donc à s’imposer dans l’espace public. gration comme problème ? Procéder ainsi revient à démobiliser la gauche, à l’engluer dans le piège de la droitisation, voire de l’extrême droitisation du débat public. Sans doute n’a-t-on pas toujours pris la mesure, à gauche, que c’est par la défense d’un accueil digne des réfugiés – qu’ils soient climatiques, économiques ou fuyant les conflits – que le combat contre l’extrême droite sera le plus efficace. Pas en flirtant avec ses solutions. Expériences à l’appui dans plusieurs centaines de territoires en France, toute la gauche pourrait trouver les mots pour le dire. Dire que l’immigration est une chance. Dans bien des domaines. Y compris – osonsle – économique. À hésiter sur le sens de ce combat, la gauche se perd, court à la faillite et peut aller jusqu’au déshonneur. Mais il n’est jamais trop tard. Le dossier de ce numéro de Regards se veut une pierre à l’édifice de reconstruction d’une pensée de la politique migratoire et du sort fait à ces quelques milliers de réfugiés qui meurent de faim et de froid dans nos villes. D’abord en rétablissant quelques vérités, sur cette « crise » qui n’en est pas une, mais aussi sur la base d’un parti pris : l’immigration comme une chance. Parce qu’en matière d’accueil des réfugiés, assumons-le : nous le pouvons, nous le devons, nous le ferons, parce que c’est inéluctable et que c’est une chance, oui. ■ pierre jacquemain
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Awesome, 43 ans, originaire du Pakistan Il est le patron du plus beau restaurant de la Jungle, «Les Trois Idiots», où se retrouvent aux côtés des habitants du camp, de nombreux volontaires étrangers. Awesome aime accueillir les Européens dans son établissement : un petit mot pour chacun puis un selfie souvenir qu’il punaisera sur le mur. Son anglais est impeccable. Il était guide touristique à Peshawar jusqu’à ce que les touristes commencent à se faire rare, et que les menaces à l’encontre de ceux qui les fréquentent deviennent plus sérieuses. Awesome a préféré partir. Après un an et demi de voyage, il ne souhaite désormais plus rejoindre la GrandeBretagne, et rêve plutôt d’ouvrir un nouvel établissement à Paris ! Pourquoi «Les Trois Idiots» ? Parce qu’Awesome a monté cette affaire avec deux amis, fans, comme lui, du classique bollywoodien «The Three Idiots». « Jungle » de Calais, France. Mai 2016
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LE DOSSIER
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LES USAGES DOUTEUX DE LA « CRISE MIGRATOIRE »
Avant de se prononcer sur le dossier des migrations, la gauche devrait regarder de façon plus attentive leurs réalités, hors des fantasmes et des idées reçues. Tour d’horizon sur une « crise » bruyamment proclamée… et difficile à trouver.
LES MIGRATIONS ONT BON DOS
« Brexit », montée des extrêmes droites nationalistes, discrédit des institutions continentales… Constater que l’Union européenne ne va pas bien est désormais une banalité. On pourrait penser que les ressorts du malaise doivent se chercher au plus profond des mécanismes communautaires, dans son socle néolibéral ou dans les pratiques opaques de sa « gouvernance ». À lire bien des écrits et à écouter bien des discours, la morosité viendrait d’ailleurs. Dans un essai brillant paru en 2017, Le Destin de l’Europe, le politologue bulgare Ivan Krastev énonce ce qu’il estime être la clé du problème : « Plutôt que la crise économique ou l’aggravation des inégalités sociales, c’est l’échec du libéralisme à traiter le problème migratoire qui explique que l’opinion publique se soit retournée contre lui ». L’auteur est bien trop subtil pour se risquer à affirmer qu’une bonne politique migratoire rétablirait le cours vertueux de la construction européenne dont il rêvait. Mais si l’on suit sa pente d’analyse, les politiques migratoires publiques devraient à tout le moins
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atténuer les peurs et les colères de l’opinion. S’il y a « trop » d’immigrés perçus, le « moins » d’immigration constaté ne serait-il pas la condition d’un apaisement des esprits ? C’est en grande partie la conclusion pratique qu’ont tirée les responsables de l’Union européenne, Commission, conseils et États. À l’Ouest comme à l’Est du continent, à droite comme à gauche, que l’on soit ouvertement xénophobe ou que l’on vitupère le « populisme », la propension quasi générale des gouvernants est à la limitation maximale des flux entrants. Au plus fort de l’afflux des réfugiés syriens et afghans, en 2015, tous les pays européens n’ont certes pas refusé le principe des quotas d’accueil, comme l’ont fait la République tchèque, le Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. A fortiori, très peu ont repris les propos du Hongrois Viktor Orban récusant violemment l’immigration en général, qu’il considère comme une menace pour l’identité chrétienne de l’Europe. Mais bien peu ont mis sérieusement en pratique la solidarité de répartition qu’impliquait la règle des quotas, au demeurant de façon bien rabougrie.
Alors que le terme de « migrants » regroupe une variété extrême de statuts, volontaires ou forcés, migrants économiques, regroupements familiaux, migrants humanitaires, réfugiés ou demandeurs d’asile, c’est le réfugié, a priori suspect d’être un « faux réfugié », qui devient le prototype même du migrant international et la source de toutes les phobies. De ce fait, le renforcement des contrôles aux frontières et l’extension des procédures de limitation de l’accueil sont devenus des normes de fait avec le siècle en cours. Au fil des années, de nombreux pays européens ont ainsi durci les conditions d’octroi de la protection internationale pour les réfugiés et demandeurs d’asile. C’est le cas somme toute peu surprenant de l’Autriche, mais c’est aussi celui de la Suisse ou de pays scandinaves réputés plus accueillants, Suède, Danemark, Norvège et Finlande. L’afflux massif de réfugiés venus de Syrie et d’Afghanistan n’a fait qu’élargir une logique de contrôle accru mise en place dès 2004, sous l’égide de l’agence européenne Frontex, qui joue à la fois le rôle de fournisseur – douteux – de statistiques, d’expert
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en politique migratoire et de gendarme omniprésent des frontières de l’espace Schengen. Que l’on s’en réclame ou non, le modèle de gestion des confins des États-Unis et du Mexique fonctionne désormais comme un paradigme universel. La gestion de l’immigration s’est transformée, sur toute la planète, en obsession de la lutte contre l’immigration clandestine. Or il en est de la proscription du clandestin comme de toute prohibition : elle avive la propension à la transgression, davantage qu’elle ne la décourage. De ce fait, la transformation des frontières politiques en une barrière infranchissable s’avère un processus tout aussi aléatoire que coûteux. Sur les quinze premières années du siècle, des estimations placent les dépenses liées à la lutte contre l’immigration clandestine à un niveau proche des 13 milliards d’euros. Entre 2006 et 2017, le budget de Frontex a été à lui seul multiplié par 17 et le Royaume-Uni a dégagé plus de 50 millions d’euros pour « sécuriser » la frontière franco-britannique. L’UE s’est donc attachée à compléter la surveillance de l’espace Schengen par des négociations visant à sous-traiter la gestion des flux à la Turquie, à l’Afrique du Nord et, plus généralement, au continent africain dans son ensemble. S’est ainsi mise en place, d’abord en Grèce et en Italie, une logique désignée aujourd’hui comme celle des « hotspots », qui n’est pas sans évoquer, dans un autre domaine, celle des « maquiladoras », ces entreprises américaines installées
de l’autre côté de la frontière avec le Mexique et destinées à fixer sur place une main-d’œuvre bon marché attirée par le grand rêve américain. La solution très tôt adoptée est toute simple : le « hotspot » est un point de concentration de réfugiés, situé dans les zones de transit les plus recherchées et où va s’opérer préventivement le tri entre les cas acceptables et ceux que l’on refuse d’accueillir. Le but est de faciliter sur place l’identification des demandeurs d’asile, d’éviter les procédures de relocalisation entre les pays de l’Union et d’organiser au plus vite et à moindre coût le retour des indésirables. Pour soutenir la mise en place de ces véritables centres de triage, l’Europe propose une aide économique aux pays nordafricains et sahéliens qui s’engagent à endiguer le flux des migrants vers l’Europe. En novembre 2015, a été créé un Fonds fiduciaire associant l’Union européenne et l’Afrique. Théoriquement, il s’agit d’une enveloppe financière destinée au développement, mais qui inclut dans ses attributions l’aide au retour volontaire de migrants bloqués en Afrique du Nord. Un lien direct est ainsi établi entre l’aide au développement et l’allègement des flux migratoires en direction de l’Europe. Des accords complémentaires signés avec le Niger, le Mali, le Sénégal et l’Éthiopie renforcent depuis l’intrication des « pactes migratoires », des relations commerciales et du soutien au développement. Autant dire franchement que l’on confie la gestion de flux
Le modèle de gestion des confins des ÉtatsUnis et du Mexique fonctionne désormais comme un paradigme universel. La gestion de l’immigration s’est transformée en obsession de la lutte contre l’immigration clandestine. migratoires à des régions du monde qui sont le moins à même de l’assumer, en tout cas dans des conditions tolérables pour des populations déjà plus que fragilisées. À la fin de 2017, l’UE a cherché à compléter son dispositif en prévoyant le renvoi automatique, vers un « pays tiers sûr »1, des demandeurs d’asile dont on peut prouver qu’ils ont transité dans un de ces pays avant d’accéder au territoire de l’Union. Au départ, il ne s’agit de rien d’autre que de codifier la mé1. Un « pays sûr » est théoriquement un pays présentant des garanties démocratiques de protection pour les réfugiés prévues dans la Convention de Genève sur les réfugiés (1951). L’UE a ainsi établi d’ores et déjà une liste de sept pays européens sûrs (Albanie, BosnieHerzégovine, Macédoine, Kosovo, Monténégro, Serbie, Turquie).
