Nos corps sont des matins d'hiver - Patrick Prigent & Jephan de Villiers

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Nos corps sont

Patrick Prigent J e p h an d e Villiers

des matins d’hiver

Ce

qui

reste



Nos corps sont des matins d’hiver Pat rick Prige n t Je p han d e Vil l ie rs

Ce

qui

reste





(Ton ĂŠcriture de nage indienne tatouĂŠe large sur le flanc parle la source oĂš tu remontes)

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Tant de clarté sans bord — que le duvet sonore des oiseaux — est pareil à la nuit

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Aux Êpicentres mouvants de la nuit — racine et ligature par calandrage dans ses gorges de nos souffles

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Nos corps sont des matins — à l’ancre — les sables où ils s’échouent les éclairaient de l’intérieur à marée haute

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Rouille et lumière soudent les anneaux échancrés de leurs chaînes raidies dangereusement dans les ressacs

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Sphères saturées de pépiements les frondaisons de non-surgissements les crânes

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A l’unisson des ailes une rumeur de feuilles après l’envol s’enterre

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Nous abandonne courbĂŠs vers les parois de failles remontantes

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Lampe soufflée du vent par la lumière une traînée de suif au bas

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La pluie sĂŠpare la nuit du jour vaincu

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Les becs vont rebroussant la cuticule des confins vers ce qui bat sans dĂŠmesure

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Nous partageons aussi les fruits dénoyautés d’une parole recrachée

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Les mots recouvrent des réalités hors-d’eau

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Ceux du poème épauloir des lichens soulèvent les ardoises

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D’invisibles nuages plus larges que le ciel gouvernent

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— Génuflexions comptées du souffle mises à part — font corps avec

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Flagrant ce qui dĂŠlie le filament des cardes

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L’Êquilibre un instant tenu sur la mer vacille le vase antique des lumières matinales

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Elles flottent pour ainsi dire elles gisent diaphanes et durcies comme des cornes dĂŠtachĂŠes

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Comme un milliard de cornes que le clapot ballote

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Agréant des galets la courbe où le vent s’arrondit cille l’herbe des dunes

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A l’étape de sa route vibrionnante la migration de l’air s’apaise aux pierres de mon pays

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Busard cendrÊ du plein vol fendu par l’Êcho de son cri sur la roche

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L’éclair fut vif d’être porté par la lenteur des dépressions

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L’arbre foudroie l’orage via la racine des cycles

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OĂš la rĂŠtine se souvient du balancement nerveux du soleil entre les feuilles

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Quand l’amont déjanté des épaules filantes soulevait le chenal cordé des balançoires

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L’odyssée de l’espace c’était les phares des moissonneuses derrière le gouffre des collines

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Les galeries du ciel la pourriture des pommes ne devaient qu’au lombric de creuser aux travers

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Le rideau des genĂŞts flĂŠchissait au plus insignifiant passage des musaraignes

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Aujourd’hui je ne sais plus le nom des engins agricoles qui font trembler la route devant la maison

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En zone pĂŠri-urbaine la taille des exploitations dilate les outils

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Les connaître pourtant c’est savoir la saison et la fonction des soirs où ils s’allument

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Sauver le monde consiste Ă ne pas le laisser me dĂŠvorer

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Cercles le corps du texte le corps du christ concentriques en l’amande ogivale-pierre à ricochets

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S’efface le contour des sentes l’ombre gèle sous les souches des noisetiers s’enfouissent les chemins creux dans le ciel

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Brouillards de pixels dĂŠmaillent la laine en lambeau sur la pierre des murets retranchent les voix noircies de la neige

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Je chante une rivière au bout d’un feu tordu comme un bâton de coudrier sur le cadran verdi des salamandres

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Plus rien ne bouge tout grouille remonte à la surface d’un monde qu’on croyait immuable

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« Dévider son ombre » aux assauts du vide la riposte de l’aile

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Ici et maintenant ne sont jamais ici et maintenant

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Ici d’ailleurs le vent éclaire ce que la lumière penche

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Étoilements de suies dans mon cendrier d’huître en zone de transfuge des capillarités

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A rabattre fumÊes sur le goudron des bâches la pluie

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T창tonnements enfouis sous un tranchant de paume ce qui vient sans parole

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Ça se cherche une table à faire nasse de miettes histoire de ramener la main sur le plexus

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Ou serait-ce ma voix qui me revient de plus au nord où je l’avais laissée pour morte ce vent qui bave sur les rails ?

