10 Violences urbaines ou crise de civilisation (2ème édition)

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1er février 2012

N°10

Violences urbaines ou crise de civilisation ? 2ème édition

Synthèse des réflexions des membres de RECIT Rédacteur : Didier MINOT

Prix : 6 euros

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Introduction à la 2ème édition Il y a 6 ans, après les événements de Clichy-sous-Bois où 2 adolescents avaient trouvé la mort dans un transformateur électrique, RECIT avait organisé une soirée débat pour discuter de la signification et de la portée de ces événements. Nous avions alors pressenti que loin d'être un fait isolé, cette affaire était révélatrice d'une crise de civilisation, d'un risque important de pertes des libertés et d’un retour du totalitarisme. Six ans après, nous constatons que ce diagnostic se confirme au-delà de nos craintes. La crise globale financière, économique, social et démocratique ne cesse de s'aggraver et nous pressentons tous qu'elle peut déboucher sur des cataclysmes : le refus de l'autre, engendré par la peur et par l'absence de solutions apparentes, n'a jamais été aussi grand. Nous constatons, hélas, que les événements traumatisants se succèdent, qu’une part importante de l'organisation technique et administrative de notre pays et des pays européens est prête à fonctionner au service de la violence et que beaucoup de spectateurs restent passifs. Il nous a donc paru important de rendre à nouveau disponible cette réflexion en publiant une 2e édition. Nous espérons que celle-ci pourra inciter chacun comme il avait été proposé il y a 6 ans de ne rien laisser passer, d'agir là où nous le pouvons mais aussi de ne pas négliger les échéances politiques et de décoloniser les esprits par l'éducation. Nous pouvons agir, l'avenir dépend aussi de nous.

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Violences urbaines ou crise de civilisation ? (1ère édition) L'objectif de ce texte est de donner aux citoyens des outils pour comprendre et pour agir, chacun depuis sa position, en mutualisant nos réflexions. A l'origine, ce texte est une compilation de toutes les réactions reçues par RECIT au lendemain de ce que la presse a appelé les "violences urbaines". Beaucoup d'indignations face aux provocations, aux violences et la désignation de boucs émissaires. Mais l'indignation ne remplace la pensée. Nous devons réfléchir et débattre, avec sérieux et objectivité, sans oublier les responsabilités de nos amis ou les nôtres. Dans ce débat chaque parole compte. Cette réflexion concerne tous ceux qui, dans ce pays, ont encore quelque souci du bien commun. Car l'enjeu est d'éviter le retour à la barbarie, que nous voyons imminent, et d'inventer les voies d'un nouveau mode de vivre ensemble pour retrouver le chemin de la démocratie.

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1ère partie Les faits, le jeu des acteurs

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1 Les faits À Clichy sous Bois Les deux jeunes morts (Zyad et Bounna, 17 et 15 ans, du collège n°3) ont été poursuivis pas la police, contrairement à ce qu’affirmait la version officielle qui niait toute course-poursuite (version Sarkozy et Parquet) 1. Les jeunes, une dizaine, alors qu’ils revenaient du foot, ont eu peur des policiers et ont fui éperdument. Deux d'entre eux sont morts électrocutés. Jamais ils n’ont commis de vol sur un chantier comme le prétendait la version officielle, reprise pourtant par de Villepin jeudi 27 octobre. Les jeunes garçons interpellés ont été relâchés une heure après leur arrestation. Des émeutes ont éclaté : spontanées jeudi, elles ont été encadrées vendredi par des « anciens. . Samedi 29 au soir, au moment de la rupture du jeûne (vers 18h30), les 400 CRS et gendarmes, dont une partie vient de Chalon s/Saône, sont sortis un peu partout dans la cité du Chêne Pointu. Comme à l’accoutumée, il s’agissait d’encercler - « de boucler » - le quartier. Don quichottisme policier : en cohorte, à la façon des légions romaines, au pas de course, visière baissée, bouclier au bras, et flashball à la main, ils parcourent les rues une à une contre des ennemis invisibles. A cette heure, tout le monde mange et personne ne reste dehors. Pourquoi cette démonstration de force alors même que les rues étaient particulièrement calmes ?. Dimanche 30 au soir, la police gaze la mosquée des Bosquets en pleine prière. Des femmes, dans la salle de prière qui leur est spécialement réservée, se sont presque évanouies. A leur sortie, elles sont insultées par des membres des forces de l’ordre : « pute, salope.... » Toutes les médiations avec la police s’avèrent impossibles, et ceux qui s’y risquent ont pour toute réponse un « dégage » cinglant et risquent d’être blessés par un flashball. Lundi 31 au 1

Voir le récit de leur dernière journée dans le Monde du 8 décembre

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matin, Sarkozy réunit à la préfecture de Bobigny les forces de l’ordre : félicitations et soutien sont les mots d’ordre de la matinée. Le modèle de grenade utilisé correspond à celui de la police, mais le doute est entretenu : qui peut bien avoir jeté ces grenades dans la mosquée ? Une nouvelle fois, la version officielle ne paraît en rien correspondre à la vérité.

La propagation des troubles A partir de Clichy sous Bois le 27 octobre, les violences urbaines se répandent dans un grand nombre de banlieues à travers la France. Le sentiment d’être pris pour des citoyens de seconde zone a mis le feu aux poudres et les troubles se sont propagés en très peu de temps sur le reste du territoire. Ils ont essentiellement pris la forme d'incendies et de jets de pierres contre les forces de l'ordre. Dans certains cas, ces évènements se sont transformées en émeutes opposant plusieurs centaines de personnes dans des quartiers dits « sensibles » contre les forces de police françaises, avec à quelques reprises des tirs à balles réelles contre les policiers. Loin de calmer le jeu, les déclarations du Ministre de l'Intérieur, suivi par le premier Ministre, insistent sur le maintien de l'ordre, assimilent les manifestants et l'ensemble des populations concernées à des voyous et attisent la tension. La nuit du dimanche 6 au lundi 7 novembre fut la plus active avec 1 408 véhicules brûlés, 395 personnes arrêtées et des agitations et vandalismes en nombre croissant dans les villes provinciales. À partir du mardi 8 novembre, le bilan des destructions de chaque nuit est régulièrement en baisse. Au total, le bilan s'établit le 21 novembre à 9 193 voitures incendiées et 2921 arrestations et 600 personnes écrouées, dont une centaine de mineurs. Les dégâts matériels sont estimés à 250 millions d'euros. Des d'édifices publics, écoles, gymnases, entrepôts, commerces, médiathèque ont été incendiés.

Le bilan selon les RG Dans un rapport daté du 23 novembre et publié par le journal «Le Parisien» du 7 décembre, la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) tire les enseignements de la vague de violences urbaines qui a traversé le pays à partir du 27 octobre. “La France a connu une forme d'insurrection non organisée avec l'émergence dans le temps et l'espace d'une révolte populaire des cités, sans leader et sans proposition de programme”. Le coût des violences est évalué à “plus de 250 millions d'euros.” Selon le rapport, “aucune solidarité n'a été observée entre les cités”, les jeunes s'identifiant “par leur appartenance à leur quartier d'origine et ne se reconnaiss(ant) pas dans ceux d'autres communes”. Les policiers affirment qu'“aucune manipulation n'a été décelée permettant d'accréditer la thèse d'un

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soulèvement généralisé et organisé”. Ainsi, les islamistes n'auraient joué “aucun rôle dans le déclenchement des violences et dans leur expansion”. Ils auraient au contraire eu “tout intérêt à un retour rapide au calme pour éviter les amalgames”. L'extrême gauche, de son côté, “n'a pas vu venir le coup et fulmine de ne pas avoir été à l'origine d'un tel mouvement”. Les policiers assurent par ailleurs que “les jeunes des cités étaient habités d'un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d'exclus de la société française". Ils précisent que “les jeunes des quartiers sensibles se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms. Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l'absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société française”. “Tout s'est passé comme si la confiance envers les institutions, mais aussi le secteur privé, source de convoitises, d'emplois et d'intégration économique, avait été perdue”, ajoutent les RG. Le 3 novembre 2005, quelques jours après le déclenchement des émeutes (le 27 octobre), Nicolas Sarkozy avait lancé, à propos des violences de la nuit précédente, qu'elles n'avaient “rien de spontané” et étaient “parfaitement organisées”.

Un bilan partiel, à considérer avec du recul On a parlé d'un phénomène de grande ampleur (300 villes, des groupes de centaines de jeunes s’affrontant aux forces de l’ordre, deux mille interpellations) nécessitant l’usage de réservistes pour les forces de l’ordre, le besoin d’hélicoptères, des lois d’exceptions… La puissance d'évocation d'une voiture qui brûle est très forte. Ces images sont de celles que montre en boucle la télévision, car elles font grimper l'audimat. Ces images ont eu autant d'effet sur les français qui voyaient "l'horreur à la télévision" que sur les jeunes des cités qui voyaient enfin comment exprimer eux aussi leur ras le bol. L'information a circulé en tournant sur elle-même comme un cyclone. Une personne fragile m'a dit "c'est la guerre". Mais quelle a été la réalité ? Sans sous-estimer la gravité réelle et symbolique des événements inacceptables (incendies de crèches, d'écoles, de supermarchés, d'entrepôts, …), il faut analyser les chiffres. Lors des événements, la majorité des quartiers, et dans les quartiers 80% des jeunes n'ont pas suivi le mouvement. Le Monde du 15 décembre a par exemple analysé pourquoi Marseille n'a pas explosé. Chacune des institutions interrogées faisait la part belle à son action ("les familles se connaissent, les associations travaillent, la zone franche crée des emplois pour le quartier (là, on demande à voir), les équipements collectifs sont nombreux, les habitants se sentent intégrés dans une ville

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cosmopolite, etc…"). Tout cela est vrai, mais peut être aussi certaines cités, y compris à Marseille, n'ont pas bougé parce qu'elles sont organisées et encadrées selon leur propre loi. Les quartiers tenus par la drogue sont restés calmes, car les caïds n'avaient pas intérêt à voir rentrer la police. Un travail approfondi serait nécessaire pour faire la part des choses2.

Une date dans l'inconscient des cités Cependant, ces jours vont demeurer dans la conscience des cités. Pour de nombreux jeunes, ils constituent une preuve de force potentielle. Alors que la grève ou le vote sont frappés d’inefficacité par un pouvoir dédaigneux, la révolte urbaine risque de prendre rang comme une expression légitimée3.

Les réactions politiques Lors d'un Conseil des ministres le 8 novembre, le Gouvernement a annoncé toute une série de mesures, notamment la réservation aux quartiers difficiles de 20 000 contrats d'accompagnement pour l'emploi et contrats d'avenir. Il a adopté un décret déclarant l'état d'urgence sur le territoire métropolitain, en application de la loi du 3 avril 1955 : Lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 8 novembre, le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a déclaré qu'il avait « demandé aux préfets que les étrangers, qui sont en situation régulière ou irrégulière, qui ont fait l'objet d'une condamnation, soient expulsés sans délai de notre territoire, y compris ceux qui ont un titre de séjour. Le président de la République, Jacques Chirac s'est adressé aux Français via la télévision et la radio le lundi 14 novembre « Cette situation grave témoigne d’une crise de sens, une crise de repères, une crise d’identité, à laquelle nous répondrons en étant fermes, en étant justes, en étant fidèles aux valeurs de la France [...]. Ces événements témoignent d’un malaise profond. [...] On ne saurait mieux dire. Mais il a désigné les boucs émissaires : Les enfants, les adolescents ont besoin de valeurs, de repères. Les familles doivent prendre toute leur responsabilité. [...] Celles qui s’y refusent doivent être sanctionnées. Dans un sondage Ipsos (14 novembre 2005); la popularité de Nicolas Sarkozy fait un bond de onze points, pour s'établir à 63 % d'opinions favorables. Le Premier ministre, (+ 7 points) à 58 % et le président Jacques

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Là aussi nous sommes preneurs de vos analyses. Serge Grossvak, directeur du centre social et conseiller municipal de Groslay (95)

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Chirac (+ 6 points) à 39 % ont bénéficié aussi de leur exploitation de la crise. A noter que ces 9 points ont été reperdus le mois suivant.

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2 Le jeu des acteurs Sarkozy : une stratégie délibérée de l'affrontement On a parlé, à propos de Nicolas Sarkozy, de dérapages verbaux. Notre lecture et que ces événements ne constituent en rien des dérapages. Le fait initial (la mort de 2 jeunes gens poursuivis par les forces de l'ordre) a été délibérément utilisé par le pouvoir pour amplifier la révolte, provoquer des excès puis réprimer et faire passer des mesures législatives déjà prêtes, en développant une stratégie de la peur. En somme, on assiste à une adaptation par le pouvoir du cycle de mai 68 provocation, répression, qui devient "provocation, répression, législation d'exception". Avec ces événements, Nicolas Sarkozy a conforté son image sécuritaire, et les sondages le récompensent. A la nomination du gouvernement, il avait souhaité reprendre le ministère de l'intérieur dans cette optique, en vue de l'élection présidentielle. Dès le mois d'octobre, il avait fait des déclarations provocatrices en vue de susciter des réactions. Certes, il n'a pas donné l'ordre d'envoyer deux jeunes gens dans un transformateur électrique. Mais cet accident, dans une cité plutôt calme, touchant des jeunes qui n'avaient rien de casseurs, a été utilisé pour faire monter la pression et développer une stratégie de la peur. Quatre faits précis permettent de dire cela : - le 28 octobre, sachant parfaitement ce qui s'est passé, le ministre de l'intérieur et le premier ministre mentent et parlent de cambrioleurs, de délinquants, en faisant l'amalgame avec l'ensemble des jeunes des banlieues. Ils savent que ces propos vont exciter les jeunes. - dans plusieurs cités, les policiers et les gendarmes reçoivent l'ordre de défiler en cohorte, à la façon des légions romaines, au pas de course, visière baissée, bouclier au bras, et flashball à la main. Ils parcourent les rues à la rencontre d'ennemis invisibles là où il n'y a aucun trouble, pour

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en susciter. Fait remarquable, ils n'y réussissent que dans une minorité de cas. - le lancement de gaz lacrymogènes dans une mosquée pendant la prière du Ramadan (voir plus haut), suivi d'actes racistes et provocateurs n'a fait l'objet ni de regrets, ni de sanctions, mais d'explications elles aussi mensongères. - jour après jour, un discours construit et coordonné entretient la tension. Dès le 28 octobre, le ministre de l'Intérieur oppose la France des « victimes » à celle des « racailles ». Les mardi 15 et mercredi 16 novembre 2005, le ministre délégué à l'emploi, Gérard Larcher, et le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, affirment que la polygamie constitue l'une des causes de ces violences urbaines, comme si tous les Africains vivant en France l’étaient. Le lendemain, on parle des mariages blancs. Le surlendemain surgit la demande de déchéance de la nationalité pour ceux qui auraient participé aux violences urbaines... Puis le chantage aux prestations sociales, par une application « plus stricte » du regroupement familial Le pouvoir diffuse la vision d’une explosion marginalisée et portée, pêlemêle, par des délinquants, des islamistes et des trafiquants. Plus agressif que jamais, le ministre a déclaré voir dans les émeutes et dans les événements les plus graves, passés en boucle par les médias, une illustration de ses propos.

Le suivisme du Premier Ministre, du Président de la République et des libéraux Bon gré mal gré, Dominique de Villepin a suivi son ministre de l'Intérieur, sous la pression de l'opinion publique. Pour reprendre la main, il a décrété l'état d'urgence et a surenchéri. Bel exemple de dérive quand la spirale de la violence est engagée. Le président Chirac a été inexistant et n'est intervenu que le 14 novembre. Il a reconnu une crise de sens, une crise de repères, une crise d’identité, mais pour aussitôt appeler à la fermeté et faire porter la responsabilité sur les familles. Le divorce est profond au sein de la majorité entre les sécuritaires, les modérés et les vieux gaullistes. Pourtant la fraction modérée de la majorité a été très discrète, se contentant de désapprouver les mesures les plus liberticides (Douste Blazy s'opposant aux expulsions d'étrangers en situation régulière) et se tenant dans une prudente réserve.

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La responsabilité des médias On aurait pu attendre des médias une attitude critique par rapport à cette surenchère démagogique. Il n'en a rien été. Certains éditorialistes ont évoqué une poignée de déviants "refusant notre société pas si mauvaise que cela, ouverte, laïque, démocratique…indignes de vivre parmi nous". Certains commentaires confinent à la bêtise. En mettant en avant des arguments de religion, de polygamie, d’éducation, les journalistes ont incité à la haine raciale en désignant très clairement la population d’origine noire et maghrébine, alors que des jeunes français dits de souche ont aussi été arrêtés. Au niveau des principes, on peut faire trois critiques au travail des médias : - Le journalisme d'investigation n'a pas été au rendez-vous : peu de questions pendant la période sensible (celle où cela aurait gêné le gouvernement) sur les circonstances du drame de départ, sur le fait que deux jeunes sont morts électrocutés et un troisième a été grièvement blessé parce qu’ils se croyaient poursuivis par les forces de l’ordre. Il a fallu attendre le Monde du 8 décembre pour avoir un récit complet du dernier jour de Bouna Traoré et de Zyed Benna. - une absence de critique sur le sens des événements, sur les principes et valeurs en jeu à travers les faits et les positions prises. On rêve de l'humanisme intransigeant de Sirius, de Claude Bourdet ou de Jean Jaurès. Qu'auraient ils dit à propos de ces faits ? - Les médias n'ont pas aidé les citoyens à former leur jugement. Ils n'ont parlé que des cités pendant 3 semaines, donnant une image accentuant la violence et le spectaculaire, puis ont oublié tout cela après très vite. Des éléments importants ont été passés sous silence. On attendrait des médias qu'ils remontent aux causes des événements, parlent de la vie des gens, soulèvent les contradictions (celles du pouvoir et celles des manifestants). Ils se sont contentés de reprendre et d'amplifier les explications du gouvernement, qui sont aussi celles qu'attendait toute une partie de l'opinion. Ils ont forgé une histoire qui n'est pas la réalité mais leur réalité recomposée. Pourquoi cette attitude ? Parce que les médias dominants vendent de l'audience (ou du tirage papier) et ne s'écartent pas du mimétisme des autres médias. Les médias portent une grande responsabilité. En amplifiant les peurs, ils provoquent ce dont ils font mine de s'indigner.

