La Fleur noir et blanche — Robert Marteau & Benoît de Roux

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La fleur noire et blanche Robert Marteau BenoĂŽt de Roux



La fleur noire et blanche (poèmes choisis) Poèmes

Robert Marteau Peintures

Benoît de Roux


La fleur noire et blanche

Écoute le coq Parmi les étoiles C’est lui qui a vu La fleur noire et blanche Qu’Ulysse a cueillie Là où la prairie Et le ciel se joignent Dénouant la nuit S’ouvrant au soleil 


Coq tôt levé tu Chantes clames cries Sonnes la venue D’un autre aujourd’hui Tu as vu Vénus S’évanouir au Sommet du bouleau La nuit de ses voiles S’évaporer tu Triomphes têtu Ayant de la terre Extrait le soleil. 


Vert est le vent Dans l’olivier Qu’il ensorcelle Avant de fuir À la cigale Aux cordes, il Veut s’accorder Et à la flûte À bec dont il Vient éveiller Chez le berger L’âme et le souffle 



Sur le rocher Nu tu t’apaises Attentif au Seul froissement Que vient produire La libellule Si lasse elle a À se poser


Là où tu mets La main en quête D’un scarabée Ou du serpent De verre quand Pas un murmure Ne te signale À la fontaine 


Sous la neige les pensées Sur le vent elles frémissent Au soleil de février Incrusté dans la paroi Bleue où on entend les oies Qui craquent en suivant l’eau Où des planches peintes noient Les couleurs que la lumière Avive. Sur la barrière De la berge les pigeons Comme s’ils méditaient comme Si la métaphysique les Fixait là en leurs pensées Mouettes goélands signent Déplacent contre les canards


À cris et à plumes leurs Bruyantes chorégraphies Une loutre va au fil Du fleuve vers l’amont file Son seul museau hors du fleuve Ainsi reste-t-il quand même Quelque chose du début De la création, nous Survivrons à l’atrophie De l’âme et de la main. Même Si l’hirondelle ne fait Plus le printemps nous avons Des remèdes des loisirs Inéluctablement bêtes. 


Bruit de pas sur les brindilles Sèches : quel est l’animal Qui foule ainsi le bois Chu ? Les chiens baulent pas loin Qui chassent certainement La bête. Un cochon mauvais Croit-on armé de crochets Ah ! n’approchez pas plus près Nous avons nos fusils prêts En attendant écoutez Le rouge-gorge chanter Dans l'arbre le geai casser


Net la ligne mélodique Regardez : l’épine noire S’est couverte de fleurs blanches La lune se lèvera Pleine au-dessus des fleurs. Et nous la verrons courir Là-haut entre les nuages Plus aucun rêve ne vaut Sa musique : la diva Élève en vain la voix : elle Ne s’envolera pas plus Haut malgré la clef de sol


Qui lie au soleil les sons Ô monts armés je vous vois Vêtus de cristal. Intègres Vous jugez, incorruptibles, Aptes à l’expansion Du plain-chant dans les hauteurs. La poussière du chemin Ne reste pas attachée À tes sandales, pilgrim Tu as lu Saint-Augustin Et la Consolation De celui qui gît au Ciel. 



Cardamines qui dansez sous le vent À proximité du troupeau de vaches Vous avez le teint rose de l’aurore En constellations vous décorez La pente où la violette vient près Du pissenlit. Le soleil là s’attarde Pour essuyer les gouttes que la nuit Avant de disparaître y a laissées On y entend les variations Du rouge-gorge qui chante perché Sur une branche presque reverdie Le coucou ne veut pas s’évanouir


Aussi se rappelle-t-il à l’ouïe Par la répétition insolite De ses deux coups plus ou moins bien sonnés Libre à vous d’écouter ou non les bruits Ou encore d’accorder les couleurs Comme on dit : À chacun son mauvais goût Et son endurcissement dans l’erreur L’innocent paye mais l’autre s’échappe L’un témoigne et c’est l’autre qui s’enfuit Aussi bénissons le jour donné Et la couleur du temps ressuscitée Dans les fleurs et dans les arbres qui feuillent



Chante en haut sous les nuages Dispersés, dans les trous bleus, la corneille Noire. Lierre houx luisent sur la terre Où la lumière et l’ombre en un réseau S’entretissent dont on voit chaque maille Bouger : tantôt se clore ou bien s’ouvrir Temps de printemps : la douleur adoucie L’espérance invaincue au fond au comble Ainsi n’imiter que l’inimitable Rouvrir le livre et refaire ses comptes. 


