Orage au printemps - Mathieu Hilfiger & Guillaume Steudler

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Orage

au printemps

Mat h i e u Hilfig er G u i lla u m e S teudler



Orage

au printemps Poème

Mathieu Hilfiger Peintures

Guillaume Steudler



Ă€ Jean-Marc Sourdillon



Le printemps venu, le vent trouve dans les feuilles des paraboles dociles à sa mélomanie. Mais qu’est-ce que le souffle sans la flûte ? Flatus vocis. Des bruissements je m’éloigne, sans rien entendre.


Le coucou ressasse son refrain tourné vers les nuées, comme pour conjurer l’orage qui échauffe sa voix de basse derrière l’orchestre des collines. Ou est-ce un appel, une pernicieuse incantation ? Ne sent-on pas en effet le souffle de l’hypnose, la torpeur gagnant la chênaie ?




Des ombres passent devant la maison et empruntent le chemin des morts : au bout demeurent les croix de fer et de bois. Un reste de verticalité y souffre l’éreintement des rafales, tremble jusqu’aux racines, désormais résolues à l’horizon. Le grain s’étend, nébuleux.


Les ténèbres gagnent, dispersent les passants, effacent les oiseaux qui rejoignent leur invisible royaume. Je sais l’ondée native d’un ciel froissé, vindicatif : gardienne des fers et des glaces, sa salive a le bleu profond des saphirs.




On imagine le convoi nuageux rouler vers le moulin du fleuve, et faire planer les ailes d’une menace au-dessus des chicorées sauvages, dont les capitules seront pourtant bientôt piqués du même fard.


Les herbes, elles, prennent sous l’orage la teinte mauve des flots du large tourbillonnant autour des hauts-fonds. Le jardin se fait nasse, empiège dans ses remous les jeunes renoncules. Le ciel essuie sa colère sur les graminées en trainées myrtille.




EmbusquÊes derrière la haie, devant le froissement des vignes, les primeroses offrent leur sexe jaune entre leur corolle jaune.


Puis la fièvre, les branches retombent. À terre, le nid renversé reste immobile, transformé en abri d’une autre espèce : les insectes y aspirent à la gravité des caveaux, à la moiteur perlée des brindilles.




Aux antipodes, un homme avait attirĂŠ la tempĂŞte sur sa couche en rĂŞvant violet. Mais certes la nuit y avait auparavant fait miroiter ses gemmes.


L’irrésistible montée de la sève, quand bien même tombe l’averse ! Les êtres courentils au-devant de leur vie ou de leur mort ?




Les auteurs


Mathieu Hilfiger est né en 1979 à Strasbourg. Il crée une œuvre polymorphe sans discrimination de formes : poèmes en vers et en prose, théâtre, fragments, proses, articles, entretiens, etc., souvent présentés dans des ouvrages ou des revues. Après l’aventure de la revue Le Bateau Fantôme, il lance en 2014 la maison d’édition littéraire éponyme, tournée vers les marges de la création. Derniers livres parus : De jour comme de nuit, avec Pierre Dhainaut (Le Bateau Fantôme, 2014) et L’Aube animale, Recours au Poème, 2015 (e-book), et en tirage de tête papier. À paraître : Les Résidents, Thot, octobre 2016 (théâtre).


Guillaume Steudler, né en 1980 à Paris, est plasticien et graphiste. Dans son travail plastique, où la part intuitive de l’improvisation est si importante, il utilise avec une grande liberté gestuelle des techniques mixtes : dessin et peinture, imprimés et collages, figures et mots. Son univers chatoyant, très imaginatif, semble évoquer une rêverie naturaliste microscopique. Il est le concepteur graphique des éditions Le Bateau Fantôme. www.steudler.artfolio.com



La revue

Ce qui reste Ralentir poème Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens. © Juin 2016 — Poème : Mathieu Hilfiger Oeuvres plastiques : Guillaume Steudler La revue Ce qui reste pour la présente édition www.cequireste.fr - revue.cequireste@gmail.com


Je sais l’ondée native d’un ciel froissé, vindicatif : gardienne des fers et des glaces, sa salive a le bleu profond des saphirs. Mathieu Hilfiger


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