Il y a un soir, il y a un matin - Christine Guinard & Aurore Claverie

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Il y a un soir, il y a un matin Christine Guinard Aurore Claverie



Il y a un soir, il y a un matin Poème de Christine Guinard Photographies d'Aurore Claverie


Il y a un jour, il y a une nuit Il y a un soir, il y a un matin J’attends



J’attends depuis toujours que la force revienne celle qui a toujours été, souvent déjà perdue j’attends le mouvement qui ébranle le sol, les parois et le toit, j’attends le sel de déroute avant même le chemin, j’attends que mort s’ensuive,


j’attends en silence, je cache le corps, le mot, le sens, j’émulsionne l’apparence et repliée sur le siège les pieds sous les genoux, nez en l’air depuis toujours, j’ai vu aussitôt, j’entends, les odeurs me transportent, et j’attends



j’attends de chanter le chaos en moi, qui s’ordonne chaque fois, timbré, vecteur puissant, mais pour qui, et vers où, alors j’attends.


J’attends d’être grande pour décider de mon sort, prendre la route des quatre matins, hors saison, cheminer au gré du sable et puis cesser d'attendre, marcher, décider de gauche et de droite et finalement, de retour sur ma chaise, les pieds sous les genoux, de n’avoir rien trouvé plus à gauche, plus à droite, que d’échapper le temps, je me tiens à mon poste et toujours, comme avant, j’attends.




Je minaude un peu, depuis mon siège, je sais la vanité des visages et des poses, la coquetterie qui trompe l’heure et l’espace qu’on n’emplit pas je minaude un peu, je chantonne et j’écris des mots du temps, des mots de la beauté plus vaste, du vivant stupéfié enfin en la forme idéale, enfin en la ronde sculptée et tenue de nos jours, je tiens le fil des mots de misère qui nous brûlent, nous sourient, je tiens le fil et saisie de mon sort, les pieds sous les genoux, j’attends.



J’attends que cesse enfin la tromperie, l’apparat sans teneur, je ne tiens rien du tout, depuis la chaise, il faut que se présente à moi le fil du temps, je croyais tenir, et je tiendrai encore — depuis mon antre, vaille que vaille je ne bougerai plus, j’attends

que m’apparaisse le train des choses, comme accolées, les choses de notre monde qui gigotent, qui marmottent et crachotent, le train de leur venue et de leur échappée, aller, retour, leur combat de feuilles et de branches et aussi la file des voitures parties pour l’autre bout, au grand cercle du royaume et, bien au centre, en appui sur ma chaise, j’attends.



J’attends d’oser placer sur les brûlures, au grand acide, les mots du vent, d’avoir cherché, au large d’être, l’amour à mort, fusion des ventres, des viscères, nous vivions ni avec ni sans ; sans partage, l’amour d’antan, recouvrir l’abandon, l’esseulement au monde, recouvrir de limon.


J’attends d’avoir couvé sous le poumon l’enfant, j’attends de le connaître, de l’étreindre, je l’ai toujours su là, lui non plus ne croit pas ne pas avoir été avant, il a nourri mes veines, il emporte le suc d’avant de le connaître depuis le premier jour de notre nuit des temps, j’ai demandé au ciel de l’aimer, avant de le connaître, je l’attendais déjà, et toujours maintenant, j’attends.




Les auteurs


Christine Guinard est enseignante et poète entre Bruxelles et Paris. Elle publie ses poèmes dans de nombreuses revues littéraires et travaille parfois en résonance avec l'image. – Si je pars comme un feu, Arbre à paroles, 2016. – En Surface, Eléments de langage, 2017. – Des Corps transitoires, Mémoire vivante, 2017. Mnemosyne(s), installation vidéo en triptyque, sera exposée en octobre 2017 ("Ce qui reste", Bruxelles/Paris)


Aurore Claverie Poète, réalisatrice et photographe, Aurore vit et travaille dans le monde. Les rencontres avec les gens et les différences sont au cœur de sa réflexion. Textes – sur la nuit béante, 2016, Littérature Mineure – le jour s'est tordu la cheville, 2016, Littérature Mineure (avec les œuvres de Cécile Hug) Photographies – blanc arachnide, 2016, Littérature Mineure Deux photos de ce livret ont été précédemment publiées dans Blanc arachnide, Edition Littérature Mineure, 2016


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Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres.

Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1


La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).



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© Septembre 2017 — Poème de Christine Guinard Photographies d'Aurore Claverie La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« J’attends d’avoir couvé sous le poumon l’enfant, j’attends de le connaître, de l’étreindre, je l’ai toujours su là, lui non plus ne croit pas ne pas avoir été avant, il a nourri mes veines... » Poème de Christine Guinard Photographies d'Aurore Claverie


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