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Naef, 28 ans, Katrin 1 an et demi, Maran, 9 ans, Zina, 26 ans et Manal, 7 ans, Yézidis du nord de l’Irak Naef et sa famille sont Yézidis. Ils vivaient dans le Sinjar, une province du nord de l’Irak, lorsque le groupe Etat Islamique a pris le contrôle de la région en août 2014 et massacré une partie de la population. La famille a d’abord trouvé refuge dans le camp de Dohuk, au nord de Mossoul, avant de prendre le chemin de l’Europe. Karam, leur fils âgé de 5 ans, a pu rejoindre l’Allemagne avec sa grand-mère. Mais avec la fermeture des frontières intérieures de l’Europe, Naef, Zina et leurs trois filles sont désormais coincés en Grèce dans le camp de Katsikas. Maran réclame son petit frère et sa grand-mère qu’elle n’a pas vus depuis plus d’an an. Tout lui manque : ses amies, l’école «et en plus la nourriture est mauvaise dans le camp». Camp de Katsikas. Ioannina, Grèce. Juin 2016.
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Au mépris de ses valeurs fondamentales, l’Europe accumule elle-même, à proximité de ses frontières, la poudre qui peut exploser d’un moment à l’autre et menacer son environnement le plus proche. thode retenue en 2015 par la Grèce, qui a refoulé vers la Turquie les réfugiés syriens et afghans qui avaient franchi massivement la frontière gréco-turque. Or cette option d’un cynisme absolu – la Turquie fait ainsi partie des pays retenus pour leur respect des droits de l’homme… – rompt purement et simplement avec la Convention de Genève sur les réfugiés, en légitimant l’examen accéléré des demandes, les appels non suspensifs, les rejets probables et le renvoi massif des expatriés vers les pays de provenance2. Le continent des droits de l’Homme peut 2. Le 19 décembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a émis un avis défavorable sur l’introduction de la notion de « pays tiers sûr » dans le droit français.
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ainsi, sans autre forme de procès, revenir en deçà des avancées humanitaires formulées au lendemain de la victoire sur les fascismes. En son temps, François Hollande n’avait pas osé aller jusque-là. Gérard Collomb, lui, ne manifeste aucune hésitation à s’y engager, même s’il a dû, le 20 décembre dernier, retirer l’inscription de la notion de « pays sûr » dans son projet de loi sur l’immigration… en attendant l’adoption annoncée d’une directive européenne. Disons-le autrement : au mépris de ses valeurs fondamentales, l’Europe accumule elle-même, à proximité de ses frontières, la poudre qui peut exploser d’un moment à l’autre et menacer son environnement le plus proche. « Nous ne pouvons accueillir tout le monde », a déclaré Emmanuel Macron dans ses vœux du 31 décembre 2017. La formule, déjà employée avant lui, a l’apparence de l’évidence. Mais si les pays les mieux nantis ne peuvent accueillir les populations chassées par la guerre, la famine ou les dérèglements climatiques, comment les plus fragiles peuvent-ils y parvenir, sans que se créent de nouveaux désordres, de nouveaux déséquilibres et de nouvelles situations d’urgence ? Jusqu’où ira-t-on dans la recherche d’illusoires solutions ? Qu’importe que l’on recense 4 000 cas de malnutrition dans les camps de rétention libyens, que la maltraitance et le travail forcé y prospèrent impunément et qu’une partie de l’appareil d’État libyen traite discrètement avec des réseaux de passeurs : l’essentiel est
que l’Europe se décharge de ses responsabilités, quitte à considérer sans doute que la Libye est un « pays sûr ». Contrôle accru des frontières externes de l’Europe, état d’urgence en Hongrie, détentions illégales en Italie, maltraitance en Grèce, déplacements autoritaires dans des centres de rétention en France : tristes vertus de la realpolitik… La « crise migratoire » annoncée en 2015 a été effectivement contenue. Le nombre de migrants venus de Méditerranée est passé d’un million en 2015 à 360 000 en 2016 et 250 000 en 2017. Mais à quel prix réel ? LES POLITIQUES DE L’AUTRUCHE
Les migrations sont le terrain par excellence de tous les fantasmes. Leur réalité se charge pourtant de les démentir régulièrement. Mais encore faut-il que l’on ne passe pas, en permanence, de l’aveuglement à l’affolement. Les êtres humains se déplacent, depuis la nuit des temps, et leur mobilité a été dès le départ un facteur structurant de notre commune humanité. Avec le temps, il est vrai, le déplacement s’est fait plus marginal et ses rythmes plus aléatoires. Aujourd’hui, les migrants internationaux sont évalués par l’ONU à 258 millions, ce qui ne représente que 3,4 % de la population mondiale. Ce chiffre est, il est vrai, en augmentation depuis une trentaine d’années : les migrations se situaient à 77 millions en 1975 et à 150 millions au
début du XXIe siècle. Elles ont donc triplé en trois décennies et ont augmenté de 50 % depuis l’an 2000. Contrairement à ce que l’on pense souvent, l’essentiel des migrations n’est pas l’effet de la misère extrême. C’est plutôt l’amorce du développement, l’ouverture des opportunités et le désir d’exploiter au mieux ses capacités qui poussent une part des moins démunis à chercher ailleurs une amélioration de leur destinée. Il fut un temps où l’Europe démographiquement expansive et de plus en plus industrielle « exportait » ainsi ceux qui pensaient trouver ailleurs une vie plus digne. Aujourd’hui, la planète entière est en mouvement. La plupart des déplacements se font à l’intérieur des États ou à l’intérieur de zones géographiques voisines. On oublie trop qu’il y a autant de migrants chinois à l’intérieur de la Chine que de migrants internationaux à l’échelle de la planète. Quant à l’Union européenne, ses statistiques officielles relativisent sérieusement les images de l’invasion ou de la « ruée vers l’Europe » trop souvent évoquées par l’imagerie courante. En 2015, année de la plus forte pression migratoire, on dénombre 4,8 millions d’immigrants dans l’Union et 2,8 millions en sont sortis. Sur ces immigrants, le partage se fait presque exactement entre ceux qui viennent d’un autre pays de l’Union et ceux qui arrivent d’un pays tiers. Faut-il alors parler de crise migratoire ? Sur les 2,4 millions venant de l’extérieur de l’UE, 40 % se sont portés sur la seule Allemagne,
le Royaume-Uni n’en ayant recueilli qu’un peu plus de 11 % et la France moins de 8 %. L’Allemagne y a-t-elle pour autant perdu la place centrale qui est la sienne en Europe et que son faible croît naturel et son vieillissement ne peuvent plus garantir ? Incontestablement, les pays à haut revenus sont ceux qui attirent le plus grand nombre de migrants de toute origine (un peu moins de 60 % du total des migrants internationaux). Mais si l’on raisonne en termes de flux, ceux qui vont vers le Sud (du Sud au Sud et du Nord au Sud) sont à peine inférieurs aux mouvements qui se dirigent vers le Nord (du Nord au Nord et du Sud au Nord). Les plus pauvres vers les pays riches ? Les migrants qui se déplacent du Sud vers le Nord ne représentent qu’un peu plus d’un tiers des migrants internationaux, soit un total qui se situe autour de 85 millions de personnes. Les pays d’origine des migrants dans les pays les plus riches, ceux de l’OCDE, restent en gros les mêmes depuis le début du siècle : la Chine, la Roumanie, la Pologne, l’Inde, le Mexique et les Philippines. Seule l’année 2015 a conjoncturellement modifié le classement, en propulsant la Syrie à la deuxième place des pays de départ. Or tous ces foyers de migration sont loin d’être les pôles contemporains de la détresse humaine. Quand ils le peuvent, les plus démunis ne vont pas vers les zones les plus riches de la planète. Pour le décider, il faut en effet pouvoir faire la balance des risques et des avantages du
grand départ et il faut disposer des ressources nécessaires pour financer un transport souvent coûteux. Les plus pauvres vont donc prioritairement du Sud au Sud, et en général vers les zones les plus proches, souvent à peine mieux loties que les territoires de départ. Significativement, plus de 85 % des réfugiés à l’échelle mondiale se dirigent vers un pays du Sud, tandis que les pays de l’OCDE accueillent, à parts égales, une population vouée à des tâches répétitives et une autre qui s’insère dans des circuits de qualification plus élevée. Quel que soit l’angle d’observation, nous voilà bien loin de l’accueil chez nous de « toute la misère du monde ». Les pays les plus riches travaillent activement à maintenir cette situation avantageuse. La plupart ont adopté les vieilles habitudes du brain drain (le « drainage des cerveaux ») qui consiste à attirer une migration hautement qualifiée, qui combine le quadruple avantage d’accepter des revenus moins élevés que les cadres locaux, de dépenser l’essentiel de leurs revenus sur place, de recourir moins que les plus pauvres aux aides publiques et de laisser au pays de départ… le coût de leur formation initiale. Des dispositifs légaux encouragent donc directement l’installation des travailleurs les plus qualifiés, en les écartant des exigences de quotas. L’Union européenne a étudié la possibilité de directives en ce sens (comme la directive relative à la « Carte bleue européenne »). La France a lancé le « passeport talent »
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en 2016. Le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Canada et bien d’autres agissent dans la même direction. Les riches tolèrent l’arrivée chez eux des moins pauvres, tandis que les moins riches sont voués à l’accueil des miséreux. Telle est la mise en application concrète de ce que l’on aime désigner, dans l’arène internationale, comme le principe « d’équité ». L’ANTICIPATION DE LA SOLIDARITÉ
L’année 2015 nous a valu l’irruption, dans le discours politique, du terme de « crise migratoire ». Or, si crise il y eut, elle a été d’abord celle des politiques migratoires appliquées dans les territoires de l’Union. Car si le nombre total de déplacés en 2015 a été exceptionnel dans le monde (sans doute 53 millions de déplacements forcés de toute nature, à l’intérieur des pays ou à l’extérieur), il n’avait rien d’insupportable pour une Europe qui n’a accueilli que 15 % environ des quelque 20 millions de déplacés internationaux (l’Afrique subsaharienne, bien plus pauvre, en a reçu 25 % !). Et, surtout, il n’avait rien d’inattendu. Depuis le début du conflit syrien, les réfugiés se sont portés massivement vers la Turquie et vers le Liban (1 million de réfugiés pour 4 millions d’habitants). Comment pouvait-on penser que cette situation d’instabilité et de déséquilibre, tout comme celle de l’Afrique sahélienne, pouvait se maintenir indéfiniment ? Les officiels européens furent ainsi
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victimes d’abord de leur courte vue. Les yeux rivés sur les courbes de la dette publique, ils en oublièrent que la vie des hommes ne se réduit pas à l’examen des ratios financiers. Ce court-termisme risque hélas de coûter plus cher encore dans les décennies à venir. Il n’y a en effet aucune raison de penser que les migrations internationales vont cesser de croître. La faute à la mondialisation ? Elle a accru le désir de se déplacer et élargi les possibilités de le faire. Mais la dominante financière et marchande de ses procédures a reproduit, dans les mécanismes mêmes du déplacement, la polarité croissante que le capitalisme imprime de façon universelle au mouvement des sociétés. D’un côté, s’observe la possibilité de se déplacer librement pour les nantis et les moins démunis et, d’un autre côté, l’obligation de l’exil pour les plus fragiles. On dit parfois que le développement généralisé devrait tarir peu à peu les engagements au départ. On explique encore que l’aide au développement est la meilleure façon de résoudre la question de l’afflux des clandestins, en limitant les situations qui contraignent des populations entières à quitter leur lieu de vie. En réalité, cela n’a rien d’évident. Sans doute le développement concerté finira-t-il par réduire la part des cas d’urgence et des migrations forcées. Il n’arrêtera pas de sitôt le mouvement de déplacement des zones les moins développées vers les zones les plus prospères.
