Lionel-Edouard Martin & Bénédicte Dussère – Orphée chante

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Lionel-Edouard Martin Bénédicte Dussère

O rphée

chante



O rphée

chante

Poème

Lionel-Edouard Martin A c c o m pa g n e m e n t

plastique

Bénédicte Dussère



1 … Croit-on qu’on peut, se faufilant par quelque trou de taupe sans solfatare ou même soufre d’allumette parvenir aux Enfers avec la branche en paume d’olivier – qui vaut mieux que les autres essences contre diables et fées, korrigans –, et par même chemin reconduire Eurydice ou sortant de quelque calice de tulipe, – ô naissance, une fleur peut donc être matrice ? – à la lumière, la tirant de la ténèbre, de l’humus et des morts ?...


2 … N’ayant pas, remontant, désiré de la voir, n’ignorant pas qu’alors sa chair s’en retournerait songe, ombre, et j’éprouvais contre mes lombes les progrès de sa métamorphose, si fortement que je sentais contre mes lombes battre son sang – retour battant du sang – parmi son ventre, de rythme encore maladroit, scandant mal – son sang – la nouée de la chair au rêve, et malhabile encore à faire avec le souffle un chant, coulant mal encore ses pas dans mes pas : mais mes nerfs éprouvaient les progrès de sa métamorphose…



3 … Ô quelques centimètres d’un grand vide entre deux corps peuvent-ils résonner d’une présence double, d’un amour qui se touche – et pas –, n’a d’yeux que pour devant : mais je ne peux te voir, ma tête est close et ne veut voir que la lumière au bout de la montée, pour terme : ta vie non plus fragmentaire mais complète, un corps vivant, ni mort ni pour moitié, mais vivant du grand tout de la vie porcelaine et qu’on touche à peine de ses doigts, de sa paume en caresse – et je te vois, sortie du trou, telle nouveau-né déployant ta plèvre, ton respir rythme d’un coup la mer proche où roucoule la voile double des catamarans…


4 … Or sa chair recroissait contre mes lombes, son pas reprenait chair, sa jambe s’augmentait de mollets, dans ses os la moelle supplantait le vide, musique toujours plus aiguë, perçante, jusqu’ aux ultrasons que perçurent les chiens, dont tremblèrent les grottes, les cavernes – puis fut silence, à peine un froissement de robe et l’éboulis d’un sable à son passage, et la fourmi plus que tout autre insecte jetant son anathème à notre encontre…



5 … Le soleil, au bout, rond, bout du chemin, c’est la lumière ronde et blanche au débouché, ronde invite à la danse, et danser – pas de deux – mais au sortir, jumeaux, du ventre de la mort, associant les fleurs, les arbres et les bêtes, et le roc qu’on suppose insensible, et l’erreur de l’éboulis revenant au corps pur du calcaire, et vertical, qui caracole cheval flexible, et danse au beau milieu de la clairière…


6 … Pas la résurrection : je suis allé porter l’éveil à sa dormance ossue parmi les morts, car les morts dorment sans chair, sans peau, revenus au calcaire, à la coque, au test, à l’oursin primordial sous la terre, charbon blanc, houille d’hommes, de femmes – la flamme ne les mord pas : mais suce leurs muscles et moelles jusqu’à dessiccation – l’éveil est la salive crachée sur la boue sèche, et l’eau des lèvres qui fredonnent humecte assez les pauvres membres pour remembrer les formes vides, rendre aux os la douceur lisse de la peau, le souffle organise la chair en grand orgue vivant…


7 … Je l’ai tirée de son sommeil et du silence, fécondant d’un baiser de baptême l’argile de ses lèvres dépourvues, spectre, de lèvres : et tout revint lentement, fit repousse, l’os s’enrichit d’une peau fine reconnue – elle était nue, je reconnus sa peau contre mes lèvres, un goût de peau qui n’est que d’elle, et vibre – on dirait fifre – au moindre souffle, appeau convoquant aussitôt toute chair migratrice, tout revint lentement puis plus vite en retour printanier…


8 … Au grand jour, elle frotte ses yeux, le soleil l’éblouit, je lui donne du khôl, elle pleure ses images de nuit : franchissement de l’Achéron, mythes, Divine Comédie, toute une architecture de ruines lugubres dans un parc ; je la nourris de lait, de cervelle d’agneau, de tout ce qui est blanc, virginal, lui montre des photos de banquise et la vêts de tulle et de dentelle, lui chante pastourelles, rotrouenges, à l’occasion quelque ange y mêle la syrinx…



9 … Ce qu’elle aime de fleur, c’est le coquelicot, « car, dit-elle, un coq chante à l’intérieur, éveille les poules et le blé, je n’ai vu de matins qu’à mon retour au monde où toute chose au bon soleil dispose de son ombre qui se dilate et se contracte au gré des heures ; et j’aime le zénith quand le roseau dressé retient en lui le noir sans le poser sur l’herbe tendre – tout comprime à midi sa part d’ombre interne, la mort à midi ne va plus son pas de gastéropode… »


