Miettes - Olivier Cousin & Michel Remaud

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Miettes (et autres poèmes) Olivier Cousin Michel Remaud



Miettes

(et autres poèmes)

Po è m e s d ' Ol i v i er

Cous i n

Pe i nt u re s d e

Mi c h el Remaud extraits d'un recueil à paraître J’ai le souvenir carnivore La Part Commune (automne 2018)



MIETTES Pour la transcendance je m’en remets aux miettes qui traînent quelques minutes sur la table débarrassée du dîner Avant le coucher elles auront disparu Et tant qu’elles n’apparaîtront pas dans mes rêves je pourrai méditer sur ce qui nous échappe et toujours nous domine


AUTOSUGGESTION Volontairement faire comme si les hortensias avaient une odeur à la mesure de leurs couleurs Bizarrement faite, la nature – sauf à considérer que c’est mon cerveau d’homme qui trouve bizarrement que la nature devrait être autre que ce qu’elle est

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MUIOC’H MUIOC’H 1 Tu marches au bord de toi-même De plus en plus L’univers sur mesure te joue des tours De plus en plus Les feux inoubliables font profil bas De plus en plus

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En breton muioc’h muioc’h signifie de plus en plus.

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Le vent tourne à l’à-peu-près avec son lot de ricochets De plus en plus Les sentiments fidèles perdent de leur sel et de leur saveur De plus en plus Voilà de quoi renoncer à prendre de bonnes résolutions pour les dernières années écoulées

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EN QUARANTAINE Rien ne sert de se dire la vérité en face quand l’optimisme n’est plus de mise entre le rancard et la quarantaine Le pessimisme a bonne mine mais c’est le pire des pièges inventés pour certifier l’échec Je ne cherche plus à dénombrer les coups de poignards dans le dos Les trahisons ne trouvent plus leur place au fond des tiroirs Mon imagination s’est plantée en beauté dans le décor Je me fais des films que les années rendent supportables 10


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SONDAGE Si tu t’avises de me séduire pense aux fouilles préventives Le terrain n’est pas vierge Des tessons de vie cabossée ont glissé çà et là dans les profondeurs de ma chair ébréchée laissant des traces et sans doute quelques vieilles cicatrices qu’il faut caresser au pinceau furtif de la délicatesse Méfie-toi avant de t’engager sur ce terrain couturé Nécessité de poser des jalons d’explorer toutes les failles (couche superficielle et sous-sol) Chaque défaut de la parcelle doit être détecté et sondé pour qu’opère la séduction 13


FAIR PLAY AU JARDIN Les fourmis sont comme moi dans tous leurs états Elles courent dans tous les sens En enfonçant un piquet dans le sol pour installer le filet de badminton familial j’ai dû dézinguer une de leurs cités royales La fourmi s’agite toujours pour un rien Mais son véritable point commun avec Winston Churchill c’est qu’elle n’aime pas le sport (Elle ne se rend jamais non plus)

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DÉCEPTION Le carillon japonais (fabriqué en Chine et pas par le plus grand des hasards) berce toutes mes lectures de l’été À force j’ai l’impression qu’il me dicte les mêmes pages et on dirait parfois qu’il ânonne un alphabet à faire trembler les pattes de mouche

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PESANTEUR Sous un petit tas de pierres s’agglomèrent les pensées à oublier Il faut bien les déposer quelque part Se délester du fardeau qui plombe la marche tranquille de notre humeur Accepter la chute des mots noirs en espérant l’ascension de projets vivifiants De nouveaux espoirs foutus en l’air contre tant d’espoirs déçus foutus par terre sous un tas de cailloux

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VA-T’EN-GUERRE Le pied du cytise m’énerve depuis quelques jours Depuis que je lui trouve une ressemblance (détrompez-vous, jamais elles ne sont fortuites) avec l’affût d’un canon sur l’esplanade du Musée de la Marine Pourtant ses petites feuilles toujours par trois sur les branchilles ont une allure toute pacifique Méfions-nous on est souvent trahi par la base

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DE SAISON Les dérèglements, ça pullule De saison en saison on court au plus pressé et peut-être à la catastrophe Même si je ne suis pas du style à me faire du mouron climatique mon jardin n’est pas un refuge épargné (Partout l’éden sous cloche s’est fêlé) Quel regard dois-je accorder aux trois primevères du 27 décembre ? Tenté par une once d’exaltation je me range vite à plus de décence Autant se pâmer d’admiration devant une fillette de trois ans qui parlerait ménopause et chiffons Hors de question Hors de saison 20


