Jos
Roy
CĂŠcile
A. Holdban
Le chant de l'ĂŠcorce
Le chant de l'écorce P oèmes
Jos
Roy
D essins
Cécile
A. Holdban
(1)
chaque arbre habité dans chaque arbre un mythe écrit à l'envers son empreinte on bascule pour la voir mieux on bascule on la vole on en fait l’empreinte de l’empreinte l’empreinte se disloque dans la pièce derrière l’œil elle se disloque & happe sa nouvelle lumière sa nouvelle lumière s’écarte elle ne désire pas être happée happée non contrainte non aimée
étreins-moi murmure-t-elle afin que je connaisse l’arbre & l’écorce & le chant de l’oiseau après la pluie pétrifié que le lichen arpente mes faces dans les noces du mouvant & de l’immobile derrière l’œil au creux de la paume elle commence à parler & n’arrête plus
(2)
l’oracle lèvres boudeuses – palais d’enfant tout juste sorti de l’arche humide & boisé se prophétise : oracle je serai jusqu’aux temps des tambours étranges qui tendent leurs peaux d’autres langues nos verbes portent aux yeux : tous nous deviendrons aveugles & muets moi patiemment je mourrai dans ma cage enfoui sous la fonte des cendres & des mots seulement sensible au vent & aux mémoires & l’oracle dit vrai
(3)
entre bouches&sexes s’arrimant par la bénédiction du bois la métamorphose accouche du signe & du fécond les becs d’écorce s’effritent leurs fragments s’organisent dans l’air imbibé d’une brume impudique qui noie le temps commun des Hommes
l’habitude braie encore un peu à la lisière soubresaute tourne sur elle-même puis va ailleurs chercher son dû – ici temps des essors des formes qui donnent naissance aux formes – en gestes en mots – s’exhument du pôle aimanté de l’ombre
(4) ici on commence parce qu’il faut bien commencer quelque part que la moelle frissonne & que parfois l’hiver se rompt quand les dieux remplissent les froids de leur bruissement. ici sur la marque esquissée où joies & gouffres se précipitent ici . pourquoi pas l’origine d’ici. un buisson d’êtres & de nuages s’amasse signe de grande tempête ou signe de rien
(5) l’autre nuit le ciel était pur c’est-à-dire qu’en haut il n’y avait qu’une classique collecte d’étoiles mais au loin à portée de regards & d’affaissement vers l’horizon où se trament les fureurs le plan se gonflait d’éclairs – combat muet – tout frémit – des vies nouvelles s’arrachent à l'austère cooptation des viscères – le bois craque. arbor genitrix.
(6) les fentes sont des mères où bouillonnent sans se délier douleur & désir surgissent des taureaux suivis de guerriers dardés-unis à leurs lances souples des femmes entourées de choses sans nom indésirées braillant pluie ou cascade de grêle qui suspendues aux ombres des frênaies s’éveillent & parlent soudain – la maison-de-bois prend figure humaine l’Homme se façonne dans cette chair nouvelle ses racines s’imprègnent de l’abîme sauvage & ne se perdent pas –
on parle – sur l’arbre sur l’écorce –
dans tous ces mots se trouve un radical arb ou urb, exprimant ce qui pousse, ce qui est fécond du latin corticem, écorce, avec la prosthèse de l’s ou es déterminée par excorticare, écorcher
on écrit. on construit ses gouffres.
on greffe sa question au-delà de la gorge. simple&complexe de la même sève des deux infinis naissent les frénésies de dire & de chanter taillis d’horreur ou de jouissance ainsi nous existons ainsi toujours tremblants nous agitons au-dessus de nos têtes rameaux & ciel
(7) sous le bosquet à l’endroit où le chêne bruisse éclate le vieil écho des voix sacrées le chemin tout près s’éclaircit ébranle sa poussière sous la voûte fantasque des vents & des rumeurs très cher ancien Dodone où l’arbre murmurait à l'esprit des hommes après avoir été instruit par la langue inconnue de la double Colombe mâché par d’autres dieux remâché par la savante histoire. crachée dans la bouche ignorante. vivifiée. méliades dryades hamadryades hyléores esprits déesses nymphes toutes bavardes toutes pleines des Hommes & de leurs questions
Dieux & bonne fortune Antiochos demande à Zeus & à Dioné lequel des dieux ou des héros il doit honorer afin d’y trouver profit & avantage pour sa santé & pour celle de son père & de sa sœur gravées dans le plomb – les réponses s’échappent par jets de feuillages & de grâce qui fécondent ceux-ou-celles-des-terres dont le souffle à la forme de l’âge que forcément chaque âge oublie
(8)
l’écorce poursuit sa crue silencieuse. bois protecteur par le nimbe du Secourable garde hors du cercle chasseurs & néfastes. on priera. dehors on sacrifiera des mèches ou des fleurs. on baisera ta lisière & les cerfs poursuivis y trouveront repos. parfois à l’orée de certains on suspend des ombres qui neuf mois durant ont grossi & dont neuf mois durant on a souhaité l’inexistence vœu accomplissement ex-voto dans le même objet de chair
ne pas naître ici ne plus mourir ici dans l’étrangeté des lieux fonder une question qui à l’automne détachera ses bras des chairs pour toute de courbes & d’arcs porter plus loin les fils de la Vierge . les temps se sont perdus. il n’y a plus de guerre. il n’y a plus de paix. les êtres secs à cœur tombent parfois sans raison écorchés de sanglots & renaissent de leurs manches humides
(9)
– il a plu – la forêt se gonfle d’océans minuscules chaque tronc est une étrave qui déploie les secrets de la course fend la masse fluide des frères & place la conquête quelque part où tout déjà fut sillonné sur chaque tronc parsemé d’or un galon d’ailes & de parole : la toison suspendue