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Les jeunes des banlieues : victimes ou oppresseurs, manifestants ou casseurs ? Ce n'est pas la première fois que des affrontements ont lieu après la mort suspecte de jeunes de banlieue. À 11 reprises, tout au long des années 90, l'histoire de "la ville" est ponctuée d'une série d'explosions sociales, survenues presque toujours à la suite de la mort d'un jeune d'un quartier. Vaulx-en-Velin, Sartrouville, Mantes-la-Jolie, Melun, Rouen, Pau, Lille, Le Havre, Noisy-le-Grand, Nanterre, Laval, Charleville, Dammarie-Les-Lys. L'exaspération accumulée depuis plusieurs années s'est brusquement déchargée, comme un séisme, avec une série d'actes inacceptables et parfois suicidaires. Il faut prendre du recul par rapport à l'analyse binaire des violences. Les uns mettent en cause les parents qui auraient démissionné ou les éléments incontrôlés taxés de "racailles", les autres se contente de dire que ceux qui ont brûlé des voitures sont des victimes, qu'ils manquent de moyens, qu'ils n'ont pas de travail. La réalité est plus complexe, s'ancre dans un quotidien. Le mécontentement face à la misère, à l'exclusion, a pris une forme très violente. Violence + domination = développement d'un mode de fonctionnement qui ne laisse pas de place aux "faibles". Les autres, ceux qui ne sont pas inscrits dans la violence, sont niés. Pendant les événements, la violence s'est retournée contre les voitures mais elle se retourne au quotidien contre les filles, le premier de classe, tous ceux qui sont différents. Tous les quartiers n'ont pas bougé, tous les jeunes n'ont pas bougé dans les quartiers. Des jeunes se sont manifestés dans des quartiers résidentiels (une voiture brûlée à Viroflay). Les jeunes qui ont manifesté dans les quartiers ne sont pas tous des casseurs. Il faut se garder de faire l'amalgame, car la majorité d'entre eux n'ont pas bougé, ne sont pas des délinquants, ne pratiquent pas la violence mais la subissent. Les revendications des manifestants étaient ambiguës. D'une part une soif de considération, mais d'autre part la revendication de pouvoir "acheter de la marque", c'est-à-dire d'avoir accès à la société de consommation qu'on leur donne à voir à la télé sans leur donner les moyens d'y participer. Face aux propos du gouvernement, certains ont manifesté, ont protesté dans la dignité. De ceux là on a peu parlé. Mais d'autres ont brûlé des milliers de voitures, agressé des journalistes, caillassé des pompiers, saccagé des commerces, détruit des crèches et des écoles. Ces actions passionnelles et criminelles (exactement ce que voulait le pouvoir) permettent au

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gouvernement et aux médias de transformer rétroactivement le sens de toutes les protestations et des exactions moins graves. Elles sont utilisées pour attiser la peur des braves gens. Le Ministre de l'Intérieur a pu alors montrer aux populations apeurées qu'il était leur meilleur protecteur. Quand les délits mettaient du temps à venir, on les a parfois aidé. Par exemple, un témoignage nous dit qu'à Stains, des vitrines ont été cassées en dehors de tout mouvement collectif par des inconnus circulant en voiture comme des commandos et repartant aussitôt. On peut se demander quels groupes avaient intérêt à jeter de l'huile sur le feu. Cela rappelle les films américains de la période d'Al Capone, avec les mêmes coups tordus invérifiables4.

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Nous sommes preneurs d'autres témoignages

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2ème partie Les politiques en cause Les événements de novembre rendent brusquement visibles les effets de politiques pratiquées depuis plusieurs décennies.

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1 L'abandon des politiques de régulation Le passage de l'État régulateur à un État libéral s'est fait progressivement, depuis 1983, date à laquelle le programme de transformation sociale a été abandonné au profit de l'acceptation des orientations européennes. Depuis 25 ans, l'État a progressivement cessé d'être garant de l'égalité des citoyens, du bien commun, du respect des droits, de la préoccupation du long terme. Il a cessé d'être un État stratège, un État régulateur et un État solidaire pour devenir un État accompagnateur des "mutations économiques" (c'est-à-dire de la libéralisation et de la dérégulation de la société) et un relais des décisions européennes, au profit principal des entreprises et des marchés financiers. Peu à peu, les instruments de régulation : Plan, prévision, politique industrielle, services publics (en commençant par l'eau), contrôle de la santé publique, aménagement du territoire, transports, éducation, jeunesse, formation professionnelle, chômage ont progressivement été mis au service de l'intérêt des entreprises et mises sous surveillance par l'Union européenne. On cherche à les réaliser au moindre coût, avec des critères à court terme. Ces politiques ont aussi été gagnées par l'idéologie qui assimile la société à une somme d'intérêts individuels, et met la compétition avant la coopération, le chacun pour soi avant la solidarité. Les inégalités deviennent le moteur de l'Histoire, la surveillance remplace le lien social. Bien sûr, ces mutations sont liées à l'internationalisation de l'économie, à la mise en concurrence des pays et des territoires par les entreprises devenues multinationales, aux moyens de pression sans cesse croissants des pouvoirs économiques sur les gouvernements, et à la mainmise de ces derniers sur les rouages des décisions européennes. L'Europe, qui pourrait être le lieu de

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construction de nouvelles régulations, est devenue le cheval de Troie du libéralisme le plus doctrinal. Cette lente destruction de l'édifice de l'État social a commencé dès 1983, avec l'abandon des politiques de changement social. Elle s'est poursuivie tout au long des années 80 et 90, que les gouvernements soient de gauche ou de droite. Elle s'est fortement accélérée avec le gouvernement Raffarin. Depuis 2002, l'abandon des fondements de l'action publique est affiché sans complexes, avec une forte accélération de la remise en cause des solidarités et des actions porteuses des valeurs de la République. Mais Raffarin n'était "que" un libéral, si on ose dire. Une nouvelle tendance se fait jour, avec un tournant sécuritaire et liberticide directement importé des États-Unis et de l'administration Bush, via la Grande Bretagne et l'Europe. Ces évolutions ont joué un grand rôle dans la crise de banlieue, qui est comme la trace au sol, le révélateur des conséquences de ces politiques. Cela se traduit au plan des banlieues par une série de conséquences. Au moment où les choix politiques faits par le gouvernement risquent de faire disparaître la les services publics et privés, les médiateurs et la médecine générale (et pas seulement dans les quartiers sensibles), il est temps d’affirmer haut et fort que nous ne sortirons pas de la spirale infernale de la violence sans permettre aux acteurs du secteur social et de la santé d’avoir les moyens financiers et organisationnels pour exercer leurs métiers 5

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Syndicat de la médecine générale (SMG)

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2 La transformation des services publics en services marchands Les services publics étaient les garants d'un contrat social minimum. L'égal l'accès aux services publics faisait partie des principes de la République, comme une contrepartie à l'impôt et au service de la Patrie. Ils ne sont considérés aujourd'hui que comme des activités marchandes, des prestations qui doivent être sources de profit. Les impératifs de rentabilité qui leur sont assignés obligent à diminuer la qualité des services publics aux habitants et aux quartiers les moins rentables. Dans les quartiers, on constate que "la qualité des services se dégrade. Les services sociaux, postaux, publics sont de plus en plus éloignés, ouverts à des moments non adaptés, les professionnels sont désemparés, déçus et ne délivrent que des services inadaptés... ". "Les transports, dans les quartiers, ne peuvent plus faire du lien social. Ils sont le plus souvent irréguliers, ne fonctionnent pas le soir et pas du tout la nuit, créant de fait un "couvre-feu" de relégation de ces quartiers... Il n'est donc pas étonnant qu'ils soient un symbole qu'on brûle" 6

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André Duny

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3 L'abandon de missions intégratrices de l'école Perte du sens et absence de moyens financiers Beaucoup de messages évoquent la crise de l'école. "L'école avait été inventée en 1848 par Jules Ferry pour apprendre aux enfants des riches et aux enfants des pauvres à "vivre ensemble", habillés de la même blouse. Elle est devenue une machine à produire des compétiteurs pour la guerre économique, dans une marchandisation généralisée du temps et de l'espace" 7 L’école ne peut plus accomplir sa mission de creuset de la République : faire comprendre et respecter les valeurs et la culture communes pour y adhérer et vivre ensemble. Les difficultés ont une double origine : perte du sens et absence de moyens financiers : - Des enseignants, sensibles au discours ambiant selon lequel imposer les valeurs universelles serait du néo-colonialisme, n’expliquent plus les principes fondateurs de la République ni les luttes pour les obtenir. Les repères donnant du sens au vivre ensemble, l’éducation civique et morale sont considérés comme des anachronismes. - En même temps, les établissements scolaires et les équipes éducatives ne disposent pas de moyens concrets pour être efficaces. Les choix budgétaires manquent de rationalité. Le coût des récents saccages le confirme. Ils font des économies sur les moyens de la formation initiale sans voir les dépenses bien supérieures générées par l'absence de formation. Il faut mesurer les difficultés économiques et sociales générées par la sortie de nombreux jeunes du cursus scolaire obligatoire sans qu'ils

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François Plassard

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aient pu construire leurs apprentissages ni acquis les clés nécessaires pour comprendre le monde moderne. L’enfant en échec scolaire, dans un monde qu’il ne comprend pas, va être perméable au discours des manipulateurs. La frustration sociale, terreau des totalitarismes, va servir les groupes intégristes. 8

Plus d'éducation à l'autonomie à l'école On n'a parlé de l'éducation…que pour stigmatiser les parents en situation difficile. Il est est vrai que certains parents ne maîtrisent plus leurs enfants, en fort décalage culturel. Mais l'institution scolaire impose à tous, y compris ceux "qui sont bien tenus" une dégradation des conditions d'éducation qui n'assurent plus ni la transmission ni l'apprentissage de l'autonomie. "On passe des méthodes d'apprentissage où l'enfant est chercheur à celles où l'enfant est dressé : lui refuser dès le plus jeune âge de penser, lui ôter le désir de questionner, de comprendre, de connaître, lui imposer une obéissance passive en l'enfermant d'abord dans des exercices répétitifs et mimétiques...9 On réduit l’autonomie éducative des écoles en les recentrant sur les savoirs fondamentaux (le socle commun), en poussant au signalement de plus en plus précoce d’enfants dont les difficultés personnelles ne sont envisagées sous l’angle de la difficulté scolaire et du risque de délinquance… De même, on a réduit l’accompagnement éducatif des enfants en dehors de l’école : des enfants des classes populaires se voient rejetés des cantines par certains règlements municipaux qui en interdisent (ou pénalisent économiquement) l’accès aux enfants dont les parents… ne travaillent pas. Idem pour les centres de loisirs et les séjours de vacances. Signalons enfin que Vigipirate, devenu permanent, fait obstacle tous les jours aux relations parents/ enseignants ; la « malheureuse » semaine des parents à l’école a fait long feu.

La démolition de l'accompagnement scolaire Beaucoup soulignent les conséquences des mesures prises depuis 3 ans pour faire des économies. Celles-ci confirment s'il en était besoin la coupure complète des dirigeants de l'éducation nationale par rapport aux réalités du terrain.

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Charles Rojzman

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Appel ICEM,GFEN; AFL. Pour signer cet appel voir http://www.freinet.org/icem/Appel-lecture_AFL_GFEN_ICEM.htm

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- On a licencié les emplois jeunes des écoles et collèges, ce qui a doublement pénalisé la jeunesse des quartiers à la fois comme utilisatrice et destinataire, - On a fait disparaître la plupart des postes de surveillants MI-SE dans les collèges et les lycées en les remplaçant par des emplois de plus en plus précaires (20 heures par semaine payés mi temps au SMIC), - On a continué à sinistrer les réseaux d’aide dans les écoles (équipes destinées à soutenir les enfants en difficulté et à conseiller les équipes pédagogiques et les parents) ; on les a encore davantage dilués dans des zones d’intervention immenses, réduisant leurs capacités d’intervention à une présence symbolique et statutaire à des réunions où le cas des enfants est réglé en vingt minutes… - On a laissé se désagréger encore plus la psychiatrie infanto juvénile ; aujourd’hui il faut des mois de patience pour obtenir un rendez vous avec un psychologue en dispensaire… - On a réduit l’accompagnement éducatif des enfants en dehors de l’école : de plus en plus nombreux enfants des classes populaires se voient rejetés des cantines par des règlements municipaux qui en interdisent (ou pénalisent économiquement) l’accès aux enfants dont les parents… ne travaillent pas. Idem pour les centres de loisirs et les séjours de vacances. Les enfants des milieux défavorisés n’ont jamais été si nombreux à n’avoir que le petit appartement et la cage d’escalier comme unique horizon toute l'année…

L’individualisme, vecteur commun des réformes en cours L’individualisme est le vecteur commun de toutes les réformes en cours. La philosophie commune aux actions politiques actuelles, en direction des milieux défavorisés est d'enfermer chacun dans ses origines, sa peur, son milieu sa famille. L’individualisation de l’éducatif et du social n’a en effet que des avantages : limiter les coûts et contractualiser le relations. Or, cette contractualisation permettra dans un second temps de faire accepter l’échec et l’orientation comme allant de soi, ou quasiment légitimes. En exportant le traitement des problèmes éducatifs des enfants issus des milieux les plus défavorisés, vers des équipes et services extérieurs (programmes de réussite éducative portés par le Ministre de l’Emploi et de la Solidarité), vers leurs familles aidées ou pénalisées (c’est selon), l’école française se trouve encore plus renforcée dans le déni de ses responsabilités éducatives. A quoi bon éduquer au collectif si on peut se borner de « traiter » les enfants asociaux ? 10 10

Laurent Ott, Intermèdes, Longjumeau

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4 L’asphyxie du monde associatif Depuis 3 ans, le gouvernement remet en cause de façon ouverte, massive et systématique les financements publics aux associations et à l'éducation populaire comme à beaucoup d'autres actions porteuses d'avenir (recherche, action sociale, santé, création culturelle, sport, protection de l’environnement, formation professionnelle. Vis-à-vis du monde associatif, l'objectif affiché est d'ouvrir à la concurrence des activités pouvant devenir lucratives. L'origine de cette politique est double : - d'une part l'Union Européenne enjoint à chacun des états membres de restreindre les dépenses de l'État et de confier au marché des activités qui avaient jusqu'ici à caractère de service public. Les actions d'éducation populaire en font partie. - d'autre part le MEDEF s'est clairement prononcé il y a deux ans pour la disparition des actions associatives, considéré comme relevant du secteur de la concurrence. Il estime que les aides aux associations constituent une concurrence déloyale par rapport aux activités privées. Comme pour les services publics, les initiatives privées sont laissées libres de prendre des parts de marché, c'est-à-dire les segments d'activités les plus rentables. On rend plus facile le mécénat privé et on augmente à 66% la déductibilité des dons individuels aux associations, mais on laisse dépérir les actions d'intérêt général peu attractives faute de crédits publics. Quelle entreprise va financer massivement l'éducation populaire, pour quel retour d'image, avec quelles contreparties et quelle continuité ?" On rend ainsi impossible la "continuité éducative". Cette politique se traduit par des baisses très importantes de subventions (moins 30 % par an depuis trois ans en moyenne, de moins 20% à moins 80 % annoncés pour 2006). Des procédures administratives nouvelles retardent les versements. Certains fonds destinés au développement de ces actions

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disparaissent purement et simplement. Ces ruptures de crédits se conjuguent avec la diminution des mises à disposition de fonctionnaires, la fin des emplois jeunes et le renforcement des conditions techniques imposées pour accorder des aides de plus en plus maigres 11. Elles s'accompagnent néanmoins d'un discours flatteur sur "le rôle des 800 000 associations et de leurs 20 millions d'adhérents reflétant l'engagement des français, leur sens de l'action collective et leur souci de solidarité" 12. La pratique du double langage est tellement cynique et culottée qu'on reste souvent sans voix. En particulier, dans les quartiers, la réorientation du FASILD a condamné de nombreuses associations à disparaître. De nombreuses associations porteuses d'éducation citoyenne sont aujourd'hui exsangues, en détresse, menacées de disparition. Beaucoup envisagent de fermer leurs portes en 2006. Les exemples se comptent par centaines. On va tout droit à l'écroulement de pans entiers de l'éducation populaire, tout comme d'ailleurs des services de Jeunesse et Sports qui en assurent la tutelle. Même si le gouvernement rétablissait les crédits, il faudrait plusieurs années pour tisser à nouveau un tissu associatif et les dégâts sont considérables. Il serait nécessaire, si on veut reconstruire, que la décision annoncée du Premier Ministre de rétablir les crédits aux associations s’inscrive dans la reconnaissance d’un partenariat sur le long terme13. Pour plus de précisions, on peut voir sur le site de RECIT le CR de la soirée débat organisée par RECit le 18 novembre 2005, avec deux textes d'appui.14

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Quand vous allez voir un ministère avec un projet, celui-ci vous propose de participer à ses propres orientations. 12 13

Jacques Chirac lors du centenaire de la loi de 1901 Inter réseaux des agents du développement social urbain (IRDSU)

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CR : http://recit.net/article.php3?id_article=469&var_recherche= %E9ducation+populaire. Textes : Haro sur les associations, par Tom Roberts http://recit.net/article.php3? id_article=468&var_recherche=Haro+sur+les+associations , et Quelle évolution et quel avenir pour une éducation populaire moteur de transformation sociale ?, par D idier MINOT http://recit.net/article.php3?id_article=470&var_recherche= %E9ducation+populaire+motrice+de+transformation+sociale

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5 Plusieurs années de politique sécuritaire Ce sont des années de politique centrée sur le tout sécuritaire qui sont aussi en cause. Le sabotage des actions de prévention, l’asphyxie du monde associatif, la démolition de la police de proximité, la tolérance à l’égard des discriminations quotidiennes, notamment à l’égard des personnes étrangères ou supposées telles en raison de leur faciès, l’état d’une école qui ne peut réduire la ségrégation nous font mesurer aujourd’hui non seulement l’échec mais la redoutable nocivité de cette politique. Ce n’est pas seulement le langage du ministre de l’Intérieur, ce sont les actes de l’ensemble du gouvernement qui relèvent d’une logique d’apprenti sorcier15. Au-delà, c’est aussi l’incapacité des gouvernements successifs depuis des décennies à faire reculer le chômage massif, l’explosion de la précarité, la systématisation des discriminations racistes et territoriales, qui apparaît en pleine lumière aujourd’hui.

Le sabotage des actions de prévention, l'abandon de la police de proximité La question de la police de proximité, voulue par la gauche dans les années 90 mais supprimée par la droite au nom de la "culture du résultat" (véhiculée par la Cour des Comptes), est de nouveau posée avec acuité par l'explosion de violence en banlieue parisienne. Lancée au colloque de Villepinte en octobre 1997, cette police était censée lutter contre la petite et moyenne délinquance dans les quartiers sensibles avec des équipes de gardiens de la paix polyvalents chargés à la fois du recueil et du suivi des plaintes, de l'îlotage mais aussi de la répression du 15

déclaration Ligue des Droits de l'Homme du 18 novembre france.org/actu_nationale.cfm?idactu=1142

http://www.ldh-

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petit judiciaire à l'échelle d'un petit territoire afin de faciliter le "vivre ensemble" Mais le gouvernement socialiste veut forcer le pas en généralisant l'expérience et gâche ses chances de succès. Cependant, sur les sites expérimentaux les enquêtes d'opinion révèlent des changements positifs dans la perception de la police par la population même si la réforme n'a pas d'incidence sur le volume de la délinquance. Une fois la droite revenue au pouvoir, avec Nicolas Sarkozy aux commandes, "on passe d'une approche qualitative des relations de la police avec les minorités à une approche quantitative : pour faire baisser la délinquance, on passe à la "culture du résultat". Aujourd'hui, face à la vague de violences en banlieue parisienne, les élus - y compris de droite - ne sont pas les seuls à réclamer un retour de la police de proximité. Nombreux sont les acteurs sur le terrain, comme le père Delorme, un prêtre qui intervient dans la banlieue lyonnaise, à y être aussi favorables. Certes la police à bien sûr une fonction répressive, mais on n'a même pas poussé l'îlotage, la police de proximité dans un travail en profondeur de connaissance des quartiers, dans le temps...

