La poussière n’a pas de pourquoi - Isabelle Alentour & Alissa Thor

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Isabelle Alentour Alissa Thor

La poussière n’a pas de pourquoi

Ce

qui

reste



La poussière n’a pas de pourquoi (extraits d'un ensemble inédit)

Isabelle Alentour Alissa Thor

Ce

qui

reste



Être de tes jours de tes heures hors l’instant rassembler tes mystères quand ils tombent en poussière si pâle dans le désarroi la poussière n’a pas de pourquoi



Soir d’avant la pluie larmes ne viennent pas ne sont jamais venues tu étudies ton visage dans la baie vitrée savoir où est le secret mais rien de particulier juste la toile fine de ta peau tendue sur la lumière de ton visage chevelure et prunelles aussi noires que la nuit



Une bouche ta bouche une lèvre, deux lèvres, murées dans ta main l’objet dont tu te privais dans l’autre les mots que tu tais tout ce qui s’étiole tout ce qui intraitable et tout ce qui échappe : l’oreille qu’on veut atteindre le regard qu’on voudrait retenir celle qui tournait le dos et s’en allait l’autre qui penchait la tête et disait non, rien



Nulle errance ne peut se poursuivre indéfiniment sinon en tombant à la verticale ainsi tu tombes, le long d’une paroi impassible au pied de laquelle parvenue tu regardes tomber chacun de tes os. Rien, apparemment rien, aucune loi physique ne t’y oblige et pourtant tu tombes, tu tombes pour tomber, tu tombes sur toi-même comme pour mieux t’assurer de ta force intime. Tu ne refuses pas la fin, tu la prolonges.



Tu parles et je n’entends rien. Pourtant tu es là et tu t’adresses. Voix d’enfant dans un manteau de femme. Ton monocorde et regard lointain. Tu rapportes. Tu consignes. Ses chutes. Elle chutait dans la rue, elle chutait dans l’escalier, elle chutait dans sa salle de bain. Chute. Chut. Tu parles et je n’entends rien. Le vide de tes mots à l’aplomb de tes lèvres, chute. Et mon oreille avec. Tu avais deux ans et tu t’enfouissais dans le paysage de sa robe. Mêlée à la poussière fine, de plus en plus fine. Tu parles et je n’entends rien.



Le mot entre dans la tête interrompt la pensée retourne les rêves et l’amnésie absout la haine creuse les couleurs des champs fleuris et ravine tandis qu’au centre de ton crâne les mains crispées s’ouvrent au ciel laissant échapper ton premier appel



Tu restes seule entre tes bras, blottie dans un repli du temps et je t’écoute deux, près de toi, presque toi qui balbuties et je t’entends, arc-boutée dans la pesée de chaque mot, convoquée par cette appel qui nous oblige, par ce vide qui nous commande de tisser pour parvenir à dire : je, singulier féminin, je au passé qui cloche, je au présent qui avance à petits mots et se redresse, saigne encore un peu, légèrement, cicatrise, doucement.



Tu prenais si peu de place tu laisses si peu de traces une tige fragile dans la périphérie du cœur tu es si belle et tu ne le sais pas une fleur arrachée par ta beauté tu voiles ce qu’il faut taire le réel où le sexe se noue à la mort tu es belle et tu ne le sais pas je n’ai plus la force de te regarder



Rester à la lisière est aussi vaste que la vie que la mort qu'elle borde et que je sais sans la connaître. Jamais je ne saurais ce que tu as traversé mais viens vivre, je te donne mes bras aussi vastes aussi chauds aussi vifs que le monde et que l’amour. Derrière ton visage un visage et encore un visage je leur ouvre mes bras viens y couler ta voix viens y bercer ton pas repose ta douleur tout ton corps déployé entre deux battements je te donne mes bras et l'amour en aimant.



Table des illustrations En couverture et p.4 Droit de regard, Alissa Thor, 2014, huile sur toile, 50x46 Page 6 Lost, Alissa Thor, 2016, huile sur toile, 18x24 Page 8 Non, Alissa Thor, 2015, huile sur toile, 20x20 Page 10 La chute, Alissa Thor, 2012, technique mixte, 110x75, détail Page 12 Le sourd, Alissa Thor, 2015, huile sur toile, 20x20 Page 14 Un mot de trop, Alissa Thor, 2015, huile sur toile, 20x20 Page 16 L’appui, 2015, Alissa Thor, huile sur toile, 130x97, détail Page 18 Voiles, 2016, Alissa Thor, huile sur toile, 18x24 Page 20 & quatrième de couverture La petite foule, Alissa Thor, 2014, huile sur carton entoilé, 40x20



Les auteurs


Isabelle Alentour Née en 1962 à Marseille où elle vit et travaille. A longtemps œuvré dans le monde la recherche, en biologie puis en sciences humaines et sociales. En 2012, se détourne des formes de savoirs institués pour se consacrer pleinement à une pratique clinique. L’écriture poétique lui vient dans la foulée, nourrie par sa pratique quotidienne de l’écoute et son attention à la singularité de la parole et des jeux de langage. L’étonnement reste un de ses moteurs principaux. Participe activement aux travaux poétiques du Scriptorium à Marseille. Publiée en revues numériques ou papier comme Terre à Ciel, Ce qui Reste, Recours au poème, Dissonances, Phoenix,Thauma, Les Archers. Participation à des ouvrages collectifs : – Dehors, recueil sans abri Éditions Janus (2016), – Anthologie poétique de Terres de Femmes (2014), – Depuis quand n’avez-vous pas vu une telle lumière, Éditions Couleurs Cactus (2014), – Variété Éditions du Bord du Lot, (2013). Deux recueils à paraître : – La fossette, Éditions La porte (janvier 2017). –Je t’écris fenêtres ouvertes, Éditions La boucherie littéraire, juin 2017. Pour la suivre : www.facebook.com/isabelle.alentour.7


Alissa Thor Née à Paris en 1974. Autodidacte. Vit à Paris et travaille à Rouen. Études de Lettres et de Philosophie. Documentaliste à l'Éducation Nationale pendant 12 ans. Depuis 2011, se consacre exclusivement à la peinture et à l’écriture (poésie). « Longtemps "intello" et prenant plaisir à manier les abstractions, j'ai eu le besoin radical de rompre et de me confronter directement à la matière : prendre la vie, par l'autre bout si l'on veut. Dès lors, la peinture, et plus particulièrement l'huile, a été le terrain d'expérimentation idéal : agir et agir instinctivement... trouver son souffle, son rythme, son corps. Là où en poésie il s'agit de peaufiner, ici il faut "s'arrêter" à temps : suppression ou ajout, rendre papable en rajoutant ou non... une couche. L'expressionnisme est naturellement le mouvement qui me "parle " le plus.... » Expose régulièrement depuis 2012. Récemment : – Jusqu'au 23 avril 2017 : Archeology & me, Museo Nazionale Romano di Palazzo Massimo, Rome. Exposition collective. – Salon d'Automne International, Sfax (Tunisie) du 1er au 31 décembre 2016.– 2-26 novembre 2016 : L'autoportrait comme fiction, exposition collective. Galerie Art Course (Strasbourg). – 8-11 décembre 2016 : Luxembourg Art Fair, Luxembourg. Site : www.alissathor.com



La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.

© Mars 2017 — Poèmes d'Isabelle Alentour Peintures d'Alissa Thor La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« Être de tes jours de tes heures hors l’instant rassembler tes mystères quand ils tombent en poussière si pâle dans le désarroi la poussière n’a pas de pourquoi » Isabelle Alentour Peintures d'Alissa Thor

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