Mémoires – Fabrice Farre & Anne Slacik

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Fabrice Farre Anne Slacik

MĂŠmoires



MÊmoires Poème

Fabrice Farre

Peintures

Anne Slacik



Nous sommes seuls dans ma cellule Belle clartÊ Chère raison Guillaume Apollinaire, Alcools


I

Dans la feuille ourlée, le vent s’engouffre, ton nom aussi. La feuille tombe à l’oubli, ses nervures sont des chemins sur elle-même. La joie de quitter la branche atteint l’oiseau de tous les jours. Survivre est un vol loin des terres, une aigrette parvenue à s’extraire des sansouïres


Le soir sur la crête les silhouettes se croisent et grossissent quand elles se confondent. Les genêts scintillent frémissant comme des êtres enfantés au passage des formes



La barque ancrée est vide, elle nous attend. A la merci des remous, elle recueille cette flaque de lumière où nous brillions, ignorant notre absence. Elle s'éteint aussitôt de ce côté : nos mots d'amour basculent comme les charbons ardents, mais ils ont été jurés. Le flanc de bois ondule, cédant la place à nos allures d'enfants qui reprendront leur souffle, à la surface


Les racines ont soulevé le fond du bassin où la vue s'est heurtée puis retournée vers cet hêtre plus jeune plein d'ombre et de rires que les oiseaux rendirent aux bouches d'enfants dans leur maillot de couleur



Fallut-il inventer la courbe les toits et le vol des ĂŠtourneaux franchissant les hauteurs. En fermant les yeux il y eut cette image. L'image longtemps nouvelle d'un lieu pourtant connu mais inexplicable : des tuiles sans charpente, des ailes sans oiseaux et le fond de l'horizon cherchĂŠ par absence


A l'intérieur le cœur bat, dehors est une lande apprivoisée. Dans le bocage qui te regarde, dans le petit silence où je te vois pulse la veine de ton cou et ta peau est un rempart, une haie assez haute pour m'éloigner et t'apercevoir enfin dans l'enclos, sans présence humaine



La vue est paisible. On trouve sur les côtes des arbres qui marchent sous la lumière comme


les filles de nulle part. D'ici la route n'est pas visible on la devine, on l'aperçoit au bout entre les terres elle est brune à peine brune et ce jour-là l'été est libre et le vent gonfle sa robe Que feraient le vent et l'été de l'éternité


Avec la chaleur la peau craquelle la chair fruitée livrée au regard s'émancipe. En est-il ainsi de nos vies qui d'en toucher d'autres brisent l'écorce qui les enfermait


II

Entendre dans les lignes le dialogue des blancs infimes, la fugue du cœur où l'abeille somnambule porte encore des sacs de soleil. Fleur rare, énigme inquiète du silence sur le velours du pétale dis-moi quel est ton nom chose ose, ch...ut !


Tu cours sous les bâches multicolores des boutiques creusÊes par l'eau dont il ne reste maintenant que des aurÊoles. Au ciel, les cercles translucides nous enferment ou n'est-ce que par le fait du hasard une marelle imaginaire portant les pas du regard en dehors du monde


Dans le corps du jour qui s'affaire entrent les mains travailleuses et le rythme effréné au fond de l'atelier est un cœur dans la toile qui nous habille

Qui a cousu ton manteau. La pluie s'y pose – elle n'est pas neige encore. Je crois te rencontrer pour la première fois avant que tu ne reviennes dans ce vêtement, sous cette saison.



L'olivier s'incurve au-dessus des tessons. Ses fruits sont pour ceux qui passent plus bas et ignorent que de l'autre côté du mur vont ceux qui savent que l'on goûte sans y penser en traversant la rue

Dans la vague gronde une autre vague, la plage où elle s'étire se détend les baigneurs emportés se sont absentés à cette heure. Des bouteilles vides courent au large pour échouer loin des rives sur la ligne opposée tremble le carré intime de quelque fenêtre éclairée dans le désert du ciel. La vague rugit après toutes les autres, la solitude a été habitée, elle n'est à personne


Dans une boîte en carton la main jette quelques osselets. Les yeux autour cherchent les yeux de qui détient cette main du destin et cette voix dépliant le sort de chacun parmi les détritus à midi trente tout près des étals que d'autres mains replient Vois comme la barque 1 traverse les limbes : sous les doigts la mémoire se dessine. Le visage ourdi, on peut enfin le fixer. Fils de trame pour la joie toute silencieuse que le temps de chaîne vient obscurcir. L'enfant court pourtant en buvant l'air,


apporte bientĂ´t la nouvelle de la source jusqu'Ă la parole des autres. Errante, la mĂŠmoire ne vieillit donc jamais