Ainsi, on pouvait penser que l’essor des pays émergents attirerait vers eux une part croissante des migrations internationales et fixerait sur place les populations locales jusqu’alors vouées au départ. Pour une part, le constat s’est révélé juste et les pays émergents sont devenus des territoires d’accueil. Mais, outre le fait que la croissance accélérée de ces pays toussote et qu’elle s’accompagne terme le désir de trouver mieux encore, dans des pays qui, par comparaison, disposent de standards de vie toujours nettement supérieurs à ceux des « émergents ». L’aide au développement est nécessaire, parce qu’elle est juste et parce qu’elle est la seule qui puisse aider à l’équilibre à long terme de la planète. Mais elle n’est pas l’opérateur principal d’une politique raisonnable de gestion des flux migratoires. Le plus raisonnable est de partir de l’idée que la croissance démographique forte de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie méridionale et les effets du changement climatique vont maintenir à terme une pression migratoire importante, accompagnée de poussées plus ou moins fortes selon la conjoncture climatique ou sociale. Cette croissance prévisible conjuguera donc, plus que jamais, la migration volontaire et les départs forcés, le déplacement planifié et légal et le transfert illégal de populations en nombre variable. Et il est tout aussi raisonnable de penser que les pays les plus riches vont attirer vers eux davantage de migrants, même s’il est vraisem-
blable que, plus que jamais, il faudra cesser d’y voir la « ruée » vers l’Occident de « toute la misère du monde ». Si la croissance des migrations va se poursuivre, indépendamment des volontés des États, mieux vaut se dire que leur maîtrise équilibrée et donc le sens du partage seront les seules manières d’éviter les rancœurs, les situations humaines insupportables et les violences de plus en plus incontrôlées, quel qu’en soit l’habillage, ethnique, religieux ou politique. Jusqu’à ce jour, qu’on le veuille ou non, a primé la logique de la distribution inégale des richesses et des rapports des forces. Alors que l’essor des échanges nécessitait une mise en commun étendue, les institutions de régulation internationale, et en premier lieu le système onusien, ont vu leur rôle décliner inexorablement. Le poids du « chacun pour soi », fût-ce sous les auspices de la souveraineté, a globalement accru les difficultés des plus fragiles. Le 19 septembre 2016, les Nations unies ont pourtant adopté la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants qui décidait d’engager l’élaboration d’un Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. La méthode ouvrait ainsi la voie à une construction commune permettant de remettre le droit et les droits au premier plan, au lieu d’une extension des interdictions et des contraintes. Or, il y a quelques semaines, l’administration Trump a décidé de se retirer du processus, au
risque d’en torpiller définitivement le déroulement. C’est pourtant dans cette direction que réside la possibilité d’éviter la spirale de l’illégalité, de la dangerosité des parcours et de l’exacerbation des haines, de part et d’autre. Que la frontière, construction politique par excellence, garde cette vertu politique en circonscrivant le cadre territorial des souverainetés étatiques-nationales est une chose. Qu’elle devienne une barrière discriminante, le symbole du repli et de l’exclusion de ceux qui sont « out » est le contraire de la valorisation citoyenne. Aucune frontière ne peut empêcher le passage de ceux qui font de son franchissement le passage obligé du mieux-vivre. Quand la frontière se fait mur, matériel ou technologique, cela n’interrompt pas le passage mais accroît la violence et le désastre humain. Dans un monde interpénétré, le mur dit avant tout le refus du partage ; en cela, il est à la fois un désastre éthique et une protection illusoire et dangereuse, pour ceux-là mêmes qui se croient à l’abri. Il est absurde de penser que peut perdurer une méthode globale qui, au lieu de faire des migrations un outil du développement durable et sobre, en fait le support d’une croissance des inégalités, aiguillant les migrations qualifiées vers les plus riches et les situations personnelles et familiales difficiles vers les plus pauvres. Sans doute est-il difficile de plaider le bon sens du partage, quand les passions mauvaises confondent
Il est absurde de penser que peut perdurer une méthode globale qui, au lieu de faire des migrations un outil du développement durable et sobre, en fait le support d’une croissance des inégalités. l’égoïsme et le réalisme. Mais à quoi sert la gauche si son combat de long souffle ne vise pas à démontrer, par le verbe et par l’action, que la solidarité et la mise en commun, à toutes les échelles, sont les seules manières d’éviter un monde invivable et sans protection véritable ? À quoi sertelle, si elle ne montre pas, faits à l’appui, que le respect des droits et la protection sans réserve des plus fragiles sont d’un coût bien moindre que les dépenses somptuaires du contrôle et de la sécurité ? À quoi sert-elle, si elle ne s’attache pas, résolument, à montrer que la mondialité du développement partagé vaut mille fois mieux que la mondialisation de la marchandise et de la finance, ou que l’égoïsme à courte vue des protections de nantis ? ■ roger martelli
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Altaher, 29 ans, originaire de Sinar au Soudan Son voyage jusqu’à la Jungle de Calais a duré un an et demi. Aujourd’hui, Altaher a renoncé à tenter de rejoindre l’Angleterre ; il estime que c’est trop compliqué de passer. Des amis lui ont parlé de Nantes et d’Angers. Il aimerait s’y installer et travailler comme ouvrier dans la construction. C’est Abdallah, son colocataire et compatriote qui a décoré leur refuge. Lui non plus ne tente plus de traverser la Manche depuis longtemps. Où veut-il aller ? Il ne sait plus. Jour et nuit Abdallah peint, repeint et embellit leur cabane de façon presque mystique. « Jungle » de Calais, France. Juin 2016
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RÉFUGIÉS, MIGRANTS : DERRIÈRE LES MOTS, DES POLITIQUES DE TRI Quels que soient les termes employés pour désigner les candidats à l'asile, la sémantique est toujours restée sous l'influence de la politique pour définir les conditions de leur accueil et, surtout, de leur sélection.