(10)
nous– ceints de matière morte exilés vers des lieux de commerce sans fin nous– plaignants ossifiés saturés d’évangiles nous– contre l’autre – toujours banni nous– facteurs de toutes espèces de sortilèges débordés éternels nous– goûtons autant que chacun les métamorphoses prodigieuses
(11) après leur crime les Ménades par le deux-fois-né furent punies des femmes traversèrent le cercle sans nom pour être saisies & si étroitement embrassées par le bois que bois elles devinrent que de bois fut leur masque que dans la hampe d’écorce s’accrut toute leur rage saisies à jamais mais racines&robes flottant dans l’entre-mondes où les cris sont méchante substance de craquements où les flancs ligneux sont fécondés d’ombre où des larmes brillent parfois sur l’excroissance difforme d’un cal
guerre – trêve – temps d’oubli son charme souple martèle cendres & éphémères oiseaux parfums sucs délicieux(12) des saisons victoires & défaites à première vue partout du bois mort un ciel grouillant de bestioles épinglées de bleu qui jouissent inépuisablement de leur vide pourtant sur les écorces des nymphes légères recueillent les exsudats riches & sucrés la nature déploie le geste & le souffle elle façonne son autre prière glyphe insaisissable jouant dans l’espace mort des surfaces le vent s’est chargé de chœur – il inonde les résolus & les chancelants
(13)
minces lames qui révèlent l’obstination de la matière – noyaux cellules tissus moelle bois de cœur contre le temps & les faiseurs gras de pouvoir de petites feuilles s’arrogent le droit de croître aux endroits impensables – sur la fourche pubienne d’un chêne dans l’îlot de mousse voguant au gré de la houle fauve d’un automne près du frisson d’une jeune poitrine de bois blanc bouleau gravé d’un cœur où par aucun âge par aucun pouvoir le signe ne fut confisqué
(14)
l’idéal planté comme une verge sur l’esquisse d’un ciel & tous à crachoter leur honnête arrogance à pourfendre ceux qui de leur idéal ne comprennent rien ceux des forêts celles des libres clairières les ventres qui s’échappent pour suivre l’or d’une feuille qui prie sur le dos d’une sente affranchie de foi
(15)
après une inspiration profonde on plonge dans ce qui n’est qu’un souvenir une surface amorphe. le plongeon surprend & caresse. un éclair à l’envers étourdit. nous voici sur la feuille les poumons remplis de pastel ou de fusain nous voici à l’endroit où les mots traînent – silhouettes alourdies d’un bosquet de baies noires. on ne sait pas ce qu’elles guérissent ni ce qu’elles empoisonnent d’elles on ne sait rien – sinon que parfois des oiseaux inconnus investissent leurs formes – deux ailes une rencontre la brise d’un battement
contre les lèvres froides. l’hiver autrefois disparu retrouve les chairs le cycle ensemence le cycle on se redresse brusquement avalant d’un coup l’océan d’air qu’il nous manquait le vol des goélands Argos & sa proue clairvoyante qui nous conte & nous compose l’architecture sauvage d’un prochain amour
(16)
au point zéro du cycle le noir le blanc les nuances obscures exsudent des couleurs étouffées – du bruit partout des consonances tempétueuses hémorragies de roux barrages déchirants des tendres verts également sur le diamètre – point indéterminé – une vague neigeuse de désespoir les filaments cendrés d’une tête vieillie : tellement de fibres & de cernes
qu’Iris censure ses nuances toutes projetées sous la hache empoisonnée du temps un à un les mots creusent leurs vacuoles corps après corps les mondes en elles disparaissent se dépouillent de désir rien que du vide turgescent rien que la couleur qui hante nos rêves & nos mémoires
| Les auteurs |
Jos Roy vit dans le sud-ouest de la France. Elle écrit depuis une quinzaine d‘années des textes qui ont été publiés sous formes de recueils (le dernier : "Orpailleuse", édition du Baz’Art poétique, 2020) et qui ont alimenté blogs et revues. Elle est responsable d’un périodique pyrénéen, poétique et plurilingue : Touroumbouroum, propose des lectures, et anime des ateliers d’écriture. Son site : josroy.com
Cécile A. Holdban est née en Allemage à Stuttgart. Hongroise d’origine, elle vit à Paris. Poète, peintre, traductrice (du hongrois et de l’anglais), elle est coéditrice de la revue Ce qui reste. Elle aime relier poésie et peinture en réalisant des livres d’artistes avec différents poètes et plasticiens. Ses peintures, objets et livres peints prennent souvent forme à partir d'éléments naturels du vivant, papier, bois, pierre, matières végétales, organiques. Ses dernières publications en poésie : – Poèmes d’après suivi de La Route de sel (Arfuyen, Prix Yvan Goll, Prix Calliope du Cénacle européen), – L’Été (Al Manar), – Toucher terre (Arfuyen), – Pierres et berceaux, (Potentille)
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Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéaste, etc). Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1
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© Janvier 2021 — Le chant de l'écorce – Poèmes de Jos Roy Dessins Cécile A. Holdban La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363
« dans chaque arbre un mythe écrit à l'envers » Le chant de l'écorce Jos Roy & Cécile A. Holdban