Une justice de plus en plus répressive Concernant le fonctionnement de la justice et des prisons, les politiques vont dans le même sens. Les mesures n’on fait que s’accumuler : - Le droit est progressivement modifié au détriment des libertés fondamentales - Les prisons sont remplies à 200%, sans souci de réinsertion, sans respect des règles les plus élémentaires, à tel point que le Commissaire européen aux droits de l'Homme vient de publier un rapport très sévère sur l'état des prisons françaises. - De nouvelles pénalités voient le jour en direction des parents d’enfants et de jeunes qui connaissent des problèmes dans les institutions éducatives ou sur la voie publique (amendes, stages parentaux, etc.) - il n’y a jamais eu autant de jeunes condamnés à des peines fermes dans les tribunaux, - de nouveaux délits spécifiques aux jeunes ont été créés - Dès 10 ans le gouvernement propose des "sanctions éducatives" (sic), et des peines dès 13 ans. On voit que le primat du principe éducatif n'est plus d'actualité dans la justice des mineurs - On construit des centres fermés, coûteux et on en promet encore d’autres alors qu’on est toujours en attente de résultats probants,

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- On planifie la multiplication des places pour mineurs dans les prisons, et on banalise les effets de la prison ferme sur les enfants et les jeunes,

Le refoulé de la colonisation Le refoulé de la colonisation a pu se lire en particulier dans le choix d'instaurer un couvre feu. Celui-ci crée une situation qui a un sens, qui rappelle 1955, en Algérie, pendant la "pacification". Tout un symbole et un rappel : domestiquer un peuple, et domestiquer son propre peuple sont toujours allés de pair. La guerre d'Algérie n'est pas finie. Le vote par les députés UMP d'un article de loi vantant les bienfaits de la colonisation a montré combien cette nostalgie reste vive pour toute une partie de la droite française. La réaction des peuples ayant connu l'esclavage et des DOM a été vive, de même que beaucoup d'historiens et de citoyens. Il a fallu l'arbitrage du président de la république tout récemment pour mettre un terme à l'entêtement des députés. "Il manque un élément sur l'histoire de France qu'il faut assumer, sur cette partie de l'histoire de la France, la colonisation, la décolonisation, les cadavres dans les placards, d'un côté et de l'autre de la Méditerranée..." 16 Paroles redites presque mot pour mot par Jacques Chirac le 25 janvier 2006.

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Pierre Tramonti.

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6 L'abandon de la politique de la ville 20 ans de politique de la ville La politique de la ville voit le jour en 1981 avec la mise en place du « comité national pour le développement social des quartiers », pour traiter les difficultés sociales des quartiers, après les violents incidents du quartier des Minguettes à Lyon, où 250 voitures ont été brûlées. 17 L'année suivante, le rapport Bonnemaison inaugure une politique de prévention de la délinquance. À 11 reprises, tout au long des années 90, l'histoire de la "politique de la ville" a été ponctuée comme on l'a dit d'une série d'explosions sociales, survenues presque toujours à la suite de la mort d'un jeune d'un quartier. Vaulx-en-Velin, Sartrouville, Mantes-la-Jolie, Melun, Rouen, Pau, Lille, Le Havre, Noisy-le-Grand, Nanterre, Laval, Charleville, Dammarie-Les-Lys. On se souvient dans l'inconscient collectif des noms des quartiers correspondants Comme en réponse aux événements, les rapports se succèdent, en général de grande qualité : Bonnemaison (1982), Dubedout (1983), Pesce (1984), Lévy (1988), Sardais (1990), Delarue (1990), Pêcheur, Picard et Praderie(1991), Belorgey et Geindre (1993), Idrac et Duport (1995), Sueur (1998), Cavalier (1999), Brévan et Ricard (2000), Hervé (2001) soit une quinzaine de rapports au total. Ces rapports font chacun une analyse de la situation, réfléchissent sur les causes, mettent en garde contre les conséquences de la poursuite du laisser-faire et préconisent des orientations long terme et des 17

Pour une chronologie de la politique de la ville, voir http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/cac/fr/pr%E9sentation/Guides%20th %E9matiques/pdv/CACchronologiepdv.html

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mesures visant l'intégration, la solidarité, le développement économique, la rénovation de l'urbanisme. Les gouvernements successifs, de gauche ou de droite, ont donc disposé de l'information nécessaire pour prendre des décisions. L'application de ces rapports a conduit à mettre en place de très nombreuses politiques et des outils de concertation, de décision et de financement : commission nationale pour le développement social des quartiers (1981), instauration de la première ZEP (1982), mission banlieues 89 (1983), création du CIV et du fonds social urbain (1984), création du conseil national des villes et de la délégation interministérielle à la ville, loi sur le RMI (1988), création du haut conseil à l'intégration, circulaires Rocard définissant les programmes de la politique de la ville, de sites pilotent pour l'intégration (1989), nomination de sous-préfets à la ville, premiers grands projets urbains (GPU), loi d'orientation pour la ville (1991), des plans locaux de sécurité (1992), plans de relance pour la ville, réseau de santé de proximité, mise en place des contrats de ville (1993), création du fonds interministériel pour la ville (FIV), postes FONJEP pour la ville, assistants techniques pour le commerce (1995), zones de rénovation urbaine et emplois jeunes (1997), conseil de sécurité intérieure, lancement des grands projets de ville (GPV) (1999), mise en oeuvre de la veille éducative, loi relative à la lutte contre les discriminations (2001).

Dès le départ une politique tronquée et dissociée Au niveau du discours, la politique de la Ville, est née de l’idée que le renouvellement urbain et le développement - social, mais aussi économique et culturel - sont indissociables si l’on veut éviter à certains territoires dits "défavorisés" la marginalisation et la relégation. L'application de tous les dispositifs s'est traduite par la mise en place d'équipes et de services tant au sein de l'État que des collectivités et des associations recevant des missions de service public. On a pu à juste titre critiqué le caractère partiel, incomplet, trop tourné vers l'accompagnement social de cette politique. Dès l'origine le rapport Bonnemaison résumait la démarche entreprise en trois mots « répression, prévention, solidarité », alors que l'apparition des difficultés sociales dans les quartiers est le symptôme, l'émergence visible d'un problème de société qui doit être traité au niveau de l'ensemble des agglomérations et du pays. La principale tentative pour aller dans ce sens se situe en 1988. La délégation interministérielle à la ville est créée cette année-là pour tenter de coordonner les actions parallèles de toutes les administrations, élaborer des programmes d'ensemble, se traduisant par des contrats de ville, à caractère

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économique social et culturel. Très vite, Yves DAUGE, le premier délégué, se heurte aux différents corps de l'État (DATAR, équipement, inspection des finances). Le premier ministre tranche : la politique de la ville doit se limiter à un traitement social correcteur qui ne modifie pas les tendances ségrégatives que peuvent avoir les autres politiques de l'État. On continue d'appeler politique de la ville une politique de la gestion des populations reléguées. La même année, le RMI est mis en place. Cela est conforme à l'évolution des politiques gouvernementales du rôle de l'État. Pour la politique de la ville comme pour les politique industrielles, d'aménagement du territoire, d'urbanisme ETC… Le rôle de l'État n'est plus de veiller aux grands équilibres avec un souci du long terme et de l'intérêt de la France, ni de garantir la justice sociale l'égalité des citoyens et le respect d'un contrat social, mais d'accompagner les mutations pour en atténuer les conséquences les plus dommageables pour l'ordre public. De leur côté, les collectivités privilégient le centre-ville et la « compétitivité des territoires » par rapport au lien social et au maillage du tissu urbain.

Mais un travail important sur le terrain Cependant, dans ce cadre, le travail réalisé sur le terrain a été très important, et a permis sans doute d'éviter que des explosions comme celle que nous venons de connaître ne se produisent beaucoup plus tôt. On observe aujourd'hui une prolifération d'associations dans certains quartiers qui furent des symboles les difficultés urbaines au début des années 90, comme le Val Fourré, alors que d'autres moins célèbres connaissent une absence de vie associative. Il n'est pas vrai comme l'a dit le monde du 11 novembre, que la politique de la ville soit un « fiasco ». Les territoires sensibles disposent aujourd'hui d'un capital d'expériences d'initiatives et de réseaux précieux, car il ne sera pas reconstruit s'il vient de disparaître.

malgré cela, un échec de l'intégration des nouvelles populations Les évaluations des politiques dites « de la ville » démontrent leur inefficacité du point de vue de l'intégration des nouvelles populations. Il n’y a jamais eu de politique d’intégration, contrôlée par des objectifs à atteindre. Lors du regroupement familial, les familles transplantées ont été concentrées sans aucune mise en place des infrastructures nécessaires à cette venue massive. Droits et devoirs des habitants étaient supposés s’accomplir par osmose. Mais dans les quartiers où les familles migrantes sont majoritaires, comment cette imprégnation pourrait-elle s’opérer ?

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Depuis 4 ans la mise en procès et l'abandon de la politique de la ville Les événements qui se sont succédés en octobre - novembre n'ont pas été une surprise pour qui connaît les banlieues. On observe depuis 4 ans un abandon de la politique de la ville, mesure par mesure, politique par politique. Et à chaque mesure, à chaque fois, comme dans la fable de la Mule (qu’on affame et qui n’accuse pas le coup jusqu’à e qu’elle en crève !), il ne manquait pas de responsables politiques, nationaux ou municipaux pour rappeler que « rien n’allait plus mal », qu’on était dans la bonne voie, que tout ce qui pouvait exister auparavant était forcément inutile puisque l’on pouvait le supprimer…Jusqu’au jour … où, la mule crève évidemment et l’abcès avec. Un peu de mépris, une insulte de trop. La Cour des Comptes en 2002 a dressé un véritable réquisitoire contre la politique de la Ville, estimant que "la politique de la ville gagnerait en efficacité si les dispositifs étaient allégés". La Cour dénonçait l’absence d’objectifs quantitatifs, rendant impossible l’évaluation des interventions, (une singulière conception de l'évaluation, comme si l'objectif de cette politique était de changer des indicateurs physiques), l’extension géographique et sectorielle de la politique de la ville ; la "sédimentation" des dispositifs, nuisant à leur lisibilité globale. Tout cela n'est pas faux, mais on aurait aimé que la Cour mette l'accent sur les graves problèmes sociaux auxquels doit faire face cette politique, sur la nécessité d'une approche globale, réellement interministérielle, émanant du Premier Ministre. La disparition des emplois-jeunes et la réduction , simultanée et significative, des crédits inscrits dans la loi de finances 2003 au titre des emplois CES et CEC. » a été un coup très dur pour le travail effectué dans les quartiers. Dès décembre 2002, dans un avis, le CNV disait « sa plus vive inquiétude a attiré l'attention du ministre délégué à la ville et du gouvernement sur les risques que ces décisions, prises brutalement, font courir aux publics qui en étaient les bénéficiaires et, au delà, à l'ensemble des partenaires publics et associatifs engagés dans les politiques d'insertion et de lutte contre l'exclusion. Il affirmait "ces dispositifs ont fait leurs preuves, de plusieurs points de vue" • Ils ont donné à des populations en grande difficulté les moyens de s'insérer ou se réinsérer dans le monde du travail … • Ils ont également répondu aux attentes nouvelles des collectivités et des territoires. Ainsi ils ont permis d'expérimenter de nouveaux métiers à l'utilité sociale démontrée, ont redéfini les profils d'intervention des

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services publics et ont comblé des pans de l'espace public laissé en jachère.. [ils] ont eu également le mérite de modifier le profil sociologique des administrations locales et ont donné l'occasion à de nouvelles populations de les intégrer. Cette filière originale, sorte de 3ème voie, a modifié bien des comportements et fait reconnaître de réelles "compétences-habitants" ou "compétences-jeunesse", notamment à l'Education Nationale.

Craignant qu’une telle « remise en cause soit porteuse de risques sérieux »… du fait du « ralentissement économique » et « constitue donc un abandon pour ces populations [qui] renforcera, inéluctablement, les inégalités territoriales », le CNV recommandait, « dans l'immédiat, de suspendre les décisions concernant les emplois aidés et de prévoir un moratoire durant lequel il sera procédé à une évaluation complète des dispositifs CES, CEC et emplois-jeunes, permettant de bien mesurer les conséquences sociales, humaines et territoriales d'éventuels changements de stratégie et d'un désengagement de l'État. ». Mais on a supprimé les emplois jeunes sans aucune évaluation…pour les remplacer par des dispositifs tardifs et complexes, tout en privant nombre d’associations et l’éducation nationale de forces d’appoint précieuses. Le 14 mars 2003 dans une déclaration adoptée à Bordeaux et adressée au Premier ministre, le CNV tentait d’alerter sur la question de la prévention de la délinquance et sur celle de la lutte contre l’exclusion :« En 20 ans les caractéristiques de la délinquance ont changé, les comportements se sont radicalisés ; les professions chargées de lutter contre la délinquance éducation spécialisée, policiers et gendarmes , justice - ont évolué. De nouveaux métiers sont apparus (ALMS) les profils de ces professionnels et leurs pratiques ont évolué avec plus ou moins de cohérence. Récemment le Ministre de l’intérieur a appelé les forces de police à se repositionner sur « leur cœur de métier »… » (il s’agissait , en fait , de la suppression brutale de la police de proximité...) Le CNV rappelait qu’il appartient aux maires de jouer leur rôle de « conduite politique » dans ce domaine et d’organiser la cohérence dans l’action de tous, par la mise en œuvre, de toute urgence, des CLS associant prévention et répression et des CLSPD comme cadre de concertation . Pour asseoir et conforter ces démarches locales, le CNV estimait indispensable, au moment de la 2ème étape de la décentralisation, que l’État confirme les principes directeurs pour l’action dans ce domaine ( priorités et références communes, éthique, répartition des rôles…)

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Le conseil demandait au Premier ministre d’organiser avec l’aide du Ministre de la ville un séminaire interministériel sur la prévention de la délinquance, associant l’Intérieur, la Défense, la Justice, les Affaires Sociales, l’Éducation Nationale et Jeunesse, la Santé, le Logement, les Sports ainsi que les conseils généraux, les associations d’élus et les organisations professionnelles. » Puis il poursuivait : « Le CNV ne peut que s’inquiéter de l’amoncellement de mauvaises nouvelles concernant le soutien aux actions de développement social et urbain : suppression des emplois jeunes et réduction des emplois aidés, gel des crédits de fonctionnement et incertitude sur les subventions aux associations et crédits non contractualisés, réduction importante des crédits FASILD, CAF et FSL… le tout dans un contexte de chômage en pleine reprise et de tensions internationales qui ne peuvent laisser indifférents. Il redoute l’effet de ces mesures sur les populations les plus fragiles et affirme avec vigueur qu’aucune stratégie de renouvellement urbain, aussi forte et efficace soit-elle, ne parviendra à enrayer, seule, une nouvelle dérive des quartiers et des populations. Il rappelle aux pouvoirs publics les principes républicains et donc leur impérieux devoir de rétablir des égalités et des protections des plus exposés. » Rappelant que la prévention est toujours moins coûteuse que la réparation, le CNV demandait en conséquence que soit élaboré un « Plan d’urgence pour le développement social urbain » qui mette en cohérence et remettre à niveau tous les besoins liés à la prévention de la délinquance, à la lutte contre l’exclusion et au fonctionnement du dispositif de développement social dans les villes les plus pauvres. Aujourd'hui le gouvernement parachève cette destruction en décidant la création d'une Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances prévoyant d'intégrer le FASILD, l'agence nationale de lutte contre l'illettrisme et la DIV. C’est à partir du territoire, d’un dialogue réaffirmé avec les habitants, d’un travail partagé entre l’État, les collectivités territoriales, les associations et les professionnels des services que se construiront des projets concrets, inscrits dans un contrat, engageant réellement chacun dans la durée. C’est à ce prix que le « Vivre ensemble pour faire société » restera possible18

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Inter réseaux des agents du développement social urbain (IRDSU)

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7 Les responsabilités des collectivités et des associations L'État ne saurait être tenu pour le seul responsable de la situation, même si la politique de la ville relève de sa compétence.

Les collectivités ont parfois ignoré leur périphérie. Beaucoup de collectivités, obnubilées par la compétitivité de leur territoire, perdent de vue les besoins des habitants et la nécessité de la mixité sociale. Il s'est développé une image absurde de hiérarchie des villes. Chacune devrait tenir son rang de ville internationale, de capitale régionale, de chef lieu de canton, etc…alors que la première mission des élus devrait être de répondre aux besoins fondamentaux de la communauté humaine que constitue un territoire. Strasbourg est un bel exemple. En 1997, alors que la ville soigne son image de ville lumière, capitale européenne, centre européen des technologies nouvelles, plus de 500 voitures sont brûlées la nuit de la Saint-Sylvestre dans les quartiers du Neuhoff et de Hautepierre. Toute occupée à développer son centre, la ville s'aperçoit qu'elle a oublié de coudre son territoire. Elle a oublié ses quartiers périphériques et les populations qui s'y trouvent. Elle a aussi "oublié" de maintenir des industries de main-d'oeuvre, seules capable d'éviter le chômage des populations les moins qualifiées. Un nouveau projet de ville sera élaboré en 1999-2000 pour y remédier, mais le mal est fait. Le chômage et là. Les ghettos se sont constitués. La peur s'est installée de l'autre côté des rues. Cet échec contribuera à faire basculer la ville à droite, … Et à accentuer la politique d'excellence de la cité19. 19

Analyse faite en 2000 par l'École des territoires dans le cadre d'une session INET d'administrateurs territoriaux

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Un déficit de soutien aux initiatives En n'entendant pas les initiatives de terrain, beaucoup de municipalités de gauche ont « raté le coche » avec les enfants d’immigrés, qui n’ont pu être ni les relais ni les aiguillons des organisations de gauche. A la cité du Luth, à Gennevilliers, le club de jeunes joue dans les années 1980-90 un rôle central pour les adolescents. Il leur propose des loisirs, une aide aux devoirs, des conseils, des encouragements. Sans lui, la plupart d’entre eux ne partiraient pas en vacances et passeraient une bonne partie de leur temps non scolaire à « squatter » les halls des immeubles... Les responsables de ce club sont tous originaires de familles algériennes et marocaines du quartier ; ils forment ce que l’on peut appeler une petite élite de cité, pôle des jeunes opposé à celui que forment adolescents en échec scolaire et petits trafiquants qui alimentent la « culture des rues ».20" Ils vivent dans un entre-deux social, propice à leur engagement auprès des plus jeunes et à la prise de parole. Dans cet univers déshérité, il est une ressource symbolique pour des jeunes en quête de reconnaissance. En 1996, après quinze ans de fonctionnement, le club ferme ses portes. Il est fragilisé par le comportement décourageant de certains adolescents dont la situation s’est dégradée au fil des années 1990. Exclus scolairement et influencés par la délinquance, refusent toute discipline et défient l’autorité des animateurs. Mais les responsables associatifs éprouvent également le sentiment de « se donner pour rien », selon l’expression de l’un d’entre eux. Voilà près de quinze ans qu’ils sont actifs dans cette association et ils estiment ne pas compter aux yeux des élus. Et de fait ces derniers ont laissé faire, mais n'ont pas aidé véritablement. On peut aujourd’hui mesurer le coût sociopolitique de cet abandon. D’abord le découragement des plus militants : une génération se retire de la vie associative et politique, tant il est vrai qu’il n’y a pas de militantisme durable sans gratification matérielle ou symbolique. Tout un ensemble de militants se détournent de la gauche et cherchent ailleurs une reconnaissance sociale et politique. Le glissement vers la droite de certains porte-parole des cités se nourrit du refus du misérabilisme. Si l’attirance pour la réussite économique est très forte, ils cherchent aussi à ne plus être confondus avec les délinquants et les assistés.