« Nous accueillons tous ceux qui fuient les guerres et persécutions, mais nous distinguons les réfugiés de ceux dont la migration obéit à d’autres ressorts, notamment économiques », se justifiait l’année dernière dans la presse le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb. C’est donc cette distinction qui explique que le gouvernement crée des places dans les centres d'hébergement « pour les réfugiés », mais envoie les forces de l‘ordre lacérer les tentes et les duvets des migrants près de la porte de la Chapelle à Paris. Une hiérarchie d’autant plus discutable qu’elle est arbitraire. « Pourquoi risquer de mourir de faim serait-il moins grave que risquer de mourir en prison ? », lance Karen Akoka, sociologue à l'université de Paris-Ouest Nanterre, qui a étudié la manière dont la figure du réfugié s’est construite, transformée et rigidifiée au gré des priorités politiques. « Quand la révolution
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bolchevique inquiète la France dans les années 1920, “réfugié” est synonyme de “Russe”. Un Italien ou un Espagnol échappant au fascisme n’a en revanche aucune chance d’être reconnu comme réfugié. À la fin de la seconde guerre mondiale, les résidents allemands expulsés des pays d’Europe de l’Est sont exclus du statut. Avec les débuts de la guerre froide, ce n’est plus la figure du fasciste ou de l’Allemand nazi qui pose problème, mais celui du communiste. » L'AGENDA POLITIQUE DE LA GUERRE FROIDE
À la Convention de Genève de 1951, la définition de réfugié fait l’objet d’âpres négociations. Les états socialistes mettent l’accent sur les droits collectifs et les violences socio-économiques, mais ce sont les puissances occidentales qui finiront par imposer leur conception libérale du réfugié « légitime ». Résultat, le terme s’applique à toute
personne « craignant d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », et ne prend pas en compte les inégalités économiques. Mais, en pratique, les conditions d’attribution par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), créé en 1952, évolueront encore en fonction de l’agenda politique. Ainsi, durant une première époque qui va jusqu’aux années 1970, l’objectif premier de la France sera de discréditer les régimes communistes, surtout ceux qui ont eu le mauvais goût de gagner les récentes guerres d’indépendance. Par conséquent, il suffit d’être russe, hongrois, tchécoslovaque – et un peu plus tard de venir d’Asie du SudEst, du Cambodge, du Laos ou du Vietnam – pour décrocher le statut de réfugié. Nul besoin de montrer qu’on a été individuellement persécuté ni de nier la dimension écono-
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mique de l’exil, d’autant que le besoin en main-d’œuvre est fort. 90 % des demandes sont ainsi accordées par l’Ofpra, dont la mission principale est l’aide à l’intégration. « À la fin des années 1980, tandis que le bloc soviétique s’effondre et que la crise économique s’installe, le “problème” n’est plus le communisme ni les besoins de main-d’œuvre, mais le chômage et l’immigration », poursuit Karen Akoka. Au moment où les demandes augmentent, le terme de « réfugié » est remplacé par celui de « demandeur d’asile », de moins en moins sûr de recevoir une réponse favorable. Le nombre de rejets dépasse celui des accords en 1985. Car « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », se résigne Michel Rocard. UN ACCUEIL DE PLUS EN PLUS CONDITIONNÉ
Dès lors, la mission de l’Ofpra n’est plus d’intégrer les nouveaux venus mais de détecter le « faux demandeur d’asile », alors que les critères deviennent de plus en plus difficiles à remplir. « Par exemple, les Kurdes de Turquie, autrefois reconnus comme réfugiés sur la seule base de leur appartenance ethnique, doivent désormais montrer non seulement qu’ils sont individuellement persécutés, mais qu’ils n’ont pas pris part à
la lutte armée du PKK », souligne la chercheuse. Depuis le début des années 1990, le taux de reconnaissance du statut stagne à 15 %. Si le communisme n’est plus la menace à contrer, les critères idéologiques d’attribution n’ont pas disparu. C’est ce que suggère l’ouverture du statut aux victimes de l’excision ou du mariage forcé, des violences associées dans les esprits à l’islam radical, cible numéro un de la guerre contre le terrorisme. Reste que même ces nouveaux « réfugiés légitimes » sont accueillis bien moins chaleureusement que ne l’étaient les anticommunistes. « Loin d’être acheminés jusqu’en Europe comme l’étaient les “Ex-Indochinois”, les Syriens doivent franchir de nombreux obstacles », fait remarquer Karen Akoka. Pour la chercheuse, l’accord de 2016 permettant de renvoyer en Turquie tous les migrants, y compris Syriens, arrivés en Grèce après le 20 mars 2016, représente la plus inquiétante rupture historique. « Il ne s’agit plus de différencier entre bons réfugiés et mauvais migrants, mais de renvoyer les candidats à l’asile en amont de ce tri. Il ne suffit plus ni d’atteindre l’Europe pour avoir le droit d’y demander l’asile, ni d’y être considéré comme un réfugié pour avoir le droit d’y rester. » ■ @Laura_Raim
« Aujourd'hui, il ne s’agit plus de différencier entre bons réfugiés et mauvais migrants, mais de renvoyer les candidats à l’asile en amont de ce tri. » Karen Akoka, sociologue
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Abas, 32 ans, Melina, 1 mois et Soad, 28 ans, originaires du Kurdistan irakien Abas et Soad sont Kurdes. Ils ont fui la guerre en Irak et espéraient arriver en Grande-Bretagne avant la naissance de Melina. Mais le couple est tombé sur des passeurs malhonnêtes qui ont pris toutes leurs économies sans jamais les faire passer. Depuis plus d’un an, Abas et Soad sont bloqués sans argent à Grande-Synthe mais ils tentent de passer malgré tout. Soad a accouché à Dunkerque et des volontaires lui ont offert un berceau. Abas espère qu’avec le Brexit, le gouvernement britannique autorisera les migrants à traverser la Manche. Grande-Synthe, France 07/17
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VIVRE UNE VIE DOUBLE Yara Al Hasbani a vingt-quatre ans. Chorégraphe, elle est arrivée en France il y a trois ans, chassée de Syrie par la guerre et la mort de son père, torturé et assassiné par le régime de Bachar El-Assad. Elle a souhaité participer à ce numéro de Regards en tant que personne concernée. Directement concernée. Je suis Syrienne. Et je vis à Paris, en France, en tant que réfugiée. J’espère pouvoir un jour retourner dans mon pays, mais rien n’est moins sûr. Du coup, il est une question que je me pose tout le temps depuis que je suis ici : est-ce que j’arriverai un jour à considérer ce pays comme le mien ? Honnêtement, je ne vois pas trop comment ce pourrait être le cas : il y fait beaucoup trop froid – ce genre de froid qui t’habite lorsque tu n’as pas d’amis, pas de voisins et que le confort est un mot qui t’est complètement étranger. Mais je me bats, au jour le jour, pour essayer de faire de Paris un endroit plus chaud pour moi. Et pourtant, je ne suis pas seule : il y a la communauté syrienne, dont je fais partie de facto, en tant qu’immigrée de ce pays. C’est une communauté en expansion, faite de personnes qui sont autant de mains tendues et de portes auxquelles on peut frapper : c’est toujours plus facile, quand tu n’es pas dans ton pays, à l’étranger, d’aller vers quelqu’un qui parle ta langue. La langue crée un lien fort entre les individus. Et c’est précisément ce que j’ai trouvé à Paris : j’y ai entendu beaucoup de gens parler en arabe. Un peu partout. Ce qui m’a permis de rencontrer des amis syriens avec qui j’ai retrouvé la joie, mais surtout la chaleur de la vie. Parce que j’ai enfin réussi à parler avec eux des souvenirs de notre pays maintenant lointain – mais aussi de nos peurs d’étrangers en France.
Je ne suis plus la même mais, au moins, dans les yeux des gens que je côtoie, j’arrive à croire que je suis normale.
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Cet espace que l’on a créé entre immigrés syriens nous permet de mettre en mots des choses que l’on avait l’habitude d’entendre, des craintes et des problèmes qu’une traduction, aussi précise soit-elle, ne réussira jamais à rendre. Et force est de constater qu’entre ce que nous étions en Syrie et ce que nous sommes maintenant en France, un fossé se creuse. TROUVER UNE MAISON Mais le problème, c’est que de ces discussions en arabe avec d’autres Syriens, il ne ressort rien de très profond : c’est facile et toujours drôle de partager des bons souvenirs avec des gens que tu viens de rencontrer, mais c’est toujours plus compliqué d'en trouver qui sont prêts à écouter ta tristesse, ta nostalgie et ta peine – et ce sont justement ces personnes-là qui t’aident à te sentir chez toi, en sécurité. Mais, dans la mesure où c’était les seules avec qui je pouvais partager, j’en ai rapidement tiré la conclusion que ce serait avec eux que je me devais de tout partager, bon gré, mal gré. Parallèlement à tous ces problèmes de langue, une de mes plus grandes chances, c’est d’avoir trouvé une maison. Cette maison, c’est l’association Pierre-Claver, qui propose aux demandeurs d’asile un lieu de rencontres et d’études. Et c’est dans cette maison, que j’ai réussi à me sentir, à nouveau, en sécurité. Et puis, j’y ai trouvé une mère, un père, un frère et une sœur. Et ma vie dans le froid parisien est devenue – un peu – plus chaude. À tel point que j'en suis même venue à me demander si je pourrais un jour (ça va peut-être vous paraître une drôle de question) avoir une famille française. J’avais été tellement meurtrie par mon exil de Syrie que je m’étais dit que je ne trouverais plus jamais l’amour. Mais j’ai quand même rencontré un très bel homme – un Français –, de qui j’ai même
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cru que j’allais pouvoir tomber amoureuse… Et, sans même que je m’en rende vraiment compte, me voilà à rêver d’un enfant français. Que nous aurions ensemble. Et nous en parlons : je lui dis que je veux qu’il ait ses yeux bleus, même s’il aurait préféré qu’il ait mes yeux noirs. Sur cette base, nous avons commencé à nous imaginer une vie ensemble. Jusqu’à ce que patatras, nos différences ne viennent détruire les ponts que l’on avait réussi à créer entre nous : de façon évidente, ils n’étaient pas assez forts pour faire durer notre amour. Ou pour résister au temps. Ou même, tout simplement, pour nous donner le temps de nous découvrir l’un et l’autre. C’était trop fragile pour que je ne voie pas en lui tout ce qui faisait qu’il était un Français et moi une Syrienne – deux êtres aux histoires trop différentes. Et c’est à ce moment-là que mon histoire a commencé à changer. Je n’étais pas encore prête pour accepter que ce qui était en train de se passer, c’est-à-dire ma vie en France, ma relation amoureuse avec un Français, pouvait devenir une sorte de réalité concrète : se construire une nouvelle vie, une nouvelle identité avec une nouvelle personne. J’ai eu des remords. Un sentiment d’abandon de qui j’étais. Et tout cela m’a fait terriblement peur. Et j’ai été incapable de lui en parler sans que je sache, aujourd’hui encore, si c’était un problème civilisationnel ou juste ma maîtrise trop imparfaite de la langue française. Et le pire, c’est que je crois c’était la même chose de son côté. On n’était pas d’accord – et notre vie rêvée s’est écroulée sur elle-même. Maintenant, j’essaie de me persuader que, peut-être, quelqu’un va faire irruption dans ma vie, et qu’il va me donner son nom de famille – français pourquoi pas – et plus seulement de la souffrance et le sentiment que je suis une étrangère. NE PAS AVOIR DE FAMILLE C’est pour cela que Pierre-Claver a été si important : parce que dans cette petite maison, il y a un très, très grand amour. On s’aime. On peut se sentir. On se soutient. On fait attention aux uns et aux autres, comme une famille : on mange ensemble, on rit ensemble, parfois, on pleure ensemble. Et surtout, on peut comprendre ce qui se passe derrière le regard de l’autre. Et on sait quoi en faire. Et puis, pour nous aider, heureusement, nous ne sommes
pas seuls. Ayyam Sureau par exemple. C’est la directrice de l’association Pierre-Claver. Ce qui fonde son humanité, c’est qu’elle n’accepte jamais de voir quelqu’un dans le besoin et de ne pas l’aider directement. Ou de tout faire pour lui. Elle est convaincue qu’en tant qu’étranger, nous avons des droits et que nous devons les revendiquer. Et ce, à la fois auprès de la société et auprès du gouvernement. Elle croit en nous et c’est une des rares personnes que j’ai rencontrées qui accepte d’écouter nos problèmes et nos tristesses, et qui nous aide à y faire face. Vivre une vie double, personne ne peut imaginer ce que cela signifie – sauf peut-être les schizophrènes. Parce que c’est cela que l’on vit puisque nous laissons notre pays derrière nous, forcément. Et puis il y a une guerre dans notre pays. La famille dans laquelle nous vivions est en train de mourir. Et tous nos amis. Quand ils ne sont pas en prison. Et l’on ne sait rien d’eux. On sait seulement qu’ils n’ont rien à manger. Et tout à coup, je me souviens que je n’ai pas de famille. Même si, depuis quelque temps, j’ai réussi à avoir une vie normale. Normale ? Normale. Et pourtant, j’ai profondément changé depuis que j’ai quitté la Syrie. Je ne suis plus la même mais, au moins, dans les yeux des gens que je côtoie, j’arrive à croire que je suis normale : je fais mes devoirs et je n’arrive pas à me pardonner si je fais une erreur ; je mange et je dors dans des conditions plus que décentes ; je vais même à l’Opéra, je lis des livres, je vais parfois au cinéma. Et pourtant, tout cela, ce n’est pas ma réalité. Comment voulez-vous que cela le soit alors que la chair de ma chair meurt affamée dans des prisons et que moi, je suis saine et sauve ? Malgré tout cela, même si j’aurais préféré rester vivre dans une Syrie pacifiée, même si j’aurais préféré être une simple touriste ici en France, j’ai quand même des demandes importantes à faire au gouvernement et à la société française : 1. Donnez-nous des papiers. Et vite. Car nous ne supportons pas d’être présents sur le sol français de façon illégale. Nous aspirons à autre chose que la crainte perpétuelle de la police et l’impossibilité de se construire. 2. Ouvrez les yeux et regarder les gens qu’il y a autour de vous. Quand quelqu’un a l’air de crever dans la rue, s’il vous plaît, allez l’aider. 3. Vous êtes profondément racistes. Ne le soyez plus. ■ yara al hasbani
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REPÈRES
DÉSINTOX
Certains médias et politiques parlent de « vagues », « flux » et « flots », mais il s’agit d’hommes, de femmes et d’enfants. Ce ne sont pas les populations les plus pauvres qui migrent, car la migration a un coût : seuls les plus aisés parviennent à réaliser leur projet migratoire. Une étude de l’INED (février 2017) indique que de nombreux groupes migratoires présents en France possèdent un niveau de diplôme plus élevé que la population locale : si 27 % des Français sont diplômés de l'enseignement supérieur, la diaspora chinoise en France est diplômée à 43 %, la roumaine à 37 %, la vietnamienne à 35 %, la polonaise à 32 % et la sénégalaise à 27 %.