Le vent ne compte pas ses pas Sans violence il va ailleurs Où pourtant il est déjà Il n’a ni lieu ni temps ni heure Les soupirs ne sont pas de ceux Dont vous direz : À la bonne heure



On croit qu’il confie aux feuillages Ce que lui ont livré les cieux Erreur erreur que les plus sages Toujours ont voulu éviter Quoique bien des âmes éprises L’ont dit par l’esprit invité À se produire et délivrer La parole prisonnière Où l’écorce presse l’aubier. 


Pic noir mis en couleurs. Qui frappe ? – C’est moi qui cogne. – Je n’aime pas ça qu’on s’agite Dans mon dos. – C’est moi le pic Noir. N’ayez pas peur. Ça fait Des siècles, quasiment une Éternité que je tape Ainsi à la porte sans Jamais obtenir la moindre Réponse. Je ne perds pas Courage, ça me permet De me nourrir je l’avoue De mon bec fort extrayant La vermine d’en-dessous


Un régal. Du vif. Du très Naturel jamais atteint Par aucune maladie Comme vous savez je chante Seulement pour annoncer Orage tempête et pluie J’aime l’humide, me plaît Ce qui est obscur et gris Je n’ai pas été victime De la peste que partout Répandent nos ennemis Les hommes (je mets à part Parmi eux l’ornithologue Rythmicien. Là-dessus Je ferme la parenthèse). 



En couleurs dans nos yeux fragiles le monde apparaît illusoire ou vrai nous ne savons pas ce qu’il en est Les goûts les couleurs entretiennent notre illusion illuminent l’esprit mettent l’âme dans la main Les plumes du soleil vêtent mal les humains et la lune brille d’une lumière d’emprunt



Nuages et nues cachent au ciel l’essentiel sans que le bleu obnubilé échappe à la nuit L’angoisse au gosier la corneille chante ce que tait le geai. 



Eupatoire et angélique Sont venues dans le fossé Avec la carotte blanche Constellations ouvertes Là tout contre le ciel bleu.  Sous la voûte verte où tu pries Tu entends le son d’une cloche Le vol d’une mouche qui passe Sur le chêne c’est un pic qui cogne


Par saccades de son bec fort C’est une corneille qui craille Parmi les échancrures bleues Puis se tait. Soupir du feuillage Éparpillement d’oiseaux Sonores. Flaques de lumière Que le mouvement du soleil Imperceptiblement déplace Tout est au grand jour. Les étoiles La Lune Jupiter joyaux De la nuit, pour d’autres yeux brillent 



L’autre Lune La lune est en haut et elle glisse Parce que le ciel en pente est lisse Et qu’il descend pour bientôt toucher Les arbres l’herbe et le pré de chez Rey qui n’est roi que de sa prairie Où il a ses bêtes et où il prie Le bon Dieu de lui donner profit Santé adoubement et confit Donc la lune va endommagée Sur un bord mais jamais plus âgée Aujourd’hui qu’hier plus haut plus bas Se frayant son chemin sans fracas Bien qu’on la répute assez puissante Pour accroître la mer et la plante.


Belle lune du matin voilà Nous te voyons comme un voile là Où nous ne t’attendions pas pendue Sans corde sans poids jamais vendue Échappée à la mainmise autant Qu’au marché noir, pluie et beau temps Toutefois néanmoins tenant compte Des dites redites que tout conte Bien fait de travers nous a transmis Pour le plus grand bien de tous admis. 


Joyaux rouges à l’églantier là où vient s’abriter le merle quand il veut éviter le vent entendre écouter à l’abri son bruit dans le bois et dans l’herbe et comment il parcourt les plis l’un après l’autre du terrain C’est cela la géographie en couleurs pour les écoliers que sollicitent les buissons


les incunables armoiries chevaux à crinière flottante émaux de Limoges, champs levés cloisonnés comme un ciel se cloisonne dans une haie qu’habitent les feuilles les baies que l’automne y a accrochées C’est le monde mémorial tel que la main et l’âme l’ont marqué, prière végétale pour l’homme et pour les animaux. 



Au-dessus de l’eau le ballet des mouettes toutes plus belles que les nuages et le ciel qu’elles revoient en-dessous d’elles miroir qu’elles parcourent, où elles se tiennent suspendues sur leurs plumes plus assurées que jamais le fut le soleil sur ses rayons et sur la braise. De leur vol sans lapsus malard


et cormoran traversent l’air survolent les vagues que fait le fleuve en se déroulant vers la mer pour qu’il s’y noie amer destin d’une source innocente où crut naguère le cresson. C’est le merle emplumé de noir qui vient clore le paysage : de son poinçon il cloue en haut le chant, plus haut encore jette le jeu joyeux qu’il improvise.