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cf Olivier MASCLET Maître de conférences à l’université de Metz, Le monde Diplo janvier 2005

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Une vision angélique des banlieues Emportés par le débat politique, certains militants raisonnent de façon manichéenne. Puisque ces gens subissent une exclusion et une exploitation, ce sont des victimes et il faut les défendre. Loin des réalités, certaines organisations certains intellectuels ont longtemps nié la réalité des problèmes, les attribuant à l'imagination du Front National ou au racisme ordinaire. "La gauche a longtemps sous estimé le problème" 21 Quand certains l'ont reconnu, ils se sont ralliés à certaines thèses du front national, faut d'avoir mené une analyse approfondie sur les propres valeurs.

La peur des conflits est mauvaise conseillère La peur des conflits est mauvaise conseillère. Certains élus, par peur de la violence, continue à gérer de façon clientéliste les demandes qui leur sont faites, sans jamais rien refuser. On a cité le cas d'élus ayant embauché des agents publics en raison de leur seule religion, sans vérifier leurs compétences. Cette tolérance s’élargit parfois à des comportements criminels. Certains élus et des institutions financent des emplois pour des chefs de bande qui, en échange, calment leurs troupes. En regard, certaines expériences participant à RECIT montrent qu'il est possible de résister à la fois à la pression des habitants qui poussent au rejet de l'étranger et au laisser-faire des communautés qui tolèrent des comportements délictueux et asociaux. On peut citer par exemple, la négociation menée par la ville de Kingersheim avec la communauté manouche, en vue de construire des bâtiments onduleurs disposant des services nécessaires, et les conflits qu'elle a générés. D'où la proposition de développer les lieux de débats, de démocratie locale de médiation, d'intermédiation, aider à leurs articulations afin que le citoyen lambda se repère, soit toujours plus citoyen...

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Charles Rojzman

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3ème partie Une société malade de ses mutations

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1 Une conséquence des mutations économiques Le chômage et la précarité, première source Alors que le chômage en France est à 9,8% celui des quartiers dépasse 22%. Pour le chômage des jeunes les chiffres sont de 20% et de 45% 22. Jacques Chérèque avait coutume de dire : "des cités il y en a toujours eu, mais avant il y avait du boulot". La marginalisation et la relégation sont liées au chômage de masse. La jeunesse des quartiers est soumise d'entrée de jeu à la pression d'un chômage de masse, même les plus instruits qui ne sont pas héritiers de la galère des recherches d'emploi. Dans certains quartiers, le taux de chômage des jeunes hommes nés de père ouvrier et sortis sans diplôme de l'école se situe aux alentours de 50 %. Et si l'on pouvait mesurer les effets des discriminations liés au quartier ou à la couleur de peau ce taux serait encore supérieur. Sans cette réalité économique on ne comprend pas ce qui nourrit en permanence les sentiments de colère, d'injustice, d'exclusion et la " victimisation collective "23 Jamais la précarité n'a été aussi grande, comme le montre Alerte. Le dernier rapport du Secours Catholique, sorti en novembre 2005, montre que si la pauvreté touche directement 10 millions des 60 Millions de français. Elle ne s'est pas étendue quantitativement, mais qualitativement les plus pauvres le sont de plus en plus, et le tiers de la population est menacée, donc dans l'insécurité sociale.

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José Dhers

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Laurent Mucchielli

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Une conséquence de la libéralisation de l'économie Bien évidemment, ces évolutions ne sont que la trace au sol de l'évolution de l'économie globale. Renault Flins a perdu les 2/3 de ses emplois, et en particulier les moins qualifiés. Cela a d'abord été lié à l'évolution des processus industriels, qui remplacent l'homme par la machine 24. Mais aujourd'hui la mondialisation libérale de l'économie, en imposant un libre échange sans nuances, met en concurrence les travailleurs des pays développés avec ceux des pays à bas salaires. La soumission aux lois du marché exclut les considérations sociales, culturelles et territoriales, qui par nature sont des contrepouvoirs au libre jeu du marché. "Rendez-vous dans le quartier de la Madeleine à Evreux (Eure) où les émeutiers se déchaînent particulièrement. Cette Zone urbaine sensible (ZUS) de 12 000 habitants a perdu 9 % de sa population entre 1990 et 1999. Elle affiche quelques compteurs au rouge : 44,3 % des15 à 24 ans sont au chômage, contre 21,6 % en 1990. Les salariés précaires représentent 27,9 % de la population active occupée (17,2 % en 1990). 37,9 % des ménages ne possèdent pas de voiture. Entre 1990 et 1999, le nombre de chômeurs dans le quartier a augmenté de 42,2 %, etc." 25 Conséquence de ces mutations : les emplois peu qualifiés ont été massivement supprimés, entraînant une aggravation du chômage pour les travailleurs les moins formés. Les industries ont massivement quitté les villes et le territoire français, en laissant aux collectivités le soin de gérer la survie des travailleurs licenciés. Quand il s'agissait de personnels qualifiés, ceux-ci ont retrouvé du travail ailleurs. Mais les moins qualifiés sont restés au chômage, car dans l'ensemble de la métropole les emplois correspondant aux tâches d'exécution se sont raréfiés. Leurs enfants subissent une déqualification très importante, avec tout ce qu'implique la rupture entre générations en termes de difficultés à vivre. Quand une zone d'activités se développe pour compenser une restructuration industrielle, comme à Bruyères, (Val d'Oise, proche de Persan), on constate un décalage entre les qualifications locales et les besoins. Le territoire a compté plusieurs générations d'ouvriers hautement qualifiés avec Sollac, Chausson, etc.. Les jeunes qui leur succèdent sont sous qualifiés, et le territoire ne compte que peu de structures d'accueil, peu 24

liés eux mêmes aux trois révolutions de l'information, des nouveaux matériaux et des coûts de transports 25

Extraits de Quartiers en friche, quartiers en chiffres Un point de vue de Pierre Billion http://www.inegalites.fr/article.php3?id_article=412)

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d'organismes de formation. Ces jeunes ne sont employables que dans des petits emplois précaires, dans les services. 26 On a mis en avant les potentialités des services à la personne. Mais ceux-ci sont de plus en plus précaires. Les services de proximité, les emplois d'intérim offrent des postes incertains, parfois à la vacation, souvent à temps partiel, avec des horaires variables au jour le jour. Il est difficile de bâtir une vie régulière sur de tels emplois.

Le désir et la frustration d'une consommation inaccessible Aujourd'hui on voit émerger des alterconsommateurs, beaucoup plus critiques envers les marques que par le passé27. 12,5 % de la population ne croit plus aux vertus des marques, serait prête à boycotter des entreprises qui affichent d'énormes profits, etc…Mais ces consommateurs "réactifs" appartiennent plutôt aux classes moyennes et à ceux qui ont un capital culturel critique suffisant. Une des revendications principales des manifestants, au contraire, était de pouvoir consommer, et consommer de la marque. Un des actes de la révolte a été de s'en prendre à des supermarchés, de piller des magasins. Ces actions traduisent de façon exacerbée l'aliénation de toute la société face à la consommation. Notre société façonne les imaginaires par la répétition de messages auxquels nul ne peut échapper aujourd'hui, à moins de rester chez lui. Un enfant voit 12 000 spots publicitaires par an. Le budget de la publicité (55 milliards d'euros par an) représente les deux tiers de celui de l'Éducation nationale. Toutes les classes sociales et tous les âges sont touchés, mais certains ont la possibilité de satisfaire les désirs qui leur ont été suggérés, d'autres pas. Trois réponses sont possibles face à cette frustration : - trouver du travail et de gagner sa vie comme les autres. Mais les discriminations à l'embauche et le manque de qualification de nombreux jeunes limitent cette possibilité à une minorité - participer à l'économie du vol et de la drogue, qui permettent à ceux qui en vivent de pouvoir s'acheter fringues, portables et voitures pour les plus riches, et apporte reconnaissance et considération des pairs. - désarmer les désirs par une recherche spirituelle ou religieuse qui nie les valeurs de la société dominante et développe une autre échelle de valeurs. 26

Rapport "Quel développement durable pour les territoires périurbains de la métropole francilienne ? " École des territoires, 2002 27

« Du sens pour les marques dans un monde qui n’y croit plus », enquête d'Ethicity juin 2005, à voir sur le site d'action consommation.

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Contrairement à ce qu'on pense, il existe aujourd'hui de nombreux lieux où est enseigné un islam porteur de valeurs de paix, mais ils ne sont pas reconnus. En dénonçant l'islamisme radical, les médias font sa publicité. Il est essentiel d'aider à émerger un islam porteur de valeurs de paix, comme veut le faire Culture XXI28

28

voir sur le site de RECIT

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2 La ségrégation, conséquence de l'évolution des villes dans leur ensemble Petit rappel historique La grande vague d'urbanisation d'après guerre se traduit par la construction de grands ensembles, ce qui répond au besoin de reconstruction, mais aussi à la crise aiguë du logement des années 60 : nombreux sans logis, bidonvilles aux portes de Paris, surpeuplement des logements, vétusté et manque de confort (on compte 40 000 cas de tuberculose chaque année). Il s'agit aussi d'accueillir les nouveaux arrivants. Dans un contexte d'expansion où l'industrie manque de main d’œuvre, on encourage l'arrivée de travailleurs ruraux (cf. l'exode rural lié à la modernisation de l'agriculture), mais aussi de travailleurs immigrés. Par exemple, on a construit un quartier nouveau des Mureaux (Yvelines) chaque fois qu'on installait une chaîne de montage sur le site Renault de Flins. Celui-ci, qui a compté jusqu'à 22 000 emplois, n'en compte aujourd'hui 7000 soit 15 000 emplois disparus sur un seul site. La disparition de ces emplois n'a pas entraîné de drames pour les travailleurs qualifiés qui ont trouvé un emploi ailleurs en Ile de France. En revanche, les OS sont souvent restés au chômage faute de trouver ailleurs en Ile de France des emplois peu qualifiés, d'où le chômage de masse. A partir des années 1960, l'accession de plus en plus fréquente à la voiture et la construction de réseaux de transports rendent possibles un habitat plus lointain. Des bourgs ruraux et des villages accueillent des lotissements et des maisons individuelles. De nouveaux quartiers pavillonnaires

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apparaissent. Ceux qui ont les moyens quittent l'habitat collectif pour accéder à la propriété de leur pavillon. De ce fait, les grands ensembles enregistrent des transformations considérables durant les années 1980-1990. Dans le même temps, la rupture de la croissance économique entraîne l'apparition d'un chômage de masse, qui frappe de plein fouet les ouvriers, et en particulier les jeunes sans qualification et encore plus parmi ceux-là les travailleurs immigrés. Au sein des agglomérations, les quartiers, comme les autres territoires de proximité, connaissent des évolutions différentes selon leur image. La ville se morcelle selon la valeur foncière, déterminée par la loi du marché. Alors que les revenus élevés se localisent principalement près d’espaces de valeur environnementale, certains quartiers accumulent les "inconvénients" : isolement, absence de services, proximité d'une source de nuisances, environnement peu attractif. Les prix augmentant ailleurs, ces quartiers deviennent les seuls accessibles pour les populations les plus pauvres. La présence antérieure de logements ou de population donnant une "mauvaise image" du micro territoire accentue cette ségrégation, qui est cumulative. Quand une communauté tend à devenir dominante, elle fait fuir les autres, et se constitue en ghetto. La ségrégation et la ghettoïsation d'un territoire sont le résultat d'un processus dans la durée. Certains quartiers sont devenus la prison, mais aussi le refuge des moins mobiles et des laissés-pour-compte : familles immigrées comptant de nombreux enfants, retraités et femmes seules avec enfants, salariés pauvres, etc... Cette situation en détourne désormais les catégories stables du salariat. Le nombre de familles immigrées y est plus élevé que dans les autres quartiers de la ville. En outre, les jeunes issus de ces familles y sont particulièrement visibles en raison de leur poids démographique dans la population juvénile totale.

L'absence d'un projet global pour les agglomérations Les 13 premiers contrats de ville couvraient l'ensemble des dimensions de la vie urbaine (économique, social, culturel, environnement, transports, urbanisme, habitat, éducation). L'opposition des autres ministères, peu enclins à voir se lever une seconde DATAR, a restreint ce qui était réellement une politique de la ville à une politique de l'accompagnement social de l'éclatement des villes. On a gardé le terme, ce qui n'a pas clarifié les choses.

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Le problème des quartiers n'est pas celui des populations défavorisées qui y vivent, mais celui d'une évolution urbaine qui les a rejetés à la périphérie 29. C'est un problème global d'urbanisme, de développement économique et de choix culturels et politiques. Un urbanisme qui veut organiser le vivre ensemble ne peut pas se limiter à des actions d'aménagement et de l'action réglementaire. On parle des quartiers, mais le problème des territoires périurbains paupérisés, dans les lointaines banlieues, est aussi grave. La ségrégation n'est pas inéluctable, et des agglomérations comme Rennes, des villes comme Clermont Ferrand ou Metz ont su depuis 35 ans organiser leur développement urbain d'une façon différente, en fonction des besoins humains et de la mixité sociale. Elles l'ont fait à travers une démarche fédérative qui mobilise tous les acteurs de l'agglomération autour d'un projet global portant sur l'emploi et le développement économique, les besoins de services et de transports, l'urbanisme, la maîtrise de l'espace et l'habitat, l'environnement, le lien social, l'habitat, la vie associative, l'identité et la culture, l'éducation et le sens. Aujourd'hui, de plus en plus, la mixité sociale devient un slogan vide de sens, avec l'apparition de ghettos par origine ethnique. On peut craindre, après les événements, que la situation des jeunes des banlieues soit plus dure qu'avant; leurs recherches d'emploi plus difficiles, la ghettoïsation plus poussée. L'explosion actuelle traduit l'explosion des villes telles qu'elles ont été organisées depuis 30 ans par le libre jeu du marché foncier, l'obligation de rentabilité du logement social, et la ségrégation sociale qui en a découlé. La question se pose à plusieurs niveaux : celle de la pauvreté, de la discrimination et de l'exclusion, celle des quartiers marginalisés et du traitement des minorités, et celle du mal-être multiforme de l'adolescence 30

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Danielle Delebarre, Toulouse

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Paul Bron, la Villeneuve de Grenoble

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3 Une violence subie et rendue depuis des années Il convient de distinguer violence physique (coup et blessure), violence symbolique (celle, invisible, des rapports de domination hiérarchique acceptés par ceux celles qui les subissent), violence structurelle (de l¹injustice, de l¹inégalité, de l¹exploitation), violence de l¹indifférence, ("je n'existe pour personne"), violence contre soi-même, agressivité psychologique (énergie de l¹individuation, du refus de la conformation, oxygène de l'opprimé), combativité (agressivité orientée vers le renversement de l'oppression)31 La violence qui éclate est le résultat de l'impossibilité du dialogue, la non reconnaissance de ces violences là, avec le libre jeu des passions qui en résulte.

Division et morcellement de tous contre tous La jeunesse se morcelle : les filles et les garçons se croisent dans la rue, au collège ou dans les missions locales, sans réelle communication. Des a priori tenaces cassent les solidarités. De plus en plus de parents cherchent à sortir leurs enfants des collèges de banlieue pour les « mettre à l’abri ». A l’école, on évoque sans y croire « l’égalité des chances » tout en organisant la course d’obstacles dès l’âge de 6 ans. Ceux qui tombent et deviennent des perdants se réfugient dans des attitudes de repli, ou de violence et stigmatisent les « bouffons » - et surtout les « bouffonnes » - qui s’accrochent aux promesses d’un ascenseur social illusoire. Certains parlent d'une jeunesse « en trop », à qui la société française n’offre aujourd’hui aucun avenir, dont elle regrette d’avoir attiré les parents du temps de sa prospérité, dont elle tend à faire le bouc émissaire de sa mauvaise conscience coloniale refoulée et de ses difficultés d’adaptation au 31

André Duny, CEN, Drôme Ardèche

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monde économique de la concurrence illimitée. Cette jeunesse devient l’objet fantasmatique de ses craintes sécuritaires dans l’époque du « choc des civilisations ».

les humiliations au quotidien « Depuis ce jour-là, je sais que j’ai en moi la capacité de tuer. De tuer vraiment. Si, à ce moment j’avais pu le faire, je l’aurais fait. » Ce n’est pas un « sauvageon » encagoulé, « racaille » ou voyou incendiaire quelconque qui parle ce 7 novembre dernier dans mon cours de philo, c’est un des meilleurs élèves d’une de mes deux terminales ES, au lycée Maurice Utrillo, à Stains, Seine-Saint-Denis. Il vient de nous raconter, tout simplement, pas un mot plus haut que l’autre, comment l’été dernier, à l’occasion d’un prétendu contrôle de police, dans sa cité, il s’est retrouvé déshabillé de force sur la voie publique, humilié, en caleçon, un policier lui tâtant complaisamment les parties en ricanant : « T’aimes ça, hein, petite pédale, qu’on te les tripote, hein, allez vas-y, là, chiale un coup devant tes potes, allez ! » David a effectivement pleuré. On soupçonnait des trafics dans le quartier… Aucune suite à cette vérification d’identité. Son médecin lui a prescrit des calmants. "Mes élèves et moi, nous savons, si les mots ont un sens, où sont les vraies « racailles » et qui sont les premiers incendiaires"32 Pour qui connaît cette violence là, les violences urbaines, les comportements « délinquants » ou « émeutiers », destructeurs et autodestructeurs, constituent un symptôme de la violence accumulée depuis des années, sous des formes extrêmes : chômage massif, démantèlement des services publics, ségrégation urbaine, discrimination professionnelle, stigmatisation religieuse et culturelle, racisme et brutalité policière quotidienne. Une jeunesse « en trop », à qui la société française n’offre aujourd’hui aucun avenir, dont elle tend à faire le bouc émissaire de ses difficultés d’adaptation au monde économique de la concurrence illimitée.