LES MIGRANTS ET LA MORT
PROJET DE LOI ASILE ET IMMIGRATION
Dans le projet de loi Asile et immigration analysé par l’association La Cimade, trois propositions vont dégrader la situation d’un très grand nombre de personnes réfugiées et migrantes : réduction du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile de 30 à 15 jours qui va accélérer, de facto, les expulsions allongement de la durée de la rétention administrative jusqu’à 135 jours bannissement des personnes étrangères et systématisation des interdictions de retour sur le territoire français.
Plus de 3 100 hommes, femmes et enfants sont morts en tentant de franchir la Méditerranée en 2017. Entre 1993 et mai 2017, le quotidien allemandTagesspiegel a décompté 33 293 décès. La mer Méditerranée n’est pas le seul cimetière pour les migrants : selon l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 30 000 personnes auraient aussi péri en voulant traverser le Sahara depuis 2014. Juste à côté, les conditions de vie des migrants en Libye sont si catastrophiques qu’elles entraînent elles aussi de nombreux décès – que l’on n'est pas en mesure de chiffrer.
UN MONDE DE MIGRATIONS
Selon l’INED, plus de 230 millions de personnes dans le monde ne vivent pas dans leur pays de naissance. Ces migrants internationaux représentent à peine plus de 3 % de la population mondiale. L’écrasante majorité des personnes qui migrent le font à l’intérieur de leur propre pays : le PNUD estime qu’il y aurait 740 millions de migrants internes dans le monde. Seul un tiers de ces migrants internes s’est déplacé d’un pays en développement vers un pays développé. 60 % des migrations s’effectuent en effet entre pays de même niveau de développement (entre pays développés ou entre pays en développement). On estime que 50 millions de personnes étaient des réfugiés environnementaux en 2010 et que 200 millions le seront d’ici 2050. 82 millions de ces migrants sont des migrants sud-sud, ce qui représente 36 % de l’ensemble des mouvements migratoires. Les réfugiés représentent 21,3 millions de personnes, soit seulement 0,3 % de la population mondiale.
QUELQUES CHIFFRES EN FRANCE
Selon l’OCDE, la France a accueilli en 2016 un peu plus de 256 000 immigrants – principalement du fait du regroupement familial. Elle est le cinquième pays de destination après les États-Unis (plus d'un million de migrants), l'Allemagne (686 000), le Royaume-Uni (380 000) et le Canada (270 000). Les réfugiés et demandeurs d'asile ont totalisé 78 000 personnes. Le nombre annuel d'attributions de l'asile est de 150 000 à 200 000. En 2016, les deux pays les plus représentés sont le Soudan et l'Afghanistan, suivis par Haïti et l'Albanie. La Syrie n’a comptabilisé que 3 615 demandes en 2016.
FAUT-IL DÉSIRER UN MONDE SANS FRONTIÈRE ? L'abolition des frontières (et des États) est une aspiration ancienne dans le camp humaniste… mais aussi dans celui du capitalisme. En réalité, tout dépend de ce qu'elles séparent et de ce que l'on veut faire circuler librement entre elles. La gauche condamne les frontières fermées, la chose est entendue. Mais quel terme pose problème, au juste : « fermées » ou « frontières » ? Plus radical encore que le titre de la chanson culte de Tiken Jah Fakoly, Ouvrez les frontières, le nom des activistes No border dessine un horizon d’abolition pure et simple des frontières nationales, et donc des nations. Une perspective qui semble salvatrice, tant les politiques migratoires de la forteresse européenne donnent aujourd’hui aux frontières des apparences de cimetière marin. Il faut applaudir l’action de ces militants qui se donnent pour but de « construire la résistance face aux agressions policières, d’éveiller les consciences sur la situation calaisienne, de montrer notre solidarité avec les migrants, et tout simplement d’essayer de rendre la vie des gens un peu plus facile ». On peut néanmoins contester le postulat que les frontières seraient intrinsèquement nocives et douter du fait que leur suppression soit une piste politique réalisable, ou désirable. Pour avoir une idée de ce qu’est une « bonne » frontière, disons tout de
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suite ce qu’elle n’est pas : un mur, qui protège unilatéralement un côté de toutes ses craintes : l’immigration, le terrorisme, la pauvreté… Là où « le mur interdit le passage, la frontière le régule », écrit Regis Debray dans son Éloge des frontières, où il liste les caractéristiques de la frontière « honnête » : objet d’un accord, elle doit pouvoir être traversée des deux côtés. Ainsi, elle est un vis-à-vis, un « égalisateur de puissance », une séparation qui permet l’hospitalité ainsi que l’asile. Une porte que l’on peut ouvrir à un réfugié politique et fermer à la tête de la police qui le traque. Sans frontière, c’est « la loi du plus fort, qui est chez lui partout », juge l’écrivain. Et de rappeler que « les Palestiniens n’aspirent qu’à une chose, avoir une frontière », faute de quoi ils se retrouvent derrière une citadelle barbelée, vulnérables face aux incursions israéliennes. La frontière nationale n’implique pas non plus une obligation de loyauté chauvine. Nul besoin de la supprimer, donc, pour se désolidariser avec son propre gouvernement, ou pour soutenir un autre peuple. Cela s’appelle l’internationalisme.
UN RÊVE LIBÉRAL
Séduisante sur le papier, la suppression des frontières n’est pas la panacée, on le constate assez là où elles ont déjà été affaiblies, par exemple à l’intérieur des diverses zones de libre-échange ou au sein de l’Union européenne. Lorsque Bernie Sanders, partisan de la régularisation massive des immigrés clandestins, est interrogé sur l’option d’ouvrir complètement les frontières, sa réponse est nette : « C’est une proposition des frères Koch [les plus grands financeurs des Républicains] (…) C’est une proposition de droite ». Car les No border ne sont pas les seuls à rêver d’un monde sans frontière. Les capitalistes sont les premiers à œuvrer au renforcement de la mobilité des facteurs de production – les travailleurs et les capitaux, appelés à fluidifier en temps réel l’offre et la demande mondiale. Leur mot d’ordre : « Laissez faire, laissez passer ». Ainsi, dans la très libérale construction européenne, l’élimination des contrôles de capitaux depuis 1986 facilite aussi bien la spéculation sur les marchés de capitaux mondiaux et les crises financières que l’évasion
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fiscale, privant les États des moyens nécessaires à la préservation de leur modèle social. Quant à la disparition des barrières douanières consécutives à la réalisation du Marché unique en 1993, elle empêche de taxer les produits dont la fabrication viole certaines normes sociales, sanitaires ou environnementales. Certes, dans la version libérale, il importe que les frontières ne soient que partiellement dissoutes : pour tirer le maximum de bénéfices d’un vaste marché mondial, il doit rester suffisamment d’États hétérogènes pour faire jouer la concurrence entre les systèmes fiscaux et sociaux nationaux. Et en pratique, l’application des « quatre libertés » (biens, services, capitaux, personnes) voulues par les pères fondateurs de l’Europe s’est avérée à géométrie variable. Intransigeantes sur la liberté totale des mouvements de capitaux, condition préalable imposée par l’Allemagne en 1988 pour envisager le principe d’une union monétaire européenne, les autorités sont plus conciliantes sur la circulation des hommes. Le droit de séjour des citoyens européens au-delà de trois mois dans un État membre de l’UE est en effet soumis à de strictes conditions. Quant au droit d’accéder aux allocations familiales, aux formations professionnelles, à l’éducation, à la sécurité sociale et aux allocationschômage dont bénéficient les nationaux, il fait régulièrement l’objet de dérogations. Par exemple, en 2016 sous la pression du parti anti-im-
migration de Nigel Farage, le premier ministre conservateur David Cameron a obtenu de Bruxelles, où l'on était prêt à tout à tout pour éviter un « Brexit », la possibilité de suspendre pendant sept ans le versement des allocations sociales aux nouveaux venus européens. QUELLE COMMUNAUTÉ POLITIQUE ?