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De l’épaisseur d’une ardoise enfoncée de travers dans la terre le solin dézingué des bourrasques

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Dans la barrière en ciment s’enfonce le premier chant du coq

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L’ombre bleue — dehors — de la neige tapisse de limules le papier-peint des rêves à déchirer

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Sous la mâchoire desserrée des dormeurs la molaire éclatée du nuage nocturne

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Et par des mains ouvertes à fermer les congères il nous plisse du jour aux quatre coins du drap

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La pulsation du bleu culmine dans les noeuds du rĂŠseau des bourgeons

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Loin la déflagration des fleurs loin l’ultime tressaillement des pilotis du ciel à contre-tige

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FossilisÊe l’empreinte en creux de nos humus craquelle dans des boues lyophilisables


La forêt des éclairs aucune trace de son pas dans la clairière



Table des œuvres Jephan de Villiers Au creux des sous-terre-bois, 2010 Une Au travers du temps l’arche du silence, 2014 13 23

Il est une envolée au ventre des forêts, 2014 32 J’ai échangé l’écorce de mon corps contre la peau des arbres et je me sens de plus en plus redevenir forêt, 2006 37 Au vent du soir, l’arbre sous lequel je m’étais inventé des ailes, 2016

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L’ours à l’envol rêvé, 2014 51 Fragment de mémoire des échos souterrains, 2016 63 Reliquaire. Fragment de mémoire, 2016 69 Vers le haut et loin à l’heure où la lumière mène les envols, 2012

4e


Les auteurs



Patrick Prigent Né en 1970, Patrick Prigent vit dans la région de Callac-Carhaix, au cœur d’une Bretagne de forêts, de landes et de rivières. Son écriture en est fortement imprégnée. N’a commencé à publier que récemment : ––

Chiens De fusils (éditions Des Vanneaus, 2015)

––

Suite Nord Armoricaine (éditions La centaurée, 2016)


Jephan de Villiers C’est vers l’âge de quatorze ans que Jephan de Villiers commence à réaliser d’immenses villages de terre, d’écorces et de feuilles dans le jardin de sa grand-mère au Chesnay, près de Versailles. Il aime le cirque, le théâtre et le mime. Son travail de sculpteur et de poète ne s’arrêtera jamais. Dans les années soixante, il découvre l’atelier de Constantin Brancusi. Naissance des « Structures Aquatiales » à Paris en 1966. Un an plus tard, il s’installe à Londres et expose régulièrement son travail. En 1976, il rencontre la forêt de Soignes près de Bruxelles. « Le voyage en Arbonie » commence. Il nous invite à quitter notre quotidien pour se plonger dans une civilisation imaginaire qui semble être d’un passé où l’homme et la nature ne faisaient qu’un. De très nombreuses expositions lui sont consacrées. Ses sculptures sont présentes dans des lieux publics ouverts, dans des musées et dans de nombreuses collections privées. Des « Fragments de mémoire » ont été déposés à travers le monde. Il travaille aujourd’hui près de l’estuaire de la Gironde, en Charente-Maritime.


« Certains artistes outrepassent toutes les frontières mentales, retrouvent Lascaux, les créaturess cachées dans l’humus des vieux terroirs, et les fantasmes doux et cruels qui prennent l’imaginaire pour demeure. Jeaphan de Villiers est de ceux-là. Dans les sous-bois désertés du monde, il ouvre un espace de très humaine présence. Sous la peau des arbres d’un passé d’outre mémoire, par la paume éclatée de notre écorce, par les ailes cachées de la nuit, Jephan de Villiers, avec des outils de lune, avec l’implacable regard d’un papillon et ses mains de hautes nature, façonne d’inouïs rêves de matière vivante. Et l’œil épouse ces évidences vitales, pour avoir enfin l’âge de la terre. Extraordinaire présence de ses minuscules personnages sidérés. Ces pèlerins-là sont d’effarants immobiles, fixés dans la plus fabuleuse des obsessions de la vie profonde, et de l’humanité. Jephan de Villiers accomplit la mise à nu des excès de l’art et de tous ses débordements du mental. Prodigieux animiste contemporain, il est sorti de l’antre, et les subtiles silhouettes totémiques de son bestiaire humaniste exorcisent l’énigme d’exister. Il n’illustre aucun sacré préexistant, et par lui, la terre parle une langue oubliée des hommes. » Christian Noorbergen



La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens. © Avril 2016 - Poèmes - Patrick Prigent Sculptures et photographies - Jephan de Villiers La revue Ce qui reste pour la présente édition www.cequireste.fr


« Dévider son ombre » aux assauts du vide la riposte de l’aile Ici et maintenant ne sont jamais ici et maintenant Ici d’ailleurs le vent éclaire ce que la lumière penche Patrick Prigent

Ce

qui

reste


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