La violence et la drogue La violence dans les quartiers n'est pas nouvelle. Les blousons noirs, les bandes et l'économie parallèle peuplent les films et même la danse depuis des décennies (voir West Side Story). La bande apporte le sens et la protection que n'accorde pas la société. Le vol a été et reste un moyen de s'approprier une parcelle de la richesse collective. Le jeune, pour rentrer dans la bande doit montrer son habileté et son courage. 33 32

Témoignage de Bernard Defrance, prof

33

Voir l'analyse beaucoup plus détaillée de Charles Rojzman "savoir vivre ensemble", p 45 à 65

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Le passage à une économie de la drogue, depuis les années 90, a marqué une nouvelle étape dans certains quartiers. Cette évolution a été tolérée dès lors qu'elle diminuait la violence apparente, puisque les policiers sont notés sur les résultats en termes de délits. Il faut bien constater que les forces de l'ordre s'accommodent parfois bien de la drogue quand elle rend les quartiers plus calmes. Objectivement, il faut reconnaître qu'elle rend leur travail plus facile. La violence n'est plus tournée vers l'extérieur, mais ce sont les habitants des quartiers eux-mêmes qui se détruisent. "Peu à peu les jeunes s'éteignent de leur révolte en se détruisant eux-mêmes. Comme l’usage des drogues, par laquelle peu à peu les jeunes s'éteignent de leur révolte en se détruisant eux-mêmes, comme toutes les conduites à risques, la rage de "tout cramer" procède de la désespérance de trouver une place dans la société qui est la nôtre. Tous les porteurs d'éducation citoyenne et d'écoute sont bien placés pour expliquer à ces jeunes l’absurdité et la dangerosité de leurs actions, mais ils ne peuvent pas nier la légitimité de leur colère plus saine que la soumission à la drogue (SMG) Ces soi-disant voyous s’expriment aussi dans les cabinets médicaux, les bureaux d'aide sociale, dans les discussions avec les médiateurs et les animateurs, et chacun mesure la souffrance sociale quotidienne de millions de personnes. Cette violence est avant tout autodestructive. "Tous ces jeunes qui vivent sous le regard absent des autres, il faut bien qu'ils allument du feu pour être un peu visibles et encore ils n'apparaissent que comme des ombres fuyantes" (JP Schaff)

Une violence autodestructrice Les émeutes sont auto destructrices, voire suicidaires, car elles nuisent essentiellement à ceux dont elles dénoncent l’exclusion. Mettre fin à la spirale de violence et de destruction est vital pour l’avenir même de ceux qui se révoltent aujourd’hui. L’intervention des forces de l’ordre est inévitable mais la réponse purement policière à la protestation désespérée des exclus, seule envisagée le 14 novembre par le Président de la République, accentue le sentiment d’injustice. Dans la durée, il n’y aura pas de retour au calme sans que la République reconnaisse les injustices subies. Il n’y aura pas de paix sans justice, sans révision profonde des politiques publiques qui creusent les inégalités et les discriminations dans ce pays La violence destructrice ne résout rien, elle aggrave même les maux contre lesquels elle prétend se dresser, mais il n’en est que plus urgent de construire une mobilisation civique qui permette aux victimes de l’injustice de s’unir pour qu’il y soit mis fin. C’est d’une véritable mobilisation de toutes les forces sociales et politiques qui rejettent les discours

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d’élimination du gouvernement et notamment du ministre de l’Intérieur que nous avons besoin. C’est une véritable campagne pour le respect, pour l’égalité et pour les droits civiques qu’il faut aujourd’hui engager, « tous ensemble », afin que les actes des gouvernants cessent de contredire la devise de la République. .34

Mimétisme et résistance Certains intériorisent leur état de dominés. Être regardé de haut par les dominants n'est pas sans conséquence. Une attente sociale se réalise inconsciemment : les autres deviennent un peu de ce que nous attendons qu'ils soient : c'est la réalisation automatique des prophéties sociales et interpersonnelles. D'autres, notamment parmi les jeunes des quartiers populaires, se battent pour être reconnus, pour avoir leur place, enfant d'immigrés ou pas, français ou pas, blancs ou pas, filles ou garçons, leurs droits sont égaux. Quand on a droit à la prison, on a aussi droit à l'école, au travail ou aux loisirs... Pour reprendre Olympe de Gouges, qui disait qu'une femme pouvant être condamnée à la peine de mort devait aussi avoir le droit de vote...35

Pourtant il suffit de peu de choses pour changer le climat Ici, à Agen, petite préfecture, cela devient aussi difficile, comme ailleurs, pourtant, il suffit bien souvent d'un mot, d'une "reconnaissance " de l'autre pour entrer en dialogue, en confiance. Il n'est pas possible de croire que les personnes, jeunes et moins jeunes qui manifestent actuellement ne manifestent pas là leur isolement, leur non reconnaissance d'eux par nous, leur mal vie. Les jeunes en tant que tels ont souvent souffert de la non reconnaissance de leurs aînés, de leurs critiques, les aînés ayant peur de ces nouvelles générations qui vont les dépasser...et là non seulement ils sont jeunes mais en plus d'origine immigrée (sous entendu, maghrébins...), ou pire, étrangers qu'on renvoie chez un chez eux qu'ils ne connaissent peut-être pas ou plus. Quand on n'a pas les mots, on a les gestes....36.

34

LDH, ibid

35

Pierre Tramonti, La Cardabela (vacances et culture pour tous) et Comité Métallos

36

Catherine Charlery, Lot et Garonne

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4 La crise du vivre ensemble Dans la famille Les ruptures qui affectent les individus, les familles, les enfants sont nombreuses et largement diversifiées ; elles concernent : - le déplacement des populations ; en zone urbaine, les individus connaissent une nouvelle forme de nomadisme ; les changements de logement, les accessions, mais aussi les décompositions et recompositions familiales sont l’occasion d’une interminable litanie de déménagements. 37 - l'éloignement des familles étendues ; les problèmes immobiliers, financiers familiaux et personnels entraînent l’éloignement fréquent vis à vis des parents, de la famille du milieu d’origine. De nombreux individus et parents se retrouvent aujourd’hui complètement isolés dans leur environnement immédiat, ou, à défaut, ne peuvent compter sur la présence que d’un seul parent, mais avec le risque que la responsabilité soit inversée. - l'instabilité des lieux et des types d’emploi. C’est un lieu commun, mais on ne peut plus parler aujourd’hui ni de carrière, ni de parcours professionnel continu, au moins pour le plus grand nombre. La période d’activité des individus est largement devenue discontinue avec des périodes d’inactivité, de reprise, de stages, aux fortunes diverses, etc. Jamais la vie des adultes comme celle des jeunes n'ont été autant placées sous le signe de la séparation.

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Pour information, dans une école de banlieue urbaine, près de la moitié des enfants ne réalisent pas un cycle complet dans l’école (5 ans).

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La distance culturelle entre les générations Dans sa communication, le gouvernement stigmatise les parents accusés de ne pas tenir leurs enfants, et annonce des mesures de coercition. Or, depuis 10 ans, de nombreuses analyses ont été faites sur le décalage entre les générations. Nous reprendrons celle de Charles Rojzman 38. "Nous ne voulons pas faire la même chose que nos parents. Toute notre enfance nous les avons vu faire les sales boulots, être maltraités par les services publics, ne pas comprendre les informations à la télévision". La bande des copains devient une référence plus sure que les parents ou l'école. Quand le père perd son travail, les enfants ne peuvent que constater le mépris dont il est victime. Ils ont peur de présenter leurs parents à leurs amis, car ils sont illettrés, ont des habitudes et un look différents. Quand leurs enfants commencent à sécher l'école, voler, fumer du shit, les parents sont peinés mais souvent démunis. Ils ne peuvent donner à leur enfant la vie dont ils rêvent, alors ils ne posent pas trop de questions sur ce que fait le jeune et sur l'origine de son argent. Ils se culpabilisent d'habiter la cité. Dans le cadre de mon travail, plate forme de lutte contre l'illettrisme, je rencontre beaucoup de personnes en situation difficile, la plupart demandeurs d'emploi ou dans le dispositif du RMI. La plupart sont des femmes, des mères qui disent leurs craintes, leurs peurs vis à vis des jeunes en général et de leurs enfants en particulier. Les parents ne savent plus comment faire avec leurs jeunes qui leur échappent, dans une société qu'ils ne comprennent pas tout à fait. Actuellement, il est urgent de répondre à ces jeunes, c'est indéniable, mais il est aussi urgent d'aider les parents à se reconnaître comme tels, à affirmer leur autorité parentale, sans autoritarisme forcené, à avoir confiance, à comprendre le monde où ils vivent et à continuer à la bâtir ensemble, et pas à côté comme en ce moment, ou en dessous, je devrais même dire...39 On trouve des écarts similaires dans les espaces périurbains. Du fait des horaires de travail et du temps de transport, les parents partent parfois avant que les enfants soient levés et rentrent après leur coucher. Conséquence de la mobilité de l'emploi si vantée, le jeune se débrouille, se fait à manger, fait ses devoirs comme il peut. Parents et enfants communiquent par des petits mots sur le frigidaire. Les enseignants constatent que ces enfants ne savent plus communiquer, car la socialisation ne se fait plus dans la famille. le décalage de temps joue le même rôle que le décalage culturel. 38

Catherine Charlery, Agen

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Catherine Charlery, id

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Dans les banlieues, parfois les deux se conjuguent. Les banlieues présentent une image exacerbée de problèmes qui se rencontrent dans tous les milieux sociaux dès lors que les parents sont absents ou décalés.

Les rapports sexistes au quotidien Dans les quartiers, la violence sexiste est souvent un mode d'expression. De nombreux garçons, ici, sont élevés pour être des dominants. C'est à ces garçons que les parents confient le rôle de contrôler les sœurs, les cousines, voire la voisine. A ce statut vient se greffer la violence familiale, les violences à l'école ou dans la rue, les violences conjugales dont les enfants sont parfois les témoins, et la violence du langage employé dans les cités.

Dans les quartiers et les territoires : la rupture du lien social en progression Les débats ont montré à quel point la rupture du lien social était actuellement en France préoccupante et en plein développement ; tel élu municipale la Région Parisienne, ne pouvait que témoigner de la faveur actuelle du « sauve qui peut individuel » des classes moyennes : - la fuite vers les zones urbaines dites préservées - la recherche à tout prix du jeu des dérogations à la carte scolaire De même, les milieux les plus défavorisés recherchent la clôture sur soi, le refus de l’autre et le sécuritaire à bon marché ; les locataires des cités HLM réclament ainsi eux-mêmes les dispositifs de serrures et clôtures, de fragmentation des espaces collectifs en petits espaces fermés, de vidéo surveillance qui entravent pourtant leur vie quotidienne et renforce leur solitude sociale ! Ces mouvements de repli et de concurrence des populations fragiles entre elles et à l’intérieur même de leurs groupes, ont de graves conséquences sur le fonctionnement des dispositifs sociaux et d’éducation populaire. La vie associative se replie ou se vide de sa substance, les centres sociaux se désertifient, se ghettoïsent, ou, au contraire deviennent des centres de loisirs pour classes moyennes. Le projet de mixité sociale, de rencontre et de développement de la dynamique collective et de la démarche associative est loin d'être atteint.

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5 Souffrances, santé, santé mentale L’aggravation des conditions de vie transforme le quotidien des habitants en une suite d’humiliations, produit de la maladie. Les conséquences de cette situation sont aussi perceptibles en matière de santé et de santé mentale, drogue, alcoolisme. "Ce qui coûte cher à la société, c'est moins la violence extériorisée (voitures brûlées), que la violence intériorisée qui se traduit en maladie, en journées d'hôpital, en psy et accompagnements de toute nature. Mais, c'est vrai, cela produit des emplois et de la croissance. "40

Souffrance sociale Les cabinets médicaux sont les lieux où s’exprime cette souffrance. Face à elle, les politiques de soins limitent les actes médicaux à la délivrance de médicaments qui soignent l’angoisse et la dépression. Il est nécessaire d'adapter les pratiques aux réalités, de pouvoir pratiquer l’écoute, travailler en coordination et passer du soin à la santé. Ceci est inacceptable, c’est aussi ce que nous dit cette explosion de colère.

Santé mentale Dans toutes les classes sociales, le libéralisme met en compétition les salariés sur leur capacité à être mobiles, adaptables et dévoués à l'entreprise. Cela se traduit par un accroissement du stress, des maladies, des névroses, des maladies mentales. Les plus forts s'en sortent, mais les plus faibles perdent pied, surtout si les conditions matérielles rendent leurs difficultés trop insurmontables. Parfois, il suffit aux plus forts d'un moment de faiblesse pour basculer41. 40

François Plassard, Toulouse

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Aux urgences de sainte Anne, j'ai assisté en 2005 à l'arrivée d'un cadre qui avait craqué le mois précédent. Soumis à la pression d'un travail intensif, il a un jour

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Les personnes tombant malades sont mises à part, contenues par la chimie, mais de moins en moins considérées comme des citoyens, comme des personnes avec leur histoire et leurs spécificités. Les situations de mépris et de violence, les ruptures familiales, les solitudes subies ne peuvent qu'accroître la fréquence de ces pathologies. En particulier les enfants sont souvent des enfants seuls, comme en témoigne le livre de référence de Laurent Ott42 En particulier, les chômeurs longue durée sont dans des situations particulièrement difficiles à tenir qui peuvent devenir pathogènes pour ceux qui n'ont pas le seuil de défense nécessaire. Chez les sans logis et les prisonniers, le nombre de personnes souffrant de troubles psychiques (antérieurs ou acquis du fait des conditions de vie) est important.

Les ravages de la drogue et de la narco économie Il est rarement question des ravages que fait la drogue dans les cités. Les overdoses, les dérives psychotiques, le sida, etc… s'abattent sur les plus jeunes des enfants de nos villes. On préfère culpabiliser les parents et réprimer sauvagement les jeunes plutôt que de mettre un terme à l'arrivée de la drogue sous toutes ses formes dans les lieux de non droit. Les familles elles mêmes sont entraînées dans le recel et la complicité d'une économie parallèle car c'est leur seul moyen de survivre ici43

L'impossibilité de se soigner Se soigner est devenu pour un grand nombre de citoyens un parcours du combattant, aggravé par la loi de Réforme de l’Assurance maladie et les mesures de plus en plus restrictives prises au niveau de l’Aide Médicale État et de la CMU, et bientôt dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006. Il est devenu impossible de se soigner correctement, si on n’a pas les moyens de se payer une couverture complémentaire, en raison de la baisse de la prise en charge par l’Assurance maladie : - suppression de la prise en charge à 100 % des actes pré et postopératoires, forfait de 1 euro à la charge des patients, restriction dans l’octroi du droit à la prise en charge à 100 % pour les affections de longue durée. entendu des voix et ne pouvait plus prendre le métro ni se concentrer. Les "troubles" ne cédant pas aux médicaments, il venait en détresse se faire interner. 42

Laurent OTT, Les enfants seuls, Dunod, 2003

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Danielle Delebarre, Toulouse

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- Hausse des tarifs médicaux : le reste à la charge du patient pour un avis de spécialiste était de 7,5 euros avant la nouvelle convention et de 12 euros depuis. - projet pour 2006 de hausse du forfait hospitalier à 15 euros, mise en place d’un forfait de 18 euros sur les actes techniques lourds, baisse du taux de remboursement pour les actes hors parcours de soin… Les couvertures complémentaires coûtent de plus en plus cher ; l’aide à l’achat d’une couverture complémentaire, pour les personnes dont les revenus ne dépassent pas 15 % du seuil de la CMU (seuil de CMU : 587 euros), ne couvre qu’une petite partie du coût de la complémentaire : soit 150 à 200 euros pour les moins de 50 ans. Se soigner correctement est devenu plus difficile même avec une couverture complémentaire : - Difficultés de plus en plus grandes d’accès au tiers payant obligeant les patients à avancer l’argent. - Difficultés à trouver des médecins spécialistes qui ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires. - Multiplication des dépassements d’honoraires autorisés, « dépassements exceptionnels » qui deviennent la règle en particulier à Paris même pour les généralistes. - Manque de moyens du secteur hospitalier public pour répondre aux demandes de consultations et d’hospitalisations en urgences avec renvoi sur le secteur privé. Cette inégalité d’accès aux soins, s’ajoute aux inégalités de conditions de vie, logement, travail. Cette évolution n’est pas inéluctable, et seule la mobilisation de tous, soignants et usagers, permettra de stopper la privatisation progressive de notre système de soins44 ________________________ En résumé, les banlieues sont un révélateur d'une maladie de mutation qui frappe toute notre société. Les changements trop rapides et l'irresponsabilité politique, l'aliénation et la violence se concentrent dans les quartiers. De là naît une situation explosive car la société cherche des boucs émissaires faute de s'attaquer aux raisons réelles des difficultés. Il y a danger car l'évolution en cours peut conduire à un retour de la barbarie dans notre pays, pourtant si civilisé. Ouvrez les yeux, car nous y sommes même un peu déjà.

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Communiqué du SMG (Syndicat de la médecine générale) le 14 novembre

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4ème partie Un danger immédiat de retour à la barbarie

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1 Refus de l'autre et montée de la haine Deux mondes s'ignorent Deux mondes s’ignorent, ne s’entendent plus. Les uns ne savent pas ce qu’est une vie d’expédients, ce que veut dire avancer au jour le jour, se sentir dédaigné dans son être comme travailleur, comme individu ayant ses quelques différences. Les autres vivent des valeurs de la société mondialisée, libéralisée, qui sont l’apanage de la société « d’en haut ». Bien sûr, pour les dominés, la vie n’est pas seulement dure, elle a ses fêtes et ses joies. Mais cela ne peut pas camoufler l'absence de statut social, qui est absolument nécessaire dans nos sociétés modernes. Notre société libérale, en brisant tout ce qui est susceptible de faire solidarité ou sérénité, devient une usine à violence.45

Une théorie "génétique" des risques sociaux Depuis les années 70, bon an mal an, malgré le climat économique qui portait à toujours plus de « rationalisation budgétaire », le futur d’un enfant n’était pas inscrit tout entier dans son milieu et ses gènes : la grande affaire c’était l’évolution et le progrès que parents, éducateurs et enfants allaient accomplir et créer ensemble46. Aujourd’hui : changement de cap : à coup de grands rapports de l’INSERM, de rapport Benisti et de comparaisons européennes, il s’agit d’identifier des individus et des populations « à risques « qui dès lors deviennent des « cibles ». L’éducation devient un vaste plan de prévention du « pire possible » qui commence le plus tôt possible (dès 3 ans). On élève les 45 46

Serge Grossvak, directeur du Centre Social et conseiller municipal de Groslay On appelle cette démarche " constructivisme"

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garçons de milieu difficiles dans la crainte et le souci qu’ils ne deviennent ni des prédateurs sexuels ou des délinquants. On interprète précocement tout curiosité, toute agressivité comme des preuves de danger. On était sorti de «l’idéologie des dons». On y revient à fond. A écouter le Premier Ministre et le Ministre de l’Éducation nationale, l’école va devenir une gigantesque gare de triage. L’égalité des chances, vue à cette aune, n’est plus qu’une opération d’aiguillage : séparer ceux qui peuvent progresser de ceux qui nuisent, ouvrir des filières d’excellence pour permettre à ceux qui « guérissent de leur mauvais milieu » de s’affranchir de la compagnie des autres. On n’est évidemment plus dans le constructivisme, mais dans le « révélationnisme » : l’école ne construit plus ; elle révèle le fond de chaque individu et lui propose la « bonne » orientation.47

Le refus de l'autre qui fait peur Derrière ces positions, on voit ressurgir la peur de l'autre, le culte du semblable. Ce désir d'une humanité homogène est au cœur de l'idéologie fasciste. « L'humanité peut très bien avoir à faire face dans un avenir proche au problème de sa réhumanisation. Nous y sommes aujourd'hui. Souvent notre langage est beau ; il est même salvateur. C'est déjà beaucoup. Cependant, c'est d'actes que nous avons désormais besoin, parce que le langage est arrivé à ses limites"48

Le danger des messages simplistes Si on ne sort pas des cycles de violences, les messages simplistes vont l'emporter. D'un côté, l'extrême droite avec des milices de quartier qui vont patrouiller pour surveiller leurs biens. De l'autre, les islamistes qui pourraient être tentés de récupérer un mouvement inorganisé en allant y puiser des troupes. Le populisme ou la religion sont les seuls à avoir une réponse toute faite, qui rassure et font l'économie de la réflexion. Les professionnels du conditionnement utilisent déjà depuis longtemps des discours simplistes. Appliquée à la haine des minorités, les méthodes de la communication sont extrêmement dangereuses. Elles sont porteuses de haine raciale, et violences envers l'autre dès qu'il est différent. Or, que voit on aujourd'hui ? : D'un côté, l’appartenance religieuse des parents est présentée comme la raison des difficultés rencontrées. Les pauvres sont pauvres parce qu'ils l'ont voulu, ils abusent de nos impôts. Les chômeurs sont des fainéants. De l'autre, il faut se venger de la République française 47

Laurent Ott

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Jack RALITE, intervention au Sénat le 16 novembre 2005 sur le projet de loi proclamant l'état d'urgence

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qui opprime les enfants en France après avoir colonisé les parents dans les pays d’origine. Il faut rentrer en résistance en transgressant les règles nationales afin de retrouver une dignité. Cette cristallisation des différences conduit à la haine de l’autre. Le gouvernement, en utilisant ces pulsions avec la puissance que donne le pouvoir, porte une responsabilité principale. Il crée une frontière entre la « nation » et son ennemi de l’intérieur, précipite les banlieues et les cités défavorisées dans un statut de ghettos ethniques, y décourage toute initiative économique et toute tentative de réhabilitation sociale, y rend impossible le travail de l’administration civile et l’exercice des services publics. C’est la politique du pire, mais c’est aussi la politique de Gribouille, quelles qu’en soient les causes : ignorance bureaucratique, arrogance de classe ou de race, calcul électoraliste. Il faut que cela soit dit par tout ce qui, dans ce pays, a encore quelque souci du bien commun. (Appel "Casse-cou, La République") "La société ne restera démocratique que si ses citoyens exercent eux-mêmes une partie du pouvoir politique qu'ils délèguent par ailleurs aux élus de la nation"49

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Danielle Delebarre

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2 Le risque de barbarie en France aujourd'hui Les événements mettent en lumière des problèmes de société très importants. Rassemblés, ils tracent les contours d'une crise majeure qui annonce de nouvelles barbaries, inédites mais peut être aussi sanglantes que les précédentes. Charles ROJZMAN dans Savoir vivre ensemble50, cite sa rencontre avec Ervin Staub, auteur d'un livre paru aux États-Unis sur les génocides et les violences collectives intitulé « Les racines du mal » 51. Celui-ci a noté dans ce livre que plusieurs sociétés civilisées, souvent de grande culture, ont connu des génocides et des violences collectives. Or ces sociétés présentent un certain nombre de caractéristiques communes. Prenant l'exemple de l'Allemagne au temps de Hitler, de l'Argentine des généraux, du massacre des Arméniens en Turquie au début du siècle, du Rwanda contemporain, il établit 12 critères de risque qu'on retrouve à chaque fois.