BRICOLEUR DE MALHEUR Sous toutes les latitudes l’homme est demeuré un triste sire Il a beau (façon de parler) avoir tout inventé ou presque – il nous réserve sûrement un lot dangereux de mirobolantes et onéreuses surprises – ses prétentions à assujettir la matière devraient faire froid dans le dos On le sait adroit du néocortex et habile de ses mains souvent ensanglantées Tout ce qui est à la portée de son fusil il sait le (dé)faire pour le meilleur ou le pire Il s’imagine une pièce maîtresse de la nature Elle ne lui accorde pourtant aucune confiance quand il se lance dans ses bricolages d’Hercule

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Les auteurs


Olivier Cousin né en 1972 à Lesneven dans le Finistère, où il vit. Romans, nouvelles, poèmes, traductions : quand ses carnets débordent, il tente de publier ses textes. Les derniers ouvrages en date : — Poèmes sans titre de transport (Stéphane Batigne, 2017), — Les riches heures du cycliste ordinaire (Gros Textes, 2017), — Gardien de trois fois rien (La Lune bleue, 2017), — La Hache de sable et autres poèmes (La Part Commune, 2015) — La nuit, sans triche (La Porte, 2015), — Fragments du journal d’Orphée (éditions Kutkha, 2014), — Douce garce, livre d’artiste avec Michel Remaud (2014). — Sous un ciel sans paupière (La Part Commune, 2010) récompensé en 2011 par le Prix Camille Le Mercier d’Erm


Michel Remaud Je suis né en 1948 à Rennes où j’ai suivi des études classiques et universitaires de langues étrangères. En 1969, j’ai épousé la femme qui depuis m’accompagne et c’est aussi la même année que j’ai découvert en deux années de coopération –coup de foudre et émerveillement- le désert et son silence habité, immense et métaphysique. Retour en France en 1971, à Quimper, où j’ai exercé le métier d’enseignant jusqu’à ma retraite en 2008. Au début des années 80, après des années de photos noir et blanc, j’ai recommencé à peindre et dessiner en réapprenant, en pur autodidacte, à figurer le monde visible dans des paysages, des portraits, des natures mortes. Puis, en 91, insatisfait de l’évolution de mon travail, je me suis orienté vers une expression non-figurative, pressentant la possibilité d’une présence au monde plus intérieure, plus prégnante et plus vraie. Ma démarche picturale s’est évidemment accompagnée d’une longue recherche d’un vocabulaire qui me soit propre. Et ma peinture s’est aussi révélée plus mentale, introspective et méditative tout en préservant son ancrage primordial dans un monde incarné et sensible. Durant la décennie 2000/2009, le galeriste quimpérois Patrick Gaultier m’a fait confiance en m’ouvrant les portes de sa galerie pour y accrocher mes toiles à ses cimaises. Confiance qu’il m’a renouvelée à plusieurs reprises tout au long de ces années jusqu’à la fermeture de la galerie en 2009. En 2007, la toute nouvelle galerie « Les Stèles » à Huelgoat m’a proposé une exposition inaugurale, suivie d’autres, et c’est à cette occasion que j’ai pu rencontrer de nombreux poètes (à commencer par le poète morlaisien Da25


niel Kay), tous amoureux de peinture, qui m’ont confié des textes et amené très vite à la réalisation de livres d’artiste. Une féconde synergie de travail et d’échanges entre peinture et poésie s’est alors enclenchée et, pour moi, une toute nouvelle aventure picturale. Le livre d’artiste, lieu de partage, de dialogue où l’artiste se révèle à soi-même peu à peu par la rencontre avec l’autre et l’exploration de nouveaux territoires puisqu’il s’agit alors de donner corps à un nouveau questionnement et de découvrir de nouveaux territoires. Depuis 2008 j’ai réalisé avec la complicité de nombreux auteurs (et de Jeanne Frère pour les emboîtages) une quarantaine de livres. A présent, quel que soit son support — toile ou papier — et quel que soit son aspect formel — grandes plages de couleurs ou fragmentation infinie par le froissement des feuilles peintes et repeintes — ma peinture me semble naître du monde et des mots et chercher obstinément à en exprimer l’in-dicible, la face cachée. Je veux en dire les géographies de l’âme, les lisières fragiles, les harmonies et les discordances, les blessures, les musiques murmurées, la mémoire enfouie, les traces aléatoires, les patientes empreintes du temps et des mots; et surtout, peut-être, retrouver le silence. michelremaud.com | sa page facebook

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q u i r e s t e ��

Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).

Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1


…nous suivre…

© Novembre 2017 — Poèmes d'Olivier Cousin extraits d'un recueil à paraître J’ai le souvenir carnivore (La part commune, automne 2018). Peintures de Michel Remaud La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« Pour la transcendance je m’en remets aux miettes qui traînent quelques minutes sur la table débarrassée du dîner »

Poèmes d'Olivier Cousin Peintures de Michel Remaud


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