Aksinia Mihaylova Irina Vasileva
Deux fois plus vite (et autres poèmes)
Ce
qui
reste
Aksinia Mihaylova Irina Vasileva
Deux fois plus vite (et autres poèmes)
Ce
qui
reste
Deux fois plus vite Quand tes valises arrivent avec le vol suivant ou avec deux jours de retard tu es si vulnérable sous les parasols de la terrasse de cette ville inconnue avec ton rouge à lèvres orange et ta brosse à dents dans le sac à main. Et tandis que tu me montres des photos où la lumière émane de tes sourires et je suis absent de ta liberté un coup de vent subit renverse les parasols répandant tout le sel de la mer dans nos yeux.
Mais qu’importe personne ici ne parle ta langue même moi je ne comprends pas ce que tu dis. Je ne saisis que le goût des mots oranges et saturés plus faciles en quelque sorte à avaler.
Des saisons de la liberté Tes pensées traînent, rasant le dessous de la terre comme le vol des hirondelles avant l’orage. À la fin du mois d’août elles couleront vers le Sud et tu entreras de nouveau dans l’automne avec une tête pareille à un nid vide. C’est un temps où les plumes bigarrées de la liberté et ses barbelés qui germent n’ont aucune importance. Le bleu du ciel est promis aux autres.
Cigales Par milliers dans l’herbe sèche et le thym avant midi à la fin août. L’air vibre de leur chant les nuages roulent leurs ombres sur la crête de la montagne alors qu’en bas les faucheurs serrent leurs faux et n'ont pas le courage de faire un pas pour ne pas trancher la gorge de la chanson. S’il se met à pleuvoir dans la vallée sur les toits en tuiles se déversera leur chanson verte.
Alouette Elle ne s’approche pas ne s’éloigne pas dans la vibration de l’air chaud. Mes yeux la tiennent au-dessus du champ de coquelicots et je n’ose pas bouger par crainte de remuer l’air avec une pensée frivole. Ainsi je me sens utile au paysage.
Développement des photos Tu ne peux prendre en photo que le reflet d’un nid dans la mare clarifiée, car depuis longtemps il n’y a plus ni oiseau ni arbres dans tes rêves. Tu peux voir seulement les ombres emmêlées des peupliers dans la rivière avant que le courant les arrache de leurs racines. Je marche depuis des mois parmi les nuages. Là, les noms des choses et des hommes perdent leurs sens et c'est pourquoi je me tais.
Le souvenir grossit comme le ventre d’une femme et je ne sais même pas ce qui se cache dans ses entrailles un fauve ou une graine de fleur et je me tais.
Tes paroles On dirait qu’elles sont les mêmes qu’au début mais elles bruissent au vent telles des cosses de haricots à la fin du mois d’août et elles ne parlent plus ni à l’esprit, ni au cœur. Je retiendrai quelques graines sous la langue puis je les enfouirai dans le pot du balcon et pendant que j’écouterai les pousses parler avec la terre j’apprendrai à épeler le monde à travers un sens tout autre.
Les auteures
Aksinia Mihaylova poète et traductrice, est née le 13 avril 1963 au NordOuest de la Bulgarie. Elle fait ses études secondaires au Lycée de langue française et ses études supérieures à l’Université de Sofia “Saint Clément d’Ohrid”, faculté des Philologies slaves. En 1990, elle prend part à la fondation de la première revue littéraire privée Ah, Maria, où elle travaille comme rédacteur. Auteur de six livres de poésie en bulgare : –– Les Herbes du Sommeil, 1994, –– Lune dans un Wagon Vide, 2004, –– Trois Saisons, 2005, –– La Partie la plus basse du Ciel, 2008, –– Déboutonner le corps, 2011 : nomination pour le meilleur livre de poésie en 2011, Prix national de poésie Hristo Fotev, 2012 et Prix national de littérature Miloch Ziapkov, 2012, –– Changement des miroirs, 2015, Prix national Ivan Nikolov pour le meilleur livre de poésie en 2015, –– Ciel à perdre, en français, Gallimard, 2014, Le Prix Apollinaire 2014 Ainsi que trois livres de poèmes choisis publiés en slovaque Domptage, LIC, Bratislava (2007), en arabe En attendant le vent, Caire, (2013) et en italien Nel delta del mondo, Kolibris, 2016.
Ses poèmes sont publiés en France, Belgique, Canada, Les Etats-Unis, Italie, Espagne, Moldavie, Roumanie, Slovaquie, Serbie, Croatie, Macédoine, Slovénie, Lituanie, Lettonie, Turquie, Grèce, Egypte, Chine, Australie et Japon. Elle a traduit plus de trente livres en poésie et en prose. Parmi les auteurs traduits : Georges Bataille, Pierre Bourgeade, Vénus Khoury-Ghata, Liliane Wouters, Guy Goffette, Sylvie Germain, Anise Koltz, Linda Maria Baros, Rose-Marie François, Jean-Claude Villain, Lambert Schlechter, Anne Wiazemsky, Alexis Jenni et d'autres. Elle a sélectionné et traduit deux grandes anthologies : –– Anthologie de la Poésie Lettonne (2008) –– Anthologie de la Poésie Lithuanienne (2007). Membre de PEN-club bulgare, L'Union des traducteurs en Bulgarie et l’Association des écrivains bulgares. Habite et travaille à Sofia, Bulgarie.
Irina Vasileva formée à l’Ecole Nationale Supérieure des BeauxArts à Sofia, est une artiste bulgare qui s’intéresse à une approche multidisciplinaire de création combinant scénographie, dessin, illustration, peinture, la modélisation tridimensionnelle et l’animation. En tant que scénographe elle a travaillé pour plusieurs spectacles en créant les décors et les costumes. Elle a créé les marionnettes, les costumes et la scénographie pour 3 spectacles des marionnettes, a collaboré avec plusieurs théâtres à Sofia et dans le pays et a participé dans différents festivals théâtrales. Dans le domaine des beaux-arts elle a pris part dans dizaine d’expositions à Sofia, Choumen, Dobritch, Stara Zagora. Les deux dernières années elle a illustré deux livres pour enfants de l’auteure Zdravka Kamenova : –– Bob - la petite boite en métal avec le grand rêve dedans –– La chaussette qui a changé le monde. Avec les artistes Mariana Petkova et Plamen Petkov elle a participé au projet Peinture-Poésie, lequel a abouti en 2016 à cinq livres d’artistes et une exposition dont les tableaux ont été inspirés par la poésie d'Aksinia Mihaylova. Avec le développement des technologies elle déplace ses habiletés artistiques dans l’espace virtuel. Elle s’aventure et expérimente
avec la modélisation des images et des formes tridimensionnelles avec les programmes Zbrush, 3D STUDIO MAX et d’autres. Irina Vasileva vit et travaille à Sofia. –– www.behance.net/IrinaVasileva –– www.facebook.com/IrinaVasilevaArt –– www.saatchiart.com/aniri
La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.
© Mars 2017 — Poèmes d'Aksinia Mihaylova Peintures d'Irina Vasileva La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363
« Je retiendrai quelques graines sous la langue puis je les enfouirai dans le pot du balcon et pendant que j’écouterai les pousses parler avec la terre j’apprendrai à épeler le monde à travers un sens tout autre. » Aksinia Mihaylova Peintures d'Irina Vasileva
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