Neiges - Jacques Robinet & Renaud Allirand

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Jacques Robinet

Renaud Allirand

Ne ige s

Ce

qui

reste



Ne ige s Poèmes de

Jacques Robinet Gouaches de

Renaud Allirand

Ce

qui

reste


Faut-il poursuivre faire crisser à nouveau cette neige effeuiller le langage sans le jeter aux flammes épier —entre deux rêves — la vague prête à se briser s’aveugler au poudroiement de la raison prendre une fois de plus la mesure de l’horizon Faut-il raviver l’encre des soleils morts




J’ai dit : Ouvre la porte pour que l’air se renouvelle Mais c’est le tourment du jour qui est entré la plainte humaine sans recours Dans la chambre close les miroirs étincellent sans montrer la sortie Une rose coupée s’effeuille Je reste seul à jouer avec les mots


Déchirer page après page ces inscriptions de voyage à contre-feu à contre-chant Briser les cages vides traversées d’oiseaux plus rapides que nos songes Brûler au vent du soir la moisson d’herbes sèches des regrets et des plaintes Offrir l’espace vierge d’une attente sans objet au crépuscule qui rougeoie Ne plus craindre le souffle qui remue les cendres S’étonner de l’heure grise où l’on trébuche sans faillir






Le givre a disparu Les sapins pèsent très lourds Fin des noces blanches noyées dans le brouillard Très loin une lueur rose s’élargit dans le ciel Le silence danse avec la mort


Les mots se traînent tel le serpent dans la poussière Ils chantonnent les refrains du ciel gris La terre trop soucieuse du soleil oublie qu’elle tourne dans le vide Nous n’avons pour raisons que les caprices de la lumière




Une carte tombe d’un livre Des baisers fanés s’envolent Une promesse oubliée s’évade Qui m’écrivait alors ? J’ai oublié sourires et paroles La passerelle n’a plus de rives L’épave n’a plus de nom La mort va de seuil en seuil dérober les clés puis se cache dans un livre avant de frapper pour de bon


Un mot de toi est un taxi sauvage qui me mène d’enfer en paradis Tu es mon livre d’images — Je ne vois plus que par tes yeux Je rêve — Tout s’invente Tu me regardes et je m’éveille Le ciel danse Nous bousculons les étoiles




La joie chante en vain si tu ne la saisis pas Epuisée de soleil elle regagne l’obscur Donne-lui à boire avant qu’elle ne s’éteigne Ici tout bat des ailes au rythme de ton cœur qui ne se ferme que pour mieux s’ouvrir


Silence prisonnier des ruches sonores Voix rêveuse d’un poète disparu qui visite ma nuit Tiraillement apaisé du verbe et de l’étoile




Chaque vague se meurt dans sa robe nuptiale Chacune après si longue course dépose sa page blanche De quelle confidence — feuille à feuille répandue — s’abreuve sans trahir le sable en son silence ? Un poème d’amour venu du fond des âges murmure son secret aux oiseaux de passage De la terre au ciel la parole se perd se retrouve voyage


Lumière indifférente jetée sur les ronces et les roses Nul ne sait quel amour confond ce qui blesse et ce qui apaise Ni quel accord unit le jour à la nuit quand l’oiseau s’éveille




J’ai déchiré le poème ses mots d’amour ses brindilles La flamme a jailli — Le froid s’est accru J’ai piétiné ce feu de pacotille cherché refuge où rien ne bouge Trop de paroles froissent les rêves Ni feu ni flammes —Nul refuge en vérité Le silence avance à pas de neige sans égarer son ombre tapageuse Les loups sortent du bois Tout grince — La roue tourne Les chevaux de bois font du surplace Nous mourons peut-être sans vertige




J’écoute la voix mécontente qui me presse de sortir de moi Sortir d’où ? L’univers entier crépite autour de cette nuit charnelle Je sors car tu l’ordonnes La lumière me blesse Je sors pour t’offrir cette poussière dormante qui est peut-être moi en cette absence de toi Je sors ignorant tout de moi pour tout apprendre de toi




Mots assourdis de silence et de blancheur Si on les force à s’aligner ils se prennent de querelle Le vent dilapide la source et la nuit insulte le jour Mais quand à bout de forces on retourne la page ils se rassemblent aussitôt pour s’extraire de la neige


Va-et-vient de la lumière Un savoir oublié cherche à éclore bringuebale du fini à l’infini Ignore tout de la force qui l’entraîne vers la rose éteinte du soir




Une année s’en va roidie dans sa neige La sève combat le gel aux racines des arbres Les tisons de l’an neuf me donnent la mesure de la cendre répandue du peu de jours restants Epiphanies passagères éblouies de clarté gardez-moi votre paix en cet achèvement





Les auteurs


Jacques Robinet vit à Paris. Il a écrit plusieurs recueils de poésie : – Veille le Silence, éditions Saint-Germain-des-Prés, 1984 – Frontières de sable, encres de Renaud Allirand, éditions La tête à l’envers, 2013 – Feux nomades, encres de Renaud Allirand, éditions La tête à l’envers, 2015


Renaud Allirand Né en 1970, il expose depuis 1995 ses peintures, gravures et photographies. Il est l’auteur ou co-auteur d’une trentaine d’ouvrages et catalogues, il a travaillé avec plusieurs poètes (Paul Louis Rossi, Jacques Robinet, Florent Papin, Julien Bosc, Jacques Lesot, Michel Bourçon et Frédéric Tison, Noée Maire, Lydia Padellec, Michel Bourçon et Julien Bosc). Expositions personnelles et collectives en France à l’étranger, acquisitions et collections publiques (Bibliothèque nationale de France, Musée des Beaux-Arts d’Orléans, Musée de Saint- Maur, Instituts français au Maroc, Musée des Beaux-Arts de Stuttgart, Musée Raymond Lafage, Musée du Douro, Fondation Taylor, artothèques, Musée de Vendôme, Salon du dessin, Salon de l’estampe au Grand-Palais, …). Il a été récompensé de plusieurs prix internationaux et distinctions en gravure et en peinture (Académie des Beaux-Arts, Fondation Gravix, Prix Lacourière, Prix Moret- Manonviller, Prix Jeanne Champillou, Prix de gravure du Salon d’Automne, Prix Sinoccygen, Prix Boesner, Prix de St-Maur). Invité en résidence d’artiste par l’institut français de Tanger-Tétouan. Son travail est présenté en galerie, en France et à l’étranger.


La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).

Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1


© Avril 2017 — Poèmes de Jacques Robinet Gouaches de Renaud Allirand La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« Silence prisonnier des ruches sonores Voix rêveuse d’un poète disparu qui visite ma nuit Tiraillement apaisé du verbe et de l’étoile » Jacques Robinet Gouaches de Renaud Allirand

Ce

qui

reste


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