Pourquoi ne pas imaginer une politique humaniste – au sens propre du terme – strictement inverse, qui consisterait à resserrer les contrôles sur les biens et capitaux, tout en ouvrant grand les frontières aux hommes ? N’est-ce pas cela, faire de la politique ? Rejeter les mécanismes automatiques ou immuables, les barrières en permanence fermées ou en permanence ouvertes, pour se donner la possibilité de débattre et de décider collectivement, au cas par cas, et le plus régulièrement possible, de ce que la communauté politique laisse entrer et sortir. C’est cela la souveraineté populaire, ou la démocratie, au choix. Il se trouve qu’elle ne peut s’exercer qu’à l’intérieur d’une communauté politique nécessairement circonscrite, autrement dit d’un territoire défini par une frontière. Jusqu’à présent, c’est dans le cadre de l’État-nation que la souveraineté s’est réalisée, même si elle a été considérablement érodée par la mondialisation. En matière économique surtout, la capacité des peuples à décider des politiques menées a en effet été en grande partie dissoute dans des trai-
Sans frontière, c’est « la loi du plus fort, qui est chez lui partout », juge Régis Debray. Et de rappeler que « les Palestiniens n’aspirent qu’à une chose, avoir une frontière ».
tés de libre-échange, des institutions supranationales non élues et des marchés financiers dérégulés. Rien n’interdit de penser les conditions de la réactivation de la démocratie à l’échelle nationale, ou de son redéploiement à une échelle plus large, par exemple européenne. Plus vaste, cette nouvelle entité n'en conserverait pas moins des frontières. Reste donc à savoir si l’avènement d’un monde sans frontière est possible. De fait, un gouvernement mondial serait plus adapté à l’activité des puissances privées qui, elles, n’ont attendu personne pour sur-
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Ali, 18 ans, né au Koweit La cabane d’Ali a l’air d’une chambre d’enfant. Un puzzle accroché au mur représente une belle demeure européenne. Ali est né au Koweit dans une famille bédouine. Il explique que les Bédouins n’ont aucun droit dans ce pays ; même pas à la nationalité koweitienne. Ali a toujours vécu sous une tente et cette cabane est sa première «maison». Au Koweit sa tribu se déplaçait à dos de chameau. Pour rejoindre l’Europe, Ali a surmonté sa peur en prenant pour la première fois l’avion et le bateau. Le désert et ses couchers de soleil lui manquent. Il évoque ses souvenirs d’enfance avec nostalgie ; quand il gardait les moutons à cheval ou qu’il faisait des bonhommes de sable dans le désert après la pluie. Ali confie qu’il a un rêve : travailler une année ou deux en Grande-Bretagne pour pouvoir offrir un pèlerinage à la Mecque à sa mère malade. « Jungle » de Calais, France. Juin 2016
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Pourquoi ne pas imaginer une politique humaniste qui consisterait à resserrer les contrôles sur les biens et capitaux, tout en ouvrant grand les frontières aux hommes ?
Muni de son habituelle armature conceptuelle spinoziste, Frédéric Lordon a relevé le défi. Dans Imperium, le philosophe pose la question de la possibilité d’une telle communauté politique unifiée. Sa conclusion est négative : les forces passionnelles rivent l’humanité dans une configuration fragmentée. D’une part, les hommes se regroupent sous le coup d’affects tels que la compassion, mais aussi par nécessité vitale : la survie commandant de ne pas être seul, la division du travail conduit au rapprochement. D’autre part, d’autres affects comme la haine, la jalousie ou la rivalité exercent une pression inverse, à l’éloignement et la sécession. « La pluralité des groupements finis distincts s’impose donc comme la solution d’équilibre entre tendances centripètes et tendances centrifuges. » UNE POLITIQUE DES FRONTIÈRES
voler les frontières, de paradis fiscal en organisations internationales. Le monde entier est leur terrain de jeu. Dans son livre Demain, qui gouvernera le monde ? Jacques Attali est optimiste. « Un jour, l’humanité comprendra qu’elle a tout à gagner à se rassembler autour d’un gouvernement démocratique du monde, dépassant les intérêts des nations les plus puissantes, protégeant l’identité de chaque civilisation et gérant au mieux les intérêts de l’humanité. Un tel gouvernement existera un jour. Après un désastre, ou à sa place. Il est urgent d’oser y penser, pour le meilleur du monde. »
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A supposer, avec les No border, que la possibilité d’un État unique mondial soit théoriquement possible un jour, ce jour semble pour le moins lointain. En réalité, on observe au contraire un regain du sentiment national, les mouvements indépendantistes en Écosse ou en Catalogne l’ont récemment illustré. Tandis qu’une certaine élite ne se lasse de prédire la fin de la nation, la balkanisation se poursuit : 27 000 kilomètres de frontières « nouvelles » ont été dessinés depuis 1991 selon Regis Debray, qui interprète cette « furie d’appartenance » comme une
réaction à une mondialisation qui cherche, précisément, à abattre les frontières et uniformiser la planète. Plutôt que de construire un projet sur l’hypothèse fragile et ambivalente d’une dissolution future des frontières, il appartient à la gauche de définir une politique des frontières qui reflète ses valeurs. Ni bonne ni mauvaise en soi, la frontière est à l’image de la nation qu’elle délimite : fermée et odieuse quand la communauté politique est repliée sur une base ethnique excluante, ouverte et aimable quand elle est fondée sur un principe inclusif de citoyenneté et d’égalité lié au droit du sol. On peut alors aller loin dans la défense d’une ouverture inconditionnelle à tous les hommes résidant sur le territoire. Dans le sillage des théories de la justice globale, le chercheur américain Joseph Carens estime que « la citoyenneté dans les démocraties libérales occidentales est l'équivalent moderne du privilège féodal : un statut héréditaire qui accroît considérablement les possibilités de vie d'une personne ». L'auteur de Ethics of immigration affirme par conséquent que « les frontières devraient généralement être ouvertes et que les individus devraient normalement être libres de quitter leur pays d'origine et de s'installer dans un autre sans y être soumis à d'autres contraintes que celles qui pèsent sur les citoyens de ce pays ». Encore faut-il que les représentants de la gauche radicale surmontent leurs réticences à affirmer haut et fort ce genre de position. ■ @Laura_Raim
LE DOSSIER
DIDIER FASSIN
« NOS PRINCIPES ÉTHIQUES S'EFFONDRENT LORSQU’IL S’AGIT D’ÉTRANGERS VENUS DE PAYS DU SUD » Les étrangers exilés en Europe partagent une même forme de vie : celle de nomades forcés. Traités avec moins de considération que les « nationaux », ils subissent des politiques de tri et de répression auxquelles une partie de la gauche succombe aussi. La vie d’un migrant ou d’un réfugié qui traverse la Méditerranée est bien plus fragile, vulnérable, précaire que celle d’un Français ou d’un Allemand. C’est à cette inégalité de traitement que s’intéresse l’anthropologue Didier Fassin dans son dernier ouvrage, La Vie. Mode d’emploi critique. Pour le dire autrement, toutes les existences ne se valent pas. Et certaines sont plus maltraitées que d’autres, dans des sociétés qui accordent pourtant à la vie biologique le statut de bien suprême. Étrange paradoxe que celui qui consiste, d’un côté, à délivrer des titres de séjour provisoire à des étrangers en situation irrégulière atteints d’une maladie grave impossible à soigner dans leur pays, de l’autre, à laisser se noyer les prétendants à l’exil qui s’entassent sur des embarcations de fortune dans l’espoir de fuir la misère, la prison, la persécution… Cette logique qui consiste à hiérarchiser les existences se traduit dans des politiques de la vie qui dépassent les querelles partisanes. Didier Fassin s’interroge sur l’incapacité de la gauche à changer de paradigme en mettant l’accent sur l’hospitalité.
DIDIER FASSIN
Anthropologue, auteur de plusieurs essais dont La Raison humanitaire (éd. Seuil, 2010), Le Monde à l’épreuve de l’asile. Essai d’anthropologie critique (éd. Société d’ethnologie, 2017) et La Vie. Mode d’emploi critique (éd. Seuil, 2018).