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Charles Rojzman, Savoir vivre ensemble, Syros, 1998, pages 219 à 227

51

Ervin Staub, The roots of Evil, Cambridge University Press, Cambridge, 1986

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Les 12 critères d' Ervin Staub 1 des changements sociaux trop rapides, des changements dans les moeurs qui entraînaient une impression de chaos, de désordre et de désintégration d'un monde familier, 2 le rêve du retour à un passé plus glorieux ou plus sécurisant, 3 un nationalisme qui résulte d'une combinaison entre un sentiment de supériorité est un sentiment de doute sur soi-même, 4 une idéologie et des leaders qui répondent à un besoin de valoriser et de protéger le groupe d'appartenance traditionnel 5 l'existence d'un groupe minoritaire à l'intérieur de la société, qui est dévalorisé et qui paraît en même temps menaçant, 6 un contentieux avec le groupe minoritaire qui repose sur des bases historiques 7 des divisions sociales trop importantes : richesse et pauvreté voyantes, difficultés économiques nouvelles, 8 une démocratie discréditée et un manque de confiance dans les institutions, 9 des personnes actives et militantes dans la haine et des spectateurs passifs et complices, en tout cas prêts à laisser faire, 10 un système social qui ne favorise pas l'expression et la coopération 11 des événements traumatisants, 12 une organisation technique et administrative prête à fonctionner au service de la violence En France, la plupart de ces critères sont aujourd'hui réunis. Au fil des années, les praticiens constatent l'aggravation des phénomènes de peur, de violence et de racisme, d'exclusion et de rejet de l'autre, d'égoïsme social et de désespérance. Ceci nous mène, si nous n'y prenons garde, à une paranoïa collective et à des massacres futurs. Nous proposons de relire le contexte des événements actuels en reprenant méthodiquement ces critères, en les réorganisant un peu, et en les complétant par le rôle des médias et du pouvoir politique.

Des changements sociaux trop rapides, On a beaucoup parlé de la rapidité des mutations, de leur captation par les forces économiques dominantes. Il suffit d'entendre les personnes de plus de 60 ans face à un ordinateur pour comprendre l'angoisse sociale

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qu'engendrent les changements. Ceci n'est pas lié au libéralisme, mais aux innovations. Mais leur application sauvage, sans considérations d'accompagnement, aggrave le problème. De même, les divisions sociales et les inégalités s'aggravent avec la libéralisation de la société : la richesse et pauvreté sont voyantes, des difficultés économiques nouvelles apparaissent avec l'approfondissement du libre échange et les dérégulations. Les changements dans les moeurs et les modes de vie sont rapides. Tout cela entraîne une impression de chaos, de désordre et de désintégration d'un monde familier, d'autant que les perdants de la compétition pour le travail, l'éducation, l'accès aux soins sont de plus en plus nombreux.

La question nationale, le rêve du retour à un passé plus glorieux ou plus sécurisant Cette aspiration et est très présente au sein de la droite traditionnelle, au FN mais aussi à la base de l'UMP. Elle trouve sa source dans la remise en cause de l'État social des 30 glorieuses, et dans la sécurité sociale généralisée liée à la mondialisation libérale. Elle explique en partie le rejet du traité constitutionnel européen. La surenchère sécuritaire de Sarkozy peut être interprétée comme une tentative pour récupérer cet électorat. Nicolas Sarkozy, candidat à l'élection présidentielle se sert de Sarkozy Nicolas, ministre de l'intérieur pour développer une idéologie simpliste, dualiste, qui identifie les bons et les méchants, rejette le mal à l'extérieur et répond à un besoin de protection des français. Pour cela, il identifie un ennemi qui sert de ciment à l'unité du groupe. Sachant les jeunes des banlieues vulnérables à la provocation, il a multiplié depuis l'été 2005 les provocations, verbalement et sur le terrain, et les a excités pour qu'ils commettent l'irréparable. Ce qui a été fait ici et là, suffisamment pour qu les médias mettent le grand zoom.

La désignation de groupes boucs émissaires Les jeunes des banlieues constituent en effet un "outgroup" idéal selon les critères d' Ervin Staub. Ils sont aujourd'hui dévalorisés aux yeux d'une grande partie de l'opinion française. Ils manifestent une violence, une agressivité et parfois une haine qui justifie leur rejet. Même s'ils possèdent la nationalité française ils sont toujours pas considérés comme appartenant à la communauté nationale. On notera que les populations étrangères les plus visées ("noirs" et "arabes") sont celles avec lesquels un contentieux historique n'a pas été réglé

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totalement au niveau de la conscience collective. Les archives de la guerre d'Algérie ne font que s'entrouvrir et le débat sur la colonisation resurgit de façon très significative. Jusqu'ici les communautés asiatiques, turques, etc… n'ont pas été désignées fort heureusement comme boucs émissaires.

Une démocratie discréditée et un manque de confiance dans les institutions Le système politique de la V ème République a été conçu par le général de Gaulle pour redonner une crédibilité au politique, disqualifié selon lui par le jeu des Partis de la IVème République. Depuis lors, l'exécutif commande au législatif et en partie au judiciaire. De plus, depuis 20 ans, le pouvoir réel se déplace progressivement vers l'Union européenne, qui prend les décisions essentielles sans contrôle démocratique, sous l'influence des lobbies. Tout cela contribue au sentiment d'impuissance dès lors que le gouvernement et le chef de l'État se conduisent, comme la Constitution le leur permet, en monarques presque absolus, avec tous les dénis de démocratie que constituent des décisions comme la réforme des retraites, l'autorisation des OGM, etc…. Les affaires de corruption, à droite et à gauche, aggravent ce discrédit.

Des personnes actives et militantes dans la haine, des spectateurs prêts à laisser faire Quand on lit cette condition, on pense au Front National et à son discours de haine raciale et d'exclusion des étrangers. Mais les idées du Front National sont reprises par une partie de l'UMP, par de nombreux médias, par d'innombrables relais. Ce militantisme de la haine est aujourd'hui plus important, plus fort, plus structuré que celui des Droits de l'homme et des valeurs de justice et de paix. Il se nourrit aussi de la passivité et du découragement de nombreux militants. La passivité face aux dérives est en effet encore plus grave. Qui d'entre nous peut prétendre y avoir échappé ? Nous sommes désemparés devant ceux qui nient les valeurs qui nous semblent aller de soi pour des citoyens normaux. Nous sommes découragés devant la multiplicité des combats perdus : retraites, remise en cause des droits de la défense, surveillance électronique, recul des droits sociaux, montée des discours sécuritaires…Et nous restons passifs face aux petits actes de violence, d'incivisme, d'égoïsme au quotidien.

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Des événements traumatisants, des médias démagogiques qui attisent les tensions Les événements récents constituent un traumatisme de plus. Ils sont dangereux car ils réveillent la peur, la multiplie et provoquent en retour des réactions symétriques de violences collectives chez ceux qui sont désignés comme boucs émissaires. Les victimes quittent leur statut de victimes lorsqu'ils deviennent des incendiaires, car ils commettent des actes injustifiables dans un enchaînement de violence. Ils personnifient facilement l'incarnation du mal, comme dans toute logique de guerre. Mais cet enchaînement serait impossible si les réactions n'étaient pas amplifiées et canaliser par des médias démagogiques, qui privilégient le sensationnel sur la formation et qui donnent à voir ce que les gens attendent : de la violence qui conforte leur peur et leurs préjugés négatifs. Tout ceci s'enchaîne par ce que les médias répondent à des critères d'évaluation faussés, en décalage avec leurs responsabilités sociales. Seul compte l'Audimat. Le seul contrôle politique exercé sur les médias et celui de leurs actionnaires (Bouygues, Lagardère,) qui veille à ce que rien ne soit dit contre leurs intérêts et contre les relations privilégiées qu'ils entretiennent avec le pouvoir. On pense à Radio Mille collines, à la presse de Côte d'Ivoire

Une organisation technique et administrative prête à fonctionner au service de la violence Nous assistons actuellement à une série de modifications législatives et réglementaires qui rendent possible un tel basculement. L'administration ne bouge pas. Beaucoup de fonctionnaires d'autorité appliquent sans broncher des politiques qui détruisent l'État, détruisent les fondements de la solidarité nationale et de la République Quels sont ceux qui ont protesté ? Qui a démissionné ? Cette passivité est étonnante. Faut-il invoquer la formation à l'ENA, le poids des Grands Corps, les soucis de carrière, le pantouflage, le découragement ? Nous n'avons pas la réponse. Mais le fait est là que la plupart des grands commis de l'État courbent l'échine, et ne jouent pas leur rôle d'alerte et de garants des principes républicains. Je me souviens qu'en 1981 les hauts fonctionnaires de l'époque ont eu une autre attitude en résistant à certaines volontés de changement de la gauche de l'époque (parfois à juste titre). Pourtant le procès de Maurice Papon n'est pas loin. Au moment du Préfet Papon, on a beaucoup parlé du devoir de désobéissance quand l'inique est en marche. On lui a reproché d'appliquer

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des ordres inhumains sans se poser de questions. En quoi les fonctionnaires d'autorité d'aujourd'hui sont différents ? Au total, le risque de basculer dans la barbarie ne peut pas être ignoré. La plupart des conditions qui ont amené la violence aveugle et le déchaînement d'une paranoïa collective sont réunies dans notre pays. Et nous savons que c'est au départ qu'il faut désamorcer ce type d'évolution.

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5ème partie Que faire pour revenir vers une civilisation à finalitÊ humaine ?

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1 Quelle civilisation ? "Nous assistons à une vraie course de vitesse entre deux futurs pour notre pays. D’un côté les tenants d’un système qui aliène et mutile. Celui-ci perpétue l’isolement des pauvres et des « différents » dans des zones de relégation, provoque des désirs impossibles et souvent dérisoires avec sa publicité envahissante, organise une marchandisation généralisée et la promotion de valeurs de réussite individuelle, ignore les terribles enjeux auxquels notre planète doit faire face. De l’autre tous ceux qui souffrent de ces aliénations, de ces mutilations et qui les refusent sans toujours percevoir que c’est cette course effrénée à la consommation, à l’argent, à l’apparence, au chacun pour soi, qui condamne leur avenir et plus encore celui de leurs enfants. Si l’on sait ce qu’on refuse, il faut d'urgence transformer ce refus en construction d’un autre monde possible."52 Ce que nous avons d'analysé constitue la manifestation d'une crise de civilisation et non un simple accès de violence passager. Nous parlons dans le titre de crise de civilisation selon le sens que lui donne Edgar Morin dans son livre de 199753 "Le mythe du progrès, qui est au fondement de notre civilisation, qui voulait que, nécessairement, demain serait meilleur qu'aujourd'hui, et qui était commun au monde de l'Ouest et au monde de l'Est, puisque le communisme promettait un avenir radieux, s'est effondré en tant que mythe. Cela ne 52

Appel de RECIT à tous les éducateurs, enseignants, militants de l’éducation populaire... lancé le 17 novembre 2005 http://recit.net/article.php3? id_article=482&var_recherche=appel 53

Edgar Morin et Sami Naïr, Une politique de civilisation, Arlea, 1996

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signifie pas que tout progrès soit impossible, mais qu'il ne peut plus être considéré comme automatique et qu'il renferme des régressions de tous ordres. Il nous faut reconnaître aujourd'hui que la civilisation industrielle, technique et scientifique crée autant de problèmes qu'elle en résout." Cette situation est celle du monde dans la mesure où la civilisation occidentale s'est mondialisée ainsi que son idéal, qu'elle avait appelé le « développement ». Ce dernier a été conçu comme une machine dont la locomotive serait technique et économique et qui conduirait par elle-même les wagons, c'est-à-dire le développement social et humain. Or, nous nous rendons compte que le développement, envisagé uniquement sous un angle économique, n'interdit pas, au contraire, un sous-développement humain et moral. S'il y a une crise de civilisation, c'est parce que les problèmes fondamentaux sont considérés en général par la politique comme des problèmes individuels et privés. Cette dernière ne perçoit pas leur interdépendance avec les problèmes collectifs et généraux. La politique de civilisation vise à remettre l'homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être. Elle devrait reposer sur deux axes essentiels, valables pour la France, mais aussi pour l'Europe : humaniser les villes, ce qui nécessiterait d'énormes investissements, et lutter contre la désertification des campagnes"54. Jean Paul Schaff insiste sur la profondeur de la crise comme crise de la monotonie, de l’ennui, de l’égalité, crise du tout égal qui ne supporte plus la séparation et la réelle différence. "Plus rien n’est ouvert, tout pèse trop lourd et rien ne peut plus être dissimulé. Chacun se veut plus égal que l’autre et s’installe dans son autisme. L’ouverture même ne peut plus être nommée ni être ressentie, comme touchée dans les choses simples de la vie, dans les choses les plus simples (on parle de travail, d’argent qui manque, de violences et non plus du pain, du vin, des rivières et des orages de l’été, de la mort qui rôde autour des flocons qui tombent, des femmes ou des hommes comme énigme, de la mémoire, de l’enfance …Cette nonaffirmation du simple (dont la présence a été au principe de la philosophie comme remontée à l’être et plus tard comme dépassement de l’être par retour à la chair des choses) fait que les vies s’engluent dans la détermination et les barrières sociales"55 54

Interview d'Edgar Morin in Sciences humaines 1997 http://www.diplomatie.gouv.fr/label_france/FRANCE/IDEES/MORIN/morin.html 55

Jean Paul Schaff, Violences urbaines, crise de civilisation ou excès de mal être ?

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Ce chapitre ne prétend pas faire le tour d'une telle question. Cela reviendrait à élaborer un projet de société pour un autre Europe, d'autres institutions et un autre rapport au politique. Vaste programme ! Mais on n'avancera dans la construction d'une civilisation à finalité humaine que pas à pas. Comme beaucoup d'entre vous avez avancé des éléments de propositions, il est utile d'esquisser quelques pistes de réflexion, forcément incomplets, pour souligner que la solution ne peut pas seulement résider dans les actions globales ni les actions locales ou dans les transformations personnelles, mais dans la conjugaison des transformations que nous pourrons favoriser à ces différents niveaux.

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2 Restaurer l'état de droit Notre exigence incontournable est que les Droits de l'homme soient une égale réalité pour tous.

Revenir sur les lois et pratiques restreignant les libertés publiques Plusieurs lois restreignant les libertés publiques ont été votées depuis 2 ans. Il est essentiel d'en dégager le sens et d'en dénoncer le caractère totalitaire, afin d'engager les futurs responsables politiques à revenir sur ces dispositions. Nous en citerons trois :

Loi Perben La loi "portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité", dite également loi Perben II, prétend donner de nouveaux moyens à la police et au ministère public pour combattre les nouvelles mafias. Mais cette loi parachève les textes gouvernementaux en matière de sécurité. Elle marque en réalité un nouveau recul des libertés publiques et individuelles : elle accroît considérablement les pouvoirs de la police et compromet l’indispensable équilibre entre les droits de la défense et ceux de l’accusation, le juge voyant son rôle fondamental relégué au second plan, au profit du ministère public et de la police.

Réforme du droit de séjour des étrangers (projet de loi) Le 9 février, le ministre de l'Intérieur a présenté, dans le cadre d'un comité ministériel, un avant-projet de réforme du CESEDA - Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - (38 ème modification). Celui-ci modifie, pour la durcir encore, la loi du 26 novembre 2003. Les organisations dont le rôle consiste à accompagner les immigrés et leurs

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familles ont pu mesurer combien cette loi a rendu la vie impossible à des milliers de personnes n’ayant que le souhait de vivre dignement et s’intégrer dans notre pays. L’objectif maintes fois proclamé d’expulser le plus grand nombre d’étrangers s’est traduit par une sur utilisation des centres de rétention, au mépris de normes respectueuses de la dignité humaine. Les interpellations illégales, fondées sur la seule apparence des personnes, se sont multipliées. Dans ce nouveau projet de loi, le gouvernement parachève son entreprise de dénigrement des étrangers les désignant comme seuls responsables des principaux problèmes et maux de notre société. Sous l’habillage d’un texte annoncé comme relatif « à l'intégration », figurent des mesures de destruction des droits des étrangers et de ceux qui les entourent. Alors qu’il prône l’intégration des étrangers, le texte organise l’impossibilité de réunir les critères nécessaires pour en témoigner, s’auto justifiant a priori d’une politique de rejet. Le nouveau credo gouvernemental « en finir avec l'immigration subie pour promouvoir une politique d’immigration choisie », emploie des moyens sans concession : - empêcher les conjoints de Français, les parents d'enfants français ou encore les membres de famille prétendant au regroupement familial de faire valoir leur droit, déjà étroitement encadré, à mener une vie familiale normale ; - règlementer une immigration de travail, jetable et corvéable, en fonction des seuls besoins de main d'œuvre ; - hiérarchiser les différentes catégories d’immigrés. Le texte institue l’arbitraire de l’administration et des élus municipaux en règle de droit, en arguant de la capacité des préfectures à apprécier les demandes de titres de séjour. Il renvoie à une clandestinité perpétuelle ceux et celles qui, présents depuis de nombreuses années en France, ont malgré bien des difficultés construit leur vie parmi nous56.

