Georges Guillain Hervé Ternisien
P o èt e A rt i st e J ar dinie r
[ ] Ce qui re s t e
Poète Artiste Jardinier Poèmes
Georges Guillain P h oto g r a p h i e s
Hervé Ternisien
Le sens ne se trouve pas à l'intérieur, comme d'une noix, mais à l'extérieur, et enveloppe le tracé qui l'a suscité, comme une lumière suscite une vapeur. D'après Joseph CONRAD Au Cœur des ténèbres
Un sol. Un ciel. Rien qu'un moment. Des brindilles. 1
Il tente de désigner sa petite portion solitaire et simplifiée d'espace, faisant en sorte, qu'elle signifie quelque chose du monde, du monde ouvert auquel sa discrète, modeste apparition, rendra un peu de sens, un semblant, voire un début, de consistance. Et pour chacun, sa part aussi, circonstancielle, d'accueil.
Sans qu'il s'agisse surtout, pour lui, de jamais rien emprisonner. Pas plus que l'eau des bassins ne retient la foule toujours raturÊe des vents des nuages des feuilles Aussi des ombres venues un jour s'y pencher affranchies des trop visibles typographies jardinières Pour se livrer sans bordure et sans fin à la trouble innocence - buissonnante - des choses.
Poète, artiste, jardinier, Il se dit occupé de la matière qu'il travaille, jour après jour, en rythmes, en modulations, en figures. Pour en faire surgir avec plus ou moins de patience et d'écoute, d'observation de ses lois, par les contraintes plus ou moins sévères parfois qu'il lui impose, des espaces sensibles et vivants de pensée. Et de plaisir aussi. Une accalmie féconde. Parmi l'ordre brutal et dissolvant du monde.
Travail de condensation de l'art et du poème ! Qui va vers un double sentiment presque contradictoire de densité et de transparence. Comme une sorte d’évidence mystérieuse. Une opacité lumineuse. Poète, artiste, jardinier, Il avance, se risque, sur des paysages qui ne sont pas. Qui ne sont pas encore. Y tentant des combinaisons en grande partie inconscientes mais qu’entend bien son oreille, que voit son œil, et comme une sorte de sixième sens exercé. Son attention réellement doublée à la terre. A la forme. Exploratrices.
2
Comme un paysagiste fait se toucher autrement les bords du ciel et de la terre, en ranimant par son travail leur épaisseur active, leur profondeur irritable, Il tente à sa façon de faire se rejoindre autrement, par d'autres bords, les choses et leur langage. De contrarier le processus familier d'ajustement, d'apaisement qui ne cesse d'aplatir notre monde ordinaire. Se refusant aux petits miracles reconnaissables des étiquettes Pour se répandre vers les choses Sans une ligne après pour en borner le cours.
Ainsi petit mammifère très lent Il va promeneur d’une maison de fines boites laquées d’éventails fidèles n’escomptant rien de miraculeux qu’apercevoir à travers la fenêtre cet ancien locataire de parfaites pensées venu avec ses mains vivantes faire qu’ici l’air coule que la terre cascade que libéré de son lourd outillage de fer ici la graine dorme 3 l’agapanthe jaillisse !
A moins que trop longtemps rapiécé d’interminables fils d’araignées de ronces se tenant au sortir de l’hiver droit devant pas ce qu’on voit mais illumine !!!
Il redresse à nouveau la terre épaisse arrache les orties comme il est dit dans le Liber De Cultura Hortorum achevé vers 827 par le moine Strabon en Allemagne pour ramener le beau lombric vivant élastique et souple à l’autre lumière bien enclose 4
entière du jour .
Notes 1
Il est le nom du poète, de l'artiste, du jardinier que ce petit texte met en scène. Sans qu'on sache toujours s'il est plutôt l'un que l'autre ou tous les trois ensemble.
2
On pense ici à Michel Corajoud qui a publié en 2010 chez Actes Sud ce beau titre inspiré : Le paysage c'est l'endroit où le ciel et la terre se touchent.
3
La maison dont il est question dans ce poème est celle de Mallarmé à Vavins. Dont le jardin toujours aussi se visite.
4
Ce poème comprend une citation empruntée à un auteur célèbre. Trouvée dans le dictionnaire Robert, version numérique, avec lequel surtout je travaille. Le lecteur jouera peut-être à retrouver cet auteur dont la formule est d'autant plus intéressante qu'elle constitue à mes yeux une superbe définition, sans jeu de mots, ou plutôt si, du vers tel que je voudrais qu'il fût.
Les auteurs
Georges Guillain
est né en 1947 à Boulogne-sur-Mer. Principalement occupé au cours des années 2000 à 2010 à promouvoir la littérature contemporaine, comme chargé de mission à la Direction Académique des Arts et de la Culture de Lille, il a formé, entre autres, un grand nombre d’enseignants à l’accueil des écrivains, à la réflexion sur l'écriture et a fondé le Prix des Découvreurs, devenu en 2000 un prix national visant à faire lire, au plus grand nombre possible de lycéens, la poésie qui s’écrit de leur temps. Il a collaboré à la Quinzaine littéraire où il a signé quelques dizaines d’articles sur les auteurs les plus variés, d’Ariane Dreyfus au poète américain W.S. Merwin, en passant par Michaux et Aragon. Poète, il ne se fait pas d’excessive illusion sur l’importance d’un travail qu’il considère pourtant comme essentiel, pour lui. Il écrit pour y voir clair. Un peu plus clair. Eprouver aussi sa part très relative de conscience et de liberté dans un monde où la pensée n'est dé-
sormais qu'une figure de bord, n'indiquant plus aucun centre. Tandis que sous le rideau tombé des couleurs tout nous aspire dans le noir. Bibliographie –– Vignettes : petites encres noires pour paysages bien tran-
quilles, Unimuse, Prix Casterman 95 ––Un seul jour sans Rimbaud, éditions P.P.P., Grand Prix de la ville de Béziers 1997 ––Comme existé… , Écrit(s) des Forges, 1997 ––L’Hiver est une main précise, Écrit(s) du Nord, 2000 ––Déplacement du poème dans l’espace à plus de 30 kms/seconde, livre d’artiste réalisé avec le peintre Rémi Darbre, juin 2007 ––Petite ménagerie avec restes de chien merles, livre d’artiste en collaboration avec le peintre Monique Tello, Collection Rehauts novembre, 2007 ––Compris dans le paysage, Éditions Potentille, 2010 ––Avec la terre, au bout, Atelier la Feugraie, 2011
––22 mouvements/mn, oxygène de la poésie, Les Découvreurs, 2015 ––Et de l'hiver, assez ! Les Découvreurs, 2015 ––Parmi tout ce qui renverse, Le Castor Astral, 2017 ––Un Bouquet pour les morts, éditions Les Découvreurs, 2018 lesdecouvreurs2.blogspot.fr
Hervé Ternisien
Hervé Ternisien est photographe d’architecture, de design et de jardins, Il a travaillé pendant plus de trente ans pour les plus grands architectes et designers tels que Ieoh Ming Pei, Philippe Stark, Jean-Michel Wilmotte, Jean Nouvel ou Christian de Portzamparc et plus récemment, Louis Benech pour photographier ses jardins. Depuis 2010, parallèlement à son travail de commande photographique, Hervé Ternisien photographie et étudie les jardins de Versailles. Il est l’auteur (images et textes) du livre les jardins de Versailles en coédition Albin Michel et l’établissement public du château de Versailles. Plus récemment, la découverte du Japon, sa nature, sa campagne, ses forêts et ses légendaires jardins lui a ouvert des nouvelles perspectives passionnantes pour percevoir et comprendre l’universalité des jardins et de la promenade. www.herveternisien.com
�� L a
revue
Ce
q u i r e s t e ��
Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéaste, etc). Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1
…nous suivre…
© Mars 2018 — Poème de Georges Guillain Photographies d'Herve Ternisien La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363
Poète, artiste, jardinier, Il avance, se risque, sur des paysages qui ne sont pas. Qui ne sont pas encore. Y tentant des combinaisons en grande partie inconscientes mais qu’entend bien son oreille, que voit son œil, et comme une sorte de sixième sens exercé. Son attention réellement doublée à la terre. A la forme. Exploratrices.
Poème de G e orges G uillain Photogr aphie d' Her vé Ter sinien