Regards. Vous expliquez dans La Vie. Mode d'emploi critique, qu'une politique de la vie fondée sur l’inégale valeur et dignité des existences s’est imposée. Qu'entendez-vous par là ? Didier Fassin. Dans les pays occidentaux, l’éthique de la vie est héritée du christianisme. Elle fait de la vie humaine un bien suprême qui est par conséquent d’égale valeur et de dignité inaliénable. Or, les politiques de la vie effectivement mises en pratique contreviennent à ces principes fondateurs. C’est là une contradiction majeure du monde contemporain : toutes les vies ne sont pas traitées de la même manière. Chacun peut le constater, qu’il s’agisse de personnes exilées, comme de celles qui appartiennent à des minorités ou qui font partie des milieux populaires. Regards. En quoi les politiques migratoires menées depuis les années 1970 illustrent-elles parfaitement cette logique hiérarchique ? Didier Fassin. À partir du milieu des années 1970, les frontières se sont fermées d’abord à l’immigration de travail, puis à l’immigration familiale et aux autres types d’immigration. Cette fermeture incomplète a permis qu’une immigration irrégulière se développe et permette le maintien de certains secteurs économiques comme le BTP, la restauration, la confection ou l’agriculture saisonnière, grâce à une surexploitation de cette force de travail captive. L’asile, qui relève pourtant de conventions internationales, s’est trouvé pris dans la
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« Les chasses à l’homme mortelles menées par les forces de l’ordre et la répression organisée contre les acteurs humanitaires disent l’effondrement de nos principes éthiques lorsqu’il s’agit d’étrangers venus de pays du Sud. »
même logique restrictive. Ainsi s’est constituée une forme de vie, celle des nomades forcés qui regroupe en son sein des migrants, des réfugiés, des demandeurs d’asile, des étrangers en situation irrégulière. Regards. Ces personnes relèvent pourtant de réalités différentes… Didier Fassin. Ces catégories semblent de plus en plus indifférenciées, notamment lorsque ces personnes dorment dans la rue ou dans des parcs, se font malmener par la police ou la gendarmerie, se voient parfois rejetées par les populations locales et se heurtent à l’intransigeance des autorités. Les chasses à l’homme mortelles menées par les forces de l’ordre autour de l’ancienne « jungle » de Calais, dans le Briançonnais ou à Vintimille, et la répression organisée contre les acteurs humanitaires qui tentent de sauver des étrangers en détresse, en Méditerranée ou dans la vallée de la Roya,
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disent assez l’effondrement de nos principes éthiques lorsqu’il s’agit d’étrangers venus de pays du Sud. Autant dire qu’il est impossible de ne pas tenir compte de la dimension ethno-raciale de cette politique. Regards. La gauche, à laquelle la droite a longtemps reproché de mener une politique trop accueillante, a-t-elle essayé de résister à cette idéologie ? Didier Fassin. Il faut certainement distinguer à la fois les périodes et les gauches. Jusqu’au début des années 2000, la gauche de gouvernement s’est nettement démarquée de la droite. Lorsque François Mitterrand était président puis lorsque Lionel Jospin était premier ministre, des dizaines de milliers d’étrangers ont été régularisés. Rappelons-nous aussi les régularisations pour maladie grave que la circulaire, puis la loi Chevènement ont permises. Il existait donc une véritable différence entre socialistes et conservateurs jusqu’à une période récente. Pendant le quinquennat de François Hollande, la distinction entre les deux s’est beaucoup effacée, sous l’influence de Manuel Valls comme ministre de l’Intérieur puis comme premier ministre. Aujourd’hui, on peut dire que cette dérive est à son comble : l’ancien socialiste Gérard Collomb est en effet devenu l’exécuteur des basses œuvres en la matière, il mène une politique que même Nicolas Sarkozy et ses ministres n’avaient pas osé conduire, selon les observateurs. Regards. Ceux-là ne représentent pas toute la gauche… Didier Fassin. Réduire la gauche à des partis nationaux, au demeurant en voie de disparition, serait en effet une erreur. D’une part, il y a des gauches locales qui croient encore à la solidarité, qui défendent les droits de l’homme et qui mettent en place des programmes d’accueil alors même qu’elles se heurtent à des difficultés sociales et financières. D’autre part, il existe des gauches citoyennes qui, par leurs initiatives individuelles, leurs actions collectives et leurs mobilisa-
tions associatives, prennent le risque de sanctions alors qu’elles remplacent un État non seulement défaillant, mais irrespectueux de ses propres lois – on le voit avec le refoulement des mineurs étrangers isolés aux frontières – ou du droit international : c’est le cas quand il expulse des personnes empêchées de déposer leur demande d’asile. Il importe donc de ne pas oublier ce qu’a été la gauche naguère et ce qu’elle est encore dans la vie locale et les mouvements citoyens. Regards. Jean-Luc Mélenchon avait déclaré à l’approche de la présidentielle : « Une fois que les gens sont là, que voulez-vous faire ? Les rejeter à la mer ? Non, c'est absolument impossible. Donc il vaudrait mieux qu'ils restent chez eux ». Pourquoi le paradigme qui consiste à voir l’immigration comme un « problème » est-il si puissant et si transversal ? Didier Fassin. Le programme de la France Insoumise pour la campagne présidentielle abordait en effet cette question en affirmant qu'« émigrer est toujours une souffrance » alors qu’on sait que pour beaucoup, c’est un espoir. Il ajoutait qu’il fallait « lutter contre les causes des migrations », notamment « arrêter les guerres ». Il y avait tout de même quelques propositions en matière d’accueil digne, mais il est vrai qu’elles n’ont guère été mises en avant dans les débats. On ne saurait mieux dire l’embarras que, dans la classe politique, même à la gauche de la gauche, on éprouve sur ce sujet. S’il ne fait pas de doute qu’il faudrait agir sur les raisons qui font que des millions de personnes sont forcées de quitter leur pays par la violence ou la pauvreté, les persécutions ou les bouleversements climatiques, on doit aussi reconnaître que les initiatives en matière de pacification, de développement et d’environnement certes louables – pour autant qu’elles aient lieu – n’empêcheront pas les déplacements de personnes cherchant à échapper à leur condition d’insécurité dans leur pays. On aimerait voir les partis politiques commencer à affronter de manière réaliste cette réalité, qui est celle du XXIe siècle, au lieu de la dénoncer à droite et de l’éluder à gauche.
« Il existait une véritable différence entre socialistes et conservateurs jusqu’à une période récente. Pendant le quinquennat de François Hollande, elle s’est beaucoup effacée, sous l’influence de Manuel Valls. »
Regards. La fermeture des frontières oblige à trier les populations en fonction de la distinction entre réfugiés politiques et migrants économiques. Parmi les vies des étrangers, certaines sont-elles plus défendables que d'autres ? Didier Fassin. L’argument constamment répété, depuis que les politiques nationales et européennes se sont mises à traiter dans les mêmes textes l’asile et l’immigration, consiste à dire que les réfugiés doivent être protégés et que les migrants économiques doivent être renvoyés dans leur pays. Cette approche, qui peut sembler raisonnable dans la mesure où elle respecte les conventions internationales et permet l’exercice d’une souveraineté nationale, est doublement fallacieuse. D’abord, les enquêtes menées dans les pays de départ montrent que les raisons politiques et économiques sont souvent mêlées dans les décisions de partir. En-
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Karwan, 31 ans et ses fils, Baran, 4 ans et Nishan, un an et demi. Karwan, sa femme et ses deux fils ont tenté de traverser la Méditerra- née une première fois mais leur bateau est tombé en panne en pleine nuit dans une mer très agitée. L’embarcation a commencé à couler, Karwan a embrassé sa femme et ses enfants comme si c'était pour la dernière fois. Tout le monde criait ou pleurait à bord. Un des passa- gers a demandé de l'eau chaude pour le biberon de son fils. Les autres lui ont répondu qu'il n'en avait plus besoin puisque ils allaient tous mourir. Mais l'homme criait qu'il ne voulait pas que son fils meure en ayant faim. Cet événement a créé un débat sur le bateau et détendu l’atmosphère. A ce moment les gardes côtes sont arrivés pour les secourir. Grande-Synthe, France - 18/07/2016
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suite, les obstacles mis à la traversée des mers et des frontières, de même que les brutalités perpétrées par les forces de l’ordre dans les espaces publics, ne font pas la différence entre les statuts juridiques des individus. Il ne faut certes pas pour autant abolir le droit à l’asile, mais il ne faut pas se laisser tromper par le discours faussement rationnel et humaniste de la distinction entre réfugiés et migrants. Et ce d’autant que notre monde est bouleversé par des guerres et des violences dans lesquelles les pays occidentaux ont une part de responsabilité. Regards. Qu’est-ce qui empêche aujourd'hui la gauche d’envisager une vraie politique d’hospitalité ? Didier Fassin. C’est assurément une victoire de l’extrême droite que d’avoir su imposer depuis trente ans à la droite, aujourd’hui celle de Laurent Wauquiez comme celle d’Emmanuel Macron, l’idée que l’immigration est plus qu’un problème économique et démographique : elle est aussi devenue un enjeu de culture et de société. À leur tour, les partis de gauche se sont trouvés progressivement acculés, du moins ils l’ont cru. En fait, il leur a manqué le courage d’affronter l’opinion pour lui dire la vérité sur les chiffres modestes de l’immigration, sur son caractère inéluctable, sur les bénéfices qu’en tire la société française et finalement sur l’avantage qu’il y a à aborder ce phénomène de manière rationnelle et solidaire. À cet égard, l’argument selon lequel une telle politique ferait le jeu de l’extrême droite n’est pas entièrement faux, mais force est de constater qu’en Allemagne, où les autorités se sont montrées accueillantes, l’opinion demeure majoritairement favorable à cette politique, tandis qu’en France, où la fermeture a été de rigueur, les sondages révèlent une hostilité à ce qui est vu comme une politique trop généreuse. On n’est donc pas toujours perdant à prendre les gens par la noblesse de leurs sentiments. ■ propos recueillis par marion rousset
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« Il existe des gauches citoyennes qui, par leurs initiatives individuelles, leurs actions collectives et leurs mobilisations associatives, prennent le risque de sanctions alors qu’elles remplacent un État défaillant et irrespectueux de ses propres lois. »
LE DOSSIER
QUEL ACCUEIL POUR LES ARTISTES RÉFUGIÉS ? La France accueille depuis toujours les artistes du monde entier qui cherchent refuge. Aujourd'hui, des artistes européens se mobilisent pour faire de leur présence un gisement de dialogues et de rencontres. Le monde culturel, selon la ministre Françoise Nyssen, doit faire une place aux artistes migrants1. Le besoin de ces derniers est réel. Si le métier d'artiste peut en théorie être exercé partout sur la planète – l'art, à son meilleur niveau, ayant une portée universelle –, comment créer lorsque l'on a tout quitté, que l'on est privé de ressources, sans situation administrative stable, que souvent on ignore la langue et les codes culturels ? Nombre d'institutions publiques seraient prêtes à agir, mais ne disposent pour le moment d'aucun financement spécifique pour repérer, accompagner et diffuser ces créateurs. SANS DISTINCTION
Des artistes solidaires ont décidé d'agir concrètement : la metteuse en scène Judith Depaule et Ariel 1. Propos de la ministre cités dans « Françoise Nyssen appelle le monde culturel à “agir en faveur des migrants” », Le Monde, 18 janvier 2018.