Loi sur l'économie numérique La loi sur la "confiance dans l'économie numérique" (février 2004) a modifié le droit des messages et obligé les hébergeurs, sous couvert de lutte antiterroriste, à conserver les messages internet et à les fournir à la police à toute réquisition. Seuls les sites "libres" préviennent l'utilisateur de telles demandes. Mais il ne s'agit pas seulement d'économie numérique. Cette loi pose un problème considérable de libertés publiques car elle peut s'appliquer à tous les messages, y compris ceux des opposants à un régime autoritaire. 56

Source LDH communiqué du 9 février

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Cette loi conduit les hébergeurs à mettre en place des robots pour détecter sur les mails et les sites des mots (pourquoi pas demain éducation citoyenne) avec la possibilité d'effacer la page internet ou le mail sans préavis ni explication, mettre en place des rapports systématiques tenus à disposition de la justice et de la police. Il leur revient de prouver que l'hébergeur à fait son travail de filtrage et effacé "ce qui pourrait déclencher une procédure en justice".

Le contrôle des fichiers de la police L'application de la réglementation existante pose aussi question, comme le montre ce témoignage de Bernard Defrance : 17 septembre dernier, coup de téléphone, un de mes anciens élèves d’il y a cinq ans : « Vous connaissez pas un bon avocat ? — Euh… si, mais pourquoi ? Qu’est-ce qui t’arrives ? — Ben on m’a dit qu’il fallait que je fasse un recours… — Un recours ! et contre quoi ? » Il raconte : une société de bagagistes l’a embauché pour travailler sur la plateforme de Roissy. Il faut un agrément préfectoral. Refusé. Motif ? S’est rendu coupable en 1995 d’une « intrusion » dans un établissement scolaire : il avait quatorze ans, accompagnait un copain qui avait dans ce collège une démarche administrative à accomplir. Que s’est-il passé ? Embrouille quelconque sans doute, les policiers appelés les cueillent à la sortie, et — ceux-là connaissent leur métier — les relâchent moins d’une heure après. Mais ils sont fichés. Dix ans plus tard, Omar se voit refuser l’agrément pour travailler à Roissy… Il espère en un recours devant le tribunal administratif. Ce fait peut se reproduire demain pour raisons politiques, syndicales, administratives, bancaires, sanitaires, matrimoniales, etc…Que faire pour changer cet état de fait ? Comment peut on épurer ces fichiers ? Une société où tout est connu sur tous est une société invivable que nous devons refuser.

Prendre envers les bavures policières les mêmes décisions qu'envers les militaires On se souvient que le Général Poncet a été suspendu et mis en examen pour avoir couvert, en mai 2005, le meurtre d'un manifestant ivoirien. Le gouvernement a le pouvoir de prendre des mesures similaires envers les auteurs de bavures policières et les supérieurs les ayant couvert, voire commandé. Les événements attentatoires aux droits de l'Homme et à la paix sociale ne sont pas moins graves qu'en Côte d'Ivoire. Ils justifieraient les mêmes mesures disciplinaires que lorsque des intérêts diplomatiques sont en jeu. Cela traduirait la résolution du gouvernement d’être inattaquable en fait de justice et de légalité et nous conduirait à une autre situation dès lors que la justice serait la même pour tous.

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3 Apprendre à savoir vivre ensemble Cette crise sociale montre aussi la défaillance de la vie commune dans les villes. La question du « vivre ensemble » se trouve à nouveau posée. L'ordre ancien est détruit. On n'y reviendra pas. Il faut inventer une autre façon de vivre, de partager la parole, l’espace urbain, d’établir des règles communes de bon voisinage, de se rencontrer et débattre. La civilité moderne doit faire l’objet d’une action volontaire, d’une intervention publique. Cela conduit à refonder le pacte démocratique (« Un autre monde est possible ») sur trois axes57: - au niveau politique, par des lois, des règlements et une action publique qui favorise le lien entre les personnes et les groupes, - au niveau des territoires, par des dynamiques locales qui développent la participation et le partenariat : interaction individu-société, dans une optique de partage et de réciprocité. - par une reconnaissance de l'influence et de la valeur des personnes au sein de la communauté, de leur responsabilité et de leur interdépendance. La connaissance de soi-même est nécessaire à chacun pour reconnaître l'autre dans son intégrité et savoir ce que nous nous devons les uns les autres. Le premier niveau de reconstruction du lien social est dans la reconstruction de l'estime de soi, des relations familiales et des relations de proximité. Face à une telle agression vis à vis du vivre ensemble, les participants ont identifié deux principes d’action aujourd’hui nécessaires : - la nécessité de défendre les droits des personnes et l’existence des équipements publics éducatifs et sociaux,

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Extraits de la synthèse des premières Rencontres de Lille, février 2004.

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- la nécessité de démocratiser ces lieux et institutions pour donner envie de les défendre et de les faire vivre.

Refonder le pacte social, citoyen et éducatif, en partant du local, en redonnant du sens aux mots et aux valeurs Les actions sociales, même innovantes, se heurtent à des écueils. Tout un travail à contre courant est nécessaire pour reconvertir la population locale à l’idée que la vie en collectivité ne rime pas forcément avec le sentiment de se faire « avoir » ; faire comprendre que ce sentiment de concurrence de chacun avec tous, surtout dans les milieux les plus défavorisés, fait aussi partie du problème et renforce la solitude et l’inefficacité des réponses individuelles. Les valeurs énoncées qui sous tendent cette démarche n’ont rien d’extraordinaire. Elles pourraient s’énoncer ainsi : accueil de l’hétérogénéité, mixité des âges, des origines, des cultures. Nous avons la conviction qu'il est possible de refonder le pacte social, citoyen et éducatif, en partant du local, à condition de redonner du sens aux mots et aux valeurs revendiquées. Il est possible de convaincre les gens de reprendre la maîtrise de leur vie, de leur environnement, de leur quartier. Il faut faire ce travail localement, contre les orientations institutionnelles. De multiples expériences montrent qu'il est possible de se ré approprier collectivement et individuellement des lieux d’éducation, sociaux ou lieux de vie. Mais cet objectif est mis en danger par deux tendances lourdes des secteurs sociaux et éducatifs en France : - le durcissement des relations d’autorité des institutions vis à vis des publics en déficit de citoyenneté : familles pauvres, enfants, ados, personnes âgées, etc. - la marchandisation et l’individualisation de la relation d’aide qui aboutit à la fermeture ou au démantèlement des institutions les plus collectives et leur remplacement par des « prestataires de services » liés à une logique marchande qui tiennent chaque usager dans une relation individuelle et la solitude.

La laïcité, respect des différences et recherche des convergences Sur un même territoire, des personnes et des groupes cohabitent sans toujours se rencontrer. La société travaille activement à isoler chacun dans son individualisme ou sa communauté. L'isolement engendre la méfiance envers l'autre et ensuite la haine de l'autre Des expériences comme celle de la Villeneuve depuis 30 ans montrent qu'il est possible de se comprendre en

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faisant des choses ensemble, en travaillant faire une société locale à partir des expériences, des faits et des pratiques. Dans l'action commune on trouve les mots communs. Faisant cela, nous constatons que nous contribuons à construire la laïcité en revenant à ses origines : l'exigence de permettre à chacun d'être libre, responsable, capable de libre pensée, porteur de lien social et de solidarité. Mais le combat pour une telle laïcité ne se limite pas au camp religieux. Les conditionnements de la publicité, le formatage des individus par les médias, la réduction des raisons d'agir à l'intérêt individuel et à la violence et au sexe sont des atteintes largement aussi graves à la laïcité que les signes extérieurs de croyance. Cette laïcité ouverte à la pluralité nécessite un travail sur soi, une transformation personnelle, indispensable si on veut que la transformation sociale débouche sur des alternatives porteuses d'humanité, et non de nouvelles barbaries.

Communautés, intégration et laïcité L'intégration est une question centrale pour rapprocher les cultures dans les quartiers, pour lutter contre la coupure entre urbains et ruraux dans les territoires des plus ruraux. De façon générale, elle repose sur un double mouvement d'enracinement et d'ouverture. Selon l'adage, une intégration réussie "permet de nous enrichir de nos mutuelles différences". Une laïcité ouverte n'empêche pas l'existence de communautés. Celles-ci sont nécessaires pour que chacun connaisse ses origines et leur soit fidèle. Les travailleurs isolés, vivant chez des marchands de sommeil, souffrent d'un déficit de communauté plus que du communautarisme. Beaucoup d'institutions confondent intégration et assimilation. Elles se limitent aux techniques de l'alphabétisation sans en faire un outil d'éducation, alors que le contenu est très important 58 Or, si on ne tient pas compte de la pluralité d'appartenance et de culture, l'intégration est en panne. Cela conduit à une mort de l'esprit, individuelle et collective. Faute d'enracinement, beaucoup de jeunes ne connaissent plus ni leur langue, ni le français. Leurs parents ne les suivent pas, ils n'étudient pas, faute de liens avec leur « langue maternelle du sens ». A Mantes la Jolie, par exemple, une association de défense de la langue Poular transmet une culture et apprend aux jeunes la citoyenneté en jouant le jeu de l'intégration. Pour elle, celle-ci passe par un travail culturel, avec un projet .global. Globalement, au cas par cas, il faut diagnostiquer les 58

NDLR comme l'a bien montré Paolo Freire avec l'alphabétisation-conscientisation

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problèmes, en faire la synthèse globale et mettre en place un projet pour répondre à cette question. L'accès à la lecture est essentiel. Par exemple, depuis 20 ans, cette association a traduit de nombreux livres afin que les jeunes puissent élargir leur vision du monde. Cependant, toutes les communautés ne jouent pas le jeu. Beaucoup se referment et ne cultivent plus que l'identité. Ce phénomène n'est pas spécifique aux groupes d'origines étrangères. Sur Verneuil (78) une communauté catholique traditionaliste, Notre-Dame de Verneuil, avec beaucoup de femmes, refuse toute ouverture sur le différent et développe une démarche communautariste. Ces femmes ne travaillent pas, et disent que la commune n'a pas besoin de garderie, avec l'appui de la mairie. Dans tous les cas, ce qui est en cause, c'est la reconnaissance des différences, le partage entre tous, le désir de vivre ensemble. Les intégristes comme les fondamentalistes veulent une société à leur image, uniforme. Ils nient la liberté individuelle et la nécessité qui en découle de distinguer la sphère privée et de la sphère publique. Dans la situation de gravité où nous sommes, les responsables religieux, les philosophes et les diverses obédiences préoccupées du sens ne peuvent pas rester immobiles et se laver les mains des troubles actuels. Un dialogue est nécessaire pour parvenir, dans un esprit de tolérance et d'ouverture à un consensus des différentes familles de pensée (croyantes ou non) au nom de la dignité de la personne humaine. C'est possible puisqu'elles l'ont fait lors de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, au nom de la dignité de l'enfant59.

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Denise Droin

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4 Une politique de la Ville reformulée et renforcée Les événements devraient inciter le gouvernement à écouter les avis formulés par des instances telles que le Conseil National des Villes. Depuis 1988 ce Conseil est présidé par le Premier ministre, et par délégation par le ministre en charge de la Politique de la ville (M. Borloo et Mme Vautrin) rassemble des personnalités de terrain qualifiées sur les problèmes urbains : 25 élus des différentes familles politiques, 15 têtes de réseaux associatifs, et représentants de syndicats de salariés et du MEDEF, 15 professionnels ou militants associatifs locaux. Ce conseil a été vice-présidé depuis 2002 par deux élus : Madame Véronique Fayet, adjointe (UDF ) au maire de Bordeaux et M. Claude Dilain, maire (PS) de Clichy sous Bois. On ne peut donc accuser ce Conseil de partialité ou d'irresponsabilité. Les membres du CNV qui siègent à titre personnel, s’efforcent de jouer au mieux, sans langue de bois ni complaisance mais aussi sans esprit de provocation leur rôle de critique et proposition constructive, loin des appareils politiques ou autres mais proches des réalités de terrain. Selon leurs propres termes, ils été amenés, au cours des 3 dernières années à tirer plusieurs fois la sonnette d’alarme sur des questions qui apparaissent aujourd’hui, en lien évident avec les désordres de ces derniers mois. Mais ils ont eu le sentiment de parler dans le désert, ne réussissant pas, en plus de 3 ans, à rencontrer le Premier ministre actuel ni son prédécesseur et devant se contenter, le plus souvent, de vagues « accusés de réception » quand ils diffusent leurs avis aux ministres concernés. Dans sa déclaration du 14 mars 2003, le CNV avait rappelé que la prévention est toujours moins coûteuse que la réparation, et avait demandé

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que soit élaboré un « Plan d’urgence pour le développement social urbain » qui mette en cohérence et remettre à niveau tous les besoins liés à la prévention de la délinquance, à la lutte contre l’exclusion et au fonctionnement du dispositif de développement social dans les villes les plus pauvres.60 Cette proposition n'a rien perdu de son actualité. Un travail d'ensemble, associant tous les acteurs permettrait de dégager rapidement des solutions, tant les expériences sont nombreuses et démonstratives.

Une politique d'ensemble, pas une politique d'exception Le projet de vivre ensemble ne peut être que global, même si au niveau du programme d'actions il faut choisir des priorités. On ne pourra pas nous faire croire que "la politique de la ville" est le seul moyen de pallier la crise profonde que traversent nos banlieues, notre société. Le changement ne peut résulter que de la prise en compte de cet objectif par les politiques publiques de droit commun et non d'une politique additionnelle d'exception. 61 Quatre principes d'action peuvent être proposés : - demander à chacun un effort et pas seulement une consommation. (Relevons nos manches !) - co-construire le projet avec le plus grand nombre,.et pour cela créer, renforcer les lieux de débat. Les élus et les responsables associatifs doivent comprendre qu'on ne fait pas le bonheur des citoyens sans eux - coordonner les différents niveaux de compétences et les différentes échelles de territoires. - mener dans la continuité un travail à long terme, en prenant le temps qu'il faut, et pas seulement rythmé par les échéances électorales que les maux actuels trouveront un début de réponse

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Pour disposer du document complet http://www.ville.gouv.fr/pdf/cnv/refondation.pdf 61

l'essentiel de ce paragraphe vient d'André Duny, que nous avons complété

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5 L'éducation, levier essentiel L'ouverture, comme la liberté ou la soumission, s'apprend dès le plus jeune âge et tout au long de la vie. Nous avons besoin d'une attitude éducative qui conduise au vivre ensemble dans le respect des différences, la recherche des convergences et la défense de la dignité humaine. "Mettons la participation dans le biberon des nouveau-nés de nos quartiers, villages, communautés ici et ailleurs..."

L'éducation à la citoyenneté L'éducation à la citoyenneté est une arme essentielle pour lutter contre l'idéologie de la haine. Les exemples abondent au sein du réseau. Citons le travail d'Intolérage à Marseille, les conseils d'enfants à Gap, l'éducation à l'altérité de la CLIS de Montigny, l'université rurale du clunysois, les forums pour une citoyenneté active dans le Roussillon, le club du possible, les coopératives de HLM participatives, les liens établis à travers les coopérations décentralisées, etc… Toutes ces expériences concourent à désamorcer la spirale des violences aveugles, dans la mesure où elles renforcent la capacité d'accepter l'autre, développent une culture de la responsabilité partagée, élargissent l'horizon des citoyens au delà de ce que disent les médias, permettent une résolution partagée des questions de la vie quotidienne, font découvrir la richesse de la culture des autres, aident à s'accueillir dans la réciprocité, etc… Il serait important d'analyser en quoi les pratiques d'éducation citoyenne contribuent à lutter contre le risque de paranoïa collective.

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Mais une éducation émancipatrice Mais c'est une autre conception de l'éducation qu'il faut développer pour apprendre à coopérer, se découvrir autonome et citoyens, construire le rapport à la loi, dans le quartier, à l'école, apprendre le dialogue et l'esprit critique. Chacun a pour cela des besoins fondamentaux de confiance, de reconnaissance, d'utilité, de solidarité sur lesquels on peut s'appuyer. L’apprentissage de l’usage de la « citoyenneté » peut et doit commencer dès l’école, et ne concerne pas seulement l'éducation Populaire 62. Les classes coopératives vont dans ce sens, en permettant aux élèves d'élaborer ensemble les règlements intérieurs de la classe, d'enquêter sur les tribunaux, sur les entreprises, se confronter aux pratiques sociales de références. l'expérience montre que cela permet d'expérimenter et théoriser une citoyenneté législative avant même d'être majeur et même d'être un jour électeur, à condition que les règles s'appliquent à tous également : élèves et professeur63 Quelle éducation pour la construction du rapport à la loi, dans le quartier, à l'école. Où peut s'apprendre l'obéissance à la loi qui est la même pour tous ? Il est essentiel de créer des lieux où les jeunes peuvent apprendre à travailler aux règlements des immeubles, du quartier. Au Pas de Coté, nous proposons de faire un pas de côté vers davantage de coopération entre parents, enseignants, travailleurs sociaux, enfants et jeunes, pour construire des projets d'établissement coopératifs innovants, et nous sommes à la disposition de tout établissement pour les accompagner dans une dynamique de projet coopératif porteur de sens, basé sur l'écoute, le respect, l'équité, la responsabilité individuelle et collective. C'est en effet avec ceux et celles qui auront le courage, la détermination de sortir des sentiers battus, d'exercer leur citoyenneté sur leur lieu de travail (l'école, l'association, le centre social)..ou dans leur quartier, et d'aller à contre courant du modèle dominant compétitif, que nous pouvons espérer avancer, ensemble. On a jamais dit que c'était facile. Mais on est sûrs que ça vaut la peine64 Pour cela, une formation des éducateurs est nécessaire, pour qu'ils soient préparés à faire découvrir à tout enfant son identité humaine et lui permette de défendre sa propre dignité. L'expérience montre que la satisfaction de ces besoins humains éloigne la peur, la fuite, les angoisses, la violence, 62 63 64

Raymond Millot, Déclic Isère André Duny, CEN, Drôme Ardèche François Fagnot, Le Pas de Côté, Lille

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développe la conscience, et conduit à une attitude de respect indispensable à la vie personnelle et sociale de tout être humain. Le programme d'éducation à la non violence et à la paix à l'école permet d'aller dans ce sens. 65

Une éducation populaire facteur de transformation sociale D’autre part, l’éducation populaire traverse depuis plusieurs années une crise majeure et n’arrive plus à faire face à sa mission d’émancipation et de transformation sociale. Pourtant sur le terrain, et au sein de chaque organisation, des hommes et des femmes agissent pour trouver et tracer de vraies alternatives : il y a des centres de loisirs, des colos, des unités scoutes et des cinémathèques qui montrent qu’une autre éducation est possible, où l’on pratique la coopération, l’entraide, la valorisation de toutes les formes d’intelligence, l’accompagnement quotidien et exigeant du besoin d’apprendre des enfants. Où l’on prépare, dès la petite enfance, à l’exercice de la citoyenneté. Il y a des associations, des initiatives, des lieux éphémères ou durables, où les jeunes apprennent le respect, l’écoute, l’ouverture sur le monde, où ils peuvent agir par eux-mêmes, développer leur autonomie, ils deviennent exigeants avec eux-mêmes et avec les autres, confiants dans leurs capacités et dans la force de la coopération. Mais si rien n'est fait ces lieux vont devenir de plus en plus rares. Ils sont fragilisés souvent par des difficultés matérielles innombrables, des procédures administratives de plus en plus tatillonnes et inadaptées. Décriés. Ils vont à contre courant, mais ils portent le seul espoir de gagner la course de vitesse aujourd’hui engagée à l’échelle de notre pays. Les évènements de ces derniers mois montrent qu’il y a urgence à construire collectivement des alternatives porteuses d’éducation citoyenne en inventant des formes nouvelles. Il est nécessaire que tous ceux qui aujourd’hui sont interpellés par l’automutilation des jeunes des banlieues, se mobilisent pour affirmer leur attachement à un monde de coopération, de justice et de paix, et mettent en œuvre des propositions et des actions communes porteuses d’humanité pour nos enfants. Il faut pour cela créer une unité dans la diversité actuelle, c'est une éthique éducative qui remette à l'honneur des valeurs communes universelles et qui correspondent aux besoins profonds de l'être humain pour vivre debout. Ces valeurs sont reconnues par une grosse majorité et figurent au fronton de nos mairies et écoles.