10 … Renaissance ou métamorphose ? je n’ai pas la réponse, mais pour les roses, c’est pareil quand avant la montée de la sève on a taillé la branche, et le bouton s’expose à la lumière, explose en rose ou blanche ou pourpre éclaboussure au terme d’un long cheminement de terre en tige, de pluie, de sève en ce jet d’eau coloré par l’argile et les pigments de l’héritage…


11 … Métamorphose, plus que renaissance : Eurydice est mouillée de sève, ses vêtements s’humectent – des ailes ? – contre son épiderme, ce n’est pas la rosée, mais une sueur, plutôt, venue de l’intérieur avec le sang qui n’est, selon qu’on chante ou qu’on murmure, pas tout à fait le même aux lèvres – j’entends l’ange effleurer d’un souffle sa syrinx…




Les auteurs


Lionel-Edouard Martin Né sur les rives de la Gartempe, dans le sud de la Vienne en 1956. Études de lettres à Poitiers. Cadre de coopération linguistique et culturelle longtemps au Maroc, puis en Bavière. Enseigne depuis vingt ans à l’Université des Antilles (campus de Martinique). Poète et romancier, traducteur (du latin et de l’allemand), a contribué, contribue toujours, à nombre de revues littéraires, et a publié à ce jour une trentaine de textes équitablement répartis entre poésie et roman ; parmi les plus récents : Zones d’arpentage et d’abornement, poèmes (Réalgar, 2017) Cratyle pour mémoire, proses courtes (Publie.net, 2017) Lettre ouverte à l'homme calcaire (Le Réalgar, 2016) Aimer, vivre & mourir, traductions du latin (Tarabuste 2016) Nativité cinquante et quelques, roman (Le Vampire Actif, 2013)


Magma, roman (Publie.net, 2012 ; republication 2017) Cycle des jeunes filles :

Icare au labyrinthe, roman (Le Sonneur, 2016)

Mousseline et ses doubles, roman (Le Sonneur, 2014)

Anaïs ou les Gravières, roman (Le Sonneur, 2012)


Bénédicte Dussère Née en 1954, vit en région parisienne et travaille à Paris, atelier aux « Frigos » 75013. Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD) 1981. Depuis 1994, des chemins divers autour de la création graphique pour se concentrer peu à peu sur un travail pictural personnel depuis 2005. Expositions personnelles 2005 2008 2009 2010 2011 2012 2014 2015

Centre d’Art Contemporain Albert Chanot, Clamart Musée Boucher de Perthes, Abbeville Galerie Les couleurs du temps, Bretagne Galerie L’Aiguillage, Paris Galerie Théo de Seine, Paris Christine Klassen Gallery, Calgary (Canada) Galerie Lionelle Courbet, Paris Galerie Catherine Mainguy, Lyon


2016 2017

Galerie Lionelle Courbet, Paris Christine Klassen Gallery, Calgary (Canada) « L’Ombre claire », Galerie Victor Sfez, Paris

Expositions multiples 2006 2008 2009 2010 2012 2013

Plusieurs expositions multiples au Centre d’Art Contemporain Albert Chanot, Clamart Travail en milieu scolaire dans le cadre de projets confiés aux artistes Salon Mac Paris, Espace Champerret, Paris Galerie L’Aiguillage, Paris Salon Mac Paris, Espace Champerret, Paris Galerie Théo de Seine, Paris « CHROMA », Christine Klassen Gallery, Calgary (Canada) Mac Paris, Espace Champerret, Paris Centre d’Art Contemporain Albert Chanot, Clamart


2014 2015 2016 2017

« Black and white », exposition collective, Christine Klassen Gallery, Calgary (Canada) « La mer, la mer toujours recommencée », Paul Valéry, Galerie Lionelle Courbet, Paris « Noir et Blanc », Galerie L’Aiguillage, Paris « Évocation » Galerie L’Aiguillage, Paris « Huit ponts plus loin », saison 1, Galerie L’Aiguillage, Paris « 10 ponts plus loin », saison 2, Galerie L’Aiguillage, Paris « Autour du noir & blanc », Galerie Catherine Mainguy, Lyon « Clartés complices », Galerie La Réserve, Reims

Éditions 2004 2007

Couverture de Les Âmes inachevées de Mathieu Riboulet (éditions Gallimard, collection Haute enfance) Couverture de La Chair et le ciel c’est pareil de JeanPierre Cannet (éditions Le bruit des autres)


Presse 2009 2016 2017

Ouest France Connaissance des arts Miroir de l’art

www.benedictedussere.com



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Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).

Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti

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…nous suivre…

© Février 2018 — Poème de Lionel-Edouard Martin Accompagnement plastique de Bénédicte Dussère La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« Je l’ai tirée de son sommeil et du silence, fécondant d’un baiser de baptême l’argile de ses lèvres dépourvues, spectre, de lèvres : et tout revint lentement... » Poème de Lionel-Edouard Martin Accompagnement plastique de Bénédicte Dussère


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