Les auteurs


Robert Marteau Nous sommes quelques-uns à le savoir : Robert Marteau (1925-2011) aura été le poète le plus inouï de notre littérature. Il pouvait écrire jusqu’à plusieurs sonnets par jour, en marchant dans la ville ou dans la campagne, à l’écoute de tout ce qui se manifestait, aux aguets. Il les considérait comme l’équivalent d’un journal. Il n’en marquait pas les strophes et disait d’eux qu’ils étaient « des proses pliées en forme d’alexandrins. » Ils ont tous été publiés (et le seront aussi pour les inédits) aux éditions Champ Vallon : Liturgie (1992), Louange (1996), Registre (1999), Rites et offrandes (2002), Le temps ordinaire (2009), Écritures (2012), La venue (2017). Son premier recueil, Royaumes, paraît aux éditions du Seuil en 1962 ; il sera repris (suivi de Travaux sur la terre et de Sibylles) dans la collection Orphée / La Différence en 1997 avec une présentation de Jean-François Rollin. Mais Robert Marteau n’était pas seulement ce poète inouï, il était aussi un merveilleux prosateur : Venise en miroir (éditions Calligrammes, 1987), Sur le motif (Champ Vallon, 1986) ; son dernier roman sur son enfance poitevine, Dans


l’herbe, a été publié par Champ Vallon en 2006. Signalons encore les deux merveilleux tomes du Journal concernant son séjour au Canada entre 1972 et 1984 : Mont-Royal (Gallimard, 1981), Fleuve sans fin – journal du Saint-Laurent (Gallimard, 1986 ; La table ronde, 1994). Robert Marteau écrivait aussi sur la peinture : Huit peintres (La table ronde, 1994), Le message de Paul Cézanne (Champ Vallon, 1997), Le Louvre entrouvert (Champ Vallon, 1997). Il était l’ami de nombreux peintres avec lesquels il pouvait réaliser des livres d’artistes. Il était aussi traducteur : Luis de Góngora, Gerard Manley Hopkins, Geoffrey Chaucer, Miodrag Pavlovic, Peter Nim… Un colloque sur son œuvre s’est tenu à Pau en octobre 2013 sous la direction de Sandrine Bédouret-Larraburu et de Jean-Yves Casanova, dont les actes ont été publiés en 2015 par les éditions La Licorne / Presses Universitaires de Rennes. Dans un ouvrage collectif publié chez Champ Vallon en 1996, Jacques Réda disait ceci du sonnet de Robert Marteau : « On dirait même une sorte de moule, où certaine quantité, certaine durée de langage vient prendre, non en se refroidissant : pour y atteindre, au contraire, son


degré de fusion le plus haut et s’y maintenir. » (Pour saluer Robert Marteau). Dans ses carnets, lors de ses marches (ou promenades), Robert Marteau écrivait aussi des poèmes (plus rares) qui lui venaient sous une autre forme que celle des sonnets. Ce sont quelques-uns de ces poèmes qui sont ici publiés avec l’aimable autorisation des ayants droit, que nous remercions bien vivement. Certains lecteurs se souviendront peut-être en avoir déjà lus dans Fragments de la France (Champ Vallon, 1990). Dans Fleuve sans fin, Robert Marteau écrivait :

« Ne rien tenter qui soit dans l’intention d’écrire. Laisser que la parole cogne contre la coquille, se déprenne des glus, s’ébouriffe, et ma foi joue sa chance. »


Benoît de Roux est né à Paris en 1963. Il vit et travaille à Marseille. Jusqu'à présent seuls quelques rares amis (parmi lesquels le peintre Jacques Bibonne) avaient pu voir ces huiles sur toile. C'est donc la première fois qu'il accepte de montrer plus largement ses peintures et nous l'en remercions bien vivement ! La peinture est un jeu entre un saisissement visuel et un raisonnement qui m'apporte parfois de la joie et du réconfort, nous a-t-il confié. Les présentations sous forme de postface sont de

Jacques Lèbre


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Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).

Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti

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…nous suivre…

© Janvier 2018 — Poèmes de Robert Marteau Nous remercions les ayants droit de Robert Marteau, et plus particulièrement sa fille, Madame Françoise Marteau-Chevenne, pour leur très aimable autorisation à publier ces poèmes, ainsi que Jacques Lèbre sans qui ce livret n'aurait pas vu le jour. Peintures de Benoît de Roux La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


Nuages et nues cachent au ciel l’essentiel sans que le bleu obnubilé échappe à la nuit

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L’angoisse au gosier la corneille chante ce que tait le geai. » Robe rt Marte au Pe intu re s de Be n oît de Rou x


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