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Denise Droin

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6 Agir par nous-mêmes Que pouvons nous faire par nous-mêmes ? Comment désamorcer ce qui se noue ? On peut proposer cinq pistes pour commencer à agir

Ne pas se désintéresser des échéances politiques Les événements récents montrent qu'il est très difficile d'agir face à un pouvoir politique qui porte la haine et détruit les solidarités. Nous ne pouvons pas raisonner en disant que tous se valent et nous désintéresser des échéances électorales. Nous devons être attentifs aux programmes, aux promesses et aux mensonges, aux menaces contenues dans chaque position. Chacun de nous porte une part de possibilité de changement. Comment l'exercer ? Nous pouvons être inventifs. Comment rendre présent le danger de la barbarie dans le champ politique ?

Ne plus rester passifs, ne rien laisser passer Notre passivité est une des 12 conditions du retour à la barbarie. Il devient essentiel de ne plus rien laisser passer dans la vie courante 66 comme dans les actions collectives.

Au plan politique Au plan politique, l'expression la plus claire vient de Noël Mamère (il est rare que je lui rende hommage) : "la gauche ne doit plus tolérer cet état d’urgence sociale et d’hypnose politique qui sape les fondements du vivreensemble. On banalise l’humiliation, la ségrégation et pratique une forme 66

Si votre boucher tient des propos racistes, il est aussi essentiel de le reprendre que s'il était en situation de décision. Si vous voyez une injustice à la Poste, intervenez.

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d’apartheid qui n’ose pas dire son nom. (…) S’opposer, c’est affirmer contre l’esprit du temps que la défense d’une société ouverte et multiculturelle est la seule voie possible pour une démocratie. Accepter le recul de nos libertés au nom de la sécurité est un renoncement coupable et une défaite de la pensée. La gauche ne doit plus tolérer cette régression française qui sape les fondements du vivre-ensemble".

Résister aux atteintes aux valeurs universalistes qui fondent la République Face aux abus, on voit un vent nouveau d'initiatives et de réactions. Ces actions ne sont pas sans effet, car elles font pression sur le pouvoir et entraînent à elles toutes l'opinion publique. Deux exemples : "Un comité anti délation a vu le jour cette année, suite à la sortie du rapport Bénisti, dans le cadre de ce comité, nous envisageons de débattre avec d'autres" 67 "170 professeurs déclarent solennellement qu'ils refusent de se faire les complices d’une conception de « l’ordre public » rigoureusement opposée non seulement aux valeurs universalistes qui fondent la République française, mais aussi aux bases mêmes de l’école laïque. Dans leurs classes, il n’y a pas de clandestins. Ils ont la responsabilité des élèves qui leur ont été confiés, la responsabilité de les instruire, de les aider à devenir des citoyens responsables. Ils n’acceptent pas que leurs élèves soient kidnappés et disparaissent "Nous en appelons à tous nos collègues, à nos organisations syndicales, aux parents d’élèves, pour que soit organisé un cordon de protection pour la défense des enfants et des adolescents qu’on veut priver d’école, pour qu’ils puissent faire leurs études et soient régularisés"68. Les forces dominantes nous font croire qu'il est inefficace de protester et de se battre. Face à la gravité de la situation, le mot d'ordre "çà suffit, basta" retrouve toute son actualité. Il suffit de regarder autour de nous pour voir que les protestations, les manifestations ne sont pas sans effet, même si la première réaction des médias, du gouvernement et des acteurs économiques est de les ignorer, les minimiser ou en présenter le caractère négatif. "Face au recul des droits et à la rupture du contrat social, nous devons parler et agir. Il est de notre devoir, par exemple, de dénoncer les pratiques

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Catherine Charlery, Agen

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170 enseignants s'adressent à l'opinion publique. http://www.ras.eu.org/aecle/appel/

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mafieuses qui sont au delà des discours répressifs et/ou apaisants la réalité de ce que vivent ces personnes au quotidien" 69

Décoloniser les esprits Nous sommes comme anesthésiés et sidérés par ce système économique qui s'impose à nous, comme si on ne pouvait pas le critiquer, et qui s'installe de plus en plus, dans nos modes de vie et dans nos têtes pour unifier les modes de pensée et d'être au monde. Le capitalisme tel qu'il nous est imposé en France, en Europe et dans le monde (via le modèle américain omniprésent), me semble être de la nature d'un état totalitaire qui, au nom de la seule liberté individuelle, associée a la recherche du profit maximum, ne peut exister qu'au détriment de la majorité des êtres vivants et au profit de quelques actionnaires immensément riches. Il nous entraîne en spirale vers un capitalisme mondial et sauvage. Le défi qui nous attend est celui de participer à "décoloniser les esprits" pour redonner espoir dans la possibilité de transformer la société. Pour cela, il faut s'assurer d'un langage commun, revoir les concepts fondateurs, redonner de la force aux mots. Il faut les déconstruire, non pour faire un travail de sape, mais bien pour redevenir lucides et pouvoir les reconstruire. Cela permettra de faire des propositions d'actions en phases avec ses valeurs redéfinies en fonction de l'évolution du monde et de la mondialisation 70

Changer nos attitudes personnelles Nos attitudes personnelles, interpersonnelles et collectives (au sein de nos activités) reproduisent à petite échelle ce qui se passe au niveau de l'ensemble de la société. Nous avons tendance à reproduire à ce niveau la montée des violences. Quel travail sur soi pour être armés face au climat général ? Les groupes d'entraide que nous envisageons peuvent ils y contribuer ?

... dans le temps long Face à une fausse vision de l'autonomie des individus, l'homme a besoin de reconnaître qu'il est membre d'une lignée (il a des ancêtres, des descendants), et qu'il aura un jour à accepter de quitter cette vie pour laisser la place aux générations futures, à l'humanité de demain, à l'espèce humaine

69 70

Danielle Delebarre tout ce paragraphe est de Danielle Delebarre

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en devenir. Une des dimensions de notre action, qui nous sépare du libéralisme, est de porter attention aux générations futures

...dans des réseaux et des groupes Chacun a également besoin de réseaux (de voisinage, de relations) et de dépendances multiples pour vivre pleinement sa vie dans sa dimension individuelle et collective. Ceux qui luttent pour un monde plus humain peuvent difficilement le faire seuls. Ils ont besoin de groupes où vivre ensemble la recherche d'un bien commun, de lieux qu'il peuvent considérer comme des lieux fraternels, préfigurant la société plus humaine à laquelle ils aspirent.

Repenser le rapport à l'autre et à la richesse La façon dont les sociétés comptent et représentent leur richesse constitue un choix de société. Le rendre lisible et explicite est une exigence démocratique. Et il est légitime de remettre régulièrement ces choix en débat, de les confronter aux valeurs sur lesquelles nous voulons faire société. Tenir compte de ce qui compte pour nous, donner toute sa place à la question écologique, sociale, humaine.... Il est plus que temps de nous atteler à ce chantier considérable du changement de représentation de la richesse et de la fonction que joue la monnaie dans notre société71 C'est aussi une question de répartition moins injuste des richesses crées. Il faut agir de toutes ses analyses, discours et propositions, mais aussi de tout son argent, de sa dépossession72. Il va nous falloir (acteurs et politiques) repenser le rapport à l'autre et à la société qui ne soit plus posé sur le rapport à l'économique et à l'emploi... développement durable (décroissance)... et donc réfléchir de nouveau à la redistribution économique et sociale quelle soit locale ou globale... , mais aussi au savoir qui ne doit plus être le levier vers la réussite économique (et donc sociale) mais celui de la connaissance et de l'épanouissement afin de pouvoir interagir avec son environnement et participer au mieux à un/des projet(s) collectif(s) (et non plus individuel)..., et surtout comment passer de ce monde à un autre ? Comment le faire différemment ?73

71

Collectif Richesses Pour plus de précisions voir le site http://www.caracoleando.org/ 72 73

..Jean Paul Schaff Bruno Gallaratti, IES, Essonne

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L'importance de l'écoute et des égards Pour pouvoir vivre ensemble, il est nécessaire de nous accepter les uns les autres avec nos faiblesses, et nous considérer tous comme inachevés par rapport à un idéal de perfection. Tout homme porte en lui la condition humaine, y compris dans ce qu'elle a de plus négatif. Nul n'est parfait, mais nous pouvons nous entraider à atteindre un niveau plus grand de liberté. Soulignons pour cela l'importance des égards réciproques (lutter contre la parole qui blesse et qui tue), de l'écoute, de la disponibilité au sein du groupe.

La fête Comme le montre la mémoire de toutes les expériences porteuses de citoyenneté la fête est le propre de l'homme libre (par opposition aux "petits hommes tristes de la finance"). Avec la fête, l'expression artistique est essentielle pour vivre ensemble. L'émotion donne la vie et rend fécond le travail de la raison. Cela vaut pour l'importance de la fête, mais aussi pour le travail quotidien. A noter que la première citoyenneté des jeunes est souvent culturelle.

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Conclusion provisoire Ce texte est volontairement inachevé, car il représente un été provisoire et partiel de la réflexion collective autour des événements du mois de novembre dernier. Il constitue une invitation à réfléchir et débattre, avec sérieux et objectivité, sans oublier les responsabilités des uns et des autres, sans oublier non plus que nous pouvons agir dès maintenant, sans attendre que les forces du Mal soient définitivement renversées. Des soirées débat seront organisées à paris et si possible dans des groupes locaux autour de ce texte, pour l'enrichir, le critiquer et le compléter. L'objectif est de donner aux citoyens des outils pour comprendre et pour agir, chacun depuis sa position, en mutualisant nos réflexions.

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Table des matières VIOLENCES URBAINES .......................................................................... 1 OU CRISE DE CIVILISATION ?.............................................................. 1 2ÈME ÉDITION..............................................................................................1 INTRODUCTION À LA 2E ÉDITION.................................................................3 VIOLENCES URBAINES OU CRISE DE CIVILISATION ?................5 1ÈRE PARTIE ............................................................................................7 LES FAITS, LE JEU DES ACTEURS....................................................... 7 1 LES FAITS................................................................................................ 9 À Clichy sous Bois........................................................................................ 9 La propagation des troubles ........................................................................ 10 Le bilan selon les RG.................................................................................. 10 Un bilan partiel, à considérer avec du recul ................................................ 11 Une date dans l'inconscient des cités........................................................... 12 Les réactions politiques .............................................................................. 12

2 LE JEU DES ACTEURS.............................................................................14 Sarkozy : une stratégie délibérée de l'affrontement .....................................14 Le suivisme du Premier Ministre, du Président de la République et des libéraux....................................................................................................... 15 La responsabilité des médias....................................................................... 16 Les jeunes des banlieues : victimes ou oppresseurs, manifestants ou casseurs ?................................................................................................................... 17

2ÈME PARTIE...........................................................................................19 LES POLITIQUES EN CAUSE................................................................19 1 L'ABANDON DES POLITIQUES DE RÉGULATION......................................20 2 LA TRANSFORMATION DES SERVICES PUBLICS......................................22 EN SERVICES MARCHANDS.........................................................................22 3 L'ABANDON DE MISSIONS INTÉGRATRICES DE L'ÉCOLE.........................23 Perte du sens et absence de moyens financiers........................................... 23 Plus d'éducation à l'autonomie à l'école ...................................................... 24 La démolition de l'accompagnement scolaire.............................................. 24 L’individualisme, vecteur commun des réformes en cours..........................25

4 L’ASPHYXIE DU MONDE ASSOCIATIF.....................................................26 5 PLUSIEURS ANNÉES DE POLITIQUE SÉCURITAIRE...................................28 Le sabotage des actions de prévention, l'abandon de la police de proximité 28 Une justice de plus en plus répressive......................................................... 29

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Le refoulé de la colonisation........................................................................ 30

6 L'ABANDON DE LA POLITIQUE DE LA VILLE..........................................31 20 ans de politique de la ville...................................................................... 31 Dès le départ une politique tronquée et dissociée........................................32 Mais un travail important sur le terrain........................................................ 33 malgré cela, un échec de l'intégration des nouvelles populations .................33 Depuis 4 ans la mise en procès et l'abandon de la politique de la ville ........34

7 LES RESPONSABILITÉS ..........................................................................37 DES COLLECTIVITÉS ET DES ASSOCIATIONS...............................................37 Les collectivités ont parfois ignoré leur périphérie. .....................................37 Un déficit de soutien aux initiatives............................................................. 38 Une vision angélique des banlieues............................................................. 39 La peur des conflits est mauvaise conseillère.............................................. 39

3ÈME PARTIE...........................................................................................41 UNE SOCIÉTÉ MALADE DE SES MUTATIONS................................41 1 UNE CONSÉQUENCE DES MUTATIONS ÉCONOMIQUES............................42 Le chômage et la précarité, première source ................................................ 42 Une conséquence de la libéralisation de l'économie ...................................43 Le désir et la frustration d'une consommation inaccessible ..........................44

2 LA SÉGRÉGATION,................................................................................. 46 CONSÉQUENCE DE L'ÉVOLUTION ...............................................................46 DES VILLES DANS LEUR ENSEMBLE............................................................46 Petit rappel historique.................................................................................. 46 L'absence d'un projet global pour les agglomérations..................................47

3 UNE VIOLENCE SUBIE ...........................................................................49 ET RENDUE DEPUIS DES ANNÉES................................................................49 Division et morcellement de tous contre tous.............................................. 49 les humiliations au quotidien ...................................................................... 50 La violence et la drogue.............................................................................. 50 Une violence autodestructrice...................................................................... 51 Mimétisme et résistance.............................................................................. 52 Pourtant il suffit de peu de choses pour changer le climat........................... 52

4 LA CRISE DU VIVRE ENSEMBLE.............................................................53 Dans la famille............................................................................................ 53 La distance culturelle entre les générations ................................................. 54 Les rapports sexistes au quotidien............................................................... 55 Dans les quartiers et les territoires : la rupture du lien social en progression .................................................................................................................... 55

5 SOUFFRANCES, SANTÉ, SANTÉ MENTALE...............................................56 Souffrance sociale....................................................................................... 56 Santé mentale.............................................................................................. 56 Les ravages de la drogue et de la narco économie .......................................57 L'impossibilité de se soigner........................................................................ 57

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4ÈME PARTIE...........................................................................................59 UN DANGER IMMÉDIAT DE RETOUR À LA BARBARIE..............59 1 REFUS DE L'AUTRE ET MONTÉE DE LA HAINE........................................60 Deux mondes s'ignorent.............................................................................. 60 Une théorie "génétique" des risques sociaux............................................... 60 Le refus de l'autre qui fait peur.................................................................... 61 Le danger des messages simplistes.............................................................. 61

2 LE RISQUE DE BARBARIE EN FRANCE AUJOURD'HUI.............................63 Des changements sociaux trop rapides, ...................................................... 64 La question nationale, le rêve du retour à un passé plus glorieux ou plus sécurisant..................................................................................................... 65 La désignation de groupes boucs émissaires................................................ 65 Une démocratie discréditée et un manque de confiance dans les institutions .................................................................................................................... 66 Des personnes actives et militantes dans la haine, des spectateurs prêts à laisser faire.................................................................................................. 66 Des événements traumatisants, des médias démagogiques qui attisent les tensions....................................................................................................... 67 Une organisation technique et administrative prête à fonctionner au service de la violence............................................................................................... 67

5ÈME PARTIE ........................................................................................69 QUE FAIRE POUR REVENIR.................................................................69 VERS UNE CIVILISATION À FINALITÉ HUMAINE ?....................69 1 QUELLE CIVILISATION ?........................................................................ 70 2 RESTAURER L'ÉTAT DE DROIT............................................................... 73 Revenir sur les lois et pratiques restreignant les libertés publiques....73 Loi Perben................................................................................................... 73 Réforme du droit de séjour des étrangers (projet de loi)..............................73 Loi sur l'économie numérique..................................................................... 74 Le contrôle des fichiers de la police............................................................ 75 Prendre envers les bavures policières les mêmes décisions qu'envers les militaires...................................................................................................... 75

3 APPRENDRE À SAVOIR VIVRE ENSEMBLE.............................................. 76 Refonder le pacte social, citoyen et éducatif, en partant du local, en redonnant du sens aux mots et aux valeurs ................................................. 77 La laïcité, respect des différences et recherche des convergences ................77 Communautés, intégration et laïcité............................................................ 78

4 UNE POLITIQUE DE LA VILLE REFORMULÉE ET RENFORCÉE.................80 Une politique d'ensemble, pas une politique d'exception............................. 81

5 L'ÉDUCATION, LEVIER ESSENTIEL..........................................................82 L'éducation à la citoyenneté........................................................................ 82

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Mais une éducation émancipatrice............................................................... 83 Une éducation populaire facteur de transformation sociale......................... 84

6 AGIR PAR NOUS-MÊMES........................................................................ 85 Ne pas se désintéresser des échéances politiques................................85 Ne plus rester passifs, ne rien laisser passer........................................85 Au plan politique......................................................................................... 85 Résister aux atteintes aux valeurs universalistes qui fondent la République 86

Décoloniser les esprits .........................................................................87 Changer nos attitudes personnelles......................................................87 ... dans le temps long................................................................................... 87 ...dans des réseaux et des groupes................................................................ 88 Repenser le rapport à l'autre et à la richesse................................................ 88 L'importance de l'écoute et des égards......................................................... 89 La fête......................................................................................................... 89

CONCLUSION PROVISOIRE..........................................................................91

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Il y a 6 ans, après les événements de Clichy-sous-Bois, RECIT avait organisé un débat pour discuter de la signification et de la portée de ces événements. Nous avions alors pressenti que loin d'être un fait isolé, cette affaire était révélatrice d'une crise de civilisation, d'un risque important de pertes des libertés et d’un retour du totalitarisme. Six ans après, nous constatons que ce diagnostic se confirme au-delà de nos craintes. La crise globale financière, économique, social et démocratique ne cesse de s'aggraver et nous pressentons tous qu'elle peut déboucher sur des cataclysmes : le refus de l'autre, engendré par la peur et par l'absence de solutions apparentes, n'a jamais été aussi grand. Il nous a donc paru important de rendre à nouveau disponible cette réflexion en publiant une 2e édition. Nous espérons que celle-ci pourra inciter chacun comme il avait été proposé il y a 6 ans de ne rien laisser passer, d'agir là où nous le pouvons mais aussi de ne pas négliger les échéances politiques et de décoloniser les esprits par l'éducation. Nous pouvons agir, l'avenir dépend aussi de nous. RECIT (réseau des écoles de citoyens) est un réseau d’acteurs et de lieux porteurs d’éducation citoyenne, crée en octobre 2002, qui se propose de mettre en lien dans tous les domaines (école, éducation populaire, action sociale, environnement, territoires, échanges internationaux, consommation, action citoyenne,..), tous ceux qui donnent aux citoyens les moyens d’être acteurs de leur propre vie et citoyens d’un monde solidaire. 2ème édition, 1er février 2012 Pour plus d'information on peut consulter le site www.recit.net RECIT (réseau d’écoles de citoyens) recit@recit.net 15 avenue Robert Fleury 78 220 VIROFLAY (France)

Prix 6 euros 96


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