1 Navette : du bas-latin naveta, petite barque, diminutif du latin navis, vaisseau, bateau.




Les tableaux d'Anne Slacik, par ordre d'apparition : 1 – Ombre (La Séranne), 97 x 195 cm, 1998 ; 2 – La pente de la rêverie 3, 130 x 130, 2016 ; 3 – Ombre rouge, 180 x 180, 2007 ; 4 – Terre de Sienne brûlée, 200 x 200, 2014 ; 5 – Licht (Lumière du dimanche), 194 x 162, 2009 ; 6 – Améthyste, 130 x 80, 2007. Collection particulière ; 7 – Ombre (San Miniato), 97 x 195, 1 999. Collection Médiathèque Miramas ; 8 – Les miroirs, Papiers 80 x 120, 2016. Certains passages de ces textes de Fabrice Farre se retrouvent dans un recueil à paraître prochaînement : Inflexion, Raphael de Surtis.



Les auteurs



Fabrice Farre est né en 1966. Ses dernières publications sont :

–– La figure des choses (éditions Henry) ; –– Le chasseur immobile (Le Citron Gare, réédition fin 2017, avec les peintures de Sophie Brassart) ; –– Toucher terre, (pré#carré) ; –– Ligne, (La Porte) ; –– Loin le seuil (aux éditions de la Crypte, accompagné des Poeysages d'Anael Chadli) ; –– Poupée russe (chez Encres Vives). A ce jour, plus de cent revues ont accueilli l'auteur, comme par exemple : Europe, A verse, Arpa, N47, Souffles, La piscine, Incertain regard, Concerto pour marées et silence revue, Phoenix, Rrose Sélavy, Coup de soleil, Terre à ciel, Beauty will save the world, Ecrit(s) du Nord, Verso, Osiris, etc. biendesmotsencore.blogspot.fr


Anne Slacik est née en 1959 à Narbonne. Elle vit et travaille à Saint-Denis et dans le Gard. Prix de peinture de la Fondation Fénéon en 1991. Depuis 1981, de nombreuses expositions personnelles ont été consacrées à son travail, notamment au Centre d’Art de Gennevilliers, au Théâtre de St Quentin en Yvelines, à la Bibliothèque du Carré d’Art de Nîmes, au Musée PAB d’Alès, à la Bibliothèque Municipale de Strasbourg, au Musée de Gap, au Musée Stéphane Mallarmé à Vulaines sur Seine et au Musée de Melun en région parisienne. En 2012, le Musée de Saint Denis associé au musée du Cayla dans le Tarn a consacré une grande exposition à son travail avec l'édition d'une monographie , accompagnée de textes de Bernard Noël chez IAC-Ceysson. En 2013 expositions personnelles au musée Ingres à Montauban, au musée Rimbaud à Charleville Mézières et au musée de l'Ardenne, ainsi qu'au Centre d'Art Contemporain d'Arcueil..


En 2014, la bibliothèque Forney, bibliothèque historique de la ville de Paris a présenté ses livres peints et un ensemble de toiles et en 2015 sept lieux d'expositions dans les Yvelines dont le musée national de Port Royal des Champs se sont réunis pour présenter différents aspects de son travail. A cette occasion une nouvelle monographie a été éditée chez IAC-Ceysson. En 2016 et 2017, son travail a été exposé à la maison de Victor Hugo à Paris dans le cadre de l'exposition « La Pente de la réverie » et a fait l'objet d'une exposition personnelle au musée de Périgueux. En 2018, le musée Paul Valéry de Séte organisera également une exposition de son travail, grandes peintures et livres peints. En 2019, la bibliothèque du Carré d'Art de Nîmes exposera son travail, à l'occasion de l'acquisition de la collection des 130 livres manuscrits-peints. www.anneslacik.com


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Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc). Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1


…nous suivre…

© Avril 2018 — Poème de Fabrice Farre Peintures d'Anne Slacik La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« Entendre dans les lignes le dialogue des blancs infimes, la fugue du cœur où l'abeille somnambule porte encore des sacs de soleil. Fleur rare, énigme inquiète du silence sur le velours du pétale dis-moi quel est ton nom chose ose, ch...ut ! » Poème de Fabrice Far re Peinture s d'A nne Slacik

[ ] Ce qui re s t e


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