Cypel, ancien directeur de l'Espace confluences, avec l'Atelier des artistes en exil, et l'éminent musicien Jordi Savall avec l'ensemble Orpheus XXI. L'association L'Atelier des artistes en exil et la Saline royale, centre culturel de rencontre d'Arc-et-Senans auquel s'adosse Orpheus XXI, leur donnent les moyens de se consacrer à leur art et de rencontrer le public, tout en organisant leur accompagnement social et administratif des artistes. L'Atelier des artistes en exil, inauguré en septembre dernier à Paris, est né de l'intuition qu'il manquait un lieu permanent pour les artistes exilés, qu'ils soient réfugiés, demandeurs d'asile, immigrés avec papiers ou non. Grâce au soutien d'Emmaüs-Solidarité, l'association étend ses activités sur mille mètres carrés de bureaux transformés en ateliers et studios de répétition, dans le 18e arrondissement parisien. En moyenne, cent dix artistes de toutes disciplines fréquentent les
cours et les stages ou possèdent un atelier partagé, et font du lieu une ruche bourdonnante d'activités. Originaires du Proche-Orient, du Maghreb, d'Afrique de l'Ouest et de l'Est, ces hommes et ces femmes sont jeunes – la majorité a moins de quarante ans – et sont arrivés au cours des dix dernières années, la plupart très récemment. Certains sont des professionnels dotés de diplômes comparables aux nôtres. D'autres, formés par la tradition orale, sont reconnus dans leur communauté – on parle d'« amateurs éclairés ». Certaines personnes sont devenues artistes avec l'exil, tel Yacouba Konaté qui, fuyant la Côte-d'Ivoire, a découvert sa vocation de chanteur pour enfants dans un camp de réfugiés où il a transité. Enfin, des jeunes gens étudiants en arts désirent poursuivre ou reprendre leur cursus, tels Mario Jarwa, sculpteur et photographe syrien de vingt-sept ans et son compatriote,
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Saman, 26 ans, originaire du Kurdistan irakien D’ordinaire souriant et très avenant, Saman est silencieux aujourd’hui, et son regard est vide. La veille, avec d’autres migrants, ils ont quitté le camp de la Linière vers 2 heures du matin pour prendre un bus qui les a déposés sur une aire d’autoroute contrôlée par des passeurs. Ils ont attendu accroupis dans les buissons qu’on leur désigne un camion. Ils sont montés à 8 dans une remorque. Le camion est parti se garer ailleurs. Là, ils ont attendu 13 heures durant ; puis le camion s’est garé sur un autre parking. Le chauffeur leur a alors crié de descendre. C’était la 48ème tentative de Saman depuis qu’il est arrivé à Grande-Synthe, il y dix mois. Saman montre les clefs de la maison qu’il habitait avec ses parents. Il n’a pas eu le temps de leur dire au revoir. Il rêve d’y revenir un jour et d’ouvrir la porte avec ces clefs. Camp de La Linière. Grande-Synthe, France. Juillet 2016.
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Rammah Al-Nabwani, peintre de vingt-cinq ans, qui partagent un atelier. L'équipe d'accueil ne fait pas de distinction entre débutants et artistes confirmés, ni entre les styles artistiques, encore moins entre les raisons de l'exil ou les statuts administratifs. « Ce qui compte, affirme Judith Depaule, c'est le désir de chacun de s'inscrire dans un projet de création et de s'investir dans le lieu. De notre côté, nous essayons de transmettre une exigence artistique et professionnelle. » MUSIQUE DE L'EXIL
Rémunérer des musiciens pour qu'ils transmettent leur patrimoine musical menacé de disparition par la guerre ou l'exil, et ainsi s'intègrent à leur pays d'accueil : tel est l'idée de Jordi Savall, spécialiste de musique ancienne reconnu internationalement. Ainsi, est né Orpheus XXI, un projet sous-titré « Musiques pour la vie et la dignité », financé par l'Union européenne dans le cadre du programme Europe Creative. Début 2017, des musiciens proches collaborateurs de Jordi Savall ont constitué un groupe de vingt-et-un instrumentistes et chanteurs professionnels choisis sur audition. Ces artistes ont tous un niveau musical élevé, une connaissance approfondie du répertoire traditionnel de leur pays et sont familiers du mode de transmission orale qui prévaut dans la musique traditionnelle. Neuf nationalités y sont représentées, dont l'Afghanistan, le Soudan, la Biélorussie, le Maroc et la Tur-
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quie. Les musiciens syriens y sont nombreux, ce pays ayant toujours été un foyer ardent de la musique arabe classique. Onze personnes vivent en Espagne, en Norvège ou en Allemagne, et dix résident en France, précisément à Nantes, Besançon, Paris et Le Havre. Ils travaillent au sein de l'orchestre cosmopolite Orpheus XXI, qui se produit régulièrement, et comme professeurs de musique traditionnelle auprès des enfants, dans des classes, des conservatoires ou des associations, avec une attention particulière pour le public des enfants réfugiés. Qu'ils expriment leur créativité au travers d'une tradition vivante ou dans le champ de l'art contemporain, ces artistes poussent à se dépouiller d'une « vision compassionnelle », et à se mettre à l'écoute d'une véritable parole d'artistes, qui témoigne d'un regard sur le monde, passé et présent. Dans les concerts d'Orpheus XXI, comme à l'automne dernier, au Musée national de l'histoire de l'immigration, les musiciens donnent la pleine mesure de leur art et restituent la finesse d'un travail collectif fondé sur l'écoute mutuelle et la recherche de l'harmonie. « Nous apprenons à accepter l'autre, résume la musicienne syrienne Waed Bouhassoun, formatrice pour Orpheus XXI. Nous travaillons dans une ambiance bienveillante et chaleureuse, familiale en un mot, nous nous soutenons. Parmi nous, il n'y a pas de “stars”. » Tous sont au diapason pour inter-
« Nous apprenons à accepter l'autre. Nous travaillons dans une ambiance bienveillante et chaleureuse, familiale en un mot, nous nous soutenons. Parmi nous, il n'y a pas de “stars”. »
Waed Bouhassoun, musicienne et formatrice
préter un répertoire à l'image de leur diversité, dans lequel on trouve des airs séfarades, des chants de récolte kurdes ou encore des mélodies d'Arabie. Le morceau Üsküdar, célèbre à Istanbul, est emblématique : cet air qui a traversé les siècles est présent dans le patrimoine de plusieurs pays méditerranéens et même du Bangladesh – témoignage des voyages incessants des peuples et de leurs échanges culturels depuis toujours. « Écouter ces musiciens, souligne Serge Bufferne,
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coordinateur d'Orpheus XXI à la Saline royale, peut aider à se rendre compte que les personnes migrantes ou réfugiées sont des êtres comme vous et moi, qui ont une histoire, une communauté, un langage rendu universel par la musique. Avec eux, on apprend aussi à propos de pays que l'on connaît trop mal. » LES ÉPREUVES DU MIGRANT
L'exposition « Les Vitrines de l'Atelier des artistes en exil », installée au jardin du Palais-Royal grâce au ministère de la Culture, présente nombre d’œuvres évoquant la guerre et les violences politiques qui ont contraint au départ. L'installation de l'Iranienne Hura Mirshekari suggère la banalisation des exécutions par pendaison avec un simple moulage de jambes : sobre et glaçant d'effroi. Le poème affiché par l'écrivain apatride Mohamed Nour Wana évoque les épreuves subies par le migrant clandestin dans des mots percutants et lancinants de douleur (« Parce que le prix de la liberté peut coûter jusqu'à l'âme... »). D'autres encore racontent le mélange intime des cultures, tel le Soudanais Mohamed Abdulatief, dont les calligraphies abstraites à partir de symboles de la région du Nil fascinent par leur équilibre et leur élégance. La présence des artistes dans la ville transforme aussi le regard sur les réfugiés. Les membres d'Orpheus XXI installés à Besançon ont eu la surprise d'être arrêtés dans la
rue par des habitants ayant assisté à leur concert et désireux de les féliciter. « C'est un signe très positif, estime Serge Bufferne. Pour autant, si l'on veut changer les mentalités en profondeur, il faut que la présence des artistes réfugiés soit permanente, que cela imprègne le tissu social. » Orpheus XXI risque pourtant de prendre fin en décembre prochain faute de nouveaux financements : le programme Europe Creative est attribué uniquement pour deux ans. De son côté, l'Atelier des artistes en exil possède une économie fragile : les aides du ministère de la Culture et de la Mairie de Paris sont insuffisants pour permettre son fonctionnement. Il occupe ses locaux à titre gracieux, de façon temporaire – avant un chantier de rénovation. L'essentiel repose sur le bénévolat d'autres artistes, les dons de matériels et, ponctuellement, le financement participatif. Ces artistes font désormais partie du paysage européen, c'est un fait que mettent en lumière ces expériences. Ils montrent aussi la nécessité de mobiliser des financements pérennes pour inscrire le travail de création et de transmission dans le temps, afin que des liens se tissent avec le public le plus large. Faire entendre la voix de ces artistes ouvre un chemin vers la rencontre et la collaboration commune, seule manière de sortir du repli sur soi, de l'impuissance et de la tentation xénophobe et de construire une société décente avec les étrangers présents ici. ■ naly gérard
À voir « Les Vitrines de l'Atelier des artistes en exil », exposition au Jardin du Palais royal, 5 rue de Valois, Paris, jusqu'au 15 juin. Accès libre. Site : www.aa-e.org Orpheus XXI en concert Le 29 mai au Théâtre de Vesoul, le 22 juin à l'Abbaye de Noirlac, le 13 juillet au festival Les Suds à Arles, le 14 juillet à Aix-en-Provence, le 16 juillet à Fontfroide, le 18 juillet à l'Abbaye de Conques. Site : http://orpheus21.eu. Aider l'Atelier des artistes en exil L'Atelier des artistes en exil, à Paris, recherche de la nourriture, des logements, des bénévoles (professeurs de français, artistes, juristes, psychiatres, psychologues, assistants sociaux), du mobilier pour ses locaux et des fournitures de bureaux, du matériel pour ses studios son, pour les plasticiens, les cinéastes et les photographes, pour son studio de postproduction et pour son studio de danse. Contact : contact@aa-e.org"contact@aa-e.org Photos : Atelier des artistes en exil : Philippe Boulet : 06 82 28 00 47 Orpheus XXI : Serge Bufferne – La Saline Royale 03 81 54 45 49 / 07 64 49 79 26 www.salineroyale.com www.orpheus21.eu
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