Autumn 17, saison 1 - Anne Malaprade & Thodoris Pistiolas

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Autumn 17, saison 1 Anne Malaprade Thodoris Pistiolas



Autumn 17, saison 1 Texte

Anne Malaprade

P h oto g r a p h i e s ,

encres

&

musique

Thodoris Pistiolas



Tu peux y aller, tu peux te jeter, le vide t’ouvre son corps. La fête de la musique accompagne son départ, les cartons, les meubles, les livres qui creusent le mur, oblique tel soleil. Avec une enfant nous glissons dans la ville. Des Indiens d’Inde, des Indiens d’Amérique dansent sur la rue parcourue de clématites. Nous essayons les appareils qui poussent sur les trottoirs, nous nous dévêtons, les mères creusent le corps des jeunes filles, les filles sustentent le corps des hommes mûrs. Depuis des années la musique à heure fixe, dans l’espace urbainpublic, stupéfie les chardonnerets.


Tout est une histoire de fruits, comme la lumière arrondit les prunes qui deviendront des astres-seins.




Tu sens que ton corps doit se vider, un peu : lait, urine, eau, sperme, sang. C’est l’occasion d’un manque. Tu soutiens les mots latins, ils ont fait office de serrure au coffre-fort. Le contenu de la boîte est surfaciste, peut-être fasciste. L’Autre prépare une grande valise dans laquelle il découpera les albums d’une vie dans la vie. Le mot famille flotte et déface le présent, les sacs en toile sont lourds, liquidation en cours.


L’enfant prononce elle aussi le désir du vide. Elle n’est pas malheureuse. Or elle n’a pas assez de doigts pour compter ses chambres ; au fur et à mesure qu’une pièce se vide à l’Est, une autre prend l’étoffe des songes nordiques, se charge d’inventaires. L’horizontalité des enfants, couchés, exécute les parents. Paris rétrécit ses distances de sécurité. Tout l’été j’ai aimé l’amour enfui, tout l’été imaginé l’alcool d’un médicament en un seul verre de vin.




Ton indécence vide l’espace que remplit le temps. Ce départ anonyme creuse le temps, comble du vide. Tu enfiles les formules sur les corps, et ne réagis plus lorsque les visages contestent. Tes larmes sont des produits intellectuels, croisent mes outils transparents. On remonte le cours du fleuve, on se détourne de l’amour. Notre histoire, le Congo, le maître et l’esclave, la sadique, le masochiste, et ce rêve qui s’enroule sur une dentelle noire. Je meurtris les fantômes, envie la phrase de celui qui surfe la langue.


Tu consommes le mystère, tu délivres le réalisme. Est-ce les sentiments qui remontent par tissus froissés ? Tu charges tes fusils, armes une jeune fille, enclenches la relation, c’est parti, c’est obscène, sa


bouche cœur et corrige, sa bouche suce rouge, elle s’affiche en cartes postales virtuelles, « moi et moi », « me et je », « my, mein, moi mon minou », « mes diplômes mes voyages ».



Ici je ferai en sorte que les noms soient des verbes, qu’indéfiniment tu me lèches, que les enfants soient tentés-attirés par une destinée contre-monotype.


Tu manges et tu aimes les mains dans l’encre. Un amour entre masse et tulle. Le nom du vol est celui du viol. Quelques noms propres cachent l’identité injuriée. Tu prononces comme tu gifles, et l’électricité finit tes phrases. Quelque chose s’effondre, il n’y aura plus, devant la gare, ce couple dont les quatre mains rédigeaient des pensées d’amour estival.




Tu apprends la nudité, tu gerces le double je du tu, tu n’oses plus ce que l’affection doit à l’habitude. Tu surprends qu’un sexe peut ne pas se dresser, tu recherches un suspens, des courbes qui feraient bras, le contour d’un amour dessiné sur origine.



Les auteurs


Anne Malaprade est née à Paris en 1972. Elle a consacré sa thèse à Bernard Noël et enseigne en classes préparatoires. Elle est l'auteur de monographies sur Catherine Pozzi et Bernard Noël. Elle a publié trois recueils poétiques : Lettres au corps (Isabelle Sauvage, 2014), Notre corps qui êtes en mots (Isabelle Sauvage, 2016), L'Hypothèse Tanger (CIPM, 2017). Elle est membre du comité de rédaction du Cahier critique de poésie et publie régulièrement des notes critiques sur le site Poezibao.


Thodoris Pistiolas est un plasticien et musicien grec. Il fait de la photographie sous-marine, dessine, et participe à des performances en tant que violoncelliste. Il a collaboré avec des dramaturges, des chorégraphes et des cinéastes. Il prépare actuellement un master en arts numériques à Paris VIII. Sites internet Photographie : pistiolasthodoris.blogspot.fr Dessin : thodorispistiolas.blogspot.fr Musique : SoundCloud

Extrait en écoute : Intro - Easter island


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Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).

Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti

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© Décembre 2017 — Texte d'Anne Malaprade Encres, photographies et musique de Thodoris Pistiolas La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« Quelque chose s’effondre, il n’y aura plus, devant la gare, ce couple dont les quatre mains rédigeaient des pensées d’amour estival.. » Tex te d'An n e Mal aprade Ph otog raph ie s , e n c re s & m u s iq ue de Th odoris